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LE MALLARMÉ DALAIN BADIOU  [In : Alain Badiou, Penser le multiple, sous la direction de C. Ramond, Paris, 2 002, éd. LHarmattan, p. 397-406]  « Jai désiré que la philosophie soit enfin contemporaine des opérations poétiques de Mallar mé. » (Petit manuel dinesthétique, Seuil, 1998, p. 61)  « Ma philosophie acceptant les conditions du poème... » (id., p. 87)  Mallarmé est omniprésent dans loeuvre dAlain Badiou, au point que cette préoccupation, i ntérêt et souci confondus, peut être considérée comme lun de ces traits distinctifs de cett e oeuvre et surtout du nouage singulier que celle-ci effectue entre philosophie et poésie, en particulier par lintermédiaire de Mallarmé et de la réflexion, on serait pr esque tenté de parler de rumination, qui lui est obsédamment et obstinément consacrée : et ceci dautant plus que cette réflexion, qui nest pas seulement réservée à des études à ca tère monographique consacrées à tel ou tel aspect de la production poétique de Mallarmé, s e trouve, aussi bien dans Théorie du sujet que dans L être et lévénement, associée, mêlée, i uée, sous des formes qui demeurent dailleurs à élucider, à largumentation philosophique lo rsque celle-ci se développe sur son terrain propre, où elle rencontre Mallarmé comme u n protagoniste à part entière, un « penseur » avec qui il faut compter. En conséquence, ce tte réflexion ne se ramène pas à une réflexion sur Mallarmé, traité comme un objet de pensée dautres, mais se présente plutôt comme une réflexion de Mallarmé, à travers laquelle Mallar mé est à la fois ce qui est réfléchi et ce qui se réfléchit dans l opération par laquelle que e chose comme une vérité sénonce. Et par lintermédiaire dune telle réflexion, philosophie poésie dialoguent à égalité, lune des conditions de ce dialogue étant que la poésie ait été raite à la juridiction de lesthétique et ait été installée dans lordre de ce que Badiou app lle « linesthétique », ce par quoi il faut entendre linesthétisation en acte de lopération ique qui est la condition pour que lui soit restituée sa dimension spéculative. Il vaut donc la peine de se demander quel est ce Mallarmé qui est réfléchi et se réfléchit  dans loeuvre du philosophe Alain Badiou, comment sopère cette réflexion, et pourquoi cest Mallarmé, à côté bien sûr de quelques autres, mais quand même toujours mis en avant com e un maître de vérité, « emblématique du rapport entre philosophie et poésie » (Badiou utilis  lui-même cette formule dans la note de présentation du texte consacré à « La méthode de Mal larmé » dans le recueil Conditions, Seuil, 1992, p. 108), qui constitue le vecteur p rivilégié de cette réflexion.  Dabord, quel Mallarmé ? Un Mallarmé, disons, essentiel, rendu adéquat à la vocation affic hée dans nombre de ses propres productions poétiques ou théoriques, cest-à-dire épuré, et ai si devenu figure de son oeuvre, comme le Mallarmé de Mallarmé en quelque sorte : non  certes séparé de son époque, auquel le ramènent inexorablement battements d éventail, mobil iers fanés et autres afféteries datées, mais détaché par rapport à elle, au sens d une mise e  retrait qui, par la distance quelle installe vis-à-vis delles, livre la quintessenc

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"Le Mallarmé de Badiou", un essai sur la critique de L'après midi d'un faune.

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LE MALLARMÉ DALAIN BADIOU

 

[In : Alain Badiou, Penser le multiple, sous la direction de C. Ramond, Paris, 2002, éd. LHarmattan, p. 397-406]

 

« Jai désiré que la philosophie soit enfin contemporaine des opérations poétiques de Mmé. »

(Petit manuel dinesthétique, Seuil, 1998, p. 61)

 

« Ma philosophie acceptant les conditions du poème... »

(id., p. 87)

 

