alain badiou - théorie de la contradiction

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  • 8/6/2019 Alain Badiou - Thorie de la Contradiction

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    VIVE LE MARXISME-LENINISME-MAOSME!

    VIVE LA GUERRE POPULAIRE

    UNION DES COMMUNISTES DE FRANCE

    MARXISTE-LENINISTE (U.C.F.M.L.)

    THEORIE DE LA CONTRADICTION (1975)

    1.Une thse philosophique essentielle: on a raison de

    se rvolter contre les ractionnaires

    On connat la formule de Mao Ts-toung : Le marxismecomporte de multiples principes, mais ils peuvent tous se

    ramener en dernire analyse une seule phrase : on a raison dese rvolter contre les ractionnaires.

    Cette phrase, si simple, est en mme temps assez mystrieuse :comment est-il concevable que l'norme entreprise thorique deMarx, ses analyses sans cesse remanies et refondues jusqu'auplus extrme scrupule, que tout cela puisse tre concentr dansune seule maxime : On a raison de se rvolter contre lesractionnaires ? Et qu'est-ce que cette maxime ?

    S'agit-il d'un constat, qui rsumerait l'analyse marxiste descontradictions objectives, l'inluctable affrontement de larvolution et de la contre-rvolution ? S'agit-il d'une directiveoriente vers la mobilisation subjective des forcesrvolutionnaires ? La vrit marxiste est-elle : on se rvolte, ona raison ? Ou plutt : il faut se rvolter ? Les deux peut-tre, et

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    plus encore le mouvement en spirale de l'un l'autre, la rvolterelle ? force objective ? s'enrichissant et revenant sur elle-mme dans la conscience de sa raison ? force subjective.

    A. Pratique, thorie, connaissance

    Dj nous est ici confi quelque chose d'essentiel : tout noncmarxiste est, d'un seul mouvement qui se divise, constat et

    directive. Concentr de la pratique relle, il s'gale sonmouvement pour y retourner. Puisque ce qui est n'a d'tre que

    dans son devenir, ce qui est thorie - connaissance de ce qui est- n'a d'tre galement que de se mouvoir vers ce dont il est lathorie. Toute connaissance est orientation, toute descriptionest prescription.

    La phrase on a raison de se rvolter contre lesractionnaires l'atteste plus que toute autre. En elle s'exprime

    que le marxisme, avant d'tre la science dveloppe desformations sociales, est l'abrg de ce que la rvolte exige :qu'on lui donne raison. Le marxisme est prise de parti et

    systmatisation d'une exprience partisane. L'existence d'unescience des formations sociales n'a d'intrt pour les massesque pour autant qu'elle reflte et concentre leur mouvementrvolutionnaire rel.

    Le marxisme doit tre conu comme la sagesse cumule desrvolutions populaires, la raison qu'elles engendrent, la fixationet la prcision de leur cible. La phrase de Mao Ts-toung situeclairement la rvolte comme le lieu originaire des ides justes,les ractionnaires comme ceux dont la thorie lgitime ladestruction. La phrase de Mao Ts-toung situe la vrit

    marxiste l'intrieur de l'unit de la thorie et de la pratique.

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    connaissance. (MAO TS-TOUNG, Cinq essaisphilosophiques, ditions de Pkin, 1971, p. 294)

    Le mouvement de la connaissance, c'est le passage pratique-connaissance-pratique. Connaissance dsigne ici un destermes du processus et galement ce processus pris dans sonensemble, processus qui inclut son tour deux occurrences dela pratique, initiale et finale.

    Pour fixer le langage (Le marxisme-lninisme-maosme n'est

    pas un formalisme.Les mots y sont pris dans le mouvement de

    destruction/construction qui est celui de la connaissance relle.Si la cible est atteinte, peu importent les signes. De l que lesmots peuvent se dplacer : seul compte leur pouvoir. La force,l aussi, l'emporte sur le respect des places.) (et dans latradition), on appellera thorie, le terme de la contradiction

    thorie/pratique, dont le mouvement d'ensemble sera, lui, leprocessus de la connaissance. On dira : la connaissance est le

    procs dialectique pratique/thorie.

    A partir de quoi s'avre l'illusion ractionnaire de ceux quis'imaginent pouvoir contourner la thse stratgique du primatde la pratique. Il est clair que quiconque n'est pas dans le

    mouvement rvolutionnaire rel, que quiconque n'est paspratiquement intrieur la rvolte contre les ractionnaires, neconnat rien, mme s'il thorise.

    Mao Ts-toung a certes affirm que, dans la contradictionthorie/pratique, c'est--dire dans une phase du processus rel,la thorie pouvait avoir transitoirement le rle principal :

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    Lorsqu'on est dans le cas dont parle Lnine : "Sans thoriervolutionnaire, pas de mouvement rvolutionnaire", lacration et la propagation de la thorie rvolutionnaire joue lerle principal, dcisif. (MAO TS-TOUNG, De lacontradiction, O. C., t. I.)

    Est-ce que cela signifie que la thorie est ce moment-l unepossibilit rvolutionnaire intrinsque, que peuvent et doiventsurgir de purs thoriciens marxistes ? Absolument pas.

    Cela signifie que, dans la contradiction thorie/pratique qui estle processus de connaissance, la thorie est l'aspect principal dela contradiction ; que la systmatisation des expriencesrvolutionnaires pratiques est ce qui permet d'avancer ; qu'il nesert rien de continuer cumuler quantitativement cesexpriences, les rpter, car ce qui est l'ordre du jour est lebond qualitatif, la synthse rationnelle immdiatement suivie

    de son application, c'est--dire de sa vrification.

    Mais, sans ces expriences, sans pratique organise (car seulel'organisation permet la centralisation des expriences), pas desystmatisation, pas de connaissance du tout. Sans applicationorganise, pas de plan d'preuve, pas de vrification, pas devrit. La thorie ne peut alors qu'engendrer des absurdits

    idalistes.Nous en revenons donc notre point de dpart : la pratique estintrieure au mouvement rationnel de la vrit. Dans sonopposition la thorie, elle fait partie de la connaissance. C'estcette intuition qui enthousiasme Lnine dans la conceptionhglienne de l'Ide absolue, au point qu'il fait de Marx le

    simple continuateur de Hegel. ( Marx rejoint donc directement

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    Hegel en introduisant le critre de la pratique dans la thorie dela connaissance. (LNINE, Cahiers philosophiques, E. S., p.201.)

    La phrase de Mao Ts-toung donne sa prcision l'enthousiasme de Lnine. Elle est le contenu historique gnralde l'nonc dialectique de Hegel. Ce n'est pas n'importe quellepratique qui est l'ancrage interne de la thorie, c'est la rvoltecontre les ractionnaires. Et la thorie, en retour, ne lgifre pasextrieurement sur la pratique, sur la rvolte : elle s'y incorpore

    par le dgagement mdiateur de sa raison. En ce sens, il est vraique cette phrase dit tout, d'un tout qui rsume la position declasse du marxisme, sa signification rvolutionnaire concrte.

    Un tout l'extrieur de quoi se tient quiconque entreprend deconsidrer le marxisme, non du point de vue de la rvolte, maisdu point de vue de la coupure ; non du point de vue de

    l'histoire, mais du point de vue du systme ; non du point devue du primat de la pratique, mais du point de vue du primat de

    la thorie ; non comme la forme concentre de la sagesse dupeuple travailleur, mais comme sa condition priori.

    B. Les trois sens du mot raison

    Si cette phrase dit tout, cependant, c'est selon la dialectique,c'est--dire selon une simplicit qui se divise. Ce qui concentrecette division, ce qui la supporte, et apparemment l'occulte,

    c'est le mot raison : on a raison, la rvolte a raison, contreles ractionnaires se dresse une nouvelle raison. De fait, laphrase, travers le mot raison , dit trois choses, et c'estl'articulation des trois qui fait le tout.

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    1. On a raison de se rvolter contre les ractionnaires, cela veutdire, non pas d'abord : il faut se rvolter contre lesractionnaires, mais : on se rvolte contre les ractionnaires,c'est un fait, ce fait est raison. La phrase dit : primat de lapratique.

    La rvolte n'attend pas sa raison, la rvolte est ce qui esttoujours dj l, pour n'importe quelle raison possible. Lemarxisme dit seulement : la rvolte est raison, la rvolte estsujet. Le marxisme, c'est le rcapitulatif de la sagesse de la

    rvolte. Pourquoi crire Le Capital, des centaines de pages descrupules minutieux, d'intelligence laborieuse, des volumes de

    dialectique aux lisires parfois de l'intelligible ? Parce que celaseul est la mesure de la profonde sagesse de la rvolte.

    L'paisseur historique et l'opinitret de la rvolte prcdent lemarxisme, cumulent les conditions, et la ncessit, de son

    apparition, parce qu'elles enracinent la conviction qu'au-deldes causes particulires qui provoquent la leve proltaire,existe une profonde et indracinable raison. Le Capital, deMarx, est la systmatisation, en termes de raison gnrale, dece qui se donne dans la sommation historique des causes.

    La bourgeoisie, qui connat et reconnat la lutte des classes,

    veut bien admettre et chercher les causes particulires d'unervolte, ne serait-ce que pour parer son retour. Mais elleignore la raison, quoi se tiennent en fin de compte lesproltaires, qu'aucune rsorption des causes et descirconstances ne satisfait jamais. L'entreprise de Marx est de

    reflter ce qui se donne, non pas tant dans la particularit descombats, que dans la persistance et le dveloppement de

    l'nergie de classe qui s'y investit. La pense des causes n'y

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    suffit pas.

    (Lnine souligne bien l'insuffisance de la catgorie de causalitquand il donne raison Hegel, contre Kant, de ne pas lui faireun sort particulier : Quand on lit Hegel sur la causalit, ilsemble premire vue trange qu'il se soit si peu arrt sur cethme tant chri des kantiens. Eh bien ! parce que, pour lui, lacausalit est une des dterminations de la liaison universelle... (LNINE, Cahiers philosophiques, E. S., p. 152.))

    Il faut en profondeur rendre raison de cette persistance.L'essence de la position proltarienne ne rside pas dans lespisodes de la lutte des classes, mais dans le projet historiquequi les sous-tend, projet dont la dure inlassable et les tapessuccessives de l'obstination proltarienne sont la formed'existence pratique. L se tient la raison.

    Sa clarification, son exposition, simultanment reflets etdirectives, rendent seules justice au mouvement, que la rvoltemet jour, de l'tre de classe des phnomnes.

