lutte contre la désertification dans les projets de développement

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LUTTE CONTRE LA DSERTIFICATIONDANS LES PROJETS DE DVELOPPEMENT

Lutte contre la dsertification dans les projets de dveloppementUn regard scientifique sur l'exprience de l'AFD en Afrique sub-saharienne et au Maghreb

Mai 2002

Ouvrage collectif coordonn par : Philippe JOUVE Constance CORBIER-BARTHAUX Antoine CORNET

Comit Scientifique Franais de la Dsertification (CSFD) 911, avenue Agropolis - BP 64051 34394 Montpellier cedex 5 Tl. : (33) 4 67 41 62 50 Fax : (33) 4 67 41 62 52

Agence Franaise de Dveloppement (AFD) 5, rue Roland Barthes - 75598 Paris cedex 12 Tl. : (33) 1 53 44 31 31 Fax : (33) 1 44 87 99 39 Tlex : 281871F

Avant-proposL'une des principales finalits de laide publique au dveloppement est de contribuer au dveloppement durable, par la promotion dun environnement conomique et social stable et efficace, soucieux de cohsion sociale et respectueux de lenvironnement. Dans cette perspective, le rcent Projet dOrientation Stratgique de lAgence Franaise de Dveloppement prvoit daccrotre la part de ses interventions dans le domaine de lenvironnement et de la gestion concerte des ressources naturelles. La lutte contre la dsertification sinscrit pleinement dans ce cadre et se situe la croise denjeux multiples, locaux et globaux. Enjeux locaux dabord, car la dsertification sape la productivit des terres, base du dveloppement des populations les plus dmunies, particulirement dpendantes des ressources renouvelables : eau, sol, bois dnergie, flore et faune. Lutter contre la dsertification, cest lutter contre la pauvret et contribuer un dveloppement durable, qui amliore les conditions conomiques des populations de ces zones arides et semi-arides, mais demeure soucieux de cohsion sociale et denvironnement. Cest pourquoi, dans les pays touchs par la dsertification, notamment au Maghreb et dans le Sahel, lAgence Franaise de Dveloppement sattache promouvoir des projets sattaquant ce flau : dveloppement local, gestion concerte de la ressource en eau, de la ressource en bois, scurisation de llevage transhumant. Enjeux globaux galement, car, au mme titre que la prservation de la biodiversit ou la lutte contre leffet de serre, la lutte contre la dsertification est considre comme un bien public mondial. LAFD se doit de contribuer aux engagements internationaux de la France, notamment ceux souscrits dans le cadre de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la Dsertification. Cette Convention, qui propose une manire entirement nouvelle de grer les cosystmes arides et les flux daide au dveloppement, souffre cependant de difficults dans sa mise en uvre. Afin dalimenter et de fortifier la fois les positions franaises dfendues dans les enceintes internationales et nos propres interventions dans le domaine de la lutte contre la dsertification, il a paru opportun de donner un coup de projecteur sur cette problmatique, linterface entre notre exprience de terrain et ltat actuel de la recherche en ce domaine. Cette analyse vise " oprationnelle " devait videmment sappuyer sur des tudes de cas issues de projets en milieu rural aride ou semi-aride et, surtout, sur la confrontation de points de vue entre scientifiques de toutes disciplines, dune part, et entre ceux-ci et les quipes de lAFD en charge du financement du dveloppement, dautre part.

Cest dans cet esprit que lAFD a fait appel un comit pluridisciplinaire de chercheurs, sous la houlette du Comit Scientifique Franais sur la Dsertification (CSFD), et lui a propos dexaminer quelques-uns uns de ses projets sous langle spcifique de la lutte contre la dsertification, afin de mieux comprendre les processus en cause, les stratgies dacteurs, les mthodes et techniques de lutte et les problmes lis la mise en uvre de celles-ci. Ainsi sest construit, tout au long de cette tude, un vritable partenariat entre le monde de la recherche et celui des financiers du dveloppement. Le pari tait risqu : il nest pas toujours ais de runir des chercheurs de disciplines et dorigine trs diffrentes, dans une dmarche collective ; il est encore plus dlicat de nouer un dialogue productif dans une assemble o se ctoient chercheurs et ingnieurs de terrain. Quant au sujet, il tait encore peu explor sous cet angle et devait tre abord avec inventivit et souplesse. Lalchimie a pourtant opr avec succs et le rsultat est l, en particulier sous la forme dun document non pas rserv aux seuls initis de la dsertification, mais utile et accessible, cest ma conviction, tous les oprateurs et acteurs de dveloppement qui veulent comprendre les mcanismes de dsertification, et ajuster au plus prs leurs actions la spcificit de ces diffrents contextes agro-cologiques, sociologiques et conomiques. Je tiens trs sincrement remercier les chercheurs qui ont bien voulu donner de leur prcieux temps pour accompagner lAFD dans ses interrogations et ses volutions. Souhaitons que ce partenariat vivifiant avec la recherche se poursuive dans le mme climat de confiance, afin de promouvoir des initiatives innovantes mme de relever les dfis plantaires de la lutte contre la dsertification, de la lutte contre le changement climatique et de la prservation de la biodiversit.

Jean-Michel SEVERINO, Directeur Gnral de lAgence Franaise de Dveloppement

SommairePartie I : Introduction gnralePrsentation de ltude Liste des participants Dfinitions et caractristiques gnrales de la dsertificationDfinitions Aires gographiques concernes Mcanismes La dsertification : un enjeu politique et de dveloppement Mise en uvre de la lutte contre la dsertification 13 15 16 18 19 9 12

Partie II : Notes stratgiques par domaine de dsertificationLa lutte contre la dsertification en zone de culture pluvialeFormes et processus de dgradation des sols Les techniques de rgnration des sols dgrads Contextualisation des techniques Dgradation, rhabilitation et pression dmographique 25 30 34 38

Problmatique des zones pastoralesPhnomnes de dsertification et formes de dgradation Lutte contre la dsertification - Stratgies et dmarches actuelles - Techniques de lutte Relecture de la mise en uvre des mthodes et des techniques de lutte - Les questions en dbat - Quelques convictions 41 43 43 44 48 48 51

Problmatique gnrale des zones irriguesIntroduction Les risques de dsertification dans les primtres irrigus - Les diffrents types de dgradations environnementales possibles - Mthodes / Techniques de gestion conservatoire - Gestion conservatoire: devoirs des dcideurs et des institutions Les risques de dsertification aux abords des grands primtres irrigus3

53 54 54 56 57 58

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Partie III : Etudes de casAnalyse du projet dhydraulique pastorale au TchadDescription du contexte du projet Analyse du projet sous langle dsertification Formes de dgradation Techniques de lutte et leur mise en oeuvre dans le cadre du projet - Aspects socio-fonciers et socio-organisationnels - Evolution en deuxime phase Recommandations 63 64 65 66 67 68 68

Analyse compare de la lutte contre la dsertification sans le projet dappui au dveloppement local (PADL) et le programme Sahel Burkina (PSB-GTZ)Introduction Contexte des deux projets Diagnostic : Place et modalits de mise en uvre des actions de lutte contre la dsertification dans les deux projets Analyse des deux projets du point de vue contextualisation, participation et durabilit Discussion : Analyse compare des enseignements tires des deux projets et recommandations Documents gnraux 71 72 79 92 98 104

La lutte contre la dsertification dans la zone de loffice du NigerLa dynamique de la zone de lOffice du Niger Les enjeux environnementaux dans la zone Office du Niger - Le problme du partage des eaux - Le problme de la qualit de leau... et des sols - Problmes de relations avec les zones sches autour des primtres irrigus - Problmes de sant Les projets des Centres de Prestations de Services (PCPS) Le projet Unit de Recherche-Dveloppement, Observatoire du Changement (URDOC) Le projet Elaboration d'un schma directeur de lOffice du Niger - Llaboration dun programme de dveloppement autour de lOffice du Niger, intgrant les rgions sches, serait minemment souhaitable 107 108 108 108 109 109 110 110 110 111

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S o m m a i re

Partie IV : Notes thmatiquesContextualisation des techniques et mthodes de lutte contre la dsertification (LCD)Quest-ce que la contextualisation de la LCD ? Quelques problmes gnraux poss par la contextualisation - Nature, dure et mode de ralisation du diagnostic initial - Nature des propositions daction - Evaluation leur juste mesure des phnomnes de dgradation Les dimensions de la contextualisation 115 115 115 116 117 118

Modalits d'organisation et d'intervention des diffrents acteurs dans les oprations visant lutter contre la dsertificationArticulation entre acteurs Synthse de lanalyse des projets Quelques recommandations - Des principes - Une conception rnove des projets ? 129 130 134 134 135

Evaluation et durabilit - Impacts environnementaux, sociaux et conomiquesUn problme gnral li la Convention Dsertification Un problme spcifique pour les projets de dveloppement Indicateurs et critres de suivi de la dsertification Modle Pressions - Etat - Rponses 139 139 140 141

Recommandations oprationnellesRecommandation pour les projets Quelques commentaires complmentaires 155 157