Mallarmé est omniprésent dans loeuvre dAlain Badiou, au point que cette préoccupationntérêt et souci confondus, peut être considérée comme lun de ces traits distinctifs dee oeuvre et surtout du nouage singulier que celle-ci effectue entre philosophieet poésie, en particulier par lintermédiaire de Mallarmé et de la réflexion, on seraitesque tenté de parler de rumination, qui lui est obsédamment et obstinément consacrée et ceci dautant plus que cette réflexion, qui nest pas seulement réservée à des étudetère monographique consacrées à tel ou tel aspect de la production poétique de Mallarmée trouve, aussi bien dans Théorie du sujet que dans Lêtre et lévénement, associée, mêuée, sous des formes qui demeurent dailleurs à élucider, à largumentation philosophiqrsque celle-ci se développe sur son terrain propre, où elle rencontre Mallarmé comme un protagoniste à part entière, un « penseur » avec qui il faut compter. En conséquence,tte réflexion ne se ramène pas à une réflexion sur Mallarmé, traité comme un objet de pdautres, mais se présente plutôt comme une réflexion de Mallarmé, à travers laquelle M

mé est à la fois ce qui est réfléchi et ce qui se réfléchit dans lopération par laquele chose comme une vérité sénonce. Et par lintermédiaire dune telle réflexion, philospoésie dialoguent à égalité, lune des conditions de ce dialogue étant que la poésie airaite à la juridiction de lesthétique et ait été installée dans lordre de ce que Badille « linesthétique », ce par quoi il faut entendre linesthétisation en acte de lopéique qui est la condition pour que lui soit restituée sa dimension spéculative.

Il vaut donc la peine de se demander quel est ce Mallarmé qui est réfléchi et se réfléc dans loeuvre du philosophe Alain Badiou, comment sopère cette réflexion, et pourquoicest Mallarmé, à côté bien sûr de quelques autres, mais quand même toujours mis en avae un maître de vérité, « emblématique du rapport entre philosophie et poésie » (Badiou  lui-même cette formule dans la note de présentation du texte consacré à « La méthode dlarmé » dans le recueil Conditions, Seuil, 1992, p. 108), qui constitue le vecteur p

rivilégié de cette réflexion.

 

Dabord, quel Mallarmé ? Un Mallarmé, disons, essentiel, rendu adéquat à la vocation afhée dans nombre de ses propres productions poétiques ou théoriques, cest-à-dire épuré,si devenu figure de son oeuvre, comme le Mallarmé de Mallarmé en quelque sorte : non certes séparé de son époque, auquel le ramènent inexorablement battements déventail, iers fanés et autres afféteries datées, mais détaché par rapport à elle, au sens dune  retrait qui, par la distance quelle installe vis-à-vis delles, livre la quintessenc

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e de ces choses rendues absentes à elles-mêmes et devenues opérateurs quasi métaphysiqus de cette disparition par laquelle sorchestre aussi leur puissance de révélation. Ce Mallarmé, nen doutons pas, est le vrai Mallarmé, non pas un Mallarmé « vrai » au sensoriciste dune exactitude comptable qui prétendrait épuiser les détails de la chose, etainsi en faire le tour, en disant tout au sujet de Mallarmé comme peut prétendre lefaire un critique littéraire ou un biographe, mais Mallarmé tel quen lui-même léternihange, cest-à-dire devenu, au sens mallarméen du terme, « tombeau » de lui-même, et, sette condition, livrant sa pure pensée à lexamen de la philosophie qui, selon une expression qui revient souvent chez Badiou, entreprend alors de se placer elle-même à son niveau, à sa hauteur. Car Mallarmé, essentialisé, se tient à une hauteur vertigineus, comme une constellation de pensée dont lordre, ou plutôt le désordre nécessaire, se e à une appréhension directe et demande, étant cependant déposée toute exigence à caracrméneutique, un effort difficile de déchiffrement conduisant, au-delà des illusions du sens, à lévénement de la vérité, à lévénement quest lirruption de la vérité.

