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Les Nouvelles Les Nouvelles d’AFGHANISTAN d’AFGHANISTAN Le rubâb afghan Le rubâb afghan L’Afghanistan et la guerre des autres L’Afghanistan et la guerre des autres Développement en Hazâradjât Développement en Hazâradjât ISSN 0249-0072 Trente-neuvième année N°160 Mars 2018 (1 er trimestre) 6 Euros

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Les Nouvelles Les Nouvelles d’AFGHANISTANd’AFGHANISTAN

Le rubâb afghanLe rubâb afghanL’Afghanistan et la guerre des autresL’Afghanistan et la guerre des autresDéveloppement en HazâradjâtDéveloppement en Hazâradjât

ISSN

0249

-007

2

Trente-neuvième année

N°160 Mars 2018(1er trimestre)

6 Euros

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Les Nouvelles d’Afghanistan n°1602

SOMMAIRE N°160

Editorial

Site internet : www.afrane.org

Les Nouvelles d’Afghanistan

Adresse [email protected]

GÉOPOLITIQUE- L’Afghanistan et les guerres des autrespar Régis KOETSCHET 3

MONDE RURAL- Le développement en Hazâradjâtpar Céline WEYMANN,Emmanuelle MAISONNAVE,et Marie-Noëlle REBOULET 7

SOUVENIRS- Découvertes émerveilléespar Claire PATARD 12

CULTURE- Le rubâb afghanpar Sylvain ROY 16

MÉMOIRE- Religieuses en AfghanistanTémoignages rassembléspar Petite Sœur Chantal de CUGNAC 20

Bon Naorouz 32

Les Nouvelles d’Afghanistan16, passage de la Main d’Or -75011 Paris

Photo de couverture : Oustâd Rahim Khushnawaz, grand joueur de rubâb de Hérat lors d’un concert à Pa-ris en 2002. (voir article p.16). Photo Véra Marigo

Un engagement sincère pour la paix ?

Aujourd’hui 28 février, journée un peu surréaliste à Kaboul. Une conférence sur la PAIX en Afghanistan réunit 21 pays, pour la seconde fois en un an, la pre-mière ayant eu lieu quelques jours après l’attentat du 31 mai 2017, et toute la ville est à l’arrêt ou presque. Crainte d’un attentat contre la conférence, le centre-ville est rendu inaccessible. On parle de la PAIX pour le pays et sa capitale est telle une place fortifiée.

Aujourd’hui les Tâlebân ont proposé aux Américains de se parler, sans que cette offre ait été faite au gouvernement afghan. De son côté le président Achraf Ghani a suggéré lors de la conférence de ce jour une forme de reconnaissance du mouvement tâleb. Abdullah Abdullah dans une interview aujourd’hui au journal Le Temps à Genève, lors de sa participation au Conseil des droits de l’homme, confirme cette proposition.

Est-ce que tout cela peut amorcer un pas vers la paix en Afghanistan ? Je ne le sais pas. La conférence de l’année dernière n’avait apporté aucun progrès. Pourtant, il est temps que la Communauté internationale prenne conscience que la situation en Afghanistan n’est pas indifférente à la paix mondiale.

C’est ce qu’expose l’article de Régis Koetschet «L’Afghanistan et les guerres des autres » d’une implacable rigueur. J’ai toutefois le sentiment de regarder un infernal « rubik’s cube », ce jeu « casse-tête » où il faut arriver par des manipula-tions successives à mettre tous les petits carrés de la même couleur sur une même face d’un cube. Mais l’alignement d’un élément se fait le plus souvent au prix du désalignement d’un autre. Qu’on ne voie pas dans cette image une forme de déri-sion de ma part, mais la Paix en Afghanistan dépend de tant de facteurs internes et externes, de bonnes ou de mauvaises volontés, que chaque élément peut à lui seul empêcher d’atteindre l’objectif.

Je suis à Kaboul depuis deux semaines. L’ambiance y est plus lourde que de coutume. L’attentat du 27 janvier est dans tous les esprits, même si la vie a repris ses droits. Autant que le nombre de victimes et de blessés, c’est la possibilité de renouvellement de tels actes qui préoccupe les Afghans. Ceux que je côtoie tous les jours ont repris leurs activités, traversent la ville tous les matins et soirs, sûre-ment avec inquiétude mais sans laisser percevoir la moindre hésitation. La réaction « tout sécuritaire » qui est celle des organisations internationales n’est probable-ment pas un signe positif pour les Afghans qui continuent à se mobiliser pour leur pays.

De ce point de vue, l’article de Claire Patard, au-delà de ses émerveillements pour les paysages certes fabuleux du pays, nous donne quelques signes d’espoir et d’encouragement. Je retiens l’engagement des directeurs et professeurs des écoles, l’immense plaisir de voir des cohortes de jeunes-filles entrant ou sortant des écoles au moment des relèves, l’amitié, l’humour et la poésie de nos collègues, la légèreté et l’ innocence des jeux de cerfs-volants, et la vie presque…..normale.

A l’approche du Nouvel an afghan, nous espérons tous une « vie normale » pour l’Afghanistan et nous souhaitons que la Communauté internationale fasse preuve de courage et de volonté pour apporter son soutien déterminé à ce pays encore si fragile et l’aider à sortie du « Carrefour des crises ».Philippe BERTONÈCHE

Les Nouvelles d’Afghanistanbénéficient d’une aide financière

de l’ambassade de France en Afghanistan

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3Les Nouvelles d’Afghanistan n°160

L’Afghanistanet les guerres des autres

L’Afghanistan, du rêve eurasiatique d’Alexandre le Grand à l’utilisation par le Président Trump de la « mère des bombes », le 13 avril 2017, contre des cibles de l’Etat islamique à Tora Bora, apparaît comme un « cas d’école » en termes de géopolitique.

par Régis KOETSCHET*

Toutes les composantes d’un jeu complexe, à géo-métrie variable et à pluralité d’acteurs, sont réunies : une situation géographique qui a suscité beaucoup de désignations – centralité, carrefour, tampon, cœur du monde -, une gestation nationale compliquée assem-blant des groupes ethniques, linguistiques et religieux plus nombreux dans les pays du voisinage, un tracé frontalier dégringolant du Toit du monde aux sables du Baloutchistan en passant par une Ligne Durand non reconnue, un environnement où se dessine la géo-graphie énergétique et commerciale de demain portée par les plus puissants des émergents, un château d’eau confronté au réchauffement climatique de la mer d’Aral au bassin de l’Indus. Cette énumération n’est sans doute pas exhaustive.

Dans ce contexte, l’Afghanistan déjà aux prises avec ses démons intérieurs et les dérives violentes et guer-rières qu’ils suscitent depuis près de quatre décennies, se voit aussi exposé – et souvent instrumentalisé, in-fluencé, aspiré - par les « guerres des autres ».

Dans la période récente, deux dates clefs rappellent ces interférences :

- 1979, l’intervention soviétique est intervenue dans les derniers jours d’une année qui aura vu le départ du Chah et la victoire de la révolution islamique en Iran, la signature du traité de paix entre Israël et l’Egypte, le deuxième choc pétrolier, la pendaison d’Ali Bhutto, le début de la crise des otages américains à Téhéran, la prise de contrôle de la grande mosquée de la Mecque

*Ancien ambassadeur de France en Afghanistan. .

par un groupe extrémiste, la mise à sac de l’ambassade américaine à Islamabad.

Le fracas des chars soviétiques traversant à Termez le pont de l’Amitié ne saurait être dissocié de tous ces évènements. Certains y verront un point d’aboutisse-ment.

- 2003, moins de deux ans après les attentats du 11 septembre et le renversement du régime des Tâlebân, les Etats-Unis s’engagent dans une guerre en Irak à la recherche de fantomatiques armes de destruction mas-sive et avec l’objectif de chasser Saddam Hussein et installer un pouvoir issu de la majorité chiite.

L’Afghanistan passe alors au deuxième plan des priorités au moment même où le processus de « state building » (institutions, développement) semblait bien accepté par la population y compris s’agissant de l’im-plication des acteurs internationaux. Cet élan ne sera jamais retrouvé.

Un axe de tensions, de guerres et de violence terro-riste s’étend de la Méditerranée à la mer de Chine, en passant par le Proche et le Moyen-Orient, le Golfe et la péninsule arabique, le Sous-continent indien et l’ar-chipel des Philippines. Le « pivot » afghan se voit, une nouvelle fois, confronté à des contrecoups déstabilisa-teurs et meurtriers.

La relation indo-pakistanaiseL’Afghanistan apparaît comme un prolongement

géographique naturel de la rivalité fondatrice indo-pa-kistanaise. Alors que le Cachemire demeure un « conflit

GÉOPOLITIQUE

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Les Nouvelles d’Afghanistan n°1604

oublié » (on a dénombré 1948 violations du cessez le feu en 2017), cette relation triangulaire qui conjugue « profondeur stratégique » revendiquée par le Pakis-tan, flux commerciaux significatifs et stratégies d’« in-fluence », connaît une évolution en tension sur laquelle s’est greffé l’énoncé, le 22 aout dernier, par le président Trump de sa stratégie pour l’Afghanistan dont – outre un renforcement militaire - on a retenu une critique du Pakistan. Celle-ci a été violemment réitérée dans un tweet le 1er janvier - « Les Etats-Unis ont bêtement donné 33 milliards de dollars d’aide au Pakistan ces quinze dernières années et ils ne nous ont rien donné en retour si ce n’est des mensonges et de la duplicité, prenant nos dirigeants pour des idiots … ils abritent les terroristes que nous chassons en Afghanistan » - puis le gel d’une partie de l’assistance sécuritaire. S’y ajoute un encouragement à l’Inde déjà assez fortement impli-quée en Afghanistan (Achraf Ghani s’est rendu plus de quatre fois à New Delhi ; l’Inde fournit une aide signi-ficative et réalise de nombreux projets de développe-ment y compris à proximité du territoire pakistanais ; les deux pays viennent de signer, le 6 février dernier, une convention pour la mise en œuvre de 108 projets communautaires dans 34 provinces).

Des actes terroristes en Afghanistan (attentats meur-triers visant l’ambassade d’Inde en juillet 2008 et oc-tobre 2009 et le consulat indien à Djalalabâd en 2016 ; récente vague d’attaques à Kaboul) ont parfois été pré-sentés comme des « messages » ou des « représailles » relevant de la relation dégradée entre l’Inde et le Pa-kistan.

La route de la soieOn prête à la Chine le projet de contribuer à la

construction, l’entretien et le fonctionnement d’une base militaire en territoire afghan à proximité du point de jonction des trois frontières de l’Afghanistan, du Ta-djikistan et de la République populaire. Des patrouilles communes sino-afghanes auraient eu lieu l’été dernier. L’objectif de cette installation pourrait être double : contribuer à la sécurisation de la zone du Wakhan et des Pamirs appelée à faire partie des « nouvelles Routes

de la soie » mais aussi – et peut-être surtout - disposer d’une plate-forme permettant de contrôler un espace susceptible d’accueillir terrorisme islamiste ou sépara-tisme ouïgour.(cf. l’article du Monde du 21-22 janvier 2018 au titre évocateur « Chine - Prison à ciel ouvert pour les Ouïgours au Xinjiang »).

On observe que, de façon concomitante, l’US CENTCOM, le commandement militaire américain pour l’Asie centrale et le Moyen-Orient, a rendu pu-blique une série de frappes effectuée par un bombardier B-52 dans la province du Badakhchan et notamment le district de Wardudj, visant la présence de camps utili-sés par le Mouvement Islamique du Turkestan oriental, que l’on dit lié à al Qaïda et au mouvement tâleb et qui compterait en son sein des combattants ouïgours.

Les objectifs russesLa diplomatie russe, sous l’autorité du président

Poutine, est active dans la région ; elle est militairement engagée en Syrie et militairement présente au Tadjikis-tan à la frontière de l’Afghanistan. Les pourparlers dits « d’Astana » montrent que l’on aurait tort de déconnec-ter les deux théâtres.

S’agissant de l’Afghanistan et de l’Asie centrale, la Russie s’attache à poursuivre, comme pour la Chine, au moins deux objectifs : le premier est d’exercer plei-nement une politique de « puissance » dans une zone qu’elle connaît et qui constitue son arrière-cour. Lors de sa conférence de presse de fin d’année, Poutine a rappelé l’actualité de son projet d’Union eurasienne, porteur, selon lui, de multiples pollinisations croisées. Le deuxième objectif de cet engagement régional est de surveiller et bloquer tout essaimage djihadiste (turk-mène, ouzbek, tchétchène) post Raqqa sur des axes qui sont aussi ceux du trafic de drogue.

Zamir Kaboulov, ancien ambassadeur à Kaboul et grand spécialiste de la région, vient de tirer la « sonnette d’alarme ». Daesh serait, selon lui, en pleine expansion en Afghanistan et compterait désormais 10 000 combat-tants (Nangarhar et Kunar mais aussi Djaouzdjan, Fa-ryab et Sar-e-Pol). Ce chiffre est probablement gonflé et ne correspond pas à certaines évaluations américaines

Rex Tillerson avec Achraf Ghani à Bagram, 2017. Photo DRZamir Kaboulov, ancien ambassadeur de Russie en Afghanistan. Photo DR

GÉOPOLITIQUE

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5Les Nouvelles d’Afghanistan n°160

tournant plutôt autour de 3 000. La Russie semble inté-grer les Tâlebân dans sa réponse à cette menace : dia-logue politique avéré et encouragé, fourniture d’armes (?)1.

Les visées turquesLa Turquie entretient de longue date une relation

significative avec l’Afghanistan ; les « Jeunes Turcs » avaient leurs entrées auprès du roi Amanullah et de Na-der Chah ; Ismaïl Enver Pacha s’était lancé au sortir de l’effondrement de l’Empire ottoman dans un grand pro-jet « pantouranien » visant à rassembler les populations turcophones.

Le temps n’est plus à ces épopées mais l’ambition et l’influence turques demeurent : coopération à Maimana la turkmène, investissements au nord de l’Afghanistan, liaisons aériennes « Turkish airlines » vers Kaboul et Mazar. Un accord a été signé, le 15 novembre 2017, à Achkhabad entre l’Afghanistan et la Turquie ainsi que la Géorgie, l’Azerbaïdjan et le Turkménistan. Il porte le nom de « Lapiz Lazuli ». Il établit un « couloir de transport » qui commence à la station afghane d’Aqina et finit à Istanbul aux portes de l’Europe.

Au moment où la diplomatie du président Erdogan traverse une zone de turbulences (opération militaire controversée à Afrin en Syrie et question kurde, tensions internes à l’Alliance atlantique, menaces de recours à la « claque ottomane2 »), il est intéressant d’observer les « déclinaisons afghanes » de ces dérives. Elles sont de plusieurs types :

Sur le plan sémantique, on notera qu’Erdogan n’a pas hésité à répliquer aux réserves américaines sur l’of-fensive d’Afrin : « Depuis combien de temps êtes-vous en Afghanistan ? ».

Les suites du coup d’Etat manqué prêté à Fethullah Gülen connaissent un épisode inattendu à Kaboul. Les parents d’élèves des écoles afghano-turques viennent de s’opposer publiquement au renvoi vers la Turquie de professeurs incriminés.

Mais, de manière plus problématique, on relève l’accueil traditionnel réservé au général Rachid Dos-tum, vice-président de la République islamique, pour-

suivi par la justice de son pays pour des accusations de viols. L’intéressé a été reçu par Erdogan et c’est à Ankara qu’a été conclu, le 29 juin 2017, un accord entre Dostum, Ata Mohammad Nur du Djamiat et le leader hazâra, Hadji Mohaqeq. Cet accord, dont on mesure la portée, est parfois appelé « Pacte » ou « Triangle » d’Ankara.

Enfin, on sait que depuis l’accord conclu avec l’Union européenne, la Turquie dispose d’un « verrou » sur la route des migrants afghans.

Le grand voisin iranienA l’ouest immédiat de l’Afghanistan s’ouvre une

zone très sensible en matière géopolitique et agitée de multiples tensions (guerre en Syrie et post Raqqa, ques-tion kurde, rôle régional de l’Iran et menace américaine sur l’accord nucléaire, Jérusalem et conflit israélo-pa-lestinien, montée d’un antagonisme sunnite-chiite).

L’Afghanistan est concerné et parfois impliqué au moins à trois niveaux :

1) La relation avec le grand voisin iranien est faite de potentialités (investissements importants dans la ré-gion d’Herat, soutien éducatif, accueil de réfugiés...), de « référence » (magistère religieux sur la communau-té chiite Hazâra), mais aussi de crispation (trafic de dro-gue) et d’ambiguïté à l’égard de l’insurrection. Gulbu-din Hekmatyar a bénéficié d’une longue hospitalité ; tout le monde aura noté que mollah Akhtar Mansour, successeur du mollah Omar, a été tué, le 21 mai 2016, par un drone américain alors même qu’il venait de quit-ter le territoire iranien. Le « message » ne s’adressait pas qu’aux Tâlebân.

Sur le plan économique, l’Afghanistan est très in-téressé par le développement de ses possibilités d‘ac-cès au port iranien de Tchâbahâr. Cela lui permettrait d’accéder au marché indien sans passer par le territoire pakistanais. L’Afghanistan est en effet très dépendant pour ses approvisionnements du port de Karachi et de la bonne ou plus souvent mauvaise volonté des Pakis-tanais qui ont toujours utilisé la fermeture de leur fron-tière avec l’Afghanistan ou l’Inde comme moyen de pression politique.