5

P A R T I E

1

IntroductionG N R A L E

Introduction Dfinitions et caractristiques gnrales de la dsertification

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Prsentation de ltude

Prsentation de ltudeLe Comit Scientifique Franais sur la Dsertification (CSFD) t sollicit par lAgence Franaise de Dveloppement (AFD) pour entreprendre une rflexion et formuler des recommandations sur la faon de mieux prendre en compte la lutte contre la dsertification (LCD) dans les projets de dveloppement quelle soutient. Pour rpondre cette demande, le groupe de travail constitu par le CSFD a adopt la dmarche suivante : La dsertification tant un phnomne dont la nature et les manifestations donnent lieu diffrentes interprtations, il nous a paru utile de commencer par dfinir et caractriser ce phnomne. Cest lobjectif du texte prsent en introduction, texte qui accompagne un expos en format power-point enregistr sur le CD Rom joint ce document. La dfinition de la dsertification qui est actuellement la plus largement admise est celle propose par la Convention des Nations Unies sur la Lutte Contre la Dsertification en 1992 : le terme dsertification dsigne la dgradation des terres dans les zones arides, semi-arides et sub-humides sches par suite de divers facteurs parmi lesquels les variations climatiques et les activits humaines. Sil est difficile dagir directement sur les variations climatiques, en revanche on peut lutter contre la dsertification en sattaquant ses causes anthropiques. Cest la raison pour laquelle nous avons pris le parti dtudier la LCD en distinguant les grands domaines dactivit o se manifeste la dsertification : les zones pastorales, les zones de culture pluviale, les zones irrigues. Dautres distinctions auraient pu tre choisies mais nous avons retenu celle qui favorisait lapproche la plus oprationnelle. En effet, les causes et les modalits de la dsertification et par voie de consquence, les mthodes de lutte, sont en grande partie spcifiques ces trois grands domaines. Une autre option adopte dans cette tude a t de mettre laccent sur la mise en uvre des techniques et des mthodes de lutte contre la dsertification. En effet, il existe une abondante littrature scientifique et technique sur les diffrents types de dgradation qui caractrisent la dsertification, sur les mcanismes bio-physiques qui les singularisent et, dans une moindre mesure, sur les rponses techniques ces problmes. En revanche, peu de publications traitent de la mise en uvre effective des techniques et des mthodes de lutte et de leur pertinence. Or cest prcisment les conditions et les modalits de cette mise en uvre qui intressent prioritairement les oprateurs de dveloppement; cest pourquoi, ici nous lavons plus particulirement dvelopp dans notre tude. Cependant pour permettre aux oprateurs de dveloppement engags dans des projets de LCD daccder aux informations de base, concernant les types de dgradation et les techniques de lutte correspondant la situation dans laquelle ils interviennent, une base de donnes a t tablie. Cette base de donnes est intgre dans le CD Rom accompagnant ce document.9

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Compte tenu de ces options et de la demande formule par lAFD, la dmarche adopte pour conduire ltude t la suivante : Dans un premier temps, une rflexion gnrale a t engage sur les orientations stratgiques dans les trois grands domaines dactivit identifis prcdemment. Elles ont t prsentes et discutes lors dune rencontre avec des responsables de projets de lAFD, le 6 avril 2001. Les notes rsultant de cette premire rencontre sont reproduites dans la partie II de ce document. Ensuite, il est apparu ncessaire de confronter ces orientations gnrales des situations concrtes de LCD, dans les projets de dveloppement rural bnficiant du soutien de lAFD. Pour ce faire, il a t demand au groupe de travail du CSFD de passer au crible un certain nombre de ces projets, afin danalyser comment et jusqu quel point ils permettaient de lutter contre la dsertification. Ces projets ont t choisis avec les chargs de mission de lAFD, de manire couvrir un panel de situations agro-cologiques et des types dactivits diffrents. Ces analyses de cas se sont essentiellement appuyes sur des documents de projets et diverses tudes ex-ante et ex-post fournies par lAFD, compltes par des entretiens avec les responsables de ces projets ; elles ont galement bnfici de la connaissance et de lexprience directe de certains membres du groupe de travail concernant le terrain et le contexte particulier de ces projets. Les projets retenus comme tudes de cas ont t les suivants : Projet dhydraulique pastorale Almy Baham en zone pastorale, au Tchad Projet damnagement forestier dans la province dIfrane, au Maroc Projet dappui au dveloppement local (PADL-AFD) et programme Sahel Burkinab (PSB-GTZ), au Burkina Faso Projets dans la zone de lOffice du Niger (zones irrigues), au Mali Projet de dveloppement et de gestion de terroirs (PDGT), au Nord Cameroun Projet de Gestion des Ressources Naturelles (PGRN), au Bnin Projets de dveloppement rural intgr au Kef et Siliana, en Tunisie. Chacun de ces projets a fait lobjet dune analyse critique sur la faon dont ils prenaient en compte la lutte contre la dsertification (dont ce ntait pas toujours un objectif explicite). Trois de ces analyses, considres comme les plus riches denseignements quant aux conditions concrtes de mise en uvre de la LCD, ont t reproduites dans la troisime partie de ce document. Il sagit du projet Almy Baham en zone pastorale au Tchad, des projets AFD et GTZ (analyse comparative) en zone de culture pluviale au Burkina Faso et des projets dans la zone de lOffice du Niger, en zone irrigue, au Mali. Ltude critique de ces diffrents projets a mis en vidence, quen matire de lutte contre la dsertification, ces projets taient confronts un certain nombre de problmes communs qui mritaient dtre examins de manire transversale. Cest ainsi quune rflexion particulire a t engage concernant : La contextualisation des techniques et des mthodes de LCD Les modes dorganisation et dintervention des diffrents acteurs Lvaluation de limpact et de la durabilit des actions de lutte.

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Prsentation de ltude

Les rflexions et recommandations concernant ces trois thmatiques ont t prsentes lors dun sminaire organis au sige de lAFD le 5 novembre 2001. Les exposs et les dbats quils ont suscits sont reproduits dans la partie IV du prsent document. Une trentaine de personnes participait ce sminaire. Aux responsables doprations de lAFD, staient joints des reprsentants dautres institutions concernes par la LCD (OSS 1, MAE/DGCID 2). Ce sminaire a permis des changes approfondis sur la faon de mieux prendre en compte la LCD dans les projets de dveloppement de lAFD. Il a dbouch sur des recommandations oprationnelles que lon trouvera la fin de ce document. Cette tude rsulte dun travail collectif auquel de nombreuses personnes ont accept de contribuer, en sus de leurs activits habituelles. Aux membres du CSFD ayant particip au groupe de travail, ont t associs dautres collgues qui ont bien voulu mettre leur comptence et leur exprience au service de ltude, ce dont nous les remercions. La liste des participants ci-jointe illustre leur diversit disciplinaire ainsi que la contribution trs substantielle dun certain nombre de scientifiques des institutions dAgropolis Montpellier (CIRAD, CNEARC, IRD...). En particulier, cette tude a t loccasion dtablir des relations de coopration avec le groupe de travail dsertification du CIRAD anim par Philippe Lhoste, dont les conclusions refltent une grande convergence de vues avec les ntres. La coopration scientifique a galement t fructueuse avec, lUMR SAGERT dont sept membres ont particip ltude. Rappelons que cette unit mixte de recherche traite dune thmatique voisine : la gestion durable des ressources et territoires en zones tropicale et mditerranenne. On ne saurait conclure cette prsentation sans saluer la contribution prcieuse de deux personnes. Il sagit tout dabord de Nadia Zarioh qui lon doit la base de donnes oprationnelle sur les formes de dgradation caractrisant la dsertification et les techniques de lutte. Elle a galement assur la mise en forme finale de lensemble du dossier. Lautre personne est Constance Corbier-Barthaux, charge de mission lAFD, qui a assur avec une grande comptence le suivi de ltude et particip activement son organisation gnrale. En dpit des contributions multiples de qualit qua suscites cette tude, nous sommes conscients que ces travaux ne constituent quune tape vers une meilleure prise en compte de la dsertification dans les oprations de dveloppement rural. De nombreux thmes restent approfondir, notamment celui de la participation des diffrents acteurs la LCD ou celui de lvaluation de la durabilit des actions entreprises dans cette lutte. Mais pour aller plus avant, le groupe de travail a estim quil serait souhaitable de prolonger cette premire phase de rflexions gnrales et danalyses critiques, fondes essentiellement sur des documents gnrs tout au long du cycle des projets, en participant concrtement et sur le terrain la conception et laccompagnement de projets de dveloppement, dont la lutte contre la dsertification serait un objectif prioritaire. Philippe JOUVE Coordonnateur de ltude CSFD/AFD

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Observatoire du Sahara et du Sahel. Ministre des Affaires Etrangres / Direction Gnrale de la Coopration Internationale et du Dveloppement.

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Participants la rdaction de l'tudeMembres du Comit Scientifique Franais de la DsertificationAntoine CORNET - Ecologue, IRD - Prsident du CSFD Alain BOURBOUZE - Zootechnicien pastoraliste, IAMM Patrick CARON - Vtrinaire, Gographe, CIRAD-Tera Mireille DOSSO - Pdologue, CNEARC Philippe JOUVE - Agronome, CNEARC Philippe LHOSTE - Zootechnicien, CIRAD Andr MARTY - Sociologue, IRAM Jean-Philippe TONNEAU - Gographe, CIRAD-Tera Bernard TOUTAIN - Agropastoraliste, CIRAD- emvt

Autres participantsMatthias BANZHAF- Economiste rural ; consultant Barbara BENTZ - Agronome, CNEARC Pascal BOIVIN - Pdologue, Ecole polytechnique Fdrale de Lausanne Florence BRONDEAU - Gographe, Universit Paris IV-Sorbonne Marcel KUPER - Hydraulicien, CIRAD-Tera Nadia ZARIOH - Agronome, CNEARC

Agents de l'Agence Franaise de Dveloppement (AFD)ayant contribu la ralisation de l'tudeConstance CORBIER-BARTHAUX, Jean-Claude DEVEZE, Alain FELIX, Pierre FORESTIER, Nicolas FORNAGE, Rmi GOUIN (pour le FFEM), Roger GOUDIARD, Pierre ICARD, Franois JULLIEN, Denis LOYER, Marc-Antoine MARTIN, Caroline PIQUET, Dominique ROJAT

InstitutionsAFD - Agence Franaise de Dveloppement CSFD - Comit Scientifique Franais de la Dsertification CIRAD - Centre de Coopration Internationale en Recherche Agronomique pour le Dveloppement CNEARC - Centre National Etudes Agronomiques des Rgions Chaudes IRD - Institut de Recherche pour le Dveloppement IAMM - Institut Agronomique Mditerranen Montpellier IRAM - Institut de Recherche et d'Applications des Mthodes

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Dfinitions et caractristiques gnrales de la dsertification

de la dsertificationDfinitions1

Dfinitions et caractristiques gnralesBarbara Bentz et Philippe Jouve a t lobjet de diverses controverses et redfinitions. Jusquau dbut des annes 1980, la dsertification tait prsente comme une avance du dsert sur les terres productives. Ce phnomne na cependant jamais t prouv scientifiquement. Il semblerait plutt que les limites des dserts avancent ou reculent naturellement en fonction de la variation des prcipitations (Tucker et al., 1991). Bien que mise en avant par Auberville ds 1949, lide que la dsertification nest pas une extension des dserts existants mais rsulte dune transformation du milieu lie laction de lhomme, ne sest dveloppe quau cours de ces vingt dernires annes. Les dfinitions se sont alors succdes, diffrant aussi bien sur les causes et les impacts du phnomne, que sur son extension gographique (tableau 1).