    Seule l'entreprise maoste dveloppe intgralement aujourd'huice que les proltaires font et donnent connatre dans lecaractre inconditionnel et permanent de leur rvolte. Cela seul

    dit : oui, la contradiction est antagoniste, oui, la rvolteouvrire, qui est le feu de cette contradiction, est la raisonmme de l'histoire. On a raison de se rvolter contre lesractionnaires veut d'abord dire : les proltaires obstins ontraison, ils ont de leur ct toutes les raisons, et plus encore.

    2. On a raison de se rvolter contre les ractionnaires veut

    dire aussi : la rvolte aura raison. Les ractionnaires rendront

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    raison au tribunal de l'histoire de tous les forfaits de

    l'exploitation et de l'oppression.

    L'obstination de la rvolte proltaire, c'est certes, premier sensdu mot raison, le caractre objectif, irrductible, de lacontradiction qui oppose ouvriers et bourgeois, mais c'est aussi

    la certitude pratique de la victoire finale, c'est la critique

    spontane, sans cesse renaissante, du dfaitisme ouvrier. Quel'tat des choses soit inacceptable et divis, telle est la premireraison de la rvolte contre les ractionnaires.

    Qu'il soit transitoire et condamn, telle est la seconde. C'est laraison, non plus du point de vue du motif, ou du moment, mais

    du point de vue de l'avenir. C'est la raison au sens de la

    victoire, au-del de la raison au sens de la lgitimit. La rvolteest sagesse parce qu'elle est juste, parce qu'elle est fonde enraison, mais aussi parce que c'est elle qui lgifre sur l'avenir.

    Le marxisme rpudie toute conception seulement justifiante dela raison. Le proltariat n'a pas seulement des raisons vraies dese rvolter, il a des raisons triomphantes.

    Raison est ici le carrefour de la lgitimit rvolutionnaire etde l'optimisme rvolutionnaire.

    La rvolte est allergique la maxime de la morale de Kant : Tu dois, donc tu peux. Kant concluait d'ailleurs qu'un acteainsi rgl sur le pur devoir n'avait sans doute jamais eu lieu.La morale est une prescription dfaite. Mais la rvolte ouvrirea bien lieu, et trouve dans le marxisme son lieu de prescription

    victorieuse. La raison marxiste n'est pas devoir-tre, elle estl'affirmation de l'tre mme, le pouvoir illimit de ce qui se

    dresse, s'oppose, contredit. Elle est la victoire objective du

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    refus populaire. Matrialiste, la raison ouvrire dit : Tu peux,donc tu dois.

    3. Mais raison signifie encore autre chose, autre chose quiest la fusion scinde de ses deux premiers sens. On a raisonde se rvolter contre les ractionnaires veut dire cette fois : larvolte peut se renforcer de la conscience de sa propre raison.L'nonc lui-mme on a raison de se rvolter contre lesractionnaires est la fois le dveloppement de noyaux deconnaissance internes la rvolte elle-mme, et le retour dans

    la rvolte de ce dveloppement. La rvolte, qui a raison, trouvedans le marxisme de quoi dvelopper cette raison, de quoiassurer sa raison victorieuse.

    Ce qui fait que la lgitimit de la rvolte (premier sens du motraison) s'articule sa victoire (deuxime sens du mot raison),c'est une fusion de type nouveau entre la rvolte comme

    pratique toujours l et la forme dveloppe de sa raison. Fusiondu marxisme et du mouvement ouvrier rel, c'est cela letroisime sens du mot raison, c'est--dire la liaison dialectique,objective et subjective, de ses deux premiers sens.

    Nous retrouvons ici le statut dialectique des noncs marxistes,tous diviss selon le reflet et selon la directive : saisissant, au-

    del des causes, la raison de l'nergie de classe, la thorieformule du mme coup la rgle par quoi la raison peutprvaloir sur la cause, l'ensemble sur le local, la stratgie sur latactique. La rvolte formule sa raison dans la dure pratique ;mais l'nonc clarifi de cette raison rompt la rgle encorerptitive de cette dure.

    La rvolte s'arme de sa propre raison, au lieu de seulement la

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    dployer. Elle concentre sa qualit rationnelle : elle organise saraison, et dispose les instruments de sa victoire.

    Savoir qu'on a raison de se rvolter contre les ractionnaires, endlivrant la raison (thorique) de cette raison (pratique), permetd'galer le subjectif (l'organisation, le projet) l'objectif (lalutte des classes, la rvolte).

    Raison , qui disait la lgitimit rvolutionnaire etl'optimisme, dit maintenant la conscience, la matrise de

    l'histoire.

    C. La raison comme contradiction

    On a raison de se rvolter contre les ractionnaires est bienune phrase qui dit tout du mouvement historique, parce qu'elle

    en dit l'nergie, le sens et l'instrument. L'nergie, c'est la luttedes classes, rationalit objective interne de la rvolte. Le sens,c'est l'inluctable effondrement du monde de l'exploitation et del'oppression, c'est la raison communiste.

    L'instrument, c'est la direction possible du rapport, dans

    l'histoire, entre l'nergie et le sens, entre la lutte des classes (qui

    est toujours et partout le moteur de l'histoire) et le projet ducommunisme (qui est toujours et partout la valeur mise en

    avant par la rvolte des opprims).

    L'instrument, c'est la raison devenue sujet, c'est le parti.

    On a raison de se rvolter contre les ractionnaires dit le

    tout, parce qu'il dit la lutte des classes et le primat de la

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    pratique, le communisme et le dprissement de l'Etat, le partiet la dictature du proltariat.

    La phrase dit la raison intgrale, c'est--dire la raison divise,selon le subjectif et l'objectif, selon la ralit et le projet, selonle terme et les tapes.

    Et voici que cette raison intgrale est contradiction : impossibled'avoir raison seul, et pour soi. On a raison contre les

    ractionnaires. On a toujours raison contre les ractionnaires, le

    contre les ractionnaires est une condition interne du vrai.

    C'est aussi pourquoi la phrase de Mao Ts-toung rsume lemarxisme ; elle dit : toute raison contredit. Les ides vraiessurgissent dans la lutte contre les ides fausses , la raison seforge dans la rvolte contre la draison, contre ce que lesChinois appellent invariablement les absurdits

    ractionnaires .

    Toute vrit s'affirme dans la destruction du non-sens. Toutevrit est ainsi essentiellement destruction. Tout ce quiuniquement conserve est uniquement faux. Le champ de la

    connaissance marxiste est toujours un champ de ruines.

    La phrase de Mao Ts-toung nous dit la dialectique : l'essencede classe de la raison comme rvolte se tient dans la lutte mort des contraires. La vrit n'existe que dans un procs descission.

    La thorie des contradictions est tout entire implique dans lasagesse historique des rvolts. De l que la dialectique existe

    depuis toujours, comme les rvoltes. La dialectique concentre

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    philosophiquement la conception du monde des exploits quise dressent contre le monde existant et veulent son changement

    radical. C'est pourquoi elle est une tendance philosophique

    ternelle, qui s'oppose sans relche l'oppression mtaphysiqueconservatrice :

    Dans l'histoire de la connaissance humaine, il a toujours

    exist deux conceptions du dveloppement du monde : l'une estmtaphysique, l'autre dialectique ; elles constituent deuxconceptions du monde opposes. (MAO TS-TOUNG, De la

    contradiction. O. C, t. I.)II s'agit toujours de continuer la dialectique, de la continuer

    contre la mtaphysique, ce qui veut dire : donner raison auxrvolts. Aujourd'hui : au vrai marxisme contre le faux.

    Aux maostes, contre les rvisionnistes.

    2.A la recherche des principes fondamentaux de la

    dialectique

    Donner raison la rvolte contre les ractionnaires veutphilosophiquement dire : runifier, chaque tape du processushistorique, la pense des exploits : la pense dialectique ;

    rendre vivants et militants les principes de cette unification.

    Mais y a-t-il des principes acquis de la dialectique ? Combien ?

    Lesquels ? Tous les dirigeants proltariens ont abord cettequestion. On va voir qu'ils ne l'ont pas pour autant ferme. Pasplus que la pense dialectique ne commence, prise qu'elle estdans le mouvement de la rvolte, pas plus elle ne finit, ses

    formulations systmatiques les plus avances n'tant jamais

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    que les directives philosophiques provisoires des dirigeants du

    proltariat.

    A. Engels

    Toute pense rvolutionnaire est en partie dtermine par cecontre quoi elle se dveloppe. Engels et Marx livrent lapremire grande bataille idologique de l'avant-garde ouvrireconsciente essentiellement contre toutes les variantes de

    l'idalisme petit-bourgeois : les socialismes utopiques ; le

    fdralisme proudhonien ; l'anarchisme de Bakounine.

    Ce qu'il s'agit pour eux de restituer, en dtruisant toutes lesimpatiences et toutes les rveries, c'est l'objectivit dumouvement rvolutionnaire rel, les bases matrielles de lalutte des classes. De l que dans la contradiction qui spcifie laphilosophie du proltariat - la contradiction

    matrialisme/dialectique - Engels est le plus souvent conduit tenir la thse matrialiste pour l'aspect principal.

    Or, l'poque, et dans l'hritage assum du combat idologiquede la bourgeoisie rvolutionnaire, tout matrialisme doit seprvaloir des sciences de la nature, qui demeurent uninstrument privilgi de ruine des constructions religieuses et

    spiritualistes. Au socialisme utopique , Engels oppose toutnaturellement le socialisme scientifique .

    Engels est coup sr un immense dialecticien. Voyez sesanalyses historiques concrtes.

    Cependant, dans la prsentation gnrale (philosophique) qu'il

    fait de la dialectique, il la subordonne troitement au

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    matrialisme, et, en dernier ressort, au contenu des sciences dela nature. Ce n'est pas l une dviation, mais une exigenceessentielle, historiquement dtermine, de la lutte entre lesdeux voies dans le mouvement ouvrier.

    Pour Engels, l'appropriation de la dialectique par la science est

    l'objectif essentiel, et cette opration dissout finalement laphilosophie dans la science mme, n'en laissant subsister qu'unrsidu pistmo-logique :

    Ce n'est que lorsque la science de la nature et de l'histoireaura assimil la dialectique que tout le bric--bracphilosophique ? l'exception de la pure thorie de la pense ?deviendra superflu et se perdra dans la science positive.

    (ENGELS, Dialectique de la nature, E. S., 1961, p. 211.

