master professionnel tourisme (2 année) · 2 remerciements je tiens tout d’abord à remercier m....
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UNIVERSITE DE PARIS 1 - PANTHEON SORBONNE
INSTITUT DE RECHERCHE ET D'ETUDES SUPERIEURES DU TOURISME
" L’INTERTERRITORIALITE,
UNE STRATEGIE TOURISTIQUE PERTINENTE
POUR UNE COLLECTIVITE LOCALE?
L’exemple des itinéraires cyclotouristiques Via Rhôna et Loire à Vélo"
Mémoire professionnel présenté pour l'obtention du
Diplôme de Paris 1 - Panthéon Sorbonne
MASTER PROFESSIONNEL "TOURISME" (2e année)
Spécialité Développement et Aménagement Touristique des Territoires
Par Mlle Justine NIOCHE [email protected] Directeur du mémoire : M. Jean-Pierre MARTINETTI
JURY Membres du jury : ....................................
: ..................................... : .....................................
Session de juillet 2011
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Remerciements
Je tiens tout d’abord à remercier M. MARTINETTI, qui a bien voulu diriger mon
mémoire et me guider dans mon travail, ainsi que Mme GRAVARI-BARBAS, directrice de
l’IREST, pour ses précieux conseils.
Je remercie également toutes les personnes que j’ai rencontrées dans le cadre de cette
étude, qui ont accepté de me recevoir et de me consacrer un peu de leur temps. Ma gratitude
s’adresse tout particulièrement à M. SAVIGNAC, du Conseil Régional du Centre, pour sa
disponibilité, sa gentillesse et ses conseils qui m’ont permis de mieux cerner mon sujet
d’étude.
Je souhaiterais aussi adresser mes remerciements aux deux loueurs de vélos à Valence
et près de Sablons, sans l’aide de qui les observations de terrain auraient été bien pénibles !
Une pensée toute particulière pour Titouan, Joël et Philippe, pour leur présence et leur
soutien moral (et physique) tout au long de mon périple ligérien.
Un très grand merci à Véronique, pour ses recherches dans les fonds documentaires et
son oeil avisé, et pour ses longs week-ends de travail.
Enfin, je remercie toute ma famille, et ma mère en particulier, coach de la première à
la dernière heure.
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SOMMAIRE
INTRODUCTION.................................................................................................................... 5 I Créer un itinéraire cyclotouristique : un projet territorial à l’origine d’une
gouvernance originale ? ......................................................................................................... 10 A) Tourisme : de la transterritorialité à l’interterritorialité ........................................... 10
1) Le tourisme, un phénomène transterritorial ............................................................. 10 2) Une gouvernance originale : trouver un intérêt commun ? ...................................... 13 3) De la prise en compte des flux touristiques transterritoriaux à l’esquisse d’une coopération interterritoriale.............................................................................................. 17
B) Interterritorialité et cyclotourisme : une « bonification » mutuelle................................. 20 1) L’itinérance touristique, vecteur d’interterritorialité................................................ 20 2) Une coopération des territoires essentielle au cyclotourisme .................................. 23
C) Via Rhôna et Loire à Vélo : historique et état des lieux ................................................. 27 1) Des projets avec de nombreux points communs…...................................................... 27 2) Mais des degrés de réalisation très différents .............................................................. 31
II Co-produire un itinéraire cyclotouristique : l’intérêt de travailler en partenariat, la contrainte de travailler avec des partenaires ?.................................................................... 36
A) Les atouts de l’interterritorialité pour le cyclotourisme.................................................. 36 1) Créer à plusieurs un produit cyclotouristique collectif ............................................ 36 2) Un échange de bonnes pratiques.................................................................................. 40 3) L’invention d’une gouvernance originale, plus souple et adaptable............................ 43
B) Une relation multipolaire réellement innovante ? ........................................................... 48 1) Un système d’acteurs complexe.............................................................................. 48 2) Les limites de l’innovation interterritoriale : le poids des hiérarchies traditionnelles . 52
C) Les difficultés de la collaboration avec d’autres collectivités........................................ 56 1) Contexte et objectifs politiques divergents : le test de l’intérêt général ...................... 56 2) Des échelles de temps en décalage .............................................................................. 59 3) Un « bricolage permanent » ? ...................................................................................... 64
III Un nouveau modèle de gouvernance touristique locale, inspiré de la conduite de
projets cyclotouristiques ........................................................................................................ 66 A) Les différences entre Loire à Vélo et Via Rhôna, des éléments éclairants pour évaluer la coopération interterritoriale ? ............................................................................................... 66
1) Les réalisations et les accrocs : quelle réussite des itinéraires ? (observations et enquêtes de terrain) .......................................................................................................... 66 2) Les rapports humains comme facteur-clé de la conduite de projet.............................. 71 3) Une différence fondamentale : l’enjeu du chef de file................................................. 75
B) Produit cyclotouristique durable et durabilité du mode de pilotage interterritorial ....... 78 1) Un produit touristique « vert »..................................................................................... 78 2) Un produit touristique viable économiquement ....................................................... 79 3) L’implication des acteurs (et ses limites)..................................................................... 81 4) Le territoire au cœur du projet cyclotouristique .......................................................... 83
C) La conduite de projet interterritoriale, un nouveau pilier des stratégies touristiques locales................................................................................................................................... 87
1) Le vélo au cœur d’une nouvelle stratégie touristique durable.................................. 87 2) Interterritorialité : de l’itinérance aux projets touristiques locaux............................... 91 3) L’interterritorialité à la portée des collectivités locales, ou l’invention d’un tourisme local innovant ................................................................................................................... 93
CONCLUSION....................................................................................................................... 96
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BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................. 100 Annexes.............................................................................................................................. 102
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INTRODUCTION
La complexification des territoires, aujourd’hui, est devenue une réalité. Le territoire
s’emploie désormais plus souvent au pluriel, afin de rendre compte de contextes locaux
particuliers, d’espaces disposant d’une identité propre, d’une autorité politique spécifiques…
Les territoires sont multiples et recouvrent des définitions bien différentes : apparu récemment
dans le champ géographique1, le territoire est à la fois « espace, espace socialisé, espace
géographique, entité éthologique ou espace approprié ». Il constitue avant tout un « espace
vécu », dirons-nous, pour des groupes sociaux habitant ce territoire. Longtemps, il a
représenté un horizon fermé pour ces habitants, concentrant toute la gamme d’activités
nécessaires à la vie quotidienne, telles que le travail, les loisirs, les lieux d’habitation des
proches... Les pratiques sociales de tel groupe donné demeuraient donc elles aussi dans les
limites du territoire, qui devenait ainsi une référence pour ce groupe, un objet d’attachement
et un générateur d’identité.
Aujourd’hui pourtant, cette notion est nettement plus floue : les territoires ne
fonctionnent plus en « vase clos », mais sont au contraire le support de pratiques multiples,
dont l’origine ne se situe plus nécessairement dans le territoire lui-même. Le développement
de mobilités plus fréquentes, plus rapides, plus aisées, fait voler en éclat le concept
traditionnel de territoire comme espace de vie d’un groupe social déterminé. Les limites des
territoires se sont donc brouillées, voire estompées : les déplacements quotidiens, tels que les
migrations pendulaires effectuées entre le domicile et le lieu de travail, les pratiques de loisirs
ou le tourisme ont introduit une sorte de « perméabilité » (Vanier, 2008) des territoires, qui
perdent ainsi de leur « consistance ». Les « usagers » d’un territoire, qui regroupent à la fois
les habitants de ce territoire mais aussi tous ceux qui le pratiquent, au quotidien ou
ponctuellement, ont tendance à s’affranchir des limites traditionnelles du territoire, et
notamment de ses frontières politiques. Le territoire des élus ne suffit pas à englober
l’ensemble des pratiques qui se déroulent sur l’espace dont ils ont la charge. Ces pratiques
sont fondamentalement trans-territoriales : elles se déploient sur plusieurs territoires
administratifs à la fois.
Le tourisme s’inscrit pleinement dans cette « transgression » des territoires
administratifs : le touriste est par définition celui qui sort d’un territoire pour se rendre dans
1 F. BESANCENOT, « Le territoire : un espace à identifier », 2006. Article électronique accessible sur le site: http://grain-de-geo.ens-lsh.fr/article.php3?id_article=165
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un autre : il quitte son espace quotidien et aborde un territoire étranger. Ce territoire se limite,
pour lui, à une destination, et non à un territoire politique : il ne connaît pas nécessairement
les limites administratives de l’espace où il se trouve. Dans tous les cas, ce ne sont pas ces
limites qui l’intéressent : le but de son voyage est constitué par un ou plusieurs « site(s) » où il
souhaite se rendre, et c’est à travers ce ou ces sites qu’il aborde l’espace où il voyage, et non
au travers des limites administratives. Il structure ainsi « son » propre territoire, en fonction de
ses pratiques touristiques (visites, hébergement, déplacements…). Cette trans-territorialité
inhérente au tourisme ne va pas sans poser problème aux territoires administratifs : le
tourisme en effet représente un secteur économique local particulièrement intéressant pour les
collectivités, qui en font souvent un levier du développement local (Violier, 2008). Souverains
à leur échelle, les territoires s’imposent a priori comme des unités cloisonnées, et relativement
autonomes, disposant de compétences spécifiques dans différents domaines. Les échelons
territoriaux se sont multipliés depuis les lois de décentralisation de 1982 et 1992 (communes,
communautés de communes, pays, départements, régions, …) en établissant des prérogatives
sur l’espace dont ils sont la charge. Comment concilier alors une stratégie touristique locale,
inscrite nécessairement dans les limites du territoire pour favoriser le développement
économique de celui-ci, et des pratiques sociales et touristiques qui ignorent les frontières
administratives ?
Les territoires seraient-ils, dans tous les sens du terme, « dépassés » ? Cette
transformation des rapports à l’espace pose en réalité un problème de taille au territoire
politique : les pratiques sociales qui fondent ce territoire et déterminent les conditions de
l’action publique évoluent : pour demeurer en accord avec les évolutions de la société, les
politiques publiques doivent donc s’adapter. Vanier (2006) évoque un « nouveau devoir » des
territoires pour se mettre en accord avec les pratiques sociales : puisque les usagers des
territoires s’affranchissent de leurs frontières et font usage de véritables réseaux trans-
territoriaux (qu’il s’agisse de transports, de pratiques de loisirs, de relations humaines, etc.),
les territoires doivent également adopter un fonctionnement en réseau afin de pouvoir
« encadrer » et gérer ces pratiques. Cette collaboration entre territoires consiste en un
véritable partenariat des collectivités locales, en s’engageant dans une politique
interterritoriale. Cela relève du défi pour les autorités locales, qui doivent coopérer et
coordonner leurs actions avec un territoire voisin, qui est, traditionnellement, à la fois
partenaire et concurrent (Gaudin, 2007) : il s’agit ainsi d’une nouvelle manière de gérer
l’espace, qui va au-delà de la simple concertation. En effet, il faut entendre « collaboration »
au sens latin du terme, « travailler ensemble ». Le terme de « co-production » d’une politique
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publique serait sans doute la meilleure définition de l’interterritorialité, celle que nous
retiendrons dans notre travail. Les collectivités doivent ainsi inventer une manière de
fonctionner ensemble, chacune sur son territoire, mais en prenant en compte des enjeux plus
globaux. Les négociations et décisions doivent être menées en commun, et pouvoir être
appliquées ensuite, de façon spécifique, au territoire de la collectivité. Pour Vanier (2008)
cette interterritorialité consiste à « échanger la posture de la dépendance et de la soumission
aux flux contre celle de leur mise en culture ». En effet, le territoire doit aller au-delà de sa
position passive de « support » des flux, et jouer un rôle actif qui les « encadre » et les
accompagne.
Les territoires doivent donc s’impliquer dans une forme originale d’action publique,
un fonctionnement qui ne va pas de soi. Nous souhaiterions nous interroger sur la pertinence
d’une telle « gouvernance » pour la conduite de projets touristiques. Nous nous appuierons sur
l’exemple de deux itinéraires cyclotouristiques, la Loire à Vélo, reliant Nevers à Saint-
Nazaire, et la Via Rhôna qui longe le Rhône du Lac Léman à la Méditerranée. Ces deux
itinéraires suivent le cours de fleuves, et traversent par conséquent de nombreux territoires
appartenant à divers échelons territoriaux. Ils constituent ainsi des projets à vocation
« naturellement » interterritoriale : le territoire va donc se trouver confronté à des flux
exogènes, qui le parcourent, qui le modifient, et se prolongent vers les territoires voisins.
L’interterritorialité recouvre à la fois des coopérations « verticales », lorsque deux
collectivités de différentes échelles s’accordent sur une réalisation, et des partenariats
« horizontaux » qui « lient » des collectivités du même échelon territorial, comme des
communes entre elles, des régions entre elles… L’interterritorialité paraît donc être une
réponse pertinente pour agir sur ces flux de touristes à vélo, et non plus simplement les subir,
en associant le plus de partenaires possibles, et en prenant en compte les aspects locaux et
« globaux » pour proposer un développement durable du territoire. Une coopération
interterritoriale semble, à première vue, la réponse la plus adéquate pour créer un itinéraire
cyclotouristique qui réponde aux besoins et aux attentes des touristes. Ce qui est valable – ou
semble valable – pour le cyclotourisme, est-il pertinent pour l’ensemble des projets
touristiques en général ?
En effet, le partenariat semble plus intéressant, plus avantageux, pour chacun des
territoires impliqués, que la concurrence et la rivalité vis-à-vis d’une population touristique
similaire. Cette nouvelle gouvernance, qui se traduit par des pratiques de collaboration, de
« co-pilotage », de « co-production » et de « co-contractualisation » (Gaudin, 2007) apparaît
comme un mode de fonctionnement original pour les collectivités dans différents domaines,
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qu’il s’agisse de l’environnement, de la culture, des transports, de la politique de la Ville, etc.
(Gaudin, ibid). Dans le cas des projets de création d’un itinéraire cyclotouristique, ce nouveau
mode de pilotage s’est peu à peu imposé comme une méthode disposant d’atouts
considérables, en dépit de quelques inconvénients inhérents à ce type de partenariat. On peut
alors se demander si la coopération interterritoriale peut représenter une piste solide pour le
montage de projets touristiques différents. Sinon, quelles en seraient les conditions de
réussite ? Dans quelle mesure l’interterritorialité peut-elle être pensée comme le point fort
d’une stratégie touristique locale ?
Pour guider notre réflexion, nous nous appuyons sur une hypothèse de départ. Selon
nous, le « fonctionnement interterritorial », c’est-à-dire la façon dont les différentes
collectivités collaborent, influe sur le développement et le déroulement du projet touristique.
Cela signifie que l’interrterritorialité peut être bénéfique, ou au contraire constituer une
entrave pour l’avancement d’un projet. La collaboration entre les territoires représente en effet
davantage que l’addition pure et simple des moyens financiers et techniques qu’ils peuvent
mettre en œuvre. Si l’interterritorialité n’était qu’une juxtaposition de moyens ou de
territoires, elle serait nécessairement avantageuse. Or, nous avançons qu’elle peut aussi être
source de difficultés, ou du moins de retard, de lenteur, pour un projet, si son fonctionnement
n’est pas assez performant. Ce fonctionnement possède plusieurs dimensions, qui peuvent
chacune venir menacer la progression du projet : organisation interne des partenaires,
structure du réseau, relations entre collectivités et entre individus… Il s’agit d’un équilibre
délicat à trouver, qui repose en grande partie sur la capacité de la collectivité « chef de file » à
construire une véritable synergie entre les acteurs.
Ces modalités de fonctionnement du processus interterritorial nous permettront de
définir les conditions de réussite de ce mode de pilotage original, et de s’interroger ensuite sur
son potentiel pour la stratégie touristique d’une collectivité locale.
Dans une première partie, nous verrons en quoi le cyclotourisme se conçoit presque de
façon « naturelle » comme un projet interterritorial, bien plus que tout autre projet touristique.
Ainsi les collectivités territoriales de nos deux cas d’étude ont-elles privilégié la collaboration
entre territoires pour mettre en œuvre leurs itinéraires cyclotouristiques : si les pratiques des
touristes à vélo sont un facteur-clé dans la décision de collaboration, la réalisation concrète de
l’itinéraire et sa réussite future auprès des usagers dépendent de la capacité des acteurs publics
à travailler ensemble et à coordonner leur action. Le cyclotourisme est donc un objet d’étude
très intéressant pour examiner les relations entre collaboration interterritoriale et projets
touristiques, puisqu’il permet de créer un lien entre ces deux éléments qui ne va pas de soi.
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Dans une deuxième partie, nous montrerons que l’interterritorialité est un mode de
gouvernance « émergent », dont le remarquable potentiel pour le montage de projets
cyclotouristiques permet de gagner du temps lors de la réalisation de l’itinéraire, d’assurer sa
continuité et sa cohérence afin de le proposer aux touristes comme un véritable produit
touristique achevé. Toutefois, elle présente encore, dans son fonctionnement, de sérieux
obstacles pour les collectivités locales et nécessite des ajustements permanents afin de
pouvoir répondre avec pertinence aux besoins des territoires.
Enfin, dans notre dernière partie, nous questionnerons ce « modèle interterritorial »
apparu dans le montage des projets cyclotouristiques comme la Loire à Vélo et la Via Rhôna.
Ce « modèle » visant un développement touristique durable, tant par une nouvelle forme de
gouvernance que par la création d’un produit touristique « vert » et performant, est-il limité
aux itinéraires cyclotouristiques ? Peut-il être élargi à d’autres types de projets touristiques
locaux ? Quelles sont ses spécificités propres au cyclotourisme ? Dans quelle mesure ce
modèle pourrait-il être adapté afin que les collectivités puissent réellement y voir l’instrument
de stratégies touristiques durables locales ?
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I Créer un itinéraire cyclotouristique : un projet territorial à l’origine d’une gouvernance originale ?
Dans cette première partie, nous reprenons l’hypothèse formulée par Vanier dans son
ouvrage Le Pouvoir des territoires (2008), selon laquelle les territoires politiques accusent un
certain retard par rapport aux pratiques sociales dont ils sont le support. Dans le cas du
cyclotourisme, il semble bien que les pratiques des touristes ont conduits les acteurs publics à
intervenir et à s’investir pour tirer parti de ce potentiel. Or, c’est le caractère transterritorial
des flux touristiques observés qui a déterminé le choix d’un mode gouvernance innovant : la
collaboration interterritoriale, qui paraissait être l’outil le plus pertinent pour mener à bien le
projet d’itinéraire cyclotouristique impliquant de très nombreux acteurs publics et privés.
A) Tourisme : de la transterritorialité à l’interterritorialité
Le tourisme est un phénomène transterritorial : les flux touristiques traversent sans cesse
les limites territoriales. Pourtant, les collectivités locales, visant à optimiser les retombées
économiques du tourisme pour leur propre développement, ont tendance à proposer une offre
touristique centrée uniquement sur leur territoire administratif, à l’exclusion de l’espace du
territoire voisin. Comment dans ces conditions imaginer une gouvernance touristique
interterritoriale ? Celle-ci ne passe-t-elle pas avant tout par la construction d’un intérêt
commun à toutes les parties concernées ?
1) Le tourisme, un phénomène transterritorial
Tourisme et territoire. La relation entre ces deux éléments est complexe, et néanmoins
très forte : le tourisme en effet, repose sur le territoire, il s’en nourrit. Le territoire, l’espace
constitue souvent la première ressource de l’offre touristique : les touristes en effet choisissent
à la fois un « lieu » de séjour, c’est-à-dire un « décor » (campagne, mer, montagne…) et
déterminent leur choix en fonction des caractéristiques spécifiques offertes par chaque espace
(tourisme vert, tourisme culturel, sportif, balnéaire…) Le territoire, l’espace lui-même, son
organisation, ses équipements, ses sites, parfois même son climat ou sa topologie, détient
donc une place importante parmi les différents motifs de séjour des touristes. Il faut toutefois
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s’entendre brièvement sur la définition du territoire dont nous parlons : ici, il s’agit seulement
de l’espace local, sans considération de territoire administratif ou politique.
Les collectivités territoriales, cependant, ont rapidement compris tous les avantages
qu’elles pouvaient retirer du tourisme. Le tourisme, secteur d’activités majeur en France en
termes de part du Produit National Brut, fait partie intégrante des stratégies de développement
local, il est même devenu un « classique » de ce genre de discours (Violier, 2008) : le secteur
touristique est même souvent considéré comme le dernier recours d’espaces en perte de
vitesse. Les autorités attendent alors du tourisme un nouvel essor, une redynamisation de leur
territoire : fréquentation touristique signifie alors retombées économiques, directes et
indirectes, incluant de nouveaux emplois générés par le secteur, des recettes pour la
communauté…. Le tourisme est également un instrument pertinent pour améliorer l’image et
l’attractivité du lieu, en le montrant, en quelque sorte, sous son meilleur jour : il met en valeur
les atouts locaux, les sites dignes d’intérêt…
Les collectivités ont donc tendance à miser sur le tourisme pour leur stratégie de
développement, en se concentrant sur l’offre touristique locale, à l’intérieur du « territoire des
élus » (Violier, 2008) : si celui-ci semble pertinent à première vue (c’est l’espace sur lequel
s’exercent les politiques publiques, où les entrepreneurs peuvent demander des financements
publics, etc.), on peut se demander s’il est judicieux, dans le domaine touristique, d’exclure
toute continuité avec les territoires voisins, quitte à priver le touriste de « sites », au sens
large, intéressants, parce qu’ils sont situés de l’autre côté d’une frontière administrative. Nous
disions que le territoire était la ressource fondamentale du tourisme : toutefois, ce territoire en
question n’est pas nécessairement le territoire politique. Ainsi, « plus les touristes viennent de
régions éloignées du lieu touristique, plus ils en méconnaissent les subtilités », explique
Violier. Nous avons pu vérifier nous-même cette affirmation, en demandant, lors de nos
enquêtes de terrain2, aux touristes rencontrés s’ils pouvaient nous citer le nom du territoire
administratifs où ils se trouvaient : la très grande majorité des touristes étrangers interrogés
donnaient une réponse erronée, ou répondaient qu’ils ne savaient pas.
Violier (2008) explique ainsi : « Par leurs pratiques, les touristes construisent un
territoire touristique partiellement autonome par rapport au territoire des habitants. Dans ce
sens, le concept de territoire se réfère seulement aux liens que tissent les habitants,
temporaires ou permanents, avec un espace auxquels ils attribuent une limite souvent plus
floue que les frontières administratives ». En réalité, le touriste ne reste généralement pas
2 Cf. dossier méthodologique.
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confiné à l’intérieur d’un seul territoire administratif : il traverse plusieurs territoires
administratifs, les « transgresse », pour reprendre le mot de Vanier dans Le Pouvoir des
territoires (2008), puisqu’il ne les reconnaît pas comme des espaces spécifiques. Il raisonne
davantage en termes de sites, de curiosités à voir, du lieu où il réside, créant un territoire à sa
propre échelle.
Le tourisme est donc fondamentalement transterritorial : cela signifie que les pratiques
touristiques débordent les territoires politiques, et les « remplacent », si l’on peut dire, par des
« territoires socio-économiques ». Vanier développe cette théorie dans son essai Le Pouvoir
des territoires (2008) : il pose l’hypothèse que les territoires des élus sont « en retard par
rapport à la société qui les génère ». La société en effet, évoluerait rapidement, mettant en
œuvre de nouvelles façons de pratiquer l’espace, ou plus exactement les espaces, que les
territoires institutionnels peineraient à prendre en compte. Cela peut conduire à des
aberrations en termes d’offre touristique : les collectivités par exemple, découpent l’espace en
fonction de ses limites administratives, créent des produits touristiques centrés, voire
cloisonnés dans les limites de leur territoire, sans tenir compte, souvent, des pratiques réelles
des touristes. Violier définit ces stratégies comme des « impositions du territoire » aux
touristes, qui cherchent à les contraindre – tout à fait vainement par ailleurs – à demeurer sur
le territoire des élus.
Vanier (2008) se fait plus virulent encore, en dénonçant la « doxa territoriale », une
action publique figée, qui reste coupée des réalités des pratiques sociales : les territoires
auraient ainsi « épuisé les ressorts de leur efficacité ». La solution ? Elle ne peut provenir que
d’une mise en réseau des territoires, un nouveau système de fonctionnement des collectivités.
Le tourisme représente justement un domaine privilégié pour mettre en œuvre une
politique de coopération entre territoires : bien sûr, il concerne et intéresse l’ensemble des
échelons territoriaux, mais surtout, ce secteur repose sur la mobilité et les liens entre
territoires : réseaux de transports, réseaux humains, pratiques touristiques… Le tourisme,
fondamentalement, déborde les territoires politiques traditionnels. Or, « partout où il y a flux,
il y a potentiellement interterritorialité », nous dit l’auteur du Pouvoir des territoires dans son
introduction. En effet, pour pouvoir gérer ces flux, les « encadrer », c’est-à-dire en tirer le
meilleur parti pour le territoire tout en évitant qu’ils représentent une « nuisance » pour
l’espace local, les acteurs publics répartis sur plusieurs territoires administratifs, vont devoir
s’entendre, travailler ensemble afin de proposer des solutions.
Le tourisme semble donc être un domaine tout à fait adapté à l’élaboration d’une
politique interterritoriale. L’interterritorialité suppose une gestion nouvelle des territoires, qui
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prenne en compte avant tout les flux et les réseaux qui traversent les différents espaces
administratifs, afin de gérer et d’intégrer au mieux, dans les stratégies de développement, les
pratiques sociales déjà constatées. Comment le territoire politique peut-il mettre en place une
collaboration avec d’autres acteurs territoriaux, afin de répondre aux besoins des territoires
socio-économiques ? Comment penser cette sorte de coopération entre territoires, lorsque
l’objectif a priori est d’attirer le plus de visiteurs possibles au sein de son territoire, d’être le
plus attractif possible et de « se démarquer du voisin » ?
2) Une gouvernance originale : trouver un intérêt commun ?
Si le tourisme est une pratique transterritoriale, il offre la possibilité d’une
collaboration entre les territoires. Plus encore, comme nous le verrons en détail un peu plus
loin, il « requiert » une coopération interterritoriale. Or les territoires administratifs, bien
souvent, demeurent cloisonnés, en situation de tension, voire de rivalité avec leurs voisins, en
particulier quand il s’agit de séduire et d’attirer, sur son propre espace, le plus de visiteurs
possible.
Dès la loi de décentralisation de 1982, les collectivités territoriales investissent
massivement dans l’industrie touristique, la loi du 2 mars leur accordant des compétences sur
le développement économique et social pour l’ensemble des secteurs économiques. Cette loi
précise la répartition des compétences entre l’Etat et les différentes administrations
territoriales décentralisées. Désormais les communes, les départements et les régions
nouvellement créées sont compétents pour élaborer leur propre stratégie de développement
économique, le tourisme n’étant pas considéré comme un secteur spécifique : chacune peut
donc mener sa propre politique touristique, de façon pratiquement autonome. Pourtant, un tel
partage des compétences conduit rapidement à une situation de concurrence accrue entre les
différentes collectivités locales, chacune privilégiant son propre territoire, sans tenir compte
des enjeux qui dépassent le cadre de ce territoire.
La loi du 23 décembre 1992 vise alors à clarifier et à harmoniser les différentes
initiatives locales, en évitant que les politiques locales ne se contredisent et s’opposent.
Désormais, c’est la région qui anime et coordonne les initiatives touristiques, publiques ou
privées, sur tout son territoire. Un Schéma de Développement du Tourisme est élaboré à
l’échelle du territoire régional, qui fixe les modalités de mise en œuvre et de financement des
différents projets. Ensuite, le Conseil général peut élaborer à son tour un Schéma à l’échelle
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de son propre territoire, tout en suivant la ligne directrice générale établie par la région. Les
communes quant à elles ont vocation à informer les touristes, et réaliser la promotion de leur
territoire, ainsi que d’aménager, développer et animer les équipements touristiques. Chaque
échelon doit désormais au moins tenir compte des autres collectivités locales dont il dépend,
ou qu’il englobe : en théorie, les projets touristiques d’une commune, par exemple, ne doivent
plus se trouver en situation de rivalité avec un grand événement touristique décidé par le
Conseil régional.
Il ne s’agit pas pour nous d’entrer dans les détails de cette loi, qui fixe plus
précisément les domaines de compétences de chaque échelon territorial : il nous suffit de
noter que la législation elle-même participe de la « transterritorialité » du tourisme. En effet,
le phénomène touristique, les pratiques et les flux qu’il induit, concernent directement
plusieurs territoires à la fois, qui n’ont pas vocation à y répondre de façon autonome. Ainsi,
une commune ne peut élaborer, seule, une politique touristique indépendante, en contradiction
avec les orientations définies par la région par exemple. La politique touristique est donc mise
en œuvre en prenant en compte plusieurs territoires à la fois, quel que soit l’échelon territorial
auquel on se réfère. Il s’agit de mettre en cohérence les politiques de ces différents échelons,
imbriqués les uns dans les autres, afin de proposer une offre touristique organisée, en évitant
que les différentes politiques locales n’entrent en concurrence. Cette nécessaire coopération
entre collectivités qui en résulte esquisse déjà un fonctionnement interterritorial vertical,
fondé sur la participation et la consultation de différents acteurs de plusieurs niveaux
territoriaux. On pourrait y voir une première étape dans le fonctionnement interterritorial,
puisque cela implique une collaboration dans le domaine du tourisme.
Toutefois, une réelle « coopération interterritoriale » ne peut se limiter à cette première
collaboration des acteurs publics : elle exige un véritable partenariat entre les acteurs, une
manière particulière de travailler avec plusieurs autres collectivités, qui ne va pas de soi. En
effet, elle suppose une organisation en système, où les acteurs ne soient pas seulement
consultés, mais pleinement associés au processus de décision. Pour Vanier (2008), elle
implique ainsi une « interdépendance », qu’il rapproche du concept de « fédéralisme » établi
par Crozat dans son ouvrage Le Fédéralisme dans les démocraties contemporaines (Paris, éd.
Montchrestien, coll. Clefs politiques) : le fédéralisme constitue en effet un système « où la
recherche de l’interdépendance l’emporte sur la préoccupation de stricte autonomie et
d’étanchéité des juridictions ». Dans un fonctionnement proprement interterritorial, les
différents acteurs travaillent ensemble à créer des projets communs, grâce à « une politique
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organisée conjointement à plusieurs échelles (…) qui implique l’ensemble des niveaux de
territoire d’une façon ou d’une autre » (Vanier, 2008).
Décider de travailler en collaboration, de mener une démarche interterritoriale,
suppose de dépasser ce modèle de compétitivité aujourd’hui dominant. Ainsi, cette démarche
consiste à construire un nouveau modèle : la coopération interterritoriale présuppose en effet
que plusieurs territoires « associés » retireront plus de bénéfices à travailler ensemble, même
si cela suppose de contribuer à développer des espaces autres que son propre territoire, que
s’ils demeurent en situation de pure concurrence. « Si le territoire se définit par des
ressources, l’interterritorialité constitue une stratégie d’accès démultiplié à des ressources, le
cas échéant par leur caractère complémentaire » (ibid.). Améliorer la compétitivité des deux
territoires est plus intéressant, pour chacun, que de se concentrer sur un territoire unique. En
résumé, les retombées pour le territoire A seraient plus faibles s’il ne coopérait pas avec le
territoire B, quitte à partager ces retombées avec B. En fait, il s’agit de mutualiser les
ressources touristiques qui rendent A et B attractifs, afin d’augmenter la fréquentation
touristique et les retombées économiques des deux territoires, qui peuvent tirer profit, chacun,
de l’attractivité de l’autre.
Pourtant, ce modèle de compétitivité-attractivité partagées se heurte à une difficulté
importante : pour pouvoir élaborer une politique interterritoriale, les différents acteurs doivent
auparavant déterminer le ou les objectif(s) commun(s) qu’ils poursuivent, qui permettront de
déterminer le ou les but(s) à atteindre par chacun des partenaires. Or ces buts doivent être
cohérents entre eux, c’est-à-dire ne pas se contredire ou s’opposer : ainsi, la stratégie des
territoires doit se positionnée par rapport à une certaine idée de « l’intérêt général ». Il s’agit
alors d’imaginer et de mettre en œuvre une forme de gouvernance innovante, en créant une
« possibilité d’établir un cadre collectif d’action (…), de réflexion stratégique reliant les
principaux acteurs autour du niveau de décision politique. (…) A chaque niveau, le partenariat
doit pouvoir se concrétiser autour d’une stratégie commune, d’un cadre collectif
d’intervention, (….) d’un projet suffisamment mobilisateur pour motiver toutes les parties
concernées3 ».
A travers cette définition de la gouvernance, on voit se dessiner le concept d’intérêt
général. Cela signifie que les objectifs particuliers, spécifiques à chaque territoire, viseraient,
dans leur ensemble, l’intérêt général de tous les espaces concernés : une collaboration
interterritoriale doit donc tendre vers une sorte de « bien commun » pour tous les acteurs.
3 Cavallier, 1998, cité dans Développement local, gouvernance territoriale : enjeux et perspectives, Collectif Amadou Diop, Karthala, Paris, 2008
16
Cela, bien sûr, ne va pas de soi : comment pourrait-on définir un « intérêt général » pour des
territoires différents, avec leurs problèmes et problématiques particulières, leur propre
contexte et leurs difficultés et atouts spécifiques ? Le concept d’intérêt général, qui est
supposé sous-tendre la coopération entre territoires, mérite donc d’être interrogé, car sa
définition semble plus compliquée qu’il n’y paraît à première vue.
Chaque territoire en effet poursuit son développement propre avant tout, et s’il accepte
de collaborer, c’est d’abord dans ce but. Il recherche des moyens d’aménager, d’équiper et de
gérer l’espace, afin d’en tirer avantage, qu’il s’agisse de retombées économiques,
d’attractivité, de dynamisation de son image… Le territoire, dans une organisation territoriale
classique est centré sur ses propres intérêts, à l’exclusion de ceux de ses voisins. Dans ces
conditions, peut-on vraiment penser qu’il existe un intérêt général ? Ne serait-ce pas, plutôt,
une simple combinaison d’intérêts particuliers ? Et en ce cas, comment penser véritablement
une coopération interterritoriale, si chacun ne poursuit finalement que son propre intérêt, à
condition qu’il soit conforme à celui du territoire partenaire ?
L’interterritorialité suppose plutôt de négocier des intérêts, qui deviendront alors, non
pas « un intérêt général », mais des intérêts communs. Ainsi, « l’intérêt commun procède de
celui de chaque territoire, mais le dépasse » (Vanier, 2008). Peut-être le concept d’objectifs
est-il donc plus opératoire. Une conception durable d’une stratégie de développement
touristique résiderait ainsi dans la négociation des différents objectifs, satisfaisants à la fois
pour chacun des territoires, à l’échelle de « son » espace local, et pour l’ensemble des acteurs,
en tenant compte des enjeux et des contraintes inhérents à toute la zone qu’ils partagent et sur
laquelle ils travaillent collectivement. La définition des objectifs passe nécessairement par la
négociation avec tous les acteurs impliqués, quel que soit leur échelon territorial et doit
déboucher sur un consensus obtenu après négociation : c’est à cette condition que le projet
interterritorial peut être mené sur le long terme.