Brigade Fatemiyoun, force iranienne à majorité chiite afghane. Photo DRAbdul Rachid Dostum et Erdogan en Turquie. Photo DR

GÉOPOLITIQUE

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Les Nouvelles d’Afghanistan n°1606

La relation bilatérale connaît par ailleurs un déve-loppement très problématique. Il s’agit de l’enrôlement d’Hazâras appelés à combattre au côté de forces ira-niennes, régulières ou pas. Lors du conflit Irak-Iran avait été constituée une force chiite afghane dite « Brigade Abouzar ». Actuellement, c’est une force ré-gionale à majorité chiite afghane qui interviendrait en Syrie sous l’appellation de « Brigade Fatemiyoun ». On parle de 10 à 20000 hommes bien entrainés et parfois utilisés comme « chair à canon ». Certains, démobili-sés, resteraient en Syrie pour travailler auprès d’inves-tisseurs iraniens.

2) L’Arabie saoudite, ses alliés du CCEAG (Conseil de coopération des États arabes du Golfe) et l’Egypte ont imposé au Moyen-Orient une « grille de lecture » sunnite-chiite. L’ombre portée de cet « antagonisme » s’étend à l’Afghanistan. L’Etat islamique s’est greffé sur ce débat pour conduire une série d’attentats très meurtriers visant la communauté chiite afghane (et l’ambassade d’Irak) avec l’objectif de la « punir » mais aussi de la « pousser à bout » dans le contexte inter-communautaire hautement inflammable qui est celui de l’Afghanistan aujourd’hui.

Cette affaire est dramatiquement et délibérément « embrouillée » par les autorités iraniennes qui s’effor-cent de faire croire que les Américains sont les « par-rains » de Daesh en Afghanistan. L’Ayatollah Khame-nei l’a encore marqué le 30 janvier.

3) L’opinion publique afghane est sensible à la ques-tion palestinienne. Une aggravation de la tension en Palestine aurait de probables conséquences au niveau de la rue. Kaboul a voté la résolution de l’Assemblée Générale des Nations unies dénonçant la décision amé-ricaine de reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël.

La péninsule arabiqueLa péninsule arabique et le Golfe constituent pour

l’Afghanistan une zone d’une très grande importance : approvisionnement, circulation des personnes (liaisons aériennes vers Dubai), diaspora (notamment des fa-milles), investissements afghans (cf l’article du Monde des 20 et 21 aout 2017 au titre dévastateur : « Dubai coffre-fort occulte des riches Afghans »), Lieux Saints et pèlerinage.

Cette région est depuis plusieurs mois confrontée au boycott agressif lancé contre le Qatar par l’Arabie saoudite et les Emirats. La présence à Doha d’un bu-reau de représentation des Tâlebân fait partie des do-léances de Riyad.

A ce stade, Kaboul est parvenu à maintenir tous les fils ouverts. L’ambassade émirati dont le personnel avait été durement touché par un attentat dans la rési-dence du gouverneur de Kandahar vient de rouvrir. Le Qatar a annoncé, le 12 février à Bruxelles, au siège de

l’OTAN, son adhésion à la mission non combattante « Resolute support » en Afghanistan (mise à disposition d’avions militaires de transport).

Certaines rumeurs -mais qui semblent relever de l’intox – évoquent un possible déploiement de chiites afghans auprès de la rébellion houthiste au Yemen.

Cette instabilité régionale et internationale tous azi-muts qui s’étend aux relations entre Washington, Mos-cou et Pékin pèse sur le processus politique afghan. L’Afghanistan a tout à perdre dans ces tensions et pas grande protection à y opposer… hormis sa capacité à les alimenter (puis à être frappé en retour).

Quel engagement sincèrepour la paix ?

Il est regrettable que tous ces membres de premier plan de la « communauté internationale » ne voient pas l’Afghanistan, dans sa pauvreté et ses vulnérabi-lités, comme un lieu où, nonobstant leurs désaccords, il est utile d’y poursuivre une diplomatie constructive. Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est très récemment rendu à Kaboul. A son retour à New York, il a tenu une séance, le 19 janvier, à l’invitation du Kazakhstan. Le représentant de la France, l’ambassadeur François Delattre, a rappelé, à cette occasion, l’importance du renouvellement en mars du mandat de la MANUA et plaidé pour un « engagement sincère et un soutien sans ambiguïté de tous les voisins de l’Afghanistan en faveur de la paix. » Des qualificatifs qui paraissent quelque peu hors d’atteinte dans ce « carrefour des crises ».

Représentation des Tâlebân au Qatar. Photo DR

1- Par deux fois James Mattis, Secrétaire d’Etat à la Défense, a accusé la Russie d’approvisionner en armes les Tälebân.2- Frappe redoutable de la main qu’utilisaient les Ottomans (NDLR). Erdo-gan a menacé les Américains de la « Claque ottomane » (Syrie, Manbij) mais il semble être revenu à de meilleurs sentiments après la visite en Turquie, le 15 février, de Rex Tillerson.

GÉOPOLITIQUE

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7Les Nouvelles d’Afghanistan n°160

Développement ruralDéveloppement ruralen Hazâradjâten Hazâradjât

De 2014 à 2017, GERES, MADERA et Solidarités International ont mis en œuvre un programme commun de développement rural dans les provinces de Bamyan et du Wardak, le Central Highlands Programme (CHP), avec le soutien de l’Agence Française de Développement. Ce programme faisait suite à des projets conduits séparément dans le domaine de l’énergie et du développement rural par ces trois ONG françaises présentes depuis de nombreuses années en Afghanistan, et notamment dans cette région du Hazâradjât. Dans un premier article, elles présentent leur action dans le domaine de l’agriculture.

par Céline WEYMANN, Emmanuelle MAISONNAVE, Marie-Noëlle REBOULET*par Céline WEYMANN, Emmanuelle MAISONNAVE, Marie-Noëlle REBOULET*

Les provinces de Bamyan et du Wardak, situées dans les montagnes sèches du centre du pays, se ca-ractérisent par une agriculture et des conditions de vie difficiles : enclavement et fort isolement de certains villages pendant l’hiver, climat rude (une grande partie de ce territoire est à plus de 2500 m d’altitude), peu de terrains agricoles, érosion des sols, manque de ré-seaux d’irrigation… Conséquence : en 2011, le taux de pauvreté était supérieur à la moyenne nationale1 (56% contre 36%) et la déficience en calories touchait près de 30% de la population selon la Banque Mondiale.

Le Hazaradjat, devenu tristement célèbre en 2001 avec la destruction des Buddhas de Bamyan par les Tâ-lebân, est une région plutôt calme et sûre aujourd’hui et qui mobilise peu la communauté internationale mais qui demeure pauvre2. Avec le programme CHP, nos ONG sont intervenues dans ces montagnes sèches avec l’ambition d’aider ces populations délaissées à régéné-

* E. Maisonnave est chargée de capitalisation et des publications techniques pour Solidarités International depuis janvier 2016, M. N. Reboulet est pré-sidente du GERES (Groupe Energies Renouvelables, Environnement et So-lidarités) depuis juillet 2017, engagée dans les énergies renouvelables et la solidarité internationale depuis de nombreuses années, et Céline Weymann, déléguée générale de MADERA, ONG de solidarité internationale qui ap-puie le développement des économies rurales en Afghanistan. Florence Car-rot, responsable partenariats de MADERA a également participé à l’écriture de cet article.

rer leurs moyens de subsistance. Les activités ont été concentrées dans les districts de Sayghan, Kah-mard et Yakao-lang (province de Bamyan), Hessa-e awwal-e Behsud

et Markaz-e Behsud (province de Wardak), eux-mêmes considérés comme des districts particulièrement pauvres dans ces provinces3.

L’objectif « d’améliorer les conditions de vie des populations rurales par un développement équilibré et la préservation des ressources naturelles » s’est traduit par quatre grands types d’actions : - L’intensification raisonnée et durable de l’agriculture et de l’élevage fermier,- L’amélioration de la gestion des pâturages et de l’eau, - L’efficacité énergétique dans les maisons et l’amélio-ration des conditions de vie hivernales, - La capitalisation de connaissances pour favoriser le dialogue avec les autorités locales et les acteurs de dé-veloppement.

Après une rapide présentation de l’agriculture de ces

MONDE RURAL

KABOUL

Bamyan

Région d’intervention

Page 8: Les Nouvelles - afrane.org

Les Nouvelles d’Afghanistan n°1608

régions, cet article analyse les actions conduites sur le terrain et leurs résultats dans le domaine agricole. Dans les prochains numéros des Nouvelles d’Afghanistan, nous reviendrons plus en détail sur les réalisations re-latives à l’efficacité énergétique pour la cuisson et le logement, et sur les activités de gestion des ressources naturelles. Quant à la capitalisation des connaissances, elle se traduit par plus de 20 vidéos courtes4 (dont une grande partie réalisées par des étudiants de Bamyan) et six études faisant l’objet d’une publication5. Cet exposé s’appuie sur les rapports rédigés périodiquement par les équipes ONG et sur l’évaluation à mi-parcours réalisée fin 2016 par un consultant externe6.

L’agriculture,principale source de revenus

L’agriculture (cultures et élevage) est la principale source de revenus des ménages des provinces de Ba-myan et Wardak. Elle concerne 75% des actifs contre 44% à l’échelle nationale7.

Les principales cultures sont le blé, d’hiver et sur-tout de printemps, et la pomme de terre. Depuis 2006, la culture de cette dernière s’est fortement développée, devenant « l’or blanc de Bamyan »8, ce qui a conduit mécaniquement à une diminution des surfaces dédiées au blé et aux cultures fourragères (légumineuses), ain-si qu’à une réduction de la durée des rotations. Cette spécialisation croissante augmente la sensibilité aux risques agronomiques et économiques et pose au-jourd’hui question en termes de durabilité. Dans le cas du blé de printemps, culture essentielle pour l’alimen-tation de base mais nécessitant l’irrigation, la majorité des paysans ensemencent moins de 4 djeribs (8000 m²), pour une production souvent inférieure à 200 sers9 (en-viron 1.4 tonne).

En ce qui concerne l’élevage, 96% des familles pos-sèdent des petits ruminants, principalement des mou-

tons, et 67% d’entre elles ont une ou deux vaches. Une majorité d’entre elles comptent sur leur petit bétail pour générer des revenus, en plus de leur propre consomma-tion. Cependant, les difficultés sont nombreuses : mala-dies, manque de fourrage, mauvaise alimentation, etc.

Les Farmer Field Schools :des champs écoles paysans, une méthode populaire de formation

Pour favoriser une intensification raisonnée et du-rable des cultures et de ces élevages fermiers, MADE-RA et Solidarités International ont favorisé la forma-tion des paysans à travers des Farmer Field Schools10. Dans ces champs écoles paysans, les thématiques des formations concernent directement les problèmes ren-contrés par les paysans : techniques d’irrigation, entre-

Vallée de Bamyan, champs de blé, l’une des principales cultures. Photo Simon

MONDE RURAL

« 67% des familles possèdent une ou deux vaches ». Photo Geres

Les Champs écoles paysansou Farmers Field SchoolsLa méthodologie utilisée pour former les paysans à travers ce qu’on appelle les Farmers Field Schools a fait l’objet d’une étude. En 2017, Wahyu SUTISNA, un consultant externe, a observé

et analysé la mise en œuvre de cette méthodologie dans l’agriculture et l’élevage par le programme CHP et en a iden-tifié les forces et les faiblesses. Cette analyse a été complétée par des recommandations et des suggestions pour affiner les domaines d’action et améliorer l’efficacité des moyens mis en œuvre. Ce document de capi-talisation a fait l’objet d’une pu-blication téléchargeable (http://www.geres.eu/fr/ressources/publications).

Page 9: Les Nouvelles - afrane.org

9Les Nouvelles d’Afghanistan n°160

tien des cultures, conservation des semences, fabrication de compost, rotation des cultures, etc. Les ses-sions ont eu lieu sur site chaque semaine, en présence d’un ani-mateur, d’un expert et des agri-culteurs, ce qui a permis de mixer expérience et connaissances plus scientifiques et de traiter à la fois les aspects théoriques et pratiques. Ces activités participatives mobi-lisent le plus possible les savoirs locaux des communautés. Selon les témoignages des paysans, il ne s’agit pas d’écouter un formateur dans une classe mais de participer à des formations pratiques ou à des visites pendant lesquelles ils peuvent échanger. Cette approche s’est révélée pertinente dans ces zones rurales enclavées et isolées car elle correspond bien à la demande des participants en conseil, en ac-compagnement et en ouverture sur des méthodes qu’ils ne connaissent pas. Pendant les trois années du projet, 88 champs écoles paysans dédiés aux cultures ont été mis en place, soit 15 de plus que prévu : 20 pour les femmes sur la production de légumes, et 68 pour les hommes sur la production de blé, pommes de terre et légumes. Un bénéficiaire explique : « nous sommes si contents, nous remercions les ONG pour ces aides et ces formations si utiles pour nous. Personne ici ne connaissait ces méthodes de cultiver avant… Quand nous cultivons, nous obtenons de meilleurs résultats maintenant ».

Des participants ont fait part à l’évaluateur de leur enthousiasme et de leur souhait de faire bénéficier d’autres personnes de ces formations, et d’ores et déjà certains en font bénéficier leurs voisins. Enfin les 1460 agriculteurs membres des 88 écoles paysannes ont aug-menté le nombre de cultures produites sur leurs par-celles : pommes de terre, épinard, concombre, salade, chou, radis et oignon, en plus des traditionnels blé, orge et luzerne.

Les serres solaires passives :une innovation pour diversifier l’alimentation

Pour compléter ces cultures, Solidarités Internatio-nal a mis en place 15 serres solaires passives dans des écoles et dans le cadre des jardins potagers, selon la technique développée par GERES. Il s’agit de serres à double paroi plastique et avec des murs capteurs (nord, est et ouest) qui stockent la chaleur du jour pour la res-

tituer la nuit et maintenir le hors-gel11. Cette activité très populaire parmi les bénéficiaires a permis aux com-munautés concernées d’avoir des légumes une grande partie de l’année. Selon un villageois de Saighan, « les serres sont bien parce que nous pouvons cultiver des lé-gumes pendant l’hiver et tout au long de l’année. Nous avons besoin de plus de serres dans chaque village ».

Avant la mise en place de ces serres, 90% des lé-gumes vendus sur le marché central de Yakaolang ve-naient de Kaboul et étaient donc, en raison des trans-ports, plus chers et de moins bonne qualité ; à la fin du programme, cette proportion a chuté à 50%. Mais pendant cette phase de démonstration, ces équipements ont été fournis par le programme CHP. Au-delà, il sera difficile pour les communautés villageoises ou des indi-viduels d’investir sans aide financière pour l’achat des matériaux.

Elevage : réduire la mortalité, accroitre la production

En matière d’élevage, pour réduire la mortalité et accroitre la production du cheptel, les actions ont porté sur l’alimentation et le bien-être des animaux et leur protection contre les maladies, via la rénovation d’étables et la formation des éleveurs et des interve-nants extérieurs. La rénovation des étables

La rénovation d’étables est un volet important des interventions conduites par MADERA et Solidarités In-ternational. Des éleveurs expliquent : « Le sol de l’étable est cimenté, il peut être nettoyé facilement et plus sou-vent, l’eau ne stagne pas et ça ne sent pas mauvais… », « Maintenant les animaux sont tranquilles, dans cette étable il n’y a pas d’insectes qui favorisent les maladies

MONDE RURAL

« Nous pouvons cultiver plus de légumes ». Photo Solidarités International

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Les Nouvelles d’Afghanistan n°16010

et les animaux grossissent bien. L’air est bon, il est frais et le sol est propre parce qu’il y a des écoulements pour l’eau, le sol est toujours sec et il y a deux cheminées d’aération au niveau du toit. Avant, dans les étables, il n’y avait pas ce renouvellement de l’air, il n’y avait pas de soleil, et les animaux étaient souvent malades ». La contribution financière, de quelques milliers d’afghanis

Amélioration des établesLes conditions sont particulièrement difficiles pour les ani-maux d’élevage durant l’hiver. Ils doivent rester à l’intérieur dans des conditions propices aux maladies : manque d’es-pace, de litière et de ventilation, fumiers difficiles à évacuer, eau et fourrages difficiles à distribuer. Conséquence : les éle-veurs perdent plus d’animaux durant cette saison.Des démonstrations d’amélioration des étables ont donc été réalisées. Elles consistent à agrandir les fenêtres pour plus de lumière du soleil, installer une porte pour une meilleure isolation, appliquer de la chaux sur les murs pour moins d’insectes et parasites, installer des tuyaux faisant office de cheminée pour améliorer la circulation et la qualité de l’air, bétonner le sol pour faciliter le nettoyage, installer un abreuvoir et une mangeoire. Ces techniques simples mais efficaces peuvent être maintenant dupliquées, au moins en partie, par d’autres éleveurs.

MONDE RURAL

à un maximum de soixante-dix mille12, n’a pas été un obstacle, aucun éleveur ne s’en plaint, il y a plutôt une demande de nouvelles constructions. 86 étables ont été réhabilitées en trois ans, soit trois fois plus que les pré-visions. L’ensemble des éleveurs exprime sa satisfac-tion… sauf un qui a peur que le sol bétonné soit trop froid pour ses animaux.

La formation des éleveurs et des vétérinairesLa même approche « champ école paysan » a été

utilisée pour l’élevage, avec la création de 43 groupes dédiés à l’élevage (20 les pour femmes, 23 pour les hommes). Les séances communes de formation ont permis aux membres de mieux repérer les animaux malades et de faire les injections et vaccinations eux-mêmes ; ils ont également une meilleure compréhen-sion du processus de traite pour la production de lait.

