magnétisme brach

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  • 7/30/2019 Magntisme Brach

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    Annuaire EPHE, Sciences religieuses, t. 116 (2007-2008)

    Conrences de M. Jean-Pierre Brach

    Directeur dtudes

    Histoire des courants sotriques dans lEurope moderne et

    contemporaine

    Dans la perspective, terme, d une tude sur les doctrines de lme-harmonie

    et leur expression mathmatico-musicale la Renaissance, nous avons commenc examiner, en premire heure, les pages consacres larithmtique et lagomtrie dans leDe Anima de Cristooro Marcello (Venise, 1508).

    Rcemment redcouvert par S. Toussaint (qui a procur un ac simile deson ouvrage Phnix Editions, 2004 , prcd dune prace qui ait le pointactuel sur l auteur et laquelle nous empruntons l essentiel des prcisions quisuivent), le trs oubli Marcello est un patricien vnitien, dont on ignore ladate de naissance mais qui ut, ds 1500, protonotaire apostolique ( linstardu trs jeune Pic, en 1473). Aprs des tudes utriusque juris et avoir obtenu un

    canonicat Padoue, il sinstalle Rome, la cour ponticale, o il entretientd excellentes relations avec les papes Jules II, Lon X et Clment VII, au pointde prononcer plusieurs discours en leur prsence, dont une adresse la quatrimesession du concile de Latran, en dcembre 1512. Nomm archevque de Corouen 1514, il se signale encore par la publication, Florence en 1521, de l un destout premiers traits antiluthriens. Aprs avoir donn quelques autres travaux(discours, uvres thologiques), il meurt assassin par la soldatesque espagnole, loccasion du sac de Rome de 1527.

    Cours donn(s) Padoue ou, peut-tre plus vraisemblablement (mais lunnexclut pas absolument lautre, de ait), rlaboration de leons ventuelles enorme de trait systmatique , leDe Anima se veut trs consciemment une somme sur les doctrines psychiques, rassemblant caractres scolastiqueset traits humanistes, comme l a relev S. Toussaint.

    Nourri dAristote et de ses commentateurs antiques et mdivaux, maisaussi de Platon et de la tradition noplatonicienne, quil lit en latin dans lestraductions contemporaines procures par Ficin, Barbaro ou Donati, Marcelloambitionne de ournir une prsentation exhaustive des thories mdicales,cosmologiques, thologiques sur lme, cosmique ou individuelle, en mmetemps que d en aciliter au lecteur l analyse et la conrontation. Dans un esprit

    quelque peu concordiste , qui rappelle mutatis mutandis le jeune Pic (dont il avraisemblablement consult les Conclusiones de 1486), Marcello ne s attache pasqu juxtaposer la prsentation de traditions direntes, ou qu souligner leursdivergences invitables ; il veut en outre en montrer la conciliation possible, au

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    moins dans certains cas, au terme dune enqute philosophique minutieuse quirevendique un examen critique soupes des positions en prsence, enqute prciseen laquelle il voit son principal apport personnel au thme en question.

    Divis en six livres ort abondants, leDe Anima aborde successivement, etselon une progression dlibre, les dnitions ondamentales de l me, de sesacults spciques et de son rle naturel, ondes videmment sur Aristote ; lesthories platoniciennes et mdicales sur la nature et les onctions organiques,animatrices et gnratives de l me ; son rle dans la perception sensible, d aprsAverros et la tradition pripatticienne ; le onctionnement de ses diversesacults : sens interne , imagination, rve, mmoire ; les intellects agent etpatient, lme rationnelle et ses onctions cognitives ; l me du monde, la doctrinede l me-harmonie et son expression mathmatique (Time), la psychosophie ,

    licit et immortalit de lme.C est au sixime et dernier livre duDe Anima qu appartiennent tout naturel-lement les pages qui ont retenu notre attention (chap. LV-LVI, ol. 290v-292r).S appuyant expressment sur certains dveloppements contenus au livre VII delaRpublique (523b-529e), Marcello s attache au thme classique des disciplinesmathmatiques considres comme une propdeutique lacquisition de lasagesse vritable. Contrairement ce que lon croit et lit parois, et pour trenonobstant assez rpandue chez les Humanistes, du cardinal de Cuse G. Vallaou C. de Bovelles, cette aon denvisager larithmtique et / ou la gomtriene ait cependant pas chez eux lunanimit, mme chez ceux qui, comme lePic des Conclusions magiques ou mathmatiques par exemple, tiennent pourle recours aux transpositions analogiques des nombres. Complexe, la questiondu nombre ormel est lie chez ce dernier au statut la ois ontologique etcogniti de l intellect et de ses objets propres ; elle se combine en outre auxproblmatiques ambigus de la magie et de la kabbale, voire de la prophtie,comme occasions d appliquer les mathmatiques la connaissance des diversesdimensions de la philosophie naturelle , telle qu il l entend. Cest en quelquesorte prendre la question par en-haut, tandis que la perspective mise en uvrepar Marcello, la suite de Platon, entend s lever des connaissances ordinaires

