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Magendie et la pathologie infectieuse par Jean THÉODORIDÈS ** L'apport de Magendie à la pathologie infectieuse comporte une facette positive et une autre négative. La positive est constituée par ses recher- ches sur la rage et l'infection putride {septicémie), tandis que la négative concerne ses prises de position sur la non-contagiosité du choléra, de la morve et de diverses autres maladies infectieuses épidémiques. Dans ses recherches de pathologie infectieuse, Magendie s'appuya le plus souvent sur des observations physiologiques. Bien qu'occupant une place relativement réduite dans l'oeuvre scienti- fique de Magendie par rapport à ses contributions fondamentales en physio- logie et en pharmacologie, la pathologie infectieuse figura, comme nous allons essayer de le montrer ici, parmi ses intérêts. L'apport de Magendie à cette discipline médicale comporte pour le commentateur moderne une facette positive et une autre négative. La facette positive est constituée par ses expériences sur la rage et sa participation aux recherches sur l'infection putride, tandis que la négative concerne ses prises de position anticontagionnistes sur le choléra, la morve et diverses autres maladies infectieuses. 1. Expériences sur la rage Au début du siècle dernier l'étude de la rage, maladie encore très énig- matique, était entrée dans la phase expérimentale. En effet, des auteurs allemands: Zinke (1804), Grüner, Salm-Reifferscheidt (1813) avaient transmis * Communication présentée à la séance du 19 novembre 1983 de la Société française d'histoire de la médecine. ** 16, square Port-Royal, 75013 Paris. 367 •к

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Page 1: Magendie et l pathologia e infectieuse •к...scientific medicine in XIX centur»,Neyw Franc York, Schuman'e 1944 (cfps. 132) . . (6) Olmstedop., cit., 132-133. 369 Nous devons ici

Magendie et la pathologie infectieuse

par Jean THÉODORIDÈS **

L'apport de Magendie à la pathologie infectieuse comporte une facette positive et une autre négative. La positive est constituée par ses recher­ches sur la rage et l'infection putride {septicémie), tandis que la négative concerne ses prises de position sur la non-contagiosité du choléra, de la morve et de diverses autres maladies infectieuses épidémiques.

Dans ses recherches de pathologie infectieuse, Magendie s'appuya le plus souvent sur des observations physiologiques.

Bien qu 'occupant une place re la t ivement rédui te dans l 'œuvre scienti­fique de Magendie pa r r appo r t à ses cont r ibu t ions fondamenta les en physio­logie et en pharmacologie , la pathologie infectieuse figura, comme nous allons essayer de le m o n t r e r ici, p a r m i ses in térê ts .

L 'appor t de Magendie à cet te discipline médicale compor te p o u r le c o m m e n t a t e u r mode rne une facette positive et une au t r e négative. La facette positive est const i tuée p a r ses expériences sur la rage et sa par t ic ipat ion aux recherches sur l 'infection put r ide , tandis que la négative concerne ses prises de posi t ion ant icontagionnis tes sur le choléra, la morve et diverses au t res maladies infectieuses.

1. Expér iences sur la rage

Au début du siècle dernier l 'é tude de la rage, maladie encore t rès énig-mat ique , était ent rée dans la phase expér imentale . E n effet, des au teu r s a l l e m a n d s : Zinke (1804), Grüner , Salm-Reifferscheidt (1813) avaient t r ansmis

* Communication présentée à la séance du 19 novembre 1983 de la Société française d'histoire de la médecine.

** 16, square Port-Royal, 75013 Paris.

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la maladie en inoculant à des chiens sains et à d 'aut res an imaux la salive de chiens enragés. Ceci démont ra i t que cet te dernière contenai t un pr incipe infectieux.

Les premières observat ions de Magendie sur la rage da tent de 1821(1) et s ' inscrivent dans ce contexte expér imental qui lui étai t cher. Nous en résu­merons ici l 'essentiel en lui laissant au tan t que possible la parole .

Il rappelai t tout d 'abord l ' incert i tude régnant encore alors quan t à l'étio-logie rab ique :

« La colère du ciel, la chaleur ou le froid, la privation des boissons, l'imagi­nation, etc., ont été tour à tour regardés comme la cause de la rage. S'agit-il de la nature du mal, celui-ci y voit un virus, cet autre une affection nerveuse, un troisième n'y reconnaît qu'une inflammation du pharynx, de la trachée-artère ou des membranes rachidiennes ; tout récemment, un jeune médecin l'a attribuée à l'inflammation des follicules muqueux (2). »

Il soulignait ensui te les insuccès ob tenus avec les diverses thérapeut iques employées et passai t à l 'exposé de ses p ropres recherches .

Il r appor ta i t avoir va inement tenté de t ra i te r des chiens enragés p a r l 'opium (dix grains) in t rodui t p a r voie int raveineuse « sans p rodu i re le moindre narcot isme, tandis qu 'un seul grain d 'extrait aqueux injecté dans les veines d 'un chien bien por tan t , l 'endort aussi tôt pour hui t ou dix heures ».

L'injection intraveineuse d'acide pruss ique (de Scheele) n 'amenai t non plus aucun résul ta t .

Magendie r appo r t e également avoir injecté avec Dupuyt ren « dans la veine radiale d 'un jeune h o m m e enragé environ hui t grains d 'extrai t gom-meux d 'opium, sans aucun résul ta t appa ren t ».

