Le  22  mars  2012  

 

JP  Millioud  :  L'orgue  dans  tous  ses  états   Page  1  

L'orgue dans tous ses états

d’après la conférence de Jean-Pierre Millioud, titulaire du grand orgue de la cathédrale de Versailles.

L'orgue est un instrument complexe, tout à fait particulier, qui comporte à la fois :

- une ou plusieurs rangées de tuyaux sonores, - un sommier ou réserve étanche pour emmagasiner le vent sous pression, - une soufflerie mécanique à pompe ou à soufflet, - et un clavier pour diriger le vent vers tel ou tel tuyau.

Histoire de l'orgue

C'est à Alexandrie, au IIIe siècle avant Jésus-Christ, que l'ingénieur KTÉSIBIOS, fils d'un coiffeur local, prenait conscience de l'élasticité de l'air et lui trouvait une série d'applications pratiques : pompe à cylindre, horloge à eau, orgue hydraulique ou hydraule. Il imagina, en effet, un système mécanique de mise en voix des tuyaux issus de la flûte de Pan, une réserve d'air alimentée par une pompe étant maintenue en pression par de l'eau couvrant le réservoir d'air : l'orgue était né, ou plutôt l'hydraule (le mot grec "hydraulis" signifiant exactement "hautbois à eau").

 

L'hydraule accompagna ensuite les orgies romaines où il charmait ceux et celles qui l'écoutaient. Il présidait aussi aux cérémonies du cirque dans le monde romain, y compris lors des supplices

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infligés aux Martyrs : on comprend pourquoi l'Église en avait interdit l'usage pendant le Haut Moyen Âge, c'est-à-dire pendant huit siècles.

L'orgue ne fera donc son apparition en France qu'en 757 lorsque Constantin V, empereur de Constantinople, en offrira un à Pépin le Bref. Placé dans une église de Compiègne, il commença à accompagner les chants, bien mieux que les instruments à vent ou à cordes en usage à l'époque, qui ne tenaient pas assez la note pour soutenir une assemblée qui chante.

L'orgue entrait à l'église et en devenait l'instrument de prédilection,  y régnant  de plus en plus en maître absolu : le Pape Jean VIII dans une lettre datée de 873 préconise l'usage de l'orgue pour l'enseignement de la "science musicale".

L'air n'est alors plus comprimé par de l'eau ou bien introduit dans les tuyaux par la bouche, mais propulsé par un ou plusieurs soufflets. L'orgue devient entièrement pneumatique : des hommes actionnent des pompes. L'orgue et son souffleur sont inséparables.

D'abord portatif, c'est-à-dire que l'on pouvait porter avec soi, l'orgue devint positif (du latin positum) car on pouvait le poser soit sur une table, soit sur le sol.

Au XVe siècle, les facteurs d'orgue, c'est-à-dire celui qui "fait", perfectionnent leurs constructions et c'est ainsi qu'apparut le "grand orgue". Généralement, il est composé de deux buffets qui contiennent les tuyaux : - le petit buffet (devant) est le buffet de positif (en souvenir de l'instrument positif) ; il contient les tuyaux des jeux ou sonorités appartenant au clavier de positif ; - - alors que le grand buffet (derrière) se nomme buffet de grand orgue et contient les jeux appartenant au clavier de grand orgue.

Donc, si l'ancien orgue positif n'avait qu'un seul clavier, les grandes orgues, elles, en possèdent au moins deux.

En 1685, naît Jean-Sébastien Bach, considéré comme un des plus grands compositeurs de tous les temps, et un virtuose de l'orgue.

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Maints progrès vont apporter à cet instrument une plus grande souplesse d'utilisation, notamment dans la répartition des pressions d'air grâce à différents claviers, et dans le traitement sonore de la tuyauterie (dont les plus grands individus atteignent les 10 m de hauteur !).

L'orgue est un instrument à vent et à tuyaux sonores. Il existe différentes sortes de tuyaux : flûte, montre, gambe, bourdon, flûte conique, gemshorn, trompette, cromorne, voix humaine, musette, hautbois, basson...Tous ces mots techniques servent à désigner les différentes sonorités, les différentes couleurs sonores de l'instrument.

La hauteur de ces tuyaux est chiffrée en pieds : le pied, qui égale 33 cm environ, est une vieille mesure qui a été conservée. Les tuyaux vont s'échelonner du plus petit au plus grand. Plus le tuyau est long, plus le son sera grave.

L'étendue réelle de l'orgue est donc de 10 octaves (le piano n'en a que 6 …) ; c'est la plus grande de tous les instruments. Par ses très hautes et très basses fréquences, nous atteignons les limites de l'oreille humaine.

Son architecture

Si l'orgue est l'instrument qui a la plus grande étendue sonore, il est aussi le plus grand, le plus lourd, le plus haut perché, le plus complet et le plus cher...

Le grand orgue historique de Versailles par exemple mesure 12 mètres de hauteur, 11 de largeur, et 5 de profondeur. Il abrite 3 claviers, plus le clavier des pédales et plus de 3600 tuyaux (entre quelques millimètres et 6 mètres de long). Installé sur une tribune de pierre à 15 m au-dessus du dallage, il pèse 53 tonnes. Il fut commandé par le roi Louis XV en 1759, et construit par Louis-Alexandre et François-Henri CLICQUOT de 1759 à 1761. Il a joué le 4 mai 1789 lors de la messe des États Généraux convoqués par Louis XVI, ce qui lui vaut son titre de grand orgue historique. Il a traversé sans peine la Révolution et a échappé à la destruction grâce à un rapport du Sieur BÊCHE mandaté par la Municipalité de Versailles qui écrivit et déclara qu'il donnait un éclat

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particulier aux cérémonies de la République. Il fut restauré sous Napoléon III en 1863 par Aristide CAVAILLÉ-COLL, et en 1989 par Théo HAERPFER.

Le « buffet de l'orgue » est la structure de menuiserie dans laquelle sont renfermés, notamment, les tuyaux et les sommiers. Il constitue la partie visible pour tous de l'instrument : sa fonction est non seulement structurelle mais, le plus souvent, esthétique.

Le buffet, dont les deux fonctions initiales sont de cacher et protéger, joue également un rôle essentiel de porte-voix et de résonateur ; il constitue souvent chez les anciens une œuvre d’ébénisterie très travaillée témoignant du style de son époque et de son lieu d'implantation. Il y en a donc une très grande diversité.

Dans la tradition française, le bois est généralement brut ; chez les Italiens, les Allemands, les Hollandais, la décoration fait souvent appel à la peinture, la dorure. Les décorations y sont parfois exubérantes notamment dans les instruments construits pendant l'époque du rococo.

A noter que certains possèdent des volets qui, avant Vatican II, étaient fermés pendant les temps de l'Avent et du Carême où l'orgue se taisait...

D'autres ont des tuyaux à l'horizontale, ou "en chamades", à la mode espagnole. Enfin, certains ont les bouches des tuyaux décorées.

On ne trouve pas des orgues que dans les églises, celui des grands magasins WANAMAKER de Philadelphie possède 6 claviers, 451 séries de tuyaux appelées « jeux » et près de 32.000 tuyaux ! C'est le plus grand orgue en état de fonctionnement au monde.