Tabledesmatières

Résumé

Dédicace

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

XI

XII

XIII

XIV

XV

XVI

XVII

XVIII

XIX

XX

XXI

XXII

XXIII

XXIV

XXV

Biographie

ParRowanMcAllister

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Droitsd'auteur

Pourunedeuxièmechance

ParRowanMcAllister

Bien qu’ayant vécu dans l’opulence et dans unmonde privilégié toute sa

vie,JordanThorndiken’enpeutplusdefairesemblant. Ilneveutplusdeveniravocat,contrairementauxespoirsdesesparents…ouleurfournirlabelle-filleetles deux virgule quatre petits-enfants qu’ils espèrent. Face à un ultimatum –continuer à vivre dans le mensonge ou se faire la malle – Jordan s’en va,n’emportantquecequitientdanssoncabriolet.

Sansdomicile,sanstravailetsansbutdanslavie,JordanserendauranchB STAR, l’une desœuvres de charité à laquelle contribue samère. Entre sonnomdefamilleetsoncharmenaturel,lesemployésluimangentdanslamainenunriendetemps–saufunhomme.

Russatoujoursdûtravaillerdurpourobtenircequ’ilvoulaitetilenveutàcegaminpourrigâtéquisesertduranchpourvivreunfantasme.Cependant,ladéterminationdeJordanàprouversavaleuràRussentravaillantdur,safamilleetdevieillesblessurescompliquent la situation. Jordanprendra-t-il consciencequecequ’ilvoitcommeunmoyend’échapperàsonquotidienconstitue lavieréelle de la plupart des gens ? Et Russ pourra-t-il accepter que Jordan puissemûrir–etledésirer,lui?

Àtousceuxquiouvrentleurcœuretleurmaisonauxanimauxmaltraitésetdélaissés,leuroffrantunesecondechanceetuneviemeilleure.

I

—OHMERDE!Lesfreinsgrincèrentetdugravierricochasouslechâssis.Lesrouesarrière

desonjolicabrioletBMWsérie4rougefirentvolerunnuagedepoussièreetdecailloux, et il s’arrêta en zigzaguant. Il serra fermement le volant et tentad’écraserlapédaledefreintandisqu’ildérapait,lecœurauborddeslèvres.

Savieétaitpeut-êtresurlepointdesefinir,icietmaintenant,etiln’avaitrientrouvédemieuxque«ohmerde»?

Lorsquelavoitures’arrêtaenfinbrusquement,soncœurbattaitsifortqueleson fut presque assourdissant dans le silence soudain. Ce supplice terrifiantn’avait duré que quelques secondes tout au plus, mais il avait l’impressiond’avoirperduplusieursannéesdesavie.

Lespaupièresfermementcloses, ilouvritunœil,s’attendantàmoitiéàsedécouvrir suspendu au-dessus du vide, à quelques secondes de tomber de lamontagne sur laquelle il roulait si vite. Mais non, les quatre roues étaientmaintenues par un énorme accotement retenant le gravier, créé apparemmentpourlesabrutiscommeluiquinefaisaientpasattentionetprenaient ledernierviragetropvite.

Dramaqueen.Cettevoix,danssatête,étaitcelledesonpère,mêmesiJordanétaitsûrque

William Alexander Thorndike deuxième du nom n’avait jamais prononcé cesdeuxmots.

Jordanfitlagrimaceets’obligeaàdétendresesdoigtscrispéssurlevolant,lesserrantetlesdesserrantavantdecouperlemoteurd’unemaintremblante.Ilreferma les yeux, jeta les clés sur le siège passager et prit un instant pours’adossercontrel’appuie-têteetrespirer.Ildevaitsecalmer.Ildevaitseremettreles idéesenplaceavantde reprendre la route, sinon, il finiraitvraimentparsetuer.

Ilvoyaitbienlesgrostitres:«Lefilsdumillionnaireroidelafinancesetuedansunterribleaccident!»

Sonpère serait sans doute fou de joie.Unemort tragique dans la famillebattraitàplatecouturetoutscandaleconcernantunfilsgaydéshérité.Sesparentsrecevraient desmarquesde sympathie de leurs amis du country club sans être

entachésparl’horriblevérité.Gagnant-gagnant.SaufqueJordannevoulaitpasleurdonnercettesatisfaction.—Qu’ilsaillentsefairefoutre.Etcommeilaimalamusiquedecesmots,illevalatêteetcriaàl’intention

delamontagne,desarbresetdesoiseaux:—Qu’ilsaillentsefairefoutre!Qu’ilsaillenttoussefairefoutre.Ilspouvaientgarderleurhéritierparfaitet

leur petite fille chérie.Les enfants dumilieu devaient toujours se sacrifier, detoutefaçon,non?Jordanétaitdonccondamnédèsledébut.

Quandsoncœurrepritunrythmenormal,ildescenditdevoiture,lesjambesraidesettremblantes,posalesmainssurlacapoted’unrougechaudetbrillantetbaissalatête.Ilétaitinjusteavecsesfrèresetsœurs.WillJuniornepouvaitpass’empêcherd’êtreaussiparfaitetGemmaseraitsansdoutevouéeàêtrelebébédelafamilletoutesavie.Ilsavaienttousleursproblèmes,mêmesiaucund’euxn’avaittoutfichuenl’aircommeJordanl’avaitfaitcettefois-ci.

Ilétaitdouépourça,aumoins.«—Nedisplusunseulmot.Jeneveuxrienentendre.»Sonpèreétaitrestéraidecommeunpiquetdanssonbureau,tournantledos

àJordan, lesmainscroiséesderrière lui, toutenregardantpar la fenêtrequisetrouvaitderrièresatabledetravail.LamèredeJordan,quis’étaiteffondréesurune chaise derrière lui, n’arrêtait pas de renifler, mais Jordan ne pouvait pasquittersonpèredesyeux.

«—Père,je…—Non.Plusunmot.Tuvasallertepromener,Jordan.Quandtureviendras,

tu t’excuseras auprès de ta mère de l’avoir bouleversée avec cette mauvaiseblague.Tunousdirasquetuserasextrêmementravid’accompagnerSheila, lafille des Madson, au dîner de clôture du festival de dressage et à tous lesendroitsoùelledésirerat’emmenercetété,avantqueturetournesàl’universitécetautomneetfinissetalicence.C’esttoutcequejeveuxentendre.»

Jordan grimaça à ce souvenir. Il s’assit au sol, contre sa voiture. Aprèsvingt-quatre années à essayer – sans succès, la plupart du temps – de vivreconformémentàleursattentes,ill’avaitfait.Ilavaitenfintrouvélecouragedeleurdire la vérité. Il nevoulait et nepouvait pas être l’hommequ’ils auraientvouluqu’ilsoit.

Ildevraits’ensentirsoulagé.Ilneressentaitpluslepoidsimmensedeleursattentes. Il n’aurait plus à faire semblant de sortir avec des filles qui nel’intéressaientenrien.Iln’avaitplusàsourire,flirteretflattercesribambellesdeprincesses pourries gâtées que ses parents lui imposaient, dans l’espoir qu’iltrouve une bonne chrétienne qui s’occuperait de ses mauvaises manières. Il

n’avaitplusà fairecommesiobtenir sa licenceetpasser l’examendubarreauétaittoutcequ’ildésiraitdanslavie.Ilétaitlibre.

Maisaulieudecela,ilsouffrait.Ilavaitmalcommes’ilavaitreçuuncoupauplexus,saufqueladouleurnes’étaitpasestompéedepuisqu’ilavaitprissesparentsàpartetfaitsagranderévélation,quelquesheuresplustôt.Cettedouleurétaitaucontrairetoujoursaussivivace.

Il s’était attendu aux cris. Il s’était attendu aux larmes de samère et à ladésapprobation de son père, ainsi qu’à sa déception. Cette dernière lui étaitintimementfamilière.Maisilnes’étaitpasattenduàêtrerejetécomplètementetaussifroidement.Samèreavaitàpeinemurmuré,sansgrandenthousiasme,quec’était«peut-êtreunephase»avantquesonpèrel’interrompepourdonnersonultimatum : soit Jordan recommençait à faire semblant d’être le fils qu’ilsvoulaient qu’il soit, soit il n’était plus leur fils – point barre, sans discuter.Hébété, Jordan avait emballé ses affaires, espérant que, pendant le processus,quelqu’unarriveraitet luioffriraituneétincelled’espoir,un indicequelconquelui indiquantque laportene luiétaitpas ferméepour toujours.Maispersonnen’étaitvenu.

Lasueurluicouladansledos,interrompantl’inutilerappeldesévénementsqui ne cessaient de passer en boucle dans son esprit depuis qu’il avait quittéThorndike Farms. Il devait réfléchir, pas s’appesantir sur le passé. Il repoussatous ses souvenirs et se leva, épousseta son short en lin et étudia sonenvironnement.Ilétaitsurunelongueroutesinueusequigrimpaitlamontagne,maisilignoraitoùilserendait.Desfeuillesvertfoncéfrémissaientsousl’effetd’unelégèrebrise, lescigaleschantaientdanslesarbresetunebrumes’élevaitde la chaussée.L’air était aussi lourd et humidequ’onpouvait s’y attendre enVirginie,aumoisdejuillet,etiln’arrivaitpasàsavourerl’idéealléchantedeselaisser fondre sur le bord de la route, pas avec la voix de son père résonnanttoujoursàsesoreilles.

Maintenantquel’adrénalineavaitreflué,ilétaitépuisé,cequinel’aidapasà améliorer son humeur ou ses capacités de réflexion. Il remonta en voiture,remitlemoteurenmarcheetallumalaclimatisation.Sonmoralétaittoujoursauplusbas,maisl’airfraisquiluisoufflaitauvisagel’aidaàs’éclaircirlesidées.Ilallumalaradiofort,pourétoufferlesvoixdanssatête,etrepritlaroute,espéranttrouver l’inspiration en continuant à rouler. Il n’était pas vraiment en état deprendredesdécisionsàl’heureactuelle,maisrestertranquillementquelquepart,seul avec ses pensées, n’était pas une option envisageable non plus. Il devaitfairequelquechose.

Comme il voyait deplus enplusdepanneaux annonçant la I-81, il suivitson instinct et les flèches. Dépasser les montagnes Blue Ridge et quitter la

Virginie semblait une idée fantastique. Il laisserait derrière lui le snobisme dupays du cheval et l’étroitesse d’esprit et l’inflexibilité des habitants deLynchburg, aumoins jusqu’à cequ’il découvre cequ’il allait pouvoir faire delui-même.

Le problème étant qu’il n’avait pas vraiment planifié la suite, il n’avaitréfléchiqu’àlapartieconcernantsoncoming-out.S’ilavaiteulamoindreidéedequi ilvoudraitêtre,plutôtquedequi ilnevoulaitpasêtre,peut-êtrequesaconversation avec son père se seraitmieux passée. Il aurait été enmesure del’affronteraulieudefuircommeunlâche…Bienquelerésultatfinaln’eûtpasétébiendifférent,sansdoute.Maisilneseseraitpeut-êtreplussentiaussiperduparlasuite.Ilauraitaumoinssuoùaller.

Prèsde labretelled’accès à la81-S, il s’arrêta àune station-servicepourfairelepleinetprendreuncafé.Commeiln’avaitpasputrouverdeStarbucksassezprochesursonsystèmedenavigationembarqué,ildevraitsecontenterdecelui de la station-service. À la pompe, lorsqu’il enfonça sa carte dans lamachine,cettedernièreémitunbip.Ilfronçalessourcilsetrelevaseslunettesdesoleil, puis essaya de nouveau, mais la même chose se reproduisit. Les mots«Allerauguichet»clignotaientsurl’écran.

Àl’intérieur,Jordantenditsacarteàlacaissière,ladouleurdanssapoitrinesefaisantpluslourde.

— Bonjour. Quelque chose ne va pas avec la pompe. Elle ne veut pasprendremacarte.

—Combienvoulez-vousmettre?—Trente.Lafemmederrièrelecomptoir,quiparaissaits’ennuyerferme,mitlacarte

danssapropremachine.—Désolée,monsieur.Çaditquevotrecarteestrefusée.Ladouleursefitplusvivedanssapoitrine,mais iladoptauneexpression

confuse.Ilsentaitlasueurperlersousseshabitsetavaitl’impressionquetoutlemondeledévisageaitetlejugeait.

—Oh,pardon.Ildoityavoirunproblèmeaveccecompte.Tenez,essayezcelle-ci.

Nevoulantpasprendrelerisqued’êtrehumiliéunefoisdeplus,illuitenditla carte dedébit de son comptebancairepersonnel, celui auquel lui seul avaitaccès. Il vérifierait ses autres comptes sur son téléphone dès qu’il serait seul,maisunecertainecrainteluitordaitleventre.

—C’estpassé.Ileutdumalàreprendresonsouffleaprèscela.Ilhochalatêteetsouritàla

femme,avantderécupérersacarteetderetourneràsavoiture toutensirotant

soncafé.Commeilfaisaitleplein,ilconsultaunparunlecompteliéàsacartedecréditettouslescomptessurlesquelssonpèreluiversaituneindemnité.Soitl’accèsluienétaitrefusé,soitillestrouvaitvides.

—Ehbien,c’étaitdurapide,marmonna-t-il,hébété.Leschiffressur l’écranrendirent,d’unecertainemanière,sasituationplus

réelleetl’étauquiluienserraitlapoitrineseresserradavantage.L’embout de la pompe émit un « clac » sonore à ses côtés, le faisant

sursauteretlesortantdesonhébétude.Surpiloteautomatique,ilremitlapompeenplace,refermasonréservoiretremontaderrièrelevolant,qu’ilagrippadesesmainsmoites.

Désormais,iln’avaitplusdefamille,plusdetravailetplusd’argentàpartquelquesdollars sur un compte auquel sonpèren’avait pas accès– le comptequeJordanavaitouvertpourpouvoirserendredansdesclubsgaysoudansdeshôtelspourdescoupsd’unsoirsanslaisserdetrace.

Au moins, il lui restait sa voiture. Il pouvait la vendre, si la situationdevenait désespérée. Cette idée était douloureuse, mais à ce stade, ce n’étaitqu’unegoutted’eaudansl’océan.

Oucommentpasserdetoutàrienenprononçantjustequelquesmots.Qui aurait cru que dire « Je suis gay et je ne veux pas devenir avocat »

recéleraittantdepouvoir?Bizarre.Mais Jordan savait que cela finirait ainsi, au moins dans une certaine

mesure.Sinon,illesauraitprononcésunedizained’annéesplustôt,aulieudesedégonflerannéeaprèsannée.

—Maisl’amourn’est-ilpascensétoutsurmonter?Sa question s’envola dans le vent tandis qu’il appuyait sur l’accélérateur,

doublant des semi-remorques, des voitures et desSUVchargés dematériel decampingetsurmontésdevélos.

Leplusdrôledanstoutecettehistoire,c’étaitqu’ilavaitenfineulecouragede faire son coming-out parce qu’il pensait qu’il était temps pour lui de seposer…oudumoins,d’envisagerdeseposeretd’avoirunavenir.Pourneplusêtreunrebelleetarrêterlesfêtesdefraternitésetlesbêtises.Ilavaitsongéqu’ilétait temps qu’il essaie d’avoir une vraie relation avec quelqu’un, de sortirvraiment avec un homme, pour une fois, et pas juste coucher à droite et àgauche. Il était aussi tempsqu’il trouve savoie, une carrièrequi lui donneraitenvie de se lever tous lesmatins. Son père avait toujours dit qu’il voulait lesmêmeschosespoursonfils,non?Maiscen’étaitpascequesonpaternelavaitimaginé.

C’étaitidiot,hein?

II

PRÈSDEKnoxville,dans leTennessee, ildécidades’arrêter. Ilétaitépuisé,physiquementetmentalement.Iln’avaitriens’approchantuntantsoitpeud’unplan. Il ne faisait plus vraiment attention à la route et allait finir par tuerquelqu’un, à conduire à cent dix kilomètres-heure sur la nationale, s’ilcontinuait.

LeGPSluiindiqualecheminjusqu’àunmotelàlasortiedel’I-40.Malgrésonaisancefinancière,ilavaitfréquentéplusd’unefoislesmotelsbonmarché,àla recherche d’un peu de sexe, même s’il n’y était jamais resté une nuitcomplète.Ildevraits’yhabituer,àpartirdemaintenant,semblait-il.

Le couvre-lit était en polyester et le tapis sale, mais les draps raides luiindiquaientqu’ilsavaientétéblanchis,et iln’avaitbesoinqued’unendroitoùs’allonger dès qu’il serait assez saoul pour perdre connaissance. Voilà le seulplan qu’il avait été capable d’envisager jusque-là… Enfin, ça et trouver unlivreurdepizza,pournepasmourirdefaim.Ilallaitdevoirélimineràlasalledesport plus tard,mais il n’avait pas le couragede trouver un restaurant servantunesaladecorrecte,etquelmeilleurmoyendenoyersonchagrinquedugluten?

Heureusement,ilavaiteulaprésenced’espritdeprendresonordinateuretsatablettequandilavaitfaitsesbagages,etsesabonnementsNetflixetAmazonPrime étaient déjà réglés, donc il ne dépendait pas des programmes douteuxproposéssurlatélévisiondel’hôtel.IlcaptaitmalleWi-Fi,maissuffisammentpour trouver un film distrayant, jusqu’à ce que la bouteille de Jameson qu’ilavaitachetéechezlemarchanddevinenfacedel’hôtelfasseeffet.

—Àmonavenirglorieux!trinqua-t-ilfaceaumiroirinstalléenfacedulit,avantd’avalerunenouvellegrossegorgéeàlabouteille.

Ilnesesouvintplusdegrand-choseaprèscela.

LALUMIÈREdusoleilfrappaitsespaupièresàintervallesréguliers,àtraversles trous du store vertical qui se mouvait au rythme de l’air conditionné.Gémissant, Jordanse redressaet sepréparaàavoirmal. Ilcourutà la salledebainetsevidal’estomacjusqu’àcequ’ilneluiresteplusquedeshaut-le-cœur.Mais il remercia sa gueule de bois, parce que vomir la pizza signifiait qu’il

n’avaitpasàs’inquiéterpoursonprochainpassageàlasalledesport–quandilauraittrouvéunesalledesportdanssesmoyens.Quantauxmartèlementsdansson crâne, ils signifiaient que Jordan serait incapable de penser à autre chosequ’àuncafé,unparacétamoletunelonguedouche.

Toutlemondeytrouvaitsoncompte.Ilallaitfalloircommencerparladouche,parcequ’iln’étaitpasencoreassez

démunipourvouloirutiliserlabouilloiredelachambreetsoncaféinstantané.Ilétaitpeut-êtrepauvre,désormais,mais ilavaitdesprincipes.Detoutefaçon, ildevaitsortirpoursetrouverduparacétamol.

Cettefois-ci,iltrouvaunStarbucksetfitunefolieencommandantunVentiCaramel Macchiato, avec toutefois une demi-dose de caramel seulement. Iln’avaitpastotalementperdul’esprit.

Assis dans le parking à regarder les gens aller et venir, il essaya de nepenseràrientantqu’iln’avaitpasbuladernièregouttedesaboisson.Maiscettedernière futengloutiebien tropviteet ilnepouvaitplus retarder l’instantpluslongtemps. Il devait mettre au point une sorte de plan, mais il était presquesubmergéparcettesimplenotiondu«restedesavie».

Sonproblème,c’étaitd’avoirprétendusilongtempsêtrequelqu’und’autrequ’ilnesavaitmêmeplusquiilétaitdésormais–s’ill’avaitmêmesuunjour.Ilétait libre,àprésent,mais libredefairequoi?Cen’étaitpascommes’ilavaitvraimentétébonàquoiquecesoit.Entoutcas,iln’avaitjamaisétéassezbon.Avoirunpèrericheluiavaitouvertcertainesportesqu’iln’auraitjamaisréussiàfranchirseul.Pouvait-ilsurvivregrâceàsespropresmérites?

Unevaguedepaniqueenflaenluitandisquedesgensattendusquelquepartetayantdeschosesàfairecontinuaientdedéfilerdevantlui.

OhmonDieu.Ilvenaitpeut-êtredegâchertoutesavie,pourrien.Ils’étaitdresséfaceà

sonpèredanslebureaudecedernierpourdemanderàsesparentsdel’acceptertelqu’ilétait,alorsqu’ilneseconnaissaitmêmepaslui-même.Àquoiavait-ilpupenser?

Dramaqueen.Cesparolesinterrompirentjusteàtempssacrisedepaniquedansunendroit

publicoùtoutlemondepouvaitlevoir.Ilserralesmâchoires,levalementonetcontrôlasarespirationpourrefoulersapanique.

Ilavaitfaitlebonchoix.Ilauraitpuréfléchirdavantageaumomentetàlafaçondelefaire,maissadécisionétaitlabonne.Ildevaitycroire.Sonanciennevie,avectoutescesattentes,l’écrasait.Iln’auraitjamaispucontinuerainsisansperdrelatête.

—Bien,etmaintenant,qu’est-cequejefais?

Iln’attendaitpasvraimentderéponsedesonrefletdanslerétroviseur,maisungenredesigne,celaauraitpul’aider.

Surlepointd’abandonneretdereprendrelaroutesansprojetprécis,toutenespérant que l’inspiration lui vienne sur le trajet, il sursauta en sentant sontéléphonevibrerdans sapoche. Il fronça les sourcils et l’attrapa. Il aurait juréavoir désactivé toutes les notifications, la veille. Le déferlement habituel denotificationsd’InstagrametSnapchat,ainsiquedestextosd’amisn’ayantjamaisétédesamis, semélangeaientàdenombreuxmessagesde ses frèreset sœurs.Maisiln’arrivaitplusàlesupporteretavaittoutcoupé–surtoutparcequ’aucunmessagedesa famillenevenaitdesamèreousonpère,ounecomportaitdesmotscomme«Rentreàlamaison»ou«Noust’aimons».

«Qu’est-cequetufous?»résumaitàpeuprèstouslesmessagesreçusdesonfrère,WillJunior,et«Qu’est-cequisepasse?Pourquoionmeditjamaisrien?»ceuxdesasœur.

Cettefois-ci,lanotificationsurl’écranprovenaitd’unrappelducalendrier,programmédesmoisplustôt.

16juillet:TelMaman–répséjourBSTARIl était censé, ce jour-là, dire à sa mère si, oui ou non, il passerait une

semaineavecelleaurefugequiétaitl’unedesœuvresdecharitépouranimauxque finançait sa famille depuis toujours. Samère avait programmé ce voyagependantl’undesesmomentsdelibre,maintenantqueGemmaavaitcommencél’université,unemanièrederesserrerleursliens.Aumomentoùelleluienavaitparlé,ill’avaitpresqueignorée,puisilavaitcomplètementoublié.

Lesyeux rivés sur l’écran, il avait lagorgenouée, toutenétantencolèrecontresamèrepournepasl’avoirdéfendu.Ilnepasseraitpascetappel.Ilsneresserreraientpasleursliensdesitôt…peut-êtrejamais.

—Putain!Il jetasonportablesur lesiègepassageretposala têtesur levolant.Ilne

pleureraitpasenpublic.Ilnepleureraitpasenpublic.Ilinspiraprofondémentplusieursfois,jusqu’àcequesonbesoindepleurer

disparaisse.Puisilrepritsontéléphoneetsemordillalalèvre.Ses plus beaux souvenirs d’enfance, c’était au B STAR qu’il les devait.

C’étaitl’unedesraresdestinationsdevacancesoùilspartaienttousensemble,en« famille ». Il ne se souvenait plus pourquoi ses parents avaient cessé de s’yrendre, surtout sachant le montant du chèque qu’ils envoyaient là-bas chaqueannéeetlescollectesdefondsquesamèreorganisaitelle-même.Peut-êtrequeles«enfants»étaienttropvieuxpourça.

Le nom du ranch signifiait Better the Second Time Around Rescue –Refuge pour une deuxième chance. Comme Jordan fixait les lettres sur son

écran,ilesquissasonpremiersouriredepuisplusieursjours.Il avait demandé un signe. Quel meilleur endroit pour résoudre ses

problèmesqu’unrefugepourlesêtresnondésirésetabandonnés…?Cen’étaitpasunesolutionàlongterme,maisceseraitunpointdedépart.

Toute sa vie, Jordan avait adoré les chevaux. Il savait se débrouiller dans uneécurie,dumoinsassezpourêtreutile.Laroutejusqu’auTexasétaitlongue,maisplus il y pensait, plus l’étau qui lui enserrait le torse se desserrait. Il avait unplan,unendroitoùaller,unlieuremplidesouvenirsheureuxetdebeaucoupdetravailàfaire,idéalpourluioccuperl’espritquelquetemps.C’étaitcommesiledestinluiavaitenvoyéuncoupdepouce.

—Parfait.Ilcherchal’adressesursontéléphone,puisremitlemoteurenroute.Ilentra

l’adresse dans le GPS, relia son téléphone au Bluetooth et activa sa playlistspéciale road-trip. Il inspira profondément, fit une prière silencieuse, puis sejoignitàl’agitationdesautresêtreshumainsetsedirigeaversl’autoroute.

III

LES PAPILLONS s’agitèrent plus fort dans son ventre dès qu’il quitta lagranderoutepours’engagersousl’enseigneenmétalrouillé,représentantunBentouré de cinq étoiles, suspendue entre deux poteaux en bois. L’endroitressemblait en grande partie à ses souvenirs datant de quatorze ans plus tôt,commel’enfiladedeclôtures,lesenclosremplisd’animauxetl’immensegrangerouge à côté de la maison. Mais il avait beaucoup changé aussi. La grandemaison avait été repeinte en vert foncé, en laissant lesmoulures et les voletsblancs. De nouvelles dépendances et de nouveaux enclos avaient fait leurapparition parmi les anciens. Et des lamas, des alpagas, un dromadaire et uneautrucheavaientrejointleschevaux,lesânes,leschèvresetlesvachesderrièrelesbarrières.

Son petit cabriolet rouge se voyait comme le nez au milieu de la figureparmi les camions et lesvieuxSUV recouverts depoussièrequioccupaient leparkingengravier.Leregarddroitdevant,fixésursonobjectif,Jordanignoraleshommesetlesfemmesquisetournèrentàsonapproche,afindenepasselaisseratteindre par sa nervosité. Paumé comme il était en cet instant – sonmasqueimpassible serait assez fragile comme cela –, il ne pouvait se permettre lamoindredistraction.

Ilsegaradevantlagrandemaison,justeàcôtéd’unpick-upblancsurmontédulogoduBSTARsurleflanc.Surleporche,lesdeuxpersonnesassisesdansdesfauteuilsàbasculeselevèrentquandilsegara,etillaissaéchappermalgréluiun«Saaaaluuuutlescow-boys»avantdepouvoirseretenir,momentanémentdistraitparsanervosité.

Bien qu’elle soit un peu plus âgée, il reconnut la dame aux cheveuxargentés,rencontréependantsonenfanceetenchargedepromouvoirleranch:PhyllisWharton. Elle avait fondé ce refuge avec sonmari trente ans plus tôt.Maislecow-boyàsescôtésétaitbeaucoupplusjeuneetunevéritablearmoireàglace.PlusâgéqueleshommesquitentaienthabituellementJordan–lafindelatrentaine, peut-être –, le cow-boy était tout à fait appétissant, donc Jordanpouvait faireuneexceptionà la règle. Ilétaitgrandetminceetvêtud’un jeanuséetd’un tee-shirt finqui lemoulait comme il le fallait etdévoilait sesbrasbronzésetmusclés.Jordanarrivaitpresqueàimaginercesmainspuissantes,ces

lèvresetcesjouesombréesd’unebarbepartoutsursoncorps.Merde.Il aurait vraiment dû trouver un endroit où jeter sa gourme avant de se

rendreaumilieudenullepart,dansunezonepirequelaBibleBelt1,pourunséjourprolongé.Encoreunepreuvedelafaiblessedesonprojet.Maisilavaiteuautrechoseentête,jusqu’àcetinstant.

Heureusement, Jordanportait encore ses lunettesde soleil, donc iln’avaitpaspuêtresurprisàlorgner.Ilauraitdétestésefairefrapperavantmêmed’avoireul’opportunitédeplaidersacause.

Concentre-toi,Thorndike.Tuasunepetitedameàcharmer.Lorsqu’il sortit de voiture, le visage de Phyllis se fendit d’un sourire de

bienvenuetandisqu’elledescendaitlesmarchespourl’accueillir.—Bonjour!BienvenueaurefugeBSTAR!Avecsonchemisieràmanchescourtesroseetàmotifécossais,sonjeanet

sesbottes,elleétaitexactementcommedanslesouvenirdeJordan,mêmesisescheveuxavaientperduleurteinteblonddélavéetétaientàprésentgris.SonfrancsourireetsavoixenjouéeapaisèrentunpeuladouleurqueJordanressentaitenlui,etl’immensesourirequ’illuiadressaenretourn’étaitqu’enpartieforcé.

—Bonjour.Jesuissûrquevousnemereconnaissezpas,maismafamillevenaitsouventici,quandj’étaisenfant.Jem’appelleJordanThorndike.Mamèreadûvousparlerdenotrevenuecetété…

Phyllis écarquilla légèrement les yeux et Jordan retint son sourirevictorieux. Le fait que sa famille l’ait déshérité ne voulait pas dire qu’il nepouvaitpasseservirdeleurnompourobtenircequ’ildésirait.Iln’enabuseraitpaspourobtenirdetraitementparticulier.Iln’envoulaitpas.Ilvoulaittravaillerjusqu’à l’épuisement tous les jours, pour ne plus rien ressentir pendantlongtemps.Maisilpouvaittoujoursseservirdesafamillepouraumoinsentrersurplace.

—Maparole,Jordan!Ladernièrefoisquejet’aivu,tuétaisenfantetturestais collé à ton frère, quand tu ne passais pas tellement de temps avec leschevauxquenouscroyionsqu’ilfaudraitt’installerunlitdansl’écurie.

Le poids que portait Jordan sur les épaules s’allégea un peu plus. Phyllisétait une femme d’affaires. Elle devait l’être, pour pouvoir faire entrer lesdonationsrégulièrement,maissoussonmasquesecachaitunefemmevraimentattentionnée, contrairement à la plupart des personnes fréquentant les mêmescercles que ses parents. C’était une femme bien, qui avait consacré sa vie aurefuge,etJordantrouvaitagréablequ’ellesesouviennedelui.

—C’étaitbienmoi,confirma-t-ilensedécalantpourneplusapercevoirducoindel’œill’hommecanonsurlaterrasse.

Cederniern’avaitpasbougéniparlé,etpourtant,Jordanletrouvaitunpeutropdistrayantpoursonproprebien.

—Tamamannousaenvoyéunmessagepournousdirequ’elleenvisageaitde venir quelques jours, mais qu’elle préférait attendre l’automne, où il faitmoinschaud,poursuivitPhyllis,sonsouriretoujoursaussiéclatant.

—Ouais,jesais.Jenesaispasvraimentsielleatoujoursprévudefairelevoyage,maisj’aidécidédevenirdetoutefaçon.

Jordansetrémoussaetjetauncoupd’œilnerveuxàl’hommesurlaterrassecouverte,avantderetirerseslunettesdesoleiletdesoutenirleregarddePhyllis.

— En fait, je voulais vous demander si je pouvais rester ici quelquetemps…Fairedubénévolataveclesanimaux,sipossible.

Le sourire de Phyllis disparut et elle haussa ses sourcils argentés, quiressortaientsursapeautannéeparlesoleil.

—Tuveuxfairedubénévolat?—Oui. Je ne veux aucun traitement de faveur ni visite des installations,

comme c’était le cas avant. Je veux travailler, comme les autres bénévoles, etresterdansundesdortoirs,parexemple.Jen’aipasbesoind’untrucsophistiqué,justed’untoitetdequoimanger,dit-il,mettantencoreplusdecharmedanssonsourire.

Phyllis fronça les sourcils, confuse, et tordit la bouche. Après un rapidecoupd’œilàl’hommederrièreelle,elledéclara:

—Pourêtrehonnête,Jordan,tumesurprends.Mais…viensboireunverreàl’intérieuretnousparlerons,d’accord?

Elleluifitsignedepasserdevant,maisilsecoualatête.—Lesdamesd’abord.En haut des marches, elle s’arrêta devant l’homme canon portant un

chapeaudecow-boyenpailleetdit:—Jordan, je teprésenteRussNiles,moncontremaître etmonbrasdroit.

Russ,jeteprésenteJordanThorndike.Safamillenousversedepuistoujoursdegénéreusesdonationsetnoussommesamisdelonguedate.

LamaindeRussétaitchaudeetpuissantequandilserracelledeJordan,quienressentit lacallosité jusquedanssonmembre.Lecow-boyétaitencoreplusappétissantvudeprès.Descheveuxbrunsépaisapparaissaientsoussonchapeauetsesyeuxchocolatsoutinrentsonregardunbrefinstantavantqu’ilnereportesonattentionsurPhyllis.

—Enchanté,réponditRuss.Jordanneperçutpaslamoindreétincelleintéresséedansleregarddel’autre

homme, faisant s’effondrer tous ses fantasmes. Les meilleurs sont toujourshétéros.

Même blessé et fragile comme se sentait Jordan, le désintérêt de l’autrehomme lui fit un peumal. Un hétéro restait un hétéro, et essayer de le fairechangerétaitunepertede temps.Enoutre, iln’étaitpas icipour lesexe.Pourcela,ilpouvaitreprendresavoitureetsetrouveruneboîtedenuitouunbar,s’ilavaitvraimentbesoindesesoulager.Houstonétaitàmoinsdedeuxheuresderoute et il n’avait jamais eu de problème pour se faire draguer. Il passaitd’innombrablesheuresàsefairebeauetàgarderlaformeàlasalledesportpours’enassurer.

C’étaitsacroix.Pourtant, Jordan posa une main nerveuse sur son ventre plat et tira sur

l’élastiquedesonshortpours’assurerquetoutétaitenrègle.Maisilavaiteutortdes’inquiéter.Lecow-boytournasimplementlestalonsetdescenditlesmarchesdelaterrassesansunmot.

Trèsbien.Detoutefaçon,jen’avaispasenviedevousparlernonplus.Jordan le regarda cependant s’éloigner, admirant le spectacle, jusqu’à ce

que Phyllis se racle la gorge, lui adresse un sourire légèrement plus forcé etdise:

—Entretemettreàl’abridelachaleuretjevaistedonnerquelquechosepourterafraîchir.

Jordan s’assit à l’énorme table de cuisine en bois et Phyllis lui servit unverredelimonadeavantdes’installersurlebancenfacedelui.

—Commentvatamère?— Elle va bien… Elle est occupée avec toutes ses œuvres de charité,

réponditmachinalementJordan.— Ouais, je me souviens. Elle a bon cœur et nous lui sommes

reconnaissants pour tout le travail qu’elle fait pour nous.Donc, tu veux venirtravailleravecnousquelquetemps? luidemanda-t-elle,enétudiantsonvisagedesesyeuxbleu-grispâle.

—Oui.Comme je vous l’ai dit, je ne suis pas complètement novice. J’aidéjà travaillédansdes écuries, ici ou ailleurs. Je sais commentm’occuperdeschevaux et je n’ai pas peur deme salir les mains, ni d’apprendre à aider lesautresanimaux.Jeveuxtravailler.

Ilsemitàtranspirerunpeuetsetrémoussa,malàl’aise,toutenavalantunpeudelimonade.Ilavaitl’impressiondepasserunentretiend’embaucheetnondeseportervolontaire,maiss’ilsnevoulaientpasqu’ilresteici,ilnesavaitpasoùaller.

—Oh,ça, je lesais, trésor.Jemesouviensquetusavais t’yprendreavecleschevaux.Cequej’ignore,parcontre,c’estpourquoitueslà,exactement.TamèrenousenvoieunecartedevœuxtouslesansàNoël,danslaquelleellenous

donnedesnouvellesdetoutelafamille,etelleestvraimentfièredetaréussiteàl’université. Tu vas devenir avocat, c’est bien ça ? Tu fais donc une sorte depauseestivaleavantderetournerencours?

Ilseretintdegrimaceretadressaunsourireironiqueàlavieillefemme.—Untrucdugenre.—Jenem’yconnaispasvraimentenétudesdedroit,maisj’auraiscruque

tu voudrais plutôt faire un genre d’apprentissage ou d’internat, puisque tu esbientôtaubout.

Jordanhaussa les épaules,mais sentit sonventre se nouer.Commedire àPhyllis de s’occuper de ses affaires ne l’aiderait pas à se faire des amis, ilexpliqua:

—Jefaisjusteunepetitepauseavantleplongeonfinal,vousvoyez?Pouravoirlachancedefaireunpeudevraitravailenpleinairavantdemeretrouvercoincéderrièreunbureau.

Ellehochasagementlatête,maisJordann’étaitpascertainqu’ellelecroie.Il se creusait lesméninges pour trouver quelque chose de plus convaincant àdire,quandPhyllisposalesdeuxmainssurlatableetsourit.

—Trèsbien, Jordan,danscecas,bienvenueauBSTAR.Quand tuaurasfini tonverre, va chercher tes affaires, je temontrerai dansquelle chambredel’étagetupeuxrester.

Il futsiétonnépar lesoudainrevirementqu’il restaquelques instantsà ladévisagerenclignantdesyeux.Puisilsourit,soulagé.

— C’est génial ! Merci beaucoup. Mais vous êtes sûre que je doism’installeràl’étage?Commejevousl’aidit,jen’aipasbesoindetraitementdefaveur.Jepeuxresterdansundortoir,parexemple,cequivousarrangeleplus.

Ellebalayasoncommentairedelamainetsonsourireseteintadetristesse.—Nous avons beaucoup de chambres libres à l’étage. Il n’y a plus que

Russ et moi dans la vieille maison, à présent. Nous n’avons que quelquesemployés à plein temps, qui vivent dans leurs propres maisons, en ville. Lesemployés à temps partiel et lesweekenders passent rarement la nuit ici, alorsnous avons converti l’ancien dortoir en une sorte d’hôpital pour les nouveauxarrivants.Les invitésduranchrestent ici,à l’étage,commedansunB&Baucœurdelavraievie,depuisquemonSeans’enestalléetqueLaceyadéménagé.Nousnousadaptons,alorsceneserapasunproblème.

Après avoir terminé sa limonade en trois grandes gorgées, ce qu’ilregretterait sans doute plus tard, Jordan suivit Phyllis, qui l’accompagnajusqu’enbasdelaterrassepourqu’ilrécupèresesaffaires.Russ,lemeccanon,n’étaitnullepartenvue,maisJordans’arrêtaenhautdesmarchesalorsquesesbonnes manières d’homme bien élevé se frayaient un chemin à travers sa

nervositéetsonégocentrisme.—J’ai été navré d’apprendre le décès de votremari. Jeme souviens que

Seanétait unhommebon, toujourspatient avec l’enfant agaçantque j’étais etquivoulaittoujourstoutsavoirsurleschevaux.

LesouriredePhyllisétaitunpeutriste,maissonregardluisaitdefierté.—Ilt’aimaitbeaucoupaussi.Nousavonsappréciélesfleursenvoyéespar

tafamille.Jordanhochalatêteetserenditàsavoiture,dontilrefermalacapoteetles

fenêtrespourlapréserverdelapoussièreavantd’attrapersessacs.Àl’étagedelamaison,Phyllisluiindiquaunechambreauboutducouloir.

—Commejetel’aidit,iln’yaplusquenousdeux,donctuserastranquille.Situasbesoindequoiquecesoitcesoir,machambresetrouveenbas,àcôtéde lacuisine,etRussest juste là,dit-elleen indiquantuneportebleue,à troisportesdecelledevantlaquelleilssetenaient.

—Merci.Jevaisfaireunbrindetoiletteetmechanger,puisvouspourrezmemettreautravail.

Elleluisouritensecouantlatête.—C’estridicule.Pascesoir.Tuasl’airfatiguédetonvoyageetnousavons

pratiquement fini pour la journée. Va te reposer. On dîne à cinq heures, je teprésenteraiauxpersonnesprésentes.Etdemainmatin,tuattaqueras,d’accord?

Jordan n’était pas vraiment heureux de rester de nouveau seul avec sespensées,maisiln’avait,semblait-il,passpécialementlechoix.

—C’esttrèsbien.Merci,Phyllis.—Mercidevenirnousaider.Onsevoitaudîner.AprèsledépartdePhyllis,Jordanôtaseschaussuresets’étirasurlecouvre-

litvertetblancengémissant.Lesrideauxendentellesebalançaientdoucementsouslalégèrebriseémiseparleventilateurausolet,detempsentemps,lecriétouffé d’un animal rompait le silence extérieur. Jordan n’avait pas prévu des’endormir,maissanervositéetseslonguesheuresdetrajetlerattrapèrentsansqu’ilserappelleavoirfermélesyeux.

1La«ceinturedelaBible»estunezonegéographiqueetsociologiquedanslaquelleviventunnombreélevédefondamentalisteschrétiens,situéedansungrandquartsud-estdesÉtats-Unis.

IV

APRÈSAVOIR caressé le nez de plusieurs chevaux qui se tendaient à sonapprochelorsqu’ilpassadevantlesboxesentraversantl’écurie,Russs’assitsurun banc, au milieu de l’allée, et posa les pieds sur une botte de foin pourattendre. Phyllis viendrait le chercher à coup sûr dès qu’elle aurait installél’enfantgâtédesdonateurs,aussisûrquedeuxetdeuxfontquatre.

Toutlemondesavaitqu’ellelepréparait,àterme,àprendresaplace,maiselledoutaitqu’ilaccepteunjourderamperdevantlesclients,etelleavaitraison.Sicegaminpourrigâtéétaitvenu levoirpour lui jeter sonnomà la figureets’attendreàuntraitementdefaveur,Russluiauraitriaunezetl’auraitrenvoyédans ses pénates. Se retrouver avec une princesse pleurnicharde qu’il allaitfalloirchoyernuitetjourétaitladernièrechosedontilsavaientbesoin,surtoutavectoutlevraitravailqu’ilsavaientàfaire.

—Russ!Ilgrimaça.Phyllisétaitpeut-êtrepetiteetapprochaitdessoixante-dixans,

maissavoixportaitaussiloinqu’avecunporte-voix,quandelles’endonnaitlapeine.

—Jesuislà.Il soupira et se leva pour recevoir son savon. Qu’il soit damné s’il le

recevaitassis,mêmes’ilsavaitqu’elleavaitraison.—Tuasquelquechoseàdire?ledéfia-t-elle,lesmainssurleshanches.—Non.Autantnepasluidonnerplusdemunitions.—Tuvasdevoirfairemieuxqueça,situveuxquecetendroitfonctionne

plusd’unanaprèsmondépart,legronda-t-elle.—Tunevasnullepart.Tunousenterrerastous,répliqua-t-ilensouriantet

enluifaisantunclind’œil.—N’importequoi,renifla-t-elleavecdédain.Maisunsourireapparutsursonvisage,malgréseseffortspourleretenir.—Alors,qu’est-cequetuasfaitdelui?demanda-t-ilpourladistraire.—Ilestdanslachambreverte,assezprèsdetois’ilabesoindequoiquece

soit.Russpoussaungrognementetlevalesyeuxauciel.

—Nelèvepaslesyeuxaucielenmaprésence,moncher.Tusaisaussibienquemoiquesesparentsontdonnébienplusd’argentàcetendroitquen’importequelautredonateur.Tuasvuleschèques.Enplus,cesontmesamis.

—Tesamis?Elleluilançaunregardnoiravantdeleverlesyeuxaucielàsontour.—Enquelque sorte. Ils ont toujours étégentils et vraimentgénéreux.Ce

qu’ilsnousdonnentnousaideàpoursuivrenotretravailici,etsicen’estpasdel’amitié,jenesaispascequec’est.

—Maiscenesontpasdevraisamis, insista-t-il.Cesontdesgensriches,quinousontchoisispourassouvirleurdésirdecharitéenverslesanimauxtoutentrouvantunendroitoùjeterleurargentparlafenêtretoutensesentantbien.Ça ne fait pas d’eux des amis…Pas de vrais amis, en tout cas…Pas commenous,JonetErnie.

Phyllissoupiraetlevalesmains.—Undeces jours, tu te rendras compteque toutn’estpas toutblancou

toutnoir,danscemonde.Tupeuxtesoucierdequelqu’un,leconsidérercommetonami,sansavoirlecœurbriséparcequ’ilnetedonnepasautantquetulefais.Sinousnefaisionspascetravail,lesanimauxsouffriraient,maissanseuxpourpayer les factures, ils souffriraient encore plus. Les deux sont nécessaires. Lejeune homme installé à l’étage est nécessaire. En plus, j’aurais cru que ça teplairaitdevoirl’und’euxmettrelamainàlapâteetfairelesaleboulot.C’estbiencequetuastoujoursdésiré,non?

Ilgrommela.—Qu’est-cequ’ilfaitlà,d’ailleurs?Ellehaussalesépaules.—Ilnel’apasvraimentdit.J’ail’impressionqu’ilyaunehistoirederrière

toutça.—OhSeigneur,grogna-t-il.Pasunautreoiseaublessé,Phyl, s’il teplaît.

Onenaeuassezcommeça.—LeBSTARoffriratoujoursunesecondechance,psalmodiaPhyllis.Russgrognaplusfort.—Arrêtederâler.Tut’occupesdecesêtresblesséstoutautantquemoi…

même les êtres humains. Sinon, tu ne serais jamais resté ici, espèce de grandsentimental.

—Jenesuispassentimental,grommela-t-il.Ellesouritetluitapotalebras.— J’ai remarqué… et à propos, je pense que notre nouveau bénévole l’a

remarquéaussi…etiln’estpastropmochenonplus.Ellesouritetluifitunclind’œil,puistournalestalonsetrepartit,tapotant

quelqueschevauxqui,pleinsd’espoir,avaientsortilenezdeleursboxes.Pilecedontilavaitbesoin:untypemignonetpourrigâtépourcompliquer

son existence paisible et ordonnée. Heureusement, « Jordan Thorndike desThorndikedeVirginie»netiendraitsansdoutepaslasemaineetRusspourraitretrouver sapaixet sa tranquillité leplus tôtpossible. Ilpouvait contrôler sontempéramentunesemaine.

DEUXHEURESplustard,Russsejetasurlebancdelatabledecuisineenpoussant un profond soupir de soulagement. Il s’étira le cou et fit rouler sesépaulespourfairepartirunpeudesaraideur,puisinspiraavecdélicelesodeursdechilietdepainaumaïsquiflottaientdansl’air.Ilsouritpourlapremièrefoisdepuisdesheures.

LesdélicieuxplatsdePhylallaientcompensersajournée.Ernestoselaissatomberàsescôtésenpoussantungrognementàsontour.— Comment va Calliope, notre jolie oiselle, aujourd’hui ? demanda ce

dernier,sonsourirecaractéristiques’élargissant.La seule et unique autruchedu ranch était peut-être unegrande attraction

pourlestouristes,maiselleétaitaussilefléaudel’existencedeRuss.IljetaunregardnoiràErnieetgrommela:— Peut-être que tu pourrais le découvrir toi-même demain. Laisse-la se

servirdetatêtecommecible,cettefois-ci.—Ohnon,patron,elleesttouteàtoi,répliquaErnieenlevantlesmainset

enéclatantderire.Ellem’adéjàmorduunefoisetçam’asuffi.Jeferaimapartetluinettoieraisonaugequandceseradenouveaumontour,maisàpartça,jem’en tiendraiaux lamasetauxalpagas. Ilsmepermettentderesterconnectéàmesracinessud-américaines.

Ernieseservait toujoursdecetteexcusepourresterà l’écartde tous leursenfantsàproblèmes,maisilétaitdouéaveclescamélidés,ycomprisavecRalph,le dromadaire qu’ils avaient sauvé d’un cirque ambulant l’année précédente,doncpersonnen’envoulaitvraimentàErnestod’évitercertainsanimaux.

—Rosat’alaissétedébrouillerseulcesoir?—Sí.SatíaAngelaetellesefontunlongweek-endàDallaspourtrouver

larobedemariéedeSofia,sasobrina.—Donc,onvabeaucouptevoirceweek-end,letaquinaRuss.Ernielevalesyeuxauciel.—Tutefichesdemoi?J’aiunrencardavecmoncanapé,unpackdebière

et une pizza. Les enfants sont chez leur abuela. Il n’y a plus que calme et

solitudepourmoi.Enplus,lesweekenderssontlà,donctun’aspasbesoinquejeviennependantmonjourdecongé.

Russs’apprêtaitàrépliquerqu’ilpréféreraittoujoursErnieàunedizainedebénévolesn’importequeljour,quandJonParks,l’autreemployéàtempsplein,s’affalasurlebancfaceàeuxavecsonpropresoupirdesoulagement.

—Unpetitoiseaum’a souffléquenousavionsde lachair fraîchedepuisaujourd’hui,dit-ilenpointantleplafonddudoigt,avantdetendrelebrasverslacorbeilleàpain.

Ilenétaitàmoinsdedixcentimètresquandunecuillèreenboissurgitdenullepartetluifrappaledosdelamain.

—Aïe!—Çat’apprendra,ricanaRuss.Phyl vieillissait peut-êtreunpeuplus chaque année,mais elle semouvait

toujourscommeunninjadanscettecuisine.— Tu attendras, comme nous tous, que le dîner soit prêt, lança-t-elle,

agacée,enagitantsacuillèrepourappuyersespropos.Jongrimaçaethochalatête.—Oui,m’dame.Russsourit.—Tuauraisdûlesavoir.—J’aifaim,gémitJontoutbas,sansquitterPhyldesyeux,méfiant.—Tun’étaispascensérentrermangercheztoi,aufait?intervintErnieen

souriant.Jonluijetaunregardnoiretcroisalesbras.—C’estlejourduchili,déclara-t-il,commesisaréponseétaitévidente.Russétaitd’accordaveclui.PersonnenepouvaitbattrelechilidePhyl.Cylla,lafemmedeJon,étaitunefemmesplendide,travaillantàpleintemps

dansunebanque,cequipermettaitàJondefairecequ’ilaimaitpourlemaigresalaireque leranchpouvaitsepermettrede luioffrir,maisellen’étaitpasunechef cuisinière. Pourtant, comme elle travaillait derrière un bureau toute lajournée,alorsqueJonfaisaitundurlabeurenpleinsoleil,etqu’ellen’avaitquecinqminutesdemarchepourse rendreau travail,elle insistaitpoursechargerdesrepas.Alors,Jonlafermait,commeleferaittouthommeavisé,etmangeaitcequ’elleluipréparait.Cequinel’empêchaitpasdevenirchercherendouceàmangerauranch,quandilpensaitpouvoirs’ensortir.

—Alors, pourquoi est-il là, ce nouveau type dans sa jolie décapotable ?demandadenouveauJon.

LesdeuxhommesdévisagèrentRuss.RusssurveillaPhyld’unœilprudent–elleétaitàl’autreboutdelapièce,

maisavaituneoreilletrèssélectivequandellelevoulait–ethaussauneépaule.—Jenesaispastrop.Iladitqu’ilvoulaitvenirnousaiderquelquetemps.

Commec’estlefilsdenotreplusgrosdonateur,Phylluiadérouléletapisrouge.—Génial,commentaErnieenlevantlesyeuxauciel.Encoreunblanc-bec

àformer.Phyltapasacuillèreenboissurleborddesacasserole.—Nevousplaignezpas.Vousluiferezfairetoutletravaildontpersonnene

veutsecharger,commeavecchaquenouveaubénévole,jusqu’àcequ’ilrattrapeleretard…

—S’iltientaussilongtemps,marmonnaRusstoutbas.—…etvousserezgentilsavec lui,pendantce temps-là,conclutPhylen

adressantunlongregardnoiràRuss.—Oui,madame,répondirentlestroishommesàl’unisson.Avant qu’ils puissent ajouter quelque chose, le sujet de leur discussion

arriva nonchalamment dans la cuisine, propre comme un sou neuf, dans sonpantaloncargoenlinlégèrementfroissé,sonpoloàrayuresbleues,assortiesàlacouleur de ses yeux, et les cheveux soigneusement coiffés.Dix ou quinze ansplus tôt, le jeuneRussauraitété incapablededétourner lesyeux,mais toutcequ’ilvoyaitenluiàprésent,c’étaientdesennuisavecunEmajuscule.Personnen’avait aussi bonnemine après une journée sur la route sans avoir passé bientrop de temps devant un miroir. La vanité n’était pas une qualité que Russadmirait.

—Bonsoir!J’espèrequejenesuispasenretard,ditJordanenaffichantunsourireéclatantquidevaitsansdoutebriserbiendescœurs.

Phyl se précipita vers lui, un grand sourire aux lèvres, et lui fit signe des’asseoir.

—Pasdutout.Nousn’avonsmêmepasencoremislatable.Après qu’elle leur eut adressé un regard entendu, les trois hommes

actuellementassisselevèrentpourattraperlavaisselleetlescouverts,segênantlesunslesautresetmanquanttomberdansleprocessus.

RussrestaenarrièreetnerevintquequandPhylfitlesprésentations.—TuasrencontréRusstoutàl’heure,maisjeteprésenteErnestoRuizet

JonParks,lesdeuxautresemployésàpleintemps.Nousserionsperdussanseux.Jon,Ernie, jevousprésenteJordanThorndike. Ilva resterquelque tempsavecnouspournousaider.

Ilsluiserrèrentlamainetéchangèrentdesparolesdebienvenue,jusqu’àcequeJordandise:

—Donc,vousêtesbénévolesàpleintemps?— On aimerait bien, mais non. Nous ne sommes pas riches, donc nous

avonsbesoind’unsalairepour remboursernotreprêt immobilier, rétorquaJon,quigrimaçaquandPhylluilançaunregard.

— Nous ne pouvons pas les payer ce qu’ils méritent, mais nous leurdonnonscequenouspouvons,intervintPhyldoucement,ensouriant.Leranchest une grande machine et les animaux ont besoin de soins 24 h/24, 7 j/7 et365j/an,sansoublier lesvérificationsàdomicile, lesentretiensd’embaucheetles formations, donc il est nécessaire d’avoir des employés expérimentés etrémunérés, autant pour gérer les volontaires quepour s’occuper de nos bébés.Plus d’aide serait la bienvenue, mais nous faisons avec le budget dont nousdisposons.

Russ connaissait par cœur ce discours, prononcé sous cette forme ou uneautre, après toutes ses années de présence au ranch, mais heureusement, iln’avait pas encore à le faire lui-même. Phyl était passée maîtresse dans l’artd’extorquer de l’argent aux gens pour maintenir le B STAR en vie. Russ nesavait pas cequ’ils feraient sans elle.La seule idéededevoir gérer toutes cespersonnesseulluidonnaitenviedegrimacer.

—Ehbien,j’espèrequejepourraivousaiderunpeu,pendantquejeserailà.Jesuisprêtàtravailleraussidurquenécessaire,réponditJordanavecunautredesessouriresquidevaientsansdouteluiobtenirtoutcequ’ildésirait.

MêmeleregarddePhylsefittoutdouxetmaternelenréponse.Lesmains deRuss le démangeaient de donner à cette dernière une petite

tapeàl’arrièreducrânepourluiinsufflerunpeudebonsens,maisilseretint,parinstinctdesurvie,etposabrutalementlescouvertssurlatable.

Jordan lui jetaun regard inquisiteuravantdesepasserunemaindanssescheveuxparfaitsetdeseraclerlagorge.

—Jenesaispascequicuit,maisçasentdélicieusementbon.Etc’estdupainaumaïs,aufour?J’enaidéjàl’eauàlabouche.

Il fitdegrandsyeuxdebicheàPhyl,avecsonairdenepasy toucher,etPhylluiadressaunsourireradieux.

— Tu es adorable. J’ai fait mon chili et mon pain de maïs au piment,célèbresdanslemondeentier,pourledîner.Etj’aipréparéunepetitesaladevitefait,enl’honneurdetonpremiersoiravecnous.

—Vousavezpréparétoutçavous-même?demandaJordan.— Oui. Lorsque nous avons des clients en visite ou des donateurs,

j’embaucheune fille adorable, enville,mais la plupart du temps, il n’y a quenous à nourrir. Et comme je ne peux plus faire autant de choses qu’avant auranch,j’essaiedefaireensortequ’euxlepuissent,etjeleursersunbonrepas.

Tout en parlant, Phyl se rapprocha du four pour en sortir une fournée depainsaumaïs.

—Est-cequejepeuxvousaider?voulutsavoirJordan.Phylsecoualatête.—Ne t’inquiètepas.Nousauronspleinde travailpour toidemainmatin.

Contente-toidet’asseoiretsavouretondîner.Elle remplit les bols de chili et les tendit à Jon et Ernie pour qu’ils les

portentjusqu’àlatable,cequilaissaitlasaladeàRuss.Unefoislesplatsservis,ilsattendirentquePhyldiselebénédicitéavantd’attaquerleurrepas.

Russ garda le silence, tandis qu’Ernie et Jon satisfaisaient leur curiositéconcernantJordan,lemitraillantdequestionssurlesuniversitésdel’IvyLeague,savoiturevoyanteetsurlesmeilleurslieuxéquestresdelacôteest.Sesamisluiadressèrent des regards étranges, puis se contentèrent de l’ignorer au profit deleur nouveau jouet tout neuf. Russ ne fit guère attention à ce qui se disait. Iln’entendit que l’élocution amicale, chaleureuse et douce de Jordan, quirecouvraitlapiècecommedumiel.Lestroisautresluimangeaientdanslamain,maisRussn’avaitpasprévudeselaisserduper.Ilconnaissaitcemec.Ilavaiteulecœurbriséetpiétiné,quandilavaitlavingtaine,parunhommequiauraitpuêtre un clone de Jordan, et il n’était pas assez stupide pour se faire avoir unedeuxièmefois.

