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MARYHIGGINSCLARK

LanuitdurenardRoman

Traduitdel’américainpar

ANNEDAMOUR

LIVREDEPOCHE

1

Il était assis, immobiledevant la télévisiondans lachambre932de l’hôtelBiltmore.Leréveilavaitsonnéà6heures,maisilétaitdeboutdepuislongtemps.Leventfroidetsinistrequifaisaittremblerlesvitresl’avaitsortid’unsommeilagité.

Lesactualitésdumatinavaientcommencé,maisiln’avaitpasmontéleson.Ni les nouvelles ni les éditions spéciales ne l’intéressaient. Il voulait justeregarderl’interview.

Mal à l’aise sur sa chaise trop raide, il croisait et décroisait les jambes. Ils’étaitdouché,rasé,etavaitmislecostumedetergalvertqu’ilportaitenarrivantà l’hôtel la veille au soir. La pensée que le jour était enfin arrivé avait faittremblersamainet ils’était légèrementcoupé la lèvreenserasant. Ilsaignaitencoreunpeu,legoûtsalédusangdanssaboucheluidonnaunhaut-le-cœur.

Ilavaithorreurdusang.Lanuitdernière,aubureauderéceptiondel’hôtel,ilavaitsentileregarddu

réceptionniste glisser sur ses vêtements. Il portait son pardessus sous le bras,pourdissimulersonaspectminable.Maislecostumeétaitneuf.Ilavaitfaitdeséconomiespourça.Etpourtantl’hommel’avaitregardécommeunpauvretypeetluiavaitdemandés’ilavaitfaituneréservation.

Il n’avait jamais rempli de fiche dans un véritable hôtel, mais savaitcomments’yprendre.«Oui,j’aiuneréservation»,avait-ilaffirméd’untonsec,et le réceptionnisteavaitparuhésiterun instant ;puiscommeiln’avaitpasdecartedecréditetproposaitdepayercomptantàl’avance,lesouriresarcastiqueétaitréapparu.«Jepartiraimercredimatin»,avait-ilprécisé.

Lachambrecoûtaitcentquarantedollarspourlestroisnuits.Ilneluirestaitdonc plus que trente dollars. C’était bien assez pour ces quelques jours etmercrediilauraitquatre-vingt-deuxmilledollars.

Le visage de la femme flotta devant lui. Il cligna des paupières pour lechasser. Car ensuite viendraient les yeux, ces gros globes lumineux qui lesuivaientpartout,lesurveillaient,jamaisfermés.

Ilauraitbienaiméuneautretassedecafé.Trèstôtcematin,ilavaitappelélegarçond’étageensuivantattentivementlesinstructions.Onluiavaitapportéducaféetilenrestaitunpeu;maisilavaitlavélatasse,lasoucoupeetleverrede

jusd’orange,rincélacafetièreetmisleplateauparterredanslecouloir.Unspotpublicitaireseterminait.Soudainintéressé,ilsepenchaversl’écran.

L’interviewallaitcommencer.Voilà.Iltournaleboutondusonversladroite.Le visage familier de Tom Brokaw, présentateur des actualités, remplit

l’écran. Grave, la voix posée, il commença. « Le rétablissement de la peinecapitaleestdevenu laquestion laplusbrûlanteet lapluscontroverséedanscepaysdepuislaguerreduViêt-Nam.Danscinquante-deuxheurestrèsexactement,le24marsà11h30,auralieulasixièmeexécutiondel’année;lejeuneRonaldThompson,âgédedix-neufans,mourrasurlachaiseélectrique.Nosinvités…»

Lacaméra recula sur lesdeuxpersonnes assisesdepart et d’autredeTomBrokaw.L’homme à droite avait une trentaine d’années. Ses cheveux cendrés,parsemésdefilsgris,étaientunpeudécoiffés.Ilavait lesmainsjointes,doigtsécartésetpointésverslehaut.Sonmentonposésurleboutdesdoigtsluidonnaituneattitudedeprièrequ’accentuaientdessourcilssombres,arquéssurdesyeuxd’unbleuhivernal.

Lajeunefemmedel’autrecôtésetenaittrèsdroitesursachaise.Unchignonlâche retenait sur sa nuque des cheveux couleur de miel. Ses poings serrésreposaient sur sesgenoux.Elle s’humecta les lèvreset repoussaunemèchedecheveux.

TomBrokawdisait:«Aucoursdeleurprécédenteentrevuesurceplateau,nosinvitésavaienttrèsclairementexposéleurpointdevuesurlapeinecapitale.SharonMartin,journaliste,estégalementl’auteurdubest-sellerLeCrimedelapeinecapitale.StevenPeterson,rédacteurenchefdumagazineL’Événement,estl’unedespersonnalitéslesplusécoutéesdanslemondedesmédiasàencouragerlerétablissementdelapeinecapitaledanscepays.»

Savoixs’anima.IlsetournaversSteve.«Commençonsparvous,monsieurPeterson. Après avoir constaté l’émotion du public au cours des dernièresexécutions,pensez-voustoujoursquevotrepositionsoitjustifiée?»

Steve sepenchaen avant.Quand il répondit, ce futd’unevoix très calme.«Absolument»,affirma-t-il.

Leprésentateur se tournavers sonautre invitée.«Etvous,SharonMartin,quelleestvotreopinion?»

Sharon bougea légèrement pour faire face à son interlocuteur. Elle étaitcrevée. Elle avait travaillé vingt heures par jour ce mois dernier. Elle avaitcontactédesgensimportants–sénateurs,membresduCongrès,juges,membresd’organisations philanthropiques –, tenu des conférences dans les universités,dans les clubs féminins, pressant chacun d’écrire ou de télégraphier au

gouverneur du Connecticut pour protester contre l’exécution de RonaldThompson.Laréactionobtenueavaitétéénorme.Elleavaitvraimentcruquelegouverneurallaitrevenirsursadécision.Ellecherchasesmots.

«Jepense,dit-elle, jecroisquenous,notrepays,avonsreculéd’unpasdegéant vers le Moyen Âge. » Elle souleva la pile de journaux à côté d’elle.«Regardezlestitresdecematin.Analysez-les!Ilssontassoiffésdesang.»Ellelesfeuilletad’ungesterapide.«Celui-ci…«LeConnecticutmetàl’épreuvelachaiseélectrique»,etcelui-là…«Dix-neufans:ilmeurtmercredi»etencore,« L’assassin condamné clame son innocence ». Ils sont tous pareils, dusensationnel!delaviolence!»Ellesemorditleslèvres,savoixsebrisa.

Steveluijetaunregardbref.Ilsvenaientjusted’apprendrequelegouverneurannonçaitpubliquementsonrefusdéfinitifd’accorderàThompsonunautredélaid’exécution. La nouvelle avait anéanti Sharon. Ce serait unmiracle si elle netombait pasmalade après. Ils n’auraient pas dû accepter de venir à l’émissionaujourd’hui.LadécisiondugouverneurrendaitlaprésencedeSharoninutile,etDieu sait si Steve aurait préféré ne pas être là. Il devait pourtant dire quelquechose.

«Jepensequetouthonnêtehommedéplorelesensationneletlanécessitédela peine de mort, dit-il. Mais n’oubliez pas qu’on ne l’applique jamais sansprendre en considération toutes les circonstances atténuantes. Il n’y a pas depeinecapitaleobligatoire.

—Croyez-vousquetoutescescirconstancesaientétéprisesenconsidérationdans le cas deRonaldThompson, demanda vivementBrokaw, à savoir le faitqu’il venait à peine d’avoir dix-sept ans quand il a commis ce meurtre et nedépendaitdoncplusdutribunalpourenfants?»

Steve répondit : « Comme vous pouvez vous en douter, je ne ferai aucuncommentairesurlecasdeThompson.Ceseraitparfaitementinopportun.

— Je comprends votre souci, monsieur Peterson, dit le présentateur, maisvousaviezprispositionsurcettequestionilyabiendesannées…»Ils’arrêtaavant de poursuivre d’un ton impassible : « Avant que Ronald Thompsonn’assassinevotrefemme.»

AvantqueRonaldThompsonn’assassinevotrefemme.LabrutalitédesmotssurprenaitencoreSteve.Deuxansetdemiaprès, il ressentaitencore lechocetl’atrocitédelamortdeNina,étoufféeparl’inconnuquiavaitpénétréchezeux,parlesmainsquiavaientimpitoyablementtordul’écharpeautourdesoncou.

S’efforçantdechasserl’imagedesonesprit,ilregardadroitdevantlui.«Ilfutuntempsoùj’espéraisquelasuppressiondelapeinedemortdansnotrepays

pourraitdevenirdéfinitive.Mais,commevousvenezdelefaireremarquer,bienavantlatragédiequiafrappémaproprefamille,j’enétaisvenuàlaconclusionque si nous voulions protéger le droit le plus fondamental de l’homme… laliberté d’aller et de venir sans crainte, la liberté d’être en sécurité dans nosfoyers, nous devions arrêter les auteurs de violences. Malheureusement, ilsemblen’yavoirqu’une seulemanièred’arrêterdesmeurtrierspotentiels : lestraiter avec l’implacabilité dont ils font preuve à l’égard de leurs victimes. Etdepuis la première exécution, il y a deux ans, le nombre des meurtres aconsidérablementbaissédanslesgrandesvillesdenotrepays.»

Sharon se pencha en avant. « Vous en parlez d’une façon tellementrationnelle,s’écria-t-elle.Vousrendez-vouscomptequequarante-cinqpourcentdesmeurtressontcommispardesjeunesdemoinsdevingt-cinqansquipourlaplupart ont une vie familiale désastreuse et souffrent d’un grand facteurd’instabilité?»

Le spectateur solitaire dans la chambre 932 de l’hôtel Biltmore quitta desyeuxStevePetersonpourcontemplerlajeunefemme.C’étaitelle,l’écrivainquel’onvoyaitpartoutavecSteve.Elleneressemblaitpasdutoutàsafemme;elleétaitmanifestementplusgrande,avecuncorpsminceetélancédesportive.Lafemme de Steve était petite et menue ; elle avait une poitrine ronde et descheveux noirs de jais qui bouclaient sur son front et ses oreilles quand elleremuaitlatête.

LesyeuxdeSharonMartinluirappelaientlacouleurdel’océanlejouroùilétaitàlaplage,l’étédernier.IlavaitentendudirequeJonesBeachétaitlaplageidéale pour rencontrer des filles, mais, pour lui, ça n’avait pas marché. Cellequ’ilavaitcommencédedraguerdansl’eaus’étaitmiseàappeler,«Bob!»,etuneminuteplustardcetypes’étaitamenéenluidemandantdequoiils’agissait.Pour finir, il avait apporté sa couverture sur le sable et s’était contenté decontempler l’océan, regardant changer les couleurs.Vert.C’était cela.Un verttroublant,mouchetédebleu.Ilaimaitlesyeuxdecettecouleur.

Que disait Steve ?Ah ! oui, qu’il avait pitié des victimes et non de leursmeurtriers,qu’ilavaitpitiéde«ceuxquin’ontpaslesmoyensdesedéfendre»!

«Masympathievaaussiverseux»,s’écriaSharon.Maiscen’estpasl’unoul’autre.Necomprenez-vouspasquel’emprisonnementàvieseraitunepeinesuffisantepour tous lesRonaldThompsonde cemonde ?»Elle oubliaitTomBrokaw,elleoubliait lescaméraset,une fois encore, s’efforçaitdeconvaincreSteve.«Commentpouvez-vous…voussicompatissant…vousquidonneztantdeprixàlavie…vouloirjouerlerôledeDieu?»demanda-t-elle.«Comment

quelqu’unpeut-ilprétendrejouerlerôledeDieu?»La discussion prenait lemême tour qu’il y a sixmois, quand ils s’étaient

rencontrésàcetteémission.TomBrokawfinitpardire:«Notretempsd’antenneest bientôt terminé. Pouvons-nous conclure en disant que malgré lesrassemblements,lesémeutesdanslesprisons,lesmanifestationsd’étudiantsquiont lieu régulièrement dans tout le pays, vous persistez à soutenir, monsieurPeterson,quelaviverégressiondumeurtregratuitjustifielapeinedemort?

—Je crois audroitmoral…audevoir…de la sociétéde seprotéger elle-même, et au devoir du gouvernement de protéger la liberté sacrée de sescitoyens,déclaraSteve.

—SharonMartin?»Brokawsetournaverselle.«Jecroislapeinedemortdénuéedesens, indignedel’hommecivilisé.Je

croisquenouspouvonspréserver lasécuritédesfoyersetde la rueenmettantlesgrandscriminelshorsd’étatdenuire,enleurinfligeantdespeinesrapidesetsûres,envotantlesempruntsquipermettrontdecréerlescentresdedélinquantsnécessaires et de rémunérer le personnel employé. Je crois que c’est notrerespectpourlavie,pourtoutevie,quiestlapreuvefinalequenousagissonsentantqu’individusetentantquesociété.»

TomBrokaw conclut en hâte. « SharonMartin, StevenPeterson,merci devous être joints à nous sur ce plateau. Nous reprendrons le cours de nosémissionsaprèscetteannonce…»

La télévision dans la chambre 932 du Biltmore s’éteignit net. Un longmoment, l’homme robuste et musclé dans son costume à carreaux verts restaassisleregardfixésurl’écranobscurci.Unefoisdeplus,ilrepensaàsonplan:d’abord porter les photos et la valise dans la pièce secrète de Grand CentralStation,etendernier lieuyemmenerNeil, le filsdeStevePeterson,cettenuitmême.Mais, auparavant, il devait prendre une décision. SharonMartin seraitchezStevecesoir.ElledevaitgarderNeiljusqu’auretourdesonpère.

Ilavaitpensél’éliminersurplace.Maislepourrait-il?Elleétaitsibelle.Ilrevitsesyeux,lacouleurdel’océan,troublante,tendre.Illuiavaitsembléqu’enregardantlescaméras,elleregardaitverslui.Onauraitditqu’ellel’appelait.Peut-êtrel’aimait-elle?Siellenel’aimaitpas,ilseraitfaciledesedébarrasserd’elle.IllalaisseraitàGrandCentralaveclegossemercredimatin.À 11 h 30, quand la bombe éclaterait, de SharonMartin, non plus, il ne

resteraitrien.

2

Ilsquittèrentensemblelestudio,marchantàquelquespasl’undel’autre.LacapedetweeddeSharonpesaitlourdsursesépaules.Elleavaitlespiedsetlesmainsglacés.Elleenlevasesgantsetconstataquelabagueancienneavecunepierrede luneque luiavaitdonnéeStevepourNoëlavaitunefoisdeplussalison doigt. Certaines peaux ont un taux d’acidité tel qu’elles ont toujours ceproblèmeaucontactdel’or.

Steve la dépassa et lui ouvrit la porte. Ils marchèrent dans le petit matinaigre.Ilfaisaittrèsfroidetlaneigecommençaitàtomber,épaisse,frappantleursvisagesdesesfloconsglacés.

«Jevaist’appeleruntaxi,dit-il.—Non.Jepréfèremarcher.—C’estidiot.Tuasl’airmortedefatigue.—Celam’éclairciralesidées.Oh!Steve,commentpeux-tuêtresipositif…

sisûrdetoi…sisévère!—Nerecommençonspas,chérie.—Nousdevonsrecommencer!—Non, pasmaintenant. » Steve la regarda, à la fois impatient et inquiet.

Sharon avait les yeux brillants, striés de rouge ; le maquillage de télévisionn’avaitpascamouflélapâleurqu’accentuaitmaintenantlaneigefondantsursesjouesetsonfront.

«Tudevraisrentrertereposer,dit-il.Tuenasbesoin.—Ilfautquejerendemonpapier.—Bon,essayededormirquelquesheures.Pourras-tuveniràlamaisonvers

sixheuresmoinslequart?—Steve,jenesuispassûre…—Moisi.Nousnenoussommespasvusdepuis troissemaines.LesLufts

comptentsortirpourleuranniversaireetjeveuxêtreàlamaisoncesoiravectoietavecNeil.»

Ignorant les gens qui se pressaient dans les immeubles de RockefellerCenter,StevepritlevisagedeSharonentresesmains.Elleavaitunairtristeetbouleversé. Il dit d’un ton grave : « Je t’aime, Sharon, tu le sais. Tu m’ashorriblementmanquécesdernièressemaines.Il fautquenousparlionsdenous

deux.—Steve,nousn’avonspaslesmêmesidées.Nous…»Ilsepenchaetl’embrassa.Seslèvresrestaientfroides.Ilsentitsoncorpsse

contracter.Seséparantd’elle,ilhélauntaxi.Quandlavoituresegaralelongdutrottoir,ilouvritlaporteetdonnaauchauffeurl’adresseduNewDispatch.Avantderefermer,ildemanda:«Jepeuxcomptersurtoicesoir?»

Elle hocha la tête sans rien dire. Steve attendit que le taxi tourne dans laCinquièmeavenueetmarcharapidementendirectiondel’ouest. Ilavaitdormiau Gotham Hôtel la nuit dernière, car il devait être au studio à 6 h 30, et ildésirait téléphoner àNeil avant son départ pour l’école. Il s’inquiétait chaquefois qu’il devait s’absenter. Neil faisait encore des cauchemars, ses crisesd’asthmeleréveillaientsouvent.MmeLuftsappelaittoujoursimmédiatementlemédecin,maisnéanmoins…

L’hiver était si rude, si humide.Au printemps, peut-être, lorsqu’il pourraitsortir,Neilreprendraitdesforces.Ilétaittoujourssipâle.

Le printemps !MonDieu, c’était le printemps ! L’équinoxe vernal s’étaitinstallé cette nuit et l’hiver était officiellement terminé. Qui l’aurait supposéétantdonnélesprévisionsmétéorologiques?

Auboutde la rue,Steve tournaendirectiondunord. Il se souvenaitde sapremière rencontre avec Sharon, six mois auparavant. Quand il était venu lachercher chez elle, le premier soir, elle avait eu envie de marcher jusqu’aurestaurant la « Tavern on TheGreen » en passant par Central Park. Il l’avaitprévenuequ’ilfaisaitunpeuplusfroid,quec’étaitlepremierjourd’automne.

«Merveilleux ! s’était-elle exclamée. Je commençais justement à en avoirassez de l’été. » Pendant les premiers mètres, ils étaient restés presquesilencieux.Iladmiraitsafaçondemarcher,d’accordersibiensonpasausien,samincesilhouettebienprisedansletailleurceinturédontlacouleurs’harmonisaitavec ses cheveux. Il se souvenait qu’une brise fraîche faisait tomber lespremières feuilles et que le soleil couchant accentuait le bleu profond du cield’automne.

« Par une nuit comme celle-là, je pense toujours à cet air de l’opéretteCamelot, lui avait-elle dit. Vous savez, Si jamais je te quittais. » Elle avaitchantonnédoucement:«Commentpartirenautomne,jenesauraijamais.Jet’aivuresplendirdèslamorsuredel’automne.Jeteconnaisenautomneetnepeuxm’enaller…»Elleavaitunejolievoixdecontralto.

Sijamaisjetequittais…Était-iltombéamoureuxd’elleàcetteminutemême?

Lasoiréeavaitétésiparfaite.Ilss’étaientattardésàbavarderaprèsledîner,tandisqu’autourd’euxlesgensentraientetsortaient.

De quoi avaient-ils parlé ? De tout. Son père était ingénieur dans unecompagnie pétrolière. Ses deux sœurs étaient nées à l’étranger. Elles étaientmaintenantmariées.

«Commentyavez-vouséchappé?»Ildevaitposerlaquestion.Tousdeuxsavaientbienqu’ellesignifiaitenréalité:«Ya-t-ilquelqu’undansvotrevie?»

Maisiln’yavaitpersonne.Elleavaitpassélaplupartdesontempsàvoyagerpoursonancienjournalavantdedeveniréditorialiste.C’étaitintéressantettrèsamusantet lesseptannéesquiavaientsuivi l’universités’étaientécouléessansqu’elles’enaperçoive.

Ilsétaientrentréschezelleàpiedet,ausecondcarrefour,s’étaientprisparlamain. Elle l’avait invité à prendre un dernier verre, mettant une très légèreemphasedans«dernierverre».

Pendant qu’il préparait les boissons, elle avait allumé le petit bois dans lacheminéeetilsétaientrestésassiscôteàcôteàregarderlefeu.

Steve gardait un souvenir intense de cette nuit-là, de la façon dont le feufaisaitbrillerl’ordesescheveux,jetaitdesombressursonprofildroit,illuminaitson rare et beau sourire. Il avait failli la prendre dans ses bras, mais l’avaitsimplementembrasséedoucementenpartant.«Samedi,sivousêteslibre…»Ilavaitattendu.

«Jesuislibre.—Jevousappelleraidanslamatinée.»Et sur le chemin du retour, il avait su que la solitude infinie de ces deux

dernières années allait peut-être se dissiper. Si jamais je te quittais… Ne mequittepas,Sharon.

Ilétaithuitheuresmoinslequartquandilpénétraau1347del’avenuedesAmériques. Les employés de L’Événement n’avaient pas pour habitude d’êtrematinaux. Les couloirs étaient déserts. Saluant le gardien devant l’ascenseur,Stevemontadanssonbureaudutrente-sixièmeétageettéléphonachezlui.

MmeLuftsrépondit.«Oh!Neilvatrèsbien!Ilestentraindeprendresonpetitdéjeuner,degrignoter,devrais-jedire.Neil,c’esttonpère.»

Neilpritl’appareil.«Hello,papa,quandrentres-tuàlamaison?—À 8 h 30. J’ai une réunion à 5 heures de l’après-midi. Les Lufts vont

toujoursaucinéma,n’est-cepas?—Oui,jecrois.—Sharonseraàlamaisonavant6heuresafinqu’ilspuissentpartir.

—Jesais,tumel’asdit.»LavoixdeNeilétaitneutre.«Bon.Passeunebonnejournée,monpetit.Etcouvre-toibien.Ilcommence

àfairefroidici.Est-cequevousavezdéjàdelaneige?—Non,c’estjusteunpeucouvert.—Bon.Àcesoir.—Aurevoir,papa.»Stevefronçalessourcils.IlavaitdumalàserappelerletempsoùNeilétait

unenfantpleind’entrainetdejoiedevivre.LamortdeNinaavaittoutchangé.Il voulait que Neil et Sharon se rapprochent l’un de l’autre. Sharon faisaitvraimenttoutcequ’ellepouvaitpourbriserlaréservedeNeil,maisilnecédaitpasd’unpouce.Pasencore,dumoins.

Du temps. Tout prenait du temps.Avec un soupir, Steve se tourna vers latable qui se trouvait derrière son bureau et prit l’éditorial sur lequel il avaittravaillélanuitprécédente.

3

L’occupant de la chambre 932 quitta le Biltmore à 9 h 30. Il sortit sur laQuarante-quatrième rue et prit à l’est vers la Deuxième avenue. Le vent vif,porteurdeneige,pressaitlespassants,lesfaisaitserecroqueviller,lecouenfouidansleurscolsrelevés.

C’étaitun tempsqui luiconvenait, legenrede tempsoùpersonneneprêteattentionàcequevousfaites.

SapremièrehaltefutuneboutiquedefripiersurlaDeuxièmeavenue,aprèsla Trente-quatrième rue.Négligeant les autobus qui se succédaient à quelquesminutes d’intervalle, il fit à pied les quatorze blocs. Marcher était un bonexercice,etilétaitessentielderesterenforme.

Laboutiqueétaitvideàl’exceptiondelavieillevendeusequilisaitd’unairmorne le journal du matin. « Vous désirez quelque chose de particulier ?demanda-t-elle.

—Non.Jejettejusteuncoupd’œil.»Ilrepéralescintresdesmanteauxdefemme et s’en approcha. Fouillant parmi les vêtements usagés, il choisit unmanteau de laine gris froncé, très ample et qui lui parut assez long. SharonMartinétaitplutôtgrande,sedit-il.Ilyavaitunrayondefoulardspliésprèsdescintres.Ilpritleplusgrand,unrectangled’unbleudélavé.

Lafemmefourrasesachatsdansunsacenplastique.Lemagasindesurplusmilitaireétaitàcôté.C’étaitcommode.Aurayondu

camping, il achetaungrand sacdemarinen toileépaisse. Il le choisit avec leplusgrandsoin,suffisammentgrandpourcontenirlegarçon,suffisammentépaispourquel’onnepuissepasdevinercequ’ilcontenait,suffisammentlargepourlaisserassezd’airquandlacordeseraitnouée.

DansunsupermarchédelaPremièreavenue,ilachetasixrouleauxdelargesbandesdecotonetdeuxpelotesdecorde.IlramenatoussesachatsauBiltmore.Lelitdelachambreétaitfaitetilyavaitdesserviettesdetoilettepropresdanslasalledebains.

Desyeux,ils’assuraquelafemmedeménagen’avaitpastouchéauplacard:sesautreschaussuresétaientdanslapositionexacteoùillesavaitlaissées,l’unedépassantàpeinel’autre,àdeuxdoigtsdelavieillevalisenoireàdoubleserruredeboutdanslecoin.

Il ferma la porte de la chambre à clé et mit les paquets sur le lit. Avecd’infiniesprécautions,ilsortitlavaliseduplacardetlaposaaupieddulit.Ilprituneclédanssonportefeuilleetouvritlavalise.

Ilenvérifiaminutieusementlecontenu:lesphotos,lapoudre,leréveil,lesfilsmétalliques, le détonateur, le couteau de chasse et le revolver. Satisfait, ilrefermalavalise.

Ilquittalachambre,emportantlavaliseetlesacenplastique.Cettefois,iltraversalehallinférieurduBiltmoreetpritlagaleriesouterrainequimenaitauniveau supérieur de Grand Central Station. Le flot matinal des voyageurs debanlieue était passé, mais il y avait encore beaucoup de monde. Les genss’empressaient au départ et à l’arrivée des trains, traversaient la gare pourrejoindre la Quarante-deuxième rue ou Park Avenue, s’attardaient dans lesboutiques de la galerie, les guichets de pari mutuel, les self-services et leskiosquesàjournaux.

D’un pas alerte, il descendit vers le niveau inférieur et se retrouva sur lequai112oùarrivaientetpartaientlestrainsdeMountVernon.Iln’yavaitpasdetrainannoncéavantdix-huitminutesetlequaiétaitdésert.Unrapidecoupd’œill’assura qu’aucun garde ne regardait dans sa direction, et il disparut dans lesescaliersquidescendaientsurlequai.

Lequai tournaitenUauboutdelavoieferrée.Del’autrecôté,unerampemenaitdans lesprofondeursde lagare.Contournant lavoie, ilmarchavers larampe.Sesmouvementsdevenaientplusrapides,furtifs.Lesbruitschangeaientdans cet autre univers.Au-dessus, la gare bourdonnait des allées et venues demilliers de voyageurs. Ici, un générateur trépidait, des ventilateurs ronflaient,l’eau suintait sur le sol humide. Les formes silencieuses, étiques, de quelqueschatsmiteuxsefaufilaientsubrepticementdansletunnelquipassaitnonloindelà sous Park Avenue. Une rumeur sourde et continue provenait de la voied’évitement où les trains venaient tourner et souffler avant de prendre leurdépart.

Ilpoursuivitsadescenteprogressivejusqu’aupiedd’unescaliermétallique,gravit les marches à pas feutrés, posant avec application un pied l’un aprèsl’autre.Ungardevenaitdetempsàautreinspecterl’endroit.Lalumièreétaittrèsfaible,maisonnesavaitjamais…

Au bout du petit palier se dressait une lourde porte en fer. Il posadélicatement la valise et le sac par terre, chercha la clé dans son portefeuille.Pressé,nerveux,ill’introduisitdanslaserrure.Lepênecédaavecréticenceetlaportes’ouvrit.

Ilfaisait trèsnoirà l’intérieur.Il tâtonnaàlarecherchedel’interrupteuret,sans le lâcher, sebaissapour tirer lavaliseet lesacdans lapièce.Laporteserefermasansbruit.

L’obscurité était totale. Il pouvait à peinedeviner les contours de la pièce.Une odeur de moisi dominait. Avec un long soupir, l’intrus s’efforça de sedécontracter.Ilprêtal’oreilleauxbruitsdelagaremaisilsétaienttropéloignés,etonnelesdiscernaitqu’enfaisantuneffortpourlesécouter.

Toutallaitbien.Il poussa l’interrupteur et une lumière lugubre envahit la pièce. Un néon

poussiéreuxéclairaitleplafondetlesmurslépreux,projetantdegrandesombresobscuresdanslescoins.LapièceétaitenformedeL,unepièceenciment,avecdesmurs encimentd’oùpendaientdes lambeauxécaillésdepeinturegrise.Àgauchedelaportesetrouvaientdeuxénormesvieuxbacsàvaisselle.L’eauengouttantdesrobinetsavaitcreusédesrigolesderouilledansl’épaissecroûtedesaleté. Aumilieu de la pièce, des planches irrégulières et étroitement clouéesenfermaientunappareilenformedecheminée,unmonte-plats.Uneporteétroiteàl’extrêmedroiteduLétaitentrebâillée,révélantdescabinetscrasseux.

Il savait qu’ils fonctionnaient. Il était venu la semaine dernière dans cettepièce, pour la première fois depuis vingt ans, et avait vérifié la lumière et latuyauterie. Quelque chose l’avait poussé à venir ici, quelque chose lui avaitrappelécettepiècequandilavaitconçusonplan.

Un vieux lit de camp bancal penchait contre le mur du fond, un cageotretourné à côté. Le lit et le cageot l’ennuyaient. Quelqu’un, un jour, avaitdécouvert la pièce et s’y était installé.Mais la poussière sur le lit et le relentd’humidité étaient la preuve que l’endroit était resté fermé depuis des mois,peut-êtremêmedesannées.

Iln’étaitpasvenuicidepuisl’âgedeseizeans,plusdelamoitiédesavie.Cettepièceservaitalorsàl’OysterBar.Situédirectementsouslacuisinedecerestaurant, le vieux monte-plats transportait des montagnes de vaissellegraisseuse destinée à être lavée dans les deux grands éviers, puis séchée etremontée.

Ilyadesannées, la cuisinede l’OysterBaravait été refaiteet équipéedemachinesàlaver.Etonavaitcondamnélapièce.C’étaitaussibien.Quivoudraittravaillerdanscetrouinfect?

Maisellepouvaitencoreservir.QuandilavaitcherchéoùcacherlefilsdePetersonjusqu’aupaiementdela

rançon,ils’étaitsouvenudecettepièce.Àl’examen,elleluiavaitparuparfaite

pour sonplan.Du tempsoù il y travaillait, lesmains gonflées, irritées par lesdétergents,l’eauetlesgrandstorchonsmouillés,lagarefourmillaitdegensbienhabillésquirentraientchezeux,dansleursvoituresetleursmaisonsdeluxe,ouquivenaients’asseoiraurestaurantdevantdesassiettespleinesdecrevettes,declams, d’huîtres et de poissons grillés, qu’il devait ensuite, nettoyer sans quepersonneneluiprêtâtjamaisattention.

Ilferaitensortequechacun,dansGrandCentral,àNewYork,danslemondeentier,leremarque,lui.Aprèsmercredi,jamaisplusonnel’oublierait.

Il lui avait été facile d’entrer dans la pièce. Une empreinte de cire de lavieille serrure rouillée.Ensuite, il avait fabriqué une clé.Àprésent, il pouvaitalleretveniràsaguise.

Cette nuit, SharonMartin et le gosse seraient là, avec lui. Grand CentralStation.Lagare laplusaniméedumonde.Lemeilleurendroitaumondepourcacherquelqu’un.

Iléclataderire.Ilpouvaitriremaintenant.Ilsesentaitlucide,fort,enpleineforme. Lesmurs lépreux, le lit bancal, l’eau suintante et les planches fenduesl’excitaient.

Ici,ilétaitlemaître,l’organisateur.Ilavaittoutprévupouravoirsonargent.Ilallaitclorelesyeuxpourtoujours.Ilnepouvaitpluscontinueràrêverdecesyeux.Ilnelesupportaitplus.Ilsétaientdevenusunréeldanger.

Mercredi.Mercredimatinà11h30,dansexactementquarante-huitheures.Ils’envolerait pour l’Arizona où personne ne le connaissait. Il n’était plus ensécuritéàCarley.Onyposaittropdequestions.

Mais là-bas, avec l’argent… les yeux disparus… et si Sharon l’aimait, ill’emmèneraitaveclui.

Ilportalavalisedevantlelitdecampetlaposaavecsoinàplatsurlesol.Ill’ouvrit,en retira lepetitmagnétophoneet l’appareil-photoqu’ilglissadans lapochegauchedesonvieuxpardessusbrundéformé.Lecouteaudechasseetlerevolver dans la poche droite. Aucun renflement n’était visible à traversl’épaisseurdutissu.

Ilpritlesacenplastique,endisposaméthodiquementlecontenusurlelit.Lemanteau,lefoulard,lacorde,lesparadrapetlesbandes.Illesfourradanslesacdemarin.Puisilretiralepaquetdephotosgéantessoigneusementenroulées,lesdéroula, les étala, lissant, aplatissant la courbure de chacune. Son regards’attarda.Unsourirederéminiscence,rêveur,étiraseslèvresminces.

Ilappliqua les troispremièresphotossur lemur,au-dessusdu litdecamp,les fixa avec du sparadrap. Il contempla la quatrième avant de l’enrouler de

nouveaulentement.Pasencore,décida-t-il.Letempspassait.Parprécaution,iléteignit lalumièreavantd’entrouvrir la

portedequelquescentimètres.Ilécouta.Iln’yavaitpasunbruitdepas.Seglissantdehors,ildescenditsansbruitlesmarchesmétalliquesetpassaen

hâte devant le générateur trépidant, les ventilateurs ronflants, le tunnel béant,remontalarampe,contournalavoiedeMountVernon,montaauniveauinférieurde Grand Central Station. Là, il se mêla à la foule, silhouette musclée d’unhomme dans la force de l’âge, le torse bombé, la démarche raide. Dans sonvisagegercé,boursouflé,auxpommettessaillantes,auxlèvresmincesetserrées,les paupières lourdes ne dissimulaient qu’à moitié des yeux pâles au regardfureteur.

Unbilletàlamain,ilsepressaversleniveausupérieurd’oùpartaitletrainpourCarley,Connecticut.

4

Neilattendaitlecardel’écoleaucoindelarue.IlsavaitqueMmeLufts leregardaitparlafenêtre.Ildétestaitcela.Aucundesesamisn’étaitsurveilléparsa mère comme il l’était par Mme Lufts. On aurait dit qu’il était au jardind’enfantsetnonàlagrandeécole.

Sijamaisilpleuvait,ilétaitforcéd’attendrel’arrivéeducaràlamaison.Ildétestait cela aussi. Il avait l’air d’une poulemouillée. Il avait bien essayé del’expliquer à son père, mais celui-ci n’avait pas compris. Il avait simplementréponduqueNeildevaitfaireattentionàcausedesescrisesd’asthme.

SandyParkerétaitenhuitième.Ilhabitaitunerueplusloin,maisprenaitlecar à cet arrêt. Il voulait toujours s’asseoir à côté deNeil.Neil aurait préféréqu’il semetteautrepart.Sandyparlait toujoursdechosesdontNeilnevoulaitpasparler.

Aumomentoùlecararrivait,Sandyapparuttoutessoufflé,seslivresglissantde ses bras.Neil tenta de se faufiler vers une place dans le fond,mais Sandyl’appela:«Ici,Neil.Ilyadeuxplaces.»Lecarétaitbruyant.Touslesenfantsparlaient leplushautpossible.Sandyneparlaitpas fort,maisonnemanquaitpasunseuldesmotsqu’ilprononçait.

Il était surexcité. À peine assis, il annonça : « On a vu ton père auxactualités,aupetitdéjeuner.

—Monpère?»Neilsecoualatête.«Tutefichesdemoi?— Non, c’est vrai. La dame que j’ai vue chez toi y était aussi, Sharon

Martin.Ilssedisputaient.—Pourquoi?»Neiln’avaitpasenviedeposerdequestions.Iln’étaitjamais

sûrdepouvoircroireSandy.«Parcequ’ellecroitqu’ilnefautpastuerlescriminelsetquetonpèrepense

lecontraire.Monpèreditqu’ilaraison.Ilditqueletypequiatuétamèredoitgriller.»Sandyrépétalemotavecemphase:«Griller!»

Neil se tourna vers la fenêtre. Il appuya son front contre la vitre froide. Ilavaitenvied’êtreàcesoir.Iln’aimaitpasresterseulaveclesLufts.Ilsétaientgentilsaveclui,maisilssedisputaientbeaucoup;M.Luftsallaitaubarducoin,etMmeLuftssemettaitenfureur,mêmesielleessayaitdeledissimulerdevant

Neil.« Tu n’es pas content qu’ils tuent Ronald Thompson mercredi ? insista

Sandy.—Non…enfin…jen’ypensepas»,fitNeilàvoixbasse.Cen’étaitpasvrai.Ilypensait.Ilenrêvaitaussi,toujourslemêmerêve.Il

jouaitavecsestrainsenhautdanssachambre.Mamanétaitàlacuisine,occupéeàrangerlesprovisions.Ilcommençaitàfairenuit.Undesestrainsavaitdérailléetilavaitcoupélecourant.

C’étaitàcemomentqu’ilavaitentenduunbruitbizarre,commeuncri,maispas très fort. Il avait descendu les escaliers en courant. Il faisait presque noirdans le salon, mais il l’avait vue. Maman. Ses bras essayaient de repousserquelqu’un. Elle faisait des bruits affreux, étouffés. L’homme serrait quelquechoseautourdesoncou.

Neilétaitrestésurlepasdelaporte.Ilvoulaitl’aidermaisilnepouvaitpasbouger. Ilvoulaitappelerausecours,mais ilnepouvaitpasémettreunson. Ils’étaitmisàrespirercommemaman,desdrôlesdegargouillements,etpuissesgenouxétaientdevenustoutmous.

L’hommes’étaitretournéenl’entendantetilavaitlaissétombermaman.Neil tombait aussi. Il sentait qu’il tombait. Ensuite, la pièce était devenue

plus claire. Maman était allongée par terre. Sa langue sortait, sa figure étaitbleue,sesyeuxfixes.L’hommeétaitagenouilléprèsd’ellemaintenant;ilavaitlesmainssursagorge.IlavaitlevélesyeuxversNeilets’étaitenfui,maisNeilavaitpubienvoirsonvisage.Couvertdesueuretterrifié.

Neilavaitdû tout raconterauxpolicierset reconnaître l’hommeauprocès.Ensuite,papaavaitdit:«Essayed’oublier,Neil.Souviens-toidetouslesjoursheureux avec maman. » Mais il ne pouvait pas oublier. Il faisait toujours lemêmerêveetilseréveillaitavecunecrised’asthme.

Maintenant, papa allait peut-être se marier avec Sharon. Sandy lui avaitraconté que tout lemonde disait que son père allait se remarier. Sandy disaitqu’une femme n’a pas envie des enfants des autres, surtout quand ils sontsouventmalades.

M. et Mme Lufts parlaient tout le temps de partir en Floride. Neil sedemandaitsipapalelaisseraitauxLuftsquandilépouseraitSharon.Ilespéraitquenon.Malheureux,ilregardaparlafenêtre,tellementperdudanssespenséesqueSandydutluidonneruncoupdecoudequandlecars’arrêtadevantl’école.

5

Letaxifreinaencrissantdevantl’immeubledujournalNewsDispatchsurlaQuarante-deuxième rue est. Sharon fouilla dans son sac, sortit deux dollars etréglalechauffeur.

La neige avaitmomentanément cessé de tombermais il faisait de plus enplusfroidetletrottoirétaitglissant.

Elle se rendit tout de suite à la salle de rédaction, déjà bourdonnante despréparatifsde l’éditionde l’après-midi. Il y avait unenotedans soncasier.Lerédacteurenchefadjointdésiraitlavoirimmédiatement.

Troubléeparl’urgencedumessage,elletraversaenhâtelasallebruyante.Ilétaitseuldanssonpetitbureauencombré.«Entrezetfermezlaporte.»Illuifitsignedes’asseoir.«Vousavezvotrepapierpouraujourd’hui?

—Oui.—VousencouragezàmultiplierlesappelspourinciterlegouverneurGreene

àcommuerlapeinedeThompson,n’est-cepas?—Bien sûr. J’y ai pensé. Je vais changer l’introduction. Le fait queMme

Greene ait dit qu’elle refusait d’accorder un autre délai d’exécution peut nousaider.Celarisquedepousserencoreplusdegensàl’action.Nousavonsencorequarante-huitheures.

—Laisseztomber.»Sharon le regarda, médusée. « Comment ça, « laissez tomber » ? Vous

m’aveztoujourssoutenuedanscetteaffaire.—J’aidit:laisseztomber.Aprèsavoirprissadécision,MmeGreeneaelle-

même appelé le vieux et l’a envoyé au diable, déclarant que nous faisionsdélibérément du sensationnel pour faire vendre le journal. Elle a dit qu’ellen’était pas non plus partisane de la peine capitale,mais qu’elle n’avait aucundroit d’intervenir dans le jugement de la Cour sans nouvelles preuves. Elle aajoutéquesinousvoulionsfairecampagnepourmodifierlaConstitution,c’étaitnotredroit,etqu’ellenoussoutiendrait.Mais,parcontre,quenospressionspourqu’elleinterviennedansuncasparticulierprouvaientuneconceptionfantaisistedelajustice.Levieuxafiniparluidonnerraison.»

Sharon sentit son estomac se tordre comme si on l’avait battue. Pendant

quelquessecondes,elleeutpeurdevomir.Serrantleslèvres,elleluttacontrelespasmequiluicontractaitlagorge.Lerédacteurluilançaunregardinquiet.«Çava,Sharon?Vousêtestoutepâle.»

Ellerefouladifficilementlegoûtd’amertume.«Çava.— Je peux trouver quelqu’un pour assurer le reportage sur la réunion de

demain.Vousdevriezvousreposerpendantquelquesjours.—Non. »Ledébat à l’Assemblée législative duMassachusetts portait sur

l’abolitiondelapeinedemortdansl’État.Elletenaitàyassister.«Commevousvoulez.Remettezvotrepapieretrentrezchezvous.»Savoix

prit un ton compatissant. « Je suis désolé, Sharon. Un amendementconstitutionnelprendradesannéesetjepensaisquesinousobtenionsqueMme

Greenesoitlapremièreàaccorderunecommutationdepeinecapitale,onauraitpusuivrelamêmedémarcheàchaquefois.Maisjecomprendssaposition.»

Sharonlança:«Etmoi,jecomprendsquelemeurtrelégaliséestloind’êtrecontesté, si ce n’est dans l’abstrait. »Sans attendre sa réaction, elle se leva etquittalapièce.Deretouràsonbureau,ellepritdanslapochedesasacochelesfeuilles dactylographiées de l’article sur lequel elle avait travaillé une grandepartiedelanuit.Elledéchirasoigneusementlespagesendeux,enquatre,etenhuit.Ellelesregardavoltigerdanslacorbeilleàpapierdéfoncée.

Plaçantunefeuilledepapierviergesurlamachineàécrire,ellecommençaàtaper. « Une fois de plus, la Société va exercer un privilège récemmentreconquis,ledroitdetuer.Ilyaprèsdedeuxcentsans,lephilosophefrançaisVoltaireécrivait :«Jeneproposepassansdoute l’encouragementdumeurtre,maislemoyendelepunirsansunmeurtrenouveau.»

«SivouspensezquelapeinedemortdoitêtreabolieparlaConstitution…»Elle écrivit deux longues heures sans bouger, coupant des paragraphes

entiers,rajoutantdesphrases,corrigeant.L’articleterminé,elleleretapa,leremità la rédaction, quitta le journal et héla un taxi. «Quatre-vingt-quinzième rue,justeaprèsCentralParkWest,s’ilvousplaît»,dit-elle.

Le taxi tourna dans l’avenue des Amériques et entra dans Central ParkSouth.Sharoncontemplaitd’unairsombrelesnouveauxfloconsdeneigequiseposaientsurl’herbe.Sicelacontinuait,demainlesenfantsviendraientfairedelaluge.

Lemois dernier, Steve avait apporté ses patins à glace et ils étaient alléspatiner à la patinoireWollman. Neil devait l’accompagner. Après le patinage,Sharonavaitprojetéd’allerauzooetdedîneraurestaurant la«Tavernonthe

Green».Mais, à ladernièreminute,Neil avaitprétextéqu’ilne se sentaitpasbienetilétaitrestéàlamaison.Ilnel’aimaitpas.C’étaitévident.

«Voilà,mademoiselle.—Comment?Oh!excusez-moi!»Ilss’engageaientdanslaQuatre-vingt-

quinzième rue. « La troisième maison à gauche. » Elle habitait le rez-de-chausséesurjardind’unimmeubledetroisétagesenpierrebrunequiavaitétérénové.

Letaxis’arrêtadevantlaporte.Lechauffeur,unhommeminceetgrisonnant,luijetaunregardinterrogateurpar-dessusl’épaule.«Çavadoncsimal?Vousavezl’airàplat.»

Elle esquissa un sourire. « C’est le temps, je suppose. » Un œil sur lecompteur, elle chercha de la monnaie dans sa poche et laissa un généreuxpourboire.

Le chauffeur tendit le bras en arrière pour lui ouvrir la porte. «Bon sang,avecuntempspareil,vousallezvoirlatêtedesgensauxheuresdepointe!Etsijamais il semet à neiger pourdebon…Sivousvoulezmonavis, vous feriezmieuxderesterchezvous.

—JedoispartirdansleConnecticutcesoir.—J’aimeautantquecesoitvousquemoi.Merci,m’dame.»Angie, sa femme de ménage qui passait deux matins par semaine, venait

visiblementdepartir.Ilflottaitunelégèreodeurdecire; lacheminéeavaitétébalayée,lesplantesarroséesetsoignées.Commetoujours,l’appartementoffraitàSharonunaccueilcalmeetchaleureux.Lestonsbleusetrougesduvieuxtapisd’Orientdesagrand-mèreavaientjolimentpassé.Elleavaitrecouvertenbleulecanapé et le fauteuil achetés d’occasion, travail qu’elle avait fait avec amourpendantquatreweek-ends,dontelles’étaitplutôtbiensortie.Quantauxtableauxetgravuressurlesmursetau-dessusdelacheminée,ellelesavaittrouvéspetitàpetitchezlesbrocanteurs,danslessallesdeventeouaucoursdesesvoyagesenEurope.

Steveaimaitcettepièce.Ilremarquaitàchaquefoislemoindrechangement.«Tuasunvraidonpourarrangerunemaison»,luidisait-il.

Elleentramachinalementdanslachambreetcommençaàsedéshabiller.Elleallaitprendreunedouche,sefaireunetassedethéetessayerdedormirunpeu.Pourl’instant,elleétaitincapabledepenserdemanièrecohérente.

Ilétaitpresquemidiquandellesemitaulitetelleréglalasonnerieduréveilsur15h30.Lesommeilfutlongàvenir.RonaldThompson.Elleétaittellementsûrequelegouverneurcommueraitsapeine.Ilnefaisaitaucundoutequ’ilétait

coupable, et le nier lui avait certainementnui.Mais, à l’exceptiond’une autrehistoiresérieusequandilavaitquinzeans,soncasierjudiciaireétaitvierge.Etilétaitsijeune.

Steve. C’étaient des gens comme Steve qui faisaient l’opinion publique.C’étaitlaréputationd’intégritédeSteve,saloyauté,quiluiattiraientl’attentiondupublic.

Aimait-elleSteve?Oui.Beaucoup?Oui,infiniment.Avait-elleenviedel’épouser?Ilsallaientdevoirenparlercesoir.Ellesavait

quec’étaitlaraisonpourlaquelleStevevoulaitqu’ellerestechezluicettenuit.EtildésiraittellementqueNeils’attacheàelle.Maiscen’étaitpasfacile;onneforcepas l’affection.Neilétait sursesgardesavecelle,sipeuconfiant.Est-ceparce qu’il ne l’aimait pas, ou réagissait-il ainsi avec toutes les femmes quidétournaientsonpèredelui?Ellen’auraitsuledire.

Aimerait-ellevivreàCarley?Elleaimait tantNewYork,elle l’aimaitseptjourssursept.MaisSteven’accepteraitpasdefairevenirNeilenville.

Elle commençait à peine à réussir comme écrivain. Son livre en était à lasixième édition. Refusé par toutes les grandes maisons d’édition, il avait étédirectement publié en livre de poche.Mais les critiques et les ventes s’étaientrévéléesexceptionnellementbonnes.

Était-ce vraiment lemoment de semarier ?De semarier avec un hommedontlefilslarejetait?

Steve. Inconsciemment, elle toucha son visage, se rappelant la chaleur desgrandes mains douces quand il l’avait quittée ce matin. Ils étaient sidésespérémentamoureuxl’undel’autre…

Maiscommentaccepterait-ellelecôtéinflexible,obstinédesoncaractère?Ellefinitpars’assoupir.Presqueaussitôt,ellesemitàrêver.Elleécrivaitun

article. Elle était sur le point de le terminer. C’était important de le terminer.Maiselleavaitbeaufrapperdetoutessesforcessurlestouchesdelamachine,pasunmotnes’imprimaitsurlepapier.C’estalorsqueSteveentrait.Iltiraitunjeunehommeparlebras.Elles’efforçaittoujoursdefairevenirlesmotssurlepapier.Steveobligeaitlegarçonàs’asseoir.«Jesuisnavré,luirépétait-il,maisc’est nécessaire.Vous devez comprendre que c’est nécessaire. »Et tandis queSharon tentait en vain de crier, Steve entravait de chaînes les poignets et leschevillesdujeunehommeettendaitlamainversl’interrupteur.

Lesond’unevoixrauquelaréveilla,lasienne,quihurlait:«Non…non…non…»

6

Àsixheuresmoinscinq,danslesruesdeCarley,Connecticut,quelquesrarespersonness’engouffraientdans lesmagasins,sanssesoucierd’autrechosequed’échapperaufroidneigeuxdelanuit.

L’homme,immobiledansl’ombreàl’angleduparkingdurestaurantCabin,passaitparfaitementinaperçu.Levisagecingléparlaneige,ilscrutaitsanscesselesalentours.Ilétaitlàdepuisbientôtvingtminutesetilavaitlespiedsglacés.

Agacé,ilchangeadeposition,etleboutdesonsoulierheurtalesacdetoileàsespieds.Il tâtonnalesarmesdans lapochedesonpardessus.Ellesétaient là,soussamain.Ilhochalatête,satisfait.

Les Lufts allaient arriver d’un moment à l’autre. Il avait téléphoné aurestaurant et s’était fait confirmer la réservation pour 6 heures. Ils avaientl’intentiondedîneravantd’allervoirAutantenemporteleventdeSelznick.LefilmsejouaitauCarleySquareTheater,justedel’autrecôtédelarue.Laséancede4heuresétaitdéjàcommencée.Ilsiraientàcellede7h30.

Ilseraidit.Unevoitureentraitdansleparking.Ilreculaderrièrelabordured’épicéas.C’étaitleurbreak.Illesregardasegarerprèsdel’entréedurestaurant.Leconducteursortitetcontournalavoiturepouraidersafemmeàmarchersurlebitume glissant. Courbés contre le vent, accrochés l’un à l’autre, le pasmaladroit,lesLuftssehâtaientverslaportedurestaurant.

Il attendit qu’ils soient bien entrés pour ramasser son sac. En quelquesfoulées, il fit le tour du parking, prenant soin de rester caché par le massifd’arbres.Iltraversalarueetcourutderrièrelecinéma.

Unecinquantainedevoituresétaientgarées.IlsedirigeaversuneChevroletmarronfoncé,vieilledehuitans,discrètementgaréedanslecoinleplusreculé.

Ouvrirlaporteneluipritqu’uneminute.Ilseglissasurlesiège,mitlaclefdans le contact et tourna.Lemoteur ronflaà régime régulier. Il eutun sourireimperceptible et après un dernier regard aux alentours déserts, fit démarrer lavoiture.La rue était vide et il passadevant le cinéma sans allumer lesphares.Quatre minutes plus tard, la vieille berline marron s’engageait dans l’alléecirculairedelamaisondesPetersonsurDriftwoodLaneetsegaraitderrièreunepetiteVegarouge.

7

Le trajetdeManhattanàCarleyprenaithabituellementmoinsd’uneheure,mais lesprévisionsmétéorologiquesalarmantesavaientpoussé leshabitantsdelabanlieueàquitterNewYorkplus tôt.Avecladensitéde lacirculationet lesplaquesdeverglassurlesautoroutes,Sharonmitpresqueuneheurevingtpourarriver chezSteve.Mais elle se souciait peude cette lenteur exaspérante.Ellepensait seulement à ce qu’elle allait dire à Steve. «Cela ne peut pasmarcherpournous…Nousn’avonspaslesmêmesidées…Neiln’accepterajamais…Ceseraitplussimpledeneplusnousvoir.»

LamaisondeSteve,unemaisondestylecolonialenbois,blancheavecdesvolets noirs, oppressait Sharon. La lumière de la véranda était trop crue. Lesarbustesle longdesmursétaient trophauts.SharonsavaitqueSteveetNinayavaientàpeinevécuquelquessemainesavantlamortdelajeunefemme,etqueluin’avaitfaitaucunedestransformationsprojetéesenl’achetant.

Elle gara sa voiture après les marches du perron et se préparainconsciemmentaufeuroulantdel’accueildeMmeLuftsetàlafroideurdeNeil.Maisceseraitladernièrefois.Cettepenséeaccrutsamélancolie.

De toute évidence, Mme Lufts surveillait son arrivée. La porte d’entrées’ouvritdèsqueSharondescenditdevoiture.«MademoiselleMartin,monDieu,çafaitplaisirdevousvoir.»Lasilhouettetrapuedelafemmeemplissaitleseuilde la porte. Son visage aux traits menus, ses yeux brillants et curieux, luidonnaientl’aird’unécureuil.Elleportaitunlourdmanteaudedraprougeetdesbottillonsdecaoutchouc.

«Bonjour,madameLufts. »Sharon la précédadans lamaison.Mme Luftsavaitcettehabitudedesetenirtoujourssiprèsdevousqu’onavaitàchaquefoisl’impressiond’étouffer.EllereculajusteassezpourlaisserpasserSharon.

« C’est vraiment gentil à vous de venir, dit-elle. Voilà, donnez-moi votrecape.J’adorelescapes.Ellesvousdonnentunaircharmantetféminin,vousnetrouvezpas?»

Sharonposasonsacetsonnécessairedevoyagedansl’entrée.Elleretirasesgants.«Sansdoute,oui,jen’yaijamaispensé.»Ellejetauncoupd’œildanslesalon.«Oh!…»

Neilétaitassis,jambescroisées,surletapis,desmagazineséparsautourdelui,unepairedeciseauxàboutsrondsàlamain.Sescheveux,dumêmeblondcendré que ceux de son père, lui retombaient sur le front, dégageant son couminceetvulnérable.Sesmaigresépaulespointaientsouslachemisedeflanellemarron et blanche. Il était très pâle, excepté les traces rouges autour desimmensesyeuxbrunspleinsdelarmes.

«Neil,disbonjouràSharon»,ordonnaMmeLufts.Il leva les yeux, indifférent. « Bonjour, Sharon. » Sa voix était basse et

tremblante.Il semblait si petit, si triste, si décharné. Sharon faillit le prendre dans ses

bras,maisellesavaitqu’illarepousserait.MmeLuftstoussota.«Jeveuxbienêtrependuesijecomprends.Ils’estmisà

pleurerilyaquelquesminutesàpeine.Etilrefusededirepourquoi.Onnesaitjamais ce qui se passe dans cette petite tête. Bon, vous ou son père vous entirerezpeut-êtrequelquechose.»Savoixmontad’uneoctave.«Billll!…»

Sharon sursauta, les tympans transpercés. Sans plus attendre, elle allarejoindreNeildanslesalon.«Qu’es-tuentraindedécouper?demanda-t-elle.

—Oh!rien,desespècesdephotosd’animaux!»Neilnelaregardaitplus.Ellesavaitqu’ilétaitgênéqu’onl’aitvupleurer.

«Jeprendraisvolontiersunverredesherry,etpuis jepourrais t’aidersi tuveux.Tuasenvied’uncocaoudequelquechose?

—Non.»Neilhésita,ajoutacommeàregret:«Merci.—Servez-vous,ditMmeLufts.Faitescommechezvous.Vousconnaissezla

maison.J’aipréparé toutcequiétaitmarquésur la listequeM.Petersonavaitlaissée, le steak, la vinaigrette, les asperges et la glace. Tout est dans leréfrigérateur. Jem’excused’être aussi pressée,mais nousdînons au restaurantavantlecinéma.Bill!…

—J’arrive,Dora.»Le tonde lavoixétaitcontrarié.BillLuftsmontaitdusous-sol. « Je vérifiais les fenêtres, dit-il. Je voulais voir si elles étaient bienfermées.Bonjour,mademoiselleMartin.

— Bonjour, monsieur Lufts. Comment allez-vous ? » C’était un hommed’une soixantaine d’années, petit, assez gros, aux yeux d’un bleu délavé. Lacouperosefaisaitdestachesrévélatricessurlesjouesetlesailesdunez.SharonsesouvintqueSteves’inquiétaitdupenchantdeBillLuftspourlaboisson.

«Bill,tuvastedépêcher,oui?»Safemmedonnaitdessignesd’impatience.«Tusaisbienquejedétesteavalermonrepasenquatrièmevitesseetnousallonsêtreenretard.Laseulefoisoùtumesors,c’estlejourdenotreanniversaire;tu

pourraisaumoinst’activer.—Bon!bon!»BillsoupiraetfitunsignedetêteversSharon.«Àtoutà

l’heure,mademoiselleMartin.—Amusez-vousbien.»Sharon le suivit dans l’entrée.«Et, ah !oui, bon

anniversaire!—Prends tonchapeau,Bill.Tuvasattraper lacrève…Quoi?Oh!merci,

merci,mademoiselleMartin!Dèsquejeseraiassisebientranquilledevantmonassiette,alorsjecommenceraiàtrouverquec’estunanniversaire.Maispourlemoment,avectoutecettebousculade…

—Dora,c’esttoiquiasvouluvoircefilm.— Bon. Je suis prête. Amusez-vous bien tous les deux. Neil, montre ton

carnetdenotesàSharon.Iltravailletrèsbien;tuserasbiensage,n’est-cepas,Neil?Jeluiaidonnéungoûterpourtenirjusqu’audîner,maisiln’yapresquepastouché.Ilaunappétitd’oiseau.Çava,Bill,çava,j’arrive.»

Ils s’en allèrent enfin. Sharon frissonna au courant d’air glacial quis’engouffra dans l’entrée avant qu’elle ne referme la porte derrière eux. Elleretournadanslacuisine,ouvritleréfrigérateuretpritlabouteilledesherry.Ellehésita,sortituncartondelait.Neilavaitbienditqu’ilnevoulaitrien,maiselleallaitluipréparerunchocolatchaud.

