lexpress -...

13
L’express Guérir sans médicaments Actualité/ Sciences publié le 20/03/2003 à 00:00 Le psychiatre David Servan-Schreiber n'est pas un poseur de bombes. Pourtant, le livre qu'il publiera, le 24 mars, aux éditions Robert Laffont risque de provoquer une certaine déflagration dans le monde médical ou, au moins, de sérieusement agacer. Son titre sonne comme un défi: Guérir le stress, l'anxiété et la dépression sans médicament ni psychanalyse. En clair, ni Freud ni Prozac. De quoi susciter quelques sourires, au pays de Descartes et de Lacan. De quoi faire réfléchir, aussi. Car David Servan-Schreiber n'est pas l'un de ces gourous adeptes des poudres de perlimpinpin et de la méthode Coué qui encombrent les étagères des librairies du New Age. Son livre capte l'attention parce tous les préceptes et les conseils qu'il y défend sont étayés de chiffres et lestés d'une somme d'études scientifiques dont il paraît difficile de mettre en doute le sérieux. La personnalité même de son auteur mérite qu'on s'y arrête: ce Français - il est le fils de Jean-Jacques, le fondateur de L'Express - est l'un des pionniers de la recherche en sciences neurocognitives, tout en ayant accumulé une longue expérience de praticien des maladies mentales. Récemment, la revue en ligne Hypermind l'a classé parmi les 12 chercheurs les plus remarquables au monde dans le domaine du cerveau, en compagnie du Nobel Herbert Simon et du Français Jean-Pierre Changeux (L'Homme neuronal, Odile Jacob). Il a reçu plusieurs distinctions: élu par ses pairs meilleur psychiatre de Pennsylvanie et meilleur médecin de Pittsburgh. Bref, ce chercheur aime ses patients. Et tient à les guérir. A tel point qu'il veut leur éviter les pièges de la surconsommation médicamenteuse et de la noyade sur le divan des psychanalystes. Lui propose une troisième voie: la médecine des émotions. Un ensemble de traitements visant à soulager stress et dépression, avec des

Upload: lyphuc

Post on 14-Sep-2018

220 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Lexpress - data.over-blog-kiwi.comdata.over-blog-kiwi.com/1/01/47/71/20160804/ob_bb623a_guerir-sans... · le livre qu'il publiera, le 24 mars, aux éditions Robert Laffont risque

L’express

Guérir sans médicaments

Actualité/ Sciences

publié le 20/03/2003 à 00:00

Le psychiatre David Servan-Schreiber n'est pas un poseur de bombes. Pourtant,

le livre qu'il publiera, le 24 mars, aux éditions Robert Laffont risque de provoquer

une certaine déflagration dans le monde médical ou, au moins, de sérieusement

agacer. Son titre sonne comme un défi: Guérir le stress, l'anxiété et la dépression

sans médicament ni psychanalyse. En clair, ni Freud ni Prozac. De quoi susciter

quelques sourires, au pays de Descartes et de Lacan. De quoi faire réfléchir, aussi.

Car David Servan-Schreiber n'est pas l'un de ces gourous adeptes des poudres de

perlimpinpin et de la méthode Coué qui encombrent les étagères des librairies du

New Age. Son livre capte l'attention parce tous les préceptes et les conseils qu'il y

défend sont étayés de chiffres et lestés d'une somme d'études scientifiques dont il

paraît difficile de mettre en doute le sérieux. La personnalité même de son auteur

mérite qu'on s'y arrête: ce Français - il est le fils de Jean-Jacques, le fondateur de

L'Express - est l'un des pionniers de la recherche en sciences neurocognitives, tout

en ayant accumulé une longue expérience de praticien des maladies mentales.