Commeilétaitàl’extérieurdelaconversation,Russputremarquerquelquechosequiéchappaauxautres.Jordannemangeaitpasvraimentlanourriturequiluiavaitétéservie.Aprèstoutlecinémaqu’ilavaitfaitenencensantlacuisinedePhyl,ilmangeaàpeinelamoitiéduboldechili.Ilrepoussalescroûtonsetlefromagerâpédelasalade,nemangeantquelalaitueetlestomates.Iltouchaàpeine au pain aumaïs, si ce n’est pour l’émietter et ainsi donner l’impressiond’enavoirmangédavantage.

Russserenfrognaenposantsesaffairesdansl’évier.Phylétaitunesacréebonne cuisinière, la meilleure que Russ avait connue, mais étrangement, ellen’était pas assez bonne pour M. Ivy League. Peut-être parce qu’il n’y avaitaucune rosette en radis oumignardises arrangées avec art sous un filet de jusquelconque, au milieu d’une grande assiette blanche dans laquelle il pourraitgrignoteravecgrâce.

—Allez,laissez-moifaire.Russsursautaetrelevalatête,croisantdesyeuxbleusmagnifiques.Jordan

luisouritenposantsespropresaffairessurleplandetravail,àcôtédel’évier.—Vousavez travaillédur toute la journée.Jepenseque jepeuxgérerun

peudevaisselle.Russhaussauneépauleetfitungrandgestedubraspourmontrerqu’ilétait

plus que désireux d’accepter son offre. Le sourire de tombeur de Jordans’estompaquelquepeu,cequi fitunpeusourireRuss lui-même.S’ilavaitcru

queRuss allait prendredesgants avec lui et refuserait à causedesgénéreusesdonationsdelafamilledeJordanauranch,ilfaisaitfausseroute.

PhylregardaRussenfronçant lessourcils tandisqu’ellenettoyait la table,maisneproposapaspourautantdeprendrelaplacedeJordan.

—Bonnenuit,toutlemonde.Jevaismonteretlireunpeu.Àdemain,ditRussensedirigeantverslaporte.

JonetErnieluifirentunsignedelamain.Phylhochalatêteetdit:—Bonnenuit,monchou.Jordan lui adressa un hochement de tête et un sourire nettement moins

resplendissant depuis l’évier, avant de reprendre sa tâche. Incapable de s’enempêcher, Russ jeta un rapide coup d’œil aux fesses de Jordan – qui étaientsplendides,ill’admettaitsanspeine–,mouléesdanssonpantalon,avantdesortirdelapièce.Iln’avaitpas l’intentiond’allerdanscettedirection,mais iln’étaitpasmortnonplus.L’enfantpourrigâtéétaitlivrédansunjolipaquet,c’étaitsûr.

Quellehonte,vraiment.

V

LACUISINE sevidapeuaprès ledépartdeRuss.Lesdeuxautreshommes,JonetErnesto,luidirentaurevoiretrentrèrentchezeux.Phyllis,quantàelle,serenditdanssaproprechambreaprès l’avoiraidéàessuyerunpeudevaisselle,luiavoirmontréoùrangercertainesaffairesetluiavoirditdefairecommechezlui.

Maintenantqu’ilétaitseul,Jordantrouvaitlamaisonpresquetropcalme.Ilavaitoubliéque tout lemondesecouchait tôt,dansun ranch.Lesoleiln’étaitmêmepasencorecouchéettoutlemondeavaitdisparu.Biensûr,ladernièrefoisqu’ilétaitvenuici,ilavaitdixansàpeineets’étaitépuiséchaquejouretcouchébien avant que les adultes ne fassent demême, donc il n’y avait jamais prêtébeaucoupd’attention.

Phyllisétaitpeut-êtrepartiedanssachambrepourdormir,étantdonnésonâgeetl’heurematinaleàlaquelleilsselevaient.MaisJordanétaitprêtàparierqueRussn’étaitpasprèsdedormir.Silesregardsqu’ilavaitadressésàJordanétaient un indice, ce dernier dirait que le cow-boy ne voulait juste pas seretrouverenprésencedeJordan.Personneauranchneconnaissaitlesraisonsdesaprésence,donccenepouvaitpasêtreparcequ’ilétaitgay.Mêmedeshommessevantantdeleurgaydarluiavaientditqu’ilpassaitinaperçupoureux,saufs’ilvoulaitlecontraire,alorslerejetdeRussavaitpeut-êtrejusteunrapportaveclefaitqueJordanétaitunétranger.

OubienJordanétait-iltropsensible?Peut-êtrequeRussétaitjusteunconnard…Saufqu’ilavaitétésympathique

avectouteslesautrespersonnesprésentes.Quelgâchis,pourunaussibeaumorceau.Aprèsavoirfiniderangerlavaisselle,Jordanpoussaunprofondsoupiret

lissasonpolo.Ilsortitdelacuisineetserenditdanslesalon.Desmeublesusésetmalassortisétaientinstalléssuruntapistressébleuetcrème,aumilieudelapièce.Des photos étaient posées sur toutes les étagères et sur lemeuble de latélévision,etaccrochéesaumurdansl’escalier,dusolauplafond.Ilyenavaitmêmeune vieille de sa famille et lui, quelques années plus tôt, au ranch.LescinqThorndikesouriaientetavaient l’airheureux. Ilavait trèsvitedétourné leregard quand il avait aperçu cette photo un peu plus tôt dans la journée, et là

encore,ilfitdesonmieuxpouréviterdelaregarder.Lamaisonn’avaitmanifestement jamaisvudedécorateuret ladécoration

semblait dater du siècle dernier, en grande partie, mais dégageait cetteatmosphèrequelesgensappelaient«foyer».Àl’inverse,ilnepouvaitpasdiredemêmed’aucunepiècechezsesparents.Samèreavaittrèsbongoût,lespiècesde lamaisonétaient toujourssplendides,maiscommedansunmusée,pasunemaison–regardez,maisnetouchezpas.Jordanpréféraitleranch,mêmesitoutcelaluiétaitétranger.

Suruneimpulsion,ils’assitsurunfauteuilrelax,dansuncoindelapièce,etenfitsortirlerepose-pied.Sonpèreavaitunsiègedumêmegenredanssonbureau,maisJordannesesouvenaitpasdel’avoirvuuneseulefoiss’ydétendre.Biensûr,c’étaitsansdouteparcequesonpèreavaitrarementétéd’humeuràsedétendre,lesraresfoisoùJordanl’avaitvudanssonbureau.

Jen’aijamaisétéassezbon,mêmeavantdefairevolermavieenéclat.Leventrenoué, ilsentit la tensionrevenirdanssanuqueetsesépaules.Il

commençait à regretter le chili épicé qu’il avait mangé, mais ce dernier étaitvraimentbon.S’ilnefaisaitpasattention,ilallaitprendrecinqkilosenunriendetempsaveclacuisinedePhyllis.Celadit,mêmesanssalledesportdans lecoin,ilferaitsansdoutesuffisammentd’exercicetouslesjoursauranch.Ilsluiferaient sans doute ramasser le crottin, pour commencer. C’était ce que leresponsabledesécuriesavaitfait,chezlui,pendantunesemaine,avantdelaisserJordan s’occuper de son premier poney, comme une sorte d’initiation sacréepropre au monde équestre. Le mari de Phyllis le lui avait fait faire aussi, auranch, avantque lesparentsde Jordanprotestent contre l’odeurde fumierqueJordanrépandaitdansleschambrestouslessoirs.

Ilétaitlepetitnouveau,ici,aprèstout,ets’ilspensaientqu’ilnepouvaitpassupporter unpetit travail demerde– littéralement –, ils se trompaient.Ledurlabeur,éreintantetabrutissant,étaitexactementcequ’ilétaitvenuchercherici.Ilvoulaittravaillerjusqu’às’effondrer,commeensalledesport,pourexorcisersesdémons.Ilvoulaitêtreàpeinecapabledeleverlesbrasàlafindelajournéeets’effondrerdansson litàhuitheures lesoir,comme le restede l’équipe,aulieuderesterseulàsetortureravecsespensées.

Ilserelevaetrôdaencoreunpeudanslesalon,avantdeparcourirlesautrespièces du rez-de-chaussée. Malheureusement, rien ne retint son attentionlongtemps.Ilenvisageadesesaouler,maislesdeuxbièresdansleréfrigérateuret les deux bouteilles de vin dans le garde-manger étaient les seules boissonsalcooliséesqu’ilavaittrouvées,etilétaitmalàl’aiseàl’idéedelesouvrirsansdemander la permission avant. Il lui restait toujours le fond de la bouteille debourbondanssonsac,maisilsesentaitnauséeuxrienqued’ypenser.Iln’avait

pasbesoindes caloriesque lui apporterait l’alcool, et commencer sonpremierjourparunegueuledeboisn’étaitpasvraimentcequiluiferaitgagnerdesbonspoints.

Tropexcitépourdormiroumême regarder tranquillementun filmouunesériesursatablette,Jordansortitsouslesoleilcouchantetrejoignitl’écurie.Dèsqu’ilenfranchitleseuiletqu’ilseretrouvaenveloppéparl’odeurdeschevauxetdufoin,ilserelaxaetladouleurs’apaisadenouveaudanssapoitrine.

Oui.C’estpilecedontj’aibesoin.Après que Wiley, son dernier cheval, s’était fait euthanasier, ses parents

n’avaientpasvoululuienprendreunautre,puisqu’ilétaitabsentpourlescoursunebonnepartiedel’année.Ilavaitévitélamaisonfamilialeautantdefoisqu’ilétaithumainementpossiblecesdeuxdernièresannées, sibienqu’iln’étaitpasretourné dans une écurie depuis desmois. Il avait presque oublié la plénitudequ’ilressentaitenprésencedeschevaux,tropoccupéqu’il l’avaitétéavectoutcequisedéroulaitdanssavie.

Leschevauxavaientmanifestementété installéspour lanuit,maisdans lalumièredusoirentrantpar laporteouverte,ainsiquegrâceaufaibleéclairagedispenséparunedizainedepetiteslampesausol,ilvitquelquestêtescurieusessortir de leurs boxes à son approche. Il aurait aimé avoir pensé à prendre despommesoud’autresfriandisesàlacuisine,pourseprésenter.Il tenditlamain,paumeenl’air,àl’animalleplusproche,engardantunedistancedesécurité.

— Salut, toi, murmura-t-il sur un ton encourageant. Je pense que nousallonstravaillerensemblequelquetemps.

LeBSTARétaitunrefugepouranimaux,alorsmêmes’iln’étaitpasrevenuicidepuisdesannées,JordansesouvenaittoujoursdesavertissementsdeSeanetPhyllis.Comme ilneconnaissaitpas l’histoiredecesanimaux, ildevait restersur ses gardes, mais sans afficher la moindre nervosité qu’ils pourraientpercevoir.Jordanignoraitpourquelleraisonlegrandchevalnoirs’étaitretrouvéauranch,maiscenedevaitpasêtrepourmaltraitance,parceque l’animalvinttoutdesuiteposer lenezsursamainet la lécher,ycherchantsanshésiterunefriandise. Comme il ne trouva rien, il donna un coup de nez dans lamain deJordanpourlesupplierdelecaresser.

Le jeune homme pouffa et sentit l’étau autour de sa poitrine se desserrerencoreunpeu.

—Tuesamical,hein?Le cheval noir le regarda de ses grands yeux sombres, qui reflétaient la

lumière du soleil couchant, et lui donna un nouveau coup de nez, faisant denouveaurireJordan.

—Etautoritaire,aussi.D’accord.Lesautoritairesnemegênentpas.

Il poursuivit sa litanie d’inepties tout en caressant et flattant l’animal. Iln’alla pas jusqu’à entrer dans le box,mais le cheval ne parut pas lui en tenirrigueur.Ilfermalesyeuxetlevalatête,pourdonnerplusd’espaceàJordan.

Lejeunehommeressentitunevaguedebonheuretdesérénitéencaressantsa robe chaude et douce. Quant au cheval, il poussait quelques halètementsheureux.Venirauranchavaitétéunebonneidée.C’étaitexactementcedontilavaitbesoin.

LechevalhennitquandJordans’éloignaets’enfonçadansl’écurie,étudiantchaqueboxoccupétandisquedegrandsyeuxledévisageaientenretour.Ilpritson temps, marcha lentement et tranquillement, mais même ainsi, plusieurschevauxsedérobèrentethennirentnerveusements’ils’approchaitmêmeuntantsoit peu.Aucun d’eux n’était aussi câlin et amical que le cheval noir près del’entrée,maisJordann’enavaitcure.

—Vousallezvoushabitueràmoi,lesgars.Vousverrez.Au bout de la rangée, une tête sortit d’un box, séparé des autres par

quelquesstallesvides.Comme il faisait sombreàcetendroit-là, iln’eutqu’unbrefaperçud’unchevalpluspetitquelesautres.Jordans’approchaunpeupoury voir plus clair,mais le cheval pencha la tête et retourna à l’intérieur, hennitnerveusement,puisdonnaquelquescoupsdesabotàlaporte.

—D’accord,monbeau. J’ai compris lemessage. Je recule.Ne t’inquiètepas.Nousferonsconnaissancecommeilfautplustard.

—Qu’est-cequevousfaiteslà?Jordansursautaenentendantcettequestionbourruequiluifutaboyéeprès

delaporte.—Vousnedevriezpasêtrelà,tantqu’onnevousapasmontréleslieux.Ce

nesontpasvosponeysdeconcoursetvosanimauxchoyés.LeBSTARn’apaslesmoyensdepayerl’assurancesivousvousretrouvezblessé,poursuivitRuss,commeJordannerépondaitpas.

Russ ne lui avait pas adressé plus de deux mots, mais Jordan avait lesentimentqu’ilreconnaîtraitcettevoixn’importeoù.

Jordanserapprochaducow-boy.Quandilnefutplusqu’àtroismètresdelui,ilcarralesépaules.

—J’aieudeschevauxtoutemavie,etpourvotreinformation,jesuisdéjàvenuici.SeanetPhyllism’ontdéjàfaitcespeechtellementdefoisquejesuiscertaindepouvoirlerécitermotpourmot,mêmesiçafaitplusieursannéesquejenel’aipasentendu.

Russplissalesyeuxetserralesdents.Puis,ildit:—Ehbien,peut-êtredevriez-vousl’entendreencoreunefoisavantdevous

baladerdansl’écuriecommesicetendroitvousappartenait.

—Jen’aipas…—Etdetoutefaçon,l’interrompitRuss,cesanimauxonttraverséassezde

chosesdanslavie.Ladernièrechosedontilsontbesoin,c’estquequelqu’unlesembêtequandilsessaientdedormir.Ilsenbaventassezlesweek-endsquandlescitadins bien-pensants, mais inutiles, viennent ici faire leur bonne action dumois.

—Jesaiscequejefais,dansuneécurie.Jen’embêtaispersonne,répliquaJordan,lesdentsserrées.Jenefaisaisquedirebonjour.

—Commentest-cequejepeuxsavoirquevoussavezcequevousfaites?—Phyllislesait.Ellemeconnaît.—Cen’estplusPhyllisqui s’occupedeschevaux.C’estmoi.Etvousne

vousenapprochezplustantquejenevousyauraispasautorisé,compris?Jordan s’apprêtait à répliquer à ce connard où il pouvait se fourrer son

attitude,maisilrefermabrusquementlabouche.Desfrottementsagitésderrièrelui, accompagnés de quelques halètements nerveux, lui rappelèrent qu’ilsfaisaient exactement l’inverse de ce dont il essayait de convaincre Russ. Cen’étaitpasvraimentdelafautedeJordan.C’étaitRussquisecomportaitcommeun connard,mais Jordan se rendait bien compte qu’argumenter nemènerait àrienetilnevoulaitpassedisputeraveclecontremaîtredèssonpremierjourici.IlparleraitàPhyllisdanslamatinée.Ellecomprendrait.

Sansunmot,Jordancontournalecow-boyetretournadanslamaison.Ilnecourut pas. Il nemarcha pas à grands pas vifs. Il retourna calmement dans sachambreetfermadoucementlaportederrièrelui,avantdes’yadosseretdefaireundoigtd’honneurendirectiondel’écurie.

Russ allaitmanifestement être un obstacle à sa recherche de la plénitudedontilavaitbesoinpourtrouvercequ’ildevaitfaireensuite.Russavaitpeut-êtredécidé de ne pas l’aimer, pour quelque raison obscure,mais Jordan avait tropbesoindecetendroitpourlaisserunenfoiréarchicanonsemettreentraversdesonchemin.

Ilfermalesyeux,pritquelquesinspirationsetfitroulersesépaules.Puis,ilôta ses chaussures et se déshabilla. Il s’installa dans le lit, sur une piled’oreillers,etfixaleplafondletempsdesecalmer.

Il pouvait y arriver. Il n’était pas fragile au point de fuir à cause d’unconnard.Enplus,iln’avaitnullepartoùaller.

Il avait été surpris. Comme il n’était pas lui-même ces derniers jours –mêmes’ilignoraitquiilétaitvraiment–,iln’avaitmêmepasessayédefaireducharme à Russ. Il ferait mieux le lendemain. Il finirait par trouver, un jour,comment rallier Russ à sa cause, même s’il devait en mourir. Personne nepouvaitrésisteréternellementaucharmeThorndike.

VI

RUSSS’APPUYAcontrelaportedel’écurieetsuivitdesyeuxlaprogressiondeJordanjusqu’àlamaison.Regardermarchercegaminfutsansdouteleplusbeaumomentdesanuit…pourtoutuntasderaisons.Etpourcesmêmesraisonsjustement, il lui tardaitdevoirmarcherJordanquand il s’en iraitpourdebon,fatiguéparlevraitravail,retrouvermamanetpapa.

Dallas hennit avec espoir depuis sa stalle, à l’entrée de l’écurie, et Russsourit.

—C’estfinipourtoi,cesoir,petitpèrecupide.Vadormir.Russse redressaet rentradans lamaison.Jordanallumasachambrealors

queRussétaitàmi-chemin. Il sesentit légèrementcoupablede luiavoirhurlédessus.Jordann’avaitrienfaitdemal,àvraidire,àpartpeut-êtrebrûlerunpeulesétapes.QuandRussl’avaitvuserendreàl’écuriesurlescamérasdesécurité,ilavaitétéaussiénervéqu’inquiet,cequis’étaittransforméenénervementpuret simple quand il avait vu le gamin charmer les chevaux comme il le faisaitavecn’importequi.

—Beaucouptropdoué,putain,murmura-t-iltoutbas.Danstouslescas,injusteounon,lemieuxétaitdedéfinirquelquesrègles

de base. Jordan ne resterait sans doute pas assez longtemps pour que cela ychangequelquechose,maisRussn’allaitpastournerautourdupotaveccegossederiche,peuimportecequedisaitPhyl.

RÉGLÉCOMMEunehorloge,Russfutdouché,habilléetdégustaitsoncafésurlaterrasseavantl’aube,savourantlaquiétudedumatin.C’étaitsonmomentpréféré de la journée. À moitié endormis, quelques criquets stridulaient sansgrand enthousiasme en allant se coucher, tandis que le ciel parait la semi-obscurité de douces nuances pourpres. La brume se cramponnait fermement àl’atmosphère,commesilemonderetenaitsonsouffle,dansl’attentequelesoleilpeignel’horizondecouleursorangéesjoyeusesetfasserenaîtretoutleranchàlaviepourunenouvellejournée.

C’étaitlamaisondeRuss,lapremièrequ’ilaitjamaiseue,etiln’auraitpaspurêvermieux.

La moustiquaire grinça quand Phyl sortit et le rejoignit dans le secondfauteuil à bascule, où ils sirotèrent leur café en silence, tandis que le ciels’éclaircissaitpeuàpeu.QuandSeanétaitencorevivant,c’étaitluiquis’asseyaitdansl’autrefauteuil,tandisquePhylliss’affairaitencuisineoudanssonbureau,trop nerveuse pour rester assise tranquillement avant que la journée de travailcommence véritablement. Mais après le décès de Sean, elle avait ralenti lerythme. Pendant plusieursmois, elle était restée assise sur ce fauteuil toute lajournéeàregarderlesjourss’écouler.Jusqu’àcematin-là,oùelleenavaitjailliet s’était remise au travail, comme si de rien n’était.Mais elle venait souventpasser lesdébutsdematinéeavec luiainsi,cequiaidaitRussàcommencer lajournéesurdebonnesbasesetapaisaitunpeulemanquedeSean–pourtouslesdeux,sansdoute.

—Tuvasêtregentilavec lui,d’accord? luidemandaPhyl, tandisque lesoleilperçaitenfinl’horizonetqueRalph,ledromadaire,blatérait.

Russfitlagrimace.—Mets-leavecErnie.—LesanimauxdontsechargeErnien’ontpasbesoind’autantd’attention

que les tiens.Lesgensnevont pas essayer demonter sur leurs lamas et leursalpagas s’ils les prennent. Les chevaux ont besoin de plus de douceur et dedressage,sinousdevonsleurtrouverunjourunfoyerdéfinitif.Enplus,Jordansait y faire avec les chevaux. Même enfant, il était génial avec eux. Çam’étonneraitqueçaaitchangé.

Russserenfrognaetavalalesdernièresgouttestièdesaufonddesatasse,maiss’abstintdecommenter.Phylluidonnaunepetiteclaquesurlebras.

—Arrêtedetecomportercommeunabruti.Jenesaispascequi t’arrive,maistudoisymettreleholà.Arrêtederonchonneretsoispoli,parcequ’ilnevapaspartirtoutdesuite.Compris?

Ilfitdesonmieux,maisilneputs’empêcherdesourirequandellepoussauneexclamationagacéeenselevantpourretourneràl’intérieur.

—Jedoisallervoirlebaconavantqu’ilbrûle,marmonna-t-elle.Visiblement, il avait déjà réussi à l’énerver et la journée ne faisait que

commencer. S’il ne se montrait pas plus prudent, elle l’enverrait au lit sansmangercesoir-làou,queDieul’enpréserve,lelaisseraitsedébrouillerseul.

—Bon, tu vas réveiller la belle au bois dormant ou bien tu vas attendrequ’il sortede son lit quandbon lui semble ?demanda-t-il en entrant d’unpastranquille dans la cuisine pour se verser une nouvelle tasse de café, quelquesminutesplustard.

Phylluilançaunregardmécontent,depuislacuisinière,maisRusshaussasimplement les sourcils et lui adressa un souriremièvre, essayant d’avoir l’air

aussiinnocentquepossible.Phyllislevalesyeuxaucieletseretournaverssesœufs.—Ilestdéjàdebout.J’aientenduladoucheavantd’allerdehors.Commepourprouver sesdires,despas se firententendresur lesmarches

quelques secondes avant que Jordan entre dans la cuisine, paraissant fraiscomme un gardon. Ses cheveux aux mèches blondes et parfaitement coupésétaienttoujourshumides.

—Ondiraitquejesuisenretard,déclara-t-ilenadressantunsouriredésoléet auto-dévalorisant à Phyl, dont le sourire s’agrandit en réponse et les yeuxs’adoucirentenuneseconde.

Russauraitbien levé lessiensauciel,mais ildevaitdéjàmarchersurdesœufsetnevoulaitpasrisquerlaprivationdenourritureoul’empoisonnements’ilessayaitdesenourrirseul.

—Tun’espasenretarddutout,chéri,roucoulaPhyl.Lepetitdéjeunerestàpeine prêt.Nous allons te gaver, puisRuss ici présent te fera visiter les lieuxavantdetemettreautravail.

JordanadressaàRussunsourirehésitant.Ilavaitaussilesyeuxécarquillésetéclairésd’unelueurinsincère.Russnevit,sursonvisage,paslamoindretracedufeudontlegaminavaitfaitpreuvelaveille,mêmequandPhylleurtournaledos.

Àquoiiljoue?Jordan continua à le regarder avec cette expression plaisante et pleine

d’espoirjusqu’àcequeRusssedandineetdétourneleregard.—Voilà,ditPhylenapportantunbolremplid’œufsetuneassiettedebacon

surlatable.J’espèrequetuaimeslesœufsbrouillés,Jordan.—Oui.C’estsuper.Merci.LesouriredePhyls’élargit.—Russ,tupeuxnousapporterdesassiettes?JonetErniearrivèrentpendantquelestroisautresmangeaient.Jonchipaun

toastetunpeudebacontandisquetoutlemonde,saufRuss,bavardait…ettoutlemonde,saufRuss,étaitpenduauxlèvresdeJordan.

C’étaitécœurant.Unefoislepetitdéjeunerterminé,Jordanproposadefairelavaisselleune

nouvellefois,maisPhylnevoulutpasenentendreparler.—SorsavecRussetlesautres,jevaismechargerdeça.C’estunedesrares

chosesquejepeuxencorefairesurleranch,àpartlapaperasseetlescollectesdefonds.

—Elleaimefaireducinéma,maisenvérité,ellepourraittousnousmettresur les rotules, chaque jour de la semaine, intervint Jon sur un ton de

conspirateur.Phylpouffaetlevalesyeuxauciel.— Ouais, je serais littéralement « sur les rotules » si j’essayais. Allez,

sortez.Vousn’avezpasdetravail?—Si,madame,répondirentJon,ErnieetRussàl’unisson.À l’extérieur, Jordan se tint un peu en retrait du groupe. Russ poussa un

soupirrésignéetluifitsignedelesuivre.—Venez.Jesuiscensévousfairevisiteravantdevousmettreauboulot.—Vousn’êtespasobligé.Cequejeveuxdire,c’estquel’endroitn’apas

tropchangé.Jeconnaisleslieux,sivousavezmieuxàfaire,commentaJordanensedépêchantdelerejoindre.

Russgrognaetpoursuivitsaroute.Arrivéàlaportedel’écurie,ils’arrêtaetsetournaàcontrecœurverscelui

quiseraitsonbouletpendantquelquetemps.—Comme je l’aidithier, il fautquevousensachiezunpeuplus sur les

animauxavantqu’onvouslaisseseulaveceux.Jemefousdevotreexpérienceavecleschevaux.

LesouriredeJordanfaiblitunbrefinstantavantderetrouvertoutsonéclat.—Biensûr.C’estlàquejevaistravailleraujourd’hui?Àl’écurie?—Phylditquevousêtesdouéavecnosamiséquins,alorsc’estlàqu’elle

vousveut.Russ veilla à indiquer clairement, grâce à son ton, que ce n’était pas son

idéeà luietqu’iln’enétaitpasfranchementheureux.Cependant, lesouriredeJordanetsonregardchargéd’espoirnedisparurentpas,cettefois-ci.

—Trèsbien,réponditJordanenclaquantvivementdesmains.Aprèsvous.Russ se renfrogna encore davantage. Ce sale gosse était bien trop

enthousiaste,bonDieu.Russn’aimaitpascela.MaisilavaitassezdetravailàluifairefairepoureffacercesourireduvisagedeJordan.

Il pinça les lèvres pour s’empêcher d’esquisser un sourire diabolique etdévisageaJordand’unœilperspicace.

— Vos chaussures ont l’air assez solides, c’est déjà ça. Mais vousregretterezvotrejeanetvotretee-shirtflambantsneufs.

Jordanémitungloussementqui aurait puêtre charmant, siRuss avait étéd’humeuràselaissercharmer.

— Ouais, quand j’ai décidé de venir ici, j’ai réalisé que je n’avais pasvraiment pris d’habits de travail, donc je me suis arrêté chezWalmart sur letrajet.Heureusement, j’avaisprismeschaussuresdemarcheàbout renforcéetmes bottes de cheval avant de partir de chez moi. J’aurais eu du mal à lesremplacer.

Ce qui voulait dire que cette visite n’était pas vraiment planifiée.Intéressant.

Sanscommenter,Russfitvolte-faceets’approchadupremierbox,oùunegrandetêtenoireapparutavecavidité.

—VoiciDallas, lemâleenquêted’affectionquevousavezrencontréhiersoir, j’en suis sûr.Vous ne trouverez pas plus doux que lui, il est commeunesortedegrand-pèrepourtouslesanimauxd’ici.Toutesajeunesse,ill’apasséesurlescircuitsdecourse,ilaétéuséjusqu’àlacordeetsesmembresn’ontpastenulechoc.Ilnepourraplusjamaisêtremonté,maisilestvraimentgentilavecles visiteurs et les enfants et il occupe une place spéciale, ici, au ranch. Il améritésaretraiteetiln’iranullepart.Nouslegardonsicipourprendresoindelui.

SavoixsefitplusdouceetsesépaulesserelaxèrentquandilcaressalenezdeDallas toutenparlant.Lorsqu’il regardapar-dessus sonépaule, il remarquaqueJordansemblaittoutattendriluiaussi.Russseraclalagorgeetavançadansl’allée.

— La plupart des chevaux de l’écurie sont soit nouveaux et en attented’évaluation,soitmaladesoublessés,soitnes’entendentpasbienaveclerestedutroupeau,donconleurinterditd’alleraupâturage.Dallas,lui,peutavoirsonboxquandilledésire,parcequ’ilestspécial.

Russcontinuadansl’alléeetexpliqualesantécédents,lestempéramentsetlistalesblessuresnotammentdesseptautreschevauxdel’écurie,enprenantletemps d’indiquer les plus dangereux. Il avait adressé lemême discours ou undiscoursdumêmegenreàdesdizainesdevolontaires,sibienqu’illeprononçaitsurpiloteautomatique.Jordannel’interrompitpourposerdesquestionsqu’unefoisqu’ilsatteignirentleboxdeMarina,toutauboutdelarangée.

—Elleestpleine?—Vousavezremarqué,hein?ricanaRuss.Jordan fit la grimace et leva les yeux au ciel, son attitude éternellement

optimistedisparaissantpour lapremièrefoisdela journée,mais justequelquesinstants.QuandRussclignadesyeux,levisagedeJordanétaitdenouveaudouxetavenant.

—Elleestvraimentmaigre.RusssedétournadeJordanetposaleregardsurlapetitejumentbaiedans

sonbox.—Elle l’étaitencoreplusquandnousl’avonsrécupérée,àpeinedeuxsur

l’échelledeHenneke1.Endeuxsemaines,nousavonsréussiàluifaireprendrequinze kilos,mais elle a beaucoup de chemin à faire. Les autres chevaux quenousavonstrouvésavecelleétaientmortsavantnotrearrivée.

— C’est horrible. Comment peut-on laisser ses chevaux mourir de faimainsi?

Russ était d’accord avec lui,mais c’était rarement tout noir ou toutblancdans la vie réelle, et entendre un homme, qui n’avait sans doute jamais eu às’inquiéterun seul jourdans saviedemanquerd’argent, émettreun jugementsurdespersonnesqu’ilneconnaissaitpas,mitRussencolère.

—Toutlemonden’apasdesmillionssursoncompte,aboya-t-il.Lestempssont durs et beaucoup de gens n’arrivent pas à survivre. S’ils doivent choisirentremangereux-mêmesounourrirleurtroupeau,leurchoixestvitefait.Çanefaitpasforcémentd’euxdesgensmauvais,justefauchés.

Ilavaitvuplusquesapartd’adieuxdéchirants,lorsquedesgenslaissaientleursanimauxadorésaurefuge.

—Malgré tout, argua Jordan, ils auraient dû venir vous voir avant d’enarriveràcepoint-là.

Ilavaitraison,maisRussnel’admettraitjamais.Àlaplace,ildéclara:—Contentez-vousdel’éviterpourl’instant.Elleesteffrayée,faibleetnous

devons prendre notre temps. Entre sa dermatophilose sur le dos, l’état de sessabotsettouteslesautresconséquencesdesamalnutrition,elleestdansunétatdéplorable,maisnousnepouvonsfairequecequ’ellenouslaissefaire,unpasàlafois.Elleestmonprojetdumoment,séparéedesautrespourunebonneraison.

Russrevintsursespasetretournaversl’entréedel’écurie,sansvérifierqueJordanlesuivait.Àl’extérieur,Russindiquadelamainlabrouette,lapelleetlerâteau.

—Dois-jesupposerquevoussaveznettoyerunboxcommeilfaut?—Ouais.SurprisparleriredanslavoixdeJordan,Russluijetaunregard.Comme

Jordansecontentaitdesouriresanscommenter,Russfronçalessourcils.—Trèsbien,danscecas…JevaisfaireconfianceaujugementdePhylet

vous laisser faire ça. Je ferai sortir ceux qui peuvent rejoindre le reste dutroupeau.Occupez-vousdeleursboxesd’abord,puisvenezmevoirpourquejefasse sortir les autresunparun jusqu’àunenclos, le tempsquevous finissiezleurs boxes.Lapaille fraîche se trouvedans les boxesvides, à droite, et voustrouverezdesgantsdanslasellerie.

—D’accord.Russ trouva un peu étrange que Jordan accepte aussi facilement – tout le

mondegémissaitunpeuquandilfallaits’occuperdufumier–,maisillelaissaavecsabrouette,s’approchadelaclôturederrièrel’écurieetsiffla.UnedouzainedetêtessetournèrentdanssadirectionetDaisyetMissytrottèrentverslui.Ellesétaientlesplusgagasdepommesetdesucre,ettoujourslespremièresàarriver

quand il était l’heure demanger.Elles étaient aussi les deux plus susceptiblesd’être adoptées bientôt, étant donné leur âge, leur niveau de dressage et leurtempérament.

Lesautreschevauxarrivèrentpluslentement,sibienquelorsqu’ileutsortiDallasetdeuxautreschevauxdeleursboxesetleseutmisdansl’enclos,lerestedutroupeaus’étaitalignécontreouprèsdelaclôture,dansl’espoirderecevoirunefriandise.

—Trèsbien,lesenfants,jecroisquej’aiunpetitquelquechoseavecmoiquivavousrendreheureux.

Ilattrapaunseaupleindefriandisesdanslehangarànourritureetamadouachaque cheval avec pour pouvoir le caresser. La plupart étaient apprivoisés àprésent,doncilsn’avaientpasbesoind’êtreamadouéslongtemps,maiscertainsnouveaux nécessitaient davantage d’efforts. Les plus goinfres se plaçaient detellesortequ’ilsneluifacilitaientpasleschoses,maisilréussitàterminer.

IlsurprituneoudeuxfoisJordanàleregarder,maisilluiavaitsuffideluiadresser un regard noir pour que ce gosse de riche se remette vite au travail.Russavaitl’impressionqu’ildevraitharcelerceconnardfainéantetfortunépourqu’ilfasseuntravailcorrect,maispeut-êtrequeJordaniraitseplaindreàPhyletqu’ellelerefourgueraitàquelqu’und’autre.

Onpeuttoujoursespérer.PlustôtqueRussnes’yattendait,Jordanarrivaàsescôtés.—J’aifini,vouspouvezsortirlesautres,àmoinsquevousvouliezquejele

fasse.Russ fronça les sourcils et retourna à l’écurie pour inspecter le travail de

Jordan, mais les boxes étaient propres et recouverts de paille fraîche. Énervésansraisonvalable,Russsedirigeaverslapremièrestalleoccupée,accrochaunelonge au licol de Bannock après avoir amadoué le cheval blessé pour qu’ils’avance,etlemenajusqu’àunenclospourqu’ilprenneunpeulesoleiletl’airfrais.

D’aprèsles informationsrécoltéespar lapolice,Bannockétaitutilisépourl’entraînementautirpar«uneoudespersonnesinconnues»sur l’exploitationdesonancienpropriétaire.Lesblessuresn’avaientpasétésoignéesavantquelepropriétaireduhongredetraitl’amèneauranch.C’étaitunanimalénorme,maistrès gentil, dans l’ensemble. Il était juste un peu chatouilleux quand il étaitquestiondesoignersesblessures.Ilferaitunsuperbemembresupplémentairedelafamille,unefoisqu’ilauraiteuletempsdesesoigneretd’êtreunpeudressé.

Tandis que Jordan nettoyait les saletés tout aussi impressionnantes quel’animallui-même,Russvérifiauneàunechaqueblessure,envoiedeguérison,lentement,prudemment.

— Ça a l’air d’aller, mon grand, murmura-t-il. Tu vas très vite pouvoirrejoindrelesautresdehorsetnousallonsbientôtpouvoirmettre ta joliegueulesurlesite,ettuteferasadopterenunriendetemps.

Russsentitdespicotementsdanssondos,commesiquelqu’unleregardait.Unregardl’informaqueJordanétaitévidemmentprésent.

—Vousn’avezpasdutravailàfaire?grommela-t-ilentapotantl’épauleducheval.

—J’aifini.J’attendsjustequevousterminiezcequevousfaisiez.RusssoufflaetremitBannockdanssonboxpropre.—Voussavez,vousnegagnerezpasdebonpoint,mêmesivousexpédiez

voscorvéesavantmidi,bougonnaRussenremettantleloquetenplace,avantdesedirigerversleboxsuivant.

Toute la journée,Russ s’attendit à ce que Jordan s’avoue vaincu,mais legamin continua à avancer comme une machine, ne donnant aucun motif deplainte àRuss…ce qui l’irrita beaucoup, surtout quandPhyl leur apporta dessandwiches, des bouteilles d’eau et des verres de limonade et n’arrêta pas des’étalerdelongenlargesurleformidabletravailqu’effectuaitJordan.

—Jevaisdevoiryaller, sinonJonetErnievontmourirde faim.Mais jepense que vous devriez seller les filles,Daisy etMissy, et aller faire un tour,déclaragaiementPhyl.

Russ tenta de masquer son air renfrogné, mais il ne dut pas réussirtotalement,vuleregardacéréqueluilançaPhyl.

—Il faut encorenettoyer la stalledeMarinaet fairedeuxou trois autrestrucsici.

—Cequinevousprendrapasplusd’uneheure,répliquaPhyl,quibalayasoncommentaired’unreversdemain.Vousavezlargementletemps,etcommele week-end arrive, j’ai besoin que ces deux-là soient bien défoulées et secomportent le mieux possible, au cas où elles attireraient l’attention dequelqu’un.

Phylavaitraison,biensûr.Lesfillesavaientbesoind’exercice,etsiJordansavaitmonter,Russn’auraitpasàfairedeuxvoyages.Cequinevoulaitpasdirepourautantquecelaluiplaisait.

—Ouais,d’accord.Onirafaireuntourdèsqu’onaurafiniça.LesouriredeJordanneressemblacettefois-ciàaucundeceuxqueRusslui

avaitdéjàvus.Disparu,cesourireparfaitementétudié, iln’yavaitplusquedupur délice. Ce sourire illumina tout le visage du gamin, faisant de ce jeunehommedéjàmignonunhommesacrémentbeau.

Russressentitunetorsionbientropfamilièredanssonventreetdécampadelaballedefoinsurlaquelleilétaitassispoursedirigeràgrandspasauboutdela

rangée.—JevaisdéplacerMarina,jeta-t-ilpar-dessussonépaule.

1Développéen1983parleDrR.Henneke,ils’agitd’unsystèmed’évaluationdel’étatd’uncheval,constatéensixpointsstratégiques,lesplussensiblesàl’évolutiondelamassegraisseuse.

VII

JORDANÉTAITtrempédesueuretsalequandl’écuriesatisfitauxexigencesdepropretédeRuss.Traînerducrottin etde lapaille toute la journéeétait unexercice bien différent de celui qu’il faisait pendant deux heures sur lesmachinesdelasalledesport.Maisils’yétaitmentalementpréparéetilluiavaitmêmefranchement tardédes’ymettre,depuisqu’ilavaitmisaupointceplaninsensé.Toutcequi ledistrayaitquelquetempsdesespenséesétaitunebonnechose.Deplus,malgrélavolontédeRussdesecomportersansraisoncommeunconnard,ilétaitagréableàregarder,cequienfaisaitpourJordanunedistractionsupplémentaireagréablepournepaspenseràl’échecqu’étaitsavie.

Dans les fantasmes qui lui avaient empli la tête pendant qu’il pelletait lecrottin, Russ ne prononçait pas lemoindremot, à part « oui » et « encore ».Malheureusement, Jordan avait bien trop souvent affaire avec la réalité pourvraimentsavourersesrêveries.

Cependant,iln’avaitpasencorerenoncéàralliercebâtardàsacause.Russétait peut-être plus dur à convaincre que Jordan n’en avait l’habitude, maisaujourd’hui n’était que son premier jour réel au ranch. Il avait du temps pours’attaqueràceproblème.

—PrenezMissy,grommelaRussenpassantdevantJordanpourluimontrerlechemindelasellerie.

— Quelque chose que je dois savoir sur elle ? demanda Jordan en sedépêchant d’attraper la selle, le tapis de selle et l’hackamore 1 que Russ luiindiqua,avantdeluicouriraprès.

Lecow-boyralentitlégèrementlepas.—Cen’étaitpasundenoscaslesplusdifficiles.Lesdeuxfillesviennent

d’uneexploitationquiadûs’enséparer,carunmembredelafamilleesttombémalade.Ilsontdemandéautourd’euxsiquelqu’unvoulait lesacheter,mais ilsn’ontpastrouvéd’acheteursàtemps.Lesjumentsavaientlagrippeetlafamillene pouvait pas payer le vétérinaire, en plus de tout le reste. Elles étaient déjàhabituéesauportdelaselle,maisn’ontpasétébeaucoupdresséesendehorsdeça.Nous les avons soignées etguéries, dresséesunpeu,mais c’est àpeuprèstout.

IlévaluaJordand’unregardcritique,leslèvrestoujourspincées.

—ToutçapourdirequeMissyest jeune,unpeu fougueuse,maissurtoutdouce et désireuse de plaire. Elle n’est peut-être pas aussi disciplinée que leschevauxauxquelsvousêteshabitués,etenplus,elleportedessellesWestern2,vousn’yêtessansdoutepashabituénonplus.

—J’aidéjàutilisélesdeux.Russgrogna,seretournaetpartit.Jevaisfinirpart’impressionner,cow-boy.Tuvasfinirparm’aimer,queça

teplaiseounon.Jordan lissason tee-shirtet réalisa l’absurditédesongestequandsamain

s’enretrouvaencorepluscrasseusequ’avant.Sonapparenceneluiferaitgagneraucunbonpointpourl’instant,maiscelan’avaitpasparudérangerRuss,mêmequandJordanétaitpropre,lesvêtementsrepassésetlescheveuxtoutjustecoiffésaugel.

Peut-êtrequelecow-boyaimaitleshommesunpeusalesetébouriffés.Jordan semordit la lèvre et s’ôta tout de suite cette penséede la tête.La

dernièrechosedontilavaitbesoin,c’étaitdebanderenprésencedeRuss,oudemonterenselleavec la triquepourune longuechevauchée,maintenantqu’ilypensait. Ilétouffasonrireetbaissa la têtepourregarderseschaussures,quandRussluijetauncoupd’œilpar-dessussonépaule.

Même l’attitude de Russ ne lui gâcherait pas sa journée. Jordan ne lelaisserait pas faire. Il n’avait pas cessé de dépasser les attentes de Russ. Il lesavait,quoiqu’affichâtlevisageducow-boy.Àprésent,ilallaitmonteraugrandairunejoliepetitejument.Ilallaitmontreraucow-boygrincheuxleboncavalierqu’ilétait,etpeut-êtrequ’alors,Russlelaisseraitfaireautrechoseques’occuperdufumierdésormais,etsansrouspéter.

Devant lui,Russposa la jambesur laplanchebassede laclôture,sasellesur ledessuset siffla.Deux jeunes juments furent lespremièresarrivées.Russlesconduisitdansunpetitcorralà l’écart,avantderefermer leportailderrièreelles.

—Est-cequevousvoussentezcapabledevousoccupervous-mêmedelaselle?

Jordanneseretintqu’àtrèsgrand-peinedeleverlesyeuxauciel.—Jepeuxlefaire.—Ehbien,faites-le,alors.RusstournaledosàJordanetpréparasapropremonture.Avantde s’approcherdeMissy, Jordan inspiraprofondémentpuis souffla,

faisant disparaître la tension dans ses membres en même temps.Missy ne leconnaissaitpasetilnevoulaitsurtoutpasquesonirritationcontreRussentachesapremièrerencontreaveclajument.

—Coucou,majolie.Jem’appelleJordan.Tuesprêteàfaireunpetit touraujourd’hui,avectonamie?

Jordanconservaunevoixdouceetbasse, et étudia le langagecorporeldeMissypourdécelerlemoindresignedetensionquandils’enapprocha.Missyfitun pas en avant et enfonça le nez dans les mains de Jordan, cherchantprobablementunefriandise.

—Désolé,mabelle,tuasdéjàeutafriandisetoutàl’heure.Maintenant,tuvasfaireunpeud’exercice.

Russ avait déjàmis le licol et le tapisde selle à samonture,mais Jordans’enfichait.Russpouvaitattendre.

— Faisons un peu connaissance tous les deux d’abord, murmura-t-il encaressantl’encolureetlesépaulesdoucesdeMissy.

Sa robe auburn brillante était chaude sous l’effet du soleil texan brûlant.Elleétaitaussi soyeuseetmagnifiqueet leseul faitde la toucherôtaunpoidsdesépaulesdeJordan.

—Nousallonsnousfairedubien,touslesdeux,luimurmura-t-ilàl’oreille.Honnêtement,iln’avaitpasbesoind’êtreaussilentetprudent.Missyétait

unange,aussiavidedefaireplaisirqueprêtepourunebalade.Sic’étaitRussquilesavaitdressées,alorsilavaitfaitunmeilleurtravailqu’ilnel’avaitdit.

Canonethumble,bonsang,c’estsexy.Quelgâchis.—Vousallezvouscâliner toute la journéeouonpeutallersepromener?

râlal’hommeenquestiondel’autrecôtédupaddock.Cettefois-ci,Jordanlevalesyeuxauciel,maisneprononçapasunmoten

mettant le licol et l’hackamore en place, puis le tapis de selle et la selle. Lecollierd’épauleluiposaquelquessoucis,surtoutavecMissyquiavaittrèsenviede rejoindreRuss etDaisy,mais il finit par réussir à fermer la boucle et à laresserrer.IlsentitleregarddeRussposésurluipendanttoutleprocessus,maiscommelecow-boyneditrien,Jordanfitdesonmieuxpourl’ignorer.

UnefoisMissyselléeetprêteàpartir,Russouvritleportailàl’autreboutdupaddock,fitsortirDaisyetattenditqueJordanetMissypassentpourrefermerderrière eux. Ilsmontèrent en silence.Russ fit adopter un petit galop àDaisysansvoirsiJordanlesuivaitbien.

Dèsqu’ilsentitMissyadoptersousluicesmouvementssifamiliers,Jordanse relaxa, ses muscles douloureux se détendirent. Il se fichait que soncompagnondebaladesoitunconnardgrincheux.Ilsefichaitd’êtresansdouteincapabledebougerlelendemain.Ilsefichaitmêmedel’endroitoùilsallaient,tantqu’ilscontinuaientàavancer.

Malgrélachaleur,lasueursursapeausécharapidementquandleschevaux

accélérèrent l’allure.Jordann’avaitpasgrand-choseàfairepourdirigerMissy.CommeellesuivaitDaisysansmontrerdedésirdes’éloigner,Jordanpouvaitsedétendreetprofiterdupaysage.

Avec ses prairies, ses fleurs des champs, ses arbrisseaux et ses arbres, le« pays des collines » 3 formait un contraste saisissant avec les prairiesverdoyantes et sauvages de Virginie, auxquelles il était plus habitué, mais lecœur du Texas était beau à sa façon. Loin du ranch à proprement parler, lepaysagemontaitdeplusenplus,tandisquelesoleilluicognaitledosetlatête.Ilallaitdevoirtrouverunchapeautrèsvites’ilnevoulaitpasressembleràuneécrevisseavantlafindelasemaine.

Au sommet de la première colline, il eut une vue dégagée sur la grandemaison, lesécurieset lesannexes.Les tachesnoiresouclairesforméespar leschevaux, les ânes, les lamas, les alpagas, les chèvres et quelques bovinsparsemaient des enclos aux clôtures blanches et des pâturages jaunes, verts etbruns. La plupart des animaux semblaient préférer l’ombre relative des rareschênes rabougris, même si quelques âmes courageuses s’étaient aventuréesdehors,maintenantquelesoleilétaitplusbasdansleciel.

—Çaal’airbienplusgrandquedansmonsouvenir,commentaJordan.Russralentit l’alluredesonchevalet,pour lapremièrefoisde la journée,

esquissaundemi-sourireenparcourantleranchduregard.—Nous nous en sortons plutôt bien,même si les temps sont durs.Nous

essayons de sauver chaque année encore plus d’animaux que la précédente.Parfois,nousyarrivons.

Commes’ilserappelaitsoudainàquiils’adressait,RussperditlesourireetserralesgenouxpourfairedescendrelacollineàDaisyautrotetenchaînersurlasuivante.

Jesupposequenotrepauseestterminée.Jordansoupiraenregardant,quelquessecondes,leslargesépaulesmusclées

deRuss,sonfessierfermeetsescuissespuissantes,avantd’indiqueràMissydesuivrelecow-boy.

Quelgâchis.Quelfichugâchis.Ils échangèrent à peine unmot pendant le reste de la balade. Ce silence

auraiténervéJordanentempsnormal,maisilsavouraittropleplaisird’êtreenselle cette fois-ci pour se plaindre de la compagnie guère agréable. La selleWestern était différente des selles auxquelles il était habitué et certains de sesmuscles se plaindraient plus tard de la position inhabituelle. Mais si sescourbaturespouvaientl’aideràs’endormirsansenchaînerlesverresdebourbon,il considérerait chaque muscle fatigué, chaque douleur, chaque épuisementcommeunevictoire.

Russ fit demi-tour et retourna vers lamaison bien avant que Jordan s’ensenteprêt,maisiln’avaitpasvraimentvoixauchapitre,dumoinspourl’instant.Lecow-boyfutaussitaciturnesurlecheminduretourquependantlerestedelachevauchée,etenunriendetemps,Jordanvitleranchetlafindesonagréablepromenade.

Ilsoupiraderegretetmitpiedàterre,puisramenaMissydanslepaddock.Il lui enleva une grande partie de son harnachement, puis Russ lui ordonnad’allerchercherdequoibrosserleschevaux.Ilsprirentletempsnécessairepourlesétriller,lesbrosserafind’enleverlapoussièreetlasueur,avantderetirerleshackamoresetlesremettredanslepâturageaveclesautres.

Près de l’écurie, Jordan s’attendait à recevoir quelques paroles defélicitations pour le travail bien fait, mais Russ ne lui accorda qu’un brefhochementde tête en retournant à lagrandemaison.QuandRussarriva sur laterrasse, Phyllis sortit de lamaison. Elle adressa un sourire et un signe de lamainà Jordan,puisallaaucoinde la terrassepoursonner laclocheencuivreaccrochéeàunpoteau.

—Tuas le tempsd’aller te laver avant ledîner, Jordan, l’interpella-t-ellequandils’approchadelamaison.

Soulagéetreconnaissant,Jordansouritetsedirigeaversl’escalier,lecorpscourbaturé.Lesdouleurset la raideur se réveillaient,maintenantqu’il enavaitfini pour la journée. Les marches menant aux chambres le firent réfléchirquelquesinstants,maisilpassaoutresafatigueetmonta.Ilnes’assiéraitpasàlatabledudînerrecouvertde…toutcedontilétaitrecouvert.

Aprèsunedoucherapide,ilsortitlesecondjeanqu’ilavaitachetéenvenanticietl’undesespolos.Ils’étaitditquelesjeansmoulants,lespantalonsensoieet les shorts en lin ne le rendraient pas sympathique aux yeux des autres. Iln’avaitpasvraimentréfléchienfaisantsesbagages.Toutcequ’ilavaitemporténe servirait à rien au ranch. Il allait devoir acheter d’autres jeans, sinon, il seretrouveraitàfairesalessiveplusieursfoisparsemaine.

Était-ce Phyllis qui se chargeait de la lessive ? Si elle ne le faisait pas,Jordan allait devoir trouver comment demander de l’aide pour le faire, sanss’humilier.Iln’avaitjamaisfaitdelessive.

Est-ce qu’Amazon livrait jusqu’ici ? Il ne pouvait pas se permettre dedépenser beaucoup. Comme toutes ses autres cartes de crédit avaient étéannulées,ilneluirestaitquesoncomptepersonnelet…

Jordansesecouapournepasypenserets’occupadesescheveux,danslemiroiraccrochéau-dessusdelacommodeabîméedesachambre,puislissasonpolo. Il avait travaillé d’arrache-pied ce jour-là, donc il ne devrait plus êtrecapable de penser, mais la réalité avait le don de venir lui botter les fesses,

malgrétousleseffortsqu’ilfaisaitpourl’ignorer.Russsortitdelasalledebainàl’instantoùJordanquittasachambreetils

faillirentsepercuterdanslecouloir.Russs’était,semblait-il,douchéàsontour,puisqu’ilpassaituneserviettesursescheveuxhumidesetqu’ilavaitremplacésachemiseenbatisteparunmaillotdecorpsblancquimoulaitsontorsemuscléetsoulignaitsestétons.

Jordanretintungémissement.Quelgâchis.C’estunevraietragédie.Ilesquissaunsourirerayonnantetdéclara:— Je ne vous ai pas remercié de m’avoir laissé vous accompagner cet

après-midi.Missyétaitvraimentunamouretçam’afaitdubienderemonterenselle.Çafaisaitbientroplongtemps.

—C’estPhylqu’ilfautremercier.C’étaitsonidée,paslamienne.Persévérant,Jordanavançad’unpasetgardalesourire.—Dans tous les cas, c’était quandmême vous qui étiez avecmoi, donc

merci.Russ pinça les lèvres et hocha la tête, raide comme un piquet, avant de

retournerdanssachambreetd’enfermerlaporteaunezdeJordan.Jordanpoussaunsoupirmécontentensedirigeantverslerez-de-chaussée.

Russétait lebrasdroitdePhyl,serappela-t-il. Ilsavaient l’airproches.Jordanavait donc besoin de l’approbation du cow-boy s’il voulait rester au ranchpendant…àvraidire,aussilongtempsqu’ilenavaitbesoin.CharmerRussallaitjusteluiprendreplusdetempsqu’ilnel’avaitespéré.

1Bridesansmors,courantedansl’équitationwestern.2 Par opposition aux selles « classiques » (ou « anglaises »), les sellesWestern sont un peu plus

grandesetchangentlamanièredemonter.3 Le « Texas hill country » est une région située au centre du Texas et composée de nombreuses

collinesdecalcaire.

VIII

QUATREJOURS.QuatrejoursqueJordantrimait,pelletaitducrottindel’aubeaucoucherdu

soleil,sansjamaisseplaindre,etavait-ilreçuunsimple«bontravail»ou«bienjoué»delapartdeRuss?

Non.Pasunefois.Phyllis, Jon et Ernie faisaient montre d’une quantité appropriée

d’approbation et de gratitude, cajolant son ego toujours plus fragile,mais pasRuss.

C’étaitcommetravailleravecsonpère,saufquesonpèreluilançaitparfois«bontravail»,mêmesicesdeuxmotsétaientsouventsuivisd’un«mais».

Jordanbalayaittoujourscespenséesaussivitequ’ellesapparaissaient,maisàquid’autrepouvait-ilcomparerRuss?Iln’avaitpasconnutantd’enfoirésdanssaviejusqu’àaujourd’hui,pourcequiétaitdesenfoirésqu’ilnepouvaitignorerouenvoyersefairevoir,entoutcas.

Jordanposaunpiedsurlaclôtureetlesbrassurledessuspourregarderlesbêtes évoluer sous la pâle lueur de la lune. Les criquets stridulaient en unronronnement constant, seulement brisé parfois par les reniflementsensommeillésd’unchevaloulebraimentd’unânelorsqu’unechouetteululaitauloin.L’airétaitlourdethumidesuiteàl’oragequiavaitéclatédanslajournéeetlachaleurirradiaittoujoursdusol,bienquelesoleilsefûtcouchédeuxheuresplustôt.

Aprèscettenouvellejournéededurlabeur,Jordanétaitexténuéetilauraitdûsetrouveraulit,commetouslesautres,maissonespritnecessaitdetourneràpleinrégime.Ilavaitbeaurepousserseslimites,s’épuiserautravaildepuisdesjours,celanesuffisaitpas.

Quevoulait-ildelavie?Oùirait-ilensuite?Devait-ilappelerl’universitépourlesinformerqu’ilnereviendraitpas?Sonpèreavait-ilmisfinaubaildesonappartementàcôtéducampus?Combiende tempssavoiture resterait-elleassuréeavantqu’ilnedoivese

chargerdespaiements?Sonthérapeuteluirépondrait-il,s’ill’appelait?

Son assurance santé était-elle toujours payée, s’il avait besoin de sonthérapeuteoud’unmédecin,pourlecasoùilseblesserait?

Toutescesquestions,etplusencore, tournaientenboucledans sonesprit,menaçantdelesubmerger.Soncœurbattaitàtoutrompre,lepoussantàbouger,àcourirjusqu’às’effondrer,maiscelaneluiferaitaucunbienetilétaitdetoutefaçonàpeinecapabledeleverlesjambes.Ilsesentaitmalade.Iln’avaitguèrebeaucoup mangé les plats délicieux mais lourds de Phyllis, mais ils luiplombaientpourtantl’estomac.

Aulieudecourir,ilquittasonposteprèsdupâturageetentradansl’écurie.Puisqu’il était le plus proche de l’entrée, Dallas fut le premier à l’accueillir,comme toujours. Jordan accepta son invitation d’un sourire et avança dansl’allée, caressant chaque encolure qui se présentait à lui, jusqu’au bout del’écurie.Marinal’observadepuissonboxetJordanluisouritens’installantsuruntasdepailleàproximité.Ilavaitprisl’habitudedeveniricichaquesoiretdes’asseoirprèsdelafuturemèrenerveuse.Ilsesentaitpluscalmedansl’écurie,lesodeursetlesbruitsdeschevauxl’apaisaientcommeparmagie.Marinas’étaithabituée à lui, à présent, et avaitmême pris en douce une ou deux friandisesdanssamain,quandRussneregardaitpas.

—Toi etmoi,onvabien s’entendre,murmura-t-il.Nous sommesunpeubriséspourl’instant,maisriend’irréparable,hum?

Ellereniflaetilvitsesyeuxbrillerdansl’ombredubox.Ilsourit,fermalesyeuxetposalatêtecontrelacloisonenbois.