    Mme thme dans le L. Feuerbach, avec pour consquence lafixation du domaine de ralit de la philosophie : les processus

    intellectuels : II ne reste plus ds lors la philosophie que[...] la doctrine des lois du processus intellectuel lui-mme,c'est--dire la logique et la dialectique (O. C, t. III. p. 397).Chose tonnante : cette consquence d'allure matrialiste rendun son lgrement idaliste.)

    La consquence principale de cette dtermination polmique de

    la philosophie est que la dialectique n'a pas, chez Engels, lathorie des contradictions comme centre de gravit. Lesdfinitions qu'il en donne sont cet gard caractristiques :pour l'opposer la mtaphysique, il en fait la science desconnexions (Anti-Duhring).

    Dans le Ludwig Feuerbach, il dsigne la dialectique comme

    la science des lois gnrales du mouvement . Tout se passe

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    comme si Engels privilgiait la thorie des liaisons et desinterdpendances sur la thorie des contradictions. Il s'agit pourlui d'tablir que la dialectique relve elle aussi de la thsematrialiste, d'affirmer, y compris contre Hegel, que les loisdialectiques ne relvent pas du mouvement de l'Ide, mais sontle simple reflet de lois objectives, lois que retrouvent par

    ailleurs les sciences de la nature et la science de l'histoire.

    Cette rectification matrialiste ne peut aboutir qu' uneconception encore restrictive des lois fondamentales de la

    dialectique. Un des liens entre la philosophie et les rvoltes,marqu dans la philosophie mme, est le dveloppement ingalde Id thse matrialiste et de la thse dialectique. Quandl'ennemi principal dans le mouvement ouvrier sera, non pas

    l'ultra-gauchisme petit-bourgeois, mais l'conomismervisionniste, c'est la thse dialectique qui connatra son tourle plein essor qu'Engels donne la seule thse matrialiste.

    De l que, pour nous, la formulation des lois de la dialectiquedans La Dialectique de la nature apparat comme insuffisante.Notre poste d'observation historique nous permet seul cette

    apprciation.

    Quelles sont ces lois ? On sait qu'Engels, dans un texte trs

    connu, en formule trois :

    C'est donc de l'histoire de la nature et de celle de la socithumaine que sont abstraites les lois de la dialectique. Elles ne

    sont prcisment rien d'autre que les lois les plus gnrales deces deux phases du dveloppement historique, ainsi que de lapense elle-mme. Elles se rduisent pour l'essentiel aux 3 lois

    suivantes :

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    - la loi du passage de la quantit la qualitet inversement ;

    - la loi de l'interpntration des contraires ;

    - la loi de la ngation de la ngation. (ENGELS, Dialectiquede la nature, E. S., p. 69.)

    Ce qui frappe, ds l'abord, est l'absence pure et simple du

    principe dialectique en tant que tel : le primat de lacontradiction sur l'identit.

    A partir de cette absence, aucune des trois lois ne peut recevoir

    son plein dveloppement : elles demeurent approximatives. Lecaractre asymptotique, approch, de la connaissance l'emportesur le reflet : trace d'une subordination troite des thses

    dialectiques aux thses matrialistes.

    Mettre en tte la loi du passage de la quantit la qualit, c'estaborder la question de la dialectique par le petit bout de la

    lorgnette.

    D'abord parce que cette loi n'est en fait, comme le

    remarquent Lnine et Mao Ts-toung, qu'un cas particulier dece qui seul est vritablement principe : la loi de l'unit descontraires, et du passage de chaque contraire dans l'autre.

    Ensuite, parce que l'essence dialectique de cette loi n'est pas la

    simple affirmation de la rversibilit du passage, mais la notionde rupture qualitative succdant une accumulationquantitative. Le vritable sens de ce principe rside dans la

    conception du dveloppement par bonds, et par consquent

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    dans l'a thorie du caractre priodis du processus dialectique.Dans le simple nonc de sa loi, Engels laisse chapper ce quien fait une arme contre l'volutionnisme et la reprsentationlinaire du dveloppement des choses. De ce qui est thorie despriodes et des tapes, des ruptures qualitatives, il fait unesimple loi de conversion.

    De la loi dite de la ngation de la ngation , Mao Ts-toungaurait dit dans un texte qui lui est attribu par Stuart Schramqu'il n'existait absolument rien de pareil.

    (Mao Ts-toung Unrehearsed, Ed. Penguin Books, 1974. Noustraduisons ici le principal passage qui nous intresse : Engelsa parl de trois catgories, mais en ce qui me concerne, il y adeux de ces catgories en lesquelles je ne crois pas. L'unit descontraires est la loi la plus fondamentale.

    La transformation de la qualit en quantit, et inversement,n'est rien d'autre que l'unit de la qualit et de la quantitconsidres comme des contraires. Quant la ngation de langation, cela n'existe pas du tout. La juxtaposition sur lemme plan de la transformation de la qualit en quantit etinversement, de la ngation de la ngation, et de la loi de l'unitdes contraires, c'est du triplisme , ce n'est pas du monisme

    [...] ; il ^n'existe rien de tel que la ngation de la ngation.Affirmation, ngation, affirmation, ngation [...] dans ledveloppement des choses : chaque maillon dans la chane desvnements est la fois affirmation et ngation [...].

    II va de soi que nous ne prenons, pour l'instant, position ni sur

    l'authenticit, ni sur l'exactitude de ces indits de Mao Ts-

    toung . Toutefois la cohrence de ce passage avec les 5

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    essais philosophiques bien connus ne fait notre avis aucundoute.)

    De fait, on peut la rigueur dire que la rvolution proltarienneest la ngation de la socit bourgeoise, encore que, la lutte desclasses continuant sous dictature du proltariat, c'est plutt surle dveloppement du procs de scission interne de la socitbourgeoise, sur le processus ininterrompu par tapes de lacontradiction bourgeoisie / proltariat qu'il faudrait mettrel'accent. Le concept de ngation lui-mme, lourdement marqu

    par la formulation idaliste (hglienne) de la dialectique, n'estqu'une abrviation commode.

    Mais dire, par exemple, que la rvolution proltarienne est langation de la ngation de la fodalit, est proprementinintelligible, surtout si l'on admet le seul sens dtermin de ngation de la ngation , c'est--dire le sens hglien : cela

    reviendrait affirmer que, par la mdiation de la ngativitbourgeoise, le proltariat produit le concept complet de l'ordrefodal, que la dictature du proltariat est l'essence en soi etpour soi de cet ordre !

    Si l'on examine de prs l'usage fait par Marx de la catgorie ngation de la ngation , on s'aperoit du reste qu'il s'agit

    seulement de dsigner le processus contradictoired'accumulation, dans une phase donne, des conditionsobjectives du passage ncessaire la phase suivante.Autrement dit : ce que le mouvement d'une contradiction

    dtruit prpare la scission du terme destructeur lui-mme.Voyons ce passage caractristique :

    L'appropriation capitaliste, conforme au mode de production

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    capitaliste, constitue la premire ngation de cette propritprive qui n'est que le corollaire du travail indpendant etindividuel. Mais la production capitaliste engendre elle-mmesa propre ngation avec la fatalit qui prside auxmtamorphoses de la nature.

    C'est la ngation de la ngation. Elle rtablit non la propritprive du travailleur, mais sa proprit individuelle, fonde surles acquts de l're capitaliste, sur la coopration et lapossession commune de tous les moyens de production, y

    compris le sol. (MARX, Le Capital, O. C, t. II, p. 152.)

    Ngation de la ngation veut seulement dire qu'enanantissant, par la concentration du capital, la proprit dutravailleur indpendant, la bourgeoisie rend ncessaire etobjectivement possible la suppression par le proltariat de touteproprit prive.

    Au lieu en effet que celle-ci soit disperse dans une grandemasse laborieuse, elle est concentre dans les mains dequelques capitalistes. Autrement dit : la contradiction qui

    oppose l'accumulation capitaliste la petite proprit privedblaie le terrain pour la nouvelle contradiction : celle quioppose le proltariat la proprit capitaliste elle-mme. La

    ngation de la ngation n'est pas une loi. Elle n'est qu'uneexpression abrge dsignant l'articulation historique de deuxprocessus contradictoires.

    Reste donc la loi de l'interpntration des contraires commeseule loi dialectique vritable. Encore la formulation d'Engelsmet-elle l'accent davantage sur l'action rciproque que sur

    l'antagonisme.

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    On peut mme se demander si l'extension considrable de la loid'interaction ne fait pas perdre de vue que le moteur des

    processus, leur vritable cause interne, est la contradiction. Il ya chez Engels une volont opinitre et justifie d'en finir avectoute formulation mtaphysique du principe de causalit. Lasparation de la cause et de l'effet comme entits fermesinterdit en effet de saisir les phnomnes d'interversion etd'effet en retour.

    L'conomisme de la IIe internationale, subordonnant touteaction rvolutionnaire dans la superstructure (et en particulieren ce qui concerne l'Etat) la maturation des conditionsconomiques objectives, exigeait un combat philosophiquecontre la conception antidialectique du dterminisme. Lasparation et Tordre immuable de la cause et de l'effetfonctionnent comme reflets thoriques de l'opportunisme le

    plus grossier.

    Cependant, Engels suit peut-tre sa pente un peu loin :

    Ce qui manque tous ces messieurs, c'est la dialectique. Ilsne voient qu'ici cause, l effet. Ils ne voient pas que c'est l unefroide abstraction, que de pareilles oppositions polaires,

    mtaphysiques, n'existent dans le monde rel que pendant lescrises ; que le vaste dveloppement tout entier se poursuit dansla forme de l'action rciproque (encore que les forces soientingales, dont le mouvement conomique est le plus puissant,le plus originel, le plus dcisif) ; qu'il n'y a l rien d'absolu, toutest relatif. Pour eux, Hegel n'a pas exist. (ENGELS, Lettre Conrad Scbmidt. Octobre 1890, O. C, t. III, p. 520.)

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    Convoquer Hegel et la dialectique est toujours indispensable

    quand un rvisionnisme d'allure scientiste s'installe. Mais enfin,la restriction des oppositions polaires aux seuls moments de

    crise ne laisse qu'un champ troit la pense de lacontradiction.

    Disons que la dfinition de la dialectique laisse ici ouvert lerisque, dans l'unit des contraires, et sous couvert d'actionrciproque, d'un privilge conciliateur de l'unit sur lacontrarit. Et puis, contrairement ce que dit Engels, il y a de

    l'absolu, Lnine et Mao Ts-toung le diront avec force. C'est lalutte, prcisment qui est absolue, seule l'unit est relative.

