les entreprises ne croient plus de l™ØtØ à une reprise dès 2002 · 2018. 3. 26. · la...

21
www.lemonde.fr 58 ANNÉE – N” 17893 – 1,20 ¤ – FRANCE MÉTROPOLITAINE --- FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY – DIRECTEUR : JEAN-MARIE COLOMBANI MARDI 6 AOÛT 2002 Afrique CFA 1000 F CFA, Algérie 40 DA, Allemagne 1,50 ¤, Antilles-Guyane 1,50 ¤, Autriche 1,50 ¤, Belgique 1,20 ¤, Canada 2,50 $, Danemark 15 KRD, Espagne 1,50 ¤, Finlande 2,00 ¤, Grande-Bretagne 1 £, Grèce 1,50 ¤, Irlande 1,50 ¤, Italie 1,50 ¤,Luxembourg 1,20 ¤, Maroc 10 DH, Norvège 16 KRN, Pays-Bas 1,50 ¤, Portugal cont. 1,50 ¤, Réunion 1,50 ¤, Suède 16 KRS, Suisse 2,40 FS, Tunisie 1,5 DT, USA (NY) 2 $, USA (others) 2,50 $. PASSIONS HIPPIQUES Pur-sang ne saurait mentir Chez les aristocrates des champs de courses p. 8 FESTIVAL Locarno 100 000 spectateurs pour 400 films p. 17 LES ILES Houat et Hœdic Iliens et touristes p. 7 SÉRIES TRENTE ANS de théâtre en « one-woman show », sans cesser de faire rire sur la condi- tion féminine. Rencontre avec Sylvie Joly, « la » Joly qui attend encore « son » rôle au cinéma. Lire page 19 DANS le grand livre qu’il consa- cra à la mondialisation et à l’histoi- re du capitalisme entre la fin du XIX e siècle et la première guerre mondiale, Karl Polanyi explique que la grande transformation du monde s’est organisée autour de trois éléments essentiels : un systè- me interétatique garant de la guerre et de la paix et construit autour du concert des nations ; une idéologie : celle du marché autorégulateur ; des leaders en nombre très limité et représentant la haute finance. Selon Polanyi, ce système a débouché sur la guerre et le repli sur soi parce qu’il avait au fond oublié d’inscrire l’immense muta- tion du capitalisme mondialisé dans une logique de régulation. Au regard des crises d’Enron et de WorldCom et des phénomènes de panique sociale qu’elles engen- drent, le spectre d’un effondre- ment tel que l’analyse Polanyi peut sembler réapparaître. Lire la suite page 9 LES CHAMPION- NATS d’Europe d’athlétisme se se tiennent du 6 au 11 août à Munich. L’équipe de France présente une forma- tion rajeunie, enca- drée de quelques « anciens » comme Patricia Girard (100 m haies) et Sté- phane Diagana (400 m haies, photo). Muriel Hurtis partira favorite du 200 m. Les athlètes français espèrent obtenir un total de six médailles. Lire pages 14 et 15 Au risque du rire Une équipe de France rajeunie pour le rendez-vous continental est chercheur au CERI (Centre d’études et de recherches internationales) International.............. 2 France-Société ........... 5 Régions ....................... 7 Horizons ..................... 8 Entreprises ............... 10 Marchés .................... 12 Carnet ........................ 13 Abonnements .......... 13 Aujourd’hui .............. 14 Météorologie ........... 16 Jeux ........................... 16 Culture....................... 17 Radio-Télévision ..... 20 Emploi ....................... 21 CRISE DE CONFIANCE générali- sée, hémorragie des capitaux, chô- mage et récession : le drame argen- tin s’étend aux pays voisins, Uru- guay et Brésil, avec l’habituel cortè- ge de pillages et d’émeutes (photo). Pour tenter d’éteindre le foyer galo- pant d’une crise financière aux répercussions sociales terribles, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et les Etats-Unis se mobilisent. FMI et Banque devaient débattre cette semaine d’une aide immédiate au profit de l’Uruguay, d’un nouvel accord avec le Brésil et du traite- ment à moyen terme de l’Argenti- ne. Après bien des réticences et quelques gaffes retentissantes, le secrétaire américain au Trésor, Paul O’Neill, a jugé la situation suffisam- ment dramatique pour se rendre aussi dans la région. Il était attendu lundi 5 août à Brasilia, avant de se rendre ensuite à Montevideo et à Buenos Aires. Les Etats-Unis sont cette fois disposés à contribuer eux aussi à débloquer des fonds pour faire face à la crise des paiements que connaît l’Amérique latine. Car c’est bien l’ensemble du conti- nent qui va mal, comme le montre l’enquête du Monde. Selon les Nations unies, au début du XXI e siè- cle, la pauvreté touche 44 % de la population latino-américaine ; le taux moyen de chômage sur le continent dépasse les 9 %, chiffre le plus élevé depuis le début des années 1980 ; une fraction croissan- te des populations cherche le salut dans l’exil, vers les Etats-Unis et même l’Europe. Lire pages 2 et 3 PROCHE-ORIENT Douze Israéliens tués dans six attentats palestiniens p. 4 EUROPE La Turquie attend un geste de l’UE après ses votes du 3 août p. 4 et notre éditorial p. 9 NAISSANCES La santé périnatale se dégrade en France faute de moyens p. 5 PARLEMENT Fin de session : cinq textes phares votés en un mois p. 6 PEINTURE Francis Bacon et Vincent Van Gogh, frères de sang p. 18 LA PUBLICATION des résultats du premier semestre 2002 des entreprises était attendue avec beaucoup d’impatience par la com- munauté financière, dans le contexte de crise économique et boursière mondiale. Il apparaît que la plupart des vingt-deux socié- tés françaises qui ont déjà dévoilé leurs comptes semestriels – dont Le Monde présente la synthèse – ont limité leur recul. Toutefois c’est souvent au prix d’une gestion impitoyable et de restructurations douloureuses : recentrage, ces- sions, réduction des investisse- ments et licenciements. Le pire est peut-être à venir : les espoirs de frémissements évoqués en début d’année se sont envolés et 2002 s’annonce aussi noire que le millé- sime précédent. Dans certains sec- teurs, on se dit convaincu qu’il ne s’agit pas seulement d’une panne conjoncturelle mais d’une profon- de crise structurelle. a L’Amérique se déploie, l’Europe se replie par Zaki Laïdi / / – La crise argentine s’étend aux pays voisins ’ ’ Les entreprises ne croient plus à une reprise dès 2002 Les sorcières roumaines ne peuvent plus faire de publicité à la télévision BUCAREST de notre correspondant Les sorcières roumaines accusent les autori- tés de Bucarest d’un retour aux pratiques du Moyen Age. Emportées par une sainte colère, elles s’insurgent contre la décision du Conseil national de l’audiovisuel (CNA) de leur interdire la publicité à la télévision. « Nous sommes chas- sées depuis l’Inquisition !, s’exclame Rodica, la fille de feu Maman la Vermine, la sorcière la plus célèbre de Roumanie. C’est à cause de l’Egli- se et des popes qui nous envient pour nos pou- voirs. » Mais avant d’attaquer les serviteurs de Dieu, les sorcières roumaines devront régler le problème que leur pose le CNA. « Nous allons nous rassembler et aller voir le directeur, mena- cent-elles. Nous n’acceptons pas d’être marginali- sées à ce point. » Pourtant, les quelques milliers de sorcières roumaines, d’origine tsigane, sont loin d’être marginalisées. Au contraire, une bonne partie d’entre elles sont de véritables stars en Rouma- nie. Elles passent souvent sur la dizaine de chaî- nes privées et publiques pour expliquer leur vocation. « Moi, Desdémone, héritière des pou- voirs de ma mère et de ma grand-mère, avec un supplément personnel et une renommée interna- tionale, je guéris les neuf maladies que connaît l’humanité. » Ce genre d’autobiographie en direct devant les caméras semble très apprécié en Roumanie. Mais, outre les reportages, les tables rondes et les interviews avec les sorciè- res, dont raffolent les chaînes, une autre prati- que s’est instaurée sur la chaîne privée OTV : les sorcières achètent du temps à l’antenne pour présenter leurs talents et leurs exploits. C’est ainsi que les Roumains ont découvert la grande vedette du milieu sorcier, Maria Cimpina, la « Reine de la magie blanche ». Tête ceinte d’une couronne en or massif pesant trois kilos, elle n’a reculé devant aucun argument publicitaire : « Regardez cette statue de Jésus à l’échelle natu- relle. C’est le pape Jean Paul II qui me l’a offerte pour faire du bien au peuple roumain. » La pratique de la sorcellerie ne date pas d’hier dans le terroir de Dracula. Le dictateur Nicolae Ceausescu et son épouse Elena étaient eux- mêmes des intimes de Maman la Vermine, qui leur aurait prédit leur mort violente. Le prési- dent Ion Iliescu, qui mit fin au règne du couple dictatorial, a lui aussi l’estime des sorcières. Lors de la dernière Foire internationale de Bucarest, organisée début juin, les sorcières, qui occu- paient trois stands, l’ont reçu avec enthousias- me. Selon un communiqué du Congrès interna- tional de la sorcellerie blanche, tenu à Bucarest, les sorcières envisagent d’organiser « des rencon- tres périodiques pour activer le potentiel spirituel des hommes politiques ». La cause est noble : « Il faut élaborer un programme spécial contre les esprits maléfiques qui s’attaquent en force à la Roumanie. » La nouvelle loi de l’audiovisuel, qui punit d’amendes sévères le passage à l’antenne de « pratiques occultes », est donc un coup dur pour l’image de ces femmes qui se posent en sau- veurs de la Roumanie. Et surtout pour leur chif- fre d’affaires. Ayant fait bâtir de véritables châ- teaux, roulant en Mercedes flambant neuves, les sorcières ont surtout trouvé un bon créneau financier. Foin de ces calomnies ! Une guerre contre la sorcellerie, assurent ces dames, fera rater à la Roumanie l’intégration européenne… Mirel Bran f Notre enquête sur les premiers résultats 2002 des grandes sociétés françaises f Le recul au premier semestre est limité au prix de lourdes restructurations f Les patrons ne perçoivent plus de signes de reprise f Les banques réduisent le crédit Lire page 10