La formation de vétérinaires et assistants vétéri-naires a concerné une trentaine de personnes couvrant 650 conseils communautaires de développement. Cette formation a été appréciée comme l’explique l’un d’entre eux : maintenant j’ « utilise 90% de ce que j’ai appris pendant la formation à la place des techniques que je connaissais avant ». La présence de ce réseau vé-térinaire améliore la santé animale et réduit la mortalité. Bien qu’il soit difficile d’évaluer l’efficacité de telles actions au bout de trois ans, on atteint un taux de vac-cination de 40 % des troupeaux chez les propriétaires ayant participé à une école paysanne, supérieur au taux des non-participants. Mais, pour ces professionnels de la santé animale, les limites de ces actions sont les diffi-cultés d’approvisionnement et le prix des vaccins et des médicaments qui deviennent problématiques quand le stock fourni par MADERA est épuisé. Ils se plaignent également des problèmes rencontrés pour faire payer les éleveurs souvent très pauvres, à quoi s’ajoutent leurs difficultés et leurs frais de déplacement pour at-teindre les villages isolés.

Enfin, pour améliorer l’alimentation des animaux, des actions de régénération des prairies ont été entre-prises en semant de la luzerne et d’autres plantes adap-tées (broussailles, rhubarbe, paligak, ghigho). Plus de 1000 ha ont été réensemencés en trois ans. Les difficul-tés concernent principalement les conflits qui apparais-sent quand des animaux divaguent sur les parcelles en cours de régénération.

Les femmes : éleveuseset horticultrices dynamique

Dans le cadre du programme CHP, des activités ont spécifiquement concerné les femmes afin de renforcer leur contribution aux ressources du ménage, tout en res-pectant les traditions locales et culturelles. Ces activités ont concerné l’élevage (au cours de la troisième année,

Vaccination d’une brebis. Photo Madéra

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11Les Nouvelles d’Afghanistan n°160

MONDE RURAL

1- Afghanistan Provincial Briefs, World Bank, 2011, en ligne. Pas de don-nées provinciales pour les années plus récentes. Taux de pauvreté : % de la population dont les dépenses alimentaires et non alimentaires est inférieur au seuil de pauvreté officiel. 2- Plus d’informations sur cette région dans l’étude sur les migrations réali-sée par le programme CHP et téléchargeable http://www.geres.eu/images/publications/CHP_Impact_of_Migrations_on_Local_Economy_and_So-cial_Networks.pdf3- Bien qu’appartenant à deux provinces différentes, ces districts relèvent tous de ce qu’on appelle le Hazaradjat (NDLR)4- A voir sur YouTube https://www.youtube.com/user/GeresAssociation/videos5- Ces publications portent sur les Farmer Field Schools, les Systèmes d’In-formation Géographiques, la régénération des pâtures, la gestion sociale de l’eau, les migrations et la résilience aux changements climatiques. Toutes sont téléchargeables sur http://www.geres.eu/fr/ressources/publications6- Samuel Hall 2016, Central Highlands Programme – 2016 Midline Eva-luation7- http://pubdocs.worldbank.org/en/298721480548197402/AFGHANIS-TAN-PROVINCIAL-BRIEFS-ENG-20-11-16.pdf8- Benoît SOURISSEAU, «La pomme de terre en Hazâradjât, symbole d’une histoire agraire en pleine mutation», Les Nouvelles d’Afghanistan, n°127.9- 1 djerib = 1/5 ha ; 1 ser = environ 7 kg.10- Expression qu’on peut aussi traduire par « Champs écoles paysans » ou « Ecoles paysannes »11- Pour plus d’informations sur cette technique promue également en Mon-golie et en France, voir les actions du GERES en Mongolie http://www.geres.eu/fr/nos-actions/par-pays/asie-centrale/geres-mongolie et https://www.youtube.com/watch?v=ilYiOKmoG5I12- Un peu moins de 900 euros.13- ACF, Action Contre la Faim ; Agency for Assistance and Development of Afghanistan.

sur 160 participants aux écoles paysannes, 100 étaient des femmes) et les cultures légumières.

Avec les femmes, Solidarités International avait tout d’abord démarré des activités de production de légumes pour la vente et la création de petits revenus. Mais il s’est avéré que la majeure partie des productions était consommée par les familles et non vendue. Cette acti-vité a donc été transformée en une activité de jardins potagers familiaux, pour la production de choux-fleurs, choux, radis, concombres, courges, épinards, poi-reaux, etc. Les formations associées ont encouragé de meilleures pratiques de semis, de récolte, d’utilisation d’engrais et de fumier, ainsi que la collecte de semences et la mise en place de pépinières, pour une amélioration et une diversification de l’alimentation des ménages. Une étude réalisée suite à cette activité a permis de montrer que les femmes bénéficiaires ont produit en moyenne 63 kg d’oignons en 2016, comparé à 29 kg par les femmes non-bénéficiaires.

Selon l’une d’entre elles, « la récolte obtenue par les femmes est meilleure que celle des hommes. Et mainte-nant, beaucoup d’hommes ont changé leur manière de cultiver, ils cultivent comme les femmes ». Cet impact indirect en faveur de l’égalité des genres à travers le partage de connaissances et de pratiques est un résultat positif imprévu.

Les jardins potagers scolairesDans ces provinces de Bamyan et du Wardak, la

malnutrition touche un très grand nombre d’enfants : 60 % des enfants de 6 mois à 4 ans avaient un retard de croissance en 2011, selon un diagnostic mené par ACF et AADA15. Par ailleurs, l’alimentation de base des ha-bitants de ces districts est principalement composée de céréales, tubercules, lait, huile et sucre ; la consomma-tion de légumes et fruits est rare. Pour changer ces pra-

tiques et améliorer la nutrition des plus jeunes, en plus des actions auprès des femmes et avec les serres, 34 jardins potagers ont été créés dans des écoles du district de Yakaolang. 1300 enfants de 8 à 12 ans ont ainsi été sensibilisés de mai à octobre chaque année autour de parcelles de démonstration dans l’enceinte des écoles. Sur chaque parcelle, des échantillons de légumes étaient cultivés selon une approche participative. Les enfants ont été encouragés à répliquer cette activité chez eux ; des semences leur ont été distribuées pour ce faire.

Quelle appropriation ?En 2016, une première évaluation de ce programme

CHP a montré de bons résultats et, comme le montrent les témoignages cités dans cet article, l’intérêt des pay-sans pour les actions concrètes engagées avec eux sur le terrain. Même si, bien sûr, des difficultés, des besoins de réorientation ou des limites sont apparus. Le déve-loppement agricole, qui plus est dans des conditions naturelles, économiques et sociales particulièrement rudes, ne peut en effet se concevoir que sur le moyen terme. Une évaluation finale prévue en ce printemps 2018 permettra d’établir un bilan plus complet. Il sera intéressant de regarder en particulier comment les pay-sans se sont effectivement appropriés les techniques in-troduites puisque le programme CHP, qui s’achève, ne pourra pas poursuivre son accompagnement.

Maraichage : intégrer les femmes dans le circuit économique. Photo Solidarités

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SOUVENIRS

Vivre à Kaboul à l’heure actuelle n’est pas facile. Mais, revenant sur son ex-périence en Afghanistan, Claire Patard a choisi de parler des beaux moments qu’elle y a vécus dans le cadre de son travail, mais aussi grâce à quelques échappées belles.

par Claire PATARD*par Claire PATARD*

* Claire Patard a été conseillère pédagogique d’AFRANE en Afghanistan pendant dix-huit mois et continue de suivre les projets d’AFRANE depuis la France.

Me voilà revenue d’un an et demi passé en Afghanis-tan à travailler pour AFRANE. Bien sûr, pendant cette période, il y a eu des moments difficiles. Les limitations de mouvements. Le bruit des pales d’hélicoptère. Les « check points ». La criminalité. Les enlèvements. Les explosions… L’Afghanistan d’aujourd’hui n’est pas exactement un pays facile à vivre, ni pour les Afghans, ni pour les expatriés de passage.

Mais pourtant, de ces dix-huit mois, ce ne sont pas ces moments durs, ces peurs ou ces colères que j’ai en-vie de retenir. Je préfère me souvenir des beaux mo-ments, de mes découvertes émerveillées, de mes ren-contres enrichissantes. L’Afghanistan m’a touchée au cœur comme bien d’autres auparavant et je veux es-sayer de vous faire comprendre comment.

Humour et poésieIl y a en premier lieu les collègues. Mon premier

contact, et le plus aisé, avec le peuple d’Afghanistan se fait dans les bureaux d’AFRANE à Kaboul. J’y trouve une joyeuse équipe mixte, heureuse de se retrouver quotidiennement. Le matin certains collègues arrivent bien avant le début du travail pour boire le thé ensemble

et jouer aux cartes ; le midi les hommes se lancent dans des parties déchainées de ping-pong tandis que les femmes restent dans le bureau à discuter, heureuses de pouvoir se retrouver entre elles. L’affection est réelle, le respect omniprésent. Pas un jour ne passe sans que de formidables éclats de rire résonnent dans la cour, aux blagues de l’un, aux cabrioles de l’autre. Pas un jour ne passe non plus sans que la poésie fasse irruption, sous forme de vers déclamés ou inscrits sur un tableau blanc fixé au mur. Quand on me demande ce que je retiens de l’âme afghane, ce sont les deux premiers mots qui me viennent à l’esprit : humour et poésie.

Et puis je suis admirative de l’engagement de mes collègues, de leur courage les amenant à traverser quo-tidiennement la ville ou le pays malgré les dangers. Je suis aussi touchée par leur attachement à AFRANE, leur fierté d’y travailler dans le but d’améliorer la situa-tion du système scolaire de leur pays…

Des personnes engagéesDans le cadre de ma mission j’ai bien sûr eu à me

rendre très régulièrement dans les écoles, à la ren-contre des directeurs, des professeurs et de leurs élèves. Pour qui connait un tant soit peu l’histoire récente de l’Afghanistan, la vision de foules de jeunes filles se pressant pour entrer ou sortir de leur établissement sco-laire a quelque chose d’éminemment émouvant. Oui,

Découvertes émerveilléesDécouvertes émerveillées

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13Les Nouvelles d’Afghanistan n°160

l’Afghanistan bouge, et même si le retard reste énorme dans ce domaine, il est indéniable que les progrès sont réels. Les regards que me lancent ces jeunes filles, à la fois timides et curieux, les sourires espiègles des petits émeuvent mon cœur d’enseignante. Je suis en territoire connu, ces lieux de transmission me sont un domaine familier malgré… tout ce qui est différent.

Et puis dans ces écoles je rencontre des directeurs et des professeurs qui s’avèrent exceptionnels. Diri-ger une école de filles dans une ville aussi conserva-trice que Djalalabad, développer son établissement au point d‘en faire un lycée modèle, convaincre la com-

munauté de faire un don de terrain et de participer à la construction d’un bâtiment scolaire, rester l’après-midi pour garder la bibliothèque ouverte alors que ces heures supplémentaires sont non rémunérées, faire trois heures de route en moto sur des chemins caillouteux pour se rendre à une formation… Derrière chacune de ces actions, il y a une personne, une équipe, qui assume sa charge avec détermination, conviction et courage, avec la certitude d’être en mesure de faire la différence. Dans un contexte tel que l’Afghanistan où les risques sont quotidiens et les salaires dérisoires, cela dénote une force de caractère impressionnante. Certes tout le personnel éducatif n’est pas aussi consciencieux mais je me dis qu’il y a de l’espoir pour l’avenir de ce pays, puisque ces personnes existent et qu’elles plantent des graines. Sans relâche.

SOUVENIRS

« La vallée mythique du Pandjchir ». Photo C. Patard

« Je me dis. qu’il y a de l’espoir pourl’avenir de ce pays ».Photo C. Patard

Vue de Kaboul. « L’Afghanistan d’aujourd’hui n’est pas un pays facile à vivre ».Photo C. Patard

La vallée de Bamiyan en hiver, vue de Chahr-e Gholghola,la cité des Murmures. Photo C. Patard

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Les Nouvelles d’Afghanistan n°16014

Asie centrale. « Les Afghans ne sont pas très loin ».

Des paysages fascinantsAu-delà de son peuple, je suis également tombée -

comme bien d’autres avant moi - sous le charme des paysages d’Afghanistan. J’ai, pour une raison que j’ignore, une attraction particulière pour les paysages de montagnes et les paysages arides, ce pays ne pouvait donc que me fasciner, d’autant que j’ai eu la chance de bénéficier de précieuses possibilités de visite.

Il y eut en premier lieu la mythique vallée du Pand-jchir, où la vue qui s’offre depuis le mausolée du Com-mandant Massoud m’a éblouie. Verte vallée soigneuse-ment cultivée au milieu de monts pelés, torrent frayant un passage entre les rochers, terre chargée d’histoires de résistance héroïque, je suis émue.

Il y eut ensuite les majestueuses montagnes du centre du pays où nous avons des projets. Le Hazara-djat, puis le district du Waras, ses vallées profondément encaissées, ses ruisseaux soigneusement détournés pour irriguer ce qui peut l’être, ces plants arrachés à l’hostilité d’une nature défavorable... Nous sommes ici bien loin de Kaboul. Passée la première heure de route asphaltée, seuls les 4x4 peuvent faire face aux chemins défoncés et les trajets sont loin d’être re-posants. La vie des habitants est dure, sou-mise aux aléas d’une météo rude et toutes les mains, si petites soient-elles, sont mises à contribution pour assurer la subsistance de la famille. L’accueil reçu par nos col-lègues de là-bas et par les familles dans lesquelles nous nous arrêtons à l’occasion pour partager du thé ou des fruits m’éblouit cependant par sa chaleur simple.

Et puis il y eut Band-e Amir…. Band-e Amir, ces lacs tant fantasmés depuis la lecture de Kessel, ces lacs qu’une vulgaire crevaison de pneu m’a empêchée d’aperce-voir la première fois que je me suis rendue dans le Waras. Vive déception que le temps

saura effacer, puisque je m’y suis finalement rendue trois fois, en hiver puis en été, pour une marche faite avec allégresse ou pour partager un tour en pédalo avec des collègues hilares. J’ai vu les lacs emprisonnés par la glace, mais j’ai aussi vu le débordement se transfor-mer en cascades au grand bonheur des photographes afghans. Le contraste de ces bleus intenses, presque ir-réels, avec les montagnes sèches qui les côtoient est sai-sissant. Promenades autour du lac, partagées avec des amis, discussions, fous rires, et émotion intense chaque fois renouvelée.

Evidemment, impossible d’évoquer le centre de l’Afghanistan sans s’attarder sur Bamiyan. Bamiyan l’historique, Bamiyan la belle, Bamiyan l’accessible. Seule ville d’Afghanistan où j’ai pu marcher, comme si elle était située dans un pays voisin et non dans ce pays déchiré par la guerre. Je me suis régalée de ses étals, prélassée dans ses tchaïkhanas, émerveillée devant ses trésors historiques. Chahr-e Zohak, la ville rouge pour commencer, ruines d’une ancienne forteresse dressée à l’entrée de la ville pour la protéger, offrant aujourd’hui

« Les lacs de Band-e Amirtant fantasmésdepuis le lecture de Kessel ». Photo C. Patard

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Paysage du Centre. Photo C. Patard

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15Les Nouvelles d’Afghanistan n°160

La revue LES NOUVELLES D’AFGHANISTAN est une revue trimes-trielle éditée par AFRANE (Amitié Franco-Afghane). Les opinions émises dans les articles n’engagent que leurs auteurs. Titres et sous-titres sont de la responsabilité de la rédaction.

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une vue imprenable sur un saisissant camaïeu d’ocres au point de rencontre entre trois vallées. Chahr-e Gholghola ensuite, la cité des murmures, la ville rasée par Gengis Khan dans un accès de rage. Ses ruines si-tuées sur une colline surplombent le bazar et ma pre-mière arrivée sur le site coïncida avec la témérité d’un rayon de soleil déchirant les nuages d’une journée grise en même temps que le ciel se vidait de son trop plein de grêle. Arc en ciel surplombant la ville tandis que les champs se couvraient de blanc…. Instant irréel.

Et puis bien entendu il y a ce que nous appelons les Bouddhas, alors que bien sûr ils n’y sont plus. Nul ne peut néanmoins ignorer ces cavités béantes visibles dès l’approche de la ville en avion et il est difficile d’ad-mettre que les géants ont été saccagés tant leur âme semble toujours présente. Je me trouvai émue aux larmes en pensant à la perte que cette destruction re-présente pour l’humanité par la bêtise de quelques-uns.

Et puis toujoursles cerfs-volants…

Enfin, arrachées à des journées qui se ressemblent souvent trop quand la liberté de mouvement est limitée, il y eut ces visites exceptionnelles, ces rencontres iné-dites. Un repas partagé avec des intellectuels afghans ayant écrit l’histoire récente de leur pays par exemple. La découverte au musée national de vestiges anciens remarquablement préservés également. Ou encore une promenade au sommet d’une de ces collines surplom-bant la ville de Kaboul, offrant une vue superbe. Mo-ments rares, moment précieux, savourés comme tels.

L’un de ces moments exceptionnels que nous ché-rissons dans nos mémoires fut la visite des fouilles ar-chéologiques de Qol-e Tut sur une colline au sud de Kaboul. L’archéologue en charge de ce chantier, Zafar Païman, eut à cœur de nous guider à travers les terrasses pour nous présenter les chapelles, les stupas et les sta-tues retrouvées. Le vestige qui nous saisira le plus fut celui d’un monumental Bouddha remarquablement conservé, aux mains jointes, et dont la tête fut délicate-ment déposée à ses pieds. Fierté du passionné, émotion des visiteurs ayant eu le privilège de fouler le sol de ces fouilles alors qu’aucun article scientifique sur ces découvertes n’avait encore été publié.