En note infrapaginale, il r appo r t e avoir inoculé avec G. Breschet la salive de ce malade sous la peau du front d 'un chien qui devint enragé au bout d 'un mois .

C'est là, t rop modes temen t reléguée dans une note , la relat ion de la pre­mière t ransmiss ion expér imentale réussie de la rage, de l 'homme au chien (3).

Deux au t res chiens m o r d u s par le chien inoculé devinrent enragés au bout de qua ran te jours . Ils mord i ren t p lus ieurs de leurs congénères sans résul ta t . Et Magendie de conclure : « Dans cette suite d 'expériences, la rage s 'arrê ta donc d'elle-même à la t rois ième générat ion. »

(1) F. Magendie. — «Expérience sur la rage», / . Physiol. exp., I, 1821, 40-46. (2) Il doit s'agir de Michel Marochetti, auteur d'Observations sur l'hydrophobie, Saint-

Pétersbourg 1821, qui seront reprises en 1825 dans le Journal de Physiologie de Magendie (cf. note 13 infra). Pour Marochetti le virus rabique était localisé dans des « lysses », sortes d'aphtes se formant sous la langue.

(3) Vingt ans plus tard, Gilbert Breschet donnera les détails de cette expérience {C.R. Acad. ScL, 11, 1840, 489-492).

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Ceci s 'expliquerait peut-être, soit p a r la possibil i té que les chiens m o r d u s aient été réfractaires à la rage ou plus p robab lemen t que les m o r d e u r s n 'a ient pas eu de virus dans leur salive au m o m e n t des morsures .

Magendie rappor ta i t ensui te ses essais de t ra i t ement en injectant p a r voie intraveineuse de l 'eau chaude à un chien enragé. Il expliquait ainsi les raisons l 'ayant incité à t en te r cette expérience :

« J'avais souvent observé dans mes expériences sur la pléthore aqueuse artifi­cielle, que toutes les fonctions des animaux qui l'éprouvent sont très sensiblement affaiblies, et particulièrement celles du système nerveux. Il pouvait donc résulter quelque bien d'un pareil affaiblissement dans une maladie où l'activité du système nerveux est portée à son comble. D'ailleurs, dès l'instant qu'un animal est atteint par la rage, il ne boit plus ; cependant, les pertes qu'il éprouve par la transpira­tion cutanée sont d'autant plus abondantes que son agitation, ses cris, ses efforts sont plus multipliés et plus grands. »

Après une pér iode de calme, l 'animal succomba à un accident pu lmonai re dû à la t rop grande quan t i t é d'eau injectée.

Deux ans après , en 1823, Magendie publiai t de nouvelles observat ions sur la rage (4).

Il s'agissait, cet te fois, d'essais thérapeut iques en t repr i s chez l 'Homme. 'Magendie fut en effet amené à soigner à l 'Hôtel-Dieu un malade qui présen­tait tous les symptômes de la rage furieuse.

Lorsque Magendie intervint , le pa t ien t étai t dans la phase terminale de la maladie caractér isée p a r une agitat ion ext rême et il ne fallut pas moins de six personnes pour ar r iver à l ' immobil iser afin que Magendie puisse lui injecter « la valeur de deux livres » d 'eau chaude (30 °C) pa r voie intra­veineuse. Le pouls t omba de 150 à 80, le malade se calma et pu t m ê m e boire et ur iner . Pendant deux jou r s son é ta t sembla s 'améliorer, mais il fit une hémorrag ie intest inale et m o u r u t une semaine après .

A l 'autopsie, Magendie fut f rappé pa r l 'état de putréfact ion du sang. Comme l'a fait r e m a r q u e r son biographe 01msted(5) , le pa t ien t avait dû cont rac te r une septicémie pa r suite de la présence de bactér ies dans l 'eau injectée (et infectée...) qui avait, de plus, agi pa r osmose sur les hémat ies .

Quoi qu'il en soit, Magendie pensai t avoir m o m e n t a n é m e n t amélioré l 'état de 1'« hydrophobique » qui, selon lui, n 'étai t pas m o r t de la rage.

Cet essai de t ra i t ement eut un écho assez r épandu outre-Manche et les revues médicales The Lancet et la Medico-Chirurgical Review se d i sputèren t la pr ior i té de la publ icat ion en anglais de ces recherches de Magendie (6).

(4) F. Magendie. — « Histoire d'un hydrophobe, traité à l'Hôtel-Dieu de Paris, au moyen de l'injection d'eau dans les veines », J. Physiol, exp., III, 1823, 382-392.

(5) J.M.D. Olmsted. — « François Magendie pioneer in experimental physiology and scientific medicine in XIX century France », New York, Schuman's 1944 (cf. p. 132).

(6) Olmsted, op. cit., 132-133.

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Nous devons ici ouvri r une pa ren thèse pour exposer les faits suivants . La sensibili té b r i t ann ique réprouvai t les expériences de physiologie nerveuse que Magendie en t repr i t su r des chiens lors de son séjour à Londres , en 1824, et au m ê m e moment , s 'organisait la « Society for the prévent ion of cruelty to animais », l 'équivalent de no t re « Société protec t r ice des an imaux ». Pa rmi ses p r o m o t e u r s figurait un m e m b r e du Par lement b r i t ann ique , Richard Mart in, qui devait se m o n t r e r par t icu l iè rement violent vis-à-vis de Magendie en p roposan t de faire voter une loi visant à le faire expulser d 'Angleterre s'il revenait y faire ses expériences.