(Nouveau Petit Robert, 1993), la dsertification se dfinit comme la transformation dune sous laction de facteurs climatiques ou humains. D aprs le dictionnaire rgionleen dsert,est employ depuis une cinquantaine dannes mais Dans le domaine scientifique, concept

Tableau 1 : Exemples de dfinitions de la dsertificationAire gographiquearide et semi-aride terres sches aride, semi-aride et subhumide

Causesaction humaine ou changement climatique processus naturel et anthropique action humaine

Impactsdiffusion de conditions dsertiques, avance du dsert dveloppement de conditions dsertiques et dclin durable du rendement des principales cultures changement des caractristiques des terres allant vers des conditions plus dsertiques, un cosystme appauvri (productivit rduite) et une dtrioration acclre des sols et systmes de production associs productivit rduite des cultures, altration de la biomasse et de la biodiversit, rosion acclre du sol et accroissement des risques lis loccupation humaine changements irrversibles du sol et de la vgtation, avec une diminution de la productivit biologique, pouvant aboutir, lextrme, la formation dun dsert dveloppement de terres improductives et rduction de la productivit dgradation durable des terres entranant un dclin du potentiel de production difficilement rversible dgradation des terres dclin irrversible ou destruction du potentiel biologique des terres et de leur capacit supporter les populations

RfrenceRapp, 1974 Warren et Maizels, 1977 Mabutt, 1984

tous cosystmes

action humaine

Dregne, 1978

aride, semi-aride et subhumide aride, semi-aride et subhumide aride, semi-aride et subhumide aride, semi-aride et subhumide sec zone de scheresse

action humaine et processus naturel action humaine et variations climatiques action humaine action humaine action humaine et processus naturel

Rozanov, 1982

Ahmed et Kassas, 1987 Nelson, 1988 Dregne et al., 1991 Mainguet, 1994

Source : Katyal et Vlek, 20001

Ce chapitre sinspire de ltude de la dsertification ralise par Katyal et Vlek (2000)

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La dfinition de rfrence adopte actuellement est celle tablie lors de la Confrence des Nations Unies sur lEnvironnement et le Dveloppement (CNUED) qui sest tenue Rio de Janeiro en 1992 : Le terme dsertification dsigne la dgradation des terres dans les zones arides, semi-arides et subhumides sches par suite de divers facteurs, parmi lesquels les variations climatiques et les activits humaines. Cette dfinition est aujourdhui reconnue et utilise lchelle internationale. Cependant, certains points doivent tre prciss pour une meilleure comprhension du phnomne.

Processus ou tat ?Le terme dsertification peut tre entendu comme un processus (phnomne naturel marqu par des changements rguliers aboutissant un rsultat spcifique) ou un tat, cre par la dgradation des terres. Ainsi, Rozanov (1982) emploie ce terme dans le sens dun processus de conversion de la terre en dsert. La prise en compte de cette diffrence de sens est importante par rapport aux stratgies de lutte dvelopper. En effet, lutter contre la dsertification entendue comme un tat revient corriger une situation existante (tat dsertifi), alors que lutter contre la dsertification en tant que processus signifie stopper ou renverser des mcanismes en cours.

Rversibilit ou irrversibilit ?Tout milieu naturel possde une capacit de rgnration (rsilience) lui permettant de rsister aux agressions. La dsertification correspond en fait une perte partielle ou totale de cette capacit sous leffet dactivits humaines dpassant les limites dune exploitation supportable. La rsilience dun milieu est cependant variable en fonction de ses proprits intrinsques et de lutilisation qui en est faite. Par ailleurs la rsilience est dautant plus faible que les conditions climatiques sont dfavorables. Lvaluation de ltat de dgradation des terres est complexe. De nombreux indicateurs ont t labors, mais peu sont rellement utiliss, faute de moyens (Cornet, 1996). Parmi lensemble des critres possibles, ltude de lvolution de la productivit du milieu a permis de caractriser plusieurs stades de dsertification, allant dune situation aisment rversible un tat totalement irrversible1 (Dregne et Chou, 1992 ; Sehgal et Abrol, 1994), cf. tableau 2. Du fait des risques rels de passage dune situation de dgradation rversible vers une situation irrversible, lensemble de ces quatre stades doit tre pris en compte dans la lutte contre la dsertification.

Tableau 2 : Les diffrents stades de dsertificationStade de dgradation lgre modre svre trs svre1

Perte durable de productivit (10) - 15 % 20 - 33 % 50 - 66 % > 66 %

Caractrisation facilement rversible en adaptant les pratiques agronomiques rversible grce des amnagements amliorateurs lchelle de lexploitation difficilement rversible, ncessit de travaux majeurs au cot lev irrversibleSource : Dregne et Chou (1992)

Evolution de la vgtation et des sols ne permettant pas le retour vers ltat primitif dans des conditions de protection totales ou quasi totales de lenvironnement pendant la dure dune gnration (Floret et Pontanier, 1982)

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Dfinitions et caractristiques gnrales de la dsertification

Impact de lhommeSelon les dfinitions, le rle de lhomme dans le processus de dgradation des terres est plus ou moins mis en avant par rapport des causes naturelles telles que les variations climatiques. Ainsi, daprs la FAO (1976), les terres se dgradent lorsque lutilisation qui en est faite par les hommes nest pas compatible avec leurs caractristiques. Si lon compare, lchelle mondiale, lvolution de la dmographie celle de la superficie des terres arables, il apparat que la disponibilit en terres arables par tte a fortement diminu depuis les annes 1950. Cette tendance devrait tre de plus en plus marque lavenir dans les pays en dveloppement, o le taux de croissance de la population est le plus lev (UNDP, 1998). Elle est lorigine dune pression foncire croissante pouvant, dans certains cas, conduire une surexploitation des terres (intensification irraisonne, exploitation de terres peu aptes la mise en culture,...) entranant une baisse de productivit : scnario de type no-malthusien. Cependant certaines tudes ont montr quelle peut aussi tre le facteur dune intensification de lexploitation du milieu et, au contraire, favoriser sa mise en valeur : scnario boserupien (Boserup, 1970 ; Tiffen et al., 1994). Ce dbat sur les relations entre accroissement dmographique et dgradation des terres est loin dtre clos, mais on commence mieux comprendre dans quelles conditions prvaut tel ou tel scnario (Jouve 2000).

Aires gographiques concernesDaprs la dfinition de la CNUED, la dsertification peut toucher les zones au climat aride, semi-aride ou sub-humide sec. Laridit se dfinit comme un dficit pluviomtrique structurel par rapport aux besoins en eau de la vgtation naturelle et cultive, qui peut prendre des formes diverses en fonction des caractristiques rgionales de pluviomtrie et de temprature (cf carte de laridit mondiale de lUNESCO, 1977). Elle correspond en fait aux zones pour lesquelles le ratio P/ETP (prcipitation / vapotranspiration potentielle) est compris entre 0,05 et 0,65 (les rgions polaires et sub-polaires tant videmment exclues). 70 % de ces surfaces, soit environ 3592 millions dhectares, seraient affectes par des phnomnes de dsertification modre trs svre (UNEP, 1991). La dsertification tant avant tout le rsultat dactivits humaines, dans le cadre de ltude CSFD/AFD, il est apparu pertinent de ltudier en distinguant les trois grands domaines dactivit o elle se manifeste (cf. tableau 3) : zones pastorales zones de cultures pluviales zones irrigues Cette distinction est utile pour rflchir loprationnalit de la lutte, dans la mesure o les causes et les modalits de la dsertification et, par voie de consquence, les mthodes de lutte, sont en grande partie spcifiques chacun de ces trois grands domaines.

Tableau 3 : Importance de la dsertification par grandes zones dactivitCultures pluviales surface totale (Mha) surface dgrade (Mha) rversible (% du total) irrversible (% du total) 457 216 46 115

Culture irrigue 145 43 28 1

Pturages 4556 3333 72 2Source : Katyal et Vlek, 2000

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Mcanismes1Les mcanismes et les formes de dgradation des terres diffrent en fonction des activits humaines pratiques.

Zones pastoralesLa dsertification est essentiellement lie une surcharge animale et un surpturage de ces zones sans temps de repos suffisant pour leur permettre de se rgnrer. Ce phnomne est essentiellement imputable une absence de gestion raisonne des pturages - notamment des pturages collectifs -, ainsi qu laccroissement des effectifs pouvant tre favoris par certaines politiques dintervention (transport deau par camion ou subvention des aliments). Il est aggrav par lexistence dune concurrence entre llevage et dautres activits humaines exploitant le milieu (telles que la cueillette, la collecte de combustible, la mise en culture, etc.) ainsi que par la diminution de la mobilit des troupeaux. Dans les zones pastorales, la dsertification se traduit essentiellement par : Une dgradation de la vgtation : perte de biodiversit ; plus forte variabilit de la production herbace en rponse aux fluctuations climatiques et capacit de remonte biologique rduite ; phytomasse exploitable trop faible par rapport aux potentialits et en diminution sur le long terme ; une dgradation des sols lie la diminution du couvert, favorisant des processus drosion. une diminution de la rgnration des aquifres, conscutive aux transformations du couvert vgtal et du sol. Pour faire face ces phnomnes, il parat indispensable damener les diffrents utilisateurs de lespace pastoral se concerter en vue dune exploitation raisonne des ressources du milieu (terres, fourrages, eau) conduisant la mise en place de rgles et dinstances de contrle de lutilisation de ces ressources. Il parat aussi ncessaire de grer la taille des effectifs en adquation avec les capacits du milieu et le systme agropastoral en place.