Et puis il y eut ces cerfs-volants qu’à la fin de l’hiver nous nous sommes exercés à faire décoller afin de les joindre au petit peuple des ciels de Kaboul. Fragilité de ces oiseaux de papier, coupant du fil conçu pour les combats, rusticité de l’unique bobine utilisée pour relier le cerf-volant à la terre ferme, nous avons dû nous y reprendre à plusieurs fois au milieu des éclats de rire et des moqueries des voisins. Légèreté et innocence du moment. Vie… presque normale. Définitivement ce que je préfère partager de ce pays si attachant.

« Et puis il y eut ces cerfs-volants jusqu’à la fin de l’hiver ». Photo C. Patard

SOUVENIRS

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Les Nouvelles d’Afghanistan n°16016

CULTURE

Le rubâb afghan Le rubâb afghan

Selon Wikipédia, le rubâb est considéré en Afghanistan comme l’instrument na-tional qui représente la noblesse du pays. Le son du rubâb et sa forme empor-tent l’auditeur en Afghanistan. Parler de rubâb afghan n’est-il dès lors pas un pléonasme ? D’où vient cet instrument, et quelle est son histoire ?

par Sylvain ROY*par Sylvain ROY*

* Docteur en ethnomusicologie, spécialiste des musiques d’Asie Centrale, joueur entre autres instruments de rubâb afghan.

Le terme rubâb1, vraisemblablement d’origine arabo-persane, désigne en Asie Centrale (incluant l’Afghanis-tan) un luth à cordes pincées muni d’un manche long ou court et d’une table d’harmonie constituée d’un parchemin : peau de chevreau, de cheval, de poisson ou de serpent selon les régions. Le terme rubâb fait son apparition dans la littérature dès le VIIIe siècle. À cette époque il désignait une vièle (luth à cordes frot-tées). Bien que cela ne soit pas définitivement prouvé, il paraît clair que le principe de luth à cordes pincées muni d’une table d’harmonie en peau soit bien anté-rieur à l’ère chrétienne. En témoignent les nombreux instruments retrouvés ainsi que ceux représentés sur des fresques ou sculptures antiques. Cela conduit à dire qu’à l’époque, ces luths étaient désignés par un autre nom que rubâb. À partir du XIVe siècle le terme rubâb désignera en Asie Centrale uniquement des luths à cordes pincées, alors qu’en Indonésie et au Moyen Orient il continue à désigner une vièle.

Origine inconnueL’origine du rubâb afghan reste encore inconnue.

On pensait que l’instrument était directement affilié aux luths représentés sur les sculptures du Gandhara du début de notre ère. Cependant, l’étude minutieuse de l’organologie de ces instruments montre non seulement qu’il ne s’agit pas de rubâb, leur table d’harmonie était en bois, mais ils avaient également une structure du

corps, bien que légèrement ressemblante, différente de celle de notre luth afghan. En poursuivant l’étude com-parative sur les rubâbs représentés dans les miniatures mogholes, nous pouvons constater ici aussi des diffé-rences importantes avec la variante afghane. Tout porte à croire que le rubâb afghan n’est pas affilié aux luths rubâbs. Selon l’hypothèse que j’ai développée dans ma thèse, le corps du rubâb afghan s’apparente plus à celui d’une vièle, et plus particulièrement à celui des vièles cikârâ (prononcé « tsikârâ ») sorud et sarinda, qu’à ce-lui d’un luth.

L’un des points essentiels qui nous conduit à cette supposition est la forme et la longueur de son manche, il est très court comparé aux autres rubâbs. Le second point est ce décrochement caractéristique situé à la jonc-tion du manche et du corps, on le retrouve exprimé de la même manière sur les vièles sorud et sarinda. Notre hypothèse se trouve renforcée par la présence d’un luth rubâb aux formes étranges qui rappellent celles d’une vièle cikârâ, qui figure sur une miniature moghole da-tée des environs de 1660 attribuée au peintre hindousta-ni Bichitr (voir illustrations). La ressemblance entre ce rubâb, que nous nommerons pour l’occasion « rubâb de Bichitr », et le rubâb afghan avait déjà été évoquée en 1997 par l’ethnomusicologue américaine Allyn Miner2. Soulignons au passage que le corps de la vièle cikârâ est inspiré de celui du sorud et du sarinda. Selon Joe Borg, le cikârâ était pratiqué, entre autre, par les po-pulations du Pendjab. Les chances que le rubâb afghan soit issu du rubâb de Bichitr, ou du moins d’un instru-ment apparenté directement affilié à une vièle, sont très fortes. Cela me semble d’autant plus probable qu’il n’y

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17Les Nouvelles d’Afghanistan n°160

A gauche : détail de la miniature de Bichitr. A droite cikârâ comparé au rubâb de Bichitr.

a pas de représentation du rubâb afghan avant 1855, ce qui reviendrait à dire que soit l’instrument n’existait pas à l’époque moghole, soit qu’il n’était pas populaire. Si le rubâb de Bichitr et la vièle cikârâ sont pratiqués au nord de l’Hindoustan et plus particulièrement dans la région du Pendjab, le rubâb afghan est quant à lui étroi-tement lié à la population pachtoune. Le terme afghan renvoie ici directement aux populations pachtounes.

Selon des sources orales du nord de l’Hindoustan, l’instrument était désigné par le terme sorud, ce n’est que plus tard que les populations du nord de l’Hindous-

tan l’ont qualifié de rubâb afghan, pour le distinguer de leur rubâb dhrupad ou seniya. Le terme sorud est d’origine persane, il signifie hymne, mélodie ou musique. Il désigne de nos jours une vièle sorud ou soruz pratiquée au Baloutchistan et en Afgha-nistan et un luth indien direc-tement affilié au rubâb afghan : le sarod. La relation entre la vièle sorud et le luth sorud avait été soulignée par le Co-

lonel P. T. French en 1864. Il avait noté que le sorud était

joué soit à la manière d’un violon ou soit d’une gui-tare3. Le rubâb afghan, ou plus précisément le sorud/sarod, arrive au nord de l’Hindoustan entre les mains de soldats pachtounes, plus particulièrement ceux du clan Bangashi4.

Le lexicologue Akbar Wardag cite le passage d’un article paru dans l’ouvrage Jwɘnd sandɘra5, écrit par Sèdiqullah Reshtine6, où Nahïm Kawar, de la tribu (qawm) Bangash, raconte l’histoire d’Hafiz Ali Khan, grand maitre du sarod :

L’arrière-grand-père de Hâfiz Ali Khân était Ghulâm Bandagi Khân. Il était du qawm Bangash et faisait le commerce des chevaux. C’est lui qui a apporté le rubâb dans l’Hindoustan, l’instrument qui s’est transformé en sarod. Son fils, Ghulâm Ali Khan, a essayé d’améliorer le rubâb. Son petit-fils, Oustâd Hafiz Ali Khan, s’est dis-tingué comme grand maître du sarod.

Cordes sympathiquesLe terme rubâb apparait dans le royaume

afghan dès 1786. Il est cité dans le poème de Mahmoud al-Hosaini Monchi ibn Ibrahim Djâmi qui décrit le mariage de Timour Châh en 1759. Aucun élément ne nous permet de dire s’il s’agit bien de notre instrument, d’au-tant qu’il est désigné par le terme rubâb et pas sorud/sarod. Dans tous les cas la forme de l’instrument devait être différente du rubâb afghan actuel, puisque les cordes sympa-thiques7 n’étaient pas encore présentes à cette période. En effet, les miniatures mogholes ne présentent pas d’instruments munis de cordes sympathiques avant la fin du XVIIIe siècle. En l’état actuel des recherches, il apparaît que le concept de cordes sympathiques arrive en Eu-

Touches

Chevillesdes

cordes sympathiques

Table d’harmonieen

peau

Chevillier

Rubâb afghan

CULTURE

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Les Nouvelles d’Afghanistan n°16018

Diffusion du rubâb afghan. en Asie centrale.

rope au début du XVIIe siècle. La plus ancienne évocation qui nous soit parvenue vient du compo-siteur et théoricien allemand Michael Praetorius lorsqu’en 1619 il mentionne, dans son deuxième volume du Syntagma musicum, la présence de cordes en métal montées sur une viola bastarda8.

La première description d’un rubâb affilié aux Pachtouns, s’agit-il du rubâb afghan ?, re-monte à 1825 et nous vient du Capitaine N. Au-gustus Willard. Il nous indique que l’instrument a la forme d’une « guitare espagnole » et qu’il est muni de six cordes en boyau. Il précise que les cordes sont ébranlées à l’aide d’un plectre en corne. Il ne fait aucunement mention de la pré-sence de cordes sympathiques. Si le détail d’un plectre « en corne » ne lui a pas échappé, je pense qu’il en aurait été de même pour ces cordes, d’au-tant qu’il note la présence de ces cordes sur la vièle sarangi9.

On voit apparaître pour la première fois les cordes sympathiques sur un rubâb afghan en 1869, dans l’ou-vrage de François-Joseph Fétis Histoire générale de la musique : depuis les temps les plus anciens jusqu’à nos jours10. Le compositeur et encyclopédiste propose l’il-lustration d’un rubâb, qu’il qualifie d’« indien », qu’il a étudié lors de l’Exposition universelle de 1855. L’ins-trument est muni de trois doubles cordes mélodiques et sept cordes sympathiques. L’instrument qui a servi de modèle à Fétis se trouve actuellement au Victoria and Albert Museum de Londres, c’est d’ailleurs le plus ancien rubâb afghan qui nous soit parvenu11. Selon les informations du musée, l’instrument aurait été réalisé en 1850 à Bénarès. Tous ces éléments nous permettent d’estimer l’apparition des cordes sympathiques sur le rubâb afghan entre 1825 et 1850. Quel pouvait être le rubâb joué lors du mariage de Timour Chân, s’agis-sait-il d’un instrument similaire à celui représenté par Bichitr ou serait-ce l’un des trois rubâbs de la période moghole ?

La circulation du rubâb afghan : En étudiant la pratique du rubâb afghan et son organologie, j’ai pu déterminer quatre grandes phases de diffusion. La pre-mière phase nous est rapportée par les populations du nord de l’Hindoustan. Les sources orales « indiennes » qui citent le rubâb afghan, plus précisément le « sa-rod », font toutes état de la période qui suit la naissance de l’empire Dourrani et son expansion, ou reconquête, vers le nord de l’Hindoustan. En revanche, il nous est difficile de savoir avec précision de quelle période il s’agit. Font-elles référence à la première période, celle de 1747 quand Ahmad Shâh avait rassemblé tous les clans afghans, ou s’agit-il de la deuxième, celle qui débute en 1772 quand Timour Châh accède au trône ? Néanmoins, si l’on prend en compte l’apparition des cordes sympathiques dans cette région, soit il ne peut

s’agir que d’une période située dans la première moitié du 19e siècle, soit l’instrument avait une forme diffé-rente de celle décrite par Fétis. C’est donc en suivant l’armée afghane que l’instrument arrive au Cachemire, au Baltistan12, au Baloutchistan et dans la région de Hé-rat. Selon les informations à notre disposition, le vec-teur de cette première phase de diffusion serait exclu-sivement pachtoune. La seconde phase semble débuter au XIXe siècle, l’instrument passe de l’empire Dourra-ni à l’émirat de Boukhara. Nous n’avons pas de preuves formelles pour expliquer comment ça s’est réellement déroulé, mon analyse repose uniquement sur un fais-ceau d’éléments et la probabilité que le vecteur soit encore pachtoune est forte. La troisième phase de dif-fusion se limite au territoire de la Transoxiane (Ouzbé-kistan et Tadjikistan). L’instrument est déplacé par des Boukhariotes venus s’installer à Tachkent dans la pre-mière moitié du XXe siècle. Au Tadjikistan, le rubâb afghan jouit d’une place importante, on note même l’existence dans les années 60 d’un ensemble féminin constitué exclusivement de l’instrument. Le vecteur de la troisième phase n’est plus pachtoune, il est constitué des populations principalement persanophones de cette région.

Un instrument national : Dans la première moi-tié du XXe siècle est mis en œuvre en Afghanistan un grand projet de politique culturelle, il a pour but de rassembler l’ensemble des différentes populations du pays autour d’une même identité nationale. Au plan musical cela se traduit par l’invention de deux genres nouveaux le kaboli, en référence à l’influence de la mu-sique classique du nord de l’Hindoustan, et le kiliwâli, une musique hybride ou « amalgamique » constituée d’éléments musicaux structurants des différentes po-pulations du pays. C’est à cette occasion que le rubâb afghan s’est hissé à la première place et a été rapidement considéré comme « l’instrument national ». S’agissant

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1- On prononce rubâb (NDLR)2- Miner, Allyn, Sitar and Sarod in the 18th and 19th Centuries. Calcutta : Ed. Motilal Banarsidass, 1997, p. 65.3- P. T. French, « Catalogue of Indian Musical Instruments », in N. Augustus Willard, A treatise on the Music of Hindoostan, part. 1, 2, [1er éd. 1882], Facsimile Publisher, Delhi 2017, p. 2574- McNeil, Adrian, Inventing the sarod. Calcutta, Ed. Seagull Books, 2004, p. 60.5- Ouvrage publié le 30 décembre 1338 AH (1959) 6- Président de l’académie pachtoune, enseignant à la faculté des Lettres.7- Cordes sur lesquelles on n’exerce aucune action, mais qui vibrent par résonance. (NDLR) 8- Une sorte de viole de gambe inventée dans le courant du XVIe siècle.9- N. Augustus Willard, A treatise on the Music of Hindoostan, part. 1, 2, [1er éd. 1882], Facsimile Publisher, Delhi, 2017, pp. 96-98.10- Histoire générale de la musique : depuis les temps les plus anciens jusqu’à nos jours, 2ème tome., Librairie de Firmin Didot Frères, Fils et Cie, Paris, 1869, pp. 290-29111- L’instrument original est légèrement différent du dessin de Fétis, notam-ment avec ses neuf cordes sympathiques.12- Le Baltistan est une région montagneuse à la frontière du Pakistan et de l’Inde dans les montagnes du Karakoram Baltiyul ou Petit Tibet (source Wikipédia). (NDLR)

de nouveaux répertoires, le rubâb afghan a été légère-ment modifié : les trois doubles cordes ont été réduites à trois simples cordes et la corde aiguë des sympathiques a été surélevée, au dessus du chevalet, de sorte qu’elle puisse être plus facilement ébranlée dans un jeu com-plexe. La taille générale de l’instrument a été également augmentée, passant de 80 cm à 100 cm. C’est sous cette nouvelle configuration que nous le connaissons. Quant à la plus ancienne, elle est encore visible sur les instru-ments exposés dans les musées.

Un instrument international : La quatrième et der-nière phase se déroule encore de nos jours. D’un côté, l’instrument continue sa diffusion en Asie Centrale, il passe des mains de musiciens du Badakhchan tadjik à celles de musiciens afghans situés de l’autre côté de la rivière Pandj et dans les régions du nord du Pakistan (vallée de la Hunza). L’instrument continue sa progres-sion de Hérat à Machhad et aux autres villes iraniennes proches de la frontière. En même temps, il sort de l’espace centrasiatique pour « conquérir » l’Occident. La pratique du rubâb afghan est attestée en Australie, aux États Unis et en Europe dés le début des années

70. L’ethnomusicologue américaine Hiromi Lorraine Sakata est peut-être la première à en jouer dans les années 67. Le britannique John Baily s’intéressera lui aussi à l’instru-ment dès 1973. Ce dernier a mené une étude minutieuse de la pratique du rubâb afghan dans la région de Hérat et est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’instrument et les musiciens. Suite à l’invasion soviétique, puis plus tard avec l’arrivée des Tâlebân, de nombreux musiciens afghans ont quitté leur pays pour se réfugier en Occident, dy-namisant par la même occasion la pratique de l’instrument. Cette dernière phase est caractérisée par un vecteur multiculturel, le rubâb afghan n’est plus l’instrument ex-clusif des Pachtouns, il est à présent un luth

international. Tout au long de son parcours, le rubâb afghan a été transformé, adapté aux

besoins des répertoires et des musiciens. Certains ont rajouté des frettes, ou allongé son manche. D’autres l’ont totalement transformé. Dans les années 30, des luthiers ouzbeks ont été jusqu’à lui retirer les cordes sympathiques, celles qui caractérise son timbre typique. Paradoxalement, alors qu’il n’a plus aucun lien appa-rent avec l’instrument originel, les Ouzbeks continuent de l’appeler « rubâb afghan ».

Le rubâb afghan est un bon exemple d’instrument traditionnel transterritorial. Ce luth, à l’histoire mysté-rieuse mais vraisemblablement originaire du Pendjab, est devenu en l’espace de deux cents ans un instrument international. Rien qu’en Europe, on ne compte pas moins de 50 musiciens !

Un rubâb expatriéUn jour un Afghan étudiant en France se rendit au mariage d’un de ses anciens professeurs. Il était hébergé par des amis de ce professeur. Entrant dans leur salle à manger, il remarque un instrument de musique placé dans la pièce. Il s’approche, c’est un rubâb. Il regarde de plus près et s’ex-clame : Mais ce rubâb appartient à ma famille ! Je le recon-nais. » Ayant des difficultés financières passagères, son oncle avait mis en vente le rubâb familial qui avait été acheté dans une boutique par des touristes. Et ceux-ci n’étaient autres que les amis du professeur…

Rahim Khoshnawaz, célèbre joueur de rubâb de Hérat

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Religieuses en Afghanistan Religieuses en Afghanistan

En février 2017, les Petites Sœurs de Jésus, qu’on désigne souvent sous le nom de Petites sœurs de Foucauld, ont dû, le cœur gros, fermer leur fraternité de Kaboul. Cette décision ne résulte ni de la situation politique ni de la situation sécuritaire, mais de l’absence de relève. Petite Sœur Chantal a accepté de ras-sembler quelques souvenirs concernant plus de soixante ans de présence en Afghanistan. Cet article concerne la première partie de leur séjour jusqu’en 1973 et notamment la fondation de la Fraternité.