Magendie allait cependant t rouver t rois défenseurs ; les deux p remie r s étaient deux célèbres h o m m e s d 'Eta t b r i t ann iques : Sir Rober t Peel et Sir J ames Mackintosh (qui avait connu Magendie à Paris p a r l ' in termédiai re d'Alexander von Humbold t ) , qui s 'opposèrent à ce proje t et défendirent no t re compat r io te contre des accusat ions exagérées (7).

Le t rois ième par t i san de Magendie n 'étai t au t r e que S tendhal en per­sonne (8).

En effet, Henr i Beyle (né co mme lui en 1783) était alors le co r respondan t paris ien de diverses revues br i t ann iques dans lesquelles il publiai t diverses chroniques . Dans le London Magazine d'avril 1825, il ment ionne : « L 'absurde a t t aque de M. Mart in cont re Magendie au Par lement » (séance d u 24 février) et dans le n u m é r o du 18 novembre 1825 de la m ê m e revue, Stendhal p r end avec feu et flamme la défense de Magendie en écrivant (9) :

« Je ne ferai que noter au passage, pour y attirer votre attention, un chef-d'œuvre de M. Magendie, le célèbre physiologiste français que votre M. Martin a, pour sa cruauté, malmené d'une si amusante façon (voyez les débats du Parle­ment du 24 février 1825). Cette barbare stupidité est vraiment ridicule au cours d'une année où tant de gens dans toute l'Europe sont morts d'hydrophobie. Car c'est à cette effroyable maladie que M. Magendie est sur le point de découvrir un remède qui est, il est vrai, le résultat de sa cruauté. »

Et il se livre ensui te à un v ibrant éloge du Précis élémentaire de Physio­logie.

Cet exemple précis nous m o n t r e le re ten t i ssement qu 'avaient eu dans l 'opinion publ ique les essais de t ra i t ement de la rage en t repr i s p a r Magendie dont eut connaissance un écrivain et journal is te frotté, il est vrai, de cu l ture scientifique et médicale (10).

Au demeuran t , les expériences faites p a r Magendie su r des chiens, à Londres , en 1824, n 'avaient r ien à voir avec la rage.

(7) Olmsted, op. cit., 138-143. (8) J. Théodoridès. — « Le physiologiste Magendie jugé par Stendhal », Stendhal-Club,

№ 7, 1960, 228-234. (9) Stendhal. — « Courrier anglais », Paris, Le Divan, 19, 36, V, 266-267. (10) J. Théodoridès. — «Stendhal du côté de la Science», Aran, édit. Grand Chêne,

1972 ; « Stendhal, la rage et le « Thème de la morsure », Stendhal-Club, N° 91, 1981, 243-246.

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Et, nous le verrons plus loin, l 'a t t i tude admira t ive de Stendhal pour Magendie se t rouvera bien modifiée lors de l 'épidémie par is ienne de choléra, de 1832.

Pour en revenir à la rage, Olmsted rappel le qu 'en sep tembre 1824, peu après le séjour londonien de Magendie, on essaya de soigner un enragé au Guy's Hospi ta l par sa mé thode en lui injectant 20 onces d 'eau chaude addi­t ionnée d'alcool (!) sans résul ta t concret (11).

Magendie cont inua cependant à s ' intéresser à cet te maladie et nous avons publié une observat ion mét iculeuse de lui, concernant un chien p ré sumé at te int de rage (12).

Par ail leurs, il accueillit p lus ieurs art icles la concernant dans son Journal de Physiologie expérimentale où ils furent publiés en t re 1821 et 1825 (13).

A l 'Académie des sciences, Magendie étai t appelé à donner son opinion soit écri te, soit orale , lorsque des communica t ions ou mémoi res sur la rage y étaient présentés .

C'est ainsi qu 'en 1828 il fut chargé avec C. Duméri l d 'examiner une le t t re où était préconisé le chlorure de chaux comme remède an t i rab ique effi­cace (14) et qu 'en 1839 il pr i t la parole à p ropos des Recherches sur la rage de Bellanger qui niait l 'existence d 'un virus rab ique et considérai t la maladie comme un iquemen t psychique (15).

Dans ses Leçons du Collège de France (de 1851-52) et dans les Phéno­mènes physiques de la vie I I (1842), 201-202, Magendie reviendra sur la rage en s ' interrogeant sur le mode d 'act ion du virus rab ique encore inconnu, mais déjà décelé (16) :

« Ce qui se passe alors ressemble à l'action des virus qui, introduits en quan­tité on ne peut plus minime, finissent par affecter toute l'économie. La salive dans la rage, par exemple, possède cette effroyable propriété ; il suffit de quelques atomes, insérés sous l'épiderme avec la plus fine pointe de lancette, pour qu'au bout d'un mois environ l'animal devienne hydrophobe. Comment expliquer ces phénomènes ? Ce ne peut pas être sans doute cette si faible quantité de substance

(11) Olmsted, op. cit., 144. (12) J. Théodoridès. — « Sur deux manuscrits inédits de Magendie », Clio Med., I,

1965, 27-32. (13) En voici les titres : M. West, « Exemple sur un enfant de cinq ans sept mois de

rage communiquée par la morsure d'un chien », I, 1821, 91-97. B. Gaspard, «Expérience sur un homme hydrophobe», Ibid., 132-142. (Cet article est

suivi d'un commentaire de Magendie qui rapporte avoir injecté 8 onces d'eau chaude à un chien enragé.)