Ramené à sa figure pure, et dépouillé de tout caractère faisant anecdote, Mallarmé se p comme porteur dune « méthode » et même dune « logique ». Méthode « soustractive », qune machinerie négative énonçant lêtre ou lidée au point même où lobjet sest évanouencore Badiou, cette méthode « soumet lobjet à lépreuve de son manque » (« Que pense  in Lart est-il une connaissance ?, Le Monde Editions, 1993, p.219). Cette stratégie de lélision et du manque, qui par certains aspects pourrait évoquer la conception héienne de la négativité de lessence, est longuement détaillée dans Théorie du sujet (Se1982, p. 92-128), et dans le texte sur « La méthode de Mallarmé », méthode présentée ent à « La méthode de Rimbaud » dans Conditions (Seuil, 1992, p. 108-129), qui constitue

a reprise, elle-même épurée, de ces précédentes analyses. Cette stratégie est performat « Ce que dit le poème, il le fait », Théorie du sujet, p. 99), cest-à-dire quil ne snte pas de parler au sujet de ce manque à être quest le monde ramené à son lieu essent, « lieu où naura eu lieu que le lieu », mais, ce manque, il leffectue, disant ainsi manque du manque », tout autre chose quune négativité salvatrice et rédemptrice, ce quen dernière instance la négativité chez Hegel, mais une négativité de linachèvement dooème est la mise en oeuvre paradoxalement achevée, réglée, et en conséquence rigoureuset pensée. Conçu de cette façon, le poème ne reproduit pas le monde en son absence, et ct pourquoi il a renoncé de toutes les manières possibles aux mirages de limitation, mais il produit, dans lespace du langage qui est son site, labsence du monde ; littéralement il dit, il annonce, au futur antérieur, lêtre devenu absent du monde, ce quiest tout autre chose quévoquer ou que suggérer sa présence. On dirait, en dautres ter, que le poème, dictant au poète son intervention, a à charge dénoncer lirreprésentab

monde, sopposant ainsi en acte à la prétention de le représenter en effectuant les nocs illusoires du beau et du vrai telles que lesthétique traditionnelle les célèbre.

Ainsi comprise, la poétique mallarméenne apparaît inséparable de son « projet de véritérocède dune dissolution des significations particulières, pour autant quelles prétend à une positivité immédiate : soumises aux schèmes de lisolement et de la séparation, ignifications explosent, et la machine du poème na dautre fonction que de produire et de fixer cette explosion. « Ce que dit le poème, il le fait » : il ne parle pas du nént du monde, sous la forme dune glose énonçant le secret de sa présence, mais il annul le monde, concrètement si on peut dire, en élevant la parole poétique au maximum de sa puissance qui fait delle un dispositif dintervention, une action. Cest pourquoi sa méthode et sa logique ne font pas de Mallarmé un philosophe, cest-à-dire au fond un ommentateur de vérités, ce quil peut être néanmoins à loccasion dans certaines de ses

 qui sont des textes philosophiques et même de grands textes philosophiques : sonaction poétique, incarnée dans la production de poèmes, donne à travers ceux-ci au philsophe des objets à commenter, des idées à létat pur en quelque sorte, matérialisées daorganisations verbales parfaitement refermées sur elles-mêmes, qui ne sont pourtantpas des segments de sens à interpréter, mais plutôt les traces laissées par lactivité e de désegmentation de la vérité qui la libère de la prison du sens.

Ce sont les caractères singuliers de cette action poétique qui sont couramment reçus comme des manifestations dhermétisme : et ici encore, linterprétation échoue à atteind vérité de la chose. Mallarmé nest pas hermétique, au sens du secret bien caché qui de

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 être percé, mais il est seulement difficile, parce quil est, en tant que poète essentel, producteur dénigmes qui provoquent la pensée, non pas à faire sortir au grand jourune vérité préexistante à leffort de son déchiffrement, mais à sinsinuer elle-même da lequel une vérité advient, littéralement se produit, sous une forme qui est précisémenelle de lénigme, et à la limite celle du non-sens ; le secret étant finalement quil npas de secret, puisque tout ce que le poème a à dire est étalé, éparpillé, dispersé, prt espacé noir sur blanc dans la constellation quest pour léternité, une fois jeté le de dés, son texte. Dans une étude sur « Mallarmé professeur de morale » écrite en 1943,eiris avait déjà expliqué dans ce sens que Mallarmé a inventé « un langage qui vise moiire ou à raconter quà déclencher certains mouvements de lesprit » (M. Leiris, Briséesmard, coll. Folio, 1992, p. 83). Ces mouvements de lesprit que provoque la machine du poème, et ici il faut charger le mot « provocation » du maximum de sa portée, sontlexercice dune pensée en acte, cest-à-dire dune pensée librement affrontée à des exdes contraintes qui limpulsent sans pour autant lobliger à se mouler dans un quelconque programme préétabli : et cest pourquoi la machine du poème, qui tourne toute seule étant donné la disparition élocutoire du poète ou forclusion du sujet du poème, se pré, et là est sa nature essentielle, comme une machine à faire penser, donc à produire des éclairs de vérité.