Récemment, la revue en ligne Hypermind l'a classé parmi les 12 chercheurs les

plus remarquables au monde dans le domaine du cerveau, en compagnie du Nobel

Herbert Simon et du Français Jean-Pierre Changeux (L'Homme neuronal, Odile

Jacob). Il a reçu plusieurs distinctions: élu par ses pairs meilleur psychiatre de

Pennsylvanie et meilleur médecin de Pittsburgh. Bref, ce chercheur aime ses

patients. Et tient à les guérir. A tel point qu'il veut leur éviter les pièges de la

surconsommation médicamenteuse et de la noyade sur le divan des

psychanalystes. Lui propose une troisième voie: la médecine des émotions. Un

ensemble de traitements visant à soulager stress et dépression, avec des

Page 2: Lexpress - data.over-blog-kiwi.comdata.over-blog-kiwi.com/1/01/47/71/20160804/ob_bb623a_guerir-sans... · le livre qu'il publiera, le 24 mars, aux éditions Robert Laffont risque

méthodes qui font appel au corps plutôt qu'à la parole, quitte à court-circuiter cette

dernière. «Le langage n'est pas la voie royale vers nos émotions», assure-t-il. Sept

méthodes aux noms barbares, inspirées tantôt des médecines traditionnelles,

tantôt des techniques de pointe: intégration neuro-émotionnelle par les

mouvements oculaires (EMDR, Eye Movement Desensitization Reprocessing),

régularisation du rythme cardiaque pour contrôler les émotions, synchronisation

des horloges biologiques, acupuncture, exercice physique, apport d'acides gras

oméga 3, techniques de «communication affective».

«Un Français sur cinq consulte pour des troubles psychiques», souligne David

Servan-Schreiber. 11 000 Français se sont suicidés en 2002. Chaque année, en

France, 6% des hommes et 10% des femmes sont atteints par un épisode

dépressif, selon la Fondation pour la recherche médicale. Selon une toute récente

enquête menée par le Pr Jean-Pierre Olié, chef de service à l'hôpital Sainte-Anne,

à Paris, 1,5 million de Français absorbent quotidiennement des antidépresseurs.

Les conclusions de l'étude suggèrent «une tendance continue à l'augmentation de

la consommation d'antidépresseurs».

La psychanalyse? Une perte de temps

David Servan-Schreiber ne se déclare pas, par principe, hostile aux médicaments.

Il en prescrit lui-même. «Ils sont importants, et prodigieusement utiles», précise-t-

il. Mais autant les antibiotiques sont efficaces, puisqu'ils guérissent définitivement

les infections, autant les bienfaits des médicaments psychiatriques sont relatifs: ils

cessent, affirme-t-il, dès qu'on interrompt le traitement. Le taux de récidive d'un

épisode dépressif sur deux ans est de 35%, et de 60% sur douze ans, selon la

Fondation pour la recherche médicale. «Nous vivons sous la tyrannie du syndrome

des antibiotiques, déplore Servan-Schreiber, qui ont constitué une révolution après

la guerre. De même que l'on cherche le bon antibiotique pour la bonne bactérie, on

voudrait la bonne pilule pour le bon trouble psychologique.» Et le réflexe de

prescription est devenu à ce point généralisé que, «si une patiente pleure devant

Page 3: Lexpress - data.over-blog-kiwi.comdata.over-blog-kiwi.com/1/01/47/71/20160804/ob_bb623a_guerir-sans... · le livre qu'il publiera, le 24 mars, aux éditions Robert Laffont risque

son médecin, écrit-il, elle est pratiquement sûre de se voir proposer une

ordonnance pour un antidépresseur».

Quant à la psychanalyse, c'est souvent une perte de temps, accuse David Servan-

Schreiber. Selon lui, elle entraîne les patients dans la dépendance - une analyse

dure, en moyenne, six ans. «Guérir n'est d'ailleurs pas le but de ce travail, dénonce-

t-il. Les psychanalystes en conviennent: il s'agit seulement de s'accepter. Si, après

ce travail sur soi, on se sent mieux, c'est du bonus.»

Dans la salle à manger de David Servan-Schreiber, une photo en noir et blanc d'un

JJSS tout jeune, flanqué de deux enfants, est posée sur une étagère. «L'esprit de

mon père souffle à travers toutes les pages de mon livre», affirme-t-il. Il l'a en partie

écrit sur le bureau où, il y a trente ans, il l'avait vu, tout un été, rédiger son best-

seller, Le Défi américain. David vient seulement de rentrer en France, après vingt

ans passés aux Etats-Unis.