Témoignages rassemblés par Petite Sœur Chantal de CUGNACTémoignages rassemblés par Petite Sœur Chantal de CUGNAC

Petite sœur Annie écrivait en 2011 :« S’il fallait résumer ces années de convivialité avec le peuple afghan, on pourrait dire :- une amitié scellée par une communauté de destin qui a résisté aux déchirements de l’histoire,- une confiance mutuelle qui ne s’est jamais dé-mentie, fondée sur le respect profond de l’autre, sans ombre de prosélytisme,- Mais cette histoire d’amitié n’aurait pu commen-cer s’il n’y avait eu au départ cette audace de Petite Sœur Magdeleine, notre fondatrice, et cet accueil du peuple afghan, recevant les « étrangères » que nous étions comme des hôtes, au sens le plus sacré du terme. (Gen.18, 1-9) »1.

Premier séjour (juillet 1954)2 En 1954, lors du voyage autour du monde qu’ac-

complit notre fondatrice, Petite sœur Magdeleine, j’ai parcouru avec elle et Petite sœur Jeanne de nombreux pays d’Asie et je me souviens qu’il était beaucoup question de l’Afghanistan. On en parlait alors comme d’un pays fermé, et cela augmentait le désir de Petite sœur Magdeleine d’y pénétrer.

Nous sommes arrivées à Karachi le 8 juillet 1954. Toutes les personnes consultées au sujet d’un voyage en Afghanistan avaient tenté de nous décourager, mais Petite sœur Magdeleine n’abandonnait pas le projet pour autant. Finalement, nous sommes allées toutes les

trois au consulat afghan où, contre toute attente, nous avons obtenu des visas sans difficulté.

Il n’y avait pas de liaison régulière entre le Pakistan et l’Afghanistan, mais nous avons pu passer la fron-tière à partir de Quetta, grâce à une voiture des Nations unies, et nous avons abouti à Kandahar au sud du pays. Providentiellement, nous avons été mises en rapport avec un médecin afghan qui a organisé notre départ en autobus sur Kaboul.

Après un voyage de plusieurs jours sur de mauvaises pistes, durant lequel nous avons été merveilleusement prises en charge par une famille afghane amie de ce médecin, qui voyageait dans cet autobus, nous sommes arrivées dans la capitale pour apprendre que l’unique prêtre résidant en Afghanistan, à l’Ambassade d’Italie, venait de partir pour plusieurs semaines…

Le lendemain matin, ne sachant trop que faire, nous sommes allées à l’Ambassade de France où Petite sœur Magdeleine a expliqué au Premier secrétaire que nous serions prêtes à envoyer des petites sœurs en Afghanis-tan, peut-être comme infirmières s’il fallait une raison sociale pour résider dans le pays.

Notre interlocuteur, qui n’était pas encore revenu de sa surprise de voir des religieuses à Kaboul, nous dit alors : « Je ne suis pas croyant, mais votre histoire me trouble… Il y a quelques jours, je déjeunais avec le Rec-teur de l’Université, qui est aussi le directeur de l’hô-pital Ali Abad, et il me disait qu’il aimerait avoir dans son hôpital des religieuses comme il avait vu que cela

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se faisait en France. C’était le 14 juillet, et aujourd’hui vous êtes là, je vais prendre rendez-vous avec lui… »

Le 21 juillet, par son intermédiaire, nous rencon-trions le Recteur Anas, très bienveillant. Petite sœur Magdeleine pouvait écrire au Père Voillaume3 : « J’ai une grande joie à vous annoncer : (…) A Kaboul, tout le monde est suffoqué et crie au miracle parce que d’abord nous avons eu nos visas, puis parce que nous avons tra-versé tout le pays afghan avec notre habit religieux et notre croix, en suscitant partout des sympathies autour de nous, et enfin parce que ce matin, amenées auprès du Recteur de l’Université, il nous a demandé de reve-nir dans le pays pour nous y dévouer, nous proposant des salaires d’infirmières à l’hôpital. J’ai affirmé notre situation religieuse, disant en même temps que nous ne prêchions pas et que, comme Frère Charles de Jésus, nous avions un grand respect et amitié pour les Musul-mans. Il a insisté pour que nous venions vite. »4

En route pour Kaboul5 La fondation d’une fraternité en Afghanistan a donc

été programmée pour 1955. Je me trouvais à ce mo-ment-là en Egypte à la fraternité du Caire. Chaque an-née en hiver, M. Massignon avait l’habitude de faire un séjour au Caire pour participer aux travaux de l’Acadé-mie arabe, et il venait toujours nous rendre visite à la Fraternité pour nous parler de son travail, de ses ren-contres et aussi de Frère Charles.

La date de mon départ a été fixée en février et je suis partie pour Alexandrie où je devais prendre le bateau en direction de Beyrouth. Le même jour, M. Massignon avait à faire à Alexandrie et il est allé au port pour me dire au revoir. J’étais déjà montée sur le bateau, et il y est monté lui aussi. Et là, sur le pont, il m’a parlé de l’Afghanistan où il était allé, je ne sais plus en quelle

circonstance6, et de l’accueil chaleureux qu’il y avait reçu. Il avait été frappé par le sens de l’hospitalité des Afghans et il se souvenait de la lon-gue et belle avenue qui mène à Dar-ul-Amân, bordée à l’époque de hauts peupliers. Il m’a parlé aussi d’un jeune étudiant afghan qu’il avait connu à Paris car celui-ci était secrétaire d’une Asso-ciation d’étudiants musul-

mans, Abdul Ghaffour Farhadi (Rawân) qui par la suite est devenu un grand ami. Puis très discrètement, je crois que personne n’a pu le voir, M. Massignon m’a donné sa bénédiction. Evidemment j’étais très émue. Puis il est redescendu à terre.

J’ai donc pris le bateau jusqu’à Beyrouth. Après un pèlerinage de quelques jours en Terre Sainte, je suis re-venue à Beyrouth d’où j’ai gagné Damas puis Bagdad en autobus. De Bagdad, j’ai pris le train pour Bassora où j’ai été reçue par les Sœurs de la Présentation de Tours. C’était assez étonnant de passer dans des gares telles que Babylone, Ur…

A Bassora, j’ai pris un bateau qui transportait du fret et descendait le Golfe persique en une semaine. Chaque jour il s’arrêtait au large d’un port d’Arabie Saoudite où il n’y avait pas d’installation portuaire suffisante pour accoster ; aussi des voyageurs qui couchaient sur le pont montaient et descendaient par des échelles de corde dans de petites barques d’où ils rejoignaient la terre. Moi-même et une dame pakistanaise chrétienne partagions une cabine. Nous sommes arrivées à Karachi où m’attendait Petite sœur Annie. Elle venait de Béna-rès (Varanasi), il n’y avait pas encore de fraternité au Pakistan.

Nous avons pris le train ensemble pour Peshawar (36 heures à l’époque) et nous avons été accueillies à Peshawar par les Sœurs irlandaises de la Présentation qui avaient déjà accueilli Petite sœur Magdeleine, Pe-tite sœur Jeanne et Petite sœur Annie un an auparavant. Elles nous ont aussitôt annoncé que par suite d’inci-dents entre l’Afghanistan et le Pakistan, la frontière était fermée entre les deux pays et qu’il fallait attendre la réouverture. Notre attente dura quinze jours pendant lesquels elles nous ont hébergées, nourries, avec une gentillesse et une disponibilité que nous ne sommes pas près d’oublier.

Les Petites Soeurs invitéespar un ami afghan, Kaboul, 2006.Photo E. Gille

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Au bout de quinze jours, nous avons appris qu’on pouvait de nouveau fran-chir la frontière, mais aucun transport en commun ne cir-culait encore. Toutefois les Sœurs ont su qu’un médecin irlandais, le Dr O’Connor, était venu de Kaboul à Pes-hawar et allait y retourner car il était médecin de l’am-bassade du Royaume Uni. Il accepta de nous emmener dans sa voiture. Le départ fut assez folklorique, car les Sœurs, très émues de nous voir partir dans ce pays si fermé, nous donnèrent toutes sortes d’objets et d’ustensiles.

Pour arriver à Kaboul, nous sommes passées par le col du Lataban, car la route actuelle qui passe par les gorges du Tang-e Gharou n’existait pas encore. A Ka-boul, le Dr O’Connor nous déposa à la légation d’Italie.

Les débuts de la Fraternitéà Kaboul

C’était le 12 avril 1955. Le seul prêtre autorisé à ha-biter dans le pays était un Père Barnabite qui résidait à la légation d’Italie où il y a une petite chapelle où vien-nent les catholiques étrangers résidant à Kaboul. Il avait organisé un logement chez un membre de la Mission Médicale Française, le Dr Barbet, professeur de pédia-trie, qui avait loué une petite maison où il habitait avec sa femme et un petit garçon de deux ans. C’est chez eux que nous habitâmes pendant tous les premiers temps.

Ne peuvent habiter dans le pays, s’ils ne sont pas afghans, que les gens ayant des contrats de travail avec le gouvernement afghan (ingénieurs, professeurs, mé-decins etc…) ou le personnel des Organisations de l’ONU, ou encore les diplomates.

C’est parce que les contrats d’un groupe d’infir-mières de la Croix-Rouge Française étaient arrivés à expiration que les autorités afghanes avaient demandé à Petite sœur Magdeleine des infirmières pour les rem-placer. Jusque-là, il n’y avait jamais eu de religieuses à Kaboul. A notre arrivée, nous devons d’abord organiser les conditions de travail des Petites sœurs infirmières qui viendront un peu plus tard.

Dès le début, il y a une difficulté. Car Petite soeur Magdeleine désirait que les Petites sœurs soient em-

ployées à l’hôpital des Femmes et avait parlé dans ce sens avec les autorités afghanes, alors que celles-ci voulaient que ce soit l’hôpital des Hommes. En effet les femmes afghanes devaient obligatoirement porter le « tchâdri » et ne pouvaient travailler à l’hôpital des Hommes. Par contre elles étaient bien assez nombreuses à l’hôpital des Femmes. Il s’ensuit des échanges et dis-cussions assez difficiles entre Petite sœur Annie et Pe-tite sœur Chantal d’une part, et d’autre part le Recteur de l’Université dont dépendent les hôpitaux. Echanges de télégrammes avec Petite sœur Magdeleine. Nous passons par bien des émotions.

Finalement, devant la résolution très ferme des responsables afghans, il faut accepter l’hôpital des Hommes. On signe les contrats de travail et quelques jours plus tard, le 1er mai, Petite sœur Michèle Marie et Petite sœur Colette Françoise arrivent à Kaboul.

Le témoignage de Petite sœur Michèle Marie :« J’étais toute jeune professe et j’avais confié à une

co-novice que j’avais le désir d’aller dans un pays qui n’aurait jamais connu l’évangélisation. Aussi quand notre fondatrice Petite sœur Magdeleine avait parcouru le monde dans le but de faire des fondations, j’avais senti en moi le désir d’aller en Afghanistan quand elle avait eu le visa pour ce pays.

Petite sœur Magdeleine était revenue de son grand voyage en projetant de trouver des Petites sœurs qui iraient dans les pays où elle avait promis d’envoyer celles qui accepteraient de venir. Ainsi elle avait fait une grande réunion où étaient venues beaucoup de jeunes Petites sœurs – à l’époque nous étions nombreuses – et elle faisait des propositions : qui veut aller en Afrique ?

Les Petites Soeurs au milieu des enfants élevés par Serge de Beaurecueil,

Kaboul, 2009.Photo A. Lebeau

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qui veut aller au Pakistan ? et chacune on levait la main si cela correspondait à ce qu’on avait dans le cœur. Et il y eut la question : qui veut aller en Afghanistan ? Il fallait avoir trente ans au moins et être infirmière. Je n’osais lever la main, étant très timide, mais Petite sœur Anne Véronique à qui j’avais révélé mes désirs, me donna un coup de poing dans l’estomac. Alors d’un seul coup, je levai la main en disant : « Je suis infirmière et j’ai 29 ans ». Petite sœur Magdeleine donna son assen-timent et j’appris qu’une postulante Colette Françoise, avait accepté d’y aller elle aussi en disant « où est-ce que se trouve ce pays ? »

Le départ a été vite décidé et nous sommes allées prendre le bateau à Marseille. Durant notre voyage, Pe-tite sœur Annie et Petite sœur Chantal qui négociaient avec les autorités afghanes nous envoyaient des télé-grammes en nous disant « Venez » ou « Stoppez là où vous êtes… »

Après Beyrouth, nous sommes allées à Damas où il y avait des fraternités. Nous avons fait ensuite Da-mas-Bagdad, puis Bagdad-Bassora où elles nous ont dit de stopper. Nous étions chez les Sœurs de la Pré-sentation de Tours. Et puis le télégramme : « Venez de suite, empruntez argent si nécessaire ». Nous ne savions que faire, finalement nous sommes allées à l’Agence de Tourisme où nous avons dit que nous voulions aller en Afghanistan.

Nous avons fini par sortir notre télégramme et l’agent du tourisme qui était là et qui comprenait un peu le français nous a dit : « Je ne comprends pas ce mot « emprunter », mais j’ai un dictionnaire, je vais voir le sens… » Il revient et dit : « En somme vous n’avez pas d’argent et vous voulez aller là-bas. Mais qu’allez-vous y faire ? » Nous répondons : « Nous allons tra-vailler comme infirmière à l’hôpital (c’était un hôpital d’hommes, et le Directeur ne trouvait pas d’infirmière afghane qui aurait accepté d’y aller). « Eh bien, dit-il, vous allez avoir un salaire, je vous donne le billet et en-suite vous m’enverrez l’argent que vous aurez gagné ». C’est lui qui trouvait la solution. « Quel avion voulez-vous prendre ? à 21h ce soir ? » Nous avons préféré celui du matin à 9h pour Karachi.

A Karachi, nous avons pris le train qui allait à Pes-hawar. Nous avions comme bagage chacune une valise, un sac à matelot et un sac à dos, et nous nous trouvions dans le seul compartiment occupé par les femmes, le reste étant occupé par les hommes.

Nous nous sommes endormies et nos sacs à matelot ont roulé jusque la porte, entrebâillée à cause de la cha-leur. Ils sont tombés sur la voie. Les enfants qui se trou-vaient là ont vu ce qui était arrivé, et les voilà qui tirent la sonnette d’alarme… Le train stoppe brusquement et nous voyons arriver le Chef de train. Les enfants ex-pliquent en ourdou, la langue du pays. Coup de sifflet du Chef de train et le train rebrousse chemin… Vingt minutes ! On retrouve les bagages et le train repart. »

1- Ce passage de la Genèse relate l’hospitalité accordée par Abraham à trois personnages qui se révèlent être des anges ou figurent peut-être Dieu.2- Paragraphe écrit par Petite sœur Annie.3- Fondateur des Petits frères de Jésus.4- Le Recteur demanda sept infirmières et Petite Sœur Magdeleine répon-dit : « Je vous en donnerai deux ».5- Ce qui suit est à présent de la main de Petite sœur Chantal. 6- C’était en 1945. Ce voyage de Louis Massignon, orientaliste de renom, a été évoqué par Gilles Rossignol dans Les Nouvelles d’Afghanistan n°148. L. Massignon a été ordonné prêtre en 1950, dans le cadre du rite byzantin. (NDLR)7- A l’occasion du neuvième centenaire lunaire de sa mort.

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Infirmières à KaboulPetite sœur Chantal reprend le récit :

Petite sœur Michèle Marie et Colette Françoise re-joignent Kaboul au moyen de ce qu’on appelait « la Malle afghane » par le col du Lataban. Dès le 7 mai, elles commencent le travail dans le Service de chirur-gie, l’une a la charge de 70 malades, l’autre de 47… et nous ne connaissons pas du tout la langue, c’est un peu dur ! Et cependant, dès le début, nous pouvons appré-cier la gentillesse et l’hospitalité des Afghans. En même temps, avec l’aide du Père Bernasconi, nous cherchons et louons une petite maison, d’abord à Char-e Nao, puis en plein quartier afghan, ce qui n’était pas habituel pour les Européens à l’époque, à flanc de montagne, proche de « Koh-e-Darwâza ». Plusieurs paroissiens du Père Bernasconi, de divers pays, nous aident pour l’instal-lation.

En octobre 1955, arrive le Père de Beaurecueil, do-minicain, qui a traduit et étudié les œuvres d’un mys-tique afghan du XIè siècle, Ansari. Il travaille pendant deux mois et demi sur des manuscrits anciens. En 1962, il revient pour un deuxième séjour à l’occasion d’un congrès pour commémorer Ansari7, invité par le gou-vernement afghan qui, à l’issue de ce congrès, lui pro-pose de venir travailler à Kaboul. Il s’installe en 1963. Grâce à lui, nous apprenons beaucoup de choses sur le pays. Il a célébré à bien des reprises chez nous et nous allions à la messe chez lui.

De 1956 à 1959, une Petite sœur infirmière travaille à un petit dispensaire pour le personnel des Nations unies.

Dans les années 70, l’Inde fait construire et offre à l’Afghanistan un hôpital pour enfants, et en plus en-voie du personnel, des médicaments, des équipements. Par l’intermédiaire d’une de ces infirmières indiennes, catholique, une Petite sœur française y est embauchée, suivie d’une autre, japonaise, Petite sœur Catarina Toshiko, qui y a travaillé depuis 1979 jusqu’à la ferme-ture de la fraternité en 2017.

