marie dans l’art sacrÉ

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6 e journée de ressourcement de la Pastorale des Réalités du Tourisme et des Loisirs du diocèse de Montpellier MARIE DANS L’ART SACRÉ Recueil des interventions 1 er février 2020 – Notre-Dame du Dimanche, Saint-Bauzille-de-la-Sylve

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6e journée de ressourcement de la

Pastorale des Réalités du Tourisme et des Loisirs du diocèse de Montpellier

MARIE DANS L’ART SACRÉ

Recueil des interventions

1er février 2020 – Notre-Dame du Dimanche,

Saint-Bauzille-de-la-Sylve

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Sommaire Avant-propos Serge MALBEC, délégué diocésain de la PRTL………………………………………………1 Francis MEDINA, agrégé de l’Université, PRTL Pézenas Marie et l’enfance de Jésus, des textes à la représentation…………………………………….2 Joseph BREMOND, architecte honoraire, connaisseur du patrimoine religieux Les mystères du Rosaire, les sept douleurs de la Vierge Marie, les sept joies de la Vierge Marie. Textes bibliques et représentations……………………………………………………..8 Père Thierry FEBVRE, prêtre accompagnateur de la PRTL du diocèse de Montpellier Quelques Vierges célèbres : ..…………………………………………………………….….15 La Vierge à l’Enfant de Marianne Stokes. L’Annonciation de Fra Angelico. Joël MAISTRE, conférencier Un type de représentation de la Vierge dans l’art occidental : le couronnement de la Vierge.24 Martine DESEVRE, iconographe, écrivain, élève de l’atelier Saint-Jean Damascène Les icônes de Marie : thèmes et styles……………………………………………………….27 Père Thierry FEBVRE, prêtre accompagnateur de la PRTL du diocèse de Montpellier. La Vierge Marie en musique………………………………………………………………….34 Notre-Dame-du-Dimanche d’après l’intervention de Jean-Luc PAULET..………………….42

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Avant-Propos Serge MALBEC, délégué diocésain

Pourquoi une journée de ressourcement ? La Pastorale des Réalités du Tourisme et des Loisirs considère indispensable de consacrer du temps aux sujets tels que l'état des lieux du patrimoine religieux, la mise en place d'un réseau de bénévoles pour l’organisation des différents évènements et rencontres, les liens à créer avec les professionnels du tourisme… Pour autant, il nous faut savoir aussi consacrer du temps pour faire une pause afin d'approfondir ce qui nous motive, détermine notre mission et le sens de notre engagement. Parole – Présence – Partenaire - Patrimoine La Pastorale des Réalités du Tourisme et des Loisirs est une mission de l’Eglise pour et dans la société d’aujourd’hui. Cette mission peut s’expliquer avec quatre « P ». « P » comme PAROLE à entendre et à dire ; pour que chaque personne se sente accueillie avec bienveillance et gratuité ; « P » comme PRESENCE au monde dans ses réalités humaines ; pour accueillir les expériences vécues, échanger les initiatives, discerner et respecter l’appel du Christ en chacun ; « P » comme PARTENAIRE ou collaborateur … ; en dialogue avec les instances civiles, paroissiales, diocésaines ; « P » comme PATRIMOINE sacré, dont les journées de ressourcement aident à dévoiler l’origine, le sens et l’usage, en lien avec la liturgie de l’Eglise.

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Marie et l’enfance de Jésus : du texte à la représentation Francis MEDINA, agrégé de l’Université, PRTL Pézenas.

Comme dans le tableau « Saint Luc dessinant la Vierge et l’Enfant », (1435) de Roger Van der Weyden peintre primitif flamand, les artistes ont largement représenté la propre histoire de Marie sa mère, et celle de Jésus enfant. Dans une pièce largement ouverte sur une terrasse dominant une ville et une rivière, l’évangéliste placé devant Marie allaitant le bébé, fait son portrait pendant qu’un couple regarde au loin le paysage. L’anachronisme des représentations, visible dans les intérieurs où se situe l’action, dans les costumes voire les paysages, ne dérange

pas l’artiste soucieux de traiter un sujet très présent dans les œuvres artistiques médiévales. Il mêle ici le religieux et le profane. Le détail de ses mains, l’une qui tient le pinceau et l’autre qui présente le portrait de la Vierge, souligne une tradition qui fait de saint Luc le peintre par excellence de la représentation de Marie et le patron des artistes.

Pour répondre à la problématique de cette représentation, trois questions peuvent être posées :

1- Quels textes ont-ils pu servir de bases aux représentations ?

2- Comment l’histoire de Marie mère de Jésus, pivot essentiel de la « Sainte Famille » a-t-elle pu être illustrée dans les œuvres d’art ?

3- Quels furent les modèles de la représentation de la « Vierge à l’enfant » ?

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1- Les textes

*Les évangiles (bonne nouvelle) sont des écrits qui relatent la vie et le message de Jésus de Nazareth. De nombreux évangiles ont été écrits lors des premiers siècles de notre ère.

*Quatre sont reconnus comme canoniques par les principales églises chrétiennes : les évangiles dits selon Matthieu, Marc, Luc et Jean.

*Les autres évangiles sont dits apocryphes (du grec apokryphos « cachés »).

Parmi eux:

- Le Protévangile de Jacques

- L’Evangile du Pseudo-Matthieu

- l’histoire de Joseph le charpentier…

Seuls les évangiles canoniques de Matthieu et de Luc plus longuement, parlent de l’enfance de Jésus.

Parmi les évangiles apocryphes :

- Le Protévangile de Jacques est un évangile de l'enfance de Jésus placé sous l'autorité de Jacques, soit Jacques le Majeur ou Jacques le Mineur. On considère depuis longtemps que cet évangile apocryphe fut achevé au IVe siècle d'après des éléments pouvant dater du IIe siècle. Cet évangile a été souvent lu au Moyen Age, car il est le seul texte qui raconte la vie de la Vierge Marie, sa conception, son enfance, sa rencontre avec Joseph, etc … Il a inspiré de nombreuses représentations artistiques.

2- Les représentions suivent les étapes de l’histoire de Marie comme fille d’Anne et Joachim et mère de Jésus.

En Italie du Nord dans la ville de Padoue, la chapelle de la famille Scrovegni décorée par Giotto au XIVe siècle, constitue un ensemble exceptionnel, une sorte de BD dans laquelle nous puiserons des exemples de la propre naissance de Marie jusqu’à celle de Jésus. D’ailleurs dans ce lieu, l’histoire illustrée de Jésus prend le relais de celle de sa mère dans les fraîches couleurs et les compositions innovantes de Giotto.

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Certes, les artistes du Moyen Âge et d’autres par la suite, ont surtout peint ou sculpté ces sujets religieux représentant, l’Annonciation, la Visitation, la Nativité, l’Adoration des bergers et des mages, la Présentation de Jésus au Temple, comme une mise en évidence des liens unissant l’enfant et sa mère dans cette histoire sacrée mise en image.

Pour « raconter » cette histoire, nous avons tenté de mettre en parallèle un extrait de texte avec une œuvre d’art peinte ou sculptée.

« Réjouis toi comblée de grâce, le Seigneur est avec toi »…..Sois sans crainte Marie car tu as trouvé grâce aux yeux de Dieu. Voici que tu concevras dans ton sein et enfanteras un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus » Luc 1,26-31.

Ainsi, les peintres ont illustré la merveilleuse annonce de la naissance divine faite à Marie de Nazareth par l’archange Gabriel, soit en montrant le plus souvent une jeune femme recevant l’important message en croisant ses bras avec humilité, soit en lui faisant esquisser un geste d’étonnement ou de recul comme dans la représentation de Simone Martini (1333).

Saint Matthieu évoque aussi la maternité de Marie (1,18)

… « Marie…était fiancée à Joseph ; or, avant qu’ils eussent mené vie commune, elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit Saint »…

Le peintre Piero della Francesca nous donne son interprétation à la fois théâtrale et simple dans « La Madona del parto » de 1459 (Monterchi, Toscane). Accompagnée par deux anges, Marie se tient debout sous un baldaquin, elle place une main sur son ventre qui a grossi, et sa robe bleue est légèrement dégrafée.

Autre exemple pris dans l’épisode de la Nativité, l’extrait du texte de saint Luc (2,6-7) nous précise : « … Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter fut accompli. Et elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour

eux dans la salle commune », nous avons une image du lieu de l’événement que le protévangile de Jacques modifie légèrement : « Et lorsque l’Ange eut dit cela, il ordonna à Joseph d’arrêter la bête de somme sur laquelle était montée Marie car le temps de l’enfantement était venu. Et il dit à Marie de descendre de sa monture et d’entrer dans une caverne souterraine où la lumière n’avait jamais pénétré et où il n’y avait jamais eu de jour… A l’entrée de Marie, toute la caverne resplendit d’une splendeur aussi éclatante que si le soleil y était… et tant que Marie resta dans cette caverne, elle fut, la nuit comme le jour, et sans interruption, éclairée de cette lumière divine... ». A partir de ces sources écrites, le travail de l’artiste peut faire différencier les représentations comme le sont dès avant Noël, les constructions si variées de crèches dans nos églises ou dans nos maisons. Ainsi sur un bas-relief (1240) du tympan de l’entrée de la cathédrale de Trogir en Croatie, nous avons une version sculptée de l’évènement. Sous l’étoile divine, Marie très sereine apparaît couchée dans une sorte d’alcôve avec derrière elle l’enfant Jésus emmailloté dormant sous la protection des animaux. De part et d’autre des rideaux tirés, les bergers et les mages se préparent pour venir adorer le nouveau-né. Par contre

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sur une mosaïque du XIIIe siècle de l’église Santa-Maria in Trastevere de Rome, la scène est située dans une grotte.

Plus tard, les « Sainte Famille » vrai thème à lui tout seul, ont proposé des variations picturales puisant dans l’époque du peintre de nouvelles conceptions artistiques ou des préoccupations sociales : Voir dans l’Italie du XVIe siècle celle de Léonard de Vinci dans sa « Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant » où dans un paysage de collines bleutées, trois générations présentent des visages si doux, si familiers et remplis de noblesse de cœur. Voir aussi celle très

paysanne de Murillo dans l’Espagne du XVIIe siècle. Marie accomplit un travail domestique tout en regardant son petit garçon enveloppé dans la tendresse de Joseph. L’Enfant Jésus est tout à son jeu, souriant doucement d’être parvenu à dérober aux convoitises du petit chien, l’oiseau qu’il enserre dans sa petite main potelée.