Upload: others

Post on 01-Feb-2021

0 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • www.lemonde.fr

    58 ANNÉE – Nº 17893 – 1,20 ¤ – FRANCE MÉTROPOLITAINE --- FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY – DIRECTEUR : JEAN-MARIE COLOMBANIMARDI 6 AOÛT 2002

    Afrique CFA 1000 F CFA, Algérie 40 DA, Allemagne 1,50 ¤, Antilles-Guyane 1,50 ¤, Autriche 1,50 ¤, Belgique 1,20 ¤, Canada 2,50 $, Danemark 15 KRD, Espagne 1,50 ¤, Finlande 2,00 ¤, Grande-Bretagne 1 £, Grèce 1,50 ¤, Irlande 1,50 ¤, Italie 1,50 ¤,Luxembourg 1,20 ¤,Maroc 10 DH, Norvège 16 KRN, Pays-Bas 1,50 ¤, Portugal cont. 1,50 ¤, Réunion 1,50 ¤, Suède 16 KRS, Suisse 2,40 FS, Tunisie 1,5 DT, USA (NY) 2 $, USA (others) 2,50 $.

    PASSIONS HIPPIQUES

    Pur-sangne saurait mentirChez les aristocratesdes champsde courses p. 8

    FESTIVAL

    Locarno100 000 spectateurspour 400 films p. 17

    LES ILES

    Houat et HœdicIliens et touristes p. 7

    SÉRIES ’

    TRENTE ANS de théâtre en« one-woman show », sanscesser de faire rire sur la condi-tion féminine. Rencontre avecSylvie Joly, « la » Joly quiattend encore « son » rôle aucinéma. Lire page 19

    DANS le grand livre qu’il consa-cra à la mondialisation et à l’histoi-re du capitalisme entre la fin duXIXe siècle et la première guerremondiale, Karl Polanyi expliqueque la grande transformation dumonde s’est organisée autour detrois éléments essentiels : un systè-me interétatique garant de laguerre et de la paix et construitautour du concert des nations ;une idéologie : celle du marchéautorégulateur ; des leaders ennombre très limité et représentantla haute finance.

    Selon Polanyi, ce système adébouché sur la guerre et le repli

    sur soi parce qu’il avait au fondoublié d’inscrire l’immense muta-tion du capitalisme mondialisédans une logique de régulation. Auregard des crises d’Enron et deWorldCom et des phénomènes depanique sociale qu’elles engen-drent, le spectre d’un effondre-ment tel que l’analyse Polanyi peutsembler réapparaître.

    Lire la suite page 9

    LES CHAMPION-NATS d’Europed’athlétisme se setiennent du 6 au11 août à Munich.L’équipe de Franceprésente une forma-tion rajeunie, enca-drée de quelques« anciens » commePatricia Girard(100 m haies) et Sté-phane Diagana(400 m haies, photo).Muriel Hurtis partirafavorite du 200 m.Les athlètes françaisespèrent obtenir untotal de six médailles. Lire pages 14 et 15

    Au risquedu rire

    Une équipe de France rajeuniepour le rendez-vous continental

    est chercheur au CERI(Centre d’études et de recherchesinternationales)

    International.............. 2France-Société ........... 5Régions ....................... 7Horizons..................... 8Entreprises ............... 10Marchés .................... 12Carnet........................ 13

    Abonnements .......... 13Aujourd’hui .............. 14Météorologie ........... 16Jeux ........................... 16Culture....................... 17Radio-Télévision ..... 20Emploi ....................... 21

    CRISE DE CONFIANCE générali-sée, hémorragie des capitaux, chô-mage et récession : le drame argen-tin s’étend aux pays voisins, Uru-guay et Brésil, avec l’habituel cortè-ge de pillages et d’émeutes (photo).Pour tenter d’éteindre le foyer galo-pant d’une crise financière auxrépercussions sociales terribles, leFonds monétaire international(FMI), la Banque mondiale et lesEtats-Unis se mobilisent. FMI etBanque devaient débattre cettesemaine d’une aide immédiate auprofit de l’Uruguay, d’un nouvel

    accord avec le Brésil et du traite-ment à moyen terme de l’Argenti-ne. Après bien des réticences etquelques gaffes retentissantes, lesecrétaire américain au Trésor, PaulO’Neill, a jugé la situation suffisam-ment dramatique pour se rendreaussi dans la région. Il était attendulundi 5 août à Brasilia, avant de serendre ensuite à Montevideo et àBuenos Aires. Les Etats-Unis sontcette fois disposés à contribuer euxaussi à débloquer des fonds pourfaire face à la crise des paiementsque connaît l’Amérique latine.