Pendantquelelaitchauffait,ellebutsonsherryàpetitesgorgéesetjetauncoupd’œilautourd’elle.MmeLuftsfaisaitdesonmieux,maisellenesavaitpastenirunemaisonetlacuisinen’étaitpastrèsnette.Ilyavaitdesmiettesdepainautourdugrille-painetsurlebuffet.Ledessusdelacuisinièreavaitbesoind’unsérieuxnettoyage.Enfait,toutelamaisonavaitbesoind’êtreretapée.

Ledosdelapropriétédonnaitsurlamer,surLongIslandSound.«Ilfaudraitcoupercesarbresquibouchentlavue,pensaSharon,fermerlavérandapardesbaies vitrées pour agrandir le salon, abattre une grande partie des cloisons etfaireuncoinpourlepetitdéjeuner…»Ellesereprit.Cen’étaitpassesaffaires.C’étaitseulementquelamaisonetNeiletmêmeSteveavaientunairtellementabandonné.

Maiscen’étaitpasàelledeleschanger.LapenséedeneplusvoirSteve,deneplusattendresescoupsdetéléphone,deneplussentirsesbrasfortsetdouxautourd’elle,deneplusvoircetairsoudaininsouciantenvahirsonvisagequandelleplaisantait, l’emplitd’unsentimentdésoléde solitude.C’est sansdoutecequel’onressentlorsqu’ilfautquitterquelqu’un,pensa-t-elle.QueressentaitMme

Thompson,sachantquesonuniqueenfantallaitmouriraprès-demain?Elle connaissait le numéro de téléphone de Mme Thompson. Elle l’avait

interviewée quand elle s’était décidée à s’occuper du cas deRon.Durant sonderniervoyage,elleavaitmaintesfoisessayédelajoindrepourluiannoncerquebeaucoup de gens très importants avaient promis d’intervenir auprès dugouverneur.Maisellenel’avaitjamaistrouvéechezelle.SansdouteparcequeMme Thompson était elle-même en train de faire une pétition auprès deshabitantsdeFairfieldCounty.

Pauvrefemme.ElleavaittantespérédelavisitedeSharon,maiselleavaiteul’airbouleverséeenapprenantquelajournalistenecroyaitpasenl’innocencedeRon.

Mais quelle mère pourrait croire son fils capable d’un meurtre ? Mme

Thompsonétaitpeut-êtrechezelleaujourd’hui.Peut-êtreserait-elleheureusedeparleràquelqu’unquiavaittentédesauverRon?

Sharonbaissalaflammesouslacasserole,allaversletéléphoneaccrochéaumurdelacuisineetcomposalenuméro.Ondécrochaàlapremièresonnerie.LavoixdeMmeThompsonétaitétonnammentcalme.«Allô!

—MadameThompson,iciSharonMartin.Jevoulaisvousdireàquelpointjesuisnavrée,etvousdemanders’ilyaquelquechosequejepuissefaire…

—Vousenavezfaitassez,mademoiselleMartin.»L’amertumedanslavoixde la femmesurpritSharon.«Simon filsmeurtmercredi, sachezque jevoustienspourresponsable.Jevousavaisdemandédenepasvousenmêler.

—MadameThompson,jenecomprendspas…— Je veux dire, dans tous les articles que vous avez écrits, vous répétiez

qu’aucundoutenesubsistaitsurlaculpabilitédeRonaldmaisquelàn’étaitpasla question.Mais c’était la question,mademoiselleMartin ! » La voixmontad’unton.«C’estlaquestion!Ilyavaiténormémentdegensquiconnaissaientmonfils,quisavaientqu’ilétaitincapabledefairedumalàquiquecesoit,quis’efforçaientd’obtenirsagrâce.Maisvous…vousavezempêchélegouverneurd’examiner son cas uniquement sur les faits…Nous n’abandonnons pas, et jecroisqueDieum’épargnera,maissijamaismonfilsmeurt,jenerépondspasdecequejevousferai.»

La communication fut coupée. Stupéfaite, Sharon regarda fixement lerécepteur qu’elle tenait dans sa main. Mme Thompson pouvait-elle vraimentcroire?…Elleraccrochamachinalementl’appareil.

Lelaitbouillaitdanslacasserole.D’ungestemécanique,ellepritlaboîtedeNesquickdansleplacardetenversaunepleinecuilleréeàcafédansunbol.Elleajoutalelait,remuaetmitlacasseroledansl’évier.

Encoresouslecoupdel’accusationdeMmeThompson,elles’avançaversle

salon.Onsonnaitàlaporte.Neilseprécipitaavantqu’ellenepuissel’arrêter.«C’estpeut-êtrepapa.»Il

semblaitsoulagé.Ilneveutpas se trouver seul avecmoi,pensaSharon.Elle l’entendit faire

jouerladoubleserrureetunesensationd’alarmelatraversa.«Neil,attends,cria-t-elle.Demandequic’est.Tonpèreasaclé.»

Elle posa précipitamment le bol de chocolat et son verre de sherry sur latableprèsdelacheminéeetcourutdansl’entrée.

Neilluiobéit.Unemainsurleboutondelaporte,ilhésitait.Ilcria:«Quiest-ce?

—M.BillLuftsest-illà?demandaunevoix.J’apportelegénérateurqu’ilacommandépourlebateaudeM.Peterson.

—Oh!c’esttrèsbien!ditNeilàSharon.M.Luftsl’attendait.»Iltournalapoignéedelaporte.Àpeineentrouverte,celle-cifutviolemment

repoussée, plaquant Neil contre le mur. Interdite, Sharon regarda l’hommepénétrer dans lamaison et refermer la porte derrière lui d’un geste fulgurant.Neiltombaparterreensuffoquant.Instinctivement,Sharonseprécipitaverslui.Ellel’aidaàserelever,et,unbraspasséautourdel’enfant,fitfaceàl’intrus.

Deuximpressionstrèsdistinctessegravèrentdanssonesprit.Lapremièrefutleregardfixe,étincelant,del’inconnu.Laseconde,lerevolveràcanonlongetmincequ’ilpointaitverssatête.

8

LaréuniondanslasalledeconférencesdeL’Événementseprolongeajusqu’à19h30.Lesujetprincipaldel’entretienportaitsurlerapportqueNielsonvenaitdeprésenter.Ilétaittrèsfavorable.Deuxsurtroisdeslecteursinterviewésâgésde vingt-cinq à quarante ans et ayant fait des études supérieures préféraientL’Événement à Time ou à Newsweek. En outre, la diffusion avait dépassé dequinze pour cent celle de l’année dernière et la nouvelle publicité régionalemarchaitbien.

À la finde la réunion,Bradley, ledirecteurde lapublication, se leva.« Jecrois que nous pouvons être satisfaits de ces statistiques, dit-il. Nous avonstravaillé dur pendant près de trois ans, mais nous avons réussi. Ce n’est pasfacilede lancerunmagazineces temps-ciet,pourmapart, jedésiredirequ’àmonavis,ladirectioncréatricedeStevePetersonaétélefacteurdécisifdenotresuccès.»Aprèslaréunion,StevedescenditenascenseuravecBradley.«Merci,Brad,dit-il,c’étaittrèsgénéreuxdevotrepart.»

Le plus âgé des deux hommes haussa les épaules. « Ce n’était que juste.Nous avons réussi, Steve.Nous allons enfin commencer à gagner décemmentnotrevie.Cen’estpas troptôt.Jesaisquecelan’apasétéfacilepourvous.»Steve eut un sourire sardonique. « Non, en effet. » La porte de l’ascenseurs’ouvritsurlehallprincipal.

«Bonsoir,Brad.Jefile.Jeveuxattraperletrainde19h30…—Uneminute,Steve.Jevousaivuauxactualitéscematin.—Oui.— Je vous ai trouvé très bon. Mais Sharon aussi. Et personnellement,

j’avouequejepartagesesopinions.—Beaucoupdegenségalement.—Jel’aimebien,Steve.Elleestvraimentastucieuse…Etfichtrementbelle

aussi.Unefilleformidable.—C’estvrai.—Steve,jesaiscequevousaveztraversécesdeuxdernièresannées.Jene

veuxpasmemêlerdecequineme regardepas,maisSharonseraitbienpourvous… et pour Neil. Ne laissez pas les conflits, si forts soient-ils, se dresserentrevousdeux.

—C’estmonsouhait leplusvif,réponditcalmementSteve.Etmaintenant,aumoins, jepeuxoffriràSharonautrechosequ’un typecomplètementfauchéavecchargedefamille.

—Allons,elleaunesacréechancedevousavoir,vousetNeil!Venez,mavoitureestdehors.JevousdéposeàGrandCentral.

—Épatant.Sharonestàlamaisonetjenevoudraispasraterletrain.»La limousine de Bradley était devant la porte. Le chauffeur se faufila

rapidementà travers lesembouteillagesducentredelaville.Steveserenversadanslesiègeetsoupira.

« Vous avez l’air éreinté, Steve. Cette affaire Thompson vous a rudementéprouvé.»

Steve haussa les épaules. «C’est exact. Tout a resurgi. Tous les journaux,dans le Connecticut, ressortent la…mort de Nina. Je sais que les enfants enparlent à l’école. Jem’inquiète de ce que peut entendreNeil.Et je suis navrépourlamèredeThompson…pourluiaussi.

—Pourquoi n’emmenez-vous pasNeil pendant quelques jours, jusqu’à cequetoutsoitterminé?»

Steveréfléchit.«Jedevraislefaire.Ceseraitsansdouteunebonnechose.»La limousines’arrêtasurVanderbiltAvenue,devantGrandCentralStation.

BradleyRobertsonsecoualatête.«Vousêtestropjeunepourvousensouvenir,Steve,mais dans les années trente,GrandCentral était la plaque tournante detous les transports de ce pays. Il y avaitmême un feuilleton à la radio…» Ilfermalesyeux.«GrandCentralStation,carrefourd’unmilliondeviesprivées,

c’étaitleslogan.»Steve rit. « Et vint ensuite l’âge du jet. » Il ouvrit la porte. « Merci de

m’avoirdéposé.»Sortant sa carte d’abonnement, il traversa rapidement la gare. Il avait cinq

minutes avant ledépart du train et il voulait téléphoner chez lui pourprévenirSharonqu’ilprenaitbienletrainde19h30.

Ileutungestedelassitude.«Neteracontepasd’histoires,pensa-t-il.Tuassimplement envie de lui parler, de t’assurer qu’elle n’a pas changé d’avis etqu’elleestbienlà.»Ilentradansunecabinetéléphonique.Iln’avaitpasassezdemonnaieetappelaenP.C.V.

Letéléphonesonnaunefois…deux…troisfois.Latéléphonisteintervint.«Jefaisvotrenuméro,maisçanerépondpas.—Ilyasûrementquelqu’un.Essayezencore,s’ilvousplaît.—Bien,monsieur.»Lasonneriecontinua,harcelante.Àlacinquièmefois,latéléphonisterevint

enligne.«Çanerépondtoujourspas,monsieur.Voulez-vousrappelerplustard?—Mademoiselle, soyez gentille de vérifier le numéro. Êtes-vous certaine

d’avoirfaitle2035651313?—Jevaislecomposerencoreunefois,monsieur.»Steve contemplait l’appareil dans samain.Oùpouvaient-ils donc être ?Si

Sharon n’était pas venue, les Lufts avaient peut-être demandé aux Perry degarderNeil.

Non.Sharonluiauraittéléphonésielleavaitdécidédenepasvenirchezlui.Àmoins queNeil n’ait eu une nouvelle crise d’asthme…et s’il avait fallu letransporterd’urgenceàl’hôpital?

Cela n’aurait rien d’étonnant s’il avait entendu parler de l’exécution deThompsonàl’école.

Neilavaitdescauchemarsdeplusenplusfréquentscestemps-ci.Il était 19 h 29. Le train partait dans uneminute. Il le manquerait s’il se

mettait à téléphoner au docteur, à l’hôpital ou aux Perry, et devrait attendrequarante-cinqminutesavantleprochain.

La ligne était peut-être en dérangement à cause dumauvais temps.On nes’enapercevaitpastoutdesuite,parfois.

Steve composa le numéro des Perry, puis changea d’idée. Il raccrocha,traversa la gare au pas de course. Dévalant quatre à quatre les escaliers quimenaientauquai,ilmontadansletrainaumomentoùlesportesserefermaient.

Au même instant, un homme et une femme passaient devant la cabine

téléphonique qu’il venait de quitter. La femme portait un long manteau grisdéformé.Unfoulardd’unbleucrasseux luicouvrait la tête.L’hommeavaitunbraspasséautourd’elle.Del’autremain,ilagrippaitungrossacdetoilekaki.

9

Sharon regardait fixement lesmainspuissantesqui tenaient le revolver, lesyeuxfureteursquiglissaientdusalonauxescaliersets’attardaientsursoncorps.

«Quevoulez-vous?»murmura-t-elle.Aucreuxdesonbras,ellesentaitlecorpsdeNeilagitédeviolentssoubresauts.Elleresserrasonétreinte, lepressacontreelle.

« Vous êtes Sharon Martin. » C’était une constatation. La voix étaitmonocorde,sansinflexion.Sharonsentitunebouleluiserrerlagorge.Ellefituneffort pour avaler. « Que voulez-vous ? » répéta-t-elle. Le léger sifflementcontinudans larespirationdeNeil…etsi lapeur luidonnaitunedesescrisesd’asthme?Elleessayadesemontrercoopérative.«Jedoisavoirquatre-vingt-dixdollarsdansmonsac…

—Fermez-la.»Letonuniformelaglaça.L’inconnulaissatomberlesacqu’ilportait.C’était

ungrandsacdetoilekaki,dugenresacdemarin.Ilfouilladanssapocheetentiraunepelotedecordeetunrouleaudelargesbandes.Illeslaissatomberàcôtéd’elle.«Bandezlesyeuxdugosseetattachez-le,ordonna-t-il.

—Non!Jenepeuxpasfaireça!—Vousferiezmieuxdelefaire!»Sharon baissa les yeux sur Neil. Il dévisageait l’homme. Ses yeux étaient

vitreux,lespupillesénormes.Ellesesouvintqu’aprèslamortdesamère,ilétaitrestédansunétatdechocprofond.

«Neil…je…»Commentl’aider,lerassurer?«Assieds-toi.»L’ordres’adressaitàNeil,tranchant.L’enfantlevaunregard

suppliant vers Sharon, et s’assit sans protester sur la dernière marche del’escalier.

Sharons’agenouillaàcôtédelui.«Neil,n’aiepaspeur.Jesuisavectoi.»Àmains tremblantes,ellesaisit l’unedesbandeset l’enroulaautourdesesyeux,l’attachantderrièrelatête.

Ellelevalesyeux.L’inconnufixaitNeil.Lerevolverétaitpointésurlui.Elleentenditundéclic ;attiraNeilcontreelle, lui faisantunbouclierdesoncorps.«Non…non…pasça.»

L’inconnularegarda;ilabaissalentementlerevolver,lelaissantpendreau

boutdesonbras.IlavaitfaillituerNeil,pensa-t-elle.Ilétaitprêtàletuer.«Attachez-le, Sharon. » Il y avait une sorte de familiarité dans le ton de

commandement.Les mains tremblantes, elle obéit. Elle attacha les poignets de l’enfant,

essayantdeserrerlemoinspossiblepournepascouperlacirculation.Etunefoislesmainsdel’enfantliées,ellelespressaentrelessiennes.

L’hommepassaderrièreelle,coupalacordeavecsoncouteau.«Dépêchez-vous…attachez-luilespieds.»

L’énervementperçaitdanssavoix.Ellesehâtad’obéir.LesgenouxdeNeiltremblaientsifortqu’ilavaitdumalàgarderlesjambesjointes.Elleenroulalacordeautourdeseschevillesetlanoua.

«Bâillonnez-le!— Il va s’étouffer, il est asthmatique… » La protestation mourut sur ses

lèvres. Le visage de l’homme avait changé, il était plus pâle, tendu. Sespommetteshautesbattaientsouslapeautirée.Ilétaitsurlepointdeperdresonsang-froid.Désespérément,ellebâillonna labouchedeNeil, laissant le tissu lepluslâchequ’elleput.Pourvuqu’ilnes’étranglepas…

Une main la sépara brutalement de l’enfant. Elle tomba à la renverse.L’homme se penchait sur elle, enfonçait un genou dans son dos. Il lui tira lesbras en arrière. La corde lui scia les poignets. Elle ouvrit la bouche pour seplaindre,sentituntampondetissul’asphyxier.Ilserrabrutalementunebandedegazesursaboucheetsesjoues,l’attachaderrièresatête.

Elle nepouvait plus respirer.S’il vousplaît…Non…Lesmainsglissaientsursescuisses,s’attardaient.Illuijoignaitlesjambes;lacordemorditdanslecuirsoupledesbottes.

Ellesesentitsoulevée.Satêteretombaenarrière.Qu’allait-ilfaired’elle?La porte d’entrée s’ouvrit. L’air froid et humide lui cingla le visage. Elle

pesaitsoixantekilos,maisleravisseurdescenditàlahâtelesmarchesglissantesduperroncommesielleétaitaussilégèrequ’uneplume.Ilfaisaitsisombre.Ilavaitsansdouteéteintleslumièresdel’extérieur.Ellesentitsesépaulesheurterquelque chose de froid, de métallique. Une voiture. Elle s’efforça d’inspirerprofondémentparlenez;d’habituersesyeuxàl’obscurité.Ilfallaitgarderlesidéesclaires,nepass’affoler,réfléchir.

Le grincement d’une porte qu’on ouvre. Sharon se sentit tomber. Sa têterebondit contre un cendrier ouvert. Ses genoux et ses chevilles encaissèrent lechoc quand elle heurta le plancher. Il flottait une odeur demoisi. Elle était àl’arrièred’unevoiture.

Elle entendit le crissement des pas s’éloigner. L’homme retournait dans lamaison.Neil !Qu’allait-il faireàNeil ?Sharoncherchade toutes ses forcesàlibérersesmains.Ladouleurmontalelongdesesbras.Lacordepénétraitdansses poignets. Elle revit la façon dont l’intrus avait regardé Neil, dont il avaitrelâchélecrandesécuritédurevolver.

Lesminutespassèrent.Jevousenprie,monDieu,jevousensupplie…Unbruitdeporte.Lecrissementdespasquiserapprochentdelavoiture.Laporteavantdroitequis’ouvre.Sesyeuxs’habituaientàl’obscurité.Dansl’ombre,ellepercevaitsasilhouette.Ilportaitquelquechose…lesacdetoile.Oh!monDieu,Neilétaitdanslesac!Elleenétaitsûre.

Il sepenchait dans lavoiture, jetait le sac sur le siège, le repoussait sur leplancher.Sharonentendit lesonmatet sourd. IlallaitblesserNeil. Ilallait luifairemal.Laporteserefermait.Lespasfaisaientletourdelavoiture.Laporteduconducteurs’ouvrait,serefermaitavecunbruitsec.Lesombresbougeaient.Elleentendaitunerespirationrêche.Ilsepenchaitsurelle,laregardait.

Sharonsentitquelquechosetombersurelle,quelquechosequiluigrattaitlajoue… une couverture ou un manteau. Elle bougea la tête, cherchant à sedégagerdurelentâcre,suffocant,detranspiration.

Lemoteurronfla.Lavoituredémarra.Seconcentrer sur lesdirections.Sesouvenirdechaquedétail.Plus tard, la

policevoudraitsavoir.Lavoituretournaitàgauchedanslarue.Ilfaisaitfroid,sifroid. Sharon frissonna et le tremblement resserra les nœuds, enfonça plusprofondément lescordesdans ses jambes, sesbras, sespoignets.Sesmembresprotestaient.Arrêtedebouger!Restecalme!Net’affolepas!

Laneige.Ilneigeaittoujours,ilyauraitdestracespendantuncertaintemps.Maisnon.Ilyavaittropdeneigefonduemêléeauxflocons.Ellel’entendaitsurlesvitres.Oùallaient-ils?

Le bâillon. Elle suffoquait. Respirer lentement par le nez. Neil. Commentrespirait-ildanslesac?Ildevaitétouffer.

Lavoitureaccéléra.Oùlesemmenait-il?

10

Roger Perry jetait un regard distrait par la fenêtre du salon surDriftwoodLane.Ilfaisaituntempsdechienetc’étaitbond’êtreàlamaison.Ilétaitrentrédepuisunquartd’heureetlaneigetombaitdeplusenplusfort.

Bizarre, toutela journéeunsentimentd’appréhensionl’avaitrongé.Glendan’étaitpasbiendepuisdeuxsemaines.C’étaitça.Ils’amusaitsouventàluidirequ’elle faisait partie de ces femmes qui embellissent à chacun de leursanniversaires. Ses cheveux, aujourd’hui d’un beau gris argenté, mettaient envaleur des yeux couleur de bleuet et un teint ravissant. Elle avait la taille 44quandlesgarçonsétaientpetits,maisilyadixanselleavaitmincijusqu’au38.«Pourfairebonnefiguresurmesvieuxjours»,plaisantait-elle.Mais,cematin,en lui portant son café au lit, il avait remarqué à quel point elle était pâle,combiensonvisageavaitmaigri.Ilavaittéléphonéaudocteurdesonbureauettousdeuxavaientconvenuquec’étaitl’exécutiondemercrediquilatourmentait.SontémoignageavaitcontribuéàfairecondamnerlejeuneRonaldThompson.

Rogersecoualatête.C’étaitunehistoireatroce.Atrocepourcemalheureuxgarçon,pourtousceuxquiyétaientimpliqués.Steve…lepetitNeil…lamèredeThompson…Glenda.Glendanesupportaitpascetteépreuve.Elleavaiteuuninfarctustoutdesuiteaprèsavoirtémoignéauprocès.Rogerrepoussalapenséequ’unesecondeattaquepouvaitêtremortelle.Glendan’avaitquecinquante-huitans.Maintenantque lesgarçonsétaientpartis, ilvoulaitvivrecesannéesavecelle.Ilenétaitincapablesanselle.

Ilétaitheureuxqu’elleaitenfinacceptédeprendreunefemmedeménage.Mme Vogler devait commencer demain matin et viendrait tous les jours de9 heures à 13 heures. Ainsi, Glenda pourrait se reposer sans se soucier de lamaison.

IlseretournaenentendantGlendaentrerdanslapièce.Elleportaitunpetitplateau.

«J’allaislefaire,protesta-t-il.—Çanefaitrien.Tuasl’aird’enavoirbesoin.»Elleluitenditunwhiskyet

setintaffectueusementàsescôtésdevantlafenêtre.«J’enaibesoin,eneffet.Merci,chérie.»Ilremarquaqu’ellebuvaituncoca.

SiGlendaneprenaitpasunverredewhiskyaveclui,celanesignifiaitqu’uneseulechose.«Tuaseumal,aujourd’hui?»Cen’étaitpasunequestion.

«Unpeu.—Combiendetrinitrinesas-tupris?— Seulement deux. Ne t’inquiète pas, je vais bien. Oh ! regarde ! C’est

bizarre!—Quoi?»Nechangepasdesujet,pensaRoger.«LamaisondeSteve.Leslumièresdel’extérieursontéteintes.—Voilàpourquoiellemesemblaitsisombre»,remarquaRoger.Ils’arrêta.

« Pourtant, jemettraimamain au feu qu’elles étaient allumées quand je suisrentré.

—Jemedemandequiapuéteindre.»Glendaétaittroublée.«DoraLuftsestsinerveuse.Tudevraispeut-êtreyfaireunsaut…

—Oh!jenepeuxpasfaireça,chérie!Jesuissûrqu’ilyauneexplicationtrèssimple.»

Elle soupira. « Je suppose.C’est seulement que…eh bien, tout ce qui estarrivé…m’obsèdetellementcestemps-ci.

— Je sais. » Il passa un bras réconfortant autour de ses épaules, sentit latensiondetoutsoncorps.«Assieds-toietdétends-toi…

—Attends,Roger.Regarde!»Ellesepenchaenavant.«IlyaunevoiturequisortdechezSteve.Lespharesnesontpasallumés.Jemedemandequi…

—Maintenant,arrêtede tedemanderetviens t’asseoir.»Le tondeRogerétaitferme.«Jevaischercherdufromage.

—Lebrieestsurlatable.»IgnorantlapressionaffectueusedelamaindeRoger sur son coude, Glenda chercha ses lunettes dans sa longue jupemolletonnée. Les glissant sur son nez, elle se pencha à nouveau et observaattentivementlecontoursombreetcalmedelamaisond’enface.Maislavoiturequ’elle avait vue sortir de l’allée des Peterson avait déjà dépassé la fenêtre etdisparaissaitauboutdelarue,danslaneigetourbillonnante.

11

«Aprèstout,demainestunautrejour.»Accroupiesurladernièremarchedel’escalier, un soupçon d’espoir dans la voix, Scarlett O’Hara murmurait lesderniers mots, et la musique s’amplifia en crescendo tandis que la dernièreimagedufilmsedissipaitdansunelonguevuedeTara.

MarianVogler soupira.Lamusiquemourut lentement et les lumièresde lasalle se rallumèrent. On ne fait plus de film comme ça, pensa-t-elle. Elle nevoudraitjamaisvoiraucunesuiteàAutantenemportelevent.Çanepourraitêtrequ’unedéception.

Elle se leva à contrecœur. Il était temps de revenir sur terre. Son visageavenant, parsemé de taches de rousseur, reprit peu à peu son expressionpréoccupéetandisqu’elleremontaitl’alléeverslasortie.

Chacun des enfants avait besoin de nouveaux vêtements. Dieumerci, Jimavaitfiniparaccepterqu’elleprennecetteplacedefemmedeménage.

Ilpouvaits’arrangerpoursefaireconduireàl’usineetluilaisserlavoiture.Elledéposerait lesenfantsà l’écoleet aurait le tempsde faire leménagechezelleavantd’allerchezlesPerry.Ellecommençaitdemain.Çalarendaitunpeunerveuse.Elle n’avait pas travaillé depuis douze ans…depuis la naissance dupetit Jim.Mais s’il y a une chose qu’elle savait, c’était comment briquer unemaison.

Elle quitta la chaleur du cinémapour le froidmordant de ce soir demars.Frissonnant,elletournaàdroiteetmarchad’unpasvif.Deminusculesgouttesdeneigefonduemêléesàlaneigeluipiquaientlevisageetelleseblottitdanslecoldefourrurerâpéedesonmanteau.

Elleavaitlaissélavoituredansleparkingderrièrelecinéma.Dieusoitloué,ilsavaientdécidédedépenserl’argentpourlafaireréparer.Elleavaithuitans,mais la carrosserie était encore bonne et, comme le disait Jim, mieux valaitdépenser quatre cents dollars pour la faire remettre en état que d’acheter unemauvaiseoccasionpourlemêmeprix.

Marianavaitmarchésivitequ’elleprécédaitde loin la foulequisortaitducinéma.Impatiente,ellesehâtadansleparking.Jimavaitpromisdepréparerledîneretelleavaitfaim.

Maiscelaluiavaitfaitdubiendesortir.Ilavaitsentiqu’elleétaitdéprimée

etluiavaitdit:«Troisdollars,c’estnilafortunenilaruine,etjem’occuperaidesenfants.Amuse-toibien,monchou,ett’enfaispaspourl’argent.»

Ses paroles résonnaient encore aux oreilles de Marian pendant qu’elleralentissaitlepasenfronçantlessourcils.Elleétaitsûred’avoirgarélavoiturepar-là, à droite. Elle se souvenait d’avoir vu la publicité dans la vitrine de labanque,cellequidisait:«Nousdisonsouiàvotreemprunt.»Tuparles,pensa-t-elle.Oui,situn’enaspasbesoin,nonsituencrèves.

Elleavait garé la voiture par là.Elle l’avait garée là. Elle pouvait voir lavitrine de la banque, éclairée à présent, la publicité visiblemême à travers laneige.

Dixminutesplustard,MarianappelaitJimdupostedepolice.Refoulantleslarmesdecolèreetdedésespoirquisepressaientdanssagorge,ellehoqueta :«Jim…Jim…non…jevaisbien…maisJim,ilyaun…unsalaudquinousavolélavoiture.»

12

Laneigetombaitdeplusenplusdru.Toutenconduisant,ilétudiaunefoisdeplussonplan.Àcetteheure,onavaitdûs’apercevoirdeladisparitiondelavoiture. La femme avait sans doute parcouru une partie du parking pours’assurer qu’elle ne s’était pas trompée d’endroit. Ensuite, elle avait appelé lapolice ou téléphoné chez elle. Le temps qu’on envoie un message radio auxvoitures de patrouille, il serait hors de portée de ces fouineurs de flics duConnecticut.

D’ailleurs,quipouvaits’intéresseràcetasdeferraille?Lesflicseux-mêmesn’enreviendraientpasquandilsentendraientunappelpourunevoiturevoléededeuxcentsdollars.

Avoir SharonMartin pour lui seul ! Sa peau en luisait d’excitation. Il sesouvintdelaboufféedechaleurquil’avaitenvahiquandill’avaitattachée.Elleétait trèsmince,mais lacourbedesescuissesetdeseshanchesétaitdouce. Ils’en était aperçu à travers l’épaisse jupe de laine.Elle avait eu l’air hostile etépouvanté quand il l’avait portée à la voiture, mais il était sûr qu’elle avaitdélibérémentblottisatêtecontrelui.

Ilavaitprisl’autorouteduConnecticut,puisl’autoroutesudRiverParkwayetensuitecelledeCrossCountyendirectiondel’autorouteHenryHudson.Ilsesentaitensécuritésurlesroutesàgrandecirculation.Mais,plusilapprochaitdupériphériqueWest Side vers le centre deManhattan, plus il prenait du retard.Supposons, supposons seulement qu’ils soient déjà en train de rechercher lavoiture!

Lesautresconducteursroulaientlentement.Lesimbéciles!Ilsavaientpeurdes routes glissantes, peur de prendre des risques. Et ils le retardaient, luicréaient des ennuis. Le battement vibrait sous sa pommette. Il le sentits’accélérer,pressasondoigtdessus.Ilavaitespéréarriveràlagareauplustardà19heures,avantquenes’écoule leflotdesvoyageursdebanlieue. Ilsseraientpassésinaperçus.

Il était 19 h 10 quand il avait quitté le périphérique duWest Side sur laQuarante-sixièmerue.Illongeaundemi-blocàl’est,etvirarapidementdansuneimpassequiaboutissaitàunentrepôt.Là,iln’yavaitpasdegardienetilenavaitpouruneminuteàpeine.

Ilstoppalavoiture,éteignitlesphares.Uneneigepoudreuse,fine,luipiqualesyeuxetlafigurequandilouvritlaporte.Froid.Ilfaisaitdiablementfroid.

Ses yeux perçants firent le tour du parking. Tout était sombre. Satisfait, iltendit lamainà l’arrièrede lavoitureetattrapa lemanteauqu’ilavait jetésurSharon.Ilsentitsurluil’éclatfoudroyantdesesyeux.Avecunpetitrire,ilsortitson minuscule appareil photo et prit un instantané. Le flash aveugla la jeunefemme. Il tira ensuite de sa poche intérieure une lampe électrique, allongea lamaintoutaufonddelavoiture,etalluma.

Ilfit jouerl’étroitpinceaulumineuxdanslesyeuxdeSharon,lebalayantàdeux centimètres de son visage, de haut en bas, jusqu’à ce qu’elle ferme lespaupièresettentededétournerlatête.

C’étaitbondelataquiner.Avecunricanementbref,muet,illasaisitparlesépaulesetlamitàplatventre.Quelquesrapidescoupsdecouteautranchèrentlescordesdesespoignetsetdeseschevilles.Unfaiblesoupir,étoufféparlebâillon,untremblementdetoutlecorps…

«Çafaitdubien,n’est-cepas,Sharon?murmura-t-il.Àprésent,jevaisôterlebâillon.Unseulcri,etlegosseypasse.Compris?»

Iln’attenditpassonsigned’acquiescementpourcouperletissunouéderrièresatête.Sharonrecrachaletampondegaze.Elleretintàpeineungémissement.«Neil…Jevous en supplie…»Sonmurmureétait presque inaudible.« Il vaétouffer…

—Çadépenddevous.»L’inconnulafitsortiretlasoutintdeboutprèsdelavoiture.Sharonperçutvaguementlaneigesursafigure.Elleétaittropétourdie.Ses bras et ses jambes étaient rompus. Elle chancela, sentit qu’il la retenaitrudement.

«Mettezça.»Lavoixétaitdifférenteàprésent…pressée.Elle tendit lamain, toucha un tissu rugueux, graisseux… lemanteau qu’il

avaitjetésurelle.Ellelevalebras.L’hommeluienfilaunemanche,puisl’autre.«Mettezcefoulard.»Ilétaitsisale.Elleessayadeleplier.Ilétaittropépais,enlaine.Sesdoigts

arrivèrenttantbienquemalàlenouersouslementon.« Retournez dans la voiture. Plus vite nous irons, plus vite le gosse sera

libérédubâillon.» Il lapoussabrutalement sur le siègeavant.Lesacde toilekakiétaitpar terre.Elle trébucha, tâchantdenepas leheurteravec sesbottes.Penchéeenavant,elleparcourutlesacdesesmains,sentitlecontourdelatêtedeNeil.

Lacorden’étaitpasattachée.Aumoins,Neilavaitdel’air.«Neil,Neil, je

suislà,toutirabien,Neil…»L’avait-ellesentibouger?ÔmonDieu,faitesqu’ilnes’étouffepas!L’inconnufitvivementletourdelavoiture,montaàlaplaceduconducteur,

tournalaclédecontact.Lavoituredémarraprudemment.Nous sommes dans le centre ! Cette constatation surprit Sharon, l’aida à

reprendre ses esprits. Elle devait rester calme. Elle devait faire tout cequ’ordonnaitl’homme.LavoitureapprochaitdeBroadway.Ellevoyaitl’horlogedeTimesSquare.19h20…Iln’étaitque19h20.

La veille à cette heure-ci, elle venait juste de rentrer deWashington. Elleavait pris une douche, mis des côtelettes de mouton sur le feu et ouvert unebouteille de chablis. Elle était fatiguée et tendue et voulait se reposer avantd’écriresonarticle.

EtellepensaitàSteve;combienelleavaitsouffertdenepaslevoirpendantcestroissemainesdeséparation.

Ilavaittéléphoné.Lesondesavoixluiavaitprocuréunétrangemélangedeplaisir et d’angoisse.Mais il avait étébref, presque impersonnel. «Hello… jevoulaisseulementm’assurerquetuétaisbienrentrée.Ilparaîtqu’ilfaituntempsdétestableàWashingtonetqueçavientversnous.Jeteretrouveraiaustudio.»Ils’était tu et avait ajouté : «Tum’asmanqué.N’oublie pas que tu restes avecnouscesoir.»

Elle avait raccroché, encore plus impatiente de le revoir après lui avoirparlé ; et, néanmoins, elle se sentait déprimée et inquiète.Quedésirait-elle enfait?Qu’allait-ilpenserenrentrantàlamaisonetendécouvrantqu’ilsn’étaientpaslà?Oh!Steve!

Ils s’arrêtèrent à un feu rouge sur la Sixième avenue. Une voiture depatrouille arrivait à leur hauteur. Sharon dévisagea le jeune conducteur quirepoussaitsacasquettesursonfront.Iljetauncoupd’œilparlafenêtreetleursyeuxsecroisèrent.Lavoituredémarra.Ellegardalesyeuxfixéssurlepolicier,voulantleforceràlaregarder,àserendrecomptequequelquechosen’allaitpas.

Ellesentitunobjetpointuluientrerdanslescôtesettournalatête.L’inconnutenaitsoncouteauàlamain.

«Sijamaisonnoussuit,vousleprenezenpremier.J’aitoutmontempspourlegosse.»

Ilavaituntonneutre,glacial.Lavoituredepatrouilleétaitjustederrièreeux.Legyrophares’étaitmisàclignoter.Lasirènemugit.«Non!s’ilvousplaît…»D’uncoupd’accélérateur,ellelesdépassaetdisparutaublocsuivant.

IlsdescendirentlaCinquièmeavenue.Ilyavaittrèspeudepiétons.Ilfaisait

tropmauvais,tropfroid,pourmarcherdansNewYork.LavoitureviraàgauchesurlaQuarante-quatrièmerue.Oùlesemmenait-il?

LaQuarante-quatrièmeétaitune impasse.Elle s’arrêtaitdevantGrandCentral.L’ignorait-il?

L’hommepassadeuxblocs,jusqu’àVanderbiltAvenueetpritàdroite.Ilsegaraprèsdel’entréedel’hôtelBiltmore,justeenfacedelagare.

«Onestarrivés,prononça-t-ilàvoixbasse.Nousallonsrentrerdanslagare.Vousmarcherezprèsdemoi.Netentezrien.Jevaisporterlesac,etsiquelqu’unnousremarque,j’yenfoncelecouteau.»IlobservaitSharon.Sesyeuxluisaientànouveau.Lebattementpalpitaitsursajoue.«Compris?»

Ellehochalatête.Neill’entendait-il?«Attendezuneminute.» Il l’examinait. Ilplongea lamaindans laboîteà

gantsetensortitunepairedelunettesnoires.«Mettezça.»Ilouvritlaporte,jetaunregardautourdeluietsortitrapidement.Larueétait

déserte.Seulsquelquestaxisstationnaientdevantlagare.Personnepourlesvoiroufaireattentionàeux.

Ilvanousfaireprendreuntrain,pensaSharon.Nousseronsàdeskilomètresavantquel’oncommenceànousrechercher.

Ellesentitunedouleurcuisantedanssamaingauche.Labague!LapierredelunequeSteveluiavaitoffertepourNoël…Elles’étaittournéesurlecôtéquandil lui avait attaché les mains. La monture ancienne en or lui avait entaillé ledoigt.Presquesansypenser,Sharonfitglisserl’anneau.Elleeutjusteletempsdeleglisseràmoitiédanslecoussindusiègeavantquelaportenes’ouvrît.

Ellevacillasurletrottoirglissant.L’hommeagrippasonpoignetd’unemainet inspecta l’intérieurde lavoiture. Il sepencha, ramassa lebâillonqu’ilavaitôté de sa bouche, les cordes coupées. Sharon retint sa respiration.Mais il neremarquapaslabague.

Ilsebaissa,soulevalesacdemarin,tirasurlacordeetnoualesdeuxbouts.Neilallaitétoufferdanscesacfermé.

«Regardez. » Elle fixa des yeux la lame à peine camouflée dans la largemanchedupardessus.«Elleestpointéesurlecœurdugosse.Faitesungesteetc’estpourlui.»

«Allons-y.»Sonautremainposéesursoncoude, il la forçaà traverser larueàsescôtés.Ilsformaientl’imaged’uncouplequelefroidpresseverslagare,indéfinissable,anonyme,dansdepauvresvêtementsusagés,avecunsacdetoilepourtoutbagage.

Mêmederrièreleslunettesnoires,leslumièresdelagarefirentcillerSharon.

Ilsétaientdanslagaleriesupérieurequisurplombelehallprincipal.Ilyavaitunkiosque à journaux à quelques pas sur leur gauche. Le vendeur leur jeta unregard indifférent. Ilsdescendirentaupremierniveau.L’énormeafficheKodakattira l’attention de Sharon. Elle disait : « Capturez la beauté là où vous latrouvez.»

Elle retint un rire nerveux. Capturez ? Capturez ?L’horloge. La fameusehorloge au-dessus du bureau de renseignements au milieu de la gare. On lavoyait mal maintenant que l’on avait construit les guichets de la Caissed’épargne.Sharonavait luquelquepartque lorsque lessix lumières rougesaubas de l’horloge se mettaient à clignoter, elles indiquaient une urgence auxforces de police privée deGrandCentral.Que penseraient-ils s’ils savaient cequisepassaitàcetteminutemême?

Ilétait19h29.Steveprenaitletrainde19h30.Ilétaiticiencemoment…dansuntrain,danscettegare,untrainquil’emmèneraitdansuneminute.Steve,avait-elleenviedehurler…Steve…

Les doigts d’acier s’enfoncèrent dans son bras. « Par ici. » Il la forçait àdescendrel’escalierversleniveauinférieur.L’heuredepointeétaitpassée.Iln’yavait pas grandmonde au niveau principal… il y en avait encoremoins dansl’escalier.Sielletentaitdetomber…d’attirerl’attentionsureux?Non…ellenepouvaitpasprendrece risque,pas avec lebrasde ferqui entourait le sac,pasaveclecouteauprêtàplongerdansNeil…

Ilsavaientatteint leniveau inférieur.Vers ladroite,elleapercevait l’entréede l’Oyster Bar. Elle y avait retrouvé Steve pour un rapide déjeuner le moisdernier. Assis au bar, ils avaient commandé deux potages aux huîtres bienchauds…Steve,trouve-nous,viensànotresecours…

Ellesesentitpousséeverslagauche.«Paricimaintenant…passivite…»Voie112.Lepanneauindiquait«MountVernon20h10.»Untrainvenaitjustedepartir.Pourquoiallait-illà?

À gauche de la rampe qui descendait sur la voie, Sharon remarqua unemisérablevieillefemme.Elletenaitàlamainunsacàprovisionsetétaitattiféed’unevested’hommesurunejupedelaineenloques.Desbasdecotonépaisluiretombaient sur les jambes. La femme la regardait fixement. Relevait-ellequelquechosed’anormal?

«Avancez…»Ils descendaient la rampe vers le quai 112. Leurs pas résonnaient, bruit

métalliquesurlesmarchesdefer.Lemurmuredesvoixs’estompait,uncourantd’airfroidethumidebalayaitlachaleurdelagare.

Lequaiétaitdésert.«Parici.»Illaforçaitàmarcherplusvite,àcontournerleboutduquai,là

oùseterminaitlavoieferrée,àdescendreuneseconderampe.Del’eauruisselaittout près.Où allaient-ils ? Les verres noirs l’empêchaient de bien y voir.Desvibrationsrythmées…unepompe…uncompresseur…ilss’enfonçaientdanslesprofondeurs de la gare… très loin sous terre. Qu’allait-il faire d’eux ? Elleentendait legrondement sourddes trains…ildevaityavoirun tunnelpas trèsloin.

Lesolcontinuaitàdescendre.Lepassages’élargissait.Ilssetrouvaientdansunendroitgrandcommelamoitiéd’unterraindefootball;unendroitremplidetuyauxénormes,deconduits,demoteursronflants.Surlagauche,àenvironcinqousixmètres,s’élevaitunescalierétroit.

« Montez… vite ! » Il respirait avec difficulté à présent. Elle l’entendaithaleter derrière elle. Elle grimpa l’escalier, comptant inconsciemment lesmarches…dix…onze…douze…Elleétaitsurunpetitpalierfaceàunegrosseportemétallique.

«Poussez-vous.»Elle sentit la lourdeurdesoncorpscontreelleeteutunmouvementderecul.Ilposalesacetluijetaunbrefcoupd’œil.Danslafaiblelumière,lesgouttesdesueurluisaientsursonfront.Ilsortituneclé,l’introduisitdanslaserrure.Ungrincement,etlapoignéetourna.Ilouvritlaporte,lapoussadevant lui. Elle l’entendit grogner en soulevant à nouveau le sac de toile. Laporteserefermasureux.Danslafroideurhumidedel’obscurité,elleentenditledéclicd’uninterrupteur.

Unedemi-seconde,etunnéonpoussiéreuxclignotaau-dessusdeleurstêtes.Sharonparcourutdesyeuxlapiècerepoussantedesaleté.Desévierspleins

de rouille, une cage de planches clouées, un lit de camp affaissé, un cageotretourné,unevieillevalisenoireparterre.

« Où sommes-nous ? Que nous voulez-vous ? » Sa voix n’était qu’unmurmuremaisellerésonnadanscecachot.

Sonravisseurneréponditpas.Labousculant,ilseruasurlelitdecamp,ydéposalesacdemarinetfléchitlesbras.Tombantàgenoux,Sharons’acharnasurlacordedusac.

Elleparvintenfinàladénouer,séparalesbordsdusac,lesrabattit,cherchantlepetitcorpsrecroquevillé.EllelibéralatêtedeNeil.Saisissantdesdeuxmainslebâillon,elleletirasouslementon.

Neil suffoqua, cherchant l’air, pantelant, hoquetant. Elle entendit lesifflementdesarespiration,perçutlessursautsdesapoitrine.Latêtedel’enfant

aucreuxdesonbras,elles’apprêtaità tirersur lebandeauqui luicouvrait lesyeux.

«Laissezça.»L’ordreétaittranchant,brutal.« Je vous en prie, s’écria-t-elle. Il est malade… il va avoir une crise

d’asthme.Ayezpitiédelui.»Ellelevalesyeuxetsemorditleslèvres,retenantuncri.Au-dessusdulitdecamp,troisimmensesphotosétaientépingléessurlemur.Une jeune femme qui courait, les mains tendues en avant ; elle regardait

derrière son épaule, la terreur peinte sur son visage… la bouche tordue en unhurlement.

Unefemmeblonde,étendueprèsd’unevoiture,lesjambesrepliéessouselle.Une très jeune fille aux cheveux noirs, une main posée sur sa gorge, un

regarddedétachementétonnédanssesyeuxfixes.

13

Longtempsauparavant,LallyavaitétéinstitutricedansleNebraska.Lejouroùelles’étaitretrouvéeàlaretraiteetseule,elleavaitvouluvisiterNewYork.Ellen’étaitjamaisrevenuechezelle.

Le soir de son arrivée à Grand Central Station fut le tournant de sa vie.Désorientée, apeurée, elle avait traversé l’immense hall de gare, son uniquevaliseàlamain;elleavaitlevélesyeuxets’étaitarrêtée.Elleétaitsansdoutel’une des seules personnes à avoir immédiatement remarqué que le ciel de lagrande voûte avait été peint à l’envers. Les étoiles situées à l’orient étaient àl’occident.

Elleavait éclatéde rire, ses lèvresentrouvertes surdeuxénormesdentsdedevant.Lesgensavaient tournéla têtedanssadirection,etavaientrapidementpoursuivileurchemin.Leurréactionl’avaitenchantée.Chezelle,sionavaitvuLallyleverlesyeuxaucieletéclaterderiretouteseule,toutelavilleenauraitparlélelendemain.

Elleavaitmissavaliseàlaconsigneetétaitmontéesedébarbouillerdanslestoilettespourfemmesduniveauprincipal.Aprèsavoirdéfroissésavieille jupede lainemarron, boutonné songros cardigan, elle s’était peignée,mouillant etaplatissant ses cheveux courts et gris autour de son large visage au mentonfuyant.

Pendant les six heures suivantes, Lally avait exploré la gare, prenant unplaisir enfantin à regarder lesmouvements affairés et pressés de la foule.Elleavaitmangéaubardel’undespetitssnacksbonmarché,faitdulèche-vitrinesdanslesgaleriesquimenaientauxhôtelsetavaitfinipars’installerdanslasalled’attenteprincipale.

Fascinée, elle avait regardé une jeune femme allaiter son bébé affamé,contempléunjeunecouplepassionnémentenlacé,suiviunepartiedecartesquedisputaientquatrejoueurs.

La foule diminuait, enflait, diminuait, sous les signes du zodiaque. Il étaitpresqueminuitlorsqu’elleremarquaungroupeinstallélàdepuisunbonboutdetemps.Sixhommesetunetoutepetitefemmeàtêted’oiseauquiparlaientavecune familiarité propre aux vieux amis. La femme s’était aperçue qu’elle lesobservait et elle s’étaitdirigéeverselle.«Tuesnouvelle ici ?»Savoixétait

rauquemaisaimable.Unpeuplustôt,Lallyl’avaitvueprendreunjournaldansunepoubelle.

«Oui,dit-elle.—Tusaisoùaller?»Lally avait réservé une chambre dans une auberge de jeunesse, mais une

sorted’instinctl’avaitfaitmentir.«Non.—Tuviensd’arriver?—Oui.—Tuasdel’argent?—Pasbeaucoup.»Autremensonge.«Bon.T’enfaispas.Onvatemontrer.Onestdeshabitués.»Dubras,elle

désignaitlegroupederrièreelle.«Voushabitezprèsd’ici,alors?»avaitdemandéLally.Unsourireavaitluibizarrementdanslesyeuxdelafemme,découvrantune

rangéededentsgâtées.«Non,noushabitonsici.Jem’appelleRosieBidwell.»Toutaulongdesessoixante-deuxtristesannées,Lallyn’avaitjamaiseude

véritable amie. Ce que changea Rosie Bidwell. Très vite Lally fut acceptéecommel’unedesleurs.Ellesedébarrassadesavaliseet,commeRosie,fourratoutcequ’ellepossédaitdansdessacsàprovisions.Elleappritlescoutumes…se nourrir pour presque rien dans les libres-services, prendre une douche detemps en temps dans les bains publics deGreenwichVillage, dormir dans lesasiles,oudansleshôtelsàundollarlanuit,ouencoreaucentredel’arméedusalut.

Ou…danssapièceàGrandCentral.C’était le seul secret que Lally n’avait pas confié à Rosie. Exploratrice

infatigable,elles’étaitfamiliariséeavecchaquecoindesagare.Ellemontaitlesescaliers derrière les portes orange des quais et se promenait dans la zonesombre et caverneuse entre le sol du niveau supérieur et le plafond du niveauinférieur.Elleavaitdécouvertl’escalierdérobéquireliaitlesdeuxtoilettespourdames, et quand celle du bas était fermée pour réparations, elle se glissaitsouventdanscetescalieretpassaitlanuitlà,àl’insudetoutlemonde.

Elles’amusaitmêmeàmarcherlelongdelavoieferréedutunnel,sousParkAvenue, aplatie contre la paroi de béton quand un train passait en rugissant,partageantdesmiettesdenourritureavecleschatsaffamésquirôdaientdansletunnel.

Maisunendroitlafascinaitplusparticulièrementdanslesprofondeursdelagare;lesgardesl’appelaientSingSing.Aumilieudescompresseurs,aérateurs,

conduits deventilation, générateurs qui trépidaient, grinçaient, gémissaient, onavaitl’impressiondefairepartieduvraibattementdecœurdelagare.Laportesans inscription en haut de l’étroit escalier de Sing Sing l’intriguait. Aveccirconspection,elle l’avaitfait remarquerà l’undesgardesquiétaitdevenuunbonami.Rustyavaitréponduquecen’étaitqu’unmisérabletrouqu’onutilisaitautrefoispourfairelavaisselledel’OysterBaretqu’ellen’avaitrienàfairelà-dedans.Maisellel’avaitembêtéjusqu’àcequ’illuimontrelapièce.

L’endroit l’avaitravie.Lesmurset leplafondlépreux,l’odeurdemoisi,nel’incommodaient pas. La pièce était grande. La lumière et les éviersfonctionnaient.Ilyavaitmêmeunpetitplacardavecuncabinetdetoilette.Elleavaitimmédiatementsuquecetendroitcombleraitleseulbesoinquiluirestait,celuid’uneintimitéoccasionnelleettotale.

«Chambreetbains,avait-elledit.Rusty,laisse-moidormirici.»Ilavaiteul’airabasourdi.«Pasquestion!Onmefoutraitàlaporte.»Mais

ellel’avaitharcelétantetsibienqu’illuiavaitpermisd’ypasserunenuit.Puis,un jour, elle s’était arrangéepour lui dérober la clé quelquesheures et elle enavait fait faire un double en cachette. Quand Rusty avait pris sa retraite, elleavaitfaitdecettepièce,sapièce.

Petitàpetit,Lallyyavaittransportéquelquesaffaires,unvieuxlitdecampdélabré,unmatelasdéfoncé,uncageot.

Elles’étaitmiseàyséjourner régulièrement.C’étaitcequ’ellepréféraitaumonde, dormir dans le ventreobscurdeGrandCentral, recroquevillée auplusprofond de sa gare, entendre le rugissement sourd et le roulement des trainsdiminueràmesurequ’avançaitlanuit,pours’amplifierànouveaudanslematinglacial.

Parfois, couchée là, elle se souvenait du Fantôme de l’Opéra qu’elleenseignaitàsesélèves.«Et,souscebelOpéradoré,ilyavaitunautremonde,leurdisait-elle,unmondenoiretmystérieux,unmondedesouterrains,d’égouts,etd’humidité,oùunhommepouvaitsedéroberaumondeentier.»

Leseulnuageàl’horizon,saseulecrainte,étaitqu’unjourondémolisselagare. Quand le Comité pour la protection de Grand Central avait organisé lamanifestation,Lallyétaitrestéeinaperçuedansuncoin,maiselleavaitapplaudiàtoutromprelorsquedescélébritéscommeJackieOnassisavaientdéclaréqueGrandCentralTerminal faisaitpartiede la traditionnew-yorkaiseetqu’ellenepouvaitpasêtredétruite.

Maisbienquel’onaitclassélagaremonumenthistorique,Lallysavaitquebeaucoupdegenscherchaientencoreàlafairedémolir.Non,Seigneur,s’ilvous

plaît,pasmagare!Ellen’utilisait jamaissapiècependant l’hiver. Ily faisait tropfroidet trop

humide.Maisdumoisdemaiaumoisde septembre, elley séjournait environdeuxfoisparsemaine,justeassezpeusouventpourn’éveillernil’attentiondesgardes,nilacuriositédeRosie.

Sixannéesavaientpassé,lesmeilleuresdelaviedeLally.Elleavaitfiniparconnaître tous les gardes, les vendeurs de journaux, les guichetiers. Ellereconnaissaitlesvisagesdeshabitués,ceuxquiprenaientteltrainàtelleheure.Elle en était même arrivée à distinguer les visages des buveurs invétérés quirentrenttoujourschezeuxparlederniertrain,sepressantd’unpasincertainversleurquai.

Ce lundi soir, Lally avait rendez-vous avec Rosie dans la salle d’attenteprincipale.Elleavaitbeaucoupsouffertdesonarthritedurantl’hiver.C’était laseuleraisonquil’avaitempêchéedeserendredanssapièce.Maiscelafaisaitsixmoismaintenant,etsoudainellenepouvaitattendrepluslongtemps.Jevaisjustedescendrevoiràquoielleressemble,pensa-t-elle.S’iln’yfaisaitpastropfroid,ellepourraitpeut-êtremêmeydormircettenuit.Maisc’étaitpeuprobable.

Elle descendit péniblement les escaliers vers le niveau inférieur. Il y avaitpeu de monde. Elle marchait sans se presser, attentive aux policiers. Elle nepouvait prendre le risquequ’on la vît sediriger vers la pièce. Jamais ils ne lalaisseraientyrester,mêmelestypeslesplusgentils.

Elle remarqua une famille avec trois enfants. Charmants. Elle aimait lesenfants et avait été une bonne institutrice. Une fois qu’elle avait essuyé lesquolibets de ses élèves sur sa laideur, elle s’entendait généralement bien aveceux.Nonqu’elledésirâtleretourdecesjours-là,paspourtoutl’ordumonde.

Elles’apprêtaitàdescendretranquillementlarampeverslavoie112,lorsqueson attention fut attirée par les lambeaux d’une doublure rouge qui dépassaitd’unvieuxmanteaugris.

Lallyreconnutlemanteau.Ellel’avaitessayéchezunfripierdelaDeuxièmeavenuelasemainedernière.Ilnepouvaityenavoirdeuxpareils,pasaveccettedoublure.Sacuriositééveillée,elleobservalevisagedelafemmequiportaitlemanteauets’étonnadevoiràquelpointelleétaitjeuneetjoliesouslefoulardetleslunettesnoires.

L’homme qui l’accompagnait… Lally l’avait déjà vu dans la gare. Elleremarqualescoûteusesbottesencuirdelafille, legenredebottesqueportentlesgensquiprennentlaligneduConnecticut.

Drôled’assemblage,pensa-t-elle.Unvieuxmanteaud’occasionetcesbottes.

De plus en plus intriguée, elle regarda le couple traverser la gare. Le sac queportait l’homme avait l’air très lourd. Elle fronça les sourcils en les voyantdescendresurlavoie112.Iln’yavaitpasdetrainavantquarante-cinqminutes.Étrange,pensa-t-elle.Pourquoiattendresurlequai?Ilyfaitglacial.

Ellehaussalesépaules.Voilàquitranchaitlaquestion.Ellenepouvaitpasserendredanssapièces’ilsrestaientsurlequaiàlaregarder.Elledevaitattendredemain.

Refoulant sa déception, Lally se dirigea avec résignation vers la salled’attenteprincipaleàlarecherchedeRosie.

14

«Parle,Ron,parle,bonDieu!»L’avocatauxcheveuxnoirsappuyasurlebouton«enregistrement».Lelecteurdecassetteétaitsurlacouchetteentrelesdeuxhommes.

« Non. » Ron Thompson se mit debout, traversa nerveusement l’étroitecellule et s’arrêtadevant lesbarreauxde la fenêtre. Il sedétourna rapidement.« Même la neige a l’air sale ici, dit-il, sale, grise et froide. Vous voulezenregistrerça?

—Non. » RobKurner se leva etmit son bras sur les épaules du garçon.«Ron,jet’enprie.

—À quoi bon ? À quoi bon ? » Ses lèvres de jeune garçon se mirent àtrembler.Ilchangead’expression,pritl’airsoudainjuvénileetsansdéfense.Ilsemorditvivementleslèvres,sefrottalesyeuxd’unemain.«Bob,vousavezfaittoutcequevouspouviez…jelesais.Iln’yariend’autreàfairemaintenant.

—Rien,sicen’estdonneraugouverneuruneraisond’accorderuneremisedepeine,neserait-cequ’undélaid’exécution…Ron,neserait-cequ’undélai.

—Maisvousavezessayé…cettejournaliste,SharonMartin…siellen’apurienobteniravectouteslespétitionsqu’ellearecueillies…

—Audiable cette foutueSharonMartin ! »BobKurner serra les poings.«Qu’ilsaillentaudiable, tousces faiseursdebonnesœuvres incapablesdesetirer une épine du pied ! Elle a tout bousillé, Ron. Nous étions sur le pointd’obtenirunepétition,unevraie,venantdegensquiteconnaissent,degensquisaventquetuesincapabledefairedumalàquiquecesoit,etelles’estmiseàproclamerdanstoutlepaysque,bienentendu,tuétaiscoupable,maisquetunedevaispasmourir.Elle a tout fait pourqu’il soit impossible augouverneurdet’accorderuneremisedepeine–impossible.

—Alors, pourquoi perdre son temps ? Si cela ne sert à rien, si c’est sansespoir,jeneveuxplusparlerdetoutecettehistoiremaintenant!

—Tudoislefaire!»LavoixdeBobKurners’adoucittandisqu’ilregardaitlejeunehommedroitdanslesyeux.Ilsreflétaientunedroitureetunehonnêtetéirrésistibles.Bobsesouvintdesespropresdix-neufans.C’étaitilyadixansetil était étudiantàVillanova.Ronespérait s’inscrireà l’Université…au lieudecela,ilallaitmourirsurlachaiseélectrique.Lesdeuxannéesdeprisonn’avaient

pasréussiàamollirsoncorpsmusclé.Ilfaisaitrégulièrementdelagymnastiqueencellule,ilétaittellementdiscipliné.Maisilavaitperdudixkilosetsonvisageétaitblanccommedelacraie.