    Finalement, les trois lois d'Engels figurent un

    affaiblissement du principe de contradiction, et c'est au prix de

    cet affaiblissement qu'Engels parvient prendre appuiprincipalement sur les sciences de la nature pour illustrer sa

    polmique. De l que, dans d'autres circonstances historiques,toute une race de dogmatiques s'alimentent ces trois lois .

    La lutte des classes continue, la dialectique continue. Engels

    aujourd'hui ne peut nous suffire. Engels doit tre dvelopp.

    B. Staline

    Staline est le dirigeant du premier Etat de dictature du

    proltariat. Sa vision du mouvement rel d'un tel Etat estlargement fonde sur l'exigence d'un dveloppement concentret acclr des forces productives, avec comme noyaul'industrie lourde. Pour ce faire, il faut briser tous les obstacles,

    au besoin, et de plus en plus, par la terreur. Il faut mener une

    lutte de classe volontaire, tatique, violente.

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    La principale intervention de Staline sur la question de la

    dialectique se trouve dans le texte : Le Matrialismedialectique et le matrialisme historique. Ce texte est de 1938: au lendemain de l'puration terroriste des oppositions dans leparti, la veille de la Seconde Guerre mondiale.

    L encore, les circonstances, les choix de ligne et l'adversairedictent des limitations : l'importance accorde l'accumulationindustrielle privilgie le quantitatif comme promesse du bond

    qualitatif ; l'encerclement imprialiste, l'obsession de lasubversion trangre trouvent leur reflet dans l'interdpendancede tous les phnomnes. Le gigantesque espoir marqu d'unvolontarisme violent, qui caractrise Staline, s'avre dans laconviction que ce qui se dveloppe vaincra ncessairement.

    Tout cela marque une fois de plus la thorie des contradictions

    d'une sorte de raideur tranche, et d'un privilge latent dumatrialisme volutif, de ce qu'on pourrait appeler lematrialisme dynamique, sur la thorie de la scission interne etdu dveloppement par squences conflictuelles.

    Staline propose, quant lui, quatre principes, qu'il appelle lestraits fondamentaux de la mthode dialectique marxiste :

    1. L'interdpendance gnrale de tous les phnomnes. C'est cequ'on pourrait appeler la loi de totalit.

    2. Le principe de mouvement : Selon la mthode dialectique,il n'y a d'invincible que ce qui nat et se dveloppe.

    3. La transformation de la quantit en qualit, clairement

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    conue cette fois comme dialectique d'une accumulationquantitative graduelle et de ruptures qualitatives soudaines,

    faisant passer d'un tat un autre.4. La loi des contraires, conue comme contenu interne duprocessus de dveloppement . (STALINE, Le Matrialismedialectique et le matrialisme historique , Les Questions dulninisme, Norman Bethune, t. II, p. 785.)

    L'nonc des quatre lois de Staline reprsente coup sr, nos

    yeux (c'est--dire du point de vue de nos besoins politiques),une amlioration notable sur celui des trois lois d'Engels. Onconstate avec satisfaction que disparat l a ngation de langation. La loi de la conversion de la quantit en qualit estformule de faon plus rigoureuse ; le principe de contradictionest bien pos comme loi interne des processus.

    Cela tant, ces quatre lois constituent un ensemble htrogne,qui l encore n'est pas clairement subordonn l'affirmation duprimat de la contradiction sur l'identit. En outre, la promotiondu principe de totalit peut fort bien fonctionner comme lepoint d'appui d'une infiltration mtaphysique. Staline, commeEngels, accentue en effet l'importance de l'ide de corrlationpar rapport l'ide de scission.

    En outre, aucune cohrence vritable n'est institue entre leprincipe 1 (interdpendance gnrale) et le principe 2 (primatdes forces ascendantes). Comment l'action rciproque setrouve-t-elle son tour dtermine par l'action des forces quisont porteuses du nouveau ? Chez Staline, la question de la

    structure (combinaison des termes d'un processus) reste spare

    de celle de la tendance (action dterminante du terme principal

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    de la contradiction). Reflet de ce que l'avenir communiste n'est

    pas clairement pens l'intrieur mme du mouvementcontradictoire sur quoi se rgle un prsent proltarien etdictatorial. Il n'y a pas, dans la forte pense de Staline, de quois'emparer de la lutte entre les deux voies. En ce sens, la

    formulation stalinienne rpte l'affaiblissement du principe decontradiction que nous avons repr dans celle d'Engels.

    C. Lnine

    Dans ses notes sur La Science de la logique de Hegel, Lnine,commentant le chapitre sur l'Ide absolue, entreprendd'numrer ce qu'il appelle les lments de la dialectique .De toute vidence, cette liste vise une clarification analytiqued'un chapitre passablement complexe de Hegel. Elle ne

    reprsente pas un dispositif thorique cohrent.

    Lnine dnombre seize lments, mais il indique lui-mmequ'ils n'ont pas tous le mme statut. Critiquant implicitementEngels, il note par exemple que le point 16 (passage de la

    quantit en qualit) n'est qu'un exemple du point 9 (passage dechaque dtermination en une dtermination contraire). D'autrespoints sont en substance identiques.

    Ainsi le point 14 (retour apparent l'ancien) a-t-il dj soncontenu rel dans le point 13 (rptition un stade suprieur decertains traits du stade infrieur). ( C'est ce retour apparent l'ancien que Lnine appelle ngation de la ngation. A notreavis cette dsignation est quivoque : le retour apparent l'ancien est effectivement une loi du dveloppement historique,celle que les Chinois appellent M loi du dveloppement en

    spirale. On expliquera ailleurs ce qu il faut entendre par l.

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    Disons tout de suite que cela n'a rien a voir avec la ngation dela ngation.)

    Finalement, on peut regrouper les seize lments de Lnine dela faon suivante :

    1. La thse matrialiste quant au processus deconnaissance :

    - objectivit de l'examen (point 1) ;

    (caractre d'approximation infinie du procs de connaissance(points 10, 11, 12).

    On remarquera que ces deux caractristiques renvoient, pour lapremire la mtaphore du reflet, pour la seconde lamtaphore de l'asymptote. La connaissance matrialiste est la

    fois reflet du mouvement rel et approximation tendancielle dece mouvement. A la fois elle le redouble, et elle tend, sans

    jamais y parvenir, s'identifier lui. La connaissance est uneimage en mouvement.

    Considre comme processus matriel, elle est divise, selonson exactitude (reflet, caractre absolu de la connaissance) et

    selon son inexactitude (tendance, caractre relatif de laconnaissance). Cette division a pour loi interne asymptotiquede se rsorber dans l'unit. Mais deux ne fusionnent jamais enun, l'image en mouvement reste divise d'avec son objet.Lnine rappelle ici les grandes thses de Matrialisme etEmpiriocriticisme. ( Que la vrit absolue rsulte de la sommedes vrits relatives en voie de dveloppement ; que les vrits

    relatives soient des reflets relativement exacts d'un objet

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    indpendant de l'humanit ; que ces reflets deviennent de plusen plus exacts ; que chaque vrit scientifique contienne endpit de sa relativit un lment de vrit absolue, - toutes cespropositions videntes pour quiconque a rflchi l'Anti-Dhring d'Engels sent de l'hbreu pour la thorie"contemporaine" de la connaissance. (LNINE, Matrialismeet Empiriocriticisme, Editions de Moscou, 1952, p. 359.)

    C'est en ce point que se nouent, dans la thorie de laconnaissance, le matrialisme et la dialectique : la connaissance

    est processus-reflet (voir le fascicule Matrialisme etIdalisme).)

    2. La thse de l'interdpendance gnrale :

    ! ensemble des rapports multiples et divers des choses aux

    autres (point 2) ;

    - chaque chose est lie chaque autre (point 8).

    3 La thse du mouvement gnral (point 3).

    4. La thse de la contradiction comme essence interne desphnomnes :

    - tendance intrieurement contradictoire dans la chose (point 4) ;

    - la chose comme [...] unit des contraires , et la lutte deces contraires ;

    - le passage de chaque dtermination, qualit, trait, aspect,

    proprit, en chaque autre (en son contraire ?) (point 9).

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    5. La thse du dveloppement en spirale (points 13, 14)

    Les thses restantes ne sont en fait, comme le dit

    Lnine lui-mme, que des exemples de la thse sur lacontradiction, applique successivement l'analyse et lasynthse (point 7), la forme et le contenu (point 15), la quantitet la qualit (point 16). Si Ton met de ct le rappel des thsesproprement matrialistes (points 1, 10, 11, 12), on obtient donc

    finalement quatre principes de la dialectique :

    1) Interdpendance (principe de totalit).

    2) Toute ralit est mouvement, processus.

    3) La contradiction est l'essence des processus.

    4) Le dveloppement en spirale. (LNINE, Cahiersphilosophiques, E. S., p. 209 et s.)

    Ces quatre principes ne sont ni ceux d'Engels, ni ceux de

    Staline. Ils sont l'vidence regroups autour de ce que Lninedgage comme tant l'apport dcisif de Hegel : la conception

    du rel comme mouvement des contradictions. Au demeurant,aprs cette numration analytique qui n'est pas vritablementmise en ordre, Lnine en vient l'nonc d'un principe unique,qu'il encadre pour en faire mieux ressortir l'importance :

    On peut dfinir brivement la dialectique comme la thoriede l'unit des contraires. Par l, on saisira le noyau de la

    dialectique, mais cela exige des explications et un

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    dveloppement. (Ibid.)

    Dans le fragment de 1915 sur la question de la dialectique ,

    Lnine reprend avec force cette ide, et la formule cette foisnon plus sous l'angle de l'unit des contraires, mais, plusradicalement, sous celui de la scission de l'unit :

    Le ddoublement de l'un et la connaissance de ses partiescontradictoires [...] est le fond (une des essences , une des

    particularits ou marques fondamentales, sinon la

    fondamentale) de la dialectique. (Ibid.)

    Dans la conjoncture de la guerre mondiale, rvolt par l'unionsacre, la collaboration de classe sous la houlette desimprialistes, la faillite de la IIe Internationale, Lnines'empare de la dialectique comme pense de la disjonction, del'antagonisme. Il formule pour la premire fois ce qui est la

    matrice vritable de la dialectique rvolutionnaire, le principe un se divise en deux .

    I l y a l vritablement une prparation philosophique lascission du mouvement ouvrier, la ncessaire critiquedestructrice de la IIe Internationale. C'est le dchanementinluctable, l'preuve de la guerre mondiale, de la lutte entre

    les deux voies, qui est le fondement historique d'une avancedcisive de la pense dialectique.