3- Les représentations de la « Vierge à l’Enfant »

Elles obéissent souvent à une véritable codification héritée de la tradition des icônes. Nous pouvons rapprocher la très célèbre et très honorée en Russie, « Vierge de Vladimir » (XIIe siècle) modèle de Vierge de tendresse

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dite « Eléousa », d’une œuvre du Maître florentin du XIIIe siècle « La Vierge à l’Enfant avec cycle de l’histoire de Marie ». De la même manière, la représentation de la Vierge allaitant Jésus dans un tableau de Rogier Van der Weyden (1450. Diptyque de Jean Le Gros) peut être mise en parallèle avec une des icônes grecques du type « Galaktotrophousa - Qui donne son lait ». Ici comme le veut la tradition, sur un fond doré, Marie porte le manteau rouge impérial. Elle est reine du ciel mais aussi une mère qui doit nourrir son enfant qu’elle tient dans ses bras comme le fait celle du tableau flamand en manteau sombre. Sa tête comme celle de l’Enfant sont légèrement auréolées d’or. Les modèles de Vierge de tendresse (Eléousa), de Vierge allaitante (Galaktotrophousa) ou de Vierge qui montre le chemin de Jésus (Hodigitria) sont repris par de nombreux peintres dès le XIIIe siècle dans les écoles toscanes de Sienne, de Florence ou en Flandre et autres pays du Nord de l’Europe. Ils restent encore valables aujourd’hui pour les iconographes et certains peintres poursuivant une inspiration religieuse dans des périodes plus récentes. Certaines représentations comme les « Saintes conversations », donnent à Marie la place de Reine du ciel et de l’intercession en compagnie des saints et des anges. Dans le retable architecturé et peint (1505) de Giovanni Bellini dans l’église San Zaccaria à Venise, Marie installée sur un trône avec l’Enfant-Dieu, est accompagnée de quatre saints (sainte Catherine, saint Pierre, sainte Lucie, saint Jérôme) dans un dialogue sacré intemporel bercé par la mélodie d’un ange musicien.

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Dans « La Vierge à l’Enfant en majesté- Maesta » de Duccio- 1308-1311 (Sienne-Toscane), Marie y est représentée comme la mère du fils de Dieu qu’elle montre comme dans la tradition de l’icône de type « Hodigitria », mais aussi comme une mère pour tous les hommes.

Marie, « La première en chemin » comme le dit un cantique, est représentée dans l’art sacré dans sa propre histoire, comme la fille d’Anne et Joachim mais aussi comme mère de Jésus. Pendant toute la petite enfance et la pré-adolescence de son fils (voir la scène où Jésus est en compagnie des docteurs de la loi), elle l’accompagne avec tendresse, parfois avec une certaine inquiétude manifestée lors de sa Présentation au Temple et de la rencontre avec le vieux Syméon et la prophétesse Anne. Dès l’épisode de l’Annonciation, Marie est au centre des représentations de cette histoire sacrée. Doucement, elle va laisser la place à son fils, le guide, qu’elle montre dans certaines icônes.

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Les Mystères du Rosaire, les sept douleurs de la Vierge Marie, les sept joies de la Vierge Marie.

Textes bibliques et représentations.

Joseph BREMOND, architecte honoraire, connaisseur du patrimoine religieux

Les Mystères du Rosaire, les sept douleurs de la Vierge Marie, les sept joies de la Vierge Marie constituent un fil conducteur pour donner un aperçu des représentations dans l’art religieux des dévotions nombreuses en références aux douleurs et aux joies qui ont émaillé la vie de Marie, jusqu’à son Assomption.

1- Les Mystères du Rosaire Mystères joyeux - Annonciation - Visitation - Naissance de Jésus - La Présentation de Jésus au Temple et la purification de la Vierge Marie - Le Recouvrement de Jésus au Temple Mystères lumineux - Le Baptême de Jésus - Les noces de Cana - Jésus à la synagogue de Nazareth - La transfiguration - La Cène Mystères douloureux - Gethsémani. La flagellation - Le couronnement d’épines - Le portement de la croix - La mort de Jésus en croix

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Mystères glorieux - La Résurrection - L’Ascension - La Pentecôte - L’Assomption de la Vierge Marie et son couronnement comme Reine de la création. - Le Jugement dernier

2- Les sept douleurs de la Vierge Marie - La prophétie de Syméon sur l’Enfant Jésus - La fuite de la Sainte Famille en Égypte - La disparition de Jésus pendant trois jours au Temple - La rencontre de Marie et Jésus sur la via crucis - Marie contemplant la souffrance et le décès de Jésus sur la Croix - Marie accueille son fils mort dans ses bras lors de la descente de Croix - Marie abandonne le corps de son fils lors de la mise au tombeau La prophétie de Siméon (Lc 2, 33-35). Le père et la mère de Jésus étaient tout étonnés de ce que Siméon disait de lui. Siméon les bénit et dit à Marie, la mère de Jésus : « Dieu a destiné cet enfant à causer la chute ou le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de Dieu auquel les gens s'opposeront, et il mettra ainsi en pleine lumière les pensées cachées dans le cœur de beaucoup. Quant à toi, Marie, la douleur te transpercera l'âme comme une épée ».

La Fuite de la Sainte famille en Egypte. (Mat 2, 13-21). Après leur départ, voici que l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit : « Lève-toi ; prends l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte. Reste là-bas jusqu’à ce que je

t’avertisse, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr ». Joseph se leva ; dans la nuit, il prit l’enfant et sa mère, et se retira en Égypte, où il resta jusqu’à la mort d’Hérode, pour que soit accomplie la parole du Seigneur prononcée par le prophète : d’Égypte, j’ai appelé mon fils ».

La disparition de Jésus pendant trois jours au Temple (Lc 2, 46-51). C’est au bout de trois jours qu’ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs de la Loi: il les écoutait et leur posait des questions, et tous ceux qui l’entendaient s’extasiaient sur son intelligence et sur ses

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réponses. En le voyant, ses parents furent stupéfaits, et sa mère lui dit: « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme nous avons souffert en te cherchant, ton père et moi ! » Il leur dit : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne le saviez-vous pas ? C’est chez mon Père que je dois être ».

La rencontre de Marie et Jésus sur la via crucis. Mais ils insistaient avec de grands cris, demandant qu’il fût crucifié ; et leurs cris redoublaient, Et Pilate prononça que ce qu’ils demandaient fût fait. Il relâcha donc celui qui avait été mis en prison pour sédition et pour meurtre, et qu’ils demandaient ; et il livra Jésus à leur volonté. Et comme ils l’emmenaient, ayant pris un certain Simon de Cyrène, qui revenait des champs, ils le chargèrent de la croix, pour la porter derrière Jésus. Et une grande multitude de peuple et de femmes le suivaient, qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur lui. Mais Jésus, se tournant vers elles, leur dit : Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants !

Marie contemplant la souffrance et le décès de Jésus sur la Croix (Jn 19, 25- 27). Or, près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine. Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère ». Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui.

Marie accueille son fils mort dans ses bras lors de la descente de Croix (Mat, 27, 57-59). Le soir venu, arriva un homme riche d’Arimathie nommé Joseph, qui était aussi disciple de Jésus. Il se rendit vers Pilate et demanda le corps de Jésus. Alors Pilate ordonna de le lui remettre. Joseph prit le corps, l’enveloppa d’un linceul immaculé et le déposa dans un tombeau neuf, qu’il s’était fait tailler dans le roc. Puis il roula une grande pierre à l’entrée du tombeau et s’en alla.

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Marie abandonne le corps de son fils lors de la mise au tombeau (Jn, 19, 40-42). Ils prirent donc le corps de Jésus et l'enveloppèrent de bandelettes, avec les aromates, comme c'est la coutume d'ensevelir chez les Juifs. Or, il y avait un jardin à l'endroit où Jésus avait été crucifié, et dans le jardin un tombeau neuf où personne encore n'avait été mis. Ce fut là qu'ils déposèrent Jésus parce que c'était la préparation de la Pâque des Juifs et que le tombeau était proche. Nous avons vu que le Rosaire à côté des Mystères douloureux comportait des Mystères joyeux, lumineux et glorieux. En regard du thème des sept douleurs de la Vierge, peut-être moins connus, on est invité à méditer sur le thème heureux, les sept joies de la Vierge.

3- Les sept joies de la Vierge Marie - L’Annonciation - La Nativité - L’Adoration des mages - La Résurrection - L’Ascension - La Pentecôte - L’Assomption L’annonciation (Lc 1,26-38). L’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth, à une jeune fille vierge, accordée en mariage à un homme de la maison de David, appelé Joseph ; et le nom de la jeune fille était Marie. L’ange entra chez elle et dit : « Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi ». À cette parole, elle fut toute bouleversée, et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation. L’ange lui dit alors : « Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il régnera pour toujours sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin ». Marie dit à l’ange : « Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d’homme ? » L’ange lui répondit : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint, il sera appelé Fils de Dieu. Or voici que, dans sa vieillesse, Élisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils et en est à son sixième mois, alors qu’on l’appelait la femme stérile. Car rien n’est impossible à Dieu ». Marie dit alors : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole ». Alors l’ange la quitta.

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La Nativité (Lc 2, 4-14). Joseph, lui aussi, monta de Galilée, depuis la ville de Nazareth, vers la Judée, jusqu’à la ville de David appelée Bethléem. Il était en effet de la maison et de la lignée de David. Il venait se faire recenser avec Marie, qui lui avait été accordée en mariage et qui était enceinte. Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter fut accompli. Et elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. Dans la même région, il y avait des bergers qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux. L’ange du Seigneur se présenta devant eux, et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière. Ils furent saisis d’une grande crainte. Alors l’ange leur dit : « Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire ». Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu en disant : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime ».

L’adoration des Mages (Mt 2,1-12). Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu se lever son étoile et nous sommes venus nous prosterner devant lui ». En apprenant cela, le roi Hérode fut pris d’inquiétude, et tout Jérusalem avec lui. Il réunit tous les chefs des prêtres et tous les scribes d’Israël, pour leur demander en quel lieu devait naître le Messie. Ils lui répondirent : « A Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète : Et toi, Bethléem en Judée, tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Judée ; car de toi sortira un chef, qui sera le berger d’Israël mon peuple ». Alors Hérode convoqua les mages en secret pour

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leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ; puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : « Allez-vous renseigner avec précision sur l’enfant. Et quand vous l’aurez trouvé, avertissez-moi pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui ». Sur ces paroles du roi, ils partirent. Et voilà que l’étoile qu’ils avaient vue se lever les précédait ; elle vint s’arrêter au-dessus du lieu où se trouvait l’enfant. Quand ils virent l’étoile, ils éprouvèrent une très grande joie. En entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère et, tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Mais ensuite, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin".