En 1980, après avoir commencé ses études de médecine au centre hospitalier

universitaire Necker, à Paris, il était parti pour les Etats-Unis. Il se passionne pour

l'informatique. «C'était alors le début de l'intelligence artificielle appliquée à la

médecine, raconte-t-il. On commençait à se servir des ordinateurs pour l'étude du

cerveau. Je m'y intéressais énormément. Je voulais étudier dans un département

de pointe.» Le jeune Servan-Schreiber termine ses études de médecine à

l'université Laval, au Québec. Il part ensuite pour l'université Carnegie Mellon, à

Pittsburgh, aux Etats-Unis, campus le plus avancé dans les sciences de

l'informatique. «Je leur ai alors proposé de faire un doctorat dans un domaine qui

n'existait pas encore: les sciences neurocognitives, sous l'égide du Pr Herbert

Simon et de James McLelland, l'un des pionniers de la simulation des réseaux de

neurones par ordinateur», raconte-t-il. Sa thèse de doctorat est publiée en 1990

par la prestigieuse revue Science, puis il cofonde, avec Jonathan Cohen, le premier

laboratoire de sciences neurocognitives appliquées à la psychiatrie. 20 personnes

travaillent sous la direction des deux jeunes médecins. A l'aide d'ordinateurs, ils

réalisent des simulations des réseaux de neurones pour comprendre leur rôle dans

Page 4: Lexpress - data.over-blog-kiwi.comdata.over-blog-kiwi.com/1/01/47/71/20160804/ob_bb623a_guerir-sans... · le livre qu'il publiera, le 24 mars, aux éditions Robert Laffont risque

les émotions. «Nous avons senti qu'il y avait une révolution dans la chimie du

cerveau,» raconte le Dr Jonathan Cohen, aujourd'hui directeur du Center for the

Study of the Brain, Mind and Behavior, à Princeton, qui a le calibre, selon les

spécialistes, d'un futur Prix Nobel. «La psychiatrie souffrait jusque-là d'un

dédoublement de la personnalité, poursuit le chercheur. Une partie de cette

discipline étudiait le comportement de l'esprit, l'autre, le cerveau. Nous avons

réalisé des modèles informatiques pour comprendre comment fonctionnait le

cerveau et quels étaient les mécanismes de ses dysfonctionnements.»

Au bout de six ans, le contact avec les patients lui manquait. «Plus ça marchait en

science pure, et moins j'en voyais, se souvient-il. Je n'avais plus le temps. Mais,

quand je soignais des malades, à la fin de la journée, je me sentais bien. Savoir

comment aider les individus qui souffraient était finalement plus intéressant que la

recherche.» Servan-Schreiber retourne suivre trois ans de spécialisation en

psychiatrie, toujours à Pittsburgh. A sa sortie, en 1997, il est engagé comme chef

du département de psychiatrie de l'hôpital de Shadyside, qui dépend de l'université

de Pittsburgh, l'une des plus importantes du pays. Le département reçoit plus de

fonds de recherche du gouvernement que tous les autres - y compris le prestigieux

département de transplantation hépatique et cardiaque. Servan-Schreiber, alors,

enseigne et voit des patients. «J'ai adoré travailler là, confie-t-il. C'est l'année la

plus heureuse de ma vie. J'étais confronté à la réalité et je pouvais faire quelque

chose de concret pour aider les gens.» «Il est brillant, c'est un visionnaire, affirme

le Dr David Blandino, son patron à Shadyside. C'est un formidable professeur qui

allie un don pédagogique à une grande intensité.»

Après sa formation scientifique dans le laboratoire, David Servan-Schreiber est

déconcerté par la réalité de la pratique clinique. «Les médecins me semblaient trop

imprécis dans leur démarche, explique-t-il. Ils étaient beaucoup plus intéressés par

la pratique que par les fondements scientifiques de ce qu'ils enseignaient. J'avais

l'impression de n'apprendre que des recettes. Je trouvais cela trop éloigné de

Page 5: Lexpress - data.over-blog-kiwi.comdata.over-blog-kiwi.com/1/01/47/71/20160804/ob_bb623a_guerir-sans... · le livre qu'il publiera, le 24 mars, aux éditions Robert Laffont risque

l'esprit de questionnement permanent et de la précision mathématique qui m'était

devenue familière.»