Comme nous venons de le voir, l’interterritorialité ne va pas de soi. Elle constitue
souvent une réponse à un problème ou à une donnée préexistante, et elle nécessite de « sortir
des sentiers battus » si je puis dire, afin d’élaborer une forme originale de gouvernance
territoriale. Cette dernière suppose de dépasser la situation classique de tension, voire de
rivalité entre des territoires cloisonnés, concentrés chacun sur son espace et sa propre stratégie
de développement.
17
3) De la prise en compte des flux touristiques transterritoriaux à l’esquisse d’une coopération interterritoriale
Nous l’avons montré, les territoires politiques accusent une sorte de « retard » par
rapport aux pratiques sociales dont ils sont le support. Centré sur lui-même, le territoire
administratif peine à prendre en compte des usages qui sont fondamentalement
transterritoriaux, comme le tourisme. Le territoire cherche, au sens propre, à « se vendre », à
séduire, dirons-nous plutôt, des visiteurs potentiels. Cela le conduit à valoriser son offre
touristique en tentant d’éclipser celle des territoires concurrents, et en excluant toute référence
à un espace voisin dès qu’il se situe hors des limites administratives, quel que soit son intérêt
touristique. On aboutit alors à des situations parfois aberrantes, particulièrement visibles dans
le domaine de la communication institutionnelle. Offices de tourisme, CRT, CDT, Syndicat
mixte de pays… : chacun promeut son territoire, en essayant de montrer à quel point il est
unique, en mettant en valeur son attractivité, cherchant à tout prix à « se démarquer du
voisin ». Cette formule, familière, illustre pourtant assez bien l’orientation générale des
stratégies de développement touristique et de marketing des territoires.
Pourtant, comme le montrait Violier (2008), le touriste ne prend pas en compte le
territoire administratif : il ne le (re)connaît pas, mais crée bien plutôt son propre « espace »
touristique, adapté à ses pratiques et à ses centres d’intérêts répartis sur plusieurs territoires
administratifs. Pour aller plus loin, on peut dire que le touriste, très souvent, ne choisit pas,
comme lieu de séjour, un territoire administratif : il sélectionne un pays, une zone
géographique, mais ne se dit pas nécessairement : « je vais passer mes vacances dans le
Maine-et-Loire ». S’il choisit une « région », comme nous l’ont montré nos questionnaires4, il
s’agit davantage d’un « terroir » que d’un espace administratif : ainsi, de nombreux touristes
interrogés près de Saumur, ont répondu qu’ils se trouvaient dans la région de l’Anjou, et non
en Pays de la Loire ou Maine et Loire.
Le concept de « destination » est bien plus opératoire lorsqu’il s’agit de prendre en
compte les motivations du touriste. « On peut apparenter la destination à l’offre touristique, en
se fondant sur les éléments du système touristique : l’offre touristique et la destination
touristiques sont constitués précisément des mêmes éléments. La différence tient au fait que
(...) la destination peut être définie comme un agencement complexe d’attractions et de
4 Cf. dossier méthodologique.
18
services, disposés en réseau. »5. Le touriste ne choisit donc pas un territoire administratif,
mais plutôt une offre touristique (organisée en système) qui lui plaît, localisée dans un espace
particulier, spécifique, qui l’attire également. En aucun cas les limites administratives de tel
ou tel territoire n’entrent en ligne de compte, alors que les pouvoirs publics se concentrent
exclusivement sur l’espace dont ils ont la charge, comme s’il était « isolé », en rupture ou en
discontinuité avec les espaces voisins. Une telle approche ne tient pas compte des pratiques
des usagers du territoire, et risque donc de ne pas optimiser le potentiel de développement de
l’activité touristique à travers son territoire..
Il paraît ainsi plus judicieux de replacer le territoire administratif dans son contexte,
dans un réseau plus large qui inclut les espaces voisins. On peut alors considérer le tourisme
lui-même comme un vecteur d’interterritorialité. Pour pouvoir appréhender des flux et des
pratiques transterritoriales, les collectivités ont intérêt engager une politique de collaboration,
afin d’apporter ensemble des solutions innovantes pour leur territoire, et proposer une gestion
adéquate de flux qu’elles ne peuvent « maîtriser » en totalité. Cette politique repose sur le
constat d’un « intérêt » commun : deux, trois ou quatre territoires, par exemple, bénéficieront
chacun d’un développement touristique plus performant en s’associant qu’en s’isolant les uns
des autres et se trouvant en situation de concurrence. Cette prise de conscience et ses
conséquences s’illustrent particulièrement dans la construction de « destinations »
« nouvelles » : par nouvelles, nous voulons dire qu’elles ne correspondent pas aux territoires
politiques traditionnels. Ces destinations regroupent précisément plusieurs territoires, afin
d’être, ensemble, plus compétitives.
A titre d’exemple, on peut citer la destination « Val de Loire » : celle-ci regroupe des
villes, mais aussi d’autres « association de territoires », pour former un seul « pôle »
touristique, plus visible pour les touristes, qui joue sur sa renommée et son image de marque :
la Loire, les Châteaux, les vins… Le « Val de Loire6 », ce sont donc les villes de Tours et
d’Orléans, les départements du Loiret et du Loir-et-Cher (sous l’appellation Cœur Val de
Loire, plus évocatrice), ainsi que plusieurs regroupements de territoires : la Touraine (qui
réunit Amboise, Chinon, Loches et Tours notamment) et le groupe « Blois Pays de
5 Lóránt DÁVID – Anett TÖZSĖR Destination management: necessity and tasks of tourism, Destination
management in Hungary, Aspects and Visions of Applied Economics and Informatics March 26 - 27. 2009, Debrecen, Hungary. “Tourist destination can be identified with the tourist supply from the elements of the tourist
system: the tourist supply and the tourist destination are consisting just of the same elements. The difference is
that (...) destination can be characterised as a complex pile of attractions and services being in connection with
each other.” 6 Source : Destination Val de Loire : VISALOIRE http://www.visaloire.com/destinations-val-de-loire.html
19
Chambord », qui compte l’agglomération blésoise, mais aussi les châteaux de Chambord,
Cheverny, etc.
Chacune de ces entités, qui a déjà une identité marquée, a décidé de s’entendre sur une
image encore plus lisible, très facilement identifiable pour les touristes, qui correspond en
outre à la dénomination UNESCO. Le Val de Loire appartient en effet au patrimoine mondial
de l’UNESCO depuis 2000, au titre de patrimoine culturel. Toutefois, le classement concerne
un espace plus vaste que celui de la « destination Val de Loire »7 : ainsi, le classement
UNESCO touche quatre départements (Loiret, Loir-et-Cher, Indre-et-Loire, Maine-et-Loire),
6 agglomérations (Orléans, Blois, Tours, Chinon, Saumur, Angers), un Parc Naturel Régional
(PNR Loire-Anjou-Touraine)… La destination s’appuie donc sur cette appellation de prestige,
tout en étant plus restreinte, et se limitant à la région Centre. Il semble toutefois évident qu’il
était préférable, pour tous ces territoires, de s’associer afin de pouvoir prétendre à une
appellation telle que Val de Loire, plutôt que de communiquer, chacune de leur côté, sur des
sites ou des villes qui sont, individuellement, moins connus. Ainsi, le Loiret ou le Loir-et-
Cher disposent d’une meilleure visibilité en apparaissant sur le site VISALOIRE (le site de la
destination Val de Loire) que s’ils se mettent en avant par leurs propres moyens.
On voit donc ici que le tourisme encourage les collaborations interterritoriales : ainsi, le
site VISALOIRE, édité par le Comité Régional du Tourisme du Centre, est renseigné par
chaque territoire pour ce qui le concerne, le CRT assurant la cohérence et la mise en ligne de
l’ensemble, ainsi que la maintenance du site. Chaque collectivité s’engage donc dans une
collaboration, afin de pouvoir faire émerger une « destination » cohérente et reconnue par le
public, en s’adaptant à des pratiques touristiques préexistantes. Il s’agit ici d’une
communication commune : cela suppose une certaine coopération, mais n’implique pas que
chaque territoire fonctionne en système avec les autres, puisque le CRT a pour mission, à
partir des différentes informations qui lui parviennent, de les organiser afin de construire une
destination nouvelle.
Intéressons-nous désormais à une coopération interterritoriale plus poussée, plus
profonde, qui implique un vrai travail en commun de la part de différents acteurs : pour cela,
nous avons choisi d’étudier la réalisation d’itinéraires cyclotouristiques, dont la conception-
même relève de l’interterritorialité.
7 Source : Le site inscrit du Val de Loire : http://www.valdeloire.org/Patrimoines/Patrimoine-mondial/Le-site-inscrit-du-Val-de-Loire
20
B) Interterritorialité et cyclotourisme : une « bonification » mutuelle
Nous avons vu que le tourisme était, par essence, un phénomène transterritorial. Les
territoires peuvent ensuite faire le choix, ou non, de s’associer et de collaborer afin de
mutualiser leurs atouts et leurs compétences, et de mettre leurs offres touristiques respectives
en synergie. Dans le cas du cyclotourisme, cette problématique de coopération interterritoriale
se fait plus pressante. En effet, le cyclotourisme, par les pratiques de l’itinérance, conduit
presque nécessairement les collectivités à collaborer, afin de créer de véritables produits
cyclotouristiques, attractifs et viables.
1) L’itinérance touristique, vecteur d’interterritorialité
Le cyclotourisme consiste à découvrir un territoire à vélo. Il peut s’agir de simples
randonnées, qui se rapprocheraient du terme de « promenade », effectuées par des habitants
autour de chez eux, des excursions de quelques heures ou d’une journée, souvent encadrées
par un club (il existe une fédération française de cyclotourisme8). Les cyclotouristes, comme
les touristes, sont des visiteurs, qui passent une nuit hors de leur domicile durant leur voyage.
Pourtant, le cyclotourisme représente une pratique touristique originale, car il fait la part belle
au moyen de transport, qui se révèle aussi important que le territoire et les sites que l’on
découvre. Le « véhicule » fait partie intégrante de ce type de vacances, le vélo constituant en
lui-même la motivation principale des séjours. Mais peut-on parler véritablement de
séjour dans ce cas? En effet, ici c’est le déplacement lui-même qui détermine les pratiques
touristiques (nous entendons par déplacement, le parcours réalisé à vélo, qui n’est pas
forcément le moyen de transport utilisé pour parvenir au lieu de vacances) : la mobilité est
donc au cœur-même des vacances. Aussi ne peut-on pas qualifier les « vacances
cyclotouristiques » de séjour : elles sont indissociables d’une itinérance, d’un parcours à
travers une région, un ou des territoires différents.
Cette pratique itinérante va donc à l’encontre, en quelque sorte, de la notion de
destination, telle que nous avons pu l’entendre jusqu’ici. En effet, la destination suppose
« un » territoire (quelles que soient ses limites, qu’il s’agisse d’un territoire administratif
traditionnel ou d’un territoire « recomposé », « élargi » pour prendre en compte des pratiques
8 Source : Site Internet de la FFCT http://www.ffct.org/index.php?id=1
21
plus vastes9). Le cyclotourisme au contraire, suppose (dans sa pratique purement touristique,
et non de randonnée) de parcourir une distance assez longue, sur plusieurs jours, et donc de
traverser ces territoires, même « élargis ». Si ces territoires peuvent être comparés à des zones
continues, plus ou moins étendues, la pratique cyclotouristique correspondrait en revanche à
une ligne, ou à un bandeau qui traverse plusieurs territoires10.
Le cyclotourisme repose sur la notion d’itinéraire à suivre, de tracé pour se rendre d’un
point à un autre. C’est pourquoi les voies d’eau sont particulièrement prisées par les
cyclotouristes : elles constituent un tracé naturel et agréable pour une pratique touristique de
loisir. Ceci est particulièrement évident lorsque l’on consulte les différentes offres
cyclotouristiques : Canal du Midi, Bourgogne à Vélo11… A fortiori, les fleuves sont le
support d’itinéraires plus longs et plus divers. Ils donnent une véritable unité au voyage, sorte
de fils conducteur entre les différents territoires traversés. Ils forment un itinéraire naturel
évident, et recherché. Ainsi, l’Eurovélo 6, itinéraire cyclable à l’échelle européenne, s’appelle
également l’Eurovéloroute des Fleuves, et suit le cours de la Loire, du Rhin et du Danube12,
en reliant l’Atlantique à la Mer Noire. Le fleuve – voire les fleuves – donne alors sa
cohérence au voyage, au parcours du cyclotouriste, comme une sorte de « destination
linéaire », qui n’exclut pas toutefois un certain maillage du territoire par les touristes à vélo
qui s’écartent de l’itinéraire.
Cependant, il est facile de remarquer que les fleuves débordent complètement les
territoires politiques qu’ils traversent. Support de flux et de pratiques touristiques, le fleuve
représente une sorte de trait d’union entre ces territoires, il les relie physiquement. Ce lien
physique et social n’est pourtant pas évident : les acteurs publics en effet se trouvent
confrontés à un phénomène difficile à cerner et à évaluer, qui les « dépasse », au sens propre.
L. SAVIGNAC13 décrit la difficulté à appréhender ces pratiques cyclotouristiques et à les
prendre en compte, au tout début du projet Loire à Vélo : « Aucun spécialiste du tourisme,
(…) n’était conscient de cette pratique un peu sauvage qui se développait sur les bords de
Loire [par les cyclistes internationaux]. Elle n’était pas perçue, elle n’était pas vue. (…)
9 Nous songeons ici au cas de la Normandie, les deux régions s’étant ainsi « regroupées » au sein d’un même CRT, afin de proposer une destination touristique plus cohérente pour le touriste. Il s’agit dans ce cas d’une recomposition d’un nouveau territoire. 10 Nous reviendrons plus loin sur cette notion de « bandeau ». Toutefois, il ne faut pas considérer le déplacement des cyclotouristes comme uniquement linéaire. Les détours, retours en arrière, et boucles à partir de l’itinéraire principal sont l’une des caractéristiques majeures du cyclotourisme. 11 Source : Site Internet de la Bourgogne à Vélo http://www.le-tour-de-bourgogne-a-velo.com/la-carte-du-tour-de-bourgogne-a-velo--01fr.html 12 Source : Site Internet de l’Eurovélo 6 http://www.eurovelo6.org/ev6-c-est-quoi 13 L. SAVIGNAC est chargé de mission Circulation Douce au Conseil Régional du Centre. Cf Entretien n°2, 6/06/2010, dossier méthodologique.
22
C’était une sorte de tourisme à vélo, hors sol, invisible pour les acteurs locaux. » En 1995, le
Conseil Régional du Centre a incité les acteurs touristiques locaux à mener une étude sur les
usagers cyclistes le long de la Loire : « L’enjeu était de constater qu’il y en avait, des
usagers », conclut L. SAVIGNAC.
Ce témoignage montre l’incapacité première des collectivités à repérer le phénomène
cyclotouristique. Une fois visibles, néanmoins, les cyclotouristes interrogent nécessairement
les territoires politiques : comment gérer ces flux, les encadrer afin d’en tirer le meilleur pour
le territoire ?
La réponse la plus pertinente semble être la collaboration. Le cyclotourisme, en effet,
confronte le territoire administratif à ses limites : ainsi, créer un itinéraire cyclotouristique
représente un projet de grande envergure. Dans nos deux exemples, la longueur de l’itinéraire
est considérable : pour la Loire à Vélo, 800 km de parcours, de Nevers à Saint-Nazaire ; pour
la Via Rhôna, 700 km du Lac Léman à la Méditerranée. Ce type de projet, fondamentalement
transterritorial, contribue à l’émergence d’une coopération interterritoriale. L’un des objectifs
de ce partenariat est de « donner de l’épaisseur aux axes de déplacement, afin de les intégrer
au territoire » (Vanier, 2008). Le territoire ainsi, ne demeure pas un simple support de ces
pratiques : il devient acteur, les organise, les « encadre » en créant des aménagements
cyclables, avec des équipements spécifiques, en communiquant et en commercialisant de
nouveaux produits…
Le cyclotourisme est donc un vecteur d’interterritorialité, qui vient renforcer les liens
existants entre territoires voisins. Dans chacun de nos exemples, la Loire à Vélo et la Via
Rhôna, le cyclotourisme représente un volet parmi un programme de collaboration plus vaste.
Ainsi, le Plan Rhône définit six grands objectifs, parmi lesquels on trouve, outre le
cyclotourisme, un volet culturel, un volet économique, un volet anti-inondation14… Le projet
d’itinérance cyclotouristique de la Loire trouve sa place dans une coopération plus globale en
matière de transport ferroviaire, les deux régions Pays de la Loire et Centre collaborant par
ailleurs dans le domaine de l’agriculture15. Dans chaque exemple, le fleuve permet de définir
une identité commune à des territoires politiques différents, avec des contextes variés et
n’appartenant pas nécessairement aux mêmes courants politiques.
Le cyclotourisme nous semble donc être un exemple particulièrement pertinent pour
étudier les politiques touristiques interterritoriales, car il incite les différentes collectivités à
travailler ensemble, en décloisonnant leur territoire. Il permet d’aller au-delà de la coopération
14 Cf. Entretien n°3, Y. RONOT, Conseil Régional Rhône-Alpes, 5/10/2010. 15 Cf. Entretien n°2, L. SAVIGNAC – Conseil Régional Centre, 6/06/2010.
23
classique entre territoire d’échelons différents, dont la collaboration est davantage codifiée,
reposant essentiellement sur le financement ou la subvention. En effet, le cyclotourisme
implique également une interterritorialité horizontale, entre des collectivités « de même
niveau », des régions, des départements… Elle n’exclut pas, bien sûr, une coopération
verticale, mais elle représente véritablement un mode de gouvernance original, une nouvelle
manière de concevoir et de mettre en œuvre l’action publique. L’interterritorialité constitue
donc, pour les collectivités locales, une réponse adaptée aux problématiques cyclotouristiques.
En outre, elle représente un mode de pilotage de projet optimal pour réaliser un itinéraire
cyclotouristique.
2) Une coopération des territoires essentielle au cyclotourisme
Pour des collectivités locales, la décision de s’engager dans un projet cyclotouristique,
de créer un itinéraire pour les cyclotouristes qui parcourt plusieurs territoires administratifs
implique donc de se rassembler et de travailler ensemble. En effet, il s’agit avant tout de
réaliser un parcours touristique, adapté à la demande et aux attentes des visiteurs. Pour des
cyclotouristes, l’itinéraire doit être relativement long, c’est-à-dire qu’il doit pouvoir offrir
plusieurs jours de voyage, il doit être accessible, bien balisé, intéressant et agréable, et
traverser des paysages et des sites touristiques attractifs pour de « simples » touristes (des
touristes sans vélo). La longueur du parcours implique donc l’association de plusieurs
territoires administratifs, qui doivent s’entendre afin de proposer un véritable produit
touristique, doté d’une certaine unité. Les différents volets de ce produit commun à plusieurs
territoires doivent donc être pensés et conçus en collaboration.
Par ailleurs, s’il est évident que les réalisations concrètes de l’itinéraire (aménagement,
équipements…) ne peuvent être faites en commun, chaque collectivité prenant en charge les
travaux sur son propre territoire, ces réalisations doivent tout de même afficher une certaine
continuité afin de présenter le parcours à travers les différents espaces comme un seul
itinéraire, et non plusieurs tronçons disparates juxtaposés les uns à la suite des autres. On
pourrait reprendre ici, en l’adaptant, l’analyse faite au sujet de la création d’une destination :
pour construire une destination touristique, plusieurs territoires s’entendent et déterminent une
identité commune, qui transcende leurs différences premières. Ici, le concept de destination
évolue, au sens où c’est un parcours qui devient une destination, et non plus une portion de
24
territoire qui serait fracturé ou recomposé. Pourtant, l’objectif demeure le même : se faire
connaître et attirer des touristes grâce à une image claire et renommée.
Dans nos exemples, l’identité clairement affichée est celle du fleuve qui relie, au sens
propre, les territoires : Loire à Vélo, Via Rhôna. Le fleuve est à la fois un marqueur d’identité
et un atout touristique, synonyme, dans l’imaginaire des touristes, de paysages exceptionnels,
de vacances « nature »… Le nom de chaque itinéraire reflète cet enjeu : par exemple, Y.
RONOT, chargé de mission Via Rhôna à la Région Rhône-Alpes, (entretien n°3, 5/10/2010) a
souligné l’importance de définir un nom qui « [corresponde] à cet esprit ‘programme de
développement durable’ et utilisation douce, pour que les gens prennent le temps de [se
répartir] sur le territoire »… Le nom initial, « Véloroute du Léman à la Mer » a été rejeté, car
le terme « véloroute » n’insistait pas assez sur la dimension détente, loisirs et que ce nom,
surtout, ne mentionnait pas le Rhône, ni l’identité « latine » (Y. RONOT) de tous les
territoires traversées.
Les différents acteurs sont donc amenés à travailler ensemble, à concevoir le projet en
commun afin d’offrir un produit touristique cohérent et achevé, attractif pour de potentiels
visiteurs. Cette collaboration se réalise effectivement dans plusieurs domaines. Cela suppose
de créer de nouveaux modèles, des modes d’actions et de réflexion originaux, puisque rien ne
prédispose deux collectivités à collaborer, ni à mettre en commun des savoir-faire et des
compétences. Toutefois, les partenaires interterritoriaux, à différents échelons territoriaux, en
viennent nécessairement à partager une certaine ingénierie touristique, afin d’assurer l’unité et
la continuité de leur projet. Ainsi, il ne serait pas envisageable dans le cas du cyclotourisme,
de construire un itinéraire dont les aménagements ou la qualité du parcours (type de routes,
difficulté, équipements…) différeraient complètement d’un département à l’autre. Par
exemple, un touriste ne devrait pas percevoir de différence, en théorie, entre le tronçon de
véloroute de l’Ardèche et celui de la Loire.
L’aménagement doit donc être concerté : cela implique, en amont, des négociations
poussées afin de s’entendre précisément sur un cahier des charges, qui rende compte des
objectifs poursuivis et des résultats attendus de la réalisation de cet itinéraire. Les partenaires
doivent ainsi s’accorder sur des valeurs et des normes communes et définitives : « Nous
avions notre définition de départ de la Loire à Vélo, explique L. SAVIGNAC (entretien n°2,
6/06/2010), (…). Chaque mot a un poids très lourd, même si, au départ, tout le monde n’était
pas conscient de ce que l’on écrivait. C’est important parce que, (…) [dans un projet], les gens
changent, les modes changent, tout change au fur et à mesure ; il arrive un moment où l’on
25
s’écarte. » La première action à mener consiste en la définition d’une stratégie commune, puis
sa promotion face aux autres acteurs et partenaires potentiels.
Une fois les grandes orientations du projet fixées, dans un deuxième temps, les
collectivités se mettent d’accord sur des aspects plus opérationnels : élaboration d’un
calendrier, d’un cahier des charges technique… Cela suppose le partage d’un certain nombre
de pratiques, d’informations et de connaissances, de compétences, afin de mener des actions
en commun ou en parallèle : des « inter-actions », pour reprendre le mot de Vanier (2008).
L’ « inter-action » recouvre toutes les opérations menées en commun par les partenaires. Elle
peut prendre des formes très variées, de la constitution d’un réseau marchand privé associé au
projet, jusqu’à la définition d’un logo, d’une marque, ou encore l’animation d’un site Internet.
Chaque action menée dans le cadre d’une démarche interterritoriale n’est pas nécessairement
une inter-action : l’inter-action implique que les partenaires réalisent une partie du projet
ensemble. Ainsi, la construction de la véloroute n’est pas une inter-action entre les régions :
chacune d’entre elles se concentre sur son propre territoire, et le Conseil Régional de Rhône-
Alpes ne va pas réaliser un tronçon en région PACA ! L’inter-action régionale se situe en
amont dans ce cas, dans la définition des conditions de réalisation. En revanche, la
construction d’un tronçon implique bien une inter-action entre d’autres collectivités,
notamment dans la prise de décision du tracé de l’itinéraire, établi en concertation entre la
Région Centre et les Pays dans l’exemple de la Loire à Vélo.
L’interterritorialité repose donc sur l’invention de nouveaux modes de travail et de
pensée, et de nouveaux savoir-faire. Il faut raisonner selon plusieurs échelles, pouvoir
s’intéresser à l’échelon local sans perdre de vue l’ensemble du projet. Ce nouveau processus
ne va pas sans une nouvelle géographie des territoires (Vanier, 2008) : il faut inventer de
nouvelles cartes, à de nouvelles échelles, être capable de superposer différents échelons du
territoire, en adoptant en outre une « légende commune », selon L. SAVIGNAC16 (« à tous les
sens du terme », ajoute-t-il avec malice) à tous les territoires concernés, pour impliquer
chacun des partenaires.
Toutefois, mener des actions en commun n’est pas la seule manière d’élaborer un
projet interterritorial. En effet, la coopération peut aussi se traduire par un partage de
connaissances et de compétences : il s’agit alors de développer la connaissance d’un espace et
la maîtrise d’une compétence sur son propre territoire avant de la partager avec le(s)
territoire(s) partenaire(s), pour qu’il(s) « progresse(nt) » à la même vitesse. Prenons le cas de
16 Entretien N°2, Conseil Régional du Centre, 6/06/2010.
26
la Loire à Vélo. Une fois fixés les objectifs du projet, les tâches à accomplir ont été définies :
il s’agissait notamment de la réflexion sur la signalétique qui baliserait le parcours, et d’un
moyen de déterminer le tracé de l’itinéraire, de façon pertinente et optimale. Après
négociations, la Région Pays de la Loire a préféré prendre en charge la dimension
signalétique. Le Centre s’est chargé d’élaborer un guide technique, avec une grille d’analyse,
pour déterminer le meilleur itinéraire possible. Ce guide indique les étapes à suivre :
consultation des Pays, qui disposent de la connaissance locale du territoire et qui vont
proposer tous les itinéraires qu’ils jugent intéressants, élaboration de cartes à différentes
échelles de territoires, pour illustrer les enjeux attachés à chaque itinéraire, et enfin réalisation
d’une grille d’analyse dont les critères permettent de retenir les itinéraires optimaux. Lorsque
chacune des régions a maîtrisé la compétence qu’elle avait développée, elle a partagé avec
l’autre sa nouvelle maîtrise : les recommandations signalétiques ont été appliquées en région
Centre, et la grille d’analyse a été transposée au territoire des Pays de la Loire.
En se repliant chacune sur son territoire pour développer un domaine de compétences
et en « échangeant » ensuite les acquis, les deux régions ont gagné du temps et une double
technicité. Cette collaboration se révèle donc tout à fait bénéfique pour les partenaires : elle
permet un gain de temps, d’efficacité, et garantit en outre une certaine cohérence du projet,
qui aura été élaboré et pensé de la même façon pour chaque domaine d’intervention.
On peut donc parler de bonification mutuelle. D’une part, les pratiques
cyclotouristiques incitent les collectivités à collaborer, pour assurer une certaine gestion de
ces flux. D’autre part, l’itinéraire cyclotouristique, pour exister comme produit touristique,
viable et attractif, bénéficie des inventions interterritoriales, de l’invention de nouveaux
territoires recomposés au développement de compétences originales, partagées entre les
partenaires. La mise en place d’une démarche interterritoriale constitue donc une
caractéristique majeure des itinéraires cyclotouristiques, qui détermine la conduite et le
rythme du projet, comme nous allons le voir à travers nos deux exemples.
27
C) Via Rhôna et Loire à Vélo : historique et état des lieux Loire à vélo et Via Rhôna : il s’agit là de deux projets cyclotouristiques de très grande
envergure, que nous avons choisi car leur mode de pilotage impliquait une véritable co-
production de l’itinéraire par l’ensemble des partenaires. Ce choix n’a pas été fait au hasard :
la comparaison entre ces deux cas nous a semblé particulièrement intéressante, parce qu’ils
sont à la fois très proches, « en théorie » disons, « sur le papier », et très dissemblables dans
les faits, « sur le terrain ».
1) Des projets avec de nombreux points communs….
Nous avons montré en quoi la réalisation d’itinéraires cyclotouristiques était liée aux
politiques interterritoriales. Nous avons choisi de nous appuyer sur deux cas concrets, afin
d’étudier plus précisément la relation entre interterritorialité et cyclotourisme : il s’agit de la
Loire à Vélo et de la Via Rhôna, deux itinéraires cyclotouristiques qui longent respectivement
la Loire et le Rhône.
Ces deux projets présentent bon nombre de caractéristiques communes, qui rendent
leur comparaison et leur analyse possibles. Tout d’abord, il nous faut rappeler brièvement
qu’ils s’intègrent tous deux dans une tendance touristique récente, mais forte : le vélo est
devenu est un mode de déplacement touristique privilégié. Il représente davantage qu’un
simple mode de transport, il constitue le motif principal du voyage. Considéré comme
familial, écologique, ludique, sportif, le vélo permet aussi d’aborder le territoire, au sens du
terroir, de façon plus fine, parce que l’on perçoit l’ensemble de notre environnement à un
rythme lent, et par l’intermédiaire de tous nos sens (ce que la voiture ou le train ne permettent
pas par exemple). Le cyclotourisme est en plein essor en Europe. En France, on compte
aujourd’hui environ 4 500 km de véloroutes et voies vertes. Par ailleurs, on comptait en 2007
7 millions de séjours touristiques ayant le vélo comme motivation première17.
17 Source: Veille info tourisme, Le Tourisme à Vélo http://www.veilleinfotourisme.fr/35631520/0/fiche_pagelibre/&RF=1268753534492
28
Figure 1 : Carte des véloroutes et voies vertes réalisées et à venir en France Source : www.af3v.org
La France est donc une destination vélo privilégiée, auprès des cyclotouristes et des
tour-operators spécialisés : elle reçoit le tiers des touristes à vélo itinérants en Europe18. Un
Schéma des Véloroutes et Voies Vertes permet d’encadrer les aménagements locaux. Les
« circulations douces » constituent donc une tendance touristique qui prend de l’importance,
et se révèle très intéressante pour les collectivités. Miser sur le cyclotourisme permet de
diversifier l’offre touristique d’un territoire tout en proposant un produit touristique
« durable » (nous reviendrons ultérieurement sur ce point).
C’est justement l’enjeu de ces grands itinéraires cyclotouristiques que cherchent à
créer les collectivités locales. La Loire à Vélo et la Via Rhôna visent ainsi à contribuer au
développement des territoires traversés : c’est là leur premier point commun. Nos deux
itinéraires répondent – ou sont censés répondre – à des objectifs similaires. Ainsi, la Loire à
Vélo, selon L. SAVIGNAC19, « doit être un itinéraire touristique [avec] un objectif familial,
doit être continue, [créer] du développement économique et [être] respectueuse de
l’environnement ». Dans la même optique, Y. RONOT20 explique que la Via Rhôna ne
s’adresse pas aux touristes qui veulent « descendre le plus rapidement possible de Genève
jusqu’à la Méditerranée ». Il s’agit avant tout d’un « outil de développement des territoires :
les gens doivent pouvoir voir également les autres volets [du Plan Rhône], comme Culture et
18 Source : idem 19 Conseil régional Centre ; cf. entretien n°2, 6/06/2010 20 Conseil Régional Rhône-Alpes, cf. entretien n°3, 5/10/2010
29
Patrimoine, ou le Développement du Tourisme Fluvial, ou les activités de loisirs autours du
fleuve en lien avec Via Rhôna… ».
Mobilité « douce », dimension tourisme et loisirs, découverte du territoire et même du
« terroir » au cœur du projet… : l’itinéraire cyclable est davantage qu’un produit touristique
« classique », il ouvre le touriste au reste du territoire. On pourrait dire qu’il constitue une
sorte de « porte d’entrée » du territoire, un premier contact qui permet ensuite une découverte
plus approfondie. Le but est d’encourager les cyclotouristes à se diffuser sur le territoire, et
non pas de créer un parcours qu’on pourrait parcourir le plus rapidement possible pour arriver
d’un point à un autre de l’itinéraire… Par exemple, le guide « officiel » de la Loire à Vélo
édité par les deux régions Centre et Pays de la Loire (par l’intermédiaire de l’éditeur
CHAMINA) propose des « boucles », sorte de variantes de l’itinéraire principale qui
s’écartent parfois de la Loire pour entrer dans les terres, comme dans le cas de la boucle
« Pays des Châteaux à Vélo » qui emmène le cyclotouriste jusqu’à Chambord (cf figure 2).
Nos deux itinéraires correspondent donc à des orientations semblables, qui placent le territoire
au cœur du projet, ce qui permet de les réunir dans une même étude.
Figure 2 : Détail de l'itinéraire Loire à Vélo, Orléans-Blois ; Source : La Loire à Vélo de Nevers à l’Atlantique, Grands Itinéraires à Vélo CHAMINA, 2010. En vert continu, l’itinéraire principal, en pointillé, un itinéraire provisoire. On constate ici que 3 tracés différents partent de Blois : l’un vers La Chaussée St Victor, en rive droite, le deuxième longeant la Loire en rive gauche, et le troisième dessinant une boucle jusqu’à Chambord, en rive gauche également.
30
Par ailleurs, l’idée de chaque projet a été lancée au milieu des années 1990, à un an
d’intervalle seulement, la Loire à Vélo précédant la Via Rhôna. Cela permet d’appréhender
facilement les évolutions et le rythme de ces deux projets. Il s’agit de deux projets
transrégionaux, qui concernent une grande diversité d’acteurs : la Loire à Vélo traverse les
régions Centre et Pays de la Loire, et les départements Loire-Atlantique, Maine-et-Loire,
Indre-et-Loire, Loir-et-Cher, Loiret et Cher, ainsi que des différentes communautés
d’agglomérations comme Nantes, Angers, Tours, Saumur, Orléans, Blois…. L’itinéraire Via
Rhôna, quant à lui, traverse trois régions (Rhône-Alpes, PACA, Languedoc Roussillon) et pas
moins de douze départements : Savoie, Haute-Savoie, Isère, Drôme, Loire, Ardèche pour la
région Rhône-Alpes, Vaucluse, Bouches-du-Rhône, Var, Gard et Hérault pour les deux autres,
ainsi que des agglomérations comme Lyon ou des communautés de communes… Les deux
projets impliquent donc une multiplicité de collectivités, ainsi que des partenaires privés
(comme la Compagnie Nationale du Rhône par exemple) et de nombreux Parcs Naturels
régionaux. Il s’agit de projets cyclotouristiques d’une ampleur considérable, qui nécessitent
un partenariat compliqué à mettre en place.
Dans les deux cas, la volonté politique des élus a été déterminante. Ainsi, les
présidents de région Centre et Pays de la Loire, se sont particulièrement impliqués sur le
projet Loire à Vélo à partir de 1998 : il s’agissait alors de M. SAPIN (région Centre, PS) et F.