M. Marochetti, « Observations sur l'hydrophobie », V, 1825, 275-318. (14) Procès-Verbaux de l'Académie des sciences, IX, 1828-1831, 88. (15) C.R. Acad. Sel, 9, 1839, 776-777. (16) Leçons faites au Collège de France pendant le semestre d'hiver (1851-1852) par

M. Magendie, recueillies et analysées par le Dr V.A. Fauconneau Dufresne, Paris, Union médicale, 1862 (cf. p. 23 et suiv.).

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qui aille agir dans toute l'économie ; il en résulte plutôt une modification générale et cette action peut être comparée à celle des fermens (sic) dont la moindre par­celle développe des effets sur les masses. »

Magendie fait encore r e m a r q u e r que le virus rab ique res ta i t dans la salive et ne passai t pas dans le sang ; selon ses p ropres observat ions : « du sang d'un animal enragé injecté dans les veines d 'un an imal sain ne t r ansmet pas la rage ». Le rédac teur des cours de Magendie, V.A. Fauconneau Dufresne, rappelai t que ceci avait été depuis confirmé pa r Renault , d i rec teur de l 'Ecole vétér inaire d'Alfort. Magendie notai t encore qu'il étai t ar r ivé à t r a n s m e t t r e la rage successivement à t rois chiens, mais que la salive du t rois ième, nous l 'avons vu, n 'é tai t p lus virulente et il concluait p a r une phrase sybilline : « Il y a, dans toutes ces é tudes , u n mys tè re cont inu. »

2. Recherches sur l ' infection putr ide

C'est à la suite des expériences de Berna rd Gaspard (1788-1871) que Magendie fut amené à s ' intéresser à la quest ion de l 'infection pu t r ide appelée plus ta rd septicémie.

Gaspard avait expér imenté dès 1808, mais ne publ ia ses résu l ta t s qu 'une quinzaine d 'années plus t a rd dans deux mémoi res datés respect ivement de 1822(17) et 1824(18), publiés dans le journa l de Magendie.

Il in t roduisai t chez divers an imaux (chien, r ena rd , mouton , porc) des subs tances en décomposi t ion p a r voie intraveineuse, sous-cutanée, intrapleu-rale ou in t rapér i tonéale et observai t les symptômes et lésions en résul tant .

Ceux-ci se t raduisa ient pa r des vomissements et de l 'excitation, des convul­sions, de la dyspnée et des complicat ions card iaques .

11 y avait f r équemment des d iar rhées et l 'examen anatomo-pathologique mon t r a i t une congestion de la m e m b r a n e m u q u e u s e du tube digestif et la p résence d 'un exsudât séreux ou sanguin dans le pér icarde et le pér i to ine .

En 1823, à la suite d 'un art icle concernant une fièvre muqueuse (il s'agis­sait p robab lemen t de typhoïde [19]), Magendie en publ ia un au t r e (20) dans lequel il insistait su r le rôle néfaste des miasmes provenant des régions marécageuses . Il y rappelai t aussi les expériences de Gaspard et en rappor­ta i t d ' au t res faites pa r lui-même avec des subs tances animales en décompo­sition (eau pu t r ide de poisson injectée pa r voie intraveineuse) amenan t u n e a l téra t ion chimique du sang.

(17) B. Gaspard. — «Mémoire physiologique sur les maladies purulentes et putrides, sur le vaccin, etc. », / . Physiol. exp., II, 1822, 1-45.

(18) Second mémoire physiologique et médical sur les affections putrides, Ibid., IV 1824, 1-69.

(19) P.L. Dupré. — « Notice sur une fièvre muqueuse adynamique qui régna pendant l'été et l'automne 1822... ». Ibid., III, 1823, 72-81.

(20) F. Magendie. — « Remarques sur la notice précédente, avec quelques expériences sur les effets des substances en putréfaction ». Ibid., 81-88.

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On trouve là cel te phrase typ iquement « magendienne » : « Une supposition n'est rien dans la science comme supposition, mais elle peut

devenir quelquefois utile en conduisant à faire des expériences pour la vérifier. »

Magendie nota i t également que les substances pu t r ides sont moins nocives lorsqu'elles sont absorbées per os.

Dans une au t re expérience, il filtrait sur du pap ie r Joseph u n l iquide pu t r ide tuan t no rma lemen t l 'animal au bout de six heures après inoculat ion et notai t que celui-ci survivait deux jours avec le l iquide filtré.

Il plaçait également des an imaux vivants dans des cages au-dessus de récipients contenant des subs tances en décomposi t ion et nota i t qu'i ls ne semblaient pas affectés.

Toutefois, un chien ainsi t ra i té m o u r u t au bou t de dix jou r s ; « évidem­men t — concluait-il — pa r l'influence des miasmes qu'il avait respi res et avalés avec ses a l iments ». Cette dernière ph rase nous m o n t r e que, comme la p lupar t de ses contempora ins , Magendie avait recours à la théorie « mias­ma t ique » pour expliquer l 'appari t ion des maladies infectieuses (21).

