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AHMADOU KOUROUMA Romancier er dramaturge d'origine ivoirienne, Ahmadou Kourouma esr certainement l'un des auteurs les plus reconnus dans le domaine de la littérature dite « francophone». Dès la parurion de son premier roman, Les soleils des indépendances (1968/70), Kourouma obtienr une reconnaissance internarionale. Apportant un «souffle nouveau » à la littérature africaine, principalement par ses thématiques contemporaines et son rrairemenr de la langue française, Les soleils des indépendances devienr une œuvre incontournable dans le milieu des études littéraires francophones. Il sera suivi, dix plus tard, de la parution d'un deuxième roman, Monnè, outrages et défis (1990), également élevé au rang de « classique» de la littérature africaine. En plus d'une pièce de théâtre, Le diseu.r de vérité (1998), et de quelques livres pour enfants, Kourouma publiera En attendant le vote des bêtes sauvages en 1998 et Allah n'est pas obligé en 2000, pour lequel il gagne le Prix Renaudot. Ahmadou Kourouma s'éteint le Il décembre 2003. Bibliographie Le soleil des indépendances (1968/70) Monnè, outrages et défis (1990) En attendant le vote des bêtes sau.vages (1998) Le diseur de vérité (1998) Allah n'est pas obligé (2000)

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Page 1: AHMADOU KOUROUMAoic.uqam.ca/sites/oic.uqam.ca/files/documents/... · publiera En attendant le vote des bêtes sauvages en 1998 et Allah n'est pas obligé en 2000, pour lequel il gagne

AHMADOU KOUROUMA

Romancier er dramaturge dorigine ivoirienne Ahmadou Kourouma esr certainement lun des auteurs les plus reconnus dans le domaine de la litteacuterature dite laquo francophoneraquo Degraves la parurion de son premier roman Les soleils des indeacutependances (196870) Kourouma obtienr une reconnaissance internarionale Apportant un laquosouffle nouveau raquo agrave la litteacuterature africaine principalement par ses theacutematiques contemporaines et son rrairemenr de la langue franccedilaise Les soleils des indeacutependances devienr une œuvre incontournable dans le milieu des eacutetudes litteacuteraires francophones Il sera suivi dix plus tard de la parution dun deuxiegraveme roman Monnegrave outrages et deacutefis (1990) eacutegalement eacuteleveacute au rang de laquo classiqueraquo de la litteacuterature africaine En plus dune piegravece de theacuteacirctre Le diseur de veacuteriteacute (1998) et de quelques livres pour enfants Kourouma publiera En attendant le vote des becirctes sauvages en 1998 et Allah nest pas obligeacute en 2000 pour lequel il gagne le Prix Renaudot Ahmadou Kourouma seacuteteint le Il deacutecembre 2003

Bibliographie

Le soleil des indeacutependances (196870) Monnegrave outrages et deacutefis (1990) En attendant le vote des becirctes sauvages (1998) Le diseur de veacuteriteacute (1998) Allah nest pas obligeacute (2000)

HYBRIDITEacute ET POLYPHONIE COMME

REDEacuteFINITION DU GENRE ROMANESQUE

En attendant le vote des becirctes sauvages dAhmadou Kourouma

Geneviegraveve Lemoine

L œuvre dAhmadou Kourouma savegravere sans conteste dune tregraves grande importance dans le milieu litteacuteraire francophone Malgreacute un corpus plutocirct restreint (quatre romans et une piegravece de theacuteacirctre) de

nombreuses eacutetudes sattardent aux diffeacuterentes innovations tant stylistiques que theacutematiques proposeacutees par Kourouma Abordant principalement Les soeils des indeacutependances ainsi que Monnegrave outrages et deacutefis la majoriteacute des analyses eacuteclairent une volonteacute de transformation formelle et langagiegravere Si on y relegraveve entre autres limportance de lhybridation syntaxique entre le franccedilais et le malinkeacute comme trace de loraliteacute (Dabla 1986 Gassama 1995) ainsi que la complexiteacute de leacutecriture comme repreacutesentation de la reacutealiteacute africaine (Koneacute 1995 Borgomano 1998 2000) on oublie souvent la subversion inscrite au sein de la narration laquelle questionne la deacutefinition mecircme de genre romanesque Bien que peu deacutetudes soient consacreacutees agrave En attendant e vote des becirctes sauvages nous consideacuterons ce roman comme lexemple le plus probant des transformations formelles viseacutees par Kourouma 1 Retenant pour points de deacutepart une ana lyse des Soeils eacutetabliebull

par Schikora (1982) mettant en reliefle discours polyphonique du narrateur

IVlecirc lne si ~I nolre ~Ivis H()JlJJi ollragemiddot el (hi constitueacute LIll Ineacute lissage h e lllcoup plus SUhlil et reacuteu ssi entre divers lypes de nanmions - rendll1t ainsi Ioul e la heauteacute du genre rollulleslLie - LIl alelldalll le l ule des becircles sallllges perlllet par LI transparence de sa construction narrltive un deacutecoupage plus explicite Dans son eacutetude nes hOllmus 01 ries becircles leelire tic En attendant le vote cles hecirctes saUVlges t~1hll()11 KOllrGIIIIW M Burgolll1l10 (2000) note cIailleurs cette olonteacute explicite de tLll1s onnat ioll formelle

p)sturcs Il (l dossier Lium turt qubeacutecougravet prilHllllpS 2004

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ainsi quune eacutetude de Monnegrave outrages et deacutefis par Hauser (1994) eacutelaboreacutee autour de la complexiteacute de la narration et de leacutenonciation nous aborderons En attendant le vote des becirctes sauvages selon ces mecircmes probleacutematiques Nous verrons ainsi comment leacutecriture de Kourouma revoit singuliegraverement par son estheacutetique particuliegravere le genre romanesque Cette analyse prend ouvertement la voie des eacutetudes narratoriales et eacutenonciatives par conseacutequent les travaux cherchant agrave linteacuterieur des textes de Kourouma des empreintes sociales culturelles politiques ou identitaires sont laisseacutes pour compte La richesse formelle dEn attendant le vote des becirctes sauvages demeure encore inexploreacutee avant den approfondir la composition il semble important de reacutesumer quoique de faccedilon incomplegravete ce vaste roman

En attendant le vote des becirctes sauvages met en scegravene une ceacutereacutemonie purificatoire particuliegravere celle du preacutesident de la Reacutepublique du Golfe le geacuteneacuteral Koyaga issu de la tribu des hommes nus (les paleacuteos) et dirigeant la Reacutepublique dune main sanglante depuis trente ans Ayant acceacutedeacute au pouvoir et sy eacutetant maintenu par la force d une meacuteteacuteorite et dun Coran sacreacutes Koyaga perd apregraves trente anneacutees de diktat ses protections magiques et fait face agrave leacutechec Pour surpasser cette eacutepreuve il doit retrouver ses talismans qui ne reacuteapparaicirctront que sil accepte de se faire reacuteciter son donsomana (ceacutereacutemonie purificatoire ayant un pouvoir cathartique) soit lhistoire entiegravere de sa vie relatant exploits comme meacuteprises

Cette geste que constitue le donsomana doit ecirctre reacuteciteacutee par un sora un griot musicien chantant les exploits des chasseurs accompagneacute dun saltimbanque quon appelle laquoreacutepondeur cordoua) le seul ayant le droit de tout dire au destinataire du donsomana et auquel mecircme linsulte est permise Le donsomana de Koyaga seacutetend sur six veilleacutees au cours desquelles le sora retrace non seulement lhistoire du geacuteneacuteral mais aussi les reacutecits de tous les gens qui lont entoureacute ainsi sont raconteacutees lhistoire de son pegravere (ayant donneacute aux ethnologues la preuve que les paleacuteos jusqualors ignoreacutes des colonisateurs constituaient un peuple pouvant ecirctre assimileacute et exploiteacute) celle de Macleacutedio (ministre de lOrientation dont lhistoire occupe toute la troisiegraveme veilleacutee) celle de sa megravere (deacutetentrice de la meacuteteacuteorite) celle du marabout (possesseur du Coran) et celles de plusieurs dirigeants africains

Le reacutecit purificatoire se deacuteveloppe ainsi en fonction dune certaine chronologie (dirigeacutee par la vie de Koyaga) laissant neacuteanmoins place agrave maintes analepses deacutesordonneacutees et impreacutecises les reacutecits de la vie dautres

143 H) hridih e JOjphollie cOl1me redeacutefilliioll du gellre rOlllalllsque

personnages sentremecirclent agrave lhistoire de Koyaga proceacutedeacute neacutecessaire agrave lefficaciteacute du donsomana En plus dune chronologie incertaine les narrateurs se confondent (sora reacutepondeur narrateur externe Macleacutedio et mecircme Koyaga) pour livrer une vision multiple parfois ironique mais toujours incomplegravete sur le regravegne du laquopreacutesident raquo Loin de se clore le reacutecit purificatoire semble finalement inefficace et impose un continuel recommencement jusquagrave ce que le donsomana permette de retrouver la meacuteteacuteorite et le Coran sacreacutes

Deux aspects de leacutecriture de Kourouma ont particuliegraverement retenu notre inteacuterecirct nous nous arrecircterons dans cette premiegravere partie danalyse aux proceacutedeacutes denchacircssements syntaxiques ainsi quau caractegravere proteacuteiforme du reacutecit Aussi consideacuterant lamplitude du roman preacutecisons que les exemples qui en seront tireacutes illustrent de faccedilon ponctuelle une construction neacuteanmoins reacutepeacuteti tive

Problegravemes syntaxiques et geacuteneacuteriques

Le reacutecit de Kourouma expose ouvertement une hybridation geacuteneacuterique Seacutelaborant selon la forme laquotraditionnelleraquo du donsomana le reacutecit emprunte eacutegalement (comme il est noteacute en quatriegraveme de couverture) au conte fantastique agrave la chronique historique et agrave leacutepopeacutee bien quapparaisse sur la page de titre la deacutenomination de roman La confusion (volontaire) que propose la description dEn attendant le vote des becirctes sauvages meacuterite que lon sarrecircte agrave la probleacutematique geacuteneacuterique poseacutee par leacutecriture de Kourouma

Lieacutes agrave la distinction platonicienne entre diffeacuterentes situations deacutenonciation soit la mimeacutesis (limitation) ou la dieacutegegravesis (la narration) (Genette 1986 p 98) les temps des verbes empruntent les formes du preacutesent (discours) ou du passeacute (reacutecit) Cette distinction doit permettre au lecteur de situer adeacutequatement la sphegravere temporelle Ol se deacuteroule laction Alors que les formes du passeacute simple sapparentent entre autres au conte ou agrave leacutepopeacutee du moins agrave un reacutecit clos les formes du preacutesent caracteacuterisent davantage les situations dialogiques telles que le genre theacuteacirctral ou la chronique olt les actions sont en progression Tous les temps verbaux

NOLIS nOLI s rpp0rLo ns ici Ill dilfeacuterlt nt s COIl CltptS d eacute e lo ppeacutes sur le tltmps dll reacutecit IXlr D I Liing ult nltlu d Oll1s h II ens de Iin~ lislitllll j )olr le lel ilLmire ( 1986 p gt 1 - ~2J

144 Geileliegravele Lemoine

supportant ces formes composent de faccedilon eacutequivoque le roman de Kourouma

La narration initiale proposeacutee par le sora use des formes du preacutesent impliquant ainsi le narra taire dans une situation de dialogue sinon de contemporaneacuteiteacute laquo Nous voilagrave donc tous sous lapatame du jardin de votre reacutesidence Tout est donc precirct tout le monde est en place Je dirai le reacutecit purificatoire de votre vie de maicirctre chasseur et de dictateurraquo (Kourouma 1998 p 10) Ceacutenonciation est celle dun personnage reacutecitant une histoire agrave dautres personnages (et par extension au lecteur) ce type de narration (dialogique) constitue le fondement du reacutecir- Sajoute agrave cette premiegravere narration celle du reacutecit de Koyaga un reacutecit dit laquo purificatoireraquo prenant la forme eacutepique (mettant en scegravene un heacuteros et ses tribulations) et agrave certains endroits la forme de la chronique historique Enchacircsseacutee dans celle du sora cette narration est donneacutee sans distinction soit au passeacute simple soit au preacutesent dit laquoaoristiqueraquo Par exemple le reacutecit des eacuteveacutenements de la vie de Koyaga agrave linteacuterieur dune mecircme page voire dun mecircme paragraphe se deacuteroule agrave la fois au passeacute simple et au preacutesent comme si ces deux temps eacutetaient interchangeables

Quand les tracts sortirent de linconnu et jonchegraverent les trottoirs quand les murs se couvrirent de graffitis se produisirent des collisions entre les deacutescolariseacutes et les forces de lordre [ ] Les armes en bandouliegravere les seaux de peinture agrave la main les farouches commandos paras les lycaons du Preacutesident badigeonnent les murs [ 1 Degraves quils tournent le dos des deacutescolariseacutes foncent sur les murs (Kourouma 1998 p348)

Toutefois contrairement au passeacute simple qui sous-entend que laction est accomplie le preacutesent aoristique laquo exclut toute valeur durative et tout repeacuterage par rapport au moment de leacutenonciation [ ] ce preacutesent ne remplace pas purement et simplement le passeacute simple il le suppleacutee localement agrave des fins stylistiques bien deacutetermineacuteesraquo (Maingueneau 1986 p 47)

Par conseacutequent lorsque Kourouma utilise indistinctement le preacutesent aoristique et le passeacute simple il met en place une eacutenonciation

Cerre narration dialogique peut eacutegalement expliquer du moins en panie leffet de tileacutettralisation que lon peut noter dans 11I (lIclidallllc lole des [(Ies SIII(ltCS

Pour plus de preacutecisioll sur le preacutesent torbtique oir Maingueneau 1986 p ()-

Cest nOLIs qui soulignons

145 H)hriditcgt el JUlJJ ulli( CUIIII1( r (deacutejllifi() dll gCllrc OlIwlI(sqlle

probleacutematique impliquant que certaines actions ne sont pas temporellement deacutefinies et quelles se reacutepegravetent encore au moment de la narration Ainsi une confusion entre la rnirneacutesis et la dieacutegegravesis est volontairement creacuteeacutee rapportant le passeacute et le preacutesent en un lieu commun joignant le reacutecit et le discours dans un mecircme ensembleacute Tous les genres possibles supporteacutes par les temps verbaux (par exemple le conte leacutepopeacutee le theacuteacirctre la chronique) sont fusionneacutes Et agrave cet amalgame de genres sajoutent des hymnes (Kourouma 1998 p 313) des chants traditionnels (1998 p 314) et des priegraveres (1998 p321)

Entrelacs syntaxiques

Les entrelacs syntaxiques dEn attendant le vote des becirctes sauvages mettent eacutegalement en relief lhybriditeacute du roman Un des proceacutedeacutes majeurs utiliseacutes par Kourouma en ce sens est la reacutepeacutetition Attardons-nous d abord aux titres des chapitres lesquels divisent les six veilleacutees du donsornana Chacun de ces titres est un proverbe tireacute des conclusions du sora eacutenonceacutees au chapitre preacuteceacutedent Par exemple le chapitre 1 G se termine par

Le danseur de temps en temps s interrompt pour eacutecouter la chanteuse EacuteCOUlOns nous aussi quelques reacuteflex ions sur le pouvoir Le tambour qui ne punit pas li n crime est un cruchon fegraveleacuteUn roi assied mr son trocircne pendant quun autre se fait tailler e sien ny a pas de mauvais roi mris de mauvais courtisans (Kourouma 1998 p240)

Et le chapitre 17 est titreacute laquo Le tambour qui ne punit pas un crime est un cruchon fecircleacute Ce scheacutema reacutepeacutetitif sera le mecircme pour lensemble du roman soit la reprise du premier proverbe concluant un chapitre pour titrer le suivant Marquant eacutevidemment une volonteacute de continuiteacute agrave linteacuterieur du reacutecit- cette reprise reacutevegravele aussi un deacutesir d entrelacer les diffeacuterents types syntaxiques en substituant agrave lhabiruc eacutenonceacute prosaiumlque (tirre) un proverbe Par ailleurs la juxtaposition d un proverbe et d un eacutenonceacute quelconque agrave linteacuterieur du reacutecit illustre encore plus clairement ces entrelacs syntaxiques

Il sassura dune faccedilon neacutegligente sugraver de sa manigance que Koyaga ava it eacuteteacute expeacutedieacute abarru Lancien sous-officier dIndochine gisait inanimeacute dans le sang il demi couver par deux cadavres La petite vieill e qui nes t pas meacuteticuleuse ramasse dans ses haillons la cendre contenant la braise (Kourou ma 1998 p 1 15- 116)

On peut COl1 sulter 0 ce SUjlmiddott jarticle d e J Bi nswa (2002) alordlt LI ~lI x tposi tiuuml l1 des temps lrhau x dtlll point de Ylie soc iopLlglllatique

Madeleine Iorgolllano (2000) eacutecla ire d e fa~()n int (-ressa nte LI composition spirli ilJue (et non c irc llbire) du 10111111

146 Genel iegravele Lelloine

Dans une entrevue reacutealiseacutee par Yves Chemla (1999) Kourouma souligne avoir beaucoup travailleacute la forme laquoDans le donsomana les gens disent un ou deux proverbes Moi jen ai fait un proceacutedeacute systeacutematiqueraquo (Chemla 1999 p 29) Il note eacutegalement que plusieurs phrases se reacutepegravetent liant et inteacutegrant chaque partie agrave la structure geacuteneacuterale du roman dune faccedilon beaucoup plus serreacutee que dans ses romans preacuteceacutedents Ces reacutepeacutetitions se retrouvent non seulement dans la reacutecurrence deacutenonceacutes preacutecis (contenant toutefois quelques modulations) - par exemple avec la phrase laquoMerci encore merci toujours merci Koyaga [ lraquo (Kourouma 1998 p 70 71 73) - mais aussi dans la forme donneacutee au reacutecit notamment par lintroduction de chacun des chapitres (deacutebutant presque tous par laquoAh Tieacutecoura raquo) ainsi que par leur conclusion (description extradieacutegeacutetique par exemple laquoLe sora arrecircte de conter [ l raquo suivie de trois proverbes) Cette forme geacuteneacuterale reacutepeacutetitive qui semble eacutevoquer une reacuteduplication agrave limage des classifications geacuteneacuteriques (Schaeffer 1986 p 203) met en relief la neacutecessiteacute dune eacutevolution quand diffeacuterents proceacutedeacutes deacutecriture viennent parasiter la forme initiale Pensons entre autres aux apostrophes du sora introduisant les chapitres8 les destinataires subtilement changeacutes au deacutebut des chapitres 5 et 8 alternent agrave partir de la veilleacutee V le sora interpellant Koyaga Macleacutedio ou Tieacutecoura sans distinction Lhabituel laquoAh Tieacutecouraraquo introductif est remplaceacute par exemple par laquoAh Koyagaraquo (Kourouma 1998 p 286) deacutenotant une volonteacute douverture voire deacuteclatement de la forme Notons par ailleurs que le dernier chapitre souvre sur laquoAh Macleacutedio raquo laissant linterpreacutetation des dires du sora agrave une autre personne que celle explicitement viseacutee par le donsomana Leacuteclatement de cette forme reacutepeacutetitive pourrait ainsi reacuteveacuteler une impossible reacuteduplication et meacutetaphoriquement la neacutecessiteacute dun renouvellement du style (voire du genre) par la singulariteacute des eacutecrits

Polyphonie narrative

Les diffeacuterentes voix inscrites dans la narration dEn attendant le vote des becirctes sauvages participent elles aussi au caractegravere proteacuteiforme de ce reacutecit Comme nous lavons noteacute dans lintroduction la reacuteflexion sur cette probleacutematique sinspire de deux articles portant sur la polyphonie ainsi que sur les transformations narratives et eacutenonciatives dans les romans de

KOlls ne nOLIs arrecirc terons ras allx cilritres Olt les destinataires ne sont pas eacuteHlqueacutes considegravernt qlliumlls constituent des exceptions (Kouroullu 1998 r 77 117 eacutet 307)

147 HIhridileacute el pOlphollie comme redeacutejllilioll du gel1re romallesque

Kourouma laquo Narrative voice in Kouroumas Les soleils des indeacutependancesraquo de R Schikora (1982) et laquoMonnegrave outrages et deacutefis agrave la narrationraquo de M Hauser (I994) Laccent sera mis sur trois proceacutedeacutes eacutegalement releveacutes dans ces deux articles la preacutesence simultaneacutee dune narration extradieacutegeacutetique et dune narration intradieacutegeacutetique la fragmentation de la parole et lomnipreacutesence du discours indirect libre

Narration perspectives

laquoVorre nom Koyaga Votre totem faucon Vous ecirctes soldat et preacutesident [ ] Vous Koyaga trocircnez dans le faureuil au centre du cercle Macleacutedio votre ministre de lOrientation est installeacute agrave votre droite Moi Bingo je suis le sararaquo (Kourouma 1998 p 9) Degraves les premiegraveres lignes du roman la situation deacutenonciation souvre sur un laquo je raquo narrateur sadressant agrave un destinataire preacutecis laquovous Koyagaraquo Le narrateur relatant une histoire dont il fait partie est in tradieacutegeacutetique La perspective seacutetablit ainsi agrave partir du monde dun des personnages le lecteur suppose que tout sera axeacute autour dun laquo je raquo initial impliquant un laquovousraquo auditoire ou du moins un laquo tu raquo destinataire Bientocirct il perccediloit une modulation de cette perspective la narration se deacuteplace dune perspective interne vers un point de vue omniscient laquoTieacutecoura tour le monde est reacuteuni Tout est dit [Ajoute votre grain de seL]raquo (1998 p 10) Ce que nous placcedilons entre crochets deacutemontre la preacutesence dun narrateur autre consideacuterant eacutevidemment que le grain de sel serait le sara La bipartition narrative telle quelle apparaicirct dans cet exemple est reacutecurrente notamment dans des fins de chapitre laquo Interrompons-nous nous aussi un court instant pour marquer une pause [Annonce le sora] raquo (1998 p 39) Cette derniegravere phrase que nous placcedilons toujours entre crochets ne peut ecirctre eacutenonceacutee que par un narrateur extradieacutegeacutetique

Aussi eacutemerge freacutequemment dans le reacutecit du sara une perspective omnisciente la narration se deacuteplace dune eacutenonciation dialogique (entre le sara et un des personnages geacuteneacuteralement Koyaga) vers une eacutenonciation sans destinataire preacutecis ougrave le personnage jusquici preacutesenteacute au lecteur comme un laquo tU raquo ou un laquo vousraquo devient un laquo il raquo Prenons ces eacutenonceacutes juxtaposeacutes laquo Loin delle quand ils ne SOnt pas dans la mecircme ville Koyaga teacuteleacutephone agrave la maman

Nous po urrions ajourer que les inrrusions de celle IXlrole exteacuterieure rappellenl la didascdic pllticiplI1t ainsi efTer de rhe hrdis lion sOlll igneacute dans premiegravere panie de Ce Irlmiddotail

148 Geneliegraveoe LelllOille

au moins deux fois par jour en tin de matineacutee et le soir au coucherLes relations entre vous Koyaga et votre maman sont trop eacutetroitesraquo (Kourouma 1998 p 296) La narration se complexifie relatant au sein dune mecircme eacutenonciation une perspective agrave la fois intradieacutegeacutetique et extradieacutegeacutetique Cette fusion de deux perspectives opposeacutees nest pas sans rappeler celle des temps verbaux deacuteveloppeacutee plus haut Mais les innovations narratives de Kourouma ne sarrecirctent pas agrave cette juxtaposition des narrations internes ou externes au reacutecit Elles seacutetendent agrave la fragmentation mecircme de la parole eacutenonciatrice

hagmentation de la parole

La parole du sara outre les intrusions du narrateur exteacuterieur se voit aussi entrecoupeacutee par dautres voix La preacutesence de ces voix dialoguant avec celle du sara est noteacutee de deux faccedilons agrave linteacuterieur du reacutecit soit par la preacutesence de tirets indiquant que la parole provient dun narrateur second soit par les interventions du narrateur exteacuterieur annonccedilant (toujours par la suite) qui est le sujet eacutenonciateur Alors que la preacutesence du tiret indique clairement lexistence dun dialogisme les interventions ponctuelles et non annonceacutees dautres narrateurs produisent un effet dimpreacutecision Prenons par exemple cet extrait

Ah Tieacutecoura Ce nest pas toujours vrai que tous les grands eacuteveacutenements se lisent dans les aurores des jours qui les porteronL Le marin du jour ougrave se tint la confeacuterence de la table ronde de la reacuteconciliation fut aussi plat que le dos dune eacutepouse quon a cesseacute daimer Preacutecise le reacutepondeur (Kourouma 1998 p 113-114)

Alors que le sora amorce le chapitre son discours initialement au preacutesent glisse vers le passeacute simple Ce nest quapregraves le commencement de ce quon croit ecirctre le reacutecit que le narrateur externe informe le lecteur de la provenance de leacutenonceacute Le narrateur de lavant-derniegravere phrase est donc Tieacutecoura personnage auquel le reacutecit semblait jusque-lagrave destineacute En plus decirctre reacutepeacutetitif ce type denchaicircnement complexifie grandement la lecture puisque le seul point de repegravere dans le reacutecit doublement narreacute nest plus la narration du sora mais bien celle du narrateur extradieacutegeacutetique lequel napparaicirct toujours quagrave rebours de leacutenonceacute o

Dans le mecircme ordre dideacutees certains narrateurs interviennent dans le reacutecit du sora par les tirets mais ils demeurent inconnus Kourouma fait

Il pourrait ecirctre inteacuteressant d eacutetablir ic i un parallegravele entre la paro le du narrateur omniscient (souvent au passeacute simple ) parole Cjui est to ujo urs agrave rebo urs par rappo rt aux autres narrations lesCjuelles empruntent une forme dialogique (au preacutesent)

III

149 f1jhridileacute el pUjPhollie cOlllIe ledeacutefilliioll du gellle romallesqlle

parler lors du deacutefileacute soulignant le 30 anniversaire de larriveacutee de Koyaga au pouvoir plus de trois narrateurs le premier eacutenonciateur neacutetant pas identifieacute

Ces t en vain vous restez un roc Les engins de guerre de mort imerminablement se suivenr- Vous co nsacriez trop d argem agrave larmemem beaucoup plus dargem agrave la Deacutefense quaux ministegraveres de la Sallleacute et de lEacuteducation reacuteunisl- Cest faux ce sunt des journalistes malintentionneacutes et menteurs qui font circuler de tell es fausses nouvelles Reacutepond Macl eacutedio (Kourouma 1998 p 338)

Cet eacutenonceacute pourrait vraisemblablement se rapporter agrave Tieacutecoura (le seul ayant le droit dinsulter Koyaga) mais il peut eacutegalement ecirctre le discours dautres personnages preacutesents lors du reacutecit purificatoire Compte tenu de labsence dindications lambiguiumlteacute demeure

Finalement la parole du sora se divise elle-mecircme en deux VOIX

distinctes mais compleacutementaires Une premiegravere voix sadresse agrave Koyaga souvent au laquo je raquo parfois au laquo nous raquo (( Le dankun nous reacuteunit [vous chasseurs et nous griots de chasseurs] raquo (Kourouma 1998 p 31 1)) en sincluant dans le reacutecit comme partie inteacutegrante du monde de Koyaga La seconde impersonnelle sadresse agrave un auditoire afin de linstruire sur diffeacuterentes pratiques malinkeacute ou pour traduire

Je dirai le reacutecit purifi catoire de votre vie de maicirctre chasseur et dictateur Lc reacutecit purifl caw ire est appeleacute en malinkeacute un dOllsornfnrl Ces t une geste Il est dit par un sora accompagneacute par un reacutepondeur cordouel Un curdoua est Ull initeacute en phase purificatOire en phase cathartiquc (1998 p 10)

Ou encore laquo Saluons-le tregraves bas ce tiers cet intrus - un sora ne parle dun heacuteros quapregraves lui avoir rendu un hommage appuyeacute Salut agrave vous [ ] qui ecirctes de la race quon peut tuer sans amoindrir ni supprimerraquo (1998 p 346) On comprend facilement que si le cercle des griots est constitueacute uniquement dAfricains cette voix est dirigeacutee vers lexteacuterieur cest-agrave-dire vers le lecteur Ainsi le reacutecit purificatoire nest pas reacutealiseacute en vase clos mais est ouvert agrave une perception et agrave une interpreacutetation exteacuterieure (le lecteur) impliquant agrave plusieurs endroits que le destinataire nest pas de culture malinkeacute

Le discours indirect libte

Le discours indirect libre cette faccedilon de rapporter les dires d autrui dans son propre discours avec la tonaliteacute du narrateur premier est un proceacutedeacute omnipreacutesent dans En attendant le vote des becirctes sauvages Permettant

150 Geneviegraveve Lemoine

damalgamer la parole dautrui agrave la sienne le discours indirect libre suggegravere - agrave linstar des autres proceacutedeacutes narratifs deacutecrits plus hauts - une polyphonie narrative fragmentant encore plus finement la parole du narrateur Ce type de discours eacutemerge agrave maints endroits dans le reacutecit du sora donnons-en quelques exemples agrave deacutefaut de pouvoir tous les nommer

Les bons pegraveres humainement et chreacutetiennement croyaient avoir ainsi logeacute leurs Noirs conformeacutement agrave leurs coutumes Ils attendaient une chaude reconnaissance lorsque lincroyable nouvelle eacuteclata Ces ingrats de sauvages indigegravenes du Grand Fleuve reacuteclamaient lindeacutependance r1De vrais fous (Kouroumd 1998 p 231)

Ou encore de maniegravere plus subtile le narrateur rapportant le discours de Koyaga laquo Dans le village suivant on vous en offre trois puis ce sont cinq et mecircme sept filles quon vous offre en mariage Cest tropraquo (1998 p 280) Le discours indirect libre peut comme dans cet exemple ecirctre difficile agrave saisir et mener agrave plusieurs interpreacutetations Globalement ce type de discours utiliseacute de maniegravere reacutecurrente constitue un des traits caracteacuteristiques dEn attendant le vote des becirctes sauvages et singularise ainsi leacutecriture de Kourouma par rapport au genre romanesque Le discours indirect libre donne dans le reacutecit mecircme du sora la tonaliteacute des discours dautrui comme si ce narrateur central faisait figure de carrefour pour les voix singuliegraveres des personnages tout en eacutetant lui-mecircme geacutereacute (ou geacuteneacutereacute) par un narrateur omniscient qui lengloberait

Les perspectives adopteacutees par les multiples narrateurs la fragmentation de la parole ainsi que le discours indirect libre deacutenotent sans contredit une polyphonie narrative Cette polyphonie pourrait peut-ecirctre suggeacuterer que comme le note M Borgomano laquo[c]es voix multiples et fluctuantes [ ] transposent au niveau mecircme de la narration cette primauteacute du collectif du social si caracteacuteristique de lAfrique traditionnelleraquo (Borgomano 1998 p 166) Neacuteanmoins nous preacutefeacuterons en rester agrave lideacutee quavant de repreacutesenter ces voix transforment Elles modifient le genre romanesque en deacutefiant les limites de la narration et du dialogue entre autres parce quelles remettent en question la deacutefinition mecircme de laquo communication raquo

La Veilleacutee V du roman est grandement reacuteveacutelatrice en ce quelle expose cie faccedilon reacutecurrente et explicite bon nombre des proceacutedeacutes narratifs visant la polyphonie

151 Hvhriditeacute et pol)phonie cornille redeacutefinitioll du genre rol1lallesqlle

Le donsomana et la volonteacute communicationnelle

Le donsomana comme lexplique le sora constitue une geste cest-agrave-dire un reacutecit eacutepique Le reacutecit eacutepique tel queacutetudieacute par G Lukacirccs dans La theacuteorie du roman (13) implique que les actions du heacuteros seacutetablissent dans un univers clos et unitaire Agrave linverse la quecircte du heacuteros romanesque serait celle dune recherche duniteacute existentielle agrave linteacuterieur dun monde fragmen teacute En attendant le vote des becirctes sauvages sapparente davantage agrave cette deuxiegraveme deacutefinition mettant en scegravene un heacuteros deacutechu devant retrouver son uniteacute (par la purification ainsi que par la recherche de la meacuteteacuteorite et du Coran sacreacute) Ce qui nous inteacuteresse davantage cest ce monde ougrave eacutevolue le heacuteros qui loin decirctre clos est plutocirct permeacuteable aux discours des narrateurs multiples amenant une pleacutethore de perspectives Ainsi agrave linstar du genre romanesque pour Lukacirccs lunivers de Koyaga est fragmenteacute indeacutefinissable et profondeacutement dysfonctionnel 12 Cet univers dysfoncrionnel est donneacutebull

dune parr par la circulariteacute du donsomana -lequel devrait purifier le heacuteros et non en faire lobjet dun eacuteternel recommencement (ltltTant que Koyaga naura pas reacutecupeacutereacute le Coran et la meacuteteacuteorite commenccedilons ou recommenccedilons nous aussi le donsomana purificatoireraquo (Kourouma 1998 p 381)) - dautre part par les multiples fragmentations que le reacutecit subit notamment en ce qui concerne la narration l3bull

Il serait possible de voir dans le donsomana la meacutetaphore de leacutecriture dun roman composeacute dun enchevecirctrement dideacutees et reacutesultant en un meacutetissage ougrave le deacutebut et la fin se rejoignent Et cette mecircme meacutetaphore de leacutecriture agrave plus grande eacutechelle pourrait illustrer le pheacutenomegravene de la communication soit un message (reacutecit) supporteacute par un destinateur (narrateurauteur) et adresseacute agrave un destinataire (Koyagalecteur) communication eacutevidemment dysfonctionnelle dans le roman de Kourouma agrave cause de linstabiliteacute du destinateur et de la continuelle reacuteiteacuteration La narration preacutesenteacutee de divers points de vue est en ce sens grandement repreacutesentative Comme nous lavons abordeacute preacuteceacutedemment le narrateur voit son message laquo parasiteacute raquo par dautres narrations Les diffeacuterentes voix qui

Il serait inteacuteressant de voi r consideacuterant limpo rtance que Lukcs accorde Ci liumlronie commtnt ctttt dysfo nctio n du monde entourant le heacuteros se lie l estheacutetique ironique du rolllan de Kouroum1

Pour des raisons despace nous navons pas abo rdeacute dans cerrt analyse les enchissements de divers reacuteci ts (par exemple hi Veilleacutee III qui porte sur l histoire de Vlacleacutedio) La fragmentation geacuteneacuterale du reacutec it que nous abordons ici comf)()rt e eacutega lement cet aspect malheureusement axnclonneacute

15

152 Geneliegravel e Lellloille

sajoutent produisent des distorsions et brouillent le message menant agrave une essentielle reacutepeacutetition En attendant le vote des becirctes sauvages loin de se clore ou de proposer une fln possible agrave limpasse de Koyaga demeure un reacutecit complegravetement ouvert impliquant un recommencement jusquagrave ce que le message soit efflcace Pour sortir de cette circulariteacute l

dans le reacutecit de Kourouma comme dans lacte communicationnel en geacuteneacuteral une interpreacutetation est primordiale (interpreacutetation qui nest visiblement pas effectueacutee par Koyaga dans le roman) En attendant le vote des becirctes sauvages illustre limportance de linterpreacutetation dun reacutecit interpreacutetation neacutecessaire agrave la survie de lœuvre afin que celle-ci ne senferme pas dans une communication agrave sens unique Non seulement le roman doit ecirctre lu mais son message doit ecirctre eacuteclairci afln de deacutepasser les limites de sa propre trame Par leacutecriture du donsomana Kourouma meacutetaphorise une communication (ou de maniegravere plus restreinte un reacutecit) qui nest pas interpreacuteteacutee et qui doit ecirctre recommenceacutee pour ecirctre efflcace voire pour sinscrire dans lhistoire Et la conclusion ouverte de lœuvre invite agrave cette mecircme interpreacutetation de la part du lecteur afln qu il deacutepasse les limites du roman ne serait-ce que celles du parasitage narratif Bref le reacutecit de Koyaga se deacuteveloppant dans un univers fragmenteacute et dysfonctionnel (agrave limage de son personnage principal) neacutecessite une interpreacutetation pour retrouver son eacutequilibre il doit souvrir et deacutepasser ses propres limites (dont celle du laquo genreraquo qui lui est attribueacute le roman) pour viser agrave une reacutecupeacuteration et agrave une interpreacutetation par un destinataire exteacuterieur

Kourouma et la notion de laquo genre romanesqueraquo

En attendant te vote des becirctes sauvages de Kourouma deacutemonrre clairement lideacutee dune syntheacutetisation des genres Cette synrheacutetisation est supporteacutee par la juxtaposition de multiples genres (conte fable eacutepopeacutee chronique) - englobeacutes sous le terme de laquo roman raquo - et geacuteneacutereacutee par lindistinction entre les diffeacuterents temps verbaux ainsi que par les entrelacs syntaxiques et la reacutepeacutetition Tous ces proceacutedeacutes deacutecriture visent un eacuteclatement geacuteneacuterique eacutegalement soutenu - de faccedilon encore plus eacuteclairante - par les nombreuses voix narratives qui composent le reacutecit Le genre romanesque agrave travers leacutecriture de Kourouma se voit ainsi ouvertement questionneacute et transformeacute

1 Au suiel de la c irculariteacute dTIi (lelldtlllle l ole d es bes Sllllluges conuli er iJ no te de lecture suilIlt l entretien de y(~ Chc ll1la d Ins Y() re ihmirie no 136 p 30-32 insi que leacute tude de ~ Lldel(ine Borgo ll1~ no f)ocirc hOlllIes Ol des l( e lee lire dEn attendant le o te d es ile tls SCIUJgcs d gtlhllwrJl K(JlrtllIlI ll (2000)

153 f-J)hridileacute el po~ph()lie comme recujil7iliol7 dll gelre rOlllalesqlle

Plusieurs theacuteoriciens ont tenteacute de deacutefinir les diffeacuterents laquo genres raquo deacutefinition qui permettrait deacutetablir une classification des œuvres plus adeacutequate que la division initiale - et consideacuterablement remanieacutee -proposeacutee par Aristote et Platon Certaines reacuteflexions portant sur la notion de genre litteacuteraire en arrivent agrave la consideacuterer comme une aporie ]-M Schaeffer note dailleurs que

le deacuteveloppement de la circulation litteacuteraire (ducirc agrave des causes technologiques auss i bien que sociales) au cours des derniers siegravecles a comme conseacutequence une multiplication extrecircme des modegraveles geacuteneacuteriques potentiels en sorte que lactivireacute geacuteneacuterique 1 1 tregraves pousseacutee des tex tes modernes aboutit agrave une relie multiplication geacute neacuterique que les class ification sont tregraves difficiles agrave eacutetablir (Schaeffer 1986 p 202)

Utili~ant davantage le terme de laquo geacuteneacutericiteacuteraquo - impliquant une essentielle transformation geacuteneacuterique - plutocirct que celui de laquo genre litteacuteraire raquo Schaeffer soutient dans cette mecircme eacutetude lideacutee que la multipliciteacute des traits geacuteneacuteriques est le propre des grandes œuvres Parallegravelement dans Les genres litteacuteraires Dominique Combe preacutecise davantage la notion de genre romanesque la reliant avec la conception des romantiques de 1 laquoŒuvre totale laquelle souligne limportance dune transgression et dune synthegravese des divisions geacuteneacuteriques originelles (eacutepique lyrique et dramatique) Finalement certains theacuteoriciens soutiennent la supeacuterioriteacute dune syntheacuterisation geacuteneacuterique redirigeant ainsi les discours cloisonnant les genres vers une dynamique des eacutecrits litteacuteraires l 7

bull

Dans laquo De la litteacuterature comme rransculture raquo ] Semujanga (1999) considegravere que le roman met en place diffeacuterents meacutecanismes deacutecrirure et sourient que celui-ci contient un discours sur le processus mecircme de creacuteation lirreacuteraire et possegravede ainsi des effets directs sur la deacutefinition de genre (ce qui comme nous lavons preacuteceacutedemment releveacute se retrouve dans le roman de Kourouma) En analysant larticulation entre lœuvre (sa singulariteacute) et le

Nous bisons entre autres reacutereacuterence 1 C (~ enette (Ilt)H(raquo qui a revu lorig inell e Irirl rt itio n laussemc nt Iltribueacutee il Aristo te (eacutepique ly riq ue dramatiq ue) considugravelnt les d ilfeacuterents deacutel elo ppelllent s 1trII e rs les eacutepoques et rrorosant par conseacutequent une Ilo lll el le cLi ss ilic ll ion des genre litteacuteraires fo ndugrave sur les recouplments entre les theacutematiques les m odes et les jormes adopteacutees p tr les eacutecrits li II Y a geacuteneacutericit eacute degraves que Li cOllfrontation d un texte 1 son contexte litteacuteraire (IU

sens ~L I lt ) r~ lil surgir en Illigr~ lnc cctte S Or(LO de tratll e- qui lie enst lnhle une cI ~ l sse tex tllelle et p lr r pp0 1 1 Itq uelle le tex te en questi o n seacutecrit so it quil disparisse 1 son tour c1 ])s LI 111111( soit quil LI di middotlorde ou LI deillonte In ~ li s foujo urs soi t sy inleacutegralli oit se lin tegravegrln tl -1 Sc 1 lcfkr 1 9~6 p 20 1) 1- Nous nOLIs reacute fC rons ici ~I 1~ l II(Jlitle d es pcllremiddot dOlls le ()JJall (~ i icfil cie J ~e ll u j l l1 g 1 ( 1)lt)lt)

154 Cenel iegravele Lemaille

genre romanesque lauteur affirme que leacutecriture agrave travers ses motifs reacutecurrents est le lieu deacutenonciation de valeurs qui sintegravegrent plus largement agrave un procegraves axiologique Ces relations transversales entre les diffeacuterentes productions convergent vers cet aspect que Semujanga nomme transculturaliteacute laquelle redeacutefinit le genre comme une varieacuteteacute de motifs qui rend vaine toute tentative de systeacutemisation Les avanceacutees de Semujanga rejoignent lideacutee dune eacutevolution geacuteneacuterique proposeacutee par Schaeffer en suggeacuterant que les genres textuels sont dynamiques de par diverses influences tant litteacuteraires que culturelles tant chronologiques quanachroniques et sous-jacente agrave cette dynamique geacuteneacuterique lideacutee de laquo malleacuteabiliteacute de laquo transinfluence 18 de toute œuvre litteacuteraire

En attendant le vote des becirctes sauvages illustre cette tentative de deacutepassement des limites geacuteneacuteriques non seulement par la manipulation de diffeacuterents genres ou par la transformation fragmentaire de sa narration mais eacutegalement par le discours meacutetaphorique que suggegravere leacutecriture du donsomana sur la construction romanesque comme telle Par un style composite amalgamant plusieurs types de reacutecits mais les surpassant le roman de Kourouma se lie dune faccedilon particuliegravere agrave laquoson genre (reacutepondant dune certaine maniegravere agrave la question poseacutee par J-M Schaffer (1986 p 180)) Illustrant les diffeacuterentes avanceacutees theacuteoriques mentionneacutees ci-haut En attendant le vote des becirctes sauvages pourrait saveacuterer une des multiples repreacutesentations du roman comme laquo meacutetagenreraquo cest-agrave-dire comme lieu de laquo phagocytage de tous les genres et comme repreacutesentation dynamique de [eacutecriture (Semujanga 1999)

Pour conclure

Cette analyse dEn attendant ie vote des becirctes sauvages visait fondamentalement agrave eacuteclairer le caractegravere hybride de ce roman et agrave le relier agrave laquo sonraquo genre soit le genre romanesque Nous avons pu constater comment leacutecriture singuliegravere de Kourouma par les entrelacs syntaxiques et la multipliciteacute des formes quelle soutient sinscrit dans cette conception du roman comme laquo meacutetagenreraquo par son hybriditeacute et son caractegravere syntheacutetique Les diffeacuterentes probleacutematiques inscrites dans leacutenonciation telles la reacutepeacutetition et lutilisation simultaneacutee de temps verbaux opposeacutes IH Nous lIllenons ici ce terme en tenant compte de son utilisation limiteacutee po ur souligner les di vergences conceptll elles entre les theacuteori es de Semujanga et les theacuteories de Genelle Il est noter que Schaeffer a])orcllit eacutegalement cet Ispect en d eacutevelopplI1t le concept cie modulatio n geacuteneacuterique

155 H)hriditeacute et pOJphulie comme redeacuteilitiol du 8elre rollIesque

(passeacutepreacutesent) ont permis dillustrer leacuteclatement de la narration Aussi en approfondissant cet eacuteclatement narratif et geacuteneacuterique en fonction des multiples voix et perspectives inscrites dans la narration principale nous avons deacutemontreacute limportance de la polyphonie narrative du roman de Kourouma et du laquo brouillageraquo narratif qui est creacuteeacute De ce rapprochement a pu eacutemerger la constatation que tout comme une communication entre destinateur et destinataire parasiteacutee par diffeacuterentes perspectives le sens du roman de Kourouma exige une interpreacutetation Ainsi la polyphonie implique une neacutecessaire ouverture de la signification du roman vers ]exteacuterieur invitant neacutecessairement le lecteur agrave ajouter sa voix agrave celle des autres Cimplication de chacun des lecteurs et la polyphonie narrative dans En attendant le vote des becirctes sauvages megravenent donc agrave une reformulation du genre romanesque en fonction non plus de la forme du roman mais des proceacutedeacutes deacutecriture vers une vision davantage ouverte et dynamique de lœuvre romanesque

156 Ceneliegravele Lemoil1e

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Page 2: AHMADOU KOUROUMAoic.uqam.ca/sites/oic.uqam.ca/files/documents/... · publiera En attendant le vote des bêtes sauvages en 1998 et Allah n'est pas obligé en 2000, pour lequel il gagne

HYBRIDITEacute ET POLYPHONIE COMME

REDEacuteFINITION DU GENRE ROMANESQUE

En attendant le vote des becirctes sauvages dAhmadou Kourouma

Geneviegraveve Lemoine

L œuvre dAhmadou Kourouma savegravere sans conteste dune tregraves grande importance dans le milieu litteacuteraire francophone Malgreacute un corpus plutocirct restreint (quatre romans et une piegravece de theacuteacirctre) de

nombreuses eacutetudes sattardent aux diffeacuterentes innovations tant stylistiques que theacutematiques proposeacutees par Kourouma Abordant principalement Les soeils des indeacutependances ainsi que Monnegrave outrages et deacutefis la majoriteacute des analyses eacuteclairent une volonteacute de transformation formelle et langagiegravere Si on y relegraveve entre autres limportance de lhybridation syntaxique entre le franccedilais et le malinkeacute comme trace de loraliteacute (Dabla 1986 Gassama 1995) ainsi que la complexiteacute de leacutecriture comme repreacutesentation de la reacutealiteacute africaine (Koneacute 1995 Borgomano 1998 2000) on oublie souvent la subversion inscrite au sein de la narration laquelle questionne la deacutefinition mecircme de genre romanesque Bien que peu deacutetudes soient consacreacutees agrave En attendant e vote des becirctes sauvages nous consideacuterons ce roman comme lexemple le plus probant des transformations formelles viseacutees par Kourouma 1 Retenant pour points de deacutepart une ana lyse des Soeils eacutetabliebull

par Schikora (1982) mettant en reliefle discours polyphonique du narrateur

IVlecirc lne si ~I nolre ~Ivis H()JlJJi ollragemiddot el (hi constitueacute LIll Ineacute lissage h e lllcoup plus SUhlil et reacuteu ssi entre divers lypes de nanmions - rendll1t ainsi Ioul e la heauteacute du genre rollulleslLie - LIl alelldalll le l ule des becircles sallllges perlllet par LI transparence de sa construction narrltive un deacutecoupage plus explicite Dans son eacutetude nes hOllmus 01 ries becircles leelire tic En attendant le vote cles hecirctes saUVlges t~1hll()11 KOllrGIIIIW M Burgolll1l10 (2000) note cIailleurs cette olonteacute explicite de tLll1s onnat ioll formelle

p)sturcs Il (l dossier Lium turt qubeacutecougravet prilHllllpS 2004

142

ainsi quune eacutetude de Monnegrave outrages et deacutefis par Hauser (1994) eacutelaboreacutee autour de la complexiteacute de la narration et de leacutenonciation nous aborderons En attendant le vote des becirctes sauvages selon ces mecircmes probleacutematiques Nous verrons ainsi comment leacutecriture de Kourouma revoit singuliegraverement par son estheacutetique particuliegravere le genre romanesque Cette analyse prend ouvertement la voie des eacutetudes narratoriales et eacutenonciatives par conseacutequent les travaux cherchant agrave linteacuterieur des textes de Kourouma des empreintes sociales culturelles politiques ou identitaires sont laisseacutes pour compte La richesse formelle dEn attendant le vote des becirctes sauvages demeure encore inexploreacutee avant den approfondir la composition il semble important de reacutesumer quoique de faccedilon incomplegravete ce vaste roman

En attendant le vote des becirctes sauvages met en scegravene une ceacutereacutemonie purificatoire particuliegravere celle du preacutesident de la Reacutepublique du Golfe le geacuteneacuteral Koyaga issu de la tribu des hommes nus (les paleacuteos) et dirigeant la Reacutepublique dune main sanglante depuis trente ans Ayant acceacutedeacute au pouvoir et sy eacutetant maintenu par la force d une meacuteteacuteorite et dun Coran sacreacutes Koyaga perd apregraves trente anneacutees de diktat ses protections magiques et fait face agrave leacutechec Pour surpasser cette eacutepreuve il doit retrouver ses talismans qui ne reacuteapparaicirctront que sil accepte de se faire reacuteciter son donsomana (ceacutereacutemonie purificatoire ayant un pouvoir cathartique) soit lhistoire entiegravere de sa vie relatant exploits comme meacuteprises

Cette geste que constitue le donsomana doit ecirctre reacuteciteacutee par un sora un griot musicien chantant les exploits des chasseurs accompagneacute dun saltimbanque quon appelle laquoreacutepondeur cordoua) le seul ayant le droit de tout dire au destinataire du donsomana et auquel mecircme linsulte est permise Le donsomana de Koyaga seacutetend sur six veilleacutees au cours desquelles le sora retrace non seulement lhistoire du geacuteneacuteral mais aussi les reacutecits de tous les gens qui lont entoureacute ainsi sont raconteacutees lhistoire de son pegravere (ayant donneacute aux ethnologues la preuve que les paleacuteos jusqualors ignoreacutes des colonisateurs constituaient un peuple pouvant ecirctre assimileacute et exploiteacute) celle de Macleacutedio (ministre de lOrientation dont lhistoire occupe toute la troisiegraveme veilleacutee) celle de sa megravere (deacutetentrice de la meacuteteacuteorite) celle du marabout (possesseur du Coran) et celles de plusieurs dirigeants africains

Le reacutecit purificatoire se deacuteveloppe ainsi en fonction dune certaine chronologie (dirigeacutee par la vie de Koyaga) laissant neacuteanmoins place agrave maintes analepses deacutesordonneacutees et impreacutecises les reacutecits de la vie dautres

143 H) hridih e JOjphollie cOl1me redeacutefilliioll du gellre rOlllalllsque

personnages sentremecirclent agrave lhistoire de Koyaga proceacutedeacute neacutecessaire agrave lefficaciteacute du donsomana En plus dune chronologie incertaine les narrateurs se confondent (sora reacutepondeur narrateur externe Macleacutedio et mecircme Koyaga) pour livrer une vision multiple parfois ironique mais toujours incomplegravete sur le regravegne du laquopreacutesident raquo Loin de se clore le reacutecit purificatoire semble finalement inefficace et impose un continuel recommencement jusquagrave ce que le donsomana permette de retrouver la meacuteteacuteorite et le Coran sacreacutes