FILLON (région Pays de la Loire, RPR). Les deux régions collaboraient déjà sur plusieurs
axes de travail, notamment dans le domaine des transports. L’idée de développer un projet
touristique ensemble, autour de la Loire, qui crée une réelle continuité entre les deux
territoires, a émergé peu à peu et s’est imposé comme une thématique politique très forte, au
sein de chacune des deux régions. Ce sont donc ces élus qui ont « porté » le projet au départ,
en lui donnant une impulsion politique forte. De façon un peu différente, c’est aujourd’hui la
région Rhône-Alpes qui anime et donne son rythme au projet de la Via Rhôna : lancé
initialement par un Syndicat mixte, Territoire Rhône, composé d’experts issus des différents
départements, l’idée d’un itinéraire cyclotouristique est repris par Rhône-Alpes au moment
des élections régionales de 2004, en collaboration avec les régions Provence-Alpes-Côte-
D’azur et Languedoc Roussillon, notamment au travers du Plan Rhône. Nos deux exemples
sont donc des projets portés par les collectivités, depuis leurs débuts ou plus récemment, mais
sont avant tout des actions touristiques publiques.
Un point de départ presque concomitant, des objectifs de développement local
répondant à des orientations similaires, une implication forte des pouvoirs publics qui portent
le projet et lui insufflent un certain rythme… La Loire à Vélo et la Via Rhôna possèdent des
31
caractéristiques communes, qui rendent leur étude possible et intéressante : toutefois, ce sont
plus encore leurs différences qui nous permettront de les comparer. En effet, ces deux
itinéraires, relativement proches dans leur conception, divergent beaucoup par leur réalisation
concrète, chacun illustrant une étape différente de la mise en œuvre.
2) Mais des degrés de réalisation très différents
La première différence entre nos deux itinéraires tient au nombre de kilomètres de
tronçons accessibles. Ces deux projets ne sont pas terminés actuellement, ni l’un ni l’autre. La
Loire à Vélo comptera, à terme, 800 km de parcours, de Cuffy dans le Cher (près de Nevers) à
Saint-Brévin-Les-Pins en Loire-Atlantique, non loin de Saint-Nazaire (figure 3) ; la Via
Rhôna, quant à elle, reliera Bellegarde-sur-Valserine, près du Lac Léman à Port St Louis,
dans les Bouches du Rhône, au bord de la mer Méditerranée sur 700km de parcours (figure 4,
p 32), mais les aménagements se poursuivent encore en 2011, à des rythmes très différents.
Figure 3 : L’itinéraire Loire à Vélo Source : La Loire à Vélo de Nevers à l’Atlantique, Grands Itinéraires à Vélo CHAMINA, 2010. En rouge, l’itinéraire principal ; en orange, les variantes proposées. En vert, le PNR Loire-Anjou-Touraine.
32
Pour la Loire à Vélo, il reste 213 km d’itinéraire à réaliser, essentiellement en Région
Centre, surtout dans le Loiret (141 km) et dans le Cher21. En Pays de la Loire, seuls quelques
courts tronçons ne sont pas encore accessibles, près de Saumur dans le Maine-et-Loire, ou
dans l’agglomération nantaise (44) par exemple. La Véloroute sera complétée dans son
intégralité à l’été 2012, l’année 2011 représentant « une année record en aménagements »,
selon le Président de la région Centre22, avec pas moins de quatre tronçons à réaliser de front.
Il est à signaler cependant que les tronçons non réalisés sont tout de même balisés au moyen
d’une signalétique « provisoire » officielle, qui permet d’accompagner le cyclotouriste dans
son parcours, même si l’itinéraire n’est pas le tracé définitif.
Sur la Via Rhôna, aujourd’hui, 150 km environ de l’itinéraire sont accessibles et
utilisables. La région Rhône-Alpes comptera, à terme, 415 km d’itinéraire cyclable. Elle
représente en quelque sorte le chef de file du projet, la collectivité la plus active, les régions
Languedoc-Roussillon et Provence-Alpes-Côte-D’azur se trouvant un peu en retrait, même si
des actions communes commencent à être menées.
Intéressons-nous donc d’abord aux réalisations en région Rhône Alpes. La Savoie et la
Haute Savoie ont été les départements pionniers, se lançant dans la réalisation des tronçons
sur leur territoire dès 2003 ; l’Isère a aménagé 80 km de tronçons en 2009, et la Drôme
environ 40 km en 2010. En revanche, en Ardèche et dans le Rhône (hormis la ville de Lyon,
dont les berges ont été aménagées depuis le parc de Miribel Jonage jusqu’à la presqu’île de
Gerland) les infrastructures sont quasiment inexistantes. La fin des travaux est prévue, selon
les conventions signées dans le cadre du Contrat de Plan Etat Région et du Plan Rhône, en
2013. La figure 4 présente la carte de l’itinéraire en 2010, les tronçons en rouge étant déjà
réalisés ; les tronçons en violet doivent être achevés en 2010 ou 2011, cette date semblant très
incertaine au vu des réalisations actuelles, notamment en Ardèche.
21 La République du Centre (quotidien local), 4 avril 2011 22 Idem
33
Figure 4 : Les réalisations Via Rhôna en Rhône-Alpes.
Source : dépliant édité par la région Rhône Alpes, 2010. En rouge, les tronçons réalisés et praticables ; en violet, début des travaux prévu en 2010-2011.
Les itinéraires sont donc à un stade d’avancement très différent en termes
d’aménagement et de réalisation du parcours. Cependant, les infrastructures (tronçons de
bande cyclable, voies vertes, pistes cyclables…) ne constituent pas la seule différence entre la
Loire à V2lo et la Via Rhôna. La signalisation peut constituer une autre divergence, celle de la
Loire à Vélo étant unifiée et balisant fréquemment le parcours (avec des panneaux définitifs
ou provisoires, chacun reprenant la charte graphique officielle Loire à Vélo) alors que celle de
la Via Rhôna n’est actuellement présente, en Rhône-Alpes, que dans la Drôme! A Lyon, dans
l’Isère, dans la Loire, en Savoie et Haute-Savoie, les signalétiques sont toutes différentes :
Voie Verte, Véloroute du Léman à la Mer… Nous reviendrons ultérieurement sur une analyse
plus poussée de la continuité de la signalisation.
De façon plus caractéristique, l’autre différence essentielle tient à la communication et
au marketing de chacun des projets23. La Loire à Vélo en effet dispose d’un site Internet
commun à l’ensemble de l’itinéraire, présentant le tracé et les territoires qu’il traverse, et doté 23 Cf. annexe A, captures d’écran des sites Internet Loire à Vélo et Véloroute Léman la Mer
34
d’un volet « réservation de séjours ». Très bien référencé, accessible depuis le site Internet des
régions, départements et grandes agglomérations du parcours, ce site sera d’ailleurs modernisé
en juillet 2011 afin de le rendre plus attractif. Le cyclotouriste potentiel peut donc organiser
son voyage, en sélectionnant son parcours, en téléchargeant des cartes routières ou en
réservant un hébergement chez un professionnel labellisé « Accueil Vélo » (c’est-à-dire
proposant des prestations spécifiques pour les cyclistes et référencé par le Comité régional du
Centre ou la Société d’Economie Mixte en Pays de La Loire24). Chaque région renseigne et
met à jour les informations du site qui concernent son territoire, la maintenance du site et la
gestion de la marque Loire à Vélo étant confié à un organisme privé indépendant, Mission Val
de Loire (qui gère également la marque Patrimoine mondial de l’UNESCO).
Dans le cas de la Via Rhôna, la situation semble plus complexe : la Via Rhôna ne
dispose pas d’un site Internet dédié, mais on peut encore avoir accès au site qui porte l’ancien
nom de l’itinéraire, « Véloroute du Léman à la Mer », dont la dernière mise à jour date de
janvier 2010… La présentation de l’itinéraire est particulièrement succincte, les cartes
permettant de visualiser le tracé ne sont pas toujours valables. Pas de réservations en ligne,
pas d’information précise sur le tracé, comme la longueur de chaque tronçon par exemple…
Par ailleurs, il faut remarquer que les régions Centre et Pays de la Loire ont financé la
première édition d’un guide officiel de la Loire à Vélo : « nous avons initié [cette collection]
chez Chamina, raconte L. SAVIGNAC (Conseil régional Centre, entretien n°2, 6/06/2010),
car il n’existait pas d’éditeur spécialisé sur le tourisme à vélo en France. (…) On l’a payé à
100 %. Au bout de six mois, tout était vendu : ça marche ! ». Pour la Via Rhôna, en revanche,
il n’existe aucun guide : certaines collectivités éditent des guides à leur échelle25, mais ils ne
sont pas très bien diffusés. Pour le reste, les documents officiels d’information ne sont pas
encore conçus ou imprimés. Ainsi, à Valence, dont les tronçons sont achevés et balisés Via
Rhôna, l’Office de Tourisme ne dispose même pas d’une brochure à distribuer aux
cyclotouristes ! Il existe cependant un guide Le Rhône à Vélo, qui mentionne le tracé réalisé
ou prévisionnel de la Via Rhôna, en intégrant certains dépliants édités par la région Rhône-
Alpes et une mise à jour annuelle des modifications, mais il s’agit d’un guide de randonnée à
vélo… suisse !
24 Cf. Annexe D, photos prises lors des observations de terrain, 5) Accueil Vélo. 25 Nous songeons ainsi au dépliant édité par Rhône Pluriel, un Syndicat mixte porté par plusieurs communautés de communes de l’Isère, la Loire et le sud du Rhône. Ce document contient un plan assez détaillé, et fournit des informations sur la véloroute, les aires de pique-nique, les loueurs de vélos….
35
Interterritorialité et cyclotourisme sont donc étroitement liés, les deux itinéraires que
nous étudions en témoignent. Cette nouvelle gouvernance paraît constituer le mode de
pilotage le plus adapté au projet d’itinéraire cyclotouristique, puisque ici, c’est le produit
touristique lui-même qui va créer du lien (lien physique et lien « social » par l’intermédiaire
des pratiques des cyclotouristes) entre les territoires administratifs. Ce lien conduit donc
logiquement à une coopération entre les collectivités locales, qui doivent mettre en œuvre une
nouvelle forme d’action publique collective, concertée et négociée entre les partenaires.
L’interterritorialité présente des atouts considérables pour les pouvoirs publics engagés dans
la création de projets transterritoriaux, souplesse, gain de temps et d’efficacité… Du moins,
en théorie. En pratique, les relations entre les partenaires, qu’il s’agisse des collectivités ou de
leurs représentants, peuvent parfois compliquer fortement la collaboration, et ralentir le projet,
voire le figer.
36
II Co-produire un itinéraire cyclotouristique : l’intérêt de travailler en partenariat, la contrainte de travailler avec des partenaires ?
Après avoir exploré les ressorts de l’interterritorialité et démontré sa pertinence pour la
conduite de projets cyclotouristiques, il faut désormais étudier plus précisément le
fonctionnement de la collaboration interterritoriale. Co-produire un itinéraire cyclotouristique
permet en effet de faire progresser le projet plus rapidement, grâce à la souplesse permise par
les pratiques interterritoriales, et à un véritable partage de bonnes pratiques. Gardons-nous
toutefois d’idéaliser ce partenariat : le réseau d’acteurs se révèle fréquemment très complexe
et difficile à mobiliser, et les tensions entre quelques partenaires sont inévitables.
L’interterritorialité s’impose donc comme une gouvernance pertinente et innovante pour ce le
projet cyclotouristique, mais peut, simultanément, générer des difficultés qui menacent la
bonne marche de ce projet. Comment expliquer ce paradoxe ?
A) Les atouts de l’interterritorialité pour le cyclotourisme
Nous avons exposé, dans notre première partie, les ressorts concrets de la coopération
interterritoriale, qui se traduisaient par des inter-actions, des réalisations communes, ainsi que
par le partage d’une certaine ingénierie touristique, c’est-à-dire le partage de connaissances,
de savoir-faire et d’expertise entre les partenaires. Intéressons-nous désormais aux avantages
que peut apporter une démarche interterritoriale à la conduite de projets cyclotouristiques : en
quoi représente-t-elle une nécessité pour le pilotage de ces projets ?
1) Créer à plusieurs un produit cyclotouristique collectif
Un itinéraire cyclotouristique repose avant tout sur la notion d’itinérance, de voyage :
sa longueur représente donc un véritable atout auprès des cyclotouristes. Un tronçon isolé
long de quelques kilomètres n’a guère de sens dans le cadre d’un séjour cyclotouristique.
Ainsi, même s’il ne s’agit pas, pour le cyclotouriste, de réaliser des performances de distance
ou de temps, c’est avant tout le voyage qui lui importe, et ce voyage ne peut se ramener à une
brève excursion.
37
Or, c’est justement la longueur de l’itinéraire à réaliser qui implique le partenariat
entre plusieurs acteurs publics. Chacun, en effet, pourrait réaliser des aménagements cyclables
sur son territoire. On touche ici à la différence entre les termes ‘cyclable’ et
‘cyclotouristique’. Une commune, une communauté de communes peuvent créer des pistes
cyclables sur leur territoire, un département des sentiers de randonnées pour VTT par
exemple… Les aménagements cyclotouristiques, en revanche, nécessitent la prise en compte
des besoins et des attentes de touristes, de voyageurs, et non pas seulement des usagers locaux
qui partent en excursion d’une journée. Ils doivent donc être conçus en s’appuyant sur les
pratiques des cyclotouristes, qui couvrent, en moyenne, une distance de 40 à 70 km par jour26,
en portant une attention particulière aux revêtements des routes (les cyclotouristes souvent ne
se déplacent pas en VTT), aux Relais Information Service27 (RIS) panneaux qui dispensent
des informations pratiques et touristiques sur l’itinéraire et la région, ou aux divers
équipements qui jalonneront le parcours (aires de pique-nique, points d’eau et « haltes »
sanitaires…). Tous ces éléments doivent être pensés, non pas à l’échelle d’une commune ou
d’un département, mais à l’échelle d’une région, voire de plusieurs régions, pour s’adapter à
la cadence des cyclotouristes.
Tout l’enjeu du projet cyclotouristique est donc, pour les aménageurs publics, de
réaliser ensemble un véritable itinéraire, visible et identifié comme tel, assez long pour
devenir un produit touristique viable pour l’ensemble des territoires traversés. Le défi, pour
les collectivités territoriales concernées, est donc de parvenir à créer une unité à travers leurs
différents territoires et une cohérence à la fois locale, par rapport au territoire, et
interrégionale, sur l’itinéraire dans sa globalité.
L’un des paradoxes de la coopération interterritoriale, en effet, consiste à concilier
une prise de décision collective, globale, valable pour tous les territoires concernés, et une
application plus flexible, plus nuancée en fonction de l’espace en jeu à l’échelle locale. En ce
sens, prendre des décisions en commun ne signifie pas une application parfaitement identique
sur chaque territoire, ce qui reviendrait à « plaquer », si l’on peut dire, un projet sur un espace
donné sans tenir compte de ses spécificités. Au contraire, une fois les grandes orientations
définies – souvent à l’échelle régionale, voire interrégionale – chaque territoire se replie sur
lui-même afin de mettre en œuvre les décisions prises collectivement, selon les
caractéristiques locales. Les partenaires sont «d’une part indépendants dans leur organisation
26 Ce chiffre s’appuie sur les déclarations (informelles) des cyclotouristes interrogés dans le cadre de nos enquêtes de terrain, et sur des conversations avec des loueurs de vélo sur les lieux de nos observations (Loir-et-Cher, Drôme, Isère) 27 Cf. annexe D, photos prises lors de nos observations de terrain, 3) Relais Info service.
38
et par leur propre logique opérationnelle et d’autre part sont interdépendants par leur objet,
soit le développement [du produit touristique] » (Lequin, 2001).
L’enjeu des itinéraires cyclotouristiques est donc, pour les collectivités maîtres
d’ouvrage, de transformer des tronçons cyclables réalisés localement et, dans une certaine
mesure, sans tenir compte des tronçons du territoire voisin28, en un véritable produit
touristique unique, identifiable et reconnaissable, afin de séduire les cyclotouristes potentiels.
Or il s’agit d’un défi particulièrement délicat à relever lorsque des collectivités territoriales,
c’est-à-dire des élus, portant une politique spécifique doivent s’entendre.
La Via Rhôna constitue encore à cet égard un contre-exemple. En effet, cet itinéraire
demeure encore « confidentiel », et ne génère pas vraiment une fréquentation spécifique. Le
Rhône est bien le support de pratiques cyclotouristiques, mais celles-ci sont encore
« sauvages », c’est-à-dire qu’elles sont le fait de touristes très autonomes, qui organisent et
planifient leur séjour par eux-mêmes sans se servir (et pour cause !) des équipements ou des
aménagements Via Rhôna. L’itinéraire en réalité ne dispose d’aucune visibilité, hormis dans
le département de la Drôme, qui a respecté à la lettre les conventions passées avec la région
Rhône-Alpes, tant pour les infrastructures que pour la signalétique.
Il s’avère, après examen, que les tronçons de la Via Rhôna sont souvent réalisés,
comme dans le département de la Loire, dans l’Isère, dans l’agglomération lyonnaise, en
Savoie et Haute-Savoie, ou dans le Vaucluse, en région PACA, cependant les tronçons sont
trop dissemblables pour être identifiés « Via Rhôna ». Les revêtements, la signalisation, et
même les appellations diffèrent. Par exemple, la communication est plus importante sur le
Vaucluse à Vélo que sur la Via Rhôna, qui n’apparaît que comme un itinéraire parmi
d’autres.29 Souvent, dans le Vaucluse ou dans la Drôme, qui représente pourtant un
département exemplaire de la région Rhône-Alpes dans le projet Via Rhôna, la signalétique
« Vaucluse à Vélo », ou « Drôme à Vélo » prend souvent le pas sur la signalétique officielle
Via Rhôna (figure 5). La Savoie et la Haute-Savoie, nous y reviendrons, ont quant à elles
28 Dans la phase de réalisation en effet, chaque maître d’ouvrage est autonome et indépendant sur l’espace dont il a la charge : « Chacun construit sur son territoire, en bonne logique » sans intervenir ni se soucier de la progression des travaux dans le territoire voisin (L. SAVIGNAC, Conseil Régional du Centre, entretien n°2, 6/06/2010) 29 Source : « Le Vaucluse, département cyclable », in Vélo et territoires, n° 22, Septembre 2010. Michel BAYET, conseiller général du Vaucluse, déclare : « En matière d’itinéraires structurants, nous aurons à terme deux axes. Le premier d’entre eux est la Véloroute du Calavon. (…).Le second itinéraire structurant est la Via Rhôna, du Léman à la Méditerranée »
39
conservé l’ancienne signalétique qu’ils avaient élaborée en se fondant sur le premier nom de
l’itinéraire, la Véloroute du Léman à la Mer30.
Figure 5 : Des signalétiques différentes pour un même itinéraire A gauche, la signalétique Via Rhôna officielle mise au point par les régions Rhône-Alpes, Languedoc-Roussillon et PACA (photo personnelle, Valence, août 2010) ; à droite, signalétique La Drôme à Vélo se substituant aux panneaux Via Rhôna à plusieurs reprises, sur l’itinéraire Via Rhôna (photo personnelle, août 2010)
Tous ces accrocs dans la stratégie de visibilité de l’itinéraire Via Rhôna ont des
répercussions directes sur son attractivité touristique. Les professionnels du tourisme,
institutionnels ou privés, ne communiquent pas vraiment sur la Via Rhôna, et préfèrent
mettre en valeur les tronçons réalisés sur leur territoire. C’est le cas de la Drôme, qui met en
lumière « ses » tronçons cyclotouristiques, bien avant de promouvoir la Via Rhôna31.
L’itinéraire interrégional n’étant pas encore achevé, les partenaires ne sont pas vraiment
animés par une démarche interterritoriale, mais restent plutôt concentrés sur leurs territoires
respectifs. Ils n’ont pas encore réalisé un produit touristique unique, mais seulement plusieurs
éléments qui ne s’emboîtent pas encore pour former un itinéraire cyclotouristique reconnu et
séduisant pour les cyclotouristes.
Les cyclotouristes que nous avons interrogés, ainsi, n’avaient pas toujours conscience
de pratiquer l’itinéraire nommé « Via Rhôna »32. Ils suivaient seulement l’itinéraire conseillé
30 En juin 2011, les sites Internet ne sont toujours pas mis à jour ; en décembre 2010, la signalétique sur le terrain était toujours celle du Léman à la Mer. 31 S. LOPEZ, Agence touristique de la Drôme (CDT), entretien n°4, 5/10/2010. 32 Cette remarque vaut surtout pour les cyclotouristes sondés dans l’Isère, la Loire et dans l’agglomération lyonnaise ; les cyclotouristes étaient mieux informés dans la Drôme, grâce à une signalétique Via Rhôna plus présente.
40
par leur guide, Le Rhône à Vélo, qui coïncidait parfois avec le tracé Via Rhôna33, sans bien
connaître cet itinéraire « officiel ». Cette brève analyse de la Via Rhôna permet de mettre en
lumière la nécessité, pour des collectivités territoriales, de transcender les frontières des
territoires administratifs afin d’envisager la réalisation d’un projet transterritorial. Il s’agit de
la condition sine qua non pour créer un itinéraire cyclotouristique qui pourra devenir un
produit touristique viable, et non pas simplement pour réaliser des tronçons d’itinéraires
indépendants et en rupture les uns avec les autres.
La coopération interterritoriale, tant pour la réalisation concrète des aménagements et
des équipements que pour le marketing et la communication, permet d’assurer une certaine
cohérence à l’itinéraire cyclotouristique, et par conséquent de lui donner une véritable
ampleur. Il s’agit vraiment d’une co-production, et non d’une simple production à plusieurs,
où chacun travaillerait en autonomie. Elle implique en effet nécessairement des échanges
entre les acteurs, au cours de négociations bien entendu, mais également un échange au sens
propre du terme, notamment pour la diffusion des bonnes pratiques.
2) Un échange de bonnes pratiques
Co-produire un itinéraire cyclotouristique ne signifie pas seulement créer des
infrastructures sur plusieurs territoires en s’appuyant sur une démarche concertée et
coordonnée, même si celle-ci est absolument essentielle. Les partenaires engagés dans une
démarche interterritoriale sont amenés à développer conjointement une ingénierie
cyclotouristique spécifique, adaptée à leur projet, à leur système d’acteurs et aux espaces
concernés. Elle recouvre une réflexion synthétique et coordonnée sur les différents aspects de
ce projet – technique, financier, économique, social… – qui concerneront l’ensemble des
acteurs impliqués. Elle conduira ensuite à une diffusion des connaissances et des expériences
acquises entre les collectivités partenaires.
Il s’agit donc d’un véritable échange entre les partenaires, chacun pouvant se
spécialiser dans un domaine de compétences à développer pour l’ensemble de l’itinéraire. La
création d’un itinéraire cyclotouristique demande en effet des capacités techniques
particulières, spécifiques au cyclotourisme (dont les collectivités souvent ne sont pas
spécialistes, puisque l’essor de ce type de tourisme a été pris en compte assez récemment) et
33 Le guide Le Rhône à Vélo indique toujours l’itinéraire Via Rhôna, même s’il s’en écarte très souvent. Il mentionne si le tronçon Via Rhôna est réalisé ou non, et ajoute un petit document d’information, actualisé annuellement, signalant les dernières nouveautés de la Via Rhôna.
41
spécifiques aux territoires supports de l’itinéraire. Si certains savoir-faire peuvent être
« repris » à partir d’un autre itinéraire, ils doivent néanmoins être adaptés aux particularités
locales34.
Chaque collectivité peut ainsi se concentrer sur son propre territoire afin d’acquérir un
certain savoir-faire dans un domaine de compétence particulier, dont elle a plus
particulièrement besoin, et qu’elle peut ensuite mettre à disposition des autres acteurs, en
échange de leur propre expérience. Cet échange de bonnes pratiques est absolument
fondamental, puisqu’il permet à chaque acteur impliqué de bénéficier à la fois de sa propre
expertise, et des compétences techniques développées par ses partenaires sur leur territoire.
Chacun par la suite se charge de « transposer » le savoir-faire ainsi obtenu sur l’espace dont il
a la charge. Ce partage des bonnes pratiques et leur diffusion à l’ensemble des territoires du
projet cyclotouristique est extrêmement précieux, car il permet une homogénéisation du projet
sur l’ensemble de l’itinéraire : « il y a des choses que l’on ne voit pas sur un territoire, et que
l’on voit mieux sur l’autre » (L. SAVIGNAC, Conseil Régional Centre, entretien n°2,
6/06/2010).
Ces échanges doivent être permanents, puisqu’ils évoluent en fonction des besoins et
des étapes dans la conduite du projet. Nous avions mentionné le cas de la Loire à Vélo, où la
Région Centre a choisi d’élaborer une méthodologie pour déterminer le tracé de l’itinéraire
cyclotouristique, en créant une grille d’analyse destinée à évaluer les atouts et les potentiels de
son territoire, tandis que la Région Pays de la Loire concevait sur son territoire une
signalétique Loire à Vélo en collaboration avec le cabinet de conseil Altermodal. Par la suite,
les deux structures continuent à partager les savoir-faire qu’elles acquièrent en répondant aux
besoins de leur territoire. Aujourd’hui, la Région Centre élabore des Relais Informations
Service35. « C’est un besoin, notre territoire le demande sans arrêt, explique L. SAVIGNAC.
(…) En Pays de la Loire, ils travaillent en parallèle sur d’autres choses, notamment le
développement d’aires de services avec les communes. Là aussi, il y a échange de bonnes
pratiques. Ainsi, pour notre Comité de Pilotage spécifique ‘Relais Informations Service’, la
R2gion Pays de la Loire est associée, (…) par des comptes-rendus, (…), pour qu’il n’y ait
jamais de rupture, qu’il y ait au moins une information. »
34 La signalétique de nos deux itinéraires a été conçue par le même cabinet de conseil. Les régions de la Via Rhôna se sont donc appuyées sur des réflexions antérieures, mais ont dû se les approprier : leur logo évoque le soleil du Sud de la France, et la consonance « latine » du nom, les racines culturelles communes aux trois régions (source : Y. RONOT, Conseil Régional Rhône-Alpes, entretien n° 3, date 5/10/2010) 35 Juin 2011 : depuis quelques semaines, plusieurs de ces panneaux ont été mis en place le long du parcours Loire à Vélo, signe que le projet poursuit sa progression. Cf Annexe D, photos prises lors de nos observation de terrain, 3) Relais Info Service.
42
Les territoires associés dans une démarche interterritoriale partagent leur expertise et
leur expérience, afin que l’ensemble des acteurs puissent en bénéficier et se les approprier.
Cela représente un gain de temps considérable, puisque plusieurs réflexions sont menées en
même temps sur plusieurs espaces, permettant l’acquisition de compétences techniques
poussées et précises, qui seront ensuite diffusées sur l’ensemble des territoires concernés. Les
collectivités, par ces échanges, disposent de plusieurs compétences applicables
instantanément sur leurs territoires, alors qu’elles n’ont déployé des moyens techniques,
humains et financiers que pour en concevoir une seule.
La coopération interterritoriale permet donc une réalisation du projet plus rapide,
moins coûteuse et moins lourde pour les collectivités territoriales. En outre, le transfert de
compétences « brutes » s’accompagne d’un partage d’expérience. Ce qui a fonctionné ou non
sur le territoire d’expérimentation originel permet d’accroître les performances ou d’éviter les
erreurs sur le territoire qui « reçoit » les savoir-faire. Le maître-mot est le pragmatisme, qui
conduit à des gains d’efficacité, de temps et d’argent. « Ce que l’on expérimente avec un
[territoire], nous sommes en capacité, l’année N + 1, de l’améliorer parce que nous avons fait
un constat, qu’on a testé un an ce modèle expérimental. Ensuite nous le présentons aux autres,
et puis nous décidons que c’est celui-là que nous retenons ». conclut L. SAVIGNAC (Conseil
Régional du Centre, entretien n°2, 6/06/2010).
On remarque ici que le retour d’expérience est aussi important que l’échange de
bonnes pratiques en lui-même : cela montre que la coordination entre tous les acteurs doit être
permanente, et non limitée à la seule conception du projet. Les partenaires sont sans cesse en
interaction, même s’ils progressent d’abord en se repliant sur leur propre territoire. Il ne s’agit
pas nécessairement de tout faire en commun, mais de partager tous les acquis afin de
permettre une progression relativement homogène et, en tout cas, cohérente du projet. « La
coordination est envisagée comme la mise en relation fonctionnelle entre des institutions
préservant, par ailleurs, leur autonomie : c’est une modalité d’organisation qui gère des
ajustements et des compromis entre des finalités distinctes » (Gaudin, 2007).
Ce fonctionnement, très pragmatique, permet donc des progrès rapides, grâce à
l’échange des bonnes pratiques et de l’expertise acquises sur son propre territoire, la
réalisation en parallèle de plusieurs tronçons de l’itinéraire sur des territoires différents, et une
adéquation avec l’espace local, puisque cette réalisation est opérée par des acteurs locaux, ou
en concertation avec eux.
La coopération interterritoriale représente un mode original de conduite de projet
public. Plus encore, il s’agit véritablement d’un mode de gouvernance original, qui implique
43
des relations nouvelles et plus flexibles entre les partenaires. Elle présente l’avantage d’une
grande adaptabilité à la diversité des acteurs, qui en fait un instrument tout à fait pertinent
pour le pilotage de projets cyclotouristiques.
3) L’invention d’une gouvernance originale, plus souple et adaptable
La gouvernance est un terme particulièrement difficile à définir, puisque chaque auteur
en propose sa propre définition, en adéquation avec son champ d’investigation (Lequin,
2001). Toutefois, malgré le caractère un peu « fourre-tout » de cette notion à la mode, la
gouvernance permet de « fournir un cadre conceptuel qui aide à comprendre l’évolution des
processus de gouvernement » (Stocker, 1998, cité par Lequin, 2001, p 80). La gouvernance se
définit souvent par opposition au gouvernement, qui suppose un pouvoir plus centralisé,
hiérarchisé et unifié, dont l’intervention s’effectue surtout du haut vers le bas, selon une
logique « top / down ». La gouvernance, en revanche, place en interaction une pluralité
d’acteurs différents, en favorisant les relations multipolaires et croisées entre plusieurs
collectivités territoriales, entre secteur public et privé… Elle se caractérise alors par « le
passage de la tutelle au contrat, de la centralisation à la décentralisation, (…) de la guidance
publique à la coopération des acteurs publics et privés » (Lequin, 2001).
Nous reprenons, dans ce travail, la définition proposée par G. Cavallier (1998, cité
dans Amadou, 2008) : « c’est la capacité et la coresponsabilité de projet, la possibilité
d’établir un cadre collectif d’action, de réflexion stratégique reliant les principaux acteurs
autour du niveau de décision politique. (…) C’est le projet qui construit de plus en plus le
territoire. » Cette définition nous semble tout à fait pertinente, au sens où elle privilégie la
coordination entre les acteurs et qu’elle place le territoire au cœur des politiques publiques. La
gouvernance nous semble en effet relever d’une combinaison entre échelle locale et contexte
global, tant au niveau de ses objectifs que de ses modes d’action.
Ce sont avant tout les acteurs locaux qui s’impliquent dans la conduite des projets
cyclotouristiques. Il leur revient de mettre au point un pilotage innovant, adapté à ce nouveau
type de projets, qui concilie à la fois une approche locale de l’espace et la prise en compte
d’enjeux régionaux, voire interrégionaux.
Cette double dimension, locale et globale, implique de penser « en termes de
coordinations partielles et d’intentionnalité limitée » (Gaudin, 2007). Cela signifie que les
acteurs s’accordent sur la co-création et la co-réalisation d’un itinéraire cyclotouristique sur
44
leur territoire, mais que chaque collectivité ou acteur privé se place en autonomie par rapport
aux autres, conservant ses propres orientations et sa « logique opérationnelle interne »
(Lequin, 2001). Les partenaires engagés dans un projet cyclotouristique sont donc à la fois
interdépendants, puisqu’ils sont impliqués dans la coproduction d’un seul produit touristique,
et indépendants quant à leur organisation et leur progression individuelles. Ainsi, ils
définissent des objectifs communs et ponctuels, qui transcendent leurs intérêts particuliers
spécifiques pour un certain temps et dans un certain domaine d’activité, dans notre cas
l’aménagement cyclotouristique.
La définition de ces objectifs ponctuels et leur mise en œuvre, par la suite, impliquent
un mode de gouvernance innovant que les différents partenaires doivent inventer. Il s’agit
donc d’un « management expérimental » né d’un besoin de souplesse et d’adaptation aux
circonstances (Gaudin, 2007). Le projet de créer un itinéraire cyclotouristique suppose en
effet une coopération de long terme : l’idée de nos deux itinéraires est née il y a une quinzaine
d’années, et aucun des deux n’est encore achevé ! Un projet d’une telle ampleur sera
nécessairement confronté à plusieurs types d’évolutions, telles que les mutations des
territoires concernés, qui ne sont pas figés mais évoluent en même temps que les pratiques
sociales dont ils sont le support, ou encore l’implication plus ou moins forte des partenaires au
fil du temps… Le projet cyclotouristique nécessite donc une gouvernance originale, qui
permette une interdépendance des acteurs, tout en conservant une grande souplesse et une
certaine capacité d’adaptation à des contextes variables.
Or la coopération interterritoriale est une démarche particulièrement souple et flexible,
qui s’adapte aux cas particuliers bien plus aisément que les procédures classiques prévues par
la loi, plus hiérarchisées et contraignantes. Cette adaptabilité tient aux deux pratiques
fondamentales du partenariat interterritorial : la négociation et la contractualisation, qui sont
bien évidemment liées. « Il s’agit (…) d’apprendre à contourner des principes d’action, par le
biais d’une négociation contractuelle où me général et le contractuel s’affrontent dans des
rapports de force qui ne sont plus enfermés dans les différences de rang symbolique ou de
statut » (Gaudin, 2007).
La négociation permet en effet à des partenaires variés, sans intérêt commun à
première vue, de s’entendre, et de déterminer ensemble, à l’avance, des objectifs ponctuels et
la mise en œuvre de moyens ciblés en vue de leur projet cyclotouristique. La
contractualisation implique une procédure de négociation, en réunissant les partenaires dans la
définition de normes et d’engagements communs (ibid.), et permet ensuite un accord sur un
calendrier opérationnel et un cofinancement, dans une certaine mesure, des opérations
45
envisagées. Gaudin caractérise ainsi les contrats de politique publique : ils sont « très
utilitaristes, d’esprit pragmatique et d’ambition opérationnelle ».
Pragmatisme : voilà le maître mot de la coopération interterritoriale. Cette nouvelle
gouvernance se traduit par une « governability fonctionnelle et son corrélat opérationnel»
(Gaudin, 2007) : le partenariat en effet ne peut être valable qu’en fonction d’un objectif
d’efficacité. Il s’agit d’un mode de pilotage, qui vise avant tout la réalisation la plus efficiente
possible du projet. Ce n’est pas un pilotage figé, mais au contraire en perpétuelle évolution,
qui nécessite un ajustement permanent entre partenaires.