    Car c’est bien l’ensemble du conti-nent qui va mal, comme le montrel’enquête du Monde. Selon lesNations unies, au début du XXIe siè-cle, la pauvreté touche 44 % de lapopulation latino-américaine ; letaux moyen de chômage sur lecontinent dépasse les 9 %, chiffre leplus élevé depuis le début desannées 1980 ; une fraction croissan-te des populations cherche le salutdans l’exil, vers les Etats-Unis etmême l’Europe.

    Lire pages 2 et 3

    PROCHE-ORIENTDouze Israéliens tuésdans six attentatspalestiniens p. 4

    EUROPELa Turquie attend ungeste de l’UE aprèsses votes du 3 août p. 4 et notre éditorial p. 9

    NAISSANCESLa santé périnatalese dégrade en Francefaute de moyens p. 5

    PARLEMENTFin de session : cinqtextes phares votésen un mois p. 6

    PEINTUREFrancis Bacon etVincent Van Gogh,frères de sang p. 18

    LA PUBLICATION des résultatsdu premier semestre 2002 desentreprises était attendue avecbeaucoup d’impatience par la com-munauté financière, dans lecontexte de crise économique etboursière mondiale. Il apparaîtque la plupart des vingt-deux socié-tés françaises qui ont déjà dévoiléleurs comptes semestriels – dontLe Monde présente la synthèse –ont limité leur recul. Toutefoisc’est souvent au prix d’une gestionimpitoyable et de restructurationsdouloureuses : recentrage, ces-sions, réduction des investisse-ments et licenciements. Le pire estpeut-être à venir : les espoirs defrémissements évoqués en débutd’année se sont envolés et 2002s’annonce aussi noire que le millé-sime précédent. Dans certains sec-teurs, on se dit convaincu qu’il nes’agit pas seulement d’une panneconjoncturelle mais d’une profon-de crise structurelle.

    a

    L’Amérique se déploie,l’Europe se repliepar Zaki Laïdi

    /

    /

    La crise argentine s’étend aux pays voisins

    ’ ’

    Les entreprises ne croient plusà une reprise dès 2002

    Les sorcières roumaines ne peuvent plus faire de publicité à la télévisionBUCAREST

    de notre correspondantLes sorcières roumaines accusent les autori-

    tés de Bucarest d’un retour aux pratiques duMoyen Age. Emportées par une sainte colère,elles s’insurgent contre la décision du Conseilnational de l’audiovisuel (CNA) de leur interdirela publicité à la télévision. « Nous sommes chas-sées depuis l’Inquisition !, s’exclame Rodica, lafille de feu Maman la Vermine, la sorcière laplus célèbre de Roumanie. C’est à cause de l’Egli-se et des popes qui nous envient pour nos pou-voirs. » Mais avant d’attaquer les serviteurs deDieu, les sorcières roumaines devront régler leproblème que leur pose le CNA. « Nous allonsnous rassembler et aller voir le directeur, mena-cent-elles. Nous n’acceptons pas d’être marginali-sées à ce point. »

    Pourtant, les quelques milliers de sorcièresroumaines, d’origine tsigane, sont loin d’êtremarginalisées. Au contraire, une bonne partied’entre elles sont de véritables stars en Rouma-nie. Elles passent souvent sur la dizaine de chaî-nes privées et publiques pour expliquer leurvocation. « Moi, Desdémone, héritière des pou-

    voirs de ma mère et de ma grand-mère, avec unsupplément personnel et une renommée interna-tionale, je guéris les neuf maladies que connaîtl’humanité. » Ce genre d’autobiographie endirect devant les caméras semble très appréciéen Roumanie. Mais, outre les reportages, lestables rondes et les interviews avec les sorciè-res, dont raffolent les chaînes, une autre prati-que s’est instaurée sur la chaîne privée OTV : lessorcières achètent du temps à l’antenne pourprésenter leurs talents et leurs exploits. C’estainsi que les Roumains ont découvert la grandevedette du milieu sorcier, Maria Cimpina, la« Reine de la magie blanche ». Tête ceinte d’unecouronne en or massif pesant trois kilos, elle n’areculé devant aucun argument publicitaire :« Regardez cette statue de Jésus à l’échelle natu-relle. C’est le pape Jean Paul II qui me l’a offertepour faire du bien au peuple roumain. »

    La pratique de la sorcellerie ne date pas d’hierdans le terroir de Dracula. Le dictateur NicolaeCeausescu et son épouse Elena étaient eux-mêmes des intimes de Maman la Vermine, quileur aurait prédit leur mort violente. Le prési-dent Ion Iliescu, qui mit fin au règne du couple

    dictatorial, a lui aussi l’estime des sorcières. Lorsde la dernière Foire internationale de Bucarest,organisée début juin, les sorcières, qui occu-paient trois stands, l’ont reçu avec enthousias-me. Selon un communiqué du Congrès interna-tional de la sorcellerie blanche, tenu à Bucarest,les sorcières envisagent d’organiser « des rencon-tres périodiques pour activer le potentiel spiritueldes hommes politiques ». La cause est noble : « Ilfaut élaborer un programme spécial contre lesesprits maléfiques qui s’attaquent en force à laRoumanie. »

    La nouvelle loi de l’audiovisuel, qui punitd’amendes sévères le passage à l’antenne de« pratiques occultes », est donc un coup dur pourl’image de ces femmes qui se posent en sau-veurs de la Roumanie. Et surtout pour leur chif-fre d’affaires. Ayant fait bâtir de véritables châ-teaux, roulant en Mercedes flambant neuves,les sorcières ont surtout trouvé un bon créneaufinancier. Foin de ces calomnies ! Une guerrecontre la sorcellerie, assurent ces dames, ferarater à la Roumanie l’intégration européenne…

    Mirel Bran

    f Notre enquête surles premiers résultats2002 des grandessociétés françaises

    f Le recul au premiersemestre est limitéau prix de lourdesrestructurations

    f Les patronsne perçoivent plusde signes de reprise

    f Les banquesréduisent le crédit

    Lire page 10

  • 2/LE MONDE/MARDI 6 AOÛT 2002

    BUENOS AIRESde notre correspondante

    La soudaine explosion populairede décembre 2001 en Argentine,avec la chute du gouvernementdémocratique de Fernando de laRua et une brutale répression qui afait une trentaine de morts, est deve-nue un symbole de la crise du modè-le néolibéral en Amérique latine. Ladébâcle de l’Argentine – considéréejusqu’alors comme le meilleur élèvedu Fonds monétaire international –a aggravé les problèmes des paysvoisins comme l’Uruguay, le Para-guay et le Brésil mais complique aus-si une économie plus stable commecelle du Chili.

    Ce dernier a d’importants inves-tissements en Argentine, dans lesecteur de l’électricité et du com-merce. Le nombre de touristesargentins a chuté de 60 % vers leChili et de 80 % vers le Brésil. LeMercosur, le marché commun sud-américain (Argentine, Brésil, Uru-guay, Paraguay, avec comme mem-bres associés le Chili et la Bolivie),est au point mort. Des « cacerola-zos » (concerts de casseroles) onteu lieu à Buenos Aires mais aussi àMontevideo et à Caracas. Des« piqueteros » coupent les routeset les ponts en Argentine, mais éga-lement au Paraguay, au Pérou etjusque dans le sud du Chili où lespêcheurs artisanaux s’opposent auprojet de privatisation de la pêche.