Deux aspects de leacutecriture de Kourouma ont particuliegraverement retenu notre inteacuterecirct nous nous arrecircterons dans cette premiegravere partie danalyse aux proceacutedeacutes denchacircssements syntaxiques ainsi quau caractegravere proteacuteiforme du reacutecit Aussi consideacuterant lamplitude du roman preacutecisons que les exemples qui en seront tireacutes illustrent de faccedilon ponctuelle une construction neacuteanmoins reacutepeacuteti tive

Problegravemes syntaxiques et geacuteneacuteriques

Le reacutecit de Kourouma expose ouvertement une hybridation geacuteneacuterique Seacutelaborant selon la forme laquotraditionnelleraquo du donsomana le reacutecit emprunte eacutegalement (comme il est noteacute en quatriegraveme de couverture) au conte fantastique agrave la chronique historique et agrave leacutepopeacutee bien quapparaisse sur la page de titre la deacutenomination de roman La confusion (volontaire) que propose la description dEn attendant le vote des becirctes sauvages meacuterite que lon sarrecircte agrave la probleacutematique geacuteneacuterique poseacutee par leacutecriture de Kourouma

Lieacutes agrave la distinction platonicienne entre diffeacuterentes situations deacutenonciation soit la mimeacutesis (limitation) ou la dieacutegegravesis (la narration) (Genette 1986 p 98) les temps des verbes empruntent les formes du preacutesent (discours) ou du passeacute (reacutecit) Cette distinction doit permettre au lecteur de situer adeacutequatement la sphegravere temporelle Ol se deacuteroule laction Alors que les formes du passeacute simple sapparentent entre autres au conte ou agrave leacutepopeacutee du moins agrave un reacutecit clos les formes du preacutesent caracteacuterisent davantage les situations dialogiques telles que le genre theacuteacirctral ou la chronique olt les actions sont en progression Tous les temps verbaux

NOLIS nOLI s rpp0rLo ns ici Ill dilfeacuterlt nt s COIl CltptS d eacute e lo ppeacutes sur le tltmps dll reacutecit IXlr D I Liing ult nltlu d Oll1s h II ens de Iin~ lislitllll j )olr le lel ilLmire ( 1986 p gt 1 - ~2J

144 Geileliegravele Lemoine

supportant ces formes composent de faccedilon eacutequivoque le roman de Kourouma

La narration initiale proposeacutee par le sora use des formes du preacutesent impliquant ainsi le narra taire dans une situation de dialogue sinon de contemporaneacuteiteacute laquo Nous voilagrave donc tous sous lapatame du jardin de votre reacutesidence Tout est donc precirct tout le monde est en place Je dirai le reacutecit purificatoire de votre vie de maicirctre chasseur et de dictateurraquo (Kourouma 1998 p 10) Ceacutenonciation est celle dun personnage reacutecitant une histoire agrave dautres personnages (et par extension au lecteur) ce type de narration (dialogique) constitue le fondement du reacutecir- Sajoute agrave cette premiegravere narration celle du reacutecit de Koyaga un reacutecit dit laquo purificatoireraquo prenant la forme eacutepique (mettant en scegravene un heacuteros et ses tribulations) et agrave certains endroits la forme de la chronique historique Enchacircsseacutee dans celle du sora cette narration est donneacutee sans distinction soit au passeacute simple soit au preacutesent dit laquoaoristiqueraquo Par exemple le reacutecit des eacuteveacutenements de la vie de Koyaga agrave linteacuterieur dune mecircme page voire dun mecircme paragraphe se deacuteroule agrave la fois au passeacute simple et au preacutesent comme si ces deux temps eacutetaient interchangeables

Quand les tracts sortirent de linconnu et jonchegraverent les trottoirs quand les murs se couvrirent de graffitis se produisirent des collisions entre les deacutescolariseacutes et les forces de lordre [ ] Les armes en bandouliegravere les seaux de peinture agrave la main les farouches commandos paras les lycaons du Preacutesident badigeonnent les murs [ 1 Degraves quils tournent le dos des deacutescolariseacutes foncent sur les murs (Kourouma 1998 p348)

Toutefois contrairement au passeacute simple qui sous-entend que laction est accomplie le preacutesent aoristique laquo exclut toute valeur durative et tout repeacuterage par rapport au moment de leacutenonciation [ ] ce preacutesent ne remplace pas purement et simplement le passeacute simple il le suppleacutee localement agrave des fins stylistiques bien deacutetermineacuteesraquo (Maingueneau 1986 p 47)

Par conseacutequent lorsque Kourouma utilise indistinctement le preacutesent aoristique et le passeacute simple il met en place une eacutenonciation

Cerre narration dialogique peut eacutegalement expliquer du moins en panie leffet de tileacutettralisation que lon peut noter dans 11I (lIclidallllc lole des [(Ies SIII(ltCS

Pour plus de preacutecisioll sur le preacutesent torbtique oir Maingueneau 1986 p ()-

Cest nOLIs qui soulignons

145 H)hriditcgt el JUlJJ ulli( CUIIII1( r (deacutejllifi() dll gCllrc OlIwlI(sqlle

probleacutematique impliquant que certaines actions ne sont pas temporellement deacutefinies et quelles se reacutepegravetent encore au moment de la narration Ainsi une confusion entre la rnirneacutesis et la dieacutegegravesis est volontairement creacuteeacutee rapportant le passeacute et le preacutesent en un lieu commun joignant le reacutecit et le discours dans un mecircme ensembleacute Tous les genres possibles supporteacutes par les temps verbaux (par exemple le conte leacutepopeacutee le theacuteacirctre la chronique) sont fusionneacutes Et agrave cet amalgame de genres sajoutent des hymnes (Kourouma 1998 p 313) des chants traditionnels (1998 p 314) et des priegraveres (1998 p321)

Entrelacs syntaxiques

Les entrelacs syntaxiques dEn attendant le vote des becirctes sauvages mettent eacutegalement en relief lhybriditeacute du roman Un des proceacutedeacutes majeurs utiliseacutes par Kourouma en ce sens est la reacutepeacutetition Attardons-nous d abord aux titres des chapitres lesquels divisent les six veilleacutees du donsornana Chacun de ces titres est un proverbe tireacute des conclusions du sora eacutenonceacutees au chapitre preacuteceacutedent Par exemple le chapitre 1 G se termine par

Le danseur de temps en temps s interrompt pour eacutecouter la chanteuse EacuteCOUlOns nous aussi quelques reacuteflex ions sur le pouvoir Le tambour qui ne punit pas li n crime est un cruchon fegraveleacuteUn roi assied mr son trocircne pendant quun autre se fait tailler e sien ny a pas de mauvais roi mris de mauvais courtisans (Kourouma 1998 p240)

Et le chapitre 17 est titreacute laquo Le tambour qui ne punit pas un crime est un cruchon fecircleacute Ce scheacutema reacutepeacutetitif sera le mecircme pour lensemble du roman soit la reprise du premier proverbe concluant un chapitre pour titrer le suivant Marquant eacutevidemment une volonteacute de continuiteacute agrave linteacuterieur du reacutecit- cette reprise reacutevegravele aussi un deacutesir d entrelacer les diffeacuterents types syntaxiques en substituant agrave lhabiruc eacutenonceacute prosaiumlque (tirre) un proverbe Par ailleurs la juxtaposition d un proverbe et d un eacutenonceacute quelconque agrave linteacuterieur du reacutecit illustre encore plus clairement ces entrelacs syntaxiques

Il sassura dune faccedilon neacutegligente sugraver de sa manigance que Koyaga ava it eacuteteacute expeacutedieacute abarru Lancien sous-officier dIndochine gisait inanimeacute dans le sang il demi couver par deux cadavres La petite vieill e qui nes t pas meacuteticuleuse ramasse dans ses haillons la cendre contenant la braise (Kourou ma 1998 p 1 15- 116)

On peut COl1 sulter 0 ce SUjlmiddott jarticle d e J Bi nswa (2002) alordlt LI ~lI x tposi tiuuml l1 des temps lrhau x dtlll point de Ylie soc iopLlglllatique

Madeleine Iorgolllano (2000) eacutecla ire d e fa~()n int (-ressa nte LI composition spirli ilJue (et non c irc llbire) du 10111111

146 Genel iegravele Lelloine

Dans une entrevue reacutealiseacutee par Yves Chemla (1999) Kourouma souligne avoir beaucoup travailleacute la forme laquoDans le donsomana les gens disent un ou deux proverbes Moi jen ai fait un proceacutedeacute systeacutematiqueraquo (Chemla 1999 p 29) Il note eacutegalement que plusieurs phrases se reacutepegravetent liant et inteacutegrant chaque partie agrave la structure geacuteneacuterale du roman dune faccedilon beaucoup plus serreacutee que dans ses romans preacuteceacutedents Ces reacutepeacutetitions se retrouvent non seulement dans la reacutecurrence deacutenonceacutes preacutecis (contenant toutefois quelques modulations) - par exemple avec la phrase laquoMerci encore merci toujours merci Koyaga [ lraquo (Kourouma 1998 p 70 71 73) - mais aussi dans la forme donneacutee au reacutecit notamment par lintroduction de chacun des chapitres (deacutebutant presque tous par laquoAh Tieacutecoura raquo) ainsi que par leur conclusion (description extradieacutegeacutetique par exemple laquoLe sora arrecircte de conter [ l raquo suivie de trois proverbes) Cette forme geacuteneacuterale reacutepeacutetitive qui semble eacutevoquer une reacuteduplication agrave limage des classifications geacuteneacuteriques (Schaeffer 1986 p 203) met en relief la neacutecessiteacute dune eacutevolution quand diffeacuterents proceacutedeacutes deacutecriture viennent parasiter la forme initiale Pensons entre autres aux apostrophes du sora introduisant les chapitres8 les destinataires subtilement changeacutes au deacutebut des chapitres 5 et 8 alternent agrave partir de la veilleacutee V le sora interpellant Koyaga Macleacutedio ou Tieacutecoura sans distinction Lhabituel laquoAh Tieacutecouraraquo introductif est remplaceacute par exemple par laquoAh Koyagaraquo (Kourouma 1998 p 286) deacutenotant une volonteacute douverture voire deacuteclatement de la forme Notons par ailleurs que le dernier chapitre souvre sur laquoAh Macleacutedio raquo laissant linterpreacutetation des dires du sora agrave une autre personne que celle explicitement viseacutee par le donsomana Leacuteclatement de cette forme reacutepeacutetitive pourrait ainsi reacuteveacuteler une impossible reacuteduplication et meacutetaphoriquement la neacutecessiteacute dun renouvellement du style (voire du genre) par la singulariteacute des eacutecrits

Polyphonie narrative

Les diffeacuterentes voix inscrites dans la narration dEn attendant le vote des becirctes sauvages participent elles aussi au caractegravere proteacuteiforme de ce reacutecit Comme nous lavons noteacute dans lintroduction la reacuteflexion sur cette probleacutematique sinspire de deux articles portant sur la polyphonie ainsi que sur les transformations narratives et eacutenonciatives dans les romans de

KOlls ne nOLIs arrecirc terons ras allx cilritres Olt les destinataires ne sont pas eacuteHlqueacutes considegravernt qlliumlls constituent des exceptions (Kouroullu 1998 r 77 117 eacutet 307)

147 HIhridileacute el pOlphollie comme redeacutejllilioll du gel1re romallesque

Kourouma laquo Narrative voice in Kouroumas Les soleils des indeacutependancesraquo de R Schikora (1982) et laquoMonnegrave outrages et deacutefis agrave la narrationraquo de M Hauser (I994) Laccent sera mis sur trois proceacutedeacutes eacutegalement releveacutes dans ces deux articles la preacutesence simultaneacutee dune narration extradieacutegeacutetique et dune narration intradieacutegeacutetique la fragmentation de la parole et lomnipreacutesence du discours indirect libre

Narration perspectives

laquoVorre nom Koyaga Votre totem faucon Vous ecirctes soldat et preacutesident [ ] Vous Koyaga trocircnez dans le faureuil au centre du cercle Macleacutedio votre ministre de lOrientation est installeacute agrave votre droite Moi Bingo je suis le sararaquo (Kourouma 1998 p 9) Degraves les premiegraveres lignes du roman la situation deacutenonciation souvre sur un laquo je raquo narrateur sadressant agrave un destinataire preacutecis laquovous Koyagaraquo Le narrateur relatant une histoire dont il fait partie est in tradieacutegeacutetique La perspective seacutetablit ainsi agrave partir du monde dun des personnages le lecteur suppose que tout sera axeacute autour dun laquo je raquo initial impliquant un laquovousraquo auditoire ou du moins un laquo tu raquo destinataire Bientocirct il perccediloit une modulation de cette perspective la narration se deacuteplace dune perspective interne vers un point de vue omniscient laquoTieacutecoura tour le monde est reacuteuni Tout est dit [Ajoute votre grain de seL]raquo (1998 p 10) Ce que nous placcedilons entre crochets deacutemontre la preacutesence dun narrateur autre consideacuterant eacutevidemment que le grain de sel serait le sara La bipartition narrative telle quelle apparaicirct dans cet exemple est reacutecurrente notamment dans des fins de chapitre laquo Interrompons-nous nous aussi un court instant pour marquer une pause [Annonce le sora] raquo (1998 p 39) Cette derniegravere phrase que nous placcedilons toujours entre crochets ne peut ecirctre eacutenonceacutee que par un narrateur extradieacutegeacutetique

Aussi eacutemerge freacutequemment dans le reacutecit du sara une perspective omnisciente la narration se deacuteplace dune eacutenonciation dialogique (entre le sara et un des personnages geacuteneacuteralement Koyaga) vers une eacutenonciation sans destinataire preacutecis ougrave le personnage jusquici preacutesenteacute au lecteur comme un laquo tU raquo ou un laquo vousraquo devient un laquo il raquo Prenons ces eacutenonceacutes juxtaposeacutes laquo Loin delle quand ils ne SOnt pas dans la mecircme ville Koyaga teacuteleacutephone agrave la maman

Nous po urrions ajourer que les inrrusions de celle IXlrole exteacuterieure rappellenl la didascdic pllticiplI1t ainsi efTer de rhe hrdis lion sOlll igneacute dans premiegravere panie de Ce Irlmiddotail

148 Geneliegraveoe LelllOille

au moins deux fois par jour en tin de matineacutee et le soir au coucherLes relations entre vous Koyaga et votre maman sont trop eacutetroitesraquo (Kourouma 1998 p 296) La narration se complexifie relatant au sein dune mecircme eacutenonciation une perspective agrave la fois intradieacutegeacutetique et extradieacutegeacutetique Cette fusion de deux perspectives opposeacutees nest pas sans rappeler celle des temps verbaux deacuteveloppeacutee plus haut Mais les innovations narratives de Kourouma ne sarrecirctent pas agrave cette juxtaposition des narrations internes ou externes au reacutecit Elles seacutetendent agrave la fragmentation mecircme de la parole eacutenonciatrice

hagmentation de la parole

La parole du sara outre les intrusions du narrateur exteacuterieur se voit aussi entrecoupeacutee par dautres voix La preacutesence de ces voix dialoguant avec celle du sara est noteacutee de deux faccedilons agrave linteacuterieur du reacutecit soit par la preacutesence de tirets indiquant que la parole provient dun narrateur second soit par les interventions du narrateur exteacuterieur annonccedilant (toujours par la suite) qui est le sujet eacutenonciateur Alors que la preacutesence du tiret indique clairement lexistence dun dialogisme les interventions ponctuelles et non annonceacutees dautres narrateurs produisent un effet dimpreacutecision Prenons par exemple cet extrait

Ah Tieacutecoura Ce nest pas toujours vrai que tous les grands eacuteveacutenements se lisent dans les aurores des jours qui les porteronL Le marin du jour ougrave se tint la confeacuterence de la table ronde de la reacuteconciliation fut aussi plat que le dos dune eacutepouse quon a cesseacute daimer Preacutecise le reacutepondeur (Kourouma 1998 p 113-114)

Alors que le sora amorce le chapitre son discours initialement au preacutesent glisse vers le passeacute simple Ce nest quapregraves le commencement de ce quon croit ecirctre le reacutecit que le narrateur externe informe le lecteur de la provenance de leacutenonceacute Le narrateur de lavant-derniegravere phrase est donc Tieacutecoura personnage auquel le reacutecit semblait jusque-lagrave destineacute En plus decirctre reacutepeacutetitif ce type denchaicircnement complexifie grandement la lecture puisque le seul point de repegravere dans le reacutecit doublement narreacute nest plus la narration du sora mais bien celle du narrateur extradieacutegeacutetique lequel napparaicirct toujours quagrave rebours de leacutenonceacute o

Dans le mecircme ordre dideacutees certains narrateurs interviennent dans le reacutecit du sora par les tirets mais ils demeurent inconnus Kourouma fait

Il pourrait ecirctre inteacuteressant d eacutetablir ic i un parallegravele entre la paro le du narrateur omniscient (souvent au passeacute simple ) parole Cjui est to ujo urs agrave rebo urs par rappo rt aux autres narrations lesCjuelles empruntent une forme dialogique (au preacutesent)

III

149 f1jhridileacute el pUjPhollie cOlllIe ledeacutefilliioll du gellle romallesqlle

parler lors du deacutefileacute soulignant le 30 anniversaire de larriveacutee de Koyaga au pouvoir plus de trois narrateurs le premier eacutenonciateur neacutetant pas identifieacute

Ces t en vain vous restez un roc Les engins de guerre de mort imerminablement se suivenr- Vous co nsacriez trop d argem agrave larmemem beaucoup plus dargem agrave la Deacutefense quaux ministegraveres de la Sallleacute et de lEacuteducation reacuteunisl- Cest faux ce sunt des journalistes malintentionneacutes et menteurs qui font circuler de tell es fausses nouvelles Reacutepond Macl eacutedio (Kourouma 1998 p 338)

Cet eacutenonceacute pourrait vraisemblablement se rapporter agrave Tieacutecoura (le seul ayant le droit dinsulter Koyaga) mais il peut eacutegalement ecirctre le discours dautres personnages preacutesents lors du reacutecit purificatoire Compte tenu de labsence dindications lambiguiumlteacute demeure

Finalement la parole du sora se divise elle-mecircme en deux VOIX

distinctes mais compleacutementaires Une premiegravere voix sadresse agrave Koyaga souvent au laquo je raquo parfois au laquo nous raquo (( Le dankun nous reacuteunit [vous chasseurs et nous griots de chasseurs] raquo (Kourouma 1998 p 31 1)) en sincluant dans le reacutecit comme partie inteacutegrante du monde de Koyaga La seconde impersonnelle sadresse agrave un auditoire afin de linstruire sur diffeacuterentes pratiques malinkeacute ou pour traduire

Je dirai le reacutecit purifi catoire de votre vie de maicirctre chasseur et dictateur Lc reacutecit purifl caw ire est appeleacute en malinkeacute un dOllsornfnrl Ces t une geste Il est dit par un sora accompagneacute par un reacutepondeur cordouel Un curdoua est Ull initeacute en phase purificatOire en phase cathartiquc (1998 p 10)

Ou encore laquo Saluons-le tregraves bas ce tiers cet intrus - un sora ne parle dun heacuteros quapregraves lui avoir rendu un hommage appuyeacute Salut agrave vous [ ] qui ecirctes de la race quon peut tuer sans amoindrir ni supprimerraquo (1998 p 346) On comprend facilement que si le cercle des griots est constitueacute uniquement dAfricains cette voix est dirigeacutee vers lexteacuterieur cest-agrave-dire vers le lecteur Ainsi le reacutecit purificatoire nest pas reacutealiseacute en vase clos mais est ouvert agrave une perception et agrave une interpreacutetation exteacuterieure (le lecteur) impliquant agrave plusieurs endroits que le destinataire nest pas de culture malinkeacute

Le discours indirect libte

Le discours indirect libre cette faccedilon de rapporter les dires d autrui dans son propre discours avec la tonaliteacute du narrateur premier est un proceacutedeacute omnipreacutesent dans En attendant le vote des becirctes sauvages Permettant

150 Geneviegraveve Lemoine

damalgamer la parole dautrui agrave la sienne le discours indirect libre suggegravere - agrave linstar des autres proceacutedeacutes narratifs deacutecrits plus hauts - une polyphonie narrative fragmentant encore plus finement la parole du narrateur Ce type de discours eacutemerge agrave maints endroits dans le reacutecit du sora donnons-en quelques exemples agrave deacutefaut de pouvoir tous les nommer

Les bons pegraveres humainement et chreacutetiennement croyaient avoir ainsi logeacute leurs Noirs conformeacutement agrave leurs coutumes Ils attendaient une chaude reconnaissance lorsque lincroyable nouvelle eacuteclata Ces ingrats de sauvages indigegravenes du Grand Fleuve reacuteclamaient lindeacutependance r1De vrais fous (Kouroumd 1998 p 231)

Ou encore de maniegravere plus subtile le narrateur rapportant le discours de Koyaga laquo Dans le village suivant on vous en offre trois puis ce sont cinq et mecircme sept filles quon vous offre en mariage Cest tropraquo (1998 p 280) Le discours indirect libre peut comme dans cet exemple ecirctre difficile agrave saisir et mener agrave plusieurs interpreacutetations Globalement ce type de discours utiliseacute de maniegravere reacutecurrente constitue un des traits caracteacuteristiques dEn attendant le vote des becirctes sauvages et singularise ainsi leacutecriture de Kourouma par rapport au genre romanesque Le discours indirect libre donne dans le reacutecit mecircme du sora la tonaliteacute des discours dautrui comme si ce narrateur central faisait figure de carrefour pour les voix singuliegraveres des personnages tout en eacutetant lui-mecircme geacutereacute (ou geacuteneacutereacute) par un narrateur omniscient qui lengloberait

Les perspectives adopteacutees par les multiples narrateurs la fragmentation de la parole ainsi que le discours indirect libre deacutenotent sans contredit une polyphonie narrative Cette polyphonie pourrait peut-ecirctre suggeacuterer que comme le note M Borgomano laquo[c]es voix multiples et fluctuantes [ ] transposent au niveau mecircme de la narration cette primauteacute du collectif du social si caracteacuteristique de lAfrique traditionnelleraquo (Borgomano 1998 p 166) Neacuteanmoins nous preacutefeacuterons en rester agrave lideacutee quavant de repreacutesenter ces voix transforment Elles modifient le genre romanesque en deacutefiant les limites de la narration et du dialogue entre autres parce quelles remettent en question la deacutefinition mecircme de laquo communication raquo

La Veilleacutee V du roman est grandement reacuteveacutelatrice en ce quelle expose cie faccedilon reacutecurrente et explicite bon nombre des proceacutedeacutes narratifs visant la polyphonie

151 Hvhriditeacute et pol)phonie cornille redeacutefinitioll du genre rol1lallesqlle

Le donsomana et la volonteacute communicationnelle

Le donsomana comme lexplique le sora constitue une geste cest-agrave-dire un reacutecit eacutepique Le reacutecit eacutepique tel queacutetudieacute par G Lukacirccs dans La theacuteorie du roman (13) implique que les actions du heacuteros seacutetablissent dans un univers clos et unitaire Agrave linverse la quecircte du heacuteros romanesque serait celle dune recherche duniteacute existentielle agrave linteacuterieur dun monde fragmen teacute En attendant le vote des becirctes sauvages sapparente davantage agrave cette deuxiegraveme deacutefinition mettant en scegravene un heacuteros deacutechu devant retrouver son uniteacute (par la purification ainsi que par la recherche de la meacuteteacuteorite et du Coran sacreacute) Ce qui nous inteacuteresse davantage cest ce monde ougrave eacutevolue le heacuteros qui loin decirctre clos est plutocirct permeacuteable aux discours des narrateurs multiples amenant une pleacutethore de perspectives Ainsi agrave linstar du genre romanesque pour Lukacirccs lunivers de Koyaga est fragmenteacute indeacutefinissable et profondeacutement dysfonctionnel 12 Cet univers dysfoncrionnel est donneacutebull

dune parr par la circulariteacute du donsomana -lequel devrait purifier le heacuteros et non en faire lobjet dun eacuteternel recommencement (ltltTant que Koyaga naura pas reacutecupeacutereacute le Coran et la meacuteteacuteorite commenccedilons ou recommenccedilons nous aussi le donsomana purificatoireraquo (Kourouma 1998 p 381)) - dautre part par les multiples fragmentations que le reacutecit subit notamment en ce qui concerne la narration l3bull

Il serait possible de voir dans le donsomana la meacutetaphore de leacutecriture dun roman composeacute dun enchevecirctrement dideacutees et reacutesultant en un meacutetissage ougrave le deacutebut et la fin se rejoignent Et cette mecircme meacutetaphore de leacutecriture agrave plus grande eacutechelle pourrait illustrer le pheacutenomegravene de la communication soit un message (reacutecit) supporteacute par un destinateur (narrateurauteur) et adresseacute agrave un destinataire (Koyagalecteur) communication eacutevidemment dysfonctionnelle dans le roman de Kourouma agrave cause de linstabiliteacute du destinateur et de la continuelle reacuteiteacuteration La narration preacutesenteacutee de divers points de vue est en ce sens grandement repreacutesentative Comme nous lavons abordeacute preacuteceacutedemment le narrateur voit son message laquo parasiteacute raquo par dautres narrations Les diffeacuterentes voix qui

Il serait inteacuteressant de voi r consideacuterant limpo rtance que Lukcs accorde Ci liumlronie commtnt ctttt dysfo nctio n du monde entourant le heacuteros se lie l estheacutetique ironique du rolllan de Kouroum1

Pour des raisons despace nous navons pas abo rdeacute dans cerrt analyse les enchissements de divers reacuteci ts (par exemple hi Veilleacutee III qui porte sur l histoire de Vlacleacutedio) La fragmentation geacuteneacuterale du reacutec it que nous abordons ici comf)()rt e eacutega lement cet aspect malheureusement axnclonneacute

15

152 Geneliegravel e Lellloille

sajoutent produisent des distorsions et brouillent le message menant agrave une essentielle reacutepeacutetition En attendant le vote des becirctes sauvages loin de se clore ou de proposer une fln possible agrave limpasse de Koyaga demeure un reacutecit complegravetement ouvert impliquant un recommencement jusquagrave ce que le message soit efflcace Pour sortir de cette circulariteacute l

dans le reacutecit de Kourouma comme dans lacte communicationnel en geacuteneacuteral une interpreacutetation est primordiale (interpreacutetation qui nest visiblement pas effectueacutee par Koyaga dans le roman) En attendant le vote des becirctes sauvages illustre limportance de linterpreacutetation dun reacutecit interpreacutetation neacutecessaire agrave la survie de lœuvre afin que celle-ci ne senferme pas dans une communication agrave sens unique Non seulement le roman doit ecirctre lu mais son message doit ecirctre eacuteclairci afln de deacutepasser les limites de sa propre trame Par leacutecriture du donsomana Kourouma meacutetaphorise une communication (ou de maniegravere plus restreinte un reacutecit) qui nest pas interpreacuteteacutee et qui doit ecirctre recommenceacutee pour ecirctre efflcace voire pour sinscrire dans lhistoire Et la conclusion ouverte de lœuvre invite agrave cette mecircme interpreacutetation de la part du lecteur afln qu il deacutepasse les limites du roman ne serait-ce que celles du parasitage narratif Bref le reacutecit de Koyaga se deacuteveloppant dans un univers fragmenteacute et dysfonctionnel (agrave limage de son personnage principal) neacutecessite une interpreacutetation pour retrouver son eacutequilibre il doit souvrir et deacutepasser ses propres limites (dont celle du laquo genreraquo qui lui est attribueacute le roman) pour viser agrave une reacutecupeacuteration et agrave une interpreacutetation par un destinataire exteacuterieur

Kourouma et la notion de laquo genre romanesqueraquo

En attendant te vote des becirctes sauvages de Kourouma deacutemonrre clairement lideacutee dune syntheacutetisation des genres Cette synrheacutetisation est supporteacutee par la juxtaposition de multiples genres (conte fable eacutepopeacutee chronique) - englobeacutes sous le terme de laquo roman raquo - et geacuteneacutereacutee par lindistinction entre les diffeacuterents temps verbaux ainsi que par les entrelacs syntaxiques et la reacutepeacutetition Tous ces proceacutedeacutes deacutecriture visent un eacuteclatement geacuteneacuterique eacutegalement soutenu - de faccedilon encore plus eacuteclairante - par les nombreuses voix narratives qui composent le reacutecit Le genre romanesque agrave travers leacutecriture de Kourouma se voit ainsi ouvertement questionneacute et transformeacute

1 Au suiel de la c irculariteacute dTIi (lelldtlllle l ole d es bes Sllllluges conuli er iJ no te de lecture suilIlt l entretien de y(~ Chc ll1la d Ins Y() re ihmirie no 136 p 30-32 insi que leacute tude de ~ Lldel(ine Borgo ll1~ no f)ocirc hOlllIes Ol des l( e lee lire dEn attendant le o te d es ile tls SCIUJgcs d gtlhllwrJl K(JlrtllIlI ll (2000)

153 f-J)hridileacute el po~ph()lie comme recujil7iliol7 dll gelre rOlllalesqlle

Plusieurs theacuteoriciens ont tenteacute de deacutefinir les diffeacuterents laquo genres raquo deacutefinition qui permettrait deacutetablir une classification des œuvres plus adeacutequate que la division initiale - et consideacuterablement remanieacutee -proposeacutee par Aristote et Platon Certaines reacuteflexions portant sur la notion de genre litteacuteraire en arrivent agrave la consideacuterer comme une aporie ]-M Schaeffer note dailleurs que

le deacuteveloppement de la circulation litteacuteraire (ducirc agrave des causes technologiques auss i bien que sociales) au cours des derniers siegravecles a comme conseacutequence une multiplication extrecircme des modegraveles geacuteneacuteriques potentiels en sorte que lactivireacute geacuteneacuterique 1 1 tregraves pousseacutee des tex tes modernes aboutit agrave une relie multiplication geacute neacuterique que les class ification sont tregraves difficiles agrave eacutetablir (Schaeffer 1986 p 202)

Utili~ant davantage le terme de laquo geacuteneacutericiteacuteraquo - impliquant une essentielle transformation geacuteneacuterique - plutocirct que celui de laquo genre litteacuteraire raquo Schaeffer soutient dans cette mecircme eacutetude lideacutee que la multipliciteacute des traits geacuteneacuteriques est le propre des grandes œuvres Parallegravelement dans Les genres litteacuteraires Dominique Combe preacutecise davantage la notion de genre romanesque la reliant avec la conception des romantiques de 1 laquoŒuvre totale laquelle souligne limportance dune transgression et dune synthegravese des divisions geacuteneacuteriques originelles (eacutepique lyrique et dramatique) Finalement certains theacuteoriciens soutiennent la supeacuterioriteacute dune syntheacuterisation geacuteneacuterique redirigeant ainsi les discours cloisonnant les genres vers une dynamique des eacutecrits litteacuteraires l 7

bull

Dans laquo De la litteacuterature comme rransculture raquo ] Semujanga (1999) considegravere que le roman met en place diffeacuterents meacutecanismes deacutecrirure et sourient que celui-ci contient un discours sur le processus mecircme de creacuteation lirreacuteraire et possegravede ainsi des effets directs sur la deacutefinition de genre (ce qui comme nous lavons preacuteceacutedemment releveacute se retrouve dans le roman de Kourouma) En analysant larticulation entre lœuvre (sa singulariteacute) et le

Nous bisons entre autres reacutereacuterence 1 C (~ enette (Ilt)H(raquo qui a revu lorig inell e Irirl rt itio n laussemc nt Iltribueacutee il Aristo te (eacutepique ly riq ue dramatiq ue) considugravelnt les d ilfeacuterents deacutel elo ppelllent s 1trII e rs les eacutepoques et rrorosant par conseacutequent une Ilo lll el le cLi ss ilic ll ion des genre litteacuteraires fo ndugrave sur les recouplments entre les theacutematiques les m odes et les jormes adopteacutees p tr les eacutecrits li II Y a geacuteneacutericit eacute degraves que Li cOllfrontation d un texte 1 son contexte litteacuteraire (IU

sens ~L I lt ) r~ lil surgir en Illigr~ lnc cctte S Or(LO de tratll e- qui lie enst lnhle une cI ~ l sse tex tllelle et p lr r pp0 1 1 Itq uelle le tex te en questi o n seacutecrit so it quil disparisse 1 son tour c1 ])s LI 111111( soit quil LI di middotlorde ou LI deillonte In ~ li s foujo urs soi t sy inleacutegralli oit se lin tegravegrln tl -1 Sc 1 lcfkr 1 9~6 p 20 1) 1- Nous nOLIs reacute fC rons ici ~I 1~ l II(Jlitle d es pcllremiddot dOlls le ()JJall (~ i icfil cie J ~e ll u j l l1 g 1 ( 1)lt)lt)

154 Cenel iegravele Lemaille

genre romanesque lauteur affirme que leacutecriture agrave travers ses motifs reacutecurrents est le lieu deacutenonciation de valeurs qui sintegravegrent plus largement agrave un procegraves axiologique Ces relations transversales entre les diffeacuterentes productions convergent vers cet aspect que Semujanga nomme transculturaliteacute laquelle redeacutefinit le genre comme une varieacuteteacute de motifs qui rend vaine toute tentative de systeacutemisation Les avanceacutees de Semujanga rejoignent lideacutee dune eacutevolution geacuteneacuterique proposeacutee par Schaeffer en suggeacuterant que les genres textuels sont dynamiques de par diverses influences tant litteacuteraires que culturelles tant chronologiques quanachroniques et sous-jacente agrave cette dynamique geacuteneacuterique lideacutee de laquo malleacuteabiliteacute de laquo transinfluence 18 de toute œuvre litteacuteraire

En attendant le vote des becirctes sauvages illustre cette tentative de deacutepassement des limites geacuteneacuteriques non seulement par la manipulation de diffeacuterents genres ou par la transformation fragmentaire de sa narration mais eacutegalement par le discours meacutetaphorique que suggegravere leacutecriture du donsomana sur la construction romanesque comme telle Par un style composite amalgamant plusieurs types de reacutecits mais les surpassant le roman de Kourouma se lie dune faccedilon particuliegravere agrave laquoson genre (reacutepondant dune certaine maniegravere agrave la question poseacutee par J-M Schaffer (1986 p 180)) Illustrant les diffeacuterentes avanceacutees theacuteoriques mentionneacutees ci-haut En attendant le vote des becirctes sauvages pourrait saveacuterer une des multiples repreacutesentations du roman comme laquo meacutetagenreraquo cest-agrave-dire comme lieu de laquo phagocytage de tous les genres et comme repreacutesentation dynamique de [eacutecriture (Semujanga 1999)

Pour conclure

Cette analyse dEn attendant ie vote des becirctes sauvages visait fondamentalement agrave eacuteclairer le caractegravere hybride de ce roman et agrave le relier agrave laquo sonraquo genre soit le genre romanesque Nous avons pu constater comment leacutecriture singuliegravere de Kourouma par les entrelacs syntaxiques et la multipliciteacute des formes quelle soutient sinscrit dans cette conception du roman comme laquo meacutetagenreraquo par son hybriditeacute et son caractegravere syntheacutetique Les diffeacuterentes probleacutematiques inscrites dans leacutenonciation telles la reacutepeacutetition et lutilisation simultaneacutee de temps verbaux opposeacutes IH Nous lIllenons ici ce terme en tenant compte de son utilisation limiteacutee po ur souligner les di vergences conceptll elles entre les theacuteori es de Semujanga et les theacuteories de Genelle Il est noter que Schaeffer a])orcllit eacutegalement cet Ispect en d eacutevelopplI1t le concept cie modulatio n geacuteneacuterique

155 H)hriditeacute et pOJphulie comme redeacuteilitiol du 8elre rollIesque

(passeacutepreacutesent) ont permis dillustrer leacuteclatement de la narration Aussi en approfondissant cet eacuteclatement narratif et geacuteneacuterique en fonction des multiples voix et perspectives inscrites dans la narration principale nous avons deacutemontreacute limportance de la polyphonie narrative du roman de Kourouma et du laquo brouillageraquo narratif qui est creacuteeacute De ce rapprochement a pu eacutemerger la constatation que tout comme une communication entre destinateur et destinataire parasiteacutee par diffeacuterentes perspectives le sens du roman de Kourouma exige une interpreacutetation Ainsi la polyphonie implique une neacutecessaire ouverture de la signification du roman vers ]exteacuterieur invitant neacutecessairement le lecteur agrave ajouter sa voix agrave celle des autres Cimplication de chacun des lecteurs et la polyphonie narrative dans En attendant le vote des becirctes sauvages megravenent donc agrave une reformulation du genre romanesque en fonction non plus de la forme du roman mais des proceacutedeacutes deacutecriture vers une vision davantage ouverte et dynamique de lœuvre romanesque

156 Ceneliegravele Lemoil1e

Bibliographie

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Chemla Yves 1999 laquoEn attendant le vote des becirctes sauvages ou le donsomana Entretien avec Ahmadou Kourouma raquo Notre librairie no 136 p 26-29

Combe Dominique 1992 Les genres litteacuteraires Paris Eacuteditions H achette coll laquo H achette supeacuterieur raquo 255 p

Dabla Seacutewanou 1986 Nouvelles eacutecritures africaines - Romanciers de la Seconde Geacuteneacuteration Paris LHarmartan 255 p

Genette Geacuterard 1972 Figures III Paris Seuil coll laquo Poeacutetique raquo 285 p

-- 1986 dntroduction agrave larchitexteraquo dans Genette G etal Theacuteoriedes genres Paris Seuil p 89-159

H ause r Michel 1994 laquo Monnegrave outraCcediles et deacutefis agrave la narration raquo dans Voix nouvelles du roman africain sous la ctir de Deltel D et D Delas Paris RITM p 81-101

Ko neacute Amadou 1995 laquoL effet de reacuteel dans les romans de Kourouma raquo Eacutetudes franccedilaises vol 31 no 1 p 13-22

I)ouroull1a Ahmadou 1998 En attendant le vote des becirctes sauvages Paris Editions du Seuil coll laquoPoints raquo 400 p

Lukagravecs Georges 1963 [1920J La theacuteorie du roman Paris Eacuteditions Gomhier 204 p

Maingueneau Dominique 1986 Eacuteleacutements de linguistique pour le texte litteacuteraire Paris Bordas 164 p

Schaeffer Jean-Marie 1986 laquo Du texre au genre raquo dans Genette G et al Theacuteorie des genres Paris Seuil p 179-205

Page 3: AHMADOU KOUROUMAoic.uqam.ca/sites/oic.uqam.ca/files/documents/... · publiera En attendant le vote des bêtes sauvages en 1998 et Allah n'est pas obligé en 2000, pour lequel il gagne

142

ainsi quune eacutetude de Monnegrave outrages et deacutefis par Hauser (1994) eacutelaboreacutee autour de la complexiteacute de la narration et de leacutenonciation nous aborderons En attendant le vote des becirctes sauvages selon ces mecircmes probleacutematiques Nous verrons ainsi comment leacutecriture de Kourouma revoit singuliegraverement par son estheacutetique particuliegravere le genre romanesque Cette analyse prend ouvertement la voie des eacutetudes narratoriales et eacutenonciatives par conseacutequent les travaux cherchant agrave linteacuterieur des textes de Kourouma des empreintes sociales culturelles politiques ou identitaires sont laisseacutes pour compte La richesse formelle dEn attendant le vote des becirctes sauvages demeure encore inexploreacutee avant den approfondir la composition il semble important de reacutesumer quoique de faccedilon incomplegravete ce vaste roman

En attendant le vote des becirctes sauvages met en scegravene une ceacutereacutemonie purificatoire particuliegravere celle du preacutesident de la Reacutepublique du Golfe le geacuteneacuteral Koyaga issu de la tribu des hommes nus (les paleacuteos) et dirigeant la Reacutepublique dune main sanglante depuis trente ans Ayant acceacutedeacute au pouvoir et sy eacutetant maintenu par la force d une meacuteteacuteorite et dun Coran sacreacutes Koyaga perd apregraves trente anneacutees de diktat ses protections magiques et fait face agrave leacutechec Pour surpasser cette eacutepreuve il doit retrouver ses talismans qui ne reacuteapparaicirctront que sil accepte de se faire reacuteciter son donsomana (ceacutereacutemonie purificatoire ayant un pouvoir cathartique) soit lhistoire entiegravere de sa vie relatant exploits comme meacuteprises

Cette geste que constitue le donsomana doit ecirctre reacuteciteacutee par un sora un griot musicien chantant les exploits des chasseurs accompagneacute dun saltimbanque quon appelle laquoreacutepondeur cordoua) le seul ayant le droit de tout dire au destinataire du donsomana et auquel mecircme linsulte est permise Le donsomana de Koyaga seacutetend sur six veilleacutees au cours desquelles le sora retrace non seulement lhistoire du geacuteneacuteral mais aussi les reacutecits de tous les gens qui lont entoureacute ainsi sont raconteacutees lhistoire de son pegravere (ayant donneacute aux ethnologues la preuve que les paleacuteos jusqualors ignoreacutes des colonisateurs constituaient un peuple pouvant ecirctre assimileacute et exploiteacute) celle de Macleacutedio (ministre de lOrientation dont lhistoire occupe toute la troisiegraveme veilleacutee) celle de sa megravere (deacutetentrice de la meacuteteacuteorite) celle du marabout (possesseur du Coran) et celles de plusieurs dirigeants africains

Le reacutecit purificatoire se deacuteveloppe ainsi en fonction dune certaine chronologie (dirigeacutee par la vie de Koyaga) laissant neacuteanmoins place agrave maintes analepses deacutesordonneacutees et impreacutecises les reacutecits de la vie dautres

143 H) hridih e JOjphollie cOl1me redeacutefilliioll du gellre rOlllalllsque

personnages sentremecirclent agrave lhistoire de Koyaga proceacutedeacute neacutecessaire agrave lefficaciteacute du donsomana En plus dune chronologie incertaine les narrateurs se confondent (sora reacutepondeur narrateur externe Macleacutedio et mecircme Koyaga) pour livrer une vision multiple parfois ironique mais toujours incomplegravete sur le regravegne du laquopreacutesident raquo Loin de se clore le reacutecit purificatoire semble finalement inefficace et impose un continuel recommencement jusquagrave ce que le donsomana permette de retrouver la meacuteteacuteorite et le Coran sacreacutes

Deux aspects de leacutecriture de Kourouma ont particuliegraverement retenu notre inteacuterecirct nous nous arrecircterons dans cette premiegravere partie danalyse aux proceacutedeacutes denchacircssements syntaxiques ainsi quau caractegravere proteacuteiforme du reacutecit Aussi consideacuterant lamplitude du roman preacutecisons que les exemples qui en seront tireacutes illustrent de faccedilon ponctuelle une construction neacuteanmoins reacutepeacuteti tive

Problegravemes syntaxiques et geacuteneacuteriques

Le reacutecit de Kourouma expose ouvertement une hybridation geacuteneacuterique Seacutelaborant selon la forme laquotraditionnelleraquo du donsomana le reacutecit emprunte eacutegalement (comme il est noteacute en quatriegraveme de couverture) au conte fantastique agrave la chronique historique et agrave leacutepopeacutee bien quapparaisse sur la page de titre la deacutenomination de roman La confusion (volontaire) que propose la description dEn attendant le vote des becirctes sauvages meacuterite que lon sarrecircte agrave la probleacutematique geacuteneacuterique poseacutee par leacutecriture de Kourouma

Lieacutes agrave la distinction platonicienne entre diffeacuterentes situations deacutenonciation soit la mimeacutesis (limitation) ou la dieacutegegravesis (la narration) (Genette 1986 p 98) les temps des verbes empruntent les formes du preacutesent (discours) ou du passeacute (reacutecit) Cette distinction doit permettre au lecteur de situer adeacutequatement la sphegravere temporelle Ol se deacuteroule laction Alors que les formes du passeacute simple sapparentent entre autres au conte ou agrave leacutepopeacutee du moins agrave un reacutecit clos les formes du preacutesent caracteacuterisent davantage les situations dialogiques telles que le genre theacuteacirctral ou la chronique olt les actions sont en progression Tous les temps verbaux

NOLIS nOLI s rpp0rLo ns ici Ill dilfeacuterlt nt s COIl CltptS d eacute e lo ppeacutes sur le tltmps dll reacutecit IXlr D I Liing ult nltlu d Oll1s h II ens de Iin~ lislitllll j )olr le lel ilLmire ( 1986 p gt 1 - ~2J

144 Geileliegravele Lemoine

supportant ces formes composent de faccedilon eacutequivoque le roman de Kourouma

La narration initiale proposeacutee par le sora use des formes du preacutesent impliquant ainsi le narra taire dans une situation de dialogue sinon de contemporaneacuteiteacute laquo Nous voilagrave donc tous sous lapatame du jardin de votre reacutesidence Tout est donc precirct tout le monde est en place Je dirai le reacutecit purificatoire de votre vie de maicirctre chasseur et de dictateurraquo (Kourouma 1998 p 10) Ceacutenonciation est celle dun personnage reacutecitant une histoire agrave dautres personnages (et par extension au lecteur) ce type de narration (dialogique) constitue le fondement du reacutecir- Sajoute agrave cette premiegravere narration celle du reacutecit de Koyaga un reacutecit dit laquo purificatoireraquo prenant la forme eacutepique (mettant en scegravene un heacuteros et ses tribulations) et agrave certains endroits la forme de la chronique historique Enchacircsseacutee dans celle du sora cette narration est donneacutee sans distinction soit au passeacute simple soit au preacutesent dit laquoaoristiqueraquo Par exemple le reacutecit des eacuteveacutenements de la vie de Koyaga agrave linteacuterieur dune mecircme page voire dun mecircme paragraphe se deacuteroule agrave la fois au passeacute simple et au preacutesent comme si ces deux temps eacutetaient interchangeables

Quand les tracts sortirent de linconnu et jonchegraverent les trottoirs quand les murs se couvrirent de graffitis se produisirent des collisions entre les deacutescolariseacutes et les forces de lordre [ ] Les armes en bandouliegravere les seaux de peinture agrave la main les farouches commandos paras les lycaons du Preacutesident badigeonnent les murs [ 1 Degraves quils tournent le dos des deacutescolariseacutes foncent sur les murs (Kourouma 1998 p348)

Toutefois contrairement au passeacute simple qui sous-entend que laction est accomplie le preacutesent aoristique laquo exclut toute valeur durative et tout repeacuterage par rapport au moment de leacutenonciation [ ] ce preacutesent ne remplace pas purement et simplement le passeacute simple il le suppleacutee localement agrave des fins stylistiques bien deacutetermineacuteesraquo (Maingueneau 1986 p 47)

Par conseacutequent lorsque Kourouma utilise indistinctement le preacutesent aoristique et le passeacute simple il met en place une eacutenonciation

Cerre narration dialogique peut eacutegalement expliquer du moins en panie leffet de tileacutettralisation que lon peut noter dans 11I (lIclidallllc lole des [(Ies SIII(ltCS

Pour plus de preacutecisioll sur le preacutesent torbtique oir Maingueneau 1986 p ()-

Cest nOLIs qui soulignons

145 H)hriditcgt el JUlJJ ulli( CUIIII1( r (deacutejllifi() dll gCllrc OlIwlI(sqlle

probleacutematique impliquant que certaines actions ne sont pas temporellement deacutefinies et quelles se reacutepegravetent encore au moment de la narration Ainsi une confusion entre la rnirneacutesis et la dieacutegegravesis est volontairement creacuteeacutee rapportant le passeacute et le preacutesent en un lieu commun joignant le reacutecit et le discours dans un mecircme ensembleacute Tous les genres possibles supporteacutes par les temps verbaux (par exemple le conte leacutepopeacutee le theacuteacirctre la chronique) sont fusionneacutes Et agrave cet amalgame de genres sajoutent des hymnes (Kourouma 1998 p 313) des chants traditionnels (1998 p 314) et des priegraveres (1998 p321)

Entrelacs syntaxiques

Les entrelacs syntaxiques dEn attendant le vote des becirctes sauvages mettent eacutegalement en relief lhybriditeacute du roman Un des proceacutedeacutes majeurs utiliseacutes par Kourouma en ce sens est la reacutepeacutetition Attardons-nous d abord aux titres des chapitres lesquels divisent les six veilleacutees du donsornana Chacun de ces titres est un proverbe tireacute des conclusions du sora eacutenonceacutees au chapitre preacuteceacutedent Par exemple le chapitre 1 G se termine par

Le danseur de temps en temps s interrompt pour eacutecouter la chanteuse EacuteCOUlOns nous aussi quelques reacuteflex ions sur le pouvoir Le tambour qui ne punit pas li n crime est un cruchon fegraveleacuteUn roi assied mr son trocircne pendant quun autre se fait tailler e sien ny a pas de mauvais roi mris de mauvais courtisans (Kourouma 1998 p240)

Et le chapitre 17 est titreacute laquo Le tambour qui ne punit pas un crime est un cruchon fecircleacute Ce scheacutema reacutepeacutetitif sera le mecircme pour lensemble du roman soit la reprise du premier proverbe concluant un chapitre pour titrer le suivant Marquant eacutevidemment une volonteacute de continuiteacute agrave linteacuterieur du reacutecit- cette reprise reacutevegravele aussi un deacutesir d entrelacer les diffeacuterents types syntaxiques en substituant agrave lhabiruc eacutenonceacute prosaiumlque (tirre) un proverbe Par ailleurs la juxtaposition d un proverbe et d un eacutenonceacute quelconque agrave linteacuterieur du reacutecit illustre encore plus clairement ces entrelacs syntaxiques

Il sassura dune faccedilon neacutegligente sugraver de sa manigance que Koyaga ava it eacuteteacute expeacutedieacute abarru Lancien sous-officier dIndochine gisait inanimeacute dans le sang il demi couver par deux cadavres La petite vieill e qui nes t pas meacuteticuleuse ramasse dans ses haillons la cendre contenant la braise (Kourou ma 1998 p 1 15- 116)

On peut COl1 sulter 0 ce SUjlmiddott jarticle d e J Bi nswa (2002) alordlt LI ~lI x tposi tiuuml l1 des temps lrhau x dtlll point de Ylie soc iopLlglllatique

Madeleine Iorgolllano (2000) eacutecla ire d e fa~()n int (-ressa nte LI composition spirli ilJue (et non c irc llbire) du 10111111

146 Genel iegravele Lelloine

Dans une entrevue reacutealiseacutee par Yves Chemla (1999) Kourouma souligne avoir beaucoup travailleacute la forme laquoDans le donsomana les gens disent un ou deux proverbes Moi jen ai fait un proceacutedeacute systeacutematiqueraquo (Chemla 1999 p 29) Il note eacutegalement que plusieurs phrases se reacutepegravetent liant et inteacutegrant chaque partie agrave la structure geacuteneacuterale du roman dune faccedilon beaucoup plus serreacutee que dans ses romans preacuteceacutedents Ces reacutepeacutetitions se retrouvent non seulement dans la reacutecurrence deacutenonceacutes preacutecis (contenant toutefois quelques modulations) - par exemple avec la phrase laquoMerci encore merci toujours merci Koyaga [ lraquo (Kourouma 1998 p 70 71 73) - mais aussi dans la forme donneacutee au reacutecit notamment par lintroduction de chacun des chapitres (deacutebutant presque tous par laquoAh Tieacutecoura raquo) ainsi que par leur conclusion (description extradieacutegeacutetique par exemple laquoLe sora arrecircte de conter [ l raquo suivie de trois proverbes) Cette forme geacuteneacuterale reacutepeacutetitive qui semble eacutevoquer une reacuteduplication agrave limage des classifications geacuteneacuteriques (Schaeffer 1986 p 203) met en relief la neacutecessiteacute dune eacutevolution quand diffeacuterents proceacutedeacutes deacutecriture viennent parasiter la forme initiale Pensons entre autres aux apostrophes du sora introduisant les chapitres8 les destinataires subtilement changeacutes au deacutebut des chapitres 5 et 8 alternent agrave partir de la veilleacutee V le sora interpellant Koyaga Macleacutedio ou Tieacutecoura sans distinction Lhabituel laquoAh Tieacutecouraraquo introductif est remplaceacute par exemple par laquoAh Koyagaraquo (Kourouma 1998 p 286) deacutenotant une volonteacute douverture voire deacuteclatement de la forme Notons par ailleurs que le dernier chapitre souvre sur laquoAh Macleacutedio raquo laissant linterpreacutetation des dires du sora agrave une autre personne que celle explicitement viseacutee par le donsomana Leacuteclatement de cette forme reacutepeacutetitive pourrait ainsi reacuteveacuteler une impossible reacuteduplication et meacutetaphoriquement la neacutecessiteacute dun renouvellement du style (voire du genre) par la singulariteacute des eacutecrits