«Écoute,ditBob,ildoityavoirquelquechosequim’aéchappé…—Riennevousaéchappé.— Ron, je t’ai défendu, mais tu n’as pas tué Nina Peterson et tu as été

condamné… Si nous pouvions seulement donner une pièce à conviction augouverneur… une raison valable de lui permettre de t’accorder un délaid’exécution.Nousavonsquarante-huitheures…rienquequarante-huitheures.

—Vousvenezjustededirequ’ellenevoulaitpasm’accorderderemisedepeine.»

BobKurner se pencha et arrêta le lecteur de cassette. «Ron, peut-être nedevrais-jepasteledire.Dieusaitsic’estunetentativehasardeuse.Mais,écoute-moi.QuandtuasétécondamnépourlemeurtredeNinaPeterson,untasdegensont pensé que tu étais coupable de ces deux autres meurtres qui sont restésénigmatiques.Tut’ensouviens?

—Ilsm’ontassezcuisinélà-dessus.—Tu allais à l’école avec la filleCarfolli. Tu enlevais la neige devant la

maison de Mme Weiss. Il était normal que l’on te questionne. C’est uneprocédure classique. Et après ton arrestation, il n’y a plus eu de meurtre –jusqu’à ces derniers temps. Ron, il y a eu deux autres meurtres de jeunesfemmesdansFairfieldCountylemoisdernier.Sinouspouvonsétablirquelquechose, un doute, comparaître avec un élément qui évoquerait un lien entre lemeurtredeNinaPetersonetlesautres…»

Ilentouralegarçondesonbras.«Ron,jesaiscombiencelat’estpénible.Jenepeuxquedevinerceque tuendures.Mais tum’asditque tu te remémoraiscontinuellementcejour.Peut-êtreya-t-ilquelquechose…quelquechosequinet’apassembléimportant,undétail.Situvoulaisseulementparler.»

Ron s’écarta, sedirigeavers la couchette et s’assit. Il pressa sur le bouton«enregistrement»ettournalatêtedefaçonàenregistrerclairementsesparoles.Lessourcilsfroncés,lavoixhachée,ilcommença:

« Je travaillais cet après-midi après l’école au marché Timberly. Mme

Petersonfaisaitsescourses.M.Timberlyvenaitdemedirequ’ilétaitobligédeme congédier à cause du temps libre dont j’avais besoin pourm’entraîner aufootball. Elle l’entendit. Quand je l’aidais à charger ses provisions dans savoiture,ellemedit…»

15

Le train entra en gare de Carley à 21 heures. Entretemps, l’impatiencefiévreusedeSteveavaitfaitplaceàuneinquiétudeprofonde,torturante.Ilauraitdûtéléphoneraudocteur.SiNeilétaitmalade,Sharonl’avaitsûrementemmenéchezluipourqu’onluifasseunepiqûre.Voilàsansdoutepourquoiletéléphonenerépondaitpas.

Sharonétaitvenue.Ilenétaitcertain.Ellen’auraitpaschangéd’avissansleprévenir.

Ilyavaitpeut-êtreeudescoupuressurleslignestéléphoniques.Ets’ilavaitmanqué le train, Dieu sait quand le prochain serait parti. Le conducteur avaitparlédevoiesferréesimpraticablesàcausedugel.

Quelquechoseétaitarrivé.Illesentait.Illesavait.Mais c’était peut-être l’approche de l’exécution qui le rendait si inquiet,

agité.Seigneur,lejournaldusoiravaitressortitoutel’affaire.LaphotodeNinaenpremièrepage.Letitre:«UnjeunehommevamourirpouravoirbrutalementassassinéunejeunemèredansleConnecticut.»

LaphotodeThompsonàcôtédecelledelajeunefemme.Ungarçonàl’airgentil.Difficiledelecroirecapabled’unmeurtreaussihorrible.

La photo de Nina. Cent fois pendant le trajet Steve s’était surpris à laregarder.Les journalistesavaient tous réclaméunephotographieà l’époquedumeurtre,maisiln’auraitjamaisdûleslaisserreproduirecelle-ci.C’étaitsaphotopréférée ; un instantané qu’il avait pris avec le vent dans ses boucles noiresautourdesonvisageetsonpetitnezdroitqu’ellefronçaittoujoursunpeuquandelle riait. Et l’écharpe nouée souplement autour du cou. Il n’avait réalisé queplustardquec’étaitl’écharpedontThompsons’étaitservipourl’étrangler.

ÔSeigneur!Stevefutlepremieràseruersurlequaiquandletrains’arrêtaenfinàCarley

une heure et demie après le départ.Dévalant les escaliers glissants du quai, ilfonçadansleparkingets’escrimaàessuyerlaneigedupare-brisedesavoiture.Unemincecouchedeglaceluirésistait.Impatiemment,ilouvritlecoffreetpritledégivrantetlegrattoir.

Ladernière foisqu’ilavaitvuNinavivante,elle l’avaitconduitau train. Ilavait remarquéque lepneudesecoursétait sur la roueavantdroite.Elleavait

alorsavouéqu’elleavaitcrevélaveilleausoir,etqu’elleroulaitsurlarouedesecours.

Furieux, il s’était emporté contre elle. « Tu ne devrais pas rouler avec cepneucomplètementfichu.Bonsang,chérie,tanégligencetetuera.»

Tetuera!Elle lui avait promis d’aller chercher tout de suite l’autre pneu.Devant la

gare, il s’apprêtait à sortir de la voiture sans l’embrasser, mais elle s’étaitpenchéeverslui,caressantsajoued’unbaiser,etluiavaitditaveccethabituelpetitriredanslavoix:«Passeunebonnejournée,Grincheux,jet’aime.»

Il ne lui avait pas répondu, il ne s’était même pas retourné, courant pourattrapersontrain.Ilavaithésitéàluitéléphonerdubureau,maiss’étaitditqu’ilvalaitmieuxqu’ellelecrûtréellementmécontent.Ils’inquiétaitàsonsujet.Elleétaitpartropinsouciante.L’avant-veilleausoir,enrentranttarddubureau,illesavaittrouvésendormis,elleetNeil,laported’entréeouverte.

Iln’avaitdoncpastéléphoné,ilnes’étaitpasréconciliéavecelle.Etquandilétaitdescendudu trainde17h30cesoir-là,RogerPerry l’attendaità lagare,l’attendaitpourleconduirechezluietluiannoncerqueNinaétaitmorte.

Prèsdedeuxannées avaientpassé.Deuxannéesde solitude et de chagrin,jusqu’au matin, il y a six mois, où on l’avait présenté à l’autre invitée desactualitéstélévisées,SharonMartin.

Le pare-brise était suffisamment nettoyémaintenant. Stevemonta dans savoiture, tourna la clé, et, donnant à peine au moteur le temps de démarrer,appuyasurl’accélérateur.

Il n’avait qu’un désir, rentrer chez lui et retrouverNeil en bonne santé. Ilvoulait queNeil soit à nouveau heureux. Il voulait embrasser Sharon, la tenircontre lui. Cette nuit, il voulait l’entendre bouger dans la chambre d’invités,savoirqu’elleétaittoutprès.Toutfiniraitpars’arranger.Riennedevaitplussemettreentreeuxdeux.Stevemitquinzeminutespourfaireletrajetaulieudescinq habituelles. Les routes n’étaient qu’une plaque de glace. À un stop, ilappuya sur le frein et la voiture glissa jusqu’au milieu du croisement.Heureusement,iln’yavaitpersonnedansl’autresens.

Il tourna enfin sur Driftwood Lane. La rue lui sembla inhabituellementsombre.Celavenaitdesamaison–leslumièresétaientéteintes!Unsentimentdeterreurleraiditdelatêteauxpieds.Sanstenircompteduverglas,ilenfonçal’accélérateuretlavoiturefitunbondenavantetviraendérapant.Ils’engageadans l’allée et s’arrêta brutalement derrière la voiture de Sharon. Grimpantprécipitammentlesmarches,ilintroduisitlaclédanslaserrureetouvritlaporte

d’entrée.«Sharon…Neil,appela-t-il.Sharon…Neil…»Lesilenceglacécontrastait avec lachaleurde l’entrée.«Sharon…Neil»,

appela-t-ilànouveau.Ilregardadanslesalon.Despapiersjonchaientlesol.Neilavaitdûfairedes

découpages;ilyavaitdesciseauxetdesboutsdepapiersurunepageouverte.Unboldechocolatetunverredesherryencorepleinsétaientposéssurlapetitetablebasseprèsdelacheminée.Steveseruadessus,tâtalebol.Lechocolatétaitfroid. Il seprécipitadans lacuisine, remarqua lacasseroledans l’évier,bonditdansl’entréeetentradanslepetitbureau.Ilétaitégalementvide.Unfeuluisaitdanslacheminée.IlavaitdemandéàBilldel’allumeravantdepartir.

Ne sachantplus cequ’il cherchait,Steve revint encourantdubureaudansl’entréeetaperçutlenécessairedevoyagedeSharonetsonsacàmain.Ilouvritla porte du placard. Sa cape était là ! Pourquoi était-elle sortie sans mêmeprendre le temps de la passer ? Neil ! Neil avait sans doute eu une de cesviolentes crises, une de celles qui viennent si soudainement qu’elles le fontsuffoquer.

Stevefonçasurletéléphoneaumurdelacuisine.Lesnumérosd’urgence–hôpital,police,pompiers,leurmédecinprivé–étaienttrèslisiblementinscrits.Ilappela en premier le cabinet du docteur. L’infirmière était encore là. « Non,Monsieur Peterson, nous n’avons pas eu d’appel concernant Neil. Y a-t-ilquelquechose?…»

Ilraccrochasansexplication.Il appela le service des urgences à l’hôpital. « Nous n’avons eu aucun

appel…»Où étaient-ils ? Que leur était-il arrivé ? Sa respiration se précipitait. Il

regardalapendulemurale.21h20.Prèsdedeuxheuresdepuisqu’ilavaitessayéd’appeler chez lui. Ils étaient partis depuis aumoins ce temps-là. Les Perry !Peut-êtreétaient-ilschezlesPerry.Sharons’étaitpeut-êtreréfugiéechezeuxsiNeilnesesentaitpasbien.

Steve tendit à nouveau lamain vers le téléphone.MonDieu, faites qu’ilssoientchezlesPerry.Faitesquetoutaillebien!

C’estalorsqu’illevit.Lemessagesurl’ardoisedescommissions.Écritàlacraie.Enlettresépaisses,inégales.

« Si vous voulez retrouver votre fils et votre amie vivants, attendez lesinstructions.»Lesmotssuivantsétaientsoulignésd’untraitépais.«Neprévenezpaslapolice.»Lemessageétaitsigné:«Renard.»

16

Dans le bureau du F.B.I. au centre deManhattan,HughTaylor soupira enrefermantletiroirdesonbureau.Dieu,ilferaitbonrentreràlamaison,pensa-t-il.Presque21h30,lacirculationseraitparconséquentfluide.Maislemauvaistemps avait bousillé le périphérique du West Side et le pont devait êtreimpraticableàl’heureactuelle.

Ilselevaets’étira.Ilavaitlesépaulesetlecourompus.Pasmêmecinquanteans,et j’ai l’impressiond’enavoirquatre-vingts,sedit-il.Foutuejournée.Uneautre tentative de vol de banque, la Chase cette fois-ci, sur Madison et laQuarante-huitième. Un caissier avait réussi à donner l’alerte et ils avaientembarquélesauteursduvol,maispasavantquelegardienn’aitététouché.Lepauvretypeétaitdansunétatcritique,ilavaitpeudechancesdes’ensortir.

Levisaged’Hughsedurcit.Depareilscriminelsdevraientêtreenfermésunefoispourtoutes.

Maispasexécutés.Hughenfilasonmanteau.C’étaitl’unedesraisonspourlesquelles il s’était senti si déprimé aujourd’hui. Le jeune Thompson. Il nepouvaitendétachersonesprit:lecasPeterson,ilyadeuxans.Hughavaitétéchargéde l’enquête.Avec sonéquipe, il avait filéThompsondans lemotel enVirginieoùilsl’avaientarrêté.

LegarçonavaitconstammentniéavoirtuéNinaPeterson.Mêmeensachantqu’iln’avaitqu’uneseulechancedesauversapeau,s’enremettreàl’indulgencedelaCour,iln’avaitcessédenier.

Hugh frissonna. Il n’y pouvait rien.Cela ne faisait aucun doute. Et après-demain,RonaldThompsonseraitexécuté.

Hughsortitdanslehall,appelal’ascenseur.Crevé.Ilétaitlittéralementcrevé.Une demi-minute plus tard, une cabine s’arrêtait à son étage. La porte

s’ouvrit.Ilentra,poussalebouton«M».Ilentenditcriersonnom,tenditautomatiquementlebras,empêchantlaporte

deserefermer.Unecavalcadevers l’ascenseur.HankLamont, l’undesesplusjeunesagents,luisaisissaitlebras.

« Hugh ! » Il était hors d’haleine. « Steve Peterson au téléphone… voussavez…lemarideNinaPeterson…lejeuneThompson…

—Jesaisquic’est,aboyaHugh.Qu’est-cequ’ilveut?—C’estsonfils,ilditquesonfilsetcettejournaliste,SharonMartin,ontété

kidnappés.»

17

«Quiapriscesphotos?»LapeurperçaitdanslavoixdeSharonetelleserendit compte qu’elle avait tort de se trahir ainsi. Elle croisa le regard del’hommeetvitqu’ellel’avaitalarmé.Seslèvressepinçaient,lebattementsursapommette s’accélérait. Instinctivement, elle ajouta : « Je veux dire, elles sonttellementréalistes.»

Latensionserelâchaunpeu.«Jelesaipeut-êtretrouvées.»Ellesesouvintduflashquil’avaitaveugléedanslavoiture.«Àmoinsquevousnelesayezprisesvous-même.»Onpouvaitdécelerun

semblantdecompliment.«Peut-être.»Ellesentitsamaintouchersescheveux,s’attardersursajoue.N’aiepasl’air

d’avoir peur, se dit-elle frénétiquement.Elle tenait encore la tête deNeil dansson bras. Il commençait à trembler. Des sanglots éclataient sous le sifflementaigudel’asthme.

«Neil,nepleurepas, supplia-t-elle.Tuvas te fairedumal.»Elle leva lesyeuxversleurravisseur.«Ilestterrorisé.Détachez-le.

— M’aimerez-vous si je le fais ? » Il pressa sa jambe contre sa hanchecommeelles’agenouillaitprèsdulitdecamp.

«Biensûr,jevousaimerai,maisjevousenprie.»Ellerepoussaitdoucementlesmèchesblondesetmoitessurlepetitfront.

«Laissezça!»Samaind’aciersurlasiennel’empêchaitdelibérerNeildubandeau.

«Jenevoulaispas.»Elleprenaituntonconciliant.« Bon. Pour un petit moment. Mais les mains seulement. Et d’abord,

étendez-vous.»Elleseraidit.«Pourquoi?—Jenepeuxpasvouslaissertouslesdeuxdétachés.Lâchezlegosse.»Iln’yavaitqu’àobéir.Cettefois-ci,illuiattachalesjambesdesgenouxaux

chevilles,etlafitasseoirsurlelit.«Jenevousattacherailesmainsqu’avantdem’enaller,Sharon.»C’étaituneconcession.Savoixs’attardasursonnom.

Avantde s’enaller ?Allait-il les laisser seuls ici ? Il sepenchait surNeil,coupaitlescordesdesespoignets.Neilécartalesmains.Ellesbattirentl’air.Il

respiraitparà-coups;lesifflementdevenaitplusintense,constant.Sharon l’attira contre elle, l’enveloppa dans le vieuxmanteau gris qu’elle

portaitencore.Lepetitcorpstremblantsedébattit,essayantdesedégager.«Neil,arrête!Calme-toi!fit-elled’untonsévère.Rappelle-toicequeton

pèreteditlorsquetuasunecrise.Restertrèscalmeetrespirertrèslentement.»Ellelevalesyeux.«S’ilvousplaît,pourriez-vousluidonnerunverred’eau?»

Sous l’éclairage poussiéreux et irrégulier, l’ombre de l’homme, sombre etmarbrée sur le ciment dumur, semblait fragmentée par la peinture écaillée. Ilhocha la tête et sedirigeavers levieil évier rouillé.Le robinet crachaun filetd’eaudansungargouillementsaccadé.Profitantdecequ’ilavaitledostourné,Sharon examina les photos. Deux des femmes étaient mortes ou mourantes ;l’autreessayaitd’échapperàquelquechoseouàquelqu’un.Leuravait-ilfaitça?Quellesortedefouétait-il?Pourquoilesavait-ilkidnappés,elleetNeil?C’étaitrisqué de leur faire traverser la gare. Cet homme avait tout préparé dans lesmoindresdétails.Pourquoi?

Neilsuffoquait.Ilsemitàtousser,satouxrauquefaisaitunbruitatroce.Leravisseurtournalatête,ungobeletencartonàlamain.Lebruitdelatoux

semblait le perturber. Sa main tremblait lorsqu’il tendit le verre à Sharon.«Faites-luiarrêtercetruc»,dit-il.

Sharon porta le gobelet aux lèvres de l’enfant. « Bois, Neil. » Il avalaavidement. « Non, doucement. Maintenant, calme-toi. » Neil but toute l’eau,soupira.Ellesentitlecorpsmenusedétendrepeuàpeu.«Voilà.»

L’hommesepenchaitsurelle.«Vousêtesgentille,Sharon,dit-il.C’estpourcela que je suis tombé amoureuxde vous. Parce que vous n’avez pas peur demoi,n’est-cepas?

—Non,biensûrquenon.Jesaisquevousnenousvoulezpasdemal.»Elleparlaitd’untondégagé,commes’ils’agissaitd’unesimpleconversation.«Maispourquoidoncnousavoiramenésici?»

Sansrépondre,ils’avançaverslavalisenoire,lasoulevaavecleplusgrandsoinet laposapar terreàpeudedistancede laporte.S’accroupissantprèsdusac,ill’ouvrit.

«Qu’ya-t-illà-dedans?demandaSharon.—Quelquechosequejedoisfaireavantdem’enaller.—Oùallez-vous?—Neposezpastantdequestions,Sharon.—Jem’intéressaisseulementàvosprojets.»Elleregardalesdoigtsfouiller

danslavalise.Ilsavaientunevieàpart,uneexistenceparticulièreaucoursde

laquelleilsmaniaientavecadresselesfilsmétalliquesetlapoudre.« Je ne peuxpas parler quand je fais ce travail.Ondoit être extrêmement

prudentaveclanitroglycérine,mêmemoi.»SharonresserrasonétreinteautourdeNeil.Cefoumanipulaitdesexplosifsà

quelquesmètresd’eux.S’ilcommettaitlamoindreerreur,s’ilheurtaitquoiquecesoit…EllesesouvenaitdupetitimmeubledepierrebrunequiavaitexploséàGreenwichVillage.Ellen’avaitpasclassecejour-là,etellefaisaitdescoursesàNew York à quelques blocs de là quand la déflagration avait éclaté. Elle sesouvenaitdelamassededécombres,desmonceauxdepierreetdeboiséclaté.Cesgens-làaussicroyaientqu’ilssavaientmanierlesexplosifs.

PriantDieu,elleleregardaitfaire.Elleleregardait,concentrésursontravail,etelleavaitdescrampesdanslesjambes,l’humiditéluipénétraitdanslapeauetsonoreilles’accordaitpeuàpeuaugrondementétouffédestrains.LesifflementdanslapoitrinedeNeilavaitprisunecertainecadence;rapide,haletante,maismoinsfrénétique.

L’hommeserelevaenfin.«Çava,fit-ilsatisfait.—Qu’allez-vousenfaire?—C’estvotrebaby-sitter.—Quevoulez-vousdire?—Jedoisvouslaisserjusqu’àdemain.Jenepeuxpasprendrelerisquede

vousperdre,vouscomprenez?—Commentpourriez-vousnousperdre,sinousrestonsiciseulsetattachés.—Unechancesurunmillion,surdixmillionsquequelqu’untented’entrer

danscettepiècependantmonabsence…—Combiendetempsallez-vousnousgarderici?—Jusqu’àmercredi.Sharon,neposezpastantdequestions.Jevousdiraice

quejeveuxquevoussachiez.—Excusez-moi.C’estseulementquejenecomprendspas.—Jenepeuxpermettreàpersonnedevoustrouver.Maisilfautquejem’en

aille.Silaporteestpiégéeetquequiconqueessayed’entrer…»Non.C’étaituncauchemar.Ellen’entendaitpascela.C’étaitimpossible.«Nevousenfaitespas,Sharon.Demainsoir,StevePetersonvamedonner

quatre-vingt-deuxmilledollars,ettoutserafini.—Quatre-vingt-deuxmilledollars?—Oui.Etmercredimatin,nouspartirons,vousetmoi.Je laisseraiunmot

expliquant où trouver le gosse. »Quelque part au loin résonna le faible échod’unrugissement,unsilence,unautrerugissement.

Iltraversalapièce.«Jesuisdésolé,Sharon.»IlrepoussabrusquementNeildesesbras, le laissa tombersur le litdecamp.Avantqu’ellen’aitpu faireungeste,illuitiralesmainsderrièreledos.Ilfitglisserlemanteauavantdeluilierlespoignets.

IlsetournaversNeil.«Nelebâillonnezpas,jevousenprie,implora-t-elle.S’il a une attaque…vous ne pourrez pas avoir l’argent…vous devez prouverqu’il est vivant. Je vous en prie… je… je… vous aime. Vous êtes tellementintelligent.»

Illaregardait,hésitant.«Vous…vousconnaissezmonnom,maisvousnem’avezpasdit levôtre.

J’aimeraisbienpouvoirpenseràvous.»Il lui prit le visage entre ses deux mains. Elles étaient calleuses, rudes.

Impossibledelesimaginersihabilesàmanipulerlesfils.Ilsepenchasurelle.Son souffle était aigre, chaud. Elle supporta son baiser, brutal, sur ses lèvres,humide,s’attardantsursajoue,sonoreille.«Jem’appelleRenard,murmura-t-ild’unevoixenrouée.Répétezmonnom,Sharon.

—Renard.»IlattachalespoignetsdeNeiletletiraàcôtéd’elle.Ilyavaittoutjusteassez

deplacepoureuxdeuxsurlelit.LesmainsdeSharonétaientcoincéescontrelemur.Iljetasureuxlevieuxmanteaucrasseuxetrestadeboutàlesexaminer.Sesyeuxallaientdulitaumonte-plats.

«Non.»Ilavaitl’aircontrarié,hésitant.«Jenepeuxpasprendrelerisquequequelqu’unvousentende.»

Illesbâillonnaànouveau,maispastoutàfaitaussiserrécettefois-ci.Ellen’osapasprotester.L’énervementlegagnaitànouveau.

Et elle sut immédiatement pourquoi. Lentement, avec des précautionsinquiétantes,ilattachaitunmincefildemétalàquelquechosedanslavaliseetletirait vers laporte. Il allait attacher le fil à laporte.Et si quelqu’unentrait, ledétonateursedéclencherait!

Elleentenditledéclicdel’interrupteur;lalumièrelugubrevacillaavantdes’éteindre. La porte s’ouvrit et se referma sans bruit. Un court instant, sasilhouettesedécoupadansl’obscurité,etildisparut.

Lapièceétaitdésespérément sombreet le silenceoppressantn’était rompuqueparlarespirationdifficiledeNeiletlegrondementsourd,intermittent,d’untrainquientraitdansletunnel.

18

RogeretGlendaPerrydécidèrentderegarderlesinformationsde23heuresau lit.Elleavaitdéjàpris sonbainetproposade luipréparerungrogpendantqu’ilsedouchait.

« Excellente idée, mais je t’en prie, ne te mets pas à bricoler dans lamaison.»Ilvérifialeverroudelacuisineetmontaaupremierétage.Ladoucheétait chaude, revigorante, délicieusement agréable. Il enfila son pyjama rayébleu,replialegrandcouvre-lit,etallumaleslampesdechevet.

Justeavantdesemettreaulit,ilallaàlafenêtre.Mêmeparuntempscommeaujourd’hui,ilsaimaienttouslesdeuxsentirl’airfraisdelanuitdanslapièce.IljetaunregarddistraitverslamaisondePeterson.Leslumièresétaientallumées,à l’extérieur et à l’intérieur. À travers les flocons de neige, il apercevait desvoituresgaréesdansl’allée.

Glendaentradanslachambre,unbolbouillantàlamain.«Qu’est-cequeturegardes,Roger?»

Ilseretourna,décontenancé.«Rien.Maisnet’inquiètepluspourlalumièreéteintechezSteve.SamaisonbrillecommeunsapindeNoël.

— Il doit y avoir du monde chez lui. Eh bien, Dieu soit loué, nous nesommespasdehorscesoir.»Elleposalebolsurlatabledenuit,enlevasarobedechambreetseglissadanslelit.«Oh!jesuisfatiguée!»Sonvisages’altéra,pritunairpréoccupé.Elles’immobilisa.

«Tuasmal?—Oui.— Ne bouge pas. Je vais chercher tes pilules. » Maîtrisant mal le

tremblementdesesdoigts,ilpritleflacondetrinitrineetlaregardaglisserunepilule sous sa langue et fermer les yeux.Uneminute plus tard, elle soupira :«Oh!çam’afaitmalcettefois-ci!Maisc’estpassémaintenant.»

Letéléphonesonna.Exaspéré,Rogertenditlamainversl’appareil.«Sic’estpour toi, je dis que tu dors, grommela-t-il. Il y a des gens qui…» Il souleval’écouteur.Son«oui»futcassant.

Savoixchangea immédiatement,pritun tonsoucieux.«Steve…Qu’ya-t-il?Non.Non.Rien.Biensûr.Oh!monDieu!Jevienstoutdesuite.»

Sous l’œil interrogateur de Glenda, il raccrocha l’appareil et lui prit les

mains. « Quelque chose est arrivé chez Steve, dit-il avec précaution. Neil etSharonont…disparu.J’yvais,jeseraideretourleplustôtpossible.

—Roger…—Jet’enprie,Glenda.Pourmefaireplaisir,restetranquille.Tusaisquetu

n’aspasétébiencesjours-ci.Jet’enprie.»Il enfila un gros chandail, passa un pantalon sur son pyjama et glissa ses

piedsdansdesmocassins.Il venait juste de fermer la porte d’entrée lorsqu’il entendit le téléphone

sonnerdenouveau.Glendadécrochera,pensa-t-il,etilsortitencourantdanslestourbillonsdeneige.Ilcoupaàtraverslapelouse,traversalarueetmontal’alléedesPeterson.Ilétaitàpeineconscientdufroidquimordaitseschevillesnuesetluicoupaitlarespiration.

Haletant, lecœurbattantà tout rompre, ilgravit lesmarchesduperron.Laportes’ouvritsurunhommeàl’airtrèssoigné,lestraitsmarquésetlescheveuxgrisonnants.«MonsieurPerry,jesuisHughTaylor,duF.B.I.Nousnoussommesrencontrésilyadeuxans.»

RogersesouvintdecejouroùRonaldThompsonavaitrenverséGlendaens’enfuyantdecettemaison;cejouroùelleétaitentréeicipourtrouverlecorpsdeNina.

«Eneffet.»Secouant la tête, ilentradans lesalon.Stevese tenaitdeboutprès de la cheminée, lesmains cramponnées l’une à l’autre. Les yeux rougis,DoraLuftssanglotaitsurlecanapé.BillLuftsétaitassisàcôtéd’elle,lesépaulescourbées,l’airaccablé.

RogerallaversSteveetlepritparlesépaules.«Steve,monDieu,jenesaisquedire.

—Roger,mercid’êtrevenusivite.—Depuisquandont-ilsdisparu?—Nousnesavonspasexactement.C’estsansdoutearrivéentre18heureset

19h30.—SharonetNeilétaientseulsici?—Oui.Ils…»LavoixdeStevesebrisa.Ilserepritrapidement.«Ilsétaient

seuls.—Monsieur Perry, l’interrompit Hugh Taylor. Pourriez-vous nous donner

quelque indication ?Avez-vous remarqué des inconnus dans le voisinage, desvoituresinhabituelles,unfourgon,uncamionquesais-je?Voussouvenez-vousd’undétailinsolite?»

Roger se laissa tomber sur une chaise.Réfléchir. Il yavait quelque chose.

Maisquoi?Ah!oui!«Leslumièresdel’extérieur!»Stevesetournaverslui,tendu.«Billaffirmequ’ellesétaientalluméesquand

ils sont sortis, lui etDora.Ellesétaientéteintesquand je suis rentré.Qu’avez-vousremarqué?»

Rogerseremémoral’emploidutempsprécisdesasoirée.Ilavaitquittésonbureauà17h10,ilétaitentrédanssongarageà17h40.«Voslumièresétaientsûrement allumées quand je suis arrivé chezmoi, vers 17 h 40, dit-il à Steve,sinonjel’auraisremarqué.Glendaapréparéunverre.Àpeineunquartd’heureplus tard, nous avons regardé par la fenêtre etGlenda s’est aperçue que votremaisonétaitdansl’obscurité.»

Il fronça les sourcils. « En fait, l’horloge venait de sonner peu de tempsavant,doncildevaitêtreàpeuprès18h05.»Ils’arrêta.«Glendaaditquelquechoseàproposd’unevoiturequisortaitdechezvous.

—Unevoiture!Quellesortedevoiture?l’interrompitHughTaylor.— Je n’en sais rien. Glenda ne l’a pasmentionné. Je tournais le dos à la

fenêtre.—Êtes-voussûrdel’heure?»RogerregardaHughdanslesyeux.«Absolument.»Ilserenditcomptequ’il

avaitdumalàdonnerunsensréelauxévénements.Glendaavait-ellevraimentvu une voiture qui emmenait Sharon et Neil ? Neil et Sharon enlevés ! Unpressentimentne les aurait-il pasprévenus ?Mais si ! Il se souvintde laviveinquiétude de Glenda devant la fenêtre, la façon dont elle lui avait demandéd’allervoir.Etill’avaitmiseengardecontresesréactionsexcessives.

Glenda!Qu’allait-illuiraconter?IlsetournaversHughTaylor«Mafemmevaêtre

bouleversée.»Hugh hocha la tête. « Je comprends. Et M. Peterson estime que nous

pouvons parfaitement lui dire la vérité. Mais il est vital qu’il n’y ait aucunepublicité autour de cette histoire. Nous ne voulons pas alarmer le ou lesravisseurs.

—Biensûr.— Il faut que vous agissiez le plus normalement possible. Deux vies en

dépendent.—Deuxvies…»DoraLuftséclataensanglotsbrefs,affreux.«Monpetit

Neil…etcettesijoliefille.Jenepeuxpaslecroire,pasaprèsMmePeterson.—Calme-toi,Dora.»LavoixgeignardedeBillLuftsétaitsuppliante.RogervitlevisagedeStevesecontracter.

«MonsieurPerry,connaissez-vousMlleMartin?demandaHughTaylor.—Oui,j’airencontréSharonplusieursfois,icietchezmoi.Àprésent,puis-

jeretournerauprèsdemafemme?—Biensûr.Nousaimerionsluiparlerausujetdecettevoiture.J’aiunautre

agentavecmoi.Jepeuxl’envoyer.—Non. Jepréfèrey allermoi-même.Ellenevapas trèsbien et elle tient

tellementàNeil.»Roger pensa : je parle pour ne rien dire. Je n’y crois pas. Ce n’est pas

possible.Paspossible.Steve.CommentStevepeut-il lesupporter?Il lançaunregarddepitiévers le jeunehomme.Steveétait apparemment calme,mais lesmarques de souffrance qui s’estompaient peu à peu, depuis quelques mois,réapparaissaient dans la pâleur grise du visage, les rides soudain creusées dufront,leslignesautourdelabouche.«Vousdevriezprendreunverreouuncafé,Steve,suggéra-t-il.Vousavezl’airépuisé.

—Uncafé,peut-être.»Dora se redressa.« Jevais lepréparer, avecdes sandwiches.ÔmonDieu,

quandjepense!…Neil…Maispourquoidoncsuis-jesortieaucinémacesoir?Siquelquechosearriveàcepetit,jenelesupporteraipas.Non,jenepourraipaslesupporter.»

BillLuftsplaquasamainsurlabouchedesafemme.«Pourunefoisdanstavie, tais-toi, cria-t-il.Ferme-la ! » Il y avait une sortede férocité, d’amertumedanssavoix.Rogers’aperçutqueHughTaylorexaminaitintensémentlecouple.

LesLufts?Lessuspectait-il?Non.Jamais.Impossible.Ilétaitdans l’entréequandoncarillonnaà laporte. Ils sursautèrent touset

l’agent qui inspectait la cuisine franchit l’entréed’unbond, bousculaRoger etouvritlaporte.

Glenda se tenait sur le seuil, les cheveuxet la figure trempéspar laneige.Lespiedsnusdanssespantouflesdesatin.Seulesarobedechambredelainageroselaprotégeaitduventfroidetperçant.Elleétaitblême.Sespupillesétaientfixesetdilatées.Danssamain,elleserraitunefeuilledecarnet.Elletremblaitdetoussesmembres.

Rogercourutàelle,laretintjusteavantqu’ellenes’écroule.Illaserracontrelui.

«Roger,letéléphone…»Ellesanglotait.«Ilm’aditdel’écrire.Ilm’aditdelerépéteraprèslui.Iladit,nevoustrompezpasou…ou…Neil…»

Hugh lui arracha le papier de lamain et lut à voix haute. «Dites à StevePeterson s’il veut revoir son fils et son amie vivants, d’être à la cabine

téléphonique de la station Esso, à la sortie 22 de l’autoroute Merritt demainmatinà8heures.Ilauradesinstructionspourlarançon.»

Hugh fronça les sourcils. Le derniermot était illisible. «Quel est cemot,MmePerry?demanda-t-il.

— Il me l’a fait relire… Je pouvais à peine écrire… Il était tellementimpatient…C’estRenard.C’est ça. Il l’a répété. »La voix deGlendamonta.Son visage se tordit. Elle s’écarta de Roger, crispa sesmains sur sa poitrine.«Il…ilessayaitdedéguisersavoix…maisquandilarépétécenom…Roger,j’aidéjàentenducettevoix.C’estquelqu’unquejeconnais.»

19

AvantdequitterlaprisondeSomers,BobKurnertéléphonaàKathyMoorepourlaprévenirqu’illaretrouveraitàsonbureau.

Kathyétaitl’assistantedel’avocatgénéralchargédutribunalpourenfantsdeBridgport, et ils s’étaient connus quand il y exerçait la fonction d’avocat del’Assistance judiciaire. Ils sortaient ensemble depuis troismois etKathy avaitpassionnémentparticipéàsaluttepoursauverRonaldThompson.

Elle l’attendait à la réception avec la dactylo qu’il lui avait demandée.«Margeditqu’elleresteratoutelanuitsinécessaire.Qu’as-tuobtenudelui?

—Beaucoup,réponditBob.Jeluiaifaitrépétersonhistoirequatrefois.Ilyenapourdeuxbonnesheures.»

Marge Evans tendit la main. « Donnez-le-moi », dit-elle d’un ton décidé.Elle installa le lecteur de cassette sur son bureau, coinça ses grosses hanchesdans la chaise pivotante, inséra la cassettemarqué d’un I dans l’appareil et laréembobina jusqu’au début. La voix de Ron Thompson, haletante et basse,commença:«Jetravaillaiscetaprès-midiaprèsl’écoleaumarchéTimberly…»

Margeappuyasurlebouton«Off»etdit:«Okay!vouspouvezfaireautrechose,jem’enoccupe.

—Merci,Marge.»BobsetournaversKathy.«Tuaslesdossiers?—Oui,ilssontdansmonbureau.»Illasuivitdanslepetitréduitencombré

qu’elleoccupait.Iln’yavaitriensursatabledetravailexceptéquatredossiersintitulés«Carfolli»,«Weiss»,«Ambrose»,«Callahan».

«Les rapportsdepolice sont sur ledessus.KenBrooks serait furieux, s’ill’apprenait,Bob.Enfait,ilmerenverraitsûrement…»

Ken Brooks était l’avocat général. Bob s’assit devant la table et prit lepremier dossier. Avant de l’ouvrir, il regarda Kathy. Elle était vêtue d’unesalopette et d’un gros pull-over. Un ruban retenait ses cheveux noirs sur lanuque. Elle avait davantage l’air d’une étudiante de dix-huit ans que d’uneavocatedevingt-cinq.Maisdèslapremièrefoisoùils’étaittrouvéconfrontéàelleaucoursd’unprocès,Bobn’avaitjamaisfaitl’erreurdesous-estimerKathy.C’étaitunebonneavocateavecunespritrigoureuxetanalytiqueetunevéritablepassionpourlajustice.

«Jesaislerisquequetuprends,Kathy.Maissinousarrivionsàtrouverun

lien entre ces meurtres et celui de Nina Peterson… Une nouvelle preuve estnotreseulechancedesauverRon.»

Kathytiraunechaisedel’autrecôtédelatableetattrapadeuxdesdossiers.« Bon, d’ailleurs, si nous découvrons un rapport entre ces cas, Ken Brooksoublieraquejet’aicommuniquénosdossiers.Lesjournauxsontsursondosencemoment.Cematin,ilsappelaientlesdeuxderniersmeurtres,«LesMeurtresduradiotéléphone».

—Pourquoi?— La fille Callahan et Mme Ambrose avaient toutes les deux des

radiotéléphones et elles ont demandé de l’aide.Mme Ambrose était perdue, etn’avaitpresqueplusd’essence.BarbaraCallahanavaitunpneuéclaté.

—EtilyadeuxansMmeWeissetJeanCarfolliontétéassassinéesunenuitoùellesconduisaientseulessurdesroutesdésertes.

—Mais cela ne prouve rien. Quand Jean etMmeWeiss ont été tuées, lesjournauxontpubliédesarticlessurles«Meurtresdel’hommedel’autoroute».C’estlacourseautitreàsensation.

—Qu’enpenses-tu,toi?—Jenesaispasquoipenser.Aprèsl’arrestationdeRonThompsonpourle

meurtre de Peterson, il n’y a plus eu de femmes assassinées dans FairfieldCounty, jusqu’au mois dernier. Aujourd’hui, nous avons deux mortsinexpliquées.Maisonadénombréd’autresmeurtresdecetypedanslepays.Cesradiossontformidables,bienquecesoitdeladémencedelapartd’unefemmedelancersurlesondesqu’elleestseulesuruneroutedéserteetquesavoitureesten panne.C’est une invitation à tous les dingues de la région qui l’entendent.Seigneur, ilsonteuuncasàLongIsland,l’andernier.Ungossedequinzeansqui avait l’habitude de prendre la fréquence de la police et de se rendre auxendroitscritiques.Onafiniparl’attraperalorsqu’ilpoignardaitunefemmequiavaitdemandédel’assistance.

—Jepersisteàcroirequ’ilexisteunerelationentrecesquatrecasetqu’ilssont plus ou moins liés au cas de Nina Peterson, dit Bob. Appelle ça unpressentiment,appelleças’accrocheràtoutcequ’ontrouve,appelleçacommetuvoudras.Maisaide-moi.

—C’estbiencequejecomptefaire.Commentallons-nousprocéder?— Il faut d’abord établir une liste : lieu, temps, cause de la mort, arme

utilisée, conditions atmosphériques, type de voiture, antécédents familiaux,témoignages,oùsedirigeaient lesvictimes,d’oùvenaient-elles.Dans lesdeuxderniers cas, nous calculerons le temps écoulé entre le message qu’elles ont

envoyé par radiotéléphone et celui où l’on a retrouvé leur corps.Quand nousaurons terminé,nouscompareronschaqueélémentavec lescirconstancesde lamortdeNinaPeterson.Sinousnetrouvonsrien,nousreprendronstoutsousunautreangle.»

Ilssemirentautravailà20h10.Àminuit,Margeentraavecquatrepilesdefeuillesdepapier.«Terminé,dit-elle.Jelesaitapéesavectroisinterlignesafindepouvoirreleverplusfacilementlescontradictionsentrechaqueversion.Voussavez, écouter ce garçon vous brise le cœur. Je suis dactylo juridique depuisvingtansetj’aientenduunbonnombrededéballages,maisjesaisreconnaîtrelesondelavérité,etcegarçonditlavérité.»

Bobeutunsourirelas.«Siseulementvousétiezlegouverneur,Marge,dit-il.Mercibeaucoup.

— Qu’avez-vous trouvé, vous deux ? » Kathy secoua la tête. « Rien.Absolumentrien.

— Eh bien, ces pages vous révéleront peut-être un indice. Si je vousapportaisducafé?Jepariequevousn’avezdînénil’unnil’autre.»

Quandellerevintdixminutesplustard,BobetKathyétaientchacunpenchéssur deux piles de feuilles. Bob lisait à voix haute. Ils comparaient les copiesligneparligne.

Margeposalescafésets’enallasansriendire.Ungardienlalaissasortirdel’immeuble. Emmitouflée dans la chaleur de son gros manteau d’hiver, elles’armadecouragepouraffronterlatraverséeduparkingbalayéparlaneigeetsepritàprier :«Jevousenprie,Seigneur, s’ilyaunechoseà trouverdanscespagesquipuisseaidercegarçon,faitesquecesdeux-làlatrouvent.»

BobetKathytravaillèrentjusqu’àl’aube.«Ilfautnousséparermaintenant,ditalorsKathy.Jedoisrentreràlamaison,prendreunedoucheetm’habiller.Onm’attendau tribunalà8heures.Et,de toute façon, jeneveuxpasque l’on tevoieici.»

Bobacquiesça.Lesmotssebrouillaientdanssatête.IlsavaientmaintesfoiscomparélesquatreversionsdurécitdeRonsursesactivitéslejourdumeurtre.Ilss’étaientconcentréssurletempsécouléentrelemomentoùNinaPetersonluiavait parlé aumarchéTimberly et celui où il s’était enfui de chez elle. Il n’yavait pas une seule contradiction significative. « Pourtant, il devrait y avoirquelquechose,s’entêtaBob.Jelesemmèneavecmoiet laisse-moiprendreleslistesquenousavonsétabliessurlesquatreautrescas.

—Tunepeuxpasemporterlesdossiers.— Je sais. Mais nous avons peut-être laissé passer un élément dans nos

comparaisons.—Nousn’avonsrienlaissépasser,Bob.»Kathyparlaitd’unevoixdouce.Ilseleva.«Jevaistoutrecommenceràmonbureau.Jeveuxcomparerces

quatrecasaveclacopieduprocès.»Kathyl’aidaàrangerlespapiersdanssonporte-documents.«N’oubliepas

lemagnétophoneetlescassettes,dit-elle.—Non.»Ill’entouradesonbras.Uninstant,elles’appuyacontrelui.«Je

t’aime,Kath.—Jet’aime.—Siseulementnousavionsplusde temps,s’écria-t-il.C’estcettedamnée

peine capitale. Bon Dieu, comment douze personnes en sont-elles venues àdéclarerquecegossedevaitmourir!Quandontrouvera,sijamaisonletrouve,levéritablemeurtrier,ceseratroptardpourRon.»

Kathy se frotta le front. «Au début, j’ai approuvé le rétablissement de lapeine capitale. Je plains les victimes, bien plus que les coupables.Mais hier,nous avions un gosse au tribunal pour enfants. Il avait quatorze ans et enparaissaitonze;unmômeaveclapeausurlesos.Lesdeuxparentsalcooliquesinvétérés.Ilsontdéposéuneplaintecontreluiquandilavaitseptans.Septans.Ilafaituntasdecentresdejeunesdélinquantsdepuis.Etilcontinuedesesauver.Cettefois-ci,lamèreadéposéuneplaintequelepèreréfute.Ilssontséparésetilveutgarderl’enfant.

—Ques’est-ilpassé?—J’aigagné,si l’onpeutdire.J’ai insistépourqu’ilsoit renvoyédansun

foyer de jeunes et le juge m’a approuvée. Le père est tellement bousillé parl’alcoolqu’iln’aplusl’usagedesesfacultés.Legosseatentédes’échapperdela salle d’audience ; l’officier de police a dû le saisir à bras-le-corps pour lerattraper. Il est devenu hystérique et s’est mis à crier : « Je vous hais tous.Pourquoi ne puis-je avoir une maison comme les autres enfants ? »Psychologiquement,ilesttouchéàuntelpointqu’ilestsansdoutedéjàtroptardpourlesauver.S’iltuequelqu’undanscinqousixans,leferons-nouspassersurlachaiseélectrique?Enaurons-nousledroit?»Deslarmesdefatiguebrillaientdanssesyeux.

«Jesais,Kath.Etpourtant,pourquoiavons-nouschoisicemétier?Peut-êtreaurions-nousdûêtreplusmalins.Celavousfoutcomplètementen l’air.»Ilsepenchaetl’embrassasurlefront.«Jetetéléphoneraiplustard.»

Dans son bureau, Bob mit la bouilloire remplie d’eau sur la plaquechauffante. Quatre tasses de café noir et fort dissipèrent la sensation de

brouillard.Ils’aspergealevisaged’eaufroideets’assitdevantsagrandetable.Ildisposaenordrelespilesdefeuilles,jetauncoupd’œilauréveil.Ilétait7h30.Illuirestaitàpeinevingt-huitheuresavantl’exécution.Voilàpourquoisoncœurbattaitsifort,pourquoisagorgeseserrait.

Non. C’était plus qu’une impression d’urgence. Quelque chose l’obsédait.Nousavonslaissépasserquelquechose,pensa-t-il.

Cettefois-ci,cen’étaitpasuneillusion.C’étaitunecertitude.

20

LongtempsaprèsquelesPerryfurentrentréschezeuxetlesLuftsremontésdans leurchambre,SteveetHughTaylor restèrentassisà la tablede lasalleàmanger.

Avec calme et efficacité, les autres agents avaient relevé toutes lesempreintesdans lamaisonet cherchépartout, à l’intérieur et à l’extérieur, desindicesduravisseur.Maislaseuletraceétaitlemessagegriffonnésurletableau.

«LesempreintessurleverreetlebolcorrespondrontsansdouteàcellesquisontsurlesacdeSharonMartin»,ditHughàSteve.

Stevehocha la tête. Ilavait laboucheâpreet sèche.Quatre tassesdecafé,plusieurscigarettesd’affilée.Ilavaitcessédefumeràtrenteans,maiss’yétaitremisaprèslamortdeNina.C’estHughTaylorquiluiavaitredonnélapremièrecigarette.Unsemblantdesourire,sardoniqueetsansjoie,relevalescoinsdesabouche.«C’estvousquim’avezredonnélegoûtdutabac»,fit-il,enallumantuneautrecigarette.

Hugh approuva. Si quelqu’un avait jamais eu besoin d’une cigarette, cettefois-là c’était bienSteve.Et aujourd’hui, son fils !Hugh se souvint qu’il étaitassisàcettemêmetableavecSteve,lorsqu’unilluminéavaittéléphonépourluicommuniquerunmessagedelapartdeNina.Lemessagedisait:«Ditesàmonmari de faire attention. Mon fils est en danger. » C’était le matin même del’enterrementdeNina.

Hughtressaillitàcesouvenir.PourvuqueSteven’ypensepas.Ilexaminalesnotesqu’ilavaitprises.«IlyauntéléphonepublicdansunecabineàlastationEsso,dit-ilàSteve.Nousallonslebranchersurécoute,ainsiquelevôtreetceluidesPerry.QuandvousparlerezàRenard, faites l’impossiblepour legarderenligne.Celanouspermettrade le repérer et d’enregistrer savoix.Ce serait unechance inespérée si Mme Perry pouvait se rappeler qui est cet homme enl’entendantànouveau.

—Etsielles’étaitlaisséemporterparsonimagination?Vousavezvuàquelpointelleétaitbouleversée.

—Toutestpossible.Maisellemefaitl’effetd’unefemmeéquilibréeetelleétait très affirmative.De toute façon,montrez-vous coopératif.Dites àRenard

quevousvoulezunepreuvequeSharonetNeil sont sains et saufs, qu’il vousfautunmessaged’eux,surcassetteousurbandemagnétique.Quellequesoitlasomme qu’il demande, promettez-la-lui, mais insistez sur le fait que vous nepaierezqu’enpossessiondelapreuveexigée.

— Ne risque-t-on pas de le contrarier ? » Steve s’étonna d’avoir l’air sidétaché.

«Non.Maisçanousgarantiraqu’ilnevapass’affoleret…»Hughserraleslèvres.IlsavaitqueSteveavaitcompris.Ilpritsonbloc-notes.

«Recommençonsàpartirdudébut.Combiendepersonnesconnaissaientleprogrammedecettemaison,cesoir;quisavaitquelesLuftsdevaientsortir,queSharonMartindevaitvenir?

—Jenesaispas.—LesPerry?— Non. Je ne les avais pas vus depuis une semaine, si ce n’est pour un

rapidebonjour.—Donc,iln’yavaitquelesLufts,SharonMartinetvous-même?—EtNeil.—Évidemment.Sepourrait-ilqueNeilaitparlédelavenuedeSharonàdes

amisouàdesprofesseurs?—C’estpossible.—Qu’enest-ildevos relationsavecSharonMartin?Désolé,mais jedois

vousledemander.—C’estsérieux.Jecompteluidemanderdem’épouser.—J’aiapprisquevousétieztouslesdeuxinvitésauxactualitéstéléviséesce

matin,etquevousvoustrouviezencompletdésaccordsurlapeinecapitale;etonm’apréciséqu’elleétaitterriblementfrappéeparl’exécutiondeThompson.

—Voustravaillezvite.—Illefaut,monsieurPeterson.Jusqu’àquelpointcedésaccordaffecte-t-il

vosrelationspersonnelles?—Qu’entendez-vousparlà?—Seulementceci : commevous le savez,SharonMartinadésespérément

essayédesauverlaviedeRonaldThompson.ElleaétéchezlesPerryetpourraitavoir relevé leur numéro de téléphone. N’oubliez pas qu’il n’est pas dansl’annuaire. Y aurait-il une possibilité que ce kidnapping ne soit qu’unemystification, que Sharon tente le tout pour le tout dans le but de retarderl’exécution?

— Non… non… non ! Hugh, je comprends que vous soyez obligé de

considérerlaquestion,maisjevousenprie,pourl’amourduciel,neperdezpasvotretemps.CeluiquiaécritcemessagepeuttrèsbienavoirnotélenumérodesPerry.Ilestinscritsurletableauavecceluidumédecin.Sharonseraitincapabled’unechosepareille.Incapable!»

Hughneparutpasconvaincu.«MonsieurPeterson,nousavonseupasmald’individusparfaitement inattendusqui ont enfreint la loi aunomde certainescauses,cesdixdernièresannées.Jevousdisseulementceci,sijamaisSharonacombinétoutecetteaffaire,votreenfantestsauvé.»

Une infime lueur d’espoir traversa Steve. Ce matin, Sharon lui disait :«Comment peux-tu être si positif, si sûr de toi, si sévère ? » Si c’était là cequ’ellepensaitdelui,pouvait-elle?…L’espoirmourut.«Non,fit-ilsourdement.C’estimpossible.

—Trèsbien.Oublions celapour l’instant.Voyonsvotre courrier – aucunemenace,lettresd’insultes,riendecegenre?

—Àpeinequelqueslettresd’injuresàproposdemonéditorialsurlapeinecapitale, spécialement à l’approche de l’exécution de Thompson. Rien desurprenant.

—Vousn’avezpasreçudemenacesdirectes?—Non.»Stevefronçalessourcils.«Àquoipensez-vous?demandavivementHugh.—Oh ! lamère de Ronald Thompsonm’a arrêté dans la rue, la semaine

dernière ! Tous les samedis matin, j’emmène Neil à l’hôpital pour sa piqûred’antihistaminique.Elleétaitdansleparkingquandnoussommessortis.Elleestvenuemedemanderdesupplierlegouverneurd’épargnerlaviedesonfils.

—Queluiavez-vousrépondu?—Je luiaiditque jenepouvais rienfaire.J’étaispresséd’emmenerNeil.

Bien entendu, je ne voulais pas qu’il sache pourmercredi. Je voulais le fairemonter dans la voiture le plus vite possible pour qu’il ne nous entende pasdiscuteretj’aitournéledosàMmeThompson.Maiselleacruquejel’ignorais.Elle a dit quelque chose comme : « Qu’éprouveriez-vous si c’était votre filsunique?»Ensuite,elles’estéloignée.»

Hugh nota dans son carnet : « InterrogerMme Thompson. » Il se leva etployalesépaules,sesouvenantvaguementqu’ilsepréparaitàallersecoucher,ily a des siècles. « Monsieur Peterson, dit-il, ne perdez pas de vue que notrepourcentage de réussite dans les affaires de rapt est excellent et que nousmettrons tout en œuvre pour retrouver Neil et Sharon. À présent, je vousconseilled’allerdormirquelquesheures.

—Dormir?»Steveluijetaunregardincrédule.« Vous reposer, du moins. Montez dans votre chambre et allongez-vous.

Nous restons là et nous vous appellerons si besoin est. Si le téléphone sonne,décrochez. Votre ligne est surveilléemaintenant.Mais je ne pense pas que leravisseursemanifesteencoreunefoiscettenuit.

—Bon.»Stevequitta la salleàmangerd’unpas lourd. Il s’arrêtadans lacuisinepourboireunverred’eauetleregrettaaussitôt.Leboldechocolatetleverredesherry,enduitsdelapoussièrecharbonneusedesempreintes,étaientenévidencesurlatable.

Sharon. À peine quelques heures plus tôt, elle était là, dans cettemaison,auprèsdeNeil.Iln’avaitjamaisvraimentréaliséàquelpointildésiraitqueNeils’attache à elle jusqu’à ces trois dernières semaines où elle lui avait tellementmanqué.

Ilsortitsansbruitdelacuisine,traversal’entrée,montal’escalier,longealecouloir devant la chambre de Neil et celle des invités, avant d’entrer dans lachambreprincipale.Au-dessusdesatête,ilentendaitdesbruitsdepas.LesLuftsmarchaientautroisièmeétage.Euxnonplusnepouvaientpasdormir.

Ilallumalalumièreetrestasurleseuildelaporte,examinantlapièce.Aprèslamort deNina, il l’avait remeublée. Il n’avait pas voulu vivre dans ces jolismeublesanciensqu’elleaffectionnaittant.Ilavaitremplacélelitdoubleparunlitàbarreauxencuivreetchoisiuneharmoniedecouleursdansleschinésbrunet blanc. Une chambre d’homme, lui avait-on assuré dans la boutique dedécoration.

Il ne s’en était jamais soucié. C’était une chambre solitaire, nue etimpersonnelle, une chambre demotel. Toute lamaison était à cette image. Ilsl’avaient achetée parce qu’ils désiraient une propriété au bord de lamerNinaavaitdéclaré:«Onpeutenfaireunemaisonmerveilleuse.Attendsettuverras.Donne-moisixmois.»Elleavaiteudeuxsemaines.

Lorsqu’il s’était renduchezSharon ladernière fois, il avait rêvéde refairecette chambre, cette maison, avec elle. Elle savait donner du charme à unemaison, la rendre reposante, chaleureuse. C’étaient les couleurs qu’elleemployait,etunecertainenotiond’espace.C’étaitsaprésenceaussi.

Ilôtaseschaussuresetselaissatombersursonlit.Ilfaisaitfraisetildépliasurluilecouvre-lit.Iléteignitlalumièreduplafond.

L’obscurité était totale. Dehors, le vent faisait craquer les branches ducornouillercontrelemurdelamaison.Laneigefaisaitunbruitsoyeuxsurlescarreauxdelafenêtre.

Stevesombradansunsommeillégeretagité.Ilsemitàrêver.Sharon,Neil.Ils l’appelaient à l’aide. Il courait à travers un épais brouillard… il courait lelong d’un couloir interminable. Il y avait une pièce tout au bout. Il essayaitd’entrer. Il devait entrer dans la pièce. Il l’atteignait, ouvrait la porte. Et lebrouillard s’éclaircissait, le brouillard se dissipait. Et Neil et Sharon étaientallongés par terre, la gorge nouée d’une écharpe.Un trait de craie de couleurdessinaitlecontourdeleurscorps.

21

C’étaitbeaucoup tropdangereuxqu’on levoie remonterduquaideMountVernontarddanslasoirée.Lesgardesduniveauinférieuravaientl’œilpourcegenrededétails.C’estlaraisonpourlaquelleilavaitquittéSharonetlegosseàvingt-troisheuresmoinsdeux.Eneffet,à23heurespile,untrainentraitengare,etilpourraitalorssemêlerauxhuitoudixvoyageursquiprendraientlarampeetlesescaliers.

Sansenavoirl’air,ilsejoignitàtroisd’entreeuxquisedirigeaientverslasortie de Vanderbilt Avenue. Pour n’importe quel observateur, il faisait partied’un groupe de quatre personnes. Il se sépara d’eux quand ils tournèrent àgauchesurVanderbiltAvenue.Iltournaàdroite,inspectalarue,s’arrêtanet.Ilyavaitunevoiturefourrièrejusteenface.OnaccrochaitbruyammentdeschaînesàunevieilleChevroletmarron.Ilsétaiententraind’embarquerlavoiture!

Profondément amusé, il s’éloigna en direction du nord de la ville. Il avaitl’intention de téléphoner de la cabine en face de Bloomingdale. Marcher surLexingtonAvenueluifitdubienetcalmaunpeulaboufféededésirqu’ilavaitéprouvéeenembrassantSharon.Et elle avait enviede lui, elle aussi. Il l’avaitsenti.

Il aurait pu faire l’amour avec Sharon s’il n’y avait eu le gosse.Mais lesyeux étaient là, sous le bandeau. Il y voyait peut-être à travers le tissu. Cettepenséelefitfrissonner.

Laneigetombaitmoinsfortmaislecielétaitencorelourdetnoir.Ilfronçalessourcils,sachantàquelpointilétaitimportantquelesroutessoientdégagéesquandiliraitchercherl’argent.

Il avait prévu de téléphoner aux Perry, et, s’ils n’étaient pas là, d’appelerdirectementchezPeterson;maisc’étaitplusrisqué.

Lachanceétaitaveclui.MmePerrydécrochaimmédiatement.Ildevinaàsavoix qu’elle était extrêmement nerveuse. Peterson les avait probablementprévenus quand il avait constaté la disparition de Sharon et de Neil. Il luitransmitlemessagedecettevoixbasse,rauque,qu’ilavaitdéjàutilisée.Cen’estque lorsqu’ellenecompritpas sonnomqu’il s’énervaethaussa le ton.Quelleimprudence ! L’idiot ! Mais elle était sans doute trop troublée pour l’avoir

remarqué.Ilsouriaitenraccrochantl’appareil.SileF.B.I.avaitétéprévenu,ilsauraient

branchésurécoute le téléphonedelastationEsso.C’estpourquoi,enappelantPeterson à cette cabine dans la matinée, il comptait lui dire de se rendreimmédiatement à la cabine téléphonique de la station-service suivante. Ilsn’auraientpasletempsdelamettresurécoute.