La Résurrection (Jn 20, 11-18). Marie Madeleine se tenait près du tombeau, au-dehors, tout en pleurs. Et en pleurant, elle se pencha vers le tombeau. Elle aperçoit deux anges vêtus de blanc, assis l’un à la tête et l’autre aux pieds, à l’endroit où avait reposé le corps de Jésus. Ils lui demandent : « Femme, pourquoi pleures-tu ? ». Elle leur répond : « On a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a déposé ». Ayant dit cela, elle se retourna ; elle aperçoit Jésus qui se tenait là, mais elle ne savait pas que c’était Jésus. Jésus lui dit : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? ». Le prenant pour le jardinier, elle lui répond : « Si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as déposé, et moi, j’irai le prendre ». Jésus lui dit alors : « Marie ! » S’étant retournée, elle lui dit en hébreu : « Rabbouni ! », c’est-à-dire : Maître. Jésus reprend : « Ne me retiens pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Va trouver mes frères pour leur dire que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu ». Marie Madeleine s’en va donc annoncer

aux disciples : « J’ai vu le Seigneur ! », et elle raconta ce qu’il lui avait dit.

L’Ascension (Lc 24,50-53 ). Et il les emmena jusque vers Béthanie, et, levant les mains, il les bénit. Et tandis qu’il les bénissait, il s’éloigna d’eux, et il était enlevé vers le ciel. Et eux, après l’avoir adoré, retournèrent à Jérusalem avec grande joie. Et ils étaient continuellement dans le temple, louant et bénissant Dieu.

La Pentecôte (Livre des Actes des Apôtres 2,1-11). Quand arriva la Pentecôte (le cinquantième jour après Pâques), ils se trouvaient réunis tous ensemble. Soudain il vint du ciel un bruit pareil à celui d'un violent coup de vent : toute la maison où ils se tenaient en fut remplie. Ils virent apparaître comme une sorte de feu qui se partageait en langues et qui se posa sur chacun d'eux. Alors ils furent tous remplis de l'Esprit Saint : ils se mirent à parler

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en d'autres langues, et chacun s'exprimait selon le don de l'Esprit. Or, il y avait, séjournant à Jérusalem, des Juifs fervents, issus de toutes les nations qui sont sous le ciel. Lorsque les gens entendirent le bruit, ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient dans la stupéfaction parce que chacun d'eux les entendait parler sa propre langue.

L’Assomption (Dom Robert Le Gall). Les Écritures canoniques ne parlent pas de ce mystère, mais très vite la foi de l’Église en a témoigné : dès la fin du Ve siècle, on enregistre des allusions à une fête de la « dormition » ou du « passage » de Marie. Le 1er novembre 1950, Pie XII a défini solennellement le dogme de l’Assomption de Notre-Dame, dans les termes suivants : « Marie, l’Immaculée Mère de Dieu, toujours Vierge, à la fin de sa vie terrestre, a été élevée en âme et en corps à la gloire du ciel ».Le mystère de l’Assomption est le privilège marial qui répond au privilège de l’Immaculée Conception: si Marie est la toute-pure, devenue la Mère de Dieu, associée à l’œuvre rédemptrice de son Fils, il convenait que Dieu l’élevât à la Gloire du Christ ressuscité et monté au ciel.

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La Vierge à l’Enfant de Marianne Stokes

Père Thierry FEBVRE, prêtre accompagnateur de la PRTL du diocèse de Montpellier.

D’après Gabrielle de Lassus Saint-Geniés, historienne de l’art Revue « Chemin d’éternité » - Mars-avril 2019.

Ni les crises iconoclastes, ni les guerres de religion, ni le matérialisme, ni l’athéisme, ni le vandalisme, ni l’abstraction n’ont fait disparaître de l’histoire des arts le sourire de la Vierge. Ce sourire est un mystère, plus encore que celui de la Joconde. Il renvoie au visage sacré de la Madone, qui traverse les siècles sans jamais lasser les artistes, ni tarir leur inspiration.

« Vierge à l’Enfant », Marianne Stokes, 1908.

L’artiste

Artiste d’origine autrichienne, Marianne Stokes effectue une partie de sa carrière à Paris, où elle rencontre des peintres comme le naturaliste Pascal Dagnan-Bouveret (voir sa « Femme en costume breton assise dans un champ » - 1877). En 1884, elle se marie avec le peintre anglais Adrian Stokes et expose ses œuvres en Angleterre. Sa peinture religieuse s’inspire des Primitifs italiens, mais aussi du folklore de l’Europe de l’Est, notamment la Croatie. Elle y

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observe les cultures locales en couvrant de notes et de dessins, des petits carnets reproduisant des paysages, des portraits pris sur le vif et surtout des motifs de textiles brodés, textiles qui ont très probablement influencé les entrelacs dorés de la robe de la Vierge.

L’œuvre

Toute auréolée de sa maternité, la Madone soulève le voile couvrant l’Enfant-Jésus, qu’elle présente en souriant au spectateur. La centralité, la frontalité presque hiératiques de l’œuvre sont atténuées par les courbes des draperies et la suavité des traits des personnages. Le sourire de Marie est doux, mais il y a déjà en arrière-plan le bleu ténébreux de la nuit du Calvaire ; il y a les ronces,

annonciatrices des douleurs à venir ; il y a les grandes ombelles qui se balancent comme des préfigurations de couronnes d’épines ; il y a le manteau rouge-sang qui la couvre, comme une annonce de Passion.

Stendhal disait : « Les larmes sont l’extrême sourire ». Le sérieux de Marie et de Jésus dans ce tableau évoquent tout autant la lumière que les ténèbres de leur vie. Nous devinons implicitement dans le sourire de Marie le tressaillement de l’Annonciation, l’enthousiasme de la Visitation, l’émerveillement de la Nativité avec en contrepoint les douleurs annoncées par le vieillard Syméon : « Toi, ton âme sera traversée d’un glaive : ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. » (Luc 2, 35). Cette perpétuelle oscillation entre l’extrême joie contenue et l’extrême souffrance dominée, est le paradoxe surprenant, mais habituel de toute image mariale. Pourtant, il n’y a pas conflit : Marie célèbre l’impossible mariage de deux émotions antagonistes, celle des larmes de la douleur humaine, et celle de la joie de l’Amour victorieux.

Cette représentation de la Vierge recèle une grande puissance. En effet, le corps marial se révèle un creuset où se fondent parfaitement la chair et l’esprit, les larmes et le sourire, la souffrance et la joie, l’Incarnation et la Rédemption.

Ces deux clés de lecture de tout visage de Notre-Dame sont l’empreinte spécifique de la Vierge Marie dans l’art, sa « signature » en quelque sorte. En outre, « Pont qui unit la terre au Ciel », elle attire le divin vers l’humain par son consentement à l’Incarnation et conduit l’humanité jusqu’à Dieu par sa participation active à la Rédemption.

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L’Annonciation de Fra Angelico (Couvent dominicain San Marco de Florence - c. 1437)

Père Thierry FEBVRE, prêtre accompagnateur de la PRTL du diocèse de Montpellier.

L’Annonciation est le premier des mystères évoqués lors de la récitation du chapelet (mystères joyeux en l’occurrence). Même si la récitation du Rosaire sera formalisée vers 1470 (confrérie créée à Douai par le dominicain Alain de la Roche), les cisterciens et les chartreux recourent depuis le XIIIe siècle à la prière répétitive des 150 psaumes tout d’abord, remplacés ensuite par des Ave Maria, plus faciles à mémoriser... L’intérêt de la prière du Rosaire consiste à associer cette récitation des quinze dizaines de Je vous salue Marie à 15 tableaux (aujourd’hui 20 depuis St Jean-Paul II), correspondant aux étapes fondamentales de la Rédemption, à des images donc. Et la première de ces étapes est bien l’Annonciation.

Fra Angelico, de son vrai nom Guido di Pietro, a choisi de prendre l’habit chez les dominicains observants de Fiesole, ce qui traduit une exigence certaine dans sa démarche (ordre de flagellants : pauvreté absolue et discipline). « Fra Giovanni », son nom de religion, sera béatifié récemment par le Pape Jean-Paul II en 1982, et proclamé patron des artistes en 1984. Il a peint dans son couvent de Florence des fresques extraordinaires dans chaque cellule, ainsi que sur des lieux de passage. Celle de l’Annonciation, réalisée en haut d’un escalier, invite sans cesse à la méditation des paroles

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de l’ange : « Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi. » Cette dévotion due à Marie est rappelée aux passants, par l’inscription Virginis intactae cum veneris ante figuram pretereundo cave ne sileatur ave (« Lorsque tu viendras devant la figure de la Vierge toute pure, en passant, veille à ne pas oublier de dire un Ave »).

Les acteurs de la scène

L’ange et la Vierge sont légèrement penchés l’un vers l’autre, dans un geste de mutuel respect, mais avec deux différences importantes : bien que tous deux paraissent de taille équivalente, Marie, située légèrement en arrière de l’archange, a sa tête qui domine celle de son interlocuteur, ce qui inverse le rapport naturel entre une créature et l’envoyé du Très-Haut ; Marie n’est pas une créature « ordinaire ». Ensuite, c’est l’ange qui salue - « Ave », qui fléchit le genou, envers celle qui va porter le Fils de Dieu, laquelle reste assise, comme siégeant sur un trône : depuis le XIIe siècle, les litanies de la Vierge qualifient celle-ci de « Reine des Anges ».

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Leurs bras sont croisés en une même position, soulignant la modestie de Marie, son acceptation du rôle que le Créateur lui confie : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. »

Si la figure de Marie génère une ombre, il n’en est pas de même pour l’ange, qui est un pur esprit. Surtout, on peut noter que le visage de la Vierge n’est pas particulièrement souriant : c’est au milieu de bien des soucis pour Marie, que fait irruption l’ange du Seigneur. Marie avait fait le vœu de ne point connaître d’homme, comme elle le rappelle à l’envoyé céleste (le Protévangile de Jacques en fait mention, ainsi que les visions de Maria Valtorta). Ensuite, le Seigneur lui avait fait connaître Joseph, le mariage, elle le savait, étant incontournable dans la société de l‘époque. Quel dessein, quel projet avait donc pour elle le Tout-Puissant ?

Et voici que l’ange paraît... Il bouscule tout et, en même temps, scelle de manière décisive l’avenir de cette toute jeune fille.

Le cadre

On notera l’architecture particulière du lieu où se tient Marie. La terrasse comporte trois arcades de chaque côté, soit 12 au total, rappelant la Jérusalem céleste dont le « oui » de Marie va permettre l’accès à l’humanité entière. Marie est assise sur un tabouret, unique mobilier de la scène. Dans un décor d’une sobriété absolue, rien ne vient en effet détourner le regard, et l’âme, de la contemplation du mystère divin. Par contraste, la richesse du jardin d'Eden (perdu), avec ses multiples espèces d'arbres, s'oppose à la simplicité du tapis d'herbe et de fleurs du jardin de Marie (l'hortus conclusus).