Polyphonie narrative

Les diffeacuterentes voix inscrites dans la narration dEn attendant le vote des becirctes sauvages participent elles aussi au caractegravere proteacuteiforme de ce reacutecit Comme nous lavons noteacute dans lintroduction la reacuteflexion sur cette probleacutematique sinspire de deux articles portant sur la polyphonie ainsi que sur les transformations narratives et eacutenonciatives dans les romans de

KOlls ne nOLIs arrecirc terons ras allx cilritres Olt les destinataires ne sont pas eacuteHlqueacutes considegravernt qlliumlls constituent des exceptions (Kouroullu 1998 r 77 117 eacutet 307)

147 HIhridileacute el pOlphollie comme redeacutejllilioll du gel1re romallesque

Kourouma laquo Narrative voice in Kouroumas Les soleils des indeacutependancesraquo de R Schikora (1982) et laquoMonnegrave outrages et deacutefis agrave la narrationraquo de M Hauser (I994) Laccent sera mis sur trois proceacutedeacutes eacutegalement releveacutes dans ces deux articles la preacutesence simultaneacutee dune narration extradieacutegeacutetique et dune narration intradieacutegeacutetique la fragmentation de la parole et lomnipreacutesence du discours indirect libre

Narration perspectives

laquoVorre nom Koyaga Votre totem faucon Vous ecirctes soldat et preacutesident [ ] Vous Koyaga trocircnez dans le faureuil au centre du cercle Macleacutedio votre ministre de lOrientation est installeacute agrave votre droite Moi Bingo je suis le sararaquo (Kourouma 1998 p 9) Degraves les premiegraveres lignes du roman la situation deacutenonciation souvre sur un laquo je raquo narrateur sadressant agrave un destinataire preacutecis laquovous Koyagaraquo Le narrateur relatant une histoire dont il fait partie est in tradieacutegeacutetique La perspective seacutetablit ainsi agrave partir du monde dun des personnages le lecteur suppose que tout sera axeacute autour dun laquo je raquo initial impliquant un laquovousraquo auditoire ou du moins un laquo tu raquo destinataire Bientocirct il perccediloit une modulation de cette perspective la narration se deacuteplace dune perspective interne vers un point de vue omniscient laquoTieacutecoura tour le monde est reacuteuni Tout est dit [Ajoute votre grain de seL]raquo (1998 p 10) Ce que nous placcedilons entre crochets deacutemontre la preacutesence dun narrateur autre consideacuterant eacutevidemment que le grain de sel serait le sara La bipartition narrative telle quelle apparaicirct dans cet exemple est reacutecurrente notamment dans des fins de chapitre laquo Interrompons-nous nous aussi un court instant pour marquer une pause [Annonce le sora] raquo (1998 p 39) Cette derniegravere phrase que nous placcedilons toujours entre crochets ne peut ecirctre eacutenonceacutee que par un narrateur extradieacutegeacutetique

Aussi eacutemerge freacutequemment dans le reacutecit du sara une perspective omnisciente la narration se deacuteplace dune eacutenonciation dialogique (entre le sara et un des personnages geacuteneacuteralement Koyaga) vers une eacutenonciation sans destinataire preacutecis ougrave le personnage jusquici preacutesenteacute au lecteur comme un laquo tU raquo ou un laquo vousraquo devient un laquo il raquo Prenons ces eacutenonceacutes juxtaposeacutes laquo Loin delle quand ils ne SOnt pas dans la mecircme ville Koyaga teacuteleacutephone agrave la maman

Nous po urrions ajourer que les inrrusions de celle IXlrole exteacuterieure rappellenl la didascdic pllticiplI1t ainsi efTer de rhe hrdis lion sOlll igneacute dans premiegravere panie de Ce Irlmiddotail

148 Geneliegraveoe LelllOille

au moins deux fois par jour en tin de matineacutee et le soir au coucherLes relations entre vous Koyaga et votre maman sont trop eacutetroitesraquo (Kourouma 1998 p 296) La narration se complexifie relatant au sein dune mecircme eacutenonciation une perspective agrave la fois intradieacutegeacutetique et extradieacutegeacutetique Cette fusion de deux perspectives opposeacutees nest pas sans rappeler celle des temps verbaux deacuteveloppeacutee plus haut Mais les innovations narratives de Kourouma ne sarrecirctent pas agrave cette juxtaposition des narrations internes ou externes au reacutecit Elles seacutetendent agrave la fragmentation mecircme de la parole eacutenonciatrice

hagmentation de la parole

La parole du sara outre les intrusions du narrateur exteacuterieur se voit aussi entrecoupeacutee par dautres voix La preacutesence de ces voix dialoguant avec celle du sara est noteacutee de deux faccedilons agrave linteacuterieur du reacutecit soit par la preacutesence de tirets indiquant que la parole provient dun narrateur second soit par les interventions du narrateur exteacuterieur annonccedilant (toujours par la suite) qui est le sujet eacutenonciateur Alors que la preacutesence du tiret indique clairement lexistence dun dialogisme les interventions ponctuelles et non annonceacutees dautres narrateurs produisent un effet dimpreacutecision Prenons par exemple cet extrait

Ah Tieacutecoura Ce nest pas toujours vrai que tous les grands eacuteveacutenements se lisent dans les aurores des jours qui les porteronL Le marin du jour ougrave se tint la confeacuterence de la table ronde de la reacuteconciliation fut aussi plat que le dos dune eacutepouse quon a cesseacute daimer Preacutecise le reacutepondeur (Kourouma 1998 p 113-114)

Alors que le sora amorce le chapitre son discours initialement au preacutesent glisse vers le passeacute simple Ce nest quapregraves le commencement de ce quon croit ecirctre le reacutecit que le narrateur externe informe le lecteur de la provenance de leacutenonceacute Le narrateur de lavant-derniegravere phrase est donc Tieacutecoura personnage auquel le reacutecit semblait jusque-lagrave destineacute En plus decirctre reacutepeacutetitif ce type denchaicircnement complexifie grandement la lecture puisque le seul point de repegravere dans le reacutecit doublement narreacute nest plus la narration du sora mais bien celle du narrateur extradieacutegeacutetique lequel napparaicirct toujours quagrave rebours de leacutenonceacute o

Dans le mecircme ordre dideacutees certains narrateurs interviennent dans le reacutecit du sora par les tirets mais ils demeurent inconnus Kourouma fait

Il pourrait ecirctre inteacuteressant d eacutetablir ic i un parallegravele entre la paro le du narrateur omniscient (souvent au passeacute simple ) parole Cjui est to ujo urs agrave rebo urs par rappo rt aux autres narrations lesCjuelles empruntent une forme dialogique (au preacutesent)

III

149 f1jhridileacute el pUjPhollie cOlllIe ledeacutefilliioll du gellle romallesqlle

parler lors du deacutefileacute soulignant le 30 anniversaire de larriveacutee de Koyaga au pouvoir plus de trois narrateurs le premier eacutenonciateur neacutetant pas identifieacute

Ces t en vain vous restez un roc Les engins de guerre de mort imerminablement se suivenr- Vous co nsacriez trop d argem agrave larmemem beaucoup plus dargem agrave la Deacutefense quaux ministegraveres de la Sallleacute et de lEacuteducation reacuteunisl- Cest faux ce sunt des journalistes malintentionneacutes et menteurs qui font circuler de tell es fausses nouvelles Reacutepond Macl eacutedio (Kourouma 1998 p 338)

Cet eacutenonceacute pourrait vraisemblablement se rapporter agrave Tieacutecoura (le seul ayant le droit dinsulter Koyaga) mais il peut eacutegalement ecirctre le discours dautres personnages preacutesents lors du reacutecit purificatoire Compte tenu de labsence dindications lambiguiumlteacute demeure

Finalement la parole du sora se divise elle-mecircme en deux VOIX

distinctes mais compleacutementaires Une premiegravere voix sadresse agrave Koyaga souvent au laquo je raquo parfois au laquo nous raquo (( Le dankun nous reacuteunit [vous chasseurs et nous griots de chasseurs] raquo (Kourouma 1998 p 31 1)) en sincluant dans le reacutecit comme partie inteacutegrante du monde de Koyaga La seconde impersonnelle sadresse agrave un auditoire afin de linstruire sur diffeacuterentes pratiques malinkeacute ou pour traduire

Je dirai le reacutecit purifi catoire de votre vie de maicirctre chasseur et dictateur Lc reacutecit purifl caw ire est appeleacute en malinkeacute un dOllsornfnrl Ces t une geste Il est dit par un sora accompagneacute par un reacutepondeur cordouel Un curdoua est Ull initeacute en phase purificatOire en phase cathartiquc (1998 p 10)

Ou encore laquo Saluons-le tregraves bas ce tiers cet intrus - un sora ne parle dun heacuteros quapregraves lui avoir rendu un hommage appuyeacute Salut agrave vous [ ] qui ecirctes de la race quon peut tuer sans amoindrir ni supprimerraquo (1998 p 346) On comprend facilement que si le cercle des griots est constitueacute uniquement dAfricains cette voix est dirigeacutee vers lexteacuterieur cest-agrave-dire vers le lecteur Ainsi le reacutecit purificatoire nest pas reacutealiseacute en vase clos mais est ouvert agrave une perception et agrave une interpreacutetation exteacuterieure (le lecteur) impliquant agrave plusieurs endroits que le destinataire nest pas de culture malinkeacute

Le discours indirect libte

Le discours indirect libre cette faccedilon de rapporter les dires d autrui dans son propre discours avec la tonaliteacute du narrateur premier est un proceacutedeacute omnipreacutesent dans En attendant le vote des becirctes sauvages Permettant

150 Geneviegraveve Lemoine

damalgamer la parole dautrui agrave la sienne le discours indirect libre suggegravere - agrave linstar des autres proceacutedeacutes narratifs deacutecrits plus hauts - une polyphonie narrative fragmentant encore plus finement la parole du narrateur Ce type de discours eacutemerge agrave maints endroits dans le reacutecit du sora donnons-en quelques exemples agrave deacutefaut de pouvoir tous les nommer

Les bons pegraveres humainement et chreacutetiennement croyaient avoir ainsi logeacute leurs Noirs conformeacutement agrave leurs coutumes Ils attendaient une chaude reconnaissance lorsque lincroyable nouvelle eacuteclata Ces ingrats de sauvages indigegravenes du Grand Fleuve reacuteclamaient lindeacutependance r1De vrais fous (Kouroumd 1998 p 231)

Ou encore de maniegravere plus subtile le narrateur rapportant le discours de Koyaga laquo Dans le village suivant on vous en offre trois puis ce sont cinq et mecircme sept filles quon vous offre en mariage Cest tropraquo (1998 p 280) Le discours indirect libre peut comme dans cet exemple ecirctre difficile agrave saisir et mener agrave plusieurs interpreacutetations Globalement ce type de discours utiliseacute de maniegravere reacutecurrente constitue un des traits caracteacuteristiques dEn attendant le vote des becirctes sauvages et singularise ainsi leacutecriture de Kourouma par rapport au genre romanesque Le discours indirect libre donne dans le reacutecit mecircme du sora la tonaliteacute des discours dautrui comme si ce narrateur central faisait figure de carrefour pour les voix singuliegraveres des personnages tout en eacutetant lui-mecircme geacutereacute (ou geacuteneacutereacute) par un narrateur omniscient qui lengloberait

Les perspectives adopteacutees par les multiples narrateurs la fragmentation de la parole ainsi que le discours indirect libre deacutenotent sans contredit une polyphonie narrative Cette polyphonie pourrait peut-ecirctre suggeacuterer que comme le note M Borgomano laquo[c]es voix multiples et fluctuantes [ ] transposent au niveau mecircme de la narration cette primauteacute du collectif du social si caracteacuteristique de lAfrique traditionnelleraquo (Borgomano 1998 p 166) Neacuteanmoins nous preacutefeacuterons en rester agrave lideacutee quavant de repreacutesenter ces voix transforment Elles modifient le genre romanesque en deacutefiant les limites de la narration et du dialogue entre autres parce quelles remettent en question la deacutefinition mecircme de laquo communication raquo

La Veilleacutee V du roman est grandement reacuteveacutelatrice en ce quelle expose cie faccedilon reacutecurrente et explicite bon nombre des proceacutedeacutes narratifs visant la polyphonie

151 Hvhriditeacute et pol)phonie cornille redeacutefinitioll du genre rol1lallesqlle

Le donsomana et la volonteacute communicationnelle

Le donsomana comme lexplique le sora constitue une geste cest-agrave-dire un reacutecit eacutepique Le reacutecit eacutepique tel queacutetudieacute par G Lukacirccs dans La theacuteorie du roman (13) implique que les actions du heacuteros seacutetablissent dans un univers clos et unitaire Agrave linverse la quecircte du heacuteros romanesque serait celle dune recherche duniteacute existentielle agrave linteacuterieur dun monde fragmen teacute En attendant le vote des becirctes sauvages sapparente davantage agrave cette deuxiegraveme deacutefinition mettant en scegravene un heacuteros deacutechu devant retrouver son uniteacute (par la purification ainsi que par la recherche de la meacuteteacuteorite et du Coran sacreacute) Ce qui nous inteacuteresse davantage cest ce monde ougrave eacutevolue le heacuteros qui loin decirctre clos est plutocirct permeacuteable aux discours des narrateurs multiples amenant une pleacutethore de perspectives Ainsi agrave linstar du genre romanesque pour Lukacirccs lunivers de Koyaga est fragmenteacute indeacutefinissable et profondeacutement dysfonctionnel 12 Cet univers dysfoncrionnel est donneacutebull

dune parr par la circulariteacute du donsomana -lequel devrait purifier le heacuteros et non en faire lobjet dun eacuteternel recommencement (ltltTant que Koyaga naura pas reacutecupeacutereacute le Coran et la meacuteteacuteorite commenccedilons ou recommenccedilons nous aussi le donsomana purificatoireraquo (Kourouma 1998 p 381)) - dautre part par les multiples fragmentations que le reacutecit subit notamment en ce qui concerne la narration l3bull

Il serait possible de voir dans le donsomana la meacutetaphore de leacutecriture dun roman composeacute dun enchevecirctrement dideacutees et reacutesultant en un meacutetissage ougrave le deacutebut et la fin se rejoignent Et cette mecircme meacutetaphore de leacutecriture agrave plus grande eacutechelle pourrait illustrer le pheacutenomegravene de la communication soit un message (reacutecit) supporteacute par un destinateur (narrateurauteur) et adresseacute agrave un destinataire (Koyagalecteur) communication eacutevidemment dysfonctionnelle dans le roman de Kourouma agrave cause de linstabiliteacute du destinateur et de la continuelle reacuteiteacuteration La narration preacutesenteacutee de divers points de vue est en ce sens grandement repreacutesentative Comme nous lavons abordeacute preacuteceacutedemment le narrateur voit son message laquo parasiteacute raquo par dautres narrations Les diffeacuterentes voix qui

Il serait inteacuteressant de voi r consideacuterant limpo rtance que Lukcs accorde Ci liumlronie commtnt ctttt dysfo nctio n du monde entourant le heacuteros se lie l estheacutetique ironique du rolllan de Kouroum1

Pour des raisons despace nous navons pas abo rdeacute dans cerrt analyse les enchissements de divers reacuteci ts (par exemple hi Veilleacutee III qui porte sur l histoire de Vlacleacutedio) La fragmentation geacuteneacuterale du reacutec it que nous abordons ici comf)()rt e eacutega lement cet aspect malheureusement axnclonneacute

15

152 Geneliegravel e Lellloille

sajoutent produisent des distorsions et brouillent le message menant agrave une essentielle reacutepeacutetition En attendant le vote des becirctes sauvages loin de se clore ou de proposer une fln possible agrave limpasse de Koyaga demeure un reacutecit complegravetement ouvert impliquant un recommencement jusquagrave ce que le message soit efflcace Pour sortir de cette circulariteacute l

dans le reacutecit de Kourouma comme dans lacte communicationnel en geacuteneacuteral une interpreacutetation est primordiale (interpreacutetation qui nest visiblement pas effectueacutee par Koyaga dans le roman) En attendant le vote des becirctes sauvages illustre limportance de linterpreacutetation dun reacutecit interpreacutetation neacutecessaire agrave la survie de lœuvre afin que celle-ci ne senferme pas dans une communication agrave sens unique Non seulement le roman doit ecirctre lu mais son message doit ecirctre eacuteclairci afln de deacutepasser les limites de sa propre trame Par leacutecriture du donsomana Kourouma meacutetaphorise une communication (ou de maniegravere plus restreinte un reacutecit) qui nest pas interpreacuteteacutee et qui doit ecirctre recommenceacutee pour ecirctre efflcace voire pour sinscrire dans lhistoire Et la conclusion ouverte de lœuvre invite agrave cette mecircme interpreacutetation de la part du lecteur afln qu il deacutepasse les limites du roman ne serait-ce que celles du parasitage narratif Bref le reacutecit de Koyaga se deacuteveloppant dans un univers fragmenteacute et dysfonctionnel (agrave limage de son personnage principal) neacutecessite une interpreacutetation pour retrouver son eacutequilibre il doit souvrir et deacutepasser ses propres limites (dont celle du laquo genreraquo qui lui est attribueacute le roman) pour viser agrave une reacutecupeacuteration et agrave une interpreacutetation par un destinataire exteacuterieur

Kourouma et la notion de laquo genre romanesqueraquo

En attendant te vote des becirctes sauvages de Kourouma deacutemonrre clairement lideacutee dune syntheacutetisation des genres Cette synrheacutetisation est supporteacutee par la juxtaposition de multiples genres (conte fable eacutepopeacutee chronique) - englobeacutes sous le terme de laquo roman raquo - et geacuteneacutereacutee par lindistinction entre les diffeacuterents temps verbaux ainsi que par les entrelacs syntaxiques et la reacutepeacutetition Tous ces proceacutedeacutes deacutecriture visent un eacuteclatement geacuteneacuterique eacutegalement soutenu - de faccedilon encore plus eacuteclairante - par les nombreuses voix narratives qui composent le reacutecit Le genre romanesque agrave travers leacutecriture de Kourouma se voit ainsi ouvertement questionneacute et transformeacute

1 Au suiel de la c irculariteacute dTIi (lelldtlllle l ole d es bes Sllllluges conuli er iJ no te de lecture suilIlt l entretien de y(~ Chc ll1la d Ins Y() re ihmirie no 136 p 30-32 insi que leacute tude de ~ Lldel(ine Borgo ll1~ no f)ocirc hOlllIes Ol des l( e lee lire dEn attendant le o te d es ile tls SCIUJgcs d gtlhllwrJl K(JlrtllIlI ll (2000)

153 f-J)hridileacute el po~ph()lie comme recujil7iliol7 dll gelre rOlllalesqlle

Plusieurs theacuteoriciens ont tenteacute de deacutefinir les diffeacuterents laquo genres raquo deacutefinition qui permettrait deacutetablir une classification des œuvres plus adeacutequate que la division initiale - et consideacuterablement remanieacutee -proposeacutee par Aristote et Platon Certaines reacuteflexions portant sur la notion de genre litteacuteraire en arrivent agrave la consideacuterer comme une aporie ]-M Schaeffer note dailleurs que

le deacuteveloppement de la circulation litteacuteraire (ducirc agrave des causes technologiques auss i bien que sociales) au cours des derniers siegravecles a comme conseacutequence une multiplication extrecircme des modegraveles geacuteneacuteriques potentiels en sorte que lactivireacute geacuteneacuterique 1 1 tregraves pousseacutee des tex tes modernes aboutit agrave une relie multiplication geacute neacuterique que les class ification sont tregraves difficiles agrave eacutetablir (Schaeffer 1986 p 202)

Utili~ant davantage le terme de laquo geacuteneacutericiteacuteraquo - impliquant une essentielle transformation geacuteneacuterique - plutocirct que celui de laquo genre litteacuteraire raquo Schaeffer soutient dans cette mecircme eacutetude lideacutee que la multipliciteacute des traits geacuteneacuteriques est le propre des grandes œuvres Parallegravelement dans Les genres litteacuteraires Dominique Combe preacutecise davantage la notion de genre romanesque la reliant avec la conception des romantiques de 1 laquoŒuvre totale laquelle souligne limportance dune transgression et dune synthegravese des divisions geacuteneacuteriques originelles (eacutepique lyrique et dramatique) Finalement certains theacuteoriciens soutiennent la supeacuterioriteacute dune syntheacuterisation geacuteneacuterique redirigeant ainsi les discours cloisonnant les genres vers une dynamique des eacutecrits litteacuteraires l 7

bull

Dans laquo De la litteacuterature comme rransculture raquo ] Semujanga (1999) considegravere que le roman met en place diffeacuterents meacutecanismes deacutecrirure et sourient que celui-ci contient un discours sur le processus mecircme de creacuteation lirreacuteraire et possegravede ainsi des effets directs sur la deacutefinition de genre (ce qui comme nous lavons preacuteceacutedemment releveacute se retrouve dans le roman de Kourouma) En analysant larticulation entre lœuvre (sa singulariteacute) et le

Nous bisons entre autres reacutereacuterence 1 C (~ enette (Ilt)H(raquo qui a revu lorig inell e Irirl rt itio n laussemc nt Iltribueacutee il Aristo te (eacutepique ly riq ue dramatiq ue) considugravelnt les d ilfeacuterents deacutel elo ppelllent s 1trII e rs les eacutepoques et rrorosant par conseacutequent une Ilo lll el le cLi ss ilic ll ion des genre litteacuteraires fo ndugrave sur les recouplments entre les theacutematiques les m odes et les jormes adopteacutees p tr les eacutecrits li II Y a geacuteneacutericit eacute degraves que Li cOllfrontation d un texte 1 son contexte litteacuteraire (IU

sens ~L I lt ) r~ lil surgir en Illigr~ lnc cctte S Or(LO de tratll e- qui lie enst lnhle une cI ~ l sse tex tllelle et p lr r pp0 1 1 Itq uelle le tex te en questi o n seacutecrit so it quil disparisse 1 son tour c1 ])s LI 111111( soit quil LI di middotlorde ou LI deillonte In ~ li s foujo urs soi t sy inleacutegralli oit se lin tegravegrln tl -1 Sc 1 lcfkr 1 9~6 p 20 1) 1- Nous nOLIs reacute fC rons ici ~I 1~ l II(Jlitle d es pcllremiddot dOlls le ()JJall (~ i icfil cie J ~e ll u j l l1 g 1 ( 1)lt)lt)

154 Cenel iegravele Lemaille

genre romanesque lauteur affirme que leacutecriture agrave travers ses motifs reacutecurrents est le lieu deacutenonciation de valeurs qui sintegravegrent plus largement agrave un procegraves axiologique Ces relations transversales entre les diffeacuterentes productions convergent vers cet aspect que Semujanga nomme transculturaliteacute laquelle redeacutefinit le genre comme une varieacuteteacute de motifs qui rend vaine toute tentative de systeacutemisation Les avanceacutees de Semujanga rejoignent lideacutee dune eacutevolution geacuteneacuterique proposeacutee par Schaeffer en suggeacuterant que les genres textuels sont dynamiques de par diverses influences tant litteacuteraires que culturelles tant chronologiques quanachroniques et sous-jacente agrave cette dynamique geacuteneacuterique lideacutee de laquo malleacuteabiliteacute de laquo transinfluence 18 de toute œuvre litteacuteraire

En attendant le vote des becirctes sauvages illustre cette tentative de deacutepassement des limites geacuteneacuteriques non seulement par la manipulation de diffeacuterents genres ou par la transformation fragmentaire de sa narration mais eacutegalement par le discours meacutetaphorique que suggegravere leacutecriture du donsomana sur la construction romanesque comme telle Par un style composite amalgamant plusieurs types de reacutecits mais les surpassant le roman de Kourouma se lie dune faccedilon particuliegravere agrave laquoson genre (reacutepondant dune certaine maniegravere agrave la question poseacutee par J-M Schaffer (1986 p 180)) Illustrant les diffeacuterentes avanceacutees theacuteoriques mentionneacutees ci-haut En attendant le vote des becirctes sauvages pourrait saveacuterer une des multiples repreacutesentations du roman comme laquo meacutetagenreraquo cest-agrave-dire comme lieu de laquo phagocytage de tous les genres et comme repreacutesentation dynamique de [eacutecriture (Semujanga 1999)

Pour conclure

Cette analyse dEn attendant ie vote des becirctes sauvages visait fondamentalement agrave eacuteclairer le caractegravere hybride de ce roman et agrave le relier agrave laquo sonraquo genre soit le genre romanesque Nous avons pu constater comment leacutecriture singuliegravere de Kourouma par les entrelacs syntaxiques et la multipliciteacute des formes quelle soutient sinscrit dans cette conception du roman comme laquo meacutetagenreraquo par son hybriditeacute et son caractegravere syntheacutetique Les diffeacuterentes probleacutematiques inscrites dans leacutenonciation telles la reacutepeacutetition et lutilisation simultaneacutee de temps verbaux opposeacutes IH Nous lIllenons ici ce terme en tenant compte de son utilisation limiteacutee po ur souligner les di vergences conceptll elles entre les theacuteori es de Semujanga et les theacuteories de Genelle Il est noter que Schaeffer a])orcllit eacutegalement cet Ispect en d eacutevelopplI1t le concept cie modulatio n geacuteneacuterique

155 H)hriditeacute et pOJphulie comme redeacuteilitiol du 8elre rollIesque

(passeacutepreacutesent) ont permis dillustrer leacuteclatement de la narration Aussi en approfondissant cet eacuteclatement narratif et geacuteneacuterique en fonction des multiples voix et perspectives inscrites dans la narration principale nous avons deacutemontreacute limportance de la polyphonie narrative du roman de Kourouma et du laquo brouillageraquo narratif qui est creacuteeacute De ce rapprochement a pu eacutemerger la constatation que tout comme une communication entre destinateur et destinataire parasiteacutee par diffeacuterentes perspectives le sens du roman de Kourouma exige une interpreacutetation Ainsi la polyphonie implique une neacutecessaire ouverture de la signification du roman vers ]exteacuterieur invitant neacutecessairement le lecteur agrave ajouter sa voix agrave celle des autres Cimplication de chacun des lecteurs et la polyphonie narrative dans En attendant le vote des becirctes sauvages megravenent donc agrave une reformulation du genre romanesque en fonction non plus de la forme du roman mais des proceacutedeacutes deacutecriture vers une vision davantage ouverte et dynamique de lœuvre romanesque

156 Ceneliegravele Lemoil1e

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Page 4: AHMADOU KOUROUMAoic.uqam.ca/sites/oic.uqam.ca/files/documents/... · publiera En attendant le vote des bêtes sauvages en 1998 et Allah n'est pas obligé en 2000, pour lequel il gagne

143 H) hridih e JOjphollie cOl1me redeacutefilliioll du gellre rOlllalllsque

personnages sentremecirclent agrave lhistoire de Koyaga proceacutedeacute neacutecessaire agrave lefficaciteacute du donsomana En plus dune chronologie incertaine les narrateurs se confondent (sora reacutepondeur narrateur externe Macleacutedio et mecircme Koyaga) pour livrer une vision multiple parfois ironique mais toujours incomplegravete sur le regravegne du laquopreacutesident raquo Loin de se clore le reacutecit purificatoire semble finalement inefficace et impose un continuel recommencement jusquagrave ce que le donsomana permette de retrouver la meacuteteacuteorite et le Coran sacreacutes

Deux aspects de leacutecriture de Kourouma ont particuliegraverement retenu notre inteacuterecirct nous nous arrecircterons dans cette premiegravere partie danalyse aux proceacutedeacutes denchacircssements syntaxiques ainsi quau caractegravere proteacuteiforme du reacutecit Aussi consideacuterant lamplitude du roman preacutecisons que les exemples qui en seront tireacutes illustrent de faccedilon ponctuelle une construction neacuteanmoins reacutepeacuteti tive

Problegravemes syntaxiques et geacuteneacuteriques

Le reacutecit de Kourouma expose ouvertement une hybridation geacuteneacuterique Seacutelaborant selon la forme laquotraditionnelleraquo du donsomana le reacutecit emprunte eacutegalement (comme il est noteacute en quatriegraveme de couverture) au conte fantastique agrave la chronique historique et agrave leacutepopeacutee bien quapparaisse sur la page de titre la deacutenomination de roman La confusion (volontaire) que propose la description dEn attendant le vote des becirctes sauvages meacuterite que lon sarrecircte agrave la probleacutematique geacuteneacuterique poseacutee par leacutecriture de Kourouma

Lieacutes agrave la distinction platonicienne entre diffeacuterentes situations deacutenonciation soit la mimeacutesis (limitation) ou la dieacutegegravesis (la narration) (Genette 1986 p 98) les temps des verbes empruntent les formes du preacutesent (discours) ou du passeacute (reacutecit) Cette distinction doit permettre au lecteur de situer adeacutequatement la sphegravere temporelle Ol se deacuteroule laction Alors que les formes du passeacute simple sapparentent entre autres au conte ou agrave leacutepopeacutee du moins agrave un reacutecit clos les formes du preacutesent caracteacuterisent davantage les situations dialogiques telles que le genre theacuteacirctral ou la chronique olt les actions sont en progression Tous les temps verbaux

NOLIS nOLI s rpp0rLo ns ici Ill dilfeacuterlt nt s COIl CltptS d eacute e lo ppeacutes sur le tltmps dll reacutecit IXlr D I Liing ult nltlu d Oll1s h II ens de Iin~ lislitllll j )olr le lel ilLmire ( 1986 p gt 1 - ~2J

144 Geileliegravele Lemoine

supportant ces formes composent de faccedilon eacutequivoque le roman de Kourouma

La narration initiale proposeacutee par le sora use des formes du preacutesent impliquant ainsi le narra taire dans une situation de dialogue sinon de contemporaneacuteiteacute laquo Nous voilagrave donc tous sous lapatame du jardin de votre reacutesidence Tout est donc precirct tout le monde est en place Je dirai le reacutecit purificatoire de votre vie de maicirctre chasseur et de dictateurraquo (Kourouma 1998 p 10) Ceacutenonciation est celle dun personnage reacutecitant une histoire agrave dautres personnages (et par extension au lecteur) ce type de narration (dialogique) constitue le fondement du reacutecir- Sajoute agrave cette premiegravere narration celle du reacutecit de Koyaga un reacutecit dit laquo purificatoireraquo prenant la forme eacutepique (mettant en scegravene un heacuteros et ses tribulations) et agrave certains endroits la forme de la chronique historique Enchacircsseacutee dans celle du sora cette narration est donneacutee sans distinction soit au passeacute simple soit au preacutesent dit laquoaoristiqueraquo Par exemple le reacutecit des eacuteveacutenements de la vie de Koyaga agrave linteacuterieur dune mecircme page voire dun mecircme paragraphe se deacuteroule agrave la fois au passeacute simple et au preacutesent comme si ces deux temps eacutetaient interchangeables

Quand les tracts sortirent de linconnu et jonchegraverent les trottoirs quand les murs se couvrirent de graffitis se produisirent des collisions entre les deacutescolariseacutes et les forces de lordre [ ] Les armes en bandouliegravere les seaux de peinture agrave la main les farouches commandos paras les lycaons du Preacutesident badigeonnent les murs [ 1 Degraves quils tournent le dos des deacutescolariseacutes foncent sur les murs (Kourouma 1998 p348)

Toutefois contrairement au passeacute simple qui sous-entend que laction est accomplie le preacutesent aoristique laquo exclut toute valeur durative et tout repeacuterage par rapport au moment de leacutenonciation [ ] ce preacutesent ne remplace pas purement et simplement le passeacute simple il le suppleacutee localement agrave des fins stylistiques bien deacutetermineacuteesraquo (Maingueneau 1986 p 47)

Par conseacutequent lorsque Kourouma utilise indistinctement le preacutesent aoristique et le passeacute simple il met en place une eacutenonciation

Cerre narration dialogique peut eacutegalement expliquer du moins en panie leffet de tileacutettralisation que lon peut noter dans 11I (lIclidallllc lole des [(Ies SIII(ltCS

Pour plus de preacutecisioll sur le preacutesent torbtique oir Maingueneau 1986 p ()-

Cest nOLIs qui soulignons

145 H)hriditcgt el JUlJJ ulli( CUIIII1( r (deacutejllifi() dll gCllrc OlIwlI(sqlle

probleacutematique impliquant que certaines actions ne sont pas temporellement deacutefinies et quelles se reacutepegravetent encore au moment de la narration Ainsi une confusion entre la rnirneacutesis et la dieacutegegravesis est volontairement creacuteeacutee rapportant le passeacute et le preacutesent en un lieu commun joignant le reacutecit et le discours dans un mecircme ensembleacute Tous les genres possibles supporteacutes par les temps verbaux (par exemple le conte leacutepopeacutee le theacuteacirctre la chronique) sont fusionneacutes Et agrave cet amalgame de genres sajoutent des hymnes (Kourouma 1998 p 313) des chants traditionnels (1998 p 314) et des priegraveres (1998 p321)

Entrelacs syntaxiques

Les entrelacs syntaxiques dEn attendant le vote des becirctes sauvages mettent eacutegalement en relief lhybriditeacute du roman Un des proceacutedeacutes majeurs utiliseacutes par Kourouma en ce sens est la reacutepeacutetition Attardons-nous d abord aux titres des chapitres lesquels divisent les six veilleacutees du donsornana Chacun de ces titres est un proverbe tireacute des conclusions du sora eacutenonceacutees au chapitre preacuteceacutedent Par exemple le chapitre 1 G se termine par

Le danseur de temps en temps s interrompt pour eacutecouter la chanteuse EacuteCOUlOns nous aussi quelques reacuteflex ions sur le pouvoir Le tambour qui ne punit pas li n crime est un cruchon fegraveleacuteUn roi assied mr son trocircne pendant quun autre se fait tailler e sien ny a pas de mauvais roi mris de mauvais courtisans (Kourouma 1998 p240)

Et le chapitre 17 est titreacute laquo Le tambour qui ne punit pas un crime est un cruchon fecircleacute Ce scheacutema reacutepeacutetitif sera le mecircme pour lensemble du roman soit la reprise du premier proverbe concluant un chapitre pour titrer le suivant Marquant eacutevidemment une volonteacute de continuiteacute agrave linteacuterieur du reacutecit- cette reprise reacutevegravele aussi un deacutesir d entrelacer les diffeacuterents types syntaxiques en substituant agrave lhabiruc eacutenonceacute prosaiumlque (tirre) un proverbe Par ailleurs la juxtaposition d un proverbe et d un eacutenonceacute quelconque agrave linteacuterieur du reacutecit illustre encore plus clairement ces entrelacs syntaxiques

Il sassura dune faccedilon neacutegligente sugraver de sa manigance que Koyaga ava it eacuteteacute expeacutedieacute abarru Lancien sous-officier dIndochine gisait inanimeacute dans le sang il demi couver par deux cadavres La petite vieill e qui nes t pas meacuteticuleuse ramasse dans ses haillons la cendre contenant la braise (Kourou ma 1998 p 1 15- 116)

On peut COl1 sulter 0 ce SUjlmiddott jarticle d e J Bi nswa (2002) alordlt LI ~lI x tposi tiuuml l1 des temps lrhau x dtlll point de Ylie soc iopLlglllatique

Madeleine Iorgolllano (2000) eacutecla ire d e fa~()n int (-ressa nte LI composition spirli ilJue (et non c irc llbire) du 10111111

146 Genel iegravele Lelloine

Dans une entrevue reacutealiseacutee par Yves Chemla (1999) Kourouma souligne avoir beaucoup travailleacute la forme laquoDans le donsomana les gens disent un ou deux proverbes Moi jen ai fait un proceacutedeacute systeacutematiqueraquo (Chemla 1999 p 29) Il note eacutegalement que plusieurs phrases se reacutepegravetent liant et inteacutegrant chaque partie agrave la structure geacuteneacuterale du roman dune faccedilon beaucoup plus serreacutee que dans ses romans preacuteceacutedents Ces reacutepeacutetitions se retrouvent non seulement dans la reacutecurrence deacutenonceacutes preacutecis (contenant toutefois quelques modulations) - par exemple avec la phrase laquoMerci encore merci toujours merci Koyaga [ lraquo (Kourouma 1998 p 70 71 73) - mais aussi dans la forme donneacutee au reacutecit notamment par lintroduction de chacun des chapitres (deacutebutant presque tous par laquoAh Tieacutecoura raquo) ainsi que par leur conclusion (description extradieacutegeacutetique par exemple laquoLe sora arrecircte de conter [ l raquo suivie de trois proverbes) Cette forme geacuteneacuterale reacutepeacutetitive qui semble eacutevoquer une reacuteduplication agrave limage des classifications geacuteneacuteriques (Schaeffer 1986 p 203) met en relief la neacutecessiteacute dune eacutevolution quand diffeacuterents proceacutedeacutes deacutecriture viennent parasiter la forme initiale Pensons entre autres aux apostrophes du sora introduisant les chapitres8 les destinataires subtilement changeacutes au deacutebut des chapitres 5 et 8 alternent agrave partir de la veilleacutee V le sora interpellant Koyaga Macleacutedio ou Tieacutecoura sans distinction Lhabituel laquoAh Tieacutecouraraquo introductif est remplaceacute par exemple par laquoAh Koyagaraquo (Kourouma 1998 p 286) deacutenotant une volonteacute douverture voire deacuteclatement de la forme Notons par ailleurs que le dernier chapitre souvre sur laquoAh Macleacutedio raquo laissant linterpreacutetation des dires du sora agrave une autre personne que celle explicitement viseacutee par le donsomana Leacuteclatement de cette forme reacutepeacutetitive pourrait ainsi reacuteveacuteler une impossible reacuteduplication et meacutetaphoriquement la neacutecessiteacute dun renouvellement du style (voire du genre) par la singulariteacute des eacutecrits

Polyphonie narrative

Les diffeacuterentes voix inscrites dans la narration dEn attendant le vote des becirctes sauvages participent elles aussi au caractegravere proteacuteiforme de ce reacutecit Comme nous lavons noteacute dans lintroduction la reacuteflexion sur cette probleacutematique sinspire de deux articles portant sur la polyphonie ainsi que sur les transformations narratives et eacutenonciatives dans les romans de

KOlls ne nOLIs arrecirc terons ras allx cilritres Olt les destinataires ne sont pas eacuteHlqueacutes considegravernt qlliumlls constituent des exceptions (Kouroullu 1998 r 77 117 eacutet 307)

147 HIhridileacute el pOlphollie comme redeacutejllilioll du gel1re romallesque

Kourouma laquo Narrative voice in Kouroumas Les soleils des indeacutependancesraquo de R Schikora (1982) et laquoMonnegrave outrages et deacutefis agrave la narrationraquo de M Hauser (I994) Laccent sera mis sur trois proceacutedeacutes eacutegalement releveacutes dans ces deux articles la preacutesence simultaneacutee dune narration extradieacutegeacutetique et dune narration intradieacutegeacutetique la fragmentation de la parole et lomnipreacutesence du discours indirect libre

Narration perspectives

laquoVorre nom Koyaga Votre totem faucon Vous ecirctes soldat et preacutesident [ ] Vous Koyaga trocircnez dans le faureuil au centre du cercle Macleacutedio votre ministre de lOrientation est installeacute agrave votre droite Moi Bingo je suis le sararaquo (Kourouma 1998 p 9) Degraves les premiegraveres lignes du roman la situation deacutenonciation souvre sur un laquo je raquo narrateur sadressant agrave un destinataire preacutecis laquovous Koyagaraquo Le narrateur relatant une histoire dont il fait partie est in tradieacutegeacutetique La perspective seacutetablit ainsi agrave partir du monde dun des personnages le lecteur suppose que tout sera axeacute autour dun laquo je raquo initial impliquant un laquovousraquo auditoire ou du moins un laquo tu raquo destinataire Bientocirct il perccediloit une modulation de cette perspective la narration se deacuteplace dune perspective interne vers un point de vue omniscient laquoTieacutecoura tour le monde est reacuteuni Tout est dit [Ajoute votre grain de seL]raquo (1998 p 10) Ce que nous placcedilons entre crochets deacutemontre la preacutesence dun narrateur autre consideacuterant eacutevidemment que le grain de sel serait le sara La bipartition narrative telle quelle apparaicirct dans cet exemple est reacutecurrente notamment dans des fins de chapitre laquo Interrompons-nous nous aussi un court instant pour marquer une pause [Annonce le sora] raquo (1998 p 39) Cette derniegravere phrase que nous placcedilons toujours entre crochets ne peut ecirctre eacutenonceacutee que par un narrateur extradieacutegeacutetique

Aussi eacutemerge freacutequemment dans le reacutecit du sara une perspective omnisciente la narration se deacuteplace dune eacutenonciation dialogique (entre le sara et un des personnages geacuteneacuteralement Koyaga) vers une eacutenonciation sans destinataire preacutecis ougrave le personnage jusquici preacutesenteacute au lecteur comme un laquo tU raquo ou un laquo vousraquo devient un laquo il raquo Prenons ces eacutenonceacutes juxtaposeacutes laquo Loin delle quand ils ne SOnt pas dans la mecircme ville Koyaga teacuteleacutephone agrave la maman

Nous po urrions ajourer que les inrrusions de celle IXlrole exteacuterieure rappellenl la didascdic pllticiplI1t ainsi efTer de rhe hrdis lion sOlll igneacute dans premiegravere panie de Ce Irlmiddotail

148 Geneliegraveoe LelllOille

au moins deux fois par jour en tin de matineacutee et le soir au coucherLes relations entre vous Koyaga et votre maman sont trop eacutetroitesraquo (Kourouma 1998 p 296) La narration se complexifie relatant au sein dune mecircme eacutenonciation une perspective agrave la fois intradieacutegeacutetique et extradieacutegeacutetique Cette fusion de deux perspectives opposeacutees nest pas sans rappeler celle des temps verbaux deacuteveloppeacutee plus haut Mais les innovations narratives de Kourouma ne sarrecirctent pas agrave cette juxtaposition des narrations internes ou externes au reacutecit Elles seacutetendent agrave la fragmentation mecircme de la parole eacutenonciatrice

hagmentation de la parole

La parole du sara outre les intrusions du narrateur exteacuterieur se voit aussi entrecoupeacutee par dautres voix La preacutesence de ces voix dialoguant avec celle du sara est noteacutee de deux faccedilons agrave linteacuterieur du reacutecit soit par la preacutesence de tirets indiquant que la parole provient dun narrateur second soit par les interventions du narrateur exteacuterieur annonccedilant (toujours par la suite) qui est le sujet eacutenonciateur Alors que la preacutesence du tiret indique clairement lexistence dun dialogisme les interventions ponctuelles et non annonceacutees dautres narrateurs produisent un effet dimpreacutecision Prenons par exemple cet extrait

Ah Tieacutecoura Ce nest pas toujours vrai que tous les grands eacuteveacutenements se lisent dans les aurores des jours qui les porteronL Le marin du jour ougrave se tint la confeacuterence de la table ronde de la reacuteconciliation fut aussi plat que le dos dune eacutepouse quon a cesseacute daimer Preacutecise le reacutepondeur (Kourouma 1998 p 113-114)

Alors que le sora amorce le chapitre son discours initialement au preacutesent glisse vers le passeacute simple Ce nest quapregraves le commencement de ce quon croit ecirctre le reacutecit que le narrateur externe informe le lecteur de la provenance de leacutenonceacute Le narrateur de lavant-derniegravere phrase est donc Tieacutecoura personnage auquel le reacutecit semblait jusque-lagrave destineacute En plus decirctre reacutepeacutetitif ce type denchaicircnement complexifie grandement la lecture puisque le seul point de repegravere dans le reacutecit doublement narreacute nest plus la narration du sora mais bien celle du narrateur extradieacutegeacutetique lequel napparaicirct toujours quagrave rebours de leacutenonceacute o

Dans le mecircme ordre dideacutees certains narrateurs interviennent dans le reacutecit du sora par les tirets mais ils demeurent inconnus Kourouma fait

Il pourrait ecirctre inteacuteressant d eacutetablir ic i un parallegravele entre la paro le du narrateur omniscient (souvent au passeacute simple ) parole Cjui est to ujo urs agrave rebo urs par rappo rt aux autres narrations lesCjuelles empruntent une forme dialogique (au preacutesent)

III

149 f1jhridileacute el pUjPhollie cOlllIe ledeacutefilliioll du gellle romallesqlle

parler lors du deacutefileacute soulignant le 30 anniversaire de larriveacutee de Koyaga au pouvoir plus de trois narrateurs le premier eacutenonciateur neacutetant pas identifieacute

Ces t en vain vous restez un roc Les engins de guerre de mort imerminablement se suivenr- Vous co nsacriez trop d argem agrave larmemem beaucoup plus dargem agrave la Deacutefense quaux ministegraveres de la Sallleacute et de lEacuteducation reacuteunisl- Cest faux ce sunt des journalistes malintentionneacutes et menteurs qui font circuler de tell es fausses nouvelles Reacutepond Macl eacutedio (Kourouma 1998 p 338)

Cet eacutenonceacute pourrait vraisemblablement se rapporter agrave Tieacutecoura (le seul ayant le droit dinsulter Koyaga) mais il peut eacutegalement ecirctre le discours dautres personnages preacutesents lors du reacutecit purificatoire Compte tenu de labsence dindications lambiguiumlteacute demeure

Finalement la parole du sora se divise elle-mecircme en deux VOIX

distinctes mais compleacutementaires Une premiegravere voix sadresse agrave Koyaga souvent au laquo je raquo parfois au laquo nous raquo (( Le dankun nous reacuteunit [vous chasseurs et nous griots de chasseurs] raquo (Kourouma 1998 p 31 1)) en sincluant dans le reacutecit comme partie inteacutegrante du monde de Koyaga La seconde impersonnelle sadresse agrave un auditoire afin de linstruire sur diffeacuterentes pratiques malinkeacute ou pour traduire

Je dirai le reacutecit purifi catoire de votre vie de maicirctre chasseur et dictateur Lc reacutecit purifl caw ire est appeleacute en malinkeacute un dOllsornfnrl Ces t une geste Il est dit par un sora accompagneacute par un reacutepondeur cordouel Un curdoua est Ull initeacute en phase purificatOire en phase cathartiquc (1998 p 10)

Ou encore laquo Saluons-le tregraves bas ce tiers cet intrus - un sora ne parle dun heacuteros quapregraves lui avoir rendu un hommage appuyeacute Salut agrave vous [ ] qui ecirctes de la race quon peut tuer sans amoindrir ni supprimerraquo (1998 p 346) On comprend facilement que si le cercle des griots est constitueacute uniquement dAfricains cette voix est dirigeacutee vers lexteacuterieur cest-agrave-dire vers le lecteur Ainsi le reacutecit purificatoire nest pas reacutealiseacute en vase clos mais est ouvert agrave une perception et agrave une interpreacutetation exteacuterieure (le lecteur) impliquant agrave plusieurs endroits que le destinataire nest pas de culture malinkeacute

Le discours indirect libte

Le discours indirect libre cette faccedilon de rapporter les dires d autrui dans son propre discours avec la tonaliteacute du narrateur premier est un proceacutedeacute omnipreacutesent dans En attendant le vote des becirctes sauvages Permettant

150 Geneviegraveve Lemoine

damalgamer la parole dautrui agrave la sienne le discours indirect libre suggegravere - agrave linstar des autres proceacutedeacutes narratifs deacutecrits plus hauts - une polyphonie narrative fragmentant encore plus finement la parole du narrateur Ce type de discours eacutemerge agrave maints endroits dans le reacutecit du sora donnons-en quelques exemples agrave deacutefaut de pouvoir tous les nommer

Les bons pegraveres humainement et chreacutetiennement croyaient avoir ainsi logeacute leurs Noirs conformeacutement agrave leurs coutumes Ils attendaient une chaude reconnaissance lorsque lincroyable nouvelle eacuteclata Ces ingrats de sauvages indigegravenes du Grand Fleuve reacuteclamaient lindeacutependance r1De vrais fous (Kouroumd 1998 p 231)

Ou encore de maniegravere plus subtile le narrateur rapportant le discours de Koyaga laquo Dans le village suivant on vous en offre trois puis ce sont cinq et mecircme sept filles quon vous offre en mariage Cest tropraquo (1998 p 280) Le discours indirect libre peut comme dans cet exemple ecirctre difficile agrave saisir et mener agrave plusieurs interpreacutetations Globalement ce type de discours utiliseacute de maniegravere reacutecurrente constitue un des traits caracteacuteristiques dEn attendant le vote des becirctes sauvages et singularise ainsi leacutecriture de Kourouma par rapport au genre romanesque Le discours indirect libre donne dans le reacutecit mecircme du sora la tonaliteacute des discours dautrui comme si ce narrateur central faisait figure de carrefour pour les voix singuliegraveres des personnages tout en eacutetant lui-mecircme geacutereacute (ou geacuteneacutereacute) par un narrateur omniscient qui lengloberait

Les perspectives adopteacutees par les multiples narrateurs la fragmentation de la parole ainsi que le discours indirect libre deacutenotent sans contredit une polyphonie narrative Cette polyphonie pourrait peut-ecirctre suggeacuterer que comme le note M Borgomano laquo[c]es voix multiples et fluctuantes [ ] transposent au niveau mecircme de la narration cette primauteacute du collectif du social si caracteacuteristique de lAfrique traditionnelleraquo (Borgomano 1998 p 166) Neacuteanmoins nous preacutefeacuterons en rester agrave lideacutee quavant de repreacutesenter ces voix transforment Elles modifient le genre romanesque en deacutefiant les limites de la narration et du dialogue entre autres parce quelles remettent en question la deacutefinition mecircme de laquo communication raquo

La Veilleacutee V du roman est grandement reacuteveacutelatrice en ce quelle expose cie faccedilon reacutecurrente et explicite bon nombre des proceacutedeacutes narratifs visant la polyphonie