L’outil essentiel de la conduite de projet interterritoriale est la contractualisation, qui
va lier, à plus ou moins long terme, les parties signataires du contrat. Gaudin consacre un long
chapitre de son livre Gouverner par contrat à cette tendance nouvelle des collectivités
territoriales à recourir à la contractualisation, et plus particulièrement à la convention. Les
procédures contractuelles sont très variées, liant des structures publiques entre elles, le secteur
public et le secteur privé, l’Etat et les collectivités décentralisées… Par ailleurs, elles
conduisent aussi à un repositionnement – relatif, nous le verrons – des hiérarchies d’acteurs.
La contractualisation permet un co-pilotage des dossiers d’une façon particulièrement
pragmatique : elle permet une certaine flexibilité, tout en engageant fermement les partenaires
dans le partenariat. Ainsi, ces conventions constituent aussi un outil particulièrement souple,
susceptibles d’évoluer très facilement afin de s’adapter à un contexte nouveau, à une avancée
plus importante d’un des acteurs…
Nous nous appuierons sur l’exemple de la Via Rhôna pour illustrer cette adaptabilité :
des conventions ont été passées entre la Région Rhône-Alpes et chaque maître d’ouvrage de
l’itinéraire. Un travail approfondi est réalisé en amont de la signature de la convention entre
les partenaires, afin de déterminer les clauses précisés du contrat, concernant le tracé, le
nombre de kilomètres à réaliser, les revêtements à utiliser… Normalement, ces conventions
couvraient trois volets, l’infrastructure, la signalétique et la communication. Jusqu’à
maintenant néanmoins, les deux derniers volets avaient été laissés de côté, et les conventions
signées jusqu’alors ne concernaient que la partie infrastructure, les parties communication et
signalétique n’ayant pas été étudiées et validées à l’échelle interrégionale. Les conventions
signées portaient donc la mention ‘signalétique ou communication à préciser’, et la région
fonctionnait par voie d’avenants36 au fur et à mesure des décisions interrégionales.
36 Source : Y. RONOT, Conseil Régional Rhône-Alpes, entretien n°3, 5/10/2010
46
Ce système d’avenants permet donc une grande souplesse dans la conduite du projet,
puisqu’il permet aux collectivités de s’adapter au contexte, ou à la vitesse de progression de
leurs partenaires, sans entraver le pilotage du projet ou remettre en cause les avancées
précédentes. Par ailleurs, les conventions offrent la possibilité de tisser des liens entre des
partenaires qui ne sont pas des interlocuteurs naturels, en les réunissant autour du portage
commun d’un même projet.
Ainsi, les Conseils régionaux Centre et Pays de la Loire ont signé, dès le lancement
concret du projet Loire à Vélo (c’est-à-dire au moment où le projet prend forme, où les
acteurs se dotent d’une approche plus pragmatique sur la réalisation effective de l’itinéraire),
une convention de coopération sur dix ans. L. SAVIGNAC rappelle que ce système de
conventions évite les « vœux pieux »37 : « on décide quelque chose, on le contractualise,
même s’il n’y a pas encore d’argent en jeu. » Au fil des évolutions que connaîtra le projet, ces
conventions signées entre les partenaires permettront de maintenir la ligne directrice sur
laquelle les acteurs se sont mis d’accord à l’origine.
Nous voyons ici que la convention a servi à lier les deux collectivités sur le long
terme, afin d’empêcher les partenaires de revenir sur leurs engagements initiaux. « Elle met
face à face des (…) collectivités qui s’ignoraient ou qui se côtoyaient, l’évitement étant une
façon classique de gérer les compétitions et les déséquilibres de moyens (Gaudin, 2007). La
coopération interterritoriale tend donc à créer de nouveaux réseaux d’acteurs, structurés
autour d’un projet commun. Il s’agit d’une pratique assez innovante : dans les procédures
classiques, les acteurs institutionnels travaillent de façon isolée sur leur domaine de
compétences ; c’est le territoire support du projet qui détermine l’échelon territorial concerné,
et, de là, la collectivité locale impliquée. Ici, à l’inverse, c’est le projet qui crée le réseau
d’acteurs, et qui le fait évoluer au fil de la progression. La coopération interterritoriale « ne
recourt pas directement aux codifications générales (…) puisqu’elle naît de l’adaptation aux
circonstances et d’un management expérimental » (Gaudin, 2007).
Si la prise de décisions, la concertation, les négociations doivent donc être communes,
cela ne signifie pas, en effet, que tous les partenaires sont nécessairement impliqués à chaque
étape. Au contraire, ils sont plutôt sélectionnés, à certains moments, lorsque que leur
participation est la plus pertinente. Bien sûr cette caractéristique d’évolution permanente dans
le fonctionnement du réseau des partenaires complexifie la collaboration interterritoriale, mais
elle lui confère également une grande souplesse, qui permet de s’adapter à une situation qui
37 L. SAVIGNAC, Conseil Régional du Centre, Entretien n°2, 6/06/2010
47
évolue sans cesse. L’itinéraire cyclotouristique, en combinant un tracé très long et une
approche très fine de l’espace local, permet donc de s’interroger sur l’échelle territoriale
pertinente pour réaliser telle ou telle étape du projet.
Tous les acteurs publics en effet ne peuvent être impliqués dans toutes les étapes du
projet. La multiplication des acteurs complexifie nécessairement les discussions et les prises
de décision qui déterminent les grandes orientations de l’itinéraire. En outre, certains acteurs
ne disposent pas des moyens requis pour telle ou telle étape du projet.
Par exemple, pour la Loire à Vélo, les deux régions qui ont lancé le projet ont décidé
d’essayer de réduire autant que possible leurs partenaires institutionnels, en sélectionnant
ceux qui étaient le plus à même de réaliser les infrastructures et les équipements spécifiques
au projet sur leurs territoires respectifs. Alors que le tracé desservait pas moins de 150
communes, la Région a choisi de confier la maîtrise d’ouvrage seulement aux quatre
départements concernés (Cher, Loiret, Loir-et-Cher, Indre-et-Loire) et aux trois principales
agglomérations (Orléans, Blois, Tours). Ces acteurs disposaient des ressources financières,
des compétences et des moyens techniques (notamment par le biais des services de
l’Equipement) pour réaliser les tronçons de la véloroute, même si des accords ont dû être
passés avec d’autres collectivités, les départements ou les agglomérations ne disposant pas
toujours de la maîtrise foncière tout au long du parcours.
Les régions sélectionnent donc leurs partenaires pour les travaux de la véloroute.
Cependant, elles visent tout de même à impliquer le plus d’acteurs possible, en s’adressant à
eux lorsque leur « échelon » est le plus approprié à la réalisation d’une tâche. C’est pourquoi
les Conseils Régionaux des Pays de la Loire et du Centre se sont appuyés sur les Pays, lors de
la conception de l’itinéraire, pour déterminer le meilleur tracé possible, en partant du principe
qu’il s’agissait de l’acteur public le plus pertinent pour analyser les possibilités du territoire.
Ils pouvaient analyser les tracés potentiels en choisissant celui – ou ceux – qui répondraient
aux objectifs de départ : un itinéraire familial (donc un parcours facile, même pour les
enfants), touristique (qui présenterait donc des sites intéressants ou de beaux paysages), et qui
nécessitaient le moins de travaux… Les pays représentaient l’échelon idéal pour cette étape,
puisqu’ils pouvaient faire le lien entre la vision trop « étroite » des communes, dont
l’expertise se limite à un petit territoire, et la connaissance nécessairement plus lointaine du
département.
La collaboration interterritoriale implique donc de mettre au point un mode de
gouvernance original, qui permet aux partenaires de travailler ensemble, tout en préservant
leur autonomie, et d’impliquer tous les acteurs concernés en leur confiant des tâches
48
spécifiques et adaptées à leur taille et à leur fonction. Cette gouvernance innovante offre la
possibilité de progresser à un rythme plus soutenu qu’avec un montage de projet classique. Ce
gain de temps et d’efficacité est rendu possible par les inter-actions, les interconnaissances, et
la valorisation de l’expérience acquise par chacun des territoires. Enfin, l’adaptabilité permise
par ce mode de fonctionnement permet de réagir rapidement et efficacement aux différentes
évolutions auxquelles sont confrontés les acteurs.
Cependant, on peut se demander s’il s’agit bien d’une nouvelle forme d’action
publique, ou bien simplement une utilisation originale des processus de gestion publique
existants ? Cette gouvernance innovante, qui implique un très grand nombre d’acteurs dans un
réseau très complexe, ne repose-t-elle pas sur des relations tout à fait classiques, des rapports
de force entre les partenaires ?
B) Une relation multipolaire réellement innovante ?
Nous avons dit que la coopération impliquée par la création d’un itinéraire
cyclotouristique met en relation une pluralité d’acteurs, créant ainsi des échanges variés entre
les différents partenaires. Plusieurs partenaires sont liés, en même temps, les uns aux autres.
On pourrait dire ainsi que la collaboration interterritoriale repose sur « des principes
d’articulation et de coordination entre niveaux de décision, de gestion et d’exécution »
(Vanier, 2008). Cette collaboration constitue une relation multipolaire, qui s’éloigne du
« modèle pyramidal unifié » et des hiérarchies classiques, plus formelles, répondant au
modèle « top-down ». (Gaudin, 2007). Ce type de pilotage « favorise les boucles rétroactives,
les échanges et les relations croisées » (ibid.).
Pourtant, ce système d’acteurs aux multiples interactions est particulièrement
compliqué dans son fonctionnement. Si la diversité des acteurs impliqués permet d’assurer au
projet un certain consensus, leurs différences et leurs divergences ne vont pas sans poser
certains problèmes qui peuvent entraver la conduite du projet cyclotouristique.
1) Un système d’acteurs complexe
Nous avons évoqué dans la partie précédente le réseau d’acteurs de la Loire à Vélo.
Bien que les partenaires soient nombreux, le rôle des différents acteurs publics se dessine
49
assez nettement : les régions ont initié le projet, et en ont assuré (et en assurent toujours) une
grande partie du financement ; elles ont collaboré avec les pays pour déterminer le meilleur
tracé possible de l’itinéraire, et ont délégué la maîtrise d’ouvrage aux départements et aux
agglomérations, qui assurent les travaux d’aménagement et d’équipement, en bénéficiant du
financement régional. En outre la région coordonne les initiatives des différents acteurs, et
anime le réseau (nous reviendrons sur ce rôle un peu plus loin). Chaque département (ou
agglomération) réalise donc les travaux sur son propre territoire, en accord (en principe du
moins) avec les communes concernées par le tracé.
Un projet viable et centré sur le territoire doit impliquer le maximum d’acteurs de ce
territoire, afin de créer un certain consensus et de lui permettre de répondre aux besoins et aux
attentes des usagers de ce territoire, en diminuant autant que possible les contraintes
techniques et les oppositions des autres acteurs publics. Cependant, la multiplication des
partenaires peut représenter une véritable difficulté, puisqu’elle alourdit les processus de prise
de décision et augmente le risque de discontinuité de l’itinéraire. Il est en effet plus difficile
de négocier et de s’entendre lorsque les partenaires sont très nombreux. Par ailleurs, si la
maîtrise d’ouvrage est partagée entre beaucoup d’acteurs publics, chacun suivant sa propre
logique d’organisation et ses priorités, la réalisation des différents tronçons risque de ne pas
s’effectuer au même rythme, voire d’accuser un retard considérable dans certains territoires.
Ainsi, le système des acteurs se densifie et se complexifie encore lorsque l’on
s’intéresse à la Via Rhôna. L’itinéraire traverse trois régions (Rhône-Alpes, PACA,
Languedoc-Roussillon) mais les maîtres d’ouvrage sont avant tout les départements : Savoie,
Haute-Savoie, Isère, Drôme, Loire, Rhône, Ardèche pour la région Rhône-Alpes, Vaucluse,
Bouches-du-Rhône, Var, Gard et Hérault pour les deux autres, soit pas moins de douze
départements. La maîtrise d’ouvrage est aussi parfois assurée par des communautés de
communes, voire des communes. Des fédérations de communautés de communes sont
encouragées, comme le syndicat mixte Rhône PLURIEL38 (regroupant les communautés de
communes de la Communauté de Communes des Collines du Nord Dauphiné, la
Communauté de Communes du Pays Roussillonnais, la Communauté de Communes du Pilat
Rhodanien, la Communauté de Communes de la Région de Condrieu, la communauté
d’Agglomération du Pays Viennois, et des communes isolées comme Givors ou Sainte
Colombe, tous ces acteurs étant répartis sur l’Isère, la Loire et le Rhône).
38Source : Site Internet de Rhône PLURIEL http://www.rhone-pluriel.fr/france/INDEX/index/Accueil.html
50
Toutefois, ces structures demeurent très rares, et la très grande multiplicité des acteurs
pose un réel problème pour l’avancement du projet Via Rhôna. Les négociations sont longues
et difficiles, car, parmi les objectifs de chacun, il est difficile de dégager des orientations plus
globales qui conviennent à l’ensemble des acteurs. Cette multiplication des acteurs publics
pose particulièrement problème lorsqu’il s’agit des niveaux territoriaux locaux, comme les
communes ou les communautés de communes, puisque ceux-ci ne disposent pas d’autant de
moyens que les collectivités des niveaux « supérieurs », comme les conseils régionaux ou
généraux.
Le système des acteurs, dont la multiplicité, à elle seule, complique déjà le
fonctionnement interterritorial, se complexifie encore lorsque l’on considère les différences
qui existent entre les différents partenaires : leur taille, leur capacité à mobiliser des moyens
financiers ou techniques diffèrent, rendant le dialogue et la répartition des tâches plus
délicats.
Cependant, ce système d’acteurs, déjà complexe, ne se limite pas aux collectivités
publiques. Celles-ci engagent des partenariats avec d’autres organismes publics (l’Office
National des Forêts pour la Loire à Vélo et les Voies Navigables de France pour la Via Rhôna
par exemple) ainsi qu’avec des partenaires privés. Il peut s’agir de simples procédures de
reconnaissance, comme le Comité Régional de Tourisme du Centre et la Société d’Economie
Mixte (SEM), son pendant en Pays de la Loire, qui labellisent les professionnels « Accueil
Vélo » en fonction des prestations offertes aux cyclotouristes. Toutefois, ce partenariat prend
parfois une tout autre ampleur, comme on peut le voir avec l’exemple de la Compagnie
Nationale du Rhône. Cette Compagnie exploite l’énergie hydroélectrique sur le cours du
fleuve. Impliquée dans le Plan Rhône, la CNR s’investit également pour le projet
cyclotouristique, puisque la véloroute parcourt les terrains de la CNR39. Ici, une entreprise
privée contribue à l’aménagement des rives du Rhône, au même titre que le Conseil Régional
de Rhône-Alpes, tous deux assumant une partie du coût des travaux de réalisations, déléguées
aux autres collectivités, notamment les départements et communautés de communes
(document 1). Ainsi, la CNR, à ce jour, a versé 4 millions d’euros à ses partenaires publics,
soit presque un cinquième du coût total, soit 19,5 M€, selon un communiqué de presse de la
Région Rhône-Alpes (septembre 2008).
39 « La CNR (…) a reçu de l’Etat en 1934 la concession du Rhône, de la frontière suisse à la Méditerranée, pour aménager le fleuve [dans les domaines de] la production électrique, de la navigation et des utilisations agricoles de l’eau » (R. PINATEL, ‘Le Rhône aménagé : les ouvrages, leurs effets d’impact et leur valorisation’, in La
Ville et le Fleuve, 1989)
51
Document 1 : La CNR s’investit dans la création de la Via Rhôna Inauguration du tronçon d’itinéraire cyclable « Via Rhôna » en Pilat Rhodanien et Pays Roussillonnais, Communiqué de presse de la Région Rhône-Alpes, 15 sept. 2008 ; Source : http://www.rhonealpes.fr/uploads/Externe/72/PRE_FICHIER_200_1221568003.pdf
La diversité des acteurs aboutit donc à une grande complexité dans les rapports des
collectivités entre elles, puisque l’on peut distinguer dans ces relations plusieurs niveaux, des
partenaires privilégiés, d’autres qui seront favorisés à un certain moment, pour une étape
spécifique du projet, avant d’être éclipsés par d’autres partenaires. Par ailleurs, pour permettre
une meilleure organisation entre les acteurs, les partenaires interterritoriaux peuvent faire
appel à un organisme coordinateur à part. Ainsi, la région Rhône-Alpes a mandaté le Syndicat
Mixte Territoire Rhône pour les tronçons situés en Rhône-Alpes pour assurer la coordination
de la signalétique du projet. Celui-ci est chargé de la visibilité, des outils de communication et
de l’élaboration d’un équipement signalétique pour la véloroute qui soit cohérent pour tous les
partenaires. D’autre part, la Loire à Vélo a chargé l’organisme Mission Val de Loire de la
gestion de la marque Loire à Vélo. Cet organisme gérait déjà la marque Val de Loire,
Patrimoine Mondial de l’UNESCO, et disposait donc d’une bonne maîtrise en la matière.
Grâce à son expertise et son expérience, Mission Val de Loire a permis de diffuser rapidement
la charte graphique et de mettre en avant l’approche touristique du projet, tout en valorisant
les aménageurs. Ces organismes « coordonnateurs » constituent un véritable soutien à la
démarche politique des partenaires : ils créent du lien et s’appuient sur leur expérience pour
influer sur le débat entre les partenaires.
« Modalité de participation de la Compagnie Nationale du Rhône : « Dans le cadre de ses Missions d’Intérêt Général, la CNR accompagne les initiatives locales et régionales de développement économique, culturel, patrimonial et touristique autour de la voie d’eau*. Son engagement porte sur la réalisation de 146 km de tronçons. Depuis août 2006, la CNR a signé des conventions de partenariat avec plusieurs collectivités territoriales (CG de Haute Savoie et de Savoie, Communautés de Communes de Belley Bas Bugey, Rhône et Gland, Région de Condrieu, Pilat Rhodanien, Pays Roussillonais, SYMALIM (Syndicat mixte pour l’aménagement et la gestion du Grand parc de Miribel Jonage) et Commune de Lavours). Avec 65% du tracé de la véloroute implanté sur son domaine concédé, la CNR est un acteur déterminant du projet. « Ainsi, la CNR s’est engagée à financer les études pré-opérationnelles et les aménagements d’itinéraires
jusqu’à 30 % du coût TTC, afin de réaliser la section majeure de cet itinéraire « du Léman à la Mer ». La Région Rhône-Alpes et la CNR apportent ensemble 65% du financement global.
« * En mars 2007, la Région Rhône-Alpes et la Compagnie Nationale du Rhône ont signé avec leurs partenaires le Contrat
de Projet InterRégional Plan Rhône pour la période 2007-2013, partenariat global et concerté d’aménagement du fleuve.
L’itinéraire cyclable « ViaRhôna du Léman à la Mer » s’inscrit dans le volet Tourisme du plan Rhône »
52
Une multiplicité d’acteurs, de nature et de fonction très différentes, impliqués dans des
relations croisées, verticales et horizontales, est donc amenée à collaborer sur le projet
cyclotouristique. Cette relation multipolaire est fortement marquée par le mode gouvernance
original que nous avons abordé un peu plus haut : toutefois, ce réseau d’acteurs, est-il, en lui-
même, aussi innovant qu’il le semble à première vue ? Cette gouvernabilité nouvelle ne
reprend-elle pas les modalités d’action antérieures ?
2) Les limites de l’innovation interterritoriale : le poids des hiérarchies traditionnelles
Nous avons mis en lumière la complexité nouvelle des systèmes de décision inhérents
aux projets cyclotouristiques. Le décloisonnement des territoires au sein de nouveaux réseaux
interterritoriaux apparaît comme une « nouvelle action publique » (Gaudin, 2007). Ces formes
originales de relations entre les acteurs, qui impliqueraient et mettraient sur un pied d’égalité
les différentes collectivités territoriales et leurs partenaires privés ne relèvent-elles pas plutôt
d’un imaginaire de l’interterritorialité ?
Le but de la coopération interterritoriale est « d’organiser et de coordonner un pouvoir
global à plusieurs échelles » (Vanier, 2008). La diversité des acteurs impliqués dans chacun
de nos projets induit donc un « jeu d’échelles », mis en œuvre lors de la conception et la
réalisation d’un itinéraire cyclotouristique. Des territoires, cloisonnés d’ordinaire, de
différents échelons territoriaux, de différentes majorités politiques, doivent s’entendre afin de
créer un produit touristique unique à proposer au touriste, sans négliger les spécificités de
chacun, et en impliquant les échelons « inférieurs ».
Ce type de projets requiert en effet davantage qu’une simple consultation des
collectivités concernées (c’est-à-dire, au sens propre, « traversées » par l’itinéraire) : il
nécessite une « mise en débat procédurale et une implication directe » (Gaudin, 2007) de
chacun des acteurs concernés. Pourtant, ce principe d’implication de tous les acteurs, de
concertation et de participation du plus grand nombre ne doit pas occulter une réalité plus
nuancée.
Nous avons vu que tous les acteurs concernés n’étaient pas nécessairement impliqués à
toutes les étapes du projet. Cela participe d’une stratégie assez judicieuse, qui consiste à
s’adresser, pour une phase précise, à l’acteur le plus capable de la réaliser. Cela signifie aussi
que les « rôles » sont distribués en fonction des capacités et des moyens mobilisables par la
collectivité territoriale. Ainsi, leur poids (les moyens financiers, techniques et humains
53
qu’elles peuvent mobiliser) ainsi que leur « influence » auprès des autres partenaires déclarés
ou potentiels, leur capacité de représentation et de communication influent beaucoup sur le
choix de certains partenaires, et la mise à l’écart de certains autres. « Les marges d’initiatives
politiques, nous dit Gaudin en analysant les modalités de négociation entre différents
partenaires, diffèrent selon la taille des collectivités, une commune rurale n’égalant jamais le
poids d’une région. Même si elles ont été relativisées, les frontières des compétences peuvent,
à l’occasion, être réaffirmées et devenir un levier de la négociation ». Le partenariat
interterritorial demeure donc asymétrique, dépendant largement des moyens financiers et
juridiques et des capacités d’expertise des différents acteurs rassemblés autour du projet.
Les interlocuteurs sont ainsi « filtrés » de manière très traditionnelle (Gaudin, 2007),
malgré les apparences égalitaires de la démarche interterritoriale. Les hiérarchies classiques
restent bien présentes : les rapports de force et les coopérations privilégiées avec des
partenaires « naturels » sélectionnent ou écartent des acteurs pourtant concernés par le projet.
Sans reconduire simplement des modalités d’action antérieures, on ne peut nier que la
démarche interterritoriale, et son instrument privilégié, la contractualisation, « s’avèrent très
structurées par des hiérarchies classiques de moyens, par des dissymétries dans les pouvoirs
d’initiative et des formes insidieuses de construction de l’interlocuteur » (Gaudin, 2007).
Le partenariat interterritorial est donc assez inégal. En réalité, il combine à la fois deux
types de relations : dans les relations horizontales, les partenaires (de même échelon territorial
donc) se caractérisent par une relative interdépendance réciproque, et par conséquent un
certain équilibre, alors que dans les relations verticales (entre échelons supérieurs et
inférieurs) les rapports entre les acteurs sont fortement polarisés par un acteur dominant.
Cette dissymétrie peut déboucher sur certaines tensions entre les partenaires. La
conduite de projet interterritoriale doit en effet concilier des enjeux radicalement différents :
la collaboration s’établit en vue d’objectifs à grande échelle, départementaux ou régionaux,
alors que les réalisations, les traces et les impacts visibles de ce partenariat, au contraire,
concernent directement l’espace local. Il y a donc souvent un décalage entre les décisions
prises par les acteurs-meneurs du projet, et les collectivités confrontées aux réalités de leur
territoire et de leurs administrés (et électeurs).
Ce décalage aboutit parfois à la contestation des « petits » acteurs, qui s’opposent à
des décisions « venues d’en haut ». Elles sont perçues comme des décisions unilatérales,
imposées par une collectivité d’échelon supérieur, sans concertation (ou sans une concertation
suffisante) avec l’échelon local. La décision est considérée comme inappropriée au territoire,
54
puisque l’échelon supérieur dispose d’une connaissance plus lointaine, moins précise, du
contexte et de la situation locaux.
Ce cas de figure est particulièrement répandu lorsqu’un maître d’ouvrage prend en
charge des travaux sur le territoire d’une collectivité territoriale d’un échelon inférieur. Ainsi,
la plupart du temps, comme nous l’avons déjà expliqué, ce sont les départements, par
l’intermédiaire des directions de l’Equipement, qui sont maîtres d’ouvrage des travaux
d’aménagement et d’équipement des tronçons de l’itinéraire, et l’emboîtement des territoires
administratifs pose parfois problème. Le Conseil Général doit donc prendre en charge des
travaux sur « des territoires qui ne lui [appartiennent] pas, puisque que tous les deux à trois
kilomètres on [change] de domanialité40 ». Le tracé de l’itinéraire emprunte différents types
de routes existantes, dont le département n’a pas toujours la maîtrise foncière : on alterne ainsi
« une voie domaniale revêtue, (…) une voie communale non revêtue, (…) un bout de route
nationale, ensuite une route départementale.... » (id.).
Un maître d’ouvrage unique permet d’homogénéiser les tronçons continus en une
section plus vaste, puisque la conception et la réalisation sont assurées par une seule entité.
Cette dernière peut ainsi planifier et envisager ces travaux à une échelle plus importante, ce
qui confère davantage d’unité et de cohérence à l’itinéraire qu’avec une multiplicité de
maîtres d’ouvrages sur de très petits tronçons chacun, comme nous l’avons montré dans le cas
de la Via Rhôna.
Des conventions entre le maître d’ouvrage et les différentes collectivités concernées
sont donc nécessaires, afin d’aplanir les difficultés et de réduire les points de tension entre
partenaires. Toutefois, les collectivités locales sont avant tout des entités politiques, et ces
conventions ne sont pas nécessairement acceptées par la population ou l’ensemble des élus,
qui affirment que les décisions prises par le maître d’ouvrage sont incompatibles avec le
contexte local.
Par exemple, un différend oppose des élus du conseil municipal d’une petite ville du
Loiret, St-Hilaire-St-Mesmin, au Conseil Général et à l’Agglomération orléanaise, les deux
maîtres d’ouvrage du projet (l’agglomération participe au financement, et le département
assure les travaux et en finance une partie). « Il y a un an et demi, les deux communes [St-
Hilaire-St-Mesmin et la commune voisine concerné par le tracé de la Loire à vélo] s’étaient
mis d’accord pour une passerelle [pour franchir la rivière du Loiret] ; et d’un seul coup, (…)
40 Laurent SAVIGNAC, Conseil Régional du Centre, entretien n°2, 6/06/2011
55
ce n’était plus possible ». L’Agglo a décidé de faire passer le tracé cyclotouristique sur un
pont jugé dangereux pour les cyclistes41.
Le représentant de la commune s’est abstenu lors du vote à l’Agglo, pour montrer son
désaccord, tandis que l’opposition et la population locale réagissent vivement contre ce projet,
reprochant aux maîtres d’ouvrage leurs décisions unilatérales. Ces derniers se défendent en
expliquant qu’ils doivent faire face à d’autres contraintes, comme le rejet de plusieurs autres
projets par les deux municipalités concernées, ou encore les prescriptions de l’Architecte des
Bâtiments de France qui a refusé la création d’une passerelle cyclable. Par ailleurs, le Conseil
général du Loiret doit s’engager prochainement dans la réalisation des travaux pour respecter
ses engagements vis-à-vis de la Région Centre, ce tronçon étant un des derniers chantiers de
la Loire à Vélo dans le département, déjà « en retard » par rapport aux autres départements du
Centre.
Ce cas nous permet d’aborder les réalités de la coopération interterritoriale. Si « la
contractualisation est présentée comme la modalité primordiale de l’action interterritoriale,
comme un outil omniprésent sinon omnipotent, [on peut dire que] derrière ses vertus
techniques bien réelles, le contrat ne transforme pas le rapport politique entre territoires »
(Vanier, 2008). L’interterritorialité, même si elle offre la possibilité d’une gouvernance
nouvelle, s’appuie donc néanmoins sur une hiérarchie entre territoires assez classique,
l’influence de chacun étant déterminé par son « poids » politique et financier, qui déterminera
donc la nature et la qualité de ses relations avec les autres partenaires. Bien que tous les
acteurs doivent être impliqués, autant que possible, les acteurs des échelons supérieurs
doivent souvent imposer des décisions aux communes ou communautés de communes au nom
d’un certain « intérêt général » prôné par ces maîtres d’ouvrage, qu’il nous faut désormais
questionner.
Ces conflits, assez fréquents et révélateurs des mécanismes de collaboration entre
collectivités, dessinent une hiérarchie finalement assez classique entre les partenaires, fondée
sur des rapports de force dictés par le poids des acteurs. Il existe donc une certaine tension
entre les enjeux locaux, les réalités du territoire, les attentes de la population locale et les
enjeux plus vastes, à l’échelle régionale et interrégionale, à travers les engagements des
maîtres d’ouvrage « intermédiaires », comme l’agglomération et le Conseil Général, et les
exigences des « super maîtres d’ouvrage » que sont les régions qui orchestrent le projet. La
collaboration entre les différents acteurs ne se fait donc pas sans accrocs, chaque partenaire
41 « Un tronçon de la Loire à Vélo qui déplaît », article paru dans La République du Centre (quotidien) du 13/04/2011 annexe F.
56
réfléchissant avant tout à sa propre échelle, ce qui implique de poser la question de l’intérêt
général mis en avant par certains acteurs.
C) Les difficultés de la collaboration avec d’autres collectivités
La coopération interterritoriale, en créant un « jeu d’échelles » entre les partenaires de
différents échelons territoriaux et une interdépendance entre les acteurs, permet donc de
mener à bien et d’optimiser la co-production d’un itinéraire cyclotouristique. Nous avons vu
que le partenariat était nécessaire, plus performant et moins lourd qu’un portage de projet
classique. Toutefois, si la collaboration peut, en elle-même, faire émerger des tensions entre
acteurs, les partenaires avec qui l’on collabore, dans leurs spécificités et leurs enjeux
particuliers, sont parfois eux-mêmes à l’origine de difficultés qui compliquent la coopération.
1) Contexte et objectifs politiques divergents : le test de l’intérêt général
Plusieurs niveaux territoriaux impliqués, des partenaires de taille différente, des
territoires avec des contextes et des enjeux spécifiques… Lequin (2001) remarque à propos de
l’écotourisme qu’il « met en présence divers intervenants ou acteurs intéressés par un même
projet, mais pour lequel chacun a des intérêts qui lui sont personnels, parfois divergents ». Ce
constat est tout à fait valable pour le cyclotourisme, qui met en relation des acteurs très
nombreux et différents, alors que chacun poursuit son propre développement avant tout, en
négligeant parfois « l’intérêt général ». Nous ne reviendrons pas sur la difficulté à définir
précisément cette notion : pour notre travail, l’intérêt général représente l’avantage ou les
avantages que présente l’itinéraire cyclotouristique pour tous les partenaires impliqués. Il
nous suffit de mentionner que ces avantages ne sont pas de même nature, et que l’avantage de
l’un peut être perçu par l’autre comme un inconvénient.
En réalité, l’engagement de départ et les accords passés entre acteurs sont
constamment appelés à évoluer, à cause des contraintes internes au territoire ou de choix
stratégiques un peu divergents. Les acteurs publics engagés dans un projet cyclotouristique,
nous l’avons vu, sont particulièrement variés : ils sont donc naturellement confrontés à
certaines divergences, qui proviennent de la différence des moyens qu’ils peuvent mettre en
œuvre, de la stratégie et des options politiques choisies par les élus, et, plus radicalement
encore, de l’espace local dont ils ont la charge, avec ses caractéristiques spécifiques et ses
57
contraintes particulières. Ainsi, toutes les personnes que nous avons rencontrées, au cours de
nos entretiens ou pendant des discussions informelles, ont évoqué ce genre de problèmes. La
collaboration de plusieurs collectivités territoriales implique plusieurs types d’obstacles et de
contraintes qui entravent la conduite du projet cyclotouristique ou la ralentissent.
Les collectivités, tout d’abord, sont confrontées à des contextes locaux différents.
Leur nature et leurs fonctions ne les placent pas sur un pied d’égalité par rapport au projet,
certains acteurs étant des maîtres d’ouvrage, d’autres « accueillant » seulement le tracé sur
leur territoire… Chaque acteur doit donc faire face à des obstacles « internes » à leur
territoire. Cela peut concerner des divergences politiques au sein de l’équipe dirigeante,
comme nous l’avons évoqué plus haut avec le cas de St Hilaire St Mesmin, dans le Loiret, où
la municipalité se trouve en porte-à-faux vis-à-vis de l’opposition et d’une partie de la
population. Pour une collectivité territoriale, la satisfaction de ses électeurs est primordiale, et
est généralement privilégiée par rapport à des exigences « exogènes », imposées d’en haut.
Par ailleurs, le territoire possède sa propre complexité, unique. Les projets
cyclotouristiques, même s’ils sont concertés entre plusieurs échelons territoriaux et sont
censés prendre en compte les spécificités de l’espace local, sont tout de même guidés par de
grandes orientations, des objectifs communs, qui sont ensuite individualisés à travers les
conventions. Mais le terme prévu des travaux, par exemple, est fixé pour tous les partenaires,
sans prendre en compte nécessairement les obstacles de telle ou telle situation. Ainsi, au
centre de Valence, alors que la Drôme est un département pionnier pour la Via Rhôna, la
municipalité peine à tenir ses engagements, parce que le tracé doit parcourir les berges du
Rhône… qui sont actuellement occupées par l’autoroute A6 ! Dans ce cas, la commune doit
d’abord engager des travaux pour dévier l’autoroute (un projet d’autoroute souterraine est à
l’étude) avant de réhabiliter les berges et d’y aménager la véloroute. Les cas particuliers sont
multiples, et, malgré les conventions qui permettent une réelle souplesse, – ou plus
exactement à cause d’elles –la progression du projet est très hétérogène.
Toutefois, la difficulté majeure, dans un contexte budgétaire délicat pour les
collectivités, réside dans le financement. Il s’agit là du principal point de crispation entre les
partenaires, chacun se retranchant derrière des contraintes budgétaires trop lourdes à assumer.