En 1973, un coup d’Etat amène au pouvoir Daoud Khân, un cousin du roi qui, lui, est destitué. Cepen-dant, pour le pays et pour nous-mêmes, l’ensemble des conditions de vie reste à peu près le même. (à suivre)

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Les Nouvelles d’Afghanistan n°16024 Les Nouvelles d’Afghanistan n°16024

- Le 18 : Achraf Ghani exige la démis-sion d’Atta Mohammad Nour, gouverneur de la province de Balkh et membre de la nouvelle alliance politique (Triangle d’An-kara) créée avec l’Ouzbek Rachid Dostom (exilé en Turquie) et le Hazâra Mohaqqeq et opposée au gouvernement. Mohammad Daoud est nommé nouveau gouverneur de la province de Balkh.

- Le 19 : Atta M. Nour refuse de démis-sionner. Il déclare vouloir briguer la pré-sidence lors des prochaines élections en 2019.Le Parlement européen salue l’Inde en tant que partenaire régional contribuant au maintien de la paix et du développement en Afghanistan. L’Inde finance plus de 200 écoles et plus de 1000 bourses pour étu-diants afghans, ainsi que la construction d’infrastructure, dont 4000 km de routes.Un rapport de Reporters sans frontières indique qu’en 2017 l’Afghanistan est le 3e pays le plus meurtrier pour les journalistes (après la Syrie et le Mexique) ; 9 journa-listes et professionnels afghans des medias y ont été tués en 2017. - Le 20 : L’armée russe déploie de lourds équipements militaires le long de sa fron-tière entre l’Afghanistan et le Tadjikistan, apparemment pour prévenir les menaces que font peser les groupes terroristes sur l’Asie centrale.- Le 24 : Selon le ministère afghan de la Défense, l’État islamique en Afghanistan compterait quelque 2000 combattants, sou-tenus par le Pakistan. La majorité appar-tiennent aux tribus Afridi et Orakzai basées

Novembre 2017- Fin novembre : selon le Pentagone, les membres de la Force spéciale des États-Unis ont mené en Afghanistan 2 175 mis-sions et 261 frappes aériennes du 1er juin au 24 novembre 2017. Soit : 420 opérations au sol, 214 frappes aériennes contre l’État islamique, 1644 opérations au sol et 181 frappes aériennes contre les Tâlebân, 68 opérations au sol et 181 frappes aériennes contre des membres du réseau Haqqani et 43 opérations au sol contre d’autres ré-seaux d’insurgés.

Décembre- Le 1er : Un dirigeant de la branche d’Al-Qaïda en Afghanistan, Omar Khetab, connu sous le nom d’Omar Mansour, est tué avec 80 autres membres d’Al-Qaïda, lors d’opérations conjointes des services de renseignement de l’armée afghane et de l’OTAN, dans les provinces de Ghazni, de Zâbol et de Paktiya.A Bakou, lors de la 7e conférence minis-térielle sur le thème « Sécurité et connecti-vités économiques, vers un Cœur de l’Asie renforcé », le président azerbaïdjanais déclare que « les projets de Bakou-Tbilis-si-Kars (BTK) et du Corridor de transport international Nord-Sud (NSTC) permet-tront à l’Afghanistan d’entrer sur le mar-ché mondial et aux marchandises afghanes d’atteindre les marchés européens plus ra-pidement ». Des accords touchant à l’éduc-tion, la sécurité et les services aériens sont signés entre l’Afghanistan et l’Azerbaïdjan.- Le 2 : L’American Institute of Afgha-nistan inaugure dans la citadelle d’Hérat une exposition d’une centaine de reproduc-tions photographiques de miniatures, dont les originaux datent en majorité du XVe s. lorsque Hérat était le siège de la cour timouride et lorsque le plus célèbre minia-turiste était Kamal al Din Behzad (1450-1535).- Le 4 : La Wolesi Djirga (Chambre basse du Parlement) approuve la nomination des onze ministres récemment désignés à l’ex-ception de la candidate au ministère des Mines et du Pétrole.Le ministère des Affaires féminines dé-clare que la présence de femmes dans les départements gouvernementaux, en parti-culier dans la prise de décision, a augmenté

Chronologie

de 22%.- Le 7 : L’État islamique a récemment recruté une cinquantaine d’enfants pour suivre une formation (attentat, combat) dans le district de Darzab (Djaozdjân), non loin des frontières avec le Tadjikistan et le Turkménistan.- Le 9 : Selon Halima Sadaf, membre du conseil provincial de la province de Djao-zdjân, les insurgés ont accès aux ressources minières (diamants, émeraudes, uranium, gisements de pétrole) du district de Darzab.La Banque asiatique de développement approuve un crédit de 150 millions de dol-lars pour l’achèvement du périphérique routier de l’Afghanistan dans les provinces de Faryâb et de Bâdghis.- Le 10 : L’Espagne va augmenter le nombre de son personnel militaire station-né en Afghanistan, qui passera de 20 à 80.Gulbuddin Hekmatyar demande aux Tâlebân de se réconcilier avec le gouver-nement afghan, sans pression ou ingérence étrangère. - Le 12 : Les Tâlebân s’emparent de trois points de contrôle et de quatre villages dans le district de Dacht-e Qala (Takhâr).- Le 13 : L’armée belge renforcera dès avril 2018 son contingent engagé en Afghanistan dans la mission de l’OTAN. Au total 90 soldats seront basés à Mazar-e Charif. La Chambre basse du Parlement rejette le projet de budget alléguant le manque d’équilibre entre les provinces et la créa-tion de postes inutiles dans certains dépar-tements (voir 2 novembre 2017).- Le 14 : Depuis trois ans, Kaboul n’a tou-jours pas de maire, malgré l’engagement pris par Achraf Ghani lors de sa campagne électorale d’augmenter les pouvoirs du maire de Kaboul et des autres maires du pays. Kaboul compterait environ 6 mil-lions d’habitants.Mi-décembre : La presse afghane relève que le marbre brut, connu sous le nom d’ «or blanc d’Afghanistan », une richesse de la région de Hérat, est exporté en contre-bande, en particulier vers l’Iran. La majo-rité des quelque 45 ateliers de marbrerie de la province de Hérat a cessé de fonctionner. - Le 17 : 11 policiers et 15 insurgés sont tués et 2 officiers blessés lors de l’attaque par des Tâlebân d’un poste de contrôle à Lachkargâh, capitale de la province du Helmand.

Dernières nouvelles

Atta Mohammad Nour. Photo DR

Combattants de Daech. Photo DR

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25Les Nouvelles d’Afghanistan n°160Les Nouvelles d’Afghanistan n°160 25

au Pakistan. Mais, selon Zamir Kaboulov, haut responsable du ministère russe des Affaires étrangère, les forces de l’État isla-mique, concentrées au nord de l’Afghanis-tan, compteraient 10 000 personnes, dont certaines ont combattu en Syrie et en Irak.- Le 26 : A Pékin, les ministres d’Afgha-nistan, du Pakistan et de Chine signent un accord de collaboration contre la menace terroriste, en particulier dans la région du Xinjiang (ouest de la Chine). - Le 28 : A Kaboul, un attentat revendi-qué par l’État islamique contre un centre culturel chiite fait 41 tués et 89 blessés.- Le 30 : 75 femmes officiers de l’armée afghane ont suivi un cours de formation militaire en Turquie.- Le 31 : Lors des funérailles d’un ancien gouverneur de district, un attentat suicide à Djalâlâbâd fait 18 tués et 13 blessés.- Fin décembre : En 2017, environ 48 000 réfugiés sont rentrés au Pakistan

Chronologie

dans le cadre du programme dit de rapatrie-ment volontaire.En 2017, les Tâlebân ont revendiqué la responsabilité de 48 attentats-suicide dans le pays.

Janvier 2018- Le 1er : Le ministère des Finances an-nonce que les exportations de l’Afghanis-tan ont atteint 723 millions de dollars en 2017, contre 580 en 2015. - Les 1-2 janvier : Des frappes aériennes des forces étrangères dans le district de Darzab (Djaozdjân) tuant 26 insurgés de Daech, dont 3 Français et 3 Ouzbeks, prou-vent la présence de Français (ou en tout cas francophones) au sein de ce groupe terroriste. Ils sont arrivés de Syrie à mi-no-vembre.- Le 3 : Atta M. Nour qui n’accepte pas d’avoir été remercié de son poste de gou-verneur de la province de Balkh exige le renvoi de l’ingénieur Mohammad Daoud nommé à sa place. Il en résulte de fortes tensions entre A.M. Nour et le gouverne-ment afghan.- Le 4 : Washington annonce la suspen-sion de 255 millions de dollars d’assistance militaire au Pakistan, du fait que le pays «

abrite des terroristes ». A Kaboul, un attentat suicide revendiqué par Daech à proximité de policiers et de manifestants fait 13 morts et 19 blessés.Le Royaume-Uni prévoit d’augmenter sa présence militaire en Afghanistan de 80 soldats supplémentaires, portant ses forces à quelque 600 personnes.- Le 6 : Selon L’Express (Paris), plus de 2000 « volontaires » afghans entraînés par l’Iran sont morts en Syrie et 8000 autres ont été blessés en combattant au côté des troupes de Bachar al-Assad. Ils font partie de la « Division Fatemiyoun » (division des Fatimides) composée de recrues afghanes, en majorité des Hazâras. L’Iran accorde la nationalité iranienne aux familles des com-battants « tombés en martyrs » en Syrie et en Irak.- Le 8 : L’Afghanistan presse le Pakistan de prolonger d’un an le droit de séjour des réfugiés enregistrés, qui sont quelque 1,4 million au Pakistan.- Le 10 : Depuis 18 mois, Daech a reven-diqué près de 20 attaques dans Kaboul. Les cellules locales comprendraient des « gens de bon niveau d’éducation », étudiants, professeurs et commerçants.- Du 11 au 16 janvier : 209 personnes emprisonnées à Hérat, Pol-e Tcharkhi, Ba-gram et dans la province de Nangarhâr sont

Assemblée Généraled’AFRANE

A noter : l’Assemblée Générale d’AFRANE aura lieu en 2018, le 21 avril.

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Les Nouvelles d’Afghanistan n°16026 Les Nouvelles d’Afghanistan n°16026

libérées en vertu d’un décret présidentiel.- Le 12 : Après un « incident avec des tirs » contre leurs troupes, les forces amé-ricaines effectuent une frappe aérienne sur une milice progouvernementale afghane dans la province du Nangarhâr : 13 com-battants sont tués.- Le 13 : Le premier convoi routier trans-portant plus de 2 400 t. de blé en prove-nance d’Inde arrive à Kaboul. Il fait par-tie des 30 000 tonnes de blé expédiées en Afghanistan via le port iranien de Chaba-har. L’Afghanistan a besoin de 6 millions de tonnes de blé par an, dont 4,5 millions sont produites dans le pays.- Le 14 : Le ministère de la Défense dé-clare que le réseau Haqqani est à l’origine de la flambée de violence en Afghanistan.- Le 16 : Des avions d’attaque A-10 Thunderbolt II de l’armée américaine arri-vent sur la base aérienne de Kandahar pour soutenir les forces afghanes et américaines. - Le 17 : La Wolesi Djirga approuve le budget national pour 2018. - Le 18 : Après une semaine de combats, des Tâlebân menacent la ville de Farâh (sud-ouest). 80% de la région seraient sous leur contrôle. Au cours des combats de ces derniers jours, 100 membres des forces de sécurité ont été tués.Le Parlement norvégien confirme le ren-voi de migrants vers l’Afghanistan.- Le 20 : A Kaboul, une attaque par six Tâ-lebân sur l’Hôtel Intercontinental dure 12 heures et fait 40 morts, dont 25 Afghans, 4 Américains, ainsi que 7 Ukrainiens et 2 Vénézuéliens employés de la compagnie aérienne privée afghane Kam Air. Une nouvelle compagnie de sécurité venait d’être engagée. L’hôtel avait déjà été atta-qué en 2006.

- Le 23 : L’armée de l’air afghane reçoit la deuxième série d’hélicoptères Black Hawk UH-60 à l’aérodrome de Kandahar. - Le 24 : A Djalâlâbâd, l’attaque contre le siège de l’ONG britannique Save the Chil-dren par des assaillants de Daech portant des uniformes des forces de sécurité fait 3 morts et 14 blessés. L’ONG décide de sus-pendre ses opérations en Afghanistan.Plus de 225 000 candidats ont postulé pour 18 000 postes de fonctionnaires. 9000 candidats souhaitent des postes d’ensei-gnement. Un nouveau groupe de 19 Afghans dont la demande d’asile a été rejetée par l’Alle-

Chronologie Brèves économiques

Grandes manœuvres ou grand jeu ?Les grands voisins de l’Afghanistan sont désormais à la manœuvre, contribuant à son désenclavement et a son recentrage dans les échanges régionaux. La volonté chinoise de développer une nouvelle route de la soie se traduit par de nouvelles coopérations économiques en Asie Centrale. L’Ouzbékistan ouvre ses frontières à l’Afghanistan (accord de transit) et investit dans les liens ferroviaires. La Chine joue un rôle subtil. Son intérêt à disposer d’un accès à la mer via le Pakistan pourrait l’amener à faire pression sur ce pays a l’heure où les relations d’Islamabad avec Washington se tendent et où la Chine investit massivement au Pakistan.Le Pakistan semble le perdant économique du jeu actuel : diminution de ses échanges avec l’Afghanis-tan, pertes de liens avec l’Asie Centrale et développement des échanges entre l’Inde et l’Afghanistan via le port iranien de Tchabahâr. Cette nouvelle donne des échanges contribuera-t-elle à améliorer la situation sécuritaire ? Au moins ces grandes manœuvres sentent moins la poudre que le grand jeu. RL

DESENCLAVEMENT ET GRANDS VOISINS- Le 3 décembre, le président iranien Hassan Rohani a inauguré le nouveau port de Tchabahâr, dans le sud-est de l’Iran, sur la côte de l’océan Indien, dont Téhéran espère faire une plateforme commerciale régionale. Ce port, financé en partie par l’Inde, permettra de relier les côtes africaines et asiatiques à l’Asie centrale. L’Inde cherche à avoir un accès aux marchés d’Iran, d’Afghanistan et des pays d’Asie centrale, en contournant le Pakistan. Le port de Tchabahâr est encore appelé à grandir : les autorités prévoient des travaux d’extension pour les quatorze années à venir. (AFP 03/12)

Pékin, sa sécurité, son arrière-cour centrasiatiqueLa Chine considère l’Asie centrale comme son arrière-cour stratégique. C’est au sujet de l’Afghanistan que Pékin semble la plus active aujourd’hui. Le mois dernier, lors d’une visite d’une délégation afghane, il aurait été décidé de construire une nouvelle base militaire à la frontière entre la Chine, l’Afghanistan et le Tadjikistan. Pékin promet de fournir armes, uniformes, équipements..L’Afghanistan est fondamental dans la stratégie chinoise car il permet de relier l’Asie centrale et la Chine au port de Gwadar, au Pakistan, débouché maritime de Pékin dans l’océan Indien. La frontière sino-pakistanaise est impraticable car très montagneuse. Toute route, reliant Gwadar au nord, passe nécessairement par l’Afghanistan,Le départ des Américains d’Afghanistan, en 2014, et l’implication de plus en plus grande de la Chine en Asie centrale, où elle achète, notamment au Turkménistan, la moitié du gaz naturel qu’elle importe, font qu’elle a dû davantage prendre de responsabilité « sécuritaire » dans la région.On parle beaucoup des nouvelles routes de la Soie, projet du président chinois Xi Jinping. Son projet phare dit de « Une route, une ceinture », ne vise pas seulement à exporter les produits en Europe, à tra-vers l’Asie centrale. C’est un projet stratégique pour asseoir la puissance chinoise et cela amène Pékin à s’intéresser à la stabilité des pays concernés. (RFI 11/01 et Les Yeux du Monde 15/11)- Le 25 décembre, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi a informé les médias que, pour la Chine, trouver une solution politique à la guerre en Afghanistan est l’un des principaux objectifs de son pays l’année prochaine. (Tolo News 25/12)- Le 5 décembre, la Commission économique et commerciale Afghanistan-Chine a discuté d’une coopération accrue entre les deux pays lors de sa troisième réunion à Pékin. Les thèmes abordés ont été la coopération régionale, le transport du gaz vers la Chine depuis le Turkménistan, via l’Afghanis-tan, la fibre optique dans le corridor du Wakhan, la mine de cuivre de Mes Aïnak, les projets pétroliers du bassin de l’Amou Daria, l’exploitation du marbre, l’exportation de grenades et de pignons de pins… Par ailleurs Pékin a proposé des pourparlers tripartites entre l’Afghanistan, le Pakistan et la Chine, l’accent étant mis sur la paix, la stabilité et la coopération économique. (Pajhwok Afghan News 05/12)

LE PAKISTAN- Des responsables pakistanais ont affirmé que le commerce bilatéral entre l’Afghanistan et le Pakistan est tombé à deux milliards de dollars cette année (contre 2,5 milliards l’année précédente).Le gouvernement afghan a intensifié ses efforts pour trouver des voies alternatives pour accéder aux marchés internationaux via le port iranien de Tchabahâr et a lancé ces derniers mois un corridor aérien vers New Delhi. (Khaama Press 23/01)- Le 23 décembre, le Pakistan qui a stocké 9,7 millions de tonnes de blé n’a pas pu exporter vers l’Afghanistan voisin par manque de politique claire, déplore le chef de la Chambre conjointe du Commerce et de l’Industrie Pakistan-Afghanistan. En conséquence, a-t-il déclaré, le Pakistan perd des marchés établis en Afghanistan et dans les républiques d’Asie centrale. La situation s’aggravera encore lorsque la nouvelle saison du blé commencera dans quatre mois. (Pajhwok Afghan News 23/12)- Le Pakistan a réagi avec réserve à la récente annonce du gel d’aides américaines : pour les analystes, les effets seraient limités.Alors qu’entre 2001 et 2010, les Etats-Unis pouvaient donner «3 à 4 milliards de dollars par an» au Pakistan en assistance militaire, ce montant a ensuite chuté à 750 millions en 2016, affirme l’ancien ministre des Finances Hafez Pasha. «Un nouveau recul ne fera plus beaucoup de différence, «Si les Etats-Unis commencent à nous intimider, nous avons d’autres options», souligne de son côté le sénateur Mushahid Hussain Sayed, dans une allusion à la Chine.La Chine s’apprête à investir quelque 60 milliards de dollars en infrastructures au Pakistan, même si rien ne garantit à ce stade qu’elle soit prête à faire davantage. (AFP 10/01)Souces principales : le Bulletin du CEREDAF