151 Hvhriditeacute et pol)phonie cornille redeacutefinitioll du genre rol1lallesqlle

Le donsomana et la volonteacute communicationnelle

Le donsomana comme lexplique le sora constitue une geste cest-agrave-dire un reacutecit eacutepique Le reacutecit eacutepique tel queacutetudieacute par G Lukacirccs dans La theacuteorie du roman (13) implique que les actions du heacuteros seacutetablissent dans un univers clos et unitaire Agrave linverse la quecircte du heacuteros romanesque serait celle dune recherche duniteacute existentielle agrave linteacuterieur dun monde fragmen teacute En attendant le vote des becirctes sauvages sapparente davantage agrave cette deuxiegraveme deacutefinition mettant en scegravene un heacuteros deacutechu devant retrouver son uniteacute (par la purification ainsi que par la recherche de la meacuteteacuteorite et du Coran sacreacute) Ce qui nous inteacuteresse davantage cest ce monde ougrave eacutevolue le heacuteros qui loin decirctre clos est plutocirct permeacuteable aux discours des narrateurs multiples amenant une pleacutethore de perspectives Ainsi agrave linstar du genre romanesque pour Lukacirccs lunivers de Koyaga est fragmenteacute indeacutefinissable et profondeacutement dysfonctionnel 12 Cet univers dysfoncrionnel est donneacutebull

dune parr par la circulariteacute du donsomana -lequel devrait purifier le heacuteros et non en faire lobjet dun eacuteternel recommencement (ltltTant que Koyaga naura pas reacutecupeacutereacute le Coran et la meacuteteacuteorite commenccedilons ou recommenccedilons nous aussi le donsomana purificatoireraquo (Kourouma 1998 p 381)) - dautre part par les multiples fragmentations que le reacutecit subit notamment en ce qui concerne la narration l3bull

Il serait possible de voir dans le donsomana la meacutetaphore de leacutecriture dun roman composeacute dun enchevecirctrement dideacutees et reacutesultant en un meacutetissage ougrave le deacutebut et la fin se rejoignent Et cette mecircme meacutetaphore de leacutecriture agrave plus grande eacutechelle pourrait illustrer le pheacutenomegravene de la communication soit un message (reacutecit) supporteacute par un destinateur (narrateurauteur) et adresseacute agrave un destinataire (Koyagalecteur) communication eacutevidemment dysfonctionnelle dans le roman de Kourouma agrave cause de linstabiliteacute du destinateur et de la continuelle reacuteiteacuteration La narration preacutesenteacutee de divers points de vue est en ce sens grandement repreacutesentative Comme nous lavons abordeacute preacuteceacutedemment le narrateur voit son message laquo parasiteacute raquo par dautres narrations Les diffeacuterentes voix qui

Il serait inteacuteressant de voi r consideacuterant limpo rtance que Lukcs accorde Ci liumlronie commtnt ctttt dysfo nctio n du monde entourant le heacuteros se lie l estheacutetique ironique du rolllan de Kouroum1

Pour des raisons despace nous navons pas abo rdeacute dans cerrt analyse les enchissements de divers reacuteci ts (par exemple hi Veilleacutee III qui porte sur l histoire de Vlacleacutedio) La fragmentation geacuteneacuterale du reacutec it que nous abordons ici comf)()rt e eacutega lement cet aspect malheureusement axnclonneacute

15

152 Geneliegravel e Lellloille

sajoutent produisent des distorsions et brouillent le message menant agrave une essentielle reacutepeacutetition En attendant le vote des becirctes sauvages loin de se clore ou de proposer une fln possible agrave limpasse de Koyaga demeure un reacutecit complegravetement ouvert impliquant un recommencement jusquagrave ce que le message soit efflcace Pour sortir de cette circulariteacute l

dans le reacutecit de Kourouma comme dans lacte communicationnel en geacuteneacuteral une interpreacutetation est primordiale (interpreacutetation qui nest visiblement pas effectueacutee par Koyaga dans le roman) En attendant le vote des becirctes sauvages illustre limportance de linterpreacutetation dun reacutecit interpreacutetation neacutecessaire agrave la survie de lœuvre afin que celle-ci ne senferme pas dans une communication agrave sens unique Non seulement le roman doit ecirctre lu mais son message doit ecirctre eacuteclairci afln de deacutepasser les limites de sa propre trame Par leacutecriture du donsomana Kourouma meacutetaphorise une communication (ou de maniegravere plus restreinte un reacutecit) qui nest pas interpreacuteteacutee et qui doit ecirctre recommenceacutee pour ecirctre efflcace voire pour sinscrire dans lhistoire Et la conclusion ouverte de lœuvre invite agrave cette mecircme interpreacutetation de la part du lecteur afln qu il deacutepasse les limites du roman ne serait-ce que celles du parasitage narratif Bref le reacutecit de Koyaga se deacuteveloppant dans un univers fragmenteacute et dysfonctionnel (agrave limage de son personnage principal) neacutecessite une interpreacutetation pour retrouver son eacutequilibre il doit souvrir et deacutepasser ses propres limites (dont celle du laquo genreraquo qui lui est attribueacute le roman) pour viser agrave une reacutecupeacuteration et agrave une interpreacutetation par un destinataire exteacuterieur

Kourouma et la notion de laquo genre romanesqueraquo

En attendant te vote des becirctes sauvages de Kourouma deacutemonrre clairement lideacutee dune syntheacutetisation des genres Cette synrheacutetisation est supporteacutee par la juxtaposition de multiples genres (conte fable eacutepopeacutee chronique) - englobeacutes sous le terme de laquo roman raquo - et geacuteneacutereacutee par lindistinction entre les diffeacuterents temps verbaux ainsi que par les entrelacs syntaxiques et la reacutepeacutetition Tous ces proceacutedeacutes deacutecriture visent un eacuteclatement geacuteneacuterique eacutegalement soutenu - de faccedilon encore plus eacuteclairante - par les nombreuses voix narratives qui composent le reacutecit Le genre romanesque agrave travers leacutecriture de Kourouma se voit ainsi ouvertement questionneacute et transformeacute

1 Au suiel de la c irculariteacute dTIi (lelldtlllle l ole d es bes Sllllluges conuli er iJ no te de lecture suilIlt l entretien de y(~ Chc ll1la d Ins Y() re ihmirie no 136 p 30-32 insi que leacute tude de ~ Lldel(ine Borgo ll1~ no f)ocirc hOlllIes Ol des l( e lee lire dEn attendant le o te d es ile tls SCIUJgcs d gtlhllwrJl K(JlrtllIlI ll (2000)

153 f-J)hridileacute el po~ph()lie comme recujil7iliol7 dll gelre rOlllalesqlle

Plusieurs theacuteoriciens ont tenteacute de deacutefinir les diffeacuterents laquo genres raquo deacutefinition qui permettrait deacutetablir une classification des œuvres plus adeacutequate que la division initiale - et consideacuterablement remanieacutee -proposeacutee par Aristote et Platon Certaines reacuteflexions portant sur la notion de genre litteacuteraire en arrivent agrave la consideacuterer comme une aporie ]-M Schaeffer note dailleurs que

le deacuteveloppement de la circulation litteacuteraire (ducirc agrave des causes technologiques auss i bien que sociales) au cours des derniers siegravecles a comme conseacutequence une multiplication extrecircme des modegraveles geacuteneacuteriques potentiels en sorte que lactivireacute geacuteneacuterique 1 1 tregraves pousseacutee des tex tes modernes aboutit agrave une relie multiplication geacute neacuterique que les class ification sont tregraves difficiles agrave eacutetablir (Schaeffer 1986 p 202)

Utili~ant davantage le terme de laquo geacuteneacutericiteacuteraquo - impliquant une essentielle transformation geacuteneacuterique - plutocirct que celui de laquo genre litteacuteraire raquo Schaeffer soutient dans cette mecircme eacutetude lideacutee que la multipliciteacute des traits geacuteneacuteriques est le propre des grandes œuvres Parallegravelement dans Les genres litteacuteraires Dominique Combe preacutecise davantage la notion de genre romanesque la reliant avec la conception des romantiques de 1 laquoŒuvre totale laquelle souligne limportance dune transgression et dune synthegravese des divisions geacuteneacuteriques originelles (eacutepique lyrique et dramatique) Finalement certains theacuteoriciens soutiennent la supeacuterioriteacute dune syntheacuterisation geacuteneacuterique redirigeant ainsi les discours cloisonnant les genres vers une dynamique des eacutecrits litteacuteraires l 7

bull

Dans laquo De la litteacuterature comme rransculture raquo ] Semujanga (1999) considegravere que le roman met en place diffeacuterents meacutecanismes deacutecrirure et sourient que celui-ci contient un discours sur le processus mecircme de creacuteation lirreacuteraire et possegravede ainsi des effets directs sur la deacutefinition de genre (ce qui comme nous lavons preacuteceacutedemment releveacute se retrouve dans le roman de Kourouma) En analysant larticulation entre lœuvre (sa singulariteacute) et le

Nous bisons entre autres reacutereacuterence 1 C (~ enette (Ilt)H(raquo qui a revu lorig inell e Irirl rt itio n laussemc nt Iltribueacutee il Aristo te (eacutepique ly riq ue dramatiq ue) considugravelnt les d ilfeacuterents deacutel elo ppelllent s 1trII e rs les eacutepoques et rrorosant par conseacutequent une Ilo lll el le cLi ss ilic ll ion des genre litteacuteraires fo ndugrave sur les recouplments entre les theacutematiques les m odes et les jormes adopteacutees p tr les eacutecrits li II Y a geacuteneacutericit eacute degraves que Li cOllfrontation d un texte 1 son contexte litteacuteraire (IU

sens ~L I lt ) r~ lil surgir en Illigr~ lnc cctte S Or(LO de tratll e- qui lie enst lnhle une cI ~ l sse tex tllelle et p lr r pp0 1 1 Itq uelle le tex te en questi o n seacutecrit so it quil disparisse 1 son tour c1 ])s LI 111111( soit quil LI di middotlorde ou LI deillonte In ~ li s foujo urs soi t sy inleacutegralli oit se lin tegravegrln tl -1 Sc 1 lcfkr 1 9~6 p 20 1) 1- Nous nOLIs reacute fC rons ici ~I 1~ l II(Jlitle d es pcllremiddot dOlls le ()JJall (~ i icfil cie J ~e ll u j l l1 g 1 ( 1)lt)lt)

154 Cenel iegravele Lemaille

genre romanesque lauteur affirme que leacutecriture agrave travers ses motifs reacutecurrents est le lieu deacutenonciation de valeurs qui sintegravegrent plus largement agrave un procegraves axiologique Ces relations transversales entre les diffeacuterentes productions convergent vers cet aspect que Semujanga nomme transculturaliteacute laquelle redeacutefinit le genre comme une varieacuteteacute de motifs qui rend vaine toute tentative de systeacutemisation Les avanceacutees de Semujanga rejoignent lideacutee dune eacutevolution geacuteneacuterique proposeacutee par Schaeffer en suggeacuterant que les genres textuels sont dynamiques de par diverses influences tant litteacuteraires que culturelles tant chronologiques quanachroniques et sous-jacente agrave cette dynamique geacuteneacuterique lideacutee de laquo malleacuteabiliteacute de laquo transinfluence 18 de toute œuvre litteacuteraire

En attendant le vote des becirctes sauvages illustre cette tentative de deacutepassement des limites geacuteneacuteriques non seulement par la manipulation de diffeacuterents genres ou par la transformation fragmentaire de sa narration mais eacutegalement par le discours meacutetaphorique que suggegravere leacutecriture du donsomana sur la construction romanesque comme telle Par un style composite amalgamant plusieurs types de reacutecits mais les surpassant le roman de Kourouma se lie dune faccedilon particuliegravere agrave laquoson genre (reacutepondant dune certaine maniegravere agrave la question poseacutee par J-M Schaffer (1986 p 180)) Illustrant les diffeacuterentes avanceacutees theacuteoriques mentionneacutees ci-haut En attendant le vote des becirctes sauvages pourrait saveacuterer une des multiples repreacutesentations du roman comme laquo meacutetagenreraquo cest-agrave-dire comme lieu de laquo phagocytage de tous les genres et comme repreacutesentation dynamique de [eacutecriture (Semujanga 1999)

Pour conclure

Cette analyse dEn attendant ie vote des becirctes sauvages visait fondamentalement agrave eacuteclairer le caractegravere hybride de ce roman et agrave le relier agrave laquo sonraquo genre soit le genre romanesque Nous avons pu constater comment leacutecriture singuliegravere de Kourouma par les entrelacs syntaxiques et la multipliciteacute des formes quelle soutient sinscrit dans cette conception du roman comme laquo meacutetagenreraquo par son hybriditeacute et son caractegravere syntheacutetique Les diffeacuterentes probleacutematiques inscrites dans leacutenonciation telles la reacutepeacutetition et lutilisation simultaneacutee de temps verbaux opposeacutes IH Nous lIllenons ici ce terme en tenant compte de son utilisation limiteacutee po ur souligner les di vergences conceptll elles entre les theacuteori es de Semujanga et les theacuteories de Genelle Il est noter que Schaeffer a])orcllit eacutegalement cet Ispect en d eacutevelopplI1t le concept cie modulatio n geacuteneacuterique

155 H)hriditeacute et pOJphulie comme redeacuteilitiol du 8elre rollIesque

(passeacutepreacutesent) ont permis dillustrer leacuteclatement de la narration Aussi en approfondissant cet eacuteclatement narratif et geacuteneacuterique en fonction des multiples voix et perspectives inscrites dans la narration principale nous avons deacutemontreacute limportance de la polyphonie narrative du roman de Kourouma et du laquo brouillageraquo narratif qui est creacuteeacute De ce rapprochement a pu eacutemerger la constatation que tout comme une communication entre destinateur et destinataire parasiteacutee par diffeacuterentes perspectives le sens du roman de Kourouma exige une interpreacutetation Ainsi la polyphonie implique une neacutecessaire ouverture de la signification du roman vers ]exteacuterieur invitant neacutecessairement le lecteur agrave ajouter sa voix agrave celle des autres Cimplication de chacun des lecteurs et la polyphonie narrative dans En attendant le vote des becirctes sauvages megravenent donc agrave une reformulation du genre romanesque en fonction non plus de la forme du roman mais des proceacutedeacutes deacutecriture vers une vision davantage ouverte et dynamique de lœuvre romanesque

156 Ceneliegravele Lemoil1e

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Page 5: AHMADOU KOUROUMAoic.uqam.ca/sites/oic.uqam.ca/files/documents/... · publiera En attendant le vote des bêtes sauvages en 1998 et Allah n'est pas obligé en 2000, pour lequel il gagne

144 Geileliegravele Lemoine

supportant ces formes composent de faccedilon eacutequivoque le roman de Kourouma

La narration initiale proposeacutee par le sora use des formes du preacutesent impliquant ainsi le narra taire dans une situation de dialogue sinon de contemporaneacuteiteacute laquo Nous voilagrave donc tous sous lapatame du jardin de votre reacutesidence Tout est donc precirct tout le monde est en place Je dirai le reacutecit purificatoire de votre vie de maicirctre chasseur et de dictateurraquo (Kourouma 1998 p 10) Ceacutenonciation est celle dun personnage reacutecitant une histoire agrave dautres personnages (et par extension au lecteur) ce type de narration (dialogique) constitue le fondement du reacutecir- Sajoute agrave cette premiegravere narration celle du reacutecit de Koyaga un reacutecit dit laquo purificatoireraquo prenant la forme eacutepique (mettant en scegravene un heacuteros et ses tribulations) et agrave certains endroits la forme de la chronique historique Enchacircsseacutee dans celle du sora cette narration est donneacutee sans distinction soit au passeacute simple soit au preacutesent dit laquoaoristiqueraquo Par exemple le reacutecit des eacuteveacutenements de la vie de Koyaga agrave linteacuterieur dune mecircme page voire dun mecircme paragraphe se deacuteroule agrave la fois au passeacute simple et au preacutesent comme si ces deux temps eacutetaient interchangeables

Quand les tracts sortirent de linconnu et jonchegraverent les trottoirs quand les murs se couvrirent de graffitis se produisirent des collisions entre les deacutescolariseacutes et les forces de lordre [ ] Les armes en bandouliegravere les seaux de peinture agrave la main les farouches commandos paras les lycaons du Preacutesident badigeonnent les murs [ 1 Degraves quils tournent le dos des deacutescolariseacutes foncent sur les murs (Kourouma 1998 p348)

Toutefois contrairement au passeacute simple qui sous-entend que laction est accomplie le preacutesent aoristique laquo exclut toute valeur durative et tout repeacuterage par rapport au moment de leacutenonciation [ ] ce preacutesent ne remplace pas purement et simplement le passeacute simple il le suppleacutee localement agrave des fins stylistiques bien deacutetermineacuteesraquo (Maingueneau 1986 p 47)

Par conseacutequent lorsque Kourouma utilise indistinctement le preacutesent aoristique et le passeacute simple il met en place une eacutenonciation

Cerre narration dialogique peut eacutegalement expliquer du moins en panie leffet de tileacutettralisation que lon peut noter dans 11I (lIclidallllc lole des [(Ies SIII(ltCS

Pour plus de preacutecisioll sur le preacutesent torbtique oir Maingueneau 1986 p ()-

Cest nOLIs qui soulignons

145 H)hriditcgt el JUlJJ ulli( CUIIII1( r (deacutejllifi() dll gCllrc OlIwlI(sqlle

probleacutematique impliquant que certaines actions ne sont pas temporellement deacutefinies et quelles se reacutepegravetent encore au moment de la narration Ainsi une confusion entre la rnirneacutesis et la dieacutegegravesis est volontairement creacuteeacutee rapportant le passeacute et le preacutesent en un lieu commun joignant le reacutecit et le discours dans un mecircme ensembleacute Tous les genres possibles supporteacutes par les temps verbaux (par exemple le conte leacutepopeacutee le theacuteacirctre la chronique) sont fusionneacutes Et agrave cet amalgame de genres sajoutent des hymnes (Kourouma 1998 p 313) des chants traditionnels (1998 p 314) et des priegraveres (1998 p321)

Entrelacs syntaxiques

Les entrelacs syntaxiques dEn attendant le vote des becirctes sauvages mettent eacutegalement en relief lhybriditeacute du roman Un des proceacutedeacutes majeurs utiliseacutes par Kourouma en ce sens est la reacutepeacutetition Attardons-nous d abord aux titres des chapitres lesquels divisent les six veilleacutees du donsornana Chacun de ces titres est un proverbe tireacute des conclusions du sora eacutenonceacutees au chapitre preacuteceacutedent Par exemple le chapitre 1 G se termine par

Le danseur de temps en temps s interrompt pour eacutecouter la chanteuse EacuteCOUlOns nous aussi quelques reacuteflex ions sur le pouvoir Le tambour qui ne punit pas li n crime est un cruchon fegraveleacuteUn roi assied mr son trocircne pendant quun autre se fait tailler e sien ny a pas de mauvais roi mris de mauvais courtisans (Kourouma 1998 p240)

Et le chapitre 17 est titreacute laquo Le tambour qui ne punit pas un crime est un cruchon fecircleacute Ce scheacutema reacutepeacutetitif sera le mecircme pour lensemble du roman soit la reprise du premier proverbe concluant un chapitre pour titrer le suivant Marquant eacutevidemment une volonteacute de continuiteacute agrave linteacuterieur du reacutecit- cette reprise reacutevegravele aussi un deacutesir d entrelacer les diffeacuterents types syntaxiques en substituant agrave lhabiruc eacutenonceacute prosaiumlque (tirre) un proverbe Par ailleurs la juxtaposition d un proverbe et d un eacutenonceacute quelconque agrave linteacuterieur du reacutecit illustre encore plus clairement ces entrelacs syntaxiques

Il sassura dune faccedilon neacutegligente sugraver de sa manigance que Koyaga ava it eacuteteacute expeacutedieacute abarru Lancien sous-officier dIndochine gisait inanimeacute dans le sang il demi couver par deux cadavres La petite vieill e qui nes t pas meacuteticuleuse ramasse dans ses haillons la cendre contenant la braise (Kourou ma 1998 p 1 15- 116)

On peut COl1 sulter 0 ce SUjlmiddott jarticle d e J Bi nswa (2002) alordlt LI ~lI x tposi tiuuml l1 des temps lrhau x dtlll point de Ylie soc iopLlglllatique

Madeleine Iorgolllano (2000) eacutecla ire d e fa~()n int (-ressa nte LI composition spirli ilJue (et non c irc llbire) du 10111111

146 Genel iegravele Lelloine

Dans une entrevue reacutealiseacutee par Yves Chemla (1999) Kourouma souligne avoir beaucoup travailleacute la forme laquoDans le donsomana les gens disent un ou deux proverbes Moi jen ai fait un proceacutedeacute systeacutematiqueraquo (Chemla 1999 p 29) Il note eacutegalement que plusieurs phrases se reacutepegravetent liant et inteacutegrant chaque partie agrave la structure geacuteneacuterale du roman dune faccedilon beaucoup plus serreacutee que dans ses romans preacuteceacutedents Ces reacutepeacutetitions se retrouvent non seulement dans la reacutecurrence deacutenonceacutes preacutecis (contenant toutefois quelques modulations) - par exemple avec la phrase laquoMerci encore merci toujours merci Koyaga [ lraquo (Kourouma 1998 p 70 71 73) - mais aussi dans la forme donneacutee au reacutecit notamment par lintroduction de chacun des chapitres (deacutebutant presque tous par laquoAh Tieacutecoura raquo) ainsi que par leur conclusion (description extradieacutegeacutetique par exemple laquoLe sora arrecircte de conter [ l raquo suivie de trois proverbes) Cette forme geacuteneacuterale reacutepeacutetitive qui semble eacutevoquer une reacuteduplication agrave limage des classifications geacuteneacuteriques (Schaeffer 1986 p 203) met en relief la neacutecessiteacute dune eacutevolution quand diffeacuterents proceacutedeacutes deacutecriture viennent parasiter la forme initiale Pensons entre autres aux apostrophes du sora introduisant les chapitres8 les destinataires subtilement changeacutes au deacutebut des chapitres 5 et 8 alternent agrave partir de la veilleacutee V le sora interpellant Koyaga Macleacutedio ou Tieacutecoura sans distinction Lhabituel laquoAh Tieacutecouraraquo introductif est remplaceacute par exemple par laquoAh Koyagaraquo (Kourouma 1998 p 286) deacutenotant une volonteacute douverture voire deacuteclatement de la forme Notons par ailleurs que le dernier chapitre souvre sur laquoAh Macleacutedio raquo laissant linterpreacutetation des dires du sora agrave une autre personne que celle explicitement viseacutee par le donsomana Leacuteclatement de cette forme reacutepeacutetitive pourrait ainsi reacuteveacuteler une impossible reacuteduplication et meacutetaphoriquement la neacutecessiteacute dun renouvellement du style (voire du genre) par la singulariteacute des eacutecrits

Polyphonie narrative

Les diffeacuterentes voix inscrites dans la narration dEn attendant le vote des becirctes sauvages participent elles aussi au caractegravere proteacuteiforme de ce reacutecit Comme nous lavons noteacute dans lintroduction la reacuteflexion sur cette probleacutematique sinspire de deux articles portant sur la polyphonie ainsi que sur les transformations narratives et eacutenonciatives dans les romans de

KOlls ne nOLIs arrecirc terons ras allx cilritres Olt les destinataires ne sont pas eacuteHlqueacutes considegravernt qlliumlls constituent des exceptions (Kouroullu 1998 r 77 117 eacutet 307)

147 HIhridileacute el pOlphollie comme redeacutejllilioll du gel1re romallesque

Kourouma laquo Narrative voice in Kouroumas Les soleils des indeacutependancesraquo de R Schikora (1982) et laquoMonnegrave outrages et deacutefis agrave la narrationraquo de M Hauser (I994) Laccent sera mis sur trois proceacutedeacutes eacutegalement releveacutes dans ces deux articles la preacutesence simultaneacutee dune narration extradieacutegeacutetique et dune narration intradieacutegeacutetique la fragmentation de la parole et lomnipreacutesence du discours indirect libre

Narration perspectives

laquoVorre nom Koyaga Votre totem faucon Vous ecirctes soldat et preacutesident [ ] Vous Koyaga trocircnez dans le faureuil au centre du cercle Macleacutedio votre ministre de lOrientation est installeacute agrave votre droite Moi Bingo je suis le sararaquo (Kourouma 1998 p 9) Degraves les premiegraveres lignes du roman la situation deacutenonciation souvre sur un laquo je raquo narrateur sadressant agrave un destinataire preacutecis laquovous Koyagaraquo Le narrateur relatant une histoire dont il fait partie est in tradieacutegeacutetique La perspective seacutetablit ainsi agrave partir du monde dun des personnages le lecteur suppose que tout sera axeacute autour dun laquo je raquo initial impliquant un laquovousraquo auditoire ou du moins un laquo tu raquo destinataire Bientocirct il perccediloit une modulation de cette perspective la narration se deacuteplace dune perspective interne vers un point de vue omniscient laquoTieacutecoura tour le monde est reacuteuni Tout est dit [Ajoute votre grain de seL]raquo (1998 p 10) Ce que nous placcedilons entre crochets deacutemontre la preacutesence dun narrateur autre consideacuterant eacutevidemment que le grain de sel serait le sara La bipartition narrative telle quelle apparaicirct dans cet exemple est reacutecurrente notamment dans des fins de chapitre laquo Interrompons-nous nous aussi un court instant pour marquer une pause [Annonce le sora] raquo (1998 p 39) Cette derniegravere phrase que nous placcedilons toujours entre crochets ne peut ecirctre eacutenonceacutee que par un narrateur extradieacutegeacutetique

Aussi eacutemerge freacutequemment dans le reacutecit du sara une perspective omnisciente la narration se deacuteplace dune eacutenonciation dialogique (entre le sara et un des personnages geacuteneacuteralement Koyaga) vers une eacutenonciation sans destinataire preacutecis ougrave le personnage jusquici preacutesenteacute au lecteur comme un laquo tU raquo ou un laquo vousraquo devient un laquo il raquo Prenons ces eacutenonceacutes juxtaposeacutes laquo Loin delle quand ils ne SOnt pas dans la mecircme ville Koyaga teacuteleacutephone agrave la maman

Nous po urrions ajourer que les inrrusions de celle IXlrole exteacuterieure rappellenl la didascdic pllticiplI1t ainsi efTer de rhe hrdis lion sOlll igneacute dans premiegravere panie de Ce Irlmiddotail

148 Geneliegraveoe LelllOille

au moins deux fois par jour en tin de matineacutee et le soir au coucherLes relations entre vous Koyaga et votre maman sont trop eacutetroitesraquo (Kourouma 1998 p 296) La narration se complexifie relatant au sein dune mecircme eacutenonciation une perspective agrave la fois intradieacutegeacutetique et extradieacutegeacutetique Cette fusion de deux perspectives opposeacutees nest pas sans rappeler celle des temps verbaux deacuteveloppeacutee plus haut Mais les innovations narratives de Kourouma ne sarrecirctent pas agrave cette juxtaposition des narrations internes ou externes au reacutecit Elles seacutetendent agrave la fragmentation mecircme de la parole eacutenonciatrice

hagmentation de la parole

La parole du sara outre les intrusions du narrateur exteacuterieur se voit aussi entrecoupeacutee par dautres voix La preacutesence de ces voix dialoguant avec celle du sara est noteacutee de deux faccedilons agrave linteacuterieur du reacutecit soit par la preacutesence de tirets indiquant que la parole provient dun narrateur second soit par les interventions du narrateur exteacuterieur annonccedilant (toujours par la suite) qui est le sujet eacutenonciateur Alors que la preacutesence du tiret indique clairement lexistence dun dialogisme les interventions ponctuelles et non annonceacutees dautres narrateurs produisent un effet dimpreacutecision Prenons par exemple cet extrait

Ah Tieacutecoura Ce nest pas toujours vrai que tous les grands eacuteveacutenements se lisent dans les aurores des jours qui les porteronL Le marin du jour ougrave se tint la confeacuterence de la table ronde de la reacuteconciliation fut aussi plat que le dos dune eacutepouse quon a cesseacute daimer Preacutecise le reacutepondeur (Kourouma 1998 p 113-114)

Alors que le sora amorce le chapitre son discours initialement au preacutesent glisse vers le passeacute simple Ce nest quapregraves le commencement de ce quon croit ecirctre le reacutecit que le narrateur externe informe le lecteur de la provenance de leacutenonceacute Le narrateur de lavant-derniegravere phrase est donc Tieacutecoura personnage auquel le reacutecit semblait jusque-lagrave destineacute En plus decirctre reacutepeacutetitif ce type denchaicircnement complexifie grandement la lecture puisque le seul point de repegravere dans le reacutecit doublement narreacute nest plus la narration du sora mais bien celle du narrateur extradieacutegeacutetique lequel napparaicirct toujours quagrave rebours de leacutenonceacute o

Dans le mecircme ordre dideacutees certains narrateurs interviennent dans le reacutecit du sora par les tirets mais ils demeurent inconnus Kourouma fait

Il pourrait ecirctre inteacuteressant d eacutetablir ic i un parallegravele entre la paro le du narrateur omniscient (souvent au passeacute simple ) parole Cjui est to ujo urs agrave rebo urs par rappo rt aux autres narrations lesCjuelles empruntent une forme dialogique (au preacutesent)

III

149 f1jhridileacute el pUjPhollie cOlllIe ledeacutefilliioll du gellle romallesqlle

parler lors du deacutefileacute soulignant le 30 anniversaire de larriveacutee de Koyaga au pouvoir plus de trois narrateurs le premier eacutenonciateur neacutetant pas identifieacute

Ces t en vain vous restez un roc Les engins de guerre de mort imerminablement se suivenr- Vous co nsacriez trop d argem agrave larmemem beaucoup plus dargem agrave la Deacutefense quaux ministegraveres de la Sallleacute et de lEacuteducation reacuteunisl- Cest faux ce sunt des journalistes malintentionneacutes et menteurs qui font circuler de tell es fausses nouvelles Reacutepond Macl eacutedio (Kourouma 1998 p 338)

Cet eacutenonceacute pourrait vraisemblablement se rapporter agrave Tieacutecoura (le seul ayant le droit dinsulter Koyaga) mais il peut eacutegalement ecirctre le discours dautres personnages preacutesents lors du reacutecit purificatoire Compte tenu de labsence dindications lambiguiumlteacute demeure

Finalement la parole du sora se divise elle-mecircme en deux VOIX

distinctes mais compleacutementaires Une premiegravere voix sadresse agrave Koyaga souvent au laquo je raquo parfois au laquo nous raquo (( Le dankun nous reacuteunit [vous chasseurs et nous griots de chasseurs] raquo (Kourouma 1998 p 31 1)) en sincluant dans le reacutecit comme partie inteacutegrante du monde de Koyaga La seconde impersonnelle sadresse agrave un auditoire afin de linstruire sur diffeacuterentes pratiques malinkeacute ou pour traduire

Je dirai le reacutecit purifi catoire de votre vie de maicirctre chasseur et dictateur Lc reacutecit purifl caw ire est appeleacute en malinkeacute un dOllsornfnrl Ces t une geste Il est dit par un sora accompagneacute par un reacutepondeur cordouel Un curdoua est Ull initeacute en phase purificatOire en phase cathartiquc (1998 p 10)

Ou encore laquo Saluons-le tregraves bas ce tiers cet intrus - un sora ne parle dun heacuteros quapregraves lui avoir rendu un hommage appuyeacute Salut agrave vous [ ] qui ecirctes de la race quon peut tuer sans amoindrir ni supprimerraquo (1998 p 346) On comprend facilement que si le cercle des griots est constitueacute uniquement dAfricains cette voix est dirigeacutee vers lexteacuterieur cest-agrave-dire vers le lecteur Ainsi le reacutecit purificatoire nest pas reacutealiseacute en vase clos mais est ouvert agrave une perception et agrave une interpreacutetation exteacuterieure (le lecteur) impliquant agrave plusieurs endroits que le destinataire nest pas de culture malinkeacute

Le discours indirect libte

Le discours indirect libre cette faccedilon de rapporter les dires d autrui dans son propre discours avec la tonaliteacute du narrateur premier est un proceacutedeacute omnipreacutesent dans En attendant le vote des becirctes sauvages Permettant

150 Geneviegraveve Lemoine

damalgamer la parole dautrui agrave la sienne le discours indirect libre suggegravere - agrave linstar des autres proceacutedeacutes narratifs deacutecrits plus hauts - une polyphonie narrative fragmentant encore plus finement la parole du narrateur Ce type de discours eacutemerge agrave maints endroits dans le reacutecit du sora donnons-en quelques exemples agrave deacutefaut de pouvoir tous les nommer

Les bons pegraveres humainement et chreacutetiennement croyaient avoir ainsi logeacute leurs Noirs conformeacutement agrave leurs coutumes Ils attendaient une chaude reconnaissance lorsque lincroyable nouvelle eacuteclata Ces ingrats de sauvages indigegravenes du Grand Fleuve reacuteclamaient lindeacutependance r1De vrais fous (Kouroumd 1998 p 231)

Ou encore de maniegravere plus subtile le narrateur rapportant le discours de Koyaga laquo Dans le village suivant on vous en offre trois puis ce sont cinq et mecircme sept filles quon vous offre en mariage Cest tropraquo (1998 p 280) Le discours indirect libre peut comme dans cet exemple ecirctre difficile agrave saisir et mener agrave plusieurs interpreacutetations Globalement ce type de discours utiliseacute de maniegravere reacutecurrente constitue un des traits caracteacuteristiques dEn attendant le vote des becirctes sauvages et singularise ainsi leacutecriture de Kourouma par rapport au genre romanesque Le discours indirect libre donne dans le reacutecit mecircme du sora la tonaliteacute des discours dautrui comme si ce narrateur central faisait figure de carrefour pour les voix singuliegraveres des personnages tout en eacutetant lui-mecircme geacutereacute (ou geacuteneacutereacute) par un narrateur omniscient qui lengloberait

Les perspectives adopteacutees par les multiples narrateurs la fragmentation de la parole ainsi que le discours indirect libre deacutenotent sans contredit une polyphonie narrative Cette polyphonie pourrait peut-ecirctre suggeacuterer que comme le note M Borgomano laquo[c]es voix multiples et fluctuantes [ ] transposent au niveau mecircme de la narration cette primauteacute du collectif du social si caracteacuteristique de lAfrique traditionnelleraquo (Borgomano 1998 p 166) Neacuteanmoins nous preacutefeacuterons en rester agrave lideacutee quavant de repreacutesenter ces voix transforment Elles modifient le genre romanesque en deacutefiant les limites de la narration et du dialogue entre autres parce quelles remettent en question la deacutefinition mecircme de laquo communication raquo

La Veilleacutee V du roman est grandement reacuteveacutelatrice en ce quelle expose cie faccedilon reacutecurrente et explicite bon nombre des proceacutedeacutes narratifs visant la polyphonie

151 Hvhriditeacute et pol)phonie cornille redeacutefinitioll du genre rol1lallesqlle

Le donsomana et la volonteacute communicationnelle

Le donsomana comme lexplique le sora constitue une geste cest-agrave-dire un reacutecit eacutepique Le reacutecit eacutepique tel queacutetudieacute par G Lukacirccs dans La theacuteorie du roman (13) implique que les actions du heacuteros seacutetablissent dans un univers clos et unitaire Agrave linverse la quecircte du heacuteros romanesque serait celle dune recherche duniteacute existentielle agrave linteacuterieur dun monde fragmen teacute En attendant le vote des becirctes sauvages sapparente davantage agrave cette deuxiegraveme deacutefinition mettant en scegravene un heacuteros deacutechu devant retrouver son uniteacute (par la purification ainsi que par la recherche de la meacuteteacuteorite et du Coran sacreacute) Ce qui nous inteacuteresse davantage cest ce monde ougrave eacutevolue le heacuteros qui loin decirctre clos est plutocirct permeacuteable aux discours des narrateurs multiples amenant une pleacutethore de perspectives Ainsi agrave linstar du genre romanesque pour Lukacirccs lunivers de Koyaga est fragmenteacute indeacutefinissable et profondeacutement dysfonctionnel 12 Cet univers dysfoncrionnel est donneacutebull

dune parr par la circulariteacute du donsomana -lequel devrait purifier le heacuteros et non en faire lobjet dun eacuteternel recommencement (ltltTant que Koyaga naura pas reacutecupeacutereacute le Coran et la meacuteteacuteorite commenccedilons ou recommenccedilons nous aussi le donsomana purificatoireraquo (Kourouma 1998 p 381)) - dautre part par les multiples fragmentations que le reacutecit subit notamment en ce qui concerne la narration l3bull

Il serait possible de voir dans le donsomana la meacutetaphore de leacutecriture dun roman composeacute dun enchevecirctrement dideacutees et reacutesultant en un meacutetissage ougrave le deacutebut et la fin se rejoignent Et cette mecircme meacutetaphore de leacutecriture agrave plus grande eacutechelle pourrait illustrer le pheacutenomegravene de la communication soit un message (reacutecit) supporteacute par un destinateur (narrateurauteur) et adresseacute agrave un destinataire (Koyagalecteur) communication eacutevidemment dysfonctionnelle dans le roman de Kourouma agrave cause de linstabiliteacute du destinateur et de la continuelle reacuteiteacuteration La narration preacutesenteacutee de divers points de vue est en ce sens grandement repreacutesentative Comme nous lavons abordeacute preacuteceacutedemment le narrateur voit son message laquo parasiteacute raquo par dautres narrations Les diffeacuterentes voix qui

Il serait inteacuteressant de voi r consideacuterant limpo rtance que Lukcs accorde Ci liumlronie commtnt ctttt dysfo nctio n du monde entourant le heacuteros se lie l estheacutetique ironique du rolllan de Kouroum1

Pour des raisons despace nous navons pas abo rdeacute dans cerrt analyse les enchissements de divers reacuteci ts (par exemple hi Veilleacutee III qui porte sur l histoire de Vlacleacutedio) La fragmentation geacuteneacuterale du reacutec it que nous abordons ici comf)()rt e eacutega lement cet aspect malheureusement axnclonneacute

15

152 Geneliegravel e Lellloille

sajoutent produisent des distorsions et brouillent le message menant agrave une essentielle reacutepeacutetition En attendant le vote des becirctes sauvages loin de se clore ou de proposer une fln possible agrave limpasse de Koyaga demeure un reacutecit complegravetement ouvert impliquant un recommencement jusquagrave ce que le message soit efflcace Pour sortir de cette circulariteacute l

dans le reacutecit de Kourouma comme dans lacte communicationnel en geacuteneacuteral une interpreacutetation est primordiale (interpreacutetation qui nest visiblement pas effectueacutee par Koyaga dans le roman) En attendant le vote des becirctes sauvages illustre limportance de linterpreacutetation dun reacutecit interpreacutetation neacutecessaire agrave la survie de lœuvre afin que celle-ci ne senferme pas dans une communication agrave sens unique Non seulement le roman doit ecirctre lu mais son message doit ecirctre eacuteclairci afln de deacutepasser les limites de sa propre trame Par leacutecriture du donsomana Kourouma meacutetaphorise une communication (ou de maniegravere plus restreinte un reacutecit) qui nest pas interpreacuteteacutee et qui doit ecirctre recommenceacutee pour ecirctre efflcace voire pour sinscrire dans lhistoire Et la conclusion ouverte de lœuvre invite agrave cette mecircme interpreacutetation de la part du lecteur afln qu il deacutepasse les limites du roman ne serait-ce que celles du parasitage narratif Bref le reacutecit de Koyaga se deacuteveloppant dans un univers fragmenteacute et dysfonctionnel (agrave limage de son personnage principal) neacutecessite une interpreacutetation pour retrouver son eacutequilibre il doit souvrir et deacutepasser ses propres limites (dont celle du laquo genreraquo qui lui est attribueacute le roman) pour viser agrave une reacutecupeacuteration et agrave une interpreacutetation par un destinataire exteacuterieur

Kourouma et la notion de laquo genre romanesqueraquo

En attendant te vote des becirctes sauvages de Kourouma deacutemonrre clairement lideacutee dune syntheacutetisation des genres Cette synrheacutetisation est supporteacutee par la juxtaposition de multiples genres (conte fable eacutepopeacutee chronique) - englobeacutes sous le terme de laquo roman raquo - et geacuteneacutereacutee par lindistinction entre les diffeacuterents temps verbaux ainsi que par les entrelacs syntaxiques et la reacutepeacutetition Tous ces proceacutedeacutes deacutecriture visent un eacuteclatement geacuteneacuterique eacutegalement soutenu - de faccedilon encore plus eacuteclairante - par les nombreuses voix narratives qui composent le reacutecit Le genre romanesque agrave travers leacutecriture de Kourouma se voit ainsi ouvertement questionneacute et transformeacute

1 Au suiel de la c irculariteacute dTIi (lelldtlllle l ole d es bes Sllllluges conuli er iJ no te de lecture suilIlt l entretien de y(~ Chc ll1la d Ins Y() re ihmirie no 136 p 30-32 insi que leacute tude de ~ Lldel(ine Borgo ll1~ no f)ocirc hOlllIes Ol des l( e lee lire dEn attendant le o te d es ile tls SCIUJgcs d gtlhllwrJl K(JlrtllIlI ll (2000)

153 f-J)hridileacute el po~ph()lie comme recujil7iliol7 dll gelre rOlllalesqlle

Plusieurs theacuteoriciens ont tenteacute de deacutefinir les diffeacuterents laquo genres raquo deacutefinition qui permettrait deacutetablir une classification des œuvres plus adeacutequate que la division initiale - et consideacuterablement remanieacutee -proposeacutee par Aristote et Platon Certaines reacuteflexions portant sur la notion de genre litteacuteraire en arrivent agrave la consideacuterer comme une aporie ]-M Schaeffer note dailleurs que

le deacuteveloppement de la circulation litteacuteraire (ducirc agrave des causes technologiques auss i bien que sociales) au cours des derniers siegravecles a comme conseacutequence une multiplication extrecircme des modegraveles geacuteneacuteriques potentiels en sorte que lactivireacute geacuteneacuterique 1 1 tregraves pousseacutee des tex tes modernes aboutit agrave une relie multiplication geacute neacuterique que les class ification sont tregraves difficiles agrave eacutetablir (Schaeffer 1986 p 202)

Utili~ant davantage le terme de laquo geacuteneacutericiteacuteraquo - impliquant une essentielle transformation geacuteneacuterique - plutocirct que celui de laquo genre litteacuteraire raquo Schaeffer soutient dans cette mecircme eacutetude lideacutee que la multipliciteacute des traits geacuteneacuteriques est le propre des grandes œuvres Parallegravelement dans Les genres litteacuteraires Dominique Combe preacutecise davantage la notion de genre romanesque la reliant avec la conception des romantiques de 1 laquoŒuvre totale laquelle souligne limportance dune transgression et dune synthegravese des divisions geacuteneacuteriques originelles (eacutepique lyrique et dramatique) Finalement certains theacuteoriciens soutiennent la supeacuterioriteacute dune syntheacuterisation geacuteneacuterique redirigeant ainsi les discours cloisonnant les genres vers une dynamique des eacutecrits litteacuteraires l 7

bull

Dans laquo De la litteacuterature comme rransculture raquo ] Semujanga (1999) considegravere que le roman met en place diffeacuterents meacutecanismes deacutecrirure et sourient que celui-ci contient un discours sur le processus mecircme de creacuteation lirreacuteraire et possegravede ainsi des effets directs sur la deacutefinition de genre (ce qui comme nous lavons preacuteceacutedemment releveacute se retrouve dans le roman de Kourouma) En analysant larticulation entre lœuvre (sa singulariteacute) et le

Nous bisons entre autres reacutereacuterence 1 C (~ enette (Ilt)H(raquo qui a revu lorig inell e Irirl rt itio n laussemc nt Iltribueacutee il Aristo te (eacutepique ly riq ue dramatiq ue) considugravelnt les d ilfeacuterents deacutel elo ppelllent s 1trII e rs les eacutepoques et rrorosant par conseacutequent une Ilo lll el le cLi ss ilic ll ion des genre litteacuteraires fo ndugrave sur les recouplments entre les theacutematiques les m odes et les jormes adopteacutees p tr les eacutecrits li II Y a geacuteneacutericit eacute degraves que Li cOllfrontation d un texte 1 son contexte litteacuteraire (IU

sens ~L I lt ) r~ lil surgir en Illigr~ lnc cctte S Or(LO de tratll e- qui lie enst lnhle une cI ~ l sse tex tllelle et p lr r pp0 1 1 Itq uelle le tex te en questi o n seacutecrit so it quil disparisse 1 son tour c1 ])s LI 111111( soit quil LI di middotlorde ou LI deillonte In ~ li s foujo urs soi t sy inleacutegralli oit se lin tegravegrln tl -1 Sc 1 lcfkr 1 9~6 p 20 1) 1- Nous nOLIs reacute fC rons ici ~I 1~ l II(Jlitle d es pcllremiddot dOlls le ()JJall (~ i icfil cie J ~e ll u j l l1 g 1 ( 1)lt)lt)

154 Cenel iegravele Lemaille

genre romanesque lauteur affirme que leacutecriture agrave travers ses motifs reacutecurrents est le lieu deacutenonciation de valeurs qui sintegravegrent plus largement agrave un procegraves axiologique Ces relations transversales entre les diffeacuterentes productions convergent vers cet aspect que Semujanga nomme transculturaliteacute laquelle redeacutefinit le genre comme une varieacuteteacute de motifs qui rend vaine toute tentative de systeacutemisation Les avanceacutees de Semujanga rejoignent lideacutee dune eacutevolution geacuteneacuterique proposeacutee par Schaeffer en suggeacuterant que les genres textuels sont dynamiques de par diverses influences tant litteacuteraires que culturelles tant chronologiques quanachroniques et sous-jacente agrave cette dynamique geacuteneacuterique lideacutee de laquo malleacuteabiliteacute de laquo transinfluence 18 de toute œuvre litteacuteraire

En attendant le vote des becirctes sauvages illustre cette tentative de deacutepassement des limites geacuteneacuteriques non seulement par la manipulation de diffeacuterents genres ou par la transformation fragmentaire de sa narration mais eacutegalement par le discours meacutetaphorique que suggegravere leacutecriture du donsomana sur la construction romanesque comme telle Par un style composite amalgamant plusieurs types de reacutecits mais les surpassant le roman de Kourouma se lie dune faccedilon particuliegravere agrave laquoson genre (reacutepondant dune certaine maniegravere agrave la question poseacutee par J-M Schaffer (1986 p 180)) Illustrant les diffeacuterentes avanceacutees theacuteoriques mentionneacutees ci-haut En attendant le vote des becirctes sauvages pourrait saveacuterer une des multiples repreacutesentations du roman comme laquo meacutetagenreraquo cest-agrave-dire comme lieu de laquo phagocytage de tous les genres et comme repreacutesentation dynamique de [eacutecriture (Semujanga 1999)

Pour conclure

Cette analyse dEn attendant ie vote des becirctes sauvages visait fondamentalement agrave eacuteclairer le caractegravere hybride de ce roman et agrave le relier agrave laquo sonraquo genre soit le genre romanesque Nous avons pu constater comment leacutecriture singuliegravere de Kourouma par les entrelacs syntaxiques et la multipliciteacute des formes quelle soutient sinscrit dans cette conception du roman comme laquo meacutetagenreraquo par son hybriditeacute et son caractegravere syntheacutetique Les diffeacuterentes probleacutematiques inscrites dans leacutenonciation telles la reacutepeacutetition et lutilisation simultaneacutee de temps verbaux opposeacutes IH Nous lIllenons ici ce terme en tenant compte de son utilisation limiteacutee po ur souligner les di vergences conceptll elles entre les theacuteori es de Semujanga et les theacuteories de Genelle Il est noter que Schaeffer a])orcllit eacutegalement cet Ispect en d eacutevelopplI1t le concept cie modulatio n geacuteneacuterique

155 H)hriditeacute et pOJphulie comme redeacuteilitiol du 8elre rollIesque

(passeacutepreacutesent) ont permis dillustrer leacuteclatement de la narration Aussi en approfondissant cet eacuteclatement narratif et geacuteneacuterique en fonction des multiples voix et perspectives inscrites dans la narration principale nous avons deacutemontreacute limportance de la polyphonie narrative du roman de Kourouma et du laquo brouillageraquo narratif qui est creacuteeacute De ce rapprochement a pu eacutemerger la constatation que tout comme une communication entre destinateur et destinataire parasiteacutee par diffeacuterentes perspectives le sens du roman de Kourouma exige une interpreacutetation Ainsi la polyphonie implique une neacutecessaire ouverture de la signification du roman vers ]exteacuterieur invitant neacutecessairement le lecteur agrave ajouter sa voix agrave celle des autres Cimplication de chacun des lecteurs et la polyphonie narrative dans En attendant le vote des becirctes sauvages megravenent donc agrave une reformulation du genre romanesque en fonction non plus de la forme du roman mais des proceacutedeacutes deacutecriture vers une vision davantage ouverte et dynamique de lœuvre romanesque

156 Ceneliegravele Lemoil1e

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Schaeffer Jean-Marie 1986 laquo Du texre au genre raquo dans Genette G et al Theacuteorie des genres Paris Seuil p 179-205

Page 6: AHMADOU KOUROUMAoic.uqam.ca/sites/oic.uqam.ca/files/documents/... · publiera En attendant le vote des bêtes sauvages en 1998 et Allah n'est pas obligé en 2000, pour lequel il gagne

145 H)hriditcgt el JUlJJ ulli( CUIIII1( r (deacutejllifi() dll gCllrc OlIwlI(sqlle

probleacutematique impliquant que certaines actions ne sont pas temporellement deacutefinies et quelles se reacutepegravetent encore au moment de la narration Ainsi une confusion entre la rnirneacutesis et la dieacutegegravesis est volontairement creacuteeacutee rapportant le passeacute et le preacutesent en un lieu commun joignant le reacutecit et le discours dans un mecircme ensembleacute Tous les genres possibles supporteacutes par les temps verbaux (par exemple le conte leacutepopeacutee le theacuteacirctre la chronique) sont fusionneacutes Et agrave cet amalgame de genres sajoutent des hymnes (Kourouma 1998 p 313) des chants traditionnels (1998 p 314) et des priegraveres (1998 p321)

Entrelacs syntaxiques

Les entrelacs syntaxiques dEn attendant le vote des becirctes sauvages mettent eacutegalement en relief lhybriditeacute du roman Un des proceacutedeacutes majeurs utiliseacutes par Kourouma en ce sens est la reacutepeacutetition Attardons-nous d abord aux titres des chapitres lesquels divisent les six veilleacutees du donsornana Chacun de ces titres est un proverbe tireacute des conclusions du sora eacutenonceacutees au chapitre preacuteceacutedent Par exemple le chapitre 1 G se termine par

Le danseur de temps en temps s interrompt pour eacutecouter la chanteuse EacuteCOUlOns nous aussi quelques reacuteflex ions sur le pouvoir Le tambour qui ne punit pas li n crime est un cruchon fegraveleacuteUn roi assied mr son trocircne pendant quun autre se fait tailler e sien ny a pas de mauvais roi mris de mauvais courtisans (Kourouma 1998 p240)

Et le chapitre 17 est titreacute laquo Le tambour qui ne punit pas un crime est un cruchon fecircleacute Ce scheacutema reacutepeacutetitif sera le mecircme pour lensemble du roman soit la reprise du premier proverbe concluant un chapitre pour titrer le suivant Marquant eacutevidemment une volonteacute de continuiteacute agrave linteacuterieur du reacutecit- cette reprise reacutevegravele aussi un deacutesir d entrelacer les diffeacuterents types syntaxiques en substituant agrave lhabiruc eacutenonceacute prosaiumlque (tirre) un proverbe Par ailleurs la juxtaposition d un proverbe et d un eacutenonceacute quelconque agrave linteacuterieur du reacutecit illustre encore plus clairement ces entrelacs syntaxiques

Il sassura dune faccedilon neacutegligente sugraver de sa manigance que Koyaga ava it eacuteteacute expeacutedieacute abarru Lancien sous-officier dIndochine gisait inanimeacute dans le sang il demi couver par deux cadavres La petite vieill e qui nes t pas meacuteticuleuse ramasse dans ses haillons la cendre contenant la braise (Kourou ma 1998 p 1 15- 116)

On peut COl1 sulter 0 ce SUjlmiddott jarticle d e J Bi nswa (2002) alordlt LI ~lI x tposi tiuuml l1 des temps lrhau x dtlll point de Ylie soc iopLlglllatique