Il se sentait en pleine forme, génial, en sortant de la cabine. Une fille setenaitsurleseuild’unepetiteboutiquedevêtements.Endépitdufroid,elleétaitvêtued’unemini-jupe.Desbottesetunevestedefourrureblanchescomplétaientune tenue qu’il trouva très séduisante. Elle lui sourit. Ses cheveux épaisbouclaientautourdesonvisage.Elleétaitjeune,pasplusdedix-huitoudix-neufans,etilluiplaisait.Ilenétaitcertain,iln’yavaitqu’àvoirsesyeux.Ils’avançaverselle.

Maisils’immobilisaaussitôt.C’étaitsûrementuneprostituéeetmêmesielleétaitsincèredanssessentimentsvis-à-visdelui,lapolicepouvaitlessurveilleretlesarrêtertouslesdeux.Ilavaitludeshistoiressurdegrandsprojetsanéantisparunelégèreerreur.

Dépassantstoïquementlafille,illalaissaesquisserunbrefetpauvresourireavantdes’élancerdansleventglacéendirectionduBiltmore.

Lemême réceptionniste ricanant lui tendit sa clé. Il n’avait pas dîné et ilmouraitde faim. Il allait commanderdeuxou troisbouteillesdebière.Depuisquelquetemps,ilavaittoujoursenviedebière.L’habitude,peut-être.

En attendant les deux hamburgers, les frites et la tarte aux pommes, il seplongea dans un bain. Il régnait une telle atmosphère demoisi, de froid et desaleté dans l’autre pièce.Une fois sec, il enfila le pyjama qu’il avait emportépourcevoyageetexaminasavalisesurtouteslescoutures.Ellen’avaitpasdetache.

Il donna un généreux pourboire au garçon d’étage. Ils font toujours ça aucinéma.Ilavalad’untraitlapremièrebouteilledebière,pritlasecondeavecseshamburgers,etbutlatroisièmeàpetitesgorgéesenregardantlesinformationsdeminuit. Il y avait du nouveau au sujet de Thompson. « Le dernier espoird’obtenirunecommutationdepeinepourRonaldThompsonaprisfinhier.Lespréparatifs ont lieu pour l’exécution qui aura lieu demain à 11 h 30 commeprévu…»MaispasunmotsurNeiletSharon.Lapublicitéétaitlaseulechosequ’il redoutât. Parce que quelqu’un pouvait se mettre à rapprocher les deuxaffaires.

Lesfillesdumoisdernieravaientétéuneerreur.Seulementiln’avaitpaspu

s’enempêcher.Ilnerôdaitplus.C’étaittropdangereux.Maisquandillesavaitentenduessurleradiotéléphone,quelquechosel’avaitpousséàyaller.

Lesouvenirdesfillesleremua.Troublé,iléteignitlaradio.Ilnefallaitpas…Ilallaits’exciter.

Illefallait.Ilsortitdelapochedesonpardessuslemagnétophoneetlescassettesqu’il

emportait toujours avec lui. Il glissa une cassette dans l’appareil, se coucha,éteignitlalumière.Ilfaisaitbonsepelotonnersouslescouvertures;ilappréciaitles draps propres et bien raides, la couverture chaude et le couvre-lit. Il iraitsouventàl’hôtelavecSharon.

Plaçant l’écouteur à son oreille droite, il poussa le bouton «marche » del’appareil. Pendant quelques instants, on n’entendit que le bruit d’une voiture,puis le faible crissement des freins, une porte qui s’ouvre, et sa propre voix,amicale,secourable.

Illaissalacassettesedéroulerjusqu’aumeilleurmoment;etlefitpasseretrepasser.Ilarrêtaenfinlemagnétophone,retiral’écouteur,ets’endormitausondessanglotsdeJeanCarfolli.«Non…Jevousensupplie…non.»

22

MarianetJimVoglerparlèrenttarddanslasoirée.EndépitdeseffortsdeJimpourlaconsoler,unesortededésespoirsubmergeaitlajeunefemme.

« Jenem’en feraispas tant sinousn’avionspasdépensé tout cet argent !Quatrecentsdollars!Siquelqu’undevaitvolerlavoiture,pourquoinel’ont-ilspaspriselasemainedernière,avantqu’ellenesoitréparée?Etellemarchaitsibien.Artyavaitfaitdubontravail.Etmaintenant,commentvais-jeallerchezlesPerry?Jevaisperdremaplace.

— Allons, mon chou, tu ne vas pas abandonner ce job. Je vais trouverquelqu’un pour me prêter deux cents sacs, et je chercherai une autre occasedemain.

—Oh!Jim,tuveuxbien?»MariansavaitcombienJimdétestaitemprunteràdesamis,maiss’ilacceptait,justepourcettefois-ci…

IlfaisaittropsombrepourqueJimpuissevoirlevisagedesafemme,maisillasentitsedétendre.

«Chérie, la rassura-t-il, un jour on rigolera de toutes ces histoires de fric.Avantmêmedes’enapercevoir,onseraàflot.

—Jel’espère»,fitMarian.Ellesesentaitsoudaininfinimentlasse.Sesyeuxsefermaient.

Ilsvenaientàpeinedesombrerdans lesommeilquandle téléphonesonna.Lasonnerielesréveillaensursaut.

MariansedressasuruncoudependantqueJimcherchaitàtâtonslalampedechevetetattrapaitlerécepteur.

«Allô!Oui,iciJim–JimVogler.Cettenuit.C’estexact.Oh!formidable!Où?Quandest-cequejepeuxlarécupérer?Quoi?Vousvousfichezdemoi?Vous vous fichez de moi ! C’est un comble ! Bon… Trente-sixième rue etDouzièmeavenue.Jesais.Bon.Merci.»Ilraccrocha.

«Lavoiture,s’écriaMarian.Ilsontretrouvélavoiture!— Ouais. À New York. Elle était garée en stationnement interdit dans

Manhattan et les flics l’ont embarquée.On l’aura dans lamatinée. Le flic ditqu’elleasansdouteétépiquéepardesgossespourunevirée.

—Oh!Jim,c’estmerveilleux!—Ilyaunhic.

—Quoi?»Jimplissalesyeux.Unrictusdéformasabouche.«Écoute,monchou,peux-tucroireça?Onestobligédepayerleticketde

quinzesacspourleparkingetsoixantepourlafourrière!»Marian faillit s’étrangler. «Ma première semaine de paye ! » Ils partirent

touslesdeuxd’unriredouloureux.Lelendemainmatin,Jimpritletrainde6h15pourNewYorketrevintavec

lavoitureàneufheuresmoinscinq.Marianétaitprête.À9heuresexactement,elles’engageaitdansDrifwoodLane.LavoitureneseressentaitpasdesabaladeilliciteàNewYorketMariansefélicitaitd’avoirdenouveauxpneusneige.Ilsétaientrudementutilesparuntempspareil.

Une Mercury était garée dans l’allée des Perry. Elle ressemblait à cellequ’elleavaitremarquéedevantlamaisondel’autrecôtédelaruequandelleétaitvenue pour l’interview, la semaine dernière. Les Perry avaient sans doute dumonde.

Après une légère hésitation,Marian s’arrêta à côté de laMercury, prenantsoin de ne pas bloquer l’accès du garage. Elle s’attarda un moment avantd’ouvrirlaporte.

Elle était un peu nerveuse… toute cette histoire avec la voiture, juste aumomentoùelleseremettaitàtravailler.Bon,reprends-toi,sedit-elle,penseàtachance.Lavoitureestrevenue.Desesdoigtsgantés,elletapotaaffectueusementlesiègeàcôtéd’elle.

Samains’immobilisa.Ellevenaitdetoucherquelquechosededur.Marianbaissalesyeuxetretiraunobjetbrillantcoincéentrelecoussinetledossier.

«Çaalors!»C’étaitunebague.Elle l’examina.Très jolie–unepierredelunepâleet rosedansune trèsbellemontureancienne.Celuiqui avaitvolé lavoitureavaitdûlaperdre.

Ehbien,iln’yavaitpasunechancequ’onviennelaréclamer.Donc,labaguelui appartenait. Ça les consolerait des soixante-quinze dollars que Jim avaitdépenséspourleticketet lafourrière.Elleenlevasongantetglissalabagueàsondoigt.Elleluiallaitàlaperfection.

C’était un bon présage.Vivement que Jim l’apprenne. Soudain rassérénée,Marianouvrit laportièrede lavoiture,sortitsous laneige,etmarchad’unpasalerteverslaportedelacuisinedelamaisondesPerry.

23

Le téléphone public devant la station Esso sonna à 8 heures précises. Lagorgecontractée,laboucheatrocementsèche,Stevepritlerécepteur.«Allô!

—Peterson?»Unevoixassourdie,sibassequ’ildevaitfaireuneffortpourl’entendre.

«Oui.— Trouvez-vous dans dix minutes dans la cabine téléphonique de la

prochainestation-service,justeaprèslasortie21.»Lacommunicationfutcoupée.«Allô!…Allô!…»Unbourdonnementrésonnaàsonoreille.Ilregardadésespérémentdansladirectiondespompesàessence.Hughétait

arrivéquelquesminutesavantlui.Lecapotdesavoitureétaitlevéetildésignaitundes pneus aupompiste. Steve savait qu’il le surveillait. Secouant la tête, ilmonta dans sa voiture et démarra sur les chapeaux de roues en direction del’autoroute.Avantdetourner,ilaperçutHughquidémarraitàsontour.

Lacirculationétaitralentieparleverglas.Steveagrippalevolant.Jamaisiln’arriveraitàlastationsuivanteendixminutes.Braquantàdroite,ilroulasurlesbas-côtés.

La voix. Il l’avait à peine entendue. Pas une chance que le F.B.I. ait purepérerl’appel.

Cette fois-ci, il essayerait degarderRenarden ligneplus longtemps.Peut-êtrepourrait-il,luiaussi,reconnaîtresavoix.Iltâtalebloc-notesdanssapoche.IldevaitécrirechaquemotprononcéparRenard.Danssonrétroviseur,ilvoyaitunegrossevoiturevertederrièrelui,lavoitured’Hugh.

Ilétait8h11quandStevestoppadevantlacabinetéléphoniquedelastation-service. Le téléphone sonnait avec insistance. Il se rua dans la cabine, attrapal’appareil.

«Peterson?»Son interlocuteur parlait si doucement qu’il dut se boucher l’autre oreille

pourétoufferlesbruitsdel’autoroute.«Oui.— Je veux quatre-vingt-deux mille dollars en coupures de dix, vingt et

cinquante. Pas de billets neufs. À 2 heures, demain matin, soyez à la cabinetéléphoniqueaucoinde laCinquante-neuvièmeetdeLexington, àManhattan.

Venezdansvotrevoiture.Seul.Voussaurezoùlaisserl’argent.—Quatre-vingt-deuxmilledollars…»Steverépétalesinstructions.Lavoix,

pensait-ilfrénétiquement.Enregistrerlesintonations,lesmémoriser,pouvoirlesimiter.

«Dépêchez-vous,Peterson.— J’écris vos instructions. J’apporterai l’argent. Je serai au rendez-vous.

Mais comment serai-je sûr que mon fils et Sharon sont toujours en vie ?Commentsaurai-jes’ilssontavecvous?J’aibesoind’unepreuve.

—Unepreuve ?Quelle sorte de preuve ? »Sous le chuchotement perçaitl’irritation.

«Unenregistrement…unecassette…quelquechoseoùilsparlent.—Unecassette!»Queldrôledegloussement.L’interlocuteurétait-ilentrainderire?«Ilme

fautunepreuve»,insistaSteve.MonDieu,pria-t-il,faitesquecenesoitpasuneerreur!

«Vousaurezvotrecassette,Peterson.»Ilyeutundéclicàl’autreboutdelaligne.

«Allô!criaSteve.Allô!»Plusrien.Latonalité.Ilraccrochalentement.Comme convenu, il se rendit directement chez les Perry et attendit Hugh.

Trop agité pour rester dans la voiture, il sortit dans l’allée. Le vent glacé ethumide le fit frissonner.Oh !Seigneur,maisquesepasse-t-il ?Cecauchemarest-ilréel?

Lavoitured’Hughapparutauboutdelarueetsegara.«Qu’a-t-ildit?»Steve sortit son bloc et lut les instructions. La sensation d’irréalité

s’intensifiait.«Lavoix?demandaHugh.—Déguisée, il me semble. Très basse. Je crois que personne n’aurait pu

l’identifier,même si vous aviezmis la ligne sur écoute. » Il laissa son regarderrer dans la rue, chercha désespérément un réconfort, s’accrocha à un faibleespoir.

«Ilapromislacassette.Cequisignifiequ’ilssontsansdouteencoreenvie.—J’ensuiscertain.»Hughgardapourluisoninquiétudemaisilnevoyait

pas comment une cassette pourrait parvenir à Steve avant qu’il n’ait payé larançon.Lekidnappeurn’auraitpasletempsdel’envoyer,mêmeenexpress.Etuncoursierserait tropfacileàfiler.Cethommenevoulaitsûrementpasquelerapt soit rendu public, sinon il aurait confié une cassette à un journal ou à la

radio. « Comment faire pour la rançon ? demanda-t-il à Steve. Pouvez-vousobtenirquatre-vingt-deuxmilledollarsaujourd’hui?

—Jen’enaipascinqcentsmoi-même,réponditSteve.J’aitellementinvestidans le journal que je suis complètement à sec. J’ai pris une deuxièmehypothèqueettoutcequis’ensuit.Maisjepeuxobtenircettesomme,grâceàlamèredeNeil.

—LamèredeNeil?—Oui.Elleavaithéritédesoixante-quinzemilledollarsde sagrand-mère

justeavantdemourir.Je lesavaisplacéspour lesétudesdeNeil. Ilssontdansune banque à NewYork. Avec les intérêts, cela fait exactement quatre-vingt-deuxmilledollars.

—Exactementquatre-vingt-deuxmilledollars!MonsieurPeterson,quiétaitaucourantdeceplacement?

—Jel’ignore.Personneexceptémonavocatetmoncomptable.Cen’estpaslegenredechosesdontonparle.

—EtSharonMartin?—Jenemesouvienspasleluiavoirdit.—Maispourriez-vousl’avoirfait?—Non.Jenecroispas.»Hughgravissaitlespremièresmarchesduporche.«MonsieurPeterson,dit-ilavecprécaution,ilfautabsolumentquevousvous

rappeliez qui connaît l’existence de cette somme d’argent. Cela, plus lapossibilitéqueMmePerrypuisseidentifier lavoixduravisseur,constituentnosseulespistes.»

Roger leur ouvrit immédiatement quand ils sonnèrent à la porte. Ilmit undoigt sur ses lèvres en les faisant entrer. Son visage était pâle et tendu, sesépaules courbées. «Ledocteur vient departir. Il lui a donnéun calmant.Ellerefused’alleràl’hôpital,maisilpensequ’elleestaubordd’unautreinfarctus.

—MonsieurPerry,jesuisnavré.Maisnousdevonsluidemanderd’écouterl’enregistrementdupremierappelqu’afaitleravisseurcematin.

—C’estimpossible.Celalatuera.Celalatuera!»Serrantlespoings,ilseressaisit.«Steve,pardonnez-moi…Qu’est-ilarrivé?»

Mécaniquement, Steve raconta. Il avait de plus en plus une sensationd’irréalité, l’impression d’être un observateur qui regarde une tragédie sedéroulersoussesyeuxsanspouvoirintervenir.

Après un long silence, Roger dit lentement : « Glenda a refusé d’aller àl’hôpital parce qu’elle savait que vous aviez besoin de lui faire entendre cet

enregistrement.Lemédecinluiadonnéuntranquillisanttrèsfort.Siellepouvaitdormirunpeu…pouvez-vousrevenirunpeuplustard?Ellenedoitseleveràaucunprix.

—Biensûr»,fitHugh.Uncoupdesonnettelesinterrompit.«C’estlaportedederrière,ditRoger.

Qui diable ?… Oh ! mon Dieu, la nouvelle femme de ménage ! Je l’avaiscomplètementoubliée.

—Combiendetempsva-t-ellerester?demandavivementHugh.—Quatreheures.—Impossible.Ellepeutsurprendrequelquechose.Présentez-moicommele

médecin. Quand nous partirons, renvoyez-la chez elle. Dites-lui que vousl’appellerezdansunjouroudeux.D’oùvient-elle?

—DeCarley.»Lasonnettecarillonnaànouveau.«Elleestdéjàvenuedanscettemaison?—Lasemainedernière.—Nousauronspeut-êtrebesoindeprendredesrenseignementssurelle.—Entendu.»RogersehâtaverslaportedederrièreetrevintavecMarian.

Hughétudiaattentivementlevisageavenantdelajeunefemme.« J’ai expliqué àMme Vogler quema femme était malade, déclara Roger.

MadameVogler,monvoisin,M.Peterson,eteuh!…ledocteurTaylor.—Bonjour,messieurs. »La voix était chaleureuse, un peu timide. «Oh !

MonsieurPeterson,laMercuryest-elleàvous?—Oui.—Alors ce doit être votre petit garçon.Quel enfant adorable ! Il était de

l’autrecôtédelaruequandjesuisvenuelasemainedernièreetilm’aindiquélamaison. Il est sibienélevé.Vousdevezêtre fierde lui. »Marianenlevait songantettendaitlamainversSteve.

«Jesuis très…trèsfierdeNeil.»Brusquement,Stevelui tournaledosetsaisit la poignée de la porte d’entrée. Des larmes lui piquaient les yeux.«Seigneur,jevousenprie…»

Hughintervint,saisitlamaintenduedeMarian,prenantsoindenepasserrerla bague insolite qu’elle portait au doigt. Drôle d’idée pour faire le ménage,pensa-t-il.L’expressionde sonvisageavait imperceptiblement changé.«C’estune très bonne idée queMmeVogler vienne chez vous,monsieur Perry, dit-il.Vous savez combien votre femme s’inquiète pour lamaison. Je pense qu’ellepeutcommenceraujourd’huicommevousl’aviezprévu.

—Oh!…jecomprends!…Trèsbien.»RogerobservaitHugh,saisissantlesous-entendu.Sepourrait-ilquecettefemmeaitunrapportavecladisparitiondeNeil?

Désorientée,Marian détourna les yeux des deux hommes et regarda Steveouvrir la porte d’entrée. Peut-être trouvait-il qu’elle s’était montrée tropfamilièreen lui tendant lamain?Peut-êtredevrait-elles’excuser?Ellen’étaitque la femmedeménage ici, il ne fallait pas l’oublier.Elle faillit lui effleurerl’épaule,changead’avisetsecontentadetenirlaporteouvertepourHughsansdireunmot.Elle la refermadoucementderrièreeuxet lapierrede lune fitunpetittintementsurlapoignée.

24

Ilnevoulaitpasêtreunpleurnicheur.Ilfaisaittoutcequ’ilpouvaitpournepaspleurer,maisc’étaitcommepoursescrisesd’asthme.Ilnepouvaitpass’enempêcher.Ilavaitceserrementdanslagorge,etsonnezsemettaitàcouleretdegrosses larmes lui inondaient la figure. Il pleuraitbeaucoupà l’école. Il savaitquelesautresenfantsletrouvaientbébéetquelamaîtresseaussi,mêmesiellefaisaitsemblantdenepass’enapercevoir.

C’étaitseulementqu’ilyavaitquelquechoseenluiqui le tourmentaitsanscesse,uneespècedepeur,d’angoisse.Toutavaitcommencélejouroùonavaitfaitmalàmamanetoùelleétaitpartieauciel.Iljouaitavecsestrainscesoir-là.Iln’yavaitplusjamaistouchédepuis.

À ce souvenir, la respiration deNeil s’accéléra. Le bâillon l’empêchait derespirerparlabouche.Sapoitrinesemitàsesoulever.Ilessayad’avaler,etunmorceaudetissuluientradanslabouche.C’étaitépais,etçaluirâpaitlalangue.Ilvoulutdire:«Jenepeuxpasrespirer.»Lebâillonpénétraplusprofonddanssabouche.Ilétouffait.Ilallaitsemettreàpleurer.

«Neil,calme-toi…»LavoixdeSharonétaitbizarre,trèsbasseetenrouée,commesiellevenaitdufonddesagorge.Maissonvisageétaittoutprèsdusienetilpouvaitlesentirbougerquandelleluiparlait.Elledevaitavoirunmorceaud’étoffesurlabouche,elleaussi.

Oùétaient-ils?Ilfaisaitsifroid,celasentaitsimauvaisici.Ilyavaitquelquechosesurlui,unesortedecouverturesale,pensa-t-il.Sesyeuxétaienttellementserrés,etilfaisaittoutnoir.

L’hommeavaitouvertlaporteetl’avaitjetéparterre.Illesavaitattachésetil avait enlevé Sharon. Ensuite, il était revenu et Neil avait senti qu’on lesoulevaitetqu’onlemettaitdansungrandsac.Unjour,chezSandy,ilsavaientjouéàcache-cacheet il s’était cachédansungrandsacà feuillesmortesqu’ilavait trouvé dans le garage. Il avait ressenti la même impression. Il ne sesouvenaitderienaprèsquel’hommel’eutmisdanslesac,derienjusqu’àcequeSharonl’enaitsorti.Ilsedemandaitpourquoiilnesesouvenaitderien.Commelejouroùmamanétaittombéeparterre.

Il ne voulait pas y penser. Sharon disait : « Respire lentement, Neil. Nepleure pas,Neil, tu es courageux. » Elle aussi pensait sans doute qu’il n’était

qu’un pleurnicheur. Il pleurait quand elle était arrivée, tout à l’heure. C’étaittoujourslamêmechosequandilrefusaitlethéetlestoastsqueluipréparaitMme

Lufts.Elledisait:«Onvaêtreobligédet’emmenerenFlorideavecnous,Neil.Ilfautquetuteremplumes.»

Etvoilà.C’étaitlapreuve.SipapasemariaitavecSharon,ceseraitcommele disait Sandy. Personne n’a envie de garder un enfantmalade, et il partiraitaveclesLufts.

Etils’étaitmisàpleurer.MaisSharonn’avaitpasl’airfâchéqu’ilsoitmalademaintenant.Desadrôle

de voix, elle disait : « Inspire… expire… lentement, respire par le nez…» Ilessayaitdeluiobéir,inspirer…expirer.«Tuescourageux,Neil.Penseàcequetudirasàtescopains.»

Parfois,Sandydemandaitderaconterlejouroùonavaitfaitmalàmaman.Sandy disait : « Si quelqu’un essaye de toucher à ma mère, je saurai l’enempêcher. » Peut-être aurait-il dû être capable d’empêcher l’homme. Il auraitvoululedemanderàpapa,maisilnel’avaitjamaisfait.Papaluidisaittoujoursdenepluspenseràcettejournée.

Mais,parfois,ilnepouvaitpass’enempêcher.Inspirer…expirer…lescheveuxdeSharonsursajoue.Ellenesemblaitpas

s’étonner qu’il soit tout ramassé contre elle. Pourquoi l’homme les avait-ilemmenésici?Ilsavaitquic’était.Ill’avaitvuilyaquelquessemaines,quandM.Luftsl’avaitemmenélàoùl’hommetravaillait.

Il faisait beaucoup de cauchemars depuis. Une fois, il avait essayé d’enparleràpapamaisMmeLuftsétaitentréeetNeil s’était trouvé idiot. Iln’avaitplus rien dit, depuis. Mme Lufts posait toujours des questions tellementennuyeuses:«Est-cequetut’esbrossélesdents?»,«As-tugardétonécharpependantledéjeuner?»,«Commenttesens-tu?»,«As-tubiendormi?»,«As-tuterminétonrepas?»,«N’as-tupaslespiedsmouillés?»,«As-turangétesaffaires?».Etellene le laissait jamaisrépondre.Ellesecontentaitdefouillerdans son panier-repas pour vérifier s’il avait mangé ou de lui faire ouvrir labouchepourregardersagorge.

C’étaitdifférentquandilyavaitmaman.MmeLuftsnevenaitqu’unjourparsemainepour faire leménage.Cen’est qu’aprèsquemaman futpartie au cielqu’elles’étaitinstalléelà-hautavecM.Luftsetquetoutavaitchangé.

À force de penser à tout ça, d’écouter Sharon, il s’aperçut que ses larmesavaient séchéd’elles-mêmes. Il avaitpeur,maispascomme le jouroùmamanétaittombéeetoùilétaitrestéseul.Pascomme…

L’homme…Sarespirations’accéléra,ilétouffait.«Neil.»Sharonfrottaitsajouecontre

lasienne.«Penseaumomentoùnoussortironsd’ici.Tonpapaserasicontentdenousrevoir. Jesuissûrequ’ilnousemmèneranousamuser.Tusais, j’aimeraisallerfairedupatinàglaceavectoi.Tun’avaispasaccompagnétonpapal’autrejour lorsqu’il était venu à New York. Et après nous avions l’intention det’emmenerauzoo,prèsdelapatinoire…»

Il écoutait.Sharon avait vraiment l’air depenser cequ’elledisait. Il auraitbienvouluvenircejour-là,maisquandill’avaitditàSandy,cedernierluiavaitexpliquéqueSharonn’avaitsûrementpasenviequ’ilviennemaisqu’ellevoulaitseulementfaireplaisiràsonpèreendemandantàNeildelesaccompagner.

« Ton papa m’a dit qu’il veut t’emmener voir des matchs de football àPrinceton,l’automneprochain,continuait-elle.J’allaisauxmatchsdeDartmouthquandj’étaisétudiante.Touslesans,ilsjouaientcontrePrinceton,maistonpapan’y était plus à cette époque. J’étais dans un collège de filles,MountOlyoke.C’estàdeuxheuresàpeinedeDartmouthetnousyallionssouventenbandeleweek-end,spécialementàlasaisondesmatchsdefootball…»

Savoixétaitdrôle,unpeucommeungrommellement.«Beaucoup d’hommes emmènent leurs familles auxmatchs.Ton papa est

tellementfierdetoi.Ilditquetuessibravequandtuastescrisesd’asthme.Ilditquepeud’enfantssupporteraientd’avoirunepiqûreparsemainesansriendire,maisquetoituneteplainsjamais,tunepleuresjamais.»

C’étaitsidurdeparler.Elleavalapéniblementsasalive.«Neil,sinousfaisionsdesprojets?C’esttoujourscequejefaisquandj’ai

peurouquejesuismalade.Jepenseàquelquechosedebien,quelquechosequej’aimeraisfaire.J’étaisauLibanl’annéedernière–c’estunpaysàenvironhuitmillekilomètresd’ici–etj’écrivaisunehistoiresurlaguerre,là-bas.J’habitaisdansunendroitinfestéderats,etunenuitj’aiététrèsmalade.J’avaislagrippeet la fièvre, et j’étais toute seule et j’avaismal partout, aux bras, aux jambes,exactement commeaujourd’hui, et jeme suis forcéeàpenser àquelquechosequej’aimeraisfaireàmonretouràlamaison.Jemesuissouvenued’untableaudontj’avaistrèsenvie.Unportavecdesbateauxàvoiles.Etjemesuisjuréque,dèsmonretouràNewYork,jem’offriraiscetableau.Etc’estcequej’aifait.»

Savoixbaissaitdeplusenplus.Ilavaitdumalàsaisirtouslesmots.«Nousdevrionspenseràcequiteferaitplaisir,vraimentplaisir.Tusaisque

tonpapaditquelesLuftsvontbientôtpartirenFloridemaintenant.»Neil sentitunpoinggigantesque luiécraser lapoitrine.«Calme-toi,Neil !

Rappelle-toi. Inspire… expire… respire lentement. Bon, quand ton papa m’amontré votre maison et que j’ai vu la chambre des Lufts, j’ai regardé par lafenêtreetc’étaittoutàfaitcommemontableau.Onyvoitàlafoisleport, lesbateaux, le bras de mer et l’île. Et si j’étais toi, quand les Lufts partiront enFloride,jeprendraiscettechambrepourmoi.J’ymettraisunebibliothèque,desétagèrespour tes jeuxetunbureau.L’alcôveest tellement largeque tupeuxyinstallertouteslesvoiesferréesdetestrains.Tonpapaditquetuaimesbeaucouptestrains.J’enavaisaussiquandj’étaispetite.Enfait,c’étaientlesgrandstrainsLionel qui avaient appartenu à mon papa. C’est te dire s’ils sont anciens.J’aimeraistelesdonner.»

QuandlesLuftspartirontenFloride…quandlesLuftspartiront…Sharonnes’attendaitpasqu’ils’enailleaveceux.Sharonpensaitqu’ilpourraits’installerdansleurchambre.

«Et j’aipeurencemoment, jene suispasbienet jevoudrais sortird’ici.Maisjesuisheureusequetusoisavecmoietjediraiàtonpèrecombientuasétécourageux, comme tu as fait attention de respirer lentement et de ne past’étouffer.»

LalourdepierrenoirequicomprimaitlapoitrinedeNeilremuaunpeu.LavoixdeSharonlafaisaitbougerd’avantenarrière,exactementcommeilfaisaitbougerunedentdelaitquandelleétaitprêteàtomber.Neileutbrusquementtrèssommeil.Malgrélacordequiluiliaitlesmains,ilréussitàdéplacersesdoigtsetàlesglisserlelongdubrasdeSharon,jusqu’àcequ’iltrouvecequ’ilcherchait,unboutdesamanche.Ils’endormit,serrantl’étoffeentresesdoigts.

Le souffle rauque prit une cadence régulière. Inquiète, Sharon écouta lesifflement pénible, sentit le mouvement laborieux de la poitrine de l’enfant.Cettepièceétaitglacée,tellementhumide,etNeilavaitdéjàattrapéfroid.Mais,couchésl’uncontrel’autre,leursdeuxcorpsdégageaientunpeudechaleur.

Quelleheureétait-il?Ilsétaientarrivésdanscettepiècejusteaprès19h30.L’homme…Renard…étaitrestéunbonmomentaveceux.Depuiscombiendetemps était-il parti ? Il devait être minuit passé. On était mardi maintenant.Renard avait dit qu’ils devaient rester jusqu’à mercredi. Comment Stevetrouverait-il les quatre-vingt-deuxmille dollars de rançon enun seul jour ?Etpourquoicechiffrebizarre?Steveessayerait-ildejoindresesparents?Ceseraitdifficile, étant donné qu’ils vivaient en Iran à l’heure actuelle.QuandNeil seréveillerait,elleluiraconteraitaussiquesonpèreétaitingénieurenIran.

« Nous partirons tous les deux mercredi matin, et je laisserai un motexpliquant où trouver le gosse. » Elle examina cette promesse. Elle ferait

semblantdevouloirpartiraveclui.DèsqueNeilseraitsauvéetqu’elleresteraitseuleavecleravisseurdanslagare,ellesemettraitàhurler.Qu’importecequiluiarriverait,ilfallaitprendrecerisque.

Mais, au nom duCiel, pourquoi les avait-il enlevés ? Il regardait Neil defaçonsiétrange.Commes’illehaïssait,ous’il…s’ilavaitpeurdelui.Voyons,c’étaitimpossible.

Avait-il laisséNeil lesyeuxbandésparcequ’il craignaitque l’enfantne lereconnaisse?Peut-êtreétait-ildeCarley?Sic’étaitlecas,commentpourrait-illaisserNeilenvie?Neill’avaitvuquandils’étaitintroduitdanslamaison.Neill’avaitdévisagé.Illereconnaîtraitsijamaisillerevoyait.Elleenétaitcertaine;et l’homme devait le savoir lui aussi. Prévoyait-il de tuer Neil une fois qu’ilauraitl’argent?

Oui,illetuerait.Mêmes’illafaisaitsortirdecettepièce,ceseraittroptardpourNeil.UnevaguedecolèreetdeterreurlapressaplusprèsdeNeil.Ellerepliases

jambes contre lui, commepour l’envelopper tout entier dans la courbe de soncorps.

Demain.Mercredi.Voilàcequedevait ressentirMmeThompsonàcetteminute.Unesensation

de rage, de peur et de désespoir, le besoin primitif de protéger son petit.Neilétait le filsdeSteveetSteveavaitdéjà tellementsouffert. Ildevaitêtreaffolé.LuietMmeThompsontraversaientuneagoniesemblable.

Elle ne blâmait vraiment pas Mme Thompson de l’avoir insultée. Elle nesavait plus ce qu’elle disait ; elle en était incapable. Ron était coupable ;personnen’endoutait.C’étaitcelaqueMmeThompsonnecomprenaitpas;quemaintenantseuleunepétitionmassivecontrelapeinecapitalepouvaitpeut-êtrelesauver.

Sharon, aumoins, avait tout fait pour l’aider. Steve, ôSteve, cria-t-elle ensilence,tucomprendsmaintenant?Tuvoismaintenant?

Elle essaya de frotter ses poignets contre lemur. Le parpaing était dur etrugueux,maislescordesétaientattachéesdetellefaçonqu’elleneparvintqu’às’écorcherlesdoigtsetleborddesmains.

Quand Renard reviendrait, elle lui dirait qu’elle avait envie d’aller auxcabinets.Ilseraitobligédeladétacher.Alorspeut-être…

Cesphotos.Ilavaittuécesfemmes.Seulunfoupouvaitprendredesphotospendantqu’iltuaitets’amuseràlesagrandir.

Ilavaitprissaphoto.

Labombe.Siquelqu’unpassaitprèsdelaporte?Silabombeéclatait,elleetNeil,etcombiend’autres?

Elleessayadeprieretneputquerépétersansfin:«Jevousenprie,faitesqueStevenoustrouveàtemps,jevousenprie,neluiprenezpassonfils.»

MmeThompsonfaisaitsansdoutelamêmeprière.«Épargnezmonfils.»C’estdevotrefaute,MlleMartin…Le temps passait, implacable. La douleur engourdissait ses bras et ses

jambes.Parmiracle,Neildormait.Ilgémissaitparfois,sarespirationsecoinçaitetilsuffoquait,maisilretombaitensuitedansunsommeilintermittent.

On devait approcher du matin. Le grondement des trains devenait plusfréquent.Àquelleheureouvraitlagare?À5heures?Ildevaitêtre5heures.

À8heures,lagaregrouilleraitdemonde.Silabombeéclatait?Neil s’agita. Il murmura quelque chose qu’elle ne comprit pas. Il se

réveillait.Neil voulait ouvrir les yeux et n’yparvenait pas. Il avait envied’aller aux

cabinets.Ilavaitmalauxbrasetauxjambes.Ilrespiraitpéniblement.Soudain,ilrevittoutcequiétaitarrivé.Ilavaitcouruàlaporteendisant:«Oh!c’esttrèsbien!»,etilavaitouvert.Pourquoiavait-ilditcela?

Ilsesouvenait.Le bloc de pierre bougeait d’avant en arrière dans sa poitrine. Il sentait le

souffledeSharonsursonvisage.Ilyavaitunbruitdetrainsdanslelointain.Unbruitdetrains.Etmaman.Ilavaitdescenduencourantl’escalier.Etl’hommeavaitlaissétombermamanets’étaittournéverslui.Etensuite,l’hommeétaitpenchésurmaman,ensueur,l’airterrifié.Non.L’hommequiavaitpoussélaportelanuitdernière,l’hommequis’étaittenu

devantluietquil’avaitregardé;cethommeavaitdéjàfaitça.Il s’était avancé vers lui. Il avait laissé tombermaman et il s’était avancé

verslui.Ilavaittendulesmainsetill’avaitregardé.Etquelquechoseétaitarrivé.Lasonnette.Lasonnettedelaported’entrée.L’hommes’étaitéchappé.Neill’avaitvus’enfuir.Voilàpourquoiilrêvaitsanscessedecejour-là.Parcequ’ilenavaitoublié

unepartie…lapartielaplusterrifiante,celleoùl’hommes’étaitapprochédelui,lesmainstendues,ets’étaitbaisséverslui…

L’homme…

L’hommequiparlaitàM.Lufts.Quiétaitentrédanslamaisonenlebousculantlanuitdernièreetquis’était

penchésurlui.«Sharon.»LavoixdeNeil était voilée, âpre, commes’il faisait uneffort

insurmontablepourparler.«Oui,Neil,jesuislà.—Sharon,cethomme,ceméchanthommequinousaattachés…—Oui,chéri,n’aiepaspeur.Jesuisavectoi.—Sharon,c’estl’hommequiatuémamaman.»

25

Lapièce.Lallydevaitallerdanssapièce.Tantpiss’ily faisait froid.Avecdesjournauxentresesdeuxcouvertures,elleauraitsuffisammentchaud.Elleenavaittropenvie.Ilyavaittropdemondedansl’asiledelaDixièmeavenueoùelleavaitdormi laplusgrandepartiede l’hiverencompagniedeRosieetdesautres.Elleavaitbesoind’êtreseule.Elleavaitbesoindesapiècepourrêver.

Desannéesauparavantquandelleétaitjeune,LallyserégalaitdesfeuilletonsdeLouellaParsonsetdeHeddaHopperetelleaimaits’endormirenseracontantqu’elle n’était plus une pauvre institutrice solitairemais une star que tous lesphotographesetreportersvenaientaccueilliràGrandCentralStation.

Tantôt,ellesortaitdelaTwentiethCenturyLimited,vêtuederenardblanc,oud’unsomptueuxtailleurdesoieavecétoledezibeline,etsasecrétaireportaitsoncoffretàbijoux.

Tantôt,ellearrivaitdirectementdelapremièredesonfilmàBroadwaydanscettemerveilleuserobedebalqueportaitGingerRogersdansTopHat.

Lesrêvess’étaientdissipésavecletempsetelles’étaithabituéeàl’existencetelle qu’elle était, triste, monotone et solitaire.Mais en arrivant à NewYork,lorsqu’elles’étaitmiseàpassertoutsontempsdansGrandCentralStation,illuiavaitsembléqu’ellerevivaitlesbeauxjoursdesaviedestar;sansavoirbesoindefairesemblant.

QuandRustyluiavaitdonnélaclédelapièceetqu’elleavaitpuydormir,blottieaucreuxdesagare,bercéeparlebruitsourddestrains,elles’étaitsentiecomblée.

À 8 h 30 mardi matin, armée de son sac à provisions, elle descendit auniveauinférieur,verslequaideMountVernon.Elleavaitl’intentiondesecoulerdansleflotdesvoyageursquidescendaientlarampepourletrainde8h50etensuitedefilerverssapièce.Enchemin,elles’arrêtaaubuffetdelagalerieduBiltmorepourcommanderuncaféetdesbeignets.ElleavaitfinidelireleTimeetNewsweekqu’elleavaitramassésdansunepoubelle.

L’hommeenfaced’elleaucomptoirdubuffetluiparutvaguementfamilier.Maisbien sûr, c’était celui qui avait gâché tous sesplans, laveille au soir, endescendantsurlequaideMountVernonaveclafilleenmanteaugris!Pleinederancœur,elle l’entenditcommanderdeuxcafésau lait etdespetitspains.L’air

furieux, elle le regarda payer et emporter sa commande. Elle se demanda s’iltravaillaitdanslesparages.Elleauraitjuréquenon.

Ensortantdubuffet,elletraînacommed’habitudedanslagarepournepaséveillerl’attentiondesflicsquilaconnaissaientetparvintsansenavoirl’airàlarampequidescendaitsurlavoiedeMountVernon.Letrainseremplissait.Lesgenssepressaient.Ravie,Lallymêlasespasauxleursetsedirigeaverslequai.Et lorsque les voyageurs grimpèrent dans le train, elle contourna la dernièrevoitureetpritàdroite.Enuninstant,ellefuthorsdevue.

C’estalorsqu’ellelevit.L’hommequivenaitd’acheterlescafésaulaitetlespetitspains.L’hommequiétaitvenuàcetendroitmêmelanuitdernière.Il luitournait le dos. Il se hâtait à présent, disparaissait dans l’obscurité desprofondeursdelagare.

Ilnepouvaitallerqu’àunseulendroit.Sapièce.Il l’avait découverte ! Voilà pourquoi il était descendu sur le quai la nuit

dernière.Iln’attendaitpasletrain.Ilétaitallédanssapièceaveclafille.Etilavaitdeuxcafés,dulait,etquatrepetitspains.Donc,lafilleaussiétait

là.Deslarmesd’amertumeluijaillirentdesyeux.Ilsavaientprissapièce!Son

aptitude à faire face prit alors le dessus. Ils allaient voir ! Elle allait s’endébarrasser !Ellemonterait la garde, et quand elle serait sûrequ’il était parti,elle entrerait dans la pièce et préviendrait la fille que les flics les avaientdécouverts et qu’ils venaient les arrêter.Ça les ferait déguerpir.Lui avait l’airmauvais,maislafillen’étaitpaslegenreàtraînerdanslesgares.C’étaitpeut-êtreunesortedejeupourelle.Elleficheraitlecampenvitesse,etluiavec.

Sombrementsatisfaiteàl’idéededuperlesimportuns,Lallyfitdemi-touretmontadanslasalled’attente.Elleimaginaitlafilleétenduesurlelitenattendantquesonpetitamiluiapportesonpetitdéjeuner.«T’enfaispas,mabelle,pensa-t-elle,tuvasenavoirdelacompagnie.»

26

Steve,Hugh,lesLuftset l’agentHankLamontétaientassisàlatabledelasalleàmanger.DoraLuftsvenaitd’apporterunpotdecaféetdespetitspainsaumaïstoutfrais.Steveleurjetaunregarddénuéd’intérêt.Ilappuyaitsonmentondanslecreuxdesamain.L’autresoir,Neil luiavait justementfait remarquer :«Tumedistoujoursdenepasmettremescoudessurlatableettulefaistoutletemps,papa.»

Ilchassalesouvenir.Celaneservaitàrien.Àrien.Ilfallaitresterconcentrésurcequipouvaitêtrefait.IlobservaBillLufts.Detouteévidence,Bills’étaitconsolédans l’alcool,cettenuit. Ilavait lesyeuxinjectésdesangetsesmainstremblaient.

Ilsvenaientd’écouter ledix-neuvièmemotde l’enregistrementducoupdetéléphone.Étouffée,indistincte,lavoixétaitméconnaissable.Hughavaitrepassétroisfoislabandeavantdel’arrêter.«Bon,nousallonsl’apporteràMmePerrydèsquesonmarinousappelleraetnousverronscequ’elleenpense.Àprésent,ilest extrêmement important que nous mettions certaines choses au point. » Ilconsulta la liste devant lui. «D’abord, un agent restera dans lamaison vingt-quatre heures sur vingt-quatre, jusqu’à ce que tout soit réglé. Je pense quel’hommequisefaitnommerRenardesttropmalinpourtéléphonericiouchezlesPerry.Ilsedouteraqu’ilssontsurécoute.Maisilyatoujoursunechance…

—M.PetersondoitserendreàNewYork;siletéléphonesonne,madameLufts,vousrépondrezimmédiatement.L’agentLamontprendralesecondpostequiestégalementsurécoute.Aucasoùleravisseurappellerait,ilnefaudrapasperdrevotresang-froid.Vousessaierezde legarderen ligne leplus longtempspossible.Vousensentez-vouscapable?

—Jeferaidemonmieux,balbutiaDora.—Avez-vousprévenul’écolequeNeilétaitmalade?—Oui.À8h30exactement,commevousmel’aviezindiqué.—Bon. »Hugh se tourna vers Steve. «Avez-vous prévenu votre bureau,

monsieurPeterson?—Oui.Ledirecteurm’avaitconseilléd’éloignerNeilquelquesjourspourlui

épargnerl’exécutiondeThompson,demain.J’ailaisséunmessagedisantqueje

partais.»HughdirigeasesyeuxversBillLufts.«MonsieurLufts,j’aimeraisquevous

restiez à la maison, du moins pour aujourd’hui. Quelqu’un pourrait-il s’enétonner?»

Safemmefitentendreunricanementamer.«SeulementleshabituésdubarleMillTavern,dit-elle.

—Très bien. Je vous remercie tous les deux. »Le tond’Hugh invitait lesLuftsàseretirer.Ilsselevèrentetallèrentàlacuisine,nerefermantqu’àdemilaportederrièreeux.

Hughsepenchaetlafermad’ungestedécidé.IllevaunsourcilversSteve.« Je pense que les Lufts n’ignorent rien de ce qui se dit dans cette maison,monsieurPeterson»,commenta-t-il.

Stevehaussalesépaules.«Jesais.MaisdepuisqueBillaétémisàlaretraitele1erjanvier,ilssontvraimentrestéspourmefaireplaisir.IlsavaienttrèsenviedepartirenFloride.

—Vousdisiezqu’ilssontchezvousdepuisdeuxans?—Unpeuplus.Doraétaitnotre femmedeménage.Avant lanaissancede

Neil,ellevenaitunjourparsemaine.Noushabitionsàquelquesruesd’ici,voussavez.LesLuftséconomisaientpour leur retraite.QuandNinaaété tuée,nousvenions juste d’emménager dans cette maison et j’avais besoin de quelqu’unpours’occuperdeNeil.Jeleuraiproposédes’installerdanslagrandepièceautroisièmeétage.Ilsfaisaientainsil’économiedeleurloyeretjedonnaisàDoral’équivalentdecequ’ellegagnaitpoursesheuresdefemmedeménage.

—Commentcelaa-t-ilmarché?—Plutôtbien.Tous lesdeuxaimentbeaucoupNeil,etelleveille trèsbien

surlui,troppeut-être.Elles’enoccupesansarrêt.Maisdepuisqu’iln’aplusrienàfaire,Bills’estmisàboire.Franchement,jeneseraipasmécontentquandilspartiront.

—Qu’est-cequilesretient?demandaHughd’untonsec.L’argent?—Non,jenepensepas.Doraauraitvouluquejemeremarie,queNeilaitde

nouveauunemère.C’estvraimentunechicfille.—EtvousalliezépouserSharonMartin,n’est-cepas?»Steve eut un sourire glacial. « C’était mon intention. » Il se leva

nerveusementetmarchaverslafenêtre.Laneigetombait,doucement,sansbruit.Il lui sembla qu’il avait autant de contrôle sur sa propre vie que l’un de cesfloconsenavaitsursadestinationfinale…tomber,atterrirdanslesbuissons,surl’herbe,oudans la rue, fondreougeler,êtrebalayé,chassé,écrasésous lepas

despiétons.Son imagination s’égarait, la tête lui tournait. Il s’efforça de revenir à la

réalité.Ilnepouvaitpasresterlà,impuissant,immobile.Ildevaitfairequelquechose.

«JevaisàlabanqueàNewYork,dit-ilàHugh.—Uneminute,monsieurPeterson.Ilresteencorecertaineschosesàrégler.»Steveattendit.«Que ferez-vous si vousn’obtenezpas l’enregistrementdesvoixdevotre

filsetdeSharon?—Ilapromis…— Il peut être dans l’impossibilité de le transmettre. Comment pourrait-il

vouslefaireparvenir,àsupposerqu’ill’ait?Laquestionestlasuivante:êtes-vousprêtàpayersansavoirobtenulapreuvequeSharonetNeilsontencoreenvie?»

Steve réfléchit. « Oui. Je ne veux pas risquer de le contrarier. Peut-êtrelaissera-t-ilunebandemagnétiqueouunecassettequelquepart,etsijenejouepaslejeu…

—Bon. Nous envisagerons cela plus tard. Si vous n’avez rien reçu d’ici2 heures du matin, quand il vous appellera à la cabine téléphonique de laCinquante-neuvièmerue,vousessayerezdegagnerdutemps.Dites-luiquevousn’avezpaslapreuvedemandée.S’ilaffirmequ’ill’alaisséequelquepart,ilserafaciled’allerlachercher.

« Autre chose, maintenant. Voulez-vous payer en vrais billets ? Vouspourriezendemanderdesfaux,facilesàdétecterparlasuite.

—Non.Jeneveuxprendreaucunrisque.L’argentaétéplacépourlesétudesdeNeil.S’illuiarrivaitquelquechose…

—Trèsbien.Vousallezdoncretirerl’argentdevotrecompteetledéposeràla Banque fédérale de réserve. Demandez un chèque de caisse. Nos hommesserontlàpourphotographierlesbilletsdelarançon.Decettefaçon,nousauronsaumoinsundocument.»

Steve l’interrompit. « Je ne veux pas que l’on fasse une marque sur lesbillets.

—Ilnes’agitpasdelesmarquer.Leravisseurn’auraaucunmoyendesavoirquenous lesavonsphotographiés.Mais l’opérationprendradu temps.Quatre-vingt-deuxmilledollarsencoupuresde10,20et50,celafaitbeaucoupdebilletsàmanipuler.

—Jesais.

—MonsieurPeterson,ilyaplusieursprécautionsquejevousrecommandedeprendre.Lapremière,c’estdenouspermettrededisposerdescamérasdansvotre voiture. Cela nous donnera une sorte de piste dès que vous aurez priscontactavecleravisseur.Nouspourronspeut-êtreobtenirunephotoourepérerle numéro d’immatriculation de la voiture qu’il conduit. Nous aimerionségalementinstallerunémetteurdansvotrevoiture,afindepouvoirvoussuivreàdistance. Jevousaffirmequ’il sera impossibleàdéceler.Enfin,etceladépendentièrementdevous,ilseraitprudentdecacherunautreémetteurdanslavalisecontenantl’argent.

—Supposezqu’illedécouvre.Lekidnappeursauraquejevousaiprévenus.—Supposezquevousnelemettiezpasetquevousn’entendiezplusparler

de rien. Vous aurez remis l’argent et vous n’aurez ni votre enfant ni Sharon.Croyez-moi,monsieurPeterson,notrepremiersouciestdelesretrouversainsetsaufs.Ensuite,nousmettronstoutenœuvrepourretrouverleoulesravisseurs.Maisceladépenddevous…

—Queferiez-vouss’ils’agissaitdevotrefilsetdevotre…femme?—MonsieurPeterson, nousn’avonspas affaire à desgenshonorables.Ce

n’estpasparcequevousversezunerançonquevousrécupérezlesotages.Peut-être les relâchera-t-on.Peut-être.Maispeut-être seront-ils abandonnésdansunendroit d’où ils seront incapables de sortir seuls. C’est à prendre enconsidération. L’endroit ne pourra être localisé que si nous pouvons suivre latraceduravisseur.»

Steveeutungestededécouragement.«Faitescequevousavezà faire.JeprendrailavoituredeBillpouralleràNewYork.

— Non. Je préfère que vous preniez votre propre voiture et que vous lagariezdansleparkingprèsdelagarecommed’habitude.Ilesttrèspossiblequevosmouvements soient surveillés.Nous vous filerons, un agent vous suivra àdistance. Laissez vos clés sur le plancher. Nous prendrons la voiture pourl’équiperetlaremettronsenplacepourvotreretour.Maintenant,voilàoùvousirezavecl’argent…»

Steve attrapa le trainde10h40pourGrandCentralStation. Il arriva à lagareà11h50,avecdixminutesde retard,etpréféra remonterParkAvenueàpied,unegrandevalisevideàlamain.

Une sensation de futilité et d’extrême détresse le gagnait à mesure qu’ilavançaitpéniblementd’unblocàl’autreentrelagareetlaCinquanteetunièmerue.C’étaitlesecondjourdemauvaistemps,maislesNew-Yorkais,retrouvantleur entrain habituel, étaient sortis dans la rue. Il régnait même un certain

enthousiasme dans la façon dont ils enjambaient les caniveaux glacés etcontournaientlestasdeneige.Hiermatin,Sharonetluisetrouvaientàquelquesrues de là. Il avait pris son visage entre sesmains et l’avait embrassée en laquittant. Ses lèvres étaient froides, comme l’étaient les siennes lorsque Ninal’avaitembrassépourladernièrefois.

Ilarrivaàlabanque.Enapprenantqu’ildésiraitsolderlecomptedeNeil,àl’exception de deux cents dollars, le caissier eut un haussement de sourcil. Ilquittasonguichetetallaconsulterundesdirecteurs,quiseprécipitaversSteve.

«MonsieurPeterson,demanda-t-il,ya-t-ilunproblème?—Non,monsieurStrauss.Jedésireseulementfaireunretrait.—Jemevoisdansl’obligationdevousdemanderderemplirlesformulaires

del’ÉtatduConnecticutetceuxdugouvernementfédéral.C’estnécessairepourtoutretraitd’unetelleimportance.J’espèrequevousn’êtespasinsatisfaitdelafaçondontnousavonsgérélecomptedevotrefils.»

Steves’efforçadegarderunevoixetunvisageimpassibles.«Pasdutout.—Très bien. » La voix du directeur prit un ton froidement professionnel.

«Vouspouvezremplirlesformulairesnécessairesdansmonbureau.Veuillezmesuivre,jevousprie.»

Stevegriffonnamécaniquementlesinformationsrequises.Letempsqu’ilaitfini,lecaissieravaitposélechèquedecaissesurlebureau.

M.Strausslesignarapidement,letenditàSteveetseleva.Sonvisageétaitpensif. « Je ne voudrais pas être indiscret, mais vous n’avez aucun ennui,monsieurPeterson?Peut-êtrepouvons-nousvousêtreutile?»

Steve se leva à son tour. «Non.Non,merci,monsieur Strauss. » Sa voixrésonnaàsesoreilles,tendueetpeuconvaincante.

«Jesouhaitequ’ilensoitainsi.Nousvousapprécionsénormémenten tantqueclientdecettebanqueet,jel’espère,commeami.S’ilyavaitunproblèmeetquenoussoyonsenmesuredevousaider,jevousenprie,n’hésitezpas.»Illuitenditlamain.

Steve la saisit. « Vous êtes vraiment très aimable, mais tout va bien,parfaitementbien,jevousassure.»

Ilsortitenportantsavalise,hélauntaxietluidonnal’adressedelaBanquefédéralederéserve.Unefoisarrivé,onl’introduisitdansunepièceoùlesagentsdu F.B.I., l’air sévère, s’affairaient à compter et à photographier l’argentcorrespondantauchèquequ’ilapportait.Steveleurjetaunregardmorne.

«Le roi était dans lamaison des comptes, et il comptait son argent. »La

comptine lui traversa l’esprit. Nina la chantonnait souvent à Neil avant de lecoucher.

IlretournaàGrandCentraletmanquadepeuletrainde15h05.Leprochainne partait pas avant une heure. Il appela chez lui. Dora décrocha et l’agentLamont lui parla du second poste.Aucune nouvelle.Aucun signe de cassette.HughTaylorseraitderetourquandilreviendrait.

L’idéed’avoiruneheureàtuerconsternaitSteve.Ilavaitmalàlatête;unedouleurlente,brûlante,quileprenaitaumilieudufrontetluiserraitlestempescommeunétau.Ilréalisaqu’iln’avaitrienmangédepuishiermidi.

L’OysterBar.Ilallaits’yinstalleretcommanderunapéritifetunpotageauxhuîtres. Il passa devant le téléphone d’où il avait essayé d’appeler Sharon laveille au soir. C’est alors qu’avait commencé le cauchemar. Il s’étaitimmédiatement douté qu’il se passait quelque chose. Il y avait à peine vingtheures.Uneéternité.

Vingtheures.OùétaientSharonetNeil?Leuravait-ondonnéàmanger?Ilfaisait si froid dehors. Étaient-ils dans un endroit chauffé ? De toute façon,SharonprendraitsoindeNeil.Illesavait.SupposonsqueSharonaitréponduautéléphonequandilavaitappelélanuitdernière.Supposonsqu’ilsaienttouslestroispassélasoiréeensemblecommeilsl’avaientprévu.UnefoisNeilcouché,illuiauraitdit:«Jenet’offrepasgrand-chose,Sharon.Tupourraissansdoutetrouvermieuxsituattends,maisn’attendspas.Épouse-moi.Noussommesbienensemble.»

Elle l’aurait sans doute repoussé. Elle n’appréciait pas sa position sur lapeine capitale.Bon, il est vrai qu’il s’étaitmontré assez sûr de lui, inflexible,persuadéd’avoirraison.

Voilàcequ’éprouvait lamèredeRonaldThompsonencemomentmême!Quand tout serait finipour son fils, elle continuerait à souffrir le restantde savie.

Commelui,siquelquechosearrivaitàSharonetàNeil.Lesmouvementsdelagares’accéléraient.Deshommesd’affaires,soucieux

d’éviterlafouledesvoyageursdebanlieue,avaientquittéplustôtleurbureauetse pressaient vers les trains deNewHaven en direction deWestchester et duConnecticut. Des femmes venues faire quelques achats traversaient la gare,consultaientletableaudeshoraires,inquiètesdereveniràtempspourpréparerledîner.

Stevedescenditauniveauinférieuretentradansl’OysterBar.Ilétaitpresquevide.Lafouledudéjeunerétaitpartiedepuislongtempsetcen’étaitpasencore

l’heuredeprendreunverreoudedîner.Ils’assitaubaretcommanda,prenantsoindegardersavalisesoussespieds.

Lemoisdernier,ilétaitvenudéjeuneravecSharon.Ellejubilaitàl’idéedelamontagne de réponses favorables à sa campagne pour changer la peine deRonaldThompsonenemprisonnementàvie.«Nousallonsyarriver,Steve»,luiavait-elleconfié.Elleétaitsiheureuse;ellesepassionnaittellement.Elleavaitparlédesaprochainetournéepourobtenirplusd’appuis.

«Tuvasmemanquer,avait-ildit.—Toiaussi.»Je t’aime, Sharon. Je t’aime, Sharon. Je t’aime, Sharon. Le lui avait-il dit

alors?Ilbutd’untraitlemartiniquelebarmanavaitposédevantlui.Ilrestaàl’OysterBarsanstoucheraupotagefumantetbouillonnantdevant

lui. À 15 h 55, il régla son addition, s’achemina vers le niveau supérieur etmonta dans le train pour Carley. Tandis qu’il se dirigeait vers une voiture defumeurs, il ne remarqua pas l’homme assis dans la première voiture, qui secachait derrière un journal. Ce n’est qu’après son passage que le journals’abaissa lentement et que deux yeux étincelants suivirent la progression deStevedanslavoitureaveclalourdevalise.

LemêmepassagerdescenditàCarley,maisileutsoind’attendresurlequaique Steve soit entré dans le parking et s’éloigne au volant de sa voituremaintenant équipée de caméras dissimulées dans les phares et derrière lerétroviseur.

27

GlendaPerrydormitjusqu’à13heures.C’estlebruitdelavoituredeMarianVoglerdémarrantdansl’alléequilaréveilla.Avantd’ouvrirlesyeux,ellerestaparfaitement immobile, dans l’expectative. Mais la douleur qui la prenaitsouvent au réveil ne venait pas. Elle avait passé une si mauvaise nuit, pirequ’ellene l’avait avouéàRoger.Bienqu’il s’en soitprobablementaperçu ; etellesavaitquelemédecinétaitinquietdesoncardiogramme.

Elleneretourneraitpasàl’hôpital.Onluiavaitdonnétellementdecalmantslà-bas qu’elle n’était plus bonne à rien, ensuite. Elle ne les laisserait pasrecommencer.Ellesavaitpourquoilesdouleursétaientsifréquentescestemps-ci.C’étaitlejeuneThompson.Ilétaitsijeuneetsontémoignageavaitcontribuéàlefairecondamner.