    De la mme faon, la lutte du Parti communiste chinois contrele rvisionnisme de PU. R. S. S. s'est-elle reflte, en Chinemme, dans d'intenses polmiques philosophiques opposant leprincipe lniniste un se divise en deux la thse

    rvisionniste capitularde, et de coexistence pacifique sans

  • 8/6/2019 Alain Badiou - Thorie de la Contradiction

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    principe, dont le concentr philosophique allait prtendre quela maxime dialectique essentielle tait la loi : deuxfusionnent en un.

    On voit ici clairement que seules les fureurs de l'histoire sont l'uvre de faon cratrice dans le mouvement de laconnaissance. Non seulement Lnine dpasse et critique laformulation limite d'Engels, non seulement il place lacontradiction au centre de toute intelligence du rel, mais iln'hsite pas pousser au plus loin le primat de la contradiction

    sur l'identit :

    L'unit (concidence, identit, quivalence) des contraires estconditionnelle, temporaire, transitoire, relative. La lutte entre

    contraires s'excluant mutuellement est absolue, comme sont

    absolus le dveloppement et le mouvement. (Ibid.)

    La lutte est le seul principe absolu de la pense dialectique :voil l'essence de la dialectique comme philosophie rvolte.

    Le problme que Lnine lgue ses successeurs est le suivant :comment articuler les principes de la dialectique partir decette rvolte, partir de l'nonc unique qui en concentre tousles aspects, et qui est la loi de l'unit des contraires ?

    Accomplir cette tche, c'est donner les explications et le dveloppement qui, d'aprs Lnine, permettent de saisir lenoyau de la dialectique contenu dans le seul principe de

    Punit des contraires. S'en tenir fermement Punit descontraires, c'est--dire au principe un se divise en deux ,comme concentr axiomatique de la thorie des contradictions,

    et dvelopper partir de l l'enchanement des thses

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    subordonnes, telle est la directive philosophique de Lnine.

    3.De la contradiction

    Ds la premire phrase de De la contradiction, Mao Ts-toungreprend l'ide lniniste d'un principe fondamental unique de ladialectique matrialiste :

    La loi de la contradiction inhrente aux choses, auxphnomnes, ou loi de l'unit des contraires, est la loi

    fondamentale de la dialectique matrialiste.

    Mao Ts-toung prsente explicitement les questions traitesdans son essai comme le dveloppement d'un vaste cercle deproblmes entirement subordonn l'tude et laclarification du principe fondamental unique : L'unit descontraires. La mthode d'exposition suivie par Mao Ts-

    toung va du gnral au particulier, c'est--dire du caractreuniversel de la loi de la contradiction, aux catgories quipermettent d'analyser le mouvement d'une contradiction

    particulire (aspect principal de la contradiction, place del'antagonisme dans la contradiction).

    Du point de vue qui nous intresse, et qui est la reconstruction

    ordonne des thses dialectiques, on peut considrer que MaoTs-toung investit le principe unique de l'unit des contrairesdans cinq thses dialectiques essentielles.

    Ces cinq thses sont :

    1. Toute ralit est processus.

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    sur la question de la prise du pouvoir en Chine. Encore fallait-il

    dtruire, au sein mme du parti, les tenants dogmatiques dupass, tout spcialement en ce qui concerne le processus de laguerre rvolutionnaire.

    Les questions militaires ont en effet jou un rle dcisif dansl'approfondissement des questions philosophiques. On sait que

    Staline, gnralisant les lois particulires de l'insurrectionurbaine dgages par Lnine, soutenait la doctrine militaire del'offensive outrance, et mprisait la thse, formule par

    Clausewitz, de la supriorit stratgique de la dfensive.

    De la mme faon, tout un courant du Parti communiste chinoissoutenait, dans les annes 1925-1930, la voie de l'offensivecontre les villes, ou celle de la dfense sur place, sans aucunrecul, des zones libres.

    Certes, la loi de l'offensive outrance, de l'impossibilit d'unepause, est approprie l'insurrection : la Commune l'avaithistoriquement dmontr par la ngative, Octobre par lavictoire. Mais les lois de l'insurrection concernent un

    phnomne de rupture ponctuelle obtenue par une cumulationextrmement rapide des forces. Elles sont trs loignes duprocessus de la guerre, qui embrasse dialectiquement de vastes

    calculs sur le temps et l'espace.

    Il est caractristique de retrouver dans Mao desdveloppements considrables sur la dfensive stratgique,dveloppements o s'investit une dialectique serre de ladisposition temporelle des forces antagonistes. Prcisment,une des cibles de la brochure Les Problmes stratgiques de la

    guerre rvolutionnaire, c'est l'imitation servile des doctrines

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    militaires sovitiques :

    D'autres ont un point de vue galement erron, et que nousavons galement rfut depuis longtemps. Ils disent [...] qu'ilsuffit d'agir conformment aux lois qui ont prsid laconduite de la guerre civile en Union sovitique et de suivre lesmanuels militaires publis par les institutions militaires de cepays. Ils ne comprennent pas que ces lois et ces manuels

    refltent le caractre spcifique de la guerre civile en Unionsovitique et que les appliquer tels quels, sans y apporter

    aucune modification, reviendra une fois de plus "se rogner lepied pour l'adapter la chaussure", et nous conduira aussi ladfaite. (MAO TS-TOUNG, Problmes stratgiques de laguerre rvolutionnaire, O. C., t. I.)

    La guerre et la philosophie ont des liens particuliers, depuis

    toujours. A Parrire-plan de la lutte idologique sur les

    problmes militaires, on pourrait bien retrouver ce grief que,parat-il, Mao Ts-toung formule contre Staline : d'avoir t unmauvais dialecticien, et d'avoir trop peu tudi la philosophieallemande. Mao Ts-toung et le P. C. C. n'ont pu forger leslments positifs d'une orientation nouvelle qu'au prix de luttesidologiques impitoyables (contre Chen Tu Xiu, contre Li LiSan, contre Wang Ming, etc.).

    La division du parti lui-mme a mis au premier plan le conceptde lutte entre les deux voies comme principe moteur de

    l'intelligence des phnomnes politiques. D'o l'importanceextrme de la systmatisation dialectique.

    Dans la priode mme de l'dification du socialisme, cet aspect

    des choses s'est trouv plutt renforc : le point clef tait le

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    bilan de la restauration du capitalisme en U. R. S. S. Ce bilan

    prouvait que la voie choisie par Staline ne pouvait servir

    d'exemple, puisqu'elle n'avait pu prvenir le coup d'Etatbourgeois de Khrouchtchev. L encore, il fallait engager lecombat contre les passistes, et mettre au cur des problmesde ligne, non le dveloppement des forces productives, mais lalutte des classes sous dictature du proltariat. Non l'unitpositive de l'infrastructure, mais la scission de la

    superstructure, et du parti lui-mme, en voie proltaire et voiebourgeoise.

    Des Monts Tsinkiang la Rvolution culturelle, la pense deMao Ts-toung se formule comme contre-courant, commetravail de la division. De l qu'elle dploie de faon de plus enplus ajuste les consquences du principe de Punit descontraires. Pense rebelle par excellence, pense rvolte de larvolte : pense dialectique.

    Les cinq principes, qui s'enchanent les uns aux autres commepour s'enfoncer vers le centre des antagonismes, figurent bien

    la connaissance rvolutionnaire, mouvement vers l'action, prisede parti fracturant l'unit existante pour, selon l'nergie de cequi se scinde, s'emparer victorieusement de l'unit venir.

    Parcourons ce chemin.

    A. Premier principe : toute ralit est processus

    Ce principe est en apparence d'une grande simplicit. Il dsignele rel comme mouvement, il affirme que la nature interne deschoses, leur essence, n'est rien d'autre que la loi de leur

    transformation. Ce principe s'inscrit dans ce qu'on pourrait

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    appeler la filiation hraclitenne de la dialectique : Toutchange. Ici s'anime dans la pense la rvolte contre la mornesagesse de soumission de l'Ecclsiaste. Au rien de nouveausous le soleil , il oppose le soleil rouge insurg toujoursnouveau, sous l'emblme de quoi l'espoir affirmatif illimit desproducteurs rebelles engendre les ruptures.

    Cependant, ce principe simple et violent est un principe

    menac, constamment reconqurir dans une lutte de classesacharne, car c'est lui qui trace la ligne de dmarcation

    principale avec la tendance antagoniste : la tendancemtaphysique. L'essence de ce principe revient en effet affirmer qu'un tat donn de la ralit est par principetransitoire, autrement dit que la loi des choses n'est jamais

    l'quilibre, ni la structure, mais au contraire la rupture de toutquilibre et, par consquent, l'inluctable dveloppement de ladestruction de l'tat des choses existant.

    Telle est la porte proprement rvolutionnaire de ce premierprincipe : il prend position d'un point de vue qui ne peut jamais

    tre celui de la conservation. En un sens, il rpudie toutobjectivisme : ce qui se donne un moment comme ralitn'est en son fond que le mouvement par quoi cette ralit sedfait et se change en une autre. A proprement parler, le rel ne

    relve pas de la catgorie de l'objet. L'objet en effet est ce quise donne connatre comme tat ou comme figure. Or tout tatou figure a pour contenu le procs ininterrompu de samtamorphose.

    En ce sens, l'objet s'oppose au processus, comme la

    mtaphysique la dialectique. La mtaphysique, qui est, en

    dernier ressort, thorie de l'identit, est anime par un puissant

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    figures de transition ne sont pas rellement dtruites, maisparcourues et reparcourues dans un mouvement circulaire, qui

    ne les abandonne que pour les conserver dans une identit detype suprieur.

    Hegel se propose d'engendrer la ncessit du mouvement partir d'un geste initial indcomposable. Il en rsulte que lamtaphysique travaille chez lui du dedans la dialectique, crantainsi des ruptures et des inconsquences qui constituent, dansson uvre mme, une vritable symptomatologie de la lutte des

    tendances. (Nous montrerons dans notre fascicule sur ladialectique hglienne que la lecture marxiste de Hegel estessentiellement une lecture divise : elle repre dans lesruptures et les inconsquences du processus dialectique leconflit des tendances matrialistes et idalistes.

    C'est du reste ce que dit Engels : [...] bien que Hegel et

    considr mainte relation particulire avec tant de justesse et degnie, les raisons indiques rendaient invitable que le dtailaussi tourne souvent au ravaudage, 1'artifice, laconstruction, bref, la perversion du vrai (ENGELS,Socialisme utopique et Socialisme scientifique, O. C., t. III, P.

    136).)