Madeleine Iorgolllano (2000) eacutecla ire d e fa~()n int (-ressa nte LI composition spirli ilJue (et non c irc llbire) du 10111111

146 Genel iegravele Lelloine

Dans une entrevue reacutealiseacutee par Yves Chemla (1999) Kourouma souligne avoir beaucoup travailleacute la forme laquoDans le donsomana les gens disent un ou deux proverbes Moi jen ai fait un proceacutedeacute systeacutematiqueraquo (Chemla 1999 p 29) Il note eacutegalement que plusieurs phrases se reacutepegravetent liant et inteacutegrant chaque partie agrave la structure geacuteneacuterale du roman dune faccedilon beaucoup plus serreacutee que dans ses romans preacuteceacutedents Ces reacutepeacutetitions se retrouvent non seulement dans la reacutecurrence deacutenonceacutes preacutecis (contenant toutefois quelques modulations) - par exemple avec la phrase laquoMerci encore merci toujours merci Koyaga [ lraquo (Kourouma 1998 p 70 71 73) - mais aussi dans la forme donneacutee au reacutecit notamment par lintroduction de chacun des chapitres (deacutebutant presque tous par laquoAh Tieacutecoura raquo) ainsi que par leur conclusion (description extradieacutegeacutetique par exemple laquoLe sora arrecircte de conter [ l raquo suivie de trois proverbes) Cette forme geacuteneacuterale reacutepeacutetitive qui semble eacutevoquer une reacuteduplication agrave limage des classifications geacuteneacuteriques (Schaeffer 1986 p 203) met en relief la neacutecessiteacute dune eacutevolution quand diffeacuterents proceacutedeacutes deacutecriture viennent parasiter la forme initiale Pensons entre autres aux apostrophes du sora introduisant les chapitres8 les destinataires subtilement changeacutes au deacutebut des chapitres 5 et 8 alternent agrave partir de la veilleacutee V le sora interpellant Koyaga Macleacutedio ou Tieacutecoura sans distinction Lhabituel laquoAh Tieacutecouraraquo introductif est remplaceacute par exemple par laquoAh Koyagaraquo (Kourouma 1998 p 286) deacutenotant une volonteacute douverture voire deacuteclatement de la forme Notons par ailleurs que le dernier chapitre souvre sur laquoAh Macleacutedio raquo laissant linterpreacutetation des dires du sora agrave une autre personne que celle explicitement viseacutee par le donsomana Leacuteclatement de cette forme reacutepeacutetitive pourrait ainsi reacuteveacuteler une impossible reacuteduplication et meacutetaphoriquement la neacutecessiteacute dun renouvellement du style (voire du genre) par la singulariteacute des eacutecrits

Polyphonie narrative

Les diffeacuterentes voix inscrites dans la narration dEn attendant le vote des becirctes sauvages participent elles aussi au caractegravere proteacuteiforme de ce reacutecit Comme nous lavons noteacute dans lintroduction la reacuteflexion sur cette probleacutematique sinspire de deux articles portant sur la polyphonie ainsi que sur les transformations narratives et eacutenonciatives dans les romans de

KOlls ne nOLIs arrecirc terons ras allx cilritres Olt les destinataires ne sont pas eacuteHlqueacutes considegravernt qlliumlls constituent des exceptions (Kouroullu 1998 r 77 117 eacutet 307)

147 HIhridileacute el pOlphollie comme redeacutejllilioll du gel1re romallesque

Kourouma laquo Narrative voice in Kouroumas Les soleils des indeacutependancesraquo de R Schikora (1982) et laquoMonnegrave outrages et deacutefis agrave la narrationraquo de M Hauser (I994) Laccent sera mis sur trois proceacutedeacutes eacutegalement releveacutes dans ces deux articles la preacutesence simultaneacutee dune narration extradieacutegeacutetique et dune narration intradieacutegeacutetique la fragmentation de la parole et lomnipreacutesence du discours indirect libre

Narration perspectives

laquoVorre nom Koyaga Votre totem faucon Vous ecirctes soldat et preacutesident [ ] Vous Koyaga trocircnez dans le faureuil au centre du cercle Macleacutedio votre ministre de lOrientation est installeacute agrave votre droite Moi Bingo je suis le sararaquo (Kourouma 1998 p 9) Degraves les premiegraveres lignes du roman la situation deacutenonciation souvre sur un laquo je raquo narrateur sadressant agrave un destinataire preacutecis laquovous Koyagaraquo Le narrateur relatant une histoire dont il fait partie est in tradieacutegeacutetique La perspective seacutetablit ainsi agrave partir du monde dun des personnages le lecteur suppose que tout sera axeacute autour dun laquo je raquo initial impliquant un laquovousraquo auditoire ou du moins un laquo tu raquo destinataire Bientocirct il perccediloit une modulation de cette perspective la narration se deacuteplace dune perspective interne vers un point de vue omniscient laquoTieacutecoura tour le monde est reacuteuni Tout est dit [Ajoute votre grain de seL]raquo (1998 p 10) Ce que nous placcedilons entre crochets deacutemontre la preacutesence dun narrateur autre consideacuterant eacutevidemment que le grain de sel serait le sara La bipartition narrative telle quelle apparaicirct dans cet exemple est reacutecurrente notamment dans des fins de chapitre laquo Interrompons-nous nous aussi un court instant pour marquer une pause [Annonce le sora] raquo (1998 p 39) Cette derniegravere phrase que nous placcedilons toujours entre crochets ne peut ecirctre eacutenonceacutee que par un narrateur extradieacutegeacutetique

Aussi eacutemerge freacutequemment dans le reacutecit du sara une perspective omnisciente la narration se deacuteplace dune eacutenonciation dialogique (entre le sara et un des personnages geacuteneacuteralement Koyaga) vers une eacutenonciation sans destinataire preacutecis ougrave le personnage jusquici preacutesenteacute au lecteur comme un laquo tU raquo ou un laquo vousraquo devient un laquo il raquo Prenons ces eacutenonceacutes juxtaposeacutes laquo Loin delle quand ils ne SOnt pas dans la mecircme ville Koyaga teacuteleacutephone agrave la maman

Nous po urrions ajourer que les inrrusions de celle IXlrole exteacuterieure rappellenl la didascdic pllticiplI1t ainsi efTer de rhe hrdis lion sOlll igneacute dans premiegravere panie de Ce Irlmiddotail

148 Geneliegraveoe LelllOille

au moins deux fois par jour en tin de matineacutee et le soir au coucherLes relations entre vous Koyaga et votre maman sont trop eacutetroitesraquo (Kourouma 1998 p 296) La narration se complexifie relatant au sein dune mecircme eacutenonciation une perspective agrave la fois intradieacutegeacutetique et extradieacutegeacutetique Cette fusion de deux perspectives opposeacutees nest pas sans rappeler celle des temps verbaux deacuteveloppeacutee plus haut Mais les innovations narratives de Kourouma ne sarrecirctent pas agrave cette juxtaposition des narrations internes ou externes au reacutecit Elles seacutetendent agrave la fragmentation mecircme de la parole eacutenonciatrice

hagmentation de la parole

La parole du sara outre les intrusions du narrateur exteacuterieur se voit aussi entrecoupeacutee par dautres voix La preacutesence de ces voix dialoguant avec celle du sara est noteacutee de deux faccedilons agrave linteacuterieur du reacutecit soit par la preacutesence de tirets indiquant que la parole provient dun narrateur second soit par les interventions du narrateur exteacuterieur annonccedilant (toujours par la suite) qui est le sujet eacutenonciateur Alors que la preacutesence du tiret indique clairement lexistence dun dialogisme les interventions ponctuelles et non annonceacutees dautres narrateurs produisent un effet dimpreacutecision Prenons par exemple cet extrait

Ah Tieacutecoura Ce nest pas toujours vrai que tous les grands eacuteveacutenements se lisent dans les aurores des jours qui les porteronL Le marin du jour ougrave se tint la confeacuterence de la table ronde de la reacuteconciliation fut aussi plat que le dos dune eacutepouse quon a cesseacute daimer Preacutecise le reacutepondeur (Kourouma 1998 p 113-114)

Alors que le sora amorce le chapitre son discours initialement au preacutesent glisse vers le passeacute simple Ce nest quapregraves le commencement de ce quon croit ecirctre le reacutecit que le narrateur externe informe le lecteur de la provenance de leacutenonceacute Le narrateur de lavant-derniegravere phrase est donc Tieacutecoura personnage auquel le reacutecit semblait jusque-lagrave destineacute En plus decirctre reacutepeacutetitif ce type denchaicircnement complexifie grandement la lecture puisque le seul point de repegravere dans le reacutecit doublement narreacute nest plus la narration du sora mais bien celle du narrateur extradieacutegeacutetique lequel napparaicirct toujours quagrave rebours de leacutenonceacute o

Dans le mecircme ordre dideacutees certains narrateurs interviennent dans le reacutecit du sora par les tirets mais ils demeurent inconnus Kourouma fait

Il pourrait ecirctre inteacuteressant d eacutetablir ic i un parallegravele entre la paro le du narrateur omniscient (souvent au passeacute simple ) parole Cjui est to ujo urs agrave rebo urs par rappo rt aux autres narrations lesCjuelles empruntent une forme dialogique (au preacutesent)

III

149 f1jhridileacute el pUjPhollie cOlllIe ledeacutefilliioll du gellle romallesqlle

parler lors du deacutefileacute soulignant le 30 anniversaire de larriveacutee de Koyaga au pouvoir plus de trois narrateurs le premier eacutenonciateur neacutetant pas identifieacute

Ces t en vain vous restez un roc Les engins de guerre de mort imerminablement se suivenr- Vous co nsacriez trop d argem agrave larmemem beaucoup plus dargem agrave la Deacutefense quaux ministegraveres de la Sallleacute et de lEacuteducation reacuteunisl- Cest faux ce sunt des journalistes malintentionneacutes et menteurs qui font circuler de tell es fausses nouvelles Reacutepond Macl eacutedio (Kourouma 1998 p 338)

Cet eacutenonceacute pourrait vraisemblablement se rapporter agrave Tieacutecoura (le seul ayant le droit dinsulter Koyaga) mais il peut eacutegalement ecirctre le discours dautres personnages preacutesents lors du reacutecit purificatoire Compte tenu de labsence dindications lambiguiumlteacute demeure

Finalement la parole du sora se divise elle-mecircme en deux VOIX

distinctes mais compleacutementaires Une premiegravere voix sadresse agrave Koyaga souvent au laquo je raquo parfois au laquo nous raquo (( Le dankun nous reacuteunit [vous chasseurs et nous griots de chasseurs] raquo (Kourouma 1998 p 31 1)) en sincluant dans le reacutecit comme partie inteacutegrante du monde de Koyaga La seconde impersonnelle sadresse agrave un auditoire afin de linstruire sur diffeacuterentes pratiques malinkeacute ou pour traduire

Je dirai le reacutecit purifi catoire de votre vie de maicirctre chasseur et dictateur Lc reacutecit purifl caw ire est appeleacute en malinkeacute un dOllsornfnrl Ces t une geste Il est dit par un sora accompagneacute par un reacutepondeur cordouel Un curdoua est Ull initeacute en phase purificatOire en phase cathartiquc (1998 p 10)

Ou encore laquo Saluons-le tregraves bas ce tiers cet intrus - un sora ne parle dun heacuteros quapregraves lui avoir rendu un hommage appuyeacute Salut agrave vous [ ] qui ecirctes de la race quon peut tuer sans amoindrir ni supprimerraquo (1998 p 346) On comprend facilement que si le cercle des griots est constitueacute uniquement dAfricains cette voix est dirigeacutee vers lexteacuterieur cest-agrave-dire vers le lecteur Ainsi le reacutecit purificatoire nest pas reacutealiseacute en vase clos mais est ouvert agrave une perception et agrave une interpreacutetation exteacuterieure (le lecteur) impliquant agrave plusieurs endroits que le destinataire nest pas de culture malinkeacute

Le discours indirect libte

Le discours indirect libre cette faccedilon de rapporter les dires d autrui dans son propre discours avec la tonaliteacute du narrateur premier est un proceacutedeacute omnipreacutesent dans En attendant le vote des becirctes sauvages Permettant

150 Geneviegraveve Lemoine

damalgamer la parole dautrui agrave la sienne le discours indirect libre suggegravere - agrave linstar des autres proceacutedeacutes narratifs deacutecrits plus hauts - une polyphonie narrative fragmentant encore plus finement la parole du narrateur Ce type de discours eacutemerge agrave maints endroits dans le reacutecit du sora donnons-en quelques exemples agrave deacutefaut de pouvoir tous les nommer

Les bons pegraveres humainement et chreacutetiennement croyaient avoir ainsi logeacute leurs Noirs conformeacutement agrave leurs coutumes Ils attendaient une chaude reconnaissance lorsque lincroyable nouvelle eacuteclata Ces ingrats de sauvages indigegravenes du Grand Fleuve reacuteclamaient lindeacutependance r1De vrais fous (Kouroumd 1998 p 231)

Ou encore de maniegravere plus subtile le narrateur rapportant le discours de Koyaga laquo Dans le village suivant on vous en offre trois puis ce sont cinq et mecircme sept filles quon vous offre en mariage Cest tropraquo (1998 p 280) Le discours indirect libre peut comme dans cet exemple ecirctre difficile agrave saisir et mener agrave plusieurs interpreacutetations Globalement ce type de discours utiliseacute de maniegravere reacutecurrente constitue un des traits caracteacuteristiques dEn attendant le vote des becirctes sauvages et singularise ainsi leacutecriture de Kourouma par rapport au genre romanesque Le discours indirect libre donne dans le reacutecit mecircme du sora la tonaliteacute des discours dautrui comme si ce narrateur central faisait figure de carrefour pour les voix singuliegraveres des personnages tout en eacutetant lui-mecircme geacutereacute (ou geacuteneacutereacute) par un narrateur omniscient qui lengloberait

Les perspectives adopteacutees par les multiples narrateurs la fragmentation de la parole ainsi que le discours indirect libre deacutenotent sans contredit une polyphonie narrative Cette polyphonie pourrait peut-ecirctre suggeacuterer que comme le note M Borgomano laquo[c]es voix multiples et fluctuantes [ ] transposent au niveau mecircme de la narration cette primauteacute du collectif du social si caracteacuteristique de lAfrique traditionnelleraquo (Borgomano 1998 p 166) Neacuteanmoins nous preacutefeacuterons en rester agrave lideacutee quavant de repreacutesenter ces voix transforment Elles modifient le genre romanesque en deacutefiant les limites de la narration et du dialogue entre autres parce quelles remettent en question la deacutefinition mecircme de laquo communication raquo

La Veilleacutee V du roman est grandement reacuteveacutelatrice en ce quelle expose cie faccedilon reacutecurrente et explicite bon nombre des proceacutedeacutes narratifs visant la polyphonie

151 Hvhriditeacute et pol)phonie cornille redeacutefinitioll du genre rol1lallesqlle

Le donsomana et la volonteacute communicationnelle

Le donsomana comme lexplique le sora constitue une geste cest-agrave-dire un reacutecit eacutepique Le reacutecit eacutepique tel queacutetudieacute par G Lukacirccs dans La theacuteorie du roman (13) implique que les actions du heacuteros seacutetablissent dans un univers clos et unitaire Agrave linverse la quecircte du heacuteros romanesque serait celle dune recherche duniteacute existentielle agrave linteacuterieur dun monde fragmen teacute En attendant le vote des becirctes sauvages sapparente davantage agrave cette deuxiegraveme deacutefinition mettant en scegravene un heacuteros deacutechu devant retrouver son uniteacute (par la purification ainsi que par la recherche de la meacuteteacuteorite et du Coran sacreacute) Ce qui nous inteacuteresse davantage cest ce monde ougrave eacutevolue le heacuteros qui loin decirctre clos est plutocirct permeacuteable aux discours des narrateurs multiples amenant une pleacutethore de perspectives Ainsi agrave linstar du genre romanesque pour Lukacirccs lunivers de Koyaga est fragmenteacute indeacutefinissable et profondeacutement dysfonctionnel 12 Cet univers dysfoncrionnel est donneacutebull

dune parr par la circulariteacute du donsomana -lequel devrait purifier le heacuteros et non en faire lobjet dun eacuteternel recommencement (ltltTant que Koyaga naura pas reacutecupeacutereacute le Coran et la meacuteteacuteorite commenccedilons ou recommenccedilons nous aussi le donsomana purificatoireraquo (Kourouma 1998 p 381)) - dautre part par les multiples fragmentations que le reacutecit subit notamment en ce qui concerne la narration l3bull

Il serait possible de voir dans le donsomana la meacutetaphore de leacutecriture dun roman composeacute dun enchevecirctrement dideacutees et reacutesultant en un meacutetissage ougrave le deacutebut et la fin se rejoignent Et cette mecircme meacutetaphore de leacutecriture agrave plus grande eacutechelle pourrait illustrer le pheacutenomegravene de la communication soit un message (reacutecit) supporteacute par un destinateur (narrateurauteur) et adresseacute agrave un destinataire (Koyagalecteur) communication eacutevidemment dysfonctionnelle dans le roman de Kourouma agrave cause de linstabiliteacute du destinateur et de la continuelle reacuteiteacuteration La narration preacutesenteacutee de divers points de vue est en ce sens grandement repreacutesentative Comme nous lavons abordeacute preacuteceacutedemment le narrateur voit son message laquo parasiteacute raquo par dautres narrations Les diffeacuterentes voix qui

Il serait inteacuteressant de voi r consideacuterant limpo rtance que Lukcs accorde Ci liumlronie commtnt ctttt dysfo nctio n du monde entourant le heacuteros se lie l estheacutetique ironique du rolllan de Kouroum1

Pour des raisons despace nous navons pas abo rdeacute dans cerrt analyse les enchissements de divers reacuteci ts (par exemple hi Veilleacutee III qui porte sur l histoire de Vlacleacutedio) La fragmentation geacuteneacuterale du reacutec it que nous abordons ici comf)()rt e eacutega lement cet aspect malheureusement axnclonneacute

15

152 Geneliegravel e Lellloille

sajoutent produisent des distorsions et brouillent le message menant agrave une essentielle reacutepeacutetition En attendant le vote des becirctes sauvages loin de se clore ou de proposer une fln possible agrave limpasse de Koyaga demeure un reacutecit complegravetement ouvert impliquant un recommencement jusquagrave ce que le message soit efflcace Pour sortir de cette circulariteacute l

dans le reacutecit de Kourouma comme dans lacte communicationnel en geacuteneacuteral une interpreacutetation est primordiale (interpreacutetation qui nest visiblement pas effectueacutee par Koyaga dans le roman) En attendant le vote des becirctes sauvages illustre limportance de linterpreacutetation dun reacutecit interpreacutetation neacutecessaire agrave la survie de lœuvre afin que celle-ci ne senferme pas dans une communication agrave sens unique Non seulement le roman doit ecirctre lu mais son message doit ecirctre eacuteclairci afln de deacutepasser les limites de sa propre trame Par leacutecriture du donsomana Kourouma meacutetaphorise une communication (ou de maniegravere plus restreinte un reacutecit) qui nest pas interpreacuteteacutee et qui doit ecirctre recommenceacutee pour ecirctre efflcace voire pour sinscrire dans lhistoire Et la conclusion ouverte de lœuvre invite agrave cette mecircme interpreacutetation de la part du lecteur afln qu il deacutepasse les limites du roman ne serait-ce que celles du parasitage narratif Bref le reacutecit de Koyaga se deacuteveloppant dans un univers fragmenteacute et dysfonctionnel (agrave limage de son personnage principal) neacutecessite une interpreacutetation pour retrouver son eacutequilibre il doit souvrir et deacutepasser ses propres limites (dont celle du laquo genreraquo qui lui est attribueacute le roman) pour viser agrave une reacutecupeacuteration et agrave une interpreacutetation par un destinataire exteacuterieur

Kourouma et la notion de laquo genre romanesqueraquo

En attendant te vote des becirctes sauvages de Kourouma deacutemonrre clairement lideacutee dune syntheacutetisation des genres Cette synrheacutetisation est supporteacutee par la juxtaposition de multiples genres (conte fable eacutepopeacutee chronique) - englobeacutes sous le terme de laquo roman raquo - et geacuteneacutereacutee par lindistinction entre les diffeacuterents temps verbaux ainsi que par les entrelacs syntaxiques et la reacutepeacutetition Tous ces proceacutedeacutes deacutecriture visent un eacuteclatement geacuteneacuterique eacutegalement soutenu - de faccedilon encore plus eacuteclairante - par les nombreuses voix narratives qui composent le reacutecit Le genre romanesque agrave travers leacutecriture de Kourouma se voit ainsi ouvertement questionneacute et transformeacute

1 Au suiel de la c irculariteacute dTIi (lelldtlllle l ole d es bes Sllllluges conuli er iJ no te de lecture suilIlt l entretien de y(~ Chc ll1la d Ins Y() re ihmirie no 136 p 30-32 insi que leacute tude de ~ Lldel(ine Borgo ll1~ no f)ocirc hOlllIes Ol des l( e lee lire dEn attendant le o te d es ile tls SCIUJgcs d gtlhllwrJl K(JlrtllIlI ll (2000)

153 f-J)hridileacute el po~ph()lie comme recujil7iliol7 dll gelre rOlllalesqlle

Plusieurs theacuteoriciens ont tenteacute de deacutefinir les diffeacuterents laquo genres raquo deacutefinition qui permettrait deacutetablir une classification des œuvres plus adeacutequate que la division initiale - et consideacuterablement remanieacutee -proposeacutee par Aristote et Platon Certaines reacuteflexions portant sur la notion de genre litteacuteraire en arrivent agrave la consideacuterer comme une aporie ]-M Schaeffer note dailleurs que

le deacuteveloppement de la circulation litteacuteraire (ducirc agrave des causes technologiques auss i bien que sociales) au cours des derniers siegravecles a comme conseacutequence une multiplication extrecircme des modegraveles geacuteneacuteriques potentiels en sorte que lactivireacute geacuteneacuterique 1 1 tregraves pousseacutee des tex tes modernes aboutit agrave une relie multiplication geacute neacuterique que les class ification sont tregraves difficiles agrave eacutetablir (Schaeffer 1986 p 202)

Utili~ant davantage le terme de laquo geacuteneacutericiteacuteraquo - impliquant une essentielle transformation geacuteneacuterique - plutocirct que celui de laquo genre litteacuteraire raquo Schaeffer soutient dans cette mecircme eacutetude lideacutee que la multipliciteacute des traits geacuteneacuteriques est le propre des grandes œuvres Parallegravelement dans Les genres litteacuteraires Dominique Combe preacutecise davantage la notion de genre romanesque la reliant avec la conception des romantiques de 1 laquoŒuvre totale laquelle souligne limportance dune transgression et dune synthegravese des divisions geacuteneacuteriques originelles (eacutepique lyrique et dramatique) Finalement certains theacuteoriciens soutiennent la supeacuterioriteacute dune syntheacuterisation geacuteneacuterique redirigeant ainsi les discours cloisonnant les genres vers une dynamique des eacutecrits litteacuteraires l 7

bull

Dans laquo De la litteacuterature comme rransculture raquo ] Semujanga (1999) considegravere que le roman met en place diffeacuterents meacutecanismes deacutecrirure et sourient que celui-ci contient un discours sur le processus mecircme de creacuteation lirreacuteraire et possegravede ainsi des effets directs sur la deacutefinition de genre (ce qui comme nous lavons preacuteceacutedemment releveacute se retrouve dans le roman de Kourouma) En analysant larticulation entre lœuvre (sa singulariteacute) et le

Nous bisons entre autres reacutereacuterence 1 C (~ enette (Ilt)H(raquo qui a revu lorig inell e Irirl rt itio n laussemc nt Iltribueacutee il Aristo te (eacutepique ly riq ue dramatiq ue) considugravelnt les d ilfeacuterents deacutel elo ppelllent s 1trII e rs les eacutepoques et rrorosant par conseacutequent une Ilo lll el le cLi ss ilic ll ion des genre litteacuteraires fo ndugrave sur les recouplments entre les theacutematiques les m odes et les jormes adopteacutees p tr les eacutecrits li II Y a geacuteneacutericit eacute degraves que Li cOllfrontation d un texte 1 son contexte litteacuteraire (IU

sens ~L I lt ) r~ lil surgir en Illigr~ lnc cctte S Or(LO de tratll e- qui lie enst lnhle une cI ~ l sse tex tllelle et p lr r pp0 1 1 Itq uelle le tex te en questi o n seacutecrit so it quil disparisse 1 son tour c1 ])s LI 111111( soit quil LI di middotlorde ou LI deillonte In ~ li s foujo urs soi t sy inleacutegralli oit se lin tegravegrln tl -1 Sc 1 lcfkr 1 9~6 p 20 1) 1- Nous nOLIs reacute fC rons ici ~I 1~ l II(Jlitle d es pcllremiddot dOlls le ()JJall (~ i icfil cie J ~e ll u j l l1 g 1 ( 1)lt)lt)

154 Cenel iegravele Lemaille

genre romanesque lauteur affirme que leacutecriture agrave travers ses motifs reacutecurrents est le lieu deacutenonciation de valeurs qui sintegravegrent plus largement agrave un procegraves axiologique Ces relations transversales entre les diffeacuterentes productions convergent vers cet aspect que Semujanga nomme transculturaliteacute laquelle redeacutefinit le genre comme une varieacuteteacute de motifs qui rend vaine toute tentative de systeacutemisation Les avanceacutees de Semujanga rejoignent lideacutee dune eacutevolution geacuteneacuterique proposeacutee par Schaeffer en suggeacuterant que les genres textuels sont dynamiques de par diverses influences tant litteacuteraires que culturelles tant chronologiques quanachroniques et sous-jacente agrave cette dynamique geacuteneacuterique lideacutee de laquo malleacuteabiliteacute de laquo transinfluence 18 de toute œuvre litteacuteraire

En attendant le vote des becirctes sauvages illustre cette tentative de deacutepassement des limites geacuteneacuteriques non seulement par la manipulation de diffeacuterents genres ou par la transformation fragmentaire de sa narration mais eacutegalement par le discours meacutetaphorique que suggegravere leacutecriture du donsomana sur la construction romanesque comme telle Par un style composite amalgamant plusieurs types de reacutecits mais les surpassant le roman de Kourouma se lie dune faccedilon particuliegravere agrave laquoson genre (reacutepondant dune certaine maniegravere agrave la question poseacutee par J-M Schaffer (1986 p 180)) Illustrant les diffeacuterentes avanceacutees theacuteoriques mentionneacutees ci-haut En attendant le vote des becirctes sauvages pourrait saveacuterer une des multiples repreacutesentations du roman comme laquo meacutetagenreraquo cest-agrave-dire comme lieu de laquo phagocytage de tous les genres et comme repreacutesentation dynamique de [eacutecriture (Semujanga 1999)

Pour conclure

Cette analyse dEn attendant ie vote des becirctes sauvages visait fondamentalement agrave eacuteclairer le caractegravere hybride de ce roman et agrave le relier agrave laquo sonraquo genre soit le genre romanesque Nous avons pu constater comment leacutecriture singuliegravere de Kourouma par les entrelacs syntaxiques et la multipliciteacute des formes quelle soutient sinscrit dans cette conception du roman comme laquo meacutetagenreraquo par son hybriditeacute et son caractegravere syntheacutetique Les diffeacuterentes probleacutematiques inscrites dans leacutenonciation telles la reacutepeacutetition et lutilisation simultaneacutee de temps verbaux opposeacutes IH Nous lIllenons ici ce terme en tenant compte de son utilisation limiteacutee po ur souligner les di vergences conceptll elles entre les theacuteori es de Semujanga et les theacuteories de Genelle Il est noter que Schaeffer a])orcllit eacutegalement cet Ispect en d eacutevelopplI1t le concept cie modulatio n geacuteneacuterique

155 H)hriditeacute et pOJphulie comme redeacuteilitiol du 8elre rollIesque

(passeacutepreacutesent) ont permis dillustrer leacuteclatement de la narration Aussi en approfondissant cet eacuteclatement narratif et geacuteneacuterique en fonction des multiples voix et perspectives inscrites dans la narration principale nous avons deacutemontreacute limportance de la polyphonie narrative du roman de Kourouma et du laquo brouillageraquo narratif qui est creacuteeacute De ce rapprochement a pu eacutemerger la constatation que tout comme une communication entre destinateur et destinataire parasiteacutee par diffeacuterentes perspectives le sens du roman de Kourouma exige une interpreacutetation Ainsi la polyphonie implique une neacutecessaire ouverture de la signification du roman vers ]exteacuterieur invitant neacutecessairement le lecteur agrave ajouter sa voix agrave celle des autres Cimplication de chacun des lecteurs et la polyphonie narrative dans En attendant le vote des becirctes sauvages megravenent donc agrave une reformulation du genre romanesque en fonction non plus de la forme du roman mais des proceacutedeacutes deacutecriture vers une vision davantage ouverte et dynamique de lœuvre romanesque

156 Ceneliegravele Lemoil1e

Bibliographie

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Schaeffer Jean-Marie 1986 laquo Du texre au genre raquo dans Genette G et al Theacuteorie des genres Paris Seuil p 179-205

Page 7: AHMADOU KOUROUMAoic.uqam.ca/sites/oic.uqam.ca/files/documents/... · publiera En attendant le vote des bêtes sauvages en 1998 et Allah n'est pas obligé en 2000, pour lequel il gagne

146 Genel iegravele Lelloine

Dans une entrevue reacutealiseacutee par Yves Chemla (1999) Kourouma souligne avoir beaucoup travailleacute la forme laquoDans le donsomana les gens disent un ou deux proverbes Moi jen ai fait un proceacutedeacute systeacutematiqueraquo (Chemla 1999 p 29) Il note eacutegalement que plusieurs phrases se reacutepegravetent liant et inteacutegrant chaque partie agrave la structure geacuteneacuterale du roman dune faccedilon beaucoup plus serreacutee que dans ses romans preacuteceacutedents Ces reacutepeacutetitions se retrouvent non seulement dans la reacutecurrence deacutenonceacutes preacutecis (contenant toutefois quelques modulations) - par exemple avec la phrase laquoMerci encore merci toujours merci Koyaga [ lraquo (Kourouma 1998 p 70 71 73) - mais aussi dans la forme donneacutee au reacutecit notamment par lintroduction de chacun des chapitres (deacutebutant presque tous par laquoAh Tieacutecoura raquo) ainsi que par leur conclusion (description extradieacutegeacutetique par exemple laquoLe sora arrecircte de conter [ l raquo suivie de trois proverbes) Cette forme geacuteneacuterale reacutepeacutetitive qui semble eacutevoquer une reacuteduplication agrave limage des classifications geacuteneacuteriques (Schaeffer 1986 p 203) met en relief la neacutecessiteacute dune eacutevolution quand diffeacuterents proceacutedeacutes deacutecriture viennent parasiter la forme initiale Pensons entre autres aux apostrophes du sora introduisant les chapitres8 les destinataires subtilement changeacutes au deacutebut des chapitres 5 et 8 alternent agrave partir de la veilleacutee V le sora interpellant Koyaga Macleacutedio ou Tieacutecoura sans distinction Lhabituel laquoAh Tieacutecouraraquo introductif est remplaceacute par exemple par laquoAh Koyagaraquo (Kourouma 1998 p 286) deacutenotant une volonteacute douverture voire deacuteclatement de la forme Notons par ailleurs que le dernier chapitre souvre sur laquoAh Macleacutedio raquo laissant linterpreacutetation des dires du sora agrave une autre personne que celle explicitement viseacutee par le donsomana Leacuteclatement de cette forme reacutepeacutetitive pourrait ainsi reacuteveacuteler une impossible reacuteduplication et meacutetaphoriquement la neacutecessiteacute dun renouvellement du style (voire du genre) par la singulariteacute des eacutecrits

Polyphonie narrative

Les diffeacuterentes voix inscrites dans la narration dEn attendant le vote des becirctes sauvages participent elles aussi au caractegravere proteacuteiforme de ce reacutecit Comme nous lavons noteacute dans lintroduction la reacuteflexion sur cette probleacutematique sinspire de deux articles portant sur la polyphonie ainsi que sur les transformations narratives et eacutenonciatives dans les romans de

KOlls ne nOLIs arrecirc terons ras allx cilritres Olt les destinataires ne sont pas eacuteHlqueacutes considegravernt qlliumlls constituent des exceptions (Kouroullu 1998 r 77 117 eacutet 307)

147 HIhridileacute el pOlphollie comme redeacutejllilioll du gel1re romallesque

Kourouma laquo Narrative voice in Kouroumas Les soleils des indeacutependancesraquo de R Schikora (1982) et laquoMonnegrave outrages et deacutefis agrave la narrationraquo de M Hauser (I994) Laccent sera mis sur trois proceacutedeacutes eacutegalement releveacutes dans ces deux articles la preacutesence simultaneacutee dune narration extradieacutegeacutetique et dune narration intradieacutegeacutetique la fragmentation de la parole et lomnipreacutesence du discours indirect libre

Narration perspectives

laquoVorre nom Koyaga Votre totem faucon Vous ecirctes soldat et preacutesident [ ] Vous Koyaga trocircnez dans le faureuil au centre du cercle Macleacutedio votre ministre de lOrientation est installeacute agrave votre droite Moi Bingo je suis le sararaquo (Kourouma 1998 p 9) Degraves les premiegraveres lignes du roman la situation deacutenonciation souvre sur un laquo je raquo narrateur sadressant agrave un destinataire preacutecis laquovous Koyagaraquo Le narrateur relatant une histoire dont il fait partie est in tradieacutegeacutetique La perspective seacutetablit ainsi agrave partir du monde dun des personnages le lecteur suppose que tout sera axeacute autour dun laquo je raquo initial impliquant un laquovousraquo auditoire ou du moins un laquo tu raquo destinataire Bientocirct il perccediloit une modulation de cette perspective la narration se deacuteplace dune perspective interne vers un point de vue omniscient laquoTieacutecoura tour le monde est reacuteuni Tout est dit [Ajoute votre grain de seL]raquo (1998 p 10) Ce que nous placcedilons entre crochets deacutemontre la preacutesence dun narrateur autre consideacuterant eacutevidemment que le grain de sel serait le sara La bipartition narrative telle quelle apparaicirct dans cet exemple est reacutecurrente notamment dans des fins de chapitre laquo Interrompons-nous nous aussi un court instant pour marquer une pause [Annonce le sora] raquo (1998 p 39) Cette derniegravere phrase que nous placcedilons toujours entre crochets ne peut ecirctre eacutenonceacutee que par un narrateur extradieacutegeacutetique

Aussi eacutemerge freacutequemment dans le reacutecit du sara une perspective omnisciente la narration se deacuteplace dune eacutenonciation dialogique (entre le sara et un des personnages geacuteneacuteralement Koyaga) vers une eacutenonciation sans destinataire preacutecis ougrave le personnage jusquici preacutesenteacute au lecteur comme un laquo tU raquo ou un laquo vousraquo devient un laquo il raquo Prenons ces eacutenonceacutes juxtaposeacutes laquo Loin delle quand ils ne SOnt pas dans la mecircme ville Koyaga teacuteleacutephone agrave la maman

Nous po urrions ajourer que les inrrusions de celle IXlrole exteacuterieure rappellenl la didascdic pllticiplI1t ainsi efTer de rhe hrdis lion sOlll igneacute dans premiegravere panie de Ce Irlmiddotail

148 Geneliegraveoe LelllOille

au moins deux fois par jour en tin de matineacutee et le soir au coucherLes relations entre vous Koyaga et votre maman sont trop eacutetroitesraquo (Kourouma 1998 p 296) La narration se complexifie relatant au sein dune mecircme eacutenonciation une perspective agrave la fois intradieacutegeacutetique et extradieacutegeacutetique Cette fusion de deux perspectives opposeacutees nest pas sans rappeler celle des temps verbaux deacuteveloppeacutee plus haut Mais les innovations narratives de Kourouma ne sarrecirctent pas agrave cette juxtaposition des narrations internes ou externes au reacutecit Elles seacutetendent agrave la fragmentation mecircme de la parole eacutenonciatrice

hagmentation de la parole

La parole du sara outre les intrusions du narrateur exteacuterieur se voit aussi entrecoupeacutee par dautres voix La preacutesence de ces voix dialoguant avec celle du sara est noteacutee de deux faccedilons agrave linteacuterieur du reacutecit soit par la preacutesence de tirets indiquant que la parole provient dun narrateur second soit par les interventions du narrateur exteacuterieur annonccedilant (toujours par la suite) qui est le sujet eacutenonciateur Alors que la preacutesence du tiret indique clairement lexistence dun dialogisme les interventions ponctuelles et non annonceacutees dautres narrateurs produisent un effet dimpreacutecision Prenons par exemple cet extrait

Ah Tieacutecoura Ce nest pas toujours vrai que tous les grands eacuteveacutenements se lisent dans les aurores des jours qui les porteronL Le marin du jour ougrave se tint la confeacuterence de la table ronde de la reacuteconciliation fut aussi plat que le dos dune eacutepouse quon a cesseacute daimer Preacutecise le reacutepondeur (Kourouma 1998 p 113-114)

Alors que le sora amorce le chapitre son discours initialement au preacutesent glisse vers le passeacute simple Ce nest quapregraves le commencement de ce quon croit ecirctre le reacutecit que le narrateur externe informe le lecteur de la provenance de leacutenonceacute Le narrateur de lavant-derniegravere phrase est donc Tieacutecoura personnage auquel le reacutecit semblait jusque-lagrave destineacute En plus decirctre reacutepeacutetitif ce type denchaicircnement complexifie grandement la lecture puisque le seul point de repegravere dans le reacutecit doublement narreacute nest plus la narration du sora mais bien celle du narrateur extradieacutegeacutetique lequel napparaicirct toujours quagrave rebours de leacutenonceacute o

Dans le mecircme ordre dideacutees certains narrateurs interviennent dans le reacutecit du sora par les tirets mais ils demeurent inconnus Kourouma fait

Il pourrait ecirctre inteacuteressant d eacutetablir ic i un parallegravele entre la paro le du narrateur omniscient (souvent au passeacute simple ) parole Cjui est to ujo urs agrave rebo urs par rappo rt aux autres narrations lesCjuelles empruntent une forme dialogique (au preacutesent)

III

149 f1jhridileacute el pUjPhollie cOlllIe ledeacutefilliioll du gellle romallesqlle

parler lors du deacutefileacute soulignant le 30 anniversaire de larriveacutee de Koyaga au pouvoir plus de trois narrateurs le premier eacutenonciateur neacutetant pas identifieacute

Ces t en vain vous restez un roc Les engins de guerre de mort imerminablement se suivenr- Vous co nsacriez trop d argem agrave larmemem beaucoup plus dargem agrave la Deacutefense quaux ministegraveres de la Sallleacute et de lEacuteducation reacuteunisl- Cest faux ce sunt des journalistes malintentionneacutes et menteurs qui font circuler de tell es fausses nouvelles Reacutepond Macl eacutedio (Kourouma 1998 p 338)

Cet eacutenonceacute pourrait vraisemblablement se rapporter agrave Tieacutecoura (le seul ayant le droit dinsulter Koyaga) mais il peut eacutegalement ecirctre le discours dautres personnages preacutesents lors du reacutecit purificatoire Compte tenu de labsence dindications lambiguiumlteacute demeure

Finalement la parole du sora se divise elle-mecircme en deux VOIX

distinctes mais compleacutementaires Une premiegravere voix sadresse agrave Koyaga souvent au laquo je raquo parfois au laquo nous raquo (( Le dankun nous reacuteunit [vous chasseurs et nous griots de chasseurs] raquo (Kourouma 1998 p 31 1)) en sincluant dans le reacutecit comme partie inteacutegrante du monde de Koyaga La seconde impersonnelle sadresse agrave un auditoire afin de linstruire sur diffeacuterentes pratiques malinkeacute ou pour traduire

Je dirai le reacutecit purifi catoire de votre vie de maicirctre chasseur et dictateur Lc reacutecit purifl caw ire est appeleacute en malinkeacute un dOllsornfnrl Ces t une geste Il est dit par un sora accompagneacute par un reacutepondeur cordouel Un curdoua est Ull initeacute en phase purificatOire en phase cathartiquc (1998 p 10)

Ou encore laquo Saluons-le tregraves bas ce tiers cet intrus - un sora ne parle dun heacuteros quapregraves lui avoir rendu un hommage appuyeacute Salut agrave vous [ ] qui ecirctes de la race quon peut tuer sans amoindrir ni supprimerraquo (1998 p 346) On comprend facilement que si le cercle des griots est constitueacute uniquement dAfricains cette voix est dirigeacutee vers lexteacuterieur cest-agrave-dire vers le lecteur Ainsi le reacutecit purificatoire nest pas reacutealiseacute en vase clos mais est ouvert agrave une perception et agrave une interpreacutetation exteacuterieure (le lecteur) impliquant agrave plusieurs endroits que le destinataire nest pas de culture malinkeacute

Le discours indirect libte

Le discours indirect libre cette faccedilon de rapporter les dires d autrui dans son propre discours avec la tonaliteacute du narrateur premier est un proceacutedeacute omnipreacutesent dans En attendant le vote des becirctes sauvages Permettant

150 Geneviegraveve Lemoine

damalgamer la parole dautrui agrave la sienne le discours indirect libre suggegravere - agrave linstar des autres proceacutedeacutes narratifs deacutecrits plus hauts - une polyphonie narrative fragmentant encore plus finement la parole du narrateur Ce type de discours eacutemerge agrave maints endroits dans le reacutecit du sora donnons-en quelques exemples agrave deacutefaut de pouvoir tous les nommer

Les bons pegraveres humainement et chreacutetiennement croyaient avoir ainsi logeacute leurs Noirs conformeacutement agrave leurs coutumes Ils attendaient une chaude reconnaissance lorsque lincroyable nouvelle eacuteclata Ces ingrats de sauvages indigegravenes du Grand Fleuve reacuteclamaient lindeacutependance r1De vrais fous (Kouroumd 1998 p 231)

Ou encore de maniegravere plus subtile le narrateur rapportant le discours de Koyaga laquo Dans le village suivant on vous en offre trois puis ce sont cinq et mecircme sept filles quon vous offre en mariage Cest tropraquo (1998 p 280) Le discours indirect libre peut comme dans cet exemple ecirctre difficile agrave saisir et mener agrave plusieurs interpreacutetations Globalement ce type de discours utiliseacute de maniegravere reacutecurrente constitue un des traits caracteacuteristiques dEn attendant le vote des becirctes sauvages et singularise ainsi leacutecriture de Kourouma par rapport au genre romanesque Le discours indirect libre donne dans le reacutecit mecircme du sora la tonaliteacute des discours dautrui comme si ce narrateur central faisait figure de carrefour pour les voix singuliegraveres des personnages tout en eacutetant lui-mecircme geacutereacute (ou geacuteneacutereacute) par un narrateur omniscient qui lengloberait

Les perspectives adopteacutees par les multiples narrateurs la fragmentation de la parole ainsi que le discours indirect libre deacutenotent sans contredit une polyphonie narrative Cette polyphonie pourrait peut-ecirctre suggeacuterer que comme le note M Borgomano laquo[c]es voix multiples et fluctuantes [ ] transposent au niveau mecircme de la narration cette primauteacute du collectif du social si caracteacuteristique de lAfrique traditionnelleraquo (Borgomano 1998 p 166) Neacuteanmoins nous preacutefeacuterons en rester agrave lideacutee quavant de repreacutesenter ces voix transforment Elles modifient le genre romanesque en deacutefiant les limites de la narration et du dialogue entre autres parce quelles remettent en question la deacutefinition mecircme de laquo communication raquo

La Veilleacutee V du roman est grandement reacuteveacutelatrice en ce quelle expose cie faccedilon reacutecurrente et explicite bon nombre des proceacutedeacutes narratifs visant la polyphonie

151 Hvhriditeacute et pol)phonie cornille redeacutefinitioll du genre rol1lallesqlle

Le donsomana et la volonteacute communicationnelle

Le donsomana comme lexplique le sora constitue une geste cest-agrave-dire un reacutecit eacutepique Le reacutecit eacutepique tel queacutetudieacute par G Lukacirccs dans La theacuteorie du roman (13) implique que les actions du heacuteros seacutetablissent dans un univers clos et unitaire Agrave linverse la quecircte du heacuteros romanesque serait celle dune recherche duniteacute existentielle agrave linteacuterieur dun monde fragmen teacute En attendant le vote des becirctes sauvages sapparente davantage agrave cette deuxiegraveme deacutefinition mettant en scegravene un heacuteros deacutechu devant retrouver son uniteacute (par la purification ainsi que par la recherche de la meacuteteacuteorite et du Coran sacreacute) Ce qui nous inteacuteresse davantage cest ce monde ougrave eacutevolue le heacuteros qui loin decirctre clos est plutocirct permeacuteable aux discours des narrateurs multiples amenant une pleacutethore de perspectives Ainsi agrave linstar du genre romanesque pour Lukacirccs lunivers de Koyaga est fragmenteacute indeacutefinissable et profondeacutement dysfonctionnel 12 Cet univers dysfoncrionnel est donneacutebull

dune parr par la circulariteacute du donsomana -lequel devrait purifier le heacuteros et non en faire lobjet dun eacuteternel recommencement (ltltTant que Koyaga naura pas reacutecupeacutereacute le Coran et la meacuteteacuteorite commenccedilons ou recommenccedilons nous aussi le donsomana purificatoireraquo (Kourouma 1998 p 381)) - dautre part par les multiples fragmentations que le reacutecit subit notamment en ce qui concerne la narration l3bull

Il serait possible de voir dans le donsomana la meacutetaphore de leacutecriture dun roman composeacute dun enchevecirctrement dideacutees et reacutesultant en un meacutetissage ougrave le deacutebut et la fin se rejoignent Et cette mecircme meacutetaphore de leacutecriture agrave plus grande eacutechelle pourrait illustrer le pheacutenomegravene de la communication soit un message (reacutecit) supporteacute par un destinateur (narrateurauteur) et adresseacute agrave un destinataire (Koyagalecteur) communication eacutevidemment dysfonctionnelle dans le roman de Kourouma agrave cause de linstabiliteacute du destinateur et de la continuelle reacuteiteacuteration La narration preacutesenteacutee de divers points de vue est en ce sens grandement repreacutesentative Comme nous lavons abordeacute preacuteceacutedemment le narrateur voit son message laquo parasiteacute raquo par dautres narrations Les diffeacuterentes voix qui

Il serait inteacuteressant de voi r consideacuterant limpo rtance que Lukcs accorde Ci liumlronie commtnt ctttt dysfo nctio n du monde entourant le heacuteros se lie l estheacutetique ironique du rolllan de Kouroum1

Pour des raisons despace nous navons pas abo rdeacute dans cerrt analyse les enchissements de divers reacuteci ts (par exemple hi Veilleacutee III qui porte sur l histoire de Vlacleacutedio) La fragmentation geacuteneacuterale du reacutec it que nous abordons ici comf)()rt e eacutega lement cet aspect malheureusement axnclonneacute

15

152 Geneliegravel e Lellloille

sajoutent produisent des distorsions et brouillent le message menant agrave une essentielle reacutepeacutetition En attendant le vote des becirctes sauvages loin de se clore ou de proposer une fln possible agrave limpasse de Koyaga demeure un reacutecit complegravetement ouvert impliquant un recommencement jusquagrave ce que le message soit efflcace Pour sortir de cette circulariteacute l

dans le reacutecit de Kourouma comme dans lacte communicationnel en geacuteneacuteral une interpreacutetation est primordiale (interpreacutetation qui nest visiblement pas effectueacutee par Koyaga dans le roman) En attendant le vote des becirctes sauvages illustre limportance de linterpreacutetation dun reacutecit interpreacutetation neacutecessaire agrave la survie de lœuvre afin que celle-ci ne senferme pas dans une communication agrave sens unique Non seulement le roman doit ecirctre lu mais son message doit ecirctre eacuteclairci afln de deacutepasser les limites de sa propre trame Par leacutecriture du donsomana Kourouma meacutetaphorise une communication (ou de maniegravere plus restreinte un reacutecit) qui nest pas interpreacuteteacutee et qui doit ecirctre recommenceacutee pour ecirctre efflcace voire pour sinscrire dans lhistoire Et la conclusion ouverte de lœuvre invite agrave cette mecircme interpreacutetation de la part du lecteur afln qu il deacutepasse les limites du roman ne serait-ce que celles du parasitage narratif Bref le reacutecit de Koyaga se deacuteveloppant dans un univers fragmenteacute et dysfonctionnel (agrave limage de son personnage principal) neacutecessite une interpreacutetation pour retrouver son eacutequilibre il doit souvrir et deacutepasser ses propres limites (dont celle du laquo genreraquo qui lui est attribueacute le roman) pour viser agrave une reacutecupeacuteration et agrave une interpreacutetation par un destinataire exteacuterieur

Kourouma et la notion de laquo genre romanesqueraquo

En attendant te vote des becirctes sauvages de Kourouma deacutemonrre clairement lideacutee dune syntheacutetisation des genres Cette synrheacutetisation est supporteacutee par la juxtaposition de multiples genres (conte fable eacutepopeacutee chronique) - englobeacutes sous le terme de laquo roman raquo - et geacuteneacutereacutee par lindistinction entre les diffeacuterents temps verbaux ainsi que par les entrelacs syntaxiques et la reacutepeacutetition Tous ces proceacutedeacutes deacutecriture visent un eacuteclatement geacuteneacuterique eacutegalement soutenu - de faccedilon encore plus eacuteclairante - par les nombreuses voix narratives qui composent le reacutecit Le genre romanesque agrave travers leacutecriture de Kourouma se voit ainsi ouvertement questionneacute et transformeacute

1 Au suiel de la c irculariteacute dTIi (lelldtlllle l ole d es bes Sllllluges conuli er iJ no te de lecture suilIlt l entretien de y(~ Chc ll1la d Ins Y() re ihmirie no 136 p 30-32 insi que leacute tude de ~ Lldel(ine Borgo ll1~ no f)ocirc hOlllIes Ol des l( e lee lire dEn attendant le o te d es ile tls SCIUJgcs d gtlhllwrJl K(JlrtllIlI ll (2000)

153 f-J)hridileacute el po~ph()lie comme recujil7iliol7 dll gelre rOlllalesqlle

Plusieurs theacuteoriciens ont tenteacute de deacutefinir les diffeacuterents laquo genres raquo deacutefinition qui permettrait deacutetablir une classification des œuvres plus adeacutequate que la division initiale - et consideacuterablement remanieacutee -proposeacutee par Aristote et Platon Certaines reacuteflexions portant sur la notion de genre litteacuteraire en arrivent agrave la consideacuterer comme une aporie ]-M Schaeffer note dailleurs que

le deacuteveloppement de la circulation litteacuteraire (ducirc agrave des causes technologiques auss i bien que sociales) au cours des derniers siegravecles a comme conseacutequence une multiplication extrecircme des modegraveles geacuteneacuteriques potentiels en sorte que lactivireacute geacuteneacuterique 1 1 tregraves pousseacutee des tex tes modernes aboutit agrave une relie multiplication geacute neacuterique que les class ification sont tregraves difficiles agrave eacutetablir (Schaeffer 1986 p 202)