«Ilvousarenversée,madamePerry…—Oui,ils’enfuyaitdelamaison.—Ilfaisaitnoir,madamePerry.Êtes-voussûrequecen’étaitpasquelqu’un

d’autrequis’enfuyait?— Certaine. Il a hésité sur le pas de la porte avant de me bousculer. La

lumièredelacuisineétaitallumée.»Etaujourd’huiNeiletSharon.ÔSeigneur,faitesquejemesouvienne.Elle

semorditleslèvres…Unepointededouleur…non,nepass’angoisser.Celanedonne rien de bon. Pour l’amour du Ciel, réfléchir. Elle glissa une pilule detrinitrinesoussalangue,aucasoùladouleurdeviendraittropaiguë.Renard.Lafaçondontilavaitdit«Renard»évoquaitunsouvenir–lequel?Cen’étaitpasvieuxpourtant.

Laporte s’entrouvrit, elle aperçutRogerqui la regardait. «Entre, chéri, jesuisréveillée.

—Commenttesens-tu?»Ilsepenchasurlelit,luipritlamain.«Pasmal.Combiendetempsai-jedormi?—Plusdequatreheures.—Quelleestlavoiturequivientdepartir?—CelledeMmeVogler.—Oh!jel’avaisoubliée!Qu’a-t-ellefait?

— Je crois qu’elle s’est occupée dans la cuisine. Elle était perchée surl’escabeauentraind’attraperdestrucssurlesétagèresd’enhaut.

— Tant mieux. J’avais peur de grimper là-haut et il y avait une tellepoussière.Roger,qu’est-ilarrivé?Stevea-t-ilpuparlerà…Renard?»

Rogerexpliqua…«Ehbien,ilsn’ontéchangéquepeudemots.Tesens-tusuffisammentbienpourlesentendre?

—Oui.»Quinzeminutesplus tard,biencaléesurdesoreillers,une tassede théà la

main,GlendaregardaitHughentrerdanssachambre.«C’est trèsaimabledevotrepart,madamePerry. Jemerendscompteque

celareprésenteungrandeffortpourvous.»Ellebalayasoninquiétudedelamain.«MonsieurTaylor,jesuisseulement

confused’avoirperdutoutelamatinée.Jevousenprie,mettez-leenmarche.»Elleécoutaaveclaplusgrandeattentionpendantqu’Hughpassaitlacassette.«Oh!lavoixestsibasse!C’estimpossible…»L’espoirquitta levisaged’Hugh.Savoixétait impersonnellequand ildit :

«Ehbien,mercibeaucoupd’avoirvoulul’écouter,madamePerry.Nousallonsfaire analyser la voix sur échantillon.Ce n’est pas une preuve suffisantemaislorsque nous aurons le ravisseur, cela nous aidera peut-être à confirmer sonidentification.»Ilrepritl’enregistreur.

«Non…attendez!»Glendaposasamainsurl’appareil.«Est-cevotreseulenregistrementdel’appeltéléphonique?

—Non.Nousavionsàlafoisunebandemagnétiqueetunecassettependantlacommunication.

—Pouvez-vousmelaissercelle-ci?—Pourquoi?—Parcequejeconnaislapersonneaveclaquellej’aiparlél’autresoir.Jela

connais.Jevaisessayerderetrouvertoutcequej’aipufairedanslesdernièressemaines. J’auraipeut-êtreune idée.Et j’aimeraispouvoir entendreànouveaul’enregistrement.

—Madame Perry, si vous pouviez seulement vous souvenir… »Hugh semordit les lèvres, Roger Perry lui lançait un regard d’avertissement. Il quittavivementlachambre,suivideRoger.

Lorsqu’ilsfurentenbas,Rogerdemanda:«Pourquoim’avez-vousdemandéde garder Mme Vogler aujourd’hui ? Vous ne la soupçonnez tout de mêmepas…?

—Nousdevonsexaminertouteslespossibilités.Maisellesembletrèsbien.

Aimable,bonnesituationdefamille,sympathique.Lefaitqu’elleaitparléàNeilcematinn’estsansdoutequ’unesimplecoïncidence.Et,detoutefaçon,ellealemeilleuralibipourcettenuit,ainsiquesonmari.

—Lequel?—Lecaissierl’avueentreretsortirducinéma.Lesvoisinsontaperçuson

marichezluiaveclesenfants.Etpeuaprès19heures,ilsétaientaucommissariatdepolicepourdéclarerunvoldevoiture.

—Ah!oui!Ellemel’araconté.Heureusementqu’ilsl’ontretrouvée.—Ouais.On retrouve une vieille bagnole pourrie et nous n’avons aucune

trace de deux victimes d’un kidnapping.Monsieur Perry, que pensez-vous deSharonMartin?Lacroyez-vouscapabled’avoirmanigancétoutel’affaire?»

Rogerréfléchit.«D’instinct,jerépondrainon,sûrementpas.—Àvotreavis,quellessontsesrelationsavecM.Peterson?»Rogersesouvintde ladernièrefoisoùSharonetSteveétaientpasséschez

eux.ElleétaitunpeudépriméeetGlenda luiavaitdemandécequi l’ennuyait.SteveétaitalléchercherdelaglaceàlacuisineetSharonavaitrépondu:«Oh!c’estseulementqueNeilnem’acceptepas!»Ensuite,Steveétaitrevenuetilluiavaitébouriffélescheveuxenpassant.Rogerrevitleursvisagesàtouslesdeux.«Jepensequ’ilssont…qu’ilssonttrèsamoureux,plusqu’ilsnelesaventeux-mêmes.JepensequeSharonsesouciaitdel’attitudedeNeilàsonégardetSteveaussi,naturellement.D’autrepart,ilétaittrèsserréfinancièrement.Ilamistoutce qu’il possédait dans L’Événement. Je suis sûr qu’il le récupérera, mais ils’inquiétait.Ilm’enabeaucoupparlé.

—Etilyavaitl’exécutiondeThompson.— Oui. Glenda et moi-même, nous espérions que Sharon réussirait à le

sauver.Glendaneseremetpasdesonrôledanscettehistoire.—Sharondésirait-ellequeSteveintervienneauprèsdugouverneur?— Je crois qu’elle savait qu’il ne le ferait pas, et qu’un recours purement

émotionnelnepourraitquefroisserlegouverneur.Souvenez-vous,MmeGreenea été durement critiquée pour les deux suspensions qu’elle a déjà accordées àThompson.

—Monsieur Perry, que pensez-vous desLufts ? Se pourrait-il qu’ils aientparticipé à l’enlèvement ? Ils cherchent à mettre de l’argent de côté ; ilsconnaissentvotrenumérodetéléphone.Ilsontpuêtreaucourantduplacementdel’argent.»

Roger secoua la tête. « Aucun risque. Quand Dora fait une course pourGlenda,ellepassevingtminutesàs’assurerqu’elleluirendbienlamonnaie.Et

lui est exactement pareil. Parfois, il fait révisermavoiture, et n’a de cessedevanter l’économie qu’il me fait faire. Aucun des deux n’est capable d’autrechosequedelaplusgrandehonnêteté.

—Parfait.JecomptesurvouspourappelerchezM.PetersonsiMmePerryaquelquechoseànousdire.»

Hank Lamont attendait Hugh. Son attitude dénonçait qu’il avait desnouvelles. Hugh ne perdit pas son temps en préliminaires. « Qu’avez-vousobtenu?

—MmeThompson.—Ehbien?—Lanuitdernière.ElleaparléàSharonMartin.—Ellequoi?—Sonfilsnousl’adit.DonetStanl’ontinterrogédanssacellule.Ilsluiont

racontéqu’ilyavaiteudesmenacescontrelepetitPetersonetilsl’ontprévenuque si ses amis préparaient un coup, mieux vaudrait nous donner leurs nomsavantqu’ilsn’aientdesennuis.

—J’espèrequ’ilsn’ontpasrévéléqueNeiletSharonavaientétéenlevés.—Biensûrquenon.—Qu’a-t-ildit?—Ilestsincère.Lesseulesvisitesqu’ilaitreçuescetteannéesontcellesde

samère,desonavocatetduprêtredelaparoisse.Sesplusprochesamissontàl’Universitémaintenant.Ilnousadonnéleursnoms.Toussontabsents.MaisilnousaditqueSharonavaitappelésamère.

—A-t-onpriscontactaveclamère?—Oui.Elles’estinstalléedansunmotelprèsdelaprison.Ilsl’onttrouvée.—Danslemotel?—Non.Àl’église.Dieuluivienneenaide,Hugh,elleétaitàgenouxetelle

priait.Ellerefusedecroirequelegosseseraexécutédemain.Ellelerefuse.ElleaditqueSharonl’avaitappeléequelquesminutesavant18heures.Ellevoulaitsavoir si elle pouvait lui être utile. Mme Thompson a avoué qu’elle s’étaitemportée,qu’ellel’avaitaccuséederépandredanstoutlepaysquesonfilsétaitcoupable.Ellel’amenacée,luiadéclaréqu’ellenerépondaitpasdesesactessisonfilsmourait.Quefaut-ilfairedetoutça?

—Faisons une supposition. Sharon est troublée par ce coup de téléphone.EllesedemandemêmesiMmeThompsonn’apasraison.Elleestdésespéréeetdemandeàquelqu’undevenirlesenlever,elleetl’enfant.Ellejoueletoutpourletout,faitsimulerunkidnappingetsesertdeNeilcommeotageenéchangede

laviedeThompson.—C’estunepossibilité»,ditHank.Levisaged’Hughsedurcit.«C’estplusqu’unepossibilité.Jecroisquece

pauvre Peterson a le cœur brisé, que Mme Perry risque un infarctus, grâce àSharonMartinquis’imaginequ’ellepeutmanipuleràsongrélajustice.

—Quefaisons-nousàprésent?— Continuez à suivre sérieusement cette piste. Et sortez-moi tout ce que

vouspourrez sur les amiset connaissancesdeSharonMartin,particulièrementceuxquihabitentlarégion.SiseulementMmePerrysesouvenaitdel’endroitoùelleaentenducettevoix,nouscommencerionsàyvoirplusclair.»

Danssachambre,Glendapassaitetrepassait lacassette.«Peterson?Dansdixminutes, trouvez-vousdans la cabine téléphoniquede laprochaine station-service, juste après la sortie 21. » Elle secoua désespérément la tête et arrêtal’appareil.Non,elledevaits’yprendreautrement.

Ilfallaitpasserenrevuelesdeuxdernièressemaines.Maisqu’yavait-ildoncsurcettecassette?

Hier, elle n’était pas sortie du tout. Elle avait téléphoné au drugstore, àAgnès, et à Julie au sujet des prestations de l’hôpital.Chip etMaria l’avaientappelée de Californie et lui avaient passé le bébé. Le coup de téléphone deRenardétaitledernierdelajournée.

Dimanche,elle s’était rendueàNewYorkavecRoger,après l’office,et ilsavaient déjeuné au restaurant Pierre avant d’aller entendre Serkin à CarnegieHall.Ellen’avaiteuaucuncoupdetéléphone.

Samedi, elle était sortie pour choisir des housses dans un magasin dedécoration.Etelleétaitalléechezlecoiffeur.Àmoinsquecenesoitvendredi?Ellesecouaimpatiemmentla tête,sortitdesonlitetsedirigeaàpaslentsversson bureau pour y prendre son carnet de rendez-vous. Elle avait égalementdemandéàRogerdeluimonterlecalendrierdelacuisine.Elleynotaitparfoiscertaines choses. Et ses relevés de factures. Elle les gardait tous ; ils étaientdatés. De cette façon, elle savait toujours où elle en était. Et son carnet dechèques.Ellesortitlecarnetd’uncasier,lesrelevésd’untiroir.

Ces éléments en main, Glenda retourna dans son lit et poussa ungémissement ; une contraction lui serrait la poitrine, la douleur montait. Elleattrapaunepilulede trinitrine, toutenpoussant leboutondumagnétophoneetmit lacassetteen route.Une foisdeplus, lemurmureétouffé,guttural, emplitses oreilles. « Peterson ? Dans dix minutes, trouvez-vous dans la cabinetéléphoniquedelaprochainestation-service,justeaprèslasortie21.»

28

En revenant de la cabine téléphonique, il pensa à la cassette. Après avoirenregistréSharonetlegosse,leferait-il?

Pourquoipas?IlserenditdirectementàGrandCentral.Mieuxvalaitlesrejoindrependant

qu’ilyavaitencoredumonde.Cesfichusgardesavaientunsixièmesensencequiconcernelesgensquin’ontrienàfairedanslesparages.

Sharon et le gosse n’avaient probablement rienmangé depuis la veille ausoir. Ils devaient avoir faim. Il ne voulait pas qu’elle ait faim. Mais elle nevoudrait sûrement pas manger s’il ne donnait rien à l’enfant. Penser à lui lemettait toujoursmalà l’aise.Deuxsemainesauparavant, ilavait failli s’affoleren apercevant le garçonqui le regardait par la vitre de la voiture.Exactementcommedansun rêve.Lesgrandsyeuxbruns, lespupillesdilatéesà l’extrême,quil’accusaient,l’accusaientsanscesse.

Demain,toutseraitfini.Ilprendraitunbilletd’avionpourSharon.Iln’avaitpasassezd’argentpourl’instant,maiscettenuitilenaurait.Ilpourraitfaireuneréservation.Maisàquelnom?IlluifaudraitinventerunnompourSharon.

Hier, aux actualités télévisées, on l’avait présentée comme écrivain etjournaliste. Elle était très connue, très populaire. C’est pourquoi il trouvaitformidablequ’ellesoittellementamoureusedelui.

Elleétaittrèsconnue.Onl’avaitvueauxactualités.Destasdegenslareconnaîtraient.Furieux,ils’arrêtanet,bousculéparunefemmequisehâtaitderrièrelui.Il

eutunmouvementd’irritationetellemurmura:«Oh!excusez-moi!»,toutenpoursuivantsonchemin.Ils’adoucit.Ellen’avaitpasvouluêtredésagréable.Enfait,elleluiavaitsouri,vraimentsouri.Touteslesfemmesluisouriraientsiellessavaientàquelpointilétaitriche.

Lentement, il reprit samarche le long de Lexington Avenue. Les autobusavaienttransformélaneigeenunesortedebouesalequigelaitpartout,saufdanslestracesderoues.IlauraitaimépouvoirserendreauBiltmore,lachambreétaitsiconfortable.Iln’avaitjamaisconnud’endroitsemblable.

Ilfallaitqu’ilresteavecSharonetl’enfantjusqu’àcetaprès-midi.Ensuite,il

prendraitletrainpourCarley.Iliraitchezluivoirs’ilyavaitdesmessages.Ilnefallaitpasquel’ons’étonnedenepaslevoirdanslecoin.Ilcherchaunendroitoùlaisserlacassette.Petersonrefuseraitpeut-êtredepayers’ilnel’obtenaitpas.

Ilavaitbesoindecetargent.CeladevenaittropdangereuxpourluideresterpluslongtempsdansFairfieldCounty.Etilavaitunebonneraisondepartir.Toutlemondes’attendaitqu’ilparte.

«Aucundépartsuspectdanslesenvirons?pourraientdemanderlesflics.—Lui?Non.Ilenrageaitd’avoirperdusaplace;etilasuppliélevieuxde

renouvelersonbail.»Mais c’était avant les deux filles. « Le meurtrier du radio-téléphone »,

commelenommaientlesjournaux.Siseulementilssavaient…Ilétaitmêmealléàl’enterrementdeCallahan.L’enterrement!Ilsavaitoùlaisserlacassette!Dansunendroitoùilétaitsûrquequelqu’un

latrouveraitcesoiretlaremettraitàsondestinataire.Satisfait, il alla acheter pour Sharon et Neil du café, du lait et des petits

pains.Ilpensaitresterunbonmomentaveceuxetleurendonnerunepartietoutdesuite,etl’autreplustard,avantdelesquitter.IlnevoulaitpasqueSharonletrouvedésagréable.

Ens’éloignantdelavoiedeMountVernon,ileutl’impressionbizarred’êtresurveillé.Son instinct le trompait rarementpour ces choses-là. Il s’arrêta pourécouter. Il crutentendreunbruit, et revint sur sespas, sur lapointedespieds.Maiscen’étaitqu’unedecespauvresclochardesquiremontaitlarampeverslehall.Elleavaitsansdoutedormisurlequai.

Avecunsoininfini,ildétachalefilmétalliquefixéausparadrapsurlaportede la pièce. Il sortit délicatement la clé de sa poche et l’introduisit dans laserrure.Ouvrantlaportecentimètreparcentimètre,pouréviterdetirersurlefil,ilseglissadanslapièceetrefermalaporte.

Ilallumaletubedenéonetpoussaungrognementdesatisfaction.Sharonetl’enfantétaientexactementcommeillesavaitlaissés.Legarçonnepouvaitpasle voir à cause du bandeau, mais derrière lui, Sharon leva la tête. Posant sespaquetsparterre,ilseprécipitaverselleetretiralebâillon.

«Iln’étaitpastrèsserré,cettefois»,luidit-il.Ilcroyaitdécelerunesortedereprochedanssesyeux.

«Non. » Elle était très nerveuse,mais d’une façon différente. Son regardtrahissaitlapeur.Ilnevoulaitpasqu’elleaitpeurdelui.

«Vousn’avezpaspeur,n’est-cepas,Sharon?»Savoixétaithorriblementdouce.

«Oh!non…pasdutout!—Jevousaiapportédequoimanger.—Oh!c’esttrèsgentil…maisnepourriez-vouspasôterlebâillondeNeil,

s’il vous plaît ? Et, je vous en prie, détachez-nous, juste les mains, commeavant.»

Sesyeux se rétrécirent. Il y avait quelquechosede changéenelle. «Biensûr,Sharon.»Ilfourrasonneztoutcontresafigure.Sesdoigtsavaientuneforceincroyable;ilréussitàdéfairelesnœudsenuneminute.UnefoislesmainsdeSharonlibérées,ilsetournaverslepetitgarçon.

L’enfanteutunmouvementdereculetseblottitcontreSharon.«N’aiepaspeur,Neil,dit-elle.Souviens-toidecequenousavonsdit.

—Etqu’avez-vousdit,Sharon?— Simplement que le papa de Neil allait vous donner l’argent que vous

réclamiezetquedemainvousrévéleriezl’endroitoùvousnouscachez.Jeluiaiditquejepartaisavecvous,maisquesonpapaarriveraittoutdesuiteaprèsnotredépart.N’est-cepaslavérité?»

Lavoixdel’hommesefitsongeuse,sesyeuxbrillaient,calculateurs.«Vousêtessûrequevousvoulezvenir,Sharon?

—Oui,toutàfaitsûre.Vous…vousmeplaisez,Renard.—Jevousaiapportéducaféetdespetitspains,etdulaitpourlegosse.—C’esttrèsgentil.»Ellepliaitetdépliaitsesdoigts.Illaregardafrictionner

lespoignetsdeNeil,luiramenerlescheveuxenarrière.Àlafaçondontelleluipressaitlesmains,onauraitditunsignal,commeunpactesecret.

Iltiralecageotetyposasesachats,tenditlecartondecaféàSharon.«Merci.»Ellereposalecartonsansleboire.«OùestlelaitdeNeil?»Illeluitendit,laregardaleplacerentrelesmainsdel’enfant.«Voilà;tiens-

le bien droit, Neil. Bois doucement. » La respiration bruyante du gosse étaitirritante,inquiétante,elleévoquaittropdesouvenirs.

Il sortit les petits pains. Il avait faitmettre beaucoup de beurre, comme ill’aimaitlui-même.Sharonenrompitunmorceau,ledonnaàl’enfant.«Prends,Neil, c’est dupain. »Savoix était apaisante.C’était comme s’ils conspiraienttous lesdeuxcontre lui.D’unair renfrogné, il les regardamangerchacun leurpetitpainetterminerlecaféetlelaitpendantqu’ilavalaitsansplaisirsonproprecafé.

Il n’avait pas enlevé son pardessus. Il faisait trop froid dans la pièce et,d’autrepart,ilnevoulaitpasrisquerdesalirsoncostumeneuf.Ilposalesacenpapieraveclesautrespetitspainsparterre,débarrassalecageotets’yassit,les

yeuxbraquéssurlajeunefemmeetl’enfant.Quandilseurentfinidemanger,SharonattiraNeilsursesgenoux.L’enfant

respiraitdifficilement.LebruitagaçaitRenard,luimettaitlesnerfsàvif.Sharonne luiprêtaitpas lamoindreattention.Ellemassait ledosdugosse, luiparlaitdoucement,luidisaitd’essayerdedormir.RenardlaregardaembrasserNeilsurlefrontetpresserlatêtedel’enfantcontresonépaule.

C’étaitune femmeaffectueuse,pensa-t-il, et elle faisait simplementpreuvede tendresseenvers l’enfant.S’il sedébarrassait toutdesuitedugosse,elle semontreraitpeut-êtreaussitendreaveclui.Sesyeuxchangèrentd’expression,unsourire imperceptible flotta sur ses lèvres, tandis qu’il imaginait la façon dontelle pourrait lui témoigner sa gentillesse.Une vague d’impatience l’envahit. Ils’aperçut que Sharon le regardait et qu’elle refermait ses bras sur l’enfant.C’étaitautourdeluiqu’ilvoulaitsentirsesbras.

Il esquissa un mouvement vers le lit de camp. Son pied heurta lemagnétophone. Le magnétophone ! La cassette qu’il fallait faire parvenir àPeterson. Il était trop tôtpour sedébarrasserdugosse.Déçuet contrarié, il serassit.

« Vous allez faire un enregistrement pour Peterson, maintenant, dit-il àSharon.

— Un enregistrement ? » La voix précipitée de Sharon trahissait soninquiétude.Un instant auparavant, elle aurait juré qu’il s’apprêtait à leur fairemal ;unchangementdanssonregard,dans l’expressiondesonvisage.Elleseconcentra.Yavait-ilunechance,unmoyen?DepuisqueNeilluiavaitditquecethommeavaittuésamère,elles’acharnaitàtrouverunmoyendesortirdelà.Demain, il serait trop tard pour Ronald Thompson, comme pour Neil. ElleignoraitàquelleheureRenardavaitl’intentiondevenirlachercher.Siilvenait.Il était rusé. Il avait sûrement calculé qu’à un moment ou à un autre on lareconnaîtrait.LesouvenirdeseseffortspoursauverRonaldlatorturait;c’étaitdérisoire. Sa mère avait raison. En insistant sur sa culpabilité, elle avaitcontribué à le faire condamner. Rien n’avait plus d’importance sinon sauverNeil,sauverRonald.Qu’importecequiluiarriverait,elleleméritait.Etc’étaitellequidisaitàStevequ’ilseprenaitpourDieu!

Renard avait un revolver. Il était dans la poche de son pardessus. Si ellel’amenaitàl’embrasser,ellepourraits’enemparer.

Sielleyparvenait,aurait-ellelecouragedeletuer?Ellebaissa lesyeuxsurNeil,pensaaucondamnédanssacellule.Oui,elle

pourraittuercethomme.

Elleleregardamanipuleravecadresselemagnétophoneetyintroduireunecassette de modèle courant. Jamais on ne pourrait en retrouver la trace. Ilapprochalecageotdulit.

«Voilà,Sharon,lisez.»Ilavaitécritlemessage.« Steve, payez la rançon si vous voulez nous revoir. L’argent doit être en

coupuresde10,20et50dollars.Quatre-vingt-deuxmilledollars.Arrangez-vouspour les avoir ; et surtout qu’on n’y fasse pas demarques. Rendez-vous à lacabine téléphonique qui est à l’angle de la Cinquante-neuvième rue et deLexington, à 2 heures du matin, dans votre voiture. Seul. N’appelez pas lapolice.»

Ellelevalesyeuxverslui.«Est-cequejepeuxajouterquelquechose?Vousvoyez,nousnoussommesdisputés.Nousavonsrompu.Peut-êtrenevoudra-t-ilpaspayerpourmoisijeneluifaispasdesexcuses.Ilesttrèsbuté,voussavez.Peut-êtrenepayera-t-ilquelamoitiédelasomme,pourNeil,parcequ’ilsaitquejenel’aimepas.Maisnousauronsbesoindetoutl’argent,n’est-cepas?

—Quedésirez-vousluidire,Sharon?»Sejouait-ild’elle?Lacroyait-il?«Seulementm’excuser,c’esttout.»Elles’efforçadesourire,fitglisserNeil

desesgenoux,tenditlebrasettouchalamaindeRenard.«Pasdeblagues,hein?—Pourquoivoudrais-jevoustromper?Quedésirez-vousquediseNeil?—Simplementqu’ilveutrentreràlamaison.Riend’autre.»Sondoigtétait

posésurlebouton«enregistrement».«Quandj’appuyerai,commencezàparler.Lemicroestincorporé.»

Elleavalasasalive,attenditquelacassettesedéroule.«Steve…»Ellelutlemessagelentement,cherchantàgagnerdutemps,àréfléchirsurcequ’elleallaitdireensuite.Elleterminasalecture.«…N’appelezpaslapolice.»Ellehésita.

Illadévisageait.«Steve…»Ilfallaitselancer.«Steve,Neilvavousparleràprésent.Mais

d’abord,j’aieutort.J’espèrequevousmepardonnez…»Ilyeutundéclic.Elles’apprêtaitàdire:«J’aifaituneterribleerreur…»

«Çasuffit,Sharon.Assezd’excuses.»Il fitunsigneendirectiondeNeil.Ellepassasonbrasautourdel’enfant.

«Ehbien,Neil,parleàtonpapamaintenant.»L’effort qu’il faisait pour parler augmentait le sifflement de sa respiration.

«Papa,jevaisbien.Sharonprendsoindemoi.Maismamann’aimeraitpasmesavoirici,papa.»

Lemagnétophones’arrêta.Neilavaitessayédefaireparvenirunmessageà

Steve;dereliersonenlèvementàlamortdesamère.L’homme réembobina la cassette, la passa à nouveau. Il sourit à Sharon.

«C’esttrèsgentil.Jepaieraispourvousretrouver,sij’étaisPeterson.—Bon.Jesuiscontentesivousêtessatisfait.»Était-ilentraindel’appâter

délibérément?«Sharon.»Neiltiraitsursamanche.«J’aienvie…—Tuveuxallerauxcabinets,petit?»LavoixdeRenardétaitparfaitement

neutre.«Pasétonnantdepuisletemps.»IlsedirigeaversNeil,lepritdanssesbrasetentradanslescabinetsaveclui.Ilrefermalaporte.Sharonsefigea,maisil ressortit très vite, portant l’enfant sous un bras. Elle remarqua qu’il luidétournait la tête, comme s’il craignait queNeil ne puisse le voir à travers lebandeau.Illelaissatombersurlelit.L’enfanttremblait.«Sharon.

—Jesuislà.»Elleluicaressaledos.« Sharon ?À votre tour ? » Le ravisseur faisait un signe de tête vers les

cabinets.«Oui.»Illapritparlebrasetlasoutintjusqu’àl’intérieurduréduitmalodorant.Les

cordes luicoupaient les jambeset leschevilles, la faisantgrimacerdedouleur.«Ilyaunverrouàl’intérieur,dit-il.Vouspouvezlemettresivousvoulez,sinonlaportenerestepasfermée.Maisvousferiezmieuxdevousdépêcher.»Il luicaressalajoue.«Parcequesivousmetteztroplongtemps,etquejemefâche,jepeuxfairesonaffaireaugosse.»Ilreculaettiralaportederrièrelui.

Elle s’empressa de pousser le verrou et regarda autour d’elle. Dansl’obscuritéduréduit,ellepassasesmainslelongdesparois,surlacuvette.Peut-êtreyavait-ilquelquechose,unboutdetuyau,unobjetpointu.Elletâtonnaparterre.

«Dépêchez-vous,Sharon.—Oui.»Enouvrantlaporte,ellesentitsoudainlapoignéetournerlibrementdanssa

main.Elleessayaaussitôtdeluifairefaireuntourcomplet.Siellearrivaitàladétacher, elle pourrait la glisser dans une poche de sa jupe. Si, par chance, leboutétaittranchant…Maiselleneparvintpasàl’arracher.

«Sortezdelà.»Letonétaitimpatient.Elleouvritenhâtelaporte,sortitenessayant de sautiller, trébucha, se raccrocha au chambranle métallique. Ils’approchad’elle.Elleluipassadélibérémentlesbrasautourducou.Surmontantsa répulsion, elle l’embrassa sur la joue, sur les lèvres. L’homme resserra sesbras autour d’elle. Son cœur se mit à battre la chamade. Ô Dieu, je vous en

supplie!…Elleglissasesbrasautourdesesépaules, le longdesondos.Sesdoigtsse

faisaientdoux,caressants,sursoncou.Elleavançalamaindroite,laglissadanslapochedupardessus,sentitlecontactdel’acier.

Il la repoussabrutalement.Elles’écroulasur leciment,ses jambes liéessetordirentsoussonpoids.Unedouleurfulguranteluitraversalachevilledroite.

«Vousêtescommelesautres!»cria-t-il.Illadominaitdetoutesahauteur.Elle le voyait d’en bas, à travers les vagues de douleur qui lui donnaient desnausées.Levisagequ’ilpenchaitsurelleluisemblaitdésincarné.Laveinesousl’œilbattait.Destachesrougesmarbraientleslignesanguleusesdesesjoues.Sesyeuxn’étaientplusquedeuxmincesfentesnoires,brûlantesderage.

«Putain,fit-il.Saleputain.»Larelevantd’uncoupsec,illajetasurlelitetluireplialesbrasderrièreson

dos. La douleur l’enveloppait d’un brouillard noir. « Ma cheville. » Était-cevraimentsavoix?

«Sharon,Sharon,qu’est-ilarrivé?»Neils’affolait.Auprixd’uneffortimmense,elleréprimaungémissement.«Jesuistombée.— Comme toutes les autres… vous faites semblant… bien pire… vous

essayezdem’avoir.Jesavaisquevousmentiez,quevouscombiniezuncoup…je le savais…»Deuxmains laprenaientà lagorge.ÔmonDieu !Lesdoigtspuissantsquis’enfonçaientdanssanuque…Seigneur…Ausecours!…

« Non ! » La pression se relâcha. Sa tête retomba en arrière. « Sharon,Sharon.»Neilpleurait,terrifié;ils’étouffait.

Reprenant sa respiration, elle approcha son visage du sien. Ses paupièresétaientsilourdes;elleseforçaàlesouvrir.Renardétaitpenchésurl’évieretils’aspergeait levisage.L’eaudevait êtreglacée.Elle le surveillait, terrorisée. Ils’efforçaitde retrouversoncalme. Ilavaitétésur lepointde la tuer.Pourquois’était-ilarrêté?Peut-êtrecraignait-ild’avoirencorebesoind’elle.

Ellesemorditleslèvresdedouleur.Iln’yavaitaucunmoyendes’échapper.Aucun.Demain,quandilauraitl’argent,illatuerait,etiltueraitNeil.EtRonaldThompson allait mourir pour un crime qu’il n’avait pas commis. Elle et Neilétaientlesdeuxseulespersonnescapablesdeprouversoninnocence.Sachevilleenflait,compriméeparlecuirdelabotte.Lescordespénétraientdanslachair.ÔmonDieu,jevousensupplie!Ladouleurlafaisaittrembleretsonvisageétaitcouvertdesueur.

Elle le vit s’essuyer la figure de sonmouchoir. Il revint vers eux, rattachaméthodiquementlesmainsdeNeil,remitlesdeuxbâillonsbienserréssurleurs

bouches. Il régla le fil qui reliait la valise à la porte. « Jem’en vais, Sharon,déclara-t-il.Jereviendraidemain;etceseraladernièrefois…»

Il n’avait pas prévu de partir si tôt, mais il savait que s’il restait pluslongtemps, il allait la tuer. Et il aurait peut-être encore besoin d’elle. Ilspouvaientexigeruneautrepreuvequ’elleet legarçonétaientencoreenvie. Ildevaitobtenirl’argent.Ilnepouvaitprendrelerisquedelatuermaintenant.

Il y avait un train en provenance deMount Vernon à 11 heures. Il ne luirestait que quelques minutes à attendre. Il s’immobilisa près de l’entrée dutunnel.Ilfaisaitsombreàcetendroit.

Unbruitdepas. Il se colla contre lemur, jetaun regard furtif.Ungarde !L’homme inspecta les alentours, fit les cent pas, examina la tuyauterie, lesrobinets, lançauncoupd’œildans lesescaliersquimontaientvers lapièce, etretournad’unpastranquillesurlequaideMountVernon.

Unesueurglacéelecouvritdelatêteauxpieds.Lachanceavaittourné.Illesentait.Ilfallaitenfinir,etdisparaître.Ungrondement,ungrincementdefreins.Avec précaution, il se glissa aumilieu des gaines de ventilateurs, des pompesd’égouts,atteignitlarampeet,soulagé,semêlaauxvoyageursquidébarquaient.

Ilétaitjuste11heures.Ilnevoulaitpasallerdanssachambred’hôtel.Ilétaittrop nerveux. Il traversa la Quarante-deuxième rue et entra dans un cinéma.Pendantquatreheuresetdemie, il assista fascinéà laprojectionde trois filmspornographiques qui lemirent dans un état d’excitation intense.À 16 h 05, ilmontaitdansletrainpourCarley.

Cen’estqu’unefoisinstallédansunevoiturequ’ilaperçutStevePeterson.Illevalesyeuxparhasardaumomentoùcedernierpassaitdanslecouloir.Grâceauciel,ilétaitcachéderrièreunjournal,précautionqu’ilavaitprisepouréviterquequelqu’unnelereconnaisseetnes’asseyeàcôtédelui.

Steveportaitunegrossevalise.C’était l’argent ! Il en était sûr ! Et ce soir, tout serait à lui. Lemauvais

pressentimentsedissipa.C’estpleind’assuranceetdebellehumeurqu’ilsortitdelagaredeCarley,aprèss’êtreassuréqueSteveétaitdéjàpartidanssavoiture.Il franchit allègrement dans la neige les huit blocs qui le séparaient de sondomicile, un garage miteux au fond d’une impasse. Une plaque indiquait :«A.R.Taggert–Réparationsautomobiles.»

Ilpénétrarapidementàl’intérieur.Iln’yavaitaucunmessagesouslaporte.Parfait. Personne ne l’avait demandé. D’ailleurs, si quelqu’un était venu, iln’auraitpastrouvésonabsencesurprenante.Ilréparaitsouventlesvoituressurplace,chezleurspropriétaires.

Le garage était froid et sale, pas beaucoup mieux que la pièce de GrandCentral.Ilavaitvraimentpourhabitudedetravaillerdansdesendroitsminables.

Sa voiture était là, prête à partir. Il avait fait le plein, grâce à la pompeinstallée dans l’angle du garage.C’était une idée géniale d’avoir installé cettepompeà essence.Pratiquepour la clientèle ; ils appréciaient de retrouver leurréservoirplein.Pratiquepourluiaussi,pourseslonguesrandonnéesnocturnes.« Vous êtes en panne d’essence, m’dame ? Justement, j’ai un bidon dansmamalle.Lesvoitures,c’estmonboulot…»

Ilavaitdéjàmontésurlavoiturelesvieillesplaquesd’immatriculationd’unclient;simplementaucasoùuncurieuxauraitnotésonnumérocesoir.

Leradiotéléphoneétaitdébranchéetposédanssaboîtesurlesiègeavant.Il s’était débarrassé de toutes les autres plaques d’immatriculation

accumuléesaucoursdessixdernièresannées,etdesdoublesdesclésdevoiturequ’ilavaitfabriqués.Illesavaitjetésdansunedécharge.

Il restait quelques outils et pièces de rechange sur les rayons, des pneusempilésdansuncoin.LevieuxMontgomerysauraitbienquoienfaire.Detoutefaçon,ilallaittoutdémolir.Ilauraitpleindesaloperiesàenlever.

Ilneviendraitplusjamaisdanscetrou.Tantmieux.Iln’avaitpratiquementpas travaillé ces deux derniersmois. Il était trop nerveux.Heureusement, il yavaiteuceboulotsurlavoituredesVoglerquil’avaitremisàflot.

Etvoilà.Ilentradanslapetitepiècecrasseusedufond,tiraunevieillevalisedéfoncée

dedessous le lit étroit.D’unevieillecommoded’érablebranlante, il retira sonmaigre assortiment de sous-vêtements et de chaussettes et les rangea dans lavalise.

Ildécrochaunevestedesportrougeéliméeetmalcoupéeetunpantalonàcarreauxdederrièrelaporteetlespliadanslavalise.Iljetasonbleudetravailplein de graisse sur le lit. Inutile de l’emporter. Avec tout son argent, il n’enauraitplusbesoin.

Il sortit le petitmagnétophonede la pochede sonpardessus et écouta unefoisencore l’enregistrementdeSharonetdeNeil.Sonautremagnétophone, leSony, était sur la commode. Il le posa sur le lit, fouilla dans ses cassettes, enchoisitune,etlamitenplace.Iln’avaitbesoinquedudébut.

Ilyétait.Ilpassaànouveaul’enregistrementdeSharonetdeNeil,lelaissasedérouler

jusqu’au moment où s’arrêtait la voix de Neil. Puis il appuya sur le bouton«enregistrement».Surl’autremagnétophone, leSony,ilappuyasurlebouton

«marche».L’opérationne luipritqu’uneminute. Ilécoutaensuiteunedernièrefois la

cassette modifiée qu’il destinait à Peterson. Parfait. Absolument parfait. Ill’enveloppa d’un morceau de papier d’emballage, ferma avec du Scotch,inscrivitaufeutrerougeunmessagesurlepaquet.

Lesautrescassettesetlesdeuxmagnétophonesprirentplacedanssavalise,parmi ses vêtements. Il ferma la valise à clé, et la porta à sa voiture. Ils’arrangeraitpourfairepasserlavalisedelarançoncommebagageàmaindansl’avion.Celle-cietlaboîteduradiotéléphonepourraientêtreenregistrées.

Ilouvritlaportedugarage,montadanslavoitureetactionnaledémarreur.Tandisquelemoteurtournaitauralenti,unsourirepensif,secret,flottasurseslèvres.«Etmaintenant,jevaisfaireuntouràl’église.Etmepayerunebière»,murmura-t-il.

29

«Jen’ycroispas,déclaraSteveàHugh.EtvousmettezendangerlesviesdeNeiletdeSharonsivousprenezcelapourunemystification.»

DeretourdeNewYork,ilmarchaitdelongenlargedanslesalon,lesmainsserréesaufonddesespoches.Hughleregardaitavecunmélangedecompassionetd’irritation.Lepauvregarçonavaituncontrôled’aciersurlui-même,maisilavaitvieillidedixansendixheures.Mêmedepuiscematin,Hughpouvaitvoirdenouvellesridesd’anxiétéautourdesyeuxetdelabouchedujeunehomme.

«MonsieurPeterson,énonça-t-ild’un toncassant, jevousassurequenousprésumons qu’il s’agit d’un vrai kidnapping. Toutefois, nous commençons àcroire que la… disparition de Neil et de Sharon serait directement liée à uneultime tentativepourextorquer laclémencedugouverneurvis-à-visdeRonaldThompson.

—Etmoi j’affirmequevousvoustrompez!N’ya-t-ilaucunenouvelledeGlenda?

—Malheureusementnon.—EtaucunebandemagnétiqueoucassettedelapartdeRenard?—Désolé.—Donc,ilnerestequ’àattendre.—Oui.VousferiezbiendeprévoirdepartirpourNewYorkversminuit.—Lecoupdetéléphonen’est-ilpaspour2heures?—Lesconditionsdecirculationsonttrèsmauvaises,monsieurPeterson.—Croyez-vousqueRenardpourraitavoirpeurdemerencontrer,peurdene

paspouvoirs’enfuir?»Hugh secoua la tête. « Je n’en sais pas plus quevous.Bien entendu, nous

avons placé le téléphone de la Cinquante-neuvième rue sur écoute. Mais jesupposequ’il vousdirigera immédiatement sur une autre cabine, comme il l’afaitlapremièrefois.Nousnepouvonsprendrelerisquedemettreunmicrodansvotrevoiture,carilpeutavoirprévud’ymonteravecvous.Desagentsdanslesimmeubles avoisinants surveilleront vos déplacements. Toute la zone seracouvertedevoitures-radioquinevousperdrontpasdevueetdonnerontl’ordreàd’autres voitures de vous filer.Ne vous inquiétez pas, rien ne pourra indiquerquenousvoussuivons.L’émetteurdanslavalisenouspermettraderesteràune

certainedistance.»Dorapassalatêtedanslesalon.«Excusez-moi.»Savoixavaitchangé.La

froideurd’Hughl’intimidait.Ellen’aimaitpaslamanièredontillesdévisageait,elleetBill.Cen’estpasparcequeBillavaitunpenchantpourl’alcoolqu’ilétaitunmauvaisgars.La tensiondesdernièresvingt-quatreheures l’avait anéantie.M.PetersonobtiendraitsûrementleretourdeNeiletdeSharonenbonnesanté.Ilfallaitycroire;ilétaittropbonpoursouffrirdavantagequecequ’ilavaitdéjàendurécesdeuxannées.

Etensuite,elleetBillpourraientpartir.Ilétaittempsd’allerenFloride.Elledevenaittropvieille,tropfatiguéepours’occuperd’unenfantetdecettemaison.Neilavaitbesoindequelqu’unde jeune,dequelqu’unàquiparler.Elle savaitqu’elle le couvait trop.Cen’était pas bonpour un enfant de faire undrame àchaquefoisqu’ilreniflait.

ÔNeil!C’étaitunpetitgarçonsiheureuxdutempsoùsamamanvivait.Iln’avaitjamaisdecrised’asthmealors,àpeineunoudeuxrhumes,etsesgrandsyeuxbrunsétincelaient,pasceregardperduettristequ’ilsavaientmaintenant.

M. Peterson se remarierait bientôt ; sinon avec Sharon, du moins avecquelqu’unquiferaitdecettemaisonunvraifoyer.

Dora réalisa que Steve lui jetait un regard interrogateur, qu’elle devait luiparler.Maisellene savaitplusoùelle enétait aveccettehorrible inquiétude ;ellen’avaitpas fermé l’œilde lanuit.Qu’était-ellevenuedireau juste?Ah !oui ! « Je sais quevousn’avezpas très faim,maisnevoulez-vouspasque jevousprépareunsteakpourvousetM.Taylor?

—Paspourmoi,merciDora.Peut-êtreM.Taylor…— Préparez deux steaks pour nous deux si vous voulez bien, madame

Lufts. » Hughmit samain sur le bras de Steve. « Écoutez, vous n’avez rienmangé depuis hier. Vous allez rester debout toute la nuit. Vous aurez besoind’êtreenforme,capabledeconduireetdesuivretouteslesinstructions.

—Vousavezsansdouteraison.»Ils étaient à peine assis à la table de la salle àmanger que la sonnette de

l’entréecarillonna.Hughbondit.«J’yvais.»Stevetrituraitlaserviettequ’ils’apprêtaitàmettresursesgenoux.Était-cela

preuvedemandée?Allait-ilentendrelavoixdeNeil?LavoixdeSharon?Hughrevenait,suivid’unjeunehommeauxcheveuxnoirs.Illeconnaissait

bien – c’était l’avocat de Ronald Thompson, Kurner. Robert Kurner. Il étaithirsute. Il avait l’air très agité. Son manteau était déboutonné, son costumefroissécommes’ilavaitdormitouthabillé.Levisaged’Hughétaitimpénétrable.

Bob ne s’excusa pas d’interrompre leur dîner. «Monsieur Peterson, dit-il,j’aiàvousparlerausujetdevotrefils.

—Monfils?»Stevesentitlecoupd’œilavertisseurqueluilançaitHugh.Ilserralespoingssouslatable.«Qu’ya-t-ilausujetdemonfils?

—MonsieurPeterson,j’aidéfenduRonaldThompson.Jel’aimaldéfendu.—Cen’estpasvotrefautesiRonaldThompsonaétécondamné»,ditSteve.

Il ne regardait pas le jeune homme. Il gardait les yeux fixés sur son steak,contemplantlagraissesurlescôtésquicommençaitàsefiger.Illerepoussa.EtsiHughavaitraison?Silekidnappingétaitunemystificationaprèstout?

«MonsieurPeterson,Ronn’apastuévotrefemme.Ilaétécondamnéparcequelaplupartdesjurés,consciemmentounon,ontpenséqu’ilavaitégalementtuélajeuneCarfollietMmeWeiss…

—Ilavaituncasierjudiciaire.—Unehistoiremineure,unsimpleincident.—Ilavaitattaquéunejeunefilleauparavant,ilatentédel’étrangler…— Monsieur Peterson, c’était un gosse de quinze ans, au cours d’une

surprise-partie.Ilavaitprispartàunconcoursdebuveursdebière.Quelest legarçonquin’enapasfaitautantaucollège?Quandilaétécomplètementivre,quelqu’unluiadonnédelacocaïne.Ilnesavaitpluscequ’ilfaisait.Iln’apaslemoindre souvenir d’avoir porté lesmains sur cette fille. Nous savons tous cequ’unecombinaisond’alcooletdedroguepeutdonnersurlecerveau.Ronatoutsimplementeulamalchancedes’attirerdesérieuxennuislapremièrefoisdesavieoùils’estenivré.Iln’aplusjamaisbu,neserait-cequ’unebière,pendantlesdeuxannéessuivantes.Etilaeul’incroyabledéveined’entrerdansvotremaisonjusteaprèsl’assassinatdevotrefemme.»

LavoixdeBob tremblait ; lesmots sebousculaient. «MonsieurPeterson,j’aiexaminélacopieduprocès.Ethier,j’aifaitrépéter,etrépéterplusieursfois,àRonchaquechosequ’ilapudireoufaireentrelemomentoùilaparléàMme

PetersonaumarchéTimberlyetceluioùilatrouvélecorps.Etjemesuisrenducomptedel’erreurquej’avaiscommise.

« Monsieur Peterson, votre fils, Neil, a dit qu’il descendait les escaliersquand il a entendu sa mère suffoquer, qu’il a vu un homme l’étrangler etqu’ensuiteilavulevisagedecethomme…

—LevisagedeRonThompson.—Non,non!Necomprenez-vousdoncpas!Regardezlacopie.»Bobjeta

sa serviette sur la table, en sortit une liasse de papiers juridiques, les feuilletarapidementets’arrêtasurunepageaumilieu.«Voilà.Leprocureurademandéà

Neilpourquoiilétaittellementsûrquec’étaitRon.EtNeilarépondu:Ilyaeudelalumière,alorsj’ensuissûr.

«Voilà ce quim’a échappé.C’est ça. LorsqueRon a répété et répété sontémoignage hier, il a dit qu’il avait sonné à la porte d’entrée. Et qu’il avaitattendudeuxminutesavantdesonnerunesecondefois.Neiln’apasditunseulmotdececoupdesonnette.Pasunseul.

—Celaneprouverien,l’interrompitHugh.Neilétaitentraindejoueravecses trains en haut. Il était probablement trop absorbé et les trains faisaient dubruit.

—Non,non.Parcequ’iladit:Ilyaeudelalumière.« Monsieur Peterson, voici mon point de vue. Ron a sonné à la porte

d’entrée. Il a attendu. Sonné une seconde fois, fait le tour de la maison. Il adonné au tueur le temps de s’enfuir. C’est pourquoi la porte de derrière étaitouverte.

«Ronaallumélalumièredelacuisine.Necomprenez-vouspas?LaraisonpourlaquelleNeilasibienvulevisagedeRon,c’estquelalumièrevenaitdelacuisine.MonsieurPeterson,unpetitgarçondescendencourantlesescaliers,etvoit quelqu’un en train d’étrangler samère. Le salon était sombre. Souvenez-vous-en. Seule la lumière de l’entrée était allumée. Le choc est tel qu’il peutparfaitements’êtreévanoui.Lesadultesenfontbienautant.Ilrevientensuiteàluietilvoit.Ilvoit,parceque,maintenant,lalumièrevenantdelacuisineéclairele salon.Neilvoitquelqu’unpenché sur samère,quelqu’unqui la tientpar lecou.Ron,quiétaitentraind’essayerdedénouerl’écharpe.Maisiln’yarrivaitpas.Elleétaittropserrée.Etils’estrenducomptequ’elleétaitmorteetcequecelareprésentaitpourlui.Alors,prisdepanique,ils’estenfui.

«Untueuraurait-illaisséuntémointelqueNeil?Aurait-illaisséMmePerryenvie,sachantqu’ellelereconnaîtraitàcoupsûr?C’estuneclientedumarchéTimberly.Untueurn’auraitpaslaissédetémoins,monsieurPeterson.»

Hughsecouaitlatête.«Celaneprouverien.Cenesontquedesconjectures.Iln’yapasundébutdepreuvelà-dedans.

—MaisNeilpeutnousdonnerlapreuve,imploraBob.MonsieurPeterson,consentez-vous à ce qu’il soit hypnotisé ? J’ai parlé à plusieurs médecinsaujourd’huimême. Ils affirment que s’il a rayéquelque chosede samémoire,l’hypnosepeutledévoiler.

— C’est impossible ! » Steve se mordit les lèvres. Il avait failli laisseréchapperqu’onnepeuthypnotiserunenfantenlevé.«Sortez,dit-il,sortezd’ici.

—Non, je nem’en irai pas ! »BobKurner hésita, puis fouilla à nouveau

dans sa serviette. « Je suis navré de vous lesmontrer,monsieur Peterson ; cen’étaitpasmonintention.Jelesaiexaminées.Cesontlesphotosprisesaprèslemeurtre.

—Êtes-vous cinglé ? »Hugh s’empara des photos. «Où diable les avez-voustrouvées?Cesontdespreuvesofficielles!

—Qu’importeoùjelesaitrouvées.Regardezcelle-ci.Vous voyez ? C’est la cuisine. L’ampoule est nue. Cela signifie que la

lumièreétaitexceptionnellementforte.»Bobouvritbrusquementlaportedelacuisine,bousculantDoraetBillLufts

quisetenaientjustederrière.Sansmêmelesremarquer,iltiraunechaisesouslalampe du plafond, y grimpa et dévissa le globe. La pièce s’illumina,sensiblement plus. Il revint vers la salle àmanger, éteignit la lumière, allumacelledel’entréeet,enfin,éteignitleslampesdusalon.

«Regardez,regardezdanslesalon.Onyvoitparfaitementclair.Attendez.»Il retournadans la cuisine et éteignit la lumière.Steve etHugh le regardaient,médusés.SteveavaitlamainposéesurlaphotographieducorpsdeNina.

«Regardez, exigeaBob.Quand la lumière de la cuisine est éteinte, il faitpresque noir dans le salon. Mettez-vous à la place d’un enfant qui descendl’escalier.Jevousenprie,mettez-voussurlepalierdansl’entrée.Regardezdanslesalon.QuepeutavoirvuNeil?Pasplusqu’unesilhouette.Quelqu’unattaquesamère.Ils’évanouit.Iln’ajamaisentendulasonnette.Rappelez-vous,ilnel’ajamais entendue. Le tueur s’enfuit. Le temps que Ron ait sonné à la porte,attendu,sonnéunesecondefois,etfaitletourdelamaison,letueurestparti.EtRonavraisemblablement sauvé la vie devotre enfant envenant chezvous cejour-là.»

Serait-cepossible?sedemandaitSteve.Serait-cepossiblequecegarçonsoitinnocent?Ilsetenaitdansl’entrée, leregardtournéverslesalon.Qu’avaitpuvoirNeil?Pouvait-ilavoirperduconnaissancependantquelquesinstants?

Hugh entra à grands pas dans le salon, alluma une lampe. « Ce n’est passuffisant,déclara-t-ilcalmement.Cen’estqu’uneconjecture,unepureetsimpleconjecture.Iln’yapasuneombredepreuvepourappuyercettesupposition.

—Neilestleseulquipuissenousdonnerunepreuve.Ilestnotreseulespoir.MonsieurPeterson,jevousensupplie,laissez-nouslequestionner.J’airencontréledocteurMichaelLane.IlestdisposéàvenircesoirinterrogerNeil.C’estundesmédecins de l’hôpital duMont-Sinaï.Monsieur Peterson, je vous en prie,donnezcettechanceàRon.»

Steve regardaHugh,vit le légermouvementnégatifde la tête.S’il avouait

queNeil avait étéenlevé,cet avocat se saisiraitduprétextepour suggérerquel’enlèvement était lié aumeurtre deNina. Ce qui signifiait, publicité ; ce quipouvaitsignifierlafindetoutespoirderetrouverNeiletSharonenvie.

«Monfilsestabsent,dit-il.J’aireçudesmenacesàcausedemapositionsurlapeinecapitale.Jeneveuxdivulgueràpersonnel’endroitoùilsetrouve.

—Vousnevoulezdivulgueràpersonnel’endroitoùilsetrouve!MonsieurPeterson,uninnocentdedix-neufansàpeinevamourirdemainmatinpourunactequ’iln’apascommis!

— Je ne peux rien faire pour vous, énonça fermement Steve. Sortez d’ici.Sortezetremportezcesmauditesphotosavecvous.»

Bob se rendit compte qu’il n’y avait plus d’espoir. Il traversa la salle àmanger, ramassa lesphotoset remit lesminutesduprocèsdanssa serviette. Ilallait la refermer mais se ravisa et en sortit brusquement les copies desdéclarationsqueRonavaitfaiteslaveille.Illesjetasurlatable.

«Lisez-les,monsieurPeterson,dit-il.Lisez-lesetdites-moisivousytrouvezles paroles d’un tueur. Ron a été condamné à la chaise électrique parce queFairfieldCounty était terrorisé par lesmeurtres deCarfolli et deWeiss autantqueparceluidevotrefemme.Ilyaeudeuxautresmeurtresdefemmesseulesdans leurs voitures sur des routes désertes ces dernières semaines. Vous nel’ignorez pas. Je suis prêt à jurer que ces quatremeurtres sont liés et je restepersuadé que d’une façon ou d’une autre, l’assassinat de votre femme a unrapport avec eux. Elles ont toutes été étranglées avec leur écharpe ou leurceinture. La seule différence est que, pour une raison quelconque, le tueur achoisid’entrerdansvotremaison.Maischacunedescinqfemmesestmortedelamêmefaçon.»

Ilétaitpartienclaquantlaportederrièrelui.SteveregardaHugh.«Etvotrethéorieselonlaquellelekidnappingestliéàl’exécutiondedemain?»ironisa-t-il.

Hugh prit l’air dubitatif. «Nous savons seulement queKurner ne fait paspartiedelaconspiration,maisnousn’avionsjamaisditqu’ilenfaisaitpartie.

—N’ya-t-ilaucunechance,vraimentaucune,qu’ilaitraisonausujetdelamortdeNina?

— Il s’accroche à tout ce qu’il trouve. Ce ne sont que suppositions etconjectures.C’estunavocatquiessayedesauversonclient.

—SiNeilétaitici,j’auraispermisàcemédecindeluiparler,del’hypnotiser,si nécessaire. Neil fait des cauchemars très fréquents depuis cette nuit-là.Justementlasemainedernièreils’estmisàenreparler.

—Qu’a-t-ildit?—Ilaracontéqu’ilavaiteupeuretqu’iln’arrivaitpasàoublier.J’aivuun

psychiatre à New York qui pensait qu’il s’agissait peut-être d’une sorte derefoulement. Hugh, dites-moi sincèrement, êtes-vous convaincu que RonaldThompsonatuémafemme?»

Hugheutunhaussementd’épaules.«MonsieurPeterson,quandlespreuvessontaussimanifestesqu’elleslesontdanslecasprésent,ilestimpossibled’entireruneautreconclusion.

—Vousn’avezpasréponduàmaquestion.— J’y ai répondu de la seule façon possible. Je vous en prie, ce steak est

sûrementimmangeablemaintenant,maisvenezprendrequelquechose.»Ils entrèrent dans la salle àmanger. Steve grignota un petit pain et prit sa

tasse de café. Les déclarations de Ron étaient sous son coude. Il souleva lapremièrefeuilleetsemitàlire:

«J’allaisperdremaplace,mais jecomprenaisM.Timberly. Ilavaitbesoindequelqu’unqui luidonneunplusgrandnombred’heures.Jesavaisquefairepartiedel’équipedefootballm’aideraitàentreràl’Universitéetpeut-êtremêmeà obtenir une bourse. Je ne pouvais donc pas travailler plus.Mme Peterson aentenduM.Timberly.Elleaditqu’elleétaitdésoléepourmoi,quejeluiportaistoujours sigentiment sespaquetsdans savoiture.Ellem’ademandéceque jecomptaisfaire.Jeluiaiditquejepourraiêtrepeintreenbâtimentspendantl’été.Nousnousdirigionsverssavoiture.Ellem’aditqu’ilsvenaientdedéménageretqu’il y aurait sûrement des travaux de peinture à faire, à l’intérieur et àl’extérieurdelamaison,etellem’ademandédevenirvoir.J’airangésesachatsdanslecoffre.J’aiditquec’étaitmonjourdechance,etquec’estjustementcequedisaitmaman,quelamalchancetourneparfoisenchance.Puisnousavonsplaisantéparcequ’elledisait:«C’estaussimonjourdechance,enunsens.Pourunefois,ilyadelaplacedanslecoffrepourtoutescesdamnéesprovisions.»Etelle a ajouté qu’elle n’aimait pas faire des courses, que c’était la raison pourlaquelle elle en prenait tellement en une seule fois. Il était quatre heures.Ensuite…»

Steveinterrompitsalecture.LejourdechancedeNina.Sonjourdechance!Ilrepoussalescopies.

Letéléphonesonna.SteveetHughbondirent.Steveseruasurletéléphonede lacuisine.Hughprit lepostedubureau.«StevePeterson?»Lavoixétaitcirconspecte.MonDieu,faitesquecesoientdebonnesnouvelles!

«MonsieurPeterson, ici lepèreKennedy,de l’égliseSt.Monica. Jecrains

quequelquechosedetrèsbizarrenesoitarrivé.»Stevesentitsagorgesecontracter.Ilfituneffortpourparler.«Qu’ya-t-il,

monpère?—Ilyavingtminutes,quandjemesuisavancéversl’autelpourl’officedu

soir, j’ai trouvéunpetit paquet contre laportedu tabernacle. Jevaisvous lireexactement ce qui est inscrit dessus : « À remettre à Steve Petersonimmédiatement–questiondevieoudemort.»Etvotrenumérode téléphone.Pensez-vousqu’ils’agissed’uneplaisanterie?»

Steve entendit l’enrouement de sa propre voix, perçut la moiteur de sesmains.«Non,cen’estpasuneplaisanterie.C’estpeut-êtretrèsgrave.Jevienslecherchertoutdesuiteet,s’ilvousplaît,monpère,n’enparlezàpersonne.

—Biensûr,monsieurPeterson.Jevousattendsdanslepresbytère.»QuandSteverevintchezluiunedemi-heureplustard,Hughl’attendaitavec

le magnétophone. L’air sombre, ils se penchèrent sur l’appareil tandis que labandesedéroulait.