    C'est que l'ide du commencement simple est un prsuppostypiquement mtaphysique, c'est--dire conservateur. La trace,dans la philosophie marxiste-lniniste-maoste, du primat de lapratique, c'est que la thorie par elle-mme ne commencejamais rien.

    II ne peut y avoir de degr zro du thorique : le mouvement de

    la connaissance a toujours dj commenc, puisqu'il inclut la

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    pratique comme un de ses termes. Or la pratique, qui est la

    ralit immdiate, se prsuppose constamment elle-mme.C'est ce que remarque fort bien Lnine : Dans la nature et dans la vie, il y a des mouvements "vers le

    nant". Seulement "venant du nant", sans doute, il n'y en apas. Toujours partant de quelque chose. (LNINE, Cahiersphilosophiques, E. S., p. 127.)

    Non seulement tout est processus, mais a) tout processus

    s'enchane d'autres, et b] toute connaissance d'un processus,en tant que moment de son dveloppement, a toujours djcommenc.

    Nier cela, c'est :

    - ou bien tre, comme Hegel, franchement idaliste : la

    connaissance commence, parce que l'Ide engendre le relcomme Tout ;

    - ou bien postuler qu'il existe un point d'appui absolu, une mise

    en suspens quilibre du processus rel, o la thorie trouveune origine objective immobile, et peut donc s'extraire du dj-l d'un processus en cours. Ds lors la thorie n'est rien d'autre

    que la gardienne de cet quilibre postul : fonctionconservatrice de la mtaphysique.

    Si l'on considre maintenant l'insistance mise par Althusser etD. Lecourt formuler le principe dialectique du mouvementcomme processus sans sujet ni fin , on verra qu'elle engage

    une sophistique restrictive, et le choix d'un camp. Cet

    objectivisme intgral masque que tout changement opre du

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    sujet ? Lnine ne souffle mot de la question du sujet dans soncommentaire sur l'Ide absolue. Mieux mme : quand il aborde- ailleurs - les chapitres que Hegel consacre la catgorie dusujet, Lnine n'entreprend d'aucune manire de supprimertout sujet . Ce qui l'intresse, c'est de saisir la dialectique, lemouvement contradictoire, du subjectif et de l'objectif. Pour

    Lnine, il s'agit de prendre appui sur Hegel pour en finir avecVuni-latralit des catgories de sujet et d'objet, ds lors qu'onles spare (opration mtaphysique) ou qu'on annule l'uned'entre elle (idalisme absolu ou matrialisme mcaniste).

    Trs bon, le paragraphe 225 de l'Encyclopdie o la"connaissance" ("thorique") et la "volont", Inactivitpratique", sont reprsentes comme deux aspects, deuxmthodes, deux moyens de la suppression de l'unilatralit"tant de l'objectivit que de la subjectivit. (LNINE, Cahiersphilosophiques, E. S., p. 198.)

    Ds lors, le problme de Lnine ne saurait tre de supprimer le sujet, retombe rgressive dans Punilatralit de l'objectif.Le problme est de rflchir la fois la scission et l'actionrciproque des deux catgories (sujet et objet) dans lemouvement gnral d'un processus, sans exclure que le facteursubjectif puisse tre la clef de ce mouvement. Programme que

    Lnine formule ainsi, au plus prs de Hegel : Si Ton considre le rapport du sujet l'objet dans la logique,il faut prendre aussi en considration les prmisses universellesde l'tre du sujet concret (= vie de l'homme} dans la situationobjective. (Ibid., p. 192.)

    Toute l'opration althussrienne revient poser l'quation :

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    Origine = Dieu = Sujet, et conclure triomphalement que,supprimant l'Origine et Dieu, Lnine construit, aprs Hegel, leconcept de processus sans sujet.

    Mais Althusser ne fait ici que prter gnreusement Lnine sapropre myopie dialectique. L'Origine (le Constituant, le

    Transcendantal...) ne sont pas le Sujet, mais ses prdicatsidalistes. De ce que l'Origine ou Dieu soient supprimer, cequ'un matrialiste lmentaire exige en effet, il rsulteseulement que le concept de sujet se divise, en sa formulation

    idaliste, accole de force des notions idologiques deprovenance religieuse ou juridique, et sa formulation

    matrialiste en termes de processus. De processus avec sujet.

    Rien n'est plus frappant que l'obstination d'Althusser rduirele rapport Lnine-Hegel des contenus ngatifs, deuxcontenus ngatifs foncirement apparis : la critique de Kant et

    la critique de la catgorie de sujet. (D. Lecourt, en bon disciple,souligne et aggrave cette obstination : Ce qu'il [Lnine]retient, en effet, dans ses notes, ce sont essentiellement - sinon

    exclusivement - les passages o Hegel critique la philosophiede Kant (D. LECOURT, Une dise et son enjeu, Maspero, p.

    51). On ne saurait dire plus fortement des choses si fortement

    inexactes.)

    Or, s'en tenir aux notes sur l'Ide absolue, ce sont deux idesrsolument positives qui passionnent Lnine, ides surlesquelles - ce qui est en vrit scandaleux - Althusser ne ditrigoureusement rien. Ces deux ides sont :

    - L'unit dialectique de la thorie et de la pratique, l'inclusion

    de la pratique dans le mouvement de la connaissance, le

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    lesquelles elle vit et agit, ne peut acqurir d'elle-mme uneconscience de classe. Ce qui transforme la classe ouvrire de"classe en soi" en "classe pour soi", c'est le parti. (Enver

    HOXHA, Rapport au 6e Congrs du P. T. A., Editions NamFrashri , p. 234.)

    Dans le processus gnral de la libration de l'humanit, lesclasses exploites sont invariablement le sujet de l'histoire,puisque ce sont les masses qui font cette histoire. S'il n'y a ni

    Dieu, ni Origine, il y a bel et bien sujet crateur :

    Le peuple, le peuple seul, est la force motrice, le crateur del'histoire universelle. (MAO TS-TOUNG Du gouvernementde coalition, O. C.,t. III.)

    Mais les esclaves et les serfs sont encore des sujets objectifs,

    des sujets partiellement non diviss (sinon embryonnairement,

    utopiquement) en sujet en soi et sujet pour soi. Le proltariatparvient l'appropriation subjective de son rle de sujet travers la fusion du marxisme et du mouvement ouvrier rel,c'est--dire la corrlation divise de la classe sujet-objet et de laclasse sujet, corrlation qu'incarn ce processus sansprcdent : le parti de classe.

    Ds le Manifeste, il est clair que, pour Marx et Engels, lescommunistes ne peuvent fonder leur identit sur un processusrvolutionnaire sans sujet : s'en tenir au mouvement rel,ils ne sont que la fraction la plus avance des partis ouvriersde tous les pays. C'est dans l'lment subjectif qu'ils entrent endialectique avec le mouvement ouvrier, car ils ont sur le reste

    du proltariat l'avantage d'une intelligence claire des

    conditions, de la marche et des fins gnrales du mouvement

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    proltarien . (MARX, ENGELS, Manifeste du Particommuniste)

    Processus sans sujet ni fin, dit D. Lecourt. Qu'est-ce alors queles communistes ? Les communistes ne sont en effet rien

    d'autre que ce par quoi le parti ouvrier (la classe

    combattante) devient sujet du processus historique par la

    matrise de ses lois et de son but.

    Mais on ne s'tonnera pas de voir l'inventeur de la pratique

    thorique s'aveugler sur l'enthousiasme de Lnine pour ladcouverte hglienne de la pratique comme momentcontradictoire de la connaissance. Quant l'vanouissement dusujet, il convient merveille celui qui barre la questionfondamentale de la rvolution proltarienne en France : laquestion de l'tat subjectif du proltariat.

    Et plus prcisment celui qui biaise, se recroqueville et,vritable seiche politique, se noie dans son encre, quand on luipose la seule question claire qui vaille : oui ou non, Althusser,

    ce P. C. F. dont tu es membre est-il en France aujourd'hui le

    parti de la classe ouvrire ? Est-il le proltariat comme sujetde son histoire rvolutionnaire ? Et, sinon, quelle rvoltecontre les usurpateurs peut bien servir de raison ta thorie

    passive du processus sans sujet ?

    Pour Althusser, on n'a jamais vraiment raison de se rvoltercontre les ractionnaires, et surtout pas contre les ractionnairesdu P. C. F. Nier, sous couvert d'objectivisme, que le proltariatpuisse se constituer en sujet de l'histoire, c'est laisser le champ

    libre cet objet bourgeois qui dclare le reprsenter : le parti

    rvisionniste.

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    Nier, sous prtexte de lutte contre la finalit idaliste, que leproltariat soit porteur du programme du communisme commede la fin de la prhistoire humaine, c'est apporter son soutienaux forces de rgression bourgeoise dans l'dification dusocialisme, ceux qui, justement, entendent dtourner ladictature du proltariat de toute reprsentation claire de sa fin :la socit sans classes, le dprissement de l'Etat.

    Au fond, la thorie du processus sans sujet ni fin annule le

    premier principe (le principe de mouvement) par la fixitobjective o elle l'enferme. Elle fait prvaloir le devenircomme effet diachronique des structures objectives sur le

    mouvement comme lutte et nouveaut. Elle se place du ct dela conservation des quilibres existants, qu'aucune irruption desmasses en rvolte comme sujet de l'histoire ne doit venirperturber. Elle est l'exemple mme d'un suintement

    mtaphysique dans le discours dialectique : dfinition durvisionnisme en philosophie.

    Le premier principe de la dialectique doit donc treopinitrement dfendu contre sa corruption rvisionniste(penser le processus comme identit structurale objective) et sacorruption mtaphysique ouverte (penser le processus comme

    auto-engendre-ment du complexe partir du simple, postulerune Origine).

    Tenir ferme sur ce principe engage de faon dcisive laposition de classe en philosophie.

    B. Second principe : tout processus est un ensemble

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    de contradictions

    La ligne de dmarcation ici trace oppose radicalement ladialectique l'volutionnisme. Le mouvement n'opre pas parengendrement linaire des termes successifs : tout terme duprocs est lui-mme en tat de division, et le ressort dumouvement est cette division mme. La critique du principemtaphysique d'identit doit aller jusqu' la thse selon quoi untat transitoire de la ralit n'a prcisment pour tre que latransition, c'est--dire la scission interne dont il n'est que le

    dveloppement.