Utili~ant davantage le terme de laquo geacuteneacutericiteacuteraquo - impliquant une essentielle transformation geacuteneacuterique - plutocirct que celui de laquo genre litteacuteraire raquo Schaeffer soutient dans cette mecircme eacutetude lideacutee que la multipliciteacute des traits geacuteneacuteriques est le propre des grandes œuvres Parallegravelement dans Les genres litteacuteraires Dominique Combe preacutecise davantage la notion de genre romanesque la reliant avec la conception des romantiques de 1 laquoŒuvre totale laquelle souligne limportance dune transgression et dune synthegravese des divisions geacuteneacuteriques originelles (eacutepique lyrique et dramatique) Finalement certains theacuteoriciens soutiennent la supeacuterioriteacute dune syntheacuterisation geacuteneacuterique redirigeant ainsi les discours cloisonnant les genres vers une dynamique des eacutecrits litteacuteraires l 7

bull

Dans laquo De la litteacuterature comme rransculture raquo ] Semujanga (1999) considegravere que le roman met en place diffeacuterents meacutecanismes deacutecrirure et sourient que celui-ci contient un discours sur le processus mecircme de creacuteation lirreacuteraire et possegravede ainsi des effets directs sur la deacutefinition de genre (ce qui comme nous lavons preacuteceacutedemment releveacute se retrouve dans le roman de Kourouma) En analysant larticulation entre lœuvre (sa singulariteacute) et le

Nous bisons entre autres reacutereacuterence 1 C (~ enette (Ilt)H(raquo qui a revu lorig inell e Irirl rt itio n laussemc nt Iltribueacutee il Aristo te (eacutepique ly riq ue dramatiq ue) considugravelnt les d ilfeacuterents deacutel elo ppelllent s 1trII e rs les eacutepoques et rrorosant par conseacutequent une Ilo lll el le cLi ss ilic ll ion des genre litteacuteraires fo ndugrave sur les recouplments entre les theacutematiques les m odes et les jormes adopteacutees p tr les eacutecrits li II Y a geacuteneacutericit eacute degraves que Li cOllfrontation d un texte 1 son contexte litteacuteraire (IU

sens ~L I lt ) r~ lil surgir en Illigr~ lnc cctte S Or(LO de tratll e- qui lie enst lnhle une cI ~ l sse tex tllelle et p lr r pp0 1 1 Itq uelle le tex te en questi o n seacutecrit so it quil disparisse 1 son tour c1 ])s LI 111111( soit quil LI di middotlorde ou LI deillonte In ~ li s foujo urs soi t sy inleacutegralli oit se lin tegravegrln tl -1 Sc 1 lcfkr 1 9~6 p 20 1) 1- Nous nOLIs reacute fC rons ici ~I 1~ l II(Jlitle d es pcllremiddot dOlls le ()JJall (~ i icfil cie J ~e ll u j l l1 g 1 ( 1)lt)lt)

154 Cenel iegravele Lemaille

genre romanesque lauteur affirme que leacutecriture agrave travers ses motifs reacutecurrents est le lieu deacutenonciation de valeurs qui sintegravegrent plus largement agrave un procegraves axiologique Ces relations transversales entre les diffeacuterentes productions convergent vers cet aspect que Semujanga nomme transculturaliteacute laquelle redeacutefinit le genre comme une varieacuteteacute de motifs qui rend vaine toute tentative de systeacutemisation Les avanceacutees de Semujanga rejoignent lideacutee dune eacutevolution geacuteneacuterique proposeacutee par Schaeffer en suggeacuterant que les genres textuels sont dynamiques de par diverses influences tant litteacuteraires que culturelles tant chronologiques quanachroniques et sous-jacente agrave cette dynamique geacuteneacuterique lideacutee de laquo malleacuteabiliteacute de laquo transinfluence 18 de toute œuvre litteacuteraire

En attendant le vote des becirctes sauvages illustre cette tentative de deacutepassement des limites geacuteneacuteriques non seulement par la manipulation de diffeacuterents genres ou par la transformation fragmentaire de sa narration mais eacutegalement par le discours meacutetaphorique que suggegravere leacutecriture du donsomana sur la construction romanesque comme telle Par un style composite amalgamant plusieurs types de reacutecits mais les surpassant le roman de Kourouma se lie dune faccedilon particuliegravere agrave laquoson genre (reacutepondant dune certaine maniegravere agrave la question poseacutee par J-M Schaffer (1986 p 180)) Illustrant les diffeacuterentes avanceacutees theacuteoriques mentionneacutees ci-haut En attendant le vote des becirctes sauvages pourrait saveacuterer une des multiples repreacutesentations du roman comme laquo meacutetagenreraquo cest-agrave-dire comme lieu de laquo phagocytage de tous les genres et comme repreacutesentation dynamique de [eacutecriture (Semujanga 1999)

Pour conclure

Cette analyse dEn attendant ie vote des becirctes sauvages visait fondamentalement agrave eacuteclairer le caractegravere hybride de ce roman et agrave le relier agrave laquo sonraquo genre soit le genre romanesque Nous avons pu constater comment leacutecriture singuliegravere de Kourouma par les entrelacs syntaxiques et la multipliciteacute des formes quelle soutient sinscrit dans cette conception du roman comme laquo meacutetagenreraquo par son hybriditeacute et son caractegravere syntheacutetique Les diffeacuterentes probleacutematiques inscrites dans leacutenonciation telles la reacutepeacutetition et lutilisation simultaneacutee de temps verbaux opposeacutes IH Nous lIllenons ici ce terme en tenant compte de son utilisation limiteacutee po ur souligner les di vergences conceptll elles entre les theacuteori es de Semujanga et les theacuteories de Genelle Il est noter que Schaeffer a])orcllit eacutegalement cet Ispect en d eacutevelopplI1t le concept cie modulatio n geacuteneacuterique

155 H)hriditeacute et pOJphulie comme redeacuteilitiol du 8elre rollIesque

(passeacutepreacutesent) ont permis dillustrer leacuteclatement de la narration Aussi en approfondissant cet eacuteclatement narratif et geacuteneacuterique en fonction des multiples voix et perspectives inscrites dans la narration principale nous avons deacutemontreacute limportance de la polyphonie narrative du roman de Kourouma et du laquo brouillageraquo narratif qui est creacuteeacute De ce rapprochement a pu eacutemerger la constatation que tout comme une communication entre destinateur et destinataire parasiteacutee par diffeacuterentes perspectives le sens du roman de Kourouma exige une interpreacutetation Ainsi la polyphonie implique une neacutecessaire ouverture de la signification du roman vers ]exteacuterieur invitant neacutecessairement le lecteur agrave ajouter sa voix agrave celle des autres Cimplication de chacun des lecteurs et la polyphonie narrative dans En attendant le vote des becirctes sauvages megravenent donc agrave une reformulation du genre romanesque en fonction non plus de la forme du roman mais des proceacutedeacutes deacutecriture vers une vision davantage ouverte et dynamique de lœuvre romanesque

156 Ceneliegravele Lemoil1e

Bibliographie

Bakhtine Mikhaiumll 1978 Estheacutetique et theacuteorie du roman Paris Gallimard coll laquoTel raquo 492 p

Bisanswa Justin K 2002 laquoJeux de miroirs Kourouma l interpregravete ) Preacutesence francophone no 59 p 8-27

Borgomano Madeleine 1998 Ahmadou Kourouma Le laquoguerrierraquo griot ParisQueacutebec LHarmattan 256 p

-- 2000 Des hommes ou des becirctes Lecture de En attendant le vote des becirctes sauvages Paris LHarmattan 201 p

Chemla Yves 1999 laquoEn attendant le vote des becirctes sauvages ou le donsomana Entretien avec Ahmadou Kourouma raquo Notre librairie no 136 p 26-29

Combe Dominique 1992 Les genres litteacuteraires Paris Eacuteditions H achette coll laquo H achette supeacuterieur raquo 255 p

Dabla Seacutewanou 1986 Nouvelles eacutecritures africaines - Romanciers de la Seconde Geacuteneacuteration Paris LHarmartan 255 p

Genette Geacuterard 1972 Figures III Paris Seuil coll laquo Poeacutetique raquo 285 p

-- 1986 dntroduction agrave larchitexteraquo dans Genette G etal Theacuteoriedes genres Paris Seuil p 89-159

H ause r Michel 1994 laquo Monnegrave outraCcediles et deacutefis agrave la narration raquo dans Voix nouvelles du roman africain sous la ctir de Deltel D et D Delas Paris RITM p 81-101

Ko neacute Amadou 1995 laquoL effet de reacuteel dans les romans de Kourouma raquo Eacutetudes franccedilaises vol 31 no 1 p 13-22

I)ouroull1a Ahmadou 1998 En attendant le vote des becirctes sauvages Paris Editions du Seuil coll laquoPoints raquo 400 p

Lukagravecs Georges 1963 [1920J La theacuteorie du roman Paris Eacuteditions Gomhier 204 p

Maingueneau Dominique 1986 Eacuteleacutements de linguistique pour le texte litteacuteraire Paris Bordas 164 p

Schaeffer Jean-Marie 1986 laquo Du texre au genre raquo dans Genette G et al Theacuteorie des genres Paris Seuil p 179-205

Page 8: AHMADOU KOUROUMAoic.uqam.ca/sites/oic.uqam.ca/files/documents/... · publiera En attendant le vote des bêtes sauvages en 1998 et Allah n'est pas obligé en 2000, pour lequel il gagne

147 HIhridileacute el pOlphollie comme redeacutejllilioll du gel1re romallesque

Kourouma laquo Narrative voice in Kouroumas Les soleils des indeacutependancesraquo de R Schikora (1982) et laquoMonnegrave outrages et deacutefis agrave la narrationraquo de M Hauser (I994) Laccent sera mis sur trois proceacutedeacutes eacutegalement releveacutes dans ces deux articles la preacutesence simultaneacutee dune narration extradieacutegeacutetique et dune narration intradieacutegeacutetique la fragmentation de la parole et lomnipreacutesence du discours indirect libre

Narration perspectives

laquoVorre nom Koyaga Votre totem faucon Vous ecirctes soldat et preacutesident [ ] Vous Koyaga trocircnez dans le faureuil au centre du cercle Macleacutedio votre ministre de lOrientation est installeacute agrave votre droite Moi Bingo je suis le sararaquo (Kourouma 1998 p 9) Degraves les premiegraveres lignes du roman la situation deacutenonciation souvre sur un laquo je raquo narrateur sadressant agrave un destinataire preacutecis laquovous Koyagaraquo Le narrateur relatant une histoire dont il fait partie est in tradieacutegeacutetique La perspective seacutetablit ainsi agrave partir du monde dun des personnages le lecteur suppose que tout sera axeacute autour dun laquo je raquo initial impliquant un laquovousraquo auditoire ou du moins un laquo tu raquo destinataire Bientocirct il perccediloit une modulation de cette perspective la narration se deacuteplace dune perspective interne vers un point de vue omniscient laquoTieacutecoura tour le monde est reacuteuni Tout est dit [Ajoute votre grain de seL]raquo (1998 p 10) Ce que nous placcedilons entre crochets deacutemontre la preacutesence dun narrateur autre consideacuterant eacutevidemment que le grain de sel serait le sara La bipartition narrative telle quelle apparaicirct dans cet exemple est reacutecurrente notamment dans des fins de chapitre laquo Interrompons-nous nous aussi un court instant pour marquer une pause [Annonce le sora] raquo (1998 p 39) Cette derniegravere phrase que nous placcedilons toujours entre crochets ne peut ecirctre eacutenonceacutee que par un narrateur extradieacutegeacutetique

Aussi eacutemerge freacutequemment dans le reacutecit du sara une perspective omnisciente la narration se deacuteplace dune eacutenonciation dialogique (entre le sara et un des personnages geacuteneacuteralement Koyaga) vers une eacutenonciation sans destinataire preacutecis ougrave le personnage jusquici preacutesenteacute au lecteur comme un laquo tU raquo ou un laquo vousraquo devient un laquo il raquo Prenons ces eacutenonceacutes juxtaposeacutes laquo Loin delle quand ils ne SOnt pas dans la mecircme ville Koyaga teacuteleacutephone agrave la maman

Nous po urrions ajourer que les inrrusions de celle IXlrole exteacuterieure rappellenl la didascdic pllticiplI1t ainsi efTer de rhe hrdis lion sOlll igneacute dans premiegravere panie de Ce Irlmiddotail

148 Geneliegraveoe LelllOille

au moins deux fois par jour en tin de matineacutee et le soir au coucherLes relations entre vous Koyaga et votre maman sont trop eacutetroitesraquo (Kourouma 1998 p 296) La narration se complexifie relatant au sein dune mecircme eacutenonciation une perspective agrave la fois intradieacutegeacutetique et extradieacutegeacutetique Cette fusion de deux perspectives opposeacutees nest pas sans rappeler celle des temps verbaux deacuteveloppeacutee plus haut Mais les innovations narratives de Kourouma ne sarrecirctent pas agrave cette juxtaposition des narrations internes ou externes au reacutecit Elles seacutetendent agrave la fragmentation mecircme de la parole eacutenonciatrice

hagmentation de la parole

La parole du sara outre les intrusions du narrateur exteacuterieur se voit aussi entrecoupeacutee par dautres voix La preacutesence de ces voix dialoguant avec celle du sara est noteacutee de deux faccedilons agrave linteacuterieur du reacutecit soit par la preacutesence de tirets indiquant que la parole provient dun narrateur second soit par les interventions du narrateur exteacuterieur annonccedilant (toujours par la suite) qui est le sujet eacutenonciateur Alors que la preacutesence du tiret indique clairement lexistence dun dialogisme les interventions ponctuelles et non annonceacutees dautres narrateurs produisent un effet dimpreacutecision Prenons par exemple cet extrait

Ah Tieacutecoura Ce nest pas toujours vrai que tous les grands eacuteveacutenements se lisent dans les aurores des jours qui les porteronL Le marin du jour ougrave se tint la confeacuterence de la table ronde de la reacuteconciliation fut aussi plat que le dos dune eacutepouse quon a cesseacute daimer Preacutecise le reacutepondeur (Kourouma 1998 p 113-114)

Alors que le sora amorce le chapitre son discours initialement au preacutesent glisse vers le passeacute simple Ce nest quapregraves le commencement de ce quon croit ecirctre le reacutecit que le narrateur externe informe le lecteur de la provenance de leacutenonceacute Le narrateur de lavant-derniegravere phrase est donc Tieacutecoura personnage auquel le reacutecit semblait jusque-lagrave destineacute En plus decirctre reacutepeacutetitif ce type denchaicircnement complexifie grandement la lecture puisque le seul point de repegravere dans le reacutecit doublement narreacute nest plus la narration du sora mais bien celle du narrateur extradieacutegeacutetique lequel napparaicirct toujours quagrave rebours de leacutenonceacute o

Dans le mecircme ordre dideacutees certains narrateurs interviennent dans le reacutecit du sora par les tirets mais ils demeurent inconnus Kourouma fait

Il pourrait ecirctre inteacuteressant d eacutetablir ic i un parallegravele entre la paro le du narrateur omniscient (souvent au passeacute simple ) parole Cjui est to ujo urs agrave rebo urs par rappo rt aux autres narrations lesCjuelles empruntent une forme dialogique (au preacutesent)

III

149 f1jhridileacute el pUjPhollie cOlllIe ledeacutefilliioll du gellle romallesqlle

parler lors du deacutefileacute soulignant le 30 anniversaire de larriveacutee de Koyaga au pouvoir plus de trois narrateurs le premier eacutenonciateur neacutetant pas identifieacute

Ces t en vain vous restez un roc Les engins de guerre de mort imerminablement se suivenr- Vous co nsacriez trop d argem agrave larmemem beaucoup plus dargem agrave la Deacutefense quaux ministegraveres de la Sallleacute et de lEacuteducation reacuteunisl- Cest faux ce sunt des journalistes malintentionneacutes et menteurs qui font circuler de tell es fausses nouvelles Reacutepond Macl eacutedio (Kourouma 1998 p 338)

Cet eacutenonceacute pourrait vraisemblablement se rapporter agrave Tieacutecoura (le seul ayant le droit dinsulter Koyaga) mais il peut eacutegalement ecirctre le discours dautres personnages preacutesents lors du reacutecit purificatoire Compte tenu de labsence dindications lambiguiumlteacute demeure

Finalement la parole du sora se divise elle-mecircme en deux VOIX

distinctes mais compleacutementaires Une premiegravere voix sadresse agrave Koyaga souvent au laquo je raquo parfois au laquo nous raquo (( Le dankun nous reacuteunit [vous chasseurs et nous griots de chasseurs] raquo (Kourouma 1998 p 31 1)) en sincluant dans le reacutecit comme partie inteacutegrante du monde de Koyaga La seconde impersonnelle sadresse agrave un auditoire afin de linstruire sur diffeacuterentes pratiques malinkeacute ou pour traduire

Je dirai le reacutecit purifi catoire de votre vie de maicirctre chasseur et dictateur Lc reacutecit purifl caw ire est appeleacute en malinkeacute un dOllsornfnrl Ces t une geste Il est dit par un sora accompagneacute par un reacutepondeur cordouel Un curdoua est Ull initeacute en phase purificatOire en phase cathartiquc (1998 p 10)

Ou encore laquo Saluons-le tregraves bas ce tiers cet intrus - un sora ne parle dun heacuteros quapregraves lui avoir rendu un hommage appuyeacute Salut agrave vous [ ] qui ecirctes de la race quon peut tuer sans amoindrir ni supprimerraquo (1998 p 346) On comprend facilement que si le cercle des griots est constitueacute uniquement dAfricains cette voix est dirigeacutee vers lexteacuterieur cest-agrave-dire vers le lecteur Ainsi le reacutecit purificatoire nest pas reacutealiseacute en vase clos mais est ouvert agrave une perception et agrave une interpreacutetation exteacuterieure (le lecteur) impliquant agrave plusieurs endroits que le destinataire nest pas de culture malinkeacute

Le discours indirect libte

Le discours indirect libre cette faccedilon de rapporter les dires d autrui dans son propre discours avec la tonaliteacute du narrateur premier est un proceacutedeacute omnipreacutesent dans En attendant le vote des becirctes sauvages Permettant

150 Geneviegraveve Lemoine

damalgamer la parole dautrui agrave la sienne le discours indirect libre suggegravere - agrave linstar des autres proceacutedeacutes narratifs deacutecrits plus hauts - une polyphonie narrative fragmentant encore plus finement la parole du narrateur Ce type de discours eacutemerge agrave maints endroits dans le reacutecit du sora donnons-en quelques exemples agrave deacutefaut de pouvoir tous les nommer

Les bons pegraveres humainement et chreacutetiennement croyaient avoir ainsi logeacute leurs Noirs conformeacutement agrave leurs coutumes Ils attendaient une chaude reconnaissance lorsque lincroyable nouvelle eacuteclata Ces ingrats de sauvages indigegravenes du Grand Fleuve reacuteclamaient lindeacutependance r1De vrais fous (Kouroumd 1998 p 231)

Ou encore de maniegravere plus subtile le narrateur rapportant le discours de Koyaga laquo Dans le village suivant on vous en offre trois puis ce sont cinq et mecircme sept filles quon vous offre en mariage Cest tropraquo (1998 p 280) Le discours indirect libre peut comme dans cet exemple ecirctre difficile agrave saisir et mener agrave plusieurs interpreacutetations Globalement ce type de discours utiliseacute de maniegravere reacutecurrente constitue un des traits caracteacuteristiques dEn attendant le vote des becirctes sauvages et singularise ainsi leacutecriture de Kourouma par rapport au genre romanesque Le discours indirect libre donne dans le reacutecit mecircme du sora la tonaliteacute des discours dautrui comme si ce narrateur central faisait figure de carrefour pour les voix singuliegraveres des personnages tout en eacutetant lui-mecircme geacutereacute (ou geacuteneacutereacute) par un narrateur omniscient qui lengloberait

Les perspectives adopteacutees par les multiples narrateurs la fragmentation de la parole ainsi que le discours indirect libre deacutenotent sans contredit une polyphonie narrative Cette polyphonie pourrait peut-ecirctre suggeacuterer que comme le note M Borgomano laquo[c]es voix multiples et fluctuantes [ ] transposent au niveau mecircme de la narration cette primauteacute du collectif du social si caracteacuteristique de lAfrique traditionnelleraquo (Borgomano 1998 p 166) Neacuteanmoins nous preacutefeacuterons en rester agrave lideacutee quavant de repreacutesenter ces voix transforment Elles modifient le genre romanesque en deacutefiant les limites de la narration et du dialogue entre autres parce quelles remettent en question la deacutefinition mecircme de laquo communication raquo

La Veilleacutee V du roman est grandement reacuteveacutelatrice en ce quelle expose cie faccedilon reacutecurrente et explicite bon nombre des proceacutedeacutes narratifs visant la polyphonie

151 Hvhriditeacute et pol)phonie cornille redeacutefinitioll du genre rol1lallesqlle

Le donsomana et la volonteacute communicationnelle

Le donsomana comme lexplique le sora constitue une geste cest-agrave-dire un reacutecit eacutepique Le reacutecit eacutepique tel queacutetudieacute par G Lukacirccs dans La theacuteorie du roman (13) implique que les actions du heacuteros seacutetablissent dans un univers clos et unitaire Agrave linverse la quecircte du heacuteros romanesque serait celle dune recherche duniteacute existentielle agrave linteacuterieur dun monde fragmen teacute En attendant le vote des becirctes sauvages sapparente davantage agrave cette deuxiegraveme deacutefinition mettant en scegravene un heacuteros deacutechu devant retrouver son uniteacute (par la purification ainsi que par la recherche de la meacuteteacuteorite et du Coran sacreacute) Ce qui nous inteacuteresse davantage cest ce monde ougrave eacutevolue le heacuteros qui loin decirctre clos est plutocirct permeacuteable aux discours des narrateurs multiples amenant une pleacutethore de perspectives Ainsi agrave linstar du genre romanesque pour Lukacirccs lunivers de Koyaga est fragmenteacute indeacutefinissable et profondeacutement dysfonctionnel 12 Cet univers dysfoncrionnel est donneacutebull

dune parr par la circulariteacute du donsomana -lequel devrait purifier le heacuteros et non en faire lobjet dun eacuteternel recommencement (ltltTant que Koyaga naura pas reacutecupeacutereacute le Coran et la meacuteteacuteorite commenccedilons ou recommenccedilons nous aussi le donsomana purificatoireraquo (Kourouma 1998 p 381)) - dautre part par les multiples fragmentations que le reacutecit subit notamment en ce qui concerne la narration l3bull

Il serait possible de voir dans le donsomana la meacutetaphore de leacutecriture dun roman composeacute dun enchevecirctrement dideacutees et reacutesultant en un meacutetissage ougrave le deacutebut et la fin se rejoignent Et cette mecircme meacutetaphore de leacutecriture agrave plus grande eacutechelle pourrait illustrer le pheacutenomegravene de la communication soit un message (reacutecit) supporteacute par un destinateur (narrateurauteur) et adresseacute agrave un destinataire (Koyagalecteur) communication eacutevidemment dysfonctionnelle dans le roman de Kourouma agrave cause de linstabiliteacute du destinateur et de la continuelle reacuteiteacuteration La narration preacutesenteacutee de divers points de vue est en ce sens grandement repreacutesentative Comme nous lavons abordeacute preacuteceacutedemment le narrateur voit son message laquo parasiteacute raquo par dautres narrations Les diffeacuterentes voix qui

Il serait inteacuteressant de voi r consideacuterant limpo rtance que Lukcs accorde Ci liumlronie commtnt ctttt dysfo nctio n du monde entourant le heacuteros se lie l estheacutetique ironique du rolllan de Kouroum1

Pour des raisons despace nous navons pas abo rdeacute dans cerrt analyse les enchissements de divers reacuteci ts (par exemple hi Veilleacutee III qui porte sur l histoire de Vlacleacutedio) La fragmentation geacuteneacuterale du reacutec it que nous abordons ici comf)()rt e eacutega lement cet aspect malheureusement axnclonneacute

15

152 Geneliegravel e Lellloille

sajoutent produisent des distorsions et brouillent le message menant agrave une essentielle reacutepeacutetition En attendant le vote des becirctes sauvages loin de se clore ou de proposer une fln possible agrave limpasse de Koyaga demeure un reacutecit complegravetement ouvert impliquant un recommencement jusquagrave ce que le message soit efflcace Pour sortir de cette circulariteacute l

dans le reacutecit de Kourouma comme dans lacte communicationnel en geacuteneacuteral une interpreacutetation est primordiale (interpreacutetation qui nest visiblement pas effectueacutee par Koyaga dans le roman) En attendant le vote des becirctes sauvages illustre limportance de linterpreacutetation dun reacutecit interpreacutetation neacutecessaire agrave la survie de lœuvre afin que celle-ci ne senferme pas dans une communication agrave sens unique Non seulement le roman doit ecirctre lu mais son message doit ecirctre eacuteclairci afln de deacutepasser les limites de sa propre trame Par leacutecriture du donsomana Kourouma meacutetaphorise une communication (ou de maniegravere plus restreinte un reacutecit) qui nest pas interpreacuteteacutee et qui doit ecirctre recommenceacutee pour ecirctre efflcace voire pour sinscrire dans lhistoire Et la conclusion ouverte de lœuvre invite agrave cette mecircme interpreacutetation de la part du lecteur afln qu il deacutepasse les limites du roman ne serait-ce que celles du parasitage narratif Bref le reacutecit de Koyaga se deacuteveloppant dans un univers fragmenteacute et dysfonctionnel (agrave limage de son personnage principal) neacutecessite une interpreacutetation pour retrouver son eacutequilibre il doit souvrir et deacutepasser ses propres limites (dont celle du laquo genreraquo qui lui est attribueacute le roman) pour viser agrave une reacutecupeacuteration et agrave une interpreacutetation par un destinataire exteacuterieur

Kourouma et la notion de laquo genre romanesqueraquo

En attendant te vote des becirctes sauvages de Kourouma deacutemonrre clairement lideacutee dune syntheacutetisation des genres Cette synrheacutetisation est supporteacutee par la juxtaposition de multiples genres (conte fable eacutepopeacutee chronique) - englobeacutes sous le terme de laquo roman raquo - et geacuteneacutereacutee par lindistinction entre les diffeacuterents temps verbaux ainsi que par les entrelacs syntaxiques et la reacutepeacutetition Tous ces proceacutedeacutes deacutecriture visent un eacuteclatement geacuteneacuterique eacutegalement soutenu - de faccedilon encore plus eacuteclairante - par les nombreuses voix narratives qui composent le reacutecit Le genre romanesque agrave travers leacutecriture de Kourouma se voit ainsi ouvertement questionneacute et transformeacute

1 Au suiel de la c irculariteacute dTIi (lelldtlllle l ole d es bes Sllllluges conuli er iJ no te de lecture suilIlt l entretien de y(~ Chc ll1la d Ins Y() re ihmirie no 136 p 30-32 insi que leacute tude de ~ Lldel(ine Borgo ll1~ no f)ocirc hOlllIes Ol des l( e lee lire dEn attendant le o te d es ile tls SCIUJgcs d gtlhllwrJl K(JlrtllIlI ll (2000)

153 f-J)hridileacute el po~ph()lie comme recujil7iliol7 dll gelre rOlllalesqlle

Plusieurs theacuteoriciens ont tenteacute de deacutefinir les diffeacuterents laquo genres raquo deacutefinition qui permettrait deacutetablir une classification des œuvres plus adeacutequate que la division initiale - et consideacuterablement remanieacutee -proposeacutee par Aristote et Platon Certaines reacuteflexions portant sur la notion de genre litteacuteraire en arrivent agrave la consideacuterer comme une aporie ]-M Schaeffer note dailleurs que

le deacuteveloppement de la circulation litteacuteraire (ducirc agrave des causes technologiques auss i bien que sociales) au cours des derniers siegravecles a comme conseacutequence une multiplication extrecircme des modegraveles geacuteneacuteriques potentiels en sorte que lactivireacute geacuteneacuterique 1 1 tregraves pousseacutee des tex tes modernes aboutit agrave une relie multiplication geacute neacuterique que les class ification sont tregraves difficiles agrave eacutetablir (Schaeffer 1986 p 202)

Utili~ant davantage le terme de laquo geacuteneacutericiteacuteraquo - impliquant une essentielle transformation geacuteneacuterique - plutocirct que celui de laquo genre litteacuteraire raquo Schaeffer soutient dans cette mecircme eacutetude lideacutee que la multipliciteacute des traits geacuteneacuteriques est le propre des grandes œuvres Parallegravelement dans Les genres litteacuteraires Dominique Combe preacutecise davantage la notion de genre romanesque la reliant avec la conception des romantiques de 1 laquoŒuvre totale laquelle souligne limportance dune transgression et dune synthegravese des divisions geacuteneacuteriques originelles (eacutepique lyrique et dramatique) Finalement certains theacuteoriciens soutiennent la supeacuterioriteacute dune syntheacuterisation geacuteneacuterique redirigeant ainsi les discours cloisonnant les genres vers une dynamique des eacutecrits litteacuteraires l 7

bull

Dans laquo De la litteacuterature comme rransculture raquo ] Semujanga (1999) considegravere que le roman met en place diffeacuterents meacutecanismes deacutecrirure et sourient que celui-ci contient un discours sur le processus mecircme de creacuteation lirreacuteraire et possegravede ainsi des effets directs sur la deacutefinition de genre (ce qui comme nous lavons preacuteceacutedemment releveacute se retrouve dans le roman de Kourouma) En analysant larticulation entre lœuvre (sa singulariteacute) et le

Nous bisons entre autres reacutereacuterence 1 C (~ enette (Ilt)H(raquo qui a revu lorig inell e Irirl rt itio n laussemc nt Iltribueacutee il Aristo te (eacutepique ly riq ue dramatiq ue) considugravelnt les d ilfeacuterents deacutel elo ppelllent s 1trII e rs les eacutepoques et rrorosant par conseacutequent une Ilo lll el le cLi ss ilic ll ion des genre litteacuteraires fo ndugrave sur les recouplments entre les theacutematiques les m odes et les jormes adopteacutees p tr les eacutecrits li II Y a geacuteneacutericit eacute degraves que Li cOllfrontation d un texte 1 son contexte litteacuteraire (IU

sens ~L I lt ) r~ lil surgir en Illigr~ lnc cctte S Or(LO de tratll e- qui lie enst lnhle une cI ~ l sse tex tllelle et p lr r pp0 1 1 Itq uelle le tex te en questi o n seacutecrit so it quil disparisse 1 son tour c1 ])s LI 111111( soit quil LI di middotlorde ou LI deillonte In ~ li s foujo urs soi t sy inleacutegralli oit se lin tegravegrln tl -1 Sc 1 lcfkr 1 9~6 p 20 1) 1- Nous nOLIs reacute fC rons ici ~I 1~ l II(Jlitle d es pcllremiddot dOlls le ()JJall (~ i icfil cie J ~e ll u j l l1 g 1 ( 1)lt)lt)

154 Cenel iegravele Lemaille

genre romanesque lauteur affirme que leacutecriture agrave travers ses motifs reacutecurrents est le lieu deacutenonciation de valeurs qui sintegravegrent plus largement agrave un procegraves axiologique Ces relations transversales entre les diffeacuterentes productions convergent vers cet aspect que Semujanga nomme transculturaliteacute laquelle redeacutefinit le genre comme une varieacuteteacute de motifs qui rend vaine toute tentative de systeacutemisation Les avanceacutees de Semujanga rejoignent lideacutee dune eacutevolution geacuteneacuterique proposeacutee par Schaeffer en suggeacuterant que les genres textuels sont dynamiques de par diverses influences tant litteacuteraires que culturelles tant chronologiques quanachroniques et sous-jacente agrave cette dynamique geacuteneacuterique lideacutee de laquo malleacuteabiliteacute de laquo transinfluence 18 de toute œuvre litteacuteraire

En attendant le vote des becirctes sauvages illustre cette tentative de deacutepassement des limites geacuteneacuteriques non seulement par la manipulation de diffeacuterents genres ou par la transformation fragmentaire de sa narration mais eacutegalement par le discours meacutetaphorique que suggegravere leacutecriture du donsomana sur la construction romanesque comme telle Par un style composite amalgamant plusieurs types de reacutecits mais les surpassant le roman de Kourouma se lie dune faccedilon particuliegravere agrave laquoson genre (reacutepondant dune certaine maniegravere agrave la question poseacutee par J-M Schaffer (1986 p 180)) Illustrant les diffeacuterentes avanceacutees theacuteoriques mentionneacutees ci-haut En attendant le vote des becirctes sauvages pourrait saveacuterer une des multiples repreacutesentations du roman comme laquo meacutetagenreraquo cest-agrave-dire comme lieu de laquo phagocytage de tous les genres et comme repreacutesentation dynamique de [eacutecriture (Semujanga 1999)

Pour conclure

Cette analyse dEn attendant ie vote des becirctes sauvages visait fondamentalement agrave eacuteclairer le caractegravere hybride de ce roman et agrave le relier agrave laquo sonraquo genre soit le genre romanesque Nous avons pu constater comment leacutecriture singuliegravere de Kourouma par les entrelacs syntaxiques et la multipliciteacute des formes quelle soutient sinscrit dans cette conception du roman comme laquo meacutetagenreraquo par son hybriditeacute et son caractegravere syntheacutetique Les diffeacuterentes probleacutematiques inscrites dans leacutenonciation telles la reacutepeacutetition et lutilisation simultaneacutee de temps verbaux opposeacutes IH Nous lIllenons ici ce terme en tenant compte de son utilisation limiteacutee po ur souligner les di vergences conceptll elles entre les theacuteori es de Semujanga et les theacuteories de Genelle Il est noter que Schaeffer a])orcllit eacutegalement cet Ispect en d eacutevelopplI1t le concept cie modulatio n geacuteneacuterique

155 H)hriditeacute et pOJphulie comme redeacuteilitiol du 8elre rollIesque

(passeacutepreacutesent) ont permis dillustrer leacuteclatement de la narration Aussi en approfondissant cet eacuteclatement narratif et geacuteneacuterique en fonction des multiples voix et perspectives inscrites dans la narration principale nous avons deacutemontreacute limportance de la polyphonie narrative du roman de Kourouma et du laquo brouillageraquo narratif qui est creacuteeacute De ce rapprochement a pu eacutemerger la constatation que tout comme une communication entre destinateur et destinataire parasiteacutee par diffeacuterentes perspectives le sens du roman de Kourouma exige une interpreacutetation Ainsi la polyphonie implique une neacutecessaire ouverture de la signification du roman vers ]exteacuterieur invitant neacutecessairement le lecteur agrave ajouter sa voix agrave celle des autres Cimplication de chacun des lecteurs et la polyphonie narrative dans En attendant le vote des becirctes sauvages megravenent donc agrave une reformulation du genre romanesque en fonction non plus de la forme du roman mais des proceacutedeacutes deacutecriture vers une vision davantage ouverte et dynamique de lœuvre romanesque

156 Ceneliegravele Lemoil1e

Bibliographie

Bakhtine Mikhaiumll 1978 Estheacutetique et theacuteorie du roman Paris Gallimard coll laquoTel raquo 492 p

Bisanswa Justin K 2002 laquoJeux de miroirs Kourouma l interpregravete ) Preacutesence francophone no 59 p 8-27

Borgomano Madeleine 1998 Ahmadou Kourouma Le laquoguerrierraquo griot ParisQueacutebec LHarmattan 256 p

-- 2000 Des hommes ou des becirctes Lecture de En attendant le vote des becirctes sauvages Paris LHarmattan 201 p

Chemla Yves 1999 laquoEn attendant le vote des becirctes sauvages ou le donsomana Entretien avec Ahmadou Kourouma raquo Notre librairie no 136 p 26-29

Combe Dominique 1992 Les genres litteacuteraires Paris Eacuteditions H achette coll laquo H achette supeacuterieur raquo 255 p

Dabla Seacutewanou 1986 Nouvelles eacutecritures africaines - Romanciers de la Seconde Geacuteneacuteration Paris LHarmartan 255 p

Genette Geacuterard 1972 Figures III Paris Seuil coll laquo Poeacutetique raquo 285 p

-- 1986 dntroduction agrave larchitexteraquo dans Genette G etal Theacuteoriedes genres Paris Seuil p 89-159

H ause r Michel 1994 laquo Monnegrave outraCcediles et deacutefis agrave la narration raquo dans Voix nouvelles du roman africain sous la ctir de Deltel D et D Delas Paris RITM p 81-101

Ko neacute Amadou 1995 laquoL effet de reacuteel dans les romans de Kourouma raquo Eacutetudes franccedilaises vol 31 no 1 p 13-22

I)ouroull1a Ahmadou 1998 En attendant le vote des becirctes sauvages Paris Editions du Seuil coll laquoPoints raquo 400 p

Lukagravecs Georges 1963 [1920J La theacuteorie du roman Paris Eacuteditions Gomhier 204 p

Maingueneau Dominique 1986 Eacuteleacutements de linguistique pour le texte litteacuteraire Paris Bordas 164 p

Schaeffer Jean-Marie 1986 laquo Du texre au genre raquo dans Genette G et al Theacuteorie des genres Paris Seuil p 179-205

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148 Geneliegraveoe LelllOille

au moins deux fois par jour en tin de matineacutee et le soir au coucherLes relations entre vous Koyaga et votre maman sont trop eacutetroitesraquo (Kourouma 1998 p 296) La narration se complexifie relatant au sein dune mecircme eacutenonciation une perspective agrave la fois intradieacutegeacutetique et extradieacutegeacutetique Cette fusion de deux perspectives opposeacutees nest pas sans rappeler celle des temps verbaux deacuteveloppeacutee plus haut Mais les innovations narratives de Kourouma ne sarrecirctent pas agrave cette juxtaposition des narrations internes ou externes au reacutecit Elles seacutetendent agrave la fragmentation mecircme de la parole eacutenonciatrice

hagmentation de la parole

La parole du sara outre les intrusions du narrateur exteacuterieur se voit aussi entrecoupeacutee par dautres voix La preacutesence de ces voix dialoguant avec celle du sara est noteacutee de deux faccedilons agrave linteacuterieur du reacutecit soit par la preacutesence de tirets indiquant que la parole provient dun narrateur second soit par les interventions du narrateur exteacuterieur annonccedilant (toujours par la suite) qui est le sujet eacutenonciateur Alors que la preacutesence du tiret indique clairement lexistence dun dialogisme les interventions ponctuelles et non annonceacutees dautres narrateurs produisent un effet dimpreacutecision Prenons par exemple cet extrait

Ah Tieacutecoura Ce nest pas toujours vrai que tous les grands eacuteveacutenements se lisent dans les aurores des jours qui les porteronL Le marin du jour ougrave se tint la confeacuterence de la table ronde de la reacuteconciliation fut aussi plat que le dos dune eacutepouse quon a cesseacute daimer Preacutecise le reacutepondeur (Kourouma 1998 p 113-114)

Alors que le sora amorce le chapitre son discours initialement au preacutesent glisse vers le passeacute simple Ce nest quapregraves le commencement de ce quon croit ecirctre le reacutecit que le narrateur externe informe le lecteur de la provenance de leacutenonceacute Le narrateur de lavant-derniegravere phrase est donc Tieacutecoura personnage auquel le reacutecit semblait jusque-lagrave destineacute En plus decirctre reacutepeacutetitif ce type denchaicircnement complexifie grandement la lecture puisque le seul point de repegravere dans le reacutecit doublement narreacute nest plus la narration du sora mais bien celle du narrateur extradieacutegeacutetique lequel napparaicirct toujours quagrave rebours de leacutenonceacute o

Dans le mecircme ordre dideacutees certains narrateurs interviennent dans le reacutecit du sora par les tirets mais ils demeurent inconnus Kourouma fait

Il pourrait ecirctre inteacuteressant d eacutetablir ic i un parallegravele entre la paro le du narrateur omniscient (souvent au passeacute simple ) parole Cjui est to ujo urs agrave rebo urs par rappo rt aux autres narrations lesCjuelles empruntent une forme dialogique (au preacutesent)

III

149 f1jhridileacute el pUjPhollie cOlllIe ledeacutefilliioll du gellle romallesqlle

parler lors du deacutefileacute soulignant le 30 anniversaire de larriveacutee de Koyaga au pouvoir plus de trois narrateurs le premier eacutenonciateur neacutetant pas identifieacute

Ces t en vain vous restez un roc Les engins de guerre de mort imerminablement se suivenr- Vous co nsacriez trop d argem agrave larmemem beaucoup plus dargem agrave la Deacutefense quaux ministegraveres de la Sallleacute et de lEacuteducation reacuteunisl- Cest faux ce sunt des journalistes malintentionneacutes et menteurs qui font circuler de tell es fausses nouvelles Reacutepond Macl eacutedio (Kourouma 1998 p 338)

Cet eacutenonceacute pourrait vraisemblablement se rapporter agrave Tieacutecoura (le seul ayant le droit dinsulter Koyaga) mais il peut eacutegalement ecirctre le discours dautres personnages preacutesents lors du reacutecit purificatoire Compte tenu de labsence dindications lambiguiumlteacute demeure

Finalement la parole du sora se divise elle-mecircme en deux VOIX

distinctes mais compleacutementaires Une premiegravere voix sadresse agrave Koyaga souvent au laquo je raquo parfois au laquo nous raquo (( Le dankun nous reacuteunit [vous chasseurs et nous griots de chasseurs] raquo (Kourouma 1998 p 31 1)) en sincluant dans le reacutecit comme partie inteacutegrante du monde de Koyaga La seconde impersonnelle sadresse agrave un auditoire afin de linstruire sur diffeacuterentes pratiques malinkeacute ou pour traduire

Je dirai le reacutecit purifi catoire de votre vie de maicirctre chasseur et dictateur Lc reacutecit purifl caw ire est appeleacute en malinkeacute un dOllsornfnrl Ces t une geste Il est dit par un sora accompagneacute par un reacutepondeur cordouel Un curdoua est Ull initeacute en phase purificatOire en phase cathartiquc (1998 p 10)

Ou encore laquo Saluons-le tregraves bas ce tiers cet intrus - un sora ne parle dun heacuteros quapregraves lui avoir rendu un hommage appuyeacute Salut agrave vous [ ] qui ecirctes de la race quon peut tuer sans amoindrir ni supprimerraquo (1998 p 346) On comprend facilement que si le cercle des griots est constitueacute uniquement dAfricains cette voix est dirigeacutee vers lexteacuterieur cest-agrave-dire vers le lecteur Ainsi le reacutecit purificatoire nest pas reacutealiseacute en vase clos mais est ouvert agrave une perception et agrave une interpreacutetation exteacuterieure (le lecteur) impliquant agrave plusieurs endroits que le destinataire nest pas de culture malinkeacute

Le discours indirect libte

Le discours indirect libre cette faccedilon de rapporter les dires d autrui dans son propre discours avec la tonaliteacute du narrateur premier est un proceacutedeacute omnipreacutesent dans En attendant le vote des becirctes sauvages Permettant

150 Geneviegraveve Lemoine

damalgamer la parole dautrui agrave la sienne le discours indirect libre suggegravere - agrave linstar des autres proceacutedeacutes narratifs deacutecrits plus hauts - une polyphonie narrative fragmentant encore plus finement la parole du narrateur Ce type de discours eacutemerge agrave maints endroits dans le reacutecit du sora donnons-en quelques exemples agrave deacutefaut de pouvoir tous les nommer

Les bons pegraveres humainement et chreacutetiennement croyaient avoir ainsi logeacute leurs Noirs conformeacutement agrave leurs coutumes Ils attendaient une chaude reconnaissance lorsque lincroyable nouvelle eacuteclata Ces ingrats de sauvages indigegravenes du Grand Fleuve reacuteclamaient lindeacutependance r1De vrais fous (Kouroumd 1998 p 231)

Ou encore de maniegravere plus subtile le narrateur rapportant le discours de Koyaga laquo Dans le village suivant on vous en offre trois puis ce sont cinq et mecircme sept filles quon vous offre en mariage Cest tropraquo (1998 p 280) Le discours indirect libre peut comme dans cet exemple ecirctre difficile agrave saisir et mener agrave plusieurs interpreacutetations Globalement ce type de discours utiliseacute de maniegravere reacutecurrente constitue un des traits caracteacuteristiques dEn attendant le vote des becirctes sauvages et singularise ainsi leacutecriture de Kourouma par rapport au genre romanesque Le discours indirect libre donne dans le reacutecit mecircme du sora la tonaliteacute des discours dautrui comme si ce narrateur central faisait figure de carrefour pour les voix singuliegraveres des personnages tout en eacutetant lui-mecircme geacutereacute (ou geacuteneacutereacute) par un narrateur omniscient qui lengloberait

Les perspectives adopteacutees par les multiples narrateurs la fragmentation de la parole ainsi que le discours indirect libre deacutenotent sans contredit une polyphonie narrative Cette polyphonie pourrait peut-ecirctre suggeacuterer que comme le note M Borgomano laquo[c]es voix multiples et fluctuantes [ ] transposent au niveau mecircme de la narration cette primauteacute du collectif du social si caracteacuteristique de lAfrique traditionnelleraquo (Borgomano 1998 p 166) Neacuteanmoins nous preacutefeacuterons en rester agrave lideacutee quavant de repreacutesenter ces voix transforment Elles modifient le genre romanesque en deacutefiant les limites de la narration et du dialogue entre autres parce quelles remettent en question la deacutefinition mecircme de laquo communication raquo

La Veilleacutee V du roman est grandement reacuteveacutelatrice en ce quelle expose cie faccedilon reacutecurrente et explicite bon nombre des proceacutedeacutes narratifs visant la polyphonie

151 Hvhriditeacute et pol)phonie cornille redeacutefinitioll du genre rol1lallesqlle

Le donsomana et la volonteacute communicationnelle

Le donsomana comme lexplique le sora constitue une geste cest-agrave-dire un reacutecit eacutepique Le reacutecit eacutepique tel queacutetudieacute par G Lukacirccs dans La theacuteorie du roman (13) implique que les actions du heacuteros seacutetablissent dans un univers clos et unitaire Agrave linverse la quecircte du heacuteros romanesque serait celle dune recherche duniteacute existentielle agrave linteacuterieur dun monde fragmen teacute En attendant le vote des becirctes sauvages sapparente davantage agrave cette deuxiegraveme deacutefinition mettant en scegravene un heacuteros deacutechu devant retrouver son uniteacute (par la purification ainsi que par la recherche de la meacuteteacuteorite et du Coran sacreacute) Ce qui nous inteacuteresse davantage cest ce monde ougrave eacutevolue le heacuteros qui loin decirctre clos est plutocirct permeacuteable aux discours des narrateurs multiples amenant une pleacutethore de perspectives Ainsi agrave linstar du genre romanesque pour Lukacirccs lunivers de Koyaga est fragmenteacute indeacutefinissable et profondeacutement dysfonctionnel 12 Cet univers dysfoncrionnel est donneacutebull

dune parr par la circulariteacute du donsomana -lequel devrait purifier le heacuteros et non en faire lobjet dun eacuteternel recommencement (ltltTant que Koyaga naura pas reacutecupeacutereacute le Coran et la meacuteteacuteorite commenccedilons ou recommenccedilons nous aussi le donsomana purificatoireraquo (Kourouma 1998 p 381)) - dautre part par les multiples fragmentations que le reacutecit subit notamment en ce qui concerne la narration l3bull

Il serait possible de voir dans le donsomana la meacutetaphore de leacutecriture dun roman composeacute dun enchevecirctrement dideacutees et reacutesultant en un meacutetissage ougrave le deacutebut et la fin se rejoignent Et cette mecircme meacutetaphore de leacutecriture agrave plus grande eacutechelle pourrait illustrer le pheacutenomegravene de la communication soit un message (reacutecit) supporteacute par un destinateur (narrateurauteur) et adresseacute agrave un destinataire (Koyagalecteur) communication eacutevidemment dysfonctionnelle dans le roman de Kourouma agrave cause de linstabiliteacute du destinateur et de la continuelle reacuteiteacuteration La narration preacutesenteacutee de divers points de vue est en ce sens grandement repreacutesentative Comme nous lavons abordeacute preacuteceacutedemment le narrateur voit son message laquo parasiteacute raquo par dautres narrations Les diffeacuterentes voix qui

Il serait inteacuteressant de voi r consideacuterant limpo rtance que Lukcs accorde Ci liumlronie commtnt ctttt dysfo nctio n du monde entourant le heacuteros se lie l estheacutetique ironique du rolllan de Kouroum1

Pour des raisons despace nous navons pas abo rdeacute dans cerrt analyse les enchissements de divers reacuteci ts (par exemple hi Veilleacutee III qui porte sur l histoire de Vlacleacutedio) La fragmentation geacuteneacuterale du reacutec it que nous abordons ici comf)()rt e eacutega lement cet aspect malheureusement axnclonneacute

15

152 Geneliegravel e Lellloille

sajoutent produisent des distorsions et brouillent le message menant agrave une essentielle reacutepeacutetition En attendant le vote des becirctes sauvages loin de se clore ou de proposer une fln possible agrave limpasse de Koyaga demeure un reacutecit complegravetement ouvert impliquant un recommencement jusquagrave ce que le message soit efflcace Pour sortir de cette circulariteacute l

dans le reacutecit de Kourouma comme dans lacte communicationnel en geacuteneacuteral une interpreacutetation est primordiale (interpreacutetation qui nest visiblement pas effectueacutee par Koyaga dans le roman) En attendant le vote des becirctes sauvages illustre limportance de linterpreacutetation dun reacutecit interpreacutetation neacutecessaire agrave la survie de lœuvre afin que celle-ci ne senferme pas dans une communication agrave sens unique Non seulement le roman doit ecirctre lu mais son message doit ecirctre eacuteclairci afln de deacutepasser les limites de sa propre trame Par leacutecriture du donsomana Kourouma meacutetaphorise une communication (ou de maniegravere plus restreinte un reacutecit) qui nest pas interpreacuteteacutee et qui doit ecirctre recommenceacutee pour ecirctre efflcace voire pour sinscrire dans lhistoire Et la conclusion ouverte de lœuvre invite agrave cette mecircme interpreacutetation de la part du lecteur afln qu il deacutepasse les limites du roman ne serait-ce que celles du parasitage narratif Bref le reacutecit de Koyaga se deacuteveloppant dans un univers fragmenteacute et dysfonctionnel (agrave limage de son personnage principal) neacutecessite une interpreacutetation pour retrouver son eacutequilibre il doit souvrir et deacutepasser ses propres limites (dont celle du laquo genreraquo qui lui est attribueacute le roman) pour viser agrave une reacutecupeacuteration et agrave une interpreacutetation par un destinataire exteacuterieur

Kourouma et la notion de laquo genre romanesqueraquo

En attendant te vote des becirctes sauvages de Kourouma deacutemonrre clairement lideacutee dune syntheacutetisation des genres Cette synrheacutetisation est supporteacutee par la juxtaposition de multiples genres (conte fable eacutepopeacutee chronique) - englobeacutes sous le terme de laquo roman raquo - et geacuteneacutereacutee par lindistinction entre les diffeacuterents temps verbaux ainsi que par les entrelacs syntaxiques et la reacutepeacutetition Tous ces proceacutedeacutes deacutecriture visent un eacuteclatement geacuteneacuterique eacutegalement soutenu - de faccedilon encore plus eacuteclairante - par les nombreuses voix narratives qui composent le reacutecit Le genre romanesque agrave travers leacutecriture de Kourouma se voit ainsi ouvertement questionneacute et transformeacute

1 Au suiel de la c irculariteacute dTIi (lelldtlllle l ole d es bes Sllllluges conuli er iJ no te de lecture suilIlt l entretien de y(~ Chc ll1la d Ins Y() re ihmirie no 136 p 30-32 insi que leacute tude de ~ Lldel(ine Borgo ll1~ no f)ocirc hOlllIes Ol des l( e lee lire dEn attendant le o te d es ile tls SCIUJgcs d gtlhllwrJl K(JlrtllIlI ll (2000)