 

Alors, ce Mallarmé rendu essentiel, qui existe comme une proposition ou une occasion de vérité, comment le lire ? Car sa méthode appelle une méthode non moins exigeante,le mode demploi du poème nétant pas livré avec le poème, ni même dans ses proses dac

ent, où le poète a livré les éclats de son art poétique, qui ne sont exploitables que sn est déjà entré dans la dynamique des mouvements de lesprit dont il vient dêtre ques dynamique sans laquelle le poème est nul et non avenu : comme lécrit Badiou, « ce son les poèmes qui éclairent les proses, et leffectivité dune pensée-poème de lévénemenable qui autorise rétroactivement la formulation ambiguë dun programme. On va de la pensée à la pensée de la pensée, et non inversement » (« La méthode de Mallarmé », Condil, 1992, p. 127, dans le cadre dune longue note où Badiou discute avec Lacoue-Labarthe).

La façon dont Badiou lit Mallarmé, met en marche la machine à faire penser quest la poe, est étonnante. Il prend les textes de poèmes, comme le Faune, la Prose pour des Esseintes, le sonnet en yx, ou A la nue accablante tu, à la lettre, non pas pour les gloser mot à mot en vue de leur arracher leur sens caché, mais littéralement pour le

s travailler au corps, et ainsi les faire travailler de manière à les amener à produire lévénement, événement de vérité, dont ils sont, plutôt que les porteurs ou les vecteincitateurs, les déclencheurs. Ce travail passe par la production dun nouveau texte, « premier état reconstruit, où le poème est retiré de toute poésie, livré à sa prose pour que la philosophie puisse, cette poésie, y revenir, depuis la prose, à ses propres fins » (id., p. 110). Ce passage par la prose joue comme une tentative de traduction qui réalise une transposition narrative du poème, et enseigne, par exemple, que le Coup de dé est une histoire de naufrage, comme dailleurs A la nue accablantetu, donc le récit dune disparition : celle-ci est le thème, ou comme on dit le sujetdu poème. Cette indispensable opération préalable ramène la lecture sur le plan dune illigibilité syntaxique normalement ordonnée ; celle-ci constitue larmature non directement lisible du poème quil faut reconstituer pour mesurer sa force de vérité, comme sissant dun texte de rêve se donnant à débrouiller. Mais elle nen est que le préalable

r le poème ne se réduit évidemment pas à son sujet, dans les cas qui viennent dêtre évcatastrophe dune disparition, mais consiste en la mise en page quil en effectue, qui se découvre dès lors quest parcouru le mouvement inverse qui confronte en retour le texte même du poème à sa « traduction », sans pour autant faire apparaître ce texte cune retraduction réciproque de la première traduction, celle ayant conduit du poème à l prose où en est exhibé le thème central. Ce qui est important, cest donc ce que la riide mise en page opérée par le poème et son jet de dés apporte de nouveau par rapport àn sujet ou contenu latent tel que permet de le mettre en évidence le passage par la prose, nouveauté que cette prose, dans sa platitude narrative, est elle-même impuissante à énoncer. Cest ainsi que, sagissant de A la nue accablante tu, dont le sujet

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st comme on la dit un naufrage, le poème en tant que tel, dans la lecture particulièrement sophistiquée que Badiou en propose, nest pas le récit ou lévocation de certainspects ou épisodes de ce naufrage, mais la mise en évidence par des moyens purement verbaux du fait que le naufrage a déjà eu lieu, et ainsi nest plus, nayant laissé en ae de lévénement négatif quil a été et quil nest plus que le sillage évasif de son psement, qui est bien autre chose que le néant comme simple opposé de lêtre. En simplifant au maximum cette analyse, on dira que, le sujet du poème étant un naufrage, ce que le poème énonce de ce sujet est le naufrage du naufrage. De même le sonnet en yx, nst pas lévocation plus ou moins alambiquée et anecdotique dune absence, telle que lebe la réalité factuelle dun salon déserté, mais est un effort en vue de dire ce qui esbsent dans labsence, labsence de labsence, le néant du néant, cest-à-dire sa force sation, ce par quoi une vérité, un fragment de vérité advient.