    L’Uruguay a cessé d’être la « Suis-se de l’Amérique du Sud » et le cre-do libéral du président Jorge Battle(centre-droite) n’est pas parvenu àfreiner la fuite des dépôts bancaires– 40 millions de dollars par jour –,la montée du risque pays et la liqui-dation des réserves de la banque

    centrale. L’opposition de gauchedu Frente Amplio a bloqué touteprivatisation. Le Paraguay, fortdépendant de l’Argentine et du Bré-sil, est secoué par de violentes mani-festations qui ont fait deux morts le15 juillet. Des milliers de personnesont rejeté toute privatisation et ontdénoncé une pauvreté qui touche60 % de la population.

    Au Pérou, après avoir été élu il y

    un an avec 52 % des suffrages, leprésident Alejandro Toledorecueille 72 % d’opinions défavora-bles. Avec des promesses socialesnon tenues, des rébellions l’ontobligé à suspendre la privatisationde deux compagnies d’électricitédans le sud du pays. Les tanks sontdescendus dans les rues, faisant un

    mort. M. Toledo a dû proclamerl’état de siège, remanier son gou-vernement et abandonner le pro-gramme de privatisations dont ilattendait 700 millions d’euros.

    En Bolivie, les tentatives de pri-vatisation de la compagnie deseaux Aguas del Tunari ont été sus-pendues après la mobilisation deplusieurs syndicats. En Equateur,le président Gustavo Noboa n’apu vaincre l’opposition populairecontre les privatisations de dix-sept usines d’électricité. A Quito,plusieurs des candidats à la prési-dence, prévue en octobre, rejet-tent les privatisations et la dollari-sation de l’économie. La violencepolitique paralyse l’économie de laColombie et du Venezuela.

    Malgré le retour de la démocratiedans les années 80, l’Amérique lati-

    ne est en crise. Les inégalités socia-les restent très grandes dans tousles pays de la région. La vague deréformes néolibérales entreprisesdans les années 90, sous la houlettedu Fonds monétaire international –privatisations et ouverture de l’éco-

    nomie –, n’a pas apporté le bien-être espéré. Du Nord au Sud, la mul-tiplication de violents conflits, lerejet des privatisations et des multi-nationales étrangères révèlent unefrustration généralisée.

    Au début du XXIe siècle, le bilanest sombre. La pauvreté touche44 % de la population latino-améri-caine. Le nombre de chômeurs adoublé en dix ans. Le taux moyendu chômage en Amérique latine aatteint 9,4 % au cours du premier tri-mestre 2002, soit le plus élevédepuis les années 80. Selon des chif-fres de l’Organisation internationaledu travail (OIT), l’absence d’emploitouche particulièrement les jeunes :46 % en Argentine, 35,1 % en Uru-guay, 26,2 % au Venezuela, 20,2 %au Chili, 17,1 % au Pérou, 13,7 % auBrésil et 5,4 % au Mexique.

    Le panorama politique est incer-tain. « Que se vayan todos » (qu’ilss’en aillent tous), ce slogan scandédepuis des mois par les Argentinstrouve un écho dans la région. Sansremettre en cause la démocratie, lescitoyens ont perdu confiance dansles dirigeants politiques. Une faibleminorité qualifie de « très bonne »

    ou « bonne » la gestion des chefsd’Etat, selon un sondage Gallup,réalisé entre avril et mai, dans 14pays latino-américains. Seuls, auChili et au Mexique, les présidentsRicardo Lagos et Vicente Fox ontune image positive auprès de 45 %de la population. La crise financièreest générale avec une dévaluationdes monnaies, une fuite des dépôtsbancaires et un recul des investisse-ments étrangers.

    ’En raison du chômage et de l’as-

    souplissement à outrance des loisdu travail en Amérique latine, unegrande partie de la population estcondamnée à l’exil. Plus de 10 mil-lions de Latino-Américains souhai-tent émigrer vers les Etats-Unis oul’Europe. Attirés dans les années90 par le nouvel eldorado, lesinvestisseurs sont en retrait. Ils nefont pas toujours de différencesentre les pays – comme le Chili – etse méfient globalement du conti-nent. Au Brésil, ils craignent qu’undes deux candidats de gauche –Luis Inacio Lula da Silva ou CiroGomez –, favoris dans les sonda-ges, gagne l’élection présidentielled’octobre et que le pays refused’honorer ses engagements àl’égard de ses créanciers.

    Le sommet de Guayaquil enjuillet, qui a réuni les principauxchefs d’Etat sud-américains, amontré des présidents affaiblis etsans solution de rechange. LesEtats-Unis étaient convaincus quela crise argentine était un cas isolé.Ils s’inquiètent désormais des tur-bulences au niveau régional.

    Christine Legrand

    SANTIAGO DU CHILIde notre envoyée spéciale

    « Quand il pleut, Santiago est noyée sous les eaux.Quand il ne pleut pas, elle étouffe sous la contamina-tion », se plaignait fin juillet un vendeur de jour-naux en montrant l’épais nuage noir qui recouvre lacapitale comme un couvercle d’où émergent lessommets enneigés de la pré-cordillère des Andes.Avec un chômage qui dépasse les 9 %, une pauvretéqui touche plus de 20 % de la population, la qualitéde vie et la protection de l’environnement sont desthèmes de préoccupation des citoyens, qui se plai-gnent aussi des grandes inégalités dans l’accès à lasanté et à l’éducation.

    A Santiago, les quelques touristes argentins, quise font rares depuis l’effondrement de la monnaieargentine, sont assaillis de questions. Jusqu’à pré-sent, l’effet Tango semble épargner la forteresse chi-lienne, qui, depuis plusieurs années, a l’économie laplus stable de l’Amérique du Sud, avec de bonsrésultats macroéconomiques, un secteur privé dyna-mique, des comptes fiscaux en ordre et une detteextérieure équilibrée.

    Les Chiliens n’échappent pourtant pas à la morosi-té de la région. « La détérioration de la situation régio-nale affecte aussi le Chili », a indiqué au MondeMaria Elena Ovalle, conseillère de la banque centra-le. Les crises en Argentine et au Brésil ont eu de pro-fondes répercussions, avec un ralentissement desinvestissements étrangers, a précisé Mme Ovalle, ajou-tant que « les exportations chiliennes vers l’Argentineavaient chuté de 60 % depuis début 2002 et que l’in-certitude brésilienne avait entraîné sur les marchésfinanciers une dévaluation de 8 % du peso chilien ».La croissance a baissé de près de 10 % durant mai, cequi se traduit par une croissance de 1,9 % pour les

    cinq premiers mois de l’année, alors qu’entre 1986 et1997 la croissance avait été en moyenne de 7,6 % paran. Le ministre de l’économie, Nicolas Eyzaguirre, semontre toutefois optimiste, prédisant une croissan-ce de 2,5 % à 3 % pour 2002.

    Dans le cadre de la crise latino-américaine,M. Eyzaguirre tient à différencier le Chili et le Mexi-que des autres pays du continent. Au cours d’unséminaire qui a eu lieu le 16 juillet à Santiago sur lethème de l’insertion du Chili dans l’économie glo-bale, M. Eyzaguirre a annoncé des mesures de réacti-vation pour attirer les investisseurs étrangers.

    ’ L’économie du Chili est ouverte et diversifiée :

    vers l’Amérique latine, mais aussi les Etats-Unis,l’Asie et l’Europe. Après de longues négociations, legouvernement du président socialiste Ricardo Lagosest parvenu, en mai, à un protocole d’accord histori-que de coopération avec l’Union européenne, quifera de l’Europe le premier partenaire commercialdu Chili. Le ministre de l’économie a toutefois préditque le cycle extraordinaire d’investissements et deflux de capitaux qui ont caractérisé les années 1990n’allait pas se répéter dans un futur proche.