BonDieu,jel’espère,entoutcas.

—HÉ.Jordanseréveillaensursautquandquelqu’undonnauncoupdepiedsursa

botte. Il ouvrit lesyeux et découvrit la silhouettedeRuss au-dessusde lui, sedécoupantdanslapâle lumière indigoquiprécédait le leverdusoleiletentraitparlesportesdel’écurie.

— J’espère que vous vous êtes assez reposé, parce qu’avoir dormi dansl’écurien’estpasuneexcusevalablepournepastravaillerlesamedi.

Jordan ravala un grognement et obligea ses muscles à coopérer. Il avaitl’impression d’avoir quatre-vingts ans et était certain que cela se voyait.Heureusement,ilfaisaittoujourssombrelàoùilsetrouvait.

Sansmontrerlamoindreoncedepitié,Russluifitsignededéguerpir.— Phyl prépare le déjeuner. Rentrez etmangez quelque chose, pour une

fois.Vousaurezbesoindetoutesvosforcespourdorloterlesweekenders.

Jordansortitde l’écurieet retournaenchancelantdans lamaison,commeunzombie,etn’assimilalesparolesdeRussquelorsqu’ilatteignitlehautdelaterrasse.

—Qu’est-cequ’ilveutdirepar«mangezquelquechose,pourunefois»?Il jetaunregardnoiràl’écurieenréponse,maisRussn’étaitnulleparten

vue.— Bonjour, mon rayon de soleil, l’accueillit Phyllis avec bien trop

d’enthousiasme,quandJordanentradanslacuisine.— Il n’est pasunpeu tôt pour lepetit déjeuner ? râla-t-il en sedébattant

aveclacafetière.—Lesamediestunejournéechargéepournous.Entrelesweekenders, les

touristesetlesprobablesadoptions.—Lesweekenders?marmonna-t-ilentredeuxgorgéesdecafé.— C’est comme ça qu’on appelle les visiteurs bien intentionnés qui

viennentavecleurfamillepour«fairedubénévolat»leweek-end.Sonsouriredisparutunpeuquandelleréalisaàquielles’adressait.— Non pas que nous n’apprécions pas toute l’aide qu’on peut nous

apporter,maiscertainsnousapportentplusdetravailqu’ilsn’enfontréellement,situvoiscequejeveuxdire.

Elles’interrompitquelquesinstants,mélangealesœufsdanslapoêle,puissetournaverslui.

—Mais tout ça, c’est pour une bonne cause. Et plus il y a de gens quivoient ce que nous faisons ici et apprennent à leurs enfants à respecter lesanimauxetàdonnerdeleurpersonne,meilleurseralemondeaufinal,conclut-elle en adoptant ce que Jordan avait reconnu comme étant sa voix dédiée auxcollectesdefonds.

—C’estlogique,marmonna-t-ilentredeuxgorgéesdesasecondetasse.Elleledévisagead’unœilcritique.—Tutesensbien?—Ouais,jesuisjusteunpeufatigué.—Russt’enavraimentfaitvoirdetouteslescouleurscettesemaine,hein?Oui.—Pasvraiment.Enplus,letravailforgelecaractère,non?IladressasonplusbeausourireàPhyllis,dontl’expressions’adoucit.—Net’eninquiètepasaujourd’hui,nousauronsbeaucoupd’aide.Elles’interrompit,pinçaleslèvresetledévisagea,pensive.—Tusaisquoi?Jepensequec’estunetrèsbonneidée.—Hum?J’aimanquéquelquechose?Phyllisluifitungrandsourire.

—Désolée.Moncerveaus’emballeparfois.Jepensequetudevraispasserlajournéeavecmoietparlerauxgens.Tuasundonpourça.Lesgenst’aiment.

—Pastous,marmonnaJordandanssatasse.—Suffisamment, en tout cas, rétorqua-t-elle en balayant sa réponse d’un

geste de lamain. Le travail que nous faisons est nécessaire.Nous sommes làpournousoccuperdesanimaux,aprèstout,maisnousnepourrionspaslefairesanslesdonateurs,sanslesgensquinoussoutiennent.Cettepartiedutravailesttoutaussi importante, sicen’estplus,quedenettoyer lesboxes…mêmesi jen’arrivepas à le faire entrerdans le crânedecertainespersonnes,s’indigna-t-elle.Sanslesdonationsdecespersonnesadorablesquiviennenticipourpasserune journée en famille, s’entichent de nos animaux et les ramènent chez eux,nousnepourrionspasensauverplus.Lesgenssontimportants.

CommeJordanhochaitlatête,leregarddePhylliss’éclaira.—Tuvois?Jesavaisquetucomprendrais.Aulieudeluidiredemettrelatable,elleluiservituneassiettedirectement

depuislacuisinièreetluiditdes’asseoir.—Iln’yaquenousdeux?demanda-t-il,perplexe.—Oui.JevaisenlaisserunpeuàRuss,s’ilveutrevenirmanger,maisJon

et Ernie sont en congé pour la journée. Nous avons beaucoup d’aide,généralement,surtoutl’été,commelesenfantsn’ontpasécole.Lasemaineaétéplutôt tranquille, mais d’habitude, nous avons les Girls Scout, les 4-H 1, lesgroupesd’enfantsdechœur,lescoloniesdevacancesetc.quiviennentaumoinsun jour par semaine.C’estmoi quim’en occupe et je leur fais faire la visite,avant de les mettre au travail. Ils nettoient les saletés, donnent les bains ouapportent de la nourriture…des choses simples.Tout ce qu’il faut faire, c’estgarderunœilsureux.

—Dubaby-sitting,soupiraJordan.Phyllispouffa.—Cen’estpassimalqueça.Tupourrast’asseoirdetempsentempsetce

neserapasàtoidepelleterettraînertoutlecrottin.Elle marquait un point. Il n’avait pas beaucoup d’expérience avec les

enfants,maiscompter sur soncharmeThorndike, ça, il le faisaitdepuisvingt-quatreans.C’étaitsurlesgenouxdemaîtresenlamatière–sesparents–qu’ilavaitapprisàjouerleshôtesaffables,aprèstout.Etmêmes’ilavaitlâchécettebombequiavaitdétruitsaviepourneplusavoiràsecacherderrièreunmasque,justement, c’étaitpour labonnecausecette fois-ci.Enoutre, celavoulaitdire,pourlui,passerunejournéedemoinsàsecognerlatêtecontrelemurenbriquedeladésapprobationdeRuss.Aprèsquatrejournéesinfructueusesdececôté-là,unepauseluiferaitdubien.

—Comptezsurmoi,dit-ilensouriant.Les doux yeux bleu-gris de Phyllis s’illuminèrent, le réchauffant de

l’intérieur,tandisqu’ilavalaitsanourritureavecunappétitlégèrementretrouvé.

ILS’AVÉRAquepourcequiétaitdecharmerlesgenspourlesconvaincrededépenserde l’argent, Jordanexcellait.Celane faisaitpasdemalnonplusqueson amour du ranch et de ses animaux soit étonnamment sincère, ce qu’ildécouvrit lui-même en accompagnant des familles bavardes faire le tour desenclosetenaidantPhyllisàraconterdeshistoiresamusantesettouchantespourquelesgenssesententplusintéressésparlesanimaux.

Ralph,ledromadairedontsechargeaitErnie,connutungrandsuccès.Lespetits garçons adorèrent ses grognements et ses crachats quand il était irrité.Jordan dirigea tout le monde près de l’enclos de Calliope, l’autruche, et pritgrandplaisiràrelater lemeilleurmomentdesasemaineàtouteslespersonnesquipassaientpar là–à savoir, lemomentoù il avaitvuCalliope faire tomberRuss sur les fesses et dans la poussière tandis qu’il évitait les coups de becgrincheuxdel’animal.Jordanracontal’histoirecommeuncontepourenjoindreà la prudence, mais il veilla à ne pas parler trop fort pour que l’homme enquestion ne puisse que l’entendre quand il passa avec un autre groupe devolontairesqui s’occupaientdedonneràmanger.Le regardnoirqu’il reçutenréponseàsesefforts,tandisquelesenfantsgloussaient,amélioragrandementsajournée.

Il comprenait très bien à présent comment gérer les enfants des autrespouvait faire prendre un coup de vieux, surtout en fin de journée, quand lesenfants commençaient à être fatigués et grognons. Mais la plupart des petitsrestèrentpendusàseslèvres,lesyeuxécarquillésetlesourireauxlèvres,cequimitdubaumeàsonegomalmené,etpresquetoutlemondesemontraamicaletgentil.

Undesmomentsétrangesdesajournéefutlorsquel’undespapaslereluquaouvertement. En règle générale, Jordan avait l’habitude que des hommesséduisantsledévorentdesyeux.Àvraidire,ilavaitpassédesheuresensalledesport et devant son miroir chaque semaine pour s’en assurer. Donc en tempsnormal, il se serait rengorgé sous cet examen. Mais comme l’homme qui ledraguaitétaitencompagniedesa femmeetdesesdeuxpetites fillespourunesortieenfamille,Jordanenavaitplutôteulachairdepoule.

Traitez-moideprude,maisilyaquelquechosequicloche.Il frémit en soulevant le plateau sur lequel étaient posés des pichets de

limonade,qu’ildevaitamenerdehors,etespéraquel’hommeseraitdéjàparti.Ils’apprêtaitàdescendre rejoindrequelques familles regroupéesautourde tablesdepique-niquerecouvertesdetassesetd’assiettesàgâteaux,quandilaperçutdenouveau l’homme louche. Mais cette fois-ci, il semblait affronter Russ dansl’ombre de l’écurie, à bonne distance de tout lemonde, et caché à la vue desautresparuntracteuretunvan.

Sa curiosité piquée, Jordan se décala de quelques pas pour y voirmieux.Russagitaitlesbrasdanstouslessens,sansdouteenpleineconversationaniméeavec l’autre homme, mais Jordan était trop loin pour pouvoir comprendre cequ’ils disaient. Alors que Russ levait les mains en l’air, tournait le dos àl’homme et s’éloignait à grands pas, la moustiquaire claqua dans le dos deJordan,lefaisantsursauter.

Surprisàespionner,Jordanrougitetseredressa,puisfitunsignedetêteendirectiondel’écurie.

—Qu’est-cequisepasse?Phyllis suivit son regard et fit la grimace. Elle jaugea Jordan d’un coup

d’œilspéculatifquelquesinstants,puishaussalesépaules.—C’estde l’histoire ancienne.Toddest l’exdeRuss…Jene l’ai jamais

aimé,pourmapart. Ilestmariémaintenantetadeuxfillesadorables,maisondiraitqu’ilnepeutpass’empêcherdereveniricidetempsentempspoursemerlazizanie.Heureusement,RusssefaitdiscretquandToddestlà.C’estplusfacilepourtoutlemonde.

Jordan clignaplusieurs fois des yeux. Il regardaRuss s’éloigner quelquesinstantsavantdereportersonattentionsurPhyllis.

—Sonex?Phyllisaccueillitd’unsourcilsonexpressionestomaquée.—Oui.Tun’aspasdeproblèmeavecça,si?—Euh…non.Jordansecoualatête,maissurtoutpours’éclaircirlesidées.—Non,pasdutout.Ellesourit.—Ilmesemblaitbienquetun’enauraispas.Commeilluiadressaunregardperplexe,sonsourires’agrandit.—Allez,viens,allonsapporterçaavantquelaglacefonde.Hébété, Jordandescenditde la terrasseetposa leplateausurune tablede

pique-nique.IlversadelalimonadedansdesverresencartontandisquePhyllisprenaitletempsderemerciertoutlemonded’êtrevenu.

Ilestgay?Russestgay?Jordanavaitdesdifficultésàappréhendercenouveaufait,quiétaitpourlui

comme un nouveau coup porté à son ego. Il n’était pas assez vaniteux pourcroirequetousleshommesdelaTerreseraientattirésparlui,maisRussn’avaitpasmontrélemoindresoupçond’intérêtàsonégardmalgrétoutletempsqu’ilsavaientpasséensemble. Jordann’étaitpasun troll,pour l’amourduCiel.Unequeuebiendisposéeétaitunequeuebiendisposéequandonétaitexcité,non?Cen’étaitpascommes’ilyavaittantdemeilleuresoptionsauranch,etdepuisque Jordan était là, Russ n’était allé nulle part à part à l’épicerie et chez unparticulierpourvérifierlesconditionsdevied’unanimal.

C’estquoicebordel?Russ etTodd ne réapparurent jamais, ou dumoins, Jordan ne les vit pas.

Mais très vite, tous lesweekenders retournèrent à leurs véhicules et partirentdansungrandnuagedepoussière,ycomprislafemmeetlesfillesdeTodd,donccedernieravaitdûreveniràunmomentouàunautre.

— Tu as fait du bon travail, aujourd’hui, déclara Phyllis en tapant songobeletdelimonadecontrelesienpourluiporteruntoast.

Jordan oublia quelques instants son obsession pour Russ et adressa unsourire rayonnant à Phyllis. Il était si heureux de ce petit éloge que c’en étaitridicule,commeunhommeaffaméfaceàunsteaksaignant.

Syndrome classique de l’enfant du milieu victime d’un pèreémotionnellement distant – il cherchait toujours désespérément l’approbationdesautres.

Il secoua la tête. Comprendre les raisons de ses réactions ne faisait pasdisparaître ce qu’il ressentait pour autant. Il suivait une thérapie depuis sonadolescence,donc ilconnaissaitparfaitement les termesexactset lesétiquettespourdéfinirleschoses,maisilavaitpresqueautantmentiàsonthérapeutequ’àsesparents.Àenjugerparlaréactionqu’avaienteuecesderniersquandilleuravaitditlavérité,ilavaiteuraisondementiraussilongtemps.

—Merci,Phyllis.Vousaviezraison.C’étaitamusant.—Tupeuxm’appelerPhyletmetutoyer.Elleseleva,s’emparaduplateauetretournaverslamaison,laissantJordan

toujours bouche bée la regarder faire, un sourire stupide aux lèvres, et uneétincelled’espoirs’allumantdanssapoitrine.

—Jevaispréparerledîner.Peux-tuallervoirRussetluidemandersitoutest fini ? cria-t-elle par-dessus son épaule avant d’ouvrir la moustiquaire, quiclaquaderrièreelle.

Russestgay…oubi,aumoins?Bordeldemerde.

1Mouvementsdejeunesseadministrésparleministèredel’agricultureaméricainpourfairedesjeunesdescampagnesdescitoyensresponsables.

IX

LEMERCREDImatin,Russfutréveilléparlasonneriestridentedesonréveiletfaillitbalancerl’objetàl’autreboutdelapièce.Ilgrogna,retombasurledosetobservalesombresauplafond.Mêmes’ilenclenchaitsonréveiltouslessoirs,il se réveillait toujours avant que ce fichu machin ait l’opportunité de sedéclencher – toujours. Sauf ces derniers jours, où s’il dormait plus de deuxheures d’affilée avant qu’il ne soit temps de démarrer la journée, il pouvaits’estimerheureux,etilsavaitexactementquiblâmerpoursesproblèmes.

CefichuJordanThorndikedevait«setrouver»outrouversasatanée«paixintérieure»–oupeu importecequ’il étaitvenuchercherau ranch–etpartir,parcequeRussnesupporteraitpasdejournéessupplémentairesàsefaireévaluercommeun étalon àunevente aux enchères. Jordan le regardait tantôt avecdegrandsyeuxdebiche,tantôtavecdespaupièresalourdies,ilsetenaitunpoiltropprèsdelui,ileffleuraitparaccidentlecorpsdeRuss…Toutceciallaitluifaireperdrelatête.

—Toutestdetafaute,Todd.Tun’auraispaspuresteràl’écart,vivretavieetmelaisservivrelamienne?

Cedevaitêtrelarécentevisitedesonexauranchquiexpliquaitlesoudainchangementd’attitudedeJordan,quiétaitpassédel’optimismeéternelfacticeàunCasanovaenchasse.Riend’autren’avait changédepuis la semainepassée.Une chose était sûre, Russ ne s’était pasmontré plus gentil avec ce gosse deriche.Russignoraitcomment,maisJordanavaitdûdécouvrirqueRussetToddétaientsortisensemble,etdepuislesamedi,ildévisageaitRusscommeunfruitbienmûrqu’ilaimeraitcueillir.

Àchaquefois,lapeaudeRusslepicotaitetilavaitétéincapabledetrouverlereposdepuis.

Ilgrogna,sortitdu litet jetaunregardnoirendirectionde lachambredeJordan. Fini de tergiverser. Il allaitmettre un terme à cela – quoi que soit ce«cela»–leplustôtpossible.Phylneseraitpascontente,maisc’étaitchezRuss,ici, pas chez Jordan, peu importait combien ses parents étaient riches. Si legamin n’appréciait pas de se faire remettre à sa place, il pourrait toujours seterrerailleurspourconsoler l’enfantqui sommeillait en lui.Russ, lui, avaitdutravailàfaire.

Déterminé, il entra à grands pas dans la salle de bain, prit sa douche etenfilasesvêtementsde travail. Ilévita lepetitdéjeuner,n’avalaqu’une rapidetasse de café et n’attrapa qu’une tranche de pain beurrée sur le trajet, puis serenditàl’écurietandisquelespremièrestachesderoseperçaientàl’horizon.IléchangeaàpeinedeuxmotsavecPhyl,endehorsdescivilitéshabituelles,carilcraignaitqu’ellesubisselaragequimontaitenluietquiétaitentièrementdirigéecontrelegossederiche.

Comme il s’y attendait, Phyl lui fourra Jordan dans les pattes toute lajournée. Ce gamin pourri gâté était vraiment génial avec les chevaux, ce quin’aidaitpaslesaffairesdeRuss.End’autrescirconstances,Russauraitenvisagéde former Jordan lui-même, tout comme Sean l’avait fait avec lui. Mais cemorveuxneresteraitpasassezlongtempspourquecelaenvaillelapeineet,enoutre,Russseraitincapabledepassercesmomentsnécessairesentêteàtêtesansfairequelquechosequ’ilfiniraitparregretter.

—Qu’est-cequ’onfaitmaintenant,patron?Russserenfrogna.Iljetaàcontrecœuruncoupd’œilderrièreluietobserva

Jordan, bien trop mignon pour quelqu’un ayant passé les dernières heures àbaigner jusqu’augenoudans lecrottin,enpleine journéecaniculairede juillet.Mêmeensueuretlescheveuxébouriffés,ilétaitàcroquer.

Russétaitauboutdurouleau.—Çafaitplusd’unesemainequetueslà,grogna-t-il.Tudevraissavoirce

que tudois faireensuite,maintenant.Tuasdesyeux, regarde le tableau.Jenesuispastanounounitonpère.Tuferaismieuxdelecomprendreoudetecasserdemonécurie.

Jordan le dévisagea quelques instants, sans un mot, les yeux – sesmagnifiquesyeuxbleus–écarquillésdesurprise.Peut-êtreyavait-ilaussiuneétincelleblessée.Trèsvite,cependant,legaminplissalespaupièresetserralesmâchoires.Russcarra lesépaules,prêtpourunebagarrequi luipermettraitderelâcherunpeulapressionquinecessaitdemonterdepuisplusieursjours.Ilneferaitpasbeaucoupdemalaujoligarçon,maissiJordanluidonnaituncoup,ilenrecevraitunenretour.

Maiscenefutpascequisepassa.Aulieudelefrapperoudes’éloignerensoufflant,commelegaminpourrigâtéqu’ilétait,Jordanperditsonfroncementde sourcils énervé. Il battit des cils et esquissa un sourire de ses lèvres auxcourbesparfaitesquifitbattrelecœurdeRussplusviteàmesurequelesmots« problèmes à l’horizon » clignotaient dans son esprit, comme éclairés d’unnéon.

Estomaqué,RussnebougeapasquandJordans’approchad’unedémarchechaloupée,sepenchaetluimurmuraàl’oreille:

—Oh, je sais bien que tu n’es pasmonpère. Si c’était le cas, toutes leschosesquejevoudraisquetumefassesseraientillégalesettrès,trèsmal…saufsinousparlonsicid’untoutautregenrededaddy.

Sur ces mots, cette petite merde prétentieuse tourna les talons et repartitd’unpasnonchalant,tortillantsonpetitculmoulédanslevieuxjeanuséetbientropfindeRussquePhylluiavaitdonné.

—Merdealors,juraRussdansl’écurievide,quandilretrouval’usagedelaparole.

Le gamin avait visiblement décidé que Russ était assez mûr pour êtrecueilli, finalement.Mais qu’est-ce que Russ allait bien pouvoir faire de cetteinformation?

L’undeschevauxhennit,lesortantdesastupeuretluirappelantqu’ilavaitdutravailàfaire.Ilrajustasonpantalonengrimaçant,jetaundernierregardnoirdans la direction empruntée par Jordan et partit en quête de ses outils demaréchal-ferrant.

PENDANTLErestedelajournée,Jordanévitatouteproximitéaveclui,maiscelan’empêchapaspour autant legossede richede lui lancerdes clinsd’œilimpertinentsetdeselécherleslèvreschaquefoisqu’ilcroisaitleregarddeRussdanslaprairieouqu’illuipassaitdevantensedirigeantverslesenclosd’autresanimaux.CommeJonetErnien’étaientjamaisloinetquePhylaussifaisaituneapparitiondetempsentemps,Russn’eutpasl’opportunitédes’énerveravantlafindelajournée.

JonetErnienerestaientpasdînercesoir-là.ErniedevaitassisteraurécitaldeviolondesafilleetcommeJonrecevaitsesbeaux-parentsceweek-end-là,safemme voulait qu’il rentre l’aider àmettre de l’ordre dans lamaison.Russ etJordan se retrouvèrent ainsi seuls à l’extérieur pour terminer le travail pour lasoirée tandisquePhylpréparait le repas.Russ avait réussi à sedébarrasserdeson émoi et à recommencer à fulminer le temps que la journée de travail setermine.Ilpénétradansl’écuried’unpasvolontaire.Lapetiterépliquedugamince matin-là l’avait surpris et, s’il était honnête avec lui-même, avaitsuffisamment attiré l’attention de son sexe pour que ce dernier prenne lescommandesquelquesinstants.Maisceflirtexagéréetperpétueltoutelajournéel’avaitvraimenténervé.Iln’aimaitpasjouer.

—Hé,interpella-t-ilJordanenentrantdansl’écurie.Jordan nettoyait quelques seaux, mais il s’interrompit quand Russ

s’approcha, et se tourna pour lui faire face. Le gamin esquissa un sourire

séducteuret s’appuyacontre lemurde l’écuriedemanièreaguicheuse.C’étaitunspectacletrèsséduisant,difficiledelenier.MaisRussenavaitsaclaquedecesconneries.

—Toietmoi,ilesttempsquenousayonsunepetiteconversation,déclara-t-ilens’arrêtantàbonnedistanceetencroisantlesbras.

— D’accord. À quel sujet ? demanda Jordan, avec son air de ne pas ytoucher.

— Je crois qu’il faut mettre certaines choses au clair. Écoute-moi bien,parcequejenevaispasmerépéter,c’estclair?

—OK.Le gosse de riche s’écarta du mur, s’humidifia les lèvres et avança en

sautillantlégèrement.—Jesuistoutouïe.— Bien, écoute-moi bien. Phyl a peut-être trop peur de marcher sur tes

petits pieds vernis à cause de tout l’argent donné par tes parents pour notreranch,maispasmoi.Ellesesentpeut-êtreobligéed’êtregentilleavectoi,maismoi, j’enai rien à foutrede toute la fortunede tesvieux.Tuveux rester ici ?Alors,mets-ydutiencommetouslesautresetnecausepasd’ennuis.Sinon,jetebotterailesfessespersonnellementsansverserunelarme,compris?

LemasquedeJordanglissaunpeu,montrantunepointededouleuravantqu’il ne se reprenne. Russ avait travaillé assez longtemps dans le sauvetaged’animauxpourreconnaîtreunecréatureblesséequandilenvoyaitune,mêmeavecunrapidecoupd’œil.Maiscelanel’empêcheraitpasdepoursuivre.Jordanétaitunhommeadulte,élevédansunmonderemplidebienplusdeprivilègesqued’autrespourraienten rêver,pasunanimalsansdéfense,et ilavaitbesoinqu’onluirappellequ’ilnepouvaitpasavoirtoutcequ’ilvoulaitniquiilvoulaitd’unclaquementdedoigts.

— Maintenant, je ne sais pas ce que tu penses savoir de moi, gamin,poursuivitRuss,implacable,maisquecesoitclair,jenesuispasintéressépartespropositions.Compris?Donc,arrêtedetortillerduculenmaprésenceetgardetesfesseshorsdemavue.Ettupeuxtefourrertesclinsd’œilettessourireslàoù le soleil ne brille jamais, si tu vois ce que je veux dire, parce que jen’appréciepasqu’ungossederichepourrigâtéviennes’encanailleravecnouspourpouvoir« se sentirmieux». Jeme fousque tu te trouvesmignon…J’aidéjàdonnéetrécupérélessouvenirsquivontavec.Onnem’yreprendraplus…Alorsresteendehorsdemoncheminouremontedanscepetitjouetonéreuxquicoûtesansdoutebienpluscherquelamaisond’ErnieoucelledeJon,ettrouveunautreendroitpourapaisertaconscienceouconsolerlegaminquisommeilleentoiou…cequetucherchesàfaire,peuimportequoi.

Russpritunplaisirperversà tourner les talonsetàsortiràgrandspasdel’écurie,commeJordanl’avaitfaitthéâtralementcematin-là,mêmesiunepointede culpabilité jeta un froid sur sa satisfaction quand l’image de l’expressionestomaquéedeJordans’imprimadanssonesprit.

— Il fallait le faire, semurmura-t-il enmontant dans sa chambrepour senettoyeravantledîner.Personneneluiavaitsansdoutejamaisditnonavant.

Comme il enfilait une chemise propre et s’apprêtait à descendre dîner, ilentenditlamoustiquaireclaqueretdesbottesmartelerlesmarchesetdéambulerlourdement dans le couloir. Il s’attendait à entendre la porte de la chambreclaquer,maisiln’enfutrien.Ilsortitdesachambreetallajeterunœil.Laporteétait légèrement entrouverte, mais seule une faible lumière brillait parl’ouverture.Ilfitroulersesépaulesetsatêtepourdétendresesmusclestendus,puisallavoirsiPhylavaitbesoind’aide.

JordanneditpresquerienpendantlerepasetnecroisajamaisleregarddeRuss. Il parla à peine à Phyl. Son sourire demannequin demagazine était denouveausurseslèvreset ilrepoussalanourrituredansuncoindesonassiette,mangeantavecunappétitdemoineau–commed’habitude–,maisPhylavaitdûlireentreleslignes.

—Tutesensbien,chéri?demanda-t-elle.— Je suis un peu fatigué, je crois, répondit Jordan, son faux sourire

disparaissantunpeu.Jepensequejevaisallermecouchertôt,siçanet’ennuiepas.

—Aucunproblème,trésor.Vas-y.Nousfinironstouslesdeux.—Merci.Jordanposasonassietteetsonverredansl’évier,puissortitde lacuisine.

Phyl le regarda faire en fronçant les sourcils, inquiète, mais juste avant queJordandisparaisse,elleselevaetl’interpella.

—Hé,trésor,attendsuneseconde.J’aimeraisteparlerdequelquechoseetçanepeutsansdoutepasattendre.

Russl’entenditajouter,danslecouloir:—Allonsnousasseoirdehorsquelquesinstants.Puis,laporte-moustiquaireclaqua.Russétaitsoulagé.Iln’auraitpasàjouerlesinnocentsavecPhyl.Ilpouvait

faire la vaisselle en paix et aller se coucher pour faire une bonne nuit desommeil, enfin, sans être envahi par les yeux de merlan frit de Jordan ou leregardbientropperspicacedePhyl.Elleleluilanceraitquandmême,surtoutsiJordancaftait,maissansdoutepascesoir-là,pasavecJordanjusteàcôté,doncilpourraitsecouchertranquillement,s’ilsedépêchaitderangeretnettoyer.

X

TOUJOURSÉBRANLÉ par la claque verbale reçue dans l’écurie, Jordann’était pas sûr de pouvoir gérer une nouvelle conversation sérieuse ce soir-là,mais comme il ne voulait pas se montrer impoli, il suivit Phyllis jusqu’auxfauteuilsàbasculesousleporcheets’assitdansceluiqu’elleluiindiqua.

— Je vois bien que tu es fatigué, donc je ne te retiendrai pas longtemps,promis,déclaragentimentPhyllis.

—Oui,merci.Ellepinça les lèvres et ledévisageaquelques secondesavantde faireune

grimace.— J’imagine que lemieux à faire, c’est de simplement dire ce que j’ai à

dire.L’hésitationn’apportejamaisriendebon.Elleinspiraprofondémentpuisrelâchasonsouffle.—J’aiparléàtamère,aujourd’hui.Jordan sentit son visage se départir de toute couleur. Son estomac se

retournaetilmanquavomircequ’ilvenaitjustedemanger.Ilravalasabileetdemanda:

—Ahoui?L’expressiondePhylliss’adoucit.—Oui. Ellem’a envoyé un e-mail plutôt étrange hier. Elle disait qu’elle

devaitannulersavisiteprévuecetétéparcequesonfilsetelleneseraientpasenmesuredevenir.J’aitrouvébizarrequ’elleneparlepasdetaprésenceiciounedemandepasdetesnouvelles,doncjel’aiappeléecetaprès-midi.

—Qu’a-t-elledit?— Comme tu le sais, ta maman n’a jamais été du genre à… euh…

s’épancher–entoutcas,pasendehorsdesmembresdesafamille–,mais j’aiquandmêmeremarquéqu’elleétaitbouleversée.

—Tuluiasditquej’étaisici?—Oui.Jenesavaispasquec’étaitunsecretetellesemblait terriblement

inquièteàtonsujet.Jordanesquissaunsourireamer.—Commesij’allaismelaisserberner.Phyllisfronçalessourcils,désapprobatrice.

—Tusais,chéri,quoiqu’ilsesoitpassé,ellerestetamère.Biensûrqu’elles’inquiète.

—Ellen’apasessayédem’appeleretn’apasenvoyéunseulmessage,saufpourdemanderàmesfrèresetsœursdemeharcelerpourmefairereveniràlamaison et m’obliger à m’excuser. Tout ce qu’ils veulent, c’est que je fassesemblantqu’ilnes’estrienpassé,maisj’ensuisincapable.

LevisageridéetburinédePhylliss’assombritetelleposasamaincalleusesurcelledeJordan.

—Jesuisdésolée.J’aiétéobligéedelireentreleslignes,étantdonnéquetamèren’arienavouédirectement,maisjepensesavoirdequoinousparlonsicietje suis vraiment désolée que les choses se soient déroulées ainsi. Certainespersonnesontétéélevéesdansuncertainmodedepensée toute leurvieetontpeur de changer d’avis… craignant sans doute que s’ils le faisaient, çachangeraittoutetqueplusrienn’auraitdesenspoureux.Maisçaneleurdonnepaspourautantledroitdeblesserquelqu’unqu’ilsaiment.

Jordan détourna la tête quelques instants pour pouvoir se reprendre. Sesyeux le brûlaient et il avait la gorge serrée,mais s’effondrer enpublic était ladernièrechosequ’ildésirait.

—Merci Phyllis.Phyl. A-t-elle dit quelque chose, après avoir appris oùj’étais?

Sesyeuxs’emplirentderegret.—Jesuisdésolée,trésor.Ellem’ajusteremerciéedeleluiavoirdit.Jordanhochalatête,lagorgenouée.Phylluiserralamainetajouta:—Jenem’yconnaispasvraimenten«coming-out»,puisqueSeanetmoi

n’avonseuqu’uneseulefilleetqu’elleestheureuseenménageavecsonmariàTucson,où ilsélèvent leursdeuxenfants,mais jem’yconnaisen familleet jesaisécouter,situveuxenparlerunjour.

Jordanpoussaunlongsoupir,fermalesyeuxethochaànouveaulatête.Ilvoulut la remercier unenouvelle fois et prétexter une excusequelconquepourpartir, mais son estomac choisit cet instant pour se rebeller. Trop de chosesarrivaientenmêmetempsetunraz-de-maréedesentimentsqu’ilnesavaitpasgérermenaçadelesubmerger.

Il se posa une main sur la bouche, jaillit de son fauteuil et monta lesescaliersencourant,souslesappelsdePhyllis.Ilparvintjusteàtempsàlasalledebainàcôtédesachambrepourrendresondîner.Ilconvulsajusqu’ànepluscracherquedelabile.Les larmescoulèrentsurses jouesavantqu’ilpuisseenretenirleflotetreconstruirelesmursderrièrelesquelsilsecachait.

Siseulementilavaitunplan,n’importelequel,ilpourraitfairefaceàcequi

se trouvait de l’autre côté de ces murs, mais il n’était pas encore prêt. Il nepouvait pas gérer çamaintenant, en particulier après ce qui s’était passé avecRuss. S’il avait été émotionnellement stable, il aurait pu balayer d’un simplegestedelamainlaclaqueauvisagequeRussluiavaitmise,maisilétaitaussifragile que du cristal et il le savait. Il ne lui restait plus aucunmécanisme dedéfense.

Tuesfaible.Tul’astoujoursété,ditlavoixdesonpèredanssatête.Quelledéception.

Jordans’assit sur lecarrelagenoiretblanc froidet secalaentre l’antiquebaignoire jaunecanariet les toilettes. Il frémit. Ilattrapaunessuie-mainsur lesèche-servietteetsenettoyalabouche,puisfermalesyeuxetposalatêtecontrelaparoivitrée.

Deuxsemainess’étaientécouléesdepuisqu’ilavaitfaitvolerenéclatsavieparfaitementordonnéeàcoupdemassueetladouleurnes’étaitpasestompéedutout.N’était-ilpascenséallermieux,avecletemps?

Gardetoutpour toi.Cache-toi.Soisfier.Soisfort.Nelaissepas lemondevoirquetuesblessé…Voilàlesseulsoutilsquesafamilleluiavaitdonnéspouraffronter les situations, tant et si bien qu’il n’avait jamais été complètementhonnête avec personne, pas même son thérapeute. Il espérait pouvoir l’être àprésent,parcequecesoutilsnefonctionnaientplusetlesmursqu’ilavaitérigéssefissuraientàgrandevitesse.

RUSSVENAIT juste de finir de remplir le lave-vaisselle quand il entenditquelqu’unmonterl’escalierencourantetuneporteclaqueràl’étage.Ilsortitdelacuisine,àtempspourvoirPhylarriverdelaterrasseenappelantJordan.Ellesemblaitvraimentdanstoussesétats.

—Qu’est-cequ’ilaencorefait?demandaRuss,prêtàdémembrerJordanpouravoirmisPhyllisdanscetétat.

Cettedernière lui jetaunregardfurieuxqui lefit reculerdequelquespas,posalesmainssurleshanchesetcria:

—Russell PatrickNiles, tu vas arrêter tout de suite d’embêter ce garçonalorsqu’iln’afaitquesemontrergentil,bienélevéetgénéreuxdepuislejourdesonarrivée.Tum’entends?Arrêtetesconneriesuninstantetfaispreuvedeladécenceetdelacompassiondontjetesaiscapableenallantvoircegarçonpourt’assurerqu’ilvabien.

Interloqué,Russcilla.—Moi?

— Oui, toi ! Tu me vois parler à quelqu’un d’autre ? cracha-t-elle enplissantlesyeux.

Russfitlagrimaceetrécupéraletorchonposésursonépaulepours’essuyerlesmainsetessayerdegagnerdutemps.Ilseraclalagorgeet,lesyeuxrivésàsesbottes,dit:

— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée.Nous avons eu une petitealtercationtoutàl’heure.Jenepensepasqu’ilaittrèsenviedemeparler,surtouts’ilestbouleversé.

—Qu’est-cequetuasfait?Russ leva la tête un instant et constata quePhyl était toujours énervée. Il

haussalesépaulesetsentitlespoilssedressersursanuquefaceauregardnoirqu’elleluiadressaittoujours.

— J’avais juste besoin demettre certaines choses au clair avec lui, c’esttout.

— Jeme fichede ce que c’était,mais si tu dois t’excuser, fais-le tout desuite.Puis,tuvaspuiseraufonddetoietretrouvercecaractèrecompatissantetattentionnéquetupossèdes,jelesais,ettuvasallervoirsicegarçonneveutpast’ouvrirsoncœur,tum’ascomprise?

—Phyyylll…La seule chose qui empêcha sa réplique d’être un geignement fut que sa

voixavaitprisuneoctavedepuisl’adolescence.Ilrelevalementon,seraclalagorgeetredressalesépaules.

—Pourquoimoi?demanda-t-ilsuruntonlégèrementplusadulte.—Parceque, parminous tous, tu es le seul à avoir unepetite idéede ce

qu’iltraverse.Russfronçalessourcils,baissalesépaulesetcroisalesbras.—Qu’est-ce que tu veux dire ?Qu’est-ce que je peux avoir en commun

avecunbébépourrigâtédevingtansetquelques,héritierd’unfondsfiduciaireetoriginairedelacôteest?

Sa réplique sembla calmer Phyl et Russ crut qu’il allait pouvoir éviterd’accepter sa requête,mais ensuite, Phyllis jeta un coup d’œil en direction del’étageetsoupira.LeschosessemblaientgagnéespourRuss,jusqu’àcequ’elleleregardedesesdouxyeuxbleu-grissuppliantsetdéclare:

—Cen’estpasvraimentàmoiderévélercesecret,maisjesuisàpeuprèssûrequ’iln’aplusquenousàprésent.Ilportaitcepoidsdepuissonarrivéeicietaucundenousnes’enestrenducompte.Ilestvisiblementtellementbouleverséqu’ils’enrendmaladeetj’aipeurques’ilcontinueàtoutrefouler,ilfinisseparexploser.

—Dequoituparles?

Ellesoupiraunenouvellefois,fitunepetitegrimaceetavoua:—Ilaavouéàsesparentsqu’ilétaitgay,d’accord?Elleluilaissaquelquesinstantspourassimilersesparoles,puispoursuivit:—Et inutile de te dire que ça ne s’est pas bien passé.De ce que j’ai pu

constater, sa mère est dans le déni total, et même si je ne le sais pas aveccertitude, je peux te dire que son père n’a jamais été le genre doux etcompréhensif. Il vient dumême coin que ce prêcheur très conservateur, JerryFalwell–onenauncertainnombrenousaussi,maistuvoiscequejeveuxdire.

Russfermalesyeuxets’affaissacontrelechambranle.—Merde.Danslesilencequisuivitcetteexclamation,ilsentendirentlachassed’eauà

l’étage.QuandRussrouvritlesyeux,ilvitquePhylavaitreprissonexpressionrenfrognée.

—Situneveuxpaslefairepourlui,fais-lepourmoi.Jeveuxallerlevoirpourm’assurerqu’ilvabien.S’ilneveutpas teparler àcausedecequi s’estpassé entre vous tout à l’heure, très bien,mais tu vas devoir faire un effort, àpartirdemaintenant,compris?

Résigné,Russsoupiraetsedirigeaversl’escalier,remettantsontorchonàPhyllisaupassage.

—Jem’enoccupe,maisjeneteprometsrien.Elleeutunlégersourire.—C’estdéjàça,j’imagine.Soisgentil.Jesaisquetusaisfaire.Situdois

fairesemblantqueJordanestunchevalpouryarriver,fais-le.Devantlaportedelasalledebain,Russinspiraprofondément,puissoupira

longuement.Ilfrappaàlaporte,maisnereçutaucuneréponse.—Jordan,c’estRuss.Est-cequejepeuxentrer?—Va-t’en.Russsefrottalementon,poussaunsoupiretréessaya.—Écoute, Phyl neme laissera pasm’en tirer tant que je n’aurais pas vu

commenttuvas.Est-cequejepeuxentrer?—Jem’enfiche,réponditlegamind’unevoixacerbe.Jordanétaitrecroquevillésurlesol,coincéentrelestoilettesetlabaignoire.

Ilavaitlevisagepâleetdesgouttesdesueursurlefrontetleslèvres.Ilavaitlesyeuxrougesetledévisageaitavecméfiance,commeunanimalblessé,tandisqueRuss entrait dans la pièce. Disparus, ses sourires factices et ses clins d’œilséducteurs.Ilnerestaitplusquesonéreintementetsavulnérabilité.

Au lieu d’entrer davantage dans la pièce,Russ se laissa tomber au sol ets’adossaauchambranle.

—Ellet’adit,hein?demandaJordan,lavoixrauqued’émotion.

—Ouais.Ne lui en veux pas. Elle s’inquiétait pour toi et pensait que jepouvaist’aider.

Jordan renifla de dérision et échangea un sourire ironique avecRuss, quihochalatête.

—Ouais.Jeluiaiditquejen’étaissansdoutepastapersonnepréféréeencemoment,maiselleapenséquejepouvaissansdoutecomprendreunpeucequetutraversais.

—Etc’estlecas?—Quoi?Jordanseredressaunpeuetl’épingladesesyeuxbleusintenses.—Est-cequetucomprends?As-tufoututoutetavieenl’airensortantdu

placard,comme je l’ai fait,oubien tesparentssesont-ilsmieuxcomportésenl’apprenant?

Russsoupira,remontaungenoucontresapoitrineetposaunbrasdessus.Ilsemordillalalèvreensedemandantcommentrépondreàcettequestion.

—Désolé,ajoutaJordantrèsvite.Tun’espasobligédem’enparler,biensûr,situneveuxpas.C’estpersonnel.J’aicompris.Jesaisquetuneveuxpasvraimentmeparler.Je…

Russ leva lamain pour interrompre le flot de paroles. Jordan semblait siblesséencetinstantques’ilcontinuaitàparler,Russnepourraits’empêcherdeleprendredanssesbras.

Ilavaittropboncœur,bonsang.—Cen’estpasquejeneveuxpasenparler,Jordan.C’estjustequej’ignore

commentlefaire.Masituationaétéunpeudifférentedelatienne.Jenesuispascertaind’avoirvéritablementfaitmoncoming-outàquelqu’un,enfait.

Jordanfronçalessourcils,perdu.Russsoupira.—Monpèren’étaitpasvraimentlegenred’hommequej’admirais…Ilne

l’ajamaisété.Quandj’aicomprisquij’étaisetquejen’amèneraisjamaisMaryJo au bal de promo – ni personne d’autre, d’ailleurs –,mon père n’était plusvraiment dans le paysage et je n’en avais rien à cirer d’avoir son approbationpourcequejefaisais.Jenemesuisjamaisembêtéàleluidire,parcequejemefichaistropdeluipourl’eninformer.

Russs’interrompitquelquesinstantsetfitunenouvellegrimace.—Mamère,c’étaituneautrehistoire,maispassidifférentenonplus.Elle

s’estremariéequelquesfoisaprèsmonpèreetaeud’autresenfants,etcommej’avais quelques années de plus que tous les autres – et que je lui rappelaisconstammentseserreursdejeunesse–,ellem’a,enquelquesorte,laissédecôté.J’ai toujourséténourri et j’ai toujourseuun toit au-dessusdema tête jusqu’àmes dix-huit ans, mais j’étais plus comme un baby-sitter à domicile qu’un

membrede la famille.Commeellene se souciaitpasvraimentdemoi, je suispartidèsque j’enaieu l’occasion.Nousnousenvoyonsunecarte tous lesanspourNoël,maisc’esttout.Jenemesuisjamaissouciéd’avoircetteconversationavec elle non plus. Je pense qu’elle sait, puisque je n’ai jamais parlé d’unefemmeoud’unecopine,maisnousn’enavonsjamaisparlé.

—Jesuisdésolé,soufflaJordan.—Nelesoispas,répliquaRussenhaussantuneépaule.Moi,jenelesuis

pas.Jordanétudiasonvisagecommes’ilnelecroyaitpas,maisbaissaensuite

lesyeuxsurlesolethaussalesépaulesàsontour.—J’aivutoutescespubs,tusais,cellesquitedisentqueçavamieuxavec

letemps,doncj’imaginequej’avaisenvied’entendreunepersonneréellemeledire,poursavoirsic’estvrai.C’estpourçaquejet’aiposélaquestion.

Russfitlagrimaceetsefrottalamâchoire.—Jesuissansdouteladernièrepersonnequ’onviendraitvoirpourpapoter.

Les mots – et les gens, d’ailleurs – n’ont jamais été mon fort. Je préfèrelargementlesanimaux.Maisd’aprèsmonexpérience,jepeuxtedirequesitunetrouves pas auprès de ta famille l’amour et l’acceptation dont tu as besoin, tupeux le trouver n’importe où… tant que tu acceptes de chercher et que tusupportes quelques embûches en cours de route. Enfin, regarde Phyl, parexemple.Çafaitàpeinedeuxsemainesquetueslà,etsoninstinctmaternels’estdéjàréveilléavectoi.Çadevraitêtrerévélateur,pourtoi.

Jordanrecommençaàleregarderavecméfiance.—Tum’asditquePhyln’étaitgentilleavecmoiqu’àcausedel’argentde

mesparents.Qu’ellenem’appréciaitpasvraiment.Russfitunenouvellegrimace.—J’aiditça?Jordanhaussaunsourciletluiadressaunsourireironiqueunpeutremblant.—Ouais.Ettulaconnaisbienmieuxquemoi.Russfitlamoueetbalayacetteremarqued’ungestedelamain.—Ehbien,j’avaistort,manifestement,hein?Elleestenbas,là,àsetordre

lesmains tantelle s’inquiètepour toi, et ellem’apasséunsavonavantque jemonte.Cequ’ellen’auraitpasfaitsiellenesesouciaitpasdetoi.

Jordansoupiraetposalementonsursesgenoux.—Tupeuxluidirequejevaisbien.—Jenevaispasluimentir.Russ soutint le regard de Jordan quand ce dernier fronça les sourcils,

perplexe.—Jenetecomprendspasdutout,murmuralegaminaprèsunlongsilence.

Russ grogna en se relevant et tenta de retrouver des sensations dans sesfesses,aprèsêtrerestéassissuruncarrelagefroidàlafind’unelonguejournéedetravail.

—Écoute,dit-ilenseraclant lagorge.Jesuisdésoléd’avoirétéduravectoidepuistonarrivée.Jenesavaispascequetutraversais,sinon,jet’auraisunpeulâchélagrappe.

L’expression de Jordan devint indéchiffrable et il ne le quittait pas duregard,cequirenditRussmalàl’aise.

—JevaisallerdireàPhylquetunevaspasfairelegrandplongeoncesoir,maisellearaisonaussi,tuvasdevoiraffrontercequit’estarrivéàunmomentouàunautre.LeBSTARpeuttepermettredeguérir,maisseulementsitufaisuntravailsurtoi.Cen’estpasunendroitpourfuir…Maisnoussommeslà,situveuxentreprendrecetravail.

—D’accord,merci,réponditJordand’unevoixrauque.Russ sortit de la pièce et referma la porte derrière lui. Il ne pouvait pas

regarderJordans’effondrer,sinon,ilferaitquelquechosedestupide.Enoutre,ilnepensaitpasqueJordanavaitvraimentenviequequelqu’un l’observeencetinstant.Entoutcas,pasRuss.

Il se redressa, prit une profonde inspiration et se prépara à affronter ànouveauPhyl.Ilespéraitenavoirfaitassezpourneplusêtresursalistenoire.

XI

JORDANPASSA les jours suivants dans un brouillard. Russ et lui avaientapparemmentconcluunesortedetrêve.Russavaitarrêtéd’êtreunvraiconnardetJordanavaitmisfinàsacampagnepourentrerdanslepantalondeRuss.Leproblème, c’était que toute cette tension avec le cow-boy avait été une bonnedistraction, même si cela malmenait son ego fragile. Cependant, il mettaittoujoursRussmalà l’aise, semblait-il, sansdouteparcequeRusss’étaitavéréaussibonpourgérersessentimentsquen’importequelmembredelafamilledeJordan. En plus de tout cela, Phyllis avait vraiment embrassé le rôle demèrepoule, comme Russ l’avait prédit – un rôle qu’elle jouait avec un déluge detendressebienplusabondantque lamère réservéedeJordan.Jordansesentaitalorscommeuneballedeping-pong,ballottéentreunmurdegraniteauquelilétaithabituéetunemontagnedeChamallow.

Russavaitraison,évidemment.Jordannepouvaitpasévitersesproblèmeséternellement, mais était-ce mal de vouloir le faire encore un peu pluslongtemps?SiPhyllis lui demandait denouveaucomment il allait, il pourraits’effondrer juste là,enpublic,cequiseraituneoffense impardonnabledans lafamilleThorndike.

Commelefaitd’êtregay,manifestement.Les seulsmoments où il se sentait en paix, c’était le soir, après le dîner,

quand tout le monde était parti ou retourné dans sa chambre et qu’il pouvaits’asseoir au fond de l’écurie avec Marina. Parmi tous les chevaux du ranch,c’était ellequi l’attirait leplus, sansdouteparcequec’était ellequi étaitdansl’étatleplussérieux.

—Onformeunesacréepaire,hein,mabelle?murmura-t-ilenluitendantunmorceaudepomme.

Cesdernierssoirs, ilavaitpassédesheuresassisprèsd’elleà lui racontertout et n’importe quoi. Il avait même commencé à chanter des extraits dechansonsdontilsesouvenait,mêmes’ils’étaitsentiunpeubête.Celasemblaitfonctionner,celadit,puisqu’ellel’avaitenfinrécompenséens’approchantassezprèsdelaportedesonboxpourpermettreàJordandeluicaresserl’encolureetlesépaulesquelquesfois.

—Peut-êtrequejemesersdetoiaussicommed’uneexcusepouréviterde

penseràceque jedevrais faire,mais jem’enfiche.Aumoins, je faisquelquechosedebienpendantquejeprocrastine.

Illuitenditlemorceaudepomme,maisellenes’approchapasdelaporte.—Viens,mabelle.Toutvabien.Tumeconnais.Ellesetrémoussanerveusementetagitalaqueue.—Qu’est-cequisepasse,mabelle?Tuveuxquejetelaisseseulecesoir?Elle n’avait pas été aussi nerveuse en sa présencedepuis la première fois

qu’ill’avaitvue.Ellearpentasonboxetpoussauncri,entrelecouinementetlegrognement.Lesautreschevauxsortirent la têtede leursboxesetpoussèrentàleurtourdepetitsbruitsinquietsetnerveux.

Inquietàcausedesoncomportementétrange,Jordanretournarapidementàl’entréedel’écurieetallumales lumières.Ilcilla,ébloui,puisretournavers leboxdeMarina.

—Aucuneinquiétudeàavoir.Jeveuxjustet’examinerdeplusprès.Il ignorait si c’était lui ou elle qu’il tentait de rassurer, mais quand il

remarqua qu’elle transpirait et que ses jambes tremblaient légèrement, sonanxiétés’accrut.

— Je vais aller chercher Russ. Ce n’est sans doute rien, mais je préfèrel’énerveretavoirtortque…

Peudécidéàfinircettephrase,ilsortitdel’écurieàgrandspas,puiscourutjusqu’àlamaison.

—Russ?Ilfrappalégèrementàlaportedelachambreducow-boy.—Russ?—Ouais?luirépondit-il,grincheux.—Dis,c’estsansdouterien,mais…Russouvrit laporte,complètementhabilléetchaussé.Derrière lui,Jordan

aperçut un ordinateur ouvert sur le lit et ce qui ressemblait à une vidéo-surveillancedel’écurie,ennoiretblanc,surl’écran.

— J’ai vu les lumières s’allumer dans l’écurie, répondit-il, bourru, enréponseauhaussementdesourcilsdeJordan.Qu’est-cequinevapas?

—Jenesaispas.C’estMarina.Elle transpireetestbouleversée.Ellen’apasvoululafriandisequej’aivoululuidonner;orelleadorelespommes.

Russluipassadevantetdescenditlesescaliers,Jordansurlestalons.—Merde!s’exclamaRussaprèsuncoupd’œildanslebox.—Quoi?— Tu vois ces sécrétions ? demanda-t-il en indiquant l’arrière-train de

Marina.Unfluiderépugnantcoulaitsursesjambes,masquéenpartieparsaqueue,

tandisquelajumentcontinuaitàsetrémousserdenervosité.—Soitc’estuneinfection,soitelleacommencéletravail,maiscen’estpas

unebonnechose,carelleestloinduterme.Sesmamellesseremplissentaussi,merde.

Jordansentitsonventreseserreretlapeurluicomprimalapoitrine.—Qu’est-cequ’onfait?—Resteicietessaiedelacalmer.JevaisappelerleDrWatney.De nouveau seul, Jordan s’approcha de la jument et tenta à nouveau de

l’amadouer.—Toutvabien,Marina.Nousallonsprendrebiensoindetoi.Ilpoursuivitsalitanieconstantedececharabiasansintérêt,cequisembla

marcher.Ellearrêtadefairelescentpasetallaboiredel’eauprèsdeJordan.LetempsqueRuss revienne,elleavaitmême laissé Jordan luicaresser l’encolureunefois.Elles’écartaquandRusss’approcha,maispasaussiloinqu’avant.

—LeDrWatneyestenroute.Ellehabiteàtrenteminutesd’iciàpeuprès,cequi nous laisseunpeude tempspour luimettreun licol et la calmer assezpourquelevétopuisses’approcher.

—Ellen’aimevraimentpasêtreexaminée,commentaJordan,sceptique.— Je sais, répliqua doucement Russ, sans la rudesse que la remarque

évidentedeJordanméritait.Russ travaillait avec Marina tous les jours. Il la connaissait mieux que

personne.MaisJordann’avaitpaslesidéestrèsclairesencetinstant.QuandRussattrapalelicol,illeurfallutàeuxdeuxpresquelademi-heure

pourl’amadouerafinqu’elleselaisseharnacher.JordanréussitàfairemangerunpetitmorceaudepommeàMarinaet entenditunevoiture segarer.Russ sortitaccueillirlavétérinaire.

Le DrWatney était une femme petite et menue, dont les cheveux brunsétaienttressésetquiavaitlapeaucouleurcafé,cequirendaitsonâgedifficileàdeviner.

—Tish,jevousprésenteJordan,unenouvellerecrue.Marinas’estentichéedelui,doncnousespéronsqu’ànousdeux,nouspourronslagarderassezcalmepour que vous puissiez faire votre travail. Jordan, voici leDrLatishaWatney,notresauveuseendenombreusesoccasions.

— Je vous serrerais bien lamain,mais elles sont un peu occupées en cemoment, dit Jordan, qui tenait le licol d’une main leste tandis qu’il caressaitgentimentl’encoluredeMarinadel’autre.

—Pasdeproblème,Jordan,réponditleDrWatneyensouriant.Continuezce que vous faites. J’ai déjà examiné Marina deux ou trois fois depuis sonarrivée ici et jepeuxvousdirequevousavezdéjà faitdesmiraclesavecelle.

Elleestbienpluscalmequeladernièrefoisetjesuisheureusedevoirqu’elleaprisdupoids.

Marinaécarta légèrement la têteetsoufflaquandlesdeuxautresentrèrentdans son box, mais Jordan continua à lui murmurer des paroles de réconfortjusqu’à ce qu’elle se calme un peu. Comme elle paraissait toujours tendue, ils’apprêtaàlefaireremarquerquandleDrWatneydéclara:

—JepensequeDallasnecraint rien.Çanem’apas l’aird’une infectionrespiratoire.

JordanlançaunregardperduàRuss.—Avoir près d’eux un cheval avec un bon caractère et bien dressé peu

parfoiscalmerlesplusnerveux,expliquaRussensortantdubox.Nousl’avonsdéjàfaitavantetMarinaavaitl’aird’apprécierDallas.

Russ installa le cheval en question dans la stalle juste à côté de celle deMarinapourquela jumentpuissevoiret toucherdunezlevieuxhongre.Celasemblal’aider,latensionquittaunpeulecorpsdeMarina.Jordans’attendaitàcequeRussprenneleschosesenmainetlevireduboxàcoupsdepieds,maislecow-boysecontentaderesteràl’extérieuretdelaisserJordanetleDrWatneyavecMarina.

Tandis que la vétérinaire travaillait lentement sur l’arrière-train de lajument, Jordan fitdesonmieuxpournepenserà riend’autrequ’à réconforterMarina. Il se concentra tellement sur son lien avec elle et la nécessité de lagardercalmeetdebonnehumeurqu’ilneremarquamêmepasqueleDrWatneyavaitterminésonauscultationetavaitquittélebox.

CefutseulementensentantunelargemainposéesursonépaulequeJordanleva la tête et sortit de sa transe.Russ dévisagea Jordan d’un regard profond,maisilavaitlamineindéchiffrable.

—C’estbon,Jordan,elleaterminél’examen.Jordan n’avait jamais entenduRuss s’exprimer d’une voix aussi douce et

gentille, mais cette dernière l’effraya davantage que si Russ lui avait aboyédessus.

—Ellesaitcequinevapas?— C’est une infection, répondit Russ, la mine sombre. Elle ne sait pas

encorelaquelle.Ellevaramenerleséchantillonsàsoncabinetcesoirpourfairedestests.Quandellesauracequec’est,ellereviendraavecletraitement.

—C’estunebonnenouvelle,non?demandaJordan,pleind’espoir.SaufqueRussn’avaitpasl’airsoulagélemoinsdumonde.Ilsecoualatête

etdit:—L’infections’estsansdoutepropagéejusqu’auplacenta.Voilàpourquoi

ellealesmamellesgonflées.Cesontdessignesquiindiquentgénéralementque

lajumentvasansdouteavorteravantterme.L’estomac noué, Jordan sentit revenir la peur qu’il avait réussi à refouler

tandisqu’ilcalmaitMarina.Ils’éloignad’elleetserapprochadesautres.—Iln’yarienquenouspuissionsfaire?—Attendre,répliquaRuss.Elleesttropmaigrepourunejumentpleine,de

toutefaçon.Ilvautsansdoutemieuxpourellequ’elleleperdemaintenant.Puis,elle pourra se concentrer sur sa propre guérison sans cette pressionsupplémentaire.