Ce mouvement daller et retour de la poésie à la prose et de la prose à la poésie produun effet de bouclage et met en évidence ce qui en lui est proprement achevé. Dans un passage surprenant de Théorie du sujet, Badiou virtualise cette opération de bouclage en rajoutant aux quatre strophes de A la nue accablante tu un tercet supplémentaire composé par ses soins qui, très dialectiquement, poursuit lopération de naufrage u naufrage jusquau point où, comme par la vertu magique dune négation de la négation  se convertit en affirmation, lobjet naufragé, le navire réapparaît à la surface des fs (Théorie du sujet, p. 108). Or, cette cinquième strophe, Badiou ne lécrit pas en vuede compléter le poème comme sil fallait larracher à son inachèvement, mais pour fairerendre ironiquement que, cette cinquième strophe ne figurant pas dans la constellation du poème, elle est privée de toute réalité poétique, littéralement elle nexiste p

 poème brille de son absence, et ainsi est parfaitement clos sur lui-même, arrêté, achedans son énigmatique fermeture qui le soustrait, la soustraction étant, chez Mallarmé, lopération poétique par excellence, à toute possibilité ou perspective de suggestion dévocation. Cest la raison pour laquelle, écrit Badiou, « dextérieur opaque, la machque de Mallarmé, proclamons-le, ne possède néanmoins quun seul sens. Il faut en finir vec le paresseux contournement dobstacle qui fait dire à beaucoup que la vertu de léngme est de tolérer cent réponses tendancielles. Nulle « polysémie » chez cet absolu diaticien (quest Mallarmé) » (Théorie du sujet, p. 92). Dans son interruption factuelle, e poème, arrêté, sachève, et tire de son incomplétude, de sa finitude sa puissance da, identique à celle dont est porteuse la constellation issue du coup de dés. Ceci serait, aux yeux de Badiou, ce qui distingue la pure poésie de Mallarmé de la prose de Beckett ou de la poésie-prose de Rimbaud, qui ne produisent pas un pareil effet de bouclage, et ouvrent au contraire la possibilité de se continuer au-delà delles-même

. Le poème tel que Mallarmé le produit est poème du fait dêtre matériellement fermé sue, de se suffire : et cest en vertu de cette clôture quil fonctionne en tant que poèm, sous la condition bien sûr quon le mette en fonctionnement, quon le branche et quo lallume, comme une machine à faire penser.

 

On commence alors à comprendre pourquoi cest Mallarmé qui est retenu par Badiou comme exemplaire du nouage entre poésie et philosophie tel quil le conçoit. La page liminaire du tout récent Petit manuel dinesthétique, où la figure de Mallarmé apparaît à de ses reprises, précise ceci : « Contre la spéculation esthétique, linesthétique décrit ets strictement intraphilosophiques produits par lexistence indépendante de quelques oeuvres dart » (Petit manuel dinesthétique, Seuil, 1998, p. 7). Fidèle au principe

raréfaction et dexcellence qui guide la poétique mallarméenne, Badiou ne fait rentrer ans le champ de son inesthétique philosophique que « quelques oeuvres dart », dont on omprend alors quelles ont été soigneusement choisies : pour sen tenir aux arts de lanage, non seulement Mallarmé, mais aussi Rimbaud, Pessoa, Beckett, Celan ; mais pas Hugo, pas Baudelaire, pas Verlaine, pas Reverdy, pas Aragon, pour ne pas parler de Vielé-Griffin, de Rodenbach ou de Verhaeren, sans doute estimés trop narratifs ou comme on dit « expressifs » pour être traités comme des machines à faire penser. En fant jouer ce sévère principe de sélection, Badiou entend manifestement échapper au piègne esthétique généralisée qui poserait dans labstrait la question du rapport de lart té : à son point de vue, ce nest pas lart en tant que tel qui produit des vérités, et