    Le responsable de JP Morgan pour l’Argentine etle Chili, Vladimir Werning, a confirmé que le Chilijouissait d’une meilleure santé que ses voisins, maisqu’il devait être attentif à des problèmes structurelsqui, selon lui, n’ont rien à voir avec la crise. Même sile Chili se différencie, « il n’est pas immunisé contrela contagion », a lancé M. Werning, ajoutant qu’« ilne fallait pas oublier que l’Argentine avait été, elleaussi, un modèle en son temps ».

    Ch. Le.

    Le Chili résiste mieux que ses voisins

    /

    Montevideo compte sur l’argent du FMI pour éviter la faillite de son système bancaire

    Pour éviterd’être dévalisé,le propriétaired’un supermarchéà El Cerro,près de Montevideo,en Uruguay,a pris,vendredi 2 août,les devantset a distribuédes vivresà la populationqui réclamaitde la nourriture.

    LE FMI, la Banque mondiale et laBanque interaméricaine de dévelop-pement (BID) ont décidé conjointe-ment, dimanche 5 août, de porter à1,5 milliard de dollars – dont800 millions d’argent frais – lesfonds mis à la disposition de l’Uru-guay pour tenter de surmonter sacrise de liquidités. Sans attendrel’accord des conseils d’administra-tion de ces institutions, qui se réuni-ront en milieu de semaine, ni levote final par le Parlement uru-guayen d’une loi visant à consoliderle système bancaire, c’est le Trésoraméricain qui va sortir son carnetde chèques. Dans un communiqué,le secrétaire américain au Trésor,Paul O’Neill, a confirmé que Wash-

    ington allait débourser immédiate-ment cette somme, qui, espère-t-il,permettra d’alléger les « pressionsintenses » qui pèsent sur l’Uruguay.

    Pour les institutions de BrettonWoods comme pour la MaisonBlanche, ces fonds serviront àgarantir 100 % des dépôts à vue età terme libellés en dollar dans lesbanques privées et publiques. Il estessentiel, a ajouté M. O’Neill que« la population uruguayenne et lesmilieux d’affaires aient accès à leursdépôts pour préserver le système depaiement de l’économie ».

    Celui-ci est paralysé après la déci-sion du gouvernement, mardi30 juillet, de fermer les banquesdans une tentative pour juguler

    l’hémorragie des capitaux et éviterla cessation de paiement du pays.

    Les réserves de la banque centra-le ont fondu de 78 % depuis janvieret, selon l’agence de notationFitch, qui, comme sa collègue Stan-dard & Poors, a déclassé la note del’Uruguay, elles continuent à dimi-nuer. Au cours des deux derniersmois et malgré le soutien affichédu FMI (Fonds monétaire interna-tional), le rythme des sorties decapitaux a dépassé les 500 millionsde dollars par mois.

    Le tableau dressé par l’agenceest des plus sombres. « Même siune solution est trouvée pour freinerla fuite des capitaux, l’Uruguay, quientre dans sa quatrième année de

    récession, restera sous pression ».Selon Fitch, le PNB devrait chuterde 7 % en 2002 et les chances deredressement de l’économie sontétroitement liées à celles de l’Ar-gentine, son principal partenairecommercial. La dette publiquedevrait excéder 80 % en 2002 et ilest peu probable que l’objectifambitieux de réduire le déficitpublic de 4,1 % en 2001 à 2,5 % duPNB en 2002 soit atteint.

    L’Uruguay traverse la plus mau-

    vaise passe de son histoire. Frappéde plein fouet par la crise argentinemais également par la maladie de lavache folle, qui lui a interdit d’ex-

    porter pendant des mois, le gouver-nement de Jorge Battle avait lancéen mars un train de mesures impo-pulaires pour réduire le déficit fis-cal. La décision, fin juin, de laisserflotter le peso pour redonner de lavigueur aux exportations a fait l’ef-fet d’un détonateur et révélé la fai-blesse structurelle du système ban-caire. En un mois, le peso a perdu50 % de sa valeur. Dans le mêmetemps, les prix à la consommationont augmenté de 5 %.

    Dans un pays où près de 16 % dela population est au chômage (selonles chiffres officiels), la fermeturedes banques et la dégradation duniveau de vie a déclenché la colèrede la rue la semaine dernière. Pour

    éviter de nouveaux pillages, quelque5 000 policiers ont été mobilisés.

    L’intervention des Etats-Unisdans la crise uruguayenne souligneleur inquiétude de voir un nouveaufoyer d’instabilité se développer etcontrarier le projet de grande zonecommerciale des Amériques.Mi-juillet, le conseiller du présidentaméricain pour l’Amérique latine,Otto Reich, avait déclaré que « leredressement économique du cônesud convient aux Etats-Unis pour denombreuses raisons : politiques, stra-gétiques, économiques et, même sicelles-ci n’existaient pas, les raisonscommerciales le justifieraient ».

    Babette Stern

    L’Amérique latine est en crise économique. Des tur-bulences particulières à chaque pays finissent par serejoindre au niveau régional. Après l’Argentine, fin2001, ce sont le Brésil et l’Uruguay qui sont entrés

    dans une spirale de détérioration monétaire, entraî-nant une parfois violente. LeMercosur, le marché commun sud-américain, est aupoint mort. Les populations happées par la paupéri-

    sation, sans remettre en cause la démocratie reve-nue dans les années 1980, dénoncent leur classe poli-tique de renverser la tendance.Le Chili, avec une économie ouverte et diversifiée,

    semble résister mais n’est pas immunisé contre la. Le secrétaire américain au Trésor, PaulO’Neill, effectue, à partir de lundi 5 août, une tour-née à Brasilia, Montevideo et Buenos Aires.

    1 Vous êtes directrice de l’insti-tut de sondage Mori au Chili.Peut-on parler d’une contagionde la crise argentine dans larégion ?

    Chaque crise a des racines dansl’histoire de chacun des pays.Mais pratiquement tous les payslatino-américains sont en crise.C’est une véritable épidémie ! Lacrise argentine se répercute danstoute la région avec une diminu-tion des échanges commerciaux,un effondrement du systèmefinancier, une fuite des capitauxet une baisse des investissementsétrangers, même au Chili, qui estpourtant considéré comme unpays plus solide.

    Il existe une crise latino-améri-caine car il y a de nombreux pro-blèmes en commun, comme l’iné-galité croissante entre riches etpauvres. 40 % des habitantsd’Amérique latine n’ont pas l’eauchaude et 60 % n’ont même pasl’eau courante. Les réformes, etnotamment les privatisations, ontéchoué pour effacer ces inégalités.

    La majorité des Chiliens désap-prouvent la récente décision dumaire de Santiago, Joaquin Lavin,de vendre l’eau de la capitale àune compagnie privée. En Uru-guay, au Paraguay et au Pérou, lescitoyens refusent les privatisa-tions. Ils tiennent compte du mau-

    vais exemple de l’Argentine, dumanque de transparence dans lesprivatisations et défendent leurpatrimoine national. Dans tout lecontinent, la démocratie est en cri-se car elle n’a pas éliminé les injus-tices.