Ainsi, Y. RONOT, (Conseil Régional Rhône Alpes, entretien n°3, 5/10/2010) explique que
les départements ont « un peu tendance actuellement à revenir sur l’idée qu’ils assurent la
maîtrise d’ouvrage, [la laissant] à nouveau aux communautés de communes. Ils
subventionneront, mais ne veulent pas pré-financer l’ensemble et recueillir ensuite les
participations. » Chaque communauté de communes, ensuite, invoque à son tour ce problème
58
et repousse la date de réalisation, ce qui retarde considérablement l’avancée du projet. Citons
le cas de l’Ardèche, où la maîtrise d’œuvre est confiée à des communes ou à des
communautés de communes qui se défendent en arguant qu’elles ont d’autres priorités et
impératifs. Par conséquent, les travaux ont pris un retard colossal par rapport aux autres
départements Rhône-alpins : aucun aménagement n’a été réalisé, et l’on passe ainsi d’une
piste cyclable en site propre, côté Drôme, à une route nationale sans même une bande cyclable
côté Ardèche ! On constate ici que les collectivités territoriales doivent hiérarchiser leurs
priorités, et malgré leurs engagements auprès de leurs partenaires, ne sont pas toujours en
mesure de tenir les délais prévus.
Les réalités du territoire peuvent donc freiner la collectivité dans ses réalisations et lui
faire prendre du retard par rapport aux délais prévus initialement. Ces freins ne dépendent pas
vraiment de la collectivité : elle doit les subir et n’en est pas responsable. Pourtant, certains
acteurs, bien qu’engagés dans la démarche partenariale, se montrent par la suite réticents,
voire méfiants : dans ce cas, ils font le choix de privilégier d’autres options, reléguant le
cyclotourisme à un projet d’importance secondaire.
Ainsi, on décèle parfois un certain manque d’intérêt pour le projet cyclotouristique
chez des partenaires qui ont privilégié des choix politiques différents. Par exemple, on
constate aisément l’écart entre l’importance accordée à la Via Rhôna par la région Rhône-
Alpes et la vision de ses partenaires directs, les régions Languedoc-Roussillon et Provence-
Alpes-Côte-D’azur, qui apparaît clairement dans la communication qu’ils mettent en œuvre.
Nous avons réalisé une brève étude des sites Internet des conseils régionaux et des CRT de
ces trois régions42 : sur les sites de Rhône-Alpes, on retrouve la Via Rhôna à plusieurs reprises
(parfois sous l’appellation de Véloroute du Léman à la Mer) dans des articles, dans des
communiqués de presse et dans la rubrique « Drôme », puisque c’est là que les premiers
tronçons ont été inaugurés. En revanche, en Languedoc-Roussillon et en PACA, on ne trouve
aucune mention de la Via Rhôna, l’itinéraire n’apparaît pas du tout dans la rubrique tourisme,
la thématique du vélo étant limitée au VTT !
On voit ici que les objectifs de ces acteurs divergent : si la Via Rhôna est considérée
par Rhône-Alpes comme un produit touristique important pour le territoire régional,
Languedoc-Roussillon et PACA semblent privilégier avant tout le tourisme balnéaire, le vélo
étant relégué à un mode de déplacement quelconque, valable pour des promenades que l’on
peut aussi bien faire à pied ou à cheval. Ici, ce sont les orientations politiques qui divisent les
42 Voir annexe B Tableau comparatif des sites Internet des acteurs publics de la Loire à Vélo et de la Via Rhôna
59
acteurs, et qui ralentissent la progression du projet. Y. RONOT (Conseil Régional Rhône-
Alpes, entretien n°3, 5/10/2010) a évoqué, à mots couverts, les difficultés de ce partenariat qui
peine à se mettre en place : « Les relations avec les autres régions ? Je dirais que l’on a des
contacts, que les relations deviennent de plus en plus … « fortes » (légère hésitation) on va
dire. »
« Chaque intervenant a ses propres objectifs et ses propres intérêts » (Lequin, 2001).
Les acteurs en effet ont chacun des intérêts particuliers pour le cyclotourisme, et le processus
de négociation doit permettre de parvenir à un objectif « commun », un certain consensus.
Trouver une stratégie commune, la préciser, la faire adopter, la faire vivre puis la défendre
ensuite auprès de partenaires potentiels, supposent en effet de définir, puis de préserver
ensuite un intérêt commun entre les parties, c’est-à-dire de maintenir des objectifs collectifs,
ou du moins cohérents, afin que la coopération puisse se poursuivre entre les différents
acteurs impliqués, et que chacun renouvelle en permanence son engagement de départ,
lorsqu’il décide de s’engager dans une nouvelle étape du projet.
La réalité démontre pourtant que cet intérêt général, collectif et établi à long terme,
s’efface souvent au profit d’objectifs et de priorités particuliers, et des besoins du territoire qui
nécessitent une réponse urgente des collectivités. L’intérêt général, déterminé et négocié
ensemble, se heurte donc aux politiques et aux stratégies de chaque acteur, qui poursuit avant
tout sa propre ligne directrice. Ces écarts par rapport aux décisions prises collectivement, les
réticences de certains acteurs impliquent donc une progression très irrégulière du projet, à la
fois dans l’espace – entre les différents tronçons – et dans le temps – entre le rythme de
l’action de chaque partenaire.
2) Des échelles de temps en décalage
Nous avons vu en que les priorités des collectivités territoriales ne coïncidaient pas
toujours avec la réalisation d’un itinéraire cyclotouristique. Il s’agit d’un double constat :
d’une part, les orientations de certaines collectivités peuvent diverger peu à peu des objectifs
collectifs, et, d’autre part, il arrive qu’une collectivité passe de la réticence à l’enthousiasme
au fil du temps, et vice-versa. Or, créer un itinéraire cyclotouristique ne peut être envisagé que
sur le long terme : ainsi, les deux projets que nous étudions ont tous les deux une vingtaine
d’années, et ne sont encore pas achevés43 ! S’engager dans une démarche partenariale de cette
43 Au moment où nous écrivons ces lignes, soit en juin 2011.
60
ampleur suppose donc de s’engager pour une durée longue44, qui est appelée à évoluer au fil
du temps, à mesure que le projet progresse.
En réalité, les acteurs ne sont pas tous également impliqués dans le projet
cyclotouristique : certains se montrent d’emblée très enthousiastes et jouent le rôle de
pionniers, d’exemple en quelque sorte pour les autres. Ainsi, L. SAVIGNAC (Conseil
Régional du Centre, entretien n°2, 6/06/2011) nous rapportait la très forte implication du
département d’Indre-et-Loire et de l’agglomération de Tours, deux territoires pilotes, « qui
ont été les premiers à se mobiliser et à prendre le risque [de] cette opération». De même, la
Drôme, dans le cas de la Via Rhôna, peut être considérée comme un département moteur,
impliqué à la fois dans la réalisation de ses tronçons et dans la conformité avec la démarche
officielle de l’itinéraire.
A l’inverse, d’autres partenaires sont plus réservés, attendant que le projet fasse ses
preuves dans des territoires voisins avant de s’engager réellement dans « l’aventure », tels que
le Loiret. Le Conseil Général en effet s’est véritablement lancé dans le projet assez tard, sous
la pression des premiers cyclotouristes qui exprimaient le désir de suivre l’itinéraire sur son
territoire. D’autres enfin apparaissent un peu réticents, voire méfiants, vis-à-vis d’un projet
dont ils ne voient pas nécessairement l’intérêt ou qu’ils peinent à appréhender à leur échelle.
Citons ici le cas de l’Agglomération de Nantes et son office du tourisme45, qui freinent,
respectivement, les travaux dans la ville et la diffusion et la communication auprès des
visiteurs, de peur d’être « submergés » par ce projet. Nantes est ainsi très en retard par rapport
au reste du parcours, puisque les tronçons ne sont pas achevés, et que la signalétique se limite
à des panneaux provisoires.
On remarque donc ici que le projet n’avance pas au même rythme sur les différents
territoires. Les collectivités qui s’engagent dans un projet interterritorial fonctionnent selon
des temporalités différentes, au rythme des négociations internes (au sein de la collectivité
territoriale) et externes (avec les partenaires horizontaux et verticaux), des freins à lever et des
solutions trouvées, et en fonction de leur implication et de leur volonté de faire aboutir ce
projet. Le projet cyclotouristique « global », à l’échelle interrégionale, progresse donc par à-
coups, ralentissements, brusques accélérations ou périodes de stagnation, lorsque les acteurs
se replient sur eux-mêmes. Certaines collectivités vont faire figure de moteurs, de pionniers,
44 Il faut en effet considérer que la temporalité des collectivités est soumise à la durée des mandatures es élus, très inférieure au délai requis pour réaliser un itinéraire cyclotouristique. Soulignons les décalages entre le temps des élus (des mandats), des acteurs (qui peuvent être maintenus en poste à travers les mandatures, mais aussi changer de fonction à certains moments), et le temps long du projet qui transcende ces aléas. 45 Entretien avec B. LE RESTE (Conseil Régional des Pays de la Loire, entretien n°4, 3/12/2010)
61
tandis que d’autres sont plus lentes, rencontrent davantage de difficultés, ou sont seulement un
peu plus réticentes et « traînent les pieds », si l’on peut dire.
Lors de nos entretiens avec plusieurs acteurs des deux projets, nous avons abordé la
question de la difficulté à travailler avec certains partenaires plus que d’autres. La réponse
apportée a été la même à chaque fois : ce n’était pas une question de difficulté, mais de
temporalité, comme l’exprime très bien Y. RONOT (Conseil Régional Rhône Alpes, entretien
n°3, 5/10/2010), Il s’est montré catégorique : « Ce n’est pas dur, ça se fait dans des temps
différents, ce n’est pas la même chose ! » La longueur des négociations, des multiples
contractualisations, et par la suite des travaux d’aménagement et d’équipement dépend donc
uniquement de la volonté des collectivités territoriales, et de leur capacité à gérer les obstacles
et à tirer parti de l’espace local.
Par exemple, le projet peut connaître une période de blocage, lorsque des points de
crispation naissent entre les partenaires. Nous avons vu, avec l’exemple du Loiret et de St
Hilaire Saint Mesmin, que des désaccords peuvent apparaître entre les partenaires, lorsque les
enjeux locaux et régionaux se trouvent en opposition. La coopération peut donc conduire à
des tensions plus affirmées, voire à des conflits entre les acteurs et à une situation « bloquée »,
où le projet stagne pendant un certain temps, et ne peut reprendre sa progression qu’une fois
le différend réglé. C’est le cas notamment lorsque des partenaires locaux contestent et
rejettent des décisions prises par les collectivités d’échelon supérieur, parce qu’elles vont à
l’encontre des politiques ou des objectifs déterminés par les « petits » partenaires.
Pour illustrer ce problème, nous choisirons l’exemple des deux départements de
Savoie et Haute-Savoie, que nous avons brièvement évoqué plus haut. Ces départements ont
été de véritables pionniers dans la réalisation d’une véloroute le long du Rhône, commençant
les travaux sur leurs territoires respectifs dès 2003, suite aux études de la structure Territoire
Rhône, un comité d’experts issus des différents départements Rhône-alpins, qui avait proposé
un itinéraire cyclotouristique rhodanien quelques années plus tôt. Suite aux réflexions de
Territoire Rhône, la Savoie et la Haute-Savoie se sont lancées, parallèlement au début des
travaux, dans l’élaboration d’une signalétique en s’appuyant sur le nom proposé par Territoire
Rhône, ‘Véloroute du Léman à la Mer’. Ils ont créé un logo spécifique, des panneaux de
signalisation, des dépliants à destination des cyclotouristes…
Le Conseil Régional de Rhône-Alpes, lorsqu’il a repris le portage du projet Via
Rhôna, s’est donc trouvé confronté à deux départements « hostiles » à toute nouvelle
proposition. « Lorsque nous sommes arrivés avec le projet Via Rhôna, porté plutôt par la
Région, et pas par leurs départements, ils ont plus ou moins torpillé ce que nous disions »,
62
explique Y. RONOT (Conseil régional Rhône Alpes, entretien n°3, 5/10/2010). La Savoie et
la Haute-Savoie rejetaient en bloc le travail collectif fait sur la signalétique entre les trois
Conseils Régionaux concernés. Y. RONOT ajoute : « Ce n’est que très récemment que le
paysage s’est enfin éclairci sur cette signalétique. Maintenant, je pense que plus personne ne
revient en arrière sur le nom, mais pendant longtemps, il y a eu des combats d’arrière-garde ».
Pourtant, force est de constater que la signalétique Via Rhôna n’est toujours pas mise en
place46 en Savoie et en Haute-Savoie, ni sur l’itinéraire, ni sur les sites Internet de ces
départements, qui ne mentionnent que la Véloroute du Léman à la Mer47. D’ailleurs, Y.
RONOT relatait lui-même que la communauté de Communes du Belley Bas Bugey (Ain)
pourtant très impliquée dans le projet Via Rhôna, a posé une signalétique provisoire…
‘Véloroute du Léman à La Mer’ ! « Bien qu’ils aient participé à toutes les démarches, ils ont
installé du ‘Véloroute’, alors qu’on avait argumenté sur le fait qu’on n’en voulait pas… »
conclut-il. Ces deux départements avaient réalisé leurs tronçons, apposé une signalétique
valable pour les cyclotouristes : ils ne voyaient aucun intérêt à s’accorder avec les autres
acteurs du projet Via Rhôna.
Document 6 : La signalétique Véloroute du Léman à la Mer, Haute Savoie ; source :
http://cbandiera.free.fr/parcours/le-rhone-a-velo/
Cet exemple montre toute la complexité du partenariat : des intérêts divergents, des
objectifs divergents, et la confrontation permanente entre les réalités locales et les enjeux
interrégionaux… Tous ces points de tensions sont l’objet de négociations, de compromis, ou
de situations de blocage, où le projet est dans l’impasse… La collaboration interterritoriale
s’effectue donc selon des échelles de temps décalées, chaque acteur, dans sa logique politique
46 Observations : à la date de rédaction de ce mémoire, soit avril 2011. 47 Cf. annexe B, tableau d’analyse des sites internet des collectivités.
63
et opérationnelle, progressant à un rythme qui lui est propre, mais pas nécessairement
régulier.
Il nous faut maintenant revenir sur l’outil privilégié de la coopération interterritoriale,
mais tout à fait paradoxal : le contrat, les conventions signées entre les acteurs. Nous avons dit
qu’elles étaient, au contraire de la loi, « la norme des parties » (Gaudin, 2007), permettant une
adaptabilité nécessaire au projet.
En effet, si la convention présente de très nombreux avantages pour la collaboration
interterritoriale, elle possède également un défaut majeur, qui pénalise le projet lui-même. La
convention permet d’enregistrer, de fixer par écrit, l’engagement d’un acteur pour une tâche,
quelle qu’elle soit. Elle précise la nature de la tâche, ses modalités de réalisation et la date-
limite à laquelle cette tâche doit être accomplie (qui correspond généralement au terme du
contrat). Toutefois, si le signataire manque à ses engagements, la convention ne prévoit
aucune pénalité. Selon Gaudin (2007), il s’agit d’un « engagement moins juridique que moral
et politique ». Il n’existe aucune sanction pour manquement à sa « parole ». Aussi la
collectivité réticente peut-elle ralentir ou même suspendre la réalisation de ses tronçons sans
aucune conséquence. Le problème du contrat tient à la faiblesse du contrôle d’application et
de la sanction juridique des engagements contractuels48. La responsabilité des partenaires
n’est donc pas juridique, elle ne peut être mise en cause légalement ; il s’agit d’un
engagement purement politique, nullement contraignant.
Par ailleurs, la contractualisation permet de s’accorder uniquement sur des objectifs et
des engagements ponctuels. Cette souplesse permet de faire évoluer les accords en fonction
des avancées du projet, mais ne le limite-t-elle pas aussi au court terme ? Cette conduite de
projet en contractualisation ne porte-t-elle pas atteinte, dans une certaine mesure, à l’efficacité
de la coopération interterritoriale ? En effet, l’impossibilité de « sanctionner » un partenaire
qui manque à son engagement et le caractère temporaire de la convention, n’en font-ils pas
l’instrument d’une stratégie à court terme ? L’interterritorialité serait-elle alors, comme le
suggère Vanier (2008), un « bricolage permanent » ?
48 Dreyfus, Contribution à une théorie générale des contrats entre personnes publiques, 1997, cité par Gaudin (2007)
64
3) Un « bricolage permanent » ?
La coopération interterritoriale, fondamentalement, est un mode de pilotage de projet :
elle est donc, par définition, limitée dans le temps. Bien sûr, elle permet de réaliser un projet,
et éventuellement, permet d’assurer la gestion de ce projet par la suite. Mais les engagements
pris par les partenaires, sous forme de conventions, de contrats, sont toujours éphémères,
même s’ils peuvent être reconduits et constituer tout de même des garanties pluriannuelles.
Les conventions sont la « béquille » de la coopération interterritoriale, elles ne peuvent
constituer une politique à part entière (Vanier, 2008). Ce mode de gouvernance original
coïncide avec un projet particulier, permet de fédérer un grand nombre d’acteurs et
d’envisager ce projet sur le long terme, mais ne se pose pas vraiment comme une nouvelle
manière de gérer les territoires en eux-mêmes.
Vanier parle donc de « bricolage permanent », qui épuise les acteurs parce qu’elle
mobilise une énergie constante pour maintenir cet « intérêt général » que nous avons évoqué,
et pour inciter les partenaires à négocier, à s’entendre, à faire des compromis, de sorte que le
projet cyclotouristique puisse progresser et voir le jour. Aux yeux de Vanier, il s’agit d’un
geste « homéopathique », qui permet de repousser l’échéance d’une véritable politique
interterritoriale, établie à long terme, et inscrite dans le fonctionnement régulier des
collectivités.
Malgré ses vertus techniques évidentes, la collaboration interterritoriale demeure donc
précaire. Elle ne peut se révéler efficace sans un grand pragmatisme, grâce auquel les acteurs
doivent sans cesse s’adapter au contexte et imaginer la réponse la plus pertinente aux
différents problèmes rencontrés. Ainsi, dans le cadre d’un projet cyclotouristique qui amène
de très nombreux acteurs à travailler ensemble, une réflexion doit toujours être menée sur
l’identité des acteurs à impliquer dans telle étape du projet.
« On évite les grandes messes, on n’en fait que 1 ou 2 par an… Les réunions sont
souvent des choix très pratiques en fait, en fonction de l’objectif que l’on se fixe. On n’avait
jamais les 8 territoires, parce que là on est sûr d’arriver souvent dans le mur. Et ça été
vraiment du pragmatisme ».
Document 2 : Le fonctionnement de l’interterritorialité « au quotidien ».
Citation de L. SAVIGNAC (Conseil régional du Centre, entretien n°2, 6/06/2011)
65
On voit donc la subtilité des relations entre les partenaires : la collaboration
interterritoriale pose sans cesse la question du « bon acteur » à faire participer au « bon
moment ». Comment choisir avec le plus de pertinence possible les acteurs à impliquer ?
Comment faire en sorte que les négociations se tiennent entre un petit nombre d’acteurs, pour
permettre une véritable avancée dans les discussions, tout en s’adressant à des partenaires
représentatifs du plus grand nombre ? Comment articuler les enjeux locaux et régionaux,
voire interrégionaux, en faisant en sorte que l’ensemble des collectivités territoriales
concernées s’impliquent dans le projet, quel que soit leur rapport avec l’itinéraire ? La
difficulté tient précisément à cette combinaison entre espace local, support de l’itinéraire
cyclotouristique, et échelle interrégionale, qui peut prendre en considération l’ensemble de cet
itinéraire, ses conséquences et ses exigences.
Le partenariat entre une multiplicité de collectivités territoriales – et d’acteurs privés –
est donc à la fois un mode pilotage de projet innovant et performant, permettant une plus
grande efficience49 pour les acteurs et conférant à l’itinéraire une meilleure cohérence, et une
pratique un peu « artisanale » (L. SAVIGNAC), manquant de « rigueur » en quelque sorte. On
pourrait alors dire que si le partenariat interterritorial, dans son fonctionnement, en tant que
modèle en quelque sorte, permet aux acteurs de progresser plus rapidement et plus
efficacement, le travail avec les partenaires, lui, recèle bon nombre de difficultés qui entravent
la progression du projet.
Cette formulation assez paradoxale signifie que le modèle, en tant que tel, est valable :
en théorie, il est évident que les partenaires qui collaborent gagnent du temps, et allègent par
conséquent leurs coûts financiers, en acquérant en outre une meilleure connaissance de
l’ensemble de l’itinéraire, que si la collectivité demeurait isolée sur son propre territoire.
Pourtant, ce sont les particularités, les spécificités de chaque partenaire qui font naître une
certaine complexité dans la coopération. En effet, les collectivités territoriales, pour ainsi dire,
ne sont pas des organismes « neutres » : par leur caractère politique, elles sont animées, au
travers des élus, d’une certaine volonté, de même que les acteurs individuels, employés par
ces collectivités, qui font vivre le projet au jour au jour. Il faut prendre en compte cet aspect
dans notre analyse : l’interterritorialité n’est pas une pratique désincarnée.
C’est pourquoi, si la collaboration entre les territoires est un atout indéniable pour
monter un projet cyclotouristique, et même un élément nécessaire à la création d’un produit
49 Par efficience, nous entendons les processus qui permettent d’optimiser la mobilisation des moyens financiers (mais aussi techniques et humains) pour parvenir à l’objectif initial. Source : Evaluer les politiques publiques, http://www.colloc.bercy.gouv.fr/colo_otherfiles_fina_loca/docs_som/10_evaluer_les_politiques_publiques.pdf
66
cyclotouristique achevé et viable, les relations avec des partenaires spécifiques, confrontés à
des difficultés bien réelles ou « animés » d’une volonté propre, peut constituer en lui-même
une contrainte pour les acteurs.
III Un nouveau modèle de gouvernance touristique locale, inspiré de la conduite de projets cyclotouristiques Nous avons montré combien la collaboration interterritoriale était un outil précieux
pour la conduite de projets cyclotouristiques. Cette forme de gouvernance innovante permet
de faire correspondre le territoire social, construit par les pratiques des touristes, au territoire
politique, cadre de l’action publique. Cette meilleure adéquation est particulièrement
séduisante pour structurer une offre touristique attractive pour les touristes. Il serait donc tout
à fait intéressant pour des collectivités locales d’adopter cet outil pour leur propre stratégie
touristique locale : à quelles conditions ? Quelles en sont les modalités d’application ?
A) Les différences entre Loire à Vélo et Via Rhôna, des éléments éclairants pour évaluer la coopération interterritoriale ?
Nous avons mis en lumière de nombreuses similitudes entre nos deux exemples
d’itinéraires cyclotouristiques. Nés presque au même moment, ils sont structurés de la même
manière, par un réseau de partenaires interterritoriaux, réunis autour du montage d’un même
projet. Pourtant, nous allons montrer qu’il existe des différences considérables, en particulier
dans la réalisation des divers tronçons de chaque territoire. La question se pose alors : peut-on
lier ces différences dans les résultats obtenus par les collectivités à leur manière de coopérer ?
Comparer la réussite de chacun des itinéraires, ne pourrait-il pas permettre d’évaluer le
fonctionnement interterritorial ? Ces divergences pourraient-elles conduire à déterminer les
« bonnes pratiques » en matière de collaboration interterritoriale ?
1) Les réalisations et les accrocs : quelle réussite des itinéraires ? (observations et enquêtes de terrain)
Nous avons étudié jusqu’ici les itinéraires cyclotouristiques sous forme de projets, en
essayant de mettre en lumière leur conception particulière, et le montage spécifique que de
tels projets induisaient pour voir le jour. Toutefois, pour analyser la pertinence de la
67
coopération interterritoriale en matière de cyclotourisme, il nous faut analyser l’efficacité de
ce pilotage de projet. Par efficacité, nous entendons l’adéquation entre les objectifs proposés
et la concrétisation de ce produit cyclotouristique.
Les orientations de nos deux exemples, rappelons-le, étaient assez similaires, ce qui
nous permet maintenant de comparer les résultats obtenus. Le but des aménageurs publics
était de créer un produit cyclotouristique fondé avant tout sur la découverte d’un territoire,
voire d’un « terroir »50, destiné d’abord à des touristes, puis à des usagers de loisirs, en aucun
cas à une pratique sportive (compétition, VTT, etc.), avec une dimension durable affirmée : il
s’agissait de créer un produit contribuant au développement économique local, respectueux de
l’environnement à la fois naturel et « social », le cadre de vie des habitants.
Ces objectifs étaient tout à fait clairs dans le cas de la Loire à Vélo, exprimés par L.
SAVIGNAC et inscrits dans les conventions passées entre les deux régions dans les premières
années du projet, plus diffus mais néanmoins présents dans le concept de la Via Rhôna, dans
les propos d’Y. RONOT ou dans le Plan Rhône51. Les objectifs globaux du Plan Rhône, un
contrat liant l’Etat, les trois régions rhodaniennes et le Comité de Bassin Rhône-Méditerranée,
consistaient ainsi à améliorer le cadre de vie des habitants, assurer un développement
économique de long terme pour les territoires le long du fleuve, à valoriser le patrimoine lié
au Rhône pour créer du lien social entre les habitants, et un sentiment d’attachement à « leur »
fleuve.
Ces objectifs contiennent les critères d’évaluation du produit cyclotouristique porté par
les collectivités territoriales. La volonté de créer un produit cyclotouristique viable, et
performant sur le plan économique, nous conduit à étudier plusieurs facteurs. La co-
production d’un itinéraire cyclotouristique, comme nous l’avons vu, implique une certaine
unité : les partenaires doivent créer ensemble un seul produit, et non réaliser des tronçons à
leur échelle, mais complètement déconnectés entre eux. Nous allons donc nous intéresser à
l’homogénéité de l’itinéraire. Lorsque je voyage à vélo, est-ce que je me trouve toujours sur la
Via Rhôna, ou bien sur un itinéraire local, comme le Vaucluse à Vélo ? L’itinéraire apparait-il
comme un produit, visible, identifiable et homogène au fil du parcours ?
Créer un seul produit cyclotouristique implique qu’il fasse preuve d’une certaine
cohérence. L’itinérance touristique n’a de sens que sur une certaine distance, et l’itinéraire
doit assurer une véritable continuité entre les tronçons des différents maîtres d’ouvrage. Le
50 Nous expliciterons sur cette notion dans notre troisième partie. 51 Cf le chapitre consacré au Plan Rhône dans Le Rhône, un fleuve en devenir, Maison du Fleuve Rhône, Lyon, 2006
68
produit touristique quel qu’il soit, doit en effet répondre aux attentes des touristes, et il est
particulièrement pénible pour un cyclotouristique, qui parcourt en une journée une distance
relativement longue, de se trouver face à un cul-de-sac ou de se retrouver « dans la nature »
(L. SAVIGNAC) parce que le tracé s’est brutalement interrompu à la frontière entre deux
territoires.
Cette remarque nous amène à notre troisième critère. On peut dire qu’un itinéraire est
réussi s’il est considéré comme tel par ses usagers, touristes principalement (puisqu’il s’agit
de la première cible visée lors de la conception du projet) mais aussi promeneurs. Le
jugement des cyclotouristes et des cyclistes nous permettra d’évaluer le succès de nos
itinéraires, et pourra nous amener à les comparer.
Pour étudier, non plus les projets, mais les produits cyclotouristiques, nous avons
mené une série d’observations de terrain et d’enquêtes auprès des usagers rencontrés sur les
itinéraires, en divers points de la Loire à Vélo et de la Via Rhôna. Pour correspondre avec le
plus de précision possible au ressenti des cyclotouristes, ces enquêtes se sont déroulées à vélo,
de façon itinérante, sur plusieurs jours, durant l’été 2010 principalement52. Le but était
d’étudier ces trois critères afin d’estimer la « réussite » de l’itinéraire, sa capacité à répondre
aux objectifs et à séduire les cyclotouristes.
Il apparaît à l’analyse que la qualité des tronçons réalisés est bonne, satisfaisante du
point de vue des usagers53. Pour la Loire à Vélo, les usagers interrogés s’accordent
globalement à reconnaître que les aménagements sont bons, le parcours aisé à pratiquer,
même avec des enfants, facilement repérable… En résumé, la véloroute est assez agréable, les
chemins ou routes empruntés sont bien aménagés, en prenant en compte par exemple le
revêtement des sols, la signalétique, l’état d’entretien des voies, etc. Bien sûr, les usagers nous
ont fait part de quelques remarques négatives, concernant quelques portions de l’itinéraire, qui
constituent des points difficiles à passer, notamment près de Saumur (49) : des carrefours
assez dangereux à traverser à vélo, une voirie parfois dégradée à tel endroit… Globalement,
toutefois, les remarques étaient positives. Nous avons questionné presque autant de
cyclotouristes que de locaux en promenade, qui semblaient apprécier l’itinéraire et
critiquaient seulement quelques détails. Cela signifie pour nous, selon le critère évoqué plus
haut, que l’itinéraire Loire à Vélo peut être considéré comme réussi, selon l’opinion même
des usagers interrogés au cours de nos enquêtes.
52 Les tronçons étudiés sont indiqués dans le détail en annexe. Les séquences d’observation participante ont notamment été réalisées près d’Orléans (45), de Blois (41) et de Saumur (49) pour la Loire à Vélo, et près de Valence (26) et Roussillon (38). Pour le détail de ces observations, cf annexe C. 53 Cf questionnaires, dossier méthodologique.
69
Le point de vue des usagers de la Via Rhôna est, pour le moment, plus réservé. Notons
tout d’abord que nous avons rencontré bien plus d’usagers locaux, qui utilisaient la Via Rhôna
pour leurs déplacements quotidiens ou pour se promener, que de cyclotouristes. Nous les
avons interrogés sur les portions d’itinéraire officielles uniquement. Or, nombre de
cyclotouristes utilisent le guide suisse Le Rhône à Vélo, qui propose un parcours éprouvé,
assez facile et adapté à la pratique cyclotouristique de déplacements sur de longues distances,
et qui s’écarte donc assez souvent du tracé Via Rhôna. Cela explique peut-être la plus faible
proportion de cyclotouristes dans nos séquences d’enquête. Toutefois, cela ne change en rien
ce constat : la Via Rhôna, en elle-même, n’attire pas autant de cyclotouristes,
proportionnellement, que la Loire à Vélo. Globalement, les tronçons que nous avons
parcourus en Rhône-Alpes (Drôme, Isère, Loire, berges de Rhône à Lyon) sont satisfaisants,
offrant au cyclotouriste un parcours sécurisé, fiable et bien encadré. Pourtant, il est indéniable
que les cyclotouristes les utilisent encore assez peu. En vérité, si les cyclotouristes lui
préfèrent un autre itinéraire, c’est que la Via Rhôna pose encore quelques gros problèmes
pour une pratique cyclotouristique.
En effet, toutes les personnes interrogées nous ont fait part de quelques problèmes
importants. Prenons le cas de Valence, très représentatif. Nous avons dit à plusieurs reprises
que la Drôme constitue l’un des départements les plus avancés du projet Via Rhôna. Or
plusieurs tronçons n’ont pas encore été mis en service dans le département, et ces ruptures
dans l’itinéraire sont d’autant plus flagrantes que les tronçons réalisés sont très bien réussis, et
proposent au cyclotouriste un véritable accompagnement. Locaux ou touristes, tous nous ont
indiqué plusieurs points noirs sur les tronçons réalisés. Les cyclotouristes passent donc d’un
environnement très sécurisé et balisé à une absence complète de signalisation et
d’aménagements, qui imposent parfois des détours périlleux sur des routes nationales ! Ces
ruptures dans l’itinéraire sont particulièrement agaçantes pour les cyclotouristes, qui doivent
chercher leur chemin, faire demi-tour, ou « s’aventurer » dans des espaces non aménagés pour
eux54.
Le jugement des cyclotouristes n’est donc pas très positif : trop de ruptures
d’itinéraire, de passages dangereux lorsque l’itinéraire provisoire n’a pas été prévu ou est mal
indiqué… Les aménagements des tronçons réalisés sont considérés comme satisfaisants, de
bonne qualité, notamment dans la Drôme, très en avance, dans l’Isère et dans le sud du
département de la Loire, dans le Vaucluse, et dans l’agglomération lyonnaise, selon les
54 Cf. annexe D, 4) un exemple de rupture d’itinéraire près de Valence.
70
personnes sondées. Cependant le problème majeur demeure les discontinuités, les
interruptions dans le parcours, lorsque les tronçons ne sont pas encore réalisés. Les usagers, et
particulièrement les cyclotouristes, qui ne connaissant pas la région, se sentent perdus, laissés
à eux-mêmes, et critiquent vivement ce qu’ils appellent des « culs-de-sac »55. L’itinéraire Via
Rhôna est donc, actuellement, moins performant que la Loire à Vélo, mais, contrairement à
celle-ci, il est encore loin d’être achevé. Cela peut expliquer en partie les accrocs dans la
réalisation concrète de la véloroute56.
Par ailleurs, nous évoquions plus haut d’autres critères d’évaluation de nos itinéraires.
Nous avons réalisé plusieurs séquences d’observation participante, en parcourant à vélo
certaines parties de l’itinéraire. Nous avons pu élaborer une grille d’analyse, qui permettra de
comparer plusieurs tronçons Via Rhôna et Loire à Vélo. Nous avons choisi des paramètres
assez généraux, qui déterminent l’unité ou la disparité du parcours et peuvent caractériser nos
deux itinéraires à la fois. Nous analyserons ainsi plusieurs éléments, comme la continuité de
l’itinéraire (absence de rupture brutale), l’homogénéité des aménagements (sans être
identiques, sont-ils d’une égale qualité, d’une égale facilité pour les usagers) et l’uniformité
de la signalétique sur l’ensemble du parcours57 ?
Si les aménagements sont globalement de bonne qualité sur chacun de nos itinéraires
(ce constat ne vaut bien sûr que pour les tronçons déjà réalisés), il s’avère que les
discontinuités sont bien plus nombreuses sur la Via Rhôna que sur la Loire à Vélo. Nous
avons parlé des ruptures dans l’itinéraire lui-même, mais il existe aussi de fréquentes
discontinuités de signalétique. Le point fort de la Loire à Vélo réside dans sa signalisation très
régulière et identique tout au long du parcours, qu’il s’agisse de signalétique provisoire ou
définitive. La charte graphique est la même dans tous les tronçons que nous avons parcourus,
à Orléans, à Blois, à Saumur ou bien à Nantes58 (une seule exception, dans un village du côté
de Chambord, peut-être un oubli ?).