153 f-J)hridileacute el po~ph()lie comme recujil7iliol7 dll gelre rOlllalesqlle

Plusieurs theacuteoriciens ont tenteacute de deacutefinir les diffeacuterents laquo genres raquo deacutefinition qui permettrait deacutetablir une classification des œuvres plus adeacutequate que la division initiale - et consideacuterablement remanieacutee -proposeacutee par Aristote et Platon Certaines reacuteflexions portant sur la notion de genre litteacuteraire en arrivent agrave la consideacuterer comme une aporie ]-M Schaeffer note dailleurs que

le deacuteveloppement de la circulation litteacuteraire (ducirc agrave des causes technologiques auss i bien que sociales) au cours des derniers siegravecles a comme conseacutequence une multiplication extrecircme des modegraveles geacuteneacuteriques potentiels en sorte que lactivireacute geacuteneacuterique 1 1 tregraves pousseacutee des tex tes modernes aboutit agrave une relie multiplication geacute neacuterique que les class ification sont tregraves difficiles agrave eacutetablir (Schaeffer 1986 p 202)

Utili~ant davantage le terme de laquo geacuteneacutericiteacuteraquo - impliquant une essentielle transformation geacuteneacuterique - plutocirct que celui de laquo genre litteacuteraire raquo Schaeffer soutient dans cette mecircme eacutetude lideacutee que la multipliciteacute des traits geacuteneacuteriques est le propre des grandes œuvres Parallegravelement dans Les genres litteacuteraires Dominique Combe preacutecise davantage la notion de genre romanesque la reliant avec la conception des romantiques de 1 laquoŒuvre totale laquelle souligne limportance dune transgression et dune synthegravese des divisions geacuteneacuteriques originelles (eacutepique lyrique et dramatique) Finalement certains theacuteoriciens soutiennent la supeacuterioriteacute dune syntheacuterisation geacuteneacuterique redirigeant ainsi les discours cloisonnant les genres vers une dynamique des eacutecrits litteacuteraires l 7

bull

Dans laquo De la litteacuterature comme rransculture raquo ] Semujanga (1999) considegravere que le roman met en place diffeacuterents meacutecanismes deacutecrirure et sourient que celui-ci contient un discours sur le processus mecircme de creacuteation lirreacuteraire et possegravede ainsi des effets directs sur la deacutefinition de genre (ce qui comme nous lavons preacuteceacutedemment releveacute se retrouve dans le roman de Kourouma) En analysant larticulation entre lœuvre (sa singulariteacute) et le

Nous bisons entre autres reacutereacuterence 1 C (~ enette (Ilt)H(raquo qui a revu lorig inell e Irirl rt itio n laussemc nt Iltribueacutee il Aristo te (eacutepique ly riq ue dramatiq ue) considugravelnt les d ilfeacuterents deacutel elo ppelllent s 1trII e rs les eacutepoques et rrorosant par conseacutequent une Ilo lll el le cLi ss ilic ll ion des genre litteacuteraires fo ndugrave sur les recouplments entre les theacutematiques les m odes et les jormes adopteacutees p tr les eacutecrits li II Y a geacuteneacutericit eacute degraves que Li cOllfrontation d un texte 1 son contexte litteacuteraire (IU

sens ~L I lt ) r~ lil surgir en Illigr~ lnc cctte S Or(LO de tratll e- qui lie enst lnhle une cI ~ l sse tex tllelle et p lr r pp0 1 1 Itq uelle le tex te en questi o n seacutecrit so it quil disparisse 1 son tour c1 ])s LI 111111( soit quil LI di middotlorde ou LI deillonte In ~ li s foujo urs soi t sy inleacutegralli oit se lin tegravegrln tl -1 Sc 1 lcfkr 1 9~6 p 20 1) 1- Nous nOLIs reacute fC rons ici ~I 1~ l II(Jlitle d es pcllremiddot dOlls le ()JJall (~ i icfil cie J ~e ll u j l l1 g 1 ( 1)lt)lt)

154 Cenel iegravele Lemaille

genre romanesque lauteur affirme que leacutecriture agrave travers ses motifs reacutecurrents est le lieu deacutenonciation de valeurs qui sintegravegrent plus largement agrave un procegraves axiologique Ces relations transversales entre les diffeacuterentes productions convergent vers cet aspect que Semujanga nomme transculturaliteacute laquelle redeacutefinit le genre comme une varieacuteteacute de motifs qui rend vaine toute tentative de systeacutemisation Les avanceacutees de Semujanga rejoignent lideacutee dune eacutevolution geacuteneacuterique proposeacutee par Schaeffer en suggeacuterant que les genres textuels sont dynamiques de par diverses influences tant litteacuteraires que culturelles tant chronologiques quanachroniques et sous-jacente agrave cette dynamique geacuteneacuterique lideacutee de laquo malleacuteabiliteacute de laquo transinfluence 18 de toute œuvre litteacuteraire

En attendant le vote des becirctes sauvages illustre cette tentative de deacutepassement des limites geacuteneacuteriques non seulement par la manipulation de diffeacuterents genres ou par la transformation fragmentaire de sa narration mais eacutegalement par le discours meacutetaphorique que suggegravere leacutecriture du donsomana sur la construction romanesque comme telle Par un style composite amalgamant plusieurs types de reacutecits mais les surpassant le roman de Kourouma se lie dune faccedilon particuliegravere agrave laquoson genre (reacutepondant dune certaine maniegravere agrave la question poseacutee par J-M Schaffer (1986 p 180)) Illustrant les diffeacuterentes avanceacutees theacuteoriques mentionneacutees ci-haut En attendant le vote des becirctes sauvages pourrait saveacuterer une des multiples repreacutesentations du roman comme laquo meacutetagenreraquo cest-agrave-dire comme lieu de laquo phagocytage de tous les genres et comme repreacutesentation dynamique de [eacutecriture (Semujanga 1999)

Pour conclure

Cette analyse dEn attendant ie vote des becirctes sauvages visait fondamentalement agrave eacuteclairer le caractegravere hybride de ce roman et agrave le relier agrave laquo sonraquo genre soit le genre romanesque Nous avons pu constater comment leacutecriture singuliegravere de Kourouma par les entrelacs syntaxiques et la multipliciteacute des formes quelle soutient sinscrit dans cette conception du roman comme laquo meacutetagenreraquo par son hybriditeacute et son caractegravere syntheacutetique Les diffeacuterentes probleacutematiques inscrites dans leacutenonciation telles la reacutepeacutetition et lutilisation simultaneacutee de temps verbaux opposeacutes IH Nous lIllenons ici ce terme en tenant compte de son utilisation limiteacutee po ur souligner les di vergences conceptll elles entre les theacuteori es de Semujanga et les theacuteories de Genelle Il est noter que Schaeffer a])orcllit eacutegalement cet Ispect en d eacutevelopplI1t le concept cie modulatio n geacuteneacuterique

155 H)hriditeacute et pOJphulie comme redeacuteilitiol du 8elre rollIesque

(passeacutepreacutesent) ont permis dillustrer leacuteclatement de la narration Aussi en approfondissant cet eacuteclatement narratif et geacuteneacuterique en fonction des multiples voix et perspectives inscrites dans la narration principale nous avons deacutemontreacute limportance de la polyphonie narrative du roman de Kourouma et du laquo brouillageraquo narratif qui est creacuteeacute De ce rapprochement a pu eacutemerger la constatation que tout comme une communication entre destinateur et destinataire parasiteacutee par diffeacuterentes perspectives le sens du roman de Kourouma exige une interpreacutetation Ainsi la polyphonie implique une neacutecessaire ouverture de la signification du roman vers ]exteacuterieur invitant neacutecessairement le lecteur agrave ajouter sa voix agrave celle des autres Cimplication de chacun des lecteurs et la polyphonie narrative dans En attendant le vote des becirctes sauvages megravenent donc agrave une reformulation du genre romanesque en fonction non plus de la forme du roman mais des proceacutedeacutes deacutecriture vers une vision davantage ouverte et dynamique de lœuvre romanesque

156 Ceneliegravele Lemoil1e

Bibliographie

Bakhtine Mikhaiumll 1978 Estheacutetique et theacuteorie du roman Paris Gallimard coll laquoTel raquo 492 p

Bisanswa Justin K 2002 laquoJeux de miroirs Kourouma l interpregravete ) Preacutesence francophone no 59 p 8-27

Borgomano Madeleine 1998 Ahmadou Kourouma Le laquoguerrierraquo griot ParisQueacutebec LHarmattan 256 p

-- 2000 Des hommes ou des becirctes Lecture de En attendant le vote des becirctes sauvages Paris LHarmattan 201 p

Chemla Yves 1999 laquoEn attendant le vote des becirctes sauvages ou le donsomana Entretien avec Ahmadou Kourouma raquo Notre librairie no 136 p 26-29

Combe Dominique 1992 Les genres litteacuteraires Paris Eacuteditions H achette coll laquo H achette supeacuterieur raquo 255 p

Dabla Seacutewanou 1986 Nouvelles eacutecritures africaines - Romanciers de la Seconde Geacuteneacuteration Paris LHarmartan 255 p

Genette Geacuterard 1972 Figures III Paris Seuil coll laquo Poeacutetique raquo 285 p

-- 1986 dntroduction agrave larchitexteraquo dans Genette G etal Theacuteoriedes genres Paris Seuil p 89-159

H ause r Michel 1994 laquo Monnegrave outraCcediles et deacutefis agrave la narration raquo dans Voix nouvelles du roman africain sous la ctir de Deltel D et D Delas Paris RITM p 81-101

Ko neacute Amadou 1995 laquoL effet de reacuteel dans les romans de Kourouma raquo Eacutetudes franccedilaises vol 31 no 1 p 13-22

I)ouroull1a Ahmadou 1998 En attendant le vote des becirctes sauvages Paris Editions du Seuil coll laquoPoints raquo 400 p

Lukagravecs Georges 1963 [1920J La theacuteorie du roman Paris Eacuteditions Gomhier 204 p

Maingueneau Dominique 1986 Eacuteleacutements de linguistique pour le texte litteacuteraire Paris Bordas 164 p

Schaeffer Jean-Marie 1986 laquo Du texre au genre raquo dans Genette G et al Theacuteorie des genres Paris Seuil p 179-205

Page 10: AHMADOU KOUROUMAoic.uqam.ca/sites/oic.uqam.ca/files/documents/... · publiera En attendant le vote des bêtes sauvages en 1998 et Allah n'est pas obligé en 2000, pour lequel il gagne

149 f1jhridileacute el pUjPhollie cOlllIe ledeacutefilliioll du gellle romallesqlle

parler lors du deacutefileacute soulignant le 30 anniversaire de larriveacutee de Koyaga au pouvoir plus de trois narrateurs le premier eacutenonciateur neacutetant pas identifieacute

Ces t en vain vous restez un roc Les engins de guerre de mort imerminablement se suivenr- Vous co nsacriez trop d argem agrave larmemem beaucoup plus dargem agrave la Deacutefense quaux ministegraveres de la Sallleacute et de lEacuteducation reacuteunisl- Cest faux ce sunt des journalistes malintentionneacutes et menteurs qui font circuler de tell es fausses nouvelles Reacutepond Macl eacutedio (Kourouma 1998 p 338)

Cet eacutenonceacute pourrait vraisemblablement se rapporter agrave Tieacutecoura (le seul ayant le droit dinsulter Koyaga) mais il peut eacutegalement ecirctre le discours dautres personnages preacutesents lors du reacutecit purificatoire Compte tenu de labsence dindications lambiguiumlteacute demeure

Finalement la parole du sora se divise elle-mecircme en deux VOIX

distinctes mais compleacutementaires Une premiegravere voix sadresse agrave Koyaga souvent au laquo je raquo parfois au laquo nous raquo (( Le dankun nous reacuteunit [vous chasseurs et nous griots de chasseurs] raquo (Kourouma 1998 p 31 1)) en sincluant dans le reacutecit comme partie inteacutegrante du monde de Koyaga La seconde impersonnelle sadresse agrave un auditoire afin de linstruire sur diffeacuterentes pratiques malinkeacute ou pour traduire

Je dirai le reacutecit purifi catoire de votre vie de maicirctre chasseur et dictateur Lc reacutecit purifl caw ire est appeleacute en malinkeacute un dOllsornfnrl Ces t une geste Il est dit par un sora accompagneacute par un reacutepondeur cordouel Un curdoua est Ull initeacute en phase purificatOire en phase cathartiquc (1998 p 10)

Ou encore laquo Saluons-le tregraves bas ce tiers cet intrus - un sora ne parle dun heacuteros quapregraves lui avoir rendu un hommage appuyeacute Salut agrave vous [ ] qui ecirctes de la race quon peut tuer sans amoindrir ni supprimerraquo (1998 p 346) On comprend facilement que si le cercle des griots est constitueacute uniquement dAfricains cette voix est dirigeacutee vers lexteacuterieur cest-agrave-dire vers le lecteur Ainsi le reacutecit purificatoire nest pas reacutealiseacute en vase clos mais est ouvert agrave une perception et agrave une interpreacutetation exteacuterieure (le lecteur) impliquant agrave plusieurs endroits que le destinataire nest pas de culture malinkeacute

Le discours indirect libte

Le discours indirect libre cette faccedilon de rapporter les dires d autrui dans son propre discours avec la tonaliteacute du narrateur premier est un proceacutedeacute omnipreacutesent dans En attendant le vote des becirctes sauvages Permettant

150 Geneviegraveve Lemoine

damalgamer la parole dautrui agrave la sienne le discours indirect libre suggegravere - agrave linstar des autres proceacutedeacutes narratifs deacutecrits plus hauts - une polyphonie narrative fragmentant encore plus finement la parole du narrateur Ce type de discours eacutemerge agrave maints endroits dans le reacutecit du sora donnons-en quelques exemples agrave deacutefaut de pouvoir tous les nommer

Les bons pegraveres humainement et chreacutetiennement croyaient avoir ainsi logeacute leurs Noirs conformeacutement agrave leurs coutumes Ils attendaient une chaude reconnaissance lorsque lincroyable nouvelle eacuteclata Ces ingrats de sauvages indigegravenes du Grand Fleuve reacuteclamaient lindeacutependance r1De vrais fous (Kouroumd 1998 p 231)

Ou encore de maniegravere plus subtile le narrateur rapportant le discours de Koyaga laquo Dans le village suivant on vous en offre trois puis ce sont cinq et mecircme sept filles quon vous offre en mariage Cest tropraquo (1998 p 280) Le discours indirect libre peut comme dans cet exemple ecirctre difficile agrave saisir et mener agrave plusieurs interpreacutetations Globalement ce type de discours utiliseacute de maniegravere reacutecurrente constitue un des traits caracteacuteristiques dEn attendant le vote des becirctes sauvages et singularise ainsi leacutecriture de Kourouma par rapport au genre romanesque Le discours indirect libre donne dans le reacutecit mecircme du sora la tonaliteacute des discours dautrui comme si ce narrateur central faisait figure de carrefour pour les voix singuliegraveres des personnages tout en eacutetant lui-mecircme geacutereacute (ou geacuteneacutereacute) par un narrateur omniscient qui lengloberait

Les perspectives adopteacutees par les multiples narrateurs la fragmentation de la parole ainsi que le discours indirect libre deacutenotent sans contredit une polyphonie narrative Cette polyphonie pourrait peut-ecirctre suggeacuterer que comme le note M Borgomano laquo[c]es voix multiples et fluctuantes [ ] transposent au niveau mecircme de la narration cette primauteacute du collectif du social si caracteacuteristique de lAfrique traditionnelleraquo (Borgomano 1998 p 166) Neacuteanmoins nous preacutefeacuterons en rester agrave lideacutee quavant de repreacutesenter ces voix transforment Elles modifient le genre romanesque en deacutefiant les limites de la narration et du dialogue entre autres parce quelles remettent en question la deacutefinition mecircme de laquo communication raquo

La Veilleacutee V du roman est grandement reacuteveacutelatrice en ce quelle expose cie faccedilon reacutecurrente et explicite bon nombre des proceacutedeacutes narratifs visant la polyphonie

151 Hvhriditeacute et pol)phonie cornille redeacutefinitioll du genre rol1lallesqlle

Le donsomana et la volonteacute communicationnelle

Le donsomana comme lexplique le sora constitue une geste cest-agrave-dire un reacutecit eacutepique Le reacutecit eacutepique tel queacutetudieacute par G Lukacirccs dans La theacuteorie du roman (13) implique que les actions du heacuteros seacutetablissent dans un univers clos et unitaire Agrave linverse la quecircte du heacuteros romanesque serait celle dune recherche duniteacute existentielle agrave linteacuterieur dun monde fragmen teacute En attendant le vote des becirctes sauvages sapparente davantage agrave cette deuxiegraveme deacutefinition mettant en scegravene un heacuteros deacutechu devant retrouver son uniteacute (par la purification ainsi que par la recherche de la meacuteteacuteorite et du Coran sacreacute) Ce qui nous inteacuteresse davantage cest ce monde ougrave eacutevolue le heacuteros qui loin decirctre clos est plutocirct permeacuteable aux discours des narrateurs multiples amenant une pleacutethore de perspectives Ainsi agrave linstar du genre romanesque pour Lukacirccs lunivers de Koyaga est fragmenteacute indeacutefinissable et profondeacutement dysfonctionnel 12 Cet univers dysfoncrionnel est donneacutebull

dune parr par la circulariteacute du donsomana -lequel devrait purifier le heacuteros et non en faire lobjet dun eacuteternel recommencement (ltltTant que Koyaga naura pas reacutecupeacutereacute le Coran et la meacuteteacuteorite commenccedilons ou recommenccedilons nous aussi le donsomana purificatoireraquo (Kourouma 1998 p 381)) - dautre part par les multiples fragmentations que le reacutecit subit notamment en ce qui concerne la narration l3bull

Il serait possible de voir dans le donsomana la meacutetaphore de leacutecriture dun roman composeacute dun enchevecirctrement dideacutees et reacutesultant en un meacutetissage ougrave le deacutebut et la fin se rejoignent Et cette mecircme meacutetaphore de leacutecriture agrave plus grande eacutechelle pourrait illustrer le pheacutenomegravene de la communication soit un message (reacutecit) supporteacute par un destinateur (narrateurauteur) et adresseacute agrave un destinataire (Koyagalecteur) communication eacutevidemment dysfonctionnelle dans le roman de Kourouma agrave cause de linstabiliteacute du destinateur et de la continuelle reacuteiteacuteration La narration preacutesenteacutee de divers points de vue est en ce sens grandement repreacutesentative Comme nous lavons abordeacute preacuteceacutedemment le narrateur voit son message laquo parasiteacute raquo par dautres narrations Les diffeacuterentes voix qui

Il serait inteacuteressant de voi r consideacuterant limpo rtance que Lukcs accorde Ci liumlronie commtnt ctttt dysfo nctio n du monde entourant le heacuteros se lie l estheacutetique ironique du rolllan de Kouroum1

Pour des raisons despace nous navons pas abo rdeacute dans cerrt analyse les enchissements de divers reacuteci ts (par exemple hi Veilleacutee III qui porte sur l histoire de Vlacleacutedio) La fragmentation geacuteneacuterale du reacutec it que nous abordons ici comf)()rt e eacutega lement cet aspect malheureusement axnclonneacute

15

152 Geneliegravel e Lellloille

sajoutent produisent des distorsions et brouillent le message menant agrave une essentielle reacutepeacutetition En attendant le vote des becirctes sauvages loin de se clore ou de proposer une fln possible agrave limpasse de Koyaga demeure un reacutecit complegravetement ouvert impliquant un recommencement jusquagrave ce que le message soit efflcace Pour sortir de cette circulariteacute l

dans le reacutecit de Kourouma comme dans lacte communicationnel en geacuteneacuteral une interpreacutetation est primordiale (interpreacutetation qui nest visiblement pas effectueacutee par Koyaga dans le roman) En attendant le vote des becirctes sauvages illustre limportance de linterpreacutetation dun reacutecit interpreacutetation neacutecessaire agrave la survie de lœuvre afin que celle-ci ne senferme pas dans une communication agrave sens unique Non seulement le roman doit ecirctre lu mais son message doit ecirctre eacuteclairci afln de deacutepasser les limites de sa propre trame Par leacutecriture du donsomana Kourouma meacutetaphorise une communication (ou de maniegravere plus restreinte un reacutecit) qui nest pas interpreacuteteacutee et qui doit ecirctre recommenceacutee pour ecirctre efflcace voire pour sinscrire dans lhistoire Et la conclusion ouverte de lœuvre invite agrave cette mecircme interpreacutetation de la part du lecteur afln qu il deacutepasse les limites du roman ne serait-ce que celles du parasitage narratif Bref le reacutecit de Koyaga se deacuteveloppant dans un univers fragmenteacute et dysfonctionnel (agrave limage de son personnage principal) neacutecessite une interpreacutetation pour retrouver son eacutequilibre il doit souvrir et deacutepasser ses propres limites (dont celle du laquo genreraquo qui lui est attribueacute le roman) pour viser agrave une reacutecupeacuteration et agrave une interpreacutetation par un destinataire exteacuterieur

Kourouma et la notion de laquo genre romanesqueraquo

En attendant te vote des becirctes sauvages de Kourouma deacutemonrre clairement lideacutee dune syntheacutetisation des genres Cette synrheacutetisation est supporteacutee par la juxtaposition de multiples genres (conte fable eacutepopeacutee chronique) - englobeacutes sous le terme de laquo roman raquo - et geacuteneacutereacutee par lindistinction entre les diffeacuterents temps verbaux ainsi que par les entrelacs syntaxiques et la reacutepeacutetition Tous ces proceacutedeacutes deacutecriture visent un eacuteclatement geacuteneacuterique eacutegalement soutenu - de faccedilon encore plus eacuteclairante - par les nombreuses voix narratives qui composent le reacutecit Le genre romanesque agrave travers leacutecriture de Kourouma se voit ainsi ouvertement questionneacute et transformeacute

1 Au suiel de la c irculariteacute dTIi (lelldtlllle l ole d es bes Sllllluges conuli er iJ no te de lecture suilIlt l entretien de y(~ Chc ll1la d Ins Y() re ihmirie no 136 p 30-32 insi que leacute tude de ~ Lldel(ine Borgo ll1~ no f)ocirc hOlllIes Ol des l( e lee lire dEn attendant le o te d es ile tls SCIUJgcs d gtlhllwrJl K(JlrtllIlI ll (2000)

153 f-J)hridileacute el po~ph()lie comme recujil7iliol7 dll gelre rOlllalesqlle

Plusieurs theacuteoriciens ont tenteacute de deacutefinir les diffeacuterents laquo genres raquo deacutefinition qui permettrait deacutetablir une classification des œuvres plus adeacutequate que la division initiale - et consideacuterablement remanieacutee -proposeacutee par Aristote et Platon Certaines reacuteflexions portant sur la notion de genre litteacuteraire en arrivent agrave la consideacuterer comme une aporie ]-M Schaeffer note dailleurs que

le deacuteveloppement de la circulation litteacuteraire (ducirc agrave des causes technologiques auss i bien que sociales) au cours des derniers siegravecles a comme conseacutequence une multiplication extrecircme des modegraveles geacuteneacuteriques potentiels en sorte que lactivireacute geacuteneacuterique 1 1 tregraves pousseacutee des tex tes modernes aboutit agrave une relie multiplication geacute neacuterique que les class ification sont tregraves difficiles agrave eacutetablir (Schaeffer 1986 p 202)

Utili~ant davantage le terme de laquo geacuteneacutericiteacuteraquo - impliquant une essentielle transformation geacuteneacuterique - plutocirct que celui de laquo genre litteacuteraire raquo Schaeffer soutient dans cette mecircme eacutetude lideacutee que la multipliciteacute des traits geacuteneacuteriques est le propre des grandes œuvres Parallegravelement dans Les genres litteacuteraires Dominique Combe preacutecise davantage la notion de genre romanesque la reliant avec la conception des romantiques de 1 laquoŒuvre totale laquelle souligne limportance dune transgression et dune synthegravese des divisions geacuteneacuteriques originelles (eacutepique lyrique et dramatique) Finalement certains theacuteoriciens soutiennent la supeacuterioriteacute dune syntheacuterisation geacuteneacuterique redirigeant ainsi les discours cloisonnant les genres vers une dynamique des eacutecrits litteacuteraires l 7

bull

Dans laquo De la litteacuterature comme rransculture raquo ] Semujanga (1999) considegravere que le roman met en place diffeacuterents meacutecanismes deacutecrirure et sourient que celui-ci contient un discours sur le processus mecircme de creacuteation lirreacuteraire et possegravede ainsi des effets directs sur la deacutefinition de genre (ce qui comme nous lavons preacuteceacutedemment releveacute se retrouve dans le roman de Kourouma) En analysant larticulation entre lœuvre (sa singulariteacute) et le

Nous bisons entre autres reacutereacuterence 1 C (~ enette (Ilt)H(raquo qui a revu lorig inell e Irirl rt itio n laussemc nt Iltribueacutee il Aristo te (eacutepique ly riq ue dramatiq ue) considugravelnt les d ilfeacuterents deacutel elo ppelllent s 1trII e rs les eacutepoques et rrorosant par conseacutequent une Ilo lll el le cLi ss ilic ll ion des genre litteacuteraires fo ndugrave sur les recouplments entre les theacutematiques les m odes et les jormes adopteacutees p tr les eacutecrits li II Y a geacuteneacutericit eacute degraves que Li cOllfrontation d un texte 1 son contexte litteacuteraire (IU

sens ~L I lt ) r~ lil surgir en Illigr~ lnc cctte S Or(LO de tratll e- qui lie enst lnhle une cI ~ l sse tex tllelle et p lr r pp0 1 1 Itq uelle le tex te en questi o n seacutecrit so it quil disparisse 1 son tour c1 ])s LI 111111( soit quil LI di middotlorde ou LI deillonte In ~ li s foujo urs soi t sy inleacutegralli oit se lin tegravegrln tl -1 Sc 1 lcfkr 1 9~6 p 20 1) 1- Nous nOLIs reacute fC rons ici ~I 1~ l II(Jlitle d es pcllremiddot dOlls le ()JJall (~ i icfil cie J ~e ll u j l l1 g 1 ( 1)lt)lt)

154 Cenel iegravele Lemaille

genre romanesque lauteur affirme que leacutecriture agrave travers ses motifs reacutecurrents est le lieu deacutenonciation de valeurs qui sintegravegrent plus largement agrave un procegraves axiologique Ces relations transversales entre les diffeacuterentes productions convergent vers cet aspect que Semujanga nomme transculturaliteacute laquelle redeacutefinit le genre comme une varieacuteteacute de motifs qui rend vaine toute tentative de systeacutemisation Les avanceacutees de Semujanga rejoignent lideacutee dune eacutevolution geacuteneacuterique proposeacutee par Schaeffer en suggeacuterant que les genres textuels sont dynamiques de par diverses influences tant litteacuteraires que culturelles tant chronologiques quanachroniques et sous-jacente agrave cette dynamique geacuteneacuterique lideacutee de laquo malleacuteabiliteacute de laquo transinfluence 18 de toute œuvre litteacuteraire

En attendant le vote des becirctes sauvages illustre cette tentative de deacutepassement des limites geacuteneacuteriques non seulement par la manipulation de diffeacuterents genres ou par la transformation fragmentaire de sa narration mais eacutegalement par le discours meacutetaphorique que suggegravere leacutecriture du donsomana sur la construction romanesque comme telle Par un style composite amalgamant plusieurs types de reacutecits mais les surpassant le roman de Kourouma se lie dune faccedilon particuliegravere agrave laquoson genre (reacutepondant dune certaine maniegravere agrave la question poseacutee par J-M Schaffer (1986 p 180)) Illustrant les diffeacuterentes avanceacutees theacuteoriques mentionneacutees ci-haut En attendant le vote des becirctes sauvages pourrait saveacuterer une des multiples repreacutesentations du roman comme laquo meacutetagenreraquo cest-agrave-dire comme lieu de laquo phagocytage de tous les genres et comme repreacutesentation dynamique de [eacutecriture (Semujanga 1999)

Pour conclure

Cette analyse dEn attendant ie vote des becirctes sauvages visait fondamentalement agrave eacuteclairer le caractegravere hybride de ce roman et agrave le relier agrave laquo sonraquo genre soit le genre romanesque Nous avons pu constater comment leacutecriture singuliegravere de Kourouma par les entrelacs syntaxiques et la multipliciteacute des formes quelle soutient sinscrit dans cette conception du roman comme laquo meacutetagenreraquo par son hybriditeacute et son caractegravere syntheacutetique Les diffeacuterentes probleacutematiques inscrites dans leacutenonciation telles la reacutepeacutetition et lutilisation simultaneacutee de temps verbaux opposeacutes IH Nous lIllenons ici ce terme en tenant compte de son utilisation limiteacutee po ur souligner les di vergences conceptll elles entre les theacuteori es de Semujanga et les theacuteories de Genelle Il est noter que Schaeffer a])orcllit eacutegalement cet Ispect en d eacutevelopplI1t le concept cie modulatio n geacuteneacuterique

155 H)hriditeacute et pOJphulie comme redeacuteilitiol du 8elre rollIesque

(passeacutepreacutesent) ont permis dillustrer leacuteclatement de la narration Aussi en approfondissant cet eacuteclatement narratif et geacuteneacuterique en fonction des multiples voix et perspectives inscrites dans la narration principale nous avons deacutemontreacute limportance de la polyphonie narrative du roman de Kourouma et du laquo brouillageraquo narratif qui est creacuteeacute De ce rapprochement a pu eacutemerger la constatation que tout comme une communication entre destinateur et destinataire parasiteacutee par diffeacuterentes perspectives le sens du roman de Kourouma exige une interpreacutetation Ainsi la polyphonie implique une neacutecessaire ouverture de la signification du roman vers ]exteacuterieur invitant neacutecessairement le lecteur agrave ajouter sa voix agrave celle des autres Cimplication de chacun des lecteurs et la polyphonie narrative dans En attendant le vote des becirctes sauvages megravenent donc agrave une reformulation du genre romanesque en fonction non plus de la forme du roman mais des proceacutedeacutes deacutecriture vers une vision davantage ouverte et dynamique de lœuvre romanesque

156 Ceneliegravele Lemoil1e

Bibliographie

Bakhtine Mikhaiumll 1978 Estheacutetique et theacuteorie du roman Paris Gallimard coll laquoTel raquo 492 p

Bisanswa Justin K 2002 laquoJeux de miroirs Kourouma l interpregravete ) Preacutesence francophone no 59 p 8-27

Borgomano Madeleine 1998 Ahmadou Kourouma Le laquoguerrierraquo griot ParisQueacutebec LHarmattan 256 p

-- 2000 Des hommes ou des becirctes Lecture de En attendant le vote des becirctes sauvages Paris LHarmattan 201 p

Chemla Yves 1999 laquoEn attendant le vote des becirctes sauvages ou le donsomana Entretien avec Ahmadou Kourouma raquo Notre librairie no 136 p 26-29

Combe Dominique 1992 Les genres litteacuteraires Paris Eacuteditions H achette coll laquo H achette supeacuterieur raquo 255 p

Dabla Seacutewanou 1986 Nouvelles eacutecritures africaines - Romanciers de la Seconde Geacuteneacuteration Paris LHarmartan 255 p

Genette Geacuterard 1972 Figures III Paris Seuil coll laquo Poeacutetique raquo 285 p

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H ause r Michel 1994 laquo Monnegrave outraCcediles et deacutefis agrave la narration raquo dans Voix nouvelles du roman africain sous la ctir de Deltel D et D Delas Paris RITM p 81-101

Ko neacute Amadou 1995 laquoL effet de reacuteel dans les romans de Kourouma raquo Eacutetudes franccedilaises vol 31 no 1 p 13-22

I)ouroull1a Ahmadou 1998 En attendant le vote des becirctes sauvages Paris Editions du Seuil coll laquoPoints raquo 400 p

Lukagravecs Georges 1963 [1920J La theacuteorie du roman Paris Eacuteditions Gomhier 204 p

Maingueneau Dominique 1986 Eacuteleacutements de linguistique pour le texte litteacuteraire Paris Bordas 164 p

Schaeffer Jean-Marie 1986 laquo Du texre au genre raquo dans Genette G et al Theacuteorie des genres Paris Seuil p 179-205

Page 11: AHMADOU KOUROUMAoic.uqam.ca/sites/oic.uqam.ca/files/documents/... · publiera En attendant le vote des bêtes sauvages en 1998 et Allah n'est pas obligé en 2000, pour lequel il gagne

150 Geneviegraveve Lemoine

damalgamer la parole dautrui agrave la sienne le discours indirect libre suggegravere - agrave linstar des autres proceacutedeacutes narratifs deacutecrits plus hauts - une polyphonie narrative fragmentant encore plus finement la parole du narrateur Ce type de discours eacutemerge agrave maints endroits dans le reacutecit du sora donnons-en quelques exemples agrave deacutefaut de pouvoir tous les nommer

Les bons pegraveres humainement et chreacutetiennement croyaient avoir ainsi logeacute leurs Noirs conformeacutement agrave leurs coutumes Ils attendaient une chaude reconnaissance lorsque lincroyable nouvelle eacuteclata Ces ingrats de sauvages indigegravenes du Grand Fleuve reacuteclamaient lindeacutependance r1De vrais fous (Kouroumd 1998 p 231)

Ou encore de maniegravere plus subtile le narrateur rapportant le discours de Koyaga laquo Dans le village suivant on vous en offre trois puis ce sont cinq et mecircme sept filles quon vous offre en mariage Cest tropraquo (1998 p 280) Le discours indirect libre peut comme dans cet exemple ecirctre difficile agrave saisir et mener agrave plusieurs interpreacutetations Globalement ce type de discours utiliseacute de maniegravere reacutecurrente constitue un des traits caracteacuteristiques dEn attendant le vote des becirctes sauvages et singularise ainsi leacutecriture de Kourouma par rapport au genre romanesque Le discours indirect libre donne dans le reacutecit mecircme du sora la tonaliteacute des discours dautrui comme si ce narrateur central faisait figure de carrefour pour les voix singuliegraveres des personnages tout en eacutetant lui-mecircme geacutereacute (ou geacuteneacutereacute) par un narrateur omniscient qui lengloberait

Les perspectives adopteacutees par les multiples narrateurs la fragmentation de la parole ainsi que le discours indirect libre deacutenotent sans contredit une polyphonie narrative Cette polyphonie pourrait peut-ecirctre suggeacuterer que comme le note M Borgomano laquo[c]es voix multiples et fluctuantes [ ] transposent au niveau mecircme de la narration cette primauteacute du collectif du social si caracteacuteristique de lAfrique traditionnelleraquo (Borgomano 1998 p 166) Neacuteanmoins nous preacutefeacuterons en rester agrave lideacutee quavant de repreacutesenter ces voix transforment Elles modifient le genre romanesque en deacutefiant les limites de la narration et du dialogue entre autres parce quelles remettent en question la deacutefinition mecircme de laquo communication raquo

La Veilleacutee V du roman est grandement reacuteveacutelatrice en ce quelle expose cie faccedilon reacutecurrente et explicite bon nombre des proceacutedeacutes narratifs visant la polyphonie

151 Hvhriditeacute et pol)phonie cornille redeacutefinitioll du genre rol1lallesqlle

Le donsomana et la volonteacute communicationnelle

Le donsomana comme lexplique le sora constitue une geste cest-agrave-dire un reacutecit eacutepique Le reacutecit eacutepique tel queacutetudieacute par G Lukacirccs dans La theacuteorie du roman (13) implique que les actions du heacuteros seacutetablissent dans un univers clos et unitaire Agrave linverse la quecircte du heacuteros romanesque serait celle dune recherche duniteacute existentielle agrave linteacuterieur dun monde fragmen teacute En attendant le vote des becirctes sauvages sapparente davantage agrave cette deuxiegraveme deacutefinition mettant en scegravene un heacuteros deacutechu devant retrouver son uniteacute (par la purification ainsi que par la recherche de la meacuteteacuteorite et du Coran sacreacute) Ce qui nous inteacuteresse davantage cest ce monde ougrave eacutevolue le heacuteros qui loin decirctre clos est plutocirct permeacuteable aux discours des narrateurs multiples amenant une pleacutethore de perspectives Ainsi agrave linstar du genre romanesque pour Lukacirccs lunivers de Koyaga est fragmenteacute indeacutefinissable et profondeacutement dysfonctionnel 12 Cet univers dysfoncrionnel est donneacutebull

dune parr par la circulariteacute du donsomana -lequel devrait purifier le heacuteros et non en faire lobjet dun eacuteternel recommencement (ltltTant que Koyaga naura pas reacutecupeacutereacute le Coran et la meacuteteacuteorite commenccedilons ou recommenccedilons nous aussi le donsomana purificatoireraquo (Kourouma 1998 p 381)) - dautre part par les multiples fragmentations que le reacutecit subit notamment en ce qui concerne la narration l3bull

Il serait possible de voir dans le donsomana la meacutetaphore de leacutecriture dun roman composeacute dun enchevecirctrement dideacutees et reacutesultant en un meacutetissage ougrave le deacutebut et la fin se rejoignent Et cette mecircme meacutetaphore de leacutecriture agrave plus grande eacutechelle pourrait illustrer le pheacutenomegravene de la communication soit un message (reacutecit) supporteacute par un destinateur (narrateurauteur) et adresseacute agrave un destinataire (Koyagalecteur) communication eacutevidemment dysfonctionnelle dans le roman de Kourouma agrave cause de linstabiliteacute du destinateur et de la continuelle reacuteiteacuteration La narration preacutesenteacutee de divers points de vue est en ce sens grandement repreacutesentative Comme nous lavons abordeacute preacuteceacutedemment le narrateur voit son message laquo parasiteacute raquo par dautres narrations Les diffeacuterentes voix qui

Il serait inteacuteressant de voi r consideacuterant limpo rtance que Lukcs accorde Ci liumlronie commtnt ctttt dysfo nctio n du monde entourant le heacuteros se lie l estheacutetique ironique du rolllan de Kouroum1

Pour des raisons despace nous navons pas abo rdeacute dans cerrt analyse les enchissements de divers reacuteci ts (par exemple hi Veilleacutee III qui porte sur l histoire de Vlacleacutedio) La fragmentation geacuteneacuterale du reacutec it que nous abordons ici comf)()rt e eacutega lement cet aspect malheureusement axnclonneacute

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152 Geneliegravel e Lellloille

sajoutent produisent des distorsions et brouillent le message menant agrave une essentielle reacutepeacutetition En attendant le vote des becirctes sauvages loin de se clore ou de proposer une fln possible agrave limpasse de Koyaga demeure un reacutecit complegravetement ouvert impliquant un recommencement jusquagrave ce que le message soit efflcace Pour sortir de cette circulariteacute l

dans le reacutecit de Kourouma comme dans lacte communicationnel en geacuteneacuteral une interpreacutetation est primordiale (interpreacutetation qui nest visiblement pas effectueacutee par Koyaga dans le roman) En attendant le vote des becirctes sauvages illustre limportance de linterpreacutetation dun reacutecit interpreacutetation neacutecessaire agrave la survie de lœuvre afin que celle-ci ne senferme pas dans une communication agrave sens unique Non seulement le roman doit ecirctre lu mais son message doit ecirctre eacuteclairci afln de deacutepasser les limites de sa propre trame Par leacutecriture du donsomana Kourouma meacutetaphorise une communication (ou de maniegravere plus restreinte un reacutecit) qui nest pas interpreacuteteacutee et qui doit ecirctre recommenceacutee pour ecirctre efflcace voire pour sinscrire dans lhistoire Et la conclusion ouverte de lœuvre invite agrave cette mecircme interpreacutetation de la part du lecteur afln qu il deacutepasse les limites du roman ne serait-ce que celles du parasitage narratif Bref le reacutecit de Koyaga se deacuteveloppant dans un univers fragmenteacute et dysfonctionnel (agrave limage de son personnage principal) neacutecessite une interpreacutetation pour retrouver son eacutequilibre il doit souvrir et deacutepasser ses propres limites (dont celle du laquo genreraquo qui lui est attribueacute le roman) pour viser agrave une reacutecupeacuteration et agrave une interpreacutetation par un destinataire exteacuterieur

Kourouma et la notion de laquo genre romanesqueraquo

En attendant te vote des becirctes sauvages de Kourouma deacutemonrre clairement lideacutee dune syntheacutetisation des genres Cette synrheacutetisation est supporteacutee par la juxtaposition de multiples genres (conte fable eacutepopeacutee chronique) - englobeacutes sous le terme de laquo roman raquo - et geacuteneacutereacutee par lindistinction entre les diffeacuterents temps verbaux ainsi que par les entrelacs syntaxiques et la reacutepeacutetition Tous ces proceacutedeacutes deacutecriture visent un eacuteclatement geacuteneacuterique eacutegalement soutenu - de faccedilon encore plus eacuteclairante - par les nombreuses voix narratives qui composent le reacutecit Le genre romanesque agrave travers leacutecriture de Kourouma se voit ainsi ouvertement questionneacute et transformeacute

1 Au suiel de la c irculariteacute dTIi (lelldtlllle l ole d es bes Sllllluges conuli er iJ no te de lecture suilIlt l entretien de y(~ Chc ll1la d Ins Y() re ihmirie no 136 p 30-32 insi que leacute tude de ~ Lldel(ine Borgo ll1~ no f)ocirc hOlllIes Ol des l( e lee lire dEn attendant le o te d es ile tls SCIUJgcs d gtlhllwrJl K(JlrtllIlI ll (2000)

153 f-J)hridileacute el po~ph()lie comme recujil7iliol7 dll gelre rOlllalesqlle

Plusieurs theacuteoriciens ont tenteacute de deacutefinir les diffeacuterents laquo genres raquo deacutefinition qui permettrait deacutetablir une classification des œuvres plus adeacutequate que la division initiale - et consideacuterablement remanieacutee -proposeacutee par Aristote et Platon Certaines reacuteflexions portant sur la notion de genre litteacuteraire en arrivent agrave la consideacuterer comme une aporie ]-M Schaeffer note dailleurs que

le deacuteveloppement de la circulation litteacuteraire (ducirc agrave des causes technologiques auss i bien que sociales) au cours des derniers siegravecles a comme conseacutequence une multiplication extrecircme des modegraveles geacuteneacuteriques potentiels en sorte que lactivireacute geacuteneacuterique 1 1 tregraves pousseacutee des tex tes modernes aboutit agrave une relie multiplication geacute neacuterique que les class ification sont tregraves difficiles agrave eacutetablir (Schaeffer 1986 p 202)

Utili~ant davantage le terme de laquo geacuteneacutericiteacuteraquo - impliquant une essentielle transformation geacuteneacuterique - plutocirct que celui de laquo genre litteacuteraire raquo Schaeffer soutient dans cette mecircme eacutetude lideacutee que la multipliciteacute des traits geacuteneacuteriques est le propre des grandes œuvres Parallegravelement dans Les genres litteacuteraires Dominique Combe preacutecise davantage la notion de genre romanesque la reliant avec la conception des romantiques de 1 laquoŒuvre totale laquelle souligne limportance dune transgression et dune synthegravese des divisions geacuteneacuteriques originelles (eacutepique lyrique et dramatique) Finalement certains theacuteoriciens soutiennent la supeacuterioriteacute dune syntheacuterisation geacuteneacuterique redirigeant ainsi les discours cloisonnant les genres vers une dynamique des eacutecrits litteacuteraires l 7

bull

Dans laquo De la litteacuterature comme rransculture raquo ] Semujanga (1999) considegravere que le roman met en place diffeacuterents meacutecanismes deacutecrirure et sourient que celui-ci contient un discours sur le processus mecircme de creacuteation lirreacuteraire et possegravede ainsi des effets directs sur la deacutefinition de genre (ce qui comme nous lavons preacuteceacutedemment releveacute se retrouve dans le roman de Kourouma) En analysant larticulation entre lœuvre (sa singulariteacute) et le

Nous bisons entre autres reacutereacuterence 1 C (~ enette (Ilt)H(raquo qui a revu lorig inell e Irirl rt itio n laussemc nt Iltribueacutee il Aristo te (eacutepique ly riq ue dramatiq ue) considugravelnt les d ilfeacuterents deacutel elo ppelllent s 1trII e rs les eacutepoques et rrorosant par conseacutequent une Ilo lll el le cLi ss ilic ll ion des genre litteacuteraires fo ndugrave sur les recouplments entre les theacutematiques les m odes et les jormes adopteacutees p tr les eacutecrits li II Y a geacuteneacutericit eacute degraves que Li cOllfrontation d un texte 1 son contexte litteacuteraire (IU

sens ~L I lt ) r~ lil surgir en Illigr~ lnc cctte S Or(LO de tratll e- qui lie enst lnhle une cI ~ l sse tex tllelle et p lr r pp0 1 1 Itq uelle le tex te en questi o n seacutecrit so it quil disparisse 1 son tour c1 ])s LI 111111( soit quil LI di middotlorde ou LI deillonte In ~ li s foujo urs soi t sy inleacutegralli oit se lin tegravegrln tl -1 Sc 1 lcfkr 1 9~6 p 20 1) 1- Nous nOLIs reacute fC rons ici ~I 1~ l II(Jlitle d es pcllremiddot dOlls le ()JJall (~ i icfil cie J ~e ll u j l l1 g 1 ( 1)lt)lt)

154 Cenel iegravele Lemaille

genre romanesque lauteur affirme que leacutecriture agrave travers ses motifs reacutecurrents est le lieu deacutenonciation de valeurs qui sintegravegrent plus largement agrave un procegraves axiologique Ces relations transversales entre les diffeacuterentes productions convergent vers cet aspect que Semujanga nomme transculturaliteacute laquelle redeacutefinit le genre comme une varieacuteteacute de motifs qui rend vaine toute tentative de systeacutemisation Les avanceacutees de Semujanga rejoignent lideacutee dune eacutevolution geacuteneacuterique proposeacutee par Schaeffer en suggeacuterant que les genres textuels sont dynamiques de par diverses influences tant litteacuteraires que culturelles tant chronologiques quanachroniques et sous-jacente agrave cette dynamique geacuteneacuterique lideacutee de laquo malleacuteabiliteacute de laquo transinfluence 18 de toute œuvre litteacuteraire

En attendant le vote des becirctes sauvages illustre cette tentative de deacutepassement des limites geacuteneacuteriques non seulement par la manipulation de diffeacuterents genres ou par la transformation fragmentaire de sa narration mais eacutegalement par le discours meacutetaphorique que suggegravere leacutecriture du donsomana sur la construction romanesque comme telle Par un style composite amalgamant plusieurs types de reacutecits mais les surpassant le roman de Kourouma se lie dune faccedilon particuliegravere agrave laquoson genre (reacutepondant dune certaine maniegravere agrave la question poseacutee par J-M Schaffer (1986 p 180)) Illustrant les diffeacuterentes avanceacutees theacuteoriques mentionneacutees ci-haut En attendant le vote des becirctes sauvages pourrait saveacuterer une des multiples repreacutesentations du roman comme laquo meacutetagenreraquo cest-agrave-dire comme lieu de laquo phagocytage de tous les genres et comme repreacutesentation dynamique de [eacutecriture (Semujanga 1999)

Pour conclure

Cette analyse dEn attendant ie vote des becirctes sauvages visait fondamentalement agrave eacuteclairer le caractegravere hybride de ce roman et agrave le relier agrave laquo sonraquo genre soit le genre romanesque Nous avons pu constater comment leacutecriture singuliegravere de Kourouma par les entrelacs syntaxiques et la multipliciteacute des formes quelle soutient sinscrit dans cette conception du roman comme laquo meacutetagenreraquo par son hybriditeacute et son caractegravere syntheacutetique Les diffeacuterentes probleacutematiques inscrites dans leacutenonciation telles la reacutepeacutetition et lutilisation simultaneacutee de temps verbaux opposeacutes IH Nous lIllenons ici ce terme en tenant compte de son utilisation limiteacutee po ur souligner les di vergences conceptll elles entre les theacuteori es de Semujanga et les theacuteories de Genelle Il est noter que Schaeffer a])orcllit eacutegalement cet Ispect en d eacutevelopplI1t le concept cie modulatio n geacuteneacuterique

155 H)hriditeacute et pOJphulie comme redeacuteilitiol du 8elre rollIesque

(passeacutepreacutesent) ont permis dillustrer leacuteclatement de la narration Aussi en approfondissant cet eacuteclatement narratif et geacuteneacuterique en fonction des multiples voix et perspectives inscrites dans la narration principale nous avons deacutemontreacute limportance de la polyphonie narrative du roman de Kourouma et du laquo brouillageraquo narratif qui est creacuteeacute De ce rapprochement a pu eacutemerger la constatation que tout comme une communication entre destinateur et destinataire parasiteacutee par diffeacuterentes perspectives le sens du roman de Kourouma exige une interpreacutetation Ainsi la polyphonie implique une neacutecessaire ouverture de la signification du roman vers ]exteacuterieur invitant neacutecessairement le lecteur agrave ajouter sa voix agrave celle des autres Cimplication de chacun des lecteurs et la polyphonie narrative dans En attendant le vote des becirctes sauvages megravenent donc agrave une reformulation du genre romanesque en fonction non plus de la forme du roman mais des proceacutedeacutes deacutecriture vers une vision davantage ouverte et dynamique de lœuvre romanesque

156 Ceneliegravele Lemoil1e

Bibliographie

Bakhtine Mikhaiumll 1978 Estheacutetique et theacuteorie du roman Paris Gallimard coll laquoTel raquo 492 p

Bisanswa Justin K 2002 laquoJeux de miroirs Kourouma l interpregravete ) Preacutesence francophone no 59 p 8-27

Borgomano Madeleine 1998 Ahmadou Kourouma Le laquoguerrierraquo griot ParisQueacutebec LHarmattan 256 p

-- 2000 Des hommes ou des becirctes Lecture de En attendant le vote des becirctes sauvages Paris LHarmattan 201 p

Chemla Yves 1999 laquoEn attendant le vote des becirctes sauvages ou le donsomana Entretien avec Ahmadou Kourouma raquo Notre librairie no 136 p 26-29

Combe Dominique 1992 Les genres litteacuteraires Paris Eacuteditions H achette coll laquo H achette supeacuterieur raquo 255 p

Dabla Seacutewanou 1986 Nouvelles eacutecritures africaines - Romanciers de la Seconde Geacuteneacuteration Paris LHarmartan 255 p

Genette Geacuterard 1972 Figures III Paris Seuil coll laquo Poeacutetique raquo 285 p

-- 1986 dntroduction agrave larchitexteraquo dans Genette G etal Theacuteoriedes genres Paris Seuil p 89-159

H ause r Michel 1994 laquo Monnegrave outraCcediles et deacutefis agrave la narration raquo dans Voix nouvelles du roman africain sous la ctir de Deltel D et D Delas Paris RITM p 81-101

Ko neacute Amadou 1995 laquoL effet de reacuteel dans les romans de Kourouma raquo Eacutetudes franccedilaises vol 31 no 1 p 13-22

I)ouroull1a Ahmadou 1998 En attendant le vote des becirctes sauvages Paris Editions du Seuil coll laquoPoints raquo 400 p

Lukagravecs Georges 1963 [1920J La theacuteorie du roman Paris Eacuteditions Gomhier 204 p

Maingueneau Dominique 1986 Eacuteleacutements de linguistique pour le texte litteacuteraire Paris Bordas 164 p

Schaeffer Jean-Marie 1986 laquo Du texre au genre raquo dans Genette G et al Theacuteorie des genres Paris Seuil p 179-205

Page 12: AHMADOU KOUROUMAoic.uqam.ca/sites/oic.uqam.ca/files/documents/... · publiera En attendant le vote des bêtes sauvages en 1998 et Allah n'est pas obligé en 2000, pour lequel il gagne