    2 Un retour du populisme dansla région est-il à craindre ?La société civile latino-américai-

    ne est en alerte, comme le démon-trent les Argentins, qui remettenten cause toutes les institutions,qu’ils jugent corrompues. Le dra-me est qu’il n’y a pas de modèleni de candidat de rechange. Ilpeut donc apparaître des gouver-nements instrumentaux, pragma-tiques, avec des leaders qui pren-nent le pouvoir soutenus par unepetite et puissante élite économi-que. Mais cette élite n’ayant pasde soutien populaire risque detomber rapidement. Le futur de larégion se caractérisera par unegrande instabilité politique.

    3 L’Amérique latine peut-ellecompter sur une aide extérieu-re ?

    L’Amérique latine est actuelle-ment un casse-tête pour les Etats-Unis. Les règles du jeu vis-à-visdes pays émergents ont changé.L’assistance financière de l’èreClinton est terminée sans qu’il y

    ait une nouvelle politique pouraffronter les cas les plus critiques.

    Depuis l’attentat du 11 septem-bre 2001, la priorité de Washing-ton est la lutte contre le terrorismeinternational. Le gouvernement deGeorge W. Bush est affaibli par lesscandales financiers. De son côté,l’Europe se regarde le nombril. Al’époque de mai 1968, l’Amériquelatine apparaissait comme une ter-re romantique où il y avait desbons et des méchants, des guérille-ros révolutionnaires et des dicta-teurs sanguinaires. C’était une lec-ture plus facile qu’aujourd’hui, oùla réalité est moins éblouissante etterriblement opaque.

    L’Amérique latine doit s’en sor-tir toute seule. Il n’y a plus de pro-grammes de sauvetage ni de par-rainage. Certains pays se relève-ront de la crise, d’autres pas. Il n’ya pas de solution unique pourtout le continent. Dans dix ans, onne parlera plus de l’Amérique lati-ne mais de différents pays.

    Malgré la crise qu’elle traverse,l’Argentine a, dans ce contexte,l’avantage d’être un vaste pays,riche en ressources naturelles ethumaines. Elle a une identiténationale forte avec une sociétécivile qui entend jouer un rôledans le nouveau monde global.

    Propos recueillis par Ch. Le.

    Le secrétaire américain au Trésor, Paul O’Neill, effectue, du lundi 5 au mer-credi 7 août, une tournée dans trois pays d’Amérique latine en crise : Brésil,Uruguay et Argentine. Dans une déclaration préalable, il a souligné quel’avenir des Etats-Unis « est étroitement lié au succès et à la sécurité de nosvoisins les plus proches ». Il a réaffirmé son soutien à l’équipe du présidentbrésilien Fernando Cardoso, qu’il a cité parmi les dirigeants régionaux quiadoptent « les mesures appropriées visant à construire des économies solides,fermes et de croissance ». Il a salué les mesures « énergiques et difficiles[prises par l’Uruguay] pour restructurer le secteur bancaire dans la vague degraves secousses extérieures ». M. O’Neill a souhaité que les employeursargentins fassent preuve d’une « meilleure compréhension de l’économieréelle, des questions sociales et de la société civile ».

    La crise économique argentine prend une tournure régionaleAprès l’Argentine, le Brésil et l’Uruguay plongent dans une tourmente économique et financière qui dépasse désormais les cadres nationaux

    et déstabilise le Cône sud. Le secrétaire américain au Trésor, Paul O’Neill, entreprend une tournée des trois pays en proie aux turbulences

    I N T E R N A T I O N A La m é r i q u e l a t i n e

    ...

    Le voyage de Paul O’Neill

  • LE MONDE/MARDI 6 AOÛT 2002/3

    SAO PAULOde notre envoyé spécial

    Le marché des changes brésilienvient d’essuyer une bourrasque quia bien failli tourner au cyclone.Après avoir atteint, mercredi31 juillet, son plus haut niveau histo-rique à 3,61 reals, le dollar a retrou-vé, vendredi, la cote du début de lasemaine écoulée, à 3,01 reals. Levent de panique qui a soufflé surl’Avenida Paulista de Sao Paulo, lecentre financier du pays, était ali-menté par la crainte d’un prochainmoratoire sur la dette publique,dont le montant, considérablementalourdi par la flambée du billet vert(33 % des bons du Trésor sontindexés sur son cours, qui a grimpéde 30 % depuis le début de l’année),frisait, fin juin, 60 % du produit inté-rieur brut (PIB). Le financier Geor-ge Soros a même proposé, il y a unmois, un « plan de sauvetage interna-tional » du Brésil, incluant la partici-pation des quatre principales ban-ques centrales (Etats-Unis, Unioneuropéenne, Angleterre et Japon).

    C’est l’imminence d’un nouvelaccord avec le Fonds monétaireinternational (FMI) qui est à l’origi-ne du sursaut de la devise brésilien-ne. Le secrétaire américain au Tré-sor, Paul O’Neill, a en effet faitvolte-face et s’est récemment décla-ré en faveur d’une aide financièredes organismes multilatéraux auBrésil, alors que, quelques joursauparavant, il avait insinué que cesfonds de secours aux pays sud-amé-ricains étaient trop souventdétournés vers des comptes bancai-res en Suisse. Cette gaffe – une deplus à son actif – avait provoqué undébut de crise diplomatique entreWashington et Brasilia.

    A l’approche des élections généra-les du 6 octobre, qui désignerontnotamment le successeur du prési-dent social-démocrate Fernando

    Henrique Cardoso, ce répit restetoutefois précaire, dans la mesureoù les deux candidats les mieux pla-cés en vue du second tour appar-tiennent à une opposition foncière-ment suspecte aux yeux des investis-seurs, nationaux comme étrangers.

    En mai, lorsque le real a commen-cé à donner des signes de faiblessechronique, la presse brésilienneattribuait généralement sa dégringo-lade à « l’effet Lula », car le chef his-torique du Parti des travailleurs(PT), Luiz Inacio Lula da Silva,ancien pourfendeur du néolibéralis-me, mais toujours admirateur deFidel Castro, caracolait en tête dessondages avec plus de 40 % desintentions de vote. Aussitôt agitépar M. Cardoso, l’épouvantail d’unedépression à la mode argentine n’acependant pas contribué à redres-ser la cote de popularité de José Ser-ra, son dauphin désigné et ex-minis-tre de la santé. Ce dernier est large-

    ment distancé dans les enquêtesd’opinion, tant par Lula, préféré parle tiers des personnes interrogées,que par son rival du « front travaillis-te », soutenu par une coalition hété-roclite, Ciro Gomes, lequel a eu latémérité d’évoquer une éventuelle« restructuration » de la dette publi-

    que et talonne désormais le leaderdes sondages.

    « Les médias pratiquent une certai-ne forme de terrorisme envers Lula »,fulmine Oded Grajew, père duForum social de Porto Alegre et pré-sident de l’institut Ethos, regrou-pant des patrons « socialement res-ponsables », sympathisants du PT.Loin sont cependant les temps où,peu avant le second tour de l’élec-tion présidentielle de 1989, rempor-tée sur le fil par Fernando Collor(destitué pour corruption trois ansplus tard par le Congrès), MarioAmato, alors président de la Fédéra-tion des industries de l’Etat de SaoPaulo (Fiesp), qui représente pasloin de 30 % du PIB national, affir-mait que « 800 000 chefs d’entrepri-se quitteraient le Brésil » en cas devictoire de Lula.