Zones de cultures pluvialesLa dsertification se manifeste principalement par la dgradation des sols, rsultant de modes dexploitation inappropris des terres : sol laiss nu, travail du sol non adapt, mauvaise gestion de la biomasse,... Cette dgradation des sols peut tre de diffrente nature : physique : principalement due lrosion hydrique (rsultant dune augmentation du ruissellement) ou olienne (dominante dans les zones les plus arides), mais pouvant aussi prendre la forme dune compaction des sols ; chimique : dans des sols gnralement pauvres, perte dlments minraux utiliss par les cultures non compense par des apports de fertilisants ; acidification des sols avec risque de toxicit par mise en solution de lion laluminium ; biologique : baisse du taux de matire organique qui aggrave les dgradations physiques et chimiques (par suite dune dstructuration du sol et dune diminution de la Capacit dEchange Cationique, CEC). Cette dgradation des sols est amplifie par des conditions climatiques dfavorables et affecte fortement la valorisation de leau pluviale par les cultures (fortes interactions entre alimentation hydrique et minrale).1

Rsum des notes dorientation stratgique par zones de ltude CSFD/AFD

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Dfinitions et caractristiques gnrales de la dsertification

La dgradation des terres en zone de cultures pluviales peut gnrer un cercle vicieux de la dgradation des sols. Cependant, celui-ci peut tre invers (cercle vertueux) par la mise en application de pratiques culturales adaptes, visant notamment restaurer un taux de matire organique convenable du sol. En zones de cultures pluviales, la dsertification se traduit galement par une dgradation de la vgtation naturelle avec notamment la diminution du couvert ligneux (haies, arbres,...) pouvant aggraver les phnomnes drosion et engendrer une pnurie de bois (combustible, construction,...).

Zones irriguesLirrigation des zones sensibles la dsertification prsente des risques plus ou moins grands en fonction des caractristiques initiales du milieu dans lequel elle est dveloppe (qualit de leau dirrigation et type de sols). Les flux deau artificiels peuvent en effet modifier considrablement les conditions dvolution des sols et entraner diffrentes formes de dgradation : dgradations physiques : semelle dirrigation, crote de battance ou rosion suite des pratiques dirrigation inadaptes ; salinisation : concentration de sels dans le sol. Ces sels peuvent prexister dans le sol (salinit primaire) ou tre apports par leau dirrigation (salinit secondaire). Dans le premier cas, la salinit primaire est remobilise et ramene en surface sil y a remonte des nappes suite lirrigation ; dans le second cas, lvaporation de leau dirrigation entrane une accumulation rsiduelle des sels dans les horizons suprieurs des sols. La salinisation peut prendre deux voies distinctes en fonction de la nature des sels : voie neutre : prcipitation de sels neutres (sulfates, chlorures) un pH voisin de la neutralit. Cette salinisation du sol, dont les effets sont proportionnels la concentration en sels, est aisment perceptible sur le terrain et elle est rversible. voie alcaline en prsence de carbonates. Ces derniers prcipitent, entranant un augmentation du pH et de la concentration en sodium. Lorsque le sodium devient trop abondant par rapport aux autres cations (sodisation), les risques de dgradation irrversible du sol sont levs. En effet, tout dessalage (lessivage) provoque alors une dstructuration complte du sol et une phytotoxicit leve. La voie alcaline, bien que peu frquente, a des consquences graves et peut se manifester soudainement du fait de son effet de seuil. Les primtres irrigus sont enfin sujets aux risques densablement, lis aux conditions climatiques et gomorphologiques de la zone. La dgradation des terres dans les zones irrigues peut tre vite par la mise en place dun drainage adapt (mthode coteuse mais rentable long terme). La salinisation et le risque de sodisation sont de plus prvisibles : une tude de la qualit de leau dirrigation et de la nature des argiles du sol permet en effet de connatre la voie saline susceptible dtre emprunte. Enfin, la dgradation des primtres est souvent lie des problmes de gestion de leau et dorganisation des usagers, qui doivent absolument tre pris en compte. La dsertification des zones irrigues est donc un phnomne en grande partie prvisible, qui peut-tre vit grce notamment un bon diagnostic pralable...

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InteractionsDans chacun des domaines considrs, la dgradation des terres se caractrise par une interaction entre les divers processus. Ainsi les diffrents mcanismes de dgradation des sols (physiques, chimiques et biologiques) sont en interaction. Dgradation des sols et dgradation de la vgtation samplifient mutuellement, provoquant souvent une mauvaise valorisation de la ressource hydrique. La dsertification est donc le rsultat de transformations complexes du milieu, sous laction de facteurs humains et environnementaux varis.

La dsertification : un enjeu politique et de dveloppementDes interprtations abusives du conceptDepuis quil a t mis en vidence, le problme de la dsertification a suscit de nombreux dbats sur la faon de le rsoudre. Cependant, comme lont montr Warren et Agnew (1988), le flou entourant la notion de dsertification a parfois permis certaines institutions nationales ou internationales - den user des fins toutes autres que celles de lutter contre la dgradation des terres. Ainsi, la dsertification a t parfois invoque pour : expliquer des difficults conomiques nationales ou rgionales, dont les causes sont de nature politique ou sociale que le pouvoir en place a du mal reconnatre ; faire passer auprs des populations et/ou des institutions internationales des mesures politiques ou conomiques difficiles justifier autrement ; attirer lattention de la communaut internationale en vue de drainer des fonds. Que ce soit en tant que fait institutionnel1, souffre-douleur ou tabou commandant les attitudes politiques, lemploi de ce terme a donc permis de justifier - et financer - une multiplicit dactions coteuses, parfois spectaculaires mais souvent inutiles (Warren et Agnew,1988).

La Convention des Nations UniesPourtant, en tant quenjeu la fois environnemental, conomique et politique, la dsertification demeure une question centrale du dveloppement. Face aux divers checs rencontrs et la ncessit dune approche plus concerte et rationnelle du problme, une Convention des Nations Unies sur la Lutte contre la Dsertification2 a t adopte Paris le 17 juin 1994. Ratifie fin 2000 par 109 pays, la Convention met en avant lampleur mondiale du problme caus par la dsertification, ainsi que la complexit des facteurs mis en jeu (environnementaux et humains). Elle reconnat les liens qui existent entre le phnomne de dsertification et les difficults conomiques et sociales actuellement rencontres par la majorit des pays touchs (pays en dveloppement), ainsi que la ncessit dune coopration au niveau international. Pour ce faire, elle propose la mise en uvre de programmes dactions nationaux et sousrgionaux, en partenariat avec les pays dvelopps. Laccent est mis sur lAfrique (considre comme la zone la plus vulnrable) et sur la sensibilisation et la participation des populations1 2

Fait auquel une institution veut croire, fait qui sert les fins de cette institution (Thompson et al., 1986) Intitul exact : Convention des Nations Unies sur la lutte contre la dsertification dans les pays gravement touchs par la scheresse et/ou la dsertification, en particulier en Afrique.

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Dfinitions et caractristiques gnrales de la dsertification

locales. Limportance dune coordination et dune coopration entre les diffrentes institutions de recherche scientifique et technique travaillant sur le sujet est aussi souligne. Pour organiser la lutte contre la dsertification, la Convention sest dote dun certain nombre dinstitutions : Confrence des Parties : organe suprme de la Convention. Elle se runit rgulirement (tous les ans durant les 5 premires annes puis tous les 2 ans) pour traiter de lensemble des aspects de la Convention. Secrtariat Permanent qui est au service de la Confrence des parties et des organes subsidiaires. Comit de la Science et de la Technologie : organe subsidiaire de la Confrence des Parties, lui fournissant des informations et des avis sur des questions technologiques relatives la lutte contre la dsertification et lattnuation des effets de la scheresse. Rseaux dinstitutions, dorganismes et dorganes existants : il doit concourir la mise en uvre de la Convention. Mcanisme mondial qui devrait permettre dorganiser les financements lchelle internationale. Cependant, la Convention prsente des limites, du fait notamment de labsence dun guichet propre pour le financement des actions de lutte (elles peuvent tre finances au travers du FEM1 ou du FFEM2, mais en relation avec des actions relevant dautres Conventions) et pour le fonctionnement des institutions. Elle se heurte aussi certaines difficults pour impliquer les pays du Nord par rapport un problme qui ne les touche pas directement (Cornet, 1996).

Mise en uvre de la lutte contre la dsertificationLes formes et mcanismes de dgradation du milieu qui caractrisent la dsertification, ainsi que les techniques de lutte contre ces dgradations, ont fait lobjet de nombreuses recherches qui ont donn lieu une abondante littrature scientifique. Compte tenu de la demande formule par lAFD au CSFD, qui portait essentiellement sur la prise en compte de la lutte contre la dsertification dans les projets, le parti a t pris de mettre laccent sur la mise en uvre de ces techniques de lutte plutt que sur leur description. Cependant, pour permettre aux oprateurs de terrain daccder linformation ncessaire la connaissance des formes de dgradation gnres par la dsertification dans leur zone dintervention et aux techniques de lutte proposes par la recherche, une base de donnes informatique a t labore, qui leur permet daccder cette information pralable laction.3 La rflexion a donc port plus particulirement sur la mise en uvre des techniques et mthodes de lutte contre la dsertification dans le cadre doprations de terrain. Cest un domaine dtude nettement moins document par les publications scientifiques, au point dapparatre comme le chanon manquant des recherches relatives ce sujet. Cest aussi une des raisons pour laquelle le groupe de travail du CSFD a fait porter sa rflexion sur les problmes poss par la mise en uvre des mthodes de lutte. Lanalyse de ces problmes Fonds pour l'Environnement Mondial (= GEF) Fonds Franais pour l'Environnement Mondial 3 Cf. Inventaire bibliographique slectif des formes de dgradation du milieu et des techniques de lutte contre la dsertification en Afrique (1980-2000), Aot 2001, N. Zarioh - CSFD.1 2

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travers ltude compare de diffrents projets a conduit sintresser trois grandes thmatiques : La contextualisation des techniques et mthodes : cest dire la prise en compte des conditions dans lesquelles les techniques et mthodes de lutte contre la dsertification vont tre mises en uvre, afin de les adapter ces conditions et de choisir les plus pertinentes. Cette contextualisation a plusieurs dimensions : agrocologique, socio-conomique, institutionnelle et politique. Par ailleurs, les actions entreprendre doivent tre cohrentes avec le stade dvolution des systmes agraires concerns. Les modes dorganisation et dintervention des diffrents acteurs dans la mise en uvre des actions de lutte contre la dsertification dans les projets, de lEtat aux agriculteurs en passant par les organisations paysannes et les oprateurs de dveloppement. Lvaluation de la durabilit des actions de lutte, en mettant laccent sur les impacts environnementaux, sociaux et conomiques de ces actions.