Pendant un instant, on n’entendait qu’un bruit étouffé, une sorte desifflement. Puis la voix de Sharon. Steve pâlit et Hugh lui saisit le bras. Lemessage. Elle répétait le message que le ravisseur avait donné à Steve. Quevoulait-elle dire en ajoutant qu’elle avait eu tort ? Qu’était-il censé luipardonner ? Elle s’était arrêtée si brusquement, comme si on l’avait coupée.Neil.C’était le sifflement.Neil que l’asthme faisait suffoquer. Steve écouta lavoixhaletantedesonfils.Sharonprenaitsoindelui.Pourquoimentionnait-ilsamère?Pourquoimaintenant?

Ilserralespoingsàs’enfaireblanchirlesarticulations,lesportaàsabouchepourréprimerlessanglotsquisecouaientsapoitrine.

«Voilà», fitHugh. Il tendit lamain. «Nous allons l’écouterune secondefois.»

Mais,avantqu’ilnepousselebouton«arrêt»,unevoixchaude,mélodieuse,accueillante,s’exclamait:«Oh!commec’estaimableàvous!Entrez.»Stevesursauta et un cri d’angoisse lui échappa. «Qu’est-ce que c’est ? hurlaHugh.Quiest-ce?

—ÔmonDieu…ÔmonDieu !… s’écria Steve. C’est ma femme, c’estNina!»

30

Hank Lamont gara sa voiture en face du bar leMill Tavern, sur FairfieldAvenue,àCarley.Laneigetombaitànouveauenfloconsserrésetdebrusquesrafalesdevent laplaquaientsur lepare-brise.Sesgrandsyeuxbleusauregardinnocentserétrécirentcommeilscrutaitl’intérieurdubarfaiblementéclairé.Lemauvaistempsavaitretenulesgenschezeux.C’étaitaussibien.Ilpourraitplusfacilementparleraupatron,sicelui-làétaitdugenreàdiscuterleboutdegras.

Ildescenditdevoiture.BonDieu,qu’ilfaisaitfroid!Quellesalenuit!FilerlavoituredePetersontoutà l’heureneseraitpasaisé.Ilyauraitsansdoutesipeu de voitures sur la route, qu’on les verrait comme le nez au milieu de lafigure.

Ilouvrit laporteetentradans lebar.L’airchaudetuneagréableodeurdebièreetdenourritureluiremplirentlesnarines.Clignantdesyeuxpourchasserlaneige,ilinspectalasalle.Iln’yavaitquequatrehommes.Ils’avançad’unpastranquille,sehissasuruntabouretetcommandaunebièreMichelob.

Tout en la dégustant, il laissa ses yeux errer de droite à gauche.Deuxdesclients regardaientunmatchdehockeyà la télévision.Aumilieuducomptoir,untypedugenrepetitcadrebienhabillé,auxyeuxvitreuxetauxcheveuxblancsdégarnis,sirotaitunmartini.Ilsurpritleregardd’Hank.«Vousêtesbiendemonavis, n’est-cepasmonsieur, qu’il faut être foupour fairequinzekilomètres envoiture par un temps pareil ? Qu’il est plus prudent d’appeler un taxi ? » Ilréfléchituninstant.«Surtoutavecunrhume,ajouta-t-ilinutilement.

—Vousavezparfaitementraison,approuvaHank.JeviensdePeterboroetlaissez-moivousdirequelesroutessontépouvantables.»Ilavalaunegorgéedebière.

Lebarmanessuyaitlesverres.«VousêtesdePeterboro?Jamaisvenudanslecoin,n’est-cepas?

—Non.Jesuis justedepassage.Jevoulaism’arrêterunpeuet jemesuissouvenu quemon vieux copainBill Luftsme disait qu’il venait souvent ici àcetteheure.

—Ouais.Billvienticipresquetouslessoirs,reconnutlebarman.Maisvousavezpasdechance.Ilestpasvenulanuitdernièreparcequ’ilsortaitsafemmepourleuranniversaire;dîneretcinéma.Onpensaitqu’illalâcheraitàlamaison

et qu’il viendrait prendre un dernier verre,mais il s’est plusmontré. Curieuxqu’ilsoitpaslàcesoirnonplus;àmoinsqu’elleluiaitfaitunescène.Etsic’estlecas,onvaenentendreparler,hein,Arty?»

L’autrebuveursolitairelevalesyeuxdesonverredebière.« Ça rentre par une oreille, et ça sort par l’autre, bougonna-t-il. Qui

s’intéresseàcessalades?»Hankrit.«Etalors,àquoisertunbar,sic’estpasquandy’enaraslebol?»Les hommes qui regardaient le match de hockey fermèrent la télévision.

«Matchàlagomme,commental’un.—Minable,renchéritl’autre.—C’estunamideBillLufts.»LebarmandésignaitHankdelatête.«LesWatkins,fitleplusgrand.—PeteLerner,mentitHank.— Joe Reynolds, ajouta spontanément le plus grassouillet. Où est-ce que

voustravaillez,Pete?—Dansuneboîte d’appareils sanitaires, dans leNewHampshire. J’vais à

NewYorkchercherdespièces.Dites,jevousoffreunetournée?»Une heure passa. Hank apprit que Joe et Les étaient vendeurs dans un

magasindeventeau rabaissur laRoute7.Arty réparait lesvoitures.Lecadrechauve,AllanKroeger,travaillaitdansunegrosseagencedepublicité.

Ungrandnombred’habituésn’étaientpasvenuscesoiràcausedumauvaistemps.BillFinelli,parexemple;etDonBranningan.QuantàCharleyPincher,ils’amenait toujours vers cette heure-ci d’habitude, mais il faisait partie de latroupe du Petit Théâtre avec sa femme, et ils répétaient probablement unenouvellepièceencemoment.

Le taxi de Kroeger arrivait. LesWatkins allaient raccompagner Joe et ilsdemandèrent leur addition. Arty s’apprêtait à partir. Le barman repoussa samonnaie.«C’estpourmoi,dit-il,vousalleznousmanquer.

—C’estvrai,ajoutaLes.Bonnechance,Arty.Donne-nousdetesnouvelles.—Merci.Siçanemarchepas,jereviendraietjeprendraiunjobchezShaw.

Ilmetannetoujourspourquejeviennetravailleraveclui.—Normal,ditLes.Ilsaitreconnaîtreunbonmécanicien.—Oùest-cequevousallez?demandaHank.—RhodeIsland–danslavilledeProvidence.—DommagequetupuissespasdireaurevoiràBill»,observaJoe.Artylaissaéchapperunrirecynique.«RhodeIsland,c’estpasl’Arizona,dit-

il. Et je reviendrai. Bon, mieux vaut aller se coucher. Je préfère pas traîner

demainmatin.»AllanKroegersedirigead’unpasvacillantverslaporte.«Arizona,dit-il,le

pays du désert peint. » Les quatre hommes sortirent ensemble, laissants’engouffreruneboufféed’airglacial.

Hankobservaplusspécialementledépartd’Arty.«CetArty,dit-il,c’estunamideBillLufts?»

Lebarmansecoualatête.«Bof,toutcequiadesoreillesestunamideBillquandilabusoncompte.Vousconnaissezça.Cequedisentlestypes,c’estquela femmedeBill lui rebat les oreilles toute la sainte journée, et lui, le soir, ilvienticirebattrecellesdesautres.

—Jevois.»Hankrepoussasonverresurlecomptoir.«Prenez-enunpourvous.

—C’estpasderefus.J’lefaisgénéralementpaspendantleboulot,maisy’aplusunchatparici.Foutuenuitquandmême.Àvousdonnerlachairdepoule.C’estsûrementcequ’ilspensenttous.Cegosse,Thompson,voussavez.Samèrehabiteàdeuxruesd’ici.»

Lesyeuxd’Hankserétrécirent.«C’estcequiarrivequandvousassassinezlesgens»,avança-t-il.

Lebarmanhochalatête.«Personnepeutimaginercegosseentraindetuerqui que ce soit. Sûr qu’il a déjà perdu la tête une fois ; alors, c’est peut-êtrepossible.Ilsdisentqu’ilyadestueursdrôlementmauvaisqu’ontl’airnormauxcommeça.

—J’aientendudireçaaussi.— Vous savez, Bill et sa bonne femme habitent dans la maison de cette

femmequiaétéassassinée–NinaPeterson.—Ouais,jesais.— Ils ont été salement secoués. Dora Lufts travaillait chez les Peterson

depuispasmald’années.Billditquelepetitseremetpas,pleuretoutletemps,faitdescauchemars.

—C’estvache,acquiesçaHugh.—Bill et sa bonne femme ont envie d’aller en Floride. Ils poireautent en

espérantque lepèredugossevase remarier. Il sortavecune journaliste ;unefilletrèsbelle,ditBill.ElledevaitvenirchezPetersonlanuitdernière.

—Ah!oui?—Ouais. Le petit est vachement froid avec elle ; sans doute peur qu’elle

remplacesamère.Lesgossessontcommeça.—Jesais.

—Le père est rédacteur en chef de L’Événement, vous savez, le nouveaumagazine, celui qui a juste deux ans. Entendu dire qu’il a mis le paquet là-dedans. Seconde hypothèque qu’on appelle ça.Mais ça commence àmarchermaintenant.Bon.Jecroisquejevaisfermer.C’estcertainquepluspersonnevavenircesoir.Unautreverre?»

Hankréfléchit.Ilavaitbesoinderenseignements.Iln’yavaitpasdetempsàperdre.Ilposasonverre,pritsonportefeuilleetsortitsoninsigne.«F.B.I.»,dit-il.

Uneheureplustard,ilétaitderetourchezlesPeterson.AprèsavoirconsultéHugh, il appela le F.B.I. àManhattan. S’assurant que la porte du bureau étaitbien fermée, ilparlaàvoixbasseau téléphone.«Hughieavait raison.Billestunevraiecommère.ToutlemondeauMillTavernsavaitdepuisdeuxsemainesqu’ildevaitsortirlanuitdernièreavecsafemme,quePetersonavaituneréuniontardive et que Sharon devait venir. Le barman m’a donné une liste de dixhabitués qui parlent toujours avecBill.Certains étaient là ce soir. Ils ont tousl’aird’êtreenrègle.VouspourriezcependantvérifierCharleyPincher;luietsafemmefontduthéâtre,l’undesdeuxpourraitimiterunevoixqu’ilsontentendueilyadeuxans.IlyauncertainArtyTaggertquisetiredemainàRhodeIsland.Paraîtinoffensif.Deuxvendeurs,LesWatkinsetJoeReynolds–pasdetempsàperdreaveceux.Voilàlerestedesnoms…»

Quandileutterminésaliste,ilajouta:«Autrechose,BillLuftsaracontéàtout le bar l’histoire du placement il y a moins d’un mois ; il avait entenduPetersonenparleràsoncomptable.Donc,toutlemondeauMillTavernetDieusait encorequi était aucourant.Bon, j’arriveavec la cassette.Avez-vous jointJohnOwens?»

Il raccrocha, se dirigea pensivement vers le salon. Hugh Taylor et Steveparlaientdoucement.Steve enfila sonmanteau. Il était presqueminuit, l’heured’alleràsonrendez-vousavecRenard.

31

Lally était tellement furieuse contre les intrus qu’elle lâcha toute l’histoirequandelleretrouvaRosiedanslasalled’attenteets’enrepentitimmédiatement.« C’est mon endroit à moi », conclut-elle maladroitement. Que pourrait-elledonnercommeexcuseàprésentsiRosievoulaitpartagerlapièceavecelle?Ellenepourraitpaslalaisserfaire.Ellenelepourraitpas.

Ellen’avaitpasbesoindes’inquiéter.«Tuveuxdirequetudorsenbas,dansSing Sing ? s’exclamaRosie abasourdie. Tu nem’y emmènerais pas pour unempire.Tusaisbienquej’aihorreurdeschats.»

Biensûr.Ellen’yavaitpaspensé.Rosieavaitpeurdeschats,elletraversaitlarueplutôtqued’encroiserun.

«Ehbien,tumeconnais,fitLally.Moi,jelesaime.Pauvrespetiteschosesaffamées. Il y en a plus dans ce tunnel que partout ailleurs », exagéra-t-elle.Rosiefrémit.

«Donc,jepensequecesdeux-làs’ysontinstallés,terminaLally,etjevaisfairedéguerpirlafillequandilseraparti.»

Rosieétaitplongéedanssespensées.«Supposequetutetrompes,suggéra-t-elle.Supposequ’ilsoitlà.Tuasditqu’ilavaitl’airmauvais.

— Plus que mauvais. Peut-être, peut-être pourrais-tu m’aider à le tenir àl’œil. »Rosie adorait les intrigues. Elle eut un large sourire qui découvrit sesdentsjaunesettoutescassées.«Biensûr.»

Elles finirent leur café, recueillirent soigneusement les restes de beignetsdansleursacàprovisions,etsedirigèrentversleniveauinférieur.

«Çapeutprendredutemps,setracassaLally.—Pasd’importance,saufquec’estOlendorfaujourd’hui»,ditRosie.C’étaitl’undesgardeslesplussévères.Inutiledecomptersurluipourlaisser

les habitués traîner dans la gare ; il passait son temps à les pourchasser, àsurveillers’ilsnemendiaientpasous’ilsnelaissaientpasdedétritus.

Avec un peu d’appréhension, elles s’installèrent près de la vitrine d’unelibrairie.Letempspassait.Ellesattendaientpresquesansbouger.LallyavaitunehistoiretouteprêtesiOlendorflarepérait.Ellediraitqu’elleavaituneamiequivenaitàNewYorketqu’elleluiavaitpromisdel’attendrelà.

Mais legarde les ignorait.Lallycommençaitàavoirdesélancementsdans

lesjambes.ElleallaitsuggéreràRosied’abandonnerleurfactionquandunflotdegensmontalesescaliersduquaideMountVernon.L’und’entreeuxavaitdescheveuxnoirs,unedémarchemécanique.

Elleagrippa lebrasdeRosie.«C’est lui, s’écria-t-elle.Regarde, ilvaverslesescaliers,ilaunpardessusmarron,unpantalonvert.»

Rosieplissalesyeux.«Oui,oui,jelevois.—Maintenant,jepeuxdescendre»,jubilaLally.Rosiehésita.«PasavecOlendorfdanslecoin.Ilregardejustementparici.»Mais rien ne pouvait dissuader Lally. Elle attendit de voir Olendorf partir

déjeuner,etsefaufilasurlequai.Letrainde12h10seremplissait;ellesavaitqu’onnelaremarqueraitpas.Elledisparutdel’autrecôtédelavoie,descenditlarampeaussivitequeleluipermettaientsesgenouxpleinsderhumatismes.Ellene se sentait vraiment pas bien. C’était l’hiver le plus dur qu’elle ait connu.L’arthrite s’étaitmisedans sondos àprésent, et dans laplantedespieds.Elleavaitmalpartout.Ellen’avaitplusqu’uneenvie,s’étendreetsereposersursonproprelit.Elleallaitfairedéménagerlafilledanslesdeuxminutes.

«Mapetite,luidirait-elle,lesflicssontprévenus.Ilsviennentvousarrêter.Filezetavertissezvotrepetitami.»

Çamarcherait.Elle avança à pas traînants devant les générateurs, les tuyaux d’égout.Au

boutsedessinaitletunnel,sombreetsilencieux.Ellelevalesyeuxverslaportedesapièceetsouritdecontentement.Encore

huitpasetelleétaitaubasdesescaliers.Ellefitglisserlespoignéesdesonsacsur son bras, extirpa la clé de sa veste. De l’autre main, elle s’accrocha à larampeetsehissasurlesmarches.

« Où allez-vous comme ça, Lally ? » La voix était sèche. Lally laissaéchapperuncridefrayeuretfaillittomberàlarenverse.Ellerepritsonéquilibreet,pourgagnerdutemps,seretournalentementavantdefairefaceàlasilhouettemenaçanted’Olendorf.Ainsi, il l’avaitgardéeàl’œil, justecommelecraignaitRosie ; il avait essayé de l’avoir en faisant semblant d’aller déjeuner. Elle fitglissersubrepticementlaclédanssonsac.L’avait-ilvue?

«Jevousaidemandéoùvousalliez,Lally?»Prèsd’elle,lesgénérateursvrombissaient.Untrains’engageaitenhurlantsur

unquaiquelquepartau-dessusdesatête.Ellerestaitsansunmot,impuissante.Soudain, un crachement strident, un miaulement féroce, jaillit d’un coin

d’ombre.Et l’inspiration frappaLally.Leschats !D’unemain tremblante,elledésigna les formes squelettiques et fuyantes. « Regardez, ils sont affamés !

J’étaisvenueleurapporterquelquechoseàmanger.J’allaisleleurdonner.»Elletiravivementdesonsaclaserviettedéchiréepleinedesrestesdebeignets.

Legardejetaunœildégoûtésurlevieuxchiffongraisseux,maissavoixétaitun peumoins hostile quand il continua. « Je suis désolé pour eux,mais vousn’avezrienàfaireici,Lally.Jetez-leurvotrefourbietfichez-moilecamp.»Sonregardladépassa,montalelongdesescaliers,s’attardapensivementsurlaportedelapièce.LecœurdeLallybattaitàtoutrompre.Elleramassasonsac,clopinaàlarencontredeschats,leursecoualesquelquesmiettes,etlesregardaseruerdessus.

«Vousvoyezcommeilsontfaim.»Elletentaitdel’amadouer.«Vousavezdeschatschezvous,monsieurOlendorf?»Ellefaisaitminedepartir,espérantqu’illasuivrait.Sijamaisilentraitdanslapièceavecsonpasse-partout?S’ilytrouvait la fille, ils changeraient sûrement la serrure, peut-être même lacondamneraient-ils.

Il hésita, haussa les épaules, se décida à la suivre. « J’en avais, mais mafemme ne veut plus de chats, plus depuis qu’on a perdu celui dont elle étaitfolle.»

De retour dans la salle d’attente,Lally réalisa que son cœur battait encoreviolemment.Voilà.Unefoisdeplus,ellenepouvaitpasserendredanssapièce.Ilfaudraitattendrecesoir,quandOlendorfrentreraitchezlui.Rendantgrâceauxchatsd’avoirfaittoutleurramdam,ellefouilladansunepoubelleets’emparadevieuxnumérosdemagazinesetdejournauxchiffonnés.

32

NeilsavaitqueSharonavaitmal.Ellenes’étaitpasmoquéedeluiendisantqu’elleétait tombée.L’hommedevait l’avoirpoussée. Ilvoulaitparler,mais lebâillonétaitsiserrésursabouchequ’iln’yarrivaitpas.Ilétaitbienplusserréqu’avant.IlvoulaitdireàSharonqu’il latrouvait trèscourageused’avoir tentéd’attaquer l’homme.Neil avait eu trop peur pour l’attaquer quand il avait faitmalàmaman.MaismêmeSharon,quiétaitpresqueaussigrandequel’homme,n’étaitpasassezfortepourlebattre.

Sharonluiavaitditqu’elleallaitessayerdeprendrelerevolverdel’homme.Elleavaitdit:«N’aiepaspeursitum’entendsluidirequejevaistelaisser.Jenetelaisseraipas.Maissij’arriveàprendrecerevolver,nouspourronspeut-êtrele forcerànous faire sortir.Nousnous sommes trompés tous lesdeuxetnoussommeslesseulsquipuissionssauverRonaldThompson.»

La voix de Sharon faisait un drôle de bruit enroué quand elle parlait, toutcomme la sienne,mais il avaitquandmême réussià lui raconter…queSandydisaitqu’ilauraitdûdéfendremaman;qu’ilrêvaittoutletempsdecejour;queSandydisaitquelesLuftsallaientprobablementl’emmenerenFloride;quelesenfantsluidemandaients’ilvoulaitqueRonaldThompsongrille.

Mêmes’ilavaitdumalàparleràtraverslebâillon,ilrespiraitmieuxaprès.IlcomprenaitcequevoulaitdireSharon.OnallaittuerRonaldThompsonpouravoirattaquémamanetcen’étaitpasluiquil’avaitfait.MaisNeilavaitditquec’était lui.Neiln’avaitpasvoulumentir.C’étaitcequ’ilavaitessayédedireàpapadanslemessage.

Maintenant,ildevaits’appliqueràrespirertrèslentementparlenezetilnefallaitpaspleurerouavoirpeur,carcelal’empêchaitderespirer.

Ilfaisaitfroidetsesbrasetsesjambesluifaisaientsimal.Pourtantquelquechoseenluiavaitcessédelefairesouffrir.Sharonallaittrouverunmoyendelesfaire sortir d’ici, d’échapper à l’homme, et ils pourraient tout dire au sujet deRonald.Oualorspapaviendraitleschercher.Neilenétaitsûr.

IlsentaitlesouffledeSharoncontresajoue.Ilavaitlatêteblottiedanssoncou.Parfois,ellefaisaitunbruitcurieux,commesiquelquechoseluifaisaitmal.Maisilsesentaitmieux,recroquevillécontreelle.C’étaitcommelorsqu’ilétaitpetitetqu’ilseréveillaitaumilieudelanuitavecuncauchemar.Ilallaitdansle

litdepapaetmaman.Maman leprenait toutcontreelleetdisait :«Nebougeplus»,d’unevoixendormie,etilserendormaitcontreelle.

Sharonetpapas’occuperaientdelui.Neilsetortillaencoreunpetitpeuplusprès deSharon. Il aurait voulu lui dire de ne pas s’inquiéter pour lui. Il allaitprendredelonguesetlentesinspirationsparlenez.Sesbrasluifaisaientsimal.Ilessayadeneplusypenser. Il fallaitpenseràquelquechosed’agréable…lapièceaudernierétageetlestrainsLionelqueluidonneraitSharon.

33

« Pour l’amour du ciel, chérie, il est presque minuit, laisse tomber. »Impuissant,RogerregardaGlendasecouer la tête.Leflacondetrinitrinesur latabledenuitétaitpresquevide.Ilétaitpleincematin.

«Non.J’yarriverai. Jesaisque j’yarriverai.Roger,écoute…essayons. Jevaistediretoutcequej’aifaitlemoisdernier.J’aireprisunjouraprèsl’autre,maisjepeuxencoreavoiroubliéquelquechose.Sijeteleraconte,peut-être…»

Il savait qu’il était inutile de protester. Tirant une chaise près du lit, il seconcentra.Ilavaitdesélancementsdanslatête.Lemédecinétaitrevenuets’étaitfâché en voyant l’état d’agitation dans lequel se trouvaitGlenda.Bien sûr, ilsn’avaientpaspuluiexpliquerpourquoielleétaitsinerveuse.

Lemédecinavaitvoululuifaireunepiqûre,maisRogersavaitqu’elleneluiaurait jamaispardonné s’il l’avait laissé faire.Maintenant, devant la pâleur desestraits,etlebleuviolacésignificatifdeseslèvres,ilserappelaitlejouroùelleavaiteusoninfarctus…«Nousfaisonsl’impossible,monsieurPerry…elleestentrelavieetlamort…ilseraitprudentd’avertirvosfils…»

Maiselles’enétaitsortie.ÔDieu,siellesaitquelquechose,faitesqu’ellesesouvienne, pria Roger. Faites que je puisse l’aider à se souvenir. Si Neil etSharonmeurentetqueGlendas’aperçoit trop tardqu’elleauraitpu lessauver,elleenmourraelleaussi.

QueressentaitSteveencemomentmême?Ilseraitbientôtl’heurepourluidepartirpourNewYorkaveclarançon.

Et lamèredeRonaldThompson,quepensait-elle ?Souffrait-elle lemêmemartyre?Biensûrqueoui.

EtSharon, etNeil ?Avaient-ilspeur?Lesavait-onmaltraités?Étaient-ilsencoreenvieouétait-ildéjàtroptard?

EtRonaldThompson?Aucoursduprocès,Rogern’avaitpus’empêcherdepensercombienilressemblaitàChipetDougaumêmeâge.Sesdeuxfilsétaientétudiantsquandilsavaientdix-neufans.ChipàHarvard,Dougàl’universitédeMichigan.C’estlàoùdoiventêtrelesenfantsdedix-neufans,àl’Université,pasdansunecelluledecondamnéàmort.

«Roger.»LavoixdeGlendaétaitexceptionnellementcalme.«Situfaisaisune sorte de tableau de chaque journée, 9 heures, 10 heures… quelque chose

commeça;celapourraitm’aideràretrouvercequej’oublie.Ilyaunblocdepapiersurmonbureau.»

Ilpritlebloc.«Bon,fit-elle.Jesuissûred’hieretdedimanche,neperdonspasdetempsaveccesdeuxjours-là.Commençonsparsamedi…»

34

«Pasdequestions,monsieurPeterson?Vousêtessûrquetoutirabien?»Hugh et Steve étaient dans l’entrée. Steve tenait à la main la lourde valisecontenantl’argentdelarançon.

«Jecrois.»LavoixdeSteveétaitcalme,presquemonocorde.Aucoursdesdernièresheures,lafatigues’étaitdissipée;unengourdissementirrésistibleavaitanesthésié angoisse et souffrance. Il se sentait capable de penser avec clarté,abstractionmême.Ilétaitenhautdelacollineetdominaitledrame,spectateurautantqu’acteur.

«Bon.Répétezencoreunefois.»HughdécelaitlessymptômeschezSteve.Peterson était au bout du rouleau. Il était déjà complètement bouleversé, biensûr.Maiscettehistoiredecassetteavecl’imitationdelavoixdesafemmel’avaitachevé.Et lepauvregarçonquicroyaitdurcommeferquec’étaitelle.Quellefaçondégueulasseettordued’essayerderelierlekidnappingàlamortdeNina.Hugh avait repéré deux autres détails ; Sharon demandait à Steve de luipardonner.EtNeildisait:«Sharonprendsoindemoi.»N’était-cepaslapreuvequ’ils’agissaitd’uncoupmonté?

Était-ceuncoupmonté?JohnOwenspourraitpeut-êtrelesaider.Onl’avaitretrouvéetHughdevaitle

rejoindreauquartiergénéralduF.B.I.àNewYork.Steve répétait : « Je vais directement à la cabine téléphonique de la

Cinquante-neuvièmerue.Sij’arriveenavance,j’attendsdanslavoiture.Unpeuavant2heures, jesorset jemerendsdanslacabine.Jeseraisansdoutedirigéversunautretéléphone.J’yvais.Espéronsensuitequej’auraiuncontactdirectetquejeremettrailavaliseaukidnappeur.Aprèsl’avoirquitté,jemerendsauF.B.I.,surlaSoixante-neuvièmerueetlaTroisièmeavenue.Vousm’yattendezpoursortirlescamérasdelavoitureetdévelopperlesfilms.

— C’est ça. Nous vous filerons à distance. L’émetteur dans votre voiturenous informeradevosmouvements.L’undenoshommesvousattend. Ilvoussuivra sur l’autoroute pour s’assurer que vous n’aurez ni panne ni retard.MonsieurPeterson…»Hughtenditlamain:«Bonnechance.

—Chance?»Steves’étonnadumotcommes’ill’entendaitpourlapremièrefois. « Je penserai plutôt à cette vieille malédiction du Wexford. Vous la

connaissez,peut-être?—Jenecroispas.—Jenem’ensouvienspasparfaitement,maisc’estàpeuprèsceci:«Que

lerenardbâtissesonterrierdanstonfoyer.Quelalumières’effacedetesyeuxetquejamaisplustunevoiescequetuaimes.Quelaboissonlaplusdoucetesoitla plus amère des coupes de chagrin…»Ce n’est pas tout,mais cela résumeassezbien.Plutôtdecirconstance,non?»

Sansattendrelaréponse,Steves’éloigna.HughregardalaMercurysortirdel’allée,tourneràgaucheversl’autoroute.Quelerenardbâtissesonterrierdanston foyer. Dieu vienne en aide à ce pauvre Peterson. Secouant la tête pourchasser une impression de fatalité, Hugh enfila son manteau. Aucune desvoituresduF.B.I.n’étaitdans l’allée.Tous lesagentspassaientpar laportedederrière,traversantl’hectaredeboisdésertquientouraitlapropriétédeSteve.Ilsavaientgaréleursvoituressur lechemintracéàtraversboislorsqueleségoutsavaientétéinstallés.Delarue,ellesétaientinvisibles.

John Owens tirerait peut-être quelque chose de la cassette envoyée par lekidnappeur.AncienagentduF.B.I.,Johnavaitperdulavueilyavingtansetilavaitcultivéuneouïetellementfinequ’ilétaitcapabled’interpréterdesbruitsdefondsurlesenregistrementsavecuneprécisionremarquable.Onfaisaittoujoursappel à lui chaque fois que se présentait ce genre de preuve. Ensuite, commed’habitude, la cassette serait soumise aux tests de laboratoire ; mais celaprendraitdesjours.

Sansdonnerderaison,HughavaitquestionnéStevesurNina:familledelagrandebourgeoisiedePhiladelphie,quatrièmegénération.NinaavaitétéélevéedansunpensionnatenSuisse,lecollègedeBrynMawr.Sesparentspassaientlaplus grandepartie de leur tempsdans leur propriété deMonte-Carlo.Hugh sesouvenait de les avoir rencontrés lors des funérailles de leur fille. Ils étaientvenus par avion, pour le service religieux et l’enterrement ; avaient à peineadressélaparoleàSteve.Uncoupledepatatesfroides,s’ilenest!

Maisces renseignementssuffiraientsansdouteàOwenspourdétectersi lavoixétait réellementcelledeNinaouune imitation.Hughnedoutaitguèredurésultat.

L’autorouteMerrittavaitétésabléeetbienquelaneigecontinuâtàtomber,

Steve conduisait plus facilement qu’il ne s’y attendait. Il avait craint que leravisseurn’annulâtsonrendez-voussilesroutesétaientdangereuses.Àprésent,ilétaitcertaindelerencontrer,d’unefaçonoud’uneautre.

Il se demandait pourquoi Hugh l’avait interrogé sur le passé de Nina. Iln’avait demandé que quelques renseignements de base. « Dans quel collègevotrefemmefaisait-ellesesétudes,monsieurPeterson?Oùa-t-elleétéélevée?

—AucollègedeBrynMawr.» Ils s’étaient rencontrés alorsqu’ils étaienttous les deux étudiants. Il était à Princeton. Cela avait été le coup de foudre.Vieuxjeu,maisvrai.

« Sa famille est la quatrième génération d’une grande famille dePhiladelphie. » Steve les avait scandalisés. Ils voulaient que Nina épousequelqu’undesonrang,commeilsdisaient.Quelqu’undebonnefamille,fortuné,sortantd’uncollègeprivé.Pasunétudiantde riendu toutquiservaità tableàl’auberge Nassau pour payer ses études, qui sortait de l’école publique deChristopherColumbusdansleBronx.

Seigneur, ils s’étaient montrés redoutables quand Nina et lui sortaientensemble.IlavaitditàNina:«Commentfais-tupourêtreleurfille?»Elleétaitsidrôle, si intelligente, si simple. Ils s’étaientmariés juste après leurdiplôme.Puisilétaitpartifairesonservicemilitaireetonl’avaitenvoyéauViêt-Nam.Ilsnes’étaientpasvuspendantdeuxans.IlavaitfiniparobtenirunepermissionetelleétaitvenuelerejoindreàHawaii.Qu’elleétaitbelle,dévalantlesmarchesdelapasserelledel’avion,seprécipitantdanssesbras!

Une foisdémobilisé, il avaitpasséundoctoratde journalismeàColumbia.PuisilétaitentréàTime,ilss’étaientinstallésdansleConnecticut,etelleavaitattenduNeil.

IlluiavaitachetélaKarmanGhia,aprèslanaissancedeNeil,etonauraitditqu’illuioffraituneRolls.C’étaitsonpère,biensûr,quiavaituneRolls.

Il avait vendu la voiture de Nina, une semaine après les obsèques. Il nesupportaitplusdelavoirprèsdelaMercurydanslegarage.Lesoiroùill’avaitretrouvéemorte,ilavaitvouluexaminerlavoiture,endépitdetoutespoir.«Toninsouciancetetuera!»Maislepneuréparéavaitétéremissurlaroueavant;larouedesecoursétaitdanslecoffre.Siellen’avaitpasprislapeinedechangerdepneu ce jour-là, cela aurait signifié qu’elle n’attachait pas d’importance à sonirritation.

Nina,Nina,pardonne-moi.Sharon.Elleluiavaitredonnélegoûtdevivre.Grâceàellel’accablementet

la douleur s’étaient peu à peu dissipés, comme fond la glace au dégel duprintemps.Cessixderniersmoisavaientétésidoux.Ils’étaitmisàcroireenunesecondechancedebonheur.

Onnetombepasamoureuxlapremièrefoisquel’onrencontrequelqu’un.Il

avaittrente-quatreansetnonplusvingt-deux.Etpourtant!Leur première rencontre à cette émission de télévision. À la fin de

l’interview, ils étaient sortis ensemble du studio et étaient restés à bavarderdevant l’immeuble. Il ne s’intéressait plus, même de loin, à aucune femmedepuislamortdeNina,maiscematin-là,ilavaiteuenviederetenirSharon.Ilétait attendu à une réunion et ne pouvait lui proposer de prendre un petitdéjeuneraveclui.Ils’étaitfinalementlancé:«Écoutez,jesuispressécematin,maissinousdînionsensemblecesoir?»

Sharonavaitaccepté,trèsvite,commesielleattendaitcetteproposition.Lajournée lui avait paru interminable avant qu’il ne sonne à sa porte. À cetteépoque, leur discussion sur la peine capitale était plus idéologique quepersonnelle.Cen’estquelorsqueSharons’étaitaperçuequ’ellenepouvaitplussauverRonaldThompsonqu’elles’étaittournéecontrelui.

Il était sur l’autoroute de Cross County. Ses mains manœuvraient toutesseules,choisissantlarouteàsuivresansqu’ilenfûtconscient.

Sharon.C’étaitsibondeparlerdenouveauàquelqu’un,aucoursd’undîner,lors d’un dernier verre chez elle. Elle comprenait les problèmes que pose lelancementd’unnouveaumagazine,labataillepourtrouverdesannonceurs,pouraugmenterladiffusion.Unvraisujetdeconversationsurl’oreiller,plaisantait-il.

IlavaitquittéTimeetétaitentréàL’ÉvénementpeudemoisavantlamortdeNina.Un vrai coup de poker. Il gagnait très bien sa vie à Time. C’était, pourbeaucoup, une question d’amour-propre. Il allait coopérer à la création dumeilleur magazine du pays. Il allait devenir riche, le crack des rédacteurs enchef.Etmontrercequ’ilvalaitaupèredeNina.Illuiferaitravalersesparoles.Les parents de Nina lui avaient reproché sa mort. « Si elle avait habité unemaisoncommeilfaut,unemaisonbiengardée,avecunpersonnelsuffisant,rienneseraitarrivé»,avaient-ilsdéclaré.IlsavaientvouluemmenerNeilenEurope.Neil,aveccesdeux-là!

Neil.Lepauvrepetit.Telpère,telfils.LamèredeSteveétaitmortequandilavaittroisans.Ilnesesouvenaitpasd’elle.Sonpèrenes’étaitjamaisremarié.C’étaituneerreur.Steveavaitgrandisansmère.Ilserappelait,ilavaitseptans,unemaîtresseremplaçantedanssaclasseleuravaitfaitdessinerdescartespourlafêtedesmères.

Àlafindelajournée,elleavaitremarquéqueSteven’avaitpasmislasiennedanssoncartable.«Tunevaspaslalaisserlà,n’est-cepas?avait-elledemandé.Tamamansera siheureusede l’avoirdimanche.» Il l’avaitdéchiréeet s’était

enfuidelaclasse.IlnevoulaitpasdeçapourNeil.IlvoulaitqueNeilgrandissedansunemaisonheureuse,unemaisonavecdesfrèresetdessœurs.Ilnevoulaitpasvivrecommesonpère,quiétaitrestéseul,uniquementoccupéparSteve,sevantantdanstoutlebureaudeposted’avoirunfilsàPrinceton.Unhommeseuldansunappartementsolitaire.Unmatin,ilnes’étaitpasréveillé.Nelevoyantpasàsontravail,onétaitallévoirchezlui.EtonétaitvenuchercherSteveenclasse.

C’étaitpeut-êtrelaraisonpourlaquelleilavaitpriscettepositionsurlapeinecapitalecesdernièresannées.

Parcequ’ilsavaitcommentviventlesgensâgésetpauvres,combienilssontdémunis. Parce qu’il était malade à l’idée que l’un d’eux puisse êtresauvagementassassinépardesgangsters.

Lavaliseétaitsurlesiègeavantàcôtédelui.Hughluiavaitassuréqu’ilétaitimpossiblededétecterledispositifélectronique.Aufond,ilétaitcontentdelesavoirlaisséséquiperlavoiture.

À 1 h 30, Steve sortit du périphérique de West Side sur la Cinquante-septième rue. À deux heures moins vingt, il était garé face à la cabinetéléphonique devant Bloomingdale. À deux heures moins dix, il sortit de lavoitureet,insoucieuxdel’humiditéetduventglacé,ilattenditdanslacabine.

À 2 heures précises, le téléphone sonna. Le même murmure rauque luiindiquade se rendre immédiatementau téléphonepublicdans laQuatre-vingt-seizièmerueaucoindel’avenueLexington.

À2h15,cederniertéléphonesonna.Stevereçutl’ordredetraverserlepontde Triborough, de prendre l’autoroute de Grand Central vers la sortie dupériphérique de Brooklyn Queens. Il prendrait ensuite le périphérique deBrooklynQueensjusqu’àRooseveltAvenue,tourneraitàgaucheaupremierblocet se garerait immédiatement. Il devait éteindre ses phares et attendre.«N’oubliezpasl’argent.Soyezseul.»

Fiévreusement, Steve griffonna et répéta les instructions. Le ravisseurraccrocha.

À2h35, ilsortaitduBrooklynQueenssurRooseveltAvenue.Unegrosselimousineétaitgaréeaumilieudupâtédemaisons,del’autrecôtédelarue.Enla dépassant, il tourna légèrement le volant, espérant que les caméras cachéespourraientreleverlamarqueetlenumérod’immatriculation;puisils’arrêtalelongdutrottoiretattendit.

Larueétaitsombre.Desbarresetdeschaînesprotégeaientlesportesetlesfenêtres des vieux magasins miteux ; la voie ferrée aérienne masquait les

lumièresdelarue;laneigeobstruaitlerestedevisibilité.L’émetteurpermettait-il auxagentsduF.B.I.de suivre sa trace?Et s’ilne

fonctionnait plus ? Il n’avait remarqué aucune voiture derrière lui. Il est vraiqu’ilsavaientditqu’ilsnevoulaientpasrestertropprès.

Uncoupheurtalaporteduconducteur.Stevetournalatête,labouchesèche.Unemaingantéeluifaisaitsignedebaisserlavitre.Iltournalaclédecontact,appuyasurleboutondelaglaceélectrique.

«Nemeregardezpas,Peterson.»Mais ilavaiteu le tempsd’entrevoirunpardessus marron, une tête masquée d’un bas. Quelque chose atterrit sur sesgenoux,unesortedegrossacdetoile–unsacdemarin.Ilsentitunpincementau creux de son estomac.L’homme n’avait pas l’intention de lui demander lavaliseavecl’émetteur.C’étaitcertain.

« Ouvrez la valise et mettez l’argent dans le sac. Vite. » Steve essaya degagnerdutemps.«Commentsaurai-jesivousmerenverrezNeiletSharonsainsetsaufs?

—Remplissezlesac!»Unenoteaiguëperçaitdanslavoix.L’hommeétaitterriblementnerveux.S’ils’affolaitets’échappaitavecl’argent,ilétaitcapabledetuerNeiletSharon.Stevepritàtâtonslespaquetsdebilletsdanslavaliseetlesenfournadanslesac.«Fermez-le.»

Il tirasur lescordons,serra, fitunnœud.«Passez-le-moi.Nemeregardezpas. » Il regarda droit devant lui. « Et mon fils, et Sharon ? » Deux mainsgantées entrèrentpar la fenêtre, se saisirentdu sac.Lesgants. Il essayade lesdétailler.Raides,imitationbonmarchéducuir,grisanthraciteoumarronfoncé.Grandetaille.Leborddupardessusétaitélimé;desboutsdefilsdépassaient.

«Vous regardez,Peterson. »Lavoix du ravisseur était précipitée, presquetremblante. « Ne partez pas d’ici avant un quart d’heure. Souvenez-vous, unquartd’heure.Sijenesuispassuivietsil’argentestaucomplet,voussaurezoùretrouvervotrefilsetSharonà11h30,cematin.»

11h30.Laminuteexactedel’exécutiondeRonaldThompson.«Avez-vousquelquechoseàvoiraveclamortdemafemme?»explosaSteve.

Il n’y eut pasde réponse. Il attendit, tourna la têteprudemment.L’hommeavaitfilé.Del’autrecôtédelarue,unevoituredémarrait.

Samontremarquait2h38.Le rendez-vousn’avaitpasduré troisminutes.Était-il surveillé ?Y avait-il un observateur sur le toit d’un immeuble, prêt àsignalers’ilbougeait?Maintenant,leF.B.I.nepouvaitplusrepéreroùallaitlavalise.Ets’ilpartaitplustôt?

Non.

À2h53,Stevefitdemi-touretpritladirectiondeManhattan.À3h10,ilétaitauquartiergénéralduF.B.I.aucoinde laSoixante-neuvièmerueetde laTroisièmeavenue.Desagentsauvisagesévèreseprécipitèrentsursavoitureetsemirentàdémonterlesphares.C’estunHughauregardsombrequiécoutalesexplications de Steve tandis qu’ils montaient au douzième étage. Là, on luiprésenta un homme aux cheveux blancs de neige, dont les lunettes noires nedissimulaientpasl’airpatientetintelligent.

«Johnaétudié lescassettes,expliquaHugh.Vulaqualitéde lavoixetuncertainécho,ilconclutqueSharonetNeilsetrouventdansunepiècefroideetàpeuprèsvide,d’environtroismètressursept.Cepeutêtrelesous-sold’unegaredemarchandises;ilyaunbruitsourdetcontinudetrainsquientrentetsortentpastrèsloin.»

Steveétaitmédusé.« Je serai en mesure d’être beaucoup plus précis un peu plus tard, dit

l’aveugle. Il n’y a pas de mystère à cela. Il suffit d’écouter avec la mêmeintensitéquevousmettezàétudierunspécimensousunmicroscope.»

Une pièce froide, presque vide. Une gare de marchandises. Steve jeta unregard accusateur vers Hugh. « Et que devient votre théorie selon laquelleSharonaputoutmanigancer?

—Jen’ensaisrien,avouasimplementHugh.—MonsieurPeterson,àproposde ladernièrevoixsur lacassette» ;John

Owenssemblaithésiter,«est-cequeparhasard le françaisauraitété la languematernelledevotrefemme,aulieudel’anglais?

—Non.Sûrementpas.ElleaétéélevéeàPhiladelphieavantd’allerdansunpensionnatàl’âgededixans.Pourquoi?

—Ilyaune intonationdanscettevoixquipourunexpert laisse supposerquel’anglaisn’estpassalanguematernelle.

—Uninstant!Ninam’avaitditqu’elleavaiteuunegouvernantefrançaiseetque,petitefille,elles’exprimaitenfaitmieuxenfrançaisqu’enanglais.

—C’estbiencequejedisais.Donc,ilnes’agitnid’uneimposture,nid’uneimitation.Vousaviezraisonenidentifiantlavoixdevotrefemme.

— Bon. Je me suis trompé sur ce point, dit Hugh. Mais John dit que ladernièrevoixa sûrementété rajoutéeà lacassetteaprès l’enregistrementde lavoixdeNeiletdeSharon.Réfléchissez,monsieurPeterson.Celuiquiacombinécetteaffaireensaitbeaucoupsurvotreviepersonnelle.N’avez-vousjamaisétéàune soirée, chez des gens qui faisaient du cinéma d’amateur, et où quelqu’unaurait pu enregistrer les paroles de votre femme et en extraire ces quelques

mots?»Steveavaitdumalàsesouvenir…ilfronçalessourcils.«Leclubdegolf.

Quandonl’avaitrénovéetredécoréilyaquatreans,ilsavaientfaitunfilmpourune fête de charité. Nina était la narratrice, elle passait d’une pièce à l’autre,expliquantcequiavaitétéréalisé.

—Enfin,nousavançonsmaintenant,ditHugh.Pourrait-elleavoirutilisécesmots-làdanslecontextedecefilm?

—C’estpossible.»Le téléphone sonna. Hugh s’en empara, se nomma, écouta avec attention.

«Bon.Branchez-vouslà-dessus!»Ilraccrochabrusquement;ilavaitleregardd’un chasseur sur une nouvelle piste. « Les choses commencent à s’éclaircir,monsieurPeterson,dit-il.Vousavezprisunephototrèsnettedelavoitureetdesaplaqued’immatriculation.Nouslafaisonsrechercher.»

Lepremierfaibleespoirqu’onluioffrait!Alors,pourquoicenœuddanssagorgequil’étouffaittoujours?C’étaittropfacile,ilavaitunpressentiment;çanemarcheraitpas.

JohnOwenstenditlamaindansladirectiondelavoixdeSteve.«MonsieurPeterson,justeunequestion.J’ail’impressionque,s’ils’agitvraimentdevotrefemmesurlacassette,elleparletoutenouvrantuneporte.Connaîtriez-vous,parhasard, une porte qui ferait un léger grincement en s’ouvrant, un peu comme«eerkkk»Sonimitationd’ungondrouilléétaitétonnante.

Hugh et Steve se regardèrent. C’est une plaisanterie, pensa Steve hébété.C’estunefarce,ilestdéjàtroptardpourtoutlemonde.

Hughréponditpourlui.«Oui,John,dit-il.C’estexactementlebruitquefaitlaportedelacuisinedeM.Petersonquandonl’ouvre.»

35

Arty quitta le bar duMill Tavern ; une inquiétude sourde le tenait en étatd’alerte, dissipant l’extraordinaire impression d’infaillibilité qu’il ressentaitjusqu’alors.

IlavaitespérérencontrerBillLuftsdanslebar;iln’auraiteuaucunmalàlefaireparler.Oh!lepetitestparti?Oùest-ilallé?CommentvaM.Peterson?Est-ilrestéseul?

Il avait supposé que Peterson ne révélerait pas aux Lufts l’enlèvement deNeil et de Sharon ; il avait supposé que Peterson savait que les Lufts étaientincapablesdetenirleurlangue.

Donc,siBilln’étaitpas là,celavoulaitdirequePetersonavaitprévenulesflics–non,paslesflics,leF.B.I.

Le type qui s’était fait appeler PeteLerner, celui qui avait posé toutes cesquestions,c’étaitunagentduF.B.I.,Artyl’auraitjuré.

IlengagealaCoccinellevertsombresurl’autorouteMerrittsud.L’angoisseinondaitsonfront,sesaissellesetsesmainsdesueur.

Douze années s’éclipsèrent.On le cuisinait au quartier général du F.B.I. àManhattan.«Alors,Arty,levendeurdejournauxt’avupartiraveclagosse.Oùl’as-tuemmenée?

— Je l’aimise dans un taxi. Elle disait qu’elle avait rendez-vous avec untype.

—Queltype?—Commentvoulez-vousquejelesache?Jeluiportaissonsac,c’esttout.»Ils ne pouvaient rien prouver. Mais ils cherchaient. Bon Dieu, ça oui, ils

cherchaient.«Etlesautresfilles,Arty?Regardeunpeucesphotos.Tutraînestoujours

autourde lagare routièremunicipale.Decombiend’entreellesas-tuporté lessacs?

—Jenecomprendspascequevousvoulezdire.»Ilsallaientdécouvrirlavérité.Çadevenaitdangereux.C’estalorsqu’ilavaitquittéNewYork,s’étaitinstallédansleConnecticut,et

avaittrouvéuneplaceàlastation-service.Et,ilyasixans,ilavaitprislegarageàCarley.

L’Arizona.C’étaitunebellegaffe.Pourquoiavoirdit:«RhodeIsland,c’estpasl’Arizona?»LetypequisefaisaitappelerPeteLernernel’avaitsansdoutepasremarquémaisc’étaitquandmêmeunegaffe.

Ilsn’avaientriensurlui,àmoinsqu’ilsnesemettentàfouillerdanslepassé,à moins qu’ils ne remontent au temps où ils le questionnaient sur la fille duTexas. « Venez chez moi au Village, lui avait-il proposé. J’ai des tas d’amisartistesquivousprendrontcommemodèle.»

Mais ils n’avaient trouvé aucune preuve, pas plus qu’ils n’en avaientaujourd’hui.Rien.Iln’yavaiteuaucunfauxpas.Ilenétaitsûr.

«C’estlàquevoushabitez,avait-elledemandé,danscetrou?»L’autoroutedel’HutchinsonRiversuccédaitàl’autoroutedeMerritt.Ilsuivit

lespanneauxquiindiquaientlepontdeThrogsNeck.Ilavaitunplaningénieux.C’était dangereux de voler une voiture. Il y a toujours un risque que lepropriétairerevienneauboutdedixminutes:quelesflicssoientprévenusavantquevousn’ayezparcouruvingtkilomètres.Onnedevaitvolerunevoiturequ’enétant certain que le propriétaire ne soit pas dans les parages – qu’il est aucinéma,parexemple,devantunvieuxfilmdesannéesquarante,ouqu’ilaitprisl’avion.

Les signaux avertisseurs clignotaient sur le pont deThrogsNeck.Verglas.Vent.Mais tout allait bien. Il était bon conducteur et cette nuit les trouillardsétaientrestéschezeux.Cequiluifaciliteraitleschosesplustard.

À11h20,ilentraitdansleparkingnumérocinqdel’aéroportdeLaGuardia,celuiquiadestarifsspéciauxpourlesstationnementsdelonguedurée.

Ilpritunticketaudistributeur;labarrièreselevaetilparcourutlentementleparking,prenantsoinderesterhorsdevueducaissierquiétaitàlasortie,prèsdupéageautomatique. Il trouvauneplacedans l’alléenuméroneuf, entreuneChrysleretuneCadillac,derrièreuneOldsmobile.Aumilieu,laCoccinelleétaittoutepetiteetbiendissimulée.

Ils’appuyacontreledossierdusiègeetattendit.Quaranteminutespassèrent.Deuxvoitures entrèrent dans le parking, l’uned’un rouge éclatant, l’autre unecamionnettejaune.Toutesdeuxtropfacilesàrepérer.Ilfutheureuxdelesvoirignorerlesplacesvidesàcôtédeluietallersegarerplusloindansladernièrealléeàgauche.

Une autre voiture entrait lentement. Une Pontiac bleu sombre qui se garatrois rangs devant lui.Les phares s’éteignirent. Il regarda le conducteur sortir,faire le tourde lavoitureet retirerunegrossevaliseducoffre.Ce typepartaitpourunbonmoment.

AffalédanslaVolkswagen,lesommetdesoncrâneàhauteurdupare-brise,il épia l’hommeet levit claquer le coffre, soulever savaliseet sedirigerversl’arrêtdelanavetteleplusprochequil’emmèneraitàl’aérogare.

La navette arriva quelquesminutes plus tard.Renard observa la silhouettequigrimpaitdanslevéhicule.Lanavettes’éloigna.

Lentement, calmement, il sortit de la Coccinelle et regarda autour de lui.Aucunelueurdephares.Enquelquespasrapides,ilfutàcôtédelaPontiac.Lasecondedesclésqu’ilessayaouvritlaporte.Ilmontadanslavoiture.

Il y faisait confortablement chaud. Il mit le contact. Le moteur tournapresquesansbruit;leréservoirétaitauxtroisquartsplein.

Parfait.Iln’avaitplusqu’àattendre.Legardienseméfieraits’ilencaissaitunticket

demoinsdedeuxheuresdestationnementdansceparking.Maisilavaittoutsontempsetilvoulaitpenser.Ils’enfonçadanslesiège,fermalesyeuxetl’imagedeNinaflottadevantlui:illarevoyaittellequ’elleétaitlepremiersoiroùill’avaitrencontrée.

Ilrôdaitsurlesroutes,conscientqu’iln’auraitpasdûêtredehors,qu’ilétaittroptôtaprèsJeanCarfollietMmeWeiss,maisincapablederesterchezlui.Etill’avait vue. La Karmann Ghia était rangée sur le côté de la route 7 dans unendroit calme, solitaire. Il prit la petite silhouettemince dans ses phares. Lescheveux noirs. Les mains menues qui se débattaient avec le cric. Les grandsyeux marron effrayés en le voyant s’approcher lentement et se garer. Elle serappelait sansdoute toutceque l’on racontait sur lesmeurtresde l’hommedel’autoroute.

«Est-cequejepeuxvousaider,madame?C’estpasfacilepourvous,maisc’estmonboulot.Jesuisgaragiste…»

L’inquiétudeavaitdisparuduregard.«Oh!formidable!…avait-elledit.Jenevouscacheraipasquej’étaisunpeuanxieuse…cen’estpasunendroitpourcrever.»

Ilneluiavaitpasjetéunseulregard;ilnes’étaitoccupéquedelavoiture,comme si elle n’existait pas, comme si elle avait neuf cents ans. «Vous avezattrapéunmorceaudeverre,c’estpasgrave.»Rapidement,sanseffort,ilavaitchangé le pneu.Moins de troisminutes. Aucune voiture dans les environs. Ils’étaitrelevé.

« Combien vous dois-je ? » Son portefeuille ouvert, son cou penché. Sapoitrine qui se soulevait et s’abaissait sous lemanteau de daim.De la classe.Quelquechoseenelleledisait.PasunepetiteeffarouchéecommeJeanCarfolli,

pasunevieillesorcièreoutragéecommeWeiss,justeunebellejeunefemmequiluiétaittrèsreconnaissante.Ilavaittendulamainpourtouchersapoitrine.

La lumière avait d’abord gagné l’arbre de l’autre côté de la route, elleoscillait, les éclairait tous les deux. Une voiture de police. Il apercevait legyrophare.«C’esttroisdollarspourchangerlaroue,avait-ilprononcétrèsvite.Et jepeuxvousréparer lepneucrevé,sivousvoulez.»Ilavait remissamaindanssapoche.«Jem’appelleArtyTaggert,j’aiungarageàCarley,rueMonroe,àenvirondeuxkilomètresdubarduMillTavern.»

La voiture de flics s’avançait, s’approchait d’eux.L’officier de police étaitdescendu.«Toutvabien,madame?»Le regardqu’il lançaitàArtyétait trèsbizarre,trèssoupçonneux.

«Oh!trèsbien,monsieurl’agent!C’estunechance.M.Taggerthabitenonloindechezmoietilpassaitjusteaumomentoùj’aicrevé.»

Elle faisait commesi elle le connaissait.Le coupdepot !L’expressiondupolicieravaitchangé.«C’estheureuxpourvousd’être tombéesurunami.Cen’estpastrèssûrpourunefemmeseuledansunevoitureenpanne,cestemps-ci…»

Le flic était remonté dans la voiture de patrouille, mais continuait de lesobserver. « Pouvez-vous réparermon pneu ? avait-elle demandé. Je suisNinaPeterson.NoushabitonsDriftwoodLane.

—Bien sûr.Avecplaisir. » Il étaitmontédans savoiture, indifférent, l’airnaturel,commes’ilnes’agissaitqued’unepetiteréparationsansimportance,nedévoilantpasqu’ildevaitlarevoir.Illisaitdanssonregardqu’elleétaitdésoléedel’arrivéeintempestiveduflic.Maisilfallaitficherlecampavantquecelui-cise mette à penser à Jean Carfolli et à Mme Weiss, avant qu’il ne demande :«C’estdansvoshabitudesdevenirenaideauxfemmesseules,monsieur?»

Aussis’était-iléloignérapidement,etlelendemainmatin,aumomentmêmeoùilsongeaitàl’appeler,elleavaittéléphoné.«Monmarivientdemepasserunsavonparcequejerouleaveclarouedesecours»,avait-elledit,etsavoixétaitchaude,amicaleetamusée,commes’ilspartageaientuneplaisanterie.«Quandpuis-jerécupérermonpneu?»

Il avait réfléchi très vite. Driftwood Lane était un endroit tranquille ; lesmaisonsétaientéloignéeslesunesdesautres.Siellevenaitchezlui, iln’auraitaucunmoyendesemontreraffectueuxavecelle.Ceseraittropdangereux.

« Je dois justement sortir pour mon travail, avait-il menti. Je vousl’apporteraienfind’après-midi,vers17heures.»

Ilcommençaitàfairenoirvers5heures.

«Formidable,avait-elledit,ilfautjustequecefichumachinsoitremissurlavoitureavantquejen’aillecherchermonmariautrainde18h30.»

Ilétaitdansuntelétatd’excitationcejour-làqu’ilpouvaitàpeinepenser.Ilétaitsortisefairecouperlescheveux,acheterunenouvellechemiseàcarreaux.Deretourchezlui,iln’avaitpaseuenviedetravailler.Ils’étaitdouché,habillé,etavaitécoutéquelques-unesdesescassettesenattendant.Ensuite,ilavaitplacéunecassetteviergedanslemagnétophonequ’ilavaitétiquetée«Nina».Ilavaitvérifiéquesonappareilphotoétaitchargé,seréjouissaitàl’avanceduplaisirdedévelopperlesphotos,deregarderlesimagesseformersurlesépreuves.

À17h05,ilétaitpartipourDriftwoodLane.Ilavaitrouléunmomentdansla rueavantdesedécideràstationnerdans lesboisprèsde lamaison.Aucasoù…

Ilavaitmarchédans lesbois,prèsdurivage. Il sesouvenaitduclapotisdel’eausurlaplage,unbruitamicalquil’emplissaitd’uneémotionbrûlante,mêmeparcettenuitfroide.

LavoituredeNinaétaitgaréedansl’alléederrièrelamaison;lesclésétaientsur le contact. Il voyait la jeune femme par la fenêtre de la cuisine ; elle sedéplaçait,défaisaitlespaquetsdeprovisions.Onavaitretiréleglobedelalampeetlapièceétaittrèséclairée.EtNinaétaitsibelleavecsonchandailbleupâlesursonpantalon et cette écharpe nouée autour du cou. Il avait changé le pneu auplusvite,guettantd’unœillaprésenced’uneautrepersonnedanslamaison.Ilsavait qu’il allait faire l’amour avec elle et que, secrètement, elle aussi avaitenviede lui.Laseulefaçondontelleavait insinuéquesonmaris’étaitmisencolère contre elle montrait qu’elle avait besoin d’un homme compréhensif. Ilavait faitmarcher lemagnétophoneetcommencéàychuchotersesplanspourrendreNinaheureuseunefoisqu’illuiauraitdévoilésessentiments.

Il s’était dirigé vers la porte de la cuisine et avait frappé doucement. Elles’étaitavancéerapidement,avaiteul’airétonné,maisilluiavaittendulesclés,souriantàtraverslecarreau.Elleluiavaitaussitôtouvertlaporte,chaleureuseetamicale, la voix enveloppante, l’invitant à entrer, lui disant combien il étaitaimable.

Ensuite,elleluiavaitdemandécequ’elleluidevait.Ilavaittendulamain–il avait sesgantsbien sûr–et éteint la lumièrede lacuisine. Il avaitposé sesmainssursonvisageetl’avaitembrassée.