Pour la Via Rhôna en revanche, la signalétique n’est pas du tout unifiée : il existe
presque autant de signalétiques que de maîtres d’ouvrage ! A Lyon, on trouve le parcours ‘Les
55 Ainsi, deux cyclotouristes suisses interrogés à Valence ont déclaré s’être perdus à de nombreuses reprises, obligés de faire demi-tour ou d’emprunter des routes dangereuses, car ils n’ont pas réussi à retrouver l’itinéraire après l’interruption ». 56 Remarquons toutefois qu’aucune signalisation provisoire ne fait le lien entre les tronçons réalisés et à venir, contrairement à la Loire à Vélo. Sur l’itinéraire ligérien, les cyclotouristes sont accompagnés par des panneaux de déviation jaune, respectant la Charte graphique Loire à Vélo, pour guider les usagers sur des voies qui seront aménagées plus tard, ou sur des itinéraires provisoires, sortes de déviations qui pallient l’absence d’aménagements. (cf. annexe D, photos prises lors de nos observations de terrain, 1) signalétique Loire à Vélo). 57 Cf. grille d’analyse des tronçons étudiés, annexe E. 58 cf. annexe D, photos prises lors de nos observations de terrain, 1) signalétique Loire à Vélo
71
berges du Rhône’, en Haute-Savoie, ‘Véloroute du Léman à la Mer’, dans l’Isère et dans la
Loire, ‘Voie verte’, dans le Vaucluse, « le Vaucluse à Vélo », et seulement ‘Via Rhôna’ dans
la Drôme, concurremment avec la ‘Drôme à Vélo’! L’itinéraire est donc très mal identifié, et
entre en concurrence avec d’autres itinéraires locaux… Il est très difficile de s’y retrouver
pour le touriste, d’autant qu’il n’existe pas encore de carte ou de guide Via Rhôna, ni de site
Internet dédié à cet itinéraire. Citons un exemple : le passage de la Drôme à l’Isère est assez
révélateur. Dans la Drôme, la communication Via Rhôna est très présente, le parcours est
jalonné par des bornes kilométriques Via Rhôna, des Relais Information Service (RIS ;
panneaux dispensant à la fois des informations touristiques et pratiques, sur la région,
l’histoire locale, etc., respectant la charte graphique officielle Via Rhôna établie par les trois
régions), alors que dans l’Isère, la véloroute est uniquement matérialisée par une ligne verte
au sol, et où les directions ne sont pas indiquées du tout59 !
On observe donc de nettes différences entre nos deux itinéraires. Si les tronçons qui
ont été réalisés sont globalement de bonne qualité, excepté quelques accrocs ponctuels, la Via
Rhôna accuse un certain retard en termes de continuité de l’itinéraire et de cohérence de sa
signalétique. Si la Loire à Vélo peut apparaître aux yeux des touristes comme un produit
touristique unique, grâce à une très bonne visibilité, tant sur le terrain que sur son site Internet,
la Via Rhôna n’atteint pas encore cet objectif, et en reste encore au stade de juxtaposition
d’itinéraires locaux.
2) Les rapports humains comme facteur-clé de la conduite de projet
Nos deux itinéraires, s’ils se ressemblent dans leur conception, diffèrent donc par leur
degré de réalisation. Alors que la Loire à Vélo comptabilise plus de 600 km de parcours déjà
praticables et ouverts au public, la Via Rhôna, même si elle progresse désormais rapidement
en région Rhône-Alpes globalement, et dans certains départements comme le Vaucluse ou le
Gard, accuse un certain retard dans la réalisation des différents tronçons.
Une fois ce constat effectué, nous pouvons nous interroger sur les causes d’un tel
« retard », si on compare la Via Rhôna à la Loire à Vélo, ou, de façon plus neutre, sur les
raisons d’une progression plus lente du montage de projet. Dans les deux cas, les aménageurs
se sont lancés dans un partenariat interterritorial, mais ne l’ont pas exploité de la même façon,
semble-t-il. L’une des caractéristiques majeures de la démarche interterritoriale en effet réside
dans l’importance du « facteur humain ».
59 Cf. annexe D, photos prises lors de nos observations de terrain, 2) signalétiques Via Rhôna
72
Jusqu’ici, nous avons essentiellement envisagé les acteurs impliqués dans le projet
comme les « collectivités », ou « les acteurs privés », les territoires, etc. Nous sommes
conscients qu’il s’agit d’une commodité de langage, utilisée pour clarifier notre propos : les
projets sont avant tout portés par des élus et des équipes, par des individus, ce qui confère au
pilotage de projet un aspect relationnel essentiel.
Ce facteur humain peut se révéler un atout, ou bien un handicap pour un projet de cette
envergure. En effet, comme le soulignait L. SAVIGNAC, les individus qui sont chargés,
concrètement, et au quotidien, du projet cyclotouristique, sont très peu nombreux, donnant
ainsi une dimension presque « artisanale » au pilotage du projet. Cette remarque a été
confirmée par chacun de nos interlocuteurs institutionnels, qui, la plupart du temps, travaillent
seuls, ou à deux, sur le dossier « cyclotourisme ». Tous nous ont fait remarquer que le projet
était très marqué par les divers acteurs qui le portent.
Ce fait est particulièrement visible lors d’un changement d’équipe, d’une mutation. La
connaissance et la reconnaissance qui existent entre des acteurs qui travaillaient ensemble
depuis longtemps doit être reconstruite. Dans le cas de collectivités territoriales, soumises à
des changements de majorité politique, et par conséquent, de personnel, le rythme du projet
pour chaque territoire peut donc être très variable. Même s’il s’agit d’un projet assez
fédérateur (M. FREMONT, CRT Centre, Entretien n°1, mars 2010) qui mobilise fortement
l’ensemble des acteurs impliqués, il est inévitable qu’il soit parfois « remis en cause par les
évolutions humaines, les techniciens qui partent, les élus qui initient le projet et qui valident le
principe de continuer », puis qui sont remplacés par d’autres… (L. SAVIGNAC, Conseil
Régional du Centre, entretien n°2, 6/06/2010). En fait, le projet évolue en fonction des acteurs
qui s’y impliquent, créant souvent des « cycles », où le projet progresse rapidement, puis
ralentit. La dimension un peu « artisanale » et le petit nombre d’individus en charge du projet
qui caractérisent nos deux exemples induit donc un fonctionnement et des relations assez
variables, voire irrégulières.
Les acteurs physiques sont en effet assez peu nombreux : ils se connaissent, et des
formes particulières de personnalisation apparaissent (Gaudin, 2007), fondées sur des
échanges à la fois institutionnels et personnels. Gaudin évoque la « construction de la
confiance » et l’émergence d’une « reconnaissance croisée [qui s’établissent] au fil des
implications réciproques et qui stabilisent les réseaux ». La personnalisation, par conséquent,
permet une certaine structuration du réseau des partenaires, qui « savent à quoi s’attendre ».
« C’est le style : ‘nous sommes de vieilles connaissances’, conséquence d’une interlocution
obligée et d’une routinisation des rapports institués » (Gaudin, 2007). Il s’agit d’une
73
« confiance interpersonnelle » (id.) qui dérive. Ainsi, ce sont avant tout les collectivités qui
sont en contact : de la durée et de la nature de leur relation découle la relation entre les
différents individus porteurs du projet.
Les relations interpersonnelles vont donc influer sur le pilotage du projet
cyclotouristique. Bien sûr, cette caractéristique peut s’appliquer à n’importe quel projet public
monté par une collectivité territoriale. Toutefois, il prend ici une autre dimension. Au sein
d’une collectivité territoriale, il existe nécessairement un d’arbitrage, détenu par un élu, ou un
supérieur hiérarchique, pour prendre les décisions importantes, déterminer les grandes
orientations et pour mettre fin à un conflit entre des membres d’un comité de pilotage par
exemple. Dans le cas d’un projet cyclotouristique, interterritorial, les acteurs n’ont aucune
relation de hiérarchie traditionnelle entre eux.
S’il est vrai que certains sont dotés d’un poids, d’une influence plus importante que les
autres, comme les régions, les collectivités d’échelon supérieur n’ont aucun pouvoir direct sur
celles d’un échelon local. Les différends doivent donc être résolus par la négociation, le
compromis ; dans le cas contraire, comme nous l’avons décrit à plusieurs reprises, le projet se
trouve dans une impasse.
Le facteur humain est donc à la fois positif et négatif. Positif, il va permettre de
stabiliser le réseau des partenaires, de le structurer et d’y intégrer des règles tacites, facilitant
les discussions, et, à terme, la décision. Négatif, il devient un véritable obstacle : si les acteurs
ne s’entendent pas, ou s’ils se méfient les uns des autres, le projet progresse plus lentement.
Des divergences peuvent ainsi apparaître, comme nous l’avons expliqué, quand les acteurs
épuisent les possibilités de dialogue : chacun se ferme et poursuit son propre objectif. Par
exemple, plusieurs chargés de mission (pour la Via Rhôna, et pour la Loire à Vélo) avec
lesquels nous nous sommes entretenu60 nous ont rapporté qu’ils entretenaient de mauvaises
relations avec le chargé de mission d’un territoire d’échelon différent, qui ne serait pas assez
impliqué, pas assez présent pour accompagner ses partenaires. Nos interlocuteurs nous ont
donc expliqué que la politique de leurs collectivités respectives consistait à se passer de l’avis
de ces « grands » ou « petits » partenaires, selon le cas, et à faire les choses à leur propre
façon. Cela peut se traduire par le développement de leurs propres innovations, leur réseau de
professionnels par exemple, sans envisager nécessairement de pouvoir l’étendre un jour à
d’autres territoires. Cela peut aussi s’illustrer par une discontinuité brutale sur l’itinéraire,
lorsque les acteurs ne peuvent s’entendre sur un compromis.
60 Pour des raisons évidentes de confidentialité, nous n’entrons pas dans les détails des propos de ces interlocuteurs. Pour davantage de précisions, se reporter aux entretiens, dans le dossier méthodologique.
74
Les relations entre les chargés de projet à travers les différents territoires sont donc
essentielles, et déterminent largement le bon fonctionnement ou non du partenariat. La
coopération interterritoriale repose avant tout sur une relation de confiance entre les individus
amenés à travailler ensemble. Ces rapports entre les acteurs peuvent donc constituer un
véritable atout, un facteur de dynamisme pour le projet, ou, à l’inverse, une entrave.
Or il apparaît que, dans le cas de la Loire à Vélo, les rapports entre les acteurs
semblent, jusqu’ici, assez cordiaux. L. SAVIGNAC et M. FREMONT, respectivement
chargés de mission au Conseil Régional du Centre et au CRT du Centre, ont confirmé avoir
d’excellentes relations avec leurs homologues de Pays de la Loire, échangeant régulièrement.
L. SAVIGNAC s’exprime ainsi : « Tout est fait ensemble, toujours dans cette logique de
portage commun, encore une fois avec les urgences de l’un, les urgences de l’autre, les
opportunités d’avancée, sans s’oublier. C’est toujours un effort que nous devons faire, ce n’est
pas toujours évident ». Bien sûr, il ne s’agit ici que des responsables du dossier à l’échelle
régionale. A l’échelle départementale ou locale61, il semble qu’il y ait davantage de tensions
entre les uns et les autres, mais que les deux porteurs de projet régionaux soient suffisamment
actifs pour éviter les blocages.
Dans le cas de la Via Rhôna, les rapports semblent moins consensuels, et les relations
entre les acteurs moins suivies, à l’échelle départementale comme à l’échelle régionale.
Plusieurs d’entre eux en effet ont mentionné qu’à leurs yeux, certains territoires ne
s’impliquaient pas suffisamment, et ne permettaient pas de progresser aussi vite qu’ils le
souhaitaient. Dans ce cas, l’absence de dialogue, ou des relations trop lointaines incitent l’un
des acteurs à faire « cavalier seul », sans tenir compte nécessairement du reste des partenaires.
Le facteur humain constitue donc une donnée fondamentale pour analyser le
fonctionnement d’un partenariat interterritorial, puisque c’est lui qui influe sur les rapports
entre collectivités, qui ne peuvent être des rapports formellement hiérarchiques. La
personnalisation et l’interconnaissance ne déterminent pas la réussite ou l’échec d’une
collaboration interterritoriale, mais on peut dire qu’elles la facilitent ou, au contraire, qu’elles
l’entravent, et qu’elles se révèlent donc décisives pour la cohérence, l’avancement et la
temporalité du projet.
61 Même remarque que précédemment.
75
3) Une différence fondamentale : l’enjeu du chef de file
Différences dans l’aboutissement des itinéraires, dans la construction du réseau des
partenaires et dans la conduite des rapports interpersonnels. La Loire à Vélo et la Via Rhôna,
au-delà de la proximité de leur concept et des similitudes de leur approche, se révèlent, à
l’analyse, très différentes. Il existe néanmoins une autre différence que nous n’avons pas
encore examinée, mais qui semble tout à fait essentielle, et qui pourrait apparaître comme un
facteur explicatif des résultats produits par chacun des projets : il s’agit de la nature du « chef
de file » (ou des chefs de file, dans le cas où plusieurs collectivités assument ce rôle).
Le chef de file est le moteur du projet, celui qui impulse et coordonne les actions des
différents partenaires. Vanier (2008) le décrit comme un « super maître d’ouvrage », comme
celui qui fédère les véritables maîtres d’ouvrage, ceux qui réalisent les travaux sur le terrain,
ou encore qui effectuent des études sur tel ou tel aspect du projet. C’est celui qui conçoit, le
premier, l’idée du projet comme réponse à un problème posé par le territoire (dans notre cas,
les pratiques cyclotouristiques « sauvages » qui ont précédé la création d’un itinéraire), puis
qui réunit les conditions de la mise en œuvre du projet. C’est encore lui qui « assure la
pérennité de l’action et son fonctionnement [en instituant un dispositif technique pérenne] ».
En bref, il assume des fonctions de « médiation, concertation et négociations » avec
l’ensemble du système d’acteurs.
Document 3 : Les gradients interterritoriaux. Source : Vanier, Le Pouvoir des Territoires, ‘Partager les souverainetés territoriales’, p 105. (2008) Le concept du chef de file est plu nuancé qu’il n’y paraît. Il ne s’agit pas d’une autorité unique, mais plutôt du partage des responsabilité d’animation du réseau des partenaires entre les collectivités les plus compétentes. Dans le cas de la Loire à Vélo, ce sont les régions qui assument ce rôle. Dans le cas de la Via Rhôna, la région Rhône-Alpes commence à prendre en charge cette fonction, mais la dimension interterritoriale du projet est actuellement encore assez réduite, ce qui explique la difficulté à faire de l’itinéraire un produit cohérent et unifié.
Le premier réflexe sera toujours de proposer l’intégration du système de décision et d’action sous une autorité unique en charge de la coordination de l’ensemble. (…) S’ouvre alors le débat politique récurrent : quel acteur territorial pertinent, justifié par quelle compétence ? [Une des solutions actuelles se trouve] dans le principe du chef de file. S’il revient à imposer de fait aux autres partenaires un maître d’ouvrage dominant par son poids politique, ses capacités techniques et sa contribution financière, on n’aura pas progressé. S’il revient à confier la fonction d’animation, de coordination et de négociation de la maîtrise d’ouvrage partagée, c’est déjà tout autre chose. Mais mieux encore, si ce rôle est assumé par chacun des partenaires dans la fonction, la mission, la thématique ou la partie du projet où il est le mieux à même de coordonner et entraîner les autres, alors on peut parler de maîtrise d’ouvrage interterritoriale. Certes, plusieurs chefs de file font un schéma apparemment contraire à l’idée de chef de file. Pourtant, il n’y a plus de file unique, mais plusieurs filières pour construire l’efficacité collective, et par conséquent plus d’un rôle principal à distribuer dans ce monde des acteurs multiples.
76
On peut dire que le chef de file représente l’animateur du projet. Il le fait vivre,
encourage les partenaires à se réunir et à négocier, avec lui d’une part, et entre eux d’autre
part. Il constitue en quelque sorte, le cœur d’un réseau en étoile, permettant de faire le lien, au
sens propre, entre tous les acteurs impliqués. On remarque que les chefs de file, dans la Loire
à Vélo, sont avant tout les deux conseils régionaux du Centre et des Pays de la Loire.
Dans le cas de la Via Rhôna, ce rôle est plus flou actuellement. Jusqu’à une période
récente, les conseils régionaux de Rhône-Alpes, PACA et Languedoc-Roussillon, bien
qu’initiateurs du projet, conservaient une place assez effacée, laissant les départements
négocier entre eux, en lien avec la structure territoriale Territoire Rhône, syndicat mixte
composé d’experts issus des différents départements. Or, depuis 2004, la région Rhône-Alpes
a exprimé la volonté de s’impliquer plus fortement dans ce projet, et a repris cette fonction de
chef de file, à l’échelle de son territoire (cf. entretien n°3, Y RONOT, Conseil régional
Rhône-Alpes, 5/10/2010). Cet engagement plus profond se traduit par la signature de
nombreuses conventions avec les maîtres d’ouvrage, l’organisation de réunions de
concertation, d’information… Le Conseil régional Rhône-alpin affirme donc son ambition de
devenir le chef de file du projet, même si certains lui reprochent de ne pas être suffisamment
présent. Actuellement, les résultats semblent concluants, comme le montre la progression
considérable de la Drôme, qui bénéficie de cet accompagnement. On peut toutefois
s’interroger sur ce rôle d’animation, alors même que les autres Conseils régionaux concernés
par la Via Rhôna ne semblent presque pas s’impliquer.
Dans notre hypothèse de départ, nous avancions qu’une collaboration interterritoriale
ne pouvait fonctionner de manière performante qu’en construisant une véritable synergie entre
les acteurs. Selon nous, cette tâche revient en grande partie au chef de file du projet. A la
manière d’un chef d’orchestre, il coordonne et articule les diverses initiatives des partenaires,
« arbitre » ou module les négociations, et anime le projet au fil du temps, à travers les
différentes phases. C’est lui qui fait le lien entre les acteurs.
La différence qui existe entre nos deux itinéraires à ce propos, est, à nos yeux, tout à
fait éclairante, et explique en grande partie le retard de la Via Rhôna par rapport à la Loire à
Vélo. Très longtemps la Via Rhôna n’a pas été portée par un acteur assumant le rôle du chef
de file du projet. C’est l’analyse faite par L. SAVIGNAC (Conseil régional du Centre,
entretien n°2, 6/06/2010), qui compare les deux démarches : « [pour la Via Rhôna], le choix
initial n’a pas permis d’arriver aussi vite. Notre logique (…) est la même depuis 15 ans. Sur la
Via Rhôna, on a fait des choix différents. Il y a près d’une douzaine de départements, 3
77
régions, Comment voulez-vous mettre en chaîne douze départements, avec autant de
personnalités, autant d’enjeux ! Lyon, Avignon… »
Nous l’avons dit, le système d’acteurs de la Via Rhôna est plus complexe que celui de
la Loire à Vélo, en faisant intervenir davantage d’acteurs. Mais l’obstacle majeur réside dans
le fait que, pour le moment, seule la région Rhône-Alpes s’implique véritablement pour
coordonner les actions de ses partenaires et essayer de fédérer les initiatives, les deux autres
régions n’ayant pas fait de l’itinéraire cyclotouristique leur priorité.
Or il apparaît, d’après nos observations, que l’échelon régional est le plus propre à
« organiser autour d’une maîtrise d’ouvrage commune, l’implication de tous les partenaires
dans chacun des moments du projet et de la mise en œuvre de la politique qui en est le cadre »
(Vanier, 2008). Ainsi il semble plus pertinent d’englober et d’essayer de gérer les
phénomènes cyclotouristiques transterritoriaux dans des périmètres aussi vastes que possible.
La région dispose des capacités techniques, financières, d’un poids et d’un réseau
suffisamment importants pour être un bon animateur, capable de promouvoir et de défendre le
projet mené en coopération. Peut-être faut-il voir là une des raisons de l’avancement rapide de
la Loire à Vélo, projet entraîné par deux régions en même temps, qui sont capables d’encadrer
les maîtres d’œuvre départementaux. A l’inverse, il semble que la passivité première des
régions de la Via Rhôna explique les débuts un peu chaotiques du projet. En effet, on
comprend la difficulté que peuvent connaître douze départements et des dizaines de
communautés de communes pour s’organiser, sans autorité régulatrice forte. Cette hypothèse
tend à être confirmée par l’entretien que nous avons eu avec M. Yves RONOT, chargé de
mission Via Rhôna au Conseil Régional de Rhône-Alpes : ce dernier, depuis quelques années,
s’implique davantage auprès des départements, en essayant de jouer un véritable rôle
d’animateur du projet, et on peut constater dès lors les premières avancées du projet (comme
le prouve le partenariat très efficace avec la Drôme).
Le rôle de chef de file, ou de chefs de file, représente donc une fonction essentielle
dans la coopération interterritoriale. C’est elle qui va déterminer le (bon) déroulement de cette
coopération, en permettant aux différents partenaires de s’impliquer chacun dans le domaine
de compétences où il sera le plus efficace, tout en maintenant la cohésion entre les acteurs et
la cohérence des réalisations à travers les différents territoires. Il s’agit selon nous du facteur
expliquant les différences de progression entre Loire à Vélo et Via Rhôna. On peut ainsi en
conclure que la maîtrise d’ouvrage collective ne peut se passer de la fonction de chef de file,
assumée par une ou plusieurs collectivités. Elle constitue un véritable impératif pour
78
permettre le développement d’un projet cyclotouristique durable, à la fois localement et à
l’échelle interrégionale.
B) Produit cyclotouristique durable et durabilité du mode de pilotage interterritorial Un projet touristique local doit respecter deux impératifs : être viable sur le plan
économique, et être pérenne, c’est-à-dire qu’il a vocation à durer, à structurer le territoire, afin
que celui-ci bénéficie de retombées positives, économiques ou sociales. Cela signifie aussi
que ce projet doit respecter son environnement, en s’efforçant de ne pas altérer la ressource
sur laquelle il repose. Il s’agit ici d’une des définitions du tourisme durable, précisée par
Zuindeau (2000) : « un mode de développement économique est durable si, au regard d’un
certain nombre de paramètres économiques, écologiques et sociaux, il peut être maintenu dans
le temps, et aussi dans l’espace. (…) Un tourisme est durable s’il est à même de se maintenir
dans le temps ou est généralisable dans l’espace62 ».
L’objectif de notre propos est de démontrer en quoi l’interterritorialité peut constituer
un élément tout à fait pertinent de la stratégie touristique d’une collectivité locale, en
s’appuyant sur l’exemple du cyclotourisme. Nous allons donc examiner en quoi le produit
cyclotouristique participe du développement durable d’un territoire. Nous verrons que si
l’aménagement, l’itinéraire en tant que tel, possèdent des caractéristiques durables, la
durabilité de ces projets est essentiellement liée au processus interterritorial mis en œuvre
pour le piloter.
1) Un produit touristique « vert »
La dimension environnementale est très importante dans le produit cyclotouristique.
Nous allons revenir brièvement sur cet aspect des projets cyclotouristiques. L’itinéraire
cyclotouristique en effet a pour objectif de préserver son environnement, et d’inciter, par la
découverte des espaces naturels fragiles, à la préservation des milieux traversés. Dans le cadre
d’un développement touristique local durable, cet aspect est fondamental, car il assure la
62 Développement et Territoire, éd. Bernard Zuindeau, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2000.
79
préservation de la ressource majeure du produit cyclotouristique, l’environnement du
parcours, les paysages, etc. qui donnent à l’itinéraire sa beauté et son caractère « naturel ».
Le cyclotourisme peut ainsi être considéré comme un tourisme « vert », car il
implique des activités et des pratiques globalement respectueuses de l’environnement. Le vélo
correspond à un moyen de transport « doux », c’est-à-dire non motorisé. Le moyen de
transport utilisé par les cyclotouristes au cours de leurs vacances n’est pas un véhicule
polluant ni rejetant des gaz à effets de serre. Par ailleurs, selon une étude danoise, les
cyclotouristes utilisent également des moyens de transport dits écologiques pour se rendre sur
au point de départ de leur voyage à vélo ; ils préfèrent souvent l’autocar et le train, plutôt que
l’automobile ou l’avion63. En outre, cette étude révèle une plus grande préoccupation
environnementale chez les cyclotouristes que chez les touristes classiques, visible dans leurs
modes de consommation et leurs pratiques quotidiennes au cours de leurs séjours.
Toutefois, si le cyclotourisme est assurément un tourisme plus respectueux de
l’environnement, on ne peut affirmer qu’il représente une pratique parfaitement écologique64.
En effet, se pose toujours le problème de « l’acheminement » des touristes vers le point de
départ de leur voyage à vélo : si la voiture n’est pas le moyen de transport le plus répandu,
elle demeure tout de même un véhicule privilégié pour se rendre sur son lieu de vacances. Par
ailleurs, les aménagements nouveaux, en site propre, même s’ils visent à respecter le milieu
naturel, notamment par le recours à des matériaux ayant un impact réduit sur l’environnement,
et en évitant le bitumage, ne peuvent prétendre n’avoir aucun impact négatif sur le milieu et
les écosystèmes environnants.
Le cyclotourisme, comme l’ensemble des pratiques écotouristiques, tend donc vers un
tourisme durable sur le plan écologique, sans pouvoir être considéré comme un tourisme
parfaitement vert.
2) Un produit touristique viable économiquement
Un constat presque similaire s’impose lorsque l’on s’intéresse au volet économique du
développement durable. L’objectif de nos deux projets cyclotouristiques, et d’un itinéraire
cyclotouristique en général, est de participer au développement économique local, en termes
de bénéfices financiers, d’emplois… Les retombées du produit cyclotouristique doivent
63 Cycling tourism, P. S. Simonsen, B. Jorgensen, D. Robbins, Bornholm, 1998 (article électronique). Source : http://www.crt.dk/media/Cycling_tourism.pdf 64 idem
80
permettre d’apporter une plus-value pour la collectivité parcourue par ou à proximité de
l’itinéraire. Les cyclotouristes sont en effet des « consommateurs » spécifiques, auxquels
l’offre touristique locale doit s’adapter, en vue de capter cette nouvelle clientèle. Ainsi, avant
les premiers travaux sur la Loire à Vélo, des tour-opérateurs étrangers, d’Europe du Nord et
d’Allemagne essentiellement, proposaient comme destination le ‘Val de Loire à vélo’, de
Tours à Angers ou Saumur, ou encore d’Orléans à Tours65. Ces TO prévoyaient des parcours,
réservaient le séjour des touristes dans certains hôtels, et assuraient le transport en autocar
d’un point d’excursion à un autre, proposant également le pique-nique du déjeuner,
transportés dans les soutes du car. Dans ce cas de figure, on voit que les retombées pour
l’économies locales sont très faibles, se limitant aux nuitées dans les hôtels.
Aujourd’hui, les mentalités ont évolué, et des professionnels locaux sont sensibles à
cette nouvelle clientèle. Sur le parcours de la Loire à Vélo, le CRT Centre et la SEM Pays de
la Loire ont créé un réseau Accueil Vélo spécialisé Loire à Vélo, avec la possibilité pour le
professionnel d’acheter la marque Loire à Vélo s’il respecte les engagements du référentiel
officiel66. Pour la Via Rhôna, un tel réseau est encore à l’état embryonnaire67. Pourtant,
plusieurs professionnels que nous avons rencontrés au cours de nos observations de terrain
(loueurs de vélo, restaurateurs, hôteliers) s’intéressent de plus en plus à cette thématique
cyclotouristique, et s’engagent à proposer des services spécifiques pour ces touristes. Les
loueurs assurent ainsi gratuitement de menues réparations, les restaurants et hôtels mettent à
la disposition de leurs clients des pompes à vélo, ou des espaces sécurisés pour y déposer leur
vélo.
Le cyclotourisme constitue en effet un produit plutôt rentable à l’échelle locale,
générant des recettes localisées et permettant la création de nouveaux emplois. Les retombées
économiques de la Loire à Vélo ont ainsi été estimées à 15,3 millions d’euros pour les deux
régions en 2010, dont près de 3 millions pour le seul département du Loiret68. Les emplois
directs créés par l’itinéraire seraient au nombre de 100 pour la région Centre. Le projet est
donc globalement rentable, même s’il est difficile d’estimer le rapport exact entre les
retombées économiques et l’investissement initial (près de 32 millions d’euros pour le Centre,
financés à 60% par le Conseil régional). Le constat est plus flou dans le cas de la Via Rhôna.
Cela s’explique sans doute par la différence de communication et de marketing entre les deux
produits. La communication institutionnelle est beaucoup moins importante, étant donné que
65 Cf entretien n°2 avec L. SAVIGNAC (Conseil Régional du Centre, 6/06/2010) 66 Cf en tretien n °1 avec M. FREMONT (CRT Centre, mars 2010) 67 Cf entretien n°4, avec S. LOPES (Agence de la Drôme touristique, 5/10/2010) 68 Source : Loire à Vélo, le fer de lance du tourisme régional, La tribune d’Orléans, 7 avril 2011. Annexe E.
81
l’itinéraire n’est pas suffisamment abouti pour être commercialisé à grande échelle.
Communiquer sur le produit comme s’il était terminé ne pourrait manquer de provoquer une
déception considérable chez les cyclotouristes une fois lancés sur cet itinéraire, et donner une
image négative de la Via Rhôna. Le Conseil régional de Rhône-Alpes prévoit néanmoins un
bénéfice annuel de 17 millions pour la région, et autant pour la Compagnie nationale du
Rhône, mais l’on peut attendre à terme, au vu de la ressemblance entre notre nos deux projets
une fois achevés, des retombées économiques assez conséquentes.
Toutefois, si l’itinéraire cyclotouristique favorise le développement économique local
durable, il ne faut pas oublier que les cyclotouristes, à la différence d’autres formes de
tourisme tels que le tourisme d’affaires ou le tourisme « city-break », dépensent finalement
assez peu au cours de leur séjour, privilégiant les pique-nique aux déjeuners au restaurant, et
les campings et auberges de jeunesse, plus rarement les chambres d’hôtes, aux hôtels. Le
cyclotourisme n’exploite donc pas complètement le potentiel touristique local. Par ailleurs,
comme le cyclotouriste, par définition, se déplace d’un territoire à un autre, sa consommation
dans un territoire donné est réduite d’autant.
3) L’implication des acteurs (et ses limites)
Une autre composante commune à la démarche interterritoriale et à une démarche de
développement durable est l’ouverture très large à une multiplicité d’acteurs. Le partenariat
interterritorial consiste en effet à « organiser, autour d’une maîtrise d’ouvrage commune,
l’implication de tous les partenaires dans chacun des moments du projet et de la mise en
œuvre de la politique qui en est le cadre » (Vanier, 2008). Nous avons montré que
l’interterritorialité, dans un projet cyclotouristique, reposait sur une véritable « politique des
échelles », où chaque acteur apporte une contribution spécifique, en accord avec son domaine
de compétences (comme la réalisation des travaux de voirie, par exemple, par les Conseils
généraux, grâce à leur expérience dans l’aménagement et l’équipement), ou avec une
expertise développée spécialement pour le projet (tels que les Conseils régionaux Centre et
Pays de la Loire qui ont acquis de nouveaux savoir-faire pour les mutualiser ensuite).
Nous avons vu que le réseau d’acteurs intervenant dans nos deux projets
cyclotouristiques est particulièrement complexe et qu’il implique de très nombreux
partenaires publics, appartenant à des échelons territoriaux divers, de la commune à la région,
privés, comme la CNR, ou parapublics (comme les organismes ‘Mission Val de Loire’, qui
gère la marque Loire à Vélo, ‘Territoire Rhône’, qui réunit des experts des départements
82
rhodaniens pour proposer des solutions innovantes, ou encore les Voies navigables de France
et l’Office National des Forêts, partenaires des deux itinéraires). « La participation est
considérée comme la quatrième dimension du développement durable, en rapport au triptyque
social, économique et environnemental. Jugée incontournable pour assurer la pérennité et
l’efficacité des projets, la participation est articulée avec les notions de gouvernance et de
démocratie participative69. »
La participation des acteurs constitue en effet un gage de développement durable du
projet, puisqu’elle permet d’aboutir à un consensus négocié, qui sera le socle de ce projet, et
que les acteurs, concertés dès l’origine du projet, ne remettront pas en cause par la suite. Une
ouverture à tous les types d’acteurs concernés, de près ou de loin, par un projet de cette
envergure, suppose une véritable concertation, et non une simple consultation. Il s’agit de
débattre, de négocier, et non de présenter un concept déjà achevé et définitif.
Cette implication permet une certaine « appropriation » (Pierre, 2006) du projet par les
acteurs, et donc une motivation plus forte, un engagement plus poussé dans les décisions
collectives et la réalisation du projet. Par ailleurs, l’implication de partenaires de différents
échelons territoriaux permet d’apporter un éclairage assez complet sur le projet, un partage
des informations spécifiques possédées par chaque acteur. Les partenaires locaux permettent
d’avoir une réflexion très fine et précise sur le tracé de l’itinéraire, et de mettre en lumière les
contraintes locales auxquelles le projet est confronté, tandis que les « grands » acteurs
disposent d’une vision plus vaste, plus globale, des enjeux liés à l’itinéraire cyclotouristique
en tant que produit touristique achevé.
Pourtant, dans les deux exemples étudiés, cette implication de tous les partenaires
potentiels est loin d’être acquise. Comme nous l’avons déjà montré, les rapports entre acteurs
institutionnels sont avant tout déterminés par le poids politique des partenaires, les relations
privilégiées entre certains, l’exclusion tacite d’autres, avec qui on n’entretient pas de très
bonnes relations... « La participation est souvent limitée à un nombre restreint d’institutions -
intervenant à différentes échelles - et à un cercle relativement réduit de "parties prenantes"
(« stakeholders ») qui ont ainsi l’opportunité de négocier des contrats ou des engagements
69 Xavier Pierre, Mobilisation et implication des acteurs dans une démarche de développement durable
territoriale participative. Colloque organisé en partenariat entre l’ISEOR et l’Academy of Management (Etats-Unis), Division Organization Development and Change, avril 2006.
83
flexibles - dans un processus de marchandage et d'adaptation mutuelle70 ». Cette dimension
participative du développement durable est donc intégrée en partie seulement dans la
coopération interterritoriale, parce qu’elle est soumise à des exigences pragmatiques
(notamment la nécessité de progresser rapidement sans s’enliser dans des discussions sans fin
avec de trop nombreux partenaires) et régie par des rapports de forces plus traditionnels entre
acteurs, qui privilégient les réseaux déjà établis avec leurs partenaires habituels. Cette entorse
au principe participatif peut donc se justifier par un certain pragmatisme, et par la volonté de
choisir le partenaire le plus pertinent pour réaliser une étape du projet, quitte à en laisser
d’autres de côté.
On peut cependant faire une deuxième remarque au sujet de la dimension participative
propre aux projets touristiques durables, qui n’apparaît pas dans le cas de nos itinéraires. Il
s’agit de la participation de la société civile, associations locales, particuliers… La démocratie
participative semble se limiter aux institutions, aux organismes privés et publics, et ne pas
concerner la population locale. Aucun débat avec la société locale n’a été mentionné, par
aucun de nos interlocuteurs, ni dans le cas de la Via Rhôna ni dans celui de la Loire à Vélo.
Lorsque des réunions publiques sont organisées, elles visent l’information des riverains, et ne
permettent pas de concertation réelle. Il s’agit davantage de présenter ou de promouvoir
l’itinéraire, les bénéfices potentiels que le territoire ou les particuliers pourront en retirer, que
de lancer le débat, par exemple, sur le tracé de tel ou tel tronçon de véloroute, ou les
équipements à mettre en œuvre.
L’absence de concertation avec la société locale, par l’intermédiaire d’associations ou
en s’adressant directement aux habitants, représente une limite à la vocation de projet
touristique durable de ces itinéraires, la participation indispensable au projet interterritorial
demeurant purement institutionnelle. Toutefois, il n’en demeure pas moins vrai que ce projet
de territoire fait intervenir, dans les étapes de sa conception et de sa réalisation, de multiples
acteurs territoriaux, qui ne sont pas seulement concertés, mais s’investissent véritablement
dans sa progression.