Rfrences bibliographiquesAHMAD Y.J. et KASSAS M., 1987. Desertification : Financial support for the biosphere. Londres (RU) : Hodder an Stroughton AUBERVILLE A., 1949. Climats, forts et dsertification de lAfrique Tropicale. Paris (FRA) : Socit dEditions Gographiques, Maritimes et Coloniales. BOSERUP E., 1970. Evolution agraire et pression dmographique. Paris : Flammarion. BOULIER F. et JOUVE P., 1990. Evolution des Systmes de production sahliens et leur adaptation la scheresse. Rseau international de Recherche sur la Rsistance la Scheresse / CIRAD (FRA). CORNET A., 1996. Dsertification et projets de lutte : rflexions prliminaires. Rapport au CST du FFEM, Paris (FRA), 17p. DREGNE H.E., 1978. Desertification : Mans abuse of the land. Journal of Soil and Water Conservation 33, p. 11-14. DREGNE H.E. et CHOU N.T., 1992. Global desertification dimension. In Degradation and Restoration of Arid Lands. Dregne H.E. (ed.). Texas (USA) : International Center for Arid and Semi-arid Studies, Tech University, Lubbock, p. 249-282. DREGNE H.E., KASSAS M. et ROZANOV, 1991. A new assessment of the world status of desertification. Desertification Control Bulletin 19, p. 6-18. FAO, 1976. A framework for land evaluation. Rome (ITA) : FAO Soils Bulletin 32. FLORET C. et PONTANIER R., 1982. Laridit en Tunisie pr-saharienne. Paris (FRA) : Travaux et Documents 150, ORSTOM, 544 p. JAGDISH C. KATYAL, P.L.G. VlEK, 2000. Desertification - Concept, Causes and Amlioration, ZEF. Discussion Papers On Development Policy N.33. Bonn (DEU) : Center for Development Research, 65 p.20

Dfinitions et caractristiques gnrales de la dsertification

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P A R T I E

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Notes stratgiquesPAR ZONE DE DSERTIFICATION

La lutte contre la dsertification en zone de culture pluviale Problmatique des zones pastorales Problmatique des zones irrigues

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L a l u t t e c o n t re l a d s e r t i f i c a t i o n e n z o n e d e c u l t u re p l u v i a l e

de culture pluviale (ZCP)

La lutte contre la dsertification en zonePhilippe JOUVE es zones de culture pluviale occupent 457 millions dha dans le monde. Sur cette superficie on estime que 216 millions dha sont dgrads dont : 4 millions dha de faon irrversible 29 millions dha de faon grave 183 millions dha de faon modre (Jagdish et al., 2000) La dsertification en ZCP se manifeste essentiellement par une dgradation des sols entranant une baisse de productivit de ces sols avec toutes les consquences conomiques et sociales qui en dcoulent pour les populations qui vivent dans ces zones. Mais dautres formes de dgradation du milieu peuvent y tre observes : Diminution des formations vgtales associes aux zones de culture, cette diminution tant la fois quantitative (rgression parcours, forts, jachres) et qualitative (perte de biodiversit) ; altration des ressources en eau utilises pour lalimentation des hommes et des animaux, soit par rduction quantitative de ces ressources (asschement des aquifres), soit par pollution des nappes. Mais la principale manifestation de la dsertification en ZCP tant la dgradation des sols cest surtout elle que nous analyserons.

L

Formes et processus de dgradation des solsLa dgradation des sols en zone de culture pluviale est due principalement des mthodes dexploitation des terres inappropries dont les effets nfastes peuvent tre accentus par la pjoration des conditions climatiques. Mais avant dexaminer les moyens de remdier cette dgradation, il convient den identifier clairement les diffrentes formes et les mcanismes qui les gnrent. La dgradation des sols rsulte de processus physiques, chimiques et biologiques en interaction qui affectent leur productivit et diminuent leur fertilit (cf. figure 1)

Figure 1 : Rpartition des superficies affectes par la dgradation des sols (en millions dhectares)Erosion hydriqueAfrique Monde 119 467

Dgradation olienne160 432

Total13,9 34,7 319,4 1035,1Source : UNEP, 1992

physique26,5 100,6

chimique

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La dgradation physique des solsLa forme la plus commune et la plus rpandue de la dgradation des sols est lrosion. On estime quelle affecte 84 % des sols dgrads (Steiner 1996). Cette rosion se manifeste par un transport des matriaux des couches superficielles du sol. Ce transport peut-tre dorigine hydrique ou olienne. Bien que ce processus soit lorigine de nombreux sols sur la plante, il devient nfaste lorsque, acclr par lintervention de lhomme, il entrane une perte de matriaux, quantitative et qualitative, prjudiciable la productivit des sols1. Limportance relative de ces deux types drosion dpend de plusieurs facteurs (degr daridit, nature des sols) qui devront tre pris en compte dans le raisonnement et la contextualisation des techniques de lutte (cf. figure 2).

Figure 2 : Importance du type drosion en fonction de laridit du climat250 200 Water erosion Wind erosion

AERA (Mha)

150 100 50 0

Dr

y

b su

hu

mi

d m Se

iar

id

ar

id

Source : Middleton et Thomas (1997)

Laccroissement du ruissellement est lune des principales causes de lrosion hydrique. Lintensit du ruissellement dpend de caractristiques naturelles : rgime pluviomtrique, topographie des sols mais aussi de facteurs directement lis aux activits humaines et en particulier aux modes de culture. Ainsi laccroissement du ruissellement peut rsulter dune diminution de linfiltration de leau conscutive la dgradation des tats de surface du sol (battance, crotes...) et/ou de la dstructuration des horizons du sol entranant une baisse de porosit. La nature de la couverture vgtale (densit, dure) a galement un effet important sur lintensit de lrosion en rduisant le ruissellement mais aussi en diminuant limpact des gouttes de pluie.

1

Les pertes de terre par rosion varient de 20 60 t/ha/an. Elles sont vingt quarante fois suprieures au rythme de formation des sols (Steiner 1996)

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Ces diffrents mcanismes sont schmatiss dans la figure 3 :

Figure 3 : Processus gnral de lrosion hydrique des solsTaux de couverture du sol Taux de m. o du sol

Rgime pluviomtrique

Dstructuration et compaction du sol Topographie Infiltration

Ruissellement

Erosion hydrique

Lrosion olienne bien que moins spectaculaire que lrosion hydrique, est une forme de dgradation qui a tendance saccrotre avec laccentuation de laridit. Elle provoque un tri slectif des matriaux dplacs en entranant prfrentiellement les particules les plus fines du sol. Ce processus affecte la fois les caractristiques physiques mais aussi chimiques et biologiques des sols. Une autre forme de dgradation physique des sols est la compaction, cest dire la diminution de porosit du sol. Cette altration physique du sol est en interaction avec la prcdente dans la mesure o la diminution de porosit du sol, rduit linfiltration de leau ce qui favorise le ruissellement et lrosion hydrique. Mais elle affecte aussi la colonisation du sol par les racines des plantes cultives, rduisant leur rsistance au stress hydrique et leur capacit dextraction dlments minraux. Il en rsulte une baisse de productivit du sol. Les facteurs qui influent sur lintensit de cette dgradation sont tout dabord la nature mme des matriaux constitutifs du sol et leur proportion (les sols limoneux et les sols argiles non gonflantes sont particulirement sensibles la compaction). Lautre facteur en interaction avec le prcdent est le mode dexploitation du sol. La compaction du sol peut rsulter dun pturage mal conduit mais elle est le plus souvent due des interventions culturales faites avec du matriel lourd dans des conditions dfavorables (sol insuffisamment ressuy). Cette dgradation plus insidieuse que lrosion affecte de trs vastes superficies en culture mcanise (cas du Brsil) par contre dans les pays en dveloppement o la culture est manuelle ou attele, ce type de dgradation est de moindre importance.

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Dgradation chimique des solsComme la dgradation physique, celle-ci peut prendre diffrentes formes en interaction les unes avec les autres. La perte dlments fertilisants Les rgions concernes par la dsertification ont en gnral des sols qui ont une faible rserve en nutriments. Cette faiblesse sexplique par le fait que ces sols, souvent trs anciens, sont en grande partie altrs et nont donc pas une grande capacit librer des lments nutritifs. Dans de nombreux cas, cette faiblesse se traduit par des carences en lments majeurs comme le phosphore, le potassium ou le calcium. De plus leur composition granulomtrique et leur faible teneur en matire organique (spcialement en zone aride) leur confrent une capacit dchange cationique (CEC) faible. La mise en culture de ces sols entrane ncessairement une exportation dlments minraux. Lapport de fertilisants minraux et organiques tant limit, cette exportation nest pas compense. Il en rsulte une baisse de fertilit minrale des sols, qui est dautant plus rapide que la CEC et les rserves du sol en lments minraux sont faibles. Cette chute de fertilit induit un double processus rgressif, dune part lacidification des sols dautre part la baisse de biomasse et donc de matire organique recyclable. Lacidification des sols Celle-ci rsulte de la substitution des bases changeables fixes sur le complexe absorbant du sol par des ions H +. On vient de voir que cette acidification est une consquence directe de la mise en culture des sols par suite du prlvement, sans restitution, de nutriments du sol et de la baisse du taux de matire organique. Ce phnomne peut tre acclr par lutilisation dengrais minraux acidifiant le sol (ure, sulfate dammonium) Cette acidification saccompagne gnralement dune mise en solution de laluminium contenu dans le sol et de la saturation de la CEC en cet lment ce qui induit une toxicit pour les plantes diminuant la productivit du sol. Cette chute de la fertilit des sols suite une mise en culture inapproprie, constitue une forme de dgradation des sols qui si elle nest pas la plus rpandue en surface ni la plus visible, est probablement celle qui a le plus dimpact sur le niveau de vie des agriculteurs puis quelle affecte directement le rendement de leurs cultures. Cette baisse de rendement incite les agriculteurs tendre les superficies cultives au dtriment des terrains de parcours et des forts et accentuer leur pression sur les autres ressources de leur milieu notamment les ressources ligneuses (vente de bois et de charbon de bois) (cf. Figures 4 et 5).