    Quand, le 30 juillet, HoracioLafer Piva, actuel président de laFiesp, a présenté l’invité du jour deson organisation, il s’est référé au« nouveau Lula ». Cette simpleentrée en matière suffisait à démon-

    trer que des trombes d’eau onteffectivement coulé ces treize der-nières années dans les caniveaux del’Avenida Paulista, où se trouve lesiège clinquant de la fédérationpatronale. Dans le discours qu’il y aprononcé, l’ancien leader syndicaldes métallos de Sao Paulo s’estd’ailleurs efforcé de mettre en reliefles « nombreux points de convergen-ce » qu’il partage désormais avecceux qu’il vouait jadis aux gémo-nies, au nom du combat pour lesocialisme.

    Echaudé par ses trois précéden-tes défaites à la présidentielle,convaincu qu’il se devait d’élargirson alliance électorale pour espérerl’emporter, Lula a d’ailleurs person-nellement choisi comme candidat àla vice-présidence, au risque demécontenter l’aile gauche de sonparti, le sénateur José Alencar, l’undes plus gros industriels du secteurtextile, membre du Parti libéral,une modeste formation de droite,partiellement contrôlée par l’Egliseuniverselle du royaume de Dieu, laplus prospère des sectes évangéli-ques brésiliennes.

    Jadis présenté par les dirigeantsdu Parti des travailleurs comme lerégulateur de la vie économique, lerôle de l’Etat se réduit, en fonctionde l’aggiornamento radical réaliséau cours de ces trois dernièresannées, à celui de « levier du déve-loppement ». Contrairement auxanciennes velléités, il n’est parailleurs plus à l’ordre du jour deremettre en question les privatisa-tions intervenues jusqu’ici. S’esti-mant seul en mesure de garantir unfutur « pacte social », Lula a de sur-croît endossé l’accord en vigueuravec le FMI, qui est en train d’êtrerenégocié en vue d’une éventuelleprorogation.

    Jean-Jacques Sévilla

    SAO PAULOde notre envoyé spécial

    Grand gourou brésilien du mar-keting politique, Duda Mendoça atoujours préféré les coulisses auxdevants de la scène. Sa discrétionest devenue encore plus rigidedepuis qu’il a pris les rênes, il y aun peu moins d’un an, de la campa-gne de Luiz Inacio Lula da Silva, lecandidat du Parti des travailleurs(PT) à l’élection présidentielle d’oc-tobre. Dans un entretien à l’hebdo-madaire Isto E, le publicitaire dechoc, longtemps au service de Pau-lo Maluf, ancien maire de Sao Pau-lo et figure de proue de la droitepopuliste, confie qu’il a « peur desmédias », ajoutant : « Je n’ai pasles moyens de lutter contre eux.Mais, s’ils sont impartiaux, Lula vagagner. »

    Le champion des sondages pré-pare en tout cas, en position favo-rable, l’épreuve qui s’est avéréedécisive depuis le rétablissement,en 1989, du suffrage universelpour l’élection présidentielle, àsavoir le programme gratuit depropagande électorale diffusé,trois fois par semaine à partir du20 août, sur toutes les chaînes deradio et de télévision hertziennedu pays.

    En lice pour la quatrième foisd’affilée, le Lula façon Duda Men-doça n’a plus grand-chose à voir,tant au niveau de son image quede son programme de gouverne-ment, avec le « Walesa brésilien »qui défiait l’ex-pouvoir militaire enorganisant des grèves à la fin desannées 70. Les débardeurs et leschemises ouvertes héritées du mili-tantisme prolétarien ont été ran-gés au musée des antiquités, auprofit du costume italien. Autre-fois hirsute, la barbe est aujour-d’hui méticuleusement taillée. Unediète sévère, assortie de séances

    de mise en forme, a affiné une sil-houette qui avait tendance à l’em-bonpoint.

    A treize ans d’intervalle, par rap-port à la première campagne de1989, la métamorphose est saisis-sante. « A la télévision, il ne fautpas faire de discours, mais conver-ser avec le téléspectateur », expli-que Duda Mendoça, pour qui « laforme prime sur le contenu »,même s’il se défend de promou-voir le Lula « light », symbole,selon la presse brésilienne, du bru-tal recentrage du personnage.

    « » A force de lisser le profil de son

    client, n’est-il pas en train de le ren-dre insipide ? A l’approche de lagrande bataille sur le petit écran,les stratèges de la communicationdu candidat du PT semblent seposer la question. Pour contreba-lancer l’influence du publicitaire,le comité de coordination de lacampagne vient de lui adjoindreun partenaire, comme lui habituéà œuvrer dans l’ombre : LuisFavre, ancien militant « lambertis-te » et compagnon de Marta Supli-cy, maire de Sao Paulo et éminen-ce du Parti des travailleurs.

    Mais la priorité donnée sur leplan social – sans remettre en cau-se comme par le passé les canonsdu néolibéralisme –, à la créationd’emplois, au doublement en qua-tre ans du pouvoir d’achat du salai-re minimum (actuellement de70 euros) et à la réduction de tra-vail hebdomadaire de 44 à 40 heu-res paraît bien timide comparée àla « rupture de l’actuel modèle éco-nomique » prônée en 1989. Touteréférence au « socialisme », mythefondateur du PT, a été bannie duprojet proposé aux électeurs.

    J.-J. Sé.

    Le montantde la dette publique,considérablementalourdi parla flambée du dollar,frisait, fin juin,60 % du PIB

    Le Brésil affronte de fortes turbulences financièresà l’approche des élections générales du 6 octobre

    L’imminence d’un nouvel accord avec le FMI allège la pression sur la monnaie

    Luiz Inacio Lula ancresa popularité au centre

    Après trois échecs dans la course à la présidence,l’ex-gauchiste se donne une image de modéré

    Cours du dollar en real,échelle inversée

    CHUTE CONTINUE DU REAL

    Source : Bloomberg

    3,6

    3,4

    3,2

    3

    2,8

    2,6

    2,4

    Mai Ju in Juillet Août

    L'agence de notation financière Fitchamis, le 1er août, la dette souverainedu Brésil "sous surveillance négative".

    3,005Le 2 août

    Soutien du FMI

    I N T E R N A T I O N A L a m é r i q u e l a t i n e

  • 4/LE MONDE/MARDI 6 AOÛT 2002

    Algérie : M. Bouteflikagracie les émeutiers kabylesALGER. Le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, a décidé de gra-cier toutes les personnes condamnées pour avoir participé à des mani-festations « portant atteinte à l’ordre public sur l’ensemble du territoirenational », selon un communiqué officiel publié dimanche soir 4 août.La mesure intervient quarante-huit heures après que l’unanimismeimposé en Kabylie, souvent de manière musclée, par le mouvementdes arouchs (chefs tribaux), qui fédère la contestation contre le pou-voir central depuis quinze mois, a été rompu. Le Front des forcessocialistes (FFS), parti dominant dans la région, avait annoncé qu’ilparticiperait aux élections municipales du 10 octobre si les détenus du« mouvement citoyen » arrêtés en Kabylie et dans le reste du paysétaient libérés. Le FFS, qui a boycotté les dernières élections législati-ves, entend ainsi marquer son opposition à une « tchétchénisation »de la Kabylie, qui menacerait d’être « sciemment enfoncée dans l’aven-ture, les massacres et le chaos ». Abdelaziz Bouteflika a saisi la perche.L’implication du FFS, annonciatrice d’un possible déblocage en Kaby-lie, intervient à un moment particulièrement difficile pour lui. Depuisquelques jours, il est accusé par le quotidien Le Matin d’avoir accordédes marchés importants à des amis personnels des Emirats arabessans respecter les procédures légales. – (Corresp.)