En 1996, David Servan-Schreiber vit une expérience qui constitue un tournant dans

sa carrière. Il a alors 34 ans, et part mener une évaluation des réfugiés tibétains à

Dharamsala, où réside le dalaï-lama, pour Médecins sans frontières, dont il est l'un

des cofondateurs aux Etats-Unis. «La médecine tibétaine, à base d'herbes,

d'acupuncture et de méditation, avait l'air d'être un gag. Lorsque j'ai demandé à

des gens pour lesquels j'avais une grande estime: ?Qui allez-vous voir quand vous

êtes malade? ? Tous m'ont répondu: ?Si nous avons une fracture ou une

appendicite, nous consultons la médecine occidentale. Mais si nous avons une

maladie chronique, ses traitements ne marchent pas.?» C'était comme si, soudain,

un voile se levait: ce que l'on traitait à Pittsburgh, c'étaient des maladies chroniques

avec les moyens de la médecine aiguë. Quand les gens viennent nous voir pour

l'asthme, nous leur donnons un produit pour traiter la crise d'asthme, pas pour

guérir la maladie elle-même. Or, en psychiatrie, toute maladie est chronique.» Il

ajoute: «Je n'ai rien contre la science, évidemment. Je suis sorti du terreau de la

médecine occidentale.» Mais, parce que les études sur l'efficacité des méthodes

alternatives commencent à s'accumuler depuis une vingtaine d'années, que les

données sont publiées dans les revues scientifiques les plus sérieuses, Servan-

Schreiber décide de s'y mettre: «Je n'avais plus d'excuses pour ne pas apprendre

ces autres méthodes. J'ai alors découvert qu'en réalité elles n'étaient pas utilisées

parce qu'elles exigent des consultations plus longues. L'acupuncture ou l'hypnose

prennent du temps. Or il y a une pression fantastique pour remplacer ces remèdes

par des interventions qui rapportent de l'argent.»

Des techniques complémentaires

Autre clef des résistances du milieu médical, selon lui: les traitements

conventionnels font vivre quantité d'intermédiaires. «Chaque fois que je prescris du

Prozac, il y a toute une chaîne de gens qui, derrière moi, gagnent de l'argent - du

labo aux démarcheurs médicaux. Le système économique a tout à gagner à ce que

Page 6: Lexpress - data.over-blog-kiwi.comdata.over-blog-kiwi.com/1/01/47/71/20160804/ob_bb623a_guerir-sans... · le livre qu'il publiera, le 24 mars, aux éditions Robert Laffont risque

je prescrive un médicament» (lire l'article sur Philippe Pignarre). Autre frein à

l'adoption des techniques «complémentaires»: la plupart de ces interventions ne

peuvent pas faire l'objet d'un brevet, il n'y a donc aucun intérêt financier à investir

dans la recherche. Enfin - et c'est peut-être là le véritable verrou - on ne comprend

pas encore les mécanismes d'action d'un grand nombre de ces pratiques. «Des

études, comme celles de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ou du National

Institute of Health, démontrent l'efficacité de certains traitements, telle

l'acupuncture, qui combat la nausée pendant la grossesse - mais on ne peut pas

expliquer pourquoi cela marche. De la même façon, il a fallu quinze ans pour que

le lithium soit approuvé. On ne saisissait pas comment un sel naturel soignait les

maladies maniaco-dépressives. La médecine occidentale - et je l'approuve - veut

comprendre. C'est un obstacle à l'acceptation de certaines techniques.» D'aucuns

déclarent qu'ils ne croient pas en ces traitements, déplore-t-il. «Mais croit-on aux

antibiotiques? Non. On observe leur efficacité, et on les utilise!»

En 1997, David Servan-Schreiber est l'un des cofondateurs du Center for

Complementary Medecine (CCM), à l'université de Pittsburgh, l'un des tout

premiers centres de médecine alternative rattaché à un hôpital universitaire. «Nous

avons volontairement utilisé ?complémentaire?plutôt qu'?alternative? parce que

nous ne voulions pas nous livrer à du prosélytisme, explique le Dr Harold Pincus,

vice-président du département de psychiatrie à l'université de Pittsburgh. Il

s'agissait d'étudier ce que les expérimentations nous donnaient, de voir comment

on pouvait appliquer ce que l'on trouvait et d'analyser quels étaient les mécanismes

au travail.»