Figure 4 : Surface cultive en mil et rendement total du dpartement de Tahoua (Niger)SURFACE CULTIVE (ha x 1000) - Production (t x 1000)1200 Surfaces 1000 Production

800

600

400

200

0 1976 1978 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 TEMPS (an)

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L a l u t t e c o n t re l a d s e r t i f i c a t i o n e n z o n e d e c u l t u re p l u v i a l e

Figure 5 : Rendements lhectare du mil et du nib dans le dpartement de Tahoua1000 900 800 Mil Nib

RENDEMENTS (kg ha-1)

700 600 500 400 300 200 100 0 1976 1978 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 TEMPS (an)

Source : M. Nouhou 1996

Dgradation biologique des solsCelle-ci se manifeste essentiellement par la baisse du taux de matire organique (m.o.) du sol. En effet, la mise en culture des terres en zones tropicales et arides entrane gnralement une diminution du taux de m.o. du sol. Or cette m.o. joue un rle essentiel dans lentretien de la fertilit du sol : Elle favorise le maintien de sa structure et donc limite sa dgradation physique, elle participe de faon significative la CEC du sol, cest dire sa capacit de fixer des nutriments, elle limite lacidification du sol, alimente la microfaune du sol et par sa minralisation fournit des lments fertilisants aux cultures. En consquence maintenir, voire amliorer le taux de m.o du sol cest contribuer, de diffrentes manires, amliorer sa fertilit, en revanche laisser ce taux dcrotre cest favoriser toutes les formes de dgradation du sol prsentes prcdemment. Ce constat est la base des deux scnarios qui sont habituellement faits en matire de perspectives dvolution des zones touches par la dsertification o le cercle vicieux de la dgradation, quand le taux de m.o baisse, est oppos au cercle vertueux de la rgnration quand ce taux augmente. (cf. figure 6).

Figure 6 : Cercle vicieux de la dgradation des solsAugmentation des besoins

Baisse de la fertilit

Diminution du temps de jachreBaisse de la production

Augmentation de l'rosion

Sol improductif

Source : Evequoz et Guero (2000)

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Une autre forme de dgradation biologique des sols est la diminution des microorganismes et de la microfaune du sol en particulier les termites qui jouent un rle important dans le recyclage de la matire organique et la structuration du sol.

Les techniques de rgnration des sols dgradsIl existe une gamme assez large de techniques de rgnration des sols dgrads. Compte tenu de lorientation donne notre dmarche, qui met laccent sur les conditions de mise en uvre de ces techniques plus qu leur analyse dtaille, nous nous contenterons ici de rpertorier ces techniques en fonction des diffrentes formes de dgradation des sols prsentes prcdemment. Ltablissement dune base de donne sur les documents de rfrence concernant la lutte contre la dsertification permettra aux oprateurs de dveloppement daccder des informations plus dtailles sur la nature de ces techniques et les rsultats exprimentaux concernant leur efficacit. Linventaire des techniques de restauration des sols dgrads peut se faire suivant diffrents critres. On peut les classer : - par leurs effets spcifiques sur tel ou tel type de dgradation (rosion, acidification etc.) - suivant quelles sont mises en uvre lchelle des parcelles cultives dune exploitation et procdent dinitiatives individuelles ou suivant quelles relvent daction collective et dinterventions conues lchelle locale (terroirs, territoires villageois, bassins versants...). Cest partir de ces deux modes de classification qua t tabli le tableau ci-aprs (cf. figure 7) des techniques de rgnration des sols dgrads. Il peut tre galement intressant de classer ces techniques suivant quil sagit de techniques exognes ou au contraire de techniques traditionnelles rsultant de lexprience des paysans, qui sont, en gnral, plus facilement adoptes. Ainsi on peut classer dans cette deuxime catgorie les techniques du za, du paillage (que certains paysans appellent pansement su sol), de la protection des rejets naturels sur les zones de culture (appele aussi dfrichement amlior).

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Figure 7 : Techniques de lutte contre la dgradation des sols

Formes de dgradation Erosion hydrique olienne Compaction encrotement Elments minraux Acidification Matire organique Microorganismes Faune du sol Couvert vgtal Stockage Diminution du ruissellement Enracinement

Dgradation Physique

Dgradation chimique

Dgradation biologique

Effets sur lconomie de leau Efficience de leau

Techniques

++ + + + + + + + ++ (-) + + ++ + (+) (+) + ++ + (+) + +

+ + +

+

+ ++ + + +

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Techniques mises en uvre lchelle des exploitations - Cordons pierreux - Za ou tassa - Mulch, paillage - Compostire, fosse fumire - Protection des rejets naturels (dfrichement amlior) - Travail du sol (billons cloisonns etc.)

+ + + +

+

+ + +

L a l u t t e c o n t re l a d s e r t i f i c a t i o n e n z o n e d e c u l t u re p l u v i a l e

Techniques relevant dactions collectives Rgnration des terrains en amont des zones de culture - sous-solage - amnagement du terrain . terrasses . banquettes . demi-lunes - revgtalisation du sol . plantation darbres dherbaces - Correction des ravines +

+

+ +

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Association de techniquesCes diffrentes techniques sont souvent utilises de faon associe soit pour renforcer leur efficacit comme dans le cas de lassociation sur une mme parcelle, du za, des cordons pierreux et de la protection des rejets naturels, soit parce que certaines techniques prparent ou facilitent des interventions ultrieures. Ainsi la rcupration des terres dgrades en amont des terres de culture est souvent prcde dun sous-solage mcanique permettant la plantation darbres et dherbaces.

Rgnration des sols et valorisation de leau pluvialeLa dgradation des sols cultivs qui est une des principales manifestations de la dsertification, se traduit par une baisse de productivit de ces sols. La finalit des techniques de rgnration, consiste prcisment restaurer la capacit productive de ces sols cest dire leur fertilit et cela, si possible de faon durable. Mais dans les zones arides et semi-arides qui sont les zones les plus affectes par la dsertification, la productivit des terres cultives dpend en grande partie dune autre ressource que le sol, qui est la ressource en eau provenant des prcipitations. Notre capacit daction directe sur cette ressource demeure trs limite, par contre lefficacit (en terme de production de biomasse) dune quantit donne deau pluviale peut-tre trs diffrente suivant ltat physique, chimique et biologique du sol. On voit quil existe une interaction forte entre les techniques de rgnration des sols et la valorisation des eaux pluviales. La lutte contre la dsertification, en zone cultive, passe donc par lamlioration de lefficience de leau pluviale. Les stratgies adopter pour atteindre cet objectif sont trs directement lies aux conditions de milieu, cest donc un domaine o la contextualisation des interventions en matire de lutte contre la dsertification, est particulirement importante comme nous le verrons plus loin. Cette contextualisation ncessite dexpliciter les nombreuses interactions existant entre ltat de la ressource en sol et la valorisation de la ressource en eau. Nous nous limiterons en donner deux exemples : Les techniques de lutte contre le ruissellement nont pas seulement pour objet de rduire lrosion hydrique, elles favorisent aussi lemmagasinement de leau. Les pertes par ruissellement peuvent atteindre 40 % des prcipitations, en zone aride o les prcipitations satisfont moins de la moiti des besoins en eau des cultures. Rduire ces pertes cest donc amliorer considrablement la productivit des sols. Autre exemple, restaurer la fertilit minrale et organique des sols cultivs, cest, sauf cas particulier, accrotre de faon sensible lefficacit des pluies et en dfinitive le rendement des cultures. En effet sur des sols dsaturs ayant perdu lessentiel de leur fertilit comme cest souvent le cas des sols sableux des zones sahliennes, aprs quelques annes de culture sans restitution, la productivit des terres reste faible quelque soit la quantit de pluie tombe.