Pour en revenir aux expériences de Gaspard et de Magendie, elles ne seront repr ises et confirmées qu 'en 1856 pa r Virchow et m è n e r o n t au concept de pyémie (éta t pathologique caractér isé pa r des abcès mul t ip les et de la fièvre) dist inguée de 1'« intoxication pu t r ide ordinai re » ou sept icémie ( t e rme créé pa r Piorry en 1837) (22).

3. Le choléra

Une épidémie de choléra ayant éclaté en Russie en 1830, l 'Académie des sciences const i tua, en février 1831, une commiss ion composée de Portai , C. Duméri l , Magendie, Dupuyt ren et Serres , pour é tudier cet te maladie . Le pr incipal point à établ ir était de savoir si elle étai t ou non contagieuse.

A l ' au tomne 1831, une au t re épidémie se déclara en Angleterre dans le por t de Sunder land , p rès de Newcast le , et Magendie, m a n d a t é pa r l 'Académie des sciences, se rendi t sur place, accompagné de son confrère Natal is Guillot.

Dès le 2 décembre il adressai t à l 'Académie une longue le t t re dans laquelle il s ' interrogeait pour savoir si la maladie était contagieuse ou non (23). De

(21) Dans l'article «Contagion» du Dictionnaire Dechambre (1877), Hippolyte Bernheim considérait encore le choléra, la fièvre jaune, la typhoïde et le typhus comme des mala­dies d'origine miasmatique (Cf. J. Théodoridès, « Hippolyte Bernheim et la pathologie infectieuse », in : C.R. 103e Congrès nat. Soc. sav., Nancy, 1978, Sciences, fasc. IV, 87-94).

(22) W. Bulloch. — « The Historv of Bacteriology », London, Oxford Univ. Press, 1938, 130-132.

(23) Lettre publiée par P. Delaunav. — « Le corps médical et le choléra en 1832 », Méd. Int. ill. (oct. 1931-oct. 1933), 38-39.

Par ailleurs, Magendie signa la déclaration sur la non-contagion du choléra faite par les médecins de l'Hôtel-Dieu, le 31 mars 1832 (Delaunay, op. cit., p. 30).

Pour les débats entre contagionnistes et anticontagionnistes, cf. E.H. Ackerknecht, « Anticontagionism between J821 and 1867 », Bull. Hist. Med., 22, 1948, 562-593.

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re tour à Paris, il rendi t compte de sa mission à la séance du 26 décembre de l 'Académie en insis tant sur tou t sur l 'état de misère et de saleté qui régnait à Sunder land .

Ayant cr i t iqué les mesures de quaran ta ine prises outre-Manche en allé­guant leur inutil i té vu la non-contagiosité de la maladie , Magendie fut contré en pleine séance p a r Moreau de Jonnès , m e m b r e cor respondan t de la sec­tion de Géographie de l ' Inst i tut et du Conseil supér ieur d'hygiène, grand contagionniste pour ce qui était du choléra (24).

C'est en se basant sur ses conseils que le Premier minis t re Casimir Périer (qui devait m o u r i r du choléra l 'année suivante) avait décrété des mesures de qua ran ta ine visant les ba teaux en provenance des régions contaminées .

Celles-ci s 'avérèrent inutiles car, en m a r s 1832, la maladie appara issa i t à Par is . A. Dodin et J. Brossollet (25) se demanden t si le vibrion cholérique n 'aura i t pas été in t rodui t à Paris pa r les médecins français de re tour de Pologne (un des p remiers malades avait été soigné pa r l'un d'eux) et peut-ê t re aussi , a jouterons-nous, p a r Magendie lui-même, de re tour de Sunder land qui avait ironisé en disant à Boulogne (26) :

« Messieurs, si quelqu'un doit vous apporter le choléra, c'est moi, car j 'arrive à l 'instant des lieux où il sévit, et même les vêtements que j 'a i sur moi sont ceux que je portais en visitant les malades. Ainsi nous sommes tous compromis pour la quarantaine. »

L'épidémie avait en effet éclaté « en plein Paris sans aucun relais en t re les côtes ou les frontières et la capitale » (27), où p lus de 44 000 personnes furent a t te in tes et où il y eut plus de 20 000 mor t s .

Pendant l 'épidémie, Magendie se dévouera sans compte r aux cholér iques hospital isés à l 'Hôtel-Dieu. De plus, fait p robab lemen t un ique dans l 'histoire du Collège de France, il consacra au choléra son cours du second t r imes t re 1832, en pleine épidémie.

Ce cours sera impr imé la m ê m e année sous la forme d 'un volume inti-Lulé : Leçons sur le choléra-morbus (Paris , Méquignon-Marvis, 1832, 278 p.).

Cet ouvrage, ou t re qu'il nous renseigne sur les idées de Magendie en patho­logie infectieuse, nous m o n t r e son souci cons tan t de donner à son enseigne­men t un carac tère à la fois actuel , expér imenta l et spectaculaire .

Dès la page 2, on t rouve un éloge pass ionné de la mé thode expér imentale , « cet te mé thode est seule suivie dans les sciences physiques, elle seule condui t à des données cer ta ines ; elle seule, enfin, convient aux espr i ts sévères et jaloux des progrès réels de l ' intelligence ».

(24) A. Dodin et J. Brossollet. — « L'épidémie de choléra de 1832 ou la naissance de l'épidémiologie moderne », in : « Hommage à M. Baltazard », Paris, Inst. Pasteur, 1973, 97-118.