Le symbole du jardin clos

L’espace est à la fois clos et ouvert : entourée de colonnes de style corinthien, la loggia donne directement sur un jardin fermé d’une palissade de bois. Le jardin clos symbolise la virginité de Marie.

En arrière-plan, la chambre comporte une fenêtre à barreaux, s’ouvrant sur l’extérieur et rappelant celle des cellules monastiques. Plus loin, la forêt est luxuriante, quelques cyprès s’en détachent, auprès d’autres arbres aux formes variées. Quel contraste avec le jardin, un simple tapis de fleurs évoquant le début du printemps ! Au sol, près de la base des colonnes, une seconde phrase reprend en latin la salutation « Salut, ô mère de miséricorde, noble repos de la Trinité ».

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Le thème du jardin clos est récurrent dans la poésie mystique et les représentations de la Vierge Marie dans l’art. Le jardin clos (hortus conclusus en latin) provient du Cantique des cantiques [4, 12] de la Vulgate : « Hortus conclusus soror mea, sponsa ; hortus conclusus, fons signatus. » (« Ma sœur et fiancée est un jardin enclos ; le jardin enclos est une source fermée»).

Un manque ?

Celui de l’Esprit Saint, qui est traditionnellement représenté comme venant prendre la Vierge « sous son ombre » (cf l’Annonciation de Joseph Ernst Tunner - 1792-1877*1 - dans l’église de la Trinité des Monts à Rome - 1830, visiblement inspirée de Fra Angelico). Mais peut-être en voit-on encore la trace à Florence, au-dessus du nimbe de la Vierge Marie ?

L’annonciation. Evangile selon saint Luc 1, 26-38

Le sixième mois, l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth, à une jeune fille vierge, accordée en mariage à un homme de la maison de David, appelé Joseph ; et le nom de la jeune fille était Marie. L’ange entra chez elle et dit : « Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi. » À cette parole, elle fut toute bouleversée, et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation.

L’ange lui dit alors : « Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand, il sera

1 Peintre autrichien né à Köflach - mort à Vienne. A travaillé à Trieste (Crucifixion à l’église St Antoine - 1838)

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appelé Fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il régnera pour toujours sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. » Marie dit à l’ange : « Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d’homme ? » L’ange lui répondit : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint, il sera appelé Fils de Dieu. Or voici que, dans sa vieillesse, Élisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils et en est à son sixième mois, alors qu’on l’appelait la femme stérile. Car rien n’est impossible à Dieu. » Marie dit alors : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. » Alors l’ange la quitta.

Maria Valtorta, L’Evangile tel qu’il m’a été révélé. L’Evangile de l’enfance, tome 1. Vision du mercredi 8 mars 1944.

Voici ce que je vois : Marie, adolescente – quinze ans tout au plus, se tient dans une petite pièce rectangulaire. C’est une vraie chambre de jeune fille. Contre l’un des deux longs murs se trouve le lit, une espèce de couche basse sans bords, couvert de nattes ou de tapis. Comme ces lits sont rigides et ne forment pas de creux comme souvent les nôtres, ils donnent l’impression d’être étendus sur une table ou une claie à roseaux. Sur l’autre mur, il y a une étagère avec une lampe à huile, des rouleaux de parchemin, et un travail de couture soigneusement plié qu’on pourrait prendre pour de la broderie. De côté, vers la porte ouverte sur le jardin mais couverte d’un voilage qui bouge sous un léger vent, la Vierge est assise sur un tabouret bas. Elle file du lin très blanc et doux comme de la soie. Ses petites mains, à peine moins claires que le lin, font tourner agilement le fuseau. Son visage juvénile, très beau, est un peu penché, avec un léger sourire, comme si elle caressait ou suivait quelque douce pensée. Tout est très silencieux dans la maison et dans le jardin. Une grande paix règne aussi bien sur le visage de Marie que dans la pièce. La paix et l’ordre. Tout est propre et bien rangé. Cette pièce, à l’aspect et au mobilier très humbles, est aussi nue qu’une cellule monacale, mais elle a quelque chose d’austère et de royal dû à la propreté et au soin avec lequel sont disposés les étoffes sur le lit, les rouleaux, la lumière et, près de la lampe, le petit broc en cuivre qui renferme une gerbe de rameaux en fleurs, de pêcher ou de poirier, je ne sais trop. Ce sont sûrement des arbres fruitiers, dont les fleurs sont d’un blanc légèrement teinté de rose. 16.2 - Marie se met à chantonner à voix basse, puis hausse un peu le ton. Sans être un chant à haute voix, c’est déjà une voix qui vibre dans la petite pièce et l’on sent vibrer son âme. Je n’en comprends pas les paroles, ce doit être de l’hébreu. Mais comme elle ré pète de temps en temps : « Jéhovah », je devine qu’il doit s’agir d’un cantique sacré, peut-être d’un psaume. Marie se rappelle probablement les chants du Temple. Ce doit être pour elle un doux souvenir, car elle ramène sur son sein ses mains qui tiennent le fil et le fuseau, puis elle lève la tête et l’appuie contre le mur ; son visage prend des couleurs et ses yeux, perdus dans je ne sais quelle douce pensée, brillent sous l’effet de larmes retenues qui les font paraître plus grands. Et pourtant ces yeux rient, sourient à la pensée qu’ils suivent et qui soustrait la chanteuse à ce qui l’entoure. Le visage de Marie, rose et encadré par les tresses qu’elle porte relevées en couronne sur la tête, ressort sur son vêtement blanc très simple. On dirait une belle fleur. Son chant se fait prière : « Seigneur, Dieu très-haut, ne tarde pas davantage à envoyer ton Serviteur apporter la paix sur la terre. Suscite le temps favorable et la vierge pure et féconde pour l’avènement de ton Christ. Père, Père saint, accorde à ta servante d’offrir

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sa vie à cette intention. Accorde-moi de mourir après avoir vu ta lumière et ta justice sur la terre, et avoir su que la Rédemption est accomplie. Père saint, donne à ton peuple celui en qui les prophètes espéraient. Envoie le Rédempteur à ta servante. À l’heure où mon séjour sur terre s’achèvera, que ta demeure s’ouvre à moi, parce que ses portes auront déjà été ouvertes par ton Christ pour tous ceux qui auront espéré en toi. Viens, viens, Esprit du Seigneur, viens chez tes fidèles qui t’attendent. Viens, Prince de la paix ! ». Marie reste plongée dans sa prière. 16.3 - La tenture bouge plus fort, comme si quelqu’un faisait un courant d’air par derrière ou la tirait pour l’écarter. Une lumière aussi blanche qu’une perle associée à de l’argent pur éclaire les murs légèrement jaunes, avive les couleurs des tissus, rend plus surnaturel le visage levé de Marie. Dans la lumière, et sans même que la tenture se soit ouverte sur le mystère qui s’accomplit – d’ailleurs, elle ne bouge plus, elle pend, bien droite sur ses montants, comme s’il s’agissait d’un mur qui isole l’intérieur de l’extérieur –, l'archange se prosterne. Nécessairement, il lui faut prendre une apparence humaine, mais elle transcende l’humain. De quelle chair est formée cette figure superbe, éclatante ? De quelle substance Dieu l’a-t-il matérialisée pour la rendre perceptible aux sens de la Vierge ? Dieu seul peut posséder de telles essences et les utiliser de manière aussi parfaite. Ce sont bien un visage, un corps, des yeux, une bouche, des cheveux et des mains comme les nôtres, mais sans notre matière opaque. C’est une lumière qui a pris la couleur de la chair, des yeux, des cheveux, des lèvres, une lumière qui bouge, sourit, regarde et parle. 16.4 - «Je te salue, Marie, pleine de Grâce, je te salue! ». La douce musique de sa voix ressemble à des perles lancées sur un métal précieux. La Vierge tressaille et baisse les yeux. Elle tressaille encore plus lorsqu’elle voit cet être éclatant agenouillé à un mètre d’elle environ, les mains croisées sur la poitrine, qui la regarde avec une infinie vénération. Marie se dresse sur ses pieds et se serre contre le mur. Elle pâlit et rougit tour à tour. Son visage exprime stupeur et effroi. Inconsciemment, elle serre les mains sur son sein et les rentre dans ses longues manches. Elle se penche presque pour cacher le plus possible son corps, en un geste de douce pudeur. « Non, ne crains pas. Le Seigneur est avec toi ! Tu es bénie entre toutes les femmes.» Mais Marie a encore peur. D’où vient cet être extraordinaire ? Est-ce un envoyé de Dieu ou du Trompeur ? «Ne crains pas, Marie, répète l’archange. Je suis Gabriel, l’ange de Dieu. Mon Seigneur m’a envoyé à toi. Ne crains pas, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Tu vas concevoir un fils dans ton sein, tu l’enfanteras et tu lui donneras le nom de “Jésus”. Il sera grand, on l’appellera Fils du Très-Haut (ce qu’il sera effectivement) ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père, il règnera éternellement sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. Toi, la sainte Vierge bien-aimée du Seigneur, sa fille bénie, toi qui es appelée à être la mère de son Fils, comprends quel Fils tu vas engendrer. – Comment cela peut-il se faire puisque je ne connais pas d’homme ? Est-ce que le Seigneur Dieu n’accueille plus l’offrande de sa servante et ne veut pas que je sois vierge par amour de lui ? – Ce n’est pas par l’action d’un homme que tu seras mère, Marie. Tu es la Vierge éternelle, la Sainte de Dieu. L’Esprit Saint descendra en toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C’est pourquoi celui qui naîtra de toi sera dit saint et Fils de Dieu. Tout est possible au Seigneur notre Dieu. Elisabeth, la femme stérile, a conçu dans sa vieillesse un fils qui sera le prophète de ton Fils, celui qui lui préparera le chemin. Le Seigneur a levé son opprobre et son souvenir restera uni à ton nom parmi les peuples, comme le nom de son enfant à celui de ton Fils saint ; jusqu’à la fin des temps, les nations vous diront bienheureuses en raison de la grâce du Seigneur qui vous a été accordée, et tout

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spécialement à toi, ainsi qu’aux nations par ton intermédiaire. Élisabeth en est déjà à son sixième mois, et le poids qu’elle porte fait monter en elle la joie, et plus encore quand elle connaîtra la tienne. Rien n’est impossible à Dieu, Marie, pleine de grâce. Que dois-je dire à mon Seigneur ? Qu’aucune pensée ne te trouble. Il veillera sur tes intérêts si tu lui fais confiance. Le monde, le ciel, l’Eternel attendent ta réponse !» À son tour, Marie croise les mains sur sa poitrine, s’incline profondément, et dit : «Voici la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon sa parole.» L'Ange étincelle de joie. Il adore, parce qu’il voit sûrement l'Esprit de Dieu s'abaisser sur la Vierge, prosternée pour donner son accord. Puis il disparaît, sans faire bouger la tenture qu'il laisse tirée sur ce saint mystère.