Jordancomprenaitsalogique.Maisilnesesentaitpasmieuxpourautant.Marina était malade et allait sans doute perdre son bébé. C’était tout ce quiimportaitàJordan.

LeDrWatney revint en s’essuyant lesmains, après les avoir lavées dansl’évierdevantl’écurie.

—Jevais ramener les échantillonsmaintenant et je vous appelle dès quej’ailesrésultats,poursavoirs’ils’agitd’uneinfectionfongiqueoubactérienne.Nouspourronsalorsdéfinir le traitement.Jevousrecommandede lasurveillerde près. J’ai unmauvais pressentiment. Je pense que nous allons très bientôtsavoir si le poulain est touché. Si elle se met en travail, appelez-moi, jereviendrai.Ellen’apaseuassezdetempspourguérirpourgérerçasereinementetpourraitavoirbesoind’aide.

— Je la surveillerai, proposa Jordan avant queRuss ait pu répondre quoiquecesoit.

Le cow-boy lui adressa l’un de ses petits sourires en coin, qui jusqu’iciavaientétéréservésàtoutlemondesaufJordan,avantdereportersonattentionsurlavétérinaire.

—Jevousraccompagne.Russlançapar-dessussonépaule:—Jepeuxt’apporterducaféettatablette,situveux.Jordanhochalatêteetlesregardasortir.Unefoisqu’ilsfurentpartis,ilse

rapprochadenouveauduboxdeMarinaetdéclara:—Nousallonsrester tous lesdeuxensemble,cettenuit,mabelle.Jevais

garderunœilsurtoietnousferonstoutnotrepossiblepourtesoigner.Quinzeminutesplus tard,Russ revint avecun thermosdecafé,unpanier

remplidemuffinsdePhyllis,uneboîtedesucreetplusieursdosesdecrème.Ilavaitaussiunecouverturesurl’épauleetlatablettedeJordancaléesouslebras.

—Jeseraisbienrestéaussi,s’excusaRuss,maisilfautbienquequelqu’ungèretoutlemondedemain.Enplus,demain,c’estvendredi,donclesweekendersvontarriverenunriendetemps.JecroisquenousavonsaussiungroupedeGirlScoutssamedi.

—Pasde souci.Pasbesoindedeuxpersonnespour la surveiller. Je te ledirai,s’ilyaduchangement.

—D’accord,trèsbien.Russs’apprêtaitàpartir,maisilhésita.—Mangecesmuffins.Jeneveuxpastevoirt’effondrertoiaussi.Jordan se força à sourire et hocha la tête. La dernière chose qu’il avait à

l’esprit,encetinstant,c’étaitlanourriture.—Bonnenuit.

XII

ÀLAsecondeoùRussentradansl’écurie,ildevinaqueJordanavaitbesoindedormir.Mêmeàdixmètresdelui,ilaperçutleteintcireuxdugaminetsesyeuxcerclésderouge.

—Comment va-t-elle ? demanda-t-il dès qu’il fut assez près pour ne pasavoiràcriersaquestion.

Jordanhaussalesépaules.—Aucunchangement…Ellesouffre.Deprès, il avait l’air dansun état encorepire. Il avait lesyeux rougisde

fatigueetsescheveuxd’ordinaireparfaitementcoiffésétaientternesetpartaientdanstouteslesdirections.

—D’accord.Maintenant, nous nous en chargeons. Jon et Ernie seront làbientôt,ainsiquequelquesvolontairesduvendredi,etPhylviendradèsqu’elleaurafiniencuisine.Jel’aimiseauparfumcematin.

Uncoupd’œilaupanierqueRussavaitapportédanslanuitl’informaqueJordann’avaittouchéqu’àunseulmuffinetn’enavaitmangéquelamoitié.Ilfronçalessourcils.Réprimantsonexaspération,ildéclara:

—Rentreàlamaison,prendslepetitdéjeuneretvadormir.Jordanluiadressaunbrefhochementdetête,ramassalepanieretlerestede

sesaffaires,et retournadans lagrandemaisond’unpas traînant.RussespéraitquePhyl jetterait un coupd’œil à Jordan, enclencherait sonmodehypermèrepouleetluiferaitavalerdelanourritureavantdeleborder.

—Commentvas-tucematin,petitedemoiselle?murmura-t-ilàMarinaens’approchantdesonbox.

Elleétait retranchéeau fond, leplus loinpossible.Sesmusclesétaientdetempsen tempsparcourusd’un frissonqui se répandaitdans tout soncorpsetellegardaitlatêtebasse.Russfitclaquersalangueetsecoualatête.

—Tiensbon,madouce.Personnenet’ajamaismaternécommecettechèrePhylleferaavectoi.Attends,tuvasvoir.

Moinsdedeuxheuresplustard,RussramenaitMissyaupâturage,aprèsluiavoirfaitfairedel’exercice,quandilaperçutunetêtecoifféedecheveuxblondsméchésfamilièrepousserunebrouette.

—C’estquoicebordel?

IlenlevaàMissysonharnachementetrefermaleportailavantdesedirigeràgrandspasversJordan.

—Qu’est-cequetufouslà?aboya-t-ildèsqu’ilfutassezprèspourlefaire.Tudevraisêtreaulit.

Jordanleregardadesesyeuxternesethaussalesépaules.—Jen’arrivaispasàdormir.— Je me fiche que tu dormes ou non, mais tu dois t’allonger avant de

t’effondrer,grogna-t-il.—Jen’yarrivepas,répliquaJordan.Chaquefoisquejefermelesyeux,je

nevoisqueMarinaentraindesouffrir.J’aibesoind’unedistraction,alorsautanttravailler.

Russsoufflaparlenezetserralesdents.IlauraitvouludireàJordanqu’iln’était qu’un foutu imbécile, mais le gamin était toujours fragile et il avaitpromisàPhyletJordand’êtreplusgentilàprésent.Ilpritunenouvellelongueetprofondeinspirationqu’ilrelâchatoutaussilentement,puisdéclara.

—J’aicompris.Maistutravaillessansavoirdormiet,teconnaissant,sansavoirmangélamoitiédecequetudevrais.

Jordanfronçalessourcils,maisRusslevaunemainpourlecalmer.—Varangerlabrouetteetreviensici.Tuvast’occuperdenoschevauxles

moins placides et les faire beaux pour les invités de demain. Lave autant dechevauxprêtsàl’adoptionquetupeux,maiscommenceparlesmoinsamicaux.Comme ça, il ne restera que les chevaux à bon caractère pour les volontaires,demain.Çateva,commedistraction?

Jordannefitmêmepaslagrimace,preuve,s’ilenétait,decombienilétaitexténué. Nettoyer les chevaux ne nécessitait pas de qualification particulière,maislaverunemontagnedemuscles,d’os,dedentsetdesabotsn’étaitpasunjeud’enfantnonplus.Jordanallaitdevoirresterconcentrésursatâcheouil leregretterait.

Russpassa la journée à surveillerMarina et Jordan, enplusde ses autrescorvées.PhylauraitvoulupasserlajournéeavecMarina,maisilfallaitbienquequelqu’unrépondeautéléphoneetgèretouslespetitsdétailsrelatifsaurefuge,donctoutlemondesurveillalajumentàtourderôle.

Tish appela àquinzeheurespour les informerqueMarina souffrait d’uneinfectionbactérienneetqu’ilsdevaientcommenceràluidonnerlesantibiotiquesqu’ils possédaient déjà pour d’autres chevaux, en attendant. Elle passeraitapporterleresteaprèsletravail.Maisils’avéraqu’ilseurentbesoind’elleavant.

Marinaentraentravailunpeumoinsd’uneheureplustard.Jordanretournaàsescôtés, accompagnédePhyl, avantmêmequeRussait fini sonappelà lavétérinaire.

Lapauvrejumenttremblaitetgémissaittantelleétaitmaletavaitlesflancscouverts de sueur. Jordan s’approcha d’elle et lui murmura des mots doux.Marina lâchaunsouffle tremblantetserapprochadeJordan,à larecherchederéconfortdanssadétresse.Russeneutlagorgeserréequelquesinstants.

—Tisharrive.— Pourra-t-elle sauver le poulain ? demanda Jordan, en continuant ses

caressesapaisantessurl’encolureetlesépaulesdeMarina.Russfitlagrimace,maiscefutPhylquiréponditgentiment:— D’après ce que les bureaux du shérif ont appris des précédents

propriétaires, elle n’en est même pas à trois cents jours 1, Jordan. Nous nepouvonsrienfairepourlepoulain.

JordanserralesmâchoiresetseretournaversMarinasansunmot.Ilsfurentd’humeurgravependantlesheuresquisuivirent.Aucund’euxne

parlabeaucoup,àpartTishpourdonnerdesordres.JordanrestaprèsdelatêtedeMarinapourl’apaiser,tandisqu’ilsattendaientquelepoulainnaisseensiègepourpouvoirluipasserunecordeautourducorpsetl’aideràfinirdesortir.Ilss’étaienttousaccordéspourdirequeMarinaétaittoujourstropfaibleàcausedesamalnutrition et des complications qui en avaient découlé pour le faire elle-même, malgré la détresse évidente de la jument, perturbée d’avoir autant depersonnesautourd’elle.

Jordanaccomplitunpetitmiraclependantlamanœuvre.Illagardacalmeetcoopérative tandis qu’ils sortaient le pauvre poulain mort-né du box, puispendantqueTishnettoyaitMarinaetlatraitaitcontrelesinfections,internesetexternes.Parchance,lepoulainn’avaitvisiblementpasétéinfecté,doncMarinanonpluseninterne,maisilsdevaient toutdemêmecontinueràveillersurelletantquel’infectionn’étaitpaspassée.

Phyl etRuss raccompagnèrentTishà savoiture et la saluèrentquandelles’éloigna,puisRussretournadansl’écurie,oùiltrouvaJordantoujoursinstalléprèsdelatêtedeMarina.

—Viens,Jordan.Nousdevrionslalaissersereposer.L’unedesvolontaires,Michelle, jecrois,aproposéderester jusqu’àhuitouneufheurescesoirpourquenouspuissionsmangeretnousreposerunpeu.

CommeJordannefitpaslemoindremouvement,Russs’approcha.—Jordan?Ill’appelaplusieursfois,maiscederniernesortitdesatransequelorsque

Russluiposaunemainsurl’épaule.—Quoi?Jordanlevasesyeuxvitreuxverslui.—Nourriture.Lit.Repos,pournoustous.Lajournéeaétélongue.

JordancaressaunedernièrefoisMarinasurl’encolure,puisselaissatraînerhorsdel’écurie.

—Est-ceque tucroisqu’ellevapleurer sonbébé?marmonna Jordanenmangeantsesmots,tandisqu’ilsuivaitRussentraînantlespieds.

— Je ne crois pas, répondit gentiment Russ. Elle n’a pas vraiment eul’opportunitédelevoir,encoremoinsdecréerunlienaveclui.Maisnousnousoccuperons bien d’elle, et avec un peu de chance, quand elle ira mieuxphysiquement,sonhumeurs’amélioreraaussi.

—Bien.Russnereçutaucunavertissement.UninstantJordanmarchaitàsescôtés,

l’instantsuivant,ils’effondracommeunemassesurlesol.—Merde!Russ s’accroupit à côté de lui et le fit rouler sur le dos. Jordan cligna

doucementdesyeux.—Depuisquandn’as-tupasmangéoubu?grogna-t-il.Jordanfronçalessourcils,maissecontentadeledévisagercommes’ilne

comprenaitpascequedisaitRuss.—Bordeldemerde.Jon!Ernie!Vousêtestoujourslà?cria-t-il.Erniearrivaencourantsursagauche.—Aide-moiàmontercetimbécileàl’étage,ordonnaRussengrinçantdes

dents.Tandisqu’ErnieetluipassaientlesbrassousceuxdeJordanetl’aidaientà

serelever,Jonapparutsurlaterrasse.—Jon,tuveuxbientrouverduGatoradepourcetidiot?Il installa Jordan sur l’un des fauteuils à bascule de la terrasse.

Heureusement,commelegaminfutunpeuplusalerteàcemoment-là,Russenconclut qu’il n’avait à s’inquiéter que d’une grosse fatigue et d’une petitedéshydratation.

— Bois, ordonna-t-il en fourrant dans la main de Jordan la bouteilleapportéeparJon.

Parchance,Jordann’étaitpasassezstupidepournepasobéirauxordres.Ilenbut le tiersd’unetraiteavantd’essayerdelarendreàRuss,maiscederniercroisalesbrasetluilançaunregardnoir.

—Tout,grogna-t-il.Jordansoupira,maisreprit labouteille.Satisfaitquecet imbécilecoopère,

Russ remercia JonetErnieet leur fit signede s’enaller.Cecrétinn’avaitpasbesoind’unpublic.

PendantqueJordanbuvait,Phylsortitetrôdaunpeuautourdelui,maisunefoisqu’ellefutsatisfaitedeconstaterqueJordansesentaitmieux,elleretournaà

l’intérieur pour faire àmanger pour tout lemonde. Ils étaient tous fatigués etavaientlemoralauplusbas,maisRussluiassuraqu’ilpouvaits’occuperd’unabruti.

Une foisqu’il eut fini labouteille, Jordan fit lagrimaceet la jetaàRuss,assortied’unregardnoir.MaiscelaconvenaitàRuss.Ilsavaittrèsbiengérerlesirascibles.

—Trèsbien, commenta-t-il.Maintenant, tu asbesoind’aidepour aller temettreaulitoutupeuxyarrivertoutseul?

Jordanlevalesyeuxauciel.Ilarboraituneexpressionbutéeetsamâchoire,ombrée d’une barbe d’un blond sali par ses activités de la journée, tressaillitcommes’ils’apprêtaitàargumenter,maisRussluijetaunregardmauvais.

—IlyajusteassezdesucredansceGatoradepourt’aideràtenirpendantque tu te reposes, donc tu vas aller au lit sans discuter.La seule choseque tupeuxdécider,c’estlamanièredet’yrendre.

Jordan soutint son regard avec une expression de défi quelques secondes,puiss’affaladanssonfauteuiletlevalesmains.

—Trèsbien.Jevaisaller faireunesieste,puisquec’estsi importantpourtoi.

Russtenditlamainpourl’aideràserelever,maisJordanlarepoussaetseleva.

—Jen’aipasbesoind’êtreporté.Jepeuxyarriverseul.Avecdegrandsgestesexagérés,Russtintlamoustiquaireouverteàcepetit

con,puisattenditenbasdel’escalierqueJordandisparaisseàl’étage.—Quelqu’undevraitdonnerunSnickersàcegamin.C’estunevraiediva

quand il a faim, pouffa Russ tout seul en se dirigeant vers la cuisine pour senourrir lui-même et aider Phyl à préparer à manger pour les volontaires quirestaient.

Peut-êtredevrait-ilcommanderetinstallerunenouvellecaméradesécuritédansl’undesboxes,pourpouvoirgarderunœilsurleurspensionnaireslespluspréoccupants depuis le confort de la maison. Cependant, les caméras nemontraientpas tout,etparfois, riennevalait laprésenced’unepersonneréellequiregardait,écoutaitetpouvaitmêmesentirlesproblèmes.

Russ alla porter un plateau àMichelle à l’écurie, puis se rendit à l’étagepourvoircommentallaitJordan.LaBelleauBoisDormants’étaiteffondréesursonlit.Ildevaitavoirprisletempsd’unedoucherapideavantdesombrersurlematelas,àvoirsescheveuxtoujourshumides.EtàcequeRusspouvaitenjuger,legaminétaitnusousledrapposésurlebasdesoncorps.

Ils’attardapluslongtempssurlepasdelaportequ’ilnel’auraitdû.JordanThorndike des Thorndike de Virginie était, sans nul doute, un homme

magnifiqueaucorpsparfait,desescheveuxblondshabilementméchésjusqu’àsesélégantspiedsmanucurés.

Iltravailledur,ilestintelligent,drôleetauncœurenor…aumoinsavecleschevaux,murmuraunevoixtraîtresseàl’oreilledeRuss.

Ouais,maisc’estaussiungossederichepourrigâtéetvaniteuxquis’estfaitchouchoutertouslesjoursdesavieetnesaitpasàquoiressemblelemonderéel,répliqua-t-il.Etilatoutuntasdeproblèmesàrégler.

Russfermalesyeuxets’obligeaàquitterlapièce.L’imagedeJordan,nuetétalésurlesdrapsfroissés,s’étaitgravéeauferrougedanssonesprit,maistoutcequ’ilcomptaitfaireàcesujet,c’étaits’enservirpoursefaireplaisirdetempsen temps… ou sans doute tous les jours jusqu’à ce que Jordan aille voir sil’herben’étaitpasplusverteailleurs.

1Lagestationde la jumentestde335 joursenmoyenne (11moisenviron),maispeut aller jusqu’à360jours.

XIII

ILFAISAITnoirdanslachambrequandJordanseréveilla.Sontéléphoneluiindiquaqu’ilétaituneheureetdemiedumatinlorsqu’ilappuyadessuspourvoir.Il gémit et se redressa. Comme lemartèlement dans son crâne lui faisait direqu’ilétaitsansdoutetoujoursdéshydraté,ilfitunrapidetourauxtoilettes,puisseversaunverred’eaudepuislelavabodelasalledebain.

Quand il repensa aux événements de l’après-midi, il ne sut plus où semettre. Il s’était vraimentmontré stupide en ne faisant aucune pause et en nebuvantpasalorsquelesoleiltapaitfort.Ils’étaittellementinquiétépourMarinaqu’ilsavaitqu’iln’auraitpasfaim,maisilauraitaumoinsdûseforceràboire.S’effondrer dans la poussière devant Russ et tous les autres était vraimentmortifiant.Ilallaitluiêtredifficiledelesaffronterlelendemainmatin.

Unrapidecoupd’œilaumiroirlefitgrimacer.Ilavaitlesyeuxinjectésdesangetsoulignésdecernespourpres,etlesjouescreusesetcireuses.

— Et dire que tu te demandais pourquoi Russ ne te sautait pas dessus,marmonna-t-il toutbas.Tudevraisdéjàt’estimerheureuxqu’iln’aitpasfuienhurlant.

Saufqu’iln’avaitpaseuaussipiètreallurequandilavaitflirtéavecRuss.Ilavaitpasséuneéternitédevantsonmiroirpours’enassureret,malgrétout,Russn’avaitpasvouludelui.

Lerejetducow-boyluiavaitfaitmal,quelquesoitlenombredefoisoùilavait tenté de se convaincre que Russ n’était qu’un connard qui faisait uncomplexefaceauxgensriches–etquesonrejetn’avaitdoncriendepersonnel.Maiscelaparaissaitpersonnel,pourJordan.Toutàfaitpersonnel.

Tun’espasassezbien.Toutserésumaittoujoursàça.Ilnesefaisaitpasd’illusionsconcernantson

apparence, ses aptitudes ou son intelligence. Il était assez beau, doué etintelligent…maiscelanesemblaitjamaissuffire.

Ilfermalesyeuxetsepassalesmainssurlevisageensortantdelasalledebain.S’ilcontinuaitàseregarderdanslemiroir,ilallaitpasserlerestedelanuità s’enfermer dans cette spirale de pensées négatives et ne serait bon à rien lelendemainmatin.Or,c’étaitsamedi;lesweekendersallaientarriveretPhyllisetRuss l’avaient tous les deux prévenu qu’ils auraient besoin d’aide avec un

groupedeGirlScoutsquidevaientvenir.Jordanfrémit.Aprèstouteslesémotionsdelasemaine,iln’étaitpascertain

d’êtreapteàêtredisponible toute la journéedulendemain.Peut-êtrepouvait-ildireàPhyllisqu’ilne se sentaitpasbienetvoulait rester au lit. Il était tombédanslespommes,aprèstout.Ellepouvaitdifficilementluienvouloirdeprendreunjourdecongé.Cen’étaitpascommes’ilétaitpayépoursontravail,detoutefaçon.

L’expressiondésapprobatricedeRussapparutdanssonespritetrefusad’enpartir. Jordannepouvaitpas fairecela.Lecow-boy ferait sansdoutequelquesremarquessarcastiquessurlegossedericheayantbesoindeprendresajournéeouun trucdugenre.Jordanavaitassezmontrésa faiblessepour lasemaine. Ilpasserait lajournéeàsebattrecontrelui-mêmeetàcombattreceraz-de-marées’il n’avait pas le travail pour le distraire, donc vu comme cela, il n’avait pasvraimentlechoix.

Il traîna son corps las jusqu’à la commode et attrapa quelques habitsfraîchement lavés, qu’il enfila. Alors qu’il boutonnait son jean, il se surprit àsourire.IlavaitfiniparentrerdanslepantalondeRuss…enquelquesorte.

Jordan alla voir Marina dans son box et vit qu’elle semblait se reposerconfortablement pour la nuit. Il l’examina de son mieux avec une lampe depoche,mais ne put déceler lemoindre problème avec son expérience limitée.Comme il ne voulait pas la déranger, il repartit en sens inverse et caressa lesencoluresdeschevauxcurieuxquiavaientsortilatêtedeleursboxes.

Cette brève marche jusqu’à l’écurie lui rappela combien il était fatigué.Après avoir mangé des restes de poulet, de riz et de haricots blancs dans lacuisine et avalé un nouveau verre d’eau, il retourna dans sa chambre. Lesommeilrevintrapidementet ilneseréveillaqu’enentendantcraquersaporteavantl’aube.

Ilclignadesyeux,lavisiontrouble,danslasemi-obscurité,maiscommesaporterestaitfermée,ilfutperplexequelquesinstants.Puis,ilhaussalesépaulesetsautadulitpoursepréparer.

Après la douche, il passa de longues minutes devant le miroir pours’examiner.Iln’avaittoujourspasl’airaumieuxdesaforme,maisaprèss’êtreraséetavoirutilisélesdernièresgouttesdesacrèmepourlevisagehorriblementchèreetqu’iln’avaitpaslesmoyensderemplacer,ilseditqu’iln’effraieraitpaslesenfants,aumoins.

Il ne se sentait pas assez en forme pour faire du charme, ce jour-là.Vraimentpas.Ilsesentaitinutile,faibleetunpeucassé,maislespectacledevaitcontinuer.IlétaitunThorndike,aprèstout,mêmesisonpèreauraitpréféréquece ne soit pas le cas. Les Thorndike étaient bien des choses, mais pas des

dégonflés.Ledéjeunerfutaussipéniblequ’ill’avaitimaginé.Toutlemondeluitourna

autour,veillantàcequ’ilmange,aupointqu’ilcrutqu’ilallaitvomir. Ilgardason sourire plaqué sur ses lèvres et les remercia tous poliment de leurpréoccupation.Ilparvint,aprèsquelquesefforts,àeffacerl’inquiétudesurleursvisagesetilsrecommencèrentàrireetplaisanter.Russnecomptaitpas.Commele cow-boy ne cessa jamais de froncer les sourcils, Jordan ne chercha pas àdécouvrirsiRussétaitinquietoudésapprobateur.Jordannevoulaitpasconnaîtrelaréponse,detoutefaçon.

Commeprévu, il se jetadans lamêléeavecPhyllis et s’occupadepetitesfilles excitées et folles des chevaux. Il fit du charme et flatta. Il se montraamusantetenjoué.SonmasqueneglissamêmepasquandTodd, l’exdeRuss,s’avéraêtrel’undeschaperonsdesGirlsScoutsetledévisageacommes’ilétaituncadeaudeNoëlarrivéenavance.

Ce type lui fichait toujours les jetons, à le draguer alors que ses fillesn’étaient qu’à quelquesmètres de là, en train d’étriller Jasmine, une adorablepetite ânesse. Pourtant, Jordan ne pouvait nier qu’il se sentait une certainecuriositémorbideenversl’homme,qu’ilétudiaitducoindel’œil.Unpeumoinsd’unmètresoixante-dix,lescheveuxbrunclaircoiffésavecart,Toddn’étaitpasmal,maisn’avaitriendonnantenviedevoircequ’ilcachaitdanssonpantalonnonplus.Étantdonnél’âgedesesfillesetlefaitqueRussneluiparaissaitpasdugenreàaimersecacheretàsortiravecunhommemarié,leurrelationavaitdûse terminerunedizained’annéesplus tôt.Peut-êtreTodds’était-il laisséunpeuallerdepuisetqu’ilavaitétévraimentépoustouflantàl’époque.

Àen jugerpar son apparence actuelle,Todd aurait été justebienpouruncoupd’unsoir,mais lesproposdePhyllisavaientdonnéàJordanl’impressionque Russ et Todd avaient eu une vraie relation. Jordan ne comprenait paspourquoi.Qu’avaitToddquelui-mêmen’avaitpas?

Peut-êtrequ’ilcachaitunpénisénormedanssonpantalon?Etpourquoi,aunomduCiel,Jordannepouvait-ilpaslaissertomber?Russétaitsupersexy,maisiln’étaitpasleseulhommesurTerre.Jordanne

savaitmême pas combien de temps il resterait au ranch, alors qui se souciaitqu’unstupideconnarddecow-boysexylerejette,detoutefaçon?

Ohbonsang,ilétaitcomplètementpaumé.

VERS DEUX heures de l’après-midi, le masque de Jordan commença às’effriter franchement. Les filles du groupe de Girls Scouts commençaient à

fatiguer et devenaient geignardes. Quant à lui, il sentait le stress des derniersjourslerattraper.Unefoisquelesfilleseurentfinidemangeretqu’ellesfurentoccupées à un projet manuel qu’elles prévoyaient de vendre pour récolter del’argentpour le ranch,Jordanseprécipitadanssachambreet,sous lecoupdudésespoir,attrapasabouteilledebourbon.Iln’allaitpassesaouler.Àvraidire,ilenavaitàpeinebudepuissonarrivéeauranch,maiscejour-là,justecettefois-là,ilenavaitbesoinpourallégersajournéeetsesmembres.Lesgloussementsetpleurnicheries perçants de ces petites filles étaient comme des aiguilless’enfonçant dans son crâne. Il avait besoin de rendre sonmonde un peu pluscotonneux.

Ilavaladeuxgorgées,puisremitlabouteilledansleplacard,sebrossalesdents, prit une bouteille d’eau et retourna à l’extérieur. Plusieurs petites fillesdécoraientdevieuxfersàchevalusés,tandisqued’autresconfectionnaientdesbracelets en cuir et perles. Jordan apporta son aide là où il pouvait, mais lestravauxmanuelsn’étaientpasvraimentsonfort.Phyllisfinitparprendrepitiédeluietlerenvoyerversl’écurie.

—Nousauronsbientôtfiniici.VavoircommentvaMarina,puisvatrouverRusspoursavoirs’ilabesoindetonaide.Jesuissûrequetupréfèresfaireça,detoutefaçon.

LesouriresoulagédeJordanfutsonpremiersouriresincèredelajournée.IlserrabrièvementdanssesbrasunePhyllisstupéfaite,puistrottajusqu’àl’écurie.Lebourbonl’avaitaidéàsedétendre,etunefoislibérédesesdevoirsdebaby-sitter, ilsautillapresqueenpartantretrouverMarina.Ledestindupoulainétaitcertes triste,mais la jument semblait déjà aller bienmieux,mêmemoinsd’unjour plus tard, et Jordan dut admettre que l’avortement avait été la meilleurechoseàfairepourelle.

Ils’attardadansl’écurieplutôtquedetrouverRuss.Ilsesentaittoujoursunpeu étourdi par l’alcool et n’était pas certain que partir à la recherche de cethomme-là en particulier soit une très bonne idée. Il s’était déjà plusqu’embarrasséenprésenceducow-boy.

Iln’yavaitaucunêtrehumaindansl’écurie,malgrél’intenseactivitésurleranch.Laplupartdeschevauxavaientétémisdanslepâturage,dansunenclosoudanslepaddock,pourprofiterunpeudusoleiletprendrel’air,oubienpourfaireunpeud’exerciceavecunbénévole. Jordandécidaqu’il avaitbienasseztravaillépourlajournéeetentradansleboxvidequileurservaitàconserverlapailled’avanceets’affalasurunebottedepaillepourfermerlesyeuxquelquesminutes.Quandtout lemondeseraitparti, ilaideraitànettoyer,maisfaireunepetitesieste,cen’étaitpastropdemander,si?

—Vousvoilà.

Jordan commençait à somnoler quand une voix inconnue le réveilla. Ilclignadesyeuxetdécouvritl’exlouchedeRuss,Todd,àl’entréeduboxouvert.

Jordanseraclalagorge,serelevaets’écartalescheveuxduvisage.—Jesuisdésolé.Avez-vousbesoindequelquechose?Toddesquissaunsourirenonchalant.—Jeboiraisbiendecetteeau,siçanevousennuiepas.Ilentratranquillementdanslastalleetattrapalabouteilled’eauqueJordan

avait posée sur un ballot de paille. Restant assez près pour que son genoueffleureJordan,Toddposaleslèvressur labouteille,rejetala têteenarrièreetavala une longue gorgée. Sa pomme d’Adam ressortit et une goutte d’eaus’échappadesaboucheetcoulalelongdesonmenton,puisdesoncou.Jordanlaregardafaireavecunelégèrecuriositéetunepointed’intérêt.

L’ange et le démonposés sur chacune de ses épaules entamèrent un petitdébat tandis que Todd rendait à Jordan sa bouteille, le regard brûlant, et queJordanfinissaitcequirestait.

D’un côté, Todd était clairement un connard. Il était marié, avait deuxenfants,maiscelanel’empêchaitpasdedragueraurefugeducoinpourunpetitcoupenpassant.D’unautrecôté,Jordanétaitseuletavaitbesoindereboosterunpeusonego,doncquelmalflirterunpeupouvait-ilfaire?

—Bonsang,commentaToddd’unevoixrauque,vousêtesl’hommeleplussexyquej’aivuicidepuisunlongmoment.

Jordan ne put s’en empêcher. Il se rengorgea sous le compliment. Celafaisaitdes semainesqu’iln’avait ramassépersonnedansunbarou surGrindr,celadataitmêmed’avantsaconversationavecsesparents.Etaussipitoyablequecelapuisseparaître, il avaitbesoinquequelqu’un luidisequ’il étaitdésirable,mêmesilecomplimentvenaitd’unfumier.

Ilsouritets’étira,savourantlasensationduregarddeToddsurlui.—Heureuxquevouslepensiez.—Aprèsvousavoiraperçuladernièrefois,j’avaistrèsenviedevousvoir

deplusprès.Jordanseléchaleslèvresetinclinalatête.—Jepensaisquevousétiezoccupéavecquelqu’und’autre,ladernièrefois.Todd,quiétaitentraindes’approcherplusprès,s’arrêta.—Non.Sic’estàRussquevouspensiez,ilpèteparfoislesplombsetpense

avoirledroitdes’immiscerdanslesaffairesdesautres.Crois-moi,bébé,tuesleseulquejeregarde.

Comme c’était toujours le petit diable qui gagnait les disputes dans sonesprit, Jordanse redressadavantageet secalacontreun tasdeballotsde foin,écartantassezlesjambespourqueToddpuisseserapprocher.

—Vouspensezquejevauxlecoupd’œil?Desesyeuxnoisette,Toddledévisagealonguementdehautenbas.—Tusaisbienqueoui,répondit-il,lavoixrauque.Ce fut seulement quand Todd s’approcha assez près pour frotter son

érectioncontrelacuissedeJordanquecedernierrecouvralaraison.Qu’est-cequ’ilfichait,bonsang?Oui, il était seul.Oui, il étaitpathétique, enmanqued’affection,blesséet

excité.Mais depuis quand l’était-il assez pour s’acoquiner avec un type qu’iln’appréciaitmêmepas,etencoreplusàquelquesmètresàpeinedesenfantsdel’hommeenquestion?

Pouah.Jordandécidaqu’ilavaitpoussélejeuassezloinetentrepritdesesortirde

cette situation, mais avant qu’il puisse prononcer un mot, Todd empauma lepaquetdeJordanàtraverssonjean…puisl’enfersedéchaîna.

—Qu’est-cequevousfoutez?criaRussdepuisl’entréedubox.—Oh,merde.

XIV

RUSSÉTAITsifurieuxqu’ilnes’arrêtapaspourréfléchir.IlattrapaToddparlesépaules,lebalançahorsdelastalleetl’envoyamordrelapoussière.

—Russ…Il reporta son attention sur Jordan, auquel il adressa un regard noir et

cracha:—Ferme-la.Jem’occuperaidetoidansuneminute.Il fit brusquement volte-face et Todd rampa un peu avant de réussir à se

redresser.IllevalesmainspourempêcherRussd’avanceretcontinuaàreculer.—Calme-toi,Russ,ditToddquireprenaitpeuàpeudesasuperbe.Cene

sontpastesaffaires.— Putain, bien sûr que… commença-t-il à crier, avant de s’aviser que

l’écurie était ouverte et de baisser la voix. Putain, bien sûr que ce sont mesaffaires,persifla-t-il.Ici,c’estmonranch,mamaison.Jet’aiditquejenevoulaispasquetuviennesicicauserdesproblèmes.Jet’aiditdenepasrevenir.Cen’estpasunendroitpourtrouverdesconquêtes.Noussommesdansunrefugeet tesfillessontàquelquesmètresàpeine.Àquoipensais-tu,bordel?

Lesmainstoujourslevées,Toddrépliqua:— Très bien. Très bien. Tu as raison. Je n’étais pas venu pour draguer,

promis. Je suis venu parce que le groupe avait besoin d’un autre chaperon, etcommeMollyavaitlamigrainecematin,ellenepouvaitpass’enoccuper.Tonami,là,apassélajournéeàflirteravecmoi,alorsjemesuislaisséemporter.

—Quoi?s’insurgeaJordanderrièrelui,maisRussl’ignora.—Sorsd’ici,Todd,soupiraRussd’untonlas.Situveuxtrompertafemme

etprendre le risquedegâcher lameilleure chosequi te soit jamais arrivée, cesonttesaffaires.Maisceranchestàmoi,ettuneferaspasçaici.C’estclair?

Toddlevalesyeuxauciel.Ilsemblasurlepointderépondre,maisseravisaetregardaRussetJordantouràtour.Ilesquissaunpetitsourirenarquois.

—Oh,j’aicompris,dit-il.Surlepointdepartir,ils’arrêtaetsouritpar-dessussonépaule.—Si c’est ça,Russ, alors tu vas devoir resserrer un peu la laisse de ton

garçon,parcequetunevaspaslegarderlongtemps,sinon.Jeconnaistonpointdevuesurlaloyauté,lafidélitéettoutça,rit-il.Maisaveccelui-là,tuasparié

surlemauvaischeval.RussfitroulersesépaulesetcrachadanslapoussièreendirectiondeTodd.

Ceconnardluiavaitfaitunefaveurenlelarguantquelquesannéesplustôtpourvivresavied’hétéroavecMolly.Il leprouvaitàchaquefoisqu’ilsemontrait.Russsesentaitdésolépourlesfilles,maisilespéraitqueToddétaitmeilleurpèrequemari.

—Qu’est-cequec’estcensévouloirdire,bonsang?criaJordansuruntonagressifetlacolèredeRussenflaànouveau.

Ils’enpritàJordanetlerepoussadanslebox.—Parledoucement,putain,gronda-t-il.Russcontinuaàavancerjusqu’àcequeJordanseretrouvedosaumuretil

s’approchanezànez.— Tu es déjà assez con pour baiser l’un des pères là où n’importe qui

pourrait te voir, alors pas la peine de jurer assez fort pour que les gaminst’entendentetdisentàtoutlemondecequetufaisais.

Jordan s’apprêtait à répliquer, mais il referma brusquement la bouche etgrimaça.Russesquissaunsouriretoutsaufagréable.

— Bien. Tu peux arrêter d’être égocentrique rien qu’une fichue minute,assez longtemps pour penser à ces gamins. Tu n’es peut-être pas un casdésespéré,aprèstout.

—Hé!—Quoi ? répliquaRuss. J’ai tort ?Todd n’avait-il pas samain dans ton

pantalon il y a moins de deux secondes, alors que ses filles fabriquaient desbraceletsàmoinsdecinquantemètresdelà?

—Iln’avaitpaslamaindansmonpantalon,arguaJordand’untonacerbe,maissanscroiserleregarddeRuss.

—OK.Quoiqu’ilensoit, il te tenaitquandmêmelaqueueetquisaitcequevousauriezfaitsijen’étaispasentréàcemoment-là.

—Çaneseraitpasalléplusloin.—C’estdesconneries.Pourpouvoiressayerdereprendrelecontrôledelui-même,Russreculade

quelquespas,fitroulersesépaulesetdesserralesmâchoires.Ilinspiraetexpira,cequilecalmaunpeu.

— Écoute. Ce que tu fais sur ton temps libre, ça te regarde. Maisrecommenceuncoupcommecelui-ciet je te feraiquitterce ranchàcoupsdepiedsaucul,sansmesoucierdetonquelconquetraumatismeémotionneloudequisonttesfichusparents.Tum’ascompris?

Russ fit volte-face sans attendre de réponse. Il était trop énervé à l’heureactuelle pour écouter des excuses ou des promesses. Et si Jordan essayait de

l’amadoueravecl’unedesestentativesdecharmefactices,Russallaitvraimentperdresonsang-froidetdirequelquechosequ’ilregretteraitplustard.

Plutôt qued’essayerde se remettre au travail,Russoptapourune longuebaladepoursecalmer.Ilyavaitdéjàdemoinsenmoinsdemondeauranch,lesgens se rendaient chez eux pour préparer le dîner et se détendre après unejournéechargéeenpleinsoleil. Ilpourrait toujoursaiderànettoyerquandtouslesvisiteursseraientpartis,etenattendant,iln’auraitpasàessayerdeteniruneconversationpolieavecdesétrangers,cequ’ildétestaitdéjàfairequandilétaitdebonnehumeur.

Enhautdelapremièrecollinesurplombantleranch,ils’affalaàl’ombredesonchênevertpréféré,croisalesbrasetleschevilles,posasonchapeausursonvisage et ferma les yeux. Une légère brise se mélangeait à l’air chaud etpoussiéreux, faisant frémir l’herbe et les fleurs sauvages. Des insectesbourdonnaient et émettaient de petits sons secs près de lui, mais les bruits etl’agitationduranchs’étaientestompés,parchance…Dumoins,jusqu’àcequedesbottescrissentsurlesolpoussiéreuxetinterrompentsoninterludepaisible.

Comme lespas s’approchaient,Russ soupira etouvrit lesyeux. Jordan setenaitjusteau-dessusdeluietn’avaitplusl’aircoupable.Ilavaitplutôtl’airencolèreettrèsséduisant.LecœurdeRussaccélérasacourse.

—Notreconversationn’estpasterminée,lançaJordan.Russhaussalesépaules.—Encequimeconcerne,ellel’est.Grandisunpeuoudégaged’ici.Jene

pensepaspouvoirêtreplusclair.—Vatefairevoir,Russ.Tun’esmêmepasrestépourécoutercequej’avais

àdire.Tuasjusteprésuméquetusavaistoutcequetuavaisbesoindesavoir,tum’asjugéettut’escassé,commed’habitude.

—Tuessaiesdemefairecroirequejenevousaipasvus,Toddettoi,vouspeloterdansl’écuriealorsquelesgaminesfaisaientleurstravauxmanuelsjustedevant?

Jordangrogna.—Oui,d’accord.Jesais.J’aimerdé,déclara-t-ilenécartantlesbras.Jesuis

désolé.Pour le cas où tu ne l’aurais pas remarqué, je ne suis pas vraiment aumieuxdemaformeactuellementetj’avaisungrandbesoind’attention,c’estuncrime ? J’ai fait une monumentale erreur de jugement momentanée, maisjustement,ellen’aétéquemomentanée.Jetejurequejem’apprêtaisàymettreun terme. Je ne suis pas un connard fini, contrairement à ce que tu semblescroire.Toddvenaitàl’instantdem’attraper,etj’allaisluidiredereculerquandtu es entré et que tu as déchaîné ta colère divine en nous promettant enfer etdamnationavantquejepuisseprononcerunmot.

Russrenifla,serelevaetôtalapoussièresursonjeanavantdereportersonregardsurJordan.

—Sij’aiquittél’écurie,c’estparcequetesexcusesnem’intéressaientpasparticulièrementetc’esttoujourslecas.Situcherchesuneépaulepourpleureretdéversertoutetadétresseémotionnelle,vavoirPhyl.Moi,jesuisàsec.

Ils’apprêtaitàreprendrelechemindel’écurie,maisJordanl’attrapaparlebrasetlefitpivoterverslui.

—Maisc’estquoitonproblème,bonsang?RusssautadenouveauàlagorgedeJordanetgrogna:—Ce sont les types comme toi,monproblème, ceuxqui croient pouvoir

fairetoutcequ’ilsveulentsansrendredecompteàpersonne,àcausedequiilssont.Monproblème,cesontlespauvrespetitsgossesderichesquipensentquelemondetourneautourd’euxetdeleursproblèmes.Oh,pauvredemoi,mamanetpapanem’aimentpasassez. Ilsnem’ontoffertqu’unedécapotable rougeàcinquantemilledollarspourNoël,aulieudujetprivéquej’avaisdemandé.Ilsveulentmepayeruneuniversitéàplusieursmilliersdedollarspourquejepuisseobtenirundiplômequim’ouvriratouteslesportes,maiscen’estpasvraimentcequejeveuxdanslavie.Pourquoinemecomprennent-ilspas?

JordanlâchalebrasdeRussetreculacommesicedernierl’avaitfrappé.LaculpabilitécalmaunpeulacolèredeRuss.Iln’avaitpasvoulus’enprendreainsiàJordan,maislegaminneluiavaitpaslaisséletempsdesecalmer.

Jordanlefixad’unregardblesséquelquesinstantsavantdedemanderd’unevoixrauque:

—C’estvraimentcequetucrois?LacolèrereparutlentementsurlevisagedeJordantandisqueRusstentait

detrouverquelquechoseàdirequin’empireraitpasleschoses,maisJordanserepritplusvitequelui.

—Vatefairefoutre,Russ.Tusaisquoi?Tut’esfaittonopinionsurmoiàla seconde où je suis arrivé ici, à partir des quelques informations que tuconnaissaissurmoietsurlesquellesjen’aiaucuneprise.Riendecequejefais,peuimportequejesoisgentilouquejebossedur,neserajamaissuffisant,n’est-ce pas ?Rien ne pourra te faire changer d’avis, à cause de toutes tes fichuesœillères!

Jordanavançaversluijusqu’àcequ’ilsseretrouventànouveaunezànez.—Jesuisdésolé,Russ.C’estcequetuveuxentendre?cracha-t-il.Jesuis

désoléd’êtrenéavecunecuillèreenargentdans labouche.Jesuisdésoléquemesparentssoientrichesetqu’ilsm’aientdonnétoutcequ’ilspensaientquejepouvais vouloir. Comme j’ai eu des privilèges dont d’autres ne peuvent querêver,jen’aimanifestementpasledroitd’êtretriste,seuloudemeplaindrede

quoiquecesoit.Riennipersonnenepourrajamaismeblesser,etévidemment,je ne peux jamais être assez humain pour commettre une erreur, puisquemesparentsontdel’argent,destonnesd’argent.

Jordanreculaethaussalesépaules.—Aprèstout,quisesouciedesavoirquejen’aipaschoisilesconditions

demanaissance?Quisesouciequecetargentnesoitpaslemien,enréalité?Qui se soucie que mes parents aient établi des standards pour moi que je nepourrais jamais atteindre et que chaque centime de cet argent ô combienimportantm’aitétéretiréàlasecondeoùjelesaidéçus…ainsiquetoutleursoi-disantamouretsoutien,enprime?Quisesouciequej’avaistellementpeurdeperdretoutça–pasl’argent,non,maislereste–quej’aipassél’essentieldemavie à faire semblant d’être quelqu’un d’autre ? Manifestement, personne nedevraits’ensoucier,puisquelepetitgossederichepourrigâténeleméritepas.

LavoixdeJordansebrisaetilclignarapidementdesyeux.Ilavaittombétouslesmasquesetiln’yavaitplusqu’unedouleurcrueendessous.C’étaitRussqui en était responsable. Il s’en était pris à une personne meurtrie et l’avaitblesséeencoreplus.Iln’étaitpascegenred’homme.Iln’étaitpascenséêtreleméchantdel’histoire,maisàcetinstantprécis,ilsesentaitvraimentcommetel.

AvantqueJordanretrouveunsecondsouffle,Russl’attrapaparletee-shirtetl’attiracontrelui.Legaminsursautaetpoussauncriétranglédesurprise,maisil ne s’écarta pas. Sa poitrine se soulevait lourdement contre le torse deRussquandcedernierresserralesbrasautourdelui.

—Jesuisdésolé,murmuraRusstoutcontresatempeenymettanttoutesasincérité.

JordanrespiraittoujoursdifficilementlorsqueRussreculalégèrementpourvoirsonvisage.LeregardblesséetprudentdeJordancherchaceluiducow-boy.

—Jesuisdésolé,répétacederniertoutbas.Cédantàuneimpulsion–tout,pourvuqu’ilpuisseeffacercetteexpression

blessée–,RusspritlajouedeJordanencoupeetposaavechésitationleslèvressurlecoindesabouche.Jordansursautaunedeuxièmefois,maisnereculapas.Au contraire, il lui retourna le baiser et scella leurs lèvres, avant d’ouvrir lessiennesàlarecherchedelalanguedeRuss.Ildonnaitautantqu’ilrecevait.LegamingémittandisqueRusss’abreuvaitdeslèvresdontilrêvaitdepuisl’instantoù il avait posé lesyeux sur Jordan.Son sang s’échauffa et son sexe s’éveillalorsquelecorpsminceetsolidedeJordansefonditdanslesien.

Quand Russ mit finalement fin au baiser pour qu’ils puissent respirer, ilbaissalesyeuxversJordanetseraidit,s’attendantàmoitiéàrecevoiruncoupdepoingenpleinvisage.Illeméritait.MaisJordansecontentadeledévisager,toutenhaletant.CefutRussquirompit lecontactvisuel,alorsqueladouleuret la

confusionréapparaissaientlentementdansleregarddeJordan.Ilposaunemainsur la nuque du jeune homme et l’attira contre son torse de nouveau. Jordansoupira et trembla dans les bras deRuss, qui trouva ces réactions encore plusbouleversantesqueleprécédentregarddeJordan.Russl’attiraplusprèsdeluietposaleslèvressursatempe.

Lesilences’installatandisqueRussl’étreignait.Jordanfinitparsedétendrecomplètementdanssesbras. Il tourna la têteetposa la jouecontre l’épauledeRuss.CegesteexprimaitunetelleconfiancequeRusseneutlecœurdéchiré.Ilpoussaunsoupiràsontouretrépéta:

—Jesuisdésolé.Jordanexpiraunsouffletremblotantethochalatête.RussposalementonsurlehautdelatêtedeJordanetsouritencoin.— Tu es la deuxième personne à me dire d’enlever mes œillères cette

semaine,tusais.CommeJordanpouffafaiblement,Russsourit.—Jesupposequejedevraisconsidérerquec’estunsigne.—Peut-êtrequeoui,effectivement,répliquaJordansanss’écarter.RussfermalesyeuxetcontinuaàenlacerlonguementJordan,quinefaisait

aucungestepourinterrompreleurétreinte.Russlui-mêmen’étaitpaspresséd’ymettreunterme,malgrélechaudsoleiltexanquileurbrûlaitlapeau.Ilentrepritmême de caresser le dos et les épaules de Jordan de manière apaisante. Cedernier baissa les mains pour agripper la ceinture de Russ au niveau de seshanches.

—Russ?—Hummm?—Qu’est-cequ’onfait,là?Russsoupira.Malgrétousseseffortspours’enteniràlaraisonettoutesses

affirmationsducontraire,ilnepouvaitpluslenier.Ilétaitcomplètementéprisetiln’avaitplusderaisonsdementiràcesujet,àprésent.

—Toutcequetumelaisserasfaire,murmura-t-il.Jordan leva la tête pour le dévisager, fronçant ses sourcils parfaitement

dessinésau-dessusdesesyeuxbleussibeaux.— Je ne te comprends vraiment pas. Il y a deux minutes, tu me traitais

commeunmoinsque rien.Etmaintenant, tume tiens commesi tunevoulaisplusjamaismelaisserpartirettumeproposesquoi?Toutcequejeveux?

Russsoupiradenouveau.IlcaressalajouedeJordandudosdelamainetsouritcommecederniernereculaitpas.

— Tu m’as dit d’enlever mes œillères, donc c’est ce que je fais. Tu asraison.Jemesuiscomportécommeunconnard.Jet’aijugéd’aprèsunhomme

quej’aiconnuilyalongtemps.Cen’étaitpasjustepourtoietj’avaistort.—Jesuismoietpersonned’autre.—Jesais,acquiesçaRuss.Jesuisdésolé.—Doncmaintenant…quoi?Russsouritetlançaunregardpleind’espoiràJordan.—Maintenant…J’espèrequetuvasmepardonneretmelaissertemontrer

combienjesuisdésolé.IlcaressadenouveauledosdeJordanduboutdesdoigts.Lejeunehomme

retintsonsouffle.—Justecommeça?Tumeveux,maintenant?Ilretintsonsourireetsecoualatête.—Monange,jet’aidésiréàlasecondeoùtuesdescendudetavoiturede

sportrougeétincelante.Jenevoulaisjustepasl’admettre.—C’estvrai?Jordanesquissaunsourire,quidisparutrapidement.—Tuesunhommedifficileàcomprendre.—Pasvraiment, non. Je suis plutôt simple, une fois qu’on apprend àme

connaître…Veux-tuapprendreàmeconnaître?Jordanléchaseslèvresrosesetpleines,puishochalatête.—Oui.J’aijusteunpeudemalàsuivre,déclara-t-ilenpouffant.Jen’aipas

l’habitudedetelsretournementsdesituation.—Prendstontemps,réponditRuss,quiavançaensuiteleslèvres.Maispas

trop,parcontre.Il frotta leshanchescontreJordanenpouffant,pourquecedernierpuisse

sentirl’évidencedesondésir.LesjouesdéjàrosesdeJordanrougirentdavantage,àmesurequ’unbrasier

s’allumaitdanssesyeux.—D’accord,allons-y.—Tuessûr?letaquinaRuss.Jeneveuxpastepresser.— Bouge tes fesses, cow-boy. Tu as des excuses à présenter, répliqua

Jordanavecungrandsourire.

XV

PASBESOIN de le lui dire deux fois, sembla-t-il. Russ saisit Jordan par lepoignetetletiraendirectionduranch.CelaconvenaittrèsbienàJordan.Penseretréfléchirdemanièrelogique,c’étaitsurfait,detoutefaçon.

—Tusaisquejenesuispasvraimentuncow-boy,commentaRusssurletondelaconversation.

Ilparaissaitunpeuessoufflé,tandisqu’ilsdescendaientlacolline.—Quoi?— Je n’élève pas de bétail et ne travaille pas avec non plus, à part les

quelquesbovinsquenousavonsaurefuge.—Euh…d’accord.Russl’aguichait,puisilvoulaitfairelaconversation?Ilsefichaitdelui?

Cen’était plus lemomentdepenser.Sinon, Jordan réaliserait la folie de cettesituationetvoudraitymettreunterme,ouaumoinsralentirlerythme…Or,unedécélérationn’intéressaitpasdutoutsonpénisàl’heureactuelle.

Russluilançaunsourirepar-dessussonépauleetsecoualatête.Phyllis et quelques personnes – y compris Todd, qui aidait ses filles à

rassemblerleursaffaires–regardèrentRussfoncerdanslacourduranch,maiscedernierneralentitpas.Il relâchalepoignetdeJordan–saseuleconcessionmanifeste à leurs spectateurs –, mais il monta rapidement les marches de laterrasseetentradanslamaisonsansunregardenarrière,Jordansurlestalons.

Laseconded’après, ilétaitdans lachambredeRuss.Dèsquelaportefutrefermée,Russfitvolte-face,jetasonchapeausurunechaiseetpressaledosdeJordancontrelaporte.Russécrasasabouchesurlasienne,humide,exigeanteetsichaude.Cecorpspuissantetcettebouchetalentueusemirentunenouvellefoissens dessus dessous le cerveau de Jordan, lequel se soumit avec bonheur auxexigencesdesonsexe.

Ilstirèrentsurleurstee-shirts,quiatterrirentausol.JordanfantasmaitsurletorsedeRussdepuis lepremier jouret ilnefutpasdéçu.Quelquespoilsnoirsparsemaient ses pectoraux solides, regroupés autour de ses tétons bruns etformant un chemin sous sa ceinture. Avant que Jordan puisse s’en approcher,Russs’écartaetl’attiraverslelit.

—Tuveuxbienm’aideravecmesbottes?luidemanda-t-ilavecunsourire

suffisant.—J’enseraisravi.Jordan ôta ses chaussures et ses chaussettes à Russ, puis s’activa sur la

boucle de ceinture incrustée de turquoise de ce dernier. Il ouvrit ensuite leboutonet labraguetteen toutehâteetécartabrusquement le tissu. Ilgémitendécouvrant que Russ ne portait rien en dessous. Il enfonça le visage dans lespoilsbientaillésdupubisetcaressadesajouelemembrequigrossissaitàvued’œil,puiss’imprégnadel’odeur.Ilsentaitsonpropremembrepulserdanssonpantalon. Jordanétait sidurencet instantqu’ilpouvait trèscertainement jouirjusteensuçantRuss.Sansavoirmêmebesoindesecaresser.

Russposalamainàl’arrièredelatêtedeJordanetlefitserelever,pourluidélivrerunnouveaubaiserpassionné.

— À toi, maintenant, grogna-t-il. Ça fait beaucoup trop longtemps quej’attendsdetevoircomplètementnu.

Jordan essayade sedébarrasser de ses chaussuresdemarche sansdéfaireleslacets,maisilavaitnouécesdernierstropserrés.Russpouffaenl’entendantgrognerdefrustration,puisl’attrapaparlebrasetlejetasurlelit.

— Je m’en occupe, dit-il, avant de se tortiller pour finir d’enlever sonpantalon,qu’ilrepoussad’uncoupdepied.

Puis,ilsemitàgenouxentrelescuissesdeJordan.PendantqueRussdénouait les lacets et ôtait les chaussuresde Jordan, ce

dernierdéfitsaceinture,ainsiqueleboutonetlabraguettedujeanempruntéàRuss.Saqueuepalpitaàlavuedel’expressiondeRuss,quandcederniervitleboxermoulantrougequ’ilportait.

—Joli,grognaRuss.—Ahoui?—Putain,ouais.Russ s’allongea sur Jordan, l’enfonçant dans le matelas et frottant leurs

membresl’uncontrel’autre,tandisqueJordanôtaitdupiedsonpantalonetsonboxer.Enfinpeaucontrepeau,JordangémitavecimpatiencesousleslèvresdeRuss et traça du doigt chaque centimètre qu’il pouvait atteindre de ce corpspuissant,façonnéparletravail.LesmusclesdeRussétaientfinsetnerveux,pasdesmusclesgonflésensalledesportpourfairebeau,cequil’enrendaitencoreplusséduisant.Àvraidire,l’odeurdepaille,dechevauxetdesueur,combinéeàcellemusquéepropreàRuss,allaitrendreJordanfoudedésir.Ilignorait,jusqu’àcejour,êtreàcepointattiréparleshommestravaillantdurdeleursmains…ÀmoinsquecesoitjusteRussquilerendaitfou.

Jordan glissa une main entre eux pour saisir leurs deux membres et lespomperfiévreusement.Ilvoulaitdésespérémentjouir,maisavantqu’ilréussisse

à atteindre un bon rythme, Russ posa une main sur son poing et l’obligea às’arrêter.PuisRusssaisitJordanparlespoignetsetlesplaquacontrelematelas,au-dessusdesatête.

—Restetranquilleuninstant,murmuraRussenluisouriant.— Quoi ? souffla Jordan, frustré. Tu veux autre chose ? Me baiser en

m’enfonçantdanscematelas,peut-être?Bienquemaintenu, Jordanmordilla lementondeRuss,puis le suçaet le

léchaavantdelerelâcher.Cedernierfrémitetgémit,maisnelibérapaslespoignetsdeJordan.—Ouais,monange,c’estcequejeveuxetplusencore,maisiln’yapas

d’urgence. Je veux goûter et toucher chaque parcelle de ton corps. Je veuxt’entendrehaleteretgémir.Jeveuxtrouver tous lesendroitsquivont terendrefou. Vas-tu me laisser faire avant que nous nous précipitions vers la ligned’arrivée?

À chaque mot salace de Russ, le sexe de Jordan palpita, mais le jeunehommeignoraitsisonmembreencourageaitRussàfairecequ’ildisaitous’ilprotestaitcontrelereportdeladélivrance.

—Bonsang,Russ,toutcequetuveux.Maistouche-moi,haleta-t-il.LesouriredeRussfutdémoniaque,maispuisqu’ilsepenchasurletorsede

Jordan pour l’embrasser et le lécher en direction de son membre, ce derniersupposaqu’iln’avaitpasàseplaindre.

LepremiercontactbrûlantethumidedelalanguedeRusssurlaqueuedeJordan fut une véritable torture, mais Russ ne le fit pas attendre longtemps.Aprèsl’avoirtaquinéquelquessecondes,ilenfonçalesexedeJordanaufonddesabouche,faisantgémird’approbationcedernier.C’étaitunebonnechosequele ranch dispose de la climatisation et que toutes les fenêtres soient fermées,sinontouslesenfantsàl’extérieurenauraientapprisbienplussurlavieanimalequ’ilsnel’auraientsouhaité.

JordanenfonçalesdoigtsdanslesépaischeveuxbrunsdeRussetécartalesjambespourlaisseràcederniertoutelaplacenécessairepourœuvrer.Russétaitunhommeauxnombreuxtalents,etlafellationn’enétaitpasundesmoindres.IljouaaveclemembredeJordanpendantuneéternité,recensachaqueterminaisonnerveusequi faisait sauter Jordan auplafondet le faisait transpirer et geindre.Russl’amenatoutauborddenombreusesfois,aupointqueJordanseditqu’ilallaitdevenirfous’ildevaitattendreunesecondedeplus.