Des ordonnances surprenantes

A partir de 1997, pendant cinq ans, David Servan-Schreiber étudie et met en

pratique la nouvelle médecine des émotions qu'il développe aujourd'hui. «C'était

passionnant parce qu'il fallait se défendre et constamment rechercher des

arguments pour préserver le centre», lance-t-il. Surtout, au CCM, il est obligé de

soumettre ces techniques «complémentaires» aux critères draconiens de

Page 7: Lexpress - data.over-blog-kiwi.comdata.over-blog-kiwi.com/1/01/47/71/20160804/ob_bb623a_guerir-sans... · le livre qu'il publiera, le 24 mars, aux éditions Robert Laffont risque

l'expérimentation scientifique, en partie pour calmer le scepticisme de certains

médecins. «Les mandarins les plus académiques de l'hôpital voulaient d'abord être

certains que ce qui était pratiqué sur les malades était absolument sans risque,

explique le Dr Blandino. Ensuite, nous devions fournir les preuves que les

traitements que nous proposions étaient véritablement efficaces. C'était la

responsabilité de David.»

Les ordonnances de celui-ci ont parfois de quoi surprendre ceux qui fonctionnent

encore dans l'ancien paradigme. A l'hôpital de Pittsburgh, avant de les laisser sortir,

les médecins lui confiaient les patients souffrant de dépression après un pontage

coronarien ou bien se remettant lentement d'une fracture du col du fémur. «Les

collègues qui m'avaient précédé avaient déjà prescrit une longue liste de

médicaments, raconte-t-il. Antiarythmiques, antihypertenseurs, anti-

inflammatoires, antiacides, etc. On attendait que je joue mon rôle et que j'ajoute

mon ?anti? à moi.» Mais Servan-Schreiber trouve stérile de participer à cette

course aux médicaments. Ses recommandations dans le dossier médical, alors,

font parfois penser à la nouvelle de l'écrivain anglais Jerome K. Jerome dans

laquelle le narrateur déclenche l'hilarité du pharmacien lorsque celui-ci découvre

l'ordonnance prescrivant comme remède à son mal un steak et un verre de vin.

«Quant à la dépression, le plus bénéfique pour ce patient serait de se procurer un

chien, écrit David Servan-Schreiber. Si le patient soutient que ce sera trop de

travail, un chat fera l'affaire, lequel n'a pas besoin d'être sorti. Si cela lui semble

toujours trop, un oiseau, ou bien un poisson. Si le patient refuse toujours, alors,

une belle plante d'appartement.» Au début, admet-il, il reçoit «des coups de fil un

peu irrités» des internes des services de chirurgie orthopédique ou

cardiovasculaire, «peu habitués à ce que l'on prescrive une ménagerie aux

malades». A tort, souligne David Servan-Schreiber. Selon une étude publiée dans

l'American Journal of Cardiology, les hommes et les femmes victimes d'un infarctus

qui possèdent un animal de compagnie ont six fois moins de risque de mourir dans

l'année suivant l'opération. Une autre enquête de Harvard démontre que le simple

fait de s'occuper d'une plante «réduit de moitié la mortalité des pensionnaires des

Page 8: Lexpress - data.over-blog-kiwi.comdata.over-blog-kiwi.com/1/01/47/71/20160804/ob_bb623a_guerir-sans... · le livre qu'il publiera, le 24 mars, aux éditions Robert Laffont risque

maisons de retraite». David Servan-Schreiber s'applique à lui-même ses propres

remèdes. Il vit avec son chat, Titus, un magnifique abyssin, qui lui a été offert par

son oncle, Jean-Louis Servan-Schreiber, directeur de la revue Psychologies

Magazine, à laquelle David collabore régulièrement. Les grands principes de sa

médecine des émotions reposent sur des observations à la fois simples et subtiles.

A l'intérieur du cerveau se trouve un cerveau émotionnel, avec une architecture

singulière et une organisation cellulaire différente du reste du néocortex, la partie

la plus évoluée du cerveau, siège du langage et de la pensée. Or le cerveau

émotionnel fonctionne souvent indépendamment du néocortex: on ne peut pas

commander à une émotion d'augmenter, de la même manière qu'on ne peut

commander à son esprit de parler ou de se taire.