151 Hvhriditeacute et pol)phonie cornille redeacutefinitioll du genre rol1lallesqlle

Le donsomana et la volonteacute communicationnelle

Le donsomana comme lexplique le sora constitue une geste cest-agrave-dire un reacutecit eacutepique Le reacutecit eacutepique tel queacutetudieacute par G Lukacirccs dans La theacuteorie du roman (13) implique que les actions du heacuteros seacutetablissent dans un univers clos et unitaire Agrave linverse la quecircte du heacuteros romanesque serait celle dune recherche duniteacute existentielle agrave linteacuterieur dun monde fragmen teacute En attendant le vote des becirctes sauvages sapparente davantage agrave cette deuxiegraveme deacutefinition mettant en scegravene un heacuteros deacutechu devant retrouver son uniteacute (par la purification ainsi que par la recherche de la meacuteteacuteorite et du Coran sacreacute) Ce qui nous inteacuteresse davantage cest ce monde ougrave eacutevolue le heacuteros qui loin decirctre clos est plutocirct permeacuteable aux discours des narrateurs multiples amenant une pleacutethore de perspectives Ainsi agrave linstar du genre romanesque pour Lukacirccs lunivers de Koyaga est fragmenteacute indeacutefinissable et profondeacutement dysfonctionnel 12 Cet univers dysfoncrionnel est donneacutebull

dune parr par la circulariteacute du donsomana -lequel devrait purifier le heacuteros et non en faire lobjet dun eacuteternel recommencement (ltltTant que Koyaga naura pas reacutecupeacutereacute le Coran et la meacuteteacuteorite commenccedilons ou recommenccedilons nous aussi le donsomana purificatoireraquo (Kourouma 1998 p 381)) - dautre part par les multiples fragmentations que le reacutecit subit notamment en ce qui concerne la narration l3bull

Il serait possible de voir dans le donsomana la meacutetaphore de leacutecriture dun roman composeacute dun enchevecirctrement dideacutees et reacutesultant en un meacutetissage ougrave le deacutebut et la fin se rejoignent Et cette mecircme meacutetaphore de leacutecriture agrave plus grande eacutechelle pourrait illustrer le pheacutenomegravene de la communication soit un message (reacutecit) supporteacute par un destinateur (narrateurauteur) et adresseacute agrave un destinataire (Koyagalecteur) communication eacutevidemment dysfonctionnelle dans le roman de Kourouma agrave cause de linstabiliteacute du destinateur et de la continuelle reacuteiteacuteration La narration preacutesenteacutee de divers points de vue est en ce sens grandement repreacutesentative Comme nous lavons abordeacute preacuteceacutedemment le narrateur voit son message laquo parasiteacute raquo par dautres narrations Les diffeacuterentes voix qui

Il serait inteacuteressant de voi r consideacuterant limpo rtance que Lukcs accorde Ci liumlronie commtnt ctttt dysfo nctio n du monde entourant le heacuteros se lie l estheacutetique ironique du rolllan de Kouroum1

Pour des raisons despace nous navons pas abo rdeacute dans cerrt analyse les enchissements de divers reacuteci ts (par exemple hi Veilleacutee III qui porte sur l histoire de Vlacleacutedio) La fragmentation geacuteneacuterale du reacutec it que nous abordons ici comf)()rt e eacutega lement cet aspect malheureusement axnclonneacute

15

152 Geneliegravel e Lellloille

sajoutent produisent des distorsions et brouillent le message menant agrave une essentielle reacutepeacutetition En attendant le vote des becirctes sauvages loin de se clore ou de proposer une fln possible agrave limpasse de Koyaga demeure un reacutecit complegravetement ouvert impliquant un recommencement jusquagrave ce que le message soit efflcace Pour sortir de cette circulariteacute l

dans le reacutecit de Kourouma comme dans lacte communicationnel en geacuteneacuteral une interpreacutetation est primordiale (interpreacutetation qui nest visiblement pas effectueacutee par Koyaga dans le roman) En attendant le vote des becirctes sauvages illustre limportance de linterpreacutetation dun reacutecit interpreacutetation neacutecessaire agrave la survie de lœuvre afin que celle-ci ne senferme pas dans une communication agrave sens unique Non seulement le roman doit ecirctre lu mais son message doit ecirctre eacuteclairci afln de deacutepasser les limites de sa propre trame Par leacutecriture du donsomana Kourouma meacutetaphorise une communication (ou de maniegravere plus restreinte un reacutecit) qui nest pas interpreacuteteacutee et qui doit ecirctre recommenceacutee pour ecirctre efflcace voire pour sinscrire dans lhistoire Et la conclusion ouverte de lœuvre invite agrave cette mecircme interpreacutetation de la part du lecteur afln qu il deacutepasse les limites du roman ne serait-ce que celles du parasitage narratif Bref le reacutecit de Koyaga se deacuteveloppant dans un univers fragmenteacute et dysfonctionnel (agrave limage de son personnage principal) neacutecessite une interpreacutetation pour retrouver son eacutequilibre il doit souvrir et deacutepasser ses propres limites (dont celle du laquo genreraquo qui lui est attribueacute le roman) pour viser agrave une reacutecupeacuteration et agrave une interpreacutetation par un destinataire exteacuterieur

Kourouma et la notion de laquo genre romanesqueraquo

En attendant te vote des becirctes sauvages de Kourouma deacutemonrre clairement lideacutee dune syntheacutetisation des genres Cette synrheacutetisation est supporteacutee par la juxtaposition de multiples genres (conte fable eacutepopeacutee chronique) - englobeacutes sous le terme de laquo roman raquo - et geacuteneacutereacutee par lindistinction entre les diffeacuterents temps verbaux ainsi que par les entrelacs syntaxiques et la reacutepeacutetition Tous ces proceacutedeacutes deacutecriture visent un eacuteclatement geacuteneacuterique eacutegalement soutenu - de faccedilon encore plus eacuteclairante - par les nombreuses voix narratives qui composent le reacutecit Le genre romanesque agrave travers leacutecriture de Kourouma se voit ainsi ouvertement questionneacute et transformeacute

1 Au suiel de la c irculariteacute dTIi (lelldtlllle l ole d es bes Sllllluges conuli er iJ no te de lecture suilIlt l entretien de y(~ Chc ll1la d Ins Y() re ihmirie no 136 p 30-32 insi que leacute tude de ~ Lldel(ine Borgo ll1~ no f)ocirc hOlllIes Ol des l( e lee lire dEn attendant le o te d es ile tls SCIUJgcs d gtlhllwrJl K(JlrtllIlI ll (2000)

153 f-J)hridileacute el po~ph()lie comme recujil7iliol7 dll gelre rOlllalesqlle

Plusieurs theacuteoriciens ont tenteacute de deacutefinir les diffeacuterents laquo genres raquo deacutefinition qui permettrait deacutetablir une classification des œuvres plus adeacutequate que la division initiale - et consideacuterablement remanieacutee -proposeacutee par Aristote et Platon Certaines reacuteflexions portant sur la notion de genre litteacuteraire en arrivent agrave la consideacuterer comme une aporie ]-M Schaeffer note dailleurs que

le deacuteveloppement de la circulation litteacuteraire (ducirc agrave des causes technologiques auss i bien que sociales) au cours des derniers siegravecles a comme conseacutequence une multiplication extrecircme des modegraveles geacuteneacuteriques potentiels en sorte que lactivireacute geacuteneacuterique 1 1 tregraves pousseacutee des tex tes modernes aboutit agrave une relie multiplication geacute neacuterique que les class ification sont tregraves difficiles agrave eacutetablir (Schaeffer 1986 p 202)

Utili~ant davantage le terme de laquo geacuteneacutericiteacuteraquo - impliquant une essentielle transformation geacuteneacuterique - plutocirct que celui de laquo genre litteacuteraire raquo Schaeffer soutient dans cette mecircme eacutetude lideacutee que la multipliciteacute des traits geacuteneacuteriques est le propre des grandes œuvres Parallegravelement dans Les genres litteacuteraires Dominique Combe preacutecise davantage la notion de genre romanesque la reliant avec la conception des romantiques de 1 laquoŒuvre totale laquelle souligne limportance dune transgression et dune synthegravese des divisions geacuteneacuteriques originelles (eacutepique lyrique et dramatique) Finalement certains theacuteoriciens soutiennent la supeacuterioriteacute dune syntheacuterisation geacuteneacuterique redirigeant ainsi les discours cloisonnant les genres vers une dynamique des eacutecrits litteacuteraires l 7

bull

Dans laquo De la litteacuterature comme rransculture raquo ] Semujanga (1999) considegravere que le roman met en place diffeacuterents meacutecanismes deacutecrirure et sourient que celui-ci contient un discours sur le processus mecircme de creacuteation lirreacuteraire et possegravede ainsi des effets directs sur la deacutefinition de genre (ce qui comme nous lavons preacuteceacutedemment releveacute se retrouve dans le roman de Kourouma) En analysant larticulation entre lœuvre (sa singulariteacute) et le

Nous bisons entre autres reacutereacuterence 1 C (~ enette (Ilt)H(raquo qui a revu lorig inell e Irirl rt itio n laussemc nt Iltribueacutee il Aristo te (eacutepique ly riq ue dramatiq ue) considugravelnt les d ilfeacuterents deacutel elo ppelllent s 1trII e rs les eacutepoques et rrorosant par conseacutequent une Ilo lll el le cLi ss ilic ll ion des genre litteacuteraires fo ndugrave sur les recouplments entre les theacutematiques les m odes et les jormes adopteacutees p tr les eacutecrits li II Y a geacuteneacutericit eacute degraves que Li cOllfrontation d un texte 1 son contexte litteacuteraire (IU

sens ~L I lt ) r~ lil surgir en Illigr~ lnc cctte S Or(LO de tratll e- qui lie enst lnhle une cI ~ l sse tex tllelle et p lr r pp0 1 1 Itq uelle le tex te en questi o n seacutecrit so it quil disparisse 1 son tour c1 ])s LI 111111( soit quil LI di middotlorde ou LI deillonte In ~ li s foujo urs soi t sy inleacutegralli oit se lin tegravegrln tl -1 Sc 1 lcfkr 1 9~6 p 20 1) 1- Nous nOLIs reacute fC rons ici ~I 1~ l II(Jlitle d es pcllremiddot dOlls le ()JJall (~ i icfil cie J ~e ll u j l l1 g 1 ( 1)lt)lt)

154 Cenel iegravele Lemaille

genre romanesque lauteur affirme que leacutecriture agrave travers ses motifs reacutecurrents est le lieu deacutenonciation de valeurs qui sintegravegrent plus largement agrave un procegraves axiologique Ces relations transversales entre les diffeacuterentes productions convergent vers cet aspect que Semujanga nomme transculturaliteacute laquelle redeacutefinit le genre comme une varieacuteteacute de motifs qui rend vaine toute tentative de systeacutemisation Les avanceacutees de Semujanga rejoignent lideacutee dune eacutevolution geacuteneacuterique proposeacutee par Schaeffer en suggeacuterant que les genres textuels sont dynamiques de par diverses influences tant litteacuteraires que culturelles tant chronologiques quanachroniques et sous-jacente agrave cette dynamique geacuteneacuterique lideacutee de laquo malleacuteabiliteacute de laquo transinfluence 18 de toute œuvre litteacuteraire

En attendant le vote des becirctes sauvages illustre cette tentative de deacutepassement des limites geacuteneacuteriques non seulement par la manipulation de diffeacuterents genres ou par la transformation fragmentaire de sa narration mais eacutegalement par le discours meacutetaphorique que suggegravere leacutecriture du donsomana sur la construction romanesque comme telle Par un style composite amalgamant plusieurs types de reacutecits mais les surpassant le roman de Kourouma se lie dune faccedilon particuliegravere agrave laquoson genre (reacutepondant dune certaine maniegravere agrave la question poseacutee par J-M Schaffer (1986 p 180)) Illustrant les diffeacuterentes avanceacutees theacuteoriques mentionneacutees ci-haut En attendant le vote des becirctes sauvages pourrait saveacuterer une des multiples repreacutesentations du roman comme laquo meacutetagenreraquo cest-agrave-dire comme lieu de laquo phagocytage de tous les genres et comme repreacutesentation dynamique de [eacutecriture (Semujanga 1999)

Pour conclure

Cette analyse dEn attendant ie vote des becirctes sauvages visait fondamentalement agrave eacuteclairer le caractegravere hybride de ce roman et agrave le relier agrave laquo sonraquo genre soit le genre romanesque Nous avons pu constater comment leacutecriture singuliegravere de Kourouma par les entrelacs syntaxiques et la multipliciteacute des formes quelle soutient sinscrit dans cette conception du roman comme laquo meacutetagenreraquo par son hybriditeacute et son caractegravere syntheacutetique Les diffeacuterentes probleacutematiques inscrites dans leacutenonciation telles la reacutepeacutetition et lutilisation simultaneacutee de temps verbaux opposeacutes IH Nous lIllenons ici ce terme en tenant compte de son utilisation limiteacutee po ur souligner les di vergences conceptll elles entre les theacuteori es de Semujanga et les theacuteories de Genelle Il est noter que Schaeffer a])orcllit eacutegalement cet Ispect en d eacutevelopplI1t le concept cie modulatio n geacuteneacuterique

155 H)hriditeacute et pOJphulie comme redeacuteilitiol du 8elre rollIesque

(passeacutepreacutesent) ont permis dillustrer leacuteclatement de la narration Aussi en approfondissant cet eacuteclatement narratif et geacuteneacuterique en fonction des multiples voix et perspectives inscrites dans la narration principale nous avons deacutemontreacute limportance de la polyphonie narrative du roman de Kourouma et du laquo brouillageraquo narratif qui est creacuteeacute De ce rapprochement a pu eacutemerger la constatation que tout comme une communication entre destinateur et destinataire parasiteacutee par diffeacuterentes perspectives le sens du roman de Kourouma exige une interpreacutetation Ainsi la polyphonie implique une neacutecessaire ouverture de la signification du roman vers ]exteacuterieur invitant neacutecessairement le lecteur agrave ajouter sa voix agrave celle des autres Cimplication de chacun des lecteurs et la polyphonie narrative dans En attendant le vote des becirctes sauvages megravenent donc agrave une reformulation du genre romanesque en fonction non plus de la forme du roman mais des proceacutedeacutes deacutecriture vers une vision davantage ouverte et dynamique de lœuvre romanesque

156 Ceneliegravele Lemoil1e

Bibliographie

Bakhtine Mikhaiumll 1978 Estheacutetique et theacuteorie du roman Paris Gallimard coll laquoTel raquo 492 p

Bisanswa Justin K 2002 laquoJeux de miroirs Kourouma l interpregravete ) Preacutesence francophone no 59 p 8-27

Borgomano Madeleine 1998 Ahmadou Kourouma Le laquoguerrierraquo griot ParisQueacutebec LHarmattan 256 p

-- 2000 Des hommes ou des becirctes Lecture de En attendant le vote des becirctes sauvages Paris LHarmattan 201 p

Chemla Yves 1999 laquoEn attendant le vote des becirctes sauvages ou le donsomana Entretien avec Ahmadou Kourouma raquo Notre librairie no 136 p 26-29

Combe Dominique 1992 Les genres litteacuteraires Paris Eacuteditions H achette coll laquo H achette supeacuterieur raquo 255 p

Dabla Seacutewanou 1986 Nouvelles eacutecritures africaines - Romanciers de la Seconde Geacuteneacuteration Paris LHarmartan 255 p

Genette Geacuterard 1972 Figures III Paris Seuil coll laquo Poeacutetique raquo 285 p

-- 1986 dntroduction agrave larchitexteraquo dans Genette G etal Theacuteoriedes genres Paris Seuil p 89-159

H ause r Michel 1994 laquo Monnegrave outraCcediles et deacutefis agrave la narration raquo dans Voix nouvelles du roman africain sous la ctir de Deltel D et D Delas Paris RITM p 81-101

Ko neacute Amadou 1995 laquoL effet de reacuteel dans les romans de Kourouma raquo Eacutetudes franccedilaises vol 31 no 1 p 13-22

I)ouroull1a Ahmadou 1998 En attendant le vote des becirctes sauvages Paris Editions du Seuil coll laquoPoints raquo 400 p

Lukagravecs Georges 1963 [1920J La theacuteorie du roman Paris Eacuteditions Gomhier 204 p

Maingueneau Dominique 1986 Eacuteleacutements de linguistique pour le texte litteacuteraire Paris Bordas 164 p

Schaeffer Jean-Marie 1986 laquo Du texre au genre raquo dans Genette G et al Theacuteorie des genres Paris Seuil p 179-205

Page 13: AHMADOU KOUROUMAoic.uqam.ca/sites/oic.uqam.ca/files/documents/... · publiera En attendant le vote des bêtes sauvages en 1998 et Allah n'est pas obligé en 2000, pour lequel il gagne

152 Geneliegravel e Lellloille

sajoutent produisent des distorsions et brouillent le message menant agrave une essentielle reacutepeacutetition En attendant le vote des becirctes sauvages loin de se clore ou de proposer une fln possible agrave limpasse de Koyaga demeure un reacutecit complegravetement ouvert impliquant un recommencement jusquagrave ce que le message soit efflcace Pour sortir de cette circulariteacute l

dans le reacutecit de Kourouma comme dans lacte communicationnel en geacuteneacuteral une interpreacutetation est primordiale (interpreacutetation qui nest visiblement pas effectueacutee par Koyaga dans le roman) En attendant le vote des becirctes sauvages illustre limportance de linterpreacutetation dun reacutecit interpreacutetation neacutecessaire agrave la survie de lœuvre afin que celle-ci ne senferme pas dans une communication agrave sens unique Non seulement le roman doit ecirctre lu mais son message doit ecirctre eacuteclairci afln de deacutepasser les limites de sa propre trame Par leacutecriture du donsomana Kourouma meacutetaphorise une communication (ou de maniegravere plus restreinte un reacutecit) qui nest pas interpreacuteteacutee et qui doit ecirctre recommenceacutee pour ecirctre efflcace voire pour sinscrire dans lhistoire Et la conclusion ouverte de lœuvre invite agrave cette mecircme interpreacutetation de la part du lecteur afln qu il deacutepasse les limites du roman ne serait-ce que celles du parasitage narratif Bref le reacutecit de Koyaga se deacuteveloppant dans un univers fragmenteacute et dysfonctionnel (agrave limage de son personnage principal) neacutecessite une interpreacutetation pour retrouver son eacutequilibre il doit souvrir et deacutepasser ses propres limites (dont celle du laquo genreraquo qui lui est attribueacute le roman) pour viser agrave une reacutecupeacuteration et agrave une interpreacutetation par un destinataire exteacuterieur

Kourouma et la notion de laquo genre romanesqueraquo

En attendant te vote des becirctes sauvages de Kourouma deacutemonrre clairement lideacutee dune syntheacutetisation des genres Cette synrheacutetisation est supporteacutee par la juxtaposition de multiples genres (conte fable eacutepopeacutee chronique) - englobeacutes sous le terme de laquo roman raquo - et geacuteneacutereacutee par lindistinction entre les diffeacuterents temps verbaux ainsi que par les entrelacs syntaxiques et la reacutepeacutetition Tous ces proceacutedeacutes deacutecriture visent un eacuteclatement geacuteneacuterique eacutegalement soutenu - de faccedilon encore plus eacuteclairante - par les nombreuses voix narratives qui composent le reacutecit Le genre romanesque agrave travers leacutecriture de Kourouma se voit ainsi ouvertement questionneacute et transformeacute

1 Au suiel de la c irculariteacute dTIi (lelldtlllle l ole d es bes Sllllluges conuli er iJ no te de lecture suilIlt l entretien de y(~ Chc ll1la d Ins Y() re ihmirie no 136 p 30-32 insi que leacute tude de ~ Lldel(ine Borgo ll1~ no f)ocirc hOlllIes Ol des l( e lee lire dEn attendant le o te d es ile tls SCIUJgcs d gtlhllwrJl K(JlrtllIlI ll (2000)

153 f-J)hridileacute el po~ph()lie comme recujil7iliol7 dll gelre rOlllalesqlle

Plusieurs theacuteoriciens ont tenteacute de deacutefinir les diffeacuterents laquo genres raquo deacutefinition qui permettrait deacutetablir une classification des œuvres plus adeacutequate que la division initiale - et consideacuterablement remanieacutee -proposeacutee par Aristote et Platon Certaines reacuteflexions portant sur la notion de genre litteacuteraire en arrivent agrave la consideacuterer comme une aporie ]-M Schaeffer note dailleurs que

le deacuteveloppement de la circulation litteacuteraire (ducirc agrave des causes technologiques auss i bien que sociales) au cours des derniers siegravecles a comme conseacutequence une multiplication extrecircme des modegraveles geacuteneacuteriques potentiels en sorte que lactivireacute geacuteneacuterique 1 1 tregraves pousseacutee des tex tes modernes aboutit agrave une relie multiplication geacute neacuterique que les class ification sont tregraves difficiles agrave eacutetablir (Schaeffer 1986 p 202)

Utili~ant davantage le terme de laquo geacuteneacutericiteacuteraquo - impliquant une essentielle transformation geacuteneacuterique - plutocirct que celui de laquo genre litteacuteraire raquo Schaeffer soutient dans cette mecircme eacutetude lideacutee que la multipliciteacute des traits geacuteneacuteriques est le propre des grandes œuvres Parallegravelement dans Les genres litteacuteraires Dominique Combe preacutecise davantage la notion de genre romanesque la reliant avec la conception des romantiques de 1 laquoŒuvre totale laquelle souligne limportance dune transgression et dune synthegravese des divisions geacuteneacuteriques originelles (eacutepique lyrique et dramatique) Finalement certains theacuteoriciens soutiennent la supeacuterioriteacute dune syntheacuterisation geacuteneacuterique redirigeant ainsi les discours cloisonnant les genres vers une dynamique des eacutecrits litteacuteraires l 7

bull

Dans laquo De la litteacuterature comme rransculture raquo ] Semujanga (1999) considegravere que le roman met en place diffeacuterents meacutecanismes deacutecrirure et sourient que celui-ci contient un discours sur le processus mecircme de creacuteation lirreacuteraire et possegravede ainsi des effets directs sur la deacutefinition de genre (ce qui comme nous lavons preacuteceacutedemment releveacute se retrouve dans le roman de Kourouma) En analysant larticulation entre lœuvre (sa singulariteacute) et le

Nous bisons entre autres reacutereacuterence 1 C (~ enette (Ilt)H(raquo qui a revu lorig inell e Irirl rt itio n laussemc nt Iltribueacutee il Aristo te (eacutepique ly riq ue dramatiq ue) considugravelnt les d ilfeacuterents deacutel elo ppelllent s 1trII e rs les eacutepoques et rrorosant par conseacutequent une Ilo lll el le cLi ss ilic ll ion des genre litteacuteraires fo ndugrave sur les recouplments entre les theacutematiques les m odes et les jormes adopteacutees p tr les eacutecrits li II Y a geacuteneacutericit eacute degraves que Li cOllfrontation d un texte 1 son contexte litteacuteraire (IU

sens ~L I lt ) r~ lil surgir en Illigr~ lnc cctte S Or(LO de tratll e- qui lie enst lnhle une cI ~ l sse tex tllelle et p lr r pp0 1 1 Itq uelle le tex te en questi o n seacutecrit so it quil disparisse 1 son tour c1 ])s LI 111111( soit quil LI di middotlorde ou LI deillonte In ~ li s foujo urs soi t sy inleacutegralli oit se lin tegravegrln tl -1 Sc 1 lcfkr 1 9~6 p 20 1) 1- Nous nOLIs reacute fC rons ici ~I 1~ l II(Jlitle d es pcllremiddot dOlls le ()JJall (~ i icfil cie J ~e ll u j l l1 g 1 ( 1)lt)lt)

154 Cenel iegravele Lemaille

genre romanesque lauteur affirme que leacutecriture agrave travers ses motifs reacutecurrents est le lieu deacutenonciation de valeurs qui sintegravegrent plus largement agrave un procegraves axiologique Ces relations transversales entre les diffeacuterentes productions convergent vers cet aspect que Semujanga nomme transculturaliteacute laquelle redeacutefinit le genre comme une varieacuteteacute de motifs qui rend vaine toute tentative de systeacutemisation Les avanceacutees de Semujanga rejoignent lideacutee dune eacutevolution geacuteneacuterique proposeacutee par Schaeffer en suggeacuterant que les genres textuels sont dynamiques de par diverses influences tant litteacuteraires que culturelles tant chronologiques quanachroniques et sous-jacente agrave cette dynamique geacuteneacuterique lideacutee de laquo malleacuteabiliteacute de laquo transinfluence 18 de toute œuvre litteacuteraire

En attendant le vote des becirctes sauvages illustre cette tentative de deacutepassement des limites geacuteneacuteriques non seulement par la manipulation de diffeacuterents genres ou par la transformation fragmentaire de sa narration mais eacutegalement par le discours meacutetaphorique que suggegravere leacutecriture du donsomana sur la construction romanesque comme telle Par un style composite amalgamant plusieurs types de reacutecits mais les surpassant le roman de Kourouma se lie dune faccedilon particuliegravere agrave laquoson genre (reacutepondant dune certaine maniegravere agrave la question poseacutee par J-M Schaffer (1986 p 180)) Illustrant les diffeacuterentes avanceacutees theacuteoriques mentionneacutees ci-haut En attendant le vote des becirctes sauvages pourrait saveacuterer une des multiples repreacutesentations du roman comme laquo meacutetagenreraquo cest-agrave-dire comme lieu de laquo phagocytage de tous les genres et comme repreacutesentation dynamique de [eacutecriture (Semujanga 1999)

Pour conclure

Cette analyse dEn attendant ie vote des becirctes sauvages visait fondamentalement agrave eacuteclairer le caractegravere hybride de ce roman et agrave le relier agrave laquo sonraquo genre soit le genre romanesque Nous avons pu constater comment leacutecriture singuliegravere de Kourouma par les entrelacs syntaxiques et la multipliciteacute des formes quelle soutient sinscrit dans cette conception du roman comme laquo meacutetagenreraquo par son hybriditeacute et son caractegravere syntheacutetique Les diffeacuterentes probleacutematiques inscrites dans leacutenonciation telles la reacutepeacutetition et lutilisation simultaneacutee de temps verbaux opposeacutes IH Nous lIllenons ici ce terme en tenant compte de son utilisation limiteacutee po ur souligner les di vergences conceptll elles entre les theacuteori es de Semujanga et les theacuteories de Genelle Il est noter que Schaeffer a])orcllit eacutegalement cet Ispect en d eacutevelopplI1t le concept cie modulatio n geacuteneacuterique

155 H)hriditeacute et pOJphulie comme redeacuteilitiol du 8elre rollIesque

(passeacutepreacutesent) ont permis dillustrer leacuteclatement de la narration Aussi en approfondissant cet eacuteclatement narratif et geacuteneacuterique en fonction des multiples voix et perspectives inscrites dans la narration principale nous avons deacutemontreacute limportance de la polyphonie narrative du roman de Kourouma et du laquo brouillageraquo narratif qui est creacuteeacute De ce rapprochement a pu eacutemerger la constatation que tout comme une communication entre destinateur et destinataire parasiteacutee par diffeacuterentes perspectives le sens du roman de Kourouma exige une interpreacutetation Ainsi la polyphonie implique une neacutecessaire ouverture de la signification du roman vers ]exteacuterieur invitant neacutecessairement le lecteur agrave ajouter sa voix agrave celle des autres Cimplication de chacun des lecteurs et la polyphonie narrative dans En attendant le vote des becirctes sauvages megravenent donc agrave une reformulation du genre romanesque en fonction non plus de la forme du roman mais des proceacutedeacutes deacutecriture vers une vision davantage ouverte et dynamique de lœuvre romanesque

156 Ceneliegravele Lemoil1e

Bibliographie

Bakhtine Mikhaiumll 1978 Estheacutetique et theacuteorie du roman Paris Gallimard coll laquoTel raquo 492 p

Bisanswa Justin K 2002 laquoJeux de miroirs Kourouma l interpregravete ) Preacutesence francophone no 59 p 8-27

Borgomano Madeleine 1998 Ahmadou Kourouma Le laquoguerrierraquo griot ParisQueacutebec LHarmattan 256 p

-- 2000 Des hommes ou des becirctes Lecture de En attendant le vote des becirctes sauvages Paris LHarmattan 201 p

Chemla Yves 1999 laquoEn attendant le vote des becirctes sauvages ou le donsomana Entretien avec Ahmadou Kourouma raquo Notre librairie no 136 p 26-29

Combe Dominique 1992 Les genres litteacuteraires Paris Eacuteditions H achette coll laquo H achette supeacuterieur raquo 255 p

Dabla Seacutewanou 1986 Nouvelles eacutecritures africaines - Romanciers de la Seconde Geacuteneacuteration Paris LHarmartan 255 p

Genette Geacuterard 1972 Figures III Paris Seuil coll laquo Poeacutetique raquo 285 p

-- 1986 dntroduction agrave larchitexteraquo dans Genette G etal Theacuteoriedes genres Paris Seuil p 89-159

H ause r Michel 1994 laquo Monnegrave outraCcediles et deacutefis agrave la narration raquo dans Voix nouvelles du roman africain sous la ctir de Deltel D et D Delas Paris RITM p 81-101

Ko neacute Amadou 1995 laquoL effet de reacuteel dans les romans de Kourouma raquo Eacutetudes franccedilaises vol 31 no 1 p 13-22

I)ouroull1a Ahmadou 1998 En attendant le vote des becirctes sauvages Paris Editions du Seuil coll laquoPoints raquo 400 p

Lukagravecs Georges 1963 [1920J La theacuteorie du roman Paris Eacuteditions Gomhier 204 p

Maingueneau Dominique 1986 Eacuteleacutements de linguistique pour le texte litteacuteraire Paris Bordas 164 p

Schaeffer Jean-Marie 1986 laquo Du texre au genre raquo dans Genette G et al Theacuteorie des genres Paris Seuil p 179-205

Page 14: AHMADOU KOUROUMAoic.uqam.ca/sites/oic.uqam.ca/files/documents/... · publiera En attendant le vote des bêtes sauvages en 1998 et Allah n'est pas obligé en 2000, pour lequel il gagne

153 f-J)hridileacute el po~ph()lie comme recujil7iliol7 dll gelre rOlllalesqlle

Plusieurs theacuteoriciens ont tenteacute de deacutefinir les diffeacuterents laquo genres raquo deacutefinition qui permettrait deacutetablir une classification des œuvres plus adeacutequate que la division initiale - et consideacuterablement remanieacutee -proposeacutee par Aristote et Platon Certaines reacuteflexions portant sur la notion de genre litteacuteraire en arrivent agrave la consideacuterer comme une aporie ]-M Schaeffer note dailleurs que

le deacuteveloppement de la circulation litteacuteraire (ducirc agrave des causes technologiques auss i bien que sociales) au cours des derniers siegravecles a comme conseacutequence une multiplication extrecircme des modegraveles geacuteneacuteriques potentiels en sorte que lactivireacute geacuteneacuterique 1 1 tregraves pousseacutee des tex tes modernes aboutit agrave une relie multiplication geacute neacuterique que les class ification sont tregraves difficiles agrave eacutetablir (Schaeffer 1986 p 202)

Utili~ant davantage le terme de laquo geacuteneacutericiteacuteraquo - impliquant une essentielle transformation geacuteneacuterique - plutocirct que celui de laquo genre litteacuteraire raquo Schaeffer soutient dans cette mecircme eacutetude lideacutee que la multipliciteacute des traits geacuteneacuteriques est le propre des grandes œuvres Parallegravelement dans Les genres litteacuteraires Dominique Combe preacutecise davantage la notion de genre romanesque la reliant avec la conception des romantiques de 1 laquoŒuvre totale laquelle souligne limportance dune transgression et dune synthegravese des divisions geacuteneacuteriques originelles (eacutepique lyrique et dramatique) Finalement certains theacuteoriciens soutiennent la supeacuterioriteacute dune syntheacuterisation geacuteneacuterique redirigeant ainsi les discours cloisonnant les genres vers une dynamique des eacutecrits litteacuteraires l 7

bull

Dans laquo De la litteacuterature comme rransculture raquo ] Semujanga (1999) considegravere que le roman met en place diffeacuterents meacutecanismes deacutecrirure et sourient que celui-ci contient un discours sur le processus mecircme de creacuteation lirreacuteraire et possegravede ainsi des effets directs sur la deacutefinition de genre (ce qui comme nous lavons preacuteceacutedemment releveacute se retrouve dans le roman de Kourouma) En analysant larticulation entre lœuvre (sa singulariteacute) et le

Nous bisons entre autres reacutereacuterence 1 C (~ enette (Ilt)H(raquo qui a revu lorig inell e Irirl rt itio n laussemc nt Iltribueacutee il Aristo te (eacutepique ly riq ue dramatiq ue) considugravelnt les d ilfeacuterents deacutel elo ppelllent s 1trII e rs les eacutepoques et rrorosant par conseacutequent une Ilo lll el le cLi ss ilic ll ion des genre litteacuteraires fo ndugrave sur les recouplments entre les theacutematiques les m odes et les jormes adopteacutees p tr les eacutecrits li II Y a geacuteneacutericit eacute degraves que Li cOllfrontation d un texte 1 son contexte litteacuteraire (IU

sens ~L I lt ) r~ lil surgir en Illigr~ lnc cctte S Or(LO de tratll e- qui lie enst lnhle une cI ~ l sse tex tllelle et p lr r pp0 1 1 Itq uelle le tex te en questi o n seacutecrit so it quil disparisse 1 son tour c1 ])s LI 111111( soit quil LI di middotlorde ou LI deillonte In ~ li s foujo urs soi t sy inleacutegralli oit se lin tegravegrln tl -1 Sc 1 lcfkr 1 9~6 p 20 1) 1- Nous nOLIs reacute fC rons ici ~I 1~ l II(Jlitle d es pcllremiddot dOlls le ()JJall (~ i icfil cie J ~e ll u j l l1 g 1 ( 1)lt)lt)

154 Cenel iegravele Lemaille

genre romanesque lauteur affirme que leacutecriture agrave travers ses motifs reacutecurrents est le lieu deacutenonciation de valeurs qui sintegravegrent plus largement agrave un procegraves axiologique Ces relations transversales entre les diffeacuterentes productions convergent vers cet aspect que Semujanga nomme transculturaliteacute laquelle redeacutefinit le genre comme une varieacuteteacute de motifs qui rend vaine toute tentative de systeacutemisation Les avanceacutees de Semujanga rejoignent lideacutee dune eacutevolution geacuteneacuterique proposeacutee par Schaeffer en suggeacuterant que les genres textuels sont dynamiques de par diverses influences tant litteacuteraires que culturelles tant chronologiques quanachroniques et sous-jacente agrave cette dynamique geacuteneacuterique lideacutee de laquo malleacuteabiliteacute de laquo transinfluence 18 de toute œuvre litteacuteraire

En attendant le vote des becirctes sauvages illustre cette tentative de deacutepassement des limites geacuteneacuteriques non seulement par la manipulation de diffeacuterents genres ou par la transformation fragmentaire de sa narration mais eacutegalement par le discours meacutetaphorique que suggegravere leacutecriture du donsomana sur la construction romanesque comme telle Par un style composite amalgamant plusieurs types de reacutecits mais les surpassant le roman de Kourouma se lie dune faccedilon particuliegravere agrave laquoson genre (reacutepondant dune certaine maniegravere agrave la question poseacutee par J-M Schaffer (1986 p 180)) Illustrant les diffeacuterentes avanceacutees theacuteoriques mentionneacutees ci-haut En attendant le vote des becirctes sauvages pourrait saveacuterer une des multiples repreacutesentations du roman comme laquo meacutetagenreraquo cest-agrave-dire comme lieu de laquo phagocytage de tous les genres et comme repreacutesentation dynamique de [eacutecriture (Semujanga 1999)

Pour conclure

Cette analyse dEn attendant ie vote des becirctes sauvages visait fondamentalement agrave eacuteclairer le caractegravere hybride de ce roman et agrave le relier agrave laquo sonraquo genre soit le genre romanesque Nous avons pu constater comment leacutecriture singuliegravere de Kourouma par les entrelacs syntaxiques et la multipliciteacute des formes quelle soutient sinscrit dans cette conception du roman comme laquo meacutetagenreraquo par son hybriditeacute et son caractegravere syntheacutetique Les diffeacuterentes probleacutematiques inscrites dans leacutenonciation telles la reacutepeacutetition et lutilisation simultaneacutee de temps verbaux opposeacutes IH Nous lIllenons ici ce terme en tenant compte de son utilisation limiteacutee po ur souligner les di vergences conceptll elles entre les theacuteori es de Semujanga et les theacuteories de Genelle Il est noter que Schaeffer a])orcllit eacutegalement cet Ispect en d eacutevelopplI1t le concept cie modulatio n geacuteneacuterique

155 H)hriditeacute et pOJphulie comme redeacuteilitiol du 8elre rollIesque

(passeacutepreacutesent) ont permis dillustrer leacuteclatement de la narration Aussi en approfondissant cet eacuteclatement narratif et geacuteneacuterique en fonction des multiples voix et perspectives inscrites dans la narration principale nous avons deacutemontreacute limportance de la polyphonie narrative du roman de Kourouma et du laquo brouillageraquo narratif qui est creacuteeacute De ce rapprochement a pu eacutemerger la constatation que tout comme une communication entre destinateur et destinataire parasiteacutee par diffeacuterentes perspectives le sens du roman de Kourouma exige une interpreacutetation Ainsi la polyphonie implique une neacutecessaire ouverture de la signification du roman vers ]exteacuterieur invitant neacutecessairement le lecteur agrave ajouter sa voix agrave celle des autres Cimplication de chacun des lecteurs et la polyphonie narrative dans En attendant le vote des becirctes sauvages megravenent donc agrave une reformulation du genre romanesque en fonction non plus de la forme du roman mais des proceacutedeacutes deacutecriture vers une vision davantage ouverte et dynamique de lœuvre romanesque

156 Ceneliegravele Lemoil1e

Bibliographie

Bakhtine Mikhaiumll 1978 Estheacutetique et theacuteorie du roman Paris Gallimard coll laquoTel raquo 492 p

Bisanswa Justin K 2002 laquoJeux de miroirs Kourouma l interpregravete ) Preacutesence francophone no 59 p 8-27

Borgomano Madeleine 1998 Ahmadou Kourouma Le laquoguerrierraquo griot ParisQueacutebec LHarmattan 256 p

-- 2000 Des hommes ou des becirctes Lecture de En attendant le vote des becirctes sauvages Paris LHarmattan 201 p

Chemla Yves 1999 laquoEn attendant le vote des becirctes sauvages ou le donsomana Entretien avec Ahmadou Kourouma raquo Notre librairie no 136 p 26-29

Combe Dominique 1992 Les genres litteacuteraires Paris Eacuteditions H achette coll laquo H achette supeacuterieur raquo 255 p

Dabla Seacutewanou 1986 Nouvelles eacutecritures africaines - Romanciers de la Seconde Geacuteneacuteration Paris LHarmartan 255 p

Genette Geacuterard 1972 Figures III Paris Seuil coll laquo Poeacutetique raquo 285 p

-- 1986 dntroduction agrave larchitexteraquo dans Genette G etal Theacuteoriedes genres Paris Seuil p 89-159

H ause r Michel 1994 laquo Monnegrave outraCcediles et deacutefis agrave la narration raquo dans Voix nouvelles du roman africain sous la ctir de Deltel D et D Delas Paris RITM p 81-101

Ko neacute Amadou 1995 laquoL effet de reacuteel dans les romans de Kourouma raquo Eacutetudes franccedilaises vol 31 no 1 p 13-22

I)ouroull1a Ahmadou 1998 En attendant le vote des becirctes sauvages Paris Editions du Seuil coll laquoPoints raquo 400 p

Lukagravecs Georges 1963 [1920J La theacuteorie du roman Paris Eacuteditions Gomhier 204 p

Maingueneau Dominique 1986 Eacuteleacutements de linguistique pour le texte litteacuteraire Paris Bordas 164 p

Schaeffer Jean-Marie 1986 laquo Du texre au genre raquo dans Genette G et al Theacuteorie des genres Paris Seuil p 179-205

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154 Cenel iegravele Lemaille

genre romanesque lauteur affirme que leacutecriture agrave travers ses motifs reacutecurrents est le lieu deacutenonciation de valeurs qui sintegravegrent plus largement agrave un procegraves axiologique Ces relations transversales entre les diffeacuterentes productions convergent vers cet aspect que Semujanga nomme transculturaliteacute laquelle redeacutefinit le genre comme une varieacuteteacute de motifs qui rend vaine toute tentative de systeacutemisation Les avanceacutees de Semujanga rejoignent lideacutee dune eacutevolution geacuteneacuterique proposeacutee par Schaeffer en suggeacuterant que les genres textuels sont dynamiques de par diverses influences tant litteacuteraires que culturelles tant chronologiques quanachroniques et sous-jacente agrave cette dynamique geacuteneacuterique lideacutee de laquo malleacuteabiliteacute de laquo transinfluence 18 de toute œuvre litteacuteraire

En attendant le vote des becirctes sauvages illustre cette tentative de deacutepassement des limites geacuteneacuteriques non seulement par la manipulation de diffeacuterents genres ou par la transformation fragmentaire de sa narration mais eacutegalement par le discours meacutetaphorique que suggegravere leacutecriture du donsomana sur la construction romanesque comme telle Par un style composite amalgamant plusieurs types de reacutecits mais les surpassant le roman de Kourouma se lie dune faccedilon particuliegravere agrave laquoson genre (reacutepondant dune certaine maniegravere agrave la question poseacutee par J-M Schaffer (1986 p 180)) Illustrant les diffeacuterentes avanceacutees theacuteoriques mentionneacutees ci-haut En attendant le vote des becirctes sauvages pourrait saveacuterer une des multiples repreacutesentations du roman comme laquo meacutetagenreraquo cest-agrave-dire comme lieu de laquo phagocytage de tous les genres et comme repreacutesentation dynamique de [eacutecriture (Semujanga 1999)

Pour conclure

Cette analyse dEn attendant ie vote des becirctes sauvages visait fondamentalement agrave eacuteclairer le caractegravere hybride de ce roman et agrave le relier agrave laquo sonraquo genre soit le genre romanesque Nous avons pu constater comment leacutecriture singuliegravere de Kourouma par les entrelacs syntaxiques et la multipliciteacute des formes quelle soutient sinscrit dans cette conception du roman comme laquo meacutetagenreraquo par son hybriditeacute et son caractegravere syntheacutetique Les diffeacuterentes probleacutematiques inscrites dans leacutenonciation telles la reacutepeacutetition et lutilisation simultaneacutee de temps verbaux opposeacutes IH Nous lIllenons ici ce terme en tenant compte de son utilisation limiteacutee po ur souligner les di vergences conceptll elles entre les theacuteori es de Semujanga et les theacuteories de Genelle Il est noter que Schaeffer a])orcllit eacutegalement cet Ispect en d eacutevelopplI1t le concept cie modulatio n geacuteneacuterique

155 H)hriditeacute et pOJphulie comme redeacuteilitiol du 8elre rollIesque

(passeacutepreacutesent) ont permis dillustrer leacuteclatement de la narration Aussi en approfondissant cet eacuteclatement narratif et geacuteneacuterique en fonction des multiples voix et perspectives inscrites dans la narration principale nous avons deacutemontreacute limportance de la polyphonie narrative du roman de Kourouma et du laquo brouillageraquo narratif qui est creacuteeacute De ce rapprochement a pu eacutemerger la constatation que tout comme une communication entre destinateur et destinataire parasiteacutee par diffeacuterentes perspectives le sens du roman de Kourouma exige une interpreacutetation Ainsi la polyphonie implique une neacutecessaire ouverture de la signification du roman vers ]exteacuterieur invitant neacutecessairement le lecteur agrave ajouter sa voix agrave celle des autres Cimplication de chacun des lecteurs et la polyphonie narrative dans En attendant le vote des becirctes sauvages megravenent donc agrave une reformulation du genre romanesque en fonction non plus de la forme du roman mais des proceacutedeacutes deacutecriture vers une vision davantage ouverte et dynamique de lœuvre romanesque

156 Ceneliegravele Lemoil1e

Bibliographie

Bakhtine Mikhaiumll 1978 Estheacutetique et theacuteorie du roman Paris Gallimard coll laquoTel raquo 492 p

Bisanswa Justin K 2002 laquoJeux de miroirs Kourouma l interpregravete ) Preacutesence francophone no 59 p 8-27

Borgomano Madeleine 1998 Ahmadou Kourouma Le laquoguerrierraquo griot ParisQueacutebec LHarmattan 256 p

-- 2000 Des hommes ou des becirctes Lecture de En attendant le vote des becirctes sauvages Paris LHarmattan 201 p

Chemla Yves 1999 laquoEn attendant le vote des becirctes sauvages ou le donsomana Entretien avec Ahmadou Kourouma raquo Notre librairie no 136 p 26-29

Combe Dominique 1992 Les genres litteacuteraires Paris Eacuteditions H achette coll laquo H achette supeacuterieur raquo 255 p

Dabla Seacutewanou 1986 Nouvelles eacutecritures africaines - Romanciers de la Seconde Geacuteneacuteration Paris LHarmartan 255 p

Genette Geacuterard 1972 Figures III Paris Seuil coll laquo Poeacutetique raquo 285 p

-- 1986 dntroduction agrave larchitexteraquo dans Genette G etal Theacuteoriedes genres Paris Seuil p 89-159

H ause r Michel 1994 laquo Monnegrave outraCcediles et deacutefis agrave la narration raquo dans Voix nouvelles du roman africain sous la ctir de Deltel D et D Delas Paris RITM p 81-101

Ko neacute Amadou 1995 laquoL effet de reacuteel dans les romans de Kourouma raquo Eacutetudes franccedilaises vol 31 no 1 p 13-22

I)ouroull1a Ahmadou 1998 En attendant le vote des becirctes sauvages Paris Editions du Seuil coll laquoPoints raquo 400 p

Lukagravecs Georges 1963 [1920J La theacuteorie du roman Paris Eacuteditions Gomhier 204 p

Maingueneau Dominique 1986 Eacuteleacutements de linguistique pour le texte litteacuteraire Paris Bordas 164 p

Schaeffer Jean-Marie 1986 laquo Du texre au genre raquo dans Genette G et al Theacuteorie des genres Paris Seuil p 179-205

Page 16: AHMADOU KOUROUMAoic.uqam.ca/sites/oic.uqam.ca/files/documents/... · publiera En attendant le vote des bêtes sauvages en 1998 et Allah n'est pas obligé en 2000, pour lequel il gagne

155 H)hriditeacute et pOJphulie comme redeacuteilitiol du 8elre rollIesque

(passeacutepreacutesent) ont permis dillustrer leacuteclatement de la narration Aussi en approfondissant cet eacuteclatement narratif et geacuteneacuterique en fonction des multiples voix et perspectives inscrites dans la narration principale nous avons deacutemontreacute limportance de la polyphonie narrative du roman de Kourouma et du laquo brouillageraquo narratif qui est creacuteeacute De ce rapprochement a pu eacutemerger la constatation que tout comme une communication entre destinateur et destinataire parasiteacutee par diffeacuterentes perspectives le sens du roman de Kourouma exige une interpreacutetation Ainsi la polyphonie implique une neacutecessaire ouverture de la signification du roman vers ]exteacuterieur invitant neacutecessairement le lecteur agrave ajouter sa voix agrave celle des autres Cimplication de chacun des lecteurs et la polyphonie narrative dans En attendant le vote des becirctes sauvages megravenent donc agrave une reformulation du genre romanesque en fonction non plus de la forme du roman mais des proceacutedeacutes deacutecriture vers une vision davantage ouverte et dynamique de lœuvre romanesque

156 Ceneliegravele Lemoil1e

Bibliographie

Bakhtine Mikhaiumll 1978 Estheacutetique et theacuteorie du roman Paris Gallimard coll laquoTel raquo 492 p

Bisanswa Justin K 2002 laquoJeux de miroirs Kourouma l interpregravete ) Preacutesence francophone no 59 p 8-27

Borgomano Madeleine 1998 Ahmadou Kourouma Le laquoguerrierraquo griot ParisQueacutebec LHarmattan 256 p

-- 2000 Des hommes ou des becirctes Lecture de En attendant le vote des becirctes sauvages Paris LHarmattan 201 p

Chemla Yves 1999 laquoEn attendant le vote des becirctes sauvages ou le donsomana Entretien avec Ahmadou Kourouma raquo Notre librairie no 136 p 26-29

Combe Dominique 1992 Les genres litteacuteraires Paris Eacuteditions H achette coll laquo H achette supeacuterieur raquo 255 p

Dabla Seacutewanou 1986 Nouvelles eacutecritures africaines - Romanciers de la Seconde Geacuteneacuteration Paris LHarmartan 255 p

Genette Geacuterard 1972 Figures III Paris Seuil coll laquo Poeacutetique raquo 285 p

-- 1986 dntroduction agrave larchitexteraquo dans Genette G etal Theacuteoriedes genres Paris Seuil p 89-159

H ause r Michel 1994 laquo Monnegrave outraCcediles et deacutefis agrave la narration raquo dans Voix nouvelles du roman africain sous la ctir de Deltel D et D Delas Paris RITM p 81-101

Ko neacute Amadou 1995 laquoL effet de reacuteel dans les romans de Kourouma raquo Eacutetudes franccedilaises vol 31 no 1 p 13-22

I)ouroull1a Ahmadou 1998 En attendant le vote des becirctes sauvages Paris Editions du Seuil coll laquoPoints raquo 400 p

Lukagravecs Georges 1963 [1920J La theacuteorie du roman Paris Eacuteditions Gomhier 204 p

Maingueneau Dominique 1986 Eacuteleacutements de linguistique pour le texte litteacuteraire Paris Bordas 164 p

Schaeffer Jean-Marie 1986 laquo Du texre au genre raquo dans Genette G et al Theacuteorie des genres Paris Seuil p 179-205

Page 17: AHMADOU KOUROUMAoic.uqam.ca/sites/oic.uqam.ca/files/documents/... · publiera En attendant le vote des bêtes sauvages en 1998 et Allah n'est pas obligé en 2000, pour lequel il gagne

156 Ceneliegravele Lemoil1e

Bibliographie

Bakhtine Mikhaiumll 1978 Estheacutetique et theacuteorie du roman Paris Gallimard coll laquoTel raquo 492 p

Bisanswa Justin K 2002 laquoJeux de miroirs Kourouma l interpregravete ) Preacutesence francophone no 59 p 8-27

Borgomano Madeleine 1998 Ahmadou Kourouma Le laquoguerrierraquo griot ParisQueacutebec LHarmattan 256 p

-- 2000 Des hommes ou des becirctes Lecture de En attendant le vote des becirctes sauvages Paris LHarmattan 201 p

Chemla Yves 1999 laquoEn attendant le vote des becirctes sauvages ou le donsomana Entretien avec Ahmadou Kourouma raquo Notre librairie no 136 p 26-29

Combe Dominique 1992 Les genres litteacuteraires Paris Eacuteditions H achette coll laquo H achette supeacuterieur raquo 255 p

Dabla Seacutewanou 1986 Nouvelles eacutecritures africaines - Romanciers de la Seconde Geacuteneacuteration Paris LHarmartan 255 p

Genette Geacuterard 1972 Figures III Paris Seuil coll laquo Poeacutetique raquo 285 p

-- 1986 dntroduction agrave larchitexteraquo dans Genette G etal Theacuteoriedes genres Paris Seuil p 89-159

H ause r Michel 1994 laquo Monnegrave outraCcediles et deacutefis agrave la narration raquo dans Voix nouvelles du roman africain sous la ctir de Deltel D et D Delas Paris RITM p 81-101

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