—Punaise,Russ,j’aibesoindejouir…S’ilteplaît!Russ releva la tête et frotta son chaume contre la cuisse très sensible de

Jordan,puisilsourit.—D’accord,monange.Ettuveuxfaireçacomment?

— Tu m’embrouilles le cerveau, puis tu me demandes de prendre unedécision?Tutefichesdemoi?

Russpouffa,remontalelongducorpsdeJordan,puiss’installasurluipourunbaiserlangoureux.

—Alors,quedis-tudemespropositions?demanda-t-il surun toncalme.Veux-tujouirdansmaboucheouenchevauchantmaqueue?

—Ça!Ladernière.Baise-moi.Jordan croisa les jambes derrière les fesses deRuss et se frotta contre le

ventredecedernier,ledistrayantalorsqu’iltentaitd’ouvrirletiroirsupérieurdelatabledenuit.

—Dépêche-toioujevaisfinirsanstoi,letaquinaJordan.—T’aspasintérêt,grommelaRuss.Lelubrifiantetlespréservatifsattrapés,Russrecula.Ilenfilaunpréservatif

etlelubrifia,tandisqueJordanseléchaitleslèvresetondulaitdeshanchesavecimpatience.LorsqueRusspénétral’orificedeJordandedeuxdoigtshumides,cedernierrejetalatêteenarrièreetpoussa.

—Ralentis,chéri,laisse-moitepréparerouturisquesdeleregretter.—Çafaitunedemi-heurequejesuisprêt,seplaignitJordan.— Pas pour ça, rétorqua Russ en entourant d’une main son érection

impressionnante.Jordanlevalesyeuxaucielenpouffant.—D’accord,d’accord.Maisdépêche-toi.Jordan était habitué à ce que ce soit rapide et obscène, mais cela faisait

longtempsqu’iln’avait rien fait.Pour faire remonterunpeude sangdans soncerveau,ils’appliquaàsedétendreetàsavourerlesdoigtstalentueuxdeRussenlui,sanstropgémirdefrustration.

— Tu es prêt pour moi ? gronda Russ, après avoir failli faire basculerJordanunefoisdeplusavecsesdoigts.

—Oui!Prends-moi!Russposa lescuissesdeJordansursesbraset s’enfonça lentementen lui

jusqu’à la garde. Jordan haleta et gémit, se sentant si incroyablement rempli.Russs’immobilisa.IldéposadetendresbaiserssurlatempedeJordan,sajoue,puissurseslèvres.

—C’estbon,chéri?haletaRuss.—Ouais,soufflaJordan.Bouge.Fais-le.Russcommençalentement,s’enfonçantprofondémentenJordanàchacune

desespousséesprudentes,maisdèsqueJordanaccompagnasonmouvementetenfonça les talonsdans les fessesdeRuss,cederniercomprit lemessageet lepritsauvagement.Jordans’accrochad’unemainàlatêtedelit,quitapaitcontre

le mur, mais il n’allait pas dire à Russ de s’arrêter. Du liquide pré-séminals’égouttait de sonmembre en un flot constant au rythmedesmartèlements deRuss.Jordangémit.

—Oui.Baise-moi.Plusfort.Seigneur.Quand il ne put plus le supporter, il empoigna son sexe et se pompa

violemmentjusqu’àcequ’ilpousseunderniercrietserépandesursonventreetson torse. Puis il retomba sur le matelas, sans force. Russ le martela encorequelquesfoisavantdejouiràsontour.

Russpouffaenseretirant,ôtalepréservatifetretombasurlematelasàcôtédeJordan.

—Punaise,chéri.Punaise!haleta-t-il.Jordansourit,lesoufflecourt.Russl’avaitsibienprisqu’ilétaitsansforce

àprésent.Iln’étaitpascertaindepouvoirretournerdanssachambre,mêmes’ilessayait,alorsilespéraitqueRussneluidemanderaitpasdelefaire.Maisilnevoulaitpasnonplusprendresaplacedanscelitpouracquise.

Avant que Jordan ait réussi à trouver comment poser la question, Russrécupérasontee-shirtausoletleluidonnapourqu’ilsenettoie.PuisilentouraJordand’unbrasetlepressacontresontorse.

Le ventilateur tournait et cliquetait au plafond, rafraîchissant leurs corpstranspirants.Jordanestimaqu’ilavaitlaréponseàsaquestionetfermalesyeux.Ilselaissaemporterparsalonguejournéeetsabéatitudepost-orgasmique.Si,àunmomentdonné,Russvoulaitqu’ils’enaille,ilpourraittoujoursleréveiller.

L’HEUREDU dîner approchait, d’après le réveil usé posé sur la table dechevet deRuss, et Jordan était toujours en partie allongé surRuss, lementonposé sur lesmains pour regarder Russ dormir. Ils avaient encore fait l’amourdeuxfoisaprèslapremièreetJordanenavaitencoredesbourdonnementsetdespalpitationsdanstoutlecorps.Ilavaitsansdoutel’aird’unidiot,àlefixerainsiduregard,maisils’enfichait.Êtrel’objetdetoutel’attentiondeRussdanssonvieuxlitgrinçantn’avaitvraimentrienàvoiravectoussescoupsd’unsoir,sesbaisesdanslestoilettes,lesruellesoulessaunas.UnefoisqueRussavaitdécidédes’atteleràquelquechose,ilétaitd’uneintensitéincroyableetJordann’avaittoujourspaseuletempsdereprendresesesprits.

Malheureusement, une porte claqua au rez-de-chaussée, l’empêchant depoursuivredavantagesonobservation.Russouvritunœil,encoreensommeillé,etluiadressaunpetitsouriresexy.

—Quoi?demanda-t-il.

Prisenflagrantdélit,Jordanrougitetsourit,penaud.—Rien,répondit-ilensecouantlatête.Russ leva un bras au-dessus de sa tête et s’étira de tout son long, posant

l’autresurleflancdeJordan.Commelerestedel’après-midi,RusscommençaàexploreretcaresserlapeaudeJordan,commes’ilnepouvaitpass’enempêcher.Jordaneutenviederonronner. Iln’imaginaitpasqueRusssoitaussi tactile,etmaintenantqu’ill’avaitdécouvert,ilressentaitl’envieridiculedefaireunepetitedansedelajoie.

—Tumeregardaisbientropintensémentpourqu’iln’yaitrien,commentaRussenpouffant.

—Désolé.—Ne t’excuse pas. Je n’ai pas dit que c’était unemauvaise chose.Mais

quelquechosetetravaille,manifestement.Jordansemordillalalèvreetsetortilla.— J’ai juste… Tu vas devoir être indulgent avec moi quelque temps.

Commejetel’aidit,jesuisarrivéiciunpeutraumatisé.Ilvamefalloirunpeudetempspourm’yhabituer.

—Àquoi?—Àtagentillesseavecmoi.Jeveuxdire,àtavéritablegentillesse,legenre

quimefaittotalementfondre.— Tu veux que j’arrête ? demanda Russ en haussant les sourcils et en

interrompantlemouvementdesesdoigtssurledosdeJordan.—Ouhlà,non,jeneveuxpasquetuarrêtes.Ilvajustemefalloirunpeude

temps pourme faire aux événements des derniers jours…Non, des dernièressemaines.Riennes’estpassécommejel’imaginais,jepense.Jenesaispas.

Il fronça les sourcils, impuissant. Il n’arrivait pas à s’expliquercorrectement.LesouriredeRussdisparut.CedernierposalesmainssurlatailledeJordanetlesoulevaunpeu.Puis,Russroulasurleflancet,unefoisJordanetluifaceàface,ill’embrassa,s’emparadelabouchedeJordanjusqu’àcequecedernier arrête de s’inquiéter et se laisse aller. Quand ils se séparèrent, Jordanposalatêtesurl’oreiller,justeàcôtédecelledeRuss,etsoutintleregardinquietdecedernier.

—Toi,quandtuprendsunedécision,tunelaprendspasàmoitié,letaquinaJordan,essoufflé.

Russrepritsonsérieuxethochalatête.— On devrait peut-être commencer par ça, parce que c’est sans doute

quelque chose que tu devrais savoir à mon sujet tout de suite, avant que çan’ailleplusloin.

UnesensationdemalaisetorditleventredeJordan.

—C’est-à-dire?—Tu neme connais pas assez pour l’avoir constaté par toi-même,mais

pour lemeilleuroupour lepire, je suisunhommesansnuance.C’est toutourien,avecmoi.Soitjesuisàfond,soitpasdutout.Iln’yapasd’entre-deuxavecmoi.J’aiétéainsitoutemavie.

Russ laissa à Jordanquelques instantspour assimiler sesparoles avantdepoursuivre:

—Jen’ensuispasforcémentfier,maisàcestadedemavie,jenepensepasque ça va changer.Donc, si tu ne veux pas, ou si tu ne peux pasme faire lamêmepromesseenretour,autantmelaissertoutdesuite.

Jordanécarquillalesyeuxethaussalessourcils.Ilreculaunpeu.—Euh…J’ignorecequetuveuxdire.Jesuisunpeuperdu,encemoment.

Jenesaispasdutoutcequejeveuxfairedemavienioù.C’estjustementpourlecomprendrequejesuisvenuici.Situveuxquejetefasseunepromessepourdulongterme,jenepensepaspouvoirlefaire.

Russpouffa.—Monange,jenesuispasaveugle.J’avaiscomprisquetutraversaisdes

choses difficiles en ce moment, même si je ne me montrais pas vraimentcompréhensif. Tu ne sais pas où tu seras la semaine prochaine, encoremoinsl’annéeprochaine.Jesais.Cen’estpascequejetedemande.

—Alors,qu’est-cequetumedemandes?— Je te demande deme dire que tu es avecmoi à cent pour cent, pour

l’instant. Je ne joue pas un jeu. Je ne suis pas du genre à faire l’idiot et lescoucheries occasionnelles nem’intéressent pas. Si tu es avecmoi, tu es avecmoi. Il n’y aura que nous deux, impliqués dans une relation, sans hésitation.Manifestement,nousallonsnousvoirtouslesjours,donciln’yaurapastoutescesconneriesde«Est-cequ’ilvaappeler?»,«Est-cequ’ilm’apprécie?»ou«Est-cequ’ilveutpasserdutempsavecmoi?»parcequelaréponseestoui.Etsi quelque chose te tracasse, dis-le. Si tu veux quelque chose, demande, et jeferaipareil…Pourletempsqueçadurera.

JordaninspiraprofondémentetétudialevisagedeRuss.—Exclusifs?—Yep.—Pluscommeunvraipetitcopainquequelquesrencards?—«Petitcopain»faitunpeutropadolescentpourmoi,maisouais,dans

l’idée,c’estça.—On dort ensemble ? On se tient la main ? Onmontre notre affection

mutuelleenpublic?Onsecâline?Onfaitdelonguesmarchessurlaplage?Russrenifla.

—Nousn’avonspasdeplage.Maisnouspouvonsfaireunelonguebaladeennoustenantlamainoùtuveux.Donc,qu’est-cequetuendis?

—Seigneur,tuvasviteenbesogne.Russfitunegrimaceethochalatête.—Jesais.Cen’estpastoujoursunebonnechose.—Jen’aipasditnonplusquec’étaitunemauvaisechose,répliquaJordan.Lesbruitssefirentplusnombreuxaurez-de-chaussée,ledistrayant.— J’imagine que nous devrions nous lever avant qu’on vienne nous

chercher,non?— Seulement si tu le veux. Nous avons sans doute déjà manqué le

nettoyagedefindejournée,donciln’yapasd’urgence.Phylnousavusmonterensemble.Sielleabesoindenous,ellepourratoujoursveniràl’étage.

—NousdevrionssansdouteallervoircommentvaMarina,celadit,non?poursuivitJordan.

Quand il prit conscience qu’il n’avait pas pensé à la jument depuis desheures,ilenressentitunpincementdeculpabilité.

Russ s’écarta de lui, plongea la main sous le lit et en ressortit sonordinateur.Ill’allumaetouvritunevidéo-surveillancedel’écurie,quimontrait,cettefois-ci,uniquementleboxdeMarina.

— Il y a de grandes chances que Phyl ait envoyé quelqu’un vérifiercommentelleallait,maisj’aiquandmêmedéplacélacaméracetaprès-midipourpouvoirlasurveillerdepuisici,cettenuit.

La jument avait l’air d’aller bien. Elle mâchouillait tranquillement sanourriture, repoussant lesmouchesdesaqueue,sansmontrer lemoindresignededétresse.

JordansouritàRuss.—Tupensesàtout,hein?Tuavaistoutplanifié?Russsouritencoinetsecoualatête.—Jenecroispasavoirplanifiéquoiquecesoitdepuistonarrivéeici.—Ouais,c’estça,tuasfaillim’avoir.LepetitsouriredeRusssemuaengrandsourire.—C’esttoutel’astuce,justement.Unhommedoitsavoirpréserversafierté.Jordanluirenditsonsourire,puisredevintsérieux.—C’étaitdoncjusteunequestiondefierté?Parcequej’avaisvraimentle

sentimentquetunem’aimaispas.Russsoupira,s’appuyasuruncoudeetsoutintleregarddeJordan.—Je suis désolé.Comme je te l’ai dit, tu avais raison.Même si toutme

disaitlecontraire,jet’aijugéd’aprèsdescritèresquetunemaîtrisaispasettumel’asjustementreproché.Levraitoiestsacrémentirrésistible,decequej’en

saispour l’instant,et j’avaispeurque tune t’approches tropprès,purementetsimplement.

Jordanledévisageaquelquessecondes,incrédule.—Waouh.Tuasvraimentdécidédetoutdéballer.LeriredeRussrésonnadanssapoitrinetandisqu’ilesquissaitunsourireen

coin.—Jepensaisceque j’aidit.Quandjem’engage, jem’engage.Jene joue

pas àdes jeux stupides. Je suismêmepresque trophonnête avec lesgensquej’apprécie. Je déballe tout… Peut-être que tu pourras comprendre à présentpourquoi jememontre très prudent avant de laisser entrer quelqu’undansmabulle.Pourquoijesuispleind’épinesàl’extérieur.

—Pournepasêtreblessé,endéduisitJordan.Parcequetuasétéblesséparlepassé.

Russhochalatêteetesquissaunpetitsourire,toutenpassantlesdoigtssurlescheveuxdeJordan,lelongdesagorge,sesclavicules,faisantfrissonnercedernier.Ilfermalesyeuxetselaissaalleràcescaresses,maisfitdesonmieuxpournepasperdrelefildesespensées.Cetteconversationétaitimportante.

—Est-cequec’estToddquit’ablessé?Russinterrompitsacaressequelquesinstantsavantdelareprendre.—Nan,il…Enfin,ouais,j’imaginequeoui.Safaçond’agirmaintenantme

donne l’impression qu’il m’a fait une faveur il y a quelques années, en melarguantpouravoirunevie«normale»avecMollyShelton.Maisjetementiraissijetedisaisqu’àl’époqueçanem’apasblessé.

—Tuavaisl’airplutôtencolèrecontrelui,dansl’écurie,rétorquaJordan.—J’étaisagacéetdéçuparlui,maiscen’étaitpasàcausedeluiquej’étais

énervé.Jordansetortilla,malàl’aisefaceausourireencoindeRuss.Ilseraclala

gorgeetpoursuivit:—Cen’estpasluinonplusquit’afaitdétesterlesgensriches,supposa-t-il.CommeRusslevaunsourcil,Jordanhaussalesépaules.—Jenesaispascequ’ilfaitcommeboulotousafemme,mais iln’apas

l’air demanquer d’argent. Cela dit, je n’ai pas le sentiment qu’il vient d’unefamilleriche.

—Ettupeuxledevinerrienqu’enleregardant?Jordanlevalesyeuxauciel.—Jesais, jesais.Jevaiscontrediretoutcequejet’aidit toutàl’heureà

proposdesstéréotypes,maisparfois,c’estjusteévident.Donccen’étaitpaslui,si?

— Non. Ce n’était pas lui. C’était Theo. J’étais plus jeune que toi

maintenant…Nousl’étionstouslesdeux.Jetravaillaissurleranchdesonpèreunété.

Russ balaya sa remarque de la main, comme si le contexte n’avait pasd’importance,puislareposasurlapeaudeJordan.

—Ilétaitlumineuxetenjoué,etmoi,tropjeuneetstupidepourvoirau-delàde la surface avant qu’il ne soit trop tard. Il m’a jeté comme une vieillechaussettedèsquedelachairfraîcheestarrivéeauranch.

—Jesuisdésolé.Russluisouritetl’embrassatendrement.— Ce n’est pas de ta faute. Il a été mon premier amour. Et tu n’es pas

commelui.Jordanfitlagrimace.— Je ne suis pas non plus la personne la plus stable du monde, en ce

moment,admit-ilàcontrecœur.Tuasditquetunevoulaispasjoueràdesjeuxetque nous devrions être honnêtes l’un avec l’autre, donc pour l’être, je devraissansdoutetedirequejesuisplutôtbousillé,encemoment…Pourlecasoùtunet’enseraispasencorerenducompte.

Russluisouritgentimentetl’embrassasurlatempe.—Jesaisquetuasbeaucoupdechosesàrésoudre.Jet’aiderai,sijepeux,

etsurtout,dis-moisi jerendsleschosespirespourtoi.Soishonnêteavecmoi.C’est toutceque je tedemande.Jenevaispas te forcerà fairedespromessesque tu n’es pas enmesure de faire.C’est tout nouveau et nous verrons où çanousmène.Toutcequejetedemande,c’estd’êtreàcentpourcentavecmoi,icietmaintenant.C’esttout,d’accord?

Jordanhocha la tête. Ilétaitdenouveauétranglépar l’émotion,commelesentimentalqu’ilétait.ÊtreadulteetdonneràRusslesmêmesassurancesqueluienretourétaitapparemmentau-dessusdesesforces.

—Allez,viens,ditRussensortantdulit.Allonsvoirenbass’ilyaquelquechoseàmanger.Jemeursdefaim,etjepensequetoiaussi.

MangerétaitladernièrechosequeJordanavaitàl’esprit,maiscommeRussenfilaitdéjàsonjean,ilselevaàcontrecœuretramassasesvêtementséparpillés.

XVI

AVANTL’AUBE,Russsortitdesachambreetdescendit l’escalieràpasdelouppournepasréveillerJordan.Ilsétaientalléssecouchertôt,aprèsqueRusss’étaitassuréqueJordanmangeautantqu’unhommeadulteactifdevraitlefaire,maisilsn’avaientpasdormipendanttoutelanuit.Certainsmomentsavaientétéplusamusants,saufceuxoùJordans’étaittournéetretournédanssonsommeilàcausedesescauchemars.

Au moins, faire manger Jordan n’avait pas été aussi difficile que Russl’avait craint, donc peut-être que les problèmes que Jordan avait avec lanourriture étaient plus liés au stressqu’il subissait qu’àquelque chosedepluspermanent. Russ s’était sans doute inquiété pour rien.Après tout, le corps deJordannemontraitpaslemoindresignedesous-nutrition,àpartquandils’étaitbrièvementévanoui.Jordanétaitaussibeauqu’unmannequindemagazine,delatêteaupied.

Phyln’étaitpasdanslacuisine,maislacafetièreétaitpleineetchaude.Russseversaunetasseets’installaàsaplace,sur la terrassecouverte. Ilgrognaens’asseyant sur le fauteuil à bascule de Sean et en posant les jambes sur larambarde. Tous ses muscles se rebellèrent contre cet étirement, mais il avaitbesoin de relâcher un peu de tension. Il n’était plus aussi jeune qu’avant etn’avaitpaseud’amantdignedecenom–c’est-à-dire,unhommedignedecenomaveclequelilpouvaitprendresontempsetfaireleschosescorrectement–depuisprèsdetroisans.Apparemment,ilyavaitquelquesmusclesqueletravailau ranch et ses occasionnels coups d’un soir àDallas, rencontrés en ligne, nefaisaientpastravailler.

Commelamoustiquairegrinçait,ilcacharapidementsonsourirederrièresatasse.

—Necherchepasàlacacher,attaquaPhylens’asseyantsursonfauteuil.J’aidéjàvucetteexpressionavantetjesaisparfaitementcequ’ellesignifie.

—Phylchérie,jen’aipaslamoindreidéedecedonttuparles.Ellelevalesyeuxaucieletsourit.—N’essaiepasnonplusdemefaireducharme,cen’estpastonfort.Russ pouffa et sirota son café, abandonnant ses tentatives de paraître

innocent.

—Tusaisbienquec’estcequej’essaiedetefairecomprendredepuisdesannées. C’est toi qui n’arrêtes pas d’essayer de m’entraîner à faire ça pourpouvoircharmerlesdonateurscommetulefaissibien.

—J’imaginequenotregarçondorttoujours?demanda-t-elleenchangeantdesujet.

—Quand je suis parti, oui, en tout cas, réponditRuss, qui ne voyait pasl’utilitédetournerautourdupot.

—Pourêtrehonnête,j’aiétéunpeusurprise,vucommenttutecomportesavecluidepuissonarrivée.J’imaginequevousavezaplanivosdifférends?

Russneputs’empêcherdesourire.—Onpeutdireçacommeça.Phylgardalesilencequelquesinstants,maisRussvoyaitbienqu’elleavait

quelquechoseàl’esprit,alorsilsirotasoncaféetattendit.— Je sais que ce ne sont pas vraiment mes affaires, commença-t-elle,

hésitante.Tuesunadulte,toutcommelui.Maises-tusûrquecesoitunebonneidée?Cejeunehommeabeaucoupdechosessurlefeu,àl’heureactuelle.Jenecroispasqu’ilsachemêmeoùilenest,s’ilvas’attarderourentrer,situvoiscequejeveuxdire.

Russs’étouffaenentendantlablagueinvolontaire.Ils’essuyalabouchedudosdelamainetseraclalagorge.

— Je sais qu’il a des problèmes. Je vois bien que tu t’inquiètes pour lui.Maiscrois-moi,nousenavonsparlé.Jenevaispasleblesser,Phyl.

—Cen’estpaspourluiquejem’inquiète.Russfronçalessourcils,perplexe.Phyllevalesyeuxauciel.—Bon, d’accord, jem’inquiète unpeupour lui aussi. Il a l’air d’être un

jeunehommeadorableetaétévisiblementblessé.—Jemesouvienstrèsclairementdet’avoirentendumedired’enlevermes

œillères et d’être gentil avec lui… etme rappeler à de nombreuses occasionsl’importancedelacontributionfinancièredesesparentsàceranch.

—Oui,etjelepensais,maisilyaunedifférenceentreêtregentilavecunepersonneendétresseetcraquerpourelle,souffla-t-elle.TuoubliesqueSeanetmoiétionslàquandIsaiahestparti.Jeneveuxplustevoiraussimeurtriquecejour-là.Tusaisbienquetonbonheurseratoujoursplusimportantpourmoiquen’importequelledonation.Ettudevraissavoir,depuisletemps,quejesaisbienquetun’espasaussidurquetuleprétends.Legarçonàl’étagevas’enaller,unjour.Iln’estpasàsaplaceici.

—Jesais,soupiraRuss.Net’inquiètepas,jelesais.Isaiah,çam’asurpris.Mêmesi,aveclerecul,çan’auraitpasdû.Ilavaitbientropderêvespourcettepetitepartiedumonde,mêmesi sa famillevenaitd’ici.Avec Jordan, je sais à

quoim’attendre.Quand il aura démêlé ce qu’il a à démêler, je serai prêt à leregarders’enaller.

RusssouritenréponseauregarddepurscepticismequeluienvoyaPhyl.—Jenedispasquej’enseraisheureux,précisa-t-il,maisjelefaisentoute

connaissancedecause,cettefois-ci.Cettehistoiren’estquetemporaire.Etpourêtrehonnête,jepensequenouspouvonsnousfairemutuellementdubienentre-temps,donc…

Ilhaussalesépaules.Phylsoupiraetsereleva.— Je vais essayer de te croire, sur ce coup-là. Je vais préparer le petit

déjeuner.Jordan arriva dans la cuisine d’un pas traînant une demi-heure plus tard,

presqueaussiapprêtéquelorsdesapremièresemaineauranch,maisbeaucoupplusbeaudanslevieuxjeandeRussetcetee-shirt.

— J’aime voirmes vêtements sur toi, murmura Russ d’une voix rauque,toutens’approchantdeluipourluidonnerunbrefbaiser.

JordanécarquillalesyeuxetlançaunregardnerveuxàPhyl.Russpouffa.—Jet’aipromisdetemontrermonaffectionenpublic,non?Jordan lui renvoya un sourire hésitant, certes, mais adorable. Russ était

impatientdeseretrouverseulavecluidansl’écurie.—Arrêtezderoucoulercommedescolombesetmangez,ordonnaPhylen

posantuneénormeassiettegarniedetoasts,desaucissesetdebaconsurlatable.Onestdimanche,pourlecasoùvousl’auriezoublié.Vousavezunpeudetempsdevant vous, mais quand lamesse sera terminée, nous serons envahis par leshabitués et des petits nouveaux gonflés à bloc, mourant d’envie de faire une« bonne action ». Prenez des forces maintenant, tant que vous en avezl’occasion.

Sceptique, Jordan fixa l’assiette du regard, mais Russ parvint à lui faireavaleruneportioncorrecteenplusdesœufscuitsparPhyl,enlemenaçantdelenourriravecsesdoigtsenprésencedePhyl.

Commeannoncéparcettedernière,une fouledebénévolesetdevisiteursdébarqua juste après le brunch du dimanche. En règle générale, Russ adoraitrencontrer de futurs adoptants potentiels, discuter des avantages et desinconvénients,déterminersiunefamilleconviendraitàtelanimal.Voirsondurlabeurporterses fruitsquand lesanimauxmaltraitésounégligésàuneépoquetrouvaient leurfoyerdéfinitif lui faisait toujourschaudaucœur.Maisc’étaienttouslesautresquiusaientsapatience.Àlafindechaqueweek-end,ilenavaitsaclaquedecôtoyerlesvisiteursetétaittoutàfaitprêtàs’asseoiraucalmeavecquelquesbières.Cedimanchenefitpasexceptionàlarègle.MêmesicertainespartiesdesoncorpsfrémissaientencoredetoutcequeJordanetluiavaientfait,

sapatiences’amenuisaitdangereusementenfind’après-midi.—Nousavonsbesoind’eux…D’eux tous,dechaquecentime,detoutela

publicitéqu’ilspeuventnousfaire,ycomprissurlesréseauxsociaux,detouslesenfants découvrant lamanière correcte de traiter un animal, se répéta-t-il toutbas, comme un mantra, alors que deux petits garçons apparemment sanssurveillanceluirentraientdedansencriantetgloussant,effrayantlesânesdansleurenclos.

Lesbénévoleshabituels,PhylouencoreJordan,maintenant,étaientplutôtdouéspourgérer lesenfants lesplus turbulents,mais ilsnepouvaientpasêtrepartout à la fois non plus. De nos jours, comme les parents prêtaient plusd’attention à leur portable qu’à leurs enfants, tout lemonde devait semontrervigilant.

Lesdeuxgarçonssanssurveillancepoussèrentdenouveauxcrisperçantsencourant et l’irritation de Russ fut à son comble. Il poussa un grognement etcommençaàleurcouriraprèspourlesrameneroùilsdevraientsetrouver,maisilnefutpasassezrapide.Ilsseglissèrentsouslescordesentourantl’enclosdeCalliope, ignorantmanifestement lespanneauxavertissant«N’approchezpas!Ellemord!».Unélandepurepeurfitaccroîtresonirritationetillescoursa.Leranch n’avait pas besoin d’être poursuivi en justice ou de voir leur primed’assurancegrimperenflèche.

RusssemitentrelesgarçonsetCalliopeethurla:—Sortez!Sortezd’ici!Vousnesavezpaslire?Les deux enfants le dévisagèrent dans un silence stupéfait pendant deux

secondesenviron,avantde s’éloignerde lui enhurlant. Ildut sepencherpouréviteruncoupdebecdeCalliope,maiselleparvintquandmêmeà lepinceràl’épaule.Russpoussadesjuronsetjetaunregardnoirauvolatilequisemoquaitdelui,ilenétaitcertain.Ilfrottalapartieconcernéeetsuivitlesdeuxgarçonsàgrands pas pour leur passer un savon ainsi qu’à leurs parents,mais Jordan luiposa unemain sur l’épaule et frotta la zone douloureuse, ce qui l’interrompitdanssonélan,justeaprèsqu’ileutfranchilescordes.

—La journéeestpresque terminée.Plusquedeuxheuresà tenir,puis ilsseronttouspartis,murmuraJordan.

Puis, il s’approchaetbaissa lavoixpourque seulRusspuisse l’entendre,sonsoufflechaudeffleurantl’oreillesensibledeRuss.

—Etencorejustedeuxheuresdeplusavantquejemeretrouvedanslelit,soustoi…ousurtoi,ouentoi,commetuveux.

Stupéfait, Russ dévisagea Jordan, qui sourit lentement, puis commença às’écarter.MaisRussl’attrapaparlebraspourl’interrompre.Iltournaledosauxgensetmurmuratoutbas:

—Jepréfèreêtresurtoipourpouvoirteregarder.Tuesmagnifiquetoutletemps,maisquandtujouis,tuesépoustouflant.

CefutRussquirepartitd’unpasnonchalant,cettefois-ci,maisilprituntonbeaucoupplusraisonnablepourmettreengardelesdeuxgarçonsetleursparentset leur faire un sermon sur les dangers que représentaient les animauxmême«domestiqués»pourlesenfantssanssurveillance.

Lorsqu’il surprit le sourire chaleureux de Jordan, qui se trouvait dansl’enclos des chèvres à ce moment-là, Russ se rengorgea malgré lui. Ilaccompagnamêmelafamillejusqu’àCalliopeetleurfitundiscourssurtoutcequ’ilavaitapprissurlesautruchesdepuisqu’elleétaitarrivéeauranch.

—Onpeutl’adopteraussi?demandal’undespetitsgarçonsquandRussentermina.

Russ avait vu les yeux du gamin s’illuminer quand il avait comparéCalliopeàundinosauredestempsmodernes.L’expressionhorrifiéedesparentsdu petit garçon fit pouffer la petite foule qui s’était rassemblée autour d’euxpendantqueRussparlait.Cedernierritàsontour.

—Désolé,maisellevasansdouterestertoutesavieavecnous.Sonancienmaîtrel’adoraitplusquetout,maisn’aunjourplusétéenmesuredes’occuperd’elle.Ceneseraitpasjuste,ànotreavis,del’envoyerdansuneexploitationàprésent, et peu de gens voudraient d’elle, vu son âge.Mais ne t’inquiète pas,nous allons bien nous occuper d’elle, ici, et tu pourras venir lui rendre visite.Maisne t’approchepas tropprès.Crois-moi surparolequand je tedisqu’ellepeutêtresacrémentgrincheuse.

Dèsquelafoulesedispersa,Russserenditàl’écurie,quandsonlégerélandesociabilitéretomba.Lesfamillessedirigeaientdéjàversleursvoitures.Ilnefaudraitpluslongtempspourquereviennesonsilencebéni.

— Sacrée petite conférence que tu as donnée. J’étais impressionné,commentaJordanderrièrelui.

Russnes’embarrassapasd’uneréponseverbale.IlsaisitJordanparlebraset l’attira dans un box vide, hors de vue. Le jeune homme poussa uneexclamationdesurprise,quiseperditdanslebaiserenfiévréqueRussmouraitd’envie de lui donner depuis le petit déjeuner. Quand il laissa enfin Jordans’écarter,cedernierjetaunregardinquietautourdelui.

—Qu’est-ilarrivéautyped’hierquiserévoltaitcontrelescomportementsinappropriésenprésencedesgamins?boudaJordan.

—Aucundecesgossesn’estàmoietnousnefaisonsquenousembrasser.JordanseléchaleslèvresetjetaunregardbrûlantàRuss.—Turendstrèsdifficiledesortird’icisansmontrerquelquechosedetrès

inappropriéauxenfants,commenta-t-ilengrimaçantetenrajustantsonpantalon.

—Jeteproposeraisbiendet’aider,maisçaneferaitsansdoutequ’empirerleschoses,répliquaRussavecungrandsourire.

Jordan jeta un faux regard noir àRuss, lissa son tee-shirt bien repassé etsoupira.

—Àmoinsquetun’aiespariciunepiècesefermantàcléetdontj’ignoraisl’existence,jeteprendraisbienaumot,maispuisquecen’estpaslecasetquejedois toujours aller aiderPhyl, j’ai besoinque tugardes tesmains et tes lèvrespourtoipendantquej’essaiedemerendredenouveauprésentable.

Russseseraitbienexcusé,maisilnesesentaitpasvraimentdésolé.Il luifaudrait un peu de temps pour lui-même faire baisser la vapeur avant d’êtredécentenpublic,maisilavaitégoïstementvouluévacuerunpeudelatensiondelajournée,etJordann’ensemblaitpastropbouleversé.

— Après le dîner – ou peut-être avant, si on arrive à s’échapper –, jem’occuperaidetoi,promit-il.

Jordan poussa un grognement douloureux, ferma les yeux et se cognalittéralementlatêtecontrelemurenboisleplusproche.

—Russ, gémit-il.Maintenant, je nevais penser qu’à ça, saufque je doisencorefaireducharmeàcertainesfamilles.

Russpritpitiédelui.Ilsortitduboxetsedirigeaverslasortie.—Jevais allervoirMissy, entre autres.Plusieurs famillesont remplides

demandes d’adoption aujourd’hui, alors je doism’assurer que les chevaux quiles intéressent soient aussi prêts que possible. Tu n’as qu’à rester quelquesminutesavecMarinapourtecalmer,suggéra-t-ilavantdepartir.

XVII

SECONCENTRERsurfaireducharmeàdesétrangersetleurfaireparlerduranch autourd’eux et de tout le bienqui y était fait fut unvéritabledéfi pourJordan,quin’avaitqu’uneseuleenvie:montersurlelitdeRussetypasserlerestedesavie.Mêmelesdégâtsqu’ilavaitlaissésenVirginieneluiparaissaientplus aussi insurmontables alors que son cœur et son corpsbourdonnaient sousl’effet des hormones du bonheur. Le raz-de-marée avait un peu reflué pourl’instantetilallaitprofiterdececadeausanschipoter.

Était-ceagirenadulteresponsable?Non.Allait-illefairemalgrétout?Ohqueoui.—Jordan,c’estfini?demandaPhyllisquandledernierSUVsedirigeavers

laroute.—Jecroisbienqueoui.Ellepoussaunsoupiretsecoualatête.—Un nouveau dimanche de terminé. La journée s’est très bien passée à

monavis.—Jesuisd’accord.Phyllisseposaunemainsurlesreins,s’étiraetgrogna.—Tuveuxbienallervérifiertouslesportailspourmoi?Pourt’assurerque

personnen’aoubliédefermer?Jevaisallerpréparerledîner.Ellemarchalentementverslamaisonets’appuyalourdementàlarambarde

enmontantlesmarchesdelaterrasse.—Hé,Phyl,l’interpellaJordan.—Oui?—Etsituallaistereposer?Lajournéeaétélongue.Russetmoipouvons

noustrouverdequoidîner.Tun’aspasbesoindenousfaireàmanger.Celane faisait pas longtempsqu’il était au ranch,mais Jordan s’attendait

pourtantàcequ’elleproteste.Cependant,elleeutunsourirelasethochalatête.—Merci,trésor.Pournerientecacher,jeferaisbienunepetitesieste.—Est-cequetuveuxquenoust’apportionsquelquechoseàmangertoutà

l’heure?

— Merci, Jordan, c’est gentil, mais je vais prendre quelque chose enpassant.Ilyapleinderestesdanslefrigo.

Elleméditauneseconde,puisluiadressaungrandsourire.— Je pense que je vais rester toute la soirée dans ma chambre, donc

profitez-enbientouslesdeux,d’accord?Jordann’étaitpas certainqu’elleparlait decequ’il croyait,mais il rougit

malgrétout.Ilseraclalagorgeetdit:—Bonnenuit,Phyllis.—Bon-nenuiiiiiiiit,chantonna-t-elleenrentrantdanslamaison.Jordanvérifiatouslesenclosets’assuraquetouslesanimauxavaientdela

nourriture,àboireetétaientprêtspourlanuit,puisiltrottajusqu’àlamaisonetmonta lesmarches quatre à quatre.Dans la salle de bain, il ôta ses vêtementssales et trempés de sueur et sauta dans la douche pour un récurage enprofondeur. Si la nuit à venir était à l’image de la nuit précédente, il devaits’assurerquechaquecentimètredesoncorpsétaitpropreetprêt.Sonsexesemitàpalpiteretàgonfleràmesurequ’ilserejouaitlesimagesdetoutcequeRussluiavait fait,mais il résistaà sonenviede s’enoccuper.S’il avaitbienapprisune chose, la veille, c’était combien une jouissance différée était gratifiante.Avec tous ses coups d’un soir, il avait été question de jouir vite, ce qui étaittoujours bien en soi, mais insatisfaisant au bout du compte. Apparemment, ilétaitromantique,aufonddelui…ouaumoinssensuel.

—Quil’auraitcru?Sonrefletdanslemiroirneluiréponditpas.—Merde,jura-t-ilenseregardantdetouscôtés,lessourcilsfroncés.Sesmusclesn’étaientplusaussibiendessinésqu’avant.Iltravaillaitdurau

ranch, donc il n’avait pas pris de poids, mais apparemment, ses tablettes dechocolatetsonfessierfermen’étaientdusqu’àsesséancesensalledesport.Ildevrait en trouver une très bientôt. Maintenant qu’il avait trouvé quelqu’undésirant se familiariser avec chaque parcelle de son être, il ne pouvait pas sepermettredeselaisseraller.

Maisrepenseràlasalledesportfitrevenirleraz-de-maréedetoutceàquoiilessayaitd’éviterdepenser. Ilnepouvaitpaspayer l’abonnementensalledesport, à l’heure actuelle. Jusqu’où devrait-il aller pour en trouver une ? Il nepouvaitmêmepaspayerunabonnementàlongterme–moinscher–puisqu’ilnesavaitpascombiendetempsilresteraitici.Etmêmes’ils’yrendait,iln’avaitpasdequoipayerl’essence.Etl’assurance?Ilnepouvaitpaspayerl’assuranceducabriolet.

Jordanfermalesyeuxetsesecouapourrepoussercespenséesleplusloinpossible. Il n’était pas encore prêt pour l’instant, et quelque part, au rez-de-

chaussée,l’attendaituncow-boyexcitéetchaudcommelabraise.Il se sécha rapidement les cheveux et les coiffa au gel, puis revêtit un

pantaloncargodemarqueetunpolo.Avecunpeudechance, ilseraitnupoursesactivitésnocturnes,doncilpouvaitportersespropresvêtementsenattendant.

Leclaquementde laporteenbas fut l’indicationqu’ildevait sedépêcher.Après un dernier regard rapide dans lemiroir pour s’assurer qu’il n’avait rienoublié,ilseprécipitaaurez-de-chausséepouraccueillirRuss.

—Salut,toi,dit-ilendévalantlesdernièresmarches.LesyeuxdeRuss s’illuminèrent tandisqu’il admirait Jordande la têteau

pied.—Ehbien,tut’esfaitbeau.Jordans’approchadeRuss,maisilrecula.—Jesuiscouvertdepoussière.Jeviensjustedemonter.Jeneveuxpaste

salir,pasquandtuesaussiapprêté.IlregardaderrièreJordanetfronçalessourcils.—OùestPhyl?LesouriredeJordans’agrandit.— Comme elle était fatiguée, je lui ai dit que nous pouvions nous

débrouillerseuls.Ellem’aditqu’elleallaitpasserlasoiréedanssachambre.—Ahoui?UnsourireencoinapparutsurlevisagedeRuss.Lesmainstoujoursdans

les poches, il se pencha pour embrasser Jordan sur la nuque, juste sous sonoreille.

— Je suppose que nous pourrons facilement trouver quoi faire de nous-mêmes,murmura-t-ilentredeuxmordillementsetcaressesdesonnezoudesalangue,surunepeauqueJordanneconnaissaitpasaussisensible.J’aid’ailleursquelquechoseentêtequej’aimeraisbienavaler,là,maintenant.

Jordaneneutlachairdepoulesurlesbrasetlanuqueetilfrémit.Ilallaitencore avoir besoin d’un peu de temps pour s’y faire, mais ce truc de petitcopaininstantanéavaitsesavantages.Russnetergiversaitpasetn’hésitaitpas.Ilagissait comme s’ils sortaient ensemble depuis desmois, et non des heures –d’après l’imagequeJordanse faisaitd’une relation.S’ilne lesavaitpas tenusdanssesmainsetn’avaitpassenticombienilsétaientdoux,ilauraitjuréquecedernieravaitdestesticulesenacier.Il trouvaitcetteconfianceenluisacrémentsexy.

Sansautreavertissement,Russrecula,passaundoigtdanssaceintureetletira jusque dans le salon. Il plaqua Jordan contre unmur, semit à genoux etouvrit la ceinture, le bouton et la fermeture éclair du pantalon. Le cerveau deJordann’eutpasl’opportunitédesemettreàjouravantqueRussl’avalejusqu’à

lagardeenuneseuleprise,leprenantjusqu’aufonddesagorge.—Seigneur,Russ!QuandRuss ronronna, Jordan en eut les genoux tremblants.Russ relâcha

sonmembredansunbruitdesuccion,luifitunclind’œiletdit:—SurveillelebruitdelaportedePhyl,justeaucasoù.Jordann’eutpas l’occasiondeformuleruneréponsequeRusslereprenait

toutaufonddesabouchefantastiqueetdivine.Jordandécolla.Phyllisauraitpusortirdesachambreaccompagnéed’unefanfare,ilnel’auraitpasentendueetils’enseraitencoremoinssoucié.RienneluiferaitdemanderàRussd’arrêter.

Ilécartalesjambesaussigrandquesonpantalonleluipermettaitetinclinalebassinversl’avant.Ilfitunepremièrepousséehésitante,puisRuss,quiavaitjusque-là la main à la base du sexe de Jordan, la décala sur la hanche de cedernier et l’incita d’un geste à continuer. Jordan réprima un gémissement etcommença à baiser la bouche deRuss, les yeux grands ouverts, de crainte derateruneseulesecondedecespectacleenvoûtant,desonsexeentrantetsortantdecettebouchesuperbeettalentueuse.

—Jevaisjouir,prévint-ilenhaletant.Russ le suça plus fort et enfonça les doigts dans sa hanche pour

l’encourager.Les testiculesde Jordan se resserrèrent. Il attrapa lescheveuxdeRuss à pleine main et se vida dans sa bouche en se mordillant la lèvre pourretenir soncri.Russ avala jusqu’à ladernièregoutte.Puis il recula etposaundouxbaisersurleméatdeJordan,puisunautreàl’intérieurdesacuisse,avantdeleregarderensouriant.

—Jesuisunhommedeparole,haletaRuss.—Vienslà,ordonnaparesseusementJordan.Ilfitremonterlecow-boypourpouvoir l’embrasser,maisRuss l’empêcha

defrottersoncorpsausien.—Jeneveuxpasquetusoissale.Jordanpouffaetlevalesyeuxauciel.—Tuviensdemesucerlaqueueàmoinsdedixmètresdelachambrede

Phyllis.Jepensequejeviensdéjàd’êtreunpeusale.RusspassaledosdelamainsurlajouedeJordan,quileregardaitdansune

brumepost-orgasmique.—Jevaisallermelaveràl’étage.Tuveuxbienvoirsitupeuxnoustrouver

quelquechoseàmanger?Jedoisreprendredesforcespourtenirlerythmeavectoi.

—D’accord, répliqua Jordan, qui avait plutôt le sentiment que c’était luiqui avait des difficultés à suivre le rythme. Hé ! le rappela-t-il quand Russatteignitl’escalier.

—Oui?—Ettoi?Ilmesemblequ’unpeuderéciprocitéestàl’ordredujour.—Pasbesoin,souritRuss.Jemesuisdéchargéenmêmetempsquetoi.Illevalesdeuxmainsetagitalesdoigts.— Je suismultitâche, et comme je te l’ai dit, tu es vraimentmagnifique

quandtujouis.Jordan fixa les fessesdeRusspendant toute lamontéedesmarches,mais

attenditquecederniersoithorsdevuepourpousserunsoupiramoureux.Ilserenditdanslacuisine,pendantqueRusssedouchait,etregardadansle

frigo, perdu.Des boîtes en plastique contenant les restes des précédents repasétaient proprement empilées, et les clayettes et les tiroirs étaient eux aussiremplisd’ingrédients.SiseulementJordansavaitcuisiner…Toutesavie,ilavaitpucomptersurdesgouvernantesetdescuisiniersetnesavaitdoncpasdutoutsedébrouillerencuisine.Àlafac, ilmangeait toujoursà l’extérieur.SansvouloirinsulterlacuisinedePhyllis–aucontraire,sesplatsétaientplutôtsavoureux–,tous lesmets texans étaient sacrément gras.Même les salades contenaient dufromageetdescroûtonsdepain,etcelafaisaitdessemainesqueJordann’avaitpasvuunefeuilledechoukaleouduquinoa.

Ilseraitbienallélui-mêmeàl’épicerie,saufqu’ilfallaitnonseulementdel’argentpourcela–cequ’iln’avaitqu’enquantitélimitéepourl’instant–,maisil fallait aussi savoir quoi faire de la nourriture une fois ramenée. Cette seuleidée lui fila la chair de poule et lui noua l’estomac.Enplus, il ne voulait pasinsulterPhylenapportantsaproprenourriture.Or,ilétaitcertainquec’étaitcequi se passerait s’il essayait. Il était assez bien éduqué pour savoir au moinscommentsecomporterenboninvité.

IlfixaittoujoursleréfrigérateurensemordillantlalèvrequandRussentraàgrands pas dans la cuisine. Il portait un boxer et un tee-shirt si usés qu’onpouvait presque voir à travers, et ses cheveux étaient encore humides etrebiquaientsursonfront.

—Tuastrouvéquelquechose?Jordanfitlagrimaceethaussalesépaules.—Jenesavaispascequetuvoudrais.Russ eut un instant d’hésitation, pendant lequel il fronça brièvement les

sourcils, puis il sourit et tapa des mains en rejoignant Jordan devant leréfrigérateur.

—Jemangeàpeuprèsde tout.Nouspourrionsprendreunpeudepouletd’hierounouspréparerquelquessandwiches.Dequoiaurais-tuenvie?

Desexe.AvecRussaussiséduisantetsentantsibonqu’ilavaitenviedeledévorer,

c’était la seulechoseà laquelle Jordanpouvaitpenser,mais il seditqueRussn’était peut-être pas du même avis à l’instant même. Il avait une sorte defétichismequilepoussaitàveilleràcequeJordanmange.Peut-êtreavait-ilunegrand-mère italienne, même s’il ne donnait pas l’impression d’avoir eu unmembredesafamilleaussitraditionneletaimant.

—Choisiscequetuveux.J’aibienmangéàmidi.Russ attrapa bien trop de boîtes au goût de Jordan et posa bien trop de

nourriture sur deux assiettes, avant de les mettre au micro-ondes. Tout enmangeant, assis à un bout de l’énorme table en bois rustique et éraflée, ilséchangèrentdes anecdotes sur la journéeetdes effleurementsdouxet tendres.Russnesemblaitmêmepasconscientqu’illesfaisait,maisJordan,lui,ressentaitchaquecaressedesdoigtscalleuxdeRussouchaqueeffleurementsursacuissesouslatable.PourJordan,quivenaitd’unefamillequis’étreignaitàpeinepourlesanniversaires,lesNoëlsetaprèsdelonguesabsences,cegenred’intimiténevenait pas naturellement. Il devait réfléchir consciemment pour lui rendre lapareille,maisiladoraitchaquecontactetenredemandait.

—J’enpeuxplus,déclaraRussens’essuyantlaboucheavecuneserviette.Dépêche-toi de finir, pour que nous puissions poursuivre cette conversation àl’étage.

—J’aiterminé,répliquaJordanavecimpatience,ensaisissantsonassiettepourlaporterdansl’évier.

—Attends,ditRussenl’attrapantparlebras.Tun’asmêmepasmangélamoitiéducontenudetonassiette.

Jordans’apprêtaitàrireetàbalayersaremarquedelamain,maisRusseutde nouveau ce rapide froncement de sourcils qui incita Jordan à reposer sesfessessurlebanc.IldévisageaRussquelquesinstants,puisdéclara:

—Tuas l’airextrêmementsoucieuxdemeshabitudesalimentaires.As-tuquelquechoseàmedire?

— Je veux juste être sûr que tu ingères assez de calories, c’est tout. Letravailauranchenbrûlebienplusquecedonttuassansdoutel’habitude.Jeneveuxpasquetutombesdenouveaudanslespommes.

Jordanlevalesyeuxauciel.—J’étais déshydraté. Je n’avais pas bu assez et j’étais fatiguéden’avoir

pas assez dormi. Je ne suis pas une mauviette. Je ne m’étais encore jamaisévanoui.

LefroncementdesourcilsinquietdeRussnes’effaçapasautantqueJordanl’auraitvoulu,maisRussdit:

—Jesaisquetun’espasunemauviette.Jen’aijamaisditquetuenétaisune.Maisjesais,surunplanscientifique,quetubrûlesplusdecaloriesquetu

n’eningèresetqueçavalaisserdestracesunjour.CefutautourdeJordandefroncerlessourcilsenlissantsontee-shirteten

setortillant.—J’aimesurveillercequejemange.Toutlemondelefaitlàd’oùjeviens.

Cen’estpasuncrimedevouloirêtreséduisant.—Jen’aipasditça.N’interprètepasmalmesparoles.RusssaisitlamaindeJordan,qu’ilagitaitdanstouslessens.—Regarde-moi,dit-il.QuandJordancroisasonregard,Russsourittendrement.—Çafaitlongtempsquejefaiscemétier,alorstudevraispeut-êtremefaire

confiancequandjetedisquejesaiscequecetravailfaitàunhomme.Toutcheztoiestformidable,aussibientoncaractèrequetonapparence,justecommetues.Jen’arrivepasàencroiremachanceetàcroirequetuveuillespasserdutempsavecunvieilhommegrisonnantcommemoi.

Jordanpouffaetlevalesyeuxauciel.—Tun’esnivieuxnigrisonnant,ettulesais.—Ahouais?souritRuss.Tuaimescequetuvois?—Tusaisbienqueoui.—Alorspeut-êtrequejesaisunpeudequoijeparle?Jordanplissalesyeuxetsouffla.—Trèsbien.Tuvois?Jemange.Ilseforçaàavalerplusieursbouchéessupplémentairesdesonassiette.—Heureux?—Enextase,acquiesçaRuss.Mangeencoreunpeupendantquejenettoie.

Puis,nousironsenhaut,jetteronsunrapidecoupd’œilàMarinasurl’ordinateuretverronscequenousapporteralerestedelasoirée.Qu’est-cequetuendis?

—Queçaressembleàduchantage.Mepromettredusexenesuffirapasàmefaireaccepterdegrossir.

Russéclataderireensedirigeantversl’évier.—Jesuissûrquenouspouvonstrouvercommentbrûlercescalories.Etsi

cela t’inquiète vraiment, nous pouvons mettre au point un programmed’entraînement rigoureux que nous pourrions faire ensemble, où et quand tuveux.

JordangémitetsentitsonsexetressaillirenréactionàlablagueringardedeRuss.Iljetasaservietteverscedernier.

Ce n’était pas une mauvaise idée, cependant. Au lieu d’aller en salle desport,ilpouvaitpeut-êtrecherchersurInternetlesmeilleurespositionssexuellespour faire travailler ses abdominaux et ses fessiers. S’accroupir pour faire dessquatspouvaitêtretorride,selonsurquoiils’accroupissait.

Ilavalaquelquesbouchéessupplémentaires,puisreculasachaise.Iln’étaitpasunenfantquimontreraitqu’il avait fini sonassiettepouravoirdroit à sondessert. Il se sentait peut-être un peu pathétique et impuissant dans tous lesdomainesdesavieà l’heureactuelle,mais ilétaitunadulteet ilnemangeraitque parce qu’il avait faim, pas parce que quelqu’un lui disait qu’il devrait lefaire.

IljetadanslapoubellecequirestaitetremitsonassietteàRuss,quitendaitlamain.Commecedernierneditpasunmotenlarinçantetenl’ajoutantaveclesautresdanslelave-vaisselle,Jordanneputs’empêcherderesteràsescôtés,nerveux. Malgré ses affirmations de maturité et d’indépendance, il détestaitdécevoirlesattentesdesgensàsonsujet,mêmesicesattentesétaientmauvaisesouinjustes.Ilenavaitparléavecsonthérapeuteenlongetentravers–nonpasque cela ait fait du bien, comme l’avait clairement démontré sa vie jusqu’àquelques semainesauparavant.L’expressiondéçuesur levisagede sesparentshantaittoujourssescauchemars,quelsquesoientseseffortspouressayerdenepasypenserlajournée.

Jordancarralesépaulesetplissalesyeux,décidantquesiRussdécidaitdele juger sur quelque chose d’aussi stupide que la nourriture qu’il ingérait, ilauraituneexplicationaveclui,commelesamediprécédent.Maisleurdésaccordn’étaitmanifestementquedanssatête,puisqu’aprèss’êtreessuyélesmainsdansuntorchon,Russsetournaverslui,luipassaunbrasautourdelatailleetl’attiracontre lui. Il pressa leurs corps l’un contre l’autre, du ventre aux genoux, etsouritavecparesse:

—Tuesprêtàalleraulit?—Iln’estquesixheurespassées.Russseléchaleslèvresetsonsourires’agrandit.— Je pense que nous pouvons trouver unmoyende passer le temps. Pas

toi?—Peut-être,réponditJordanenluirendantsonsourire.Cette fois-ci, ce fut Jordan qui passa devant, tout en restant extrêmement

conscientde laprésencedeRuss justederrière lui.Lanuitprécédenteétaitunpeutroubledanssonesprit.Iln’avaitpasvraimenteuletempsderéfléchiravantdeseretrouverdanslelitdeRuss.Toutcequ’ilvoulaitàprésent,c’étaitquesoncerveausemetteenveilleetsavourerson«deuxièmerencard»avecunhomme.

Heureusement, pour ce qui était demettre le cerveaude Jordan enveille,Russ semblait unmaître en lamatière. Il avaitmêmedespouvoirs surnaturelsdans ce domaine. Jordan n’eut même pas l’opportunité de s’inquiéter de sesperformancesqueRussposaitdéjàsesmainsmagiquessurluietluimurmuraitdes compliments à l’oreille, avec son accent texan traînant qui faisait fondre

Jordanetfaisaitdurcirsonsexedanslemêmetemps.Bon sang, Russ savait déjà tout ce qui l’excitait. Comment était-ce

possible?Jordan détestait se sentir autant enmanque d’affection,mais il s’abreuva

malgré toutdechaquecaresseetdechaqueparolecommes’ilmouraitdesoif.Cependant,ilaimaitaussisedirequ’ildonnaitautantqu’ilrecevait.

Nu, chevauchant Russ, les genoux enfoncés dans le matelas, Jordans’installasurlemembredeRussenpoussantunlonggémissementbas.Iln’avaitjamais autant pris son temps, jamais eu l’opportunité d’en faire un véritableshow. Mais Russ lui avait dit qu’il aimait regarder et Jordan était plusqu’heureux de le satisfaire. La lumière du jour entrait toujours à flots par lafenêtredelachambrequandJordanonduladeshanchesavechésitation,toutenarquant le dos. Il sentait le regard brûlant de Russ aussi sûrement que si cedernier l’avait touché. Le cow-boy avait le regard assombri par la passion,presque noir, tandis qu’il observait Jordan comme s’il était la chose la plusimportanteaumonde.

— Dans cette position aussi, tu peux me regarder, haleta Jordan ens’empalantsurlemembreépaisdeRuss.

—Ohputainoui,jepeux,gémitRuss.LorsqueRussrejetalatêteenarrière,lesmusclesdesoncouetsesveines

ressortirentsoussapeautannée,puisilsaisitJordanparleshanchesetplongeaverslehaut,pouralleràl’encontredesmouvementsdeJordan.

Comme ce dernier accéléra le rythme, Russ empoigna sonmembre et lepompa.

—Merde,soupiraJordan,jenevaispastenirlongtemps.Russsouritetseredressasurunbras.—Vas-y.Jouis.Nousavonstoutelanuitdevantnous,tutesouviens?RussresserrasaprisesurlemembredeJordan,quienvitdesétoiles.Ilse

répandit entre les doigts épais et perdit le rythme. Il eut à peine le temps dereprendrebrièvementsonsoufflequeRuss lesoulevaitet lemettaitsur ledos.Puis, il s’agenouilla entre les cuisses de Jordan, retira le préservatif et semasturbajusqu’àladélivrance,jouissantsurlaqueuedébandéedeJordanetsonventre.

— Tu es sacrément beau toi aussi, quand tu jouis, haleta Jordan endévisageantRuss.

Cedernierluifitunsourireencoin,avantdes’affalersurlematelasàsescôtés.

—Raviquetulepenses,dit-ilentredeuxrespirationssaccadées.IlsetournasurlecôtéetembrassatendrementJordan.

—Pasmalpourunvieilhomme,hein?Jordanlevalesyeuxauciel.—Tun’espasvieux.—J’aiplusdequaranteans.Danscertainsmilieux,jeseraisàdeuxdoigts

d’êtremisaurebut.—Ehbien,tuasdelachance,jen’aipaspassébeaucoupdetempsdansles

milieuxquetuévoques,doncjen’aipasdéveloppélemoindrepréjugéstupideàcesujet,rétorquaJordan.