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Le couronnement de la Vierge (1508)

d’Ambrogio Stefani da Fossano,

dit Il Bergognone ou Borgognone (Le Bourguignon)

( ? - †1523) de la Basilique San Simpliciano de Milan. Joël MAISTRE, conférencier

La fresque que l’on peut admirer ici illustre le 5ème Mystère glorieux du Rosaire : Le Couronnement de la Vierge Marie dans le ciel par le Christ en présence du Père, de l’Esprit Saint et de la Cour céleste.

Vers la fin du XIVe siècle, et au XVe siècle, on assiste dans l’Italie du Nord, à Vérone et à Venise, à la création d’un type inédit du couronnement de la Vierge par la Trinité. La perfection géométrique d’une composition triangulaire traduit le concept théologique selon lequel la Vierge, après son assomption, a été reçue et glorifiée par la Trinité tout entière. Saint Bonaventure a distingué le triple rapport trinitaire de la souveraineté de la Vierge : gloriosa, qui illustre la majesté du Père ; luminosa, la clarté du Verbe de Dieu ; et pretiosa, l’éclat de l’Esprit Saint.

La grande accolade des bras du Père et son manteau déployé accueillent la Mère et le Fils. Le modèle de couronnement dit à l’Italienne a ceci de spécifique qu’il prête à Dieu le Père le geste du prêtre bénissant les épousailles d’un homme et d’une femme ; il s’appuie tacitement sur

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l’identification de Marie avec l’Épouse du Cantique des cantiques en relation avec la Sponsa-Ecclesia.

Si la personne de Marie est admise ici à partager la gloire de la Trinité dans une Quaternité représentée au sein d’une unique mandorle, ce n’est pas pour nous inciter à la confondre avec Dieu lui-même dont l’unité est parfaite, mais pour affirmer son titre de Mère de Dieu, la Théotokos, authentifié par l’Église, et surtout celui d’Épouse mystique de son Fils que lui a reconnu la théologie médiévale, suivie par l’art religieux dès le XIIIe siècle.

Marie et son Fils sont les seuls sur cette fresque à porter une couronne. La simplicité de l’auréole de Marie, en conformité avec l’humble attitude de la Vierge, n’a pour ornement qu’une esquisse de diadème aux très modestes joyaux ne rappelant que de fort loin la parure des douze étoiles, rayonnant au-dessus de la tête de la Femme de l’Apocalypse. Le nimbe du Christ, dont on ne distingue pas nettement le motif crucifère, laisse apparaître la couronne d’épines fleuries, seul élément visible et symbolique de la Passion et de la Résurrection (ni croix, ni plaies). La disposition des bras du Christ, image de la reconnaissance du Fils de l’homme envers celle qui l’a mis au monde, est d’une délicatesse émouvante. Le Père et l’Esprit Saint, témoins approbateurs de ce geste à la fois filial et honorifique, lui en confient entièrement le soin. La petite mandorle de la Colombe est réduite à la dimension de son corps et le nimbe du Père scintille au sommet de la pyramide formée par la disposition du groupe central. L’ensemble s’inscrit dans le flamboiement à plusieurs registres d’une mandorle chatoyante bordée des neuf chœurs angéliques. Ceux-ci sont traditionnellement énumérés par les traités sur les anges depuis Denys l’Aréopagite et ils sont ici rangés dans l’ordre de leur hiérarchie : au plus près de Dieu, les Trônes, les Séraphins et les Chérubins ; puis, en allant vers l’extérieur, viennent les Dominations, les Puissances et les Vertus ; enfin les chœurs des Principautés, des Archanges et des Anges sont disposés sur les arcs les plus éloignés. Leurs instruments de musique à cordes et à vents accompagnent les hymnes de louange dont les paroles sont inscrites sur des phylactères.

On reconnaît dans la courbe du bas de la coupole Jean le Baptiste, les Évangélistes et une petite vingtaine d’autres personnages résumant l’Ancien et le Nouveau Testaments. À gauche, en manteau vert jeté sur un vêtement brun, on imagine que saint Joseph sort de son silence habituel et ne résiste pas à la joie de raconter la scène qu’il désigne de l’index droit.

Cette peinture murale a bien des antécédents. Le thème du Couronnement de la Vierge survient au moment de l’apparition de l’architecture gothique. Il affirme dès avant le milieu du XIIe siècle que l’assomption en âme de la Vierge a eu son achèvement dans l’assomption en corps.

Nous verrons qu’il existe de nombreuses représentations du couronnement de la Vierge sur des supports variés, peintures, miniatures, lettres ornées, gravures, sculptures, retables, tapisseries, vitraux, tympans, clefs de voûtes, portails, chapiteaux. Notons toutefois pour les comparer entre elles l’un des points importants à la compréhension des schémas : la peinture d’abside du Borgognone consacre la différenciation très nette des allures respectives du Père et du Fils, en dépit de la parole de Jésus à Philippe (« Qui m’a vu a vu le Père » Jn 14,9) ; elle entérine le vieillissement de Dieu le Père que l’on trouve au même moment sous le pinceau de Michel Ange à la Chapelle Sixtine. Nous constaterons que ce n’est pas toujours le cas.

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Par exemple, sur celle qu’a adoptée Enguerrand Quarton dans son tableau de Villeneuve-lès-Avignon (1454), le Père et le Fils, aux visages et aux bras symétriques rigoureusement identiques, co-couronnent Marie agenouillée entre eux, tandis que les deux extrémités effilées des ailes de la Colombe déployées dans toute leur envergure établissent un lien d’amour sacré entre les bouches des deux premières Personnes de la Trinité. Alignés au niveau supérieur, trois nimbes crucifères soulignent l’harmonie trinitaire.

Ailleurs, ce couronnement est opéré par une Trinité dite « triandrique », les trois Personnes étant alors figurées de manière anthropomorphe, y compris le Saint-Esprit.

Parfois encore, deux des trois personnes seulement sont présentes voire une seule. Leurs traits les représentent à des âges humains semblables ou distincts. Leurs positions expriment une intention. Il arrive même que Marie soit représentée seule environnée d’anges, les thèmes de l’assomption de la dormition et du couronnement étant alors associés en une seule évocation. Les variantes sont nombreuses ; leur signification illustrée par des détails précis.

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Icônes de la Théotokos

Martine DESEVRE, iconographe, écrivain, élève de l’atelier Saint-Jean Damascène

Une icône n'est pas une simple illustration de l'Écriture, ni un tableau religieux, ni une image pieuse, c'est une écriture symbolique de la Parole. Quand on se tient devant une icône, on se tient devant la Parole de Dieu, non écrite avec une plume et de l’encre mais avec un pinceau et des couleurs. Et le terme iconographe, par ses racines grecques : eikon = image et graphein = écrire, signifie littéralement "écrivain d'images".

Concernant les représentations de Marie dans les icônes, on distingue quatre grands types principaux :

- La Vierge trônante, - La Vierge Orante, celle qui prie, - L’Hodiguitria, celle qui montre le chemin, - L’Eleousa, la Vierge de Tendresse.

A partir de ces quatre types, 230 variantes ont été répertoriées à ce jour. 1– Saint Luc peignant la Vierge, XVIe, école de Pskov Selon la Tradition, l'évangéliste Luc serait le premier iconographe de la Mère de Dieu et saint Luc a été également un évangéliste. Cette icône, qui le représente, avec un ange guidant sa main, appliqué à "peindre" la Parole ou à "écrire" la Parole en formes et en couleurs, signifie qu'écouter et voir, écrire et peindre sont un même acte, à la fois d'accueil, de méditation, de prière et de transmission de la Parole. 2- Iconostase du monastère de la Sainte Trinité à Zelenets, Russie, peint par l’iconographe russe Georgi Gashev. L’iconostase est cette paroi recouverte d'icônes, dans les églises orthodoxes, qui unit plus qu’elle ne sépare le sanctuaire de la nef. Et sur laquelle toute l’histoire du Salut est offerte à la contemplation des fidèles. L'iconostase ne cache rien, elle révèle le monde d'En-Haut. Elle rappelle aux fidèles le sacrifice du Christ et que c'est l'Eglise toute entière, visible et invisible, qui célèbre le Mystère eucharistique.

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A- Annonciation (iconographe Gashev)

Sur l’iconostase, Marie figure au centre, sur les Portes Royales ouvrant sur le sanctuaire : on appelle ces portes "Saintes" ou "Royales", car c'est par là, comme le chante l'hymne liturgique, que passe "Le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs… afin de se donner en nourriture aux fidèles". Marie est représentée dans la scène de l’Annonciation, qui est en deux parties : l’archange Gabriel figurant toujours sur le battant de gauche et la Vierge celui de droite. Vision du monde transfiguré, hors du temps et de l’espace, l’icône nous rend contemporains de l’événement. Raison pour laquelle, nous voyons celui-ci se dérouler à l’extérieur, devant nous ; mais le voile rouge tendu entre les toits signifie, en langage iconographique, qu’il se passe à l’intérieur, conformément au récit évangélique. La main tendue, dans un geste de bénédiction, signifiant le message divin, l’archange Gabriel arrive, le sceptre à la main, dans un large mouvement d’ailes et de drapés stylisés. Le pan de son manteau flottant à l’avant indiquant le souffle de l’Esprit. La tête légèrement inclinée à l'écoute de l'archange, la Vierge se tient dans une attitude pleine de grâce. De sa réponse va dépendre le sort de toute l’humanité. Purifiée par l'action

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de l'Esprit Saint à travers toute la lignée et l'ascèse de ses "ancêtres", Marie est celle qui, librement, dans la profondeur de son humilité et de sa disponibilité, répond, de la part de tous, "fiat" à Dieu. Quand les Pères proclament que "Dieu a revêtu la chair pour que les hommes revêtent l'Esprit", que "Dieu s'est fait homme pour le l'homme devienne dieu (Irénée de Lyon), cette réalité s'actualise en premier en Marie. La coupole renversée symbolise le monde divin et les trois rayons qui en émanent la présence Trinitaire. L’Esprit, véritable acteur de l’Annonciation, est représenté par la colombe stylisée. La nature humaine de Marie est signifiée par sa tunique bleu-vert, tandis que son manteau de couleur pourpre indique qu'elle a été revêtue de la royauté divine. Couleurs à l’inverse de celles du Christ Pantocrator.