L’Hôtel Intercontinental au lendemain le l’attaque.Photo TN

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27Les Nouvelles d’Afghanistan n°160Les Nouvelles d’Afghanistan n°160 27

Brèves économiques

DIVERS- Le 6 janvier, Achraf Ghani a inauguré une entreprise privée de fonte et de production d’acier dans le parc industriel de Kaboul. L’usine, Khan Steel, produira suffisamment pour répondre à 30% des besoins du pays dans le domaine de la construction. (Khaama Press 06/01)Exportations d’herbes et épices - Le 23 janvier, la Chambre du Commerce et de l’Industrie d’Afghanis-tan a déclaré que les exportations d’épices et d’herbes afghanes avaient considérablement augmenté cette année, ce qui a rapporté au pays plus de 144 millions de dollars avec un total de 32 000 tonnes.La réglisse, le cumin et le safran figurent parmi les principaux produits d’exportation concernés. La plu-part des épices et des herbes sont exportées vers la Chine, l’Inde et certains autres marchés asiatiques. Les prévisions concernant les exportations de réglisse seraient de 20 000 tonnes en 2018.Les exportations d’herbes et d’épices représentent plus de 25% des exportations de l’Afghanistan. (Tolo News 23/01)- Le 11 décembre, le ministère afghan de l’Eau et de l’Energie a indiqué que deux sociétés in-diennes avaient été sélectionnées pour démarrer les travaux du projet énergétique CASA-1000 en Afghanistan. Le gouvernement afghan devrait investir 235 millions de dollars pour la mise en œuvre du projet, d’une valeur totale de 2,1 milliards de dollars.Le projet CASA-1000 (1300 mégawatts) démarrera au Kirghizistan et atteindra l’Afghanistan à travers le Tadjikistan et se poursuivra jusqu’à la ville pakistanaise de Peshawar. L’Afghanistan recevra 300 mégawatts de puissance et les mille mégawatts restants seront transférés au Pakistan. L’Afghanistan recevra ainsi chaque année 50 millions de dollars en taxes de transit. (Tolo News 11/12)Les raisins d’Afghanistan, d’or et de poussière - En 1979, l’Afghanistan assurait 10% de la produc-tion mondiale de raisins secs. Aujourd’hui, c’est 2 à 3% à peine, L’an dernier, l’Afghanistan a produit 874 000 tonnes de raisin mais n’en a exporté que 15.000 tonnes en sec, selon les statistiques du ministère. Les grappes de raisin arrivent toutes à maturité, donc sur le marché, en l’espace de quelques semaines. La seule alternative est alors le séchage.Le gouvernement et l’aide au développement promeuvent donc des «maisons de raisins» modernes en briques, hautes de quatre à cinq mètres et traversées de paliers métalliques d’où pendent les grappes.Avec un «ser» - 7 kilos – le producteur obtiendra 2,5 kg de raisins secs et un meilleur revenu car le raisin sec est vendu environ 25 fois plus cher.«Ces kishmichs khanas ont trois vertus : retirer du marché l’excès de raisin frais, imposer des processus de qualité et soutenir les cours «, résume Abdul Samad Kamawi, coordinateur horticulture au ministère de l’Agriculture.«Malgré leur savoir-faire, les Afghans ont encore un peu de mal à répondre aux critères européens, de plus en plus draconiens en terme d’hygiène, de traçabilité et de calibrage» estime un importateur occidental. (AFP 20/12)- Le 22 janvier, le ministère afghan des Finances a indiqué que, sur la base d‘accords commerciaux et de transit signés entre Kaboul et Tachkent, l’Ouzbékistan a baissé de 50% les frais de transit pour les marchandises afghanes importées par camion. Précédemment, l’Ouzbékistan facturait 2 500 dollars pour chaque conteneur plein. (Tolo News 23/01)- L’Ouzbékistan et l’Afghanistan ont signé un accord visant à prolonger un chemin de fer reliant les deux pays, ce qui pourrait permettre à l’Ouzbékistan d’avoir un lien direct avec les ports maritimes. En 2011, la compagnie de chemin de fer d’État ouzbek a construit une courte liaison entre Haïratan, ville afghane située à la frontière ouzbéko-afghane, et Mazar-e Charif.Tachkent a depuis exprimé son intérêt pour étendre cette ligne à Hérat, une porte d’entrée vers l’Iran. Un autre lien, déjà en construction, reliera Hérat à l’Iran, ce qui permettrait à l’Ouzbékistan de commercer via des ports iraniens du golfe Persique. L’Afghanistan et l’Ouzbékistan ont signé un accord sur la construc-tion du chemin de fer entre Mazar-e Charif et Hérat. (Reuters et Interfax 06/12)- Les travaux de construction du chemin de fer entre le Turkménistan et l’Afghanistan ont com-mencé. La ligne de chemin de fer s’étendra de la station turkmène de Serhetabat à la ville frontalière afghane de Torghundi dans la province de Hérat. (Pjhwok Afghan News 01/12)

Souces principales : le Bulletin du CEREDAF

Kaboul après l’attaque du 27 janvier. Photo TN

magne arrive à Kaboul.- Le 27 : Une ambulance piégée qui a réussi à passer les check-points sans diffi-culté explose dans le centre de Kaboul, à proximité de Chicken Street, faisant 103 morts et plus de 235 blessés. Ce troisième attentat en une semaine soulève la colère des habitants devant l’incapacité des auto-rités à juguler la violence.

- Le 29 : Le groupe État islamique reven-dique l’attaque contre l’Académie militaire Marshal Fahim, vaste complexe situé dans le district de Qargha à l’ouest de Kaboul. On compte 11 morts et 16 blessés.Le Pentagone décide de restreindre la publication du 38e rapport d’information du SIGAR (Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction) touchant au nombre de districts contrôlés par les in-surgés et la proportion de la population afghane sous leur autorité.- Le 31 : Un séisme de magnitude 6,1 frappant le nord-est de l’Afghanistan est ressenti jusqu’à Kaboul, en Inde et au Pa-kistan. Pas de victime en Afghanistan.- Le 31 janvier : Le Pakistan promet de prendre des mesures concrètes suite aux informations fournies par une délégation afghane en visite à Islamabad concernant l’implication d’insurgés, basés au Pakis-tan, dans la dernière vague d’attentats ter-roristes à Kaboul. Le ministre afghan de l’Intérieur a déclaré que le gouver-nement afghan disposait d’informations crédibles confirmant que les récentes attaques ont été orchestrées dans la ville de Chaman au Baloutchistan. Une liste de personnes soupçonnées a été remise aux autorités pa-kistanaises.

Février- Le 1er : Selon un haut responsable de l’administration américaine «ce n’est pas le bon moment pour discuter avec les Tâ-lebân», Le gouvernement français demande aux journalistes français de ne pas se rendre en Afghanistan, Selon le nouveau chef de la Commis-sion électorale indépendante les élections parlementaires et des Conseil de district pourraient être retardées de quelques mois. Elles sont jusqu’à présent fixées au 7 juillet 2018.

Chronologie

ErratumDans notre précédent numéro plusieurs erreurs se sont produites au moment du montage des articles.Dans l’article Jules Verne et l’Afghanistan, page 14 un paragraphe issu d’un précédent numéro s’est malencontreusement glissé après le titre « Et vu du nord ». Il est évidem-ment de trop. Dans le même article, le nom de Claudius Bombarnac s’est transformé en Combarnac. Mille excuses à Jules Verne.Enfin, dans l’article « Le monastère de Qol-e Tut », une colonne a été déplacée : le texte de la colonne 2 de la page 22 est à placer après la colonne 2 de la page 23. Une version modifiée du journal a été réalisée et est disponible en pdf. Elle peut être envoyée par mail à toute personne qui le souhaiterait. Nous prions les lecteurs des Nouvelles d’Afghanistan de nous excuser pour ce désagré-ment. Etienne Gille

Page 28: Les Nouvelles - afrane.org

Les Nouvelles d’Afghanistan n°16028 Les Nouvelles d’Afghanistan n°16028

Chronologie

Production record de pavotSelon les estimations annuelles de l’ONU (rapport de novembre 2017), les surfaces

dédiées à la culture du pavot ont augmenté de 63 % par rapport à 2016, atteignant le record de 328 000 hectares cultivés. Le précédent record était de 224 000 hectares en 2014. La superficie utilisée pour cette culture varie beaucoup d’une année à l’autre, avec des phases de stagnation ou de repli, mais elle est globalement ascendante de-puis 1994, comme le montre le graphique ci-dessous, qui ne comporte malheureuse-ment pas le pic de 2017.

L’augmentation est valable dans toutes les provinces productrices de pavot, mais en tout premier lieu dans la province du Helmand, frontalière du Pakistan où plus de 60 000 ha supplémentaires ont été cultivés en 2017, soit la moitié de l’augmentation pour tout le pays. La province de Balkh, contrôlée par Atta Mohamed Nour, a vu sa superficie cultivée en pavot augmenter de 10000 ha.

En ce qui concerne la production elle-même, elle a battu aussi un record, atteignant 9000 tonnes (à la précision de 1000 tonnes près) contre 4800 tonnes en 2016 et 7300 tonnes en 2007.

La production d’opium occuperait 400 000 travailleurs et les revenus générés four-niraient 60% du financement des Tâlebân.

Le 25 janvier, le Pentagone a envoyé des avions de Type A-10 Thunderbolt II pour intensifier sa lutte aérienne contre les Tâlebân et l’Etat islamique et lutter contre les laboratoires d’opium. Les Tâlebân auraient déjà perdu 14 millions de livres en vente depuis novembre 2017 comme résultat des attaques américaines.

Hommage àJalal Kamalodine

Dans « La communauté », de Raphaël Bacqué et Ariane Chemin, journalistes au Monde, livre publié au mois de janvier 2018 chez Albin Michel, on peut lire cet éloge de Jalal Kamalodine : « En octobre 2017, plus de 1500 personnes ont assisté, émues, à la prière mortuaire de Jalal Ka-malodine, l’un des premiers imams du square de la Commune. Le vieil Afghan était l’une des mémoires de Trappes, der-nier témoin de ces grandes migrations qui ont façonné les banlieues françaises. »

Jalal Kamalodine, originaire de Hérat et réfugié en France après l’invasion so-viétique, est le frère de Taher Kamalodine, médecin néphrologue.

- Le 2 : Les autorités afghanes ont arrêté onze personnes après la vague d’attentats qui a secoué le pays. Achraf Ghani pointe de nouveau la responsabilité du Pakistan.- Le 4 : Achraf Ghani signe la mise à la retraite de 164 généraux.Le gouvernement annonce que toutes les options sont sur la table pour venger les victimes des récentes attaques. L’exécution de prisonniers tâlebân est une de ces op-tions. Actuellement, 600 condamnés à mort pour terrorisme attendent qu’Achraf Ghani signe les ordres d’exécution. Trois personnes sont arrêtées pour avoir fouetté publiquement une femme dans la province de Takhâr.- Le 4 : Une femme âgée de 84 ans est décapitée par des inconnus dans le district de Khwadja-du Koh (Djaozdjân). - Le 5 : Le ministre de l’Intérieur déclare que huit personnes ont été arrêtées dans le cadre de la récente vague d’attentats qu’a connue Kaboul. Il n’exclut pas l’implica-tion d’infiltrés au sein des institutions gou-vernementales.- Le 6 : Le palais présidentiel et le parti Djmiat-e Islami auraient repris leurs négo-ciations pour sortir de l’impasse qui a écla-té entre les deux parties suite au limogeage du gouverneur de Balkh. Le président iranien déclare que la pré-sence de bases militaires américaines en Afghanistan alimente l’insécurité dans la région. Il offre d’aider l’Afghanistan dans sa lutte contre le terrorisme. Par ailleurs le commandant militaire iranien déclare que les Etats-Unis transférent Daech en Afgha-nistan, les terroristes ayant perdu leurs bas-tions en Irak et en Syrie.- Le 9 : L’Allemagne annonce qu’elle va prolonger pour une nouvelle année ses ac-cords avec Israël Aerospace Industries pour l’utilisation de ses drones de reconnais-sance Heron 1 dans des missions militaires allemandes en Afghanistan et au Mali.

Quatre insurgés, dont Khan Saeed Sajna, le chef du groupe dissident Mehsud de Te-hreek-e Taliban Pakistan, sont tués par un drone américain près de la ligne Durand. - Le 10 : Un Tâleb infiltré au sein d’une milice pro-gouvernementale tue 16 mi-liciens dans le district de Gerechk (Hel-mand). Il s’enfuit en emportant armes et munitions. - Le 12 : Le Royaume-Uni devrait aug-menter sa force d’élite en Afghanistan, en la passant de 50 à plus de 100 soldats, d’ici la fin mars. Donald Trump demande, dans ses pro-positions budgétaires annuelles, 5 mil-liards de dollars pour les forces de sécurité afghanes et 630 millions de dollars d’aide civile à l’Afghanistan. « Moscou n’a reçu aucune information des partenaires occidentaux sur l’origine

Surfaces cultivées en pavot (en hectares). Source Wikipédia

des hélicoptères qui pourraient être impli-qués dans le transport de terroristes vers l’Afghanistan », déclare l’ambassadeur de Russie en Afghanistan. - Le 13 : Les principaux responsables de la sécurité du gouvernement afghan – Mas-soum Stanikzaï et Hanif Atmar - ont mené deux négociations avec les Tâlebân, malgré un mois d’attentats et le refus du président américain de négocier avec les Tâlebân. Kaboul accueille une conférence sur la coopération dans la lutte contre le terro-risme. Les chefs d’état-major d’une dou-zaine de pays assistent à la réunion.

Faits et dates relevés pour décembreet janvier par Micheline Centlivres-Demont(base : le Bulletin du Ceredaf)

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29Les Nouvelles d’Afghanistan n°160Les Nouvelles d’Afghanistan n°160 29

- « Comment les frères musulmans ont fait de l’Afghanistan le terrain de jeu du djiha-disme moderne », par Alexandre del Valle, in Atlantico 08/12- « Où va l’Afghanistan ? », par Olivier Guillard, Iris, 19/12- « Sami Nouri, de l’Afghanistan à Paris : la couture l’a sauvé », par Sophie de Ville-noisy, Paris Match 20/12- « Finis la Syrie et l’Irak, bonjour l’Afgha-nistan pour l’Etat islamique ? », par Karim Pakzad, in Atlantico 26/12/17- « Le Pakistan déplore d’être abandonné par les Etats-Unis » par Jacques Follorou, Le Monde 12/01 - « Afghanistan : « Les récents attentats ne sont que le symptôme d’une détériora-tion générale », entretien avec Gilles Dor-ronsoro par Camille Bordenet, Le Monde 29/01- « Pourquoi l’Afghanistan est impuissant face aux talibans et à Daech », Catherine

Articles

Livres- Dictionnaire de la langue parlée en Afghanistan, d’Aref Aziz, en dari, édi-tions Bâmiyân (2017), 443p., ISBN : 978-2914245708- Voyages et aventures en Perse, dans l’Afghanistan, le Beloutchistan et le Turkes-tan, Vol. 1, de Joseph-Pierre Ferrier, rééd., Forgotten Books (mars 2017), 492p., ISBN : 978-0259012573- Foe Koue Ki, ou Relation des royaumes bouddhiques, voyage dans la Tartarie, dans l’Afghanistan et dans l’Inde exécuté au IVème siècle, par Chi Fa Hian, éditions Len Pod (avril 2017), ISBN : 978-2338750642- Reminiscences of forty-three years in In-dia : Including the Cabul disasters, capti-vities in Afghanistan and the Punjaub, and a narrative of the mutinies in Rajputana,

Gouëset, L’Express, 30/01 de Sir George Lawrence, rééd., Forgotten Books (oct. 2017), 332p., ISBN : 978-0265175804- The Lost Kingdom : Memoir of an Afghan Prince, de His Royal Highness Prince Ali Seraj of Afghanistan, Post Hill Press (nov. 2017), 208p., ISBN : 978-1682615188- Afghanistan - Espaces et marqueurs so-ciaux-culturels des ressortissants afghans de la région de Jalalabad, de Nordine Drici, ND Consultance (déc. 2017) - Les ruines de Tagab, bande dessinée de Cyril Legrais et Nina Jacqmin, éd. Les Enfants Rouges, (décembre 2017), 128p., ISBN : 978-2-35419-095-8- The Kings of Afghanistan, de Pieter-Jan de Pue, Lannoo Pub. (janvier 2018), 208p., ISBN : 978-9401449281

Les dates de parution des livres ne sont données qu’à titre indicatif. S’informer auprès des édi-teurs. Pour une bibliographie plus complète, consulter le Bulletin du CEREDAF.

DERNIERES PUBLICATIONS

Le 23 février, le président afghan et le Premier ministre pakistanais ont lancé les travaux de construction du gazoduc TAPI1. Celui-ci, d’une longueur de 1814 kilo-

Inde

Afghanistan

Pakistan

Turkménistan

mètres transportera du gaz naturel turkmène jusqu’au Pakistan et en Inde à travers l’Afgha-nistan (d’où le P, le I et le A de TAPI). Le Président turkmène et le ministre indien des affaires étrangères ont également participé à la cérémonie.