4) Le territoire au cœur du projet cyclotouristique
70
Jacques Theys, La Gouvernance, entre innovation et impuissance, Le cas de l’environnement, in Développement durable et territoire, économie, géographie, droit, politique, sociologie, novembre 2003 ; http://developpementdurable.revues.org/
84
Nous avons évoqué trois dimension du développement durable, que l’on retrouve
toutes dans le projet cyclotouristique. Le dernier aspect, la participation, concerne davantage
la conduite de projet en elle-même, tandis que les deux premiers sont plutôt liés au produit
cyclotouristique. Toutefois, c’est avant tout parce qu’il est un projet de territoire que
l’itinéraire cyclotouristique peut être considéré comme véritablement durable.
En effet, par son échelle à la fois globale, interrégionale, et locale, l’itinéraire
cyclotouristique apparaît comme un produit touristique innovant, qui structure le territoire, le
dynamise et lui permet d’évoluer en même temps que les pratiques sociales dont il est le
support. Le territoire est, fondamentalement, au cœur du projet.
Remarquons tout d’abord qu’il s’agit d’un produit à destination des touristes bien sûr,
mais aussi des habitants, des riverains. Au cours de nos observations, nous avons pu constater
que les pratiques des riverains sur les véloroutes sont très diverses : promenade à vélo,
promenade à pied ou à roller, jogging, pratique sportive du vélo, ou tout simplement trajet
« quotidien »…. La véloroute vient modifier les pratiques des habitants, qui l’utilisent parfois
comme piste cyclable, et axe de circulation, pour de petites ou de plus longues distances, de
façon ponctuelle ou régulière.
Figure 6: Les riverains pratiquent aussi les itinéraires cyclotouristiques. Source : Photos personnelles, Orléans, octobre 2010 (à gauche) et St Rambert d’Albon (nord de la Drôme), août 2010, (à droite). On voit ici une habitante faisant une promenade en vélo, et des joggeurs promenant leur chien.
L’itinéraire cyclotouristique vient donc structurer le territoire des habitants, en leur
offrant un certain confort. Songeons notamment à l’exemple du tronçon entre Saint-Vallier
(26) et Sablons (38), très fréquenté par une population locale, ravie de ce nouvel
aménagement, qui répond à ses attentes et à ses besoins. Ainsi, dans le Plan Rhône, qui
intègre le projet Via Rhôna, on trouve l’objectif de « valoriser le patrimoine lié au fleuve pour
85
permettre une réappropriation culturelle et sociale par ses habitants71 ». Le territoire et ses
habitants représentent donc une composante importante de l’itinéraire cyclotouristique. En
aucun cas les riverains ne sont « exclus » de ce nouvel aménagement, puisque la véloroute est
aussi conçue à leur intention. Ainsi, L. SAVIGNAC (Conseil Régional du Centre, entretien
n°2, 6/06/2010) nous faisait part des préoccupations des maîtres d’ouvrage concernant le
revêtement des voies, qui devait permettre la pratique du roller, l’équitation… On voit bien
que ces deux activités concernent les riverains, et non les cyclotouristes72 !
Pourtant, s’il peut arriver que les riverains utilisent les itinéraires cyclotouristiques
comme des « pistes cyclables » pour leurs trajets quotidiens, ce n’est pas leur objectif premier.
Bien sûr, la principale fonction d’un itinéraire cyclotouristique consiste à offrir un moyen de
traverser des territoires – pris au sens administratif –, assurant la liaison entre eux et
permettant au voyageur de se déplacer. Pourtant, les deux exemples que nous étudions n’ont
pas vocation à devenir des axes de « circulation », qui donneraient seulement la possibilité de
relier un point A, dans un territoire, à un point B, dans un territoire voisin, bien au contraire.
L’itinéraire est avant tout une porte d’entrée pour le territoire sur lequel il prend appui.
Le territoire n’est pas seulement un support, il est le cœur du produit cyclotouristique. Il ne
faut pas concevoir l’itinéraire cyclotouristique comme une ligne droite, un tracé optimisé pour
des déplacements rapides entre plusieurs sites touristiques. Plutôt qu’une simple ligne, il faut
y voir un parcours qui permet, et même qui encourage, des arrêts, des bifurcations, des
boucles à partir de l’itinéraire « principal », pour partir à la découverte du territoire. Nous en
avons un exemple avec les itinéraires secondaires de la Loire à Vélo, sortes de variantes
signalées dans le guide La Loire à vélo de Nevers à l'Atlantique (2010), édité par les régions
Centre et Pays de la Loire73.
On peut ici utiliser la notion de « terroir », plus précise que celle de territoire, marqué
par son caractère administratif. L’objectif de l’itinéraire cyclotouristique est en effet de
convier le cyclotouriste à une découverte du terroir. Ce dernier recouvre des aspects plus
sociaux et culturels que le terme ‘territoire’, puisqu’il suppose un « ensemble de traits
culturels distinctifs, de savoirs et de pratiques, fondés sur un système d’interactions entre le
milieu naturel et les facteurs humains [propres à une communauté humaine donnée]. Les
savoir-faire mis en jeu révèlent une originalité, confèrent une typicité et permettent une
71 Cf le chapitre consacré au Plan Rhône dans Le Rhône, un fleuve en devenir, Maison du Fleuve Rhône, Lyon, 2006 72 Nous considérons que les touristes séjournant dans la région et se promenant sur l’itinéraire cyclotouristique ont des pratiques similaires à celles des riverains. Ils utilisent l’itinéraire en tant que support de promenades ou de déplacements sur de courtes distances, en tant qu’excursionnistes, et non comme des cyclotouristes. 73 Cf. figure 3, p 30
86
reconnaissance pour les produits ou services originaires de cet espace et donc pour les
hommes qui y vivent74.»
Le terroir implique donc une dimension plus culturelle et patrimoniale que le territoire,
en insistant sur les pratiques sociales en adéquation avec l’espace local, sur l’histoire et les
ressources naturelles. Recourir à la notion de terroir signifie pour nous que le cyclotourisme
implique un rapport plus profond au territoire, plus poussé. Il s’agit d’une découverte à plus
petite échelle, à laquelle le vélo s’adapte tout à fait. En effet, le vélo offre à la fois une
certaine autonomie au cyclotouriste, libre de se déplacer où bon lui semble, et une grande
souplesse, avec la possibilité de revenir en arrière, de s’attarder, ou d’aller explorer les
environs. C’est un mode de déplacement « doux ». Plus lent, il permet d’apprécier le paysage
sous un autre angle, de le découvrir petit à petit et de le saisir dans sa globalité, au travers de
sensations simultanées : toucher, vue, ouïe, odorat…
L. SAVIGNAC (Conseil régional du Centre, entretien n°2, 6/06/2010) évoquait, lors
de notre rencontre, la pertinence de visiter un territoire à vélo, et plus particulièrement le Val
de Loire et ses châteaux. « [Loire et châteaux de la Loire, et puis vélo] : les deux combinés, ça
donne un mode de pratique [intéressant] associé à un territoire mondialement connu. On
redécouvre ce territoire connu pour ces châteaux. Aujourd’hui, en général, on les visite en
voiture ou en bus. Faire les Châteaux de la Loire à Vélo permet de comprendre pourquoi les
châteaux sont construits là. Le vélo c’est un moyen de ré-enraciner un peu le patrimoine, et de
redécouvrir le Val de Loire, ses richesses naturelles, ses bords de Loire. »
Le cyclotourisme permet une nouvelle approche du territoire car il induit une nouvelle
temporalité, adaptée à l’échelle locale. Dans le cas des châteaux de la Loire, il offre la
possibilité de se replacer, dans une certaine mesure, dans une perspective passée, celle de
l’époque des châteaux. Le cyclotourisme se fonde donc sur le territoire, au sens du terroir,
puisqu’il se concentre sur une découverte plus appropriée des paysages locaux, des sites, des
savoir-faire, du patrimoine, du mode de vie des habitants, en les mettant à la portée du
cyclotouriste.
Le projet cyclotouristique intègre donc de nombreux aspects d’un projet touristique
durable respect de l’environnement, objectif de développement local en générant des
retombées économiques pour l’ensemble des territoires qu’ils traversent, plus particulièrement
pour l’échelon local, processus de décision participatif, même s’il demeure encore trop
74 Définition proposée par un groupe de travail INRA INAO et validée lors des Rencontres internationales de l'UNESCO, voir Planète terroirs, UNESCO – 10 novembre 2005.
87
institutionnel… Néanmoins, c’est avant tout parce que c’est le territoire qui est au cœur de ce
projet que l’on peut parler de développement durable : il se fonde sur la singularité, sur le
respect et la cohabitation avec les habitants, et replace le « terroir » au centre de l’offre
touristique, en permettant une approche plus profonde et plus individualisée. Cette
combinaison du local et du global est rendu possible par la coopération interterritoriale entre
les acteurs publics et privés.
Nous avons évoqué les avantages dont les collectivités pouvaient bénéficier en
s’engageant dans une démarche interterritoriale pour réaliser un itinéraire cyclotouristique,
trait d’union entre les territoires, et les conséquences, à l’échelle locale, et interrégionale, sur
ce projet. Il est temps à présent de montrer pourquoi ce mode de gouvernance est une piste
tout à fait =valable pour la construction de stratégies touristiques durables locales. Comment
l’appliquer à d’autres types de projets touristiques, qui ne relèvent pas de l’itinérance ? La
collaboration interterritoriale a tout à fait vocation à être élargie au-delà du cadre de
l’itinérance touristique, pour servir une stratégie touristique locale.
C) La conduite de projet interterritoriale, un nouveau pilier des stratégies touristiques locales
Nous avons montré en quoi l’itinéraire cyclotouristique intègre des principes du
développement durable. Toutefois, cet aménagement ne peut être considéré seulement pour
lui-même. En effet, l’itinéraire cyclotouristique fait partie d’un programme plus large, d’une
véritable stratégie de développement durable, orientée vers le tourisme et les loisirs.
Comprendre une telle stratégie nous permettra de montrer que l’interterritorialité concerne
aussi des projets touristiques autres que le vélo. Après avoir analysé l’exemple des projets
« Trame verte », portés par les villes de Lyon et d’Orléans, nous définirons les spécificités de
l’itinérance par rapport à un tourisme plus « classique », afin de proposer, pour conclure, une
nouvelle approche de l’interterritorialité dans le tourisme à l’échelle locale.
1) Le vélo au cœur d’une nouvelle stratégie touristique durable
Nos deux itinéraires touristiques ne peuvent être analysés que si on les replace dans
leur contexte local. Pour une commune, ou une agglomération, l’itinéraire cyclotouristique
n’est pas envisagé de façon autonome. Il est intégré, dans la grande majorité des cas, dans un
88
projet politique local plus vaste : la mise en valeur d’un fleuve associé au développement
durable, en milieu urbain ou rural.
Nous choisirons comme exemple les villes fluviales, qui illustrent particulièrement ces
projets de revalorisation. La réalisation de tronçons cyclotouristiques dans le centre-ville des
villes fluviales s’inscrit en effet dans une tendance plus générale, celle du réaménagement des
berges de fleuves. On assiste aujourd’hui en effet à un « renversement de perspective75 »,
puisque l’on passe d’une « vision utilitariste » du fleuve, à une conception de ce même fleuve
comme un espace de convivialité, dédié au loisir, et vecteur de qualité de vie pour les
riverains, tandis que le paysage fluvial devient, pour les villes, un véritable atout patrimonial
et naturel76. Création de parcs publics, de pistes cyclables, édification de bases de loisirs et
développement des sports nautiques… Ce sont les fondements du projet d’aménagement du
site de Gerland, près de Lyon, dans les années 1980, qui vise une réelle « bonification
fluviale » (Labasse, Réflexion d’un géographe sur le couple ville-fleuve, cité dans La ville et
le fleuve, 1987).
Le réaménagement du fleuve doit créer une nouvelle animation sur les berges, et
favoriser sa fréquentation. Le cours d’eau est désormais mis en avant, car c’est un élément
valorisant pour l’image de marque des villes (Garnier, id), comme on peut le voir
actuellement avec le projet Confluence de Lyon. Le fleuve devient alors un véritable vecteur
d’identité, une sorte de fil conducteur pour de nouveaux projets, comme s’illustre très bien le
concept du Plan Rhône.
Le cyclotourisme, en milieu urbain, participe de cette réhabilitation du fleuve. Il en est
à la fois une conséquence (on a envie de se déplacer dans un cadre paysager agréable,
réaménagé, conçu pour le loisir et l’animation) et un facteur : le projet cyclotouristique va
servir de cadre à cette politique de réhabilitation, en permettant d’engager de grands travaux.
L’itinéraire cyclotouristique s’insère donc, à l’échelle locale, dans une stratégie plus riche, qui
dépasse le projet initial.
Ainsi, l’itinéraire Loire à Vélo sous-tend le projet « Trame verte » de l’agglomération
orléanaise, voté en 2002, qui vise à « faire du fleuve qui partage l’agglomération, un fleuve
qui l’unit77 ». Ce plan se structure autour de deux thématiques fortes. La première thématique
est la Loire, puisque l’objectif de cette ‘Trame verte’ est de faire revivre les quais, de les
animer, tout en proposant de nouveaux usages aux berges qui servaient auparavant de
75 Collectif, La ville et le fleuve, Comité des travaux historiques et scientifiques, Paris, Actes du 112e congrès national des sociétés savantes, Lyon, 1987 (introduction) 76 Garnier, ‘Eau et valorisation des milieux urbains, in La ville et le fleuve (cf note précédente). 77 Extrait du projet d’agglomération « Une ambition, un projet pour notre agglomération, 2003-2007 ».
89
parkings. La seconde thématique est le vélo, comme moyen de transport autant pour le
tourisme et les loisirs que pour les trajets quotidiens. Au travers de ces deux axes de travail,
on voit bien que le projet Loire à Vélo s’impose comme une ambition forte de
l’agglomération orléanaise.
Figure 7: Les quais de Loire à Orléans Source : photo personnelle, Orléans, octobre 2010. Au premier plan, la station de vélo en libre service « vélo+ ». On voit, à droite, le parcours Loire à Vélo, sur piste cyclable, et un peu plus loin, à gauche de la rangée d’arbres, la partie piétonne. Au loin, la capitainerie (avec les drapeaux) et le canal réhabilité. Les quais de la Loire sont devenus un espace d’animation, avec des activités de plein air, des promenades sur la Loire en gabare, des évènements festifs et culturels…
La ‘Trame verte’ d’Orléans s’applique à encourager les déplacements à vélo, en créant
un maillage « cyclable » (qui comprend des pistes cyclables ainsi que les itinéraires
cyclotouristiques, principal ou secondaires) à travers l’agglomération et, à plus grande
échelle, dans tout le département du Loiret, avec le concours du Conseil Général. Le réseau
cyclable doit devenir véritablement structurant pour l’agglomération, qu’il s’agisse du « vélo
des villes » (les pistes cyclables, plutôt dédiées aux trajets quotidiens) ou le « vélo des
champs78 » (l’itinéraire Loire à Vélo et ses variantes, à vocation de loisir). Ainsi, « en 10 ans
de (…) politique cyclable, les aménagements se développent à un rythme annuel moyen de 16
km, passant d’une centaine de kilomètres en 1998 à plus de 300 aujourd’hui79 ».
78 ‘La politique cyclable de l’agglomération’, Agence d’Urbanisme de l’Agglomération orléanaise ; source : http://www.auao.org/index_fra.php/index_fra.php?rub1=63&rub2=64&rub3=233&rubrique=233 79 idem, source : http://www.auao.org/index_fra.php/index_fra.php?rub1=19&rub3=27&rubrique=27&rub2=25. Pour le détail, cf. annexe G.
90
Notre propos est de montrer comment l’interterritorialité, gouvernance originale et
privilégiée des projets cyclotouristiques, peut être valorisée te devenir le support d’une
stratégie touristique locale. On voit ici que le cyclotourisme s’intègre déjà, lui-même, dans
des stratégies touristiques durables de communes ou de communautés de communes. On voit
ici que la Loire à Vélo fait partie d’une stratégie touristique plus vaste, liée, dans l’exemple
d’Orléans, à une politique de réhabilitation du fleuve et de développement d’un réseau
cyclable cohérent, avec une continuité entre piste cyclable et itinéraire Loire à Vélo, pour les
habitants comme pour les touristes. L’aménagement cyclotouristique va donc au-delà de la
cible des cyclotouristes : il participe d’un projet plus vaste, d’une stratégie touristique durable.
Par ailleurs, à Orléans, ce projet dépasse la dimension purement touristique et apparaît comme
un développement durable urbain, par la réhabilitation et le réaménagement des quais qu’il a
permis (réfection du canal, aménagements paysagers des quais de Loire, création d’un Parc de
Loire, etc.). Le pilotage interterritorial, à petite échelle, s’impose déjà pour ces territoires, en
dépassant le cadre du cyclotourisme.
En outre, la Loire à Vélo – et son mode de pilotage – se révèle être un concept porteur,
qui permet d’imaginer de nouvelles formes de tourisme durable sur le même modèle. L’atout
indéniable de ce projet cyclotouristique est qu’il a déjà permis de fédérer les acteurs
institutionnels. Les Voies Navigables de France, en partenariat avec la Région Centre,
envisagent de développer un « tourisme de découverte et de nature » le long de l’axe ligérien,
en intégrant l’offre ‘châteaux du Val de Loire’ dans une perspective plus vaste de
développement touristique durable80. Une complémentarité entre l’itinéraire Loire à Vélo et
une offre de navigation sur la Loire n’est pas à exclure. De même, plus récemment, la
Fédération de canoë-kayak suggérait la création d’un itinéraire « Loire en bateau » qui
viendrait compléter, alimenter et diversifier la Loire à Vélo81.
A l’échelle locale, l’itinéraire cyclotouristique ne doit donc pas être envisagé
seulement comme un aménagement touristique constitué de quelques tronçons, continus ou
non. Il participe d’une véritable stratégie touristique « durable », qui s’attache à la fois à
développer le territoire et le faire bénéficier de retombées économiques importantes, à
améliorer le cadre des riverains et à préserver l’environnement.
Cette intégration dans un projet plus vaste, qui va bien au-delà de la sphère
cyclotouristique, nous amène à nous demander comment les outils de pilotage de ces projets
peuvent être utilisés dans d’autres domaines touristiques, comme on le voit avec l’exemple
80 Fleuves et navigation de loisirs, Les Nouvelles n°14, 2003 81 « Canoë-kayak, à quand la Loire en bateaux ? » La Tribune, n°212, avril 2011.
91
des concepts de Loire en bateau, qui se fonde sur les acquis et l’expérience de la Loire à Vélo,
tant d’un point de vue technique que pour l’aspect coopératif entre des partenaires
interterritoriaux.
2) Interterritorialité : de l’itinérance aux projets touristiques locaux
Les itinéraires cyclotouristiques, comme nous venons de le voir, peuvent inspirer
d’autres concepts touristiques, dont la pratique se fonde sur la présence du fleuve. Toutefois,
si l’on retient l’idée d’un parcours en « bateau », quel qu’il soit, il faut remarquer qu’il est
abordé comme un produit transterritorial, c’est-à-dire qu’il implique plusieurs territoires
administratifs, qui devront s’entendre et coopérer pour le mettre en œuvre, au moyen du mode
de pilotage spécifique à ce genre de projet : la coopération interterritoriale, telle qu’elle a été
décrite plus haut.
Toutefois, il est temps désormais d’envisager la coopération interterritoriale comme
pivot d’une stratégie touristique qui ne concerne plus l’itinérance, cyclotouristique ou fluviale.
Nous avons vu que les apports de ces politiques permettaient de penser de nouvelles formes
de développement durable, notamment urbain. Comment penser les modalités d’application
d’une telle gouvernance pour d’autres projets touristiques ? En nous interrogeant sur les
spécificités de l’itinérance, par rapport à des pratiques touristiques « classiques », nous serons
à même de déterminer comment l’interterritorialité peut s’imposer comme un élément
incontournable des stratégies touristiques futures.
L’itinérance s’oppose au tourisme de séjour. Dans ce dernier cas, le séjour est la
composante essentielle du voyage, le touriste privilégie une destination où il va demeurer
pendant le temps de ses vacances. Un touriste itinérant au contraire privilégie le déplacement,
la mobilité, puisque ce sont le voyage et le mode de transport en eux-mêmes qui représentent
la motivation essentielle et le cœur de l’expérience touristique.
Dans l’itinérance, les touristes sont avant tout mobiles, même s’ils peuvent, bien sûr,
s’attarder sur une portion de territoire. La destination touristique, celle dont le nom attire et
permet de structurer l’offre touristique, est d’aspect linéaire. Ce terme est impropre, parce
qu’il ne rend pas compte de la réalité des déplacements du touriste : celui-ci ne se déplace pas
en ligne droite, mais suit des parcours secondaires, explore l’espace à sa portée, tout en
continuant à longer l’itinéraire principal. On pourrait dire qu’il s’agit d’un parcours « en arête
de poisson », qui représente un axe principal, une direction, mais n’exclut pas les déviations,
les échappées, etc. L’image du bandeau serait peut-être plus judicieuse : elle reprend le
92
concept de la ligne (le fleuve), mais y intègre une zone autour (le bassin de ce fleuve) dans
laquelle le cyclotouriste va se déplacer. En tout cas, l’itinérance suppose que le touriste se
déplace sur plusieurs territoires administratifs, sur de moyennes ou longues distances (les
distances, plus importantes, sont réparties sur plusieurs jours et le distinguent d’un simple
excursionniste, ou d’un promeneur).
Dans la pratique touristique que nous appelons « classique », le touriste est
relativement « fixe », ou, plus exactement, « fixé » dans une destination constituée en
« zone ». Il va construire, par ses pratiques, son propre espace touristique, d’étendue
relativement limitée, qui ne coïncidera pas nécessairement avec un territoire administratif. La
figure qui s’impose alors est celle de l’étoile : le touriste, à partir d’un point fixe (son lieu
d’hébergement) se déplace pour explorer les environs, en revenant à son point de départ à la
fin de la journée. Cette divergence dans les pratiques des touristes itinérants et des touristes
« fixés » constitue la différence essentielle entre l’itinérance et le tourisme de séjour.
Il découle de ce constat que les retombées économiques pour le territoire local sont
bien différentes. Au cours d’un séjour, le temps passé sur le territoire est relativement
« long », 2 ou 3 jours au minimum. Cela implique que les bénéfices tirés de l’activité
touristique sont assez localisés, limités à la « zone » dans laquelle le touriste se déplace, et
qu’ils sont assez conséquents, en termes de nuitées et de consommation sur place
(restauration, activités, visites, souvenirs, etc.). A l’inverse, dans le contexte de pratiques
touristiques itinérantes, le temps passé sur chaque territoire administratif est assez bref, voire
parfois inexistant. Les touristes ne prennent pas le temps de s’arrêter dans chaque petite
commune par exemple, et se ménagent des pauses à des intervalles un peu plus importants.
Les retombées économiques sont alors réparties sur l’ensemble du parcours, et non pas
localisées. Là encore, l’impact pour le développement local n’est pas le même.
Les spécificités de l’itinérance doivent être prises en compte, et déterminent
nécessairement le mode de pilotage du projet. En effet, le projet de tourisme itinérant ne
répond pas du tout aux mêmes exigences que celui qui vise à développer exclusivement le
territoire local, à l’exception de tout autre, conformément à la situation de concurrence entre
les destinations dont nous parlions dans la première partie. Dans le premier cas, il s’agit de
permettre au touriste itinérant de parcourir la plus grande distance possible (qu’il choisira
ensuite de couvrir en totalité ou non, selon ses propres attentes), par l’intermédiaire d’un seul
« produit touristique », étendu sur plusieurs territoires administratifs, dans le but de répondre
à une attente nouvelle de la clientèle, pour laquelle la mobilité, le déplacement fondent la
pratique touristique. Dans l’autre cas, l’objectif de la collectivité locale est de retenir le
93
touriste sur son propre territoire autant que possible et aussi longtemps que possible, en lui
proposant une offre touristique diversifiée, afin de maximiser les retombées économiques
tirées de l’activité touristique.
Les deux approches sont donc radicalement opposées : le projet de tourisme itinérant
repose sur un produit unique qui unit plusieurs territoires, tandis que le tourisme de séjour se
concentre avant tout sur le territoire lui-même en structurant une offre touristique diversifiée.
Dans le premier cas, on privilégie le produit. Ainsi, à terme, les tronçons Via Rhôna de
Valence et de Lyon seront porteurs avant tout de l’identité de l’itinéraire Via Rhôna, et seront
identifiés, dans un second temps seulement, comme territoire de la Drôme ou du Rhône. Si le
projet cyclotouristique vise le développement local et la découverte du « terroir », il n’en est
pas moins vrai que le territoire administratif « s’efface » quelque peu derrière la marque du
produit qui est mise en avant. Au contraire, le principe-même d’un tourisme de séjour est de
valoriser et de « vendre » le territoire, en y structurant une offre touristique constituée
d’activités variées, aussi diversifiées que possible, afin de séduire le visiteur. Ici, les produits
sont éclipsés par la destination elle-même, c’est sur la destination que l’on communique.
Dans ces conditions, comment penser l’interterritorialité comme un instrument valable
pour construire une stratégie touristique local ? Ne va-t-elle pas à l’encontre des principes
énoncés à l’instant ? Comment une collectivité, si elle ne décide pas de s’engager dans un
projet de tourisme itinérant, peut-elle envisager de coopérer avec le territoire voisin, qui
représente pour elle un « concurrent » ? Comment les collectivités locales peuvent-elles
envisager la coopération interterritoriale comme une piste pour leurs projets touristiques non
itinérants ?
3) L’interterritorialité à la portée des collectivités locales, ou l’invention d’un tourisme local innovant
Nous avons évoqué plus haut la collaboration de territoires politiques dans le cadre de
la création d’une destination plus visible, plus accessible pour le touriste potentiel, qui
permettrait d’optimiser les performances de chacun des territoires qui la composent. Dans
cette approche, on crée une destination à partir de plusieurs territoires en valorisant ce qu’elles
ont en commun, en s’appuyant sur les caractéristiques qu’elles partagent et qui les réunissent,
telles que le patrimoine architectural, l’histoire, des paysages particuliers… Nous avons vu un
exemple de ce type avec le Val de Loire, où plusieurs communes et départements ont estimé
qu’ils seraient plus reconnus, plus visibles s’ils partageaient la marque Val de Loire, qu’en
94
demeurant isolées dans une situation de concurrence. La destination Val de Loire, qui rejoint
approximativement l’appellation UNESCO Val de Loire, se dessine ainsi autour des châteaux
de la Loire, des paysages ligériens et d’une histoire partagée.
Or nous avions montré que cette collaboration entre territoires est relativement réduite.
En effet, elle se limite à la valorisation d’une image commune, chaque territoire demeurant
cependant autonome. Il s’agit d’une offre touristique « classique », de séjour, qui se concentre
sur la mise en valeur d’un territoire spécifique au moyen de produits touristiques diversifiés.
La coopération entre collectivités est peu développée, et semble assez peu pertinente dans ce
cas, puisqu’il leur suffit de mettre en cohérence les différentes offres de la destination, en
sorte qu’elles ne se contredisent pas ni ne se fassent obstacle. On peut citer à cet égard la
création du Festival de Loire, événement festif qui se déroule simultanément dans plusieurs
villes ligériennes : l’organisation de ce festival n’est pas commune, il s’agit plutôt de plusieurs
festivals juxtaposés le long du fleuve, sur une même thématique. Dans cette offre classique,
l’objectif est de mettre en cohérence les initiatives des partenaires, alors l’interterritorialité
relève d’une véritable synergie, d’une coordination entre les acteurs pour un projet commun.
Or, pour des « petits » territoires, comme les communes, les communautés de
communes ou les pays par exemple, déterminer une image de marque, facilement identifiable
pour le touriste potentiel et sur laquelle on puisse communiquer facilement n’est souvent pas
simple. Ces collectivités ont alors tout intérêt à envisager une approche centrée sur un produit
commun, un peu à la manière du projet touristique en itinérance. Ainsi, c’est le produit lui-
même qui réunit plusieurs territoires. Il devient la « porte d’entrée » d’un territoire donné, qui
le rend attractif. Dans cette approche, l’interterritorialité se révèle un outil particulièrement
avantageux pour les territoires locaux, car, comme nous l’avons démontré, c’est le mode de
gouvernance qui s’avère être le plus performant pour la création de produits touristiques
transterritoriaux.
Ainsi « un » produit serait développé par plusieurs territoires locaux, engagés dans un
partenariat pour le faire vivre et le faire connaître, et acquérir une certaine notoriété partagée
par l’intermédiaire du produit. Si, dans le cas d’une « destination » classique, comme le Val
de Loire, ce sont des éléments existants qui fondent l’identité, et, de là, l’image des territoires,
il s’agit ici de créer un produit qui soit le « fil conducteur » des territoires impliqués, en vue
de forger une nouvelle identité, centrée sur un produit touristique transterritorial.
Nous choisirons comme exemple le cas du Bassin de Bourg-en-Bresse (01), constitué
de plusieurs communes et communautés de communes, regroupées autour de la ville de
95
Bourg-en-Bresse82. Le syndicat mixte Cap 3B, en charge de ce territoire, a mis au point une
nouvelle stratégie touristique, baptisée « Au pays de Fifrelin ». Il s’agit de présenter un
produit touristique transterritorial, décliné sur l’ensemble des territoires de façon différente,
en adéquation avec les spécificités locales. Le ‘pays de Fifrelin’ constitue une offre
touristique familiale et ludique, proposant bon nombre d’activités pour les enfants :
promenades, ateliers, jeux de piste, mini chasses au trésor, qui permettent toutes de découvrir
le pays de Bourg-en-Bresse en s’amusant83. En outre, en 2010, le Syndicat mixte Cap 3B a
édité une Bande dessinée touristique84, qui prend pour décor tous les lieux marquants du
Bassin de Bourg-en-Bresse, entraînant les personnages dans des aventures mouvementées à
travers ces territoires. Cette bande dessinée originale permet de présenter le Bassin, et joue un
véritable rôle de promotion touristique.
Les territoires s’engagent donc dans une véritable démarche interterritoriale, à
l’échelle locale, c’est-à-dire au sein d’un bassin économique, autour de l’agglomération de
Bourg-en-Bresse. Ils se trouvent dans une situation de complémentarité, et non de
concurrence, mettant en commun leurs moyens techniques, financiers et humains afin de
développer cette nouvelle stratégie touristique. Ainsi, les coûts de création et de publication
de la seule bande dessinée excèdent largement les moyens d’une seule commune85 (c’est
particulièrement vrai pour les petites communes autour du chef-lieu). De même, les autres
produits, s’ils étaient centrés sur un espace trop restreint, sur un seul territoire, perdraient de
leur attractivité. La pluralité des partenaires leur permet donc d’avoir un poids plus important,
vis-à-vis des touristes, puisqu’ils sont plus visibles, mais aussi pour les autres institutionnels
qui peuvent contribuer à la démarche (songeons par exemple au soutien de la Région Rhône-
Alpes, qui participe au financement du Pays de Fifrelin).
Une stratégie touristique locale lancée en partenariat avec d’autres petites collectivités
permet ainsi d’attirer et de retenir les touristes sur les territoires du Bassin, tout en leur
proposant une certaine diversité dans les déclinaisons des produits. Ces territoires bénéficient
ainsi des avantages de l’interterritorialité, tout en se concentrant sur le développement local,
82 Ce territoire est constitué du Bassin « économique et d'emploi de Bourg-en-Bresse, chef lieu du Département de l'Ain. Ce territoire cohérent s'étend en Bresse, Dombes et Revermont et constitue l'une des portes d'entrée nord de la Région Rhône-Alpes ». Un Syndicat mixte (établissement public de coopération intercommunale), Cap 3B, est chargé du développement du Bassin de Bourg-en-Bresse, dans des domaines divers, parmi lesquels figure le tourisme. Source : http://www.cap3b.fr/ 83 Les aventures-jeux de Fifrelin sont plusieurs enquêtes et jeux de piste dans les différentes communes du bassin ; les « Zanimo’ balades » sont de petits circuits étudiés pour les enfants, autour du thème d’un animal et de son milieu naturel. Source : http://www.aupaysdefifrelin.fr/france/ZANIMOBALLADE/index/index.html 84 La Cavalière au Manteau rouge, Tamaillon et Tartaix, 2010. Source : www.aupaysdefifrelin-labd.fr 85 Le coût de la BD s’élève au total à 86 000 euros.
96
puisque les retombées économiques sont assez localisées, même si elles sont « supra-
locales ». Elles dépassent les limites communales, mais demeurent concentrées
géographiquement, et profitent globalement à l’ensemble des acteurs impliqués dans la
démarche.
Les partenaires du Bassin de Bourg-en-Bresse sont donc parvenir à créer un nouveau
produit touristique transterritorial, qui ne relève pas de l’itinérance, et qui construit un
véritable lien entre leurs territoires respectifs. L’interterritorialité se révèle donc être une piste
tout à fait pertinente pour les stratégies touristiques locales, à condition de privilégier une
approche centrée sur une offre touristique transterritoriale, et non de vouloir mettre en avant le
territoire avant tout, cette option conduisant à une situation de rivalité avec les territoires
voisins et rendant la coopération très délicate. La création d’une offre touristique qui relie les
territoires entre eux, permet ainsi de structurer un nouveau territoire touristique, qui s’appuie
sur les pratiques et les déplacements des touristes avant tout. Les petits territoires bénéficient
donc des apports de l’interterritorialité, en termes de complémentarité, de retour d’expérience
et d’expertise partagée, et de développement touristique et économique local.
CONCLUSION
Le projet construit le territoire. Cette formule est particulièrement judicieuse lorsque
l’on s’intéresse au cyclotourisme. L’itinéraire cyclotouristique crée en effet une territorialité
nouvelle, en entrecroisant les définitions classiques du territoire. Le projet en effet permet
d’envisager le concept de territoire d’une façon originale : il ne concerne plus seulement un
territoire administratif, autocentré et isolé, mais crée du lien entre plusieurs territoires engagés
dans une stratégie commune de développement, cohérentes avec des pratiques touristiques
transterritoriales, observées et prises en compte.
Serait-ce la fin des territoires tels que nous les connaissons, qui ne peuvent plus
répondre aux attentes sociales actuelles ? Il s’agit plutôt d’une « régénérescence » (Vanier,
2008). Les collectivités territoriales, parce qu’elles sont amenées à collaborer, à réfléchir
ensemble à des en jeux qui les concernent toutes, créent ainsi, de fait, des territoires
recomposés, restructurés, supports de projets collectifs. Ce besoin de dépasser les territoires
traditionnels, notamment dans le secteur du tourisme, montre que ceux-ci ne sont plus
nécessairement le cadre pertinent pour l’ensemble des acteurs publics engagés dans des
97
projets touristiques innovants. L’interterritorialité, par la politique des échelles qu’elle
implique, permet en effet d’articuler des enjeux interrégionaux des « grands » acteurs et les
objectifs de développement local des partenaires des premiers échelons territoriaux.