    la contemplation du vrai, du beau et du bien suprmes, alliant ainsi mthodepdagogique et poursuite de l elevatio mentis.

    Cette ascse intellectuelle, o Platon a en tte la ormation des vrais philo-sophes-gardiens de la cit, commence avec l arithmtique. Partant du principequ il existe de nombreux cas o les sens ne susent pas acqurir une certitude,ou communiquent des impressions quivoques, l entendement est alors sollicitpour oprer les discernements ncessaires entre grandeur et petitesse, identit etaltrit, unit et multiplicit, trop rquemment conondues par la connaissancesensorielle. La qute et la perception de lunit obligent lintelligence entrer

    en action et, de ce ait, tourner progressivement l me vers la contemplationde ltre.Ce qui vaut pour lunit valant pour tous les nombres, le calcul et, bien davan-

    tage encore, l arithmtique, sont essentielles au guerrier comme au philosophe,

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    pour organiser le sensible et en mme temps lui chapper, an datteindre lasphre des essences.

    Connatre la nature des nombres est rserv lintelligence pure, dtache

    des servitudes du monde matriel (c est ici la distinction ameuse entre calculmercantile et arithmtique dsintresse, ou purement cognitive) et cultivercette science suprieure, c est se tourner, selon Platon, vers la vrit.

    Suivant avec Ficin une tradition noplatonico-chrtienne constante, dontBoce est un jalon important, Marcello souligne pour sa part qu en Dieu unit etmultiplicit sont conondues et que, dans ces conditions, l arithmtique reprsentebien un itinerarium mentis ad Deum privilgi, une prparation et un supportpour la contemplation.

    Celle-ci suppose, du moins dans ses stades suprieurs, une utilisation de

    l intellect qui dpasse les seules ressources de la raison logique et discursive, l uvre comme d autres acults de lme dans la saisie et l organisationdes disciplines correspondant aux niveaux inrieurs de l activit et de la connais-sance humaines.

    Un tel lan donn lintellect, aiguis par son lvation partir dusensible et sa rquentation des ralits immatrielles, souligne sa nature de partie suprieure de lme, dorgane la ois cogniti et spirituel (puisquencessairement apparent, dans cette perspective, la nature de son objet), quijustie videmment sa prsence au sein dun traitDe Anima.

    Suivant toujours, dans ses grandes lignes, la dmonstration platonicienne,

    Marcello revient ensuite la considration de la gomtrie, de lastronomie,puis de la gomtrie des solides, ainsi que des raisons qui dsignent, dans cetordre (suraces, solides en mouvement, solides en soi), les disciplines en questioncomme ncessaires l ascse de l intellect.

    Aprs lastronomie, Marcello rintroduit la musique (dont Platon restreintcependant lusage aux tapes premires de sa pdagogie) comme science desproportions harmoniques des mouvements clestes et connaissance de la musiquedes sphres, propdeutique lapprhension de lme du monde (on sent icil infuence de Ficin). Puis intervient, comme dans laRpublique, la dialectique,

    science des principes par excellence, qui coie toutes les autres et permet lasaisie des tres intelligibles (angliques) et du souverain Bien, autrement dit duCrateur, que notre auteur appelle aussi architecte suprme . Cette dialec-tique , qui quivaut l vidence pour lui la contemplation du divin en modechrtien, Marcello lassimile encore la mtaphysique (ou science de ltrepremier) aristotlicienne, comme au sommet de ces disciplines qui prparentselon lui l intellectus apex au surgissement de lillumination surnaturelle.

    Nous prendrons en compte l an prochain les passages du mme livre duDeAnima o sont dveloppes, la suite du Time, des considrations numrico-

    musicales sur la structure et lharmonie de l me, cosmique ou individuelle, etqui ont dj des chos chez Ficin et Pic.