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fait, la plupart du temps, il nen produit pas, sen tenant à la mission dédification de divertissement, donc dans tous les cas de séduction, que lui assigne communémentla société ; de vérité, il nen produit que dans quelques cas exceptionnels et ceux-ci,r leur exceptionnalité, témoignent de la volonté de rupture qui définit dans son essenc le fait poétique cest ce dont témoigne précisément, unique et irremplaçable, Mallarmé

De ce point de vue, lentreprise conduite par Badiou est tout à fait claire : il sagit de dessiner les limites dun Art-Pensée, limites fort étroites en dehors desquellessont rejetées la plupart des productions de lart, possédées par le vertige de limage du sens, et du même coup offertes à une consommation esthétique qui les coupe de toutrapport à la vérité. Ceci est lune des manifestations de ce quil faut bien appeler leatonisme dAlain Badiou. De manière très classique, ce platonisme est un anti-aristotélsme. Le dire, cest du même coup identifier ladversaire que, dans sa lecture de quelques textes poétiques triés sur le volet, Badiou combat en première ligne : cet adversaire, cest la mimésis. Ce qui fait la grandeur et lexceptionnalité de la démarche poétde Mallarmé et de quelques autres, cest quelle a su arracher la poésie au piège du ré cest-à-dire, sous toutes ses formes, au mirage de la présence. On la dit dès le débu poésie, ramenée à son essence, ce quelle nest quexceptionnellement, na rien à énone, on dirait en dautres termes qui ont été usés jusquà la corde quelle ne reflète rit » étant le nom que le réalisme, quil soit ou non socialiste, a donné à lantique mimonduisant ainsi la prétention de lart à représenter la réalité de manière plus ou moinrme : or, représenter la réalité, cela ne peut avoir pour effet quattacher à cette réaux qui en accueillent la représentation et la prennent pour argent comptant, cest-à-dire en dernière instance les aliéner. Ainsi conçue, linesthétique est, on le voit, por

se dune esthétique latente, esthétique négative au point de vue de laquelle lart et svertiges contrôlés sont facteurs dasservissement et daliénation.

Une option inverse de celle retenue par Badiou dans sa lecture de quelques oeuvres dart bien choisies, au premier rang desquelles Mallarmé, serait de renoncer à tracer de telles lignes de démarcation, et dexcepter par hypothèse lensemble des productins de lart de la juridiction aliénante de lesthétique et de ses hédoniques attachemen et ceci même lorsque ces productions revêtent une forme mimétique et ainsi saffichenten termes dimage et de sens. Après tout, dans sa propre oeuvre décrivain, dont on sounne quelle nest pas pour lui entièrement coupée de son activité de philosophe, et de losophe réfléchissant la poésie de Mallarmé, Badiou a privilégié, à lexclusion de la poman et le théâtre, la narration et le drame, cest-à-dire les deux genres sur lesquelsAristote a édifié sa Poétique. On ne peut quévoquer très rapidement ce point pour fini

mage, quelle soit verbale ou plastique, nest pas seulement lévocation dune présences aussi, par son autre face, déprésentation de ce quelle représente dont elle effectue en le projetant dans un espace mimétique, une mise à distance potentiellement critique ; en conséquence, leffet de réalité quelle produit nest pas, du moins pas fatale aliénant ; mais il peut aussi fonctionner, si on sait le mettre en oeuvre correctement, comme un moyen de libération. Ceci compris, on peut préférer à celui de linesthe strictement localisée et sélective dans laquelle sinscrit la lecture de Mallarmé proosée par Badiou, le programme dune inesthétique généralisée, qui ne serait pas une nou esthétique positive, et qui restituerait à lensemble des productions de lart, ou du oins à la plupart dentre elles, une certaine familiarité, dont le degré devrait être àue fois réévalué de façon déterminée, avec le travail de la pensée. Dans le cas de Mallvilégié par Badiou, cette familiarité revêt une sorte dévidence quon peut dire palpabis cela ne signifie pas que, dans dautres cas, et sous des formes moins directeme

nt apparentes, donc plus difficiles encore à apprécier, des oeuvres de littérature qui, en première apparence, ne soffrent quà la consommation courante ne puissent elles assi, au prix dun effort de lecture approprié, sélever ou être élevées à hauteur de véi se réfléchir dans la pensée.

Mallarmé de Badiou

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