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La gestion de la m.o. et la restauration de la fertilit des sols, lments cl dans la lutte contre la dsertificationDans les zones sub-sahariennes frappes par la dsertification de nombreuses observations et exprimentations ont montr que la mise en culture des sols entranait une base de leur taux de m.o. (Pieri 1989, Evequoz et al. 2000) (cf. figure 8)

Figure 8 : Baisse du taux de M.O2.00

1.75

1.50

TAUX DE MO (%)

1.25

1.00

0.75

0.50

0.25

0.00 0 0 3 6 9 12 15 18 21 24 27 30 33

DURE (an)

Source : Evequoz, Guero (2000)

Dans les sols sableux du Sahel, ce taux de m.o. se situe entre 1 et 1,5 % au moment de leur mise en culture ou aprs une jachre longue. Etant donn le taux relativement lev de minralisation de cette m.o. que lon observe en zone aride et semi-aride (0,05/an) le taux de m.o. du sol a tendance dcrotre rapidement au fur et mesure de lallongement du temps de culture. On estime, par ailleurs, que lorsque ce taux de m.o. descend en dessous de 0,6 % il modifie la structure du sol sur glacis et acclre lrosion hydrique et olienne. La culture continue du sol pendant plus de dix ans fait chuter ce taux de matire organique aux environs de 0,3 0,4 %, taux que lon observe dans les sols trs dgrads. La baisse de m.o. des sols apparat donc comme un indicateur et une cause de leur dgradation. Aussi une orientation stratgique de base pour restaurer les sols dgrads en zones aride et semi-aride est de remonter leur taux de m.o. Comment y parvenir ? Cest prcisment ce quil faudra tudier partir de cas concrets. Mais dores et dj on peut pointer les questions auxquelles on sera amen rpondre : Quels sont les apports de m.o. quil faut faire, en moyenne par ha et par an, pour restaurer puis entretenir un taux de m.o. acceptable des sols cultivs ? Quelle peut-tre la contribution de la fumure animale dans la gestion de ce taux de m.o. compte tenu des ressources fourragres disponibles lchelle des territoires villageois ?33

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Dans le cas, trs gnral, o le recyclage de la m.o. disponible sur les terres de culture nest pas suffisante, quelle proportion de pturage doit tre associe aux terres de culture pour permettre les transfert horizontaux de fertilit ncessaires au maintien dun taux satisfaisant de m.o. sur ces terres de culture ? Quelles sont les voies damlioration de la gestion du statut organique des sols ? Lintensification culturale par lutilisation des moyens endognes est-elle suffisante ? Faut-il recourir aux engrais ? et si oui dans quelle proportion ? Cest toutes ces questions quil faudra rpondre si lon veut analyser concrtement comment passer du cercle vicieux qui gnre la dgradation des sols au cercle vertueux qui permet par une restauration de taux m.o. des sols et de leur fertilit damorcer une gestion durable de la ressource en sol.

Les techniques existent, reste les mettre en uvrePour conclure provisoirement cette partie consacre aux techniques de rgnration des sols dgrads en zones de culture pluviale, nous pensons que grce la recherche et la valorisation des savoirs et savoir-faire paysans nous disposons actuellement dune panoplie de techniques suffisamment large et diversifie pour restaurer les sols dgrads. La difficult consiste les mettre en uvre. Cette mise en uvre pose deux grands types de problme : le premier est celui de la contextualisation de ces techniques, le second en partie dpendant du premier concerne les conditions conomiques, sociales et organisationnelles permettant leur mise en uvre effective. Ce sont ces deux types de problme que nous nous efforcerons dtudier par la suite. Pour linstant nous nous limiterons donner quelques indications gnrales sur la faon dont nous comptons aborder ces problmes.

Contextualisation des techniquesContextualiser les techniques de lutte contre la dgradation des sols, cest tenir compte des conditions dans lesquelles ces techniques vont tre mises en uvre afin de choisir celles qui sont les plus pertinentes par rapport ces conditions. Trois grands types de conditions doivent tre pris en considration pour raisonner le choix de ces techniques : Les premiers concernent le milieu physique et en particulier les conditions pdoclimatiques des zones dintervention. La prise en compte de ces conditions permet de slectionner les techniques pertinentes en fonction de la diversit des milieux physiques, cela correspond ce que lon pourrait appeler la contextualisation spatiale des techniques. Les seconds sont lis aux systmes de production et en particulier aux moyens de production dont disposent les agriculteurs. Il est clair que lon ne peut proposer les mmes techniques de rgnration des sols, des agriculteurs pratiquant la culture manuelle et des agriculteurs disposant de la traction animale ou mcanique.

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Enfin le troisime type de contextualisation est li aux dynamiques agraires luvre dans les socits rurales. Suivant le stade agraire auquel se situe une socit rurale, le mode de gestion des terres par les agriculteurs sera diffrent. Un facteur important de cette dynamique agraire tant lvolution du rapport entre la population et lespace cultivable, il sera important dexaminer leffet du degr de saturation foncire sur la propension des agriculteurs adopter telle ou telle technique de gestion et conservation des sols. Ce principe de contextualisation sera prcis et dvelopp ultrieurement, notamment partir dtudes de situations concrtes, aussi nous nous contenterons ici de lillustrer en prenant trois exemples en rfrence avec chacun des trois grands types de condition de contextualisation : 1er exemple : la valorisation de leau au Sahel En schmatisant, on peut, au Sahel, distinguer deux grands types de situations pdoclimatiques par rapport lconomie de leau : les milieux o leau ruisselle et les milieux o leau sinfiltre. Les premiers correspondent aux zones cuirasses o lagriculture pluviale se pratique sur de longs glacis reliant les plateaux cuirasss aux bas-fonds. La mise en culture de ces glacis peut entraner la destructuration des sols en surface et lapparition dencrotements (les fameux zippelee du Yatenga) qui favorisent le ruissellement. Les seconds se trouvent dans les rgions recouvertes de sols sableux de grande paisseur, correspondant la formation dergs anciens en partie fossiliss (cas du bassin arachidier au Sngal, du dpartement de Maradi au Niger, entre autres). Bien quentre ces deux situations il existe beaucoup de situations intermdiaires (la rgion de Fillingu au Niger par exemple) il nen reste pas moins que les stratgies de valorisation de leau dans les milieux sableux et sur les terres de glacis des zones cuirasses ne sont pas de mme nature (cf. figures 9 et 10). Cest ainsi que si la technique du za est particulirement bien adapte aux glacis o leau ruisselle, elle est sans objet sur les sols sableux o leau sinfiltre. En revanche dans ces milieux, la restauration de la fertilit minrale et organique particulirement fugace en sol sableux, devient un objectif prioritaire pour amliorer la valorisation de leau pluviale. Cette contextualisation spatiale des techniques dintervention est raisonner lchelle rgionale comme on vient de le montrer, mais aussi lchelle locale. En zone cuirasse, les diffrences de sol du haut en bas des glacis conduisent diffrencier les techniques de gestion du sol. De mme au sein des milieux sableux, de faibles diffrences de texture peuvent induire des comportements trs diffrents des sols qui ncessitent dadapter les techniques de gestion de ces sols. (cf. les diffrences entre sols dior et deck dans le bassin arachidier). 2me exemple : La rgnration des sols dgrads sur les glacis des zones cuirasses Celle-ci pourra se faire en recourant la technique de la culture sur billons, perpendiculaires la ligne de pente avec ventuellement un cloisonnement de ces billons pour favoriser linfiltration de leau. Cette technique peut-tre prconise des agriculteurs qui disposent de la traction animale ou qui peuvent recourir au tracteur. En revanche, elle nest pas adapte aux agriculteurs qui pratiquent la culture manuelle. Ceux-ci privilgieront des techniques de rgnration localise de leur sol telle que le za ou le paillage.

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3me exemple : La protection des rejets naturels dans les zones de culture On ne peut comprendre la diffusion rapide et quasi spontane de cette pratique dans de nombreux villages du Sahel, que si on la replace dans une perspective dvolution des systmes agraires de cette rgion, ce qui correspond une contextualisation historique. Quand la densit de population rurale tait faible et que les terres de culture noccupaient quune partie du territoire, les agriculteurs navaient pas de propension protger les arbres et les arbustes qui poussaient dans leurs champs. La ressource ligneuse ntait pas rare et lon pouvait facilement se procurer du bois dans les brousses voisines des zones de culture. Par ailleurs le foncier ntant pas totalement fix et les animaux divagant dans les champs en saison sche, le maintien de rejets darbres dans les champs navait gure dintrt.

Figure 9 : Voies damlioration de lalimentation hydrique des cultures pluviales au Sahel dans les milieux cuirasss

Objectifs Gnraux

Sous-objectifs

Techniques et moyens

Rduire les pertes en eau

{

Diminuer le ruissellement

Contrler les adventices

( ((

Travail du sol Banquettes - cordons pierreux Correction des coulements Sarclage Binages (mulch)

Valoriser au mieux Valoriser les eaux leau infiltre de pluie

{{

Limiter lvaporation directe du sol Semis prcoce Augmenter lefficience - de leau vapotranspire

(

Fertilisation Varits

Accrotre la rserve utile (R.U.) Travail du sol

Limiter les effets des stress hydriques

Etaler les cycles Mlanger espces et cultivars

Contrler la croissance

( (

Association de cultures Densit de semis Fertilisation azote

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Figure 10 : Voies damlioration de lalimentation hydrique des cultures pluviales au Sahel, dans les milieux sableux dorigine olienneObjectifs Gnraux Rduire les pertes en eau Valoriser au mieux Valoriser leau les eaux infiltre de pluie Sous-objectifs Contrler les adventices Augmenter lefficience de leau vapotranspire Techniques et moyens Sarclages Fertilisation _ _ _ _ _ Prcoce Traction Rpts attele Fumure minrale/organique Correction des carences du sol Couverture des besoins des cultures

Accrotre la rserve utile (R.U.) Etaler les cycles Mlanger espces et cultivars Limiter les effets des stress hydriques Contrler la croissance

Amlioration de la prcocit et de la profondeur de lenracinement Association de cultures _ Semis chelonns, mlange de semences dans le poquet

_ Limiter les apports azots prcoces _ Adapter la densit de culture la pluviomtrie _ DmariageSource : P. Jouve (1993)

La situation est devenue tout autre quand la croissance dmographique a entran lextension des terres cultives au dtriment des zones de parcours et de fort. La ressource en bois est devenue rare et les populations rurales ont alors pris conscience quil fallait changer de mode de gestion de cette ressource. Alors quauparavant ils rabattaient tous les rejets darbres et darbustes poussant dans leurs champs, ils se sont mis les protger. En plus de la raret de la ressource, cette protection t favorise par un contrle plus rigoureux du btail (cltures, couloir de circulation, etc.) et par la fixation du foncier entranant de facto une appropriation individuelle des terres. On voit donc que la pertinence des techniques de rgnration des milieux dgrads est fonction du stade dvolution agraire, mais force est de constater que peu de projets et doprateurs de terrain matrisent ce troisime type de contextualisation. Outre la ncessit de faire un diagnostic en terme de dynamique agraire, cette contextualisation pose le problme de lvaluation des consquences de laccentuation de la pression foncire sur la gestion des ressources et des territoires.