Russseredressasuruncoudeetsemordillalalèvre.—Parcuriosité,tuyaspassécombiendetemps?Jordanhaussaunsourcil.—Tumequestionnessurmesexploitssexuels?Russfitlagrimace.—Non.C’est évident que tu as de l’expérience.Mais tum’as dit que tu

venaisjustedefairetoncoming-out,alorsjemedemandais…Lorsqu’il devint évident que Russ n’allait pas terminer sa phrase, Jordan

haussalesépaules:—JesuisallédansdesclubsprèsdeDartmouthetàdeuxou troisautres

endroits, mais j’étais complètement dans le placard, donc je ne pouvais pasvraimentmefaired’amisgaysnifréquenter la«communauté».C’estpourçaqu’ilvamefalloirunpeudetempspourm’habitueràtoutecettehistoiredepetitami,parcequejen’enaijamaiseuavant.

Russavançaleslèvres.—Est-cequejevaistropvitepourtoi?Est-cequejeteforcetroptôtàen

fairetrop?Tupeuxmeledire…Tuneseraispaslepremier.Impuissant,Jordanhaussalesépaulesetsecoualatête.—Honnêtement,jenesauraismêmepassituvastropvite.Maisjeneveux

pas que tu ralentisses. Tume faisme sentir bien, désiré et…heureux. J’en aibesoin. Je leveux. Jenem’étais jamais senticommeçaavant. Jeneveuxpasquetuchangesquoiquecesoit.

LesourirequeluirenvoyaRussluidonnal’impressiond’avoiraccomplidegrandeschosesdanslavie.RusspassaleboutdesdoigtssurletorsedeJordan,puisdanssescheveux,etdéclara:

—J’ensuisravi.J’aimetevoirheureux.Maisjevaistelaisserlesrênes,surce coup-là, car tu as bien plus de choses à gérer que moi à l’heure actuelle.N’hésitepasàtirerdessuspourmefaireralentir,situasbesoin,d’accord?Tumelepromets?

—Oui,d’accord.Promis.

XVIII

JORDANS’ÉTIRAetgémitquandlalumièreviveduleverdesoleilembrasalapiècedepuislafenêtredelachambredeRuss.Cedernierallaitdevoirtrouverauplusvitedesrideauxoccultants…ouaumoinsunstore.

Jordan était seul, mais ce n’était pas une surprise. Un jour, il devraitconvaincreRussdeseleverplustardpourqu’ilspuissentseréveillerensemble,mais il n’était pas encore assez à l’aise pour l’instant pour aborder le sujet. IlétaitdéjàsûrqueRussleconsidéraitcommeunhommeavecunsérieuxmanqued’affection.Ilnevoulaitpasluienfournirencorepluslapreuve.

Cependant, même seul, il se réveillait étourdi chaque jour en prenantconsciencequeRussvoulait de lui dans savie. Il n’avait pasdormiune seulenuitdanssonproprelitdepuisplusd’unesemaineetRussnesemblaitpaspressédelevirerdelà.Àvraidire,RussnecessaitjamaisdeluiprodiguertoutescescaressesaffectueusesetcesmotstendresdontJordanavaittantbesoin.

C’étaitsurréaliste.Commeilsortaitdu litetsefrottait lesyeuxpour tenterdeseréveiller, il

entenditJonetErnestos’arrêterdevantlamaisonenfaisantcrisserlespneussurlegravier.Ildevaitdescendreenvitesses’ilnevoulaitpassefairechambrersurlefaitd’êtreledernieràtable.Audébut,ilavaitprislesplaisanteriescontrelui,maisRussluiavaitfinalementexpliquéquelesautresl’avaientprisenaffectionetletraitaientcommeunmembredelafamille.Ilnesesentaitpasencoreassezàl’aisepourleurrenvoyerlapareille,pourl’instant,maisilavaitungrandfrère.Ilsavaitcommentfairedanslaprovocationetrendrecouppourcoup,doncErnieetJonétaientjusteensursis,letempsqu’ilfranchissecetobstacleetsedétende.

Concernant les réactions suscitées par le fait que Russ et lui étaient encouple, Ernesto s’était comporté un peu étrangement le premier lundi matin,lorsqu’ilss’étaientassisensembleàlatabledupetitdéjeuneretqueRusss’étaitmontré aussi affectueux que d’habitude, à sa manière merveilleusementdécomplexée,maisErnieavaitétéleseul.PhyllisavaitmêmeprisJordanàpartaprès lepetit déjeunerpour s’assurerqu’il allait bienet, finalement, c’était luiquil’avaitinquiétéeelle,etnonl’inverse.

—Net’enfaispaspourErnie,luiavait-elledit.—Commentça?

— Tu as soudain perdu le sourire radieux plaqué sur ton visage depuissamedi.J’essaiedetedirequecen’estpaslapeine.

—Jesuisdoncsitransparent?Elleavaitsouri.—Disonsquejeteconseilledeteteniràl’écartdestablesdepoker,même

sijesaisquetucachaisbienplusdechosesquecequetunousmontrais,àtonarrivée ici.Et tudevaisêtreplutôtdouéchez toipourcacher tessentiments,sitesparentsnesesontrenducomptederienavantquetuleurannonceslacouleur.

—C’estparceque j’enavaismarredemecacherque j’ai finipar le leurdire,avait-iladmis.

Phyllisavaithochélatêteetluiavaittapotél’épaule.—Ettunedevraispasavoiràlefaire.Entoutcas,pasavectesamis.Mais

commejet’aivut’écarterunpeudeRuss,jemesuisditquej’allaismemêlerdevosaffairesettedirequetun’aspasàlefaire.Noussommespeut-êtredesgensplus campagnards que ceux que tu as l’habitude de fréquenter, mais nous nesommes pas pour autant aussi étroits d’esprit que tes parents. Jon est plutôtaveugledanstoutcequiconcernelesaffairesdecœur,maisiln’ajamaiseudeproblèmeavecRuss.

Elles’interrompitetfitlagrimace.—AvecErnie,c’estuneautrehistoire.Ilaétéélevédanslafoicatholique,

doncRussetluionteuquelquesproblèmesaudébut.Jepensemêmequ’ilsontéchangé quelques coups à un moment donné. Si j’avais été présente, je leurauraismis une bonne fessée à tous les deux et Sean leur aurait plongé la têtedansunabreuvoirpourlescalmer.Bref,j’ignorecequis’estpassé,maisilssontparvenusàunecertainecompréhensionmutuelle,etquandIsaiahestapparudanslepaysage,ehbien…

—QuiestIsaiah?Elleavaitcilléuninstant,puisavaitagitélesmainsenl’air.—Oh,justeungarçonaveclequelRussestsorti,ilyaquelquesannées.Ce

quejevoulaistedire,c’estqu’Ernieatrouvéunesortedecompromisentresafoietsesamis,donctun’aspasàtesentirmalàl’aiseprèsdelui.D’accord?Tuasassezdechosesàl’espritpournepasajouterçaàtessoucis.

—OK,avait-ilacquiescédistraitement.—Bien.Maintenant, au travail. Je dois nettoyer la cuisine et vérifier les

papiersd’adoption,puisapporterlesdonsduweek-endàlabanque.Ellel’avaitchassédelamaisonetilétaitrestésurlaterrassecouverteàse

demandercombienderelationsRussavaiteues.Leranchavaitbeausetrouveraumilieudenullepart,Russsemblaitplutôtpopulaire.

Une semaine s’était écoulée et Jordan avait toujours la trouille de

l’interroger. La réponse lui provoquerait sans doute une crise de panique,puisqu’ilétaitdéjàfouamoureuxdeRuss,aussistupidequecelapuisseêtredanssasituationactuelle.

—Tu es si pauméque ce n’estmêmeplus drôle, déclara-t-il à son refletdans lemiroirde la salledebain,avantde sedépêcherde rejoindre lesautrespourlepetitdéjeuner.

APRÈSLErepasdemidietunepetitesessiondetripotageendouceavecRussdans la sellerie, Jordan menaMarina dans l’un des pâturages extérieurs pourqu’elleprennelesoleiletunpeud’airfraispendantqu’ilnettoyaitsonbox.Unenouvelle semained’antibiotiques etd’un régime richeencalories lui avait faitreprendredupoilde labête.Enoutre,Russ lui avait assuréqu’il avait sibienréussi à apprivoiser Marina qu’ils allaient pouvoir commencer son dressagebientôt.Biensûr,celavoulaitdireaussiqu’elleserapprochaitdumomentoùellepourraitêtreadoptée,cequibriseraitlecœurdeJordan,maispeut-êtreserait-elleadoptéeparunvoisinduranchetqu’ilpourraitluirendrevisite.

Il se figea au milieu de l’écurie, la brouette toujours à la main. À quoipensait-il?Ilneseraitpeut-êtreplusauBSTARdansquelquesmois.IlneseraitsansdoutemêmeplusauTexas,doncenquoil’endroitoùatterrissaitMarinaleconcernait-il?

Il sortit de sa transe et recommença à pousser la brouette jusqu’au tas decompostpour lavider.Lapenséedepartirdu ranch lui tordait leventreàpeuprèsautantqueleraz-de-maréeémotionnelqu’ilavaitsubienVirginie.C’étaitsans doute lâche de sa part, mais il n’était pas prêt à y songer non plus. Laprocrastinationn’étaitpas lepirepéchéquisoit,si?Ilneblessaitpersonneenrepoussantunpeupluslongtempslemomentdegérersesconneries.

Lecrissementdepneussurlegravieràl’extérieurdel’écurieluioffritunedistraction bienvenue et il alla voir de qui il s’agissait. Des camions et desvoitures ne cessaient de venir, pour livrer du matériel ou pour emmener desadoptantspotentielsoudesvisiteurscurieux.CommeRuss,JonetErnieavaienttendance à se cacher de ces derniers, c’était Jordan qui les accueillait, si Phylétaitoccupée.Ensortantdel’écurie,ilaperçutunedécapotableblanchesegarerà côté de la sienne. Lorsque la poussière retomba et que Jordan aperçut unechevelureblondeagitéeparlevent,sonventresenoua.

—Gemma,croassa-t-il.Sasœur–quiportaitdeslunettesdesoleilDolce&Gabbanaincrustéesde

strass,unminusculeshortblancetundébardeurroseportantlamention«Dureà

cuir»impriméeengrisargent–sortitdevoiture.Dansunpremiertemps,ellenele vit pas, trop occupée à parler à quelqu’un au téléphone, mais dès qu’ellel’aperçut,elleagitalamainetcria.

—Lacey,jedoistelaisser.Onserappelleplustard,d’accord?dit-elledansle téléphone,avantd’agiterànouveau lesbrasetde trottinervers Jordandanssessandalesencuirblanc.

Dérouté,Jordanneputqueluiadresserunfaiblesourirequandellel’attrapapar lebraspour lui faire labise. Ilauraitdûêtreenchantéd’avoiraffaireàunmembredesafamilleaussiheureuxdelevoir,maiselledétonnaitauranch.

—Gemma,quellesurprise.Jenem’attendaispasàtevoir,déclara-t-ilsansconviction.

Elle repoussa ses lunettes sur son front et leva les yeux au ciel. Commetoujours,elleétaitmaquilléeavecart.

—C’estparcequetuesstupide…Commetoutelafamille,encemoment,d’ailleurs.

L’arrivéedePhyllis le sauva avantqu’il ait à chercherune réponse.D’uncoupd’œilautourdelui,ildécouvritqueRussarrivaitdupâturagedeschevauxetqueJonetErnielesobservaientdepuisl’enclosdesautresanimaux.

—Euh,Phyllis.Tu tesouviensdemasœur,Gemma?bégaya-t-ilcommePhyllesrejoignait.

Cette dernière arborait son habituel sourire ouvert et accueillant, mais ils’élargitencoredavantagequandellereconnutGemma.

—Maparole,regarde-toi!Tuastellementchangéquej’aieudumalàtereconnaître.Commentvas-tu,machérie?

—Phyllis!s’exclamaGemmaavecuncriperçant.Ellesautilla jusqu’àPhylliset l’entouradesesbras,avantde luiposerun

vraibisousurlajoue.Puis,ellerecula.—Çafaituneéternitéque jenesuispasvenue,maisvousn’avezpasdu

toutchangé.JordansentitRussarriverderrièrelui.Russneletouchaitpas,maisilrestait

trèsprèsdelui,commes’ilseretenaitdelefaire.Jordanétaitsidéroutéencetinstant qu’il ignorait s’il devait se sentir reconnaissant envers Russ pour saretenueoubienluienvouloir.

Il était vraimentpauméetpasdu toutprêt à affronter sapetite sœur.Elleétaitbientroppomponnéeettape-à-l’œilpourcetendroit.

Phyl lui lança un regard perçant, le sortant de sa petite crise de paniqueintérieure.

—Oh,euh,Gemma,jeteprésenteRuss,lebrasdroitdePhyllis.Russ,voicimasœur,Gemma,balbutia-t-il.

—Enchanté,ditRussenlasaluantd’unhochementdetête.SavoixfutcommedumielliquidesurlesnerfsàvifdeJordan,quiressentit

lebesoindes’appuyercontreRuss.Ilserepritàtemps.Gemma scruta Russ du regard et rejeta ses cheveux derrière ses épaules.

Elleluitenditmollementsamainauxonglesrosesparfaitementmanucurésetluiadressaunsourireaguicheur.

—Moidemême.CommeRuss luiprenait lamainet la serrait gentiment, Jordan fronça les

sourcils. La jalousie n’était pas un sentiment qu’il avait souvent expérimenté,maisaumoins,ellelesortitdesaspiralementaleinfernale.

Avantqu’iln’ait l’opportunitédedireàGemmadegardersesyeuxetsesmainspourelle-même,Phylintervint:

—Tuasfaitunlongtrajet,machérie.Etsituvenaisàl’intérieurpourboirequelque chose, au frais ? Jordan et toi avez sans doute beaucoup de choses àvousdire.

Àcesmots,Jordansentitsonestomacbouillonneretsatensionrevenir;ilenoubliasajalousie.Sasœurn’étaitpaslàpourunevisiteamicale.Ellen’étaitmêmepaslàpourluipiquersonpetitami.ElleétaitlàpourparlerdeleurfamilleetdetoutcequeJordans’étaitefforcéd’éviter.IljetaunregardpaniquéàRuss,quisecontentad’undemi-sourirerassurantenretour.

—Occupe-toidetafamille,jemechargedel’écurie,déclara-t-il.Unebouledanslagorge,Jordanhochalatête.—Merci,murmura-t-il,mêmes’ilnelepensaitpasvraiment.IlsuivitPhyletGemmajusquedanslamaison,l’estomacenvrac.Froussard.Soisunhomme,unpeu.Cen’estquetapetitesœur,pourl’amourduCiel.C’étaitdenouveaulavoixdesonpèreetJordanseredressaunpeu,même

s’ilenvoulaitàcedernier.Danslacuisine,Phylliss’activaprèsdesmeubles,puisduréfrigérateur.—Veux-tudelalimonade,monchou?—Oui,mercibeaucoup.GemmaadressaàJordanunsourirequidisaitcombienelletrouvaittoutici

pittoresque, tandisqu’elleétudiait lacuisinedestylecampagnard.Jordanfit lagrimace. Il avait eu une réaction similaire à son arrivée au ranch. Cela luiparaissaitbienloin,maintenant,carenquelquessemainesàpeine,leranchétaitdevenu comme une seconde maison à ses yeux – voire sa seule maison,d’ailleurs.

—Tenez, leurditPhyllisenleurtendantdeuxverrespleins,déjàhumidesde condensation. As-tu faim, Gemma ? Est-ce que tu veux que je te prépare

quelquechose?—Oh,non,merci,Phyllis.J’aidéjeunéàl’aéroportenattendantqu’ilsme

trouventlavoiturequejedésirais.— Très bien, répondit Phyllis sans sourciller. Comme je pense que vous

avez beaucoup de choses à vous dire, je vais vous laisser. Jordan sait sedébrouillerici,maintenant,situasbesoindequoiquecesoit,etj’espèrequetupourrasresterpourledîner,pourquejepuissetoutsavoirsurtoi.

EnvéritableThorndike,Gemmaréponditd’unsourireradieux.Ililluminaitson visage et donnait à la personne à laquelle il s’adressait l’impression derecevoiruncadeau.

Bonsang,c’estàçaqueçaressemble,del’autrecôté?Iln’yavaitjamaisfaittrèsattentionjusqu’àprésent.

—Merciinfiniment,Phyllis,s’exclamaGemmaaveceffusion.Jordaneneutunelégèrenausée.Est-ceque lesgenssedisaient«noblesseoblige»en lesvoyant faireça,

maisétaienttroppolispourdirequoiquecesoit?PasétonnantqueRusssesoitcomporté comme un con avecmoi. Il avait dûme prendre pour un crétin dèsmonarrivéeici.

Dès quePhyllis sortit de la cuisine, le sourire deGemmadisparut et elleplissalesyeux.

—Jesuisencolèrecontretoi,déclara-t-elleenluienfonçantunongledansletorse.

—D’accord.—D’accord?C’esttoutcequetuasàdire?souffla-t-elle,unemainsurla

hanche.Personnenem’ariendit,àpartqueMamanetPapaneteparlentplusetqu’ilst’ontfichudehors.Tun’aspasréponduàmesmessages,àpartpourdire«DemandeàPapaetMaman».Mamanm’aappeléeenpleurs.JesuisrevenuedemonvoyageentrefillesàWestPalmBeachpourl’entendremedirequetuasdésormaisdécidéd’êtregayetqu’ellevenaitdedécouvrirquetuséjournaisauranch de bienfaisance où nous avions l’habitude d’aller quand nous étionsenfants.Ettoutcequetuasàmedire,c’est«D’accord»?

Jordansoupiraetsefrottalestempespouressayerdesoulagersonmaldetête grandissant. Il n’était pas prêt pour cela. Pourquoi n’avait-il pas pu avoirquelquessemainesdeplus?Aumoins,c’étaitGemmaquiavaitdébarquéetnonWillJr.–ou,pire,sesparents.Ilauraitalorscomplètementperdulespédales.

Il fit signe à sa sœur de s’asseoir sur le banc de la table de la cuisine ets’installaenfaced’elle,saboissondevantlui.

—Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Ils ont pété les plombs. Et jen’avaispasvraimentd’endroitoùaller,puisquePèreaannulétoutesmescartes

de crédit et vidé mes comptes. Je suis désolé que tu te sois sentie exclue,Gemma,maispourlecasoùtunel’auraispasremarqué,jetraverseunepériodedifficile, là.Toutemavievientd’éclater enmorceaux,alorsexcuse-moidenepasêtrecapabledeménagertessentiments.

Sasœurcroisalesbrassursontee-shirtétincelantetfitlamoue.—Ehbien,j’auraisput’aider,situm’enavaislaissél’opportunité.—Qu’est-cequetuauraisfait,aujuste?—Jenesaispas,maispersonnenem’alaissélachancedelesavoir,si?Je

suisunmembredecettefamille,tusais,toutautantqueWillettoi,mêmesitoutlemondetrouvepluspratiquedel’oublier.

Jordans’apprêtaitàriposter,maisilrefermalaboucheetinspiracalmement.Iln’étaitplusunenfant.Ilnedevaitvraimentpasagircommetels’ilnevoulaitpas que les gens le prennent pour un gamin. Ils se disputaient pour quelquechosedestupide,parcequ’ilétaitcertaindenepasvouloirentendrecequ’elleavaitàdired’autre.

Lorsqu’unchevalhennitdanslepâturage,Jordanjetauncoupd’œilparlafenêtreavecenvie. Ilnedésirait rien tantquedesortird’ici, retrouverRussetlaissersafamillepéniblederrièrelui,maisilnepouvaitpasvraimenttraiterdehaut l’immaturitédesasœurenrefusantdesecomporter lui-mêmecommeunadulte.

—Jesuisdésolé,d’accord?Siçapeuttefairetesentirmieux,sachequejen’aipasréponduauxSMSdeWillJr.nonplus.

Ellelevalesyeuxauciel.— Non, je ne me sens pas mieux. C’est évident que tu ne lui as pas

répondu.C’estunconnard.Maispasmoi.Jordanéclataderireetsecoualatête.—Qui êtes-vous et qu’avez-vous fait demapetite sœur agaçante quime

suivaitpartoutsouspeinedemefairevivreunenferetderapportertouslesgrosmotsquejeprononçais?

—JeviensjustedefinirmapremièreannéeàBrown,aucasoùtul’auraisoublié.Jenesuisplusunepetitefille,mêmesitoutlemondeal’airdelecroiredanscettefamille,souffla-t-elleenplissantdenouveaulesyeux.

Jordanlevalesmainsensignederedditionetdéclara:—D’accord.Tuas raison.Mapetite sœurestdevenueadulte sansque je

m’enrendecompte.—Unpeu,oui, rétorqua-t-elle,enrejetantunemèchedecheveuxderrière

sonépaule.Ilséchangèrentunsourire,maisceluideJordandisparutvite.Ilinspirapour

gardersoncalme.

—Trèsbien,Gemmal’adulte,quesuggères-tu?Le sourire confiant de cette dernière disparut.Elle le fixa du regard et se

mordillalalèvre.—Jenesaispas,admit-ellepiteusement.Confuse,ellefronçalessourcils.—Donc,tuesvraimentgaymaintenant?Tun’aspasditçapourtevenger

dePapaetMamanpourjenesaisquoi?Ilhochalatêteetétudiaprudemmentlevisagedesasœur.—Ouais.Ils’obligeaàémettreunpetitrireetajouta:—Enfait,jesuisgaydepuistrèslongtemps.Cen’estpasnouveau.Jen’ai

justejamaiseulecouragedel’avoueràquiquecesoit.— Tu n’as jamais agi comme un gay, répliqua-t-elle en se mâchouillant

toujourslalèvre.Apparemment, l’horizon de sa sœur ne s’était pas non plus trop agrandi

pendant sa première année d’université. Elle jouait avec le pendentif or etdiamant de sa sororité, qui étincelait au bout de la chaîne de quatorze caratsqu’elleportaitautourducou,cequiluirappelaquetoutlemondepouvaitchoisird’êtrerétrogradeououvertd’esprit,quelquesoitl’endroitoùilavaitgrandi.

Ilsoupira,pritlamaindesasœuretlaserra.—Agir commeungay, çan’existepas, tu sais ?Saufpour cequi est du

sexegay,là,oui,jesupposequec’est«agircommeungay».Maistuasraison.Jesuissortiavecpleindefemmesetaifaittoutesleschosesqu’unbonfilsestcenséfaire.J’aifaitsemblantd’êtrequelqu’und’autreparcequej’avaispeurdedécevoir tout le monde. Vu la réaction de Père et Mère, j’avais raison dem’inquiéter,n’est-cepas?

—Ils sont au courant ?demanda-t-elle en indiquantdupouce le resteduranch.

—Oui.Ilsl’ontcomprisquandPhyllisaappeléMaman.Ellerécupérasamainettapotasonverreavecsesongles,sourcilsfroncés.—Toutlemondeestcontrariéàlamaison.Paparestedanssonbureauetne

faitquegrogner.Mamanetluisedisputenttoutletemps.WillJr.,Sherryletlesenfantssontvenusunjouroùj’étaislà,maispersonnen’avraimentparlé.PuisPapaetWillsesontenfermésdanslebureauaprèsledîner.Toutestbizarre,toutlemondeestmalàl’aiseetsecomporteméchamment.

Jordanfitlagrimaceets’adossaaubanc.—Toutestdemafaute,j’imagine,hein?—Ehbien,non…Enfin,si,maisjesupposequetun’ypeuxrien,exact?Je

veuxjustequetoutredeviennecommeavant.

—Tout?Commelefaitd’êtretraitéecommelebébédelafamille?Elleluijetaunregardnoir.—Biensûrquenon.—Parcequetuaschangéetveuxquetoutlemonderespecteça,exact?—Oui.Ilattenditquelquesinstants.Sasœursoufflaetlevalesyeuxauciel.—Jecomprendsceque tuessaiesdemedire. Jenesuispas idiote.Mais

c’estdifférent.Jeneleurdemandepasdechangerleurfoiettoutleursystèmedecroyance, moi. Tu ne peux pas t’attendre à ce qu’ils acceptent ça du jour aulendemain.

—Cen’estpascequejeleurdemande.Cequejeleurdemandais.—Ehbien,tuasfuiaumilieudenullepart.Tuneleurasmêmepaslaissé

unechance.—Jen’aipas fui,Gemma.Pèrem’a jetédehorsetMère l’a juste regardé

faire.Sa voix se brisa et il referma les lèvres avant de trop s’épancher sur ses

blessures.Ilrefusaitcatégoriquementdepleurerdevantsapetitesœur.Elleneparutpasleremarqueretbalayasoncommentaired’ungestedela

main.—Ilnelepensaitpas.—DepuisquandPèreditquelquechosequ’ilnepensepas?Ilm’acoupé

lesvivres,Gemma.Ilaannulémescartesdecrédit.Toutcequ’ilmereste,c’estma voiture et ce que j’ai pris en quittant la maison. C’est tout. Et ni l’un nil’autrenem’aappelénienvoyédemessagedepuiscejour-là.Mamansaitmêmeoùjesuis,maisellen’apasdemandéàmeparlerpourautant.

—Non.Ellem’aenvoyée,àlaplace,contraGemma.Jordancilla,surpris.Pleind’espoir,ildemanda:—Ellet’aenvoyée?C’estvrai?Ellefitlagrimace.—Eh bien… pas tout à fait. Disons que je n’arrêtais pas d’insister pour

avoir des réponses et ellem’adit où tu étais…Mais je sais qu’elle s’inquiètepourtoietilestclairquesielleétaitd’accordavecPapa,ilsnesedisputeraientpasautant,exact?Ilsnesedisputentjamais,pascommeça,entoutcas.

—Commequoi?—Ilsnejouentpasàquihurleleplusfort,entoutcas,pasquandl’unde

nous est présent,mais ils ne se parlent plus du tout.Et lorsqu’ils n’ont pas lechoix,ilssontàpeinepolis.

Waouh,tugères,Mère.Quelbeaumoyendeprendremadéfense,songea-t-ild’untonaigre.

Ilétaitinjuste.Ilignoraitcequisepassaitentresesparents,maispuisqu’iln’avait pas eu de nouvelles ni de l’un ni de l’autre, cela ne faisait pas grandedifférence.

—C’estdéjàça,j’imagine,répliqua-t-il,sansgrandenthousiasme.—Seigneur,Jordan,quelleferveur!Iljetaunregardnoiràsasœur,selevaetfitlescentpasdanslapièce.—Qu’est-cequetuveuxquejetedise?Pèrem’ajetédehorsetcoupéles

vivres.Jesuisdésoléd’enêtreunpeumalluné.Sansautreinformation,jedoisplanifierlerestedemavieaveccequej’aiàl’heureactuelle.Jen’aipasd’autrechoix.

—Jepourrais tedonnerunpeud’argent,proposaGemmaavecespoir. Jeviens de recevoir mon argent de poche. Je peux t’en donner un peu pour tedépannerjusqu’à…

Ellelaissasaphraseensuspens.Jordansoupira.—Jusqu’àquoi?Jusqu’àcequePèrechangecomplètementdepersonnalité

etreniesonsystèmedecroyance?—Etdonc,quoi?Tuenvisagesdet’éloignerdenous?demanda-t-elleen

luiadressantsonregarddechienbattubrillantdelarmes,commelapetitesœurdesonsouveniravaitl’habitudedelefaire.

Ilgrognaetlevalesmainsenl’air.—Cen’est pas ce que je veux,Gemma.Mais je ne peux pas être le fils

qu’ilsveulentquejesois.Jenevaispasépouserunefemmeetleurdonnerdespetits-enfants.Jen’aimêmejamaisvraimentvouluêtreavocat.Jenepeuxpasfaire semblant d’être l’homme que je ne suis pas toute ma vie. J’en suisincapable.Donc,s’ilsnepeuventpasm’accepter telque jesuis, jenesaispasquoitedire.

Ellecontinuaàledévisager,lecœurbrisé,àenjugerparlalueurdanssesyeuxbleus.Jordansoupiraets’assitàcôtéd’elle.

— Je serai toujours ton grand frère, si tum’y autorises.Mais le reste nedépend pas vraiment de moi, d’accord ? J’aime Maman. Je vous aimeraitoujours, tous les quatre…oui,mêmePère.Quant au reste, je n’en ai aucuneidée.Jenesaispasvraimentcequejefaisici,situnet’enétaispasencorerenducompte.

Elleluiadressaunsouriretremblantethochalatête.Comme il ne pouvait plus supporter de discussion sur sa famille sans se

mettreàpleurercommeunbébé,Jordandemanda:—Hé,aufait,est-cequetuasprisunpantalonetdeschaussurescorrectes?—Quoi?—Allonsfaireduchevalensemble…Commeaubonvieuxtemps.

—Onpeut?— Oui, on peut. Viens. Je suis sûr que Russ peut nous trouver deux

monturesetquePhylauradesvêtementspourtoi,encasdebesoin.Les lèvres de sa sœur s’incurvèrent et elle se passa la main dans les

cheveux.—Russ?Illevalesyeuxauciel.—Oui,Russ,quiestgayaussi,pourinfo…etàmoi.Commeelleledévisageait,bouchebée,Jordansouritetseleva,lesjambes

unpeutremblantes.—Viens.

XIX

DERETOURdeleurbalade,commelasœurdeJordanindiquaêtrefatiguée,Jordan luimontra sa chambre, à l’étage, pour qu’elle puisse se reposer, tandisquelesautreshabitantsduranchtraînaientàl’extérieur,curieux.LorsqueJordanrevint vers eux, il arborait ce faux sourire que Russ détestait et balayal’inquiétude de tout lemonded’ungeste de lamain, avant de retourner à sontravaildansl’écurie.

Phyl,aubasdelavéranda,fronçalessourcils.Russluiposaunemainsurl’épauleetlaserra.

—Jevaisluiparler.—Bien.IltrouvaJordandanslasellerie,entraindes’acharnerànettoyerdesselles

quin’étaientpasvraimentsales.—Tuasdéjàtoutfait,seplaignitJordansanssedétournerdesatâche.Russs’appuyaauchambranle,brasetchevillescroisés.—Ilyapleindetravailàfaire,situveux,vademanderàErnieouJon…Il

fautaussinettoyerleseaud’eaudeCalliope.Jordanrelevaenfinlatêteetmimaunhaut-le-cœur.—Tu rêves. Je cherche àm’occuper,mais je ne suis pas aussi désespéré

pourautant.Enplus,jel’aifaitlasemainedernière.Cen’estpasmontour.Pastantqu’Ernienel’aurapasfait.

Ilposalesustensilesqu’iltenaitàlamainetseleva.—Maisjepeuxallerleurdemanders’ilsontbesoind’aide.AumomentoùJordans’apprêtaitàledépasser,Russluiposaunemainsur

letorse.—C’estpresquelafindela journée,detoutefaçon,et jepensequetuas

plusimportantentêtequenettoyerlamerdedeschèvresetdesânes.Jordanfermalesyeuxetlaissaretombersatête.—Non.Jenepeuxpaspourl’instant,Russ.RusscaressalecoudeJordanetl’attiraverslui,puisposalefrontcontrele

sien.—Tuesplustenduqu’unarc,murmura-t-iltoutcontrelui.Situnerelâches

pasunpeudetension,tuvast’effondrer.Tupréfèreslefaireiciavecmoi,oulà-

bas,devanttapetitesœurettouslesautres?Jordanserralesmâchoiresetrespirafortparlenez.—Jeneveuxpaslefairetoutcourt,rétorqua-t-ilengrinçantdesdents.—Çaarriveraquandmême,quetuleveuillesounon,murmuraRussavec

compassion.Jordansoupiraettentades’écarter,maisRussnelelaissapasfaire.—Jeneveuxpaslefairedevanttoi.—Pourquoi?—Jeneveuxpastedécevoir.—Çan’arriverapas.Lorsque Jordan reculacette fois-ci,Russ le laissa faire. Jordan lui jetaun

coupd’œilsceptique.— On ne peut pas dire que je t’aie vraiment impressionné depuis mon

premierjourici,fit-ilremarquer.Russfitlagrimace.—Jepensaisquenousenavionsparléetquec’était réglé. Je t’aiditque

j’étaisdésolépourmespréjugés. Je t’aiditque je t’avaisvoulu toutce temps.Qu’est-cequetuveuxquejetedisedeplus?

Jordans’entouradesesbras,enungesteprotecteur,etreculadavantage.— Il y a une grande différence entre vouloir baiser quelqu’un et être

impressionnéparlui.—Chercheràtedisputeravecmoinevapasfairedisparaîtretessoucisde

famille,contraRussenavançantd’unpas.Jet’aiditdepuisledébutquelesmotsn’étaientpasmonfort,maissituveuxquejeteleredisemaintenant–mêmesije croyais t’avoir donné assez de preuves la semaine dernière pour t’enconvaincre–,jevaislefaire.

Russavança sur Jordan jusqu’àcequecedernierheurte lemur. Il coinçaJordanenposantlesmainsdechaquecôtédesonvisageetdéclara:

—Tuesgentil.Tuesintelligent.Tuesgénéreuxetsensible.Tuesbeau…et plus fort que tu ne le crois.Même avec tout ce que tu traverses, je vois tavolontédetebattre.Maispersonnenepeutresterforttoutletemps.Personnenepeuttenirtoutesaviesansaide.

—Mêmepas toi?demandaJordanavecun rictus ironiquequi fit sourireRuss.

—Surtoutpasmoi.Undecesjours,tudécouvrirasquelgrandsentimentaljesuisaufonddemoiettoutseraterminé.Tunemeregarderasplusjamaisdelamêmemanière.Maintenant,arrêtedetecomportercommeunidiotetparle-moi.

Jordanfitlagrimaceetreposalatêtecontrelemurderrièrelui.—Jesuisdésoléd’êtreunetelleépave.Jesuissûrquetun’avaispasbesoin

d’uneautreâmeàsauver.Russlevalesyeuxauciel,posaunemainsurlanuquedeJordanetl’attira

versluipourl’embrasser.—Cen’estpasde ta faute si lavie t’a jouéun sale tour.Cequi compte,

c’est comment tu vas gérer ça.Mais tu vas retomber sur tes pieds. J’en suiscertain.

—J’aimeraispouvoirenêtreaussisûr,murmuraJordan,lesoufflesaccadé,avantdecachersonvisagedansl’épauledeRuss.

Cedernierleserrafortcontreluitandisqu’iltremblaitetluttaitpournepaspleurer.

—Iln’yaquemoi,ici,monange.Laissetoutsortir.—Çanevapasmesoulager,rétorquaJordanenreniflant.—C’estpossiblequesi.As-tuessayé?Jordanpoussaungrognementsceptique,s’écartaetsecoualatête.—Bonsang,jedoisvraimentavoirunesaletête.Ilserecoiffaetlissasesvêtementsjusqu’àcequeRussluiprennelesmains.—Tuasl’aird’unhommeblessé,cequiestlecas.Maintenant,dis-moice

quis’estpasséavectasœur.Toutvabien?Elleavaitl’airplutôtheureusedetevoir,aumoins.

Jordan poussa un soupir las, contournaRuss et s’affala sur le banc de lasellerie.

—Jecrois,oui.Ellenem’apasditquej’allaisallerenenferetnem’apasnon plus traité de pervers ou d’autre chose, donc c’est déjà ça, répondit-il,commeRusss’asseyaitàsescôtés.Maisellenem’arienditquejenesavaispasdéjà,àpartquemesparentssedisputentbeaucoup…Cequipourraitvouloirdirequemamèren’estpasprêteàmesortirdesavieaussifacilementquemonpèrel’afait.

—C’estdéjàça,non?Unparent,c’estmieuxqu’aucun.Jordanfitlagrimace.—Désolé.Tudoistrouverquecenesontquedespleurnicheries,vutoutce

quetum’asditsurtafamille.Russ fronça les sourcils, attrapa Jordan par la nuque et le secoua

légèrement.—Nesoispasbête.Cen’estpasparcequemesproblèmesdefamillesont

différentsdestiensqueçasignifiequetun’aspasledroitd’êtreblessé.Sijemesouviensbien,tum’asditlamêmechose,l’autrenuit,ettuavaisraison,commejetel’aidit.

Jordaninspiraprofondémentetrelâchasonsouffle,puishochalatête.—Ouais.Désolé.

—Situt’excusesencoreuneseulefois, jevaisêtreobligédet’embrasserjusqu’àcequetuarrêtes,grondaRuss.

Jordanledévisageaquelquesinstantsenclignantdesyeux,puisesquissaunpetitsourire.

—Désolé?Russfutfierdedirequ’ilfutunhommedeparole,maisilmituntermeau

baiseravantqu’ilsnefinissentnusdanslaselleriegrandeouverte.—Bien.Finies lesdistractions, le réprimanda-t-il,essoufflé.Çavaaller?

Vraiment?—Bienmieuxmaintenant,souritJordan.Jemesensstupided’avoirpétéun

plombàcaused’unevisitedemapetitesœur.Elleaprisl’avionjusqu’icipourvenirme voir. Ellem’amême proposé dem’aider, si elle le pouvait.Mais jecommençais tout justeàm’installer ici, tuvois?J’essayaisdemeremettre lesidées en place, puis elle est arrivée et a fait remonter tout ça. Je ne savaistoujourspascequej’allaisfairedurestedemavie,maisaumoins,jesavaiscequejefaisaispourl’instant.

Ilpoussaungrognementet fit rouler sesépaulespour sedétendre,puis ilinclinalatêteenarrièreetregardaleplafond.

— J’ai l’impression qu’il va me falloir retrouver mon équilibre avantd’avoir assez d’énergie pour gérer l’autre truc. C’est comme dansmon vieuxmanuel de psychologie, en première année de fac – comment il s’appelait, cetype,déjà?Maslove?Maslow?Legarsdelahiérarchiedesbesoins?

Russfitlamoueethaussalesépaules,impuissant.—Désolé,tum’asperdu.Lenomm’estfamilier,maisjenesuispasalléà

l’université et les manuels de psychologie ne sont pas mes livres de chevetpréférés.

Jordan balaya sa remarque d’un geste de lamain pour signifier que celan’avaitpasd’importanceetpoursuivit:

—Enfin,peu importecommentças’appelle.C’estcommeunepyramide,avecà labase lesbesoinsprimairescommel’air, l’eau,un toitau-dessusde tatête,delanourritureetcegenredetrucs.Tuasbesoind’avoirtoutçaainsiqued’autrestrucscommeêtreensécuritéetfinancièrementstableavantdepouvoirgérerautrechose.C’étaitdoncmonplan,enquelquesorte.Peut-être…Jenesaispas.Çaal’airvraimentbête,maintenant.Arrête-moi,s’ilteplaît.Bonsang,uneseulevisitedemapetitesœuret jesuispaumé.Jenesaispascommenttufaispourmesupporter.

Jordanfitminedeselever,maisRussluipritlamainetlefitserasseoir.—Calme-toi.Respireetlaisse-moiquelquessecondes,d’accord?Jecrois

quejecomprendscequetuessaiesdemedire.Tuteconcentressurleschoses

quetupeuxcontrôleretturepousseslestrucsquetunepeuxpas.—C’estcequejefais?demandaJordanavecunsourired’autodérision.Russpouffa.—Oui.C’estbonnechose,d’ailleurs.C’estintelligent.Maislaprésencede

ta sœur ici pourrait aussi être une bonne chose. Ta relation avec elle, c’estquelquechosequetupeuxcontrôler…ouaumoins,tupeuxfairedetonmieuxpourcommuniqueravecelle,pourrestertoujoursenlienavecelle.Tul’aimes.Elle t’aime.Iln’yariendemalàça.Vois-lapour lapersonnequ’elleest,nonpourcequ’ellereprésente.

—Sauf qu’elleme fait penser à tout ce que j’ai perdu.Elle veut demoiquelquechosequejenepeuxpasluidonner.Elleveutquesafamilleredeviennecommeavant.

—Maiselleneveutpasnonplusperdresonfrère,n’est-cepas?Tupeuxluidonnerça.

Jordanposalescoudessursesgenouxetsecachalatêteentresesmains.—Jenesuispasprêtàgérerçaàl’heureactuelle,grommela-t-il.RusspassalesdoigtsdanslescheveuxdeJordanetlescaressadoucement.—J’avaiscompris.JordantournalatêteversRussetémitunrireétouffé,puisdéclara:—Tusais,pouruntypequiprétendnepasêtredouéaveclesmots,tufais

dutrèsbontravail.—Jet’avertis,j’utilisemesdernièrescartouches,là.Jordanlaissaretombersesmainsentresesjambesetluisourit.—Pasencore.Russlevalesyeuxauciel,serelevaetsedirigeaverslasortie.—Viens.Assezdebavardagepouraujourd’hui.AllonsvoirsiErnieouJon

peuventtetrouverunboulotmerdiquepourtegarderoccupéjusqu’àcequePhylsonnelaclochepourlerepas.

Lorsque Jordan le rejoignit, ce petit salaud glissa lamain dans l’une despochesarrièredujeandeRussetserrasafesse.

—Jepourraisaussimemettreàchevalsurlaclôtureetteregarderdresserl’un des chevaux, murmura-t-il dans l’oreille de Russ. Vois ça comme unapprofondissementdemaformation…Unefaçond’absorbertongénie.

— Calme-toi ou je t’obligerai à nettoyer tout le fumier sur lequel tu esactuellement,répliquaRussens’écartantetenpoussantjoyeusementJordanverslepâturagedesânes.Allez,va trouver Jon.Sinon,nousne seronspasdécentspournousasseoiràtableavecd’autrespersonnes.

LerirerauquedeJordanretentitlongtempstandisquecederniers’éloignait.Russ,desoncôté,rajustasonpantalonetessayadetrouverdequoisedistraire.

XX

GEMMARESTAunejournéedeplusetrepartit lejeudimatinpourprendresonvol.Mêmes’il se sentait coupablede lepenser, Jordanétait soulagéde lavoirpartir.NonpasqueRusset luiaientétéconstammentcollés l’unà l’autredevanttouslesautresauparavant.MaisRussavaitcessésespetitsattouchementsqueJordanaimait–parcequ’ilsmettaientvisiblementGemmamalàl’aise–etilsmanquaientterriblementàJordan.

Russetluiavaientquandmêmepasséleursnuitsensemble.Jordann’avaitpasvouluyrenoncerpourleseulconfortdesasœur,maisiladmettaitêtreassezenmanque d’affection pour ne pas apprécier la perte des petites attentions deRuss.Ilpromitàsonamour-proprequel’undecesjours,ilsereprendrait.Maisiln’étaitpasencoreprêt.

Mêmesisasœuretluin’avaientjamaisautantparléquependantleséjourde cette dernière, elle avait toujours eu l’air détonnant, au ranch, dans sesvêtementsetseschaussures,certesonéreux,maiscomplètementincommodes,etqui rappelaient douloureusement à Jordan la vie qu’il avait quittée. Jordan etGemmaavaientencommunleuramourpour leschevauxet leurenfance,maisc’était tout ou presque. Et même si elle avait usé de son charme Thorndikecommeuneproavectousleshabitantsduranch,elleleurétaitrestéeétrangère–encore un rappel à Jordan qu’il n’était lui-même que de passage, que tout cequ’ilavaitàprésentn’étaitquetemporaire,mêmeRuss.

Ilavaitétéplusqu’heureuxdevivredansleparadisdudéni,maissasœuravaitpercésabulle.Le raz-de-maréeétaitbienplusdurà repousseràprésent.Unepetitepartiedesaconscienceledémangeaitaussi,lepoussantàprendredesdécisions concernant sa vie. Ses excuses pour repousser l’échéance luiparaissaientdeplusenpluspathétiques.

Pendant les deux jours qui suivirent le départ de Gemma, tout lemondecontinua à le traiter comme s’il était à deux doigts de se briser. Maisheureusement, une fois que le week-end battit son plein, Russ et Phyllis seretrouvèrentbien tropoccupéspour le traiteravecdespincettes.À la finde lajournée,Russétaitaussigrincheuxqued’habitudeetPhyllistropfatiguéepourlematerner.ChaquefoisqueRussaboyaunordreougrommelaquelquechosetoutbas,Jordandutcachersonsourire.Leschosesrevenaientàlanormaleetil

enétaitplusqu’heureux,mêmes’ilsesentaitunpeucoupabledes’accrocheràtouteslesdistractionspossiblescommeàunebouéedesauvetage.

LEMARDImatin,JonetErnievinrentvoirRussetreprirentleurstaquineriesenvers Jordan à la table du petit déjeuner. Lorsque Russ posa, de manièreabsente,unemainsurlacuissedeJordansouslatabletoutentaquinantPhyllisàpropos de quelque chose, Jordan ferma les yeux, poussa un soupir heureux etsirotasoncafé.

Lanormale.C’étaittoutcequ’ildésirait.LasantédeMarinas’amélioraitdejourenjour.MissyetDaisyavaientété

récupéréesparleursnouvellesfamillesenfindesemaine.Troischèvresavaientété adoptées par une famille de Waco. Pendant le week-end, un rancher deCliftonavaitacceptédefairedondedeuxcentsballotsdepaillequ’ilavaitenplus,aprèsqueJordanluiavaitfaitfairelegrandtourainsiqu’àsafemmeetsesenfants–etil lesavaitpeut-êtremêmeconvaincusdeprendreunchevalouunponey,parlamêmeoccasion.

Lavieétaitplutôtbelle.Russluiserralacuisse,lesortantdesespensées.—Jordan,trésor,tutesensbien?demandaPhyllisendébarrassantlatable.— Oui. Mes pensées ont juste dérivé quelques instants, répondit-il en

rougissantd’embarras.Phyllisluisouritgentimentetrassemblalesassiettes.—Ehbien, aumoins, tonappétit est revenu.Tun’aspresque rienmangé

quand tasœurétait là.Ellemangecommeunesouris,elleaussi,d’ailleurs.Çadoitêtreuntrucdefamille.

Russ fronça les sourcils, inquiet,mais Jordan serra samain sous la tablepourlerassurer.

—Jevaisbien,vraiment.J’étaisjusteentraindemedirequeleweek-endavaitétéplutôtbon,toutbienconsidéré.

LesouriredePhylliss’agrandit.— Oui. Tu as fait du très bon travail avec la femme de ce Barton, de

Clifton. Je pense que tu viens de nous trouver une nouvelle donatrice. Nousallons avoir besoin de cette nourriture en plus. Je voulais d’ailleurs vous enparler.

Russ et Jordan, qui rassemblaient les derniers restes du petit déjeuner,s’interrompirent.

—Qu’est-cequ’ilya?demandaRuss.

— J’ai reçu un e-mail ce matin du refuge Bailey, aux environs deMuskogee. Il semblerait qu’ils s’occupent d’un « refuge » qui n’en était pasvraiment un, enArkansas, et qu’ils aient besoin d’aide. Ils contactent tous lesbonsrefugesqu’ilsconnaissentpourobtenirdel’aide.C’estungrostravail,ilya des dizaines de chevaux victimes de négligence. Ils espéraient que nouspuissions en prendre au moins trois ou quatre, peut-être davantage plus tard.Russ,nouspourrionsenparlertouslesdeux,maisvuquejevousavaisJordanettoi ensemble, jeme suis dit que je pourrais vous demander si vous souhaitiezfaireunpetitvoyagedanslenord.

—Ondevraitpouvoirs’ensortir,jepense.Ettoi?demandaRuss,dontlesourires’élargittandisqu’ildévisageaitJordanenhaussantunsourcil.

—Ilfauthuitheurespourserendrelà-bas,autantpourenrevenir,doncsitupréfères,jepeuxdemanderàJond’yalleravecRuss…plaisantaPhyllis.

—Non.JordanrougitlorsquelesouriredePhyldevintplusgrand.—Non,jesuisheureuxd’aider.— Bien, répondit-elle en hochant la tête. Va à l’écurie et commence à

travailler, pendant que Russ et moi appelons certaines personnes. Puis, jepasserai quelques coups de fil pour avoir de l’aidemercredi et jeudi, jusqu’àvotreretour.

Russlerejoignitàl’écurieuneheureplustard.—PhylaréussiàavoirMichelleetunautrebénévole.Ilss’arrêterontdès

qu’ilsaurontunmoment,attaquaRusssanspréambule.Tuessûrdevouloirfaireça?Tun’asjamaisconduitaussilongtempsdepuistonarrivéeici.

Jordanfitungrandsourireetsetapotalementon.—Hummmm.Laisse-moiréfléchir.Presquedeuxjoursrienquenousdeux

etunenuitseuldansunhôtelavectoi?Jedoispouvoirfairecesacrificepourlebiendeschevaux.

Russl’attiracontreluietl’embrassalangoureusement.—Jet’avaisbienditquetuétaisgénéreux.Ilpouffa.—Nousallonsquandmêmepasserseizeheuresdansunpick-up,doncce

neserapastoujoursdrôle.—Jepeuxgérer.Russgratifial’arrière-traindeJordand’unepetitetape,puiss’éloigna.—Trèsbien.Retournetravailler,pourquenousayonsletempsdepréparer

levanaprès.Nouspartonsdemainàlapremièreheure,lança-t-ilpar-dessussonépaule.

—J’adorequandtuesautoritaire,répliquaJordanensouriant.

MÊME SI Jordan était au ranch depuis plusieurs semaines à présent, lelendemainmatin, ilse traînacommeunzombie.Russdutpratiquement le tirerjusqu’aucamionetilluimitunmugdevoyageentrelesmains.CeseraitàRussdeconduiretoutlelong,puisqueJordann’avaitjamaistractédevandetoutesavie, mais c’était sans doute l’option la plus sûre pour toutes les partiesconcernées.

—Fichues personnesmatinales, grommela Jordan tandis que Phyllis leurdisaitaurevoird’unjoyeuxgestedelamain.

—Jemelèveenmêmetempsquelesanimaux,répliquaRussensouriant.Net’enfaispas,monange.Jesaisquetun’aspasl’habitudeencore.Jepeuxmetaire,situveuxterendormir.

—Jeneseraispasunboncopilotesijetelaissaisseul,marmonnaJordanenbâillant.

—Àcette heure, je suis en forme.Par contre, quand le soleil se couche,c’estuneautrehistoire.

— Tu es plus qu’en forme après le coucher du soleil aussi. Je parled’expérience.

Russsouritetbattitdescils.—Ehbien,merci,monbonmonsieur.Jordanfaillitenrecrachersoncafé.AvoiraffaireàunRusstaquinetjoueur

pouvaitvaloirlecoupdeseleveràpointd’heure.Une fois que Jordan eut cessé de tousser et de s’essuyer la bouche,Russ

attrapasontéléphone,ledéverrouillaetleluitendit.— Il y a quelques livres audio surmon applicationAudible, et quelques

autresencoresurOverdrive,situveuxenchoisirunquenouspourrionsécouter.LesouriredeRussdevintunpeupenaud.—Jemesuisditqueceseraitplusfacilequedetrouverunterraind’entente

pourlamusique.—Quoi?Tuneveuxpasquejetedivertisseavecmesrépartiesspirituelles

pendantleshuitprochainesheures?Jesuisvexé.—Situveuxparlerdequoiquecesoit,tusaisquejet’écouterai,répliqua

Russ,suruntonetavecunregardbientropsérieux.—Non,çava,s’empressaderépondreJordan.Ils n’avaient plus eu de conversation à cœur ouvert depuis celle dans

l’écurie, ce qui convenait très bien à Jordan pour l’instant. Il était encorebeaucouptropembarrassésuiteàlafoisprécédente.

—Arrêtedepenserça,murmuraRussenjetantunregardetunsourireencoinàJordan.

Ce dernier garda la tête baissée et parcourut les titres sur le téléphone deRuss,surprisparsabibliothèqueimpressionnante.

— Je ne savais pas que tu lisais autant. J’ai bien vu les livres sur lesétagères,danstachambre,maisça,c’estimpressionnant.

Russhaussalesépaules.— J’ai découvert les livres numériques et audio quand j’ai commencé à

travailler au B STAR. Donc, quand j’ai déménagé, je n’ai emballé que lesexemplaires papier demes livres préférés et donné les autres. Tu as plein detempspourécouterunlivrequandtunettoieslesboxesetquetufaisdestâchesingrates et je lis beaucoup avant d’aller me coucher, mais en numérique, laplupartdutemps.

—Jet’avaisseulementvuprendreunlivredeuxoutroisfois,lesoir.Jenesavaismêmepasquetuavaisuneliseuse.

—C’estparcequej’aiétéoccupéparquelquechosedetrèsdifférent.Jordanluirenditsonsourireetlevalesyeuxauciel.— Désolé. Je n’avais pas conscience de t’éloigner de ton passe-temps

favori.Russlâchalevolantpourluiserrerlacuisse.—Çaenvautlapeine.Jordanmasquasonfrissondeplaisiretparcourutl’écranjusqu’àtrouverun

JohnGrishamaurésuméintéressant.Ilavaitlutellementpourlescoursqueliren’étaitplusvraimentunplaisir,maispeut-êtrequ’ilsuivraitl’exempledeRussàpartir de maintenant et chercherait des livres audio, surtout s’il pouvait lesempruntergratuitementàlabibliothèque.

Regardez-moi,mevoilàdevenuéconome.Àl’heuredudéjeuner,Jordanétaitconvaincuqueleslivresaudioétaientla

meilleureidéedumondepourlesroad-trips.Safamillen’avaitjamaisétéadeptedes road-trips. Comme la banque de son père possédait un jet privé, ils s’enservaient en général ou voyageaient dans des vols commerciaux en premièreclassepourserendre làoù ilsdevaientaller.Aprèsquatreheuresdevoitureetencorequatreàeffectuer,Jordancomprenaitcependantpourquoi.

—J’ailesfessesendolories,gémit-il.—C’est pour ça qu’on s’arrête.Et aussi parce que jemeurs de faim.Ne

t’inquiètepas.Jetelesmasseraicesoiràl’hôtel.—Promis?—Jesuisunhommedeparole,tutesouviens?À l’extérieur du restaurant, Russ fixa la salade de Jordan, dubitatif,

lorsqu’ils se dirigèrent vers une table, mais il ne releva pas. Très vite, ilsretournèrentenvoiture.

Justeavantd’arriveraurefuge,àencroireleGPS,RussdemandaàJordandemettrelelivresurpause.

—Nousallonsbientôtarriver,doncj’imaginequ’ilfautquejeteprévienne.Nous ignorons dans quel état sont les chevaux. Certains n’ont peut-être passurvécuauvoyage.Ceneserapasaussihorriblequesinousnousétionsrendusàl’endroit où ils ont été négligés. Bailey est un homme bon et dirige un bonrefuge.Mais il fallait que je te prévienne avantquenous arrivions.Lavuedetouscesanimauxensimauvaiseformemebriseencorelecœuràchaquefois,mêmeaprèsdixannéespasséesauBSTAR.

Russleregardad’unairgravejusqu’àcequeJordanhochelatête.Jordaninspiraprofondément,soufflaetdit:

—Jecomprends.Mercidemel’avoirrappelé.Le refuge Bailey possédait un joli panneau en bois à l’entrée du ranch,

nichéaumilieudegrandesfleurssauvagesjaunesetblanches.Àmi-cheminduranch,ilsdurentattendrequ’unemamanoieetsesoisonsaientfinidetraverser.UnevachedesHighlandsàpoilslongsruminaitparesseusementdansunchampsurleurdroiteetlesfixad’unregardcurieuxsoussafrangebrun-rouxlorsqu’ilssegarèrentprèsdelamaison.

Leranchlui-mêmeétaitbienpluspetitqueleBSTAR.LorsqueJordanfitpartdesaréflexionàRuss,cedernierrépondit:

—Baileys’occupesurtoutdechevaux.Ilapeut-êtreunoudeuxânes,peut-êtrequelquesautresanimauxfermiers,maislerefugeestconsacréauxchevaux.

— Bien l’bonjour ! s’exclama un homme au crâne dégarni, vêtu d’unesalopette étirée sur son ventre impressionnant et son torse corpulent, endescendantlesmarchesdelamaison.

Lalumièredusoleilsereflétasurlapeaubrunedesoncrânetandisqu’ilsel’essuyaitavecunchiffon.

—Vousavezfaitbonneroute?Russ,c’estça?Cedernier sourit, inclina sonStetsonen feutrebrunclair–qu’il réservait

auxmomentsoùil«s’habillaitbien»quandilsortaitduranchpourrencontrerdumonde–etserralamaindel’homme.

—C’estmoi.EtjevousprésenteJordan.— Enchanté, Jordan.Moi, c’est Jedediah, mais tout le monde m’appelle

Bailey. Fait plus chaud qu’en Enfer, ici. Entrez. Naomi va nous trouver uneboissonfraîche.

Naomi était la fille deBailey, âgée de dix-sept ans. Elle prit le temps derassemblerlespapiersétaléssurlebureaudefortune,penséàl’originecomme

une salle àmanger, sans doute, puis les salua et aida son père à servir le théglacé.

Lamaisonétaitpetiteetlemobilier,lesparquetsetlestapisvieuxetusés.Quelques semaines plus tôt à peine, Jordan aurait considéré avecmépris cettemaison et le canapé défraîchi sur lequel ils étaient assis pendant qu’ilséchangeaientdesbanalités–toutcommesasœurl’avaitfait.Maisàprésent,toutce qu’il se disait, c’était combien ces gens étaient bons, pour donner chaquecentime à une cause plus importante. Les parents de Jordan avaient, certes,toujoursdonnébeaucoupd’argentàdesœuvresdecharité,maissanssesacrifierpourautant.Ilsn’avaientjamaisressentilemoindrepincementaucœurdepartirsansaiderpersonne.Donner,lorsquel’onn’avaitquetrèspeud’argent,étaittrèsnoble.

Russ était payé pour son travail, mais il aurait sans doute pu obtenir unmeilleur salaire n’importe où ailleurs, et il était évident qu’il faisait bien plusd’heuresquenel’exigeraitunboulotnormal.Illefaisaitparamour,toutcommeBailey.

JordanadressaunregardattendrietunsourireénamouréàRuss,quifronçalessourcils.