- Pantocrator, Atelier Saint Jean Damascène

La pourpre est près du corps de Jésus, indiquant sa nature divine, tandis que le manteau bleu qui couvre ses épaules signifie qu’il a revêtu la nature humaine.

- Annonciation

Le marchepied sur lequel se tient Marie la situe dans une dimension sacrée. Trois étoiles ornent son front et ses épaules, reproduisant un symbole syriaque de virginité qui était brodé sur le voile nuptial des princesses. Elles rappellent la triple virginité de Marie, avant, pendant et après l'enfantement de Jésus, selon l'enseignement des Pères. Et sa maternité divine, vécue en symbiose physique avec le Christ, Dieu fait chair, fait de Marie une Pneumatophore, porteuse de l'Esprit Saint par qui elle a conçu, et une Christophore ayant pleinement revêtu le Christ.

B- Déisis Au sommet de l’iconostase, figure la Déisis, qui veut dire intercession.

De part et d’autre du Christ Sauveur, représenté en Roi de Gloire, assis sur un trône, se tiennent la Vierge Marie et Jean-Baptiste. Ils forment un triptyque. La Déisis figure dans toutes les églises orthodoxes, même les plus modestes, et s’il n’y a qu’une seule icône c’est celle-ci. "À ta droite, se tient la Reine", chante le Psaume 44. La Reine, c'est la Théotokos, la Mère de Dieu, titre attribué à Marie, jeune fille de Galilée, par le Concile d'Éphèse en 431. Elle n’est certes pas la créatrice du Créateur mais ce titre rappelle que l’enfant qu’elle a porté dans son sein, et mis au monde, est « vrai homme et vrai Dieu ». Son nom est inscrit à côté de son nimbe, abréviation du grec Metera tou Theou, Mère de Dieu, toujours en grec même sur les icônes russes. Marie et Jean-Baptiste, deux personnages à la charnière de l’Ancien et du Nouveau Testament. Marie symbolisant le peuple d’Israël et Jean-Baptiste récapitulant tout le mouvement prophétique. Ils ont tous deux, la tête inclinée, les mains tendues vers le Sauveur, dans une attitude à la fois de témoignage, et de supplication pour le monde. D'où le nom donné à cette composition du grec Δέησις, prière (en russe : déïsous). On peut constater que les corps sont très allongés en iconographie, tendus vers le spirituel. Ces proportions allongées

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indiquent que l’homme ne se limite pas à ses dimensions naturelles. Fils d’homme, il est également fils de Dieu. La Déisis nous conduit à la représentation de la Vierge orante.

C- La Vierge orante

- Vierge orante mosaïque cathédrale Saint-Sauveur, Cefalu XIIe

Le nom de "Vierge orante" s'applique habituellement à la Mère de Dieu lorsque ses mains, ou ses bras, sont levés dans une attitude de prière indiquant l'élévation du cœur. Un des gestes iconographiques les plus anciens puisqu'il est déjà présent dans les catacombes romaines. Mais la Vierge est rarement représentée sans son Fils, car toutes les icônes de Marie célèbre l’Incarnation. Et dans cette mosaïque de la Cathédrale St Sauveur de Cefalu, en Sicile, son fils n’est pas loin, juste au-dessus d’elle. Et c’est à Lui qu’elle adresse sa prière.

- Christ, chœur, Cathédrale St Sauveur Cefalu

La Vierge orante se rencontre généralement avec le Christ enfant, en médaillon, sur sa poitrine. Mystérieusement suspendu, le Christ enfant semble échapper aux lois de la pesanteur. C’est l’icône de la Vierge enceinte, elle est alors appelée "Vierge du Signe" selon la prophétie du prophète Isaïe (7,14) ! "Le Seigneur lui-même vous donnera un signe : Voici, la jeune femme est enceinte, elle va enfanter un fils, et elle lui donnera le nom d’Emmanuel", ce qui veut dire : "Dieu avec nous".

Vierge du Signe, Pèc, XIVesiècle.

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D- Vierge en Majesté

Deuxième grand type de représentation iconographique : Vierge trônante.

- Fresque, Chypre, XVesiècle.

La Vierge en Majesté est assise sur un trône, dans une position frontale. Elle tient contre elle l'Enfant Jésus, qui bénit d'une main, et tient de l'autre le rouleau des Ecritures. Ce n'est pas une impératrice qui s'offre à la contemplation des fidèles, car Marie n'est pas couronnée d'un diadème. Elle est nimbée d'une auréole, comme l'enfant sur ses genoux. Et ce signe nous fait pénétrer d'emblée dans le mystère de la relation unique qui unit Marie à son fils. Deux anges figurent, ici, de chaque côté du trône, une main recouverte dans un geste de profond respect. Par sa maternité divine, Marie a dépassé la nature angélique, et l’hymne liturgique chante : « Toi plus vénérable que les chérubins et incomparablement plus glorieuse que les séraphins qui, sans tâche, enfantas Dieu le Verbe, toi, véritablement Mère de Dieu, nous te magnifions ». Cette composition n’est pas sans évoquer nos Vierges romanes, dont voici celle de Saugues, en Haute-Loire, avec la même majesté et le même hiératisme. Car avant le schisme de 1054, avant la séparation des Églises, l’Orient et l’Occident avaient le même langage iconographique.

Vierge de Saugues

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E- Vierge Hodiguitria

La Vierge Hodiguitria, la Vierge conductrice, occupe une place privilégiée commune à l'Orient et l'Occident.

- Vierge Hodiguitria de Tikhvine

L’icône de la Vierge Hodiguitria de Tikhvine, ville à l’est de St Pétersbourg, présente la particularité d’être entourée de scènes de miracles dont l’icône a été la source. Marie se tient dans une position toujours empreinte de majesté. De sa main droite, elle montre son fils, d'où le nom de cette icône: la "Conductrice" ou "Celle qui montre le chemin", Hodiguitria vient du grec Hodos : le "chemin". L'Enfant est vêtu d'un manteau hachuré d'or, rappel de sa divinité. Il tient dans sa main gauche le rouleau de la Parole de Dieu, Parole qu’il est lui-même, et qu'il vient transmettre au monde. Sa main droite est levée en geste de bénédiction. Ses deux doigts levés disent ses deux natures : divine et humaine ; les trois autres qui se joignent : la présence de la Trinité. Le visage du Sauveur-Emmanuel est celui d’un adulte, au grand front rempli de sagesse, signifiant que, bien qu'étant enfant comme l'indique sa taille, il est dans sa pleine maturité spirituelle et déjà bien conscient de son rôle salvateur. Dans son nimbe crucifère, s'inscrit le symbole de sa Passion et de sa Résurrection. Le nimbe est l’auréole qui entoure son visage, le mot vient de nimbus, nuée - la nuée dans l’Ancien Testament est le lieu de la présence divine - il est marqué des lettres grecques O w N, abréviation du nom divin révélé à Moïse lors de l'épisode du buisson ardent, difficile à traduire : « Je suis Celui qui est ...» (Ex 3,14). Au-dessus du nimbe on peut lire les lettres IX XC abréviations de Iesus Christos, Jésus Christ, Sauveur et Oint. L'inscription de ces deux noms - celui de Dieu et celui de l'Homme – résume le dogme de Chalcédoine. En ce nouveau-né, deuxième Personne de la Trinité incarnée, sont unies "sans séparation et sans confusion" les deux natures, divine et humaine.

F- Vierge de Tendresse ou L'Eleousa

Quatrième type de la représentation iconographique de la Théotokos : la Vierge de Tendresse.

- Vierge de Vladimir

Et celle de Vladimir offre l'exemple le plus prestigieux et le plus connu des Vierges de Tendresse. Peinte au XIIe siècle à Constantinople, et transportée à Vladimir, résidence des grands–ducs de Russie, l'icône commença à opérer des miracles et fut transférée à Moscou au XIVe siècle. Trésor de la Russie, considérée comme protectrice du pays, tous les moments importants de son histoire se sont déroulés devant elle : les couronnements, les mariages des tsars… En Occident, sous

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l'impulsion de Jean XXIII, elle a été proclamée "symbole et patronne de l'unité des Églises". Sa beauté en fait l'un des plus purs chefs–d'œuvre de l'art byzantin. Des milliers de croyants ont prié et prient toujours devant cette icône. Eléousa, en grec, que l'on traduit par "tendresse", signifie littéralement "qui fait miséricorde". Image de la tendresse et de la miséricorde, c’est aussi l'image de la proximité de l'humain et du divin : "joue contre joue".

G- La Dormition

- Icône de la Dormition, Gashev

La noblesse de la Vierge-mère, qui a porté le Rois des rois, est signifiée par la majestueuse couche, dont la position horizontale de son corps défunt contraste avec la verticale du Christ remplissant le centre de la composition. Les archanges et les incorporels s’inclinent devant « celle qui est plus vénérable que les chérubins et incomparablement plus glorieuse que les séraphins ». Ils escortent le Christ dont la mandorle souligne le rayonnement des énergies divines. Deuxième Personne de la sainte Trinité, il ruisselle de lumière comme dans l’icône de la descente aux Enfers. Maître de la vie, il a terrassé la mort et en Lui réside l’Esprit qui ressuscite. Si la Mère de Dieu figure le plus souvent dans les icônes avec, dans ses bras, l’Enfant qu’elle donne au monde, c’est le Christ ici qui, dans ses mains recouvertes, porte le corps spirituel de sa mère, sous l’aspect d’un enfant, et qui par sa force de résurrection la fait passer de la vie à la Vie, de la vie temporelle à la vie éternelle. L'œuvre de l'Incarnation trouve ici son couronnement, et Marie devient la première de cordée, du genre humain, à être ainsi "relevée". "L'honneur rendu à l'image remonte à son modèle", nous dit le grand saint Basile de Césarée. Il existe un lien mystique entre l'icône et son modèle. L'icône nous introduit en présence du divin. Elle n'est donc pas seulement une indication de l'au-delà, elle est un lien avec l'éternité.

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La Vierge Marie en musique Père Thierry FEBVRE, prêtre accompagnateur

de la PRTL du diocèse de Montpellier.

Pour saint Jean Chrysostome, évêque de Constantinople au IVe siècle et docteur de l’Eglise : « Le Fils de Dieu s’est choisi pour mère, non pas une femme riche et opulente, mais cette bienheureuse Vierge dont l’âme était ornée de vertus. Comme la Bienheureuse Marie surpassait en pureté le reste de l’humanité, c’est pour cette raison qu’elle conçut dans son sein le Christ notre Seigneur. En recourant à cette très sainte Vierge, Mère de Dieu, nous obtiendrons les bienfaits de son patronage. Ainsi, vous toutes qui êtes vierges, réfugiez-vous auprès de la Mère du Seigneur. Sa protection vous conservera cette vertu dans toute sa beauté, dans tout son prix, dans toute son intégrité. » Sermon - IVe leçon des vigiles nocturnes du commun des fêtes de la Sainte Vierge, au second nocturne.