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Dgradation, rhabilitation et pression dmographiqueIl fut un temps o les risques de dgradation des terres et donc de dsertification taient valus en fonction de la capacit daccueil des milieux (Banque Mondiale 1985). Cette capacit daccueil (C.A.) correspondait au volume de production biologique que peut assurer un systme naturel durant une priode donne sans rduire sa capacit produire, ou par le nombre maximum dorganismes quil peut produire sans pour cela se dgrader (Webb et Jacobsen 1972). Sur cette base tait value la densit de population que pouvait supporter un milieu et un cosystme donn. Si cette densit tait infrieure au seuil correspondant la C.A., elle tait considre comme supportable ; si elle tait suprieure on estimait que la dsertification tait inluctable et une des prconisations tait alors de limiter la population par le contrle des naissances ou par le dplacement de populations des rgions trop peuples vers des rgions moins peuples. La notion de capacit daccueil tant minemment relative et les prvisions faites sur cette base stant rvles maintes fois contredites par les faits (cf. les prvisions faites au dbut du sicle sur lvolution agraire de Java), elle a t pratiquement abandonne. Il nen reste pas moins que le raisonnement qui sous-tendait cette approche des relations entre population et dsertification est typiquement de type malthusien, ou plutt nomalthusien car dans le scnario de la Banque mondiale, les migrations se substituent aux famines que le fameux pasteur anglican prvoyait comme sanction dune trop forte croissance dmographique. Ce discours malthusien reste le discours dominant des mdias, des politiques et mme de nombreux scientifiques concernant leffet de la croissance dmographique sur lvolution des milieux concerns par la dsertification. Mais si cette faon danalyser les relations population et gestion des ressources est dominante, elle nest pas pour autant exclusive dautres points de vue. Parmi ceux-ci, il faut citer celui dEster Boserup qui dans sa thse dsormais clbre Evolution agraire et pression dmographique (1970) prend lexact contre-pied de Malthus. En effet elle considre que laccroissement de population dans les pays non industrialiss, ne conduit pas fatalement comme le prvoyait Malthus la dgradation des sols, la baisse de leur productivit et la chute des rendements entranant famine ou exil. Lanalyse dtaille de lvolution agraire de situations en Afrique sub-saharienne a conduit certains auteurs valider la thse de Boserup et faire de la croissance dmographique un facteur dintensification du milieu plutt quun facteur de dgradation (cf. louvrage de M. Mortimore et M. Tiffen au titre trs explicite More people, less erosion). Mais lobservation des ralits du terrain conduit identifier la fois, des situations o lvolution de la gestion des milieux est plutt conforme au schma malthusien alors que dautres situations relvent plutt dune volution de type boserupien. Pour rsoudre cette contradiction il nous parat ncessaire de replacer chacune de ces situations dans une perspective historique. Lorsquon fait une analyse diachronique de ces situations, on peut observer des trajectoires dvolution agraire qui aprs avoir suivi une volution de type malthusien, se poursuivent par une volution de type boserupien. Cette analyse en terme de transition agraire (Jouve 2000) fournit un cadre thorique intressant pour dfinir des stratgies dintervention. Cest une approche que nous nous proposons dapprofondir dans la phase ultrieure de ltude.38

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Rfrences bibliographiquesBANQUE MONDIALE, 1985. La dsertification dans les zones sahliennes et soudaniennes de lAfrique de lOuest. Washington : Banque Mondiale. 71 p. BOSERUP E., 1970. Evolution agraire et pression dmographique. Paris : Flammarion. EVEQUOZ M., GUERO Y., 2000. Durabilit cologique du systme de production agricole nord-Sahlien. Zurich : ETH, Universit UAM de Niamey. JAGDISH C. KATYAL, P.L.G. VlEK, 2000. Desertification - Concept, Causes and Amlioration, ZEF. Discussion Papers On Development Policy n33. Bonn (DEU) : Center for Development Research, 65p. JOUVE P., 1993. La lutte contre laridit au Maghreb et au Sahel par ladaptation des systmes de production agricole. Montpellier : CNEARC-CIRAD, 170 p. JOUVE P., 2000. Dynamiques agraires et dveloppement rural. Pour une analyse en termes de transition agraire. In : Actes du sminaire, Montpellier, 26-28 avril 1999. Montpellier (FRA) : CNEARC-UTM. MIDDLETON N and THOMAS D., 1997. World Atlas of Desertification (Second Edition). London (UK) : Arnold. NOUHOU M., 1996. Mise en place dune banque de donnes agricole et tude des paramtres agricoles (pluviomtrie, superficies, productions, rendements) de 1976 1996. Rapport de stage : Institut pratique de dveloppement rural de Kollo, 45 p. PIERI C., 1989. Fertilit des terres de savanes. Bilan de trente ans de recherche et de dveloppement agricole du sud du Sahara. Paris (FRA) : Ministre de la Coopration et du Dveloppement, CIRAD, 444p. STEINER, KURT G., 1996. Causes de la dgradation des sols et approche pour la promotion dune utilisation durable des sols dans le cadre de la coopration au dveloppement. Kurt Georg Steiner. GTZ. Weikersheim : Margraf. TIFFEN N., MORTIMORE M., GICHUKI F., 1994. More people less erosion. Environnemental recovery in Kenya. London (UK) : Willey. WEBB, MARYLA, JACOBSEN J., 1982. Carrying Capacity - An Introduction. Carrying Capacity (USA).

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P ro b l m a t i q u e d e s z o n e s p a s t o r a l e s

Problmatique des zones pastoralesAlain Bourbouze, Philippe Lhoste, Andr Marty et Bernard Toutain

Phnomnes de dsertification et formes de dgradationLes signes physiques de la dsertification : Dgradation de la vgtation : elle est caractrise par un appauvrissement floristique, une perte de vigueur de la vgtation, et une dgradation de lcosystme. Selon les secteurs, on observe une disparition des plantes arbustives (disparition de larmoise en steppe maghrbine, par exemple), celle de plantes prennes au profit dannuelles : cest le cas de gramines prennes ou darbustif au Sahel ; ainsi, des andropogones prennes, apptes et de bonne valeur alimentaire, comme Andropogon gayanus tendent disparatre au profit dannuelles moins intressantes. Les formations ligneuses de la brousse tigre adaptes laridit et utiles pour le btail et lhomme sont galement menaces au profit de formation moins riches en espces... Linstallation de cultures permanentes laisse les sols plus sensibles aux risques drosion et denvahissement par dautres plantes (invaders) souvent peu apptes (Anabasis, Noaea, Peganum, chenopodiaces...au Maghreb, Alemaro en Ethiopie dans les anciens champs de coton...) ; Dgradation des sols : elle se traduit par lapparition de dunes, la diminution de la rgnration des aquifres ; Dgradation des cosystmes : Elle se manifeste par la diminution du taux de recouvrement par la vgtation, la rupture dun certain nombre de chanes dchanges entre organismes vivants, rarfaction de la faune sauvage et dgradation de leurs habitats spcifiques, disparition despces vgtales rares.

Les manifestations drosionElles sont en gnral bien connues, souvent cartographies prcisment. Les processus sont bien identifis (dgradation des sols, rosion en nappe slective, par rosion mcanique sche, ravinement...). Les habitants des rgions concernes par ces phnomnes ont des stratgies de lutte plutt court terme ou pas de stratgie en terrains usage commun, mais investissent volontiers (pierrage, murettes, cordons...) dans les territoires en voie dappropriation ou privatiss. Mais la dsertification, cest aussi labandon des terres par les hommes, soit que celles-ci ne produisent plus assez, soit pour des raisons socio-conomiques, elles ne rapportent plus assez ; cette dgradation des conditions de vie peut entraner terme lexode des populations.

Les diffrentes familles de causes conduisant ces dgradations Surcharge animale et surpturage sans temps de repos suffisant, donc trop danimaux, pendant trop longtemps (effectif et temps de prsence sont deux notions distinguer) ou en priode de vgtation active (Sahel). Ce dysfonctionnement est amplifi par : (i) la concentration des animaux autour des points deau (mais la superficie en cause est faible et la multiplication des points deau faible capacit peut contribuer diminuer la pression) et leur mode inadapt de gestion ;

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(ii) la concentration sur des sites particuliers (key sites) comme par exemple : la surcharge des terres sales dArak au Tchad, des bourgoutires dont on ne sort plus assez tt, des agdal du Maroc ; (iii) le transport deau par camion (Maghreb) qui tend le pturage en toute saison et favorise la monte en puissance des grands troupeaux ; (iv) les mauvaises pratiques dexploitation : arrachage des pailles ou du bourgou, mondage ou cimage des arbres... ; (v) les politiques de subvention des aliments du btail et les aides scheresse de moins en moins exceptionnelles (Maghreb) qui scurisent mais favorisent laccroissement des effectifs. Plusieurs de ces facteurs (voqus ci-dessus) peuvent trouver leur origine dans une absence de gestion raisonne ou une gestion pastorale inadapte : cest malheureusement souvent le cas de ces ressources pastorales collectives. Adapter leffectif du cheptel et la charge animale loffre fourragre et aux conditions de durabilit de lcosystme ptur est une exigence de plus en plus forte dans nombre de zones pastorales. Les dfrichements sur parcours pour mise en culture (et appropriation de collectifs), la cueillette de plantes sauvages (le cram cram comme crale dappoint, lalfa...), la mise en culture vivrire des bas-fonds (sols profonds, mieux pourvus en eau) privent le btail, dans diverses rgions du Sahel, de ressources fourragres intressantes. La collecte de combustible sur parcours arbustifs et le prlvement de bois en forts, le pire tant la coupe des buissons en zones arides et semi-dsertiques ainsi que les mauvais contrles de lexploitation du bois. Lexploitation et la commercialisation du bois par des trangers la zone sont aussi des causes de dgradation du milieu. Les feux pastoraux ont des consquences diffrentes selon la zone coclimatique : en rgion aride, les feux sont frquents et dtruisent une biomasse qui, autrement, serait utilise. Ils peuvent tre prjudiciables