(25) Dodin et Brossollet, op. cit., p. 100. (26) F. Magendie. — « Phénomènes physiques de la vie », I, 1842, p. 75. (27) Dodin et Brossollet, op. cit., p. 100.

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A la page 3, on lit : « La médecine anglaise est empi r ique et j e l'ap­prouve. » tandis que, p lus loin, Magendie cr i t ique la conception des « animalcules cholérifères », des mofet tes , miasmes , etc., comme causes du choléra.

En bon clinicien qu'il était, il dist inguait bien les formes bénignes de la maladie (cholérine) de la forme grave (choléra « bleu ») caractér isée p a r le ra lent issement de la circulat ion amenan t une cyanose, la présence de c rampes et d 'évacuations abondan tes . Il donne (p. 45) un in téressant tableau des mesures de t empé ra tu r e pr ises chez des cholér iques de Sunder land où celle-ci peut s 'abaisser j u squ ' à 30 °C, et décri t minu t i eusement (p . 54-56) les lésions oculaires observées ( réduct ion de l 'humeur vitrée et aqueuse , dessic­cation de la cornée) .

Pour f rapper et convaincre son audi toi re , il n 'hési te pas , à sa t rois ième leçon, à m o n t r e r un œil et à appor t e r également du l iquide s tomacal et intest inal d 'une cholér ique m o r t e la veille. A la leçon suivante (p. 92-93), il mon t r e r a un intest in puis du sang de cholér ique (p. 114).

E tan t donné qu'il n 'est pas précisé de quelle maniè re ces pièces anato-miques et ces l iquides avaient été conservés, il ne faudrai t pas s 'é tonner que des cas de choléra se soient déclarés p a r m i ses audi teurs . . .

Diverses expériences sur le sang des cholér iques furent en t repr ises p a r Magendie qui m o n t r a qu ' injecté à des chiens il ne provoquai t pas chez eux la maladie . Cependant , si l 'animal avait été saigné auparavan t d 'une quan­tité de sang assez impor t an t e (8 onces), l ' inoculation du m ê m e volume de sang humain cholér ique amenai t sa mor t . Des incompat ibi l i tés sanguines inconnues à cette da te devaient en fait expliquer ce résul ta t .

Les cholériques souffrant avant tou t de refroidissement lié à la déshydra tat ion (Claude Berna rd les compare ra plus t a r d aux an imaux h ibernan t s ) . Magendie conseillait de les coucher dans un lit chaud et de les fr ict ionner avec de l'alcool camphré , de l ' ammoniaque ou de té rébenth ine .

Il leur faisait, en ou t re , absorber son célèbre punch qui excita la verve des car ica tur is tes (28 bis, p . 376) et qui était ainsi composé : camomille , une p in te ; alcool, deux onces ; sucre, q ua t r e onces ; jus de ci t ron. Il conseillait aussi l ' adminis t ra t ion de lavements chauds camphrés ou opiacés.

Le professeur A. Dodin, spécialiste du choléra et de son histoire, m 'a écri t à ce p ropos ( le t t re du 18 oc tobre 1983) : « Magendie sauvait p lus de malades que les au t res médecins et n o t a m m e n t que Broussais ; quan t à ceux qui moura ien t , ils devaient le faire dans une cer ta ine euphor ie . »

Magendie rappel le en effet lui-même, dans ses Leçons (op. cit. p . 233-234) que sur 594 cholér iques en t rés dans son service à l'Hôtel-Dieu, il en avait guéri 374 et p e r d u 208, les 12 au t res ayant été évacués ail leurs.

Cette autosat isfact ion thé rapeu t ique de Magendie n 'étai t cependant pas par tagée p a r tous ses con tempora ins , et c'est ainsi que Prosper Mérimée écrivait à Stendhal , le 25 mai 1832, ce qui suit (28) :

(28) Stendhal. — « Correspondance », Paris, Pléiade, Gallimard, II, p. 887. (28 bis) Voir la reproduction ci-jointe, p. 376.

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« Les médecins attachés à l'Hôtel-Dieu s'étaient partagé les malades. Chacun en avait environ une douzaine à traiter. Chacun disait : « Je les guérirai tous, mais les autres les tueront. » Leur méthode invariable est d'annoncer la guérison avant d'avoir essayé le remède. Ainsi Magendie, notable même parmi tant de charlatans, avait crié par dessus les toits qu'il guérirait ses douze patients avec du punch. Six heures après son traitement, ils étaient tous au refroidissoir. »

Et dès lors S tendhal qui, nous l 'avons vu p récédemment , avait pr is fait et cause pour Magendie, n 'hési ta plus dans ses Souvenirs d'Egotisme (29) à le qualifier de « char la tan effronté », car la dia t r ibe de son ami Mér imée avait por té .

Quoi qu'il en soit, il est hors de doute que le t r a i t ement anti-cholérique préconisé pa r Magendie était préférable à celui de Broussais qui saignait les cholériques !