—Çava?articula-t-ilquandBaileypartitremplirleursverres.Jordanseretintdesoupireretdebattredescils.—Oui,jevaisbien.—D’aaaaccord.Russleprenaitsansdoutepourunfou,maisJordann’enavaitcure.Ilavait

toutelanuitàl’hôtel–etsansPhyllisàportéedevoix–pourconvaincreRussducontraireetluimontrercombienill’admirait.

Aprèsplusieursminutesdeconversation,Baileylesguidajusqu’aupâturageoùétaientgardés lesnouveauxvenus. Jordaneut leventrenouéenvoyant lesanimauxémaciésetépuisés.

— Nous les avons mis sous un régime hypercalorique et donnons desantibiosauxplusmalades.Nousnepouvionsenprendrequ’unedizaine,mêmetemporairement.Lesautresontétééparpillésdanstouslesrefugesquiavaientdelaplace.Phyllism’aditquevouspouviezenramenerquatre?

Russhochalatête.—Oui.Nouspouvonsenprendrequatredanslevan.Unefoisqu’ilsseront

installésetquenoussauronsplusprécisémentcedontilspeuventavoirbesoin,nous pourrons venir en prendre plus. Tout dépend si les adoptions se passentbiencettesemaineetlasemaineprochaine.

—Nousvous sommes reconnaissantsdevotreaide,dans tous lescas,ditBailey en souriant. Naomi a rempli les papiers pour quatre chevaux. Nous

pouvonsdéjà lesmettreà l’écartdesautresce soir.Ces’raplus faciledemainpourleschargerdansl’van.

—Çanousaideraitbeaucoup,mercibien.Àeuxtrois,ilsrepérèrentleschevauxcorrespondantauxnumérosnotéspar

Naomi et les déplacèrent dans un enclos. Russ les examina et décida qu’ilsétaient assez gentils pour qu’il puisse tailler leurs sabots trop longs et dont lafourchette1étaitpourriepourqu’ilssoientplusàl’aisependantletrajet.Jordann’avaitjamaisvud’aussilongssabotsdetoutesavie.Certainsrebiquaientmêmecomme des chaussures d’elfes. Ils étaient horribles et sentaient extrêmementmauvais,quandRusscommençaàcouperleszonesinfectées.

Quand Russ eut fini sa rapide coupe d’ongles des quatre chevaux qu’ilsprenaientaveceux, lesoleilcommençaitàsecoucheretJordanétaitbienplusfatiguéqu’ilnel’auraitdûaprèsavoirpassélajournéeassissursesfesses.MaisRussproposamalgré tout de s’occuper de certains autres chevaux, tant que laluminositéétaitsuffisante.Heureusement,Baileysecoualatête.

—J’aiungarsquidoitveniraprès-demain.Vousavezfaitunelonguerouteet le retour sera tout aussi long demain. Reposez-vous, on se revoit demainmatin.

Ilsdétachèrentlevandupick-upetlelaissèrentdanslechampdeBailey.Ilsremontèrentenvoitureetsedirigèrentversl’autoroute.CommeRussavaitl’airdeneplustenirdebout,Jordaninsistapourconduirecettefois-ci.

— Je suis désolé,mon ange,murmuraRuss alors que Jordan s’engageaitdanslavoiemenantàlapetitevilledeSummit,danslabanlieuedeMuskogee.

—Àquelpropos?Russbâillaetappuyasatêtecontresonsiège.— J’avais de grands projets pour ce soir. Je voulais t’emmener dîner au

restaurant, comme dans un vrai rencard, avant que nous retournions à l’hôtel,maisjesuismort.Jem’endormiraissansdouteavantmêmequenousayonsfinil’entrée.

JordanadressaunsourirejusteàpeineénamouréàRuss,toutenluijetantunregardencoin.

—Ahoui?Tuvoulaismeproposerunrendez-vous?—J’auraisdûlefaireplustôt,maisleschoixsontplutôtlimitésautourdu

ranch, si tu veux éviter les chaînes de fast-food – qui ne conviennent pasvraimentàdespalaisraffinés,situvoiscequejeveuxdire.Jem’étaisditquejetrouveraisbienunendroitprèsd’icipittoresqueetdouillet,mêmesiçan’auraitpasétéunecuisinecinqétoiles.

—Jemefichede l’endroitoùonva,Russ,vraiment.Etne t’inquiètepaspour ce soir.Tu as passé des heures à couper et limer les sabots,même après

avoirfaithuitheuresderoute.C’estévidentquetuesfatigué.Moiaussi,jesuisfatigué,alorsque jen’aipas faitgrand-choseaujourd’hui…Trouvons-nousunhôtel, et pendant que tu prendras ta douche et te détendras, j’irai chercherquelquechoseàmanger.

Le sourire deRuss fut légèrement sentimental, lui aussi. Il était vraimentadorable quand il était somnolent comme cela, très mignon, vraiment, maisJordannel’auraitjamaisditàhautevoix.

—Monhéros,murmuraRuss,àmoitiéendormi.

1Le«creux»danslessabotsdeschevaux,entrèsschématisé.

XXI

JORDANOPTApourde lanourriture tex-mexàemporter,parcequeChili’sfut la première enseigne qu’il reconnut. Il n’était pas d’humeur à se montreraventureuxaveclacuisinelocale,mêmes’ill’auraitfaitvolontierssiRussavaitétéd’attaquepourunrencard.Pourêtrehonnête,Jordann’avaitjamaisréfléchiau fait queRuss et lui n’avaient jamais eu de vrai rendez-vous,maisRuss si,manifestement.

Semordillantlalèvre,Jordancoupalemoteuretdescenditdupick-up.LeBSTARétaitsafaçond’échapperàlaréalité–commeuneîleenpleinetempête,détachéedetoutlereste–,maisétait-cejustevis-à-visdeRuss?Leranchétaitenrevanchetoutelaviedecedernier.Russavaitditqu’ilcomprenait,maisest-ce que Jordan ne faisait que jouer au petit couple, là oùRuss était tout à faitsérieux?

—Seigneur,Jordan,reprends-toi,marmonna-t-il.C’étaitcensén’êtrequ’unrendez-vous.Ilnet’apasdemandéenmariage.

Ilattrapalessacsdenourritureetrefermalaportièredelavoiture,avantdesedirigerversleurchambre.

—Hé, mon ange, l’interpella Russ, allongé sur le lit, à moitié endormi,quandJordanentra.

—J’aiapportéleravitaillement,annonçaJordanenposantlesboîtessurlapetitetable,tandisqueRussallumaitlalumière.

—Monhéros,répétacedernier.Jordan découvrit qu’il avait étonnamment faim, pour quelqu’un n’ayant

presquerienfaitde toute la journée. Il termina tous lesplatsqueRussnefinitpas, et pourtant, il n’avait pas lésiné sur les quantités en achetant à manger.Lorsqu’ilavait tendusacartebleue,au restaurant, il avaiteuun flash-backdujourdesondépartdechezluietdelamortificationressentieàlastation-service.Mais,àsongrandsoulagement,ilavaitpupayersansproblème.

Cettecartedébitaitsoncompteprivéetils’enétaitàpeineservidepuissonarrivéeauranch,donciln’auraitpasdûs’eninquiéter,maisc’étaitnouveaupourlui de compter chaque dollar qu’il dépensait. Dans son ancienne vie, sesdépenses mensuelles étaient de quelques milliers de dollars et il savait qu’ilpouvaitenavoirdavantages’ildépensait trop.Maisàprésent, l’argentsurson

comptepersonnelétait tout cequ’ilpossédait, tantqu’iln’auraitpas trouvécequ’ilallaitfaire.Cettepenséeétaitterrifiante.

Il se sentait démuni. Il ne pouvaitmêmepas commander de la nourrituresansêtrenerveux.Iln’avaitjamaiscomprisàquelpointilétaitdépendantdesesparents, pas avant que toutes les petites choses auxquelles il avait à penseractuellement ne commencent à s’accumuler. Ces petites choses dont d’autress’étaient chargés pour lui, sans qu’il ait besoin de savoir comment.Lemonderéelserapprochaitdeplusenplusetilnepourraitplusl’ignorerlongtemps.

Unefoisleurrepasterminé,Russl’aidaàramasserlesboîtesvidesetàlesremettre dans les sacs. La table nettoyée et les sacs mis à la poubelle, Russs’approcha et l’embrassa. La langue de Russ avait un goût d’ail et de saucebarbecueetJordanluirenditsonbaiseravecferveur.

— Comme je t’ai acheté à manger, tu te sens obligé de passer à lacasserole?demandaJordanentredeuxbaisers.

Russsourit.—Obligé?Non.Est-cequejeleveux?Toujours.— Même si tu es épuisé et que tu vas devoir te lever tôt pour tout

recommencerdemain?demandaJordanenhaussantunsourcil.—Chéri, il faudrait que je soismort pour te dire non, rétorqua Russ en

attrapant Jordan par la ceinture. Bon, je ne vais peut-être pas tenir plus d’unround,maisjevaisfaireensortequeceround-làenvaillelapeine.

—Alors,autantnousactiver,letaquinaJordan.IlrepoussaRussetcommençaàsedéchausser.Lorsqu’ilfitpassersontee-

shirtpar-dessussatête,ilremarquaqueRusssecontentaitdel’observer.—Qu’est-cequetufais?—Jesavourelespectacle,réponditRussavecungrandsourire.Jordanfronçalessourcils,mêmes’ilserengorgea,aufonddelui.—Arrêtedemeregarderetcommenceàtedéshabiller.Sinousn’avonsque

peudetempsavantquetut’écroules,alorschaquesecondecompte.LesourireencoindeRusss’agranditencore.—Oui,monsieur.Étant donné qu’après sa douche,Russ n’avait remis qu’un tee-shirt et un

boxer,ilapparutdanstoutesaglorieusenuditédevantJordanbienavantquecederniern’aitterminédesedéshabiller.RussnuétaitunspectacledontJordanneselasseraitjamais.Minceettannéparlesoleil,toutsoncorpsétaitfaçonnéparletravail.Sestétonsbrunsressortaiententresespoilsnoirsclairsemés,suppliantd’êtretouchésetgoûtés.

RussavaitdévisagéJordancommes’ilavaitperdul’esprit,lapremièrefoisqu’il avait demandéoù il pouvait trouver un endroit pour se faire épiler,mais

même Russ était assez vaniteux pour se raser le torse de temps en temps.Comme il lui avait proposé son aide la fois précédente, Jordan savait ce qu’ilaffirmait.D’ailleurs,celaavaitconduitàunesympathiquesoiréedebatifolagesaprèscoup.

—Quiest-cequitraîne,maintenant?demandaRussensouriant.—Jemecontented’admirerlespectacle…Desavourer.— Eh bien, viens un peu plus près et je m’assurerai que tu savoures

vraiment.LablaguevraimentaffreusedeRussfitgrognerJordan,maissonmembre

s’agitaavecenvielorsqu’ilserapprochadesonamant.—Tuasdelachanced’êtremignon,parcequetesblaguessonthorribles,

plaisanta Jordan en passant un bras autour de la taille fine de Russ pour lepressercontrelui.

—Jefaisdesblagues,moi?répliquaRussenfrottantsonmembrecontreceluideJordan.

Comme plaisanter leur faisait perdre un temps précieux, Jordan posa sabouche sur celle de Russ. Ce dernier les tira vers le lit, tandis que JordanembrassaitetcaressaittouteslespartiesducorpsdeRussàsaportée.Russétaitfraisetsentaitlepropreaprèssadouche,cequimitJordanmalàl’aisequandilréalisaqu’iln’enavaitpasprisdepuislematin.Heureusement,iln’avaitpasfaitgrand-chosedeplusque rester assisdansunevoitureetmaintenir leschevauxpendant que Russ faisait tout le travail. En outre, Russ semblait aimer quandJordanétaitunpeudépenailléetsale.C’étaitunréelchangementparrapportauxhommestroppomponnés,recouvertsdecrèmesetpropressureuxaveclesquelsJordanavaitcouchéjusque-là.

RussgrognaetpoussaJordansurlelit.—Ouille,ditcedernier,lematelasn’ayantpasamortisachuteautantqu’il

l’auraitvoulu.Ilfitlagrimace,roulasurleventreetsepassaunemainsurlesfesses.LesressortsgrincèrentquandRusss’agenouillasurlelitetau-dessusdelui.

IlrepoussalamaindeJordanetluiembrassaunefesse,puisl’autre.— Désolé, mon ange. J’avais oublié que le matelas était fait en silex.

Laisse-moiembrasserçaettefairetesentirmieux.SurungestedeRuss,Jordanseretournaavecbonheur.Lesmotsnefurent

plusvraimentnécessaires après cela,même si Jordanavait puprononcer autrechoseque«putain»,«ouais»,«Seigneur»oubredouillern’importequoi.Labouche et la langue de Russ étaient de véritablesmagiciennes, ce que Jordanavait découvert au cours des dernières semaines – et ajoutez-y ce soupçon debarbe, et Jordan était au paradis. Coucher avec un homme plus vieux et plus

expérimentéavaitvraimentsesavantages.Mêmesi la journéeavaitété longuepour Russ et qu’il ne devrait sans doute pas faire tout le travail, Jordan étaitincapabledeformulercettepensée.

Toutcequ’ilparvintàdirefut:—Bonsang,Russ,baise-moiavantquejeperdepiedetquejetelaissete

débrouillerseul.Cenefutpasladéclarationlaplusgénéreuseniromantiqueaumonde,mais

ellefonctionna.Ilyeutunbruissement,puisunsachetdepréservatifdéchiréetl’ouverture d’un pot de lubrifiant, avant que Russ ne l’emplisse en une seulelonguepoussée.

Jordansecambra,posaunemainsurlaplancheenboisposéeaumurtenantlieu de tête de lit, l’autre sur la hanche deRuss et commença à bouger.Russparut comprendreque leur étreinten’allait pas être dugenre lente et douce. IlressortitetmartelaJordan,quiremuaitdeshanchespouralleràlarencontredechaque coup de boutoir. Russ le chevaucha passionnément, grognant ettranspirant, d’après les gouttes de sueur qui tombaient sur le dos de Jordan.Comme Jordan ne plaisantait pas en disant qu’il était à deux doigts de perdrepied,ilnefallutpaslongtempsàsestesticulespourseserrer.Ilarqualedosetcria en jouissant sur les draps. Russ gémit, le martela quelques foissupplémentaires et se figea. Il serrait assez fort la hanche de Jordan pour luilaisserdesmarques,maiscedernier secontentadesoupirerdebonheur tandisqueRuss posait de petits baisers paresseux sur ses épaules et sa nuque, entredeuxsoufflessaccadés.

Engrognant,Russsedégageaetretombasurlematelas.Aprèsavoirenlevélepréservatifetl’avoirjeté,ilfermalesyeux,maisJordanlesecoualégèrement.

— Pas encore, l’endormi. Viens. Hors de question que je dorme sur lesdrapshumides.

IltraînaunRussàpeineconscientjusqu’ausecondlitdelachambre.Ilôtaledessus-de-litbrillantet immonde,repoussa lacouetteenpolyesteretcouchaRuss,avantdelesuivresouslesdraps.

LERÉVEILsurlatabledechevetposéeentreleslitsluiindiquaqu’ilétaitàpeinevingt-troisheures,quandils’éveilladesapetitesiestepost-sexe.Russétaittoujoursprofondémentendormi,maiscommeilétaitlaquintessencedel’hommematinal,Jordanyétaithabituéàprésent.

Un sourire tendre aux lèvres, il se redressa sur un coude, la tête appuyéecontresonpoing,etobserval’hommeendormiàsescôtés.Ilneconnaissaitpas

grand-chose en matière de relations de couples et de petits amis, mais Russdevaitêtrel’undesmeilleurs.Russpouvaitêtrerevêcheetirascible,maisparcequ’il s’inquiétait beaucoup.Toute sa vie, Jordan s’était vu répéter qu’il devaitcachersessentimentsderrièreunmasquedefroideuretuncertaindétachement,donciln’étaitpashabituéàcetypedecaractèrespassionnés.Maisbonsang,ilétait sacrément beau à regarder. Ses parents considéreraient Russ comme unhommebruyantetordinaire–doncsansvaleur.MaisJordanaimaitcestraitsdecaractère.Àvraidire,ilignoraits’ilauraitsurvécucesdernièressemainessansRuss.

Il se trouvait dans une chambre d’hôtel merdique, humide et sentant lerenferméetletabacfroid.Laclimatisationfaisaitautantdebruitqu’unaviondechasseaudécollage.Lesdrapsétaientbonmarchéetgrattaientlapeau.Ilyavaitautourdeluilespirespeinturesd’hôtelcouleurpastelqu’iln’avaitjamaisvues.Ilétaitallongésurunmatelasquiluiauraitsansdoutedétachéquelquesdisquesetvertèbresdesacolonned’icilematin–sansmêmeparlerdelasalledebain…Etpourtant,ilétaitheureuxcommejamais.

Çanemedérangeraitpasdepasserlerestedemaviecommeça.Ilsefigea.Sonsoufflesebloquadanssagorgeetilécarquillalesyeux.Bordeldemerde.Ilétaitheureux–véritablementheureux–plusheureuxqu’ilneserappelait

l’avoirétédepuissonenfance.Iltournaitpeut-êtreenronddepuisdessemaines,effrayédeprendrelamoindredécisionconcernantsonavenir,maisaujourd’hui,ilavaitfaitquelquechosedebien,quelquechosedontilpouvaitêtrefier.

Iln’avaitpasdetravail,pasdemaisonetn’avaitplusdefamilleoupresque,maisilavaitRuss…etPhyllis,etJonetErnesto.Ilsétaienttousdesgensbienquisesouciaientdelui.

La gorge nouée, Jordan essaya de respirer alors que les pensées et lessentimentsprenaientformeenlui.Ils’assitetrapprochasesgenouxdesontorse,leregarddanslevague.

Lavienesignifiaitpeut-êtrepasavoirungrandaveniravectoutuntasdediplômes,detitresetunecarrièredontsonpèreseraitfier.Mêmeaprèslecoupdévastateurportéparsonpère,Jordanavaittoujoursététellementintimidéparlagrandequestionde«Quoifairedesavie»qu’ill’avaitfuie,mêmeenpensée.Ilavaitcontinuéàréfléchirselonlescritèresdesonpère,danssatête,àconsidérersonavenirenfonctiondesattentesdecedernier–unecarrière,unbureaudansun grand bâtiment et un appartement ou une maison chic, dans un quartiertendance,poursortirlessoirsetlesweek-ends.Maisilavaitvujusteunpeuplustôtaussi.LeranchétaittoutelaviedeRuss…etdePhyllis,deJonetd’Ernesto,etdetoutuntasd’autrespersonnes.C’étaitleurmaisonetleurcarrièreetJordan

ne les mésestimaient pas à cause de ce choix. À vrai dire, il les admirait del’avoir fait.Pourquoi,alors,nepourrait-ilpaschoisircettevie-là, luiaussi? Iln’auraitpasdesalaireàsixchiffresavecsonnomgravésuruneplaqueenlaiton,maisc’étaitunevie,etunebonnevie;uneviequilerendaitplusheureuxquen’importequelleautre.

Il inspira profondément et souffla longuement pour tenter de calmer soncœurquibattaitlachamade.

Net’égarepastropnonplus.Personneneluiavaitdemandéderesterpourtoujoursauranch,enfait,pas

mêmeRuss.Jordann’avaitpascachéqu’iln’étaitlàquetemporairement.Maisilpouvait en parler à Phyllis, non ? Il l’avait assez aidée avec ses papiers poursavoirque le ranchnepouvait sepermettredepayerunautreemployéàpleintemps, mais il pouvait travailler à côté. Il était plutôt doué pour faire durelationnel et gérer les levées de fonds. Il connaissait beaucoup de famillesrichesetinfluentesqu’ilpouvaitcontacterpourtrouverencoreplusdedonateurset il pourrait toujours prendre un emploi de bureau dans l’intervalle. Deuxannées de fac de droit devraient lui permettre de trouver un boulot d’assistantjuridiqueoudeclercdenotaire.Mêmesilaseuleidéedeseretrouverànouveauderrièreunbureaulefitfrémir,ilpouvaitlefaire,surunebrèvepériode,sicelasignifiaitqu’ilpouvaitresterauranch.

Une boule dans la gorge, Jordan essaya de penser aux détails pratiques –commel’avaitditRuss:leschosesqu’ilpouvaitcontrôlerplutôtquecellesqu’ilne pouvait pas. Tout ce qu’il avait fui ne lui paraissait plus aussi effrayantmaintenantqu’ilavaitlesentimentdefuirversquelquechoseplutôtquedefuirquelquechose.Lesdemi-penséesqu’ilavaiteuesetmisesdecôtén’étaientplusaussi effrayantes, quand il les regardait à la lumière de la possibilité de resteravecRussetsesnouveauxamis.

S’ilsveulentdemoi.Jordanrepoussasanervositéetseconcentrasurlesbases.Dèsqu’ilpourrait

s’absenterbrièvementaprèsleurretour,iliraitàDallaspourvendresavoiture.Ilnepouvaitplusenpayerl’assurance.Ils’offriraituneberlinebonmarchépoursedépanner.IlmettraitaussisaRolexetsesbijouxauclou.Avecl’argentqu’illui resterait de la vente de sa voiture, cela devrait lui offrir un matelasconfortable jusqu’à ce qu’il se trouve un travail rémunéré. Il pourrait aussidéplacerlerestedesesaffairesdanslachambredeRuss,siPhyllisavaitbesoind’espace pour concrétiser son idée de Bed and Breakfast. Il ne passait plusbeaucoupdetempsdanssaproprechambre,detoutefaçon.

Russ avait dit que leur relation perdurerait jusqu’au départ de Jordan. Iln’avaitsansdoutepasanticipéquecedépartneviendraitjamais,maisleschoses

sepassaientplutôtbienentreeux,non?EtsijamaisRussnevoulaitpasdetoiàlongterme?Ilsupportepeut-être

ton petit drame personnel de névrosé parce qu’il sait que ce n’est paspermanent.

Jordansecoualatêteets’étenditàcôtédesoncopaintoujoursendormi.Vatefairevoir,dit-ilàlavoixdesonpère.Il ne pouvait pas laisser cette dernière l’arrêter. Russ, Phyllis et tous les

autresavaientpatiemmentattenduqu’il fassedesprojets. Ilnepouvaitpas lesdécevoirpourtoujours.

Levoilà.Sonplan.Ils’enétaitcachédepuisdessemaines,maisilenavaitun, à présent. Ce n’était peut-être pas le meilleur plan dumonde et il l’avaitpresquetrouvéparhasard.Saréussitedépendaitbeaucoupdelagentillesseetdelagénérositédesautres,maisilétaitdésireuxdetravaillerdurpourlesremercierdeleurgénérosité.Iladoraittravailleravecleschevauxetilétaitdoué.Toutlemondeledisait.Ilpouvaitlefaire.

SACONFIANCEenlui,déjàfaible,s’ébranlaunpeuplusaufildesheures,lelendemain,pendantleretour.JordannepouvaitpasenparleràRuss,pasencore.IldevaitvoirPhyld’abord.Leranchluiappartenait,mêmesiRussétaitsonbrasdroit.C’étaitàPhyldedéciders’ilpouvaitresterounon,etelledevaitsebaseruniquementsursesmérites.

Il se répéta si souvent ce qu’il allait lui dire, puis à Russ ensuite, qu’ilentenditàpeineunmotdulivreaudioqu’ilavaitchoisi.

—Çava?demandaRussaprèsquelquesheuresdetrajet.—Oui.Jesuisjustepensif.—Est-cequejepeuxt’aider?Jordanluiserralacuisse.—Jeteledirai,sic’estlecas.—D’accord, réponditRussavecun regardencoin, avantde reporter son

attentionsurlarouteetdegarderlesilence.Lorsqu’ilsarrivèrentauranch,Jordanétaittropfatiguépourpenser,encore

moinspour faire songranddiscoursdevantPhyl. Ilsétaientpartisunpeuplustarddans lamatinéeque laveille, puis avaient chargé les chevauxet s’étaientarrêtésbienplussouventquelaveillepours’assurerqu’ilsallaientbien,sibienqu’illeurfallutbienpluslongtempspourfaireletrajetretourqueletrajetaller.Lorsqu’ilssegarèrent, la journéede travailétaitpresque terminée,maisJonetErnieétaientrestéspourlesaideràdéchargeretinstallerlesnouveauxchevaux

dans leur box. Ils resteraient à l’écart des autres tant que leDrWatneyne lesaurait pas examinés, et après cela, ils seraient peut-être autorisés à rejoindrel’enclosclôturé,d’oùilspourraientêtreprésentésaurestedutroupeau.

Jon et Ernie s’attardèrent un peu, pour parler du ranch de Bailey et duvoyage, mais comme il devint vite évident que ni Jordan ni Russ n’étaientd’attaquepouruneconversationbrillante, leshommesrentrèrentchezeux.DèsqueJordanetRusseurentfinileursassiettes,Phyllesviradelacuisine.

— Allez vous reposer. Lisez un livre si vous n’êtes pas encore prêts àdormir,maisvousavezl’airdedormirdebout.

—Merci,Phyl,murmuraRussavecunsourirelas.— Je suis épaté d’être aussi fatigué alors que je suis resté assis toute la

journée.Franchement, je n’ai rien fait et j’arrive pourtant à peine à garder lesyeuxouverts,seplaignitJordanenmontantl’escalier.

—C’estàcausedetoutescesréflexionsquetut’esfaites.Çapeutêtredurpourunmec,quandiln’yestpashabitué.

Àl’étage,Jordans’arrêtapourlancerunregardnoiràRuss,quiarboraitunimmense sourire et donna un coup d’épaule joueur à Jordan en passant.Renfrogné,Jordansoufflaetlesuivitjusquedanslachambre.

— Tu as de la chance que je sois trop fatigué pour te faire ravaler tesparoles,déclaraJordanavantdes’affalertêtelapremièresurlematelas.

Lesdrapsétaienttoujoursendésordre,puisqu’ilsn’avaientpasfaitlelitlaveille,etsentaientRussetsonfoyer.Jordangémitetseblottitdavantage.

—Non,nefaispasça.Êtrefatiguén’estpasunebonneexcusepourportertes chaussures au lit… Ce qui me fait penser que nous devrions vraiment tetrouverunepairedebottesdecow-boycorrectes.

Jordansemitsurledosetcommençaàdéfaireseslacets.—Ahoui?Tucroisquejeseraissexydansunepairecommelestiennes?LesouriredeRussétaittoujourslas,maispassionné.—Monange,tuessexyquoiquetuportes…etmêmequandtuneportes

rien,ettulesais.Après avoir jeté ses chaussures, Jordan se tortilla pour ôter son pantalon

sanss’asseoir.Encoreunderniereffortetsontee-shirtrejoignitsonpantalonetseschaussettesparterre.

—Ilyaunepanièredanslecoin,tusais,grommelaRusssansconviction.—Jelesmettraidedansdemainmatin,promis,réponditJordanenbâillant.—Bien.Russbâillaàsontour.—Parcequ’iln’yapasdefemmedechambreicietilesthorsdequestion

quejepasseaprèstoi.

Russs’affalasurlematelasàsescôtésetJordanseblottitcontrelui.Phyllisneréglaitpaslaclimatisationàvingt-deuxdegrés,commeilenavaitl’habitudechezlui,maisilvoulaitbienêtreunpeucollantsicelaluipermettaituncontactpeau à peau. Heureusement, cela ne paraissait pas déranger Russ, et ilsfinissaienttoujoursparseséparerpendantlanuit.

D’ordinaire,ilfallaituneéternitéàJordanpours’endormir,tandisqueRusss’effondrait en une seconde. Ce soir-là, cependant, Jordan se souvint à peined’avoirfermélesyeuxavantqueRussfassetremblerlelitenselevantàl’aubelelendemainmatin,commed’habitude.

XXII

APRÈSLE petit déjeuner, il y eutbeaucoup tropde choses à fairepourqueJordanpuisseparleravecPhyl;dumoinss’enconvainquit-il.IlvoulaitallervoirMarina et certains animaux à problèmes. En plus, ils devaient s’occuper dequatre nouveaux chevaux enmauvaise forme, alorsRuss aurait besoin de sonaidepourlesexaminerplusprécisémentetnoterleursproblèmes,pourenparleravecleDrWatney.

Mais l’agitation finit par se calmer et reprendre son rythmenormal.Russpartits’occuperdesesactivitésdedressage,laissantJordanàsonhabitueltravaild’entretien de l’écurie. Malgré sa nervosité, il redressa les épaules, posa sabrouetteetsapelledecôté,etserenditd’unpasdéterminéàlamaisonavantdesedégonflercomplètement.

Quelestlepirequipourraitsepasser?Ellepouvaitdirenonetilperdraitsonfiletdesécurité.Mais il n’était plus un enfant. Dans certains domaines, il était peut-être

aussi impuissant et ignorant qu’un enfant, mais il avait d’autres options. Ilpréféreraitnepasavoiràsauterdunid,maisilpouvaitlefaire,aubesoin.

Une fois son petit discours d’encouragement interne terminé, il se renditdans lepetitbureaudePhylliset frappaà laporteavantdepasser la têtedansl’ouverture.

— Tu as une minute ? demanda-t-il lorsqu’elle redressa la sienne et luisourit.

Elleposaseslunettesdelectureethaussalessourcils.—Biensûr,trésor.Qu’est-cequejepeuxfairepourtoi?C’estdoncàçaqueçaressemble,unentretiend’embauche.Cen’étaitpas

aussiterrifiantquedefairefaceàsonpèreassisdel’autrecôtédesonénormebureauenacajou,maisc’étaittoutdemêmeperturbant.

Nerveux,unebouledans lagorge, il s’assitsur lapetitechaiseenboisenfacedubureauetselançadanssondiscours,ens’arrêtantàpeinepourrespirer.

—Tuveuxrestericiàpleintemps?luidemandaPhyllis.—Oui.Ellefronçalessourcils.—Enes-tusûr,trésor?Cequejeveuxdire,c’estqueçaneressemblepas

vraimentàl’endroitd’oùtuviens,situvoisoùjeveuxenvenir.Etqu’enest-ilde tes parents et de vos affaires en suspens, chez toi ? Je sais que tamamans’inquiète pour toi. Ce n’est peut-être pas le meilleur moment pour toi pourprendredegrandesdécisions.

—Sic’estlaseulechosequit’inquiète,net’enfaispas.Tuneconnaispeut-être pas très bienmon père, maismoi, si, crois-moi. Il a pris sa décision. Etmêmesijepeuxtoujoursnourrirl’espoirqu’unjour,mamèreouunquelconqueévénementbouleversantlefassechangerd’avisencoursderoute,jenepeuxpasconstruiremavieautourdecetespoir.Soitilsereprendra,soitnon,maisçanechange rien au fait que je dois prendre le contrôle dema propre vie. Je doistrouverunenouvelle direction àdonner àmavie, parceque l’anciennenemecorrespondaitpas.Jesuisheureuxici,Phyl.Jesuisfierdecequefaitleranchetfierdepouvoirycontribuer.

LeregarddePhyls’attendritetellesourit,cequifitapparaîtredesridesderiressursonvisagetannéparlesoleil.

—Merci,monchou.—Écoute.J’aibienvulescomptes.Jesaisquetunepeuxpasmeprendre

comme employé à temps plein pour l’instant, mais comme je te l’ai dit, j’aiplusieurs idées pour t’aider à lever des fonds. En outre, je veux améliorer etmettre à jour le blog et le site Internet et trouver un travail dans le coin pourpayerlesfacturesdansl’intervalle.J’espèrenepasavoiràroulerjusqu’àDallastouslesjours,maisjeleferai,siçamepermetderesterici,avecvoustous.Jeconsacrerai toujours autant d’heures que possible au ranch pour financermonhébergement.Jetelepromets.

Ellefitlamoue,maiselleluisouriait.—IlvafalloirendiscuteravecRussavantdetedireouidéfinitivement,le

prévint-elle.—Jesais.J’aimeraisvoird’abordseulàseulaveclui.Maisjevoulaist’en

parlerenpremieravantd’aborderlesujetpuisque,aufinal,c’esttonranch.Etjepensequejepeuxêtreutileici.

—Tul’esdéjà,trésor.Elleperditsonsourireetledévisagea.— Tu sais, Russ n’est pas aussi dur qu’il le fait croire. Une fois qu’il a

donné son cœur à quelqu’un, il le donne. Il est à fond.Ce qui se passe entrevous, ce ne sont pas vraiment mes affaires. Mais en tant qu’amie, je vais tedemanderderéfléchirtrèssérieusementavantdeluifairelamoindrepromesse.

—Jeleferai.Jel’aidéjàfait.— Tu as beaucoup de choses en tête sur le plan émotionnel, à l’heure

actuelle.Jenecomprendspasforcémenttoutcequeturessens,maises-tusûrde

nepasvouloirprendreunpeuplusdetempspourreprendretesesprits?Jordanpoussaunlongsoupir,secoualatêteetsouritavecregret.—Quelqu’unatoujoursdirigémavie,d’aussiloinquejem’ensouvienne.

Jenepeuxpasaffirmersavoircequejevoudraisfaired’icicinqans,maisàunmoment donné, je dois commencer à vivre ma vie plutôt que d’y penser. Ladernièrechosequejeveux,c’estblesserRuss.Tuasmaparolequejeferaitoutcequiestenmonpouvoirpourquecelan’arrivepas,d’accord?

Phyllis soupira, hocha la tête et lui fit un petit sourire. Elle s’apprêtait àrépondrequandellefut interrompuedanssonélanparunbruitdepneussurlegravier.Sourcilsfroncés,elleselevaetregardaparlafenêtre.

—Nous n’avons aucune livraison prévue aujourd’hui,murmura-t-elle. Jemedemandequiçapeutêtre.

EllecontournalebureauettapotalebrasdeJordan,quiselevait.—Viens. Va parler à Russ pendant que je vais voir qui c’est, puis nous

pourronsprendreledéjeunerensuite.Qu’est-cequetuendis?Soulagé,Jordanpoussaunprofondsoupiretseleva.—Çameparaîtbien.Merci,Phyllis.—Phyl,lereprit-elle.—Phyl,corrigea-t-ilensouriant.S’ilétaitdugenreàenlacerlesgens,illaprendraitdanssesbrasetlaferait

pivotersurelle-même,maisiln’enétaitpasencorelà…Peut-êtreunautrejour.Jordan était étourdi par les possibilités qui s’offraient à lui et avait des

papillonsdans leventreenpensantàsa futureconversationavecRuss, sibienqu’il faillit percuter Phyllis quand elle s’arrêta brusquement sur la terrassecouverte.

—OhSeigneur,souffla-t-elle.Jordansuivitsonregardetaperçutunjeunehommeàlapeausombre,vêtu

d’un jean et d’un polo manches courtes à rayures vertes et blanches, qui sedirigeait à grands pas vers l’enclos où Russ apprivoisait Aubrey, une jumentpalominoavecdes tachesgrises etblanches.Sous leursyeux,Russ franchit laclôtured’unbondetcourutversl’autrehomme.Ilss’enlacèrentetRusssoulevalejeunehommedusol.

—Est-cequec’est…demandaJon,enbasdesmarches.—Ouaip,confirmaErniequisejoignitàeux.—Ehbien,sic’estpasunesurprise,ritJon.Ilestparti,maisrevientpour

undeuxièmeround.—Jon!sifflaPhyllis.—Quoi?Ils se retournèrent tous les trois vers Jordan. Phyllis lança un regard

éloquentàJon,quirougit.—Oh.Nauséeux,Jordanseraclalagorgeetdemanda:—Quiest-ce?Il essaya de n’avoir l’air que légèrement curieux, mais l’expression de

Phyllisluiappritqu’ilavaitmisérablementéchoué.—C’estIsaiah,répondit-ellegentiment.Phyllis et lui descendirent les marches pour se retrouver près de Jon et

Ernie,tandisqueRussetIsaiah,quiavaientfinileursretrouvaillesenthousiastes,se dirigeaient vers eux. Phyllis serra gentiment le bras de Jordan avant des’avancerpouraccueillirlenouveauvenu.

—Salut,étranger.Bonretourparminous,luidit-elle.Russavaitlesjouesrougessoussonhâle,etJordanneluiavaitjamaisvuun

aussigrandsourireauxlèvres.Russrayonnaitpresque.Jordan étudia le nouveau venu et sa joie précédente s’estompa à chaque

secondequis’écoulait.Deprès, Isaiahétait sibeauqu’ilenétait intimidant. Ilétaitplusgrandquetouteslespersonnesprésentes.Sesyeuxambreformaientuncontrastesaisissantavecsapeaubrunfoncéetsescheveuxbrunscoupésras.Soncorpsmuscléavait toutesaplaceencouverturedemagazines.Jordan lissasontee-shirt,puisréalisaleridiculedesesefforts,sachantqu’ilétaitvêtud’unvieuxtee-shirtdeRuss.Sansmêmeavoirlevélepetitdoigt,l’exdeRusslefaisaitsesentir maigrichon, quelconque et minable, sensation dont il n’avait pasl’habitude,saufdanslebureaudesonpère.

Il s’était pensé jaloux quand sa petite sœur avait bavé surRuss. Il s’étaittrompé.Lajalousie,c’étaitcequ’ilressentaitàprésent.

Ellefaisaitmal.En s’approchant d’eux, Russ avait laissé tomber son bras des épaules de

l’autrehomme,maiscetteimageétaittoujoursgravéedansl’espritdeJordan.IlravalasanauséeetplaquasursonvisagesonsourireThorndikebreveté,puissejoignitauxautres.

—Phyl!lasaluaIsaiahd’unimmensesourireenfondantsurcettedernièrepourlasouleverdanssesbras.Tuesaussisplendidequed’habitude.

—Oh,çasuffit,pouffa-t-elle,enrougissanttoutdemême.—Jon…Ernie…dit Isaiahàchacundeshommesen leur serrant lamain

touràtour.Ravidevoirquevousmainteneztoujourslabarque.Leranchal’airde se porter vraiment bien. Vous avez fait beaucoup d’améliorations pendantmonabsence.

Isaiah posa ensuite un regard curieux sur Jordan. Phyllis s’apprêtait à leprésenter,maisheureusement–avantqueJordanpiquementalementunecrise–

Russs’approchadeluietluipassaunbrasautourdesépaules.—Jordan,monange,jeteprésenteIsaiah,unbonami.IlétaitenAfrique

depuisdeuxansavecMédecinssansfrontières.—EtenAmériqueduSudaussi,ajoutaIsaiahensouriantetenluitendant

lamain.Enchanté,Jordan.Jordanluiserra lamain,aussi fermementquepossible, tandisqu’Isaiah le

dévisageaitdesesmagnifiquesyeuxambreavecunpeuplusd’intensité.SentirRusscontreluipermettaitàJordandegardersesespritsetlemonstrevertenluiavait au moins arrêté de grogner, même s’il n’était pas encore retournécomplètementd’oùilvenait.

Avant que le moment ne devienne inconfortable – du moins, plusinconfortablequ’ilnel’étaitdéjà–,Phyllistapadanssesmainsetdit:

—Et si nous allions à l’intérieur ? Je vais nous servir à boire et puis tupourrasnousracontercequetuasfait,Isaiah.

JordanvitIsaiahjeterunregardencoinàRuss,commes’ilavaitd’autresprojets,maisilsouritets’inclinadevantPhyl.

—Après toi. Ça fait trois ans que je rêve de ta limonade, Phyl. Je t’ensupplie,dis-moiquetuvasrésoudremonmalheur.

— Je vais faire mieux que ça, trésor. J’en ai préparé un plein pichet cematin,iln’attendplusquetoi.

APRÈSCEqui luiparut leplus longdéjeunerdemémoired’homme,Jordanfila en vitesse bouder dans l’écurie pendant que Russ raccompagnait leDrParfaitàsavoiture.Encoreque«voiture»n’étaitpasunmotsuffisantpourdécrire l’énorme 4x4 Ford noir rutilant qui faisait paraître la décapotable deJordan minuscule dans le parking, en comparaison. C’était une métaphoreparfaitedesessentimentsactuels.

Mevoilà,petit,brillantetpasparticulièrementpratique,justeàcôtédecemastodonte qui pourrait transporter une famille de six personnes et leursaffairesàtraverstoutlepayssansheurts,ettracterunvanenplus,sibesoin.

Aumoins, aucun des deux véhicules ne paraissait à sa place au ranch. Ils’accrochaitàcettemaigreconsolation.

Ce qui ressortait de la conversation autour de la table de la cuisine étaitqu’Isaiah Green était pratiquement parfait dans tous les domaines. Nonseulement était-il un médecin ayant refusé des internats lucratifs pour seconsacreràdesœuvresdecharitédansdespayssous-développéspendantplusdedeuxans,maisilétaitaussiunself-made-manquis’étaitsortid’uneenfance

défavorisée.Et levoilààprésentdéfinitivementderetourdanslecoin,brillantnouveaumédecind’unhôpitalprestigieuxdeHouston,revenuchezluis’occuperdesesparentsvieillissants.

—Unparangon.Unputaindesaint,gémitJordan.EtRuss était amoureuxde lui avantqu’Isaiah s’en aille sauver lemonde.

C’étaitinscritsurlevisagedeRusschaquefoisquecedernierregardaitIsaiah.Jordanenavaitvomi lepeudenourriturequ’ilavait réussià ingérer,avantdesortirrejoindrelesautrespourdireaurevoir.Ilsecachaitàprésentaufonddel’écurie,levisageenfoncédansl’encoluredeMarina,etsedemandaitcommentilallaitpouvoirluttercontreIsaiah.

—Pourquoifallait-ilquecesoitundieu?murmura-t-il,malheureux,contrel’épauledeMarina.Franchement,c’estinjuste.

—Jordan?Tueslà?demandaRussdepuisl’entrée.Jordan grogna, tapota l’encolure deMarina une dernière fois et sortit du

box.LorsqueRuss le rejoignit, Jordan s’était assez repris pour espérer que sanauséenetransparaissepassursonvisage.

—Ah,tueslà.Waouh.Quellenouvelle,hein?Russpoussaunsoupir. Ilavaitencore les jouesunpeurougeset lesyeux

légèrementécarquillés.—Çafaisaittroisansquejenel’avaispasvuetilapparaîtsoudaindenulle

part,sanscoupdefil.—Tunesavaispasqu’ilétaitderetour?—Non.Ilm’aditqu’ilvoulaitmefairelasurprise.Ça,pourunesurprise…Le sourire de Russ paraissait forcé. D’après Jordan, Russ essayait de se

montrerrassurantetdecacherqu’ilétaitébranlé,maisRussmentaittrèsmal.Iln’était pas en train de ruminer, de ronchonner ou de plaisanter et rire, et sonmasquenecachaitpasdutoutcequ’ilressentait.

—Ilauraitdûappeler,marmonnaJordan.—Oui,sansdoute,répliquaRussd’unairabsent.Si Jordan s’attendait à ce que ce dernier s’indigne du comportement

d’Isaiah ou le critique, il allait être déçu,manifestement.Ne sachant pas tropcommentagir,Jordansemorditlalèvreetdévisageal’hommequ’ilpensaitbienconnaître.

—Enfin,c’estbienqu’ilsoitrevenuaidersesparents,déclara-t-ild’untonencourageant,quandilneputplussupporterlesilence.Jesuissûrqu’ilsdoiventêtre trèsheureuxdelevoirrevenirsainetsauf,aprèsavoirparcourulemondecommeça.

—Oui.Oui.RitaetKennethdoiventêtreauxangesdelesavoirderetour,mêmes’ilsétaientfiersqu’ilpartefairecequ’ilfaisait.

Russ adressa un nouveau sourire absent à Jordan, avant de reporter sonattentionsurMarina.

—Commentvacette jeune fille, aujourd’hui?Elleestprêtepourunpeud’exercice?

Sesentantàlafoissoulagéetcoupable,Jordansautasurlechangementdesujet, et bientôt,Russ sortaitMarinadans lepaddockpourunpetit tête à tête,tandisqueJordans’affairaitàses tâchesavec lamêmeferveurque lorsdesespremiersjoursauranch.

Ilnepouvaitpassepermettredetropréfléchirpourl’instant,souspeinedeperdretoussesmoyens.

Une chose était certaine, ce n’était pas le bonmoment pour avoir « la »discussion avecRuss. En tout cas, pas tant queRuss aurait l’air d’un hommevenanttoutjustedeseprendreuneclaque.

Jordan dramatisait sans doute. Il ne connaissait pas les détails de leurrelationoudeleurrupture.Iln’yavaitsansdouteriendontildevaits’inquiéter.Mais il n’avait jamais vu Russ aussi perdu jusqu’à présent et sonmalaise nepartiraitpastantqueRusscontinueraitd’agirbizarrement.

XXIII

ISAIAH«IZZY»Greenétaitderetourpourtoujours.Russavaitdumalà se faireàcette idée. Il était restéhébété tout l’après-

midi et avait à peine dormi cette nuit-là. À quatre heures du matin, il avaitfinalementlaissétomberets’étaitfaufiléhorsdulitpourlaisserJordandormirquelquesheuresdeplus.

—Bonjour,ditPhylens’installantdanssonfauteuilàcôtédelui.Une traînée orangée venait d’apparaître à l’horizon, ce qui signifiait que

Phyllis,aumoins,avaitréussiàdormirjusqu’àsonheurehabituelle.—Bonjour.—Lacafetièreétaitdéjàpresquevide.Tuesdeboutdepuislongtemps?Ilhaussalesépaules.—Deuxheures.Ellesirotasoncaféetl’observaunlongmoment.—Tusais,sicegarçonn’étaitpasuneaussibonnepersonneniuntelpilier

de cette communauté, je serais tentée de le virer à coups de pied aux fessesjusqu’àêtresûrequ’ilnereviennepas.

—Quoi?Illadévisagea,bouchebée.—Quoi?rétorqua-t-elle.Isaiah.Voilà«quoi».Jen’aijamaisvupersonne

capabledetetourmenterautantquecethomme.Çafaitmoinsd’unjourqu’ilestrevenudanstavie,etdéjà,tunedorsplusetturuminessurlaterrasse…Alorsquetoutallaitbien,mêmemieuxquebien,moinsdevingt-quatreheuresplustôt.

—Ilm’asurpris,c’esttout.J’aibesoind’unmomentpourmefaireàl’idéequ’ilestrevenu.

—Humhum.Russfitlamoue,maussade.— Nous nous sommes quittés bons amis, Phyl. Tu le sais. Nous avons

échangéquelquese-mails,cesdernièresannées.Toutvabienentrenous.—Maisc’estdifférent,delevoirenpersonneetdesavoirqu’ilneseraqu’à

uneheured’ici,non?Vousvousêtespeut-êtreséparésbonsamis,maiscen’étaitpascequetuvoulaisvraiment.Tuasagiavecnoblesseetlaisséunhommequetu aimais poursuivre ses rêves et ses passions. Lui, il t’a blessé, même si ce

n’étaitpassonintention.Nememenspasàcesujet,parcequej’étaislàpourtevoirrecollerlesmorceauxdetoncœurbrisé.

Soupirant,Russappuyasa têtecontreson fauteuilàbasculedansunbruitsourd,puisilfermalesyeux.

—Çafaitpresquetroisans.Etcommetul’asdit,j’airecollélesmorceaux.Jevaisbien.

—Non.Plusmaintenant,entoutcas.Tuasvisiblementencorebeaucoupdechosesàgérer.Sinon,tuseraisenhaut,blotticontrecetadorablegarçon,aulieuderuminersurlaterrassedanslenoir.

—L’autrejour,tumemettaisengardecontreJordan,etmaintenant, ilestun«adorablegarçon»?fitremarquerRussenluijetantunregardéloquent.

Ellelevalesyeuxaucieletbalayasaremarquedelamain.—C’étaitilyaplusieurssemaines.Enplus,jet’aijusteditd’êtreprudent,

pasderesteràl’écart.Etsitutesouviensbien,c’étaitàcaused’Isaiahquej’airessentilebesoindemettremongraindeseletdet’avertir…Jen’aijamaisditqueJordann’étaitpasungarçongentil.

Russlevalesmainsensignedereddition.— D’accord, d’accord, tu marques un point. J’ai peut-être quelques

problèmesensuspensavecIzzy,mais jevais lesrégler.Promis.Jenevaispaslaisser tomberJordan justeparcequ’Izzyestderetourenville.Tumeconnaismieuxqueça…oudumoins,tudevrais.

—Jesaisquetunevaspasfaireça.Toutcequejetedis,c’estdenepastesouvenir que des bons moments avec Isaiah en oubliant tout ce que tu astraversé.Cethommepourraitcharmerunmurdeprison.Jeneleniepas.NotreJordanetluiontunpetitpointcommun,jepense.

—NotreJordan?Elleluidonnaunelégèreclaquesurlebras.—Nechangepasdesujet.—Etc’étaitquoi,lesujet,déjà?Ellesouffla.—Neleslaissepas,luietceshistoiresnonréglées,t’ébranleraupointde

fairequelquechosedestupideetoubliercequise trouveen facede toi.C’esttoutcequej’aiàdire.

Surcesmots,elleselevaetretournadanslamaison,laissantRussseulaveclamigraine qui commençait à sourdre dans sa tempe droite. Il se balança unmoment,l’espritàladérive,puissontéléphonevibradanssapoche.Heureuxdecettedistraction,illesortitetlutlemessage.

Salut,Russ.Jemesuisditquetudevaisêtrelevéàl’aube,commetoujours.Voicimonnouveaunuméro.J’aioubliédeteledonnerhier.C’étaitunpeudela

folie,hein?Russ fixa l’écran, incrédule, quelques secondes, mais avant qu’il puisse

penseràuneréponseappropriée,unnouveaumessageapparut.Aufait,jesaisquejetel’aidéjàdit,maisc’étaitvraimentunplaisirdete

revoir.Tum’asmanqué.Moi aussi, çam’a fait plaisir de te revoir, répondit-il après avoir relâché

sonsouffle.Je dois y aller. Mon service commence dans une heure. Mais il faudrait

qu’onsevoiebientôt.Juste toietmoi, seuls,pourvraiment rattraper le tempsperdu.

—Merde.— Tout va bien ? demanda Jordan en ouvrant la moustiquaire, puis en

s’avançantsurlaterrasse.—Oui,trèsbien,réponditRussenremettantsontéléphonedanssapoche.Jordanfronçalessourcilsenleregardantfaire.—D’accord.Phylm’aditquelepetitdéjeunerétaitbientôtprêt.—OK,j’arrive.

MÊMEAPRÈS le petit déjeuner, commeRuss était toujours trop distrait, ildécida de monter à cheval pour s’éclaircir les idées. Jordan et Phyl l’avaientdévisagé bizarrement pendant tout le temps où il avaitmangé et Jon et Ernies’étaient mis de la partie dès qu’ils étaient arrivés. Ces regards insistantsl’avaientirrité.C’étaitàcroirequequelqu’unétaitmort,vuleursregards.

C’étaitvendredi,donc lesweekenders n’allaient pas tarder à arriver.Russallaitsansdoutearracherlatêteàcertainsbénévolesinnocentss’ilnes’accordaitpasdutempspourlui.

Surlacrêtequisurplombaitleranch,làoùilavaitembrasséJordanpourlapremièrefois, ildescenditdechevaletselaissatomberparterre,sousl’ombrerelative du chêne vert, tandis qu’Archer, un énorme gris bientôt prêt à êtreadopté,broutaitlavégétationclairsemée.

Phylavaitraison.Ilétaitébranlé.Ilnevoulaitl’avoueràpersonne,surtoutpas à Jordan,mais Izzy et lui avaient encore beaucoup de choses en suspens.Russavaitdonnésoncœuràcethomme.Troisansplustôt, ilavaitrêvéd’unepetite maison près du ranch, ou entre le ranch et l’hôpital, où Izzy et luipourraientéleverdeuxenfantsensemble.Ilnes’étaitpasvraimentattardésurlesdétails techniques,poursavoircommentceprojetétaitcenséfonctionner,étantdonnéqu’il travaillaitàplein tempsau ranchetqu’Izzy faisaitdeshorairesde

dingue à son travail, mais le rêve était demeuré présent – même s’il étaitirréaliste.

Puis, Izzy s’était vu offrir l’opportunité de voyager à travers lemonde etRuss avait découvert que l’altruisme et l’esprit civique qu’il avait tant admiréchezIzzyétaientaussicequiallaitleluienlever.SoignerlesmaladesauTexasn’étaitpassuffisantpoursatisfairelafibrehumanitaired’Izzy.Ilavaitbesoindeplus.CommentRusspouvait-ildirenonàcela?

—Etmaintenant,ilestrevenu.Archer inclina une oreille dans sa direction et releva légèrement la tête,

mais comme Russ n’ajoutait rien de plus, il retourna paître. Malgré l’heurematinale, la chaleur montait de l’herbe poussiéreuse par vagues, tandis qu’ilobservaitl’animationauranch,endessousdelui.Ilvenaitjusted’apercevoirlatêteblondedeJordanprèsdel’écurie.

Avait-iltoujoursdessentimentspourIzzy?Biensûrqueoui.Ilnepouvaitpasarrêterd’aimerquelqu’unsousprétexte

que cette personne était partie plusieurs années. Ils avaient accepté de resteramis,maisRussavaitprésuméqu’Izzytrouveraitunendroitbienpluspalpitantpours’installer–etquelqu’undebienpluspalpitantavecquilefaire.Russavaitcruqu’ilnereverraitIzzyqu’uneàdeuxfoisparan,quandcedernierviendraitrendrevisiteàsesparents,pasqu’ils’installeraitdanslecoin.

Russsortitsontéléphonedesapocheetrelutlesmessages.S’ils étaient vraiment amis, comme ils se l’étaient promis, un dîner serait

inoffensif.Ilauraittortderefuserunerequêteaussisimpledelapartd’unami.Cependant,ildoutaitquePhyletJordanlevoientainsi.

Jordan.La têteappuyéecontre le troncde l’arbre, ilobserva lecielbleuclairau-

dessusde lui. Jordanétait étrangement silencieuxdepuis laveille,malgré tousleseffortsdeRusspourcachercombienilsesentaitlui-mêmeperturbé.Ilétaitcertain que Jordanne comprendrait pas qu’il puisse vouloir dîner avec son expoursesortircertaineschosesdel’esprit,maisquoiqu’ildécide,ill’auraitdansl’os.

Cen’étaitpascommesiJordanavaitdetoutefaçonprévuderesterdefaçonpermanente non plus. Il avait été clair à ce sujet dès le départ. Leur histoiren’étaitquetemporaire,cequeRussavaitaccepté.Ilétaitadulte.Ilsavaitqu’ilnepouvait pas demander à quelqu’un plus que ce que cette personne voulait oupouvaitluidonner,surtoutquelqu’undonttoutelavievenaittoutjustedevolerenéclats.

—Jesais leschoisir,hein?dit-il àArcher,dont lesoreilles tressaillirent,maisquinepritpaslapeinedereleverlatête.Tunem’aidespasvraiment.

Ilsoupira,selevaetépoussetasonjean.Leweek-endarrivait,ilnepouvaitsepermettrederesterassis toute la journée. Ildevaitexaminer leursnouveauxvenus avant l’arrivée de Tish cet après-midi et il devait veiller à ce que leschevaux les plus prêts à être adoptés soient nettoyés et brossés. Il avait duboulot.LeproblèmeIzzypouvaitattendre.

UNESEMAINEs’écoula,RussétaittoujoursaussidéstabiliséetdemauvaispoilquelejouroùIzzyétaitapparuparsurpriseauranch.Izzycontinuaitàluienvoyerdesmessages, iciet là, insistant subtilementpourqu’ils se retrouvent,maisheureusement,cedernierétait tropoccupéavecsontravail,sesparentsetsa recherche d’un logement pour leur rendre visite. Donc, il était facile derepousserl’échéancededéciderd’unedatepourundîner.

Jordanfutaussinerveuxqu’unchiotabandonnétoutelasemaine,maisRussavait des problèmes à régler, en plus des quatre nouveaux pensionnaires quinécessitaientdessoinsquasiment24h/24.Jordanetluidormaienttoujoursdanslemêmelittouteslesnuits,maisl’aisancedeleurrelation,leurtendresseetleurstaquineriesavaientdisparu.RussauraitdûprendreletempsdedécouvrircequitracassaitJordan,maisilnelefitpas.Jordanlefuyaitetluin’avaitpasl’énergieémotionnelle nécessaire pour lui courir après. Phyl avait raison. Personnen’arrivait à le tourmenter autant qu’Izzy et il avait besoin de reprendre sonsoufflepourdémêlertouslesnœuds.Ilrepoussadoncsaculpabilitéetlaissaleschosesenl’état,mêmes’ilsavaitqu’illepaieraitsansdouteplustard.

FIDÈLEÀ ses nouvelles habitudes, ilmontait à cheval aumoins une heurechaquejourpoursedonnerl’opportunitéderéfléchiraucalme,dansunendroitoùpersonnen’avaitbesoindeluininevenaitluiparler.Ilnefitpasvraimentdeprogrèspendantsesexcursions,maislerépitétaitagréable.

Ilen faisaitune levendrediquandunéclatde lumièreattira sonattentionversl’alléemenantauranch,justeàtempspourvoirlavoituredesportécarlatede Jordan se diriger vers la route principale, dans un nuage de poussière. Leventresoudainnoué,Russremontaàchevaletretournaaupetitgalopàl’écurie.

CommePhylétaitenpleineconversationavecMichelleprèsdel’enclosdesânes,ildescenditdechevaletmenaArcherparlabridejusqu’àelles.

—OùvaJordan?demanda-t-il lorsquelesdeuxdamessetournèrentversluipourlesaluer.

— Il a dit qu’il avait quelques courses à faire en ville, répondit Phyl, la

mineindéchiffrable.—Ilnem’ariendit,grommelaRuss,unepartiedesatensiondisparaissant.

Ilsaitqu’onestvendredi,n’est-cepas?—Jeneleluiaipasdemandé,maisj’imaginequ’ilsaittrèsbienqueljour

delasemainenoussommes,répliquaPhylavecinsouciance.Russplissalesyeux,sonangoissecédantlaplaceàsonirritation,tandisque

Phyllevaitlessiensauciel.Unemainsurlahanche,elleagitaundoigtdanssadirection.