    Il ne suffit pas de dire que les choses sont en mouvement, il

    faut aussi reconnatre que le concept mme de chose relve,non d'une logique de l'identit, mais d'une logique de lascission. Non seulement la ralit ne se rsorbe pas dansl'unicit d'un tat ou d'un quilibre, mais l'unicit elle-mme

    n'est pensable que comme division. Le mouvement n'est pasune succession d'units mais un enchevtrement de divisions.Pour paraphraser Lnine, nous dirons : celui-l seul estdialecticien qui tend la reconnaissance de la ralit commeprocessus jusqu' la reconnaissance du principe un se diviseen deux .

    Un se divise en deux n'est pas un principe d'en-gendrement du deux partir du un . Un se divise en deux signifie : iln'est d'identit que scinde. Non seulement la ralit estprocessus, mais le processus est division. Le rel n'est pas cequi rassemble, mais ce qui spare. Ce qui advient est ce quidisjoint.

    Plus un processus est dveloppe, plus la croissance

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    nouvelle lutte entre les deux voies qui scinde aussitt le campvictorieux. (La Phnomnologie de l'Esprit, Aubier, t.II, p.123.)

    C'est un puissant encouragement pour les maostes de sesouvenir qu'Engels, contre les pleureuses de l'unit tout prix,contre les petits-bourgeois distribuant, du haut de leurs

    tabourets, leurs sentences dsengages sur les querelles degroupuscules , affirme la valeur cratrice des divisions, etmaintient qu' travers ces froces querelles se forge un nouveautype de solidarit ouvrire , c'est--dire une nouvelle

    avance du proltariat rvolutionnaire.

    Aujourd'hui en France, la diversit conflictuelle des groupestraduit l'tat rel du mouvement, et loin d'tre un artificedcourageant, la violence de leurs conflits idologiques est lelieu mme o s'annonce l'avenir. Se tremper dans ces conflits ety prendre clairement position : le reste n'est qu'unanimisme

    fallacieux, populisme inoprant ou somnolence rvisionniste.Un se divise en deux.

    Reconnatre et tenir cette maxime n'est pas facile. En Chine, leprincipe un se divise en deux a t l'enjeu d'intensespolmiques, qui s'inscrivent ni plus ni moins dans laprparation idologique de la Rvolution culturelle. C'est en

    effet en 1964 que Yang Hsien-Tchen a mis en avant le principe deux fusionnent en un comme second noyau de la

    dialectique.

    L'argumentation de Yang Hsien-Tchen revient diviser leprincipe gnral de l'unit des contraires, en accentuant defaon spare unit (deux fusionnent en UN) et

    contraires (un se divise en deux) ; puis, et c'est l l'essentiel,

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    faire s'quivaloir les deux noncs. Nous retrouvonsimmdiatement ici le ressort de toutes les oprationsmtaphysiques de rvision de la dialectique : le postulat &

    quilibre (ici, entre deux thses contradictoires), biais parlequel l'identit l'emporte nouveau sur la contradiction. (Surtout cela, voir l'article : Deux fusionnent en un, philosophie

    ractionnaire de la restauration capitaliste , Pkin information,24 mai 1971.)

    Pour parvenir justifier l'quilibre entre unit et contrarit,

    Yang Hsien-Tchen devait prcisment en finir avecl'universalit de la contradiction, c'est--dire avec ladcomposition inluctable de tout terme-en partiescontradictoires. Pour cela :

    a) II assignait l'unit (des contraires) un contenu positifsparable, distinct de chacun des deux termes : il parlait des

    points communs aux deux contraires, l'unit rsultant del'existence et de la sommation de ces points communs . A la

    dynamique de la lutte se substituait ainsi la confrontation de

    deux totalits compatibles : l'unit devenait l'intersection pleinede deux ensembles.

    A cela la thse dialectique oppose que l'unit des contraires

    n'est rien d'autre que leur corrlation, leur complmentarit,c'est--dire leur lutte, leur exclusion rciproque. Pas debourgeoisie sans proltariat, certes, ni de rvisionnistes sansmarxistes-lninistes. Mais rien de commun entre bourgeoisie etproltariat, entre rvisionnistes et marxistes-lninistes, sinon dedfinir par leur irrconciliable altrit conflictuelle l'unitdivise d'un processus historique : celui de la lutte des classes,

    celui de la lutte entre les deux voies dans le mouvement

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    ouvrier. L'unit (des contraires) est un rapport, non uneidentit.

    L'intersection des contraires est vide. Elle ne se remplit quepour autant qu'on considre les deux termes comme n'en faisantqu'un dans leur opposition un troisime, mais on a chang deprocessus : proltariat et bourgeoisie nationale n'ont, en tantque contraires, rien de commun. Cela tant, le peuple, dans sonopposition un agresseur imprialiste, peut contenir la fois leproltariat et la bourgeoisie nationale.

    Mais le processus dont il s'agit n'est plus alors le processus

    initial (celui de la rvolution proltarienne), c'est un processusnouveau (la guerre de libration nationale) dont le contenu estune contradiction nouvelle (peuple/agresseur imprialiste). Or,du point de vue de ce processus, deux ne fusionnent pas

    plus en un que prcdemment : entre le peuple et

    l'agresseur imprialiste, il n'y a rien de commun.

    b) Yang Hsien-Tchen posait qu'il existe des termes indivisibles,

    des liens qui ne peuvent se dfaire.

    La dialectique affirme en revanche l'universalit du principe descission :

    Dans la socit humaine, comme dans la nature, un tout sedivise toujours en parties, seuls le contenu et la forme varient

    selon les conditions concrtes. (MAO TS-TOUNG, Intervention la Confrence nationale du Parti communistechinois sur le travail de propagande , Cinq Essais

    philosophiques, Editions de Pkin, p. 283.)

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    c) Yang Hsien-Tchen posait que la synthse (deux fusionnenten un) doit obligatoirement complter l'analyse (un se divise endeux).

    La dialectique ignore ce type de synthse, concept opportunistepar excellence. L'avnement d'un nouveau processus (d'unenouvelle unit des contraires) se fait par disparition des termesde la contradiction prcdente, c'est--dire l'issue de ladestruction d'un des termes par l'autre, laquelle entranencessairement la division du terme victorieux.

    C'est cette division qui va dfinir et rgir le nouveau processus.La synthse est processus de destruction/division. Labourgeoisie dtruit l'ordre fodal, mais l'ordre capitaliste qu'elledirige se scinde aussitt selon la contradiction Etatbourgeois/rvolution proltarienne.

    Le concept dialectique de la synthse, c'est l'en-gendrementd'une nouvelle scission, et rien d'autre.

    L'offensive philosophique de Yang Hsien-Tchen visait donc

    bien affaiblir le deuxime principe : le principe decontradiction, en lui infligeant la limite quilibrante d'unprincipe quivalent ( deux fusionnent en un ), son tour

    monnay en identit de contenu, indivisibilit et synthse.A l'arrire-plan : la scission du mouvement communisteinternational, l'tendue et les implications de la lutte mortcontre le rvisionnisme moderne et sa citadelle : l'Etatsovitique.

    Yang Hsien-Tchen tait le philosophe de la rconciliation des

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    contraires, sous couvert d'tre celui de leur unit.

    Pour mesurer la vigilance ncessaire au combat sur ce que lesChinois appellent le front philosophique , prenons la mesurede ce fait : dans les annes soixante, Yang Hsien-Tchendveloppait son concept deux fusionnent en un l'Ecolesuprieure du parti. Pas moins.

    C. Troisime principe : dans tout processus, il y a unecontradiction principale

    Au point o nous en sommes, on pourrait penser que le relcomme enchevtrement de divisions ne connat aucun domaineparticulier, mais seulement le systme gnral de cetenchevtrement. En un certain sens, ceci est vrai : il y ainterdpendance de toutes les contradictions. Nous avons vuqu'Engels et Staline dveloppaient amplement ce point.

    En un autre sens cependant, on peut apprhender des domainesde ralit dots d'une cohrence dialectique propre. Ce sont dessystmes de contradictions dont la dtermination qualitative estfixe par leur subordination une contradiction principale. Iln'y a sens parler d'un processus que pour autant qu'onenvisage un systme de contradictions dont l'interdpendance

    se trouve rgle par leur subordination qualitative une descontradictions du systme.

    Par exemple, le mouvement historique d'une socit capitalistepeut tre considr comme un processus qualitatif dtermin,pour autant qu'on y repre la contradictionbourgeoisie/proltariat comme contradiction principale. Une

    lutte d'usine particulire est spcifie par la contradiction

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    principale ouvriers/patron. Il est bien clair que la contradiction

    principale dtermine la nature qualitative du processus, sontype d'unit gnrale, mais que le processus lui-mmecomporte bien d'autres contradictions.

    Par exemple, une grve ouvrire inclut ncessairement, etsouvent aggrave, de nombreuses contradictions entre ouvriers

    (grvistes/jaunes, ouvriers rvolutionnaires/syndicalistes C. G.T., etc.). Ces contradictions autres que la contradiction

    principale seront gnralement dsignes comme

    contradictions secondaires. Mais la mesure interne dudveloppement des contradictions secondaires relve de leurarticulation la contradiction principale, du point de vue duprocessus envisag.

    Par exemples, les contradictions entre ouvriers dans une grverelveront du processus grve , pour autant qu'elles affectent

    le dveloppement de la contradiction principale ouvriers/patron(affaiblissement du camp ouvrier, manifestations de tendances

    ultra-gauches, liquidations syndicales, etc.). Dans le cours du

    mouvement, les liens dialectiques entre la contradiction

    principale et les contradictions secondaires se modifient sans

    arrt, et ils se modifient sur le mode de l'interaction.

    Il est clair par exemple que le patron va tout mettre en uvrepour aggraver certaines des contradictions entre ouvriers, parce

    que, en retour, cette aggravation modifie en sa faveur le rapport

    entre les termes de la contradiction principale. Mais les

    maostes peuvent galement attaquer un certain type d'unitsyndicale molle : de svres contradictions entre ouvrierspeuvent tre un facteur de renforcement de leur camp, si par

    exemple elles opposent de manire victorieuse une orientation

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    rvolutionnaire consquente une orientation rvisionniste.Ces liens d'interdpendance peuvent aller jusqu'au changementde la contradiction principale elle-mme.

    Il se peut que l'essence du mouvement devienne l'affrontement

    entre voie rvolutionnaire et voie rvisionniste, et que lacontradiction immdiate avec le patron autour d'enjeuxrevendicatifs particuliers devienne du mme coup unecontradiction secondaire, c'est--dire une contradiction propos de quoi s'est affirme, au sein du mouvement ouvrier,

    une nouvelle contradiction principale.