1- Les origines

La musique chrétienne s'est d'abord inspirée des chants et des danses juives, puis de la musique des peuples où le christianisme s'est répandu. La musique sacrée s'est peu à peu dépouillée des formes profanes, elle a pris son indépendance, un genre plus noble, plus élevé, qui convenait sans doute davantage à la maison de Dieu, en particulier lorsque le culte quitta les maisons privées où l’avaient cantonné les premiers siècles de répression, pour emménager dans ses bâtiments propres, basiliques puis églises. Le peuple en fut vraiment le premier bénéficiaire, et chanta cette musique nouvelle avec un enthousiasme qui soulevait les assemblées (cf saint Augustin).

* Saint Ephrem le Syrien (306-373), par exemple, a composé trois millions de vers. Il dirigeait lui-même les deux chœurs de vierges qui les interprétaient. Il fut surnommé « la Harpe du Saint Esprit »...

* Les motifs mariaux dans la poésie et dans la musique orientale sont assez nombreux. L'hymne Acathiste2 y occupe une place privilégiée, certainement antérieure au VIIe siècle.

2 Cette hymne acathiste fut chantée la première fois pour célébrer la protection que la Mère de Dieu offrit à la ville de Constantinople, lors de son siège en 626. La ville était assiégée par les armées arabes et musulmanes alors que l'empereur byzantin Héraclius était parti en guerre contre les Perses. Tandis que les quelques forces grecques présentes organisaient la défense de la Ville, le patriarche Serge implora la protection de la Mère de Dieu (alors appelée Οδηγήτρια, Hodighitria c'est-à-dire « celle qui guide ») et le peuple de Constantinople fit une procession avec son icône. La bataille fut gagnée...

« Et le peuple reconnaissant de Constantinople, rendant grâces à la Mère de Dieu, lui chanta une hymne toute la nuit, sans s’asseoir (acathiste), puisqu’elle n’avait pas cessé elle-même de veiller sur eux et qu’avec une surnaturelle puissance, elle avait remporté la victoire sur les ennemis. Depuis lors, en souvenir de ce prodige si grand et surnaturel, l’Église a pris l’habitude de consacrer cette fête à la Mère de Dieu, en ce temps de l’année où elle donna la victoire. Et on l’appelle acathiste, puisque c’est debout qu’elle fut alors célébrée par le clergé de la ville et par tout le peuple » Triode de Carême - Diaconie Apostolique (liturgie orthodoxe).

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* Le chant grégorien

Attribué pour son origine au Pape saint Grégoire le Grand, le grégorien est un chant purement vocal, a cappella (sans accompagnement d'instrument) ; il est lié à un texte, et la mélodie est un commentaire de la phrase. Sa simplicité d’écriture, sa souplesse d’interprétation laissent une impression de grande pureté, de chasteté, de noblesse...

Chant sacré entièrement voué à la liturgie latine, il s'est constitué dès les premiers siècles d'implantation du christianisme en Occident, à partir des apports de l'Orient chrétien et du chant hébraïque, dont il reprend les mélismes (plusieurs notes pour une seule syllabe) et les tropes (paroles superposées aux mélismes).

A noter : la transmission, pendant des siècles, se fit oralement (sans écriture des notes). C'est le maître qui transmettait le savoir et qui garantissait l'intégrité de cette transmission. La formation d'un chantre durait dix ans !

On chantait « par cœur », mais aussi « par le cœur » ... La connaissance qui était demandée aux apprentis chantres était une connaissance intime : le chant devenait comme une seconde nature.

* L'Ecriture du chant

Quand on commença à écrire le chant (les premiers manuscrits datent du IXe siècle), les systèmes d'écriture variaient : un copiste estimait qu'il fallait écrire les procédés vocaux, tandis qu'un autre les supposait connus des chantres. Les signes musicaux (ou neumes) variaient également, d’où une grande diversité de versions pour une même pièce. Charlemagne diffusa le chant grégorien en même temps que la langue latine (entraînant aussi la perte du chant mozarabe d'Espagne ou du chant gallican de Gaule.)

Il y a un très vaste répertoire musical grégorien : 200 mélodies de Kyrie, 700 pour le Credo...

* Le grégorien marial

Le répertoire grégorien des fêtes de la Vierge Marie se compose de deux messes et d’un fonds de pièces plus anciennes. Le culte marial est inséparable de celui du Christ. Et la plus grande fête de Marie, Mère de Dieu, tant par son ancienneté que par son importance, est au départ la célébration de Noël. Les pièces les plus belles et les plus significatives se présentent sous forme de deux messes :

. Messe IX (Cum Jubilo)

. Messe X (Alme Pater)

Pour les fêtes de la Sainte Vierge, parmi de nombreuses compositions qui n‘ont pas toujours été retenues par la liturgie romaine, il faudrait ajouter : - De très belles antiennes pour le Magnificat

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- l’antienne Sub tuum Praesidium, la plus ancienne de toutes (Papyrus égyptien IVe s.), qu’a récemment recommandée le Pape François ! - L’hymne Ave Maris Stella, les antiennes Ave regina caelorum, Salve Regina. Introït de la fête de l’Annonciation Vultum tuum, chanté par le chœur Cantarte de Ratisbonne.

2- Plus tard, apparaît la polyphonie

. L’Ars antica Avec ses premières compositions à deux voix superposées, appelées organum. . L’Ars nova Où la polyphonie se développe dans sa forme, dans son langage, dans ses moyens. Ainsi Guillaume de Machault (1300-1377), dont la « Messe de Notre Dame » est le premier exemple de messe chantée en polyphonie . 3 - La musique de la Renaissance, de 1540 à 1630

La Renaissance est l'époque de la grande polyphonie, avec la chanson française, le Madrigal italien, le Motet, et la Messe en musique, mais aussi le développement de l’orgue. A cette époque, trois auteurs sont à noter spécialement :

* Pier Luigi da Palestrina (1525-1594) est peut-être le plus célèbre. Sa polyphonie s’élève comme une pierre précieuse qui reflète le soleil. La musique de son « Magnificat » du 8° ton (1591) s'enracine dans le chant grégorien, dont il superpose avec une maîtrise absolue les arabesques vocales.

* Orlando di Lasso (1532-1594), excelle dans la polyphonie « A cappella » (sans instrument).

* Tomàs Luis de Victoria (1548-1611) et les germes de la musique d'opéra. Il s'occupe des jeunes étrangers à Rome où il succède à Palestrina en 1571. Sa musique, tantôt lyrique, tantôt dramatique, contient en germe toutes les caractéristiques de l'opéra, que Monteverdi reprendra plus tard à son compte. Parmi ses œuvres mariales : - Dix-huit « Magnificat », tous des chefs d'œuvres... - « Ne timeas Maria », un Motet serein, qui évoque bien la pureté de la Vierge Marie (Extrait par la Maîtrise de Kampen – NL ). * Très nombreux autres auteurs de la Renaissance, y compris chez les protestants d'Europe centrale : Ludwig Senfl, grand ami de Luther, a composé : « Ave Rosa sine spinis » ; « Ave Maria virgo serena » ; « Magnificat octo tonorum » (Nuremberg 1577), Benedictus Ducis, Balthasar Resinarius ...]

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4 - La musique baroque - La musique baroque dans l'histoire du chant :

Durant la Renaissance, la réforme et la contre-réforme ont mis en valeur les langues vernaculaires, au détriment du latin. A l'époque baroque, le chant veut donner plus de place aux paroles que la polyphonie de la Renaissance, qui visait la verticalité de l’harmonie. Avec la musique baroque, il s'agit de réciter en chantant, un texte en langue vernaculaire. De plus, contrairement aux époques précédentes, les compositions ont comme point d'attraction dynamique les basses (lignes inférieures de la partition).

- Une caractéristique de la musique baroque :

La tonalité se définit en ton majeur et en ton mineur. Les notes se situent sur une échelle de 12 demi-tons tous égaux (ils sont « tempérés »). Grâce au tempérament égal, on peut désormais composer dans tous les tons, ce qui n’était pas le cas jusque-là.

Les chefs d’œuvre se multiplient. Des centaines de « Magnificat », Stabat Mater, Messes ou Vêpres solennelles. S’il faut choisir :

* Jean-Sébastien BACH (1685-1750) : la plus célèbre version de toutes peut-être : son Magnificat en ré majeur BWV 243 (Dir. Jordi Savall ).

* Jean-Baptiste PERGOLESE (1710-1736) : En 1735, la santé du jeune musicien commence à décliner, et l’oblige à se retirer chez les Capucins de Pouzolles, près de Naples. Il y écrit son célèbre Stabat Mater qui lui avait été commandé par son mécène, le duc de Maddaloni. Atteint de la tuberculose, Pergolèse meurt en 1736, à l’âge de 26 ans ! (Dernier verset & amen : Dir Claudio Abbado. 1985, avec Margaret Marshall & Lucia Valentini Terrani).

* Claudio MONTERVERDI (1567-1643). A la charnière entre Renaissance et baroque, les Vêpres de la Vierge, très imaginatives, ouvrent une voie nouvelle et originale. C'est une œuvre foisonnante, entre prière et virtuosité, qui ne craint pas de spatialiser les sentiments, allant de l'intime au monumental, et dans laquelle Monteverdi se montre à la fois homme d'Eglise et homme de théâtre, lui que l’on considère comme le créateur de l’opéra. L’œuvre nécessite un chœur assez important et très expérimenté, capable d’interpréter jusqu'à dix parties vocales superposées à certains moments. Les solos instrumentaux sont expressément prévus pour un ou deux violons et un ou deux cornets à bouquin (instrument souvent en bois, qui se joue grâce à une embouchure, ce qui le classe dans la famille des cuivres). Ils doivent faire preuve d'une réelle virtuosité, dialoguant avec l'ensemble orchestral. Originalité, Monteverdi n‘a pas prévu d’antiennes (= refrain) à insérer avant chaque psaume et avant le Magnificat qui clôt l’œuvre. D’où une grande souplesse dans l’utilisation des différentes parties, une musique « sur mesure » en quelque sorte, en fonction du nombre d'interprètes disponibles et des circonstances d'exécution de l'œuvre (en effet, les antiennes varient selon chaque fête particulière de la Vierge).