L’interterritorialité fait ainsi émerger, de fait, de « super-territoires de projet », plus aptes à
accueillir des actions publiques à grande échelle. Ces super-territoires sont particulièrement
visibles dans le cas d’itinéraires cyclotouristiques, qui créent un lien physique entre les
territoires administratifs impliqués.
L’interterritorialité apparaît alors comme le mode de gouvernance le plus pertinent en
matière de cyclotourisme, même s’il demeure encore un modèle de conduite de projet en
émergence, en construction. D’une part, ce mode de pilotage ne va pas de soi, et d’autre part il
est sans cesse réinventé par les acteurs du projet, qui doivent se l’approprier et le faire
fonctionner en tenant compte des partenaires existants, des partenaires potentiels…. Un tel
mode de gouvernance nécessite une grande inventivité de la part des partenaires, et beaucoup
de pragmatisme afin de simplifier autant que possible son fonctionnement. En effet, si la
collaboration interterritoriale peut relever de l’improvisation, cela ne signifie pas pour autant
qu’elle se passe de règles et qu’elle ne soit qu’un joyeux désordre. Ce « bricolage
permanent », s’il demande une énergie considérable, repose néanmoins sur de « solides règles
et techniques de coordination et de négociation, [impliquant] une rigueur décuplée et un
professionnalisme renouvelé » (Vanier, 2008).
On peut ainsi esquisser les diverses étapes de ce modèle interterritorial, qui permet la
collaboration entre les territoires. La première phase consiste en un échange des
connaissances existantes, détenues par chacun des acteurs, « pour construire un sujet et une
problématique partageables entre des systèmes d’acteurs qui doivent d’abord s’expliquer leurs
référentiels respectifs » (id). Il s’agit d’apporter une « valeur ajoutée » aux ressources des
divers partenaires, en construisant des outils partagés d’analyse, d’observation et
d’information, afin que chacun puisse participer à l’élaboration d’un contexte, d’un cadre
d’action communs. Dans un deuxième temps, on assiste à la création du réseau d’acteurs, qui
doit se constituer en un acteur collectif interterritorial, c’est-à-dire agir, à l’idéal, comme une
seule entité, et non comme une pluralité d’acteurs. La concrétisation de l’action passe, enfin,
par la définition d’une stratégie commune, qu’il faut faire adopter par tous, puis défendre
auprès de partenaires potentiels ou d’acteurs réticents. C’est alors que peuvent être mises en
place des « opérations conjointes (…) sous la forme d’un service, d’un équipement ou d’une
compétence assumés en commun » (id).
98
Recourir à une coopération interterritoriale ne signifie pas cependant que le projet
progressera sans accroc. En effet, la façon dont les acteurs mettent en œuvre leur partenariat
influe largement sur l’avancée du projet, de façon particulièrement bénéfique lorsque les
partenaires sont soudés en vue de leur objectif commun, et respectent leurs engagements, de
façon plus chaotique si des divergences ou des réticences apparaissent. Dans ce dernier cas, la
collaboration entre plusieurs territoires politiques peut venir entraver la progression du projet
plutôt que la servir. L’interterritorialité n’apporte pas de plus-value systématique, si l’on peut
dire. Les avantages qu’elle présente dépendent largement de la volonté politique de chacun, et
de la capacité de tous les acteurs à créer une synergie entre eux, en se dotant par exemple de
plusieurs chefs de file, qui organiseront la coopération sur tel ou tel volet. Le modèle de cette
nouvelle forme de gouvernance ne permet pas d’anticiper les résultats de la mise en action
d’une démarche interterritoriale.
Toutefois, son principal intérêt est de contribuer – au moins dans une certaine mesure -
à fédérer des acteurs qui, sans cela, n’auraient jamais été appelés à se rencontrer, encore
moins à négocier et tâcher de s’entendre sur une stratégie commune. La force de la
coopération interterritoriale est de réunir les « petites » et les « grandes » collectivités, le
secteur privé et le secteur public, des organismes d’experts ou des structures para-publiques
qui n’appartiennent pas nécessairement au secteur touristique. Même si le poids et l’in fluence
de chaque partenaire sont loin d’être égaux, permettre le dialogue entre les protagonistes d’un
même espace, envisagé sous divers points de vue, constitue déjà une performance
remarquable. C’est pourquoi la coopération interterritoriale nous semble représenter un atout
important pour des stratégie touristique locale, à plus petite échelle. En s’appuyant sur la
création de produits touristiques communs, itinérants ou non, de « petites » collectivités ont
l’opportunité de se constituer en tant que destination touristique, à condition de mettre en
commun leurs ressources, de mutualiser leur expérience et leur savoir-faire, de manière à
créer une ingénierie commune et solide et à co-produire une offre touristique viable et
facilement identifiable par les touristes, tout en se concentrant sur le développement durable
local.
L’interterritorialité se présente donc actuellement comme un « instrument », un outil
de gouvernance touristique, qui permet aux territoires, sous certaines conditions, d’optimiser
l’utilisation de leurs ressources et de leurs compétences en vue d’un objectif commun, d’un
« intérêt général ». Toutefois, dans le contexte d’une société qui « s’interterritorialise », on
peut regretter que cette méthode originale pour l’action publique ne soit envisagée que comme
un instrument au service d’une politique plus classique. En effet, ne peut-on pas imaginer, vu
99
la multiplication et la densification des flux transterritoriaux, que les territoires administratifs
actuels soient amenés à construire, non plus une stratégie, mais une politique de
développement en commun, afin de prendre en compte des enjeux toujours plus complexes ?
Sans parler de fusion des territoires, ne serait-il pas judicieux que ces pratiques de coopération
interterritoriale soient facilitées et inscrites dans la législation, dans les compétences de ces
collectivités territoriales, offrant ainsi la possibilité de mettre au jour une véritable politique
interterritoriale ?
100
BIBLIOGRAPHIE
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ARTICLES - BESANCENOT, Le Territoire, un espace à identifier, 2006 - DÁVID L., TÖZSĖR A., ”Destination management: necessity and tasks of tourism, Destination management in Hungary”, Aspects and Visions of Applied Economics and Informatics, March 26 - 27. 2009, Debrecen, Hungary - DE CALAN A. « Coopérations décentralisées et programmes européens », in Revue Espaces 233, ESPACES, 2006 - FINDLAYL S. J., TAYLOR M. P., “Why rehabilitate urban river systems ?”, in Area, 2006 (art. électronique : http://www.blackwellpublishing.com/journal.asp?ref=0004-0894&site=1) - JOLY A., GALLET B., « Le tourisme responsable, enjeu majeur de la coopération décentralisée. Panorama des coopérations décentralisées pour un tourisme responsable » in Revue Espaces 233, ESPACES, 2006 - PIERRE X., Mobilisation et implication des acteurs dans une démarche de développement
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101
DOCUMENTS PROFESSIONNELS
- CERTU [sous la direction de Sylvie Vigneron et Francis Dégardin] Aménager des rivières
en ville, exemples et repères pour le montage d'opération, 2002, Lyon - CERTU, Recommandations pour les aménagements cyclables, avril 2000 - ODIT France, France à vélo, France des voies vertes. Les clefs de la réussite, Mini Guide n° 12, 2007, Paris - Réseau vert européen, actes du colloque de Lille, septembre 2000 - Le Rhône, un fleuve en devenir, Maison du Fleuve Rhône, Lyon, 2006
- Véloroutes, voies vertes, l’avenir est aux circulations douces, brochure MN3V (2005) - Carte du réseau des itinéraires cyclables d’intérêt national (décembre 1998) et cahier des
charges (5 janvier 2001), MN3V - Guide des bonnes pratiques des voies vertes en Europe: exemples de réalisations urbaines et
périurbaines - Association européenne des voies vertes, Namur, 2000 - Circulaire interministérielle du 31 mai 2001 relative à la mise en œuvre du schéma national VVV et à l’élaboration des volets régionaux (ministères de l’Environnement, de l’Equipement, de la Jeunesse et des sports, secrétariat d’Etat au Tourisme
Sites INTERNET - Voies vertes: fréquentation et impact, Agence française de l’ingénierie touristique
(Afit) 2003, www.afit-tourisme.fr
- Les voies vertes de France, catalogue touristique (Association française pour le
développement des véloroutes et voies vertes, 2003),
- Fédération française de cyclotourisme : www.ffct.org
- Loire à Vélo : www.loireavelo.fr
- Du Léman à la Mer ((http://www.dulemanalamer.com/htm/fr/accueil.php)
- Destination Val de Loire : www.visaloire.com
- Val de Loire patrimoine mondial de l’UNESCO : www.valdeloire.org
- La Bourgogne à Vélo : www.le-tour-de-bourgogne-a-velo.com
- L’eurovélo 6 des fleuves : www.eurovelo6.org
- Rhône Pluriel : www.rhone-pluriel.fr
- Veille info tourisme, le tourisme à vélo :
http://www.veilleinfotourisme.fr/35631520/0/fiche_pagelibre/&RF=1268753534492
- Au pays de Fifrelin, Bassin de Bourg-en-Bresse www.aupaysdefifrelin.com
102
Annexes
Annexe A : Les captures d’écran des sites Internet de la Loire à Vélo et de la Véloroute du Léman à la Mer…………………………………………………………………………….. 102 Annexe B : Tableau analytique de la communication des sites Internet des collectivités de la Loire à Vélo et de la Via Rhôna………………………………………………………….….104 Annexe C : Etude des tronçons parcourus lors de nos observations de terrain………….….106 Annexe D : Photos prises lors de nos observations de terrain (signalétique Loire à Vélo, signalétiques Via Rhôna, RIS, exemple d’une rupture d’itinéraire près de Valence)……….110 Annexe E : Grille d’analyse des tronçons étudiés (cohérence, continuité, aménagement, signalétique…)………………………………………………………………………………116 Annexe F : articles de presse utilisés au cours de notre étude………………………………118 Annexe G : tableau de l’agence d’Urbanisme de l’Agglomération orléanaise concernant le développement d’un réseau cyclable………………………………………………………. 121
103
Annexe A Les captures d’écran des sites Internet de la Loire à Vélo et de la Véloroute du Léman à la Mer Capture d’écran du site Loire à Vélo – Accueil http://www.loireavelo.fr/Default.aspx?base
Capture d’écran du site Loire à vélo – Rubrique patrimoine http://www.loireavelo.fr/accueil/patrimoine/villes-et-villages.aspx
104
Capture d’écran du site Du Léman à la mer - Accueil http://www.dulemanalamer.com/htm/fr/accueil.php
Capture d’écran du site Le Léman à la Mer – Itinéraire les Portes de Provence http://www.dulemanalamer.com/htm/fr/zone.php?id=3
105
Annexe B Tableau analytique de la communication des sites Internet des collectivités de la Loire à Vélo et de la Via Rhôna
Collectivités Sites internet Itinéraire concerné M
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touristiques
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Mention d
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des à
vélo
ou
aucune m
ention
CR / CRT Centre http://www.visaloire.com/ Loire à Vélo 1 1 0
CR / CRT Pays de la Loire www.paysdelaloire.fr Loire à Vélo 1 1 0
CR / CRT Rhône-Alpes http://www.rhonealpes.fr/ Via Rhôna 1 0 0
CR / CRT Languedoc-Roussillon www.sunfrance.com Via Rhôna 0 1 0
CR / CRT PACA www.decouverte-paca.fr Via Rhôna 0 0 1
CG / CDT Cher http://www.berryprovince.com/ Loire à Vélo 1 0 0
CG / CDT Loiret http://www.loiret.com/ Loire à Vélo 1 1 0
CG/ CDT Loir-et-Cher http://www.coeur-val-de-loire.com/ Loire à Vélo 1 1 0
CG / CDT Indre-et-Loire www.touraineloirevalley.com Loire à Vélo 1 0 0
CG / CDT Maine-et-Loire www.anjou-tourisme.com Loire à Vélo 1 1 0
CG / CDT Loire-Atlantique www.ohlaloireatlantique.com Loire à Vélo 1 1 0
CG / CDT Savoie www.tourisme-savoie.com Via Rhôna 0 0 1
CG / CDT Haute-Savoie www.haute-savoie-tourisme.org Via Rhôna 0 1 0
CG / CDT Ain www.ain-tourisme.com Via Rhôna 0 0 1
CG / CDT Rhône www.rhonetourisme.com Via Rhôna 1 0 0
CG / CDT Loire www.loiretourisme.com Via Rhôna 0 0 1
CG / CDT Isère www.isere-tourisme.com Via Rhôna 0 1 0
CG / CDT Drôme www.drometourisme.com Via Rhôna 1 0 0
CG / CDT Ardèche resa.ardeche-guide.com Via Rhôna 0 0 1
CG / CDT Gard www.tourismegard.com Via Rhôna 0 0 1
CG / CDT Vaucluse www.provenceguide.com Via Rhôna 0 1 0
CG / CDT Bouches-du-Rhône www.visitprovence.com Via Rhôna 0 0 1
Agglo / OT Orléans http://www.tourisme-orleans.com/fr/ Loire à Vélo 1 1 0
Agglo / OT Blois http://www.bloispaysdechambord.com/fr Loire à Vélo 1 1 0
Agglo / OT Tours http://www.ligeris.com/ Loire à Vélo 1 1 0
Agglo / OT Angers http://www.angersloiretourisme.com/ Loire à Vélo 1 1 0
Agglo / OT Saumur http://www.ot-saumur.fr/ Loire à Vélo 1 1 0
Agglo / OT Nantes http://www.nantes-tourisme.com/ Loire à Vélo 1 0 0
Agglo / OT Lyon http://www.lyon-france.com/ Via Rhôna 0 0 1
Agglo / OT Valence http://www.valencetourisme.com/ Via Rhôna 1 0 0
Agglo / OT Montélimar http://www.montelimar.fr/index.php Via Rhôna 0 0 1
Agglo / OT Avignon http://www.ot-avignon.fr/ Via Rhôna 0 0 1
TOTAL : Loire à Vélo 14 11 0
Via Rhôna 4 4 10
106
Annexe C : Etude des tronçons parcourus lors de nos observations de terrain
TRONCON LOIRE A VELO N°1 (45)
Observations de terrain, octobre 2010 : St Jean le Blanc – Orléans – St Hilaire St Mesmin Carte tirée de La Loire à Vélo, 840 km de Nevers à l’Atlantique, édition Chamina, Clermont Ferrand, mars 2010 (guide officiel financé par les deux régions Centre et Pays de Loire). Notre parcours a débuté au sud de la Loire, près de St Jean-le-Blanc. Nous avons traversé la Loire sur le Pont Thinat en direction d’Orléans, puis poursuivi vers l’ouest en suivant l’itinéraire principal (en vert continu), traversé la Loire vers le sud sur le Pont de l’Europe, et poursuivi vers St Hilaire St Mesmin, en suivant l’itinéraire principal en site partagé (en rouge). Itinéraire bien balisé, facile à suivre, bien signalé. TRONCON LOIRE A VELO N°2 (41)
Observations de terrain, juillet 2010 : Cour sur Loire – Blois – Chambord – St Dyé sur Loire Carte tirée de La Loire à Vélo, 840 km de Nevers à l’Atlantique, édition Chamina, Clermont Ferrand, mars 2010 Notre parcours a débuté à Cour-sur-Loire (situé tout en haut de cette carte) au nord de la Loire, nous avons poursuivi vers La Chaussée St Victor, en longeant la Loire. A Blois nous avons traversé le fleuve et avons suivi la boucle de l’itinéraire qui va jusqu’à Chambord, en passant par Vineuil et Huisseau-su-Cosson. Après Chambord, nous sommes remontés vers la Loire jusqu’à St-Dyé-sur-Loire. Itinéraire bien balisé (sauf à hauteur de Vineuil, problème de signalisation), bien indiqué, facile à suivre.
107
TRONCON LOIRE A VELO N°3 (37-49)
Observations de terrain, juillet 2010 : Candes St Martin – Saumur Carte tirée de La Loire à Vélo, 840 km de Nevers à l’Atlantique, édition Chamina, Clermont Ferrand, mars 2010 Nous débutons l’observation à Candes-St-Martin, commune située à la limite entre Indre-et-Loire et Maine-et-Loire, soit à la frontière des régions Centre et Pays de la Loire, ce qui nous permet d’étudier la continuité de l’itinéraire sur le territoire de collectivités différentes. Pour gagner Saumur, nous prenons l’itinéraire provisoire par les coteaux, et revenons à notre point de départ en suivant les berges de la Loire. Itinéraire bien balisé dans les deux sens (signalétique provisoire bien utilisée), facile à suivre. TRONCON LOIRE A VELO N°4 (44)
Observations de terrain, novembre 2010 : Nantes Carte tirée de La Loire à Vélo, 840 km de Nevers à l’Atlantique, édition Chamina, Clermont Ferrand, mars 2010 Nous avons surtout observé le centre-ville de Nantes, à pied, alors que nous nous rendions au Conseil Régional des Pays de la Loire pour l’un de nos entretiens. Nous n’avons pas vu d’aménagement cyclable réalisé, mais avons pu noter la présence des panneaux de signalétiques provisoires jalonnant l’itinéraire officiel. Sur cette carte, apparaissent aussi les grands lieux d’art contemporain du programme Estuaire. Cela montre que l’itinéraire est bien une porte d’entrée pour le territoire, en mettant ses atouts et ses spécificités en valeur.
108
TRONCONS VIA RHONA N°1 et 2 (26) (L’itinéraire Via Rhôna est matérialisé en pointillés mauves)
Observations de terrain, août 2010 : Valence – La Roche de Glun et Valence – Soyons. Carte IGN 1 : 100 000, tirée de Le Rhône à Vélo, édition Dérives du Rhône, Genève, 2007 (avec supplément d’édition 2010) Nous avons réalisé un premier parcours en partant de Valence vers le nord, en longeant le Rhône jusqu’à Pont de l’Isère. La première partie de ce parcours se fait en site propre, elle est très bien signalée et aménagée. A Pont de l’Isère, il faut traverser le Rhône. Problème : la passerelle n’est pas encore construite, et le cycliste se trouve laissé à lui-même, tâchant de trouver un moyen pour traverser. Le pont le plus proche est celui d’une route nationale. Nous avons poursuivi notre route jusqu’à La Roche de Glun, sans parvenir à retrouver l’itinéraire Via Rhôna, toute signalétique provisoire étant absente. Le deuxième parcours a été effectué en partant de Valence vers le sud, en direction du Port de l’Epervière. Tronçon très agréable, bien signalé et facile à suivre. La piste cyclable se prolonge sur le pont qui traverse le Rhône, en continuant sur le territoire de l’Ardèche. 500 mètres plus tard, la piste cyclable réalisée par la Drôme s’interrompt, et on ne remarque aucun aménagement ardéchois. L’itinéraire sur notre plan emprunte une route nationale jusqu’à Soyons, terme de notre observation.
VALENCE
109
TRONCON VIA RHONA N°3 (26-38-42)
Observations de terrain, août 2010 : St Rambert d’Albon – Sablons – St Pierre de Bœuf, Chavannay Carte IGN 1:100 000, Le Rhône à Vélo, édition Dérives du Rhône, Genève, 2007
Notre parcours commence à Saint-Rambert-d’Albon (tout en bas de la carte), dans la Drôme, et se poursuit vers le nord en suivant le Rhône, vers Sablons tout d’abord (38), puis aux abords du P2age de Roussillon et de St Pierre de Bœuf (38), jusqu’à Chavanay, tout au nord, dans la Loire. Ce parcours nous permet d’étudier la liaison entre les trois départements. Dans la Drôme, une très bonne signalétique Via Rhôna, des aménagements très bien réalisés. Lorsque l’on passe dans l’Isère, les aménagements sont toujours très bons, mais il ne subsiste aucune signalisation Via Rhôna. La signalétique, partagée par l’Isère et la Loire, indique sobrement « Voie verte » et est matérialisée par une ligne verte courant sur le sol, sans aucune indication de direction notamment, ce qui est assez perturbant aux carrefours pour le cyclotouriste.
110
TRONCON VIA RHONA N° 4 (69)
Observations de terrain, août 2010 : St Rambert d’Albon – Sablons – St Pierre de Bœuf, Chavannay Carte IGN 1:100 000, Le Rhône à Vélo, édition Dérives du Rhône, Genève, 2007 Nous avons observé le centre de Lyon, en nous rendant à un entretien au Conseil régional de Rhône-Alpes. Les Berges du Rhône sont particulièrement bien aménagées, agréables et paysagées. Cette réhabilitation s’inscrit pleinement dans la tendance évoquée dans notre troisième partie, le cyclotourisme étant intégré à de véritables projets de ville. Toutefois, aucune signalétique Via Rhôna n’est présente, ni aucune mention du cyclotourisme.
111
Annexe D Photos prises lors de nos observations de terrain
1) Signalétique de l’itinéraire Loire à Vélo
Photo personnelle, juillet 2010, La Chaussée St Victor, 41
Photo personnelle, juillet 2010, Candes st Martin (37)
112
Photo personnelle, juillet 2010, Montsoreau (49)
Photo personnelle, octobre 2010, Orléans (45)
Photo personnelle, St Dyé sur Loire (41) : le seul accroc à la charte graphique officielle
Loire à Vélo, malgré la présence du logo officiel.
113
2) Signalétique de l’itinéraire Via Rhôna
Photo personnelle, août 2010 , Bourg-lez-Valence, 26. Charte graphique officielle.
Photos personnelles, août 2010, Sablons, 38. Pas de signalétique officielle, l’itinéraire s’appelle Voie verte et est matérialisée par une ligne verte au sol.
Photo J. Leone, Berges du Rhône, Lyon. Absence de toute signalétique pour le vélo. (source : Grand Lyon, http://www.grandlyon.com/index.11.0.html?&no_cache=1).
114
3) Les Relais Info service
Un RIS près de Valence. Photo personnelle, août 2010.
Un RIS dans l’Indre-et-Loire, près de Candes St Martin. Photo personnelle, juillet 2010. Il respecte la charte graphique officielle. Il s’agit d’un panneau provisoire, e n attendant les conclusions des travaux de la région Centre sur ce sujet.
115
Les nouveaux RIS installés au printemps 2011 sur la Loire à Vélo. Photo personnelle, mai 2011.
116
4) Une rupture d’itinéraire au nord de Valence
Après un environnement très sécurisé et balisé, le cyclotouriste est confronté à une « fin provisoire d’itinéraire. Photo personnelle, nord de Valence, août 2010.
La passerelle qui permettra de traverser le Rhône n’est pas encore construite.
117
Sans aucune indication, le cyclotouriste doit se débrouiller seul pour traverser le Rhône et retrouver la trace de l’itinéraire Via Rhôna. Le chemin à emprunter est très difficilement praticable, et conduit à une route nationale. Nous n’avons pas pu retrouver l’itinéraire par la suite. Nous avons croisé dans les environs un riverain, qui nous a avoué lui-même s’être perdu après cette « déviation ».
118
Annexe E Grille d’analyse des tronçons étudiés (cohérence, continuité, aménagement, signalétique) En vert, les points positifs, en rouge les éléments négatifs.
Tronçons
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) (4
9)
Site site propre 1 1 0 1 0 1 1 (alterné) 0 0 1 (alterné)
site partagé 0 0 1 0 1 0 1 (alterné) 1 1 1 (alterné)
Type de voies piste cyclable 1 1 0 1 0 1 0 0 0 0
réseau routier secondaire 0 0 1 0 1 0 1 1 1
1 (alterné)
route à forte fréquentation 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
chemin 0 0 0 0 0 1 1 (alterné) 0 0
1 (alterné)
Aménagements voies crées exprès 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0
voirie existante 1 0 1 1 1 1 1 1 1 1
non réalisé 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
Signalétique Officielle (LaV, VRh) 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1
autres 0 0 0 0 0 0 1 (cf photo) 0 0 0
aucune 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
présence de panneaux indicateurs 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1
présence de panneaux info / règlement 1 1 1 1 1 0 0 0 0 1
RIS 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
Aménagement en continuité
balisé, sans rupture 1 1 1 1 1 1 1 1 0 1
balisé avec itinéraire provisoire 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0
déviation, sans respect de la signalétique officielle 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
rupture avec le reste de l'itinéraire 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
Itinéraires provisoires pas d'objet 1 1 1 1 1 1 1 1 0 1
respect de la charte graphique 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0
indiqué autrement 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
non indiqué 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
119
Tronçons
Nante
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Soyons (
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ie (
69)
Site site propre 0 1 0 1 ( alterné) 1 1 1 0 1
site partagé 1 0 1 0 ( alterné) 1 0 0 1 0
Type de voies piste cyclable 0 1 0 1 ( alterné) 1 1 1 0 1
réseau routier secondaire 0 0 0 0 ( alterné) 1 0 0 0 0
route à forte fréquentation 1 0 1 0 0 0 0 1 0
chemin 0 0 0 0 0 0 0 0 0
Aménagements voies crées exprès 0 1 0 1 0 0 0 0 1
voirie existante 1 0 0 0 1 1 1 0 0
non réalisé 0 0 1 0 0 0 0 1 0
Signalétique Officielle (LaV, VRh) 1 1 0 1 0 0 1 0 0
autres 0 0 0 0 1 (Véloroute) 1 (Véloroute) 0 0 0
aucune 0 0 1 0 0 0 0 1 1
présence de panneaux indicateurs 1 1 0 1 0 0 1 0 1
présence de panneaux info / règlement 0 1 0 1 0 0 1 0 0
RIS 0 1 0 1 0 0 1 0 0
Aménagement en continuité
balisé, sans rupture 0 1 0 1 1 1 1 0 1
balisé avec itinéraire provisoire 1 0 0 0 0 0 0 0 0
déviation, sans respect de la signalétique officielle 0 0 1 0 0 0 0 0 0
rupture avec le reste de l'itinéraire 0 0 1 0 0 0 0 1 0
Itinéraires provisoires pas d'objet 0 1 0 1 1 1 1 1 1
respect de la charte graphique 1 0 0 0 0 0 0 0 0
indiqué autrement 0 0 0 0 0 0 0 0 0
non indiqué 0 0 1 0 0 0 0 0 0
120
Annexe F
Articles de presse utilisés au cours de notre étude
Article La Tribune, 7 avril 2011.
121
Article de La République du centre, 13/04/2011
122
123
Annexe G
Tableau de l’agence d’Urbanisme de l’Agglomération orléanaise concernant le
développement d’un réseau cyclable
Source : http://www.auao.org/index_fra.php/index_fra.php?rub1=19&rub3=27&rubrique=27&rub2=25
124
TABLE DES ILLUSTRATIONS et DOCUMENTS
Figure 1 : Carte des véloroutes et voies vertes réalisées et à venir en France.......................... 28 Figure 2 : Détail de l'itinéraire Loire à Vélo, Orléans-Blois ; .................................................. 29 Figure 3 : L’itinéraire Loire à Vélo .......................................................................................... 31 Figure 4 : Les réalisations Via Rhôna en Rhône-Alpes. .......................................................... 33 Figure 5 : Des signalétiques différentes pour un même itinéraire............................................ 39 Figure 6: Les riverains pratiquent aussi les itinéraires cyclotouristiques................................. 84 Figure 7: Les quais de Loire à Orléans .................................................................................... 89
Document 1 : La CNR s’investit dans la création de la Via Rhôna .........................................50 Document 2 : Le fonctionnement de l’interterritorialité au quotidien………………………..63 Document 3 : Les gradients interterritoriaux…………………………………………………74
125
RESUME / ABSRACT Le cyclotourisme constitue une pratique touristique d’itinérance. Le déplacement, la mobilité à vélo sont au cœur de l’expérience cyclotouristique. Il s’agit de parcourir un « itinéraire », déterminé à l’avance, aménagé ou improvisé, à vélo, pendant plusieurs jours, en ménageant des haltes chez des acteurs touristiques privés, pour l’hébergement, la restauration….
Les collectivités territoriales, avec un certain retard, ont pris conscience récemment de l’intérêt que pouvaient représenter les cyclotouristes, et les retombées économiques locales importantes qu’ils pouvaient générer. Certaines collectivités, tous échelons territoriaux confondus, se sont donc engagées dans la création de grands itinéraires cyclotouristiques, appelés à devenir de véritables produits touristiques, qui structureront une offre originale sur le territoire.
Or créer un itinéraire cyclotouristique suppose une véritable organisation interterritoriale, à l’échelle de plusieurs territoires, de plusieurs départements ou régions… Comment des collectivités territoriales, a priori repliées chacune sur son propre territoire, en viennent-elles à collaborer, à porter un projet collectif et à le réaliser en commun ? Ce mode de gouvernance innovant apparaît comme l’outil indispensable pour produire un produit cyclotouristique, attractif et viable, vecteur d’un développement durable de l’espace local.
En étudiant comment cette coopération fonctionne, en mettant en lumière les atouts indéniables dont elle dispose, mais aussi les difficultés qu’elle peut générer entre les acteurs impliqués, nous montrerons que la collaboration interterritoriale se révèle être un mode de pilotage de projet transterritorial prometteur. Faut-il néanmoins limiter cette gouvernance innovante, qui permet de fédérer les acteurs et d’envisager des enjeux supra-territoriaux à la conduite de projets cyclotouristiques ? Ne pourrait-on pas au contraire la considérer comme une nouvelle force pour les stratégies touristiques locales, permettant l’émergence de destinations originales ?
Cyclotourism is an itinerant tourist practice. Moving and cycling are at the heart of the cyclotourist experience. It consists in going through a planned route, an organized or improvised travel with a bicycle, during a few days, while arranging a few breaks in some restaurants, accommodations or other tourism professionals. Despite a delay some public authorities recently realize that cyclotourists may be really attractive and generate important positive effects. Some of these authorities of several levels are involved in creating some vast cycling routes, which are to become real tourist products and to structure an original tourist supply.
But creating a cycling route implies an interterritorial organization involving several territories, like ‘départements’ or “régions”. How do some public authorities, which are usually isolated and focused on their own territories, decide to cooperate and take part in a collective project? This new governance form seems to be an essential tool for creating an attractive and viable cyclotourist product, which will assure a local sustainable development. By examining how this cooperation is set and underling its obvious assets and the difficulties that can arise between the public players, we are showing that interterritorial cooperation can be a promising mode of project steering. However, shall this innovating governance be limited to cyclotourist projects steering, while it permits to federate the publics players and considering supra-territorial stakes? Why not regard it as a new strength for local tourist strategies, which will enable the rise of original tourist destinations?
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TABLE DES MATIERES INTRODUCTION.................................................................................................................... 5 I Créer un itinéraire cyclotouristique : un projet territorial à l’origine d’une
gouvernance originale ? ......................................................................................................... 10 A) Tourisme : de la transterritorialité à l’interterritorialité ........................................... 10
1) Le tourisme, un phénomène transterritorial ............................................................. 10 2) Une gouvernance originale : trouver un intérêt commun ? ...................................... 13 3) De la prise en compte des flux touristiques transterritoriaux à l’esquisse d’une coopération interterritoriale.............................................................................................. 17
B) Interterritorialité et cyclotourisme : une « bonification » mutuelle................................. 20 1) L’itinérance touristique, vecteur d’interterritorialité................................................ 20 2) Une coopération des territoires essentielle au cyclotourisme .................................. 23
C) Via Rhôna et Loire à Vélo : historique et état des lieux ................................................. 27 1) Des projets avec de nombreux points communs…...................................................... 27 2) Mais des degrés de réalisation très différents .............................................................. 31
II Co-produire un itinéraire cyclotouristique : l’intérêt de travailler en partenariat, la
contrainte de travailler avec des partenaires ?.................................................................... 36 A) Les atouts de l’interterritorialité pour le cyclotourisme.................................................. 36
1) Créer à plusieurs un produit cyclotouristique collectif ............................................ 36 2) Un échange de bonnes pratiques.................................................................................. 40 3) L’invention d’une gouvernance originale, plus souple et adaptable............................ 43
B) Une relation multipolaire réellement innovante ? ........................................................... 48 1) Un système d’acteurs complexe.............................................................................. 48 2) Les limites de l’innovation interterritoriale : le poids des hiérarchies traditionnelles . 52
C) Les difficultés de la collaboration avec d’autres collectivités........................................ 56 1) Contexte et objectifs politiques divergents : le test de l’intérêt général ...................... 56 2) Des échelles de temps en décalage .............................................................................. 59 3) Un « bricolage permanent » ? ...................................................................................... 64
III Un nouveau modèle de gouvernance touristique locale, inspiré de la conduite de
projets cyclotouristiques ........................................................................................................ 66 A) Les différences entre Loire à Vélo et Via Rhôna, des éléments éclairants pour évaluer la coopération interterritoriale ? ............................................................................................... 66
1) Les réalisations et les accrocs : quelle réussite des itinéraires ? (observations et enquêtes de terrain) .......................................................................................................... 66 2) Les rapports humains comme facteur-clé de la conduite de projet.............................. 71 3) Une différence fondamentale : l’enjeu du chef de file................................................. 75
B) Produit cyclotouristique durable et durabilité du mode de pilotage interterritorial ....... 78 1) Un produit touristique « vert »..................................................................................... 78 2) Un produit touristique viable économiquement ....................................................... 79 3) L’implication des acteurs (et ses limites)..................................................................... 81 4) Le territoire au cœur du projet cyclotouristique .......................................................... 83
C) La conduite de projet interterritoriale, un nouveau pilier des stratégies touristiques locales................................................................................................................................... 87
1) Le vélo au cœur d’une nouvelle stratégie touristique durable.................................. 87 2) Interterritorialité : de l’itinérance aux projets touristiques locaux............................... 91 3) L’interterritorialité à la portée des collectivités locales, ou l’invention d’un tourisme local innovant ................................................................................................................... 93
CONCLUSION....................................................................................................................... 96 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................. 100
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Annexes.............................................................................................................................. 102 Annexe A : Les captures d’écran des sites Internet de la Loire à Vélo et de la Véloroute du
Léman à la Mer…………………………………………………………………………….. 102 Annexe B : Tableau analytique de la communication des sites Internet des collectivités de la Loire à Vélo et de la Via Rhôna………………………………………………………….….104 Annexe C : Etude des tronçons parcourus lors de nos observations de terrain………….….106 Annexe D : Photos prises lors de nos observations de terrain (signalétique Loire à Vélo, signalétiques Via Rhôna, RIS, exemple d’une rupture d’itinéraire près de Valence)……….110 Annexe E : Grille d’analyse des tronçons étudiés (cohérence, continuité, aménagement, signalétique…)………………………………………………………………………………116 Annexe F : articles de presse utilisés au cours de notre étude………………………………118 Annexe G : tableau de l’agence d’Urbanisme de l’Agglomération orléanaise concernant le développement d’un réseau cyclable………………………………………………………. 123 Table des illustrations ………………………………………………………………………124 Resumé / abstract……………………………………………………………………………125 Table des matières …………………………………………………………………………..126
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