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    Il n y manque pas non plus le thme, cher bien des magntiseursde diversestendances (Annuaire, t. 115, p. 318), de l quit et de la charit dintentionqui avorisent dune part, selon Dessade, la coopration du patient et, dautre

    part, conditionnent la russite du processus, en avorisant l extasion (sic)de lme, cest--dire un mouvement dexaltation de celle-ci qui contribue dynamiser la vitalit corporelle ou et assez paradoxalement dgager l mede son emprise, pour avoriser son impulsion hyperphysique .

    De mme lusage de toucher les malades ou d imposer les mains correspondrait la mise en rapport des sphres des manations corporelles de l acti et du passi , et au renorcement consquent de l action du premier.

    Enn, cest sur une telle action hyperphysique quest base selon luila magie primitive des anciens, ou mtaphysique active . Similairement, le

    principe vital serait dou dune acult de perception intuitive des causesloignes (c est--dire non encore agissantes, ou hors d tat dtre perues parles sens extrieurs) qui correspondrait l exercice de la prdiction naturelle ,supposant ainsi les capacits cognitives de lme non entraves par le onc-tionnement normal de lentendement ou de limagination cest proprement,au langage prs, le sens interne des magntiseurs et ladite me touteimprgne, en consquence, par ce pressentiment .

    Sous ce rapport de la magie et de la divination , notre auteur partagedonc en ralit la vue trs rpandue, y compris parmi les premiers thoriciensavous du magntisme animal, selon laquelle ce dernier (t-ce sous un autre

    vocable) reprsenterait en ralit la vritable explication de ces phnomnes,auxquels seule lignorance, consquence de la conscation des connaissancespar la classe sacerdotale et celle des savants, aurait ait attribuer des causessurnaturelles.

    Or, Dessade penche lui-mme dune manire dclare pour une explica-tion exclusivement naturelle, voire quasi organique, des acults quil appelle hyperphysiques , et l enthousiasme extatique ou la motion divine ventuelle(charit, abngation) ne jouent, dans leur mise en uvre, quun rle adjuvantou, au mieux, de cause instrumentale. Il reprend au demeurant le lieu commun

    selon lequel les anciens (philosophes, potes, mythologues) taient l instardes campagnards plus proches, et observateurs plus scrupuleux, de la natureque les modernes. Pour cette raison supplmentaire, il lui semble devoir rendre celle-ci ces principes touchant quelques orces hyperphysiques particuliresdun individu vital et surtout de lme humaine , sous peine de devoir toutsimplement nier leur existence (qui lui parat universellement atteste ),recourir une explication surnaturelle (dont il rcuse la pertinence) ou, pireencore, aire appel la thorie absurde du pacte dmoniaque.

    Seule une inormation biographique ou contextuelle plus dtaille permettra,le cas chant, de rendre compte des motis pour lesquels notre auteur prendsoin d viter toute allusion explicite, positive ou ngative, au magntisme animalet sa bibliographie dj importante en 1802 alors que celui-ci constitue enralit le ond mme de son sujet.

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    Publis Paris en 1822, les Opuscules Thosophiques du Capitaine J.-J. Bernard(1791-1828), infuenc par de Maistre et Swedenborg, sils voquent bien lemagntisme animal, sen tiennent une classique position spiritualiste, qui

    interprte celui-ci comme une dmonstration probante de l existence du mondespirituel et de la ralit de phnomnes comme la prophtie, grce au ameux sens interne , conu comme un mode de perception qui aranchit lme deses limitations cognitives ordinaires. Citant Eckartshausen (Nue), Lopoukhine,Dutoit-Membrini, l auteur trouve la condamnation du magntisme par ce dernier(inspire, nous lavons vu lan dernier, de celle de Saint-Martin) quelque peuexcessive, et ne dit rien dun quelconque lien avec la magie.

    Cest en ait lapparition du spiritisme (1847), et sa trs rapide propaga-tion en Europe et en France (ds 1851-2), qui stimule lapparition de nouvelles

    controverses et, du mme coup, relance le dbat autour du magntisme. Desurcrot, denseurs et adversaires de celui-ci partagent rquemment une ten-dance utiliser son sujet des arguments pro ou contra trs voisins de ceuxqueux-mmes ou dautres emploient propos du spiritisme. Ainsi trouve-t-onpar exemple, trs tt (ds 1852, en ait), chez un magntiseur aussi clbre queJ. Du Potet de Sennevoy (1796-1881), dont luvre est essentielle notre proposet auquel nous reviendrons, ou chez un apologiste trs mesur, et partisan duneexplication toute naturaliste des phnomnes supposs, comme A. E. deGasparin (1810-1871 ; Des Tables tournantes, 1854), lide selon laquelle unmme agent fuidique prside aux maniestations magntiques et cellesdu spiritisme. Les tables tournantes sont mme interprtes, des deux cts,comme constituant un argument dcisi en aveur de la ralit des aits, puisqu onne peut videmment invoquer leur sujet la suggestion , ni les eets de lasurexcitation nerveuse chez les patient(e)s (voir la mise au point trs rcentede J. W. Monroe,Laboratories o Faith. Mesmerism, Spiritism and Occultismin Modern France, Cornell University Press, 2008, p. 64-95).