Le cerveau émotionnel contrôle tout ce qui régit le bien-être psychologique et une

grande partie de la physiologie du corps: le fonctionnement du c?ur, la tension

artérielle, les hormones, le système digestif et même le système immunitaire.

Les désordres émotionnels sont la conséquence de dysfonctionnements de ce

cerveau émotionnel. Souvent, ils ont pour origine des expériences douloureuses

sans rapport avec le présent, mais imprimées de façon indélébile dans ce cerveau

émotionnel. «Ce sont ces expériences, expose David Servan-Schreiber, qui

continuent souvent de contrôler notre comportement, parfois des dizaines d'années

plus tard. La principale tâche du psychothérapeute est de «reprogrammer» le

cerveau émotionnel afin qu'il soit adapté au présent, au lieu de continuer de réagir

à des situations du passé. Il est souvent plus efficace d'utiliser des méthodes qui

passent par le corps et influent directement sur le cerveau émotionnel, peu

perméable à la raison.»

Sept méthodes pour trois maux

Les techniques de David Servan-Schreiber, qui, affirme-t-il, «ont été validées

scientifiquement par des études offrant des garanties de rigueur et de crédibilité»,

peuvent parfois paraître simplettes - courir, mieux se nourrir, prendre soin d'un

Page 9: Lexpress - data.over-blog-kiwi.comdata.over-blog-kiwi.com/1/01/47/71/20160804/ob_bb623a_guerir-sans... · le livre qu'il publiera, le 24 mars, aux éditions Robert Laffont risque

animal, voire bouger les yeux - afin de guérir d'un mal aussi sérieux que la

dépression. Pour convaincre, David Servan-Schreiber aime raconter l'histoire de

Keith. Ce jeune homme souffrait, depuis cinq ans, d'une grave dépression. Lorsqu'il

a consulté le service de biologie psychiatrique du Hammersmith Hospital, à

Londres, le psychiatre qui l'a examiné, le Dr Puri, a été consterné. Son score au

test mesurant le degré de dépression était le plus élevé qu'il eût jamais vu. Le Dr

Puri lui proposa un traitement à base d'huile de poisson purifiée, qui régénère les

membranes des neurones. Il supprima tous les médicaments, sauf un

antidépresseur. Neuf mois plus tard, tous les symptômes du mal s'étaient dissipés.

«Le métabolisme du cerveau du jeune homme s'était modifié du tout au tout»,

raconte Servan-Schreiber. Le résultat est si étonnant que le Dr Puri en a publié la

description dans les Archives of General Psychiatry. «C'est une preuve que cette

approche est efficace même quand, comme dans ce cas, il ne s'agit pas de la petite

pathologie de ville», souligne Servan-Schreiber.

La maladie revient-elle si on interrompt le traitement? Les chiffres sont parlants:

lorsqu'on enlève leurs antidépresseurs aux patients, 50% d'entre eux rechutent.

Avec l'intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires, une étude de

suivi montre que, quinze mois plus tard, les malades n'ont pas rechuté. «On peut

donc parler de guérison», affirme le psychiatre. Des chercheurs de l'université

Duke, en Caroline du Nord, ont récemment réalisé une étude comparative du

traitement de la dépression par le jogging et par un antidépresseur reconnu, le

Zoloft. Après quatre mois de traitement, les patients des deux groupes se portaient

aussi bien. La prise de médicaments n'offrait aucun avantage particulier par rapport

à la pratique régulière de la course à pied. Mais, un an plus tard, la différence était

notable: plus d'un tiers des personnes soignées au Zoloft avaient rechuté, alors

que 92% de celles qui avaient été soignées par le jogging allaient tout à fait bien.