TAPI sera un cor-ridor unifiant la région a estimé Achraf Ghani qui y voit un pro-jet non seulement économique permettant la création d’emploi, mais aussi politique.

Selon lui, le prochain grand projet concerne la construction de la ligne de chemin de fer entre le Turkménistan et l’Iran.

La construction du pipeline, qui devrait du-rer deux ans, supposera des mesures de sécurité importantes.

Ce projet bénéficie du soutien des Etats-Unis, opposés à un pro-jet alternatif de transport

Le gazoduc TAPI va-t-il voir le jour ?

de gaz iranien vers le Pakistan et l’Iran. Quant aux Tâlebân ils se sont dits prêts

à protéger le gazoduc qui est, à leurs yeux, « bon et important pour l’économie de l’Afghanistan ». Cette position n’est pas forcément surprenante dans la mesure où les Tâlebân sont très dépendants du Pakis-tan. Reste à savoir ce qu’en pense Daech.

1- Voir l’article TAPI or not TAPI dans notre nu-méro 145.

A. Ghani et les représentants des trois autres pays à l’inauguration du projet TAPI à Hérat. Photo TN

Le projet TAPI pavoise dans les rues de Hérat. Photo TN

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Les Nouvelles d’Afghanistan n°16030 Les Nouvelles d’Afghanistan n°16030

DERNIERES PUBLICATIONS

JonquilleBeaucoup de livres ont été écrits pour

témoigner sur l’engagement des Forces françaises en Afghanistan. « Jonquille » de Jean Michelin est publié dans la pres-tigieuse collection « Blanche » de Galli-mard, gage de sa qualité littéraire.

« Jonquille », qui donne son titre à ce récit, est l’indicatif de la compagnie qu’a commandée l’auteur, le commandant Jean Michelin de l’Armée de terre, pour un ul-time déploiement à Nidjrab et dans la val-lée de Tagab, au printemps et à l’été 2012, juste avant le retrait du contingent français.

Dix ans de présence militaire ont fait perdre beaucoup d’illusions. Même si, du-rant la phase de préparation au camp du Larzac, les soldats sont incités par un an-cien « french doctor » à chercher à voir « au-delà du canon de leur arme », un certain

fatalisme semble avoir fait son chemin. « Bienvenue en Afghanistan, le pays des choix impossibles ».

Des grandioses paysages afghans, il ne reste plus grand chose. Dans le récit, Tagab est avant tout une FOB (Forward Operating Base : base opérationnelle avancée). Les populations elles-mêmes ont comme dis-paru. Au loin, des femmes qui vont au puits ; dans un village, deux enfants hirsutes qui sortent d’une maison et esquissent un geste de salutation avant qu’une main d’adulte ne les tire promptement vers l’intérieur. « La porte se ferma. Personne n’avait prononcé le moindre son. »

Mais la menace des insurgés demeure, quotidienne et meurtrière. La compagnie connaitra le profond traumatisme provo-qué par la mort dans une attaque-suicide de quatre soldats issus des équipes Cimic

C’est le parcours semé d’épreuves d’un jeune mineur afghan qui veut échapper à la mort. Pour atteindre une vie meilleure, il empreinte, comme beaucoup d’autres la «Route de la mort», l’itinéraire cauchemar-desque qui passe par l’Iran, la Turquie, la Grèce et l’Europe orientale avant d’arriver en Europe occidentale.

C’est sur cette route qu’une partie des exilés périt chaque année, notamment en traversant la mer Égée entre le Grèce et la Turquie au moyen de canots surchargés.

Si ce livre est l’histoire singulière du jeune Abdulmalik, il pourrait être le récit de vie des centaines des jeunes Afghâns qui sont arrivés en Europe… ou pas… Il révèle le courage et la détermination d’un jeune et en même temps la cruauté de certain pays et la férocité des passeurs « qui nous consi-déraient comme des marchandises ».

J’ai rencontré Abdulmalik à Stras-bourg. Un jeune homme actuellement âgé de 25 ans, qui travaille à Schirmeck et vit à Molsheim dans le Bas-Rhin. Posé, sou-riant, nous avons parlé de son livre qui a été publié en mai 2014 et réédité en avril 2016.

Comment est néel’idée du livre ?

A aucun moment je n’avais songé à écrire mon histoire. C’est en participant aux activités culturelles proposées par les enseignants de mon lycée à Mulhouse que l’idée m’est venue. En fait, dans le cadre de ma participation au prix littéraire des lycées professionnels, j’ai lu le livre de Fouad Laroui, un Hollandais d’origine ma-rocaine, « Une année chez les Français ». Par la suite, Je l’ai rencontré à Mulhouse à mon lycée Charles Stoessel. C’est lui qui m’a conseillé d’écrire.

Son livre est une fiction qui ressemblait à mon histoire. A ce moment, j’avais des difficultés de langue en français, et en plus je n’avais pas l’expérience d’écrire. C’est mon professeur documentaliste Mme Ga-briel qui m’a présenté à une journaliste Mme Meichler. Cette dernière m’a présenté au dessinateur Bearboz ».

L’écriture a duré un an et demi. Il y avait une rencontre hebdomadaire avec le journaliste. Les données étaient en vrac. Chaque rencontre me revenaient davan-tage des scènes vécues. Je les étalais. C’est Mme Meichler qui les constituait comme un puzzle.

Abdulmalik explique que par ce livre, il voulait répondre à multiples questions que les citoyens français posent à un jeune exilé comme lui : « Je voulais montrer que j’aime mon pays. Je l’ai quitté par obliga-tion. La France ce n’était pas mon choix. Le hasard de la vie m’a fait atterrir ici ».

Le livre n’a pas eu d’écho dans les

tion dégrade. Néanmoins, il y a quelques points encourageants. Par exemple le sport et la présence de sportifs afghans à l’in-ternational sans oublier que l’Etat perçoit maintenant des impôts ce qui donnera plus d’indépendance à l’Afghanistan ».

Concernant son pays d’accueil, la France : « Au départ, je voulais aller en Finlande. Les gens disaient qu’il y a moins de bureaucratie pour obtenir l’asile. Mais le passeur m’a laissé à Mulhouse. Je pensais être en Allemagne. Finalement, je ne re-grette pas d’être en France. Je suis fasciné par sa richesse culturelle. Son climat est semblable à celui de l’Afghanistan. J’ap-précie entre autres, le système éducatif et sa gratuité.

Je souhaite que les jeunes Afghans en France, selon leur capacité, fassent des ef-forts pour construire leur avenir. Qu’il y ait une entente entre eux. Qu’ils ne restent pas inactifs ».

Penses-tu écrireun deuxième livre ?

J’ai une vague idée dans la tête, mais Je ne l’ai pas encore concrétisée.

Abdulmalik ajoute que son livre a eu un écho dans les médias notamment ré-gionaux. Il a été invité souvent à des ren-contres pour parler de son livre dans des établissements scolaires, librairies et salons de livres.

Propos recueillis par Zaher DIVANT-CHEGUI

- Je peux écrire mon histoire, d’Abdulmalik Faizi Coécrit avec la journaliste Frédérique Meichler et illustré par Bearboz (2014). Réédité en avril 2016. Editions Médiapop. Prix: 16 euros.

médias en Afghanistan. Mais Abdulmalik dit qu’il y a eu de fortes réactions parmi des Afghans d’origine pachtoune. En ef-fet, dans la première édition, il disait : les Pachtounes ont massacré les Hazaras. Pour éviter les conflits, pour la deuxième édition l’éditeur a dû supprimer ce paragraphe por-tant ces propos.

Il a été aussi surpris également par la réaction de certains de ses compatriotes à Mulhouse. La parution de son livre a fait l’objet de nombreuse moqueries : « nous aussi nous allons aussi écrire un livre ».

Quant aux jeune gens qui fuient le pays, Abdulmalik exprime l’idée que : « Les jeunes et ceux des milieux défavoriser, n’ont pas un avenir lumineux en Afghanis-

tan. Leur fuite du pays est légitime. Une partie d’entre eux est ex-posée à l’in-fluence et aux manipulations des organi-sations terro-ristes comme les Tâlebân et Daesh qui sèment le trouble. De ce

fait, il vaut mieux qu’ils évoluent dans un environnement favorable ».

En ce qui concerne son point de vue sur son pays natal. Il dit : « jusqu’au 2014, je restais optimiste pour que l’Afghanistan re-trouve une stabilité. Mais, depuis, la situa-

Le périple d’un réfugié

Notes de lectures

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31Les Nouvelles d’Afghanistan n°160Les Nouvelles d’Afghanistan n°160 31

(actions civilo-militaires) et de leur inter-prète. Le livre est dédié « à nos morts et nos blessés ».

C’est à cette « routine terrifiante » que s’attache l’au-teur, dans une écriture sans concess ion, f r a t e r n e l l e mais âpre, marquée par l’expérience du comman-dement dans ses exigences mais aussi dans ses frus-trations et ses doutes.

Avec la fin de l’été s’enclenche « la cinématique du désengagement ». A la surprise de tous, il se déroulera sans la moindre alerte. Grâce à la concomitance de la récolte des grenades. « Nous avons été préservés du feu par la population, pas parce qu’elle nous portait particulièrement dans son cœur, personne n’était naïf au point de le croire. Simplement parce qu’il fallait bien récolter les grenades pour aller les vendre. Drôle de pays. »

La dernière patrouille en VAB (véhi-cule de l’avant blindé) dans la vallée de Tagab se fait au son du « tube » des Cree-dence Clearwater Revival « Up Around the Bend », un hymne au mouvement et à la beauté céleste, et dont on rappellera la fin du premier couplet « Leave the sinking ship behind » (laisse derrière toi le navire qui coule).

La route du retour passe par une pé-riode de décompression à Chypre ; arrivé dans sa « tenue de guerrier » - un treillis à l’odeur tenace de poussière et de lessive afghane –l’auteur en repart dans une vêture repassée et qui « sent la lavande ». Une mue qui n’allègera pas le poids de la mémoire.

Six mois de courage et de fraternité vi-rile – « gamins et vieux soldats » confondus – dans un pays où, comme le pense Jean Michelin, « les histoires finissent rarement bien ».Régis KOETSCHET

- Jonquille - Afghanistan 2012, de Jean MichelinEditions Gallimard 2017

lifornie). Fin connaisseur de la culture pach-toune, l’auteur a participé à l’élaboration du service d’information de l’armée améri-caine au lendemain de l’intervention étran-gère en 2001 et fut conseiller des troupes canadiennes basées à Kandahar. Se fondant sur de très nombreuses sources de première

main, il ana-lyse les ins-truments de la propagande des Tâlebân et leur mise en œuvre au moyen de tracts, de cir-culaires, de magazines, de «night letters » chabnamah, de poèmes, de récits, trans-

mis par écrit, par radio ou par messages électroniques. Ces messages font référence à l’islam, au pachtounwali, à l’héroïque passé de l’Afghanistan ; ils reposent sur la culture pachtoune de l’honneur et du courage. Tous les thèmes s’appuient sur la réalité quotidienne des Afghans et leur environnement immédiat. Simples et forts, ils sont culturellement accessibles, donc appropriés, et revendiquent leur légitimité et leur capacité à gouverner ; ils promettent la mise en place d’organes administratifs légaux à même d’assumer la lutte contre la corruption. Mais avant tout, ils exigent le retrait de l’envahisseur – l’infidèle occiden-tal - et l’établissement ou le rétablissement de la charia.

Les Tâlebân ont compris que, sur le ter-rain, la guerre en Afghanistan ne se mène pas seulement sur le plan militaire, mais aussi sur celui de la propagande. Ils ont davantage que les troupes d’intervention la capacité de communiquer avec la popula-tion, principalement rurale, et de justifier la guerre dans une perspective afghane, dénonçant les dommages collatéraux de la Coalition. Pour les Tâlebân, les opérations militaires, la propagande et la stratégie ne font qu’un, alors que pour les Américains, leurs alliés et le gouvernement de Kaboul, ces domaines dépendent de départements différents ; ils apparaissent donc moins performants.

À l’aide de multiples exemples, de ta-bleaux, de documents traduits, cet ouvrage enrichi de notes, d’annexes et d’une impor-tante bibliographie ouvre des perspectives nouvelles sur un des aspects les plus mal connus de la guerre en Afghanistan.Micheline CENTLIVRES-DEMONT

- Taliban Narratives - The Use and Power of Sto-ries in the Afghanistan Conflict, de Thomas H. Johnson, With Matthew DuPee and Wali Skaa-ker. London, Hurst and Company, 2017. 376 p. ISBN 978-1-84904-843-9

L’Helmand et la guerreMike Martin, docteur en War Studies

de King’s College London, a servi comme officier de l’armée britannique dans la pro-vince de l’Helmand de 2009 à 2011 ; grâce à sa parfaite connaissance du pachtou, il a pu y mener 150 interviews, sans l’intermé-diaire, toujours problématique à ses yeux, d’interprètes. Grâce à ces témoignages oraux, il retrace l’histoire de l’Helmand de ces trente-cinq dernières années, constatant – ce qui peut aussi être le cas d’autres ré-gions d’Afghanistan – que les conflits lo-caux actuels remontent bien au-delà de l’in-tervention soviétique et de celle des troupes de l’OTAN. Vu et vécu par les habitants de cette province, le conflit est constant, il

oppose depuis des générations les mêmes familles, les mêmes groupes ; il porte sur les terres et l’eau, et sur l’exercice du pouvoir. Ce conflit interne que l’interven-tion des troupes de l’OTAN a perpétué et exacerbé tire

sa source, dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de la sédentarisation des tribus de la province de l’Helmand ; des ca-naux et un grand barrage ont été construits, des terres distribuées sur la base de familles nucléaires alors que les Helmandis ne re-connaissent que les tribus.

Les interventions de reconstruction et de développement programmées par les troupes de l’OTAN, britanniques en prio-rité, ont été mal comprises des Helmandis, souvent persuadés que les Britanniques menaient leur propre jeu dans la province, tout comme les conflits de longue date dans l’Helmand ont été mal interprétés par les intervenants occidentaux.

Ainsi que l’écrit Stathis Kalyvas, professeur de science politique à la Yale University et préfacier de cette deuxième édition, l’échec de l’Occident provient de la méconnaissance de la complexité de la société afghane et de l’accent mis sur la stratégie politique et militaire.

L’ouvrage comporte un glossaire, la liste des personnes interviewées, une chro-nologie, les arbres généalogiques des prin-cipales familles de l’Helmand, une biblio-graphie et un index.Micheline CENTLIVRES-DEMONT

- An Intimate War - An Oral History of the Hel-mand Conflict, de Mike Martin, Hurst & Com-pany, London, 2017. 2e edition. 393 p. ISBN 978-1-84904-891-0

DERNIERES PUBLICATIONS

La guerre de propagande«Les Tâlebân ont gagné la guerre de

l’information et de la propagande, et les Américains ont perdu la bataille de la communication.» C’est la thèse dévelop-pée dans ce livre par Thomas J. Johnson, professeur de National Security Affairs à la Naval Postgraduate School (Monterey, Ca-

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Les Nouvelles d’Afghanistan n°16032Directeur de la publication : Etienne Gille - Rédacteur en chef : Etienne Gille - Maquette : Alain Marigo - Iconographie : Véra Marigo

N°CPPAP : 1019 G 83919 - Corlet Imprimeur, S.A., 14110 Condé-sur-Noireau

Naorouzà Mazar-e Charif.Photo DR

Bon Naorouz

Le 21 mars, de nombreux pays de l’aire persanophone fê-tent le Naorouz (ou Norouz), L’aire persanophone est à com-prendre au sens large, puisque par exemple les Kurdes ou les pachtounophones le fêtent également. Naorouz signifie littéralement « nouveau jour ». Il s’agit de la fête du printemps qui inaugure la nouvelle année solaire.

Cette fête rassemble toute la population afghane et est un moment d’unité nationale, comme nous le rappelle cette lettre reçue récemment d’un professeur de français de Dja-lâlâbâd :

«Le premier jour de l’an est férié en Afghanistan : les peuples de l’Afghanistan fêtent ce jour dans chaque province. C’est notamment le cas à Mazar-e Charif où les gens des autres provinces se rendent pour célébrer cette fête. Une cérémonie particulière s’y déroule : un mât est dressé et le toucher porte bonheur.

On dit que c’est le premier roi d’Afghanistan1, Djam-chid, qui a célébré pour la première fois le Naorouz.

On pique-nique dans les jardins et on joue à diffé-rents jeux avec nos familles dans un parc ou un grand jardin.

On prépare aussi sept fruits (haft mewa) qu’on fait macérer plusieurs jours, et les amis se rendent visite mutuellement et prennent du haft mewa et aussi un met spécial à cette fête, le samanak.»

Le samanak est un plat fait à partir de germes et de farine

de blé. Durant la nuit, les femmes cuisinent ce plat en chan-tant une chanson appelée samanak dar djouch :

Samanak dar djouch,Mâ kaftcha zanêm(Le samanak bout,remuons-le avec l’écumoire)

1- L’auteur de la lettre fait là évidemment un anachronisme, puisque l’Afghanistan n’existait pas à l’époque, d’ailleurs mythique, évoquée.

Naorouz à Kaboul, levée du mat. Photo DR

Une occasionde porter ses plus beaux vêtements.

Photo V. Marigo

Mazar-e Charif,pique-nique dans les jardins.Photo V. Marigo

Mazar-e Charif,Naorouz dans l’enceinte

du Mausolée Ali.Photo B.Dupaigne