    Quant aux adversaires dclars de ces maniestations, lorsqu ils ne nient passimplement leur existence, ils les attribuent souvent sans distinctions aux eetsde l action dmoniaque, comme par exemple le trs lu E. de Mirville (1802-1873),

    dans sonDes Esprits et de leurs maniestations fuidiques, Paris 1853). On noteraenn que les premiers documents ociels de l glise romaine condamnant lesprolongements proprement spiritualistes du magntisme et du spiritisme, datentrespectivement de 1847 et 1856.

    Quoi qu il en soit de la valeur de telles aons de voir, videmment assez loi-gnes dun point de vue proprement critique, c est cependant avec Henri Delaage(1825-1882), et l occasion dune introduction auxMmoires d un magntiseurd Auguste Lassaigne (chez l diteur parisien Germer-Baillire, qui, aprs certainsouvrages dA.-L. Cahagnet [1805-1885], magntiseur et spirite swedenborgien,

    publiera en 1856 leDogme et rituel de la haute magie dE. Lvi [1810-1875]),que lexpression de Magie Magntique voit enn expressment le jour,en 1851. Catholique ervent, Maon illuministe (il appartient la Loge des Curs runis , voir sesDoctrines des Socits secrtes, Paris 1852, p. 136)

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    et magntiseur connu, en relations avec le Tout-Paris (il existe de lui un rareportrait par Nadar, de 1860 ; on le trouve mentionn auJournal des Goncourt,il rquente Balzac, etc.), il est encore lauteur dune uvre assez importante,

    dans laquelle il revient rquemment sur sa conviction dune proximit entre lesrvlations du magntisme et les croyances de la religion catholique (L ternitdvoile, Paris 1854, p. 43-96).

    Si Delaage admet, dans son Introduction sur la Magie Magntique , quele vocable de magie est devenu en son temps ridicule, il n en maintient pasmoins que celle-ci constitue la science des attractions . Or, sur ces mmesattractions, considres comme une ralit universelle, repose galement lemagntisme, et Delaage va jusqu considrer la raternit humaine, qu il appellede ses vux (comme tant dautres lpoque), comme le rsultat potentiel de

    la puissance attractive d un magntisme divin ! ( Introduction , p. 11). Iciencore, le magntisme animal est prsent comme la science des prvisionsintuitives ou la science des prophties . Divise en deux ordres de phnomnes,intuitis ( seconde vue ) et sensitis ( senesthsie [sic]), la acult somnam-bulique apporte selon Delaage des dmonstrations pratiques qui conortent,mieux quune mtaphysique abstruse, les doctrines catholiques sur la nature etlimmortalit de lme, unie au corps par un fuide subtil qui circule dans lesners et reprsente simultanment une orce curative ou non , le mouvementet la vie. Ainsi, l tat de somnambulisme ne serait-il quune image de l tat dersurrection atteint par lme aprs la mort physique (ibid., p. 14) !

    En tant que orce , le fuide sidentie pour Delaage un principe devivication et d animation universelles (ide classiquement emprunte EnideVI, 722 sq.), assimil la lumire de la Gense, au eu vivant des Magesantiques ou au Mercure universel des alchimistes. En tant que mouvement ,il rside dans l eau vaporise par le eu (d o la traction des locomotives !) commedans l clair du tlgraphe lectrique. En tant que vie ou essencevitale , il peut tre communiqu un autre tre humain, par le truchement despasses magntiques, ou tre absorb par un objet inanim : c est pour Delaagel explication mme des tables tournantes, auxquelles les assistants communiquent

    la source de tout mouvement en [leur] transmettant cette famme de la vieque Dieu a mise en nos membres .Aprs Delaage, nous sommes passs ltude dAlcide Morin et du baron

    Dupotet, auteurs importants pour notre propos et que nous voquerons dansnotre compte rendu de lan prochain.