David Servan-Schreiber propose donc sept méthodes pour soigner la dépression,

l'anxiété et le stress - trois maux qui font de plus en plus de ravages. Une étude

publiée en 1995 montre que le stress est un facteur de risque plus important que

Page 10: Lexpress - data.over-blog-kiwi.comdata.over-blog-kiwi.com/1/01/47/71/20160804/ob_bb623a_guerir-sans... · le livre qu'il publiera, le 24 mars, aux éditions Robert Laffont risque

la cigarette pour les maladies du c?ur. «Les sept approches que j'utilise dans ma

pratique, déclare-t-il, exploitent les mécanismes d'autoguérison présents dans le

cerveau humain.» Et il ajoute qu'il ne s'agit surtout pas de croyances. Trois d'entre

elles sont particulièrement originales et seront sûrement discutées.

1. La cohérence cardiaque.

Le diagramme d'un c?ur en bon état doit avoir une alternance régulière

d'accélérations et de décélération du rythme cardiaque. Cette forte variabilité des

battements du c?ur correspond à ce que les médecins appellent la «cohérence».

«Le c?ur est alors comme un joueur de tennis qui passe d'un pied sur l'autre en

attendant le service de son adversaire, explique David Servan-Schreiber. S'il est

rigide, le joueur risque de rater le service, voire de tomber - ce qui, pour le c?ur,

serait une arythmie.» Cette variabilité est maximale à la naissance. Ensuite, nous

en perdons 3% par an, jusqu'à notre mort. Or les émotions négatives - la colère,

l'anxiété, la tristesse, les soucis banals, même - font chuter la variabilité cardiaque.

«C'est précisément l'accumulation des passages chaotiques, qui, à la longue,

drainent notre énergie», poursuit Servan-Schreiber. 6 000 cadres de plusieurs

grandes entreprises britanniques - Shell, BP, Unilever, Hongkong Shanghai

Banking Corp. - ont participé à des séminaires pour apprendre la cohérence

cardiaque. David Servan-Schreiber analyse comment parvenir à la cohérence: «La

meilleure façon est de prendre deux respirations lentes et profondes qui stimulent

notre système parasympathique. Il faut laisser son attention accompagner le

souffle tout au bout de l'expiration et faire une pause de quelques secondes.» Il

faut ensuite reporter l'attention sur la région du c?ur et imaginer que l'on respire à

travers le c?ur. Deux chercheurs du Heartmath Institute, en Californie, ont publié

une étude dans l'American Journal of Cardiology. Selon ceux-ci, le simple fait

d'évoquer une émotion positive, grâce à un souvenir, induit très rapidement une

transition de la variabilité cardiaque vers une phase de cohérence.

Après six mois d'entraînement, 80% des cadres, eux, ne se disaient plus épuisés,

et ils étaient six fois moins nombreux à souffrir d'insomnie. «Si vous dites: ?Faites

Page 11: Lexpress - data.over-blog-kiwi.comdata.over-blog-kiwi.com/1/01/47/71/20160804/ob_bb623a_guerir-sans... · le livre qu'il publiera, le 24 mars, aux éditions Robert Laffont risque

de la méditation, du yoga?, les gens pensent New Age et ne vous entendent pas,

remarque David Servan-Schreiber, qui a récemment animé un séminaire avec les

cadres de la Caisse d'épargne. Au contraire, si vous montrez que vous pouvez

apprendre à contrôler votre physiologie, à glisser à travers les difficultés de

l'existence, et que vous constatez comment l'organisme réagit, alors là, ça change

tout.» Avantage de la méthode, contrairement au yoga ou à la méditation, la

cohérence se pratique dans toutes les situations de la vie courante.

2. L'intégration neuro-émotionnelle par les mouvements

oculaires.

C'est l'une des pratiques les plus déroutantes de David Servan-Schreiber - qui

l'utilise surtout avec les grands traumatisés - bien qu'elle soit désormais largement

utilisée en Europe: quelques séances, pendant lesquelles le patient suit des yeux

les mouvements de droite à gauche d'un métronome ou d'une baguette, tout en

évoquant le souvenir du traumatisme, et le patient est, de manière spectaculaire,

remis sur pied. «Au début, raconte David Servan-Schreiber, j'étais extrêmement

sceptique. L'idée que l'on pouvait résoudre des traumatismes émotionnels en

bougeant les yeux rythmiquement me paraissait totalement saugrenue. Ce qui a

fini par me convaincre, c'est une étude sur le traitement de 80 patients présentant

des traumatismes émotionnels importants. Dans celle-ci, publiée par le Journal of

Consulting and Clinical Psychology, 80% des malades ne montraient plus de

symptômes de troubles post-traumatiques liés au stress après trois séances.»