La manière très inventive et très nouvelle avec laquelle Monteverdi aborde ses Vêpres a valu à cette œuvre sa célébrité. Elle alterne des moments d'intense recueillement avec des passages particulièrement exubérants ou même solennels. Entre les différentes voix du chœur, des décalages rythmiques très rapprochés peuvent se présenter et déstabiliser l’auditeur, mais ils

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suggèrent toujours une grande vitalité, joyeuse et débridée. A d'autres endroits, Monteverdi leur oppose des passages très intérieurs, extatiques (comme le chœur à huit voix qui termine l’Ave maris stella : « Salut étoile de la mer »). Des changements de mesure fréquents répartissent sans aucune rigidité les barres de mesure. Ils amènent à leur tour des difficultés dans l'exécution de cette partition. On notera aussi, en technique musicale, un ornement très inhabituel à nos oreilles, né du quilisma grégorien et qui participe de l'exultation. Basé sur la répétition rapide d'une même note par une voix soliste, il introduit une virtuosité très brève mais évocatrice, qui se rapproche du vibrato du violon. Autre aspect, l'utilisation de l'écho, en usage à l'époque baroque pour son aspect de jeu avec les mots et d'illusion.

Vespro della beata vergine : Monteverdi Choir, English Baroque Soloists, Chœur d’enfants de la Maîtrise du Centre de Musique Baroque de Versailles, Sir John Eliot Gardiner, dir.).

5 - La Musique romantique

* Gabriel Fauré (1845 - 1924) : Maria mater gratiae.

Phrasé et ligne mélodique très simple, l’œuvre est particulièrement adaptée pour les voix d’enfants. Le nom de Marie est ici bien mis en valeur. L’harmonie balançant entre majeur et mineur, le dépouillement mélodique, sont des moyens simples pour donner une grande expressivité à chaque mot du texte. Harmonie discrète et dépouillement mélodique de la voix, sont les clefs de l’œuvre de Gabriel Fauré pour la musique religieuse.

6 - La Musique contemporaine

* Pau Casals (1876-1973) : Nigra sum.

Catalan dans l’âme, le célèbre violoncelliste a composé un ensemble de pièces vocales pour le chœur d’enfants du monastère de Notre-Dame de Montserrat (E).

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Marie et la musique sacrée - Textes des œuvres présentées

3 - Ne timeas, Maria - VITTORIA

Ne timeas, Maria ; invenisti gratiam apud Dominum : ecce concipies et paries filium.

6 - Stabat Mater (verset 20) - PERGOLESE

Quando corpus morietur,

fac ut animæ donetur

Paradisi gloria. Amen

7 - Vêpres de la Vierge (Ouverture) - MONTEVERDI Deus in adiutorium meum intende :

Domine ad adiuvandum me festina.

Gloria Patri et Filio, et Spiritui Sancto

Sicut erat in principio et nunc et semper

Et in sæcula sæculorum. Amen.

8 - Vêpres de la Vierge (Hymne Lauda Jerusalem) – MONTEVERDI R. Lauda Jerusalem, Dominum ;

Lauda Deum tuum, Sion.

Hosanna, Hosanna,

Hosanna Filio David !

Ne crains pas, Marie : Tu a trouvé grâce auprès de Dieu : voici que tu concevras, et que tu mettras au monde un fils.

Quand mon corps mourra,

Fais qu'à mon âme soit donnée

La gloire du paradis. Amen

Dieu, viens à mon aide :

Seigneur, à mon secours.

Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit,

Comme Il était au commencement,

maintenant et toujours

Pour les siècles des siècles. Amen.

R. Jérusalem loue le Seigneur :

Loue ton Dieu, ô Sion !

Hosanna, Hosanna,

Hosanna, fils de David !

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1. Quoniam confortavit seras portarum tuarum : * benedixit filiis tuis in te.

Car il a fortifié (contre le péché) les serrures de nos portes ; il bénit tes fils (d’adoption) en ta personne.

2. Qui posuit fines tuos pacem : * et adipe frumenti satiat te.

Il a placé la paix sur tes frontières ; il te nourrit de la fleur de froment, (Jésus, le Pain de vie).

3. Qui emittit eloquium suum terrae : * velociter currit sermo ejus.

Il envoie (par Marie) son Verbe à la terre ; sa Parole parcourt le monde avec rapidité.

4. Qui dat nivem sicut lanam : * nebulam sicut cinerem spargit.

Il fait tomber la neige comme de la laine ; il répand la gelée blanche comme de la cendre.

5. Mittit crystallum suam sicut buccellas : * ante faciem frigoris ejus quis sustinebit.

Il lance sa glace, comme de légers morceaux de pain ; qui pourrait résister devant le froid que son souffle répand ?

6. Emittet verbum suum, et liquefaciet ea : * flabit spiritus ejus, et fluent aquae.

Mais bientôt il envoie (en Marie) son Verbe qui fond ces glaces ; l’Esprit de Dieu souffle et les eaux reprennent leur cours.

7. Qui annunciat verbum suum Jacob : * justitias et judicia sua Israel.

Il annonce son Verbe à Jacob, ses lois et ses jugements à Israël.

8. Non fecit taliter omni nationi : * et judicia sua non manifestavit eis.

(Jusqu’aux jours où nous sommes) il n’avait pas agi de même pour toutes les nations, et il ne leur avait pas manifesté ses décrets.

9. Gloria Patri, et Filio, * et Spiritui Sancto.

Gloire au Père, au Fils, et au Saint-Esprit.

10. Sicut erat in principio, et nunc, et semper, * et in saecula saeculorum. Amen.

Comme Il était au commencement, maintenant et toujours, et pour les siècles des siècles. Amen!

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9 - Maria, mater gratiæ - Gabriel FAURE

Maria, mater gratiae Dulcis parens clementiae Tu nos ab hoste protege, Et mortis hora suscipe.

Jesu tibi sit gloria Qui natus es de Virgine Cum patre et almo Spiritu in sempiterna saecula Amen.

10 - Nigra sum - Pau CASALS Nigra sum sed formosa, filiae Jerusalem. Ideo dilexit me Rex et introduxit me in cubiculum suum. Et dixit mihi : surge et veni amica mea. Jam hiems transiit imber abiit et recessit. Flores apparuerunt in terra nostra. Tempus putationis advenit. Alleluia.

Marie, Mère de grâce, Douce mère de bonté, Toi, protège-nous de l’ennemi Et soutiens-nous à l’heure de la mort.

Jésus, à toi soit la gloire, Toi qui es né de la Vierge, Avec le Père et le Saint-Esprit, Pour les siècles sans fin. Amen.

Je suis noire et je suis belle, filles de Jérusalem. Aussi le roi m'a-t-il aimée et conduite dans ses appartements, Et il m'a dit : « Lève-toi, mon amie, et viens. L'hiver enfin s'en est allé, la pluie nous quitte et s'éloigne, les fleurs ont fait leur apparition sur la terre, le temps de la taille est venu. Alléluia.

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Notre-Dame-du-Dimanche d’après l’intervention de Jean-Luc Paulet.

Jean-Luc Paulet, Saint-Bauzillois, fait le rappel historique des apparitions de la Vierge Marie. Nous sommes le 8 juin 1873, un dimanche avant la messe. Auguste Arnaud, ouvrier agricole, travaille son lopin de vigne. Le phylloxera, descendu du Rhône, est aux portes de la vallée de l’Hérault. Le vigneron est tout à ses pensées lorsque l’apparition se produit. "Cal ses bous ?" demande-t-il. "Sioi la sainta Bierja, lui répond-elle en langue d’Oc. Vous avez la maladie de la vigne. Vous avez abandonné Saint-Bauzille." La sainte Apparition lui demande de faire un pèlerinage à la chapelle Saint-Antoine et à Notre-Dame-de-Grâce puis de planter une croix au fond de sa

vigne. Elle promet de revenir dans un mois. Le vigneron relate son récit à son père puis au curé, crédule. Il faut replacer l’histoire dans son contexte. La Vierge est apparue à Bernadette Soubirous à Lourdes vingt ans plus tôt. Le curé sait que le vigneron n’est pas illuminé, mais de là à voir la Vierge... La nouvelle se répand comme une traînée de poudre. Ils sont environ cinq cents curieux, le 8 juillet, entre les ceps de vigne. Tout le monde veut être aux premières loges. Le “miracle” se produit. Le vigneron se balance sur lui-même puis traverse sa vigne en une fraction de seconde. Tout le monde est témoin de la scène mais Auguste Arnaud est le seul à voir l’apparition. La Vierge lui dit alors : "Il ne faut pas travailler le dimanche. Heureux celui qui croira et malheureux celui qui ne croira pas." Elle l’invite à nouveau à aller à Notre-Dame de Gignac en procession. Après avoir béni la foule, elle disparaît au son du Magnificat entonné par les fidèles. Le village est en effervescence, les gens sont bouleversés.

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La commission d’enquête, réunie un peu plus tard, entérine la véracité de l’apparition. Une petite chapelle est édifiée en 1880 dans la vigne, puis trois statues de la Vierge sur les lieux de son apparition. Le sanctuaire prend le nom de Notre-Dame-du-Dimanche. Le double pèlerinage annuel, les 8 juin et 8 juillet, démarre dès l’année suivante. Plusieurs centaines de personnes participent depuis à la messe célébrée tous les ans sans jamais aucune interruption. Si la Vierge appelle à ne pas travailler le dimanche, la chapelle elle est ouverte en permanence.

Jean-Luc Paulet rappela également que le jeudi 8 juin 2017, à l’initiative de la Pastorale du Tourisme, était organisée une Passejade (promenade en occitan) à l’occasion de l'anniversaire de la première apparition de la Vierge Marie à Auguste Arnaud. Une marche à conduit le matin les participants jusqu’à l’ermitage Saint-Antoine.

Monsieur Bernard Daudé, un des arrières-petits-enfants d’Auguste Arnaud a rejoint les participants avant la reprise des conférences de l’après-midi et les a conduit sur les deux lieux des apparitions de la Vierge Marie qui rappela au voyant qu’« un chrétien ... ne doit pas travailler le dimanche ». Pour retrouver l’interview donné à RCF Radio Maguelone cliquer ou copier le lien dans la barre d’outils de l’ordinateur. https://rcf.fr/culture/patrimoine/les-apparitions-mariales-de-notre-dame-du-dimanche-st-bauzille-de-la-sylve

Tous nos remerciements à Jean-Louis Lignon, curé de la paroisse Saint-Benoît-Val-d’Erau, pour son aimable accueil et toutes les facilités accordées pour l’organisation de la 6e journée de ressourcement de la Pastorale des Réalités du Tourisme et des Loisirs du diocèse de Montpellier.

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Contact : Tél. 06 30 79 76 85

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