On t rouve encore çà et là d ' in téressantes tentat ives exposées dans les Leçons... comme pa r exemple l 'examen au microscope d'Amici du sang des cholériques (p. 140) et l ' injection de sé rum que leur adminis t ra i t Magendie. Elles sont ma ïheureusement déparées par ses affirmations pé rempto i res (« Il est impossible de voir dans le choléra une inflammation du canal intesti­nal . », p . 259) et ses sarcasmes (p. 264-266) visant ceux p ré tendan t que la maladie était due à des germes pathogènes et préconisant les quaran ta ines et les cordons sani taires . Ceci l 'amène à affirmer (p. 276) : « En résumé, nous sommes autor isés à conclure que le choléra n'est pas une maladie conta­gieuse » et il adopta i t la m ê m e a t t i tude p o u r ce qui était de la fièvre j aune (30) et de la lèpre.

Ces idées seront repr ises dans Phénomènes physiques de la Vie ( tome I. 1842, 63-78) où Magendie ne reconnaî t comme maladies contagieuses que la variole, la rougeole, la rage, la syphilis, la scar la t ine et la gale.

Il faisait une exception pour le typhus, maladie t ransmiss ib le selon lui pa r voie respira toire , dont il admet t a i t la contagiosité dans cer ta ines cir­constances . L'idée que se faisait Magendie de celle-ci était assez par t icul ière . Il refusait de considérer une maladie comme contagieuse si l 'on pouvait t rouver un seul individu qui , ayant été en contact avec des malades , n 'avait pas été a t te int . Pour lui, le choléra n 'appara issa i t pas comme contagieux puisque, ayant été en contact avec des cholériques tant à Sunder land qu 'à Paris, il ne l 'avait j amais cont rac té (31).

Sa théorie générale était que l 'infection survenai t lorsque des a tomes an imaux en putréfact ion provenant d 'un malade péné t ra ien t par imbibi t ion

(29) Edit. Cercle Bibliophile, p. 61. (30) Magendie rappelait dans ses cours («Phénomènes physiques», I, -66-68) qu'ayant

inoculé à un chien de l'eau putride, celui-ci vomissait des matières noires analogues à celles observées chez les malades atteints de fièvre jaune.

(31) Olmsted, op. cit., 224. "". . » > ,

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à t ravers les pores de la peau d 'une a u t r e personne . Pour lui, il s'agissait d 'un processus p u r e m e n t « physique » et non « vital » (32).

Il est indiscutable qu 'en fait cet te explication fait appel à la théor ie « miasmat ique » des maladies infectieuses qui pers is tera j u s q u e dans les der­nières décennies du X I X e siècle.

Magendie sou t iendra encore ces idées dans ses Leçons (33) d u Collège de France de 1852 où il insistait également sur l ' importance des a l téra t ions sanguines en pathologie infectieuse, en r appor t an t ses analyses chimiques du sang de Bovidés a t te in ts de pneumonie .

4. Magendie et la m o r v e

Il est une au t r e maladie infectieuse à p ropos de laquelle Magendie adop ta également une a t t i tude réso lument ant icontagionnis te : la morve, affection des chevaux t ransmiss ib le à l 'homme et due à une bactérie (Bacillus mallei) qui ne sera isolée qu 'en 1882 p a r Lôffler et Schutz(34) .

En 1837, Rayer publia son travail désormais classique sur la morve chez l 'homme (35) et, en 1840, cet te maladie sévissant en France chez les chevaux de l 'armée dans des p ropor t ions inquié tantes , une discussion eut lieu à l 'Académie des sciences où Breschet et Rayer p résen tè ren t u n r a p p o r t à la séance du 10 février confirmant le travail de 1837 (36). Magendie pr i t la parole pour réfuter les o ra teurs , en affirmant que la morve chronique et aiguë ne const i tuaient pas la m ê m e maladie et en p ré t endan t que celle-ci n 'étai t pas contagieuse.

Breschet répondi t en ma in tenan t sa façon de voir et en affirmant que c'était Magendie qui se t rompai t .

A la séance suivante, ce dernier revint à la charge en réc lamant à Breschet de fournir des preuves de la contagiosité de la morve chronique e t en se p r o m e t t a n t de lui démon t r e r son inexistence. Les choses en res tè ren t là et c'est la thèse soutenue pa r Rayer et Breschet qui s 'avéra exacte.

Dans leur livre sur Claude Bernard (37), les Olmsted re la tent une anec­dote significative. Dans les années 1840 Claude Bernard , Magendie et Rayer effectuaient des expériences sur la t empéra tu re in t racard iaque des chevaux, lorsque Claude Berna rd fut m o r d u à la main pa r un animal morveux. La

(32) Olmsted, op. cit., 255-256. (33) « Leçons faites au Collège de France pendant le semestre d'hiver (1851-1852) par

M. Magendie, recueillies et analysées par le Dr V.A. Fauconneau Dufresne », Paris, Union médicale, 1852, 68 p.

(34) L. Wilkinson. — « Glanders : medicine and veterinary medicine in common pur­suit of a contagious disease », Med. Hist., 25, 1981, 363-384,

(35) P. Rayer. — « De la morve et du farcin chez l'homme », Paris, Baillière, 1837. (36) G. Breschet et P. Rayer. — « De la morve chez l'homme, des solipèdes et quel­

ques autres mammifères », C.R. Acad. Sel, 10, 1840, 209-223. (37) J.M.D. et E.H. Olmsted. — « Claude Bernard and the experimental method in

Medicine », New York, Collier Books, 1961, 4748.

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plaie é tant couverte de salive, Rayer lui conseilla de se laver immédia tement , r.andis que Magendie r é to rqua que l 'eau favoriserait l ' absorpt ion du « virus ». Après avoir un peu hésité, Be rna rd dit qu'il se laverait la main, car c'était p lus p ropre .