—N’enfaispastoutunplat.Ilyadumondepournousaideràpréparerleweek-end.Sicegarçonveutunejournéedecongé,ilpeutl’avoir.Ill’aplusqueméritée,d’aprèsmoi.Etcen’estpascommesinouslepayions,pourlecasoùtul’auraisoublié.

—Ilauraitquandmêmepudemander.Tisharrivedansdeuxheures,RedetArcherontbesoind’unbain,enplusdetouteslesautrestâchesàaccomplir,sedéfendit-ilaveccolère.

—Ehbien,nousnousensortionstrèsbienavantsonarrivée.Nousnousensortirons aujourd’hui aussi. Ça pourrait te faire du bien, à vrai dire. Ça terappelleracequetuaspeut-êtreprispouracquis.

Un rapide coupd’œil du côté deMichelle rappela àRuss qu’ils n’étaientpas seuls. Il se retint donc de lui demander ce qu’elle avait bien voulu dire,tourna les talons et amenaArcher jusqu’à un enclos où quelqu’un pourrait lepansersoigneusement,voirelelaver,s’ilavaitletemps.

Unefoisassuréqu’Archeravaitdel’eauetaprèsluiavoirdonnéunepetitefriandisepours’êtretrèsbiencomporté,ilsortitdel’écuried’unpasassurépourvérifier ses tâches de la journée et s’ajuster à l’absence de Jordan. Il fixaittoujours sa liste sans fin de corvées quand il entendit un cri dans la cour duranch.Regardantdehors,ilvitJonetErnieseprécipiterverslamaison.Ilsemitàcouriràsontouravantmêmed’avoirvucequilesfaisaitgaloperainsi,ouqui.

—Phyl!hurla-t-ildèsqu’illavitassisesurlesol.Uneentaillesaignaitabondammentsursonfrontetcoulaitdansl’undeses

yeux.Levisagetordudedouleur,elleserraitavecprécautionsonpoignetdroitcontresapoitrine.

—Ques’est-ilpassé?demandaRussauxautresens’asseyantàcôtéd’elle.—Jenesaispas, réponditErnie,angoissé.Ellemontait lesmarchesde la

terrassequandelleesttombée,jepense.—Merde.Jon,vachercheruneserviette,ordonnaRussd’untondur.Ilyavaitbeaucoupdesang.—Disquelquechose,Phyl.Es-tublesséeailleurs?—Non,répondit-elle,lesdentsserrées.Jenecroispas.

SavoixétaitunpeutropfaibleaugoûtdeRussetilluitrouvaitleteintunpeugris,malgrésapeaubronzée.

—Çavaaller,Phyl.Nousallonsnousoccuperdetoi.—Arrêtezd’enfairetouteunehistoire.J’aijusteprisunpetitcoupàlatête

etjemesuisfaitmalaupoignet.Jenesuispasmourante,grommela-t-elle.Lorsqu’elle fit mine de se lever, Russ lui posa une main sur l’épaule et

sourit,soulagé.—Net’avisemêmepasd’essayer.Resteassisequelquessecondes,madame

l’entêtée.QuandJonrevint,illuitenditdeuxserviettes.Àl’aidedelapremière,Russ

épongeaunpeudesangpouravoirunmeilleuraperçudesablessureà la tête.Ellen’étaitpasgrosse,malgrétoutlesangquicoulait–cen’étaitqu’unepetiteentaille auniveaude son sourcil, qui enflait rapidement –,mais cela signifiaitmalgré tout quePhyllis s’était cogné la tête plutôt violemment contre quelquechose.Russenavaitl’estomacnoué.

—Tuarrivesàbougerlepoignet?demanda-t-il.Phylgrimaçaetsecoualatête.—D’accord, dit-il en lui posant sur le front la seconde serviette que Jon

avait humidifiée avec de l’eau fraîche. Jon, peux-tu retourner dans la maisonprendreunsacdeglaceetnousretrouveràlavoiture?J’auraiplusvitefaitdel’emmeneràLakeGranburymoi-mêmeplutôtqued’attendreuneambulance.

Ernie s’approcha et ils se mirent à deux pour aider Phyl à se relever.Comme son équilibre paraissait précaire, Russ la souleva et la porta jusqu’aupick-up.

— Si j’avais su qu’un homme magnifique me porterait comme uneprincesse, je serais tombée de cesmarches bien plus tôt, plaisanta faiblementPhyl.

— Arrête de parler et garde tes forces pour le trajet, répondit-il enl’attachant.

Jon revint avec une poche de glace emballée dans une nouvelle serviette,queRussplaçadoucementsurlepoignetdePhyl,posésurlesgenouxdecettedernière.Ilsetournaverslesautresetdemanda:

—Pouvez-voustoutgérerici?Tishnedevraitpastarderàarriver.— Vas-y, lui ordonna Ernie en le poussant doucement vers la portière

conducteur.Nousconnaissonsnotreboulot,toutcommeledoc.Nousallonstenirlabarque.Net’inquiètepas.

Russleurserralamain,puisilagrippafortlevolantenrejoignantlarouteprincipale. Il avait tenté de conduire le plus prudemment possible, mais lesmouvements de la voiture et les bosses sur la route donnèrent à Phyl un teint

plusgrisâtrequejamais,mêmesielleneseplaignitjamais.—Situasbesoindevomir,dis-le-moi,jem’arrêterai,déclara-t-il.Elleluilançaunregardcinglant.—Nesoispasinsolent.Jepeuxtoujourstemettreunefessée,mêmeavecla

maingauche.Russluiréponditd’ungrandsourirequimourutsurses lèvresquandPhyl

siffladedouleuràcaused’unenouvellebossesurlaroute.Auxurgences,Phylfutpriseenchargetoutdesuite,sansdouteàcausede

sonâgeetducoupqu’elleavaitprisàlatête.Russfutlaisséseuldanslasalled’attente,às’inquiéter.Lesodeurs,lesbruitsetleva-et-vientdesgensluiétaientbientropfamiliers.Dessouvenirsdeslonguesheurespasséesensallesd’attenteà tenir la main de Phyl quand Sean était malade – sans compter les heurespassées juste à côtéde cet homme fort à le regardermaigrir à vued’œil – luirevinrent enmémoire et le rendirent nauséeux. Il n’arrivait pas à se raisonnerassez pour ralentir les battements furieux de son cœur ou calmer son estomacincertain.

IltentadejoindreJordantroisfoissursonportableavantd’abandonner.IlenvoyaunmessageàJonetErniepourleurindiquerquePhyletluiétaientbienarrivés et qu’il les appellerait dès qu’il en saurait plus. Puis, il se tourna lespouceset fit lescentpasdans lapièce, jusqu’àcequ’unefemmeauxcheveuxfoncés réunisenqueuedechevaletvêtued’uneblouseblanche s’approchedelui.

—Bonjour,êtes-vousRuss?—Ouais,c’estmoi,répondit-ilens’approchantd’elleàtouteallure.—Je suis leDrWoolsey.Phyllism’ademandédevenirvousvoir.Dece

que nous savons jusqu’à présent, elle a un poignet cassé et une légèrecommotion cérébrale. Comme nous lui avons donné quelque chose pour ladouleur, elle se reposeunpeu,maisnousallonsensuite l’emmenerpasseruneIRMdansquelquesinstants.Elleestréveilléeetalerte,cequiestbonsigne,maiscomme elle avait des vertiges et a perdu connaissance juste après sa chute, jesuisunpeuinquiète.Nousallonsdoncprocéderàd’autresexamens.

—Ellequoi?LeDrWoolseyhaussasessourcilsminces.—Ellenevousl’avaitpasdit,supposa-t-elleavecunpetitsourire.Russgrogna.—Non,ellen’ariendit.— S’est-elle plainte récemment d’être fatiguée, de se sentir faible ou

étourdie,cesderniersjours?—Elleétaitunpeufatiguée,maisriend’anormalpourquelqu’untravaillant

surunranch.Lemédecinhochalatête.— Je vais appeler son généraliste. Quand je lui aurai parlé et que les

résultatsdesestestsserontrevenus,jesuissûrequenousensauronsdavantage.Nous attendons juste que la machine se libère, et une fois son IRM passée,j’enverraiquelqu’unvouschercher,d’accord?

Russrelâchasonsouffleetlaremercia.Elleluiadressaunsourirepleindesympathie.

—Elleestentredebonnesmains.Ellen’étaitpeut-êtrequedéshydratéeetaeuuncoupdechaudenessayantdetropenfaire,maisavecuneblessureàlatêteàsonâge,nousvoulonsjusteêtresûrs.

Si lemédecinavait tentéde le rassurer,elleavait lamentablementéchoué.Qu’est-ce que Phyl lui avait tu concernant sa santé ? Il avait été tellementpréoccupé par ses propres problèmes qu’il n’avait pas fait attention. Il avaitpromis à Sean de prendre soin d’elle ; or il avait fait un travailmerdique cesderniersjours.

Agité,frustréet inquiet,RusssortitànouveausontéléphoneetenvoyaunmessageàJordan:Oùes-tu?

Ne recevant toujours aucune réponse, il grogna et fit défiler les derniersmessagesqu’Izzyluiavaitenvoyés,avantd’appelercedernier.

—Salut,Russ!—Tuesoccupé?—Pasvraiment,jeviensdefinirmonservice.Qu’est-cequisepasse?Russcommençaàluirelaterlesrécentsévénements,maisIzzylecoupaau

boutdequelquesmots.—Quelhôpital?—LakeGranbury.—J’arriveauplusvite.Russs’affalasurl’unedeschaisesdelasalled’attenteetsoupira.—Merci,Izzy.—Jeserailàtrèsvite,bébé,réponditIzzyavantderaccrocher.Savoir que quelqu’un arrivait et qu’il n’aurait pas à surmonter cela seul

apaisa légèrement la douleur dans sapoitrine.Lamort deSean était bien troprécentepourqu’iln’enressentepasleséchosencoremaintenant,etlessouvenirsdelapeurqu’ilavaitressentielerendaientnauséeux.

IlappelaErniepourrapporteràtoutlemonde,auranch,cequelemédecinlui avait dit. Apparemment, Phyl n’avait confié à personne ses problèmes desanté,cequilefitsesentirunpeumoinscoupable.Lorsqu’Izzypénétradanslasalled’attente,uneinfirmières’apprêtaitàemmenerRussvoirPhyl.Izzyluiprit

lamainetilssuivirentl’infirmière.Russluisouritetluiserralamainensignedegratitude.

Phylavaitl’airpâleetplusvieillededixans,allongéedanscelitd’hôpital.Elleavaituneperfusion.Sonpoignetétaitinstallédansunappareilorthopédiquetemporaireetelleportaitunpansementsurlefront.

—J’ail’airsimalenpoint?balbutia-t-elleavecunsourireridicule.—J’imaginequ’ilst’enontdonnéunebonnedose,hein?plaisantaRussen

essayantdeneplusavoirl’airaussitriste.—C’estgentild’êtrevenumevoir,Izzy.Merci,trésor,dit-elleentournant

latêteverscedernierpourluisourire.— Je ferais n’importe quoi pour toi, Phyl. Ils s’occupent bien de toi ?

demanda Izzy en prenant sa main intacte dans la sienne pour la serrerdoucement.

— Ils m’ont tripotée de partout, mais j’imagine que je n’ai pas à meplaindre.

—Est-cequetonmédecinestrevenutevoir?—Non,pasencore.—D’accord,trèsbien.J’aimeraisentendrecequ’elleaàdire.LorsqueleDrWoolseyarriva,Izzyseprésentaetelleluisourit.—Enchantée.Bon, je nevais pas faire durer le suspense.Nouspourrons

entrerdanslesdétailstoutàl’heure,sivouslesouhaitez,maiscequis’estpassé,d’après nous, c’est que vos médicaments pour la tension étaient trop dosés,Phyllis.J’aiparléàvotremédecin,auquelj’enverraiunecopiedesanalysesdesangquenousavons faites.L’IRMaconfirméquevousaviezbienune légèrecommotion cérébrale,mais après quelques jours de repos, tout ira bien.Nousvousferonsuneprescriptiond’antidouleursetvousallezsansdoutedevoirleverlepied.LeDrTrent,notreorthopédiste,seralàdansuninstantpourfairevotreplâtre. Vous pourrez rentrer chez vous ensuite. En attendant, essayez de vousreposerunpeu.

La vague de soulagement déferla si violemment en Russ qu’il en eut lesgenoux faibles. Il sourit à Phyl et lui prit la main. Izzy et le Dr Woolseys’écartèrentpourparlerentremédecins,maisRuss les ignora. Ilsavaitcequ’ilavaitbesoindesavoiretilfaisaitconfianceàIzzypourluirapporterplustardcequi était important. Peu de temps après, Phyl ferma les yeux et s’endormit –commesiellen’avaitattenduquelapermissiondelefaire–etRuss,IzzyetleDrWoolseysortirentdesachambre.

Ilsdirentaurevoiraumédecin,puisIzzypritRussparlepoignetetluifitemprunterplusieurscouloirsjusqu’àunesallevide.

—Tuvasbien?demanda-t-ildèsquelaporteserefermaderrièreeux.

Sesmagnifiquesyeuxambreluisaientd’inquiétude.Russpoussaunprofondsoupirets’adossaaumur.

—Ouais.J’aijustedesflash-backsquimeminent.Jen’aimevraimentpasleshôpitaux.Neleprendspasmal.

Leslèvresd’Izzys’incurvèrentetilhochalatête.—Cen’estpaslecas.TupensesàSean,n’est-cepas?J’imaginequeçaa

dûêtredur.Jesuisdésolédenepasavoirétélà.—C’estbon.Tum’asappelédèsquetul’assu.Çam’aaidé.Mercid’être

venuaujourd’hui.—Iln’yavraimentpasdequoi.C’estquandtuveux.Tulesais.IzzypassalesdoigtsdanslescheveuxdeRussavantdeposerlamainsursa

nuqueetdeletirerverslui.—Tum’asvraimentmanqué,Russ.Il ne lâcha pasRuss du regard en l’attirant plus près de lui.Russ était si

perdu et enmanqued’affectionqu’il ne fit rienpour l’interrompre.Les lèvresd’Izzyétaientaussichaudes,délicieusesetdoucesquedanssonsouvenir.Leurfamiliaritéétaitagréable.Ilavaitembrassécesmêmeslèvresdesmilliersdefoisauparavant,avaitsentilaforcedecemêmecorpscontrelesien.Toujoursaffaiblipar cette journée difficile émotionnellement, il désirait plus que tout se perdredans cette familiarité confortable,mais il ressentit unpincementde culpabilitéquiluifitposerunemainsurletorsed’Izzypourlerepousser.

—Jenepeuxpas,soupira-t-il.—Àcausedublond?Jerry?Jory?—Jordan,rectifiaRuss.—C’estsérieuxentrevous?demandaIzzyquicaressaitd’ungesteabsent

lamâchoireetlecoudeRuss.CommeRussenressentitdesfrissonsdanstoutlecorps,ilposalamainsur

celled’Izzypourlefairearrêteretseraclalagorge.—Oui…etnon.C’estcompliqué.Izzysouritetreculad’unpas.—Çan’apasàl’être,tusais.Faisant la grimace, Izzy se redressa et rajusta son pantalon. Après avoir

dévisagéRussquelquesinstants,ilseraclalagorgeetsourit,penaud.—Jesaisquejenepeuxpasdébarquerenvillecommeçaetm’attendreà

cequetuchamboulestoutetaviepourmoi.Tusaisquecen’estpasmongenre.Maissileschosesnesontpassérieusesaveccegamin…

—Iln’aquedeuxansdemoinsquetoi,fitremarquerRussavecunsourireironique.

Izzyhaussalesépaules.

— Peu importe. Si les choses ne sont pas sérieuses ou si elles sontcompliquées,alorsjevaismemettredanslacourse.Maissitumedisquec’estsérieux,jemetiendraiàl’écart.

Russ mentirait s’il disait qu’il ne fut pas tenté. Lorsque les choses sepassaientbienavecIzzy,ellessepassaientvraimentbien.Maisilnefutpastentéautantqu’ilauraitpul’êtrequelquessemainesplustôt,mêmeensachantquecequ’il partageait avec Jordan ne durerait pas, ce qui le surprit. Entre avoirconscience et ressentir quelque chose, il y avait une différence, semblait-il,même s’il était énervé contre cet enfoiré qui ne répondait pas à ses appels.Cependant,celafaisaitbeaucouptropàgérerd’uncouppourlemoment.SurtoutavecsoninquiétudepourPhylenprime.

Ilsoupiradenouveau,s’écartadumuretsedirigeaverslasortie.—Viens.Trouvonsunendroitunpeumoinsprivéavantquejem’attirede

sérieuxennuis.JeveuxêtrelàquandPhylseréveillera.Etilvadéjàfalloirquejeconfessequelquechoseetquejerampepourmefairepardonner.

Izzypouffaenlesuivant.

XXIV

IZZY RESTA avec lui jusqu’à ce que Phyl soit autorisée à sortir. Ilss’étreignirent brièvement dans le parking, puis Izzy lui lança un regard sanséquivoqueavantd’allerrécupérersonvéhicule.

Au ranch, Jon etErnie étaient restés tardpourpouvoir voirPhyl de leurspropresyeux.IlsaidèrentRussàlamettreaulitavantdepartir,lelaissantassisseul dans le salon à attendre le retour de Jordan, si tant est qu’il ait prévu derevenir. La tension et la distance que Russ avait senties du côté de Jordan lasemaineprécédenteétaientpeut-êtreunmoyenpourcedernierd’essayerdeluidire quelque chose. Mais Jordan lui avait promis de ne pas jouer à des jeuxstupides.IlavaitpromisdeparleràRusss’ilavaitquelquechoseàluidire.

Biensûr,commel’avaitfaitRuss.SaufqueRussnesavaitpasquoidire.Ilavaitdéjàbienplusdesentiments

pour Jordan qu’il ne le devrait.Même s’il s’était vanté du contraire, il seraitmalheureuxquandJordanpartirait.Jordanavaitsaplaceauranch,àprésent,etcetespaceseraitvideaprèssondépart,commelevidequ’avaitlaisséSeanaprèssondécès.

Mais Jordan n’avait pas été là quand Russ avait eu besoin de lui,contrairement à Izzy. Jordan ne serait pas là, à l’avenir, se rappela-t-il,contrairementàIzzy.

Il grogna de frustration, ouvrit le réfrigérateur et attrapa une bière. Iln’arrêtaitpasderessasserlesmêmesidéesdepuisunesemainesansaucunsigned’éclaircissement à l’horizon.Russ s’affala sur le canapé, prit une gorgée à labouteilleetjetaunregardmauvaisverslesfenêtres,derrièrelesquelleslesoleilsecouchait.

Pourquoi lavieétait-ellesicompliquée tout le temps?EtoùétaitJordan,bonsang?

Lanuitétait totalequandRussentenditdespneuscrisser sur legravieretaperçutdespharesàl’extérieur.Àcemoment-là, ilavaitbuplusieursbièreseteubeaucoupdetempspourfulminerdel’absencedeJordan.Quecesoitjusteounon,lestressdelajournée,latensiondelasemaineprécédente,soninquiétudeconcernant l’afflux de monde le lendemain en ignorant si tout était prêt, soninquiétude croissante au sujet de Jordan, auxquels s’ajoutait une pointe de

culpabilitépourfairebonnemesure…Ilétaitmûrpoursedisputer.—Oùétais-tupassé,putain?grogna-t-ildèsqueJordanentradanslapièce,

après l’avoir observéde la tête aupiedpour s’assurer qu’il nemontrait aucunsignedeblessureoudétresse.

Jordancillaenentendantsontonetfronçalessourcils.—J’aiditàPhyllisquej’avaisquelquescoursesàfaireàDallas…etdete

direbonjourpourmoi.— Alors pourquoi n’as-tu pas répondu à ton téléphone quand je t’ai

appelé?IlrefusaitdecroiserleregarddeRuss,maisilcroisalesbrasetrépondit,sur

ladéfensive:—J’aioubliédelebrancherhiersoir,donclabatterieestmortesansqueje

m’enrendecompte.Jen’aivu lesnotificationsque tard,aprèsavoir trouvéunchargeur,etleseulmessagequetum’aslaissédisaitdet’appeler.Commej’étaispresquearrivé ici, jemesuisditque je teverraienrentrantà lamaison.C’estquoileproblème?

—Ilnet’estjamaisvenuàl’idéequeçapuisseêtreimportant?Jordanlevalesyeuxauciel.—J’avaisbesoindem’enallerquelquesheures.Cen’estpasuncrime.Il fit volte-face pour monter l’escalier, mais Russ lui courut après et lui

bloqualepassage.—Jen’aipasfinideparler,déclara-t-ilenagitantundoigtdevantlevisage

deJordan.—Tuessaouleténervé,doncjepensequemoi,j’aifinideteparler.Russplissalesyeuxetserralesdents,maisnes’écartapas.Jordanluilança

unregardnoiràsontour.—Tuagiscommesij’avaiscommisuncrime,alorsquej’aijustedécidéde

prendreunejournéedecongépourunefois.Seigneur.Tusais,tun’aspascessédedisparaîtreaubeaumilieudelajournéetoutelasemaineetpersonnenetecriedessuspourça,répliquaJordanensoufflant.

— Je partais à cheval une heuremaximum, pas toute la journée. Je suistoujourssurleranchetjefaisfairedel’exerciceauxchevauxenmêmetemps.C’esttoujoursdutravail.

Jordanlevalesbrassurlescôtés.—Ehbien,jesuisdésolé,d’accord?Jesuispeut-êtreaussipourrigâtéet

inutilequetulecroyais,hein?Tusais,personnenepeutêtreunsaintcommetonex.Certainsnesontquedeshumains,cria-t-il.

— Baisse d’un ton, siffla Russ. Phyl a besoin de se reposer. Elle s’estblesséeaujourd’huipendantquetufaisaisquelquescourses.

Prisdecourt,Jordanledévisagea,bouchebée.—Quoi?—Elleesttombéedesescaliersetj’aidûl’emmeneràl’hôpital.—OhSeigneur.Ellevabien?UnpeuradouciparlaréactiondeJordan,Russreculaetrépondit:—Unpoignetcassé.Uncoupàlatête.Lemédecinaditquetoutiraitbien

pourelle,maisqu’elleauraitmalcesprochainsjours.—Jesuisdésolé,Russ.Jenesavaispas,murmuraJordan,leregretinscrit

partoutsursonvisage.— Tu l’aurais su si tu t’étais donné la peine de me rappeler. Tu as des

responsabilités,ici,maintenant,tusais.Desgensdépendentdetoi.Jordanbaissalatête.—Oui.Jel’avaisoublié.Jesuisdésolé.Çanesereproduiraplus.Il paraissait si malheureux qu’au milieu de toutes les émotions qui

bouillonnaientenRuss,cefutlaculpabilitéquicommençaàpoindre.Ilsemitàdouteret àavoir le sentimentque sacolère justifiéen’étaitpeut-êtrepasaussijustifiéequ’il lepensait. Iln’avaitpasvraimentétéunsaintce jour-là, luinonplus.Ilavaitquelquesexcusesàprésenter,luiaussi.Ilseditqu’ilvalaitmieuxlefairetoutdesuitepournepasquecelaletracassetoutelanuit.

Ilseraclalagorgeetcommença:—Comme jen’arrivaispasà te joindre, j’aiappelé Izzy. Ilest restéavec

moijusqu’àcequePhylsorte.Russ s’attendait à de la suspicion, de la jalousie et peut-être même un

Jordan blessé. Il s’attendait même à la colère et à l’incrédulité de ce dernier.MaislevisagedeJordanétaitvidedetouteexpression.

—Oh,commentacedernier,d’unevoixmonotone.— Il m’a beaucoup aidé, en parlant avec le médecin notamment. Il a

toujoursétéunbonami.—D’accord.Russ remua les mâchoires quelques instants, inspira profondément et

poursuivit:—J’aiétéunpeuenvahiparmesémotions.Après toutcequis’estpassé

avec Sean, les hôpitaux ne sont pas mon endroit préféré. J’étais inquiet pourPhyl et je gérais mes vieux démons. Izzy était gentil, comme au bon vieuxtemps,et jemesuis laisséemporter. Jen’auraispasdû.Nousnous sommes…euh…embrassés.

—Oh.Russfronçalessourcils.—Oh?C’esttoutcequetuasàdire?Tun’espasencolère?

Jordanhaussalesépaules.—Tun’asmêmepasl’airsurpris.Mêmes’iln’enavaitaucundroit,Russsesentaitoffensé.— Je ne le suis pas, répliqua Jordan d’un ton toujours morne et un peu

froid.J’aivutafaçondeleregarder.—Jordan…Jordanlevalamain.—Tuveuxbienm’excuseruninstant?Sansajouterunmot,Jordanlecontournaetmontaàl’étage.Russleregarda

faire,incrédule,jusqu’àcequ’ilentendeuneporteserefermerdoucement.—C’estquoicebordel?Sa colère atteignit de nouveaux sommets. Il monta les marches quatre à

quatre.Laseuleporte ferméeétait cellede la salledebain. Il s’enapprochaàgrandspasettoqua.

—Jordan?Ilauraitvoulufrapperlebattant,maisPhyldormaitjusteendessous.—Jordan,ouvrelaporte.—Non.Russgrinçadesdents.— Ouvre cette fichue porte et parle-moi, siffla-t-il. Ne joue pas les

immaturesavecmoientecachantderrièrecetteporte.Situesénervé,sorsd’icietdis-le-moienface.Frappe-moi.Faisquelquechose!

Lebruitdelachassed’eaulefittairequelquessecondes.Ilyeutensuitedeséclaboussures d’eau au niveau du robinet, puis Jordan ouvrit brusquement laporteens’essuyantlevisageavecuneserviette.

Sesyeuxbleusressortaientsursonteintcireux.—Tu sais quoi ? dit-il, en jetant la serviette par terre sous le coup de la

colère.Tuasraison.Jesuisimmature.Jenesuispasdignedeconfianceetj’enfaistoujoursdestonnes.Jesuisunfouturaté,même.Jesuissûrqueçavarendretadécisionbienplusfacile.

Perdu,Russfitunpasenarrièreetdemanda:—Quelledécision?Jordanlevalesyeuxauciel.— Oh, allez. J’ai compris. Vraiment. Je convenais pour du court terme,

maisdulongtermeavecmoi teferaitbienrire,hein?C’est toute l’histoiredemavie,tiens.Jesuisbon,maisjamaisassez.PasquandDrParfaitt’attend.Etneme dis pas que ce n’est pas le cas. Je t’ai vu regarder ton téléphone toute lasemaineetjepariequ’ilestarrivéencourantàlasecondeoùtul’asappelé.

Russcilla.

—Écoute.Jesuisdésolédel’avoirembrassé.Vraiment.C’étaituneerreur.Maiscen’étaitqu’unbaiser.J’yaimisfinetj’aiditàIzzyquej’étaisencouple.Si je te l’ai dit, c’est parce que je ne veux pas tementir. C’est ce que je t’aipromisdèsledébutetjem’ytiens.

Ilpoussaunsoupiretfitlagrimace.— Oui, il m’a envoyé quelques messages cette semaine, mais il me

demandait juste si nous pouvions nous revoir pour rattraper le temps perdu.C’esttout.Jeneseraispasalléleretrouversanst’enparlerd’abord.Tudevraislesavoir.

Leslèvrespincées,ilétudialevisagedeJordan,àlarecherchedecertainesréponses.

— Je ne sais pas d’où ça vient, tout ça, donc tu vas devoir m’aider,d’accord ? Pour ce que j’en sais, nous n’avions jamais prononcé lesmots « àlong terme »… Du moins, c’est la première fois que je les entends. Si ça achangépourtoi,tunemel’avaispasdit.Tuasledroitdem’envouloirpourlebaiseretdem’êtrecomportéunpeucommeunconcettesemaine.Jelemérite.Maistunepeuxpasm’envouloirpourquelquechosedontnousn’avonsmêmepasparlé.

Les yeux de Jordan cessèrent de flamboyer. Il eut soudain l’air vaincu ets’appuyacontrelechambranle.

—Quelleimportance,maintenant?demanda-t-ild’unairabattu.—Çaenapourmoi,l’aiguillaRuss.Il préférait un Jordan en colère contre lui que son humeur actuelle.Cette

dernièreluibrisaitlecœur.—Tuvasdevoirmedirecequisepassedansta tête,sinon, jenepourrai

past’aider.Dis-moid’enlevermesœillères.Disquelquechose.Jordanpritunebrusqueinspirationetlevasesyeuxremplisdedouleurvers

Russ,puisdit:—Quoi?Tuveuxquej’ouvremoncœurjustelà,quejevidemonsac,pour

pouvoirmedireensuitequetuestoujoursamoureuxdetonexparfaitetquetuvasluilaisserunenouvellechance?C’estvraimentcequetuveux?

Sans laisser à Russ l’opportunité de répondre, Jordan s’écarta du mur ets’approcha.

—D’accord,trèsbien.Suis-moi.Jordandescenditl’escalier.—Viens,jevaistemontrer.Perduetunpeusubmergé,RusssuivitJordanjusqu’àl’avantdelamaison.Bonsang,quellejournée…Ah,quellesemaine,même.Avecemphase,Jordanindiquadubrasleparking.Sousl’éclairageduspot

posé sur l’écurie, Russ vit une petite berline minable bleue garée àl’emplacementhabituelducabrioletdeJordan.

—Elleestàqui,cettevoiture?—Àmoi.C’estcequejefaisaisàDallas.J’aiéchangélecabrioletcontre

unepetitevoitureminablequej’avaislesmoyensdepayeretd’entretenir,etj’aimisaucloutoutcequejepossédaisquiavaitdelavaleur.

Jordanmit sesmains dans ses poches et fixa l’obscurité du regard, dos àRuss.

—J’aiparléàPhyllasemainedernièredelapossibilitéderesterauranchdemanière plus permanente. J’étais en train de rassembler le courage de t’enparlerquandDrParfaitestapparu.

Jordanrit,amer,etluijetaunbrefregardpar-dessussonépaule.— Manifestement, quelqu’un par ici a voulu me rappeler, avant que je

puissem’humilier,quejen’aivraimentpasgrand-choseàt’offrir.J’imaginequejedevraisleremercier.

CommeRusssecontentaitdeledévisager,sansvoix,Jordanfitlagrimaceets’entouradesesbrasenungesteprotecteur.

—Ouais.Doncmonplanétait foutu,enquelquesorte,et jenesavaispasvraimentcequej’allaisfairemaintenant.Maisjemesuisditquejenepouvaisplusrepousserl’échéancepluslongtemps.Jedevaiscommenceràgrandir,àunmomentdonné,mêmesil’avenirneressembleraitpasàcequej’avaisespéré.

Russs’approchadeJordan,mais laposturedecederniern’invitaitpasaucontact,alorsils’interrompitavantdeletoucher.

—Qu’allais-tum’offrir?—Russ…—Dis-moi,murmura-t-ildoucement.Jordansetournaverslui,levisageblessé.—Moi.D’accord?J’allaism’offrirmoi…cequiparaîtvraimentstupideet

pathétique,maintenant.Sérieux,regarde-moi?Jeneressembleàrien.Ilécartalesbrasetfitlescentpassurlaterrasseenpoursuivant:— Je suis au chômage et presque sans abri. Une seule personne de ma

famillemeparle.Jesuistrèsbienéduqué,maisjen’aiaucunecompétencedanslemonderéel,parcequejen’aijamaiseuàm’enoccupermoi-même.

Ilsefigeaàquelquesmètresetfitbrusquementvolte-face.—Etjeportetesputainsdevêtements,pourl’amourduCiel!—Jetetrouvemagnifiquedansmesvêtements,murmuraRuss.—Non.S’ilteplaît,nefaispasça,soufflaJordanquiserecroquevillasur

lui-même.J’airéussiànepaspleurerjusqu’ici.Jenesuispascertaind’yarriverencorelongtemps.

—Vienslà,ordonnaRuss,bourru,enserapprochantdeJordan.Le jeune homme refusait de le regarder. Il resta raide quandRuss l’attira

contrelui,maisRusstintbon.— Regarde-moi, murmura Russ, mais Jordan secoua la tête et tenta de

s’écarter.S’ilteplaît?Un long moment s’écoula, puis Jordan poussa un soupir, repoussa Russ

d’un coup d’épaule et lui tourna le dos, les mains posées sur la rambarde. Ils’adressaàlanuit.

—Jenesuispasstupide.Jesaisquejecomptepourtoi.Jesaisquetuneveux pas me faire de mal. Mais ça fait à peine un mois que nous sommesensemble.Tul’asaimébienavantdemerencontrer.J’aicompris.Ilatoutpourlui etmoi non.Malgré tousmes efforts pourme voiler la face, ces dernièressemainesm’ontappriscertaineschosessurmoi.J’aiencorebeaucoupdecheminàparcourir,manifestement,maisj’aimeàcroirequej’aimûriunpeu.J’aimeàcroirequejesuismoinségoïsteetégocentriquequ’avant.

Ilseraclalagorgeetredressalesépaules.—L’hommenouveau,adulteetmeilleurquejesuis,veutsemontrermature

à ce sujet. Je veux ton bonheur – apparemment plus que le mien, ce qui estbizarre.Maistulemérites.Jesaisquetun’asjamaisvraimenteuautantbesoindemoiquemoidetoi,doncj’essaiedefairecequ’ilfautmaintenant.

IlregardaRusspar-dessussonépauleetesquissaunsourireironique.—C’est toutnouveaupourmoiet jenesaispascombiende tempsçava

durer, donc tu ferais mieux d’arrêter de faire traîner les choses et d’en tireravantageavantquejem’accrocheàtoienenfaisantdestonnes.

RussserapprochadeJordanunenouvellefoiset luiposaunemainsur lanuque.Jordanfrémitetaboyaunriredouloureux.

—Je suis sérieuxquand je tedisque jene saispascombiende temps jevaispouvoircontinueràêtrematureàcepropos.Siturestesencoreunpeu,tunedevraispastarderàdécouvrirquelledivaimmaturejepeuxêtre.

—Jem’enfiche.Maisj’ail’impressiond’êtreunpeulentetj’aibesoindequelquesprécisions,d’accord?demandaRussd’untonprudent.

—D’accord.—Sijecomprendsbien,tuesentraindemedirequetuveuxresterici,au

ranch, avecmoi, à long terme.Mais que tu es prêt à sacrifier ça parce que tucroisquejeseraisplusheureuxavecIzzy.Ai-jeraison?

—Oui.—Parcequetum’aimes?Une boule dans la gorge, à en juger par sa difficulté à déglutir, Jordan

souffla:

—Oui.—Maisbizarrement,tupensesn’avoirrienàm’offrir?—Ilt’aime,luiaussi.Çasevoitàsamanièredeteregarder…ettulesais.

Tun’arrêtespasd’ypenserdepuissonretour.Jenesuispasaveugle.Jordanseredressaetregardacettefois-ciRussdroitdanslesyeux.—J’essaie justed’êtreunhommeencoremeilleur, là,etde tedireque je

comprends.J’aisaisi.Ilhaussalesépaulesetesquissauneparodiedesourire.—Comme je te l’ai dit, c’est toujours comme ça pourmoi. Je suis bon,

mais jamais assez.Unmauvais timing.Le destin.Un caractèremédiocre.Quisait?Maisjesuisarrivéjusque-là,cependant,unpetitpasàlafois.Jemesuisunpeuamélioré…jecrois.

—Tuestropduravectoi-même.—Ditl’hommequimeconsidèrecommeunenfantgâtédepuislepremier

jour.Russlevalesyeuxauciel.—Jeveuxbienadmettrequeparfois, jemetrompe.Enfait, ilmesemble

mesouvenirl’avoiradmisdevanttoiàplusieursreprises.IlattiraJordancontreluietl’emprisonnacontrelarambarde.— Mais, murmura-t-il contre les lèvres de Jordan, j’apprends de mes

erreurs.Ilposases lèvressurcellesdeJordan,malgré lemurmureincréduledece

dernieretsonfrisson,etnelâchapaspriseavantdesentirJordansedétendre.Ilfinit par reculer pour qu’ils puissent reprendre leur souffle, puis posa le frontcontreceluideJordanet restaainsi, laissant labrise fraîche leseffleureret lescriquetsstridulerleursérénadenocturneàlanuit.

—Tunerendspasleschosesfaciles,plaisantaJordanenhaletant.—Cen’estpascequej’essaiedefaire.—Etqu’enest-ilduDrParfait?RusssoupiraetsereculaassezpourregarderJordandanslesyeux.Ilécarta

sesmèchesblondesdesonfrontetluidit:—Tunepeuxpasdécidercequej’aiàl’espritàmaplace,chéri.Tulesais,

n’est-cepas?Sinotrerelationestamenéeàdurer,tuvasdevoirarrêterdesauterauxconclusionsdèsque jememontresilencieuxquelques jours,d’accord?Jet’aidéjàprévenuquejen’étaispastoujourstrèsdouéaveclesmots.

—Etest-elle…amenéeàdurer?—C’estcequejeveux.—C’estvrai?Russpouffa.

—N’aiepasl’airaussisurpris.J’auraiscruquelessemainesprécédantcemerdiert’avaientdonnélapreuvequej’aimaisêtreavectoi,unpetitpeu.Jenetel’avaispasdit?Visiblement,jen’aipasbienfaitmontravail.

JordanlevalesyeuxaucieletpoussalégèrementRuss.—Cen’estpasça.Crois-moi,jenemeplaignaispas.Tueslemeilleurpetit

ami qu’un gars pourrait rêver d’avoir. C’est juste que… Notre histoire est sirécenteetluisiparfait,bonDieu.

—Iln’estpasparfait.Personnenel’est.Jenevaispasdirequ’iln’apasdebonscôtés,maistuenas,toiaussi.

—Maiscequevousavezpartagé…—Estterminé,clarifiaRuss.—C’estvrai?—Oui. Tu avais raison. J’ai été perdu pendant quelque temps et je suis

désoléde t’avoirblesséenne t’enparlantpas,maishonnêtement, jenesavaisvraimentpasquoidire.J’avaiscruquej’avaislaissétoutçaderrièremoi.

Jordan arbora une expression à la fois inquiète et curieuse, mais pascompréhensive. Russ soupira, prit Jordan par la main et le mena jusqu’auxfauteuils à bascule. Lorsqu’ils furent assis tous les deux, il reprit la main deJordanetexpliqua:

—J’étaisfouamoureuxd’Izzy,quandilestvenumedirequ’ilvoulaitallerenAfrique.J’aidécidédenepasessayerdel’enempêcher,pourtoutuntasderaisons,maisçan’apasrenduplusfacilelefaitdelelaisserpartir.Phylétaitlà,ellepourrateledire.Pendantlongtemps,j’étaisuneépaveetjen’enairienditàIzzy.Maisj’aisurmontéçaunjour…oudumoinsjelecroyais.

—Maisensuite,ilestrevenu,suggéraJordan.— Oui, et je me suis de nouveau retrouvé embrouillé, mes sentiments

n’étaient pas aussi clairs que je le croyais, j’imagine. Je crois que ce qui metravaillait, c’était qu’aucun de nous n’avait vraiment changé ou fait quelquechosedemal.Ilétaittoujoursl’hommequej’aimais.Ilvoulaitjusteardemmentquelque chose dont je ne pouvais pas faire partie et ne le voulais pas, pourpoursuivremespropres rêves. Iln’avait rien faitque jepuisse lui reprocher. Iln’étaitpas…Iln’estpasunhommemauvaisetmoinonplus.J’étaisblessé,maisjen’avaisaucunexutoire.J’étaisencolère,maisjen’avaispasledroitdel’être.

—Maisilestrevenuetilal’intentionderester,non?Etmanifestement,ilespèrereprendreavectoileschoseslàoùellesenétaientrestées.

—Peut-être,maisjesuisdéjàavecquelqu’und’autre.Jordanfronçalessourcils.—Sic’étaitaussiclairetnet,sonretournet’auraitpastourmentécomme

ça.

—Jenesavaispasoùnousenétions,toietmoi.Maintenant,jelesais.—C’estaussisimplequeça?Russhaussalesépaulesetsourit.—Jesuisunhommesimple.Jordanpouffaetsecoualatête.—N’importequoi.LesouriredeRusss’agrandit.Ilselevaets’agenouillaentrelesjambesde

Jordan,lesmainssursescuisses.—Alors,disonsquejesuisunhommedeparole.Situveuxfaireensorte

que çamarche…Si tu as enviede rester ici avecmoi etPhyl et faire cedontvousavezconvenu,çameva.Finilesquestionnementsetlesinquiétudes…

—Etlesbaisersauxex-petitsamis?—Çaaussi.—Aussisimplementqueça?—Ouaip.—Pourquoi?Russfronçalessourcils.—Commentça,pourquoi?—Pourquoimoi,quandtupourraisavoirDrParfait?Russsoupiraetsecoualatête.—Commeje te l’aidéjàdit, iln’estpasparfait. Jenevaispas te faire la

listedesesdéfauts,parcequecen’estpasmongenre,maisj’aidéjàunmec.Ilestassisjustedevantmoietjel’aime.

—C’estvrai?Jordanhaussalessourcilsetlalueurd’espoirméfiantdanssonregardbrisa

lecœurdeRuss.—Oui,c’estvrai.—Jen’arrivepasàcomprendrepourquoi.—Alors, j’imagine que je vais devoir devenir plus doué pour te le dire,

hum?Jordanbaissalatêteetpoussaunsoupirtremblant.—Jesuisdésolé,maisoui.Detempsentemps,j’auraisbesoind’entendre

cesmots…Mêmesiçanedevraitpasêtrelecas,vucommetuesbonavecmoi.—Iln’yapasde«devoir»ou«pasdevoir»quitienne.Tuasbesoindece

donttuasbesoin.Tantquetumedisdequoituasbesoinetquetunem’enveuxpas trop d’oublier parfois, tout ira bien entre nous. Tu supportes bien moncaractèregrincheux,non?J’auraisdûteparler.Jet’avaispromisd’êtreavectoiàcentpourcent,maisaupremierévénementquim’aébranlé,j’aiprisdurecul.Tuesbienplus courageuxquemoi, dem’avoirdit tout ça alorsmêmeque tu

craignais deme perdre. Je ne veux pas être un poids pour toi non plus, si tuespéraisdeschosesplusgrandesoumeilleures.

— Je t’avais carrément dit que je ne comptais pas rester. Je pouvaisdifficilementteblâmerdevouloirêtreavecquelqu’unquilevoulait.

—Qu’est-cequit’afaitchangerd’avis?—Toi,Phyl,cetendroit.J’avaiscertainesidéesancréesenmoiconcernant

ceàquoiunevieétaitcenséeressembler,etmêmequandjecroyaisavoirlaissétout ceci derrière moi, ce n’était pas le cas. Je n’ai jamais été aussi heureuxqu’encemoment.J’aimeleschevaux.J’aimecequejeressensenlesaidant,euxetlesautresanimaux.J’aimeêtreiciavectoutlemonde.Jet’aime,toi.

—Moiaussi,jet’aime.Jordanluiadressaunsouriretremblantetpouffadoucement.Ilssefirentles

yeuxdouxpendantunlongmoment,puisJordansemordillalalèvreetdit:—Russ?—Ouais?—Onpeutallerbaiser,maintenant?Jenesuisqu’unesalopeenmanque

d’affection,jesais.Maissilesparoles,c’estbien,jeveuxbientoutleresteaussi,surtoutdusexepassionné.

Russpoussaunsoupirexagéré,serelevaettenditlamainàJordan.—J’imaginequejepeuxlesupporter,situmeforceslamain.Joueur,Jordanlepoussalégèrement.— Je vais te forcer bien plus que la main, si tu ne montes pas ton cul

grincheuxàl’étage.S’ensuivit la lutte la plus silencieuse de tous les temps pour arriver le

premier à l’escalier sans réveiller Phyl, où ils se poussèrent légèrement et sepelotèrentfranchement.

XXV

JORDAN S’ÉTIRA comme un chat dans le lit de Russ, savourant lestiraillementsetlesdouleursqu’ilressentaitaprèsunenuitd’ébatsininterrompus.Russétait sortidu lit avant l’aube,mais il avaitposéunbaiser sur le frontdeJordanetluiavaitmurmuré«Jet’aime»avantdes’enaller,doncsonabsenceàsonréveilnedérangeaitpastropJordan.

Unbipretentitsursontéléphone,qu’ilrécupérasurlatabledenuit.Àl’aéroport.VaisàKeyWestavecBritney.ReprisedemissionAcceptation

àmonretour.Mamanentraindecéder.Tuluimanques.BisousJordan sentit un pincement au cœur. Il reposa son téléphone. Depuis sa

visite, Gemma avait décidé de prendre sa défense auprès de leur famille. Ilignorait ce qu’elle pouvait accomplir exactement, mais il lui en étaitreconnaissant,carcelasignifiaitaumoinsqu’ilcomptaitbeaucouppourelle.Sadouleur s’était estompée par rapport aux premières semaines, mais elle étaittoujourslà,dansuncoin,commeunedentcariée.

Ilgémitetseredressa,lespiedsausol.C’étaitsamedi,Phylétaitalitéeetily avait besoin de tout le monde pour préparer le ranch à la venue desweekenders. Il ne pouvait pas s’apitoyer sur son sort et sur le passé toute lajournée.Heureusement,Phyln’avaitpasparlédegroupesdeGirlsScoutspourleweek-end.Iln’étaitpascertaind’arriveràlesgérersanselle.Pasencore,entoutcas.

Malgré lemessagequ’il avait reçuet la journéechargéequi l’attendait, ilsautillait en se rendant sous la douche. Il lui en faudrait beaucoup pour ledéprimer,cejour-là.

Ilm’aime.Russ devrait le lui dire une bonne centaine de fois avant qu’il se fasse à

cette idée, mais chaque fois que cette pensée lui traversait l’esprit, Jordansouriaitetenavaitdespapillonsdansleventre.

Vatefairevoir,DrParfait.Ilestàmoi.Jordanbotteraitlesfessesdecedernierpouravoiroséposerlamainsurson

homme,siseulementIzzynefaisaitpasvingt-cinqkilosdemusclesdeplusquelui.IlpourraitsansdouteécraserJordancommeunecanettedesoda,doncs’enprendre à lui n’était pas vraiment à l’ordre du jour. Jordan n’était pas aussi

stupide.Malgrétout,ilauraitaimélefaire.IlallavoirPhyl,quidormaittoujoursetàquiquelqu’unavaitdéjàlaisséde

l’eau, des fruits et uneboîte demédicaments sur la table de chevet, puis il serenditdanslacuisinepourprendreunetassedecafé.Russavaitdéjàpréparélacafetière,biensûr.Jordansoupiraensavourantsapremièretasse.

—Salut,luiditRussenapparaissantàl’entréedelacuisine.—Salut,réponditJordanavecunsourireimpatient.—JevenaisjustevoircommentallaitPhyletsielleavaitbesoindequelque

chose.—Jeviensd’yaller.Elledorttoujours.—D’accord. J’imagine qu’il va falloir que nous trouvions quelque chose

pourlepetitdéjeuner.—J’aidéjàlemien,réponditJordanenlevantsatasseàcafé.Russfronçalessourcils.Jordanlevalesyeuxauciel,avançaversRussd’un

passautillantetluiposaunpetitbisousurleslèvrespourlecalmer.—D’accord,d’accord.Jesais.Tuvaspiquerunecrisesijenemangepas

autantqu’unepetitearmée.Aprèslanuitdernière,j’admetsavoirunpeufaim.Un sourire incurva les lèvres de Russ, qui attira Jordan contre lui et

l’embrassadenouveau.—Sic’esttoutcequ’ilfaut,j’imaginequejepeuxrépéterl’opérationaussi

souventquenécessaire.Jordan frissonna et se frotta contreRuss un instant, avant de s’écarter en

gémissant.—Onestsamedi,leurrappela-t-ilàtouslesdeux.Vavoirl’agendadePhyl

poursavoircequiestprévupouraujourd’huietmoi,jevaischerchermatablettepourregardersurYouTubequelquesvidéossur lamanièredepréparerunpetitdéjeuner qui ne nous tuera pas tous les deux ou ne mettra pas le feu à cettemaison.

Russluifitungrandsourire,unepetitetapesurlesfessesetsedirigeaverslebureaudePhyl.

—Merci infiniment, lança-t-il par-dessus son épaule. J’ai eu peur que tum’obligesàpréparerlepetitdéjeuner.

—Bonsang,non.Tudétestesleshôpitaux,jeterappelle,évitonsquetut’yretrouves,letaquinaJordan.

Il choisit plusieurs vidéos, qu’il visionna trois ou quatre fois, puis semitdevantlacuisinière,certaind’êtrecapabled’arriveràfairedesœufsbrouillés,dubacon et des toasts. Il avait regardé Phyl faire assez souvent, cela n’avait pasl’air très compliqué. Il brûla peut-être quelques aliments, mais il en rejeta la

faute surRuss, qui ne cessa d’arriver derrière lui pour luimordiller le cou, ledistrayant.

Maisildevaitreconnaîtrececiàcedernier:ilenavalachaquebouchéesansseplaindre.EtilnesermonnapasJordanpouravoirrefusédemangerlespartiesbrûléesdesaproprenourriture.

—Nedevrait-onpasengarderpourPhyl?—Nan.IlvayavoirdesbénévolestoutelajournéeetjepensequeJonet

Ernie prévoient de venir voir comment elle va, même s’ils sont en congé.Connaissantleursfemmes,ilvabientôtyavoirunemontagnedenourritureici.

LorsqueletéléphonedeRussvibra,cedernierenperditlesourire.Jordan,lui,sentitsonventresenouer.

—C’estlui?demandaJordan.—Ouais,soupiraRuss.Ilm’enaenvoyéunautrecematinaussi.Jordanseforçaànepastendrelecoupourpouvoirregarderl’écranetdit:—Qu’est-cequ’ilveut?Ouest-ceunequestionstupide?Russluisouritgentimentetluipritlamain.—Ilaimeraitquenousnousretrouvionspourledîner,justetouslesdeux.—Etqu’as-turépondu?—Rienpourl’instant.Jevoulaisteparlerd’abord.—Parcequec’estcequefontlesgensquandilssortentensemble?LesouriredeRusss’élargit.—Oui.C’estcequ’ilsfont.Ensoupirant,ilsoutintleregarddeJordan.—Ilvabienfalloirquejelerencontreenfaceàfaceàunmomentdonné.

Jenetrouvepascorrectdeluidirecequej’aiàluidirepartéléphone.Est-cequetuesd’accordavecça?

Non.—Biensûr.Russhaussalessourcilsetpouffa.—Biensûr?Jordan leva lesyeuxauciel,se levaetposasonassiettedans l’évier. Il la

rinça,lamitdanslelave-vaisselle,puiss’adossaauplandetravail.—Toute cette histoire de se comporter en adulte, c’est difficile. Tu sais,

ça?Russramassasonassiette,laposasurleplandetravailetpritlesmainsde

Jordan.—Jesais.—Jeneveuxvraimentpasmemontrerjusteettelaisserlerencontrerseul,

mais je sais aussi que je ne devrais pas t’empêcher de faire ce qui te semble

juste.—Tumefaisconfiance?—Oui…engrandepartie.—Jet’aidonnémaparoleetjesuisunhommedeparole,exact?—Oui,admitJordanàcontrecœur.—C’esttoietmoiquisortonsensemble,maintenant,etnonplusluietmoi.

Jeveuxjusteleluidireenface,commeilfaut.Luietmoi,c’estterminé.Jetelepromets.C’estterminédepuispresquetroisans,quandilestpartipoursuivresesrêves… Tu vois, je suis un homme égoïste, au fond de moi. Je veux quel’hommeque j’aimem’incluedansses rêves.Jeveuxenfairepartieetnonenêtreunobstacle.

—D’accord.Jordanhochalatêteetrelâchasonsouffle.—Tusais, tu…faispartiedemes rêves. Jen’enavaisaucun,enarrivant

ici.J’étaissioccupéauparavantàessayerd’êtrequelqu’unquejen’étaispas,età échouer, que je n’avais jamais pris le temps de rêver.Mais j’ai des rêves, àprésent. J’aime ce ranch. J’aime les chevaux et le travail que nous faisons.J’aimePhyl.Jet’aime,toi.Voilàcequejeveux.

Les yeux brun foncé de Russ s’adoucirent et se mirent à briller. Il serraJordancontrelui.

—Noussommesune famille,maintenant.Toi,moi,Phyl, JonetErnie, leranchettouslesanimauxquenoussauvons.C’estça,unefamille.Situmedisqueçatesuffit,tuferasdemoil’hommeleplusheureuxduTexas.

—Çamesuffit.—Etsi,parhasard,cen’estpluslecasunjour,dis-le-moi,d’accord?—Oui.Maisjenecroispasrêverunjourdequelquechosedonttuneferas

paspartie.—Çameconvient.Jordan l’embrassa, langoureusement. Il s’accrocha aux épaules minces et

puissantes de Russ, souhaitant pouvoir s’entourer de Russ comme d’unecouvertureetseprélasserensuiteenlui,maisunraclementdegorgeàlaporteetlebruitdepneussurlegraviermirentfinàcemoment.

—Désoléedevousinterrompre,déclaraPhyl.Ilss’empressèrentd’allerl’aideràs’asseoir,tandisqueRusslasermonnait

pourêtresortiedulit.Elleécartasesprotestationsd’ungestedelamain.—J’yretourneraibientôt.Maiscommej’aientendudescolombesroucouler

dansmacuisine,j’aieuenviedevenirvoircommentçasepassait.JordanrougitetRusslevalesyeuxauciel.—Espècedefemmebornée.

Elleluisouritenmêmetempsquedesportièresclaquaientàl’extérieur.—J’imaginequec’estlacavalerie.Jon et Ernie entrèrent, portant, tous les deux, des cocottes recouvertes de

papieraluminium.RusslançaunsourireàJordan.ÀregarderlestroishommeschouchouterPhyletcettedernièregrommeler

etrâlertoutententantdecachersonsourire,Jordansesentittoutattendri.—J’entendstoncerveaubourdonnerjusqu’ici,murmuraRussenposantles

casserolessur lesmeublesde lacuisineetensortantdesassiettespourPhyletlesgarçons.

JordansemorditlalèvreetjetaunregardencoinàRuss,toutenl’aidant.— Russ, tu sais que je suis toujours une épave, n’est-ce pas ? J’essaie

d’allermieux. Je suis heureux… extatique,même, que Phyl et toime vouliezdansvotrefamille,maisjesuistoujoursuneépave.

—Nouslesommestous,parfois.Personnen’estparfait.LeBSTARestlàpournousaider,sinousvoulonsl’être.

Russpritlesassiettesetfitunclind’œilàJordan.—Enplus,jet’aiditquejeseraisl’hommeleplusheureuxduTexas,situ

voulaisbienêtremonépave.Pascertaind’apprécier,Jordanrestafigédevantlacuisinière,jusqu’àceque

Russluiadresseunnouveausourireetdise:—Allez,viens,traînard.Nousavonsdutravailàfaire.

ROWANMCALLISTERestunefemmequirecréebienplusqu’ellenecrée,ens’emparantdecertainsobjetsignorésounégligéspourlesrendrevivantsetmagiques.D’aprèselle,toutdépenddelamanièredeconsidérerleschoses.Enplus de son histoire d’amour permanente avec lesmots, elle crée des œuvresd’artàpartirdetissu,demétal,debois,depierreetdetoutautremorceaudeviequiseretrouveentresesmains.Ilnesuffitqued’unchangementdeperspectiveet d’un peu d’effort pour que tout devienne uneœuvre d’art à la fois belle etfonctionnelle. Elle vit dans les bois, en périphérie d’une ville – là où lacivilisations’effaceet lanaturereprendsesdroits–encompagniedesonmaripatient,affectueuxetterreàterre,desabouledepoilsfélinesuperdouceetd’unmonstremythologique déguisé en chien. Sa famille de cœur est constituée depersonnesprovenantdediversmilieuxqui,toutes,l’ontinspiréedebeaucoupdemanièresetsanslesquelleselleseraitperdue.

E-mail:rowanmcallister10@gmail.comFacebook:www.facebook.com/rowanmcallister10Twitter:@RowanMcallister

ParRowanMcAllister

Pourunedeuxièmechance

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Ceciestuneœuvrede fiction.Lesnoms, lespersonnages, les lieuxet les faitsdécritsnesontque leproduitde l’imaginationde l’auteur,ouutilisésdefaçonfictive.Touteressemblanceavecdespersonnesayantréellementexisté,vivantesoudécédées,desétablissements commerciauxoudesévénementsoudes lieuxneseraitquelefruitd’unecoïncidence.PourunedeuxièmechanceCopyrightdel’éditionfrançaise©2018DreamspinnerPress.Titreoriginal:TheSecondTimeAround©2018RowanMcAllister.Premièreédition:septembre2018Traduitdel’anglaisparLorraineCocquelin.Illustrationdelacouverture:©2018AdrianNicholas.adrian.nicholas177@gmail.comLesélémentsdelacouverturenesontutilisésqu’àdesfinsd’illustrationettoutepersonnequiyestreprésentéeestunmodèleTout droit réservé. Aucune partie de cet e-book ne peut être reproduite outransférée d’aucune façon que ce soit ni par aucun moyen, électronique ouphysiquesanslapermissionécritedel’éditeur,saufdanslesendroitsoùlaloilepermet. Cela inclut le photocopiage, les enregistrements et tout système destockage et de retrait d’information. Pour demander une autorisation, et pourtoute autre demande d’information, merci de contacter Dreamspinner Press,5032 Capital Cir. SW, Ste 2 PMB# 279, Tallahassee, FL 32305-7886, USAwww.dreamspinnerpress.com.Éditione-bookenfrançais:978-1-64405-097-2

Éditionimpriméeenfrançais:978-1-64405-098-9Premièreéditionfrançaise:septembre2018v1.0

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