«C'est une méthode scientifiquement validée dans un secteur où peu de choses le

sont», affirme le Pr Jean Cottraux, de l'hôpital neurologique de Lyon et auteur de

La Répétition des scénarios de vie (Odile Jacob). Tout se passe, commente le

psychiatre qui a travaillé au Kosovo avec des enfants victimes de viols ou de graves

blessures, comme si les mouvements oculaires facilitaient un accès rapide à tous

les canaux d'association connectés au souvenir traumatique ciblé par le traitement.

Au fur et à mesure que ces canaux sont activés, ils peuvent se connecter aux

réseaux cognitifs qui, eux, contiennent de l'information ancrée dans le présent.

Page 12: Lexpress - data.over-blog-kiwi.comdata.over-blog-kiwi.com/1/01/47/71/20160804/ob_bb623a_guerir-sans... · le livre qu'il publiera, le 24 mars, aux éditions Robert Laffont risque

3. Acides gras oméga 3.

L'Occident a connu deux grandes révolutions, affirme David Servan-Schreiber: «Le

jour où les historiens se pencheront sur l'histoire de la médecine du XXe siècle, je

crois qu'ils décèleront deux tournants majeurs. Le premier est la découverte des

antibiotiques; le second est une révolution en cours: la démonstration scientifique

que la nutrition a un impact profond sur presque toutes les grandes maladies de la

société occidentale. Les cardiologues commencent à peine à l'admettre. Les

psychiatres en sont encore très loin.» Depuis une dizaine d'années, les chercheurs

se sont rendu compte de l'importance pour le cerveau des acides gras essentiels

dits oméga 3, qui font fonctionner le cerveau et que l'on trouve surtout dans le

poisson (saumon sauvage, maquereaux, anchois, sardines et harengs,

notamment), mais aussi dans la graine de lin, l'huile de colza, les noix et les haricots

de soja. En Israël, le Dr Nemets a mené une expérience en soignant ses patients

avec l'oméga 3. Plus de la moitié de ceux qui, jusque-là, n'avaient réagi à aucun

traitement ont vu leur dépression disparaître en trois semaines. Une deuxième

étude, publiée dans les Archives of General Psychiatry, rapporte des résultats

analogues.

Les autres méthodes préconisées par le psychiatre sont plus classiques: l'énergie

de la lumière, qui réduirait la dépression, l'acupuncture, dont les aiguilles sont

capables de bloquer les régions du cerveau émotionnel, sièges de la douleur et de

l'anxiété, selon une étude menée à Harvard; l'exercice physique, qui produit, au

bout de plusieurs mois, exactement le même effet que la prise d'un antidépresseur.

Pourtant, ces traitements préconisés par David Servan-Schreiber ne valent rien

sans ce qu'il appelle la «communication émotionnelle». «Quelle différence y a-t-il

entre les gens qui sont heureux et ceux qui ne le sont pas? s'interroge-t-il. Ceux

qui sont heureux sont en relation avec un être humain, en tout cas avec le vivant.»

L'essentiel est d'être «en relation avec le vivant». C?urs brisés, de Murray Parkes,

étude statistique d'accroissement de la mortalité chez les veufs, publiée par le

British Medical Journal, a montré que la survie moyenne des hommes âgés ayant

Page 13: Lexpress - data.over-blog-kiwi.comdata.over-blog-kiwi.com/1/01/47/71/20160804/ob_bb623a_guerir-sans... · le livre qu'il publiera, le 24 mars, aux éditions Robert Laffont risque

perdu leur femme était de loin inférieure à celle d'hommes dont l'épouse était

encore en vie.

C'est peut-être avec ce mélange d'évidence oubliée et d'audace dans les

interventions thérapeutiques que David Servan-Schreiber nous oblige à

appréhender autrement nos problèmes psychologiques. Ses thèses ne sont pas

inscrites dans les tables de la Loi, mais elles méritent d'être observées. Il est temps

d'ouvrir notre champ d'investigation, dans un pays qui détient le record mondial de

consommation d'antidépresseurs.