5. Contr ibut ions diverses

Nous n 'avons ment ionné ici que les pr incipales maladies infectieuses aux­quelles s ' intéressa Magendie.

Si l'on pa rcour t son œuvre publiée qui est t rès impor tan te , on t rouve plusieurs au t res cont r ibut ions concernant la pathologie infectieuse pa rmi lesquelles nous re t iendrons les suivantes :

Fièvre intermittente pernicieuse guérie par une faible dose de sulfate de quinine. J. Physiol. exp., I, 1821, 393-395.

Rapport sur les maladies scrofuleuses traitées à l'hôpital Saint-Louis par M. Lugol (avec C. Duméril). Proc.-Verb. Acad. Sri., IX, 1828-1831, 562-563.

Rapport sur le mémoire de M.L.F. Emmanuel Rousseau : De l'emploi des feuilles de houx (Ilex aquifolium) dans les fièvres intermittentes. Ibid., 677-678.

Communication relative à un cas de cow-pox et à l'inoculation de la matière des pustules sur plusieurs enfants. C.R. Acad. Sri., 18, 1844, 986-993.

Nous dirons quelques mots de cet te no te nous apprenan t que Magendie élevait des bovins dans sa p ropr ié té de Sannois (Seine-et-Oise). Une vache a t te in te de « c o w - p o x » (vaccine) con tamina la fermière qui la t rayai t . Un certain Dr Fiard recueillit chez celle-ci le vaccin qu'il inocula à des enfants , en exposant ses résul ta ts dans une note qui suit celle de Magendie (loc. cit. 986-993).

On rencont re encore des allusions à diverses maladies infectieuses dans les ouvrages physiologiques de Magendie et dans ses Leçons... du Collège de France.

Dans ses Phénomènes physiques de la Vie (38) Magendie rappel le que, lors de l 'épidémie de typhus exan thémat ique in t rodui t en France en 1814 pa r les a rmées impériales qui l 'avaient cont rac té en Pologne et en Allemagne, il avait r e m a r q u é que chez les typhiques en voie de guérison, le sang se coagulait no rma lemen t alors qu'il demeura i t l iquide dans les cas fatals.

Dans le m ê m e ouvrage (39), on t rouve des considérat ions in téressantes sur les lésions tuberculeuses et Magendie s'élève à jus te t i t re contre l 'usage de la saignée chez ceux qui en é ta ient affligés. Il utilise à ce p ropos un raccourci dest iné à saisir son audi to i re :

« Entre les sangsues dont vous couvrez la poitrine et le siège même du mal, il y a toute l'épaisseur des parois thoraciques, il y a toute la distance qui sépare l'empirisme brutal d'une médecine éclairée.»

(38) Vol. II, Paris, 1842, p. 198. (39) Ibid., 258-264.

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Toujours dans les Phénomènes physiques... Magendie compare l 'état du p o u m o n avec celui de la r a t e dans la fièvre typhoïde (40) et se livre à des considérat ions sur la gangrène (41) chez des an imaux d'expérience et su r l ' inflammation et les ophta lmies (42).

Conclus ion

Que peut-on conclure sinon que l 'apport de Magendie à la pathologie infectieuse est loin d 'ê t re négligeable ?

Il convient de no te r que la p lupa r t de ses observat ions réalisées dans ce domaine reposent sur des considérat ions physiologiques préalables , qu'il s'agisse du fonct ionnement du système nerveux dans le cas de la rage ou de celui de l 'appareil c irculatoire dans celui du choléra.

Ces observat ions compor ten t d ' indiscutables réussi tes , telles que la t rans­mission expér imentale de la rage de l 'homme à une série de chiens et la confirmation des recherches de Gaspard sur l 'infection pu t r ide (septicémie) .

Ses prises de posit ion sur la non-contagiosité du choléra, de la morve et de diverses au t re s maladies infectieuses don t cer ta ines ép idémiques (peste, fièvre jaune) ont été moins heureuses , Magendie res tan t toute sa vie prison­nier de son ant icontagionnisme forcené.

Il n 'en demeure pas moins que les conclusions du Rappor t (43) de G. Cuvier et de ses confrères de l 'Académie des sciences : Pinel, Biot et Halle, sur le Précis élémentaire de physiologie (1816) de Magendie s 'appl iquent t rès bien à ses recherches en pathologie infectieuse.

Il y est dit en effet que l 'auteur savait souvent « à l 'aide de l 'expérience, péné t re r dans les profondeurs de la science, en vaincre les difficultés et r ésoudre les prob lèmes les plus embar ra s san t s et les plus compliqués ».

S'il ne les a pas tous résolus, ses tentat ives de le faire et ses direct ions de recherche n 'en sont pas moins dignes d ' intérêt et de considérat ion.

MAGENDIE AND INFECTIOUS PATHOLOGY

There is a positive and negative aspect to Magendie's contributions on infectious pathology. The former concerns his research on rabies and putrid infection {septicemia) and the latter his anticontagionist attitude to cholera, glanders and various other infectious epidemic diseases.

In all his work on infectious pathology Magendie most often relied on physiological observations.

(40) Ibid., vol. IV, 311. (41) Ibid., 419422. (42) Ibid., 440445. (43) Proc. Verb. Acad. Set, VI, 1816-1819, p. 28.

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