«Payez-moicommeça»,avait-ilmurmuré.Ellel’avaitgiflé.Unegifleétourdissante,incroyablementfortevenantd’une

si petitemain. « Sortez d’ici », avait-elle dit, crachant sesmots comme à un

chien,commes’ilnes’étaitpasfaitbeaupourelle,commes’ilneluiavaitpasfaitunefaveur.

Ilavaitvurouge.Commelesautresfois.C’était toujours lamêmeréactionquandonlerejetait.Ellen’avaitqu’àpasl’aguichercommeça.Ilavaittendulesmains,avecledésirdeluifairemal,deluiarrachersaméchanceté.Ilavaitvoulusaisirsonécharpe.Maiselles’étaitéchappée,s’étaitmiseàcourirverslesalon.Elle ne proférait pas un seul son, elle n’appelait pas à l’aide. Il avait comprispourquoipar la suite.Ellenevoulait pasqu’il sacheque l’enfant était dans lamaison.Maiselleavaittentédeprendreletisonnierdanslacheminée.

Çal’avaitfaitrire.Illuiavaitparlétoutbas,luiexpliquanttoutcequ’ilallaitfaire.Etprenantsesdeuxmainsdanslessiennes,ilavaitremisletisonnieràsaplace.Puisils’étaitemparédesonécharpeetill’avaittordueautourdesoncou,tordue…tandisqu’ellegargouillait,s’étouffait,quesesmains,commedesmainsde poupées, s’agitaient, retombaient, devenaient toutes molles, tandis que sesgrandsyeuxmarrons’élargissaient,vitreux,accusateurs,quesonvisagetournaitaubleu.

Legargouillements’étaitarrêté.Laretenantd’unemain,ilprenaitunephoto,souhaitantvoirsesyeuxseclore,quandderrièreluilegargouillement,lebruitderâle,avaitrecommencé.

Ilavaitpivotésurlui-même.Legosseétaitdansl’entrée,lefixantduregardbrûlant de ses immenses yeux marron. Il suffoquait, exactement comme elleavaitsuffoqué.

Commes’ilnel’avaitpastuée;commesielleétaitentréedanslecorpsdugarçonetqu’elleallaitlepunir,seraillantdelui,promettantdesevenger.

Il s’était avancévers le gosse. Il allait lui faire arrêter ce bruit, fermer cesyeux.Lesmainstendues,ilsepenchait…

Onavaitsonné.Il fallait déguerpir. Il avait franchi l’entrée d’un bond, s’était rué dans la

cuisine,glisséparlaportedederrière.Lasonnettecarillonnaitunesecondefois.Traverserlesbois,sauterdanssavoiture,seretrouverdanssongarageluiavaitàpeine pris quelquesminutes.Calme.Rester calme. Il était allé au bar duMillTavernprendreunhamburgeretunebière,etc’estlàqu’ilsetrouvaitlorsquelesnouvellesdumeurtreserépandirentdanslaville.

Mais ilavaitpeur.Si lepolicierreconnaissaitNinasur laphotodujournal,s’il disait au poste : « Bizarre, je l’ai vue sur la route la nuit dernière, undénomméTaggertluiréparaitsavoiture…»

Ilavaitdécidédequitterlaville.Maisenfaisantsesvalises,ilavaitentendu

auxinformationsqu’untémoin,unevoisine,avaitétérenverséeparuntypequis’échappait de chez les Peterson, qu’elle l’avait formellement reconnu commeétantRonaldThompson,unjeunegarçondelarégion,âgédedix-septansetquel’onavaitvuThompsonparleràMmePetersonquelquesheuresavantlecrime.

Artyavaitmisl’appareilphoto,lemagnétophone,lesnégatifs,lefilmetlescassettesdansuneboîteenmétalqu’ilavaitenterréesousunbuissonderrièrelegarage.Quelquechoseluidisaitd’attendre.

Ensuite,onavaitprisThompsondanscemotelenVirginie,etlegossel’avaitidentifié.

Lachance,l’incroyablechance.Lesalonétaitsombre.Legossen’avaitsansdoutepasbienvusonvisageetThompsonétaitentrétoutdesuiteaprèsdanslamaison.

Pourtant il avait voulu s’attaquer augosse ; il s’était approchéde lui.Neilavaitdûperdreconnaissance.Etsiunjourilsesouvenait.

Cette pensée hantait les rêves d’Arty. Les yeux le suivaient dans ses nuitsagitées.Ils’éveillaitparfoisaumilieudelanuit,ensueur,tremblant,imaginantquelesyeuxleregardaientparlafenêtredelachambreouqueleventfaisaitlemêmebruitdegargouillis.

Iln’avaitpluscherchélesfillesaprèsça.Plusdutout.Ilsebornaitàalleraubar du Mill Tavern presque tous les soirs et s’était lié avec les habitués,spécialementavecBillLufts.BillparlaitbeaucoupdeNeil.

Jusqu’aumoisdernier ; jusqu’aumomentoù il avait senti qu’il nepouvaitpass’empêcherdedéterrersescassettesetdelesécouterdenouveau.

Cettenuit-là,sursonradio-téléphone, ilavaitentendulafilleCallahandirequ’elleavaitunpneuéclaté,et il étaitalléà sa rencontre.Deuxsemainesplustard,ilavaitrecommencéenentendantMmeAmbrosedirequ’elleétaitperdueetqu’ellen’avaitpresqueplusd’essence.

La police de Fairfield County était encore une fois sur les dents, à larecherched’un typeque l’onappelait le«Tueurduradio-téléphone».Tun’aslaisséaucunetrace,serassurait-il.

Maisaprèscesdeux-là,ilrêvaitchaquenuitdeNina.Ellel’accusait.Etilyadeux semaines, Bill était venu chez lui avec le petit Neil dans le break. NeildévisageaitArty.

C’estcejour-làqu’ilavaitsuqu’ildevaittuerNeilavantdequitterCarley.EtquandLuftss’étaitmisàraconterl’histoireduplacementqueSteveavaitfaitaunom du gosse – sa femme avait vu le relevé de compte sur le bureau dePeterson –, il avait également su comment trouver l’argent qui lui était

nécessaire.PlusilpensaitàNina,plusilhaïssaitPeterson.Petersonavaitpulatoucher

sansêtregiflé;Petersonétaituncrackdanslejournalisme;Petersonavaitdesgens sous ses ordres ; Peterson avait une nouvelle petite amie. Il allait luiapprendre.

LapièceenbasdeGrandCentralStationétaittoujoursrestéedansuncoindesa conscience.Un endroit pour se cacher si jamais il en avait besoin, oupouremmenerunefille,làoùpersonnenepourraitlaretrouver.

Il imaginait souvent qu’il faisait sauter Grand Central quand il travaillaitdans cette pièce. Il imaginait les gens effrayés, affolés, quand la bombeexploserait,quandilssentiraientlesols’ouvrirsouseux,leplafonds’effondrer;touscesgensquil’ignoraientquandiltentaitdesemontreramical,touscesgensquine lui souriaient jamais, qui lebousculaient, quine le remarquaientmêmepas,etquisejetaientsurleursassiettesqu’Artydevaitensuitenettoyer,pleinesdegraisse,decoquilles,desauce,detracesdebeurre.

Et tout était arrivé en même temps. Le plan. Le plan d’August RommelTaggert.Unplanderenard.

Si seulement Sharon ne devait pasmourir ; si seulement elle l’avait aimé.MaisenArizona,lesfillesseraientaffectueuses.Ilallaitavoirtellementd’argent.

C’étaitunebonneidéedefairemourirSharonetNeilàlaminutemêmeoùserait exécuté le jeune Thompson. Car il les exécutait aussi, et Thompsonméritaitdemourirpours’êtreimmiscédanscettenuit-là.

EttouscesgensàGrandCentral–souslestonnesdedécombresquiallaients’écroulersureux!Ilssauraientcequec’estqued’êtreprisaupiège.

Etluiseraitlibre.Bientôt.Bientôttoutseraitfini.Arty fit une grimace en constatant le temps qui s’était écoulé. C’était

toujourscommeçaquandilsemettaitàpenseràNina.Ilétaitl’heured’yaller.Il fitdémarrer laPontiac.Àdeuxheuresmoins lequart, il seprésentaitau

péage et tendait le ticket qu’il avait pris à l’entrée pour sa Volkswagen. Lereceveur avait l’air endormi. « Deux heures et vingt minutes – ça fait deuxdollars,monsieur.»

Il sortit de l’aéroport et s’arrêta dans une cabine téléphonique surQueensBoulevard. À 2 heures exactement, il appelait la cabine en face deBloomingdale.DèsquePetersonrépondit,illuiindiqualetéléphonepublicsurlaQuatre-vingt-seizièmerue.

Ilavaitfaimetilluirestaitquinzeminutes.

Dansunsnackouvertjouretnuit,ilavalauncaféetdestoasts,l’œilrivésurl’horloge.

À2h15, il appelait la cabinede laQuatre-vingt-seizième rue et indiquaitbrièvementàStevel’endroitdurendez-vous.

Làcommençaitlapartielaplusdangereuse.À 2 h 25, il roulait vers Roosevelt Avenue. Les rues étaient à peu près

désertes.Iln’yavaitpasl’ombred’unevoituredepolicebanalisée.Ils’enseraitaperçu;ilétaitpassémaîtredansl’artderôdersansavoirl’airsuspect.

Lasemainedernière,ilavaitchoisiRooseveltAvenuepourlerendez-vous.Ilavait calculé le temps nécessaire pour retourner ensuite à l’aéroport deLaGuardia.Exactementsixminutes.Aucasoù lesflicssuivraientPeterson,çaluilaissaitdebonneschancesdelessemer.

Les pylônes de la voie ferrée aérienne qui longeaient Roosevelt Avenuebouchaientenpartielavueetondistinguaitmalcequisepassaitdel’autrecôtédelarueouauboutdupâtédemaisons.C’étaitl’endroitidéalpourunrendez-vous.

À 2 h 35 pile, il se garait sur Roosevelt Avenue, face au périphérique deBrooklynQueens,àmoinsd’undemi-blocdelavoied’accès.

À2h36, il apercevait les pharesd’unevoiturevenant dupériphériquedeBrooklynQueens,endirectionopposée.Ilenfilalebassursafigure.

C’étaitlaMercurydePeterson.L’instantd’uneseconde,ilcrutquePetersonallait luirentrerdedans, lavoiturefaisaituneembardéeverslui.Àmoinsqu’ilneprenneunephotodelaPontiac?Çaleurferaitunebellejambe.

LavoituredePetersons’arrêtajusteenface,del’autrecôtédelarue.Ilavalanerveusement sa salive. Mais plus une seule lueur de phares ne venait dupériphérique.Ildevaitagirvite.Ils’emparadusacdemarin.Ilavaitludansdesmagazinesd’électroniquequepour lespaiementsde rançon, lesvalisesétaientsouventmuniesd’unémetteur.Ilnedevaitprendreaucunrisque.Lecontactdusacdetoile,léger,vide,prêtàêtrerempli,étaitrassurant.Ilouvritlaportedelavoitureettraversalaruesansbruit.Ilavaitbesoindesoixantesecondesàpeine,etilenauraitterminé.IlfrappaàlafenêtredelavoituredePeterson,luifitsigned’ouvrir. Pendant que la glace s’abaissait, il jeta un coup d’œil rapide àl’intérieur.Petersonétaitseul.Illuipassalesac.

Les pâles lumières de la rue projetaient les ombres des pylônes sur laMercury.Delavoixrauqueetbassequ’ils’étaitentraînéàprendre,ilordonnaàPetersondenepasleregarder,demettrel’argentdanslesac.

Petersonnediscutapas.Derrièresacagoule,Renardsurveillaitdesyeuxles

alentours,l’oreilletendue.Riennesignalaitlaprésencedequelqu’un.Lesflicsdevaient suivre Peterson, mais ils voulaient probablement s’assurer que lerendez-vousavaitbienlieu.

Il regarda Peterson introduire le dernier paquet de billets dans le sac, luiordonnadelefermeretdelepasserparlafenêtre.Illesoupesaavidement.Sansoublierdeparleràvoixtrèsbasse,ilprévintPetersond’attendrequinzeminutesetluiditqu’ilpourraitrécupérerSharonetNeilà11h30.

«Avez-vousquelquechoseàvoiraveclamortdemafemme?»La question fit sursauter Renard. Jusqu’à quel point commençait-on à le

soupçonner ? Il fallait qu’il s’en aille. Il transpirait, des grosses gouttes quitrempaient soncostumesous lepardessus, lui réchauffaient laplantedespiedsmalgréleventâcreetglacésurseschevilles.

Iltraversalarue,remontadanslaPontiac.Petersonoserait-illesuivre?Non.Ilrestaitsansbouger,danslavoituresombreetsilencieuse.Renard appuya sur l’accélérateur, s’élança sur la voie d’accès du

périphériquedeBrooklynQueens,mitdeuxminutespour atteindre l’autoroutedeGrandCentral,semêlaaupeudevoituresquiroulaientversl’estetsortittroisminutesplustardàl’aéroportdeLaGuardia.

À2h46,ilprenaitunticketàl’entréeduparkingnumérocinq.Quatre-vingt-dix secondesplus tard, laPontiacétaitgaréeà l’endroit exact

oùill’avaitprise;laseuledifférenceperceptibleétaitunpeumoinsd’essenceetvingt-quatrekilomètresdeplusaucompteur.

Il sortit de la voiture, la ferma soigneusement, et porta le sac dans laCoccinelle.SonpremiersoupirdesoulagementluiéchappaunefoisinstallédanslaVolkswagen,quandils’attaquaàlacordedusac.

Il parvint enfin à la desserrer, dirigea le faisceau de sa lampe de poche àl’intérieurdusac.Unsouriresinistreerrasurseslèvres.Ilpritlepremierpaquetdebilletsetcommençaàcompter.

L’argent était au complet. Quatre-vingt-deuxmille dollars. Il prit la valisevide sur le siège arrière et semit ày rangerun àun lespaquets.C’était cettevalisequ’ilemmèneraitenbagageàmaindansl’avion.

À 7 heures, il sortit du parking, se mêla au flot matinal des voitures debanlieue qui entraient dansManhattan, gara laVolkswagen dans le garage duBiltmore et monta en hâte dans sa chambre. Il prit une douche, se rasa etcommandaunpetitdéjeuner.

36

À4heures dumatin, il était clair que leur seule piste, à savoir le numérod’immatriculationdelavoitureutiliséeparleravisseur,tournaitcourt.

Lapremièredéceptionfutd’apprendrequelavoitureétaitaunomdeHenryA.White, vice-président de laCompagnie internationale alimentaire deWhitePlains.

LesagentsduF.B.I. s’étaient renduschezWhiteàScarsdale, et ils avaientplacélapropriétésoussurveillance.MaislaPontiacn’étaitpasdanslegarageetla maison avait l’air complètement fermée. Pas une seule des fenêtres del’immensedemeuren’étaitouverte,et laseule lumièrequiperçaità travers lesrideauxtirésétaitprobablementcelled’uneminuterie.

Le gardien de sécurité de la Compagnie internationale alimentaire futcontacté.Ilappelalechefdupersonnel.Onjoignitàsontourlechefdeproduitsdu département deWhite. D’une voix endormie, celui-ci répondit queWhiterevenaitd’unséjourde trois semainesenSuisse,à leurquartiergénéral ;qu’ilavaitdînéavecdeuxdesescollaborateursaurestaurantPastoràWhitePlainsetqu’ilétaitdirectementparti rejoindresa femmepourquelques joursauxsportsd’hiver.ElleétaitàAspenouàSunValleyavecdesamis.

À 5 heures, Hugh et Steve partirent pour Carley. Hugh conduisait. Steveregardaitlaroutes’étirerlelongdeWeschester,approcherduConnecticut.Ilyavait très peu de voitures. La plupart des gens étaient couchés ; ils pouvaienttendrelamainversleurfemme,s’assurerqueleursenfantsétaientbiencouverts,quelesfenêtresnelaissaientpaspasserdecourantsd’air.SharonetNeilétaient-ilsdansunendroitfroid,pleindecourantsd’air,àl’heureprésente?

Pourquoiest-ceque jepenseàcela?s’étonna-t-il. Ilsesouvintvaguementd’avoir lu quelque part que les gens qui sont dépassés par les événementss’inquiètentd’aborddepetitsproblèmes.SharonetNeilétaient-ilsenvie?Voilàcedontilauraitdûs’inquiéter.Épargnez-les,monDieu,épargnez-les…

«Quefaites-vousdelaPontiacdanstoutça?demanda-t-ilàHugh.—Onvasansdoutedécouvrirque lavoituredeWhiteaétévolée làoù il

l’avaitlaissée,répliquaHugh.—Etqu’allons-nousfaireensuite?—Attendre.

—Attendrequoi?—Ilpeutlesrelâcher.Ill’apromis.Ilal’argent.— Il a si soigneusement camouflé ses traces. Il a pensé à tout. Vous ne

croyez tout de même pas qu’il va relâcher deux personnes susceptibles del’identifier,non?

—Non,admitHugh.—N’ya-t-ildoncriend’autreàfaire?—S’ilnetientpasparole,nousdevronsenvisagerdefaireéclaterl’affaire,

de la communiquer auxmédias.Quelqu’un peut avoir vu ou entendu quelquechose.

—EtRonaldThompson?—Ehbien?—Supposezqu’ildiselavérité.Supposezquenousnel’apprenionsqu’après

11h30.—Quevoulez-vousdire?—Jeveuxdire,avons-nousledroitderefuserlefaitqueNeiletSharonont

étéréellementkidnappés?— Je doute que cela affecte la décision du gouverneur concernant

Thompson.Absolumentrienneprouvequ’ils’agitd’unehistoired’otage,maissi Mme Greene pense que tel est le cas, elle n’en aura que plus envie d’enterminer avec cette exécution. On l’a déjà critiquée pour avoir accordé deuxdélaisd’exécutionàThompson.Cesgosses,enGéorgie,sontpasséssurlachaiseélectrique exactement à la minute prévue. Et il existe peut-être encore uneexplication très simplede la façondontRenard s’est arrangépourobtenir unebande ou une cassette avec la voix de votre femme…une explication qui n’arienàvoiravecsamort.»

Steve regardait devant lui. Ils traversaient Greenwich. Sharon l’avaitaccompagné à une soirée chez Brad Robertson à Greenwich pendant lesvacances.Elleportaitunejupedeveloursnoiretunevestedebrocart.Elleétaitravissante.Bradluiavaitdit :«Steve,sivousaviez lemoindresenscommun,vousvousaccrocheriezsérieusementàcettefille.»

«Lapubliciténerisque-t-ellepasd’affolerleravisseur?»Ilconnaissaitlaréponse.Mêmes’ildevaitposerlaquestion.

«Jepensequesi.»Lesinflexionsdelavoixd’Hughétaientdifférentes,pluscrispées.«Àquoisongez-vous,monsieurPeterson?»

La question. Nette. Directe. Steve sentit ses lèvres se dessécher. Ce n’estqu’unpressentiment,sedit-il.C’estprobablementsansrapport.Sijecommence

avec ça, je ne pourrai pas m’arrêter. Et cela peut coûter la vie de Neil et deSharon.

Livide,pitoyable,ilhésitaitcommeleplongeurdevantlesautquilejetteradansuncourantincontrôlable.IlpensaàRonaldThompsonauprocès,levisagejeune,effrayé,maisinflexible.«Cen’estpasmoi.Elleétaitmortequandjesuisentré.Demandezàl’enfant…»

« Qu’éprouveriez-vous si c’était votre seul enfant ? Qu’éprouveriez-vous…»

C’estmonseulenfant,madameThompson,pensa-t-il.Il se lança. « Hugh, vous souvenez-vous de ce que Bob Kurner a dit ; il

pensaitquelesmeurtresdecesquatrefemmesetceluideNinaétaientliés?—Jel’aientenduetjevousaidonnémonopinion.Ilseraccrocheàtoutce

qu’iltrouve.—EtsijevousdisaisqueKurnerpeutavoirraison,qu’ilexistepeut-êtreun

lienentrelamortdeNinaetlesautres?—Qu’est-cequevousracontez?—Rappelez-vous,Kurneraditquelaseulechosequ’ilnecomprenaitpas,

c’étaitquelesautresavaienteudesennuisdevoitureetpasNina;qu’elleavaitétéétrangléeàlamaison,pasquelquepartsurlaroute.

—Continuez.—Lanuitavantlemeurtre,undespneusdelavoituredeNinaavaitcrevé.

J’avaisuneréuniontardiveàNewYorketjenesuisrentréàlamaisonquebienaprèsminuit.Elledormait.Maislelendemainmatin,quandellem’aconduitàlagare,j’airemarquéqu’elleroulaitaveclarouedesecours…

—Continuez.— Rappelez-vous la copie laissée par Kurner. Thompson parlait d’une

plaisanterie avec Nina sur les malchances qui tournent à la chance et d’uneréflexion qu’elle a faite à propos des provisions qui rentraient toutes dans lecoffre.

—Quevoulez-vousdire?—Soncoffreétaitpetit.S’ilyavaitdelaplaceenplus,celanepeutsignifier

qu’unechose,larouedesecoursn’yétaitpas.Ilétait16heurespasséesetelledevaitrentrerdirectementàlamaison.Dorafaisaitleménagecejour-là,etelleaditqueNinaétaitarrivéepeuavant17heures.

—Donc,elleestrentréedirectementchezvousavecNeil?—Oui,etilestmontéjoueravecsestrains.Ninaadéchargélavoiture.Vous

souvenez-vousdetouscespaquetssurlatable?Noussavonsqu’elleestmorte

quelquesminutesaprès.J’aiétévoirsavoiturecettenuit-là.Larouedesecoursétaitdanslecoffre.Lebonpneuétaitsurlaroueavant.

—Vousvoulezdirequequelqu’unarapportélepneu,l’achangé,etensuiteatuéNina?

—Quandlepneuaurait-ilétéchangésicen’estàcemoment-là?Etsic’estlecas,Thompsonestinnocent.Ilpeutmêmeavoirfaitfuirletueurensonnantàlaporte.Pour l’amourduCiel,essayezdesavoir s’il sesouvientd’avoirvu lepneudanslecoffrequandilachargélesprovisions.J’auraisdûréaliserquecepneu pouvait être important quand je l’ai vérifié cette nuit-là. Mais je nesupportaispasl’idéequejem’étaismisencolèrecontreNinaladernièreminuteoùjel’avaisvue.»

Hughappuyaàfondsurl’accélérateur.Lecompteurmontaàcent,centdix,cent trente. La voiture crissa dans l’allée à l’instant où la première trace del’aubefendaitlenoirduciel.Hughseruasurletéléphone.Avantd’avoirôtésonmanteau, ilobtint laprisondeSomersetdemandaàparleraudirecteur :«…Non,jenequittepas.»IlsetournaversSteve:«Ledirecteurestrestétoutelanuit dans son bureau au cas où le gouverneur appellerait. Ils ont déjà rasé lescheveuxdugosse.

—BonDieu!—Mêmes’ilaffirmequelecoffreétaitvide,cen’estpasunepreuve.Tout

n’est encoreque supposition.Quelqu’unpeut très bien avoir rapporté le pneu,l’avoirchangéetêtrereparti.CelanetirepasThompsond’affaire.

—Nous croyons tous lesdeuxqueThompsonest innocent», ditSteve. Ilsongeaaveclassitude:jel’aitoujourssu.Aufonddemoi,jel’aitoujourssuetjenel’aijamaisadmis.

« Oui, j’écoute… » Hugh écouta. « Merci beaucoup. » Il raccrocha.« Thompson jure que la roue de secours n’était pas dans le coffre quand il achargélesprovisions.

—AppelezMme Greene, implora Steve. Dites-lui, suppliez-la de retarderl’exécution.Passez-la-moi,sic’estutile.»

Hugh composa le numéro du bureau du gouverneur. « Ce n’est pas unepreuve, répéta-t-il. C’est une chaîne de coïncidences. Je doute qu’elle ajournel’exécutionpourcela.QuandellesauraqueSharonetNeilontétéenlevés–etnous devons le lui dire –, elle sera convaincue que c’est une sorte d’ultimestratagème.»

On ne pouvait pas joindre Mme Greene. Elle avait soumis toutes lesdemandes de délai d’exécution à la décision de l’avocat général. Ce dernier

seraitàsonbureauà8heures.Non,onnepouvaitpascommuniquersonnuméropersonnel.

Il n’y avait plus rien d’autre à faire qu’à attendre.Steve etHugh restèrentsilencieuxdanslebureautandisqu’unefaiblelueurdélavéecommençaitàfiltrerpar la fenêtre. Steve essayait de prier, incapable de penser autre chose que :«MonDieu,ilssontsijeunes,sijeunestouslestrois,jevousenprie…»

À 6 heures, Dora descendit d’un pas lourd et mal assuré. L’air vieilli,infinimentfatigué,ellesemitàfairelecafé.

À 6 h 30, Hugh appela le F.B.I. à New York. Ils n’avaient aucune pistenouvelle. Henry White avait pris l’avion de une heure pour Sun Valley. Ilsétaientarrivéstroptardàl’aéroportpourlecontacter.Onétaitvenulechercherdansunevoitureprivée. Ilsvérifiaient les fichesdemotelet les locations.LesrecherchessurlaPontiacn’avaientdonnéaucunrésultat.IlscontrôlaientencoreleshabituésduMillTavern.

À7h35, lavoituredeBobKurnerdébouchaen trombe sur la routeet segara dans l’allée. Il sonna furieusement, bouscula Dora et exigea de savoirpourquoionavaitquestionnéRonaldThompsonàproposdelarouedesecours.

Hugh jeta un coup d’œil à Steve. Steve hocha la tête. Hugh expliqualaconiquement.

Bobblêmit.«Comment!VousvoulezdirequevotrefilsetSharonMartinontétékidnappés,monsieurPeterson,etquevousn’enavezriendit?LorsqueMmeGreenel’apprendra,elleseraobligéederetarderl’exécution.Ellen’apaslechoix.

—N’ycomptezpastrop,l’avertitHugh.—MonsieurPeterson,jesuisnavrépourvous,maisvousn’aviezpasledroit

demecacher cela lanuit dernière, dit amèrementBob.MonDieu,nepeut-onjoindrel’avocatgénéralavant8heures?

—C’estàpeinedansvingtminutes.—Vingtminutes, c’est énorme quand il ne vous reste que trois heures et

cinquanteminutesàvivre,monsieurTaylor.»À 8 heures exactement, Hugh obtint l’avocat général. Il lui parla pendant

trente-cinqminutes,d’unevoixénergique,persuasive,implorante.«Oui,maître,jesaisquelegouverneuradéjàaccordédeuxdélaisd’exécution…JesaisquelaCoursuprêmeàl’unanimitéaconfirméleverdict…Non,maître,nousn’avonspasdepreuve…C’est plusqu’une supposition cependant… la cassette…Oui,maître, je vous serais extrêmement reconnaissant si vous appeliez legouverneur…Puis-jeluipasserM.Peterson?…Bien,jeresteenligne.»

Hughmit samain sur l’écouteur. « Il va l’appelermais celam’étonneraitqu’illuirecommanded’accorderunautredélai.»

Trois longuesminutes passèrent. Steve et Bob ne se regardaient pas. PuisHughdit:«Oui,j’écoute…mais…»

IlprotestaitencorequandSteveentenditlebruitcaractéristiquedelatonalité.Hughlaissatomberl’appareil.«L’exécutionauralieu»,fit-ilcatégoriquement.

37

Elle avait mal. C’était si difficile de penser avec cette douleur quil’envahissait.SiseulementellepouvaitouvrirlafermetureÉclairdesabotte.Sachevillen’étaitqu’unemassebrûlante,quigonflaitcontrelecuir,contrelacordetranchante.

Elleauraitdûtenterdecrierlorsqu’ilsavaienttraversélagare.Mieuxauraitvalucourircerisque.Quelleheureétait-il?Letempsn’existaitpas.Lundisoir.Mardi.Était-onencoremardi?N’était-cepasdéjàmercredi?

Commentsortiraient-ilsdelà?Neil. Elle écoutait sa respiration sifflante tout près d’elle. Il s’appliquait à

respirerlentement,pourluiobéir.Sharonentendituneplaintes’échapperdesespropreslèvres,s’efforçadelarefouler.

Elle sentit Neil se glisser plus près d’elle, essayer de la réconforter. NeilseraitsansdoutecommeStevelorsqu’ilseraitgrand.S’ilgrandissait…

Steve.ÀquoiauraitressemblédevivreavecSteve,defairesavieavecSteveetNeil?Stevequiavaitdéjàtantsouffert.

Toutavaittoujoursétésisimplepourelle.Sonpèredisait:«SharonestnéeàRome,PatenÉgypte,TinaàHongKong.»Samèredisait:«Nousavonsdesamisdanslemondeentier.»Mêmelorsqu’ilsauraientapprisqu’elleétaitmorte,ilsneresteraientpasseuls.QuandSteveperdraitNeil,iln’auraitpluspersonne.

Steve qui demandait : « Comment se fait-il que vous soyez encorecélibataire?»Parcequ’elleavaitrefusélaresponsabilitéd’aimerquelqu’un.

Neil.Neilqui avait sipeurque lesLuftsne l’emmènent aveceux.Sipeurqu’elleneluienlèveSteve.

Ilfallaitqu’elleletiredelà.Ellefrottaencoreunefoissespoignetscontrelemurdeparpaing.Maisles

cordes étaient trop serrées, ellespénétraient dans la chair.Ellen’arrivait pas àleurfairetoucherlemur.

Elles’efforçadepenser.SonseulespoirétaitdelibérerNeil,delefairesortirdecettepièce.S’ilouvraitlaportedel’intérieur,labombeallait-elleexploser?

La poignée de la porte des cabinets. Si Renard revenait, s’il la laissaitretournerauxcabinets,ellepourraitpeut-êtreforcerlapoignée,lacasser.

Queferait-ild’euxquandilauraitl’argent?Ellesesentaitpartiràladérive.

Le temps… combien de temps… le temps passait… était-ce le jour ou lanuit?…lebruitsourddestrains…viensnouschercher,Steve…c’estdevotrefaute,mademoiselleMartin…c’estlaquestion,mademoiselleMartin…iln’yapasdepireaveuglequeceluiquineveutpasvoir…jet’aime,Sharon,tum’asterriblementmanqué…lesgrandesmainsdoucessursonvisage…

Desgrandesmainsdouces sur son visage. Sharon ouvrit les yeux.Renardétaitpenchésurelle.Avecunedouceuratroce,sesmainscouraientsursafigure,sursoncou.Ilfitglisserlebâillonetl’embrassa.Seslèvresétaientbrûlantes,sabouchemolle.Elletentadedétournerlatête.C’étaitunteleffort.

Ilmurmurait:«Toutestfini,Sharon.J’ail’argent.Jem’envais.»Elleessayadeconcentrersonregard.Sestraitsémergèrentduflou,lesyeux

troubles,lebattementsurlapommette,leslèvresétroites.«Qu’allez-vousfairedenous?»C’étaitsidurdeparler.«Jevaisvouslaisserici.JediraiàPetersonoùilpeutvoustrouver.»Ilmentait.Commeavant,quandil l’avaitfaitmarcher,quandils’était joué

d’elle.Non,c’étaitellequiavaittentédel’avoirparlaruse,etill’avaitjetéeparterre.

«Vousalleznoustuer.—C’estexact,Sharon.—VousaveztuélamèredeNeil.— C’est exact, Sharon. Oh ! j’allais oublier ! » Il s’éloignait d’elle, se

baissait,dépliaitquelquechose.«Jevaisaccrochercettephotoaveclesautres.»Quelquechoseflottaitau-dessusdesatête.LesyeuxdeNeillaregardaient,desyeuxquiappartenaientàuncorpsaffaissé,uncorpsavecuneécharpeautourducou.Unhurlement luidéchira lagorge, refoulant lasouffrance, levertige.Elleétaitsoudainparfaitementlucide,ellefixaitlaphoto,lesyeuxbrillants,fous,del’hommequilatenait.

Ill’accrochaitprèsdesautressurlemurau-dessusdulitdecamp,l’attachantavecleplusgrandsoin,avecdesgestesd’uneprécisionrituelle.

Elleleregardait,terrorisée.Allait-illestuermaintenant,lesétranglercommeilavaitétranglécesfemmes?

«Jevaisréglerleréveilpourvous,luidit-il.—Leréveil?—Oui.Il feraexploser labombeà11h30.Vousnesentirezrien,Sharon.

Vous disparaîtrez tout simplement, et Neil disparaîtra, et Ronald Thompsondisparaîtra.»

Soigneusement,délicatement, ilouvrait lavalise.Elle levitsortir le réveil,

vérifierl’heureàsamontreetmettrelesaiguillessur8h30.Onétaitmercredimatin, 8 h 30. La sonnerie – il réglait la sonnerie sur 11 h 30.Maintenant, ilattachaitlesfilssurleréveil.

3heures.Avecprécaution,ilsoulevalavalise,laposasurledessusdel’évier,prèsde

laporte.Lecadranduréveilétaitjusteenfaced’elle,àl’autreboutdelapièce.Lesaiguillesetleschiffresluisaient.

« Désirez-vous quelque chose avant que je ne parte, Sharon ? Un verred’eau?Aimeriez-vousquejevousembrassepourvousdireadieu?

—Est-cequejepourrais…mepermettez-vousd’allerauxcabinets?—Bien sûr,Sharon. » Il s’approchad’elle, lui délia lesmains, l’aida à se

lever.Ses jambes lâchèrentsouselle.Ladouleur lafaisaitgrelotter.Desvoilesnoirs obscurcissaient ses yeux. Non… non… non… elle ne pouvait pass’évanouir.

Illalaissadansleréduitobscur,cramponnéeàlapoignéedelaporte.Ellelatordit,une,deux, trois fois,priantDieuque lebruitnes’entendepas.Unpetitcraquement.Lapoignéecéda.

Sharon passa ses doigts sur le bout arraché, sentit le bord déchiqueté dumétalcassé.Elleglissalapoignéedanslagrandepochedesajupe.Quandelleouvritlaporte,elleavaitunemaindanssapoche.S’ilsentaitquelquechoseenlaramenantsurlelit,ilpenseraitquec’étaitsonpoignet.

Çamarchait.Ilsedépêchaitàprésent,pressédes’enaller.Illarepoussasurle lit, luiattachadenouveaulesmains.Elleput lesgarderunpeuécartées, lescordesétaientmoinsserréesqueprécédemment.Ilreplaçaprestementlebâillonsursabouche.

Ilsepenchaitsurelle.«J’auraispubeaucoupvousaimer,Sharon,commejecroisquevousauriezpum’aimer.»

D’unmouvementvif,ilretiralebandeaudeNeil.L’enfantclignadesyeux,lespaupièresgonflées,lespupillesdilatées.

L’hommeleregardadroitdanslesyeux;sonregardglissadelaphotosurlemurauvisagedeNeil.

Brusquement, il lâcha la têtede l’enfant,sedétournaetéteignit la lumière,exactementcommelapremièrefoisoùilavaitquittélapièce.

Sharonfixalecadranluisantduréveil.Ilétait8h36.

38

Le litdeGlendaétait jonchédepages,depagesarrachées, recommencées.«Non…le14,jenesuispasalléedirectementchezledocteur,jemesuisarrêtéeàlabibliothèque…notecela,Roger,j’aiparléàdeuxpersonnes…

— Je vais prendre une autre feuille. Celle-ci est trop remplie.À qui as-tuparlédanslasalled’attentedudocteur?»

Ilsreprirentminutieusementchaquedétaildumoisprécédent.Rienn’évoquachezGlendalesouvenird’unhommequisefaisaitappelerRenard.À4heuresdumatin,ellepersuadaRogerd’appelerleF.B.I.etdedemanderàparleràHugh.Hughluiditcomments’étaitpassélerendez-vous.

« Il dit que le ravisseur a promis que Sharon et Neil seraient libérés à11h30,luirapportaRoger.

—Ilsnelecroientpas,n’est-cepas?—Non,jenepensepas.—Sic’estquelqu’unquejeconnais,c’estpeut-êtrequelqu’unduquartieret

Neilpeutl’avoirrencontré.IlnerelâcherapasNeil.—Glenda,nousn’enpouvonsplustouslesdeuxetnoussommesincapables

de réfléchir. Essayons de dormir un peu. Une idée te viendra peut-être. Tonsubconscienttravaillependantlesommeil.Tulesaisbien.

— Bon. » Elle rangea d’un geste las les feuilles de papier dans l’ordrechronologique.

Il mit la sonnerie à 7 heures. Épuisés, ils dormirent trois heures d’unsommeiltroublé.

À 7 heures, Roger descendit préparer le thé. Glenda glissa une pilule detrinitrinesoussalangue,allaàlasalledebains,selavalafigure,revintdanssonlitetpritsonbloc.

À 9 heures, Marian arriva. À 9 h 15, elle monta voir Glenda. « Je suisdésoléequevousnevoussentiezpasbien,madamePerry.

—Merci.—Jenevousdérangeraipas.Sicelavousconvient,jeferailespiècesdubas

àfond.—Ceseraitparfait.— De cette façon, à la fin de la semaine, tout le rez-de-chaussée sera

impeccable.Jesaisquevousaimezqu’unemaisonsoitbientenue.—Oui,c’estvrai.Merci.—Jevoulaisjustedirequejesuiscontented’êtrechezvous,denepasvous

avoirfaitfauxbondaveclesennuisdelavoiture.—Monmarim’enaparlé.»Délibérément,Glendasoulevasonstylo,prêteà

écrire.« Quelle poisse ! Juste après avoir fait quatre cents dollars de réparation

dessus. Normalement, nous n’aurions pas dû dépenser autant pour une vieillevoiture,maisArty est un si bongaragistequemonmari a dit que çavalait lecoup.Bon,jevoisquevousêtesoccupée.Jenedevraispasjacasser.Vousvoulezvotrepetitdéjeuner?

—Non,merci,madameVogler.»Laporteserefermaderrièreelle.Quelquesminutesplustard,Rogerrevint.

«J’aieudeuxpersonnesdubureau.J’aiditquej’avaislagrippe.—Roger,attends.»Glendapoussa leboutondumagnétophone.Laphrase

maintenant familière emplit ses oreilles. Soyez à la station-service Esso…Glendaarrêtal’appareil.«Roger,quandmavoiturea-t-elleétérévisée?

—Ilyaunpeuplusd’unmois,jecrois.BillLuftsl’aconduiteàcegaragequ’ilrecommandait.

—Oui,et tum’yasdéposéeenallantà tonbureauquandelleaétéprête.Arty,c’étaitcenom-là,n’est-cepas?

—Jecrois,oui.Pourquoi?— Parce que la voiture était prête mais il était en train de faire le plein

d’essence.Jeluiparlais,deboutàcôtédelapompe.J’airemarquésoninsigne,A.R.Taggert, et je lui ai demandé si leA signifiaitArthur, parce que j’avaisentenduBilll’appelerArty.

«Roger.»LavoixdeGlendamontait.Elleseredressaetluiagrippalamain.«Roger, ilm’aditque lesgensd’ici s’étaientmisà l’appelerArtyàcausedel’insigne,maisquesonvéritablenométaitAugustRommelTaggert.

«Etj’aidit:«Rommel–n’était-cepaslefameuxgénéralallemand?»«Etilarépondu:«Oui,RommelétaitleRenardduDésert.»Lafaçondont

ilaprononcérenard…etlafaçondontill’aditautéléphonel’autresoir.Roger,jetelejure,cegaragisteestRenardetc’estluiquiakidnappéNeiletSharon.»

Ilétait9h31.

39

Elle se rendait dans sa pièce. Olendorf était absent aujourd’hui et l’autregardene l’embêtait jamais.Lallyn’avaitpasdormide toute lanuit.Elleallaittombermalade.L’arthriteétaituncauchemar,maisc’étaitplusqueça.Quelquechose en elle l’oppressait. Elle le sentait. Elle voulait arriver dans sa pièce,s’allongersurlelitdecampetfermerlesyeux.

Illefallait.Ellesemêlaauflotdespassagersdutrainde8h40enprovenancedeMount

Vernonetsefaufilajusqu’àlarampe.Elleemportapleindejournauxdanssonsacpourseprotégerdufroidetnes’arrêtapaspourprendreuncafé.Ellen’avaitqu’uneenvie,êtredanssapièce.

Tant pis si l’homme s’y trouvait. Elle en prenait le risque. Le bruitréconfortantdesgénérateursetdesventilateursl’accueillit.Ilfaisaitsombreici,comme d’habitude, et ça lui convenait. Ses grosses chaussures de toile nefaisaientaucunbruittandisqu’ellesedirigeaitàpasdeloupversl’escalier.

Cefutalorsqu’elleentenditlebruitsourdd’uneportequis’ouvrelentement.Saporte.Lallyserecroquevilladansl’ombre,derrièrelegénérateur.

Des pas feutrés, lents. Il descendait les marches métalliques, le mêmehomme.Elleserenfonça,plaquasoncorpscontrelemur.Luiferait-elleface?Non… non. Tout son instinct la poussait à se cacher. Elle le regardas’immobiliser,écouter,etrepartirrapidementverslarampe.Dansuneminute,ilauraitdisparuetelleseraitdanssapièce.Silafilleétaitencorelà,ellelaferaitdéguerpir.

Ses doigts ankylosés cherchaient maladroitement à attraper la clé dans sapoche.Lacléfituntintementmétalliqueentombantàsespieds.

Lallyretintsarespiration.Avait-ilentendu?Ellen’osaitpastournerlatête.Maislespass’étaientdéfinitivementéloignés.Onn’entendaitpersonnerevenir.Elleattenditdixminutes,dixlonguesminutes,essayantdecalmerlesbattementsdesoncœur.Puislentement,douloureusement,ellesebaissa,cherchaàtâtonslacléparterre.Ilfaisaitsinoir;elleavaitdesimauvaisyeux.Ellesentitlaformedelacléetpoussaunsoupirdesoulagement.

Lallycommençaitàpeineàseredresserquandquelquechoseluifrôlaledos,quelquechosedeglacial.Ellesuffoquaquandçaluieffleuralapeau,l’effleuraet

s’enfonça, si pointu, si vite, qu’elle sentit à peine la douleur fulgurante, lejaillissementchauddesonsang,tandisqu’elletombaitmaladroitementàgenouxetqu’elles’écroulaitenavant.Sonfrontheurtalesol;sonbrasgauchedécrivitun arc de cercle. Comme elle sombrait dans l’inconscient, sa main droite serefermasurlaclédesapièce.

40

À9h30,unagentduF.B.I.appelaHughTayloraudomiciledeSteve.«Oncroitavoirquelquechose,Hughie.

—Quoi?—CetArty–legaragisteArtyTaggert.—Ehbien?—Ilyaun typedunomdeTaggertquiavaitétéprisen trainderôderdu

côtédelagareroutièremunicipaleilyaunedouzained’années.Suspectdansladisparitiond’unefugitivedeseizeans.Onn’arienpuprouvercontre lui,maisun tasdegarspensaientqu’il avait quelquechose àvoir là-dedans.On l’avaitinterrogé sur la disparitiond’autres filles aussi.Sadescription colle avec cellequevousnousavezdonnée.

—C’estdubonboulot.Qu’avez-vousd’autresurlui?—Onchercheoùilahabité.IlafaituntasdejobsàNewYork,pompistedu

côté ouest, serveur dansuneboîte de laHuitième avenue, plongeur à l’OysterBar…

— Concentrez les recherches sur son domicile ; cherchez s’il a de lafamille.»

Hugh raccrocha. « Monsieur Peterson, dit-il avec précaution, nous avonspeut-être une nouvelle piste. Un garagiste qui vient souvent traîner au bar duMillTavernetquiauraitétésuspectdansplusieurscasdedisparitiondejeunesfillesilyaunedouzained’années.UndénomméArtyTaggert.

—Ungaragiste?»LavoixdeStevemonta.«Ungaragiste.—Exactement. Je sais ce que vous pensez. C’est une chance bienmince,

maissiquelqu’una réparé lavoituredevotre femmece jour-là,est-ilpossiblequ’ellel’aitrégléparchèque?Avez-vousgardévostalonsetrelevésdechèquesdumoisdejanvierd’ilyadeuxans?

—Oui,jevaisvoir.— Rappelez-vous, nous examinons seulement toutes les pistes nouvelles.

Nousn’avonsaucunepreuvesurcetArtysicen’estqu’onl’ainterrogéunefoisilyadesannées.

—Jecomprends.»Stevesedirigeaverssonbureau.Le téléphone sonna. C’était Roger Perry. Il hurlait dans l’appareil que

GlendaaffirmaitqueRenardétaitungaragistedunomd’ArtyTaggert.Hughraccrochad’uncoupsecetsepréparaitàappelerNewYorkquandla

sonnerieretentitànouveau.Ilaboya:«Oui.»Sonexpressionchangea,devintimpénétrable.«Comment?Necoupezpas,répétez.»

Steve vit les yeux d’Hugh se réduire à deux fentes.QuandHugh sortit uncrayon,illuitenditunbloc-notes.Ignorantleseffortsdel’autrepourluicachercequ’ilécrivait,Stevefixaitlebloc,absorbantlesmotsàmesurequ’ilsvenaient.

«Mercipour l’argent.Lecompteyest.Vousavez tenuvotrepromesse. Je

tiendrailamienne.NeiletSharonsontvivants.À11h30,ilsserontexécutésaucours d’une explosion dans l’État de New York. Des décombres de cetteexplosion,vouspourrezretirerleurscorps.

Renard.»Hugh dit : « Répétez encore une fois, pour que je sois sûr d’avoir bien

compris. » Un instant plus tard, il ajouta : « Merci. Nous nous mettrons enrapportavecvousd’icipeu.»Ilraccrocha.

«Qui a reçu cemessage ? » demandaSteve.Une torpeurmiséricordieuseparalysaitsesfacultésdepenser,d’avoirpeur.

Hughattenditunelongueminuteavantderépondre.Quandillefit,savoixétaitinfinimentlasse.«L’ordonnateurdespompesfunèbresdeCarley,celuiquis’estoccupédel’enterrementdevotrefemme»,dit-il.Ilétait9h35.

41

Silavieillesorcièren’avaitpasfaittoutceraffut!Artyétaitensueur.Soncostumeneufsentaitvraimentmauvaismaintenant,exactementcommechaquefoisque…

Et s’il ne l’avait pas entendue ? C’était sûrement elle qui s’était installéedanslapièce,quiyavaitamenélelitdecamp.Celavoulaitdirequ’elleavaituneclé. S’il ne l’avait pas entendue, elle serait rentrée et les aurait trouvés. Ilsauraienteuletempsdefairevenirlesexpertspourdésamorcerlabombe.

Il traversa rapidement la gare, longea la galerie quimenait auBiltmore etsortitlavoituredugaragedel’hôtel.Lavaliseetlaradioyétaientdéjàrangées.Il remonta East SideDrive vers le pont Triborough.C’était le chemin le plusrapidepourLaGuardia.IlétaitpressédequitterNewYork.L’avionpourPhœnixpartaità10h30.

Ilretournaauparkingqu’iln’avaitquittéquequelquesheuresauparavant.Lapenséequ’ilavaitsibienexécutésonplanpours’emparerdelarançonl’apaisa.Cettefois,ilrangealaVolkswagenloindupéage,làoùsegarentlesgenspourlanavettedeWashington.Cettepartieduparkingétaittoujourstrèsencombrée.Ilavaiteffacélenumérodumoteuretcen’estpaslaplaqued’immatriculationquipermettrait de remonter jusqu’à lui. Il l’avait prise sur une voiture à la casse,cinqansauparavant.Detoutefaçon,ilsepasseraitsansdouteunmoisavantquequelqu’unneremarquequelaVolkswagenétaitlàdepuislongtemps.

Il sortit du coffre les deux valises – la légère avec ses vêtements et lescassettes,lalourdeavecl’argent–etlacaisseduradio-téléphone.Plusriennelereliaitàlavoiture.

Ils’avançad’unpaslesteversl’arrêtdel’autobus.Lanavettedel’aéroportarrivaitetilygrimpa.Lesautrespassagersluijetèrentunregardindifférent.Ilsesentitrejeté.Justeparcequ’iln’étaitpascorrectementvêtu.Ils’assitprèsd’unefille d’environ dix-neuf ans, une fille très attirante. Il ne manqua pas deremarquer la grimace de dégoût, la façon dont la fille se détourna de lui. Lagarce.Elleétaitloindesedouterqu’ilétaitunhommeintelligentetriche.

L’autobusstoppaau terminusdes lignes intérieures. Il fit troiscentsmètresvers l’entrée réservée aux voyageurs de l’American Airlines. Un employéenregistrait lesbagages. Ilne tenaitpasà trimbaler toutce fourbi. Il sortit son

billet.IlétaitaunomdeRommel.Rommel,leRenardduDésert.C’étaitlenomqu’ilcomptaitutiliserenArizona.

«Vousenregistrezcestroisbagages,monsieur?— Non. Pas celle-ci. » Il éloigna de l’employé la valise qui contenait

l’argent.«Désolé,monsieur,jecrainsquevousnepuissiezprendreunevalisedecette

tailleàbord.—Illefaut!»Iltentaderefrénerl’intensitédesavoix.«J’yaidespapiers

surlesquelsjedoistravailler.»L’employéhaussalesépaules.«Trèsbien,monsieur,jepensequel’hôtesse

pourratoujourslamettredansleplacarddelacabinesic’estnécessaire.»Ilétait9h28etilavaitdenouveaufaim.Maisd’abord,ildevaittéléphoner.

Ilchoisituntéléphonedanslecoinleplusreculédel’aérogareetécrivitcequ’ilvoulaitdireafindenepasfaired’erreur.IlimaginacequepenseraitPetersonenrecevantlemessage.

Il obtint rapidement la communication avec les pompes funèbres. À voixbasse,Renarddit:«Onvafaireappelàvouspourunelevéedecorps.

— C’est entendu, monsieur. Qui est à l’appareil ? » L’autre voix étaitcontenue.

«Êtes-vousprêtàprendreunmessage?—Certainement.»LavoixdeRenardchangea,sefitplusrude.«Écrivez-le,ensuitevousmele

relirez, et faites attention de bien comprendre. » Il commença à dicter, seréjouissant du halètement bouleversé à l’autre bout de la ligne. «Maintenant,relisez », ordonna-t-il. Une voix tremblante obtempéra, et soupira ensuite :«MonDieu,jevousenprie…»

Renardraccrochaensouriant.Il entra dans une cafétéria de l’aéroport et commandadu bacon, des petits

pains,un jusd’orangeetducafé. Ilmangeait lentement, regardant lesgens sepresserautourdelui.

Il commençait enfin à se détendre. Le souvenir du coup de téléphone auxpompesfunèbreslesecouaittoutentierd’unrireirrépressible.Audébut,ilavaitpensé les prévenir d’une explosion dans la ville de New York. À la dernièreminute,ilavaitchangépourl’ÉtatdeNewYork.Ilimaginaitlesflicsentraindedevenirchèvres.Çaleurferaitlespieds.

Arizona,terredudésertpeint.Regarderlegossedanslesyeuxavaitéténécessaire.Iln’auraitplusàlesfuir

désormais. Il se représentaGrandCentralà11h30.Labombeexploserait.Leplafondtoutentiers’écrouleraitsurNeiletsurSharon,destonnesetdestonnesdeciment.

C’estaussi faciledefabriquerunebombequederéparerunevoiture.Vousn’avezqu’à lireceque l’onaécrit sur laquestion.Àprésent, lemondeentiervoudrait savoirquiétaitRenard.Onallait sansdouteécrire sur lui, commeonl’avaitfaitsurRommel.

Ilterminasoncafé,s’essuyalabouchedureversdesamain.Ilvoyaitparlavitrelesgenschargésdebagagessehâterverslesportesdedépart.Ilsesouvintde l’explosion deLaGuardia àNoël, il y a deux ans.Elle avait provoqué unevéritablepanique,lafermeturedel’aéroport.Ill’avaitvueàlatélévision.

Il se voyait déjà dans un bar ce soir à Phœnix, en train de regarder lesinformationsàlatélévisionsurl’explosiondeGrandCentral.Onenparleraitsurtous les écransdumonde.Mais ce serait encoremieux si les flics avaientunevagueidéedel’endroitparoùcommencerleursrecherches.Lesgensquimettentdesbombesdans les immeublesdebureauxs’yprennentainsi, ilsdonnentpartéléphoneunelonguelistedetouslesendroitsoùilsontpuplacerlesbombesetles flics ne savent plus où donner de la tête. Ils sont obligés de faire évacuerchacundesimmeublesqu’onleurasignalés.

Il pouvait encore faire quelque chose dans ce genre.Mais qu’allait-il leurdire?Il regardadevant lui.C’étaitunaéroport trèsanimé.Lesgensallaientetvenaient dans tous les sens, et pourtant LaGuardia était moins important quel’aéroportKennedy.

ToutcommeGrandCentral.Oulagareroutièredesautobus.Toutlemondeest toujourspressé.Personnene fait attentionàpersonne.Lesgens s’occupentseulement de l’endroit où ils vont, ne vous regardent jamais, ne vous rendentjamaisunsourire.

Uneidéeluivenaitpeuàpeu.Supposonsqu’ilpréviennelesflics.Supposonsqu’il leur dise que Sharon, Neil et la bombe étaient dans un grand centre detransportdelavilledeNewYork.Celasignifieraitqu’ilsauraientàévacueràlafoislesaéroports,lesdeuxgaresroutières,lagaredePennsylvaniatoutcommeGrand Central. Ils commenceraient leurs recherches sous les sièges des sallesd’attente et dans les casiers de consigne. En fait, ils ne sauraient pas par oùcommencer.Ettouscesgens,touscespouilleuxseraientobligésdedécamper,deraterleurstrains,leursavions,leursautobus.

Onne retrouverait jamaisSharon etNeil. Jamais.La seule qui connaissaitcettepièce,c’étaitlavieillesorcière,etils’étaitoccupéd’elle.Àluitoutseul,il

pouvait bloquer l’entrée et la sortie de la plus grande ville dumonde, sur unsimple coup de téléphone. M. Peterson croyait qu’il était un crack avec sonmagazine et son placement et sa petite amie.Renard éclata de rire.Le coupleassisàlatableàcôtéluijetaunregardétonné.

Ilallaittéléphonerjusteavantdeprendrel’avion.Quiallait-ilappeler?Lespompesfunèbresencoreunefois?Non.Quid’autreseraitsûrquel’appeln’étaitpasuneblague?Ilavaittrouvé!Souriant,prévoyantlaréactionqu’ilsusciterait,ilcommanda

unautrecafé.À10h12,ilsortitdelacafétéria,tenantsolidementsavaliseàlamain.IlattenditvolontairementassezlongtempspourpasserdanslesderniersaucontrôledesbagagesàmainauxrayonsX; ilsseraientpressésetpersonnenes’intéresseraitàsavalise.Lescompagniesd’aviationtiennentàleurshoraires.

À 10 h 15, il se glissa dans une cabine téléphonique près de la porte dedépart numéro 9,mit les pièces nécessaires et composa le numéro.Quand ondécrocha à l’autre bout de la ligne, il murmura un message. Il raccrochadoucement,sedirigeavers lebureaudel’enregistrementet traversalecontrôlesansproblème.

Lesignal«embarquementimmédiat»clignotaitquandiltraversalasalleetsedirigeaverslapasserellecouvertequimenaitàl’avion.Ilétait10h16.

42

Ses vêtements étaientmouillés, chauds, et ils sentaientmauvais. Du sang.Elleallaitmourir.

La mort. Elle allait mourir. Lally le savait. À travers la petite lumièrevacillantedesonesprit,ellelesentait.Quelqu’unl’avaittuée…l’hommequiluiavaitprissapièceluiavaitprislavie.

Lapièce.Sapièce.Ellevoulaitymourir.Ellevoulaityêtre.Ilnereviendraitplus.Ilauraittroppeur.Personnenelaretrouveraitjamais,peut-être.Emmurée.Elleseraitemmuréedanslaseulemaisonqu’elleaitjamaiseue.Elledormiraitlàpour toujours, au milieu du bruit réconfortant des trains. Ses idéess’éclaircissaient…mais elle n’enn’avait paspour longtemps.Elle le savait. Ilfallaitqu’ellearriveàsapièce.

Sentant la clé dans sa main, Lally tenta de se mettre debout. Il y avaitquelquechosequitirait…lecouteau…lecouteauétaitencoreplongédanssondos.Ellenepouvaitpasl’attraper.Ellecommençaàbouger…

Elle devait faire demi-tour en rampant. Elle s’était écroulée en tournant ledosàsapièce.Queleffortpoursetraîner…c’étaitterrible,terrible.Lentement,centimètreparcentimètre,ellerampa,jusqu’àcequ’ellesetrouvedanslabonnedirection.Ilrestaitcinqmètresaumoinsjusqu’aupieddel’escalier.Etensuite,lesmarches.Y arriverait-elle ? Lally secoua la tête pour chasser le brouillardnoir.Ellesentaitlesangcoulerdesabouche.Elleessayadelecracher.

Lamaindroite…bienferméesurlaclé…lamaingauche,avancerlamaingauche… le genou droit, le traîner en avant… le genou gauche… la maindroite…Elleyarriverait.Detoutefaçon,ellearriveraitenhautdesmarches.

Ellesevoyaitentraind’ouvrirlaporte,larefermer…ramperàl’intérieur…sehissersurlelitdecamp…s’étendre…fermerlesyeux…attendre.

Dans sa pièce, la mort viendrait comme une amie, une amie aux mainsdoucesetfroides…

43

Ils sont morts, pensa Steve. Quand vous êtes condamnés, vous êtes déjàmorts.Cetaprès-midi, lamèredeRonaldThompsonviendraitprendrelecorpsdesonfils.Cetaprès-midi,l’entreprisedespompesfunèbresSheridanserendraitsurleslieuxd’uneexplosionpourprendrelescorpsdeSharonetdeNeil.

Quelque part dans l’État de New York, fouillant dans les décombres… Ilétait debout près de la fenêtre. Il y avait un groupe serré de journalistes et decameramendetélévisiondevantlamaison.«Lesnouvellesvontvite,fit-il.Lesvautoursdelapresseetdesmédiass’emparentdesbonneshistoires.»

Bradleyvenaitjustedetéléphoner.«Steve,quepuis-jefaire?— Rien. Rien. Faites seulement savoir si vous avez vu une Coccinelle

Volkswagenvert foncé,conduiteparun typed’environ trente-huitans.Etpournousaider,ilaprobablementchangélesplaques.Ilnousresteuneheureetvingtminutes–uneheureetvingtminutes.»

«Qu’a-t-onfaitpourl’alerteàlabombe?avait-ildemandéàHugh.—Nousavonsdemandéàtouteslesvillesprincipalesdel’ÉtatdeNewYork

desemettreenétatd’alerte.Nousnepouvonsrienfairedeplus.Uneexplosiondans l’État de New York. L’État de New York. Savez-vous combien dekilomètres carrés cela recouvre?MonsieurPeterson, il y a encoreunechancequ’ils’agissed’unefaussealerte.Jeveuxdire,lamenaced’explosion,lecoupdetéléphoneauxpompesfunèbres.