    Du coup, la nature qualitative du processus est modifie ; il nesera plus essentiellement dtermin comme grve , maiscomme lutte entre les deux voies. Son espace ne sera plus

    conomique, mais politique. Le processus d'ensemble auquelappartiendra la grve sera moins le conflit de classe autour du

    taux de plus-value, que l'dification de nouvelles organisationsrvolutionnaires antirvisionnistes, etc.

    L encore, une reconnaissance statique du principe de lacontradiction principale peut relever de la mtaphysique. Il nesuffit pas d'admettre que tout processus est qualitativement

    dtermin par une contradiction principale. Il faut aussi

    reconnatre que c'est le systme des contradictions, pris dansson ensemble, qui est en mouvement, qui est processus, et quel'intelligence du phnomne porte sur les corrlations, en voiede transformation incessante, entre la contradiction principale

    et les contradictions secondaires.

    A cet gard, l'idologie massiste issue de 68 excelle dans

    l'aplatissement de l'analyse dialectique. Dans Libration, ou

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    n'importe quel journal gauchiste , il sera partout question

    des ouvriers en lutte , du mouvement , de la lutte des

    employs contre leurs chefs , de la lutte cologique contre lesystme , etc.

    C'est la rptition infinie de la mme contradiction principale : les masses contre le pouvoir, sans voir qu' fourrer dans lemme sac (le mouvement ) des totalits htrognes etprofondment divises on s'interdit de comprendre o, et dansquelles conditions, le nouveau advient en tant que devenir

    principal d'une contradiction secondaire d'un processus.

    Or, c'est toujours ainsi qu'advient le nouveau : ce ne sont

    jamais les masses , ni le mouvement qui portent en bloc

    son engendrement, mais ce qui en eux s'est divis de l'ancien.Par exemple : ce qui s'est affranchi du syndicalisme dans la

    rvolte ouvrire, ou ce qui s'oppose la tutelle des grandes

    forces bourgeoises (fascisme et social-fascisme) dans lemouvement populaire portugais.

    Un pareil gel du principal, ultra-gauche en apparence (toujours

    les mmes masses exaltes contre l'identique pouvoir,l'invariable systme), converge absolument avec lervisionnisme, qui lui aussi tente de protger ses positions

    politiques en exaltant l' unit populaire contre le pouvoir enplace.

    Quel maoste ne s'est pas fait traiter de diviseur par unroquet de la C. G. T. ? Eh bien oui ! Nous sommes pour un se

    divise en deux . Nous sommes pour la croissance en scission

    du nouveau. Nous ne voulons ni des masses ultra-gauches

    sanctifies et obscures, inoprantes et rptitives, ni de l'union

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    bourgeoisie/ proltariat, mais parce que, dans cettecontradiction principale, la bourgeoisie est l'aspect principal de

    la contradiction : la bourgeoisie domine, c'est--dire parvientencore fixer son avantage les modalits et le cadre de sonaffrontement au proltariat.

    Il est clair que la thorie de l'aspect principal, comme celle dela contradiction principale, a pour contenu le mouvement du

    rapport entre ce qui est principal et ce qui ne l'est pas. La

    dialectique a moins pour objet le reprage du principal que le

    devenir principal du secondaire, et son corrlat dialectique : ledevenir secondaire du principal.

    Mais cela prcisment fait problme. Que dsigne dans cesconditions le mot principal , ds lors que c'est la conversionen son contraire (le secondaire) qui en constitue l'essence ? Et

    surtout : si principal et secondaire se convertissent l'un dans

    l'autre, faut-il comprendre que la loi suprme de la dialectiqueest un simple principe de permutation, un simple change desplaces ?

    Cette question est d'une grande porte philosophique. Lapermutation, la loi d'change, est en effet le ressort essentiel detoutes les idologies de type structuraliste. Or les implications

    politiques de ces idologies sont bien connues : si lemouvement de la ralit se rsout dans une analysecombinatoire, il est certain que l'essence de ce mouvement

    rside dans ses invariants, c'est--dire dans les rgles quirgissent les permutations.

    En ce sens, toute nouveaut est largement apparente : le

    dplacement des termes de place en place laisse intacte la

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    structure d'change sous-jacente. La mobilit des apparencesrenvoie une systmatique ferme. Le conservatisme essentielde toute pense structurale risque en ce point de changer ladialectique en son contraire : la mtaphysique.

    La forme aujourd'hui la plus agissante de cette conception est

    l'anarchisme. Elle pose que, ds lors qu'existe une structurequelconque de pouvoir, c'est--dire un ordre tatique, ladistribution des places est rgle en son fond par le coupledominant/domin, et que tout dplacement apparent laisse

    intacte la structure politique essentielle.

    Le mot rvolution devient lui-mme suspect, pour autantqu'il signifierait justement le changement de l'aspect principal

    de la contradiction. Qu'un parti proltarien vienne occuper laplace tatique n'est qu'une permutation sans intrt. On prfrele mot subversion , qui dsigne la dsagrgation universelle

    de toute place dominante, quelle qu'elle soit. On privilgieral'errance, la drive, le hors-place, tout ce qui s'exclut - du moinsen apparence - de la combinatoire et du jeu des permutations.

    On se dclarera dans les marges : marginaux, journal Marge.

    Loin d'tre, au demeurant, une invention politique des derniresannes, une nouveaut surgie des entrailles de Mai 68, ce

    procs intent au concept classique de rvolution n'est qu'uneversion la fois sophistique et prodigieusement affadie desvaticinations de Stirner.

    La doctrine de Stirner oppose la rvolte la rvolution dansdes termes exactement identiques ceux dont la dcompositiondu mouvement rvolutionnaire petit-bourgeois issu de Mai 68 a

    rpandu un peu partout le charabia pestilentiel. La seule

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    diffrence tient dans la petite variation lexicale qui a substitupartout le mot dsir au mot gosme , vrai dire plusfranc, qu'utilis saint Max (Stirner).

    Pour le reste, saint Gilles (Deleuze), saint Flix (Guattari), saintJean-Franois (Lyotard) occupent la mme niche dans laCathdrale maniaque des chimres. Que le mouvement soitune pousse dsirante, un flux qui file ; que toute institutionsoit paranoaque, et htrogne par principe au mouvement ; que rien ne se fasse contre l'ordre existant, mais

    selon une schize affirmative qui se retire de cet ordre ; qu'ilfaille donc substituer toute organisation, tout hideuxmilitantisme, l'autogestion ? ou l'association, on se querelle l-dessus dans certaines chaumires ? du mouvement pur : toutesces rvisions audacieuses, dont on prtend qu'elles dressentcontre le marxisme-lninisme totalitaire la fulgurantenouveaut des masses marginales en dissidence, sont mot pour

    mot ce que Marx et Engels, dans L'Idologie allemande,avaient mettre en pices - vers 1845 ! - pour dblayer leterrain d'une systmatisation enfin cohrente des pratiquesrvolutionnaires de leur temps.

    Il faut le lire pour le croire, tant l'invariance historique de cette

    pense, dont le principal argument est aujourd'hui sa prtendue

    nouveaut radicale , stupfie. Lisons donc : [La rvolte] est un soulvement des individus, une monte,indiffrente aux institutions qui en surgiront. La rvolutionvisait tablir de nouvelles institutions : la rvolte nous amne ne plus Nous laisser embrigader dans les institutions, mais aucontraire Nous organiser Nous-mmes.

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    qu'ils travaillent l'enseigne de ce quelque chose de neuf et

    d'affirmatif [qui] se lve [et] nous prend tout entiers (p. 130).

    L'Anti-dipe s'orne d'un index qui ne comprend pas moins de

    197 noms propres : mais ni Stirner, ni Bakounine, niProudhon, ni mme Rosa Luxemburg : aucun de ceux qui, sur

    l'essentiel, c'est--dire les quelques conclusions pratiques -

    dsastreuses - auxquelles ce monument peut conduire, ont dj

    dit rigoureusement la mme chose. Imaginons un instant notre

    livre, identique en substance, mais pourvu d'un index copieux

    d'o seraient absents Hegel, Marx, Engels, Lnine et Mao Ts-

    toung ! Il est vrai que notre conception du neuf et de1' affirmatif doittre essentiellement diffrente. Cela tient

    ce qu'elle opre tenacement dans la ralit ouvrire et

    populaire, dont nos autodlectateurs sont forclos, eu gard

    leur rpugnance libidinale pour 1' idal militant .)

    Marx et Engels dmontent avec une patience infinie tous les

    rouages de cette mascarade conceptuelle. Ce qu'ils trouvent aufond des frissons d'extase de la rvolte la Stirner, et deson opposition radicalement nouvelle (dj en 1840) toutprocessus rvolutionnaire organis ; ce qu'ils dbusquentimplacablement dans la substitution au renversement de ce

    qui existe de l'ineffable existence du renversement

    (MARX, ENGELS, L'Idologie allemande, E. S., p. 414(cita-

    tion de Stirner)? tout comme nos rptiteurs modernes dressent le dsir de rvolution contre la directionrationnelle et centralise du projet politique du proltariat ?,c'est la vacuit bourgeoise, conservatrice et juridique, duprincipe d'identit. Je est Je parce qu'il n'est pas un autre, leDsir est le Dsir parce qu'il est le mien.

    Cette ''unicit" tant vante, qui se distinguait si bien de la

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    "conformit", de l'identit de la personne, que Sancho ne voyaitdans les individus qui ont exist jusqu'ici que des"exemplaires" d'une espce, ou peut s'en faut, voil qu'elledisparat pour se rduire l'identit d'une personne avec elle-mme, telle que la police l'tablit, au simple fait qu'Un individun'est pas l'Autre. Et voil Sancho, ce gant lanc l'assaut dumonde, rduit la taille d'un employ du bureau despasseports. (Ibid., p. 485. Sancho , c'est Stirner,

    videmment.)

    L'anarchie se change en police, la subversion de l'Etat en fichesd'tat civil : nous voici reconduits au structuralisme, pense desinvariants, des atomes permutables, pense de la classification,de la combinaison ; rduction finale du mouvement auchangement de place de l'Identique.

    La conception anarcho-dsirante est entirement poreuse au

    solide objectivisme bourgeois. Sa vision des choses s'oppose enapparence au structuralisme, puisqu'elle se fixe comme objectif

    la dissolution de toute structure. Mais elle est profondmentstructuraliste, en ce qu'elle ne pense la contradiction que

    comme mouvement de substitution, et exclut toute

    apprhension d'une diffrence qualitative quelconque entredeux types de domination.

    Pour cette pense, toute scission est mouvement d'change,toute lutte est prestation rciproque, toute victoire est dfaite :au moment mme o je plie l'adversaire ma loi, je t