—Non,non,ilesttroptardpoureux,troptard.»Stevepensait:BilletDorase sont installés ici à cause de lamort deNina. Ils sont venus pourme faireplaisir, pour s’occuper deNeil àma place. Et en bavardant, Bill Lufts a sansdouteétélacausedel’enlèvementdeNeiletdeSharon–deleurmort.Lecerclede la mort. Non, je vous en prie, mon Dieu, qu’ils vivent, aidez-nous à lesretrouver…

Ilsedétournanerveusementdelafenêtre.HankLamontvenaitd’entreravecBilletluifaisaitrépétersonhistoire.Stevelaconnaissaitparcœur.

«MonsieurLufts,vousaveztrèssouventparléàcetArty.Essayezdevoussouvenir. A-t-il jamais mentionné qu’il voulait se rendre dans un endroitparticulier ? Parlait-il d’un pays, comme le Mexique par exemple… oul’Alaska?»

Billsecoualatête.Toutcelaledépassait.Ilsavaitqu’ilssoupçonnaientArtyd’avoirenlevéSharonetNeil.Arty,untypesitranquille,unsibongaragiste.Ilyavaitàpeinedeuxsemaines,ilétaitalléchezluienvoiture.Neill’accompagnait.Il se souvenait exactement du jour parcequeNeil avait euune crised’asthmecette nuit-là. Il essaya désespérément de se rappeler ce qu’avait pu direArty,maisc’étaitquelqu’unquineparlaitjamaisbeaucoup,ilsemblaitseulementtrèsintéresséparleshistoiresqueluiracontaitBill.

Hankétait furieuxcontre lui-même. IlétaitalléaubarduMillTavernet ilavaitpayéunebièreàcetype.IlavaitmêmeditaubureauduF.B.I.quec’étaitinutiledechercherdesrenseignementssurlui.Luftsdevaitsesouvenir.CommeledisaitHughie,toutcequefaitunhommelaissedestraces.IlavaitpuvoircetypesortirduMillTavern–etlui,Hank,n’avaitriensuspecté.Hankfronçalessourcils.Ilyavaitcetteplaisanteriequ’avaitfaiteArtyaumomentdes’enaller.Qu’est-cequec’était?

Billdisait:«…Etc’estuntypebien,tranquille,commejevousl’aidéjàdit.Ilnes’occupequedesesaffaires.Biensûr,ilposaitdesquestions,maisilavaitseulementl’airamicaletintéressécomme…

—Attendez,l’interrompitHank.—Qu’est-ce que c’est ? » Hugh se tourna lentement vers le jeune agent.

«Vousaveztrouvéquelquechose?—Peut-être.QuandArtyaquittélebaraveclesautres…ilsontditquelque

chose,comme:«TunereverraspasBillavantdepartirpourRhodeIsland…»—Ouais.Enunmot,ArtyvapartirpourRhodeIsland.—C’est là laquestion. Il aditquelquechosed’autre…et ce typedans la

publicité,AllanKroeger,afaituneplaisanterielà-dessus.Uneplaisanteriesur…surledésertpeint.C’estça.

—Quoi?demandaHugh.—Quandilsontdit:«DommagequeBillLuftsnesoitpaslàpourtedireau

revoir»,Artyarépliqué:«RhodeIsland,c’estpasl’Arizona.»Çaluiapeut-êtreéchappé?

—Nousallonslesavoirimmédiatement.»Hughfonçaversletéléphone.Rogerentradanslapièce,posasamainsurl’épauledeSteveetécoutaavec

luiHugh qui vociférait au téléphone,mettant tout le poids du F.B.I. sur cettenouvellepiste.

Finalement,Hughreposal’appareil.«S’ilestenroutepourl’Arizona,nousl’arrêterons,monsieurPeterson.Jepeuxvousl’assurer.

—Quand?»

LevisagedeRogeravaitlacouleurdecematinblême.«Steve,nerestezpasici,dit-il.Glendavoudraitquevousveniezcheznous.Jevousenprie.»

Stevesecoualatête.«Nousallonsvenirtouslesdeux,fitvivementHugh.Hank,vousprendrezla

relèveici.»Steveréfléchit.«Bon.»Ilsedirigeaverslaported’entrée.«Non,sortonsparlaportedederrièreetpassonsparlebois.Vouséviterez

ainsilesjournalistes.»UnsemblantdesourireétiraleslèvresdePeterson.«Maisjustement.Jen’ai

pasl’intentiondeleséviter.»Ilouvritlaporte.Lepetitgroupedejournalistesbrisalabarrièredespoliciers

pour s’élancer vers lui. Les micros se dressèrent devant lui. Les caméras detélévisioncherchaientàprendresouslemeilleuranglesonvisageexténué.

«MonsieurPeterson,avez-vousd’autresnouvelles?—Non.—Pensez-vousquelekidnappeurmetteenapplicationsamenaced’exécuter

votrefilsetSharonMartin?—Nousavonstouteslesraisonsdecroirequ’ilestcapabled’untelactede

violence.—Pensez-vousque le fait que l’explosion soit prévue à laminuteoù sera

exécutéRonaldThompsonnesoitqu’unesimplecoïncidence?— Non. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une coïncidence. Je pense que

Renardapuêtreimpliquédanslemeurtredemafemme.J’aitentéd’enavertirMme Greene, qui a refusé d’en parler avec moi. Je la supplie à présentpubliquement de retarder l’exécution de Thompson. Ce garçon a toutes leschancesd’êtreinnocent.Personnellement,jesuissûrqu’ill’est.

—MonsieurPeterson, la terrible inquiétudequevouséprouvezausujetdevotrefilsetdeMlleMartina-t-ellechangévotreopinionsurlapeinecapitale?Quandlekidnappeurseraarrêté,voulez-vousqu’ilsoitexécuté?»

Steverepoussalesmicrosdesonvisage.«Jevaisrépondreàvosquestions.S’il vous plaît, laissez-moi parler. » Les journalistes se turent. Steve regardadroitdanslacaméra.«Oui, j’aichangéd’avis.Jediscelaensachantqu’ilyapeu de chance que mon fils et SharonMartin soient retrouvés vivants.Mais,mêmesileurravisseurestarrêtétroptard,j’aiapprisunechosedurantcesdeuxdernières journées. J’ai appris qu’aucun homme n’a le droit de déterminerl’heuredelamortdel’undesessemblables.Jecroisquecepouvoirn’appartientqu’àDieuseulet…»Savoix sebrisa.« Jevousdemandeseulementdeprier

pourqueNeil,SharonetRonaldsoientépargnésaujourd’hui.»Deslarmescoulaientlelongdesesjoues.«Laissez-moipasser.»Les reporters s’écartèrent en silence.Roger etHugh coururent derrière lui

commeils’élançaitàtraverslarue.Glenda les attendait. Elle leur ouvrit la porte, prit Steve dans ses bras.

«Allez-y,Steve,pleurezunboncoup.Allez.»Iléclataensanglots.«Jenepeuxpasleslaissermourir.Jenepeuxpasles

perdre.»Ellelelaissapleurerdanssesbras,lessanglotsluisecouaientlesépaules.Si

seulement j’avaispume souvenirplus tôt, sedésespérait-elle.ÔmonDieu, jesuis arrivée trop tard pour l’aider ! Elle sentait son corps trembler comme ilessayaitdesecalmer.

«Jesuisnavré,Glenda,vousenaveztropvu…vousn’êtespasbien.—Jevaistrèsbien,répondit-elle.Steve,quecelavousplaiseounon,vous

allez prendre une tasse de thé et des toasts. Vous n’avez ni dormi ni mangédepuisdeuxjours.»

L’airsombre,ilspassèrentdanslasalleàmanger.«MonsieurPeterson,ditHughdoucement,souvenez-vousquelesphotosde

Sharon et deNeil vont être dans toutes les éditions spéciales des journaux dumatin;ellesvontapparaîtresurtoutesleschaînesdetélévision.

Quelqu’unpeutlesavoirvus,avoirremarquéquelquechose.—Vousnecroyezquandmêmepasqueceluiquilesaenlevésvalesexhiber

enpublic,rétorquaamèrementSteve.—Quelqu’unpeut avoir remarquédesactivités suspectes ;quelqu’unpeut

avoirentendul’undecesappelstéléphoniques;ouentendudesgensparlerdansunbar…»

Marianversal’eaudelabouilloiredanslathéière.Laporteentrelacuisineetlasalleàmangerétaitouverteetellepouvaitentendrelaconversation.CepauvreM.Peterson.Pasétonnantqu’ilsesoitmontrésibrutalquandelleluiavaitparlé.Il était anéanti par la disparition de son petit garçon et elle l’avait bouleverséencoredavantageenluiparlantdeNeil.Celaprouvaitbienqu’ilnefautjamaisjugerlesgens.Vousnesavezpasquelchagrinlesdéchireaufondd’eux-mêmes.

Peut-êtreques’ilprenaitunpeudethé…Elleapportalathéière.Steveavaitlafigureentresesmains.«MonsieurPeterson,dit-elledoucement,laissez-moivousservirunebonne

tassedethébienchaud.»Ellepritlatasse.Del’autremain,ellecommençaàverser.

Lentement,Stevelaissaretomberlesmainsdesonvisage.L’instantd’après,lathéièrevolaitàtraverslatable,unjetdeliquidedoré,bouillant,serépandaitdanslesucrier,inondaitlessetsdetablefleuris.

Glenda, Roger et Hugh se dressèrent, stupéfaits. Ils regardaient Steve quiagrippaitlebrasdeMarianterrifiée.«Oùavez-voustrouvécettebague?hurlait-il.Oùl’avez-voustrouvée?»

44

À la prison d’État de Somers,Kate Thompson embrassait son fils pour ladernièrefois.Ellecontemplasanslesvoirl’endroitoùonluiavaitrasélecrânecommeunetonsuredemoine,lesfentessurlescôtésdesespantalons.

Elle garda les yeux secs en sentant les jeunes bras vigoureux se resserrerautourd’elle.Elleattirasonvisageverslesien.«Soiscourageux,monchéri.

—Net’enfaispas.Bobaditqu’ilviendraittechercher,maman.»Elle lequitta.Boballait rester jusqu’à la fin.Elle savaitquece seraitplus

facilesiellepartaitmaintenant…plusfacilepourlui.Ellesortitdelaprison,longealalonguerouteglacialeetventéequimenaità

laville.Unevoituredepolicepassait.«Laissez-moivousreconduire,madame.—Merci.»Ellemontadignementdanslavoiture.«Vousallezaumotel,madameThompson?—Non.Laissez-moiàl’égliseSaint-Bernard,s’ilvousplaît.»Les messes du matin étaient finies ; l’église était vide. Elle s’agenouilla

devantlastatuedelaVierge.«Soyezavecluiauderniermoment.Ôtezlahainedemon cœur.Vous qui avez sacrifié votre Fils innocent, aidez-moi, si je doissacrifierlemien…»

45

Tremblant de tous ses membres, Marian essayait de parler. Mais elle nepouvaitproférerunseulmot,elleavaitlabouchesèche,unnœuddanslagorge.Salangueétaitparalysée.Elles’étaitbrûléelamainaveclethé.Etsondoigtluifaisaittrèsmal,celuidontM.Petersonavaitarrachélabague.

Ilslaregardaienttouscommes’ilslahaïssaient.LamaindeM.Petersonseresserraitsursonpoignet.«Oùavez-vouspriscettebague?cria-t-ilànouveau.

—Je…je…l’aitrouvée.»Savoixvacilla,secassa.«Vousl’aveztrouvée!»HughéloignaStevedeMarian.Sontondébordaitdemépris.«Vousl’aveztrouvée!—Oui.—Où?—Dansmavoiture.»HughricanaetsetournaversSteve.«Êtes-voussûrquecettebagueestbien

cellequevousavezofferteàSharonMartin?—Absolument.Jel’aiachetéedansunvillageauMexique.Elleestunique.

Regardez!»Il la tenditàHugh.«Ilyaunepetitestriesur lecôtégauchedel’anneau.»

Hughfitcourirsondoigtsurlabague.Sestraitssedurcirent.«Oùestvotremanteau, madame Vogler ? Je vous emmène. On va vous interroger. »Rapidement, il prononça les paroles d’avertissement légal : «Vous n’êtes pasobligéederépondreauxquestions.Toutcequevousdirezpeutêtreretenucontrevous.Vousavezledroitdeprendreunavocat.Allons-y.»

Steves’écria:«NomdeDieu,vousêtesfou!Neluiditespasqu’ellen’estpasobligéederépondre.Vousêtescinglé.Elledoitrépondreauxquestions.»

Le visage de Glenda était figé. Elle contemplait Marian avec colère etdégoût. «Vous avezparléd’Arty cematin, l’accusa-t-elle.Vous avezdit qu’ilavait réparé votre voiture. Comment avez-vous pu ? Comment avez-vous pu,vousunefemmeavecdesenfants,prendrepartàça?»

Hughfitvolte-face.«Elleaparléd’Arty?—Oui.— Où est-il ? demanda Steve. Où les a-t-il emmenés ? Mon Dieu, la

premièrefoisquejevousaivue,vousavezparlédeNeil.

—Steve,Steve,calmez-vous.»Rogerlesaisissaitparlebras.Mariansentitqu’elleallaits’évanouir.Elleavaitgardélabague,etellenelui

appartenaitpas.Etmaintenant, ils croyaientqu’elle avaitquelquechoseàvoiravecl’enlèvement.Commentfairepourqu’ilslacroient?Desvaguesdevertigeluibrouillaientlavue.Ilfallaitqu’ilsappellentJim.Ill’aiderait.Ilviendraitetilleurraconteraitcommentlavoitureavaitétévolée,etcommentelleavaittrouvélabague.Ilsauraitlesconvaincre.Lapiècesemitàtourner.Elleseraccrochaàlatable.

Stevebonditetlarattrapaavantqu’ellenetombe.Dansunbrouillard,ellevitsesyeux,ellevitledésespoirdanssesyeux.Lapitiéqu’elleéprouvapourluilacalma. Elle s’accrocha à lui, se força à combattre son étourdissement.«MonsieurPeterson…»Ellepouvaitànouveauparler. Il fallaitqu’elleparle.«Jenepourraisfairedemalàpersonne.Jeveuxvousaider.J’aivraimenttrouvécettebague.Dansnotrevoiture.Elleavaitétévoléelundisoir.Artyvenaitjustedelaréparer.»

Stevebaissasonregardsurlevisageapeuré,ardent,lesyeuxdébordantsdesincérité. Et tout à coup, il enregistra le sens de ce qu’il venait d’entendre.«Volée!Votrevoitureaétévoléelundisoir?»ÔSeigneur,pensa-t-il,ya-t-ilencoreunechancedelesretrouver?

Hughaboya.«Laissez-moim’enoccuper,monsieurPeterson.»Ilapprochaunechaise,yfitasseoirMarian.«MadameVogler,sivousditeslavérité,vouspouveznousaider.Connaissez-vousbiencetArty?

—Pastrèsbien.C’estunbongaragiste.Ilm’arendulavoituredimanche.Etlundi, je suis allée à la séance de 16 heures au cinéma de la Grand-Place deCarley.J’aigarélavoituredansleparkingducinéma.Elleavaitdisparuquandjesuissortiejusteavant19h30.

—Donc,ilsavaitdansquelétatsetrouvaitlavoiture,ditHugh.Savait-ilquevousprojetiezd’alleraucinéma?

—Ilpouvait lesavoir,dit-elleenfronçant lessourcils.Oui,nousenavonsparlé dans son garage. Il a ensuite fait le plein. Il a dit qu’il nous le faisaitgratuitementparcequec’étaitunegrosseréparation.»

Glendamurmura:«J’avaisditquelavoitureétaitdecouleursombre,ettrèslarge.

—Madame Vogler, dit Hugh, ceci est très important. Où a-t-on retrouvévotrevoiture?

—ÀNewYork. La police l’avait embarquée. Elle était en stationnementinterdit.

— Où cela ? Vous souvenez-vous par hasard de l’endroit où elle a étéretrouvée?»

Marianréfléchit.«Prèsd’unhôtel,oui,prèsd’unhôtel.—Madame Vogler, essayez de vous souvenir. Quel hôtel ? Vous pouvez

nousfairegagneruntempsprécieux.»Mariansecoualatête.«Jenemesouvienspas.—Votremaris’ensouviendrait-il?— Oui, mais il est en déplacement à l’extérieur aujourd’hui. Il faudrait

téléphoneràl’usineetvoirsionpeutlejoindre.— Quel est le numéro d’immatriculation de votre voiture, madame

Vogler?»Marianle luidonnasur-le-champ.Quelhôtel?Jimavaitditquelquechose

ausujetdelarueoùonavaittrouvélavoiture.Maisquoi?CelaleurprendraittroplongtempspourjoindreJim…pourvérifiersurleslistesderemorquage…Ilfallaitqu’ellesesouvienne.C’étaitquelquechoseausujetd’unevieillevoituredansuneruedemilliardaires.C’estcequeJimavaitdit.Non,ilavaitditqu’onavait donné à l’endroit le nom d’une famille de milliardaires. « VanderbiltAvenue,s’écria-t-elle.C’estça.Monmarim’aditquelavoitureétaitgaréedansVanderbiltAvenue,devantl’hôtel…l’hôtel…l’hôtelBiltmore.»

HughsaisitletéléphoneetappelalequartiergénéralduF.B.I.àNewYork.Illesbombardadeconsignes.«Rappelez-moiauplusvite.»Ilraccrocha.

« Un agent va tout de suite au Biltmore avec une vieille photod’identification de Taggert, dit-il. Espérons qu’elle est encore ressemblante etespéronsquenouspourronsapprendrequelquechose.»

Ilsattendirent,tendus.«S’ilvousplaît,priaitSteve.ÔmonDieu,s’ilvousplaît !»Letéléphone

sonna.Hugh arracha le récepteur de son support. « Qu’est-ce que vous avez

trouvé ? » Il écouta et s’écria : «Bon sang ! J’y vais avec l’hélicoptère. » Illaissatomberl’appareil,regardaSteve.«Leréceptionnistedel’hôtelareconnusurlaphotouncertainA.R.Rommelquiestarrivédimanchesoir.IlavaituneCoccinelleVolkswagenvertfoncédanslegaragedel’hôtel.Ilestparticematin.

—Rommel.Rommel,leRenardduDésert!s’écriaGlenda.—Exactement,ditHugh.—Était-il?»Steves’agrippaàlatable.« Il était seul.Mais le réceptionniste a remarqué qu’il entrait et sortait de

l’hôtel à des heures bizarres. Parfois pour une courte période, ce qui pourrait

signifierqu’ilgardeNeiletSharondanslecentredelaville.Souvenez-vousqueJohnOwensaperçudesbruitsdetrainsenarrière-plansurlescassettes.

—Nousn’avonsplusletemps,plusletemps.»LavoixdeSteveétaitamère.«Àquoisertdesavoirtoutcelamaintenant?

— Je prends l’hélicoptère jusqu’à l’immeuble de la Pan Am. Ils nousdonnerontlaprioritépouratterrirsurletoit.SinousattraponsTaggertàtemps,nousleferonsparler.Sinon,notremeilleurechanceestdeconcentrertoutesnosrecherchesautourduBiltmore.Voulez-vousm’accompagner?»

Stevenepritpaslapeinederépondre.Ilcourutàlaporte.Glendaregardalapendule.«Ilest10h30»,fit-elled’unevoixblanche.

46

Assis à son bureau dans le presbytère de l’église Santa-Monica, le pèreKennedy écoutait les informations à la radio. Il hocha la tête en repensant auvisage tourmenté de Steve Peterson lorsqu’il était venu chercher le paquet laveilleausoir.Iln’étaitpasétonnantqu’ilaiteul’airsibouleversé.

Pourraient-ils retrouver l’enfant et la jeune femme à temps ? Où cetteexplosionaurait-ellelieu?Etcombiend’autresseraienttués?

Le téléphone sonna. Il décrocha d’un geste las. « Le père Kennedy àl’appareil.

—Mercid’avoir remis lepaquetque j’avaisdéposé survotreautel lanuitdernière.IciRenard.»

Leprêtresentitsagorgesenouer.Lapresseavaitsimplementétéprévenuequel’onavaitretrouvélacassettedansl’église.«Comment…

—Neposezpasdequestions.VousallezappelerStevePetersondemapartetluidonneruneautreindication.Dites-luiquelabombeexploseradansundesprincipaux centres de transport public de New York. Il peut commencer sesrecherchesparlà.»

Onraccrocha.

47

Renardtraversalentementlasalled’embarquementdelaporte9endirectionde la passerelle couverte qui menait à l’avion. Le pressentiment d’un danger,perçantcommeunsignald’alarme,luimettaitlesnerfsàvif.Sonregardcouraitdedroiteàgauche.Lespassagersde sonvolne luiprêtaientaucuneattention,occupésàjongleravecleurspaquets, leurssacsàmain, leursporte-documents,toutens’apprêtantàprésenterleurcarted’embarquement.

Il jeta un coup d’œil sur sa propre carte d’embarquement qui dépassait del’enveloppe contenant le billet d’avion qu’il avait présenté au guichet.De sonautremain,ilserraitfortementlavieillevalisenoire.

Lebruit!C’étaitça.Lebruitd’unecavalcade.Lapolice!Illâchasonbillet,sauta lemuretde séparationentre la salled’embarquementet lecouloir.Deuxhommesseruaientsurlui.Désespérément,ilregardaautourdeluietremarquaune sortie de secours à environ quinzemètres. Elle devait conduire au terraind’aviation.

La valise. Il ne pouvait pas courir avec la valise. Après une seconded’hésitation, il la lança derrière lui. Elle heurta le carrelage avec un sonmat,glissaquelquescentimètres,ets’ouvrit.Lesbilletsserépandirentdanslecouloir.

«Arrêtezoujetire!»lançaunevoixforte.Renard ouvrit brutalement la porte de secours, déclenchant une sonnerie

stridente. Il la claqua derrière lui et s’élança sur le terrain d’aviation. L’avionpour Phœnix était sur son chemin. Il le contourna.Une petite camionnette deservice,moteurenmarche,étaitstationnéeprèsdel’ailegauchedel’appareil.Leconducteur s’apprêtait à y remonter. Renard le saisit par-derrière, le frappaviolemment dans le cou. L’homme s’écroula avec un grognement. Renard lerepoussa et sauta dans la camionnette. Écrasant l’accélérateur, il démarra enzigzaguant autour de l’avion. Ils n’oseraient pas tirer avec l’avion dans leurchamp.

Lesflicsallaient lepoursuivreenvoitured’uninstantàl’autre.Oubienilsallaient envoyer d’autres voitures pour lui barrer le passage. C’était risqué dequitter la camionnette. C’était encore plus risqué d’y rester. Les pistes étaiententouréesdebarrièresouse terminaientdans lamer.S’ilenempruntaitune, ilseraitprisaupiège.

Ils cherchaient un homme conduisant une camionnette de service sur leterrain d’aviation. Ils ne le cherchaient pas dans l’aérogare. Il remarqua unecamionnetteidentiqueàcellequ’ilconduisaitprèsd’unhangar,serangeaàcôtéd’elle.Surlesiègeprèsdelui,ilyavaitunclasseurouvert.Ilyjetaunbrefcoupd’œil.Ils’agissaitdecommandes,delivraisons.S’enemparant,ildescenditdelacamionnette.Uneporteavec lamention«Réservéaupersonnel»s’ouvrait.Baissantlatêtesurleregistre,ilattrapalaporteetl’empêchadeserefermer.Unejeune femme en uniforme sortit d’un pas vif ; elle jeta un coup d’œil sur leregistredanslamaindeRenardetpassarapidementdevantlui.

La démarche de Renard était plus assurée à présent, rapide. Il franchit àgrandspaslepetitcouloirsurlequeldonnaientlesbureauxdupersonnelet,uninstant plus tard, se retrouvait dans le hall de départ. Les flics de l’aéroportpassèrent en trombe devant lui, courant en direction du terrain. Sans faireattentionàeux,iltraversal’aérogare,sortitsurletrottoirethélauntaxi.«C’estpouroù?demandalechauffeur.

—GrandCentralStation.»Ilsortitunbilletdevingtdollars,toutcequiluirestait.«Combiendetempspouryarriver?Monvolaétéannulé,etilfautquej’attrapeuntrainavant11h30.»

Lechauffeurétait très jeune,pasplusdevingt-deuxans.«Çaseraunpeujuste,monsieur,mais on va y arriver.Les routes sont bonnesmaintenant et lacirculationestfluide.»Ilappuyasurl’accélérateur.«Cramponnez-vous.»

Renard s’enfonça dans son siège.Une sueur glacée l’inondait. Ils savaientmaintenant qui il était. Peut-être avait-on retrouvé son casier judiciaire. Et siquelqu’un disait : « Il travaillait autrefois à l’Oyster Bar. Il était plongeur. »Supposonsqu’ilspensentàlapièceetqu’ilsydescendentpourvoir.

La bombe était reliée au réveil. Cela voulait dire que si quelqu’un entraitdanslapiècemaintenant,onauraitletempsdefairesortirSharonetNeil,peut-être même de désamorcer la bombe. Non, elle exploserait probablement siquelqu’unytouchait;elleétaittrèssensible.MaisàquoicelaservaitsiSharonetNeiln’yétaientplus?

Il n’aurait pas dû donner ce dernier coup de téléphone.C’était la faute deSharon.Ilauraitdûl’étranglerhier.Ilserappelalasensationqu’ilavaitéprouvéelorsque sesmainspressaient soncou, et qu’il sentait lebattementde son sangsous ses doigts. Il n’avait jamais touché aucunedes autres avec sesmains ; ilavaitseulementnouéetserré leursécharpesouleursceintures.Maiselle!Sesmains brûlaient du désir de lui encercler le cou. Elle avait tout démoli. Ellel’avaittrompéenprétendantêtreamoureusedelui.Cettefaçonqu’elleavaitde

leregarder,mêmeàlatélévision,commesielleledésirait,commesiellevoulaitqu’il l’emmène avec lui. Et hier, elle avait mis ses bras autour de lui pourprendre son revolver. Elle était mauvaise. C’était la pire de toutes, toutes lesfemmes dans les orphelinats, toutes les gardiennes dans les maisons dedétention, toutes celles qui le repoussaient quand il essayait de les embrasser.«Arrête!Nefaispasça!»

Iln’auraitpasdûemmenerSharondanslapièce.S’iln’avaitemmenéquelegosse,riendetoutcelaneseraitarrivé.Ellel’avaitforcéàlefaire,etmaintenantl’argentétaitperduetilssavaientquiilétaitetilétaitobligédesecacher.

Mais il la tueraitavant.Encemoment,ondevaitcommenceràévacuer lesgares et les aéroports. Ils ne penseraient sans doute pas si vite à la pièce. Labombe,c’étaittropbonpourelle.Ilfallaitqu’ellelèvelesyeuxetqu’ellelevoie,qu’ellesentesesmainsautourdesoncou.Ilfallaitqu’ilvoiesonvisagesouslesienetqu’illasentemourir.Ilfallaitqu’illuiparle,qu’illuidisecequ’ilallaitfaire,etqu’ill’entendelesupplier,etqu’ilserre.

Il ferma les yeux, avala sa salive. Il avait la bouche sèche, un frisson deplaisirletraversa.

Iln’auraitbesoinquedequatreoucinqminutesune foisdans lagare.S’ilarrivaitdanslapièceà11h27,ilauraitletemps.Ils’enfuiraitparletunneldeParkAvenue.

Etmême sans sonmagnétophone, il se souviendrait du son de sa voix. Ilvoulait se souvenir. Il s’endormirait en se souvenant de la voix de Sharon aumomentoùellemourrait.

Legosse.Il le laisserait là.Labombesechargeraitdelui,deluietdetouscessalesflicspourris,etdetousceuxquineseraientpassortisàtemps.Ilsnesavaientmêmepascequilesattendait.

Letaxientraitdansletunnelquimèneaucentredelaville.Cegarçonétaitun excellent conducteur. Il n’était que onze heures moins dix. Encore dix ouquinzeminutesetilsarriveraientdanslaQuarante-deuxièmerue.Ilauraittoutletemps.ToutletempsnécessairepourSharon.

Au milieu du tunnel, le taxi s’arrêta brusquement. Renard sortit de sespensées.«Quesepasse-t-il?»

Le chauffeur haussa les épaules. « Je regrette,monsieur, il y a un camionarrêtéunpeuplusloin.Ilal’aird’avoirperduunepartiedesonchargement.Lesdeux files sont bloquées.Mais je ne pense pas que ce sera long. Ne vous enfaitespas,vousaurezvotretrain.»

Renard bouillait d’impatience de retrouver Sharon. Il avait les mains

brûlantes, comme s’il touchait du feu. Il songea à descendre, à faire à pied leresteduchemin,maisilseravisa,lesflicsl’arrêteraient.

Ilétait11h17lorsqu’ilssortirent lentementdutunnelet tournèrentverslenord. La circulation commença à ralentir à la Quarantième rue. Le chauffeursiffla:«Quelbordel!Jevaiscouperversl’ouest.»

À la Troisième avenue, ils furent complètement arrêtés. Des voituresimmobilisées bloquaient tous les croisements. Les avertisseurs klaxonnaientfurieusement. Les piétons, l’air affolé, fuyaient à toute allure vers l’est,contournant les voitures, enjambant les pare-chocs. « Il doit sepasser quelquechose d’anormal, monsieur. On dirait qu’ils ont bloqué les rues plus haut.Attendez,jevaismettrelaradio.C’estpeut-êtreencoreunealerteàlabombe.»

Ilsétaientsansdouteentraind’évacuerlagare.Renardjetalebilletdevingtdollarsauchauffeur,ouvritlaporteetdescenditsurlachaussée.

À laQuarante-deuxième rue, il lesaperçut.Des flics.Des flicspartout.LaQuarante-deuxièmebarrée.Iljouadescoudespourécarterlesgens.Unebombe.Unebombe.Ils’arrêta.Lesgensparlaientd’unebombedanslagare.Avaient-ilstrouvéSharonetlegosse?Cettepenséel’emplitd’unefureurnoire.Ilbousculaceuxquiluibarraientlepassageetfonçaàtraverslafoule.

«Reculez,monvieux.Onnepassepas.»Ungrandetjeunegaillarddeflicluitapaitsurl’épaulecommeils’apprêtaitàtraverserlaTroisièmeavenue.

«Quesepasse-t-il?»Ilfallaitqu’ilsache.«Rien.Dumoins,nousl’espérons.Maisunealerteàlabombeaétédonnée

partéléphone.Nousdevonsprendredesprécautions.»Par téléphone. Son coup de téléphone au prêtre.Une alerte !Cela voulait

direqu’ilsn’avaientpasdécouvertlabombe.Toutallaitbien.Ilexulta.Ilavaitles doigts et les paumes desmains électrisés comme à chaque fois qu’il allaitvers une fille et que riennepouvait l’arrêter. Il prit un air soucieux, unevoixdouce,pours’adresseraupolicier.«Jesuischirurgien.Jedoisrejoindrel’équipedesecoursaucasoùl’onauraitbesoindemoi.

—Oh!pardon,docteur!Vouspouvezpasser.»Renard remonta laQuarante-deuxième rue, prenant soinde raser lesmurs.

Leprochainflicàl’arrêterpourraitêtreassezmalinpourluidemanderunepièced’identité.Desflotsdegenssortaientdesbureauxetdesmagasins,attirésparlesappels des haut-parleurs qu’utilisait la police. « Dépêchez-vous. Pasd’affolement. Dirigez-vous vers la Troisième ou la Cinquième avenue. Votrecoopérationpeutvoussauverlavie.»

Ilétaitexactement11h26lorsqueRenard,sefrayantunpassageàtraversla

fouleinquièteetdésordonnée,atteignitl’entréeprincipaledelagare.Lesportesétaient bloquées en position ouverte pour faciliter la sortie. Un policier gradégardaitladernièreporteàl’extrêmegauche.Renardessayadeseglissersanssefaireremarquer.Onluisaisitlebras.«Hé!là!onnepassepas!

—Membredel’équipetechniquedelagare,ditsèchementRenard.—Troptard.Lesrecherchesvonts’arrêterdansuneminute.—Onm’afaitappeler,insistaRenard.—Commevousvoulez.»Leflicbaissasonbras.Derrièrelesportes,lekiosqueàjournauxdésertétaitremplideséditionsdu

matin.Renardaperçutlestitresengrosseslettresnoires.Enlèvement.C’étaitlui,c’étaitcequ’ilavaitfait,lui–lerenard.

Il passa en courant devant le kiosque et jeta un coup d’œil dans le hallprincipal.Despoliciers, l’air tendu,coiffésdecasques,cherchaientderrière lesguichetsetlescomptoirs.Ildevaityenavoirdesdouzainesdanslagare.Maisilseraitplusmalinqu’eux!Qu’euxtous!

Unpetitgroupedegensétait rassembléprèsdubureaude renseignements.Unhommedominaitlesautres,larged’épaules,lescheveuxd’unblondcendré,lesmainsenfoncéesdanslespoches.Ilsecouait la tête.C’étaitStevePeterson.Retenant son souffle, Renard s’élança dans le hall et atteignit l’escalier quidescendaitauniveauinférieur.

Ilneluifallaitplusquedeuxminutes.Sesdoigtsélectriséslebrûlaient.Illespliait,lesdépliaittoutendescendantl’escalierquatreàquatre.Seulslespoucesrestaient rigides. Il traversa le niveau inférieur au pas de course, sans quepersonne ne l’arrêtât, et disparut dans les escaliers qui menaient au quai deMountVernonetau-delà,àlapièce.

48

LanouvelleducoupdetéléphonedeRenardparvintàHughetàStevealorsquel’hélicoptèresurvolaitlepontdeTriborough.

«Undesprincipauxcentresde transportpublicdeNewYork,aboyaHughdanslaradio.BonDieu,celainclutlesdeuxaéroports,lesdeuxgaresroutières,PennsylvaniaetGrandCentral.Avez-vouscommencéàlesévacuer?»

Steveécoutait,lesépaulescourbées;sesmainss’ouvraientetserefermaientsanscesse.Kennedy!LaGuardia!Lagareroutièremunicipaleoccupaittoutunbloc ; celle qui était près du pont était probablement encore plus grande.Sharon…Neil…ÔmonDieu,c’étaitsansespoir!…quelerenardbâtissesonterrierdanstonfoyer…

Hugh reposa le récepteur. « Pouvez-vous faire voler ce machin-là un peuplusvite?insista-t-ilauprèsdupilote.

—Leventforcit,réponditlepilote.Jevaisessayerdedescendreunpeuplusbas.

— Le vent, il ne manquait plus que ça si un incendie se déclare lors del’explosion»,marmonnaHughentresesdents.IlregardaStevepar-dessussonépaule.«Cen’estpaslapeinedesefairedesillusions.Çavamal.Nousdevonsenvisagerquesamenacedebombeestréelle.

—AvecSharonetNeilquelquepartdanslesparages?»Steveavaitlavoixbrisée.«Paroùallez-vouscommencerlesrecherches?

— Il faut jouer sur la chance, répliqua froidement Hugh. Nous allonsconcentrer tous nos efforts surGrandCentral. Souvenez-vous, il avait garé lavoiture dans Vanderbilt Avenue, et il avait pris une chambre au Biltmore. Ilconnaîtlagarecommesapoche.EtJohnOwensaditquelebruitdetrainssurlacassetteressembleplusàunbruitdetrainsdebanlieuequ’àceluidumétro.

—QuevadevenirRonaldThompson?— Si nous ne prenons pas Renard pour le faire passer aux aveux, il est

foutu.»À11h05, l’hélicoptère se posa au sommetde l’immeublede laPanAm.

Hughouvritrapidementlaporte.UnagentduF.B.I.seprécipitaverseuxtandisqu’ils sautaient à terre. Blanc de colère, les lèvres serrées, il leur racontabrièvementcommentRenards’étaitéchappé.

« Comment ça, échappé ? explosa Hugh. Comment diable cela a-t-il puarriver?Êtes-vousvraimentcertainqu’ils’agissaitdeRenard?

—Absolument.Ilalaissétomberlarançon.Onfouilleleterraind’aviationetl’aérogareencemoment.Maisonadéjàcommencéàévacuerlesgensetc’estunesacréepagaillelà-bas.

—Larançonnenousdirapasoùiladéposélabombe,etçanesauverapasThompson,proférasèchementHugh.IlfauttrouverRenardetlefaireparler.»

Renard s’était échappé. Abasourdi, Steve prenait conscience des mots.Sharon.Neil.«Steve,j’avaistort,pardonne-moi.»«Mamann’aimeraitpasmesavoir ici. » Cette étrange cassette serait-elle le dernier lien qu’il aurait aveceux?

Lacassette,lavoixdeNina…Ilattrapalebrasd’Hugh.«Lacassettequ’ilaenvoyée.Iladûenregistrerla

voixdeNinaàlafin.Vousditesqu’ilavaittoutdéménagédanslegarage.Avait-ildesbagages?Ilavaitsûrementunevalise,quelquechoseaveclui.Peut-êtrea-t-ilencorelacassettesurlaquelleestenregistréelavoixdeNina;peut-êtrea-t-ilquelquechosequiindiqueraitoùsontSharonetNeil.»

Hughsetournaversl’autreagent.«Savez-vouss’ilavaitdesbagages?—Ilyadeuxticketsd’enregistrementattachésaubilletd’avionqu’ilalaissé

tomber.Mais l’avionadécollé il y a environvingt-septminutes.Personnen’apenséàempêcherledécollage.NousauronslesvalisesàPhœnix.

—Çanevapas,s’écriaHugh.BonDieu,çanevapasdutout.Débrouillez-vouspourfairerevenircefoutuavion.QuetouslesbagagesdeLaGuardiasoientprêtsàêtredéchargés.Donnezl’ordreàlatourdecontrôlededégagerunepiste.Etqu’iln’yaitpasunimbécilepoursemettreentraversdenous.Oùtrouve-t-onuntéléphoneici?

—Àl’intérieur.»Hughsortitsoncarnettoutencourant.Rapidement,ilcomposalenumérode

la prison Somers et obtint le bureau du directeur. « Nous tentons toujours demettrelamainsurlapreuvedel’innocencedeThompson.Soyezprêtàrépondreautéléphonejusqu’àladernièreseconde.»

Ilappela lebureaudugouverneur,obtintsasecrétairepersonnelle.«Faitesen sorte que l’on puisse joindre le gouverneur à tout instant et arrangez-vouspouravoirunelignedisponiblepournosagentsàLaGuardiaetuneautrepourlaprison.Sinon,l’ÉtatdeConnecticutentreradansl’histoirepouravoirélectrocutéuninnocent.»Ilreposaletéléphone.«Allons-y»,dit-ilàSteve.

Dix-neufminutes,songeaStevetandisquel’ascenseurdescendaitenflèche.

Dix-neufminutes.Lehallde l’immeublede laPanAmétaitbondédegensquiavaient fui la

gare.Alerteà labombe…Alerteà labombe…Cesmotsrevenaientsur toutesleslèvres.

Steve et Hugh se frayèrent un chemin à contre-courant à travers la foule.Comment savoiroùchercher ?Steveétaitmortd’angoisse. Il était làpasplustard qu’hier. À l’Oyster Bar, en train d’attendre son train. Se pouvait-il queSharon et Neil se soient trouvés au même moment dans les environs, sansdéfense ? Du haut-parleur une voix pressante répétait les mêmes ordres.« Quittez les lieux immédiatement. Gagnez la sortie la plus proche. Pasd’affolement. Ne vous rassemblez pas près des sorties. Quittez les lieux…quittezleslieux…»

Le bureau de renseignements au niveau supérieur de la gare, avec seslumières rouges qui clignotaient, menaçantes, était le quartier général desopérations.Lestechniciens,penchéssurdesplansetdesdiagrammes,lançaientdesordresauxéquipesderecherche.

«Nousnousconcentronssurunezonecompriseentrelesoldeceniveauetle plafond du niveau inférieur », expliqua un ingénieur à Hugh. « On peut yaccéderdetouslesquaisetceseraitunetrèsbonnecachette.Nousavonsvérifiéles quais et nous fouillons tous les casiers de consigne. Nous estimons que,même si nous trouvons la bombe, il sera probablement trop risqué de ladésamorcer. La brigade antibombe a apporté tous les déflecteurs antisoufflequ’ils ont pu trouver. On les distribue aux équipes de recherche. Une seuled’entre elles est en principe capable d’atténuer quatre-vingt-dix pour cent deseffetsd’uneexplosion.»

Stevebalayaduregardlehalldegare.Lehaut-parleurs’était tuet levasteespaceétaitdevenusilencieux;unsilenceétouffé,dérisoire,régnait.L’horloge.Ilcherchadesyeuxl’horlogesituéeau-dessusdubureauderenseignements.Lesaiguillestournaient.11h12…11h17…11h24…Ilauraitvoulupouvoirlesretenir.Ilauraitvoulucourirsurchaquequai,danschaquesalled’attente,chaquerecoin.Ilauraitvoulucrierleursnoms:Sharon!Neil!

Affolé,iltournalatête.Ilfallaitqu’ilfassequelquechose,qu’illescherchelui-même.Sonregardtombasurunhomme,grand,maigre,quientraitentrombeparlaportedelaQuarante-deuxièmerue,descendaitencourantlesmarchesdel’escalier et disparaissait dans le deuxième escalier qui conduisait au niveauinférieur.Quelque chose chez cet homme lui parut familier. Peut-être l’undesagents?Maisqu’allait-ildoncfairemaintenant?

Lehaut-parleur reprenait.« Ilest11h27.Toutes leséquipesde recherchedoivent regagner immédiatement la sortie la plus proche. Quittez la gareimmédiatement.Jerépète:quittezlagareimmédiatement.

—Non!»SteveagrippaHughparlesépaules,lefitpivoter.«Non!—MonsieurPeterson,soyezraisonnable.Silabombeexplose,nousserons

tous tués.MêmesiSharonetNeil sont ici,nousne leur sommesplusd’aucunsecours.

—Jeneparspas»,ditSteve.Hugh lui attrapa lebras.UnagentduF.B.I. leprit par l’autre. «Monsieur

Peterson,soyezraisonnable.Cen’estpeut-êtrequ’uneprécaution.»Steve s’arracha à eux. « Lâchez-moi, nom de Dieu ! hurla-t-il. Lâchez-

moi!»

49

C’étaitsansespoir.Sansespoir.Lesyeuxrivéssurleréveil,Sharonessayaitfrénétiquementd’attaquerlacordequiluiliaitlespoignetsavecletranchantdelapoignéedeportecassée.Maisrienn’étaitplusdifficilequedetenirlapoignéed’unemainenessayantdel’enfoncerdanslacordedel’autre.

Plus d’une fois, elle rata la corde et lemétal lui déchira lamain. Le sangtièdeetgluantcoulait,secoagulait.Ellenesentaitpas ladouleur.Maisquesepasserait-ilsielleentaillaituneartèreetsielles’évanouissait?

Lesangavaitamollilacorde,larendaitplussouple.Lemétals’yenfonçaitmaisnel’attaquaitpas.Ilyavaitplusd’uneheurequ’elleessayait…ilétaitonzeheuresmoinsvingt-cinq.

Onzeheuresmoinsvingt.Moinsdix…moinscinq…onzeheurescinq…Elles’acharnait, levisagecouvertde transpiration, lesmainspoisseusesde

sang, insensible à la douleur.Elle avait conscience des yeux deNeil fixés surelle.Prie,Neil.

À11h10, elle sentit la corde faiblir, céder.Rassemblant cequi lui restaitd’énergie,Sharonécarta sesmains.Elles étaient libres ; les lienspendaientdesespoignets.

Ellelestenditdevantelle,lessecoua,essayantdechasserl’engourdissement.Ilrestaitquinzeminutes.

Prenant appui sur son coude gauche, Sharon se redressa avec peine. Elles’arc-bouta, le dos contre le mur et se hissa petit à petit pour s’asseoir. Sesjambes basculèrent devant le lit de camp. Une douleur aiguë lui traversa lacheville.

Quatorzeminutes.Ses doigts affaiblis tremblaient en tirant sur le bâillon. Le tissu était

terriblement serré.Elle n’arrivait pas à le relâcher.Tirant de toutes ses forces,elleparvintàlefairedescendre.Quelquesgrandesgouléesd’airluiéclaircirentlesidées.

Treizeminutes.Ellenepouvaitpasmarcher.Mêmesi elleparvenait à se traîner jusqu’à la

bombe, elle risquait de la cogner en se cramponnant au bord de l’évier, en

essayantdel’attraper.Ellepouvait lafaireexplosersimplementenl’effleurant.EllesesouvenaitdusoinextrêmeaveclequelRenardmaniaitlesfils.

Iln’yavaitplusd’espoirpourelle.IlfallaitchercheràlibérerNeil.Sielleyarrivait,ilpourraitsortir,avertirquelqu’un.Elleluiarrachasonbâillon.

«Sharon.—Oui.Jevaisessayerdedéfairetesliens.Jevaispeut-êtretefairemal.—Çanefaitrien,Sharon.»Etsoudainellel’entendit.Lebruit.Quelquechosecognaitsourdementcontre

laporte.Est-cequ’ilrevenait?Avait-ilchangéd’idée?SerrantNeilcontreelle,Sharonfixaitlaporte.Elles’ouvrait.L’interrupteurfitundéclic.Danslalumièrepoussiéreuse,ellevitcequisemblaitêtreuneapparitiontrébucherverselle,unefemme,unevieillefemmeavecunfiletdesangquiluicoulaitdelabouche,desyeuxhagardsenfoncésdansleursorbites.

NeilsepressacontreSharontandisquelafemmes’avançait;ilcontemplaitavechorreurlaformequitombaitenavant,s’affaissaitparterrecommeunsacdelingesale.

Lafemmegisaitsurlecôté,elletentaitdeparler«Lecouteau…dansmondos… au secours… s’il vous plaît… enlevez-le… j’aimal… voudraismouririci…»

La tête de la femme touchait le pied de Sharon. Son corps étaitgrotesquementtordu.Sharonaperçutlemancheducouteauentresesomoplates.

EllepourraitlibérerNeilaveclecouteau.Frissonnante,ellesaisitlemancheàdeuxmains,tira.

Le couteau résista avant de céder, d’un seul coup. Elle le tenait, la lameaffiléeetmenaçante,maculéedesang.

Lafemmegémit.Enunclind’œil,SharonavaittranchélescordesdeNeil.«Neil…cours…

sorsd’ici…crieauxgensqu’ilvayavoiruneexplosion…vite…descendslesescaliers… il y a une grande rampe… prends-la… va jusqu’au quai, montel’autreescalier…ilyauradesgens…papaviendra…vite…sorsde lagare…faissortirtoutlemonde…

—Mais,Sharon…»LavoixdeNeilétaitsuppliante.«Ettoi?—Neil…vas-y.Cours!»Neilseglissahorsdulitdecamp.Ilessayademarcher,trébucha,seredressa.

«Mesjambes…—Neil,vite.Cours!Cours!»Avecundernierregardimplorant,Neilobéit.Ilsortitdelapiècesurlepalier.

Ildescenditlesescaliers.Sharonavaitditdedescendrelesescaliers.Toutétaitsicalme ici, si effrayant. Il avait si peur. La bombe. Peut-être allait-il trouverquelqu’un, peut-être pourraient-ils sauver Sharon. Il devait trouver quelqu’unpoursauverSharon.

Il était au pied des escaliers.Quelle direction fallait-il prendre ? Il y avaittellementdetuyaux.Unerampe.Sharonavaitditunerampe.Çadevaitêtreça.Commecelledel’écolequimenaitdesclassesàlagrandesalle.

Ilsuivit larampeencourant. Ilauraitvouluappelerà l’aide.Mais il fallaitallervite.Ildevait trouverquelqu’un.Ilétaitauboutdelarampe.Ilétaitdansunegare,unegaredecheminsdefer.Lavoieétaitdevantlui.Sharonavaitditdemonterl’autreescalier,ilcontournalequai,làoùlavoies’arrêtait.

Unevoixsemitàparler.Onauraitdit leproviseurquand ilparlaitdans lehaut-parleurdel’école.Elledisaitquetout lemondedevaits’enaller.Oùétaitl’hommequiparlait?

Il entendait des pas dans un escalier. Quelqu’un venait, quelqu’un quipourraitsauverSharon.Ilétaittellementsoulagéqu’ilessayad’appeler,maisenvain. Ilétaitàboutdesouffle.Ses jambes lui faisaient simalqu’ilnepouvaitpluscourir. Il trébuchaens’approchantde l’escalier,etcommençaàgravir lesmarches.Ilfallaitqu’ilprévienneceluiquiarrivaitausujetdeSharon.

Neil leva la tête et vit levisagequi avait hanté ses rêves se rapprocherdelui…

RenardvitNeil.Sesyeuxserétrécirent.Saboucheeutunrictus.Iltenditlesmains…

Neil fit un saut de côté, lança son pied. La jambe de l’homme heurta sachaussure de tennis. Il dégringola les trois dernières marches. Échappant auxbras qui tentaient de le saisir. Neil s’élança vers le haut des escaliers. Il setrouvaitdansunvastehall,vide.Iln’yavaitpersonne.Unautreescalier.Par-là,peut-être. Il y avait peut-être des gens, en haut. Le méchant homme allaitrejoindreSharon.

Sanglotant,Neilcourutjusqu’enhautdesescaliers.Papa,essayait-ildecrier.Papa.Papa. Il atteignait ladernièremarche. Ilyavaitdespolicierspartout. Ilspartaienttousencourant.Certainsd’entreeuxentraînaientunhomme.

Ilsentraînaientpapa.«Papa!hurlaNeil.Papa!»Dans un dernier sursaut d’énergie, il s’élança en trébuchant dans le hall.

Stevel’entendit,seretourna,courutverslui,l’attrapa.«Papa, sanglotaitNeil, l’hommeva tuerSharonmaintenant…comme il a

tuémaman.»

50

Résolue,Rosiesedébattaitpourempêcherqu’onnelapoussedehors.Lallyétaitenbas,àSingSing.Elleenétait sûre. Ilyavaitdes flicspartout. Ilyenavaittoutungroupeaubureauderenseignements.RosiereconnutHughTaylor.C’étaitcechictypeduF.B.I.quiluiparlaittoujoursquandilvenaitfaireuntourdanslagare.Ellecourutverslui,letiraparlebras.

«MonsieurTaylor,Lally…»Illuijetauncoupd’œil,libérasonbras.«Fichezlecampd’ici,Rosie»,lui

ordonna-t-il.Un haut-parleur se mit à hurler, ordonnant à tout le monde de sortir.

«Non!»sanglotaRosie.Ilyavaitungrandtypeàcôtéd’HughTaylorquileprenaitauxépaules,le

faisaitpivoter.EllevitHughetunautrepoliciersaisirl’hommeàbras-le-corps.«Papa!Papa!»Avait-elledesvoix?Rosieseretourna.Unpetitgarçoncouraitentitubantà

traverslehall.Aumêmeinstant,legrandtypequicriaitaprèsM.Taylors’élançaversl’enfant.Elleentenditlepetitgarçonquiparlaitd’unhommeméchantetseprécipita vers eux. Peut-être avait-il vu le type qu’elles surveillaient, Lally etelle.

Lepetitgarçonpleurait.«Papa,ilfautsauverSharon.Elleestblessée,elleestattachée,etilyaunevieilledamemalade…

—Où,Neil,où?suppliaitSteve.—Unevieilledamemalade,s’écriaRosie.C’estLally.Elleestdanssapièce.Voussavez,monsieurTaylor,SingSing–l’ancienne

salledeplonge.—Allons-y»,hurlaHugh.Steve confiaNeil à un policier. « Faites sortirmon fils d’ici. » Il s’élança

derrièreHugh.Deuxhommeschargésd’unelourdeplaquedemétallessuivirent.«MonDieu,sortonsd’icienvitesse!»Quelqu’unpassasonbrasautourde

latailledeRosieetl’entraînaversunesortie.«Cettebombevaexploserd’unesecondeàl’autre!»

51

Sharon entendit le bruit feutré des chaussures de tennis deNeil s’éloignerrapidementdansl’escalier.MonDieu,faitesqu’ilarriveàs’échapper,faitesqu’ilyarrive.

Les gémissements de la vieille femme s’arrêtaient, reprenaient, puiscessaientpendantuntemps.Lorsquelaplaintereprit,elleétaitplusbasse,plusdouce;commesielleallaits’éteindre.

Avec une sensation très nette de détachement, Sharon se rappela que lafemme avait dit vouloir mourir ici. Se penchant vers elle, elle effleura lescheveuxemmêlés,lescaressadoucement.Duboutdesdoigts,ellelissalefrontridé. La peau était humide et froide. Lally eut un violent frisson. La plaintecessa.

Sharoncompritquelafemmeétaitmorte.Etmaintenant,elleallaitmouriràson tour. « Je t’aime, Steve, dit-elle à voix haute. Je t’aime, Steve. » Elle nevoyaitplusquesonvisage.Lebesoinqu’elleavaitdeluidevenaitunevéritabledouleurphysique,primitive,déchirante,bienplusfortequelesupplicelancinantdesajambeetdesacheville.

Ellefermalesyeux.«Pardonnez-nousnosoffensescommenouspardonnonsàceuxquinousontoffensés…EntreVosMains,jeremetsmonâme!»

Unbruit.Elleouvritbrusquementlesyeux.Renardsetenaitdansl’encadrementdela

porte. Un large sourire fendait son visage. Les doigts courbés, les poucesdressés,ils’avançaitverselle.

52

Hugh fila en tête vers le quai deMount Vernon. Il fit le tour de la voie,s’engageadanslarampequimenaitauxprofondeursdelagare.Stevecouraitàsescôtés.Leshommesquiportaientledéflecteuranti-souffles’efforçaientdelessuivre.

Ilsétaientsurlarampequandilsentendirentunhurlement.«Non…non…non…Steve…Ausecours…Steve…»

LesprouessesdeStevesurlapistecendréedataientd’ilyavingtans.Maisune fois encore il sentit cet énorme afflux de puissance, cette extraordinairevagued’énergie,quis’emparaittoujoursdeluiaudépartd’unecourse.Aveugléparledésird’atteindreSharonàtemps,ildépassalesautres.

«Steeevvveeee…»Lecris’interrompit.Les escaliers. Il était au pied d’un escalier. Il s’élança quatre à quatre,

franchituneportecommeunouragan.Son cerveau enregistra la vision de cauchemar qu’il découvrait, le corps

étendusurlesol,Sharonàmoitiécouchée,àmoitiéassise,lesjambesliées,lescheveuxépars,cherchantàéchapperà la formepenchéesurelle, la formeauxdoigtsserrésquilaprenaientàlagorge.

Steve se jeta sur l’homme, cogna de la tête dans le dos penché. Renards’aplatitenavant. Ils tombèrent tous lesdeuxsurSharon.Le litdecampcédasous leurs poids et ils roulèrent ensemble sur le sol. Lesmains n’avaient paslâchélecoudeSharon,maiselless’écartèrentsouslechoc.Renardvacillasursespieds,s’accroupit,Stevesereleva,butasurlecorpsdeLally.LarespirationdeSharonn’étaitqu’unrâleétouffé,torturé.

Hughbondissaitdanslapièce.Piégé, Renard recula. Sa main trouva la poignée des cabinets. Il s’y rua,

claqualaportederrièrelui.Ilsl’entendirenttirerleverrou.«Sortezdelà,espècedetimbré»,tonnaHugh.Lesagentsarrivaientavec ledéflecteuranti-souffle.Avecunsoinextrême,

ilsenveloppèrentlavalisenoiredel’épaissefeuilledemétal.Steve se pencha vers Sharon. Elle avait les yeux fermés. Sa tête partit en

arrièrequandillareleva.D’affreusesmarquesapparaissaientsursoncou.Maiselleétaitvivante;elleétaitvivante.Laprenantdanssesbras,ilsedirigeaversla

porte.Sesyeuxtombèrentsur lesphotos,sur laphotodeNina.IlserraSharonplusfort.

«Sortezd’ici!»hurlaHugh.Ilsdévalèrentlesescaliers.«Letunnel.Tousautunnel!»Ilsdépassèrentlegénérateur,lesventilateurs,s’élancèrentsurlesvoies,dans

l’obscurité…Renardentenditleurspass’éloigner.Ilsétaientpartis.Ilsétaientpartis.Ilfit

glisserleverrouetouvritlaporte.Àlavuedudéflecteursursavalise,ilsemitàrire,unrireprofond,sonore,saccadé.

C’étaittroptardpourlui.Maisc’étaittroptardpourlesautresaussi.Enfindecompte,c’étaittoujoursleRenardquigagnait.

Iltenditlamainversledéflecteur,essayadedécouvrirlavalise.Un éclair aveuglant, une déflagration qui lui fit éclater les tympans, le

propulsadansl’éternité.

53

11h42.BobKurnerentracommeune trombedans l’égliseSt.Bernard, remonta le

bas-côté,etenlaçalasilhouetteagenouillée.«C’estfini?»Sesyeuxétaientsecs.« C’est fini ! Allez, maman Thompson, venez ramener votre enfant à la

maison.Ilsontlapreuveabsoluequ’unautretypeavaitcommislemeurtre;ilsont trouvé un enregistrement de lui en train de tuer Nina Peterson. LegouverneuraditderelâcherRonimmédiatement.»

Kate Thompson, la mère de Ronald Thompson, cette croyante à touteépreuveenlabontéetlamiséricordedesonDieu,s’évanouit.

Rogerdécrochaletéléphone,setournaversGlenda.«Ilssontarrivésàtemps,dit-il.—Sharon,Neil,lesdeuxsontsauvés?murmuraGlenda.—Oui,etlejeuneThompsonrentrechezlui.»Glendaportaunemainàsagorge.«Merci,monDieu.»Ellevitl’expression

deRoger.«Jevaistrèsbien,chéri.Enlèvetoutescessatanéespilulesetprépare-moiunbonwhiskybiensec.»

HughavaitpassésonbrasautourdeRosiequipleuraitdoucement.«Lallyasauvésagare,disait-il.Etnousallonsfaireunepétitionpourqu’onapposeuneplaquecommémorativeensonhonneur.JedemanderaiaugouverneurCareydevenirenpersonneladévoiler.C’estuntypebien…

—Uneplaqueenl’honneurdeLally,murmuraRosie.Oh!elleauraitadoréça!»

Un visage flottait quelque part au-dessus d’elle. Elle allait mourir et nereverraitplusjamaisSteve.«Non…non…

—Toutvabien,chérie,toutvabien.»LavoixdeSteve.C’étaitlevisagedeSteve.«Toutestfini.Nousallonsàl’hôpital.Onvatesoignercettejambe.—Neil…—Jesuislà,Sharon.»Unecaressedepapillondanssesmains.LeslèvresdeStevesursajoue,sonfront,seslèvres.

LavoixdeNeilàsonoreille.«Sharon,j’aifaitcequetum’asdit.J’aitoutletempspenséaucadeauquetum’aspromis.Sharon,tuasexactementcombiendetrainsLionelpourmoi?»

FIN