    Arrestation d’un fournisseurd’armes présumé d’Al-QaidaROME. La police italienne a arrê-té à Crémone, dans le nord dupays, Sanjivan Ruprah, unKényan d’origine indienne âgéde 36 ans, soupçonné de liens cri-minels avec le réseau Al-Qaida.Sanjivan Ruprah est un prochedu trafiquant russe Victor Bout,accusé d’avoir été l’un des princi-paux fournisseurs d’armes destalibans afghans et du réseauAl-Qaida, ainsi que l’homme quiaurait assuré la logistique aérien-ne d’Oussama Ben Laden. Il a étéappréhendé pour détention d’unfaux passeport belge. Selon des sources proches des services de rensei-gnement, la CIA aurait un moment négocié l’immunité du Kényan enéchange d’informations sur le réseau Ben Laden. Interrogé par LeMonde à Moscou (notre édition du 26 mars), Victor Bout a nié avoir tra-vaillé pour Al-Qaida. – (Corresp.)

    M. de Villepin exhorte l’Indeet le Pakistan à la « responsabilité »ISLAMABAD. En visite en Inde et au Pakistan, le ministre français desaffaires étrangères, Dominique de Villepin, a appelé ces deux puissan-ces nucléaires à faire preuve de « responsabilité » pour trouver unesolution au conflit du Cachemire. « Je suis confiant dans la capacité devos pays à surmonter des différends historiques et des problèmes bienconnus », a-t-il assuré au cours d’une conférence de presse à Islama-bad, samedi 3 août, à la fin de son voyage. M. de Villepin, qui a étéreçu dès son arrivée au Pakistan par le président Pervez Moucharraf, asouligné la détermination de celui-ci à lutter contre le terrorisme et àfaire cesser les infiltrations de combattants séparatistes au Cachemireindien, l’une des conditions posées par New Delhi pour reprendre ledialogue avec Islamabad. M. de Villepin a indiqué que l’attentat deKarachi, le 8 mai, qui a coûté la vie à onze ingénieurs français et troisPakistanais, avait « rapproché » Paris et Islamabad. – (Corresp.)

    JÉRUSALEM(correspondance)

    En moins de 24 heures, les Israé-liens ont subi six attaques palesti-niennes qui ont fait 12 morts et 85blessés. L’attentat-suicide commis,dimanche 4 août, dans un bus estl’attaque la plus grave. Hormis leterroriste, il a fait 9 morts et 52 bles-sés, dont deux sont dans un état cri-tique et dix dans un état grave.

    La nouvelle est tombée alors quela réunion hebdomadaire duconseil des ministres venait de com-mencer. L’explosion a eu lieu peuavant 9 heures, au carrefour dumont Méron, un lieu de pèlerinagejuif. A cette heure, le premier jourde la semaine de surcroît, la ligne361 qui assure la liaison entre Haïfaet Safed, une des quatre cités sain-tes du judaïsme, est toujours trèsfréquentée : les soldats, qui ont eula permission de shabbat, retour-nent à leur base et les civils vont tra-vailler. Tous les passagers ont ététouchés. Le chauffeur, RonenShmuel, blessé légèrement, avaitdéjà été victime d’un attentat dansun bus, à Jérusalem, en 1995.

    Quelques heures plus tôt, unPalestinien avait été tué par l’arméesur une plage de Gaza. L’homme,arrivé par la mer avec du matérielde plongée, muni d’un kalachnikovet de huit grenades, s’apprêtait às’infiltrer dans la colonie de Dugit.

    Peu avant midi, une fusillade aéclaté à Jérusalem-Est, à la porte deDamas. Un Palestinien a tué unemployé de la compagnie de télé-phone nationale. Les forces de l’or-dre, toujours très nombreuses dans

    cette partie de la ville, ont aussitôtrépliqué, tuant l’assaillant ainsiqu’un passant palestinien. Seize per-sonnes présentes aux alentours ontété blessées. D’après les témoins,les tirs de la police ont été excessifs.

    Deux heures plus tard, sur une

    route de Cisjordanie, au sud de Tul-karem, des Palestiniens ont tiré surune voiture particulière, faisanttrois blessés. Peu après, quatre sol-dats israéliens ont été blessés lors-que le véhicule à bord duquel ils setrouvaient est tombé dans uneembuscade près de Ramallah.Enfin, dans la nuit de dimanche à

    lundi, une famille a été victimed’une attaque sur une route de Cis-jordanie, près de la colonie de Shi-lo. Le père et la mère sont morts,les deux enfants sont blessés.

    L’Autorité palestinienne a con-damné l’attentat-suicide, mais en arejeté la responsabilité sur le gou-vernement israélien. Dans une pre-mière réaction, Israël a annulé desrencontres prévues cette semaineentre responsables israéliens etpalestiniens. Le couvre-feu a étérenforcé dans le nord de la Cisjorda-nie et allégé dans le sud. Le ministrede la défense, Benyamin Ben Elie-zer, semble exclure pour lemoment une riposte massive, maiscertains, dans l’armée, évoquentune possible réoccupation de Gaza.

    Les attaques à Jérusalem et enCisjordanie ont été revendiquéespar les Brigades Al-Aqsa, la bran-che militaire du Fatah, le parti deYasser Arafat, mais c’est la branchemilitaire du Hamas qui s’est attri-bué la responsabilité de l’attentatcontre le bus, pour venger la mortde son chef, Salah Chéhadé, tué le22 juillet : « Le prochain attentatsera plus grave », a d’ores et déjàaverti le Hamas.

    Conformément au plan antiterro-riste adopté par le gouvernement,l’armée a mis en œuvre certainesmesures qui visent les proches desuspects palestiniens. Dimanche,neuf habitations ont ainsi étérasées dans plusieurs villes de Cis-jordanie et trois proches de kamika-zes sont en attente de transfert versla bande de Gaza.

    D’après M. Ben Eliezer, cette nou-velle politique commence à porterses fruits. « En une semaine, les for-ces de sécurité ont évité dix attentats-suicides. Tous les terroristes (…) ontété arrêtés, à l’exception d’un, qui aété tué. Je peux détecter les premierssignes d’une dissuasion dans les casoù les terroristes se sont rendus eux-mêmes », a-t-il déclaré. Le Hamassemble néanmoins avoir trouvé laparade : le mouvement islamistes’est abstenu, dimanche, de révélerl’identité du kamikaze. En outre, le31 juillet, c’est une bombe placéedans un endroit public qui avait fait7 morts à l’Université hébraïque deJérusalem.

    L’armée israélienne poursuit par

    ailleurs le ratissage de Naplouse, oùelle a arrêté plusieurs dizaines desuspects. Elle y a découvert ce week-end des téléphones portables avecdétonateur, des plans d’attaque debus et trois laboratoires de fabrica-tion de bombes.

    ’ ’La presse israélienne abonde tou-

    tefois de commentaires qui souli-gnent l’impuissance de l’armée etdu gouvernement à assurer la sécu-rité de la population israélienne.D’après le quotidien Haaretz, lechef des brigades Golani, qui opè-rent à Naplouse, aurait fait projeterà ses hommes le film La Batailled’Alger, pour illustrer l’art et lamanière de venir à bout d’une cellu-le terroriste en zone urbaine. Mais,note le correspondant militaire dujournal, « le colonel connaît parfaite-ment la fin de l’histoire : l’infrastruc-ture terroriste [en Algérie] a étéreconstruite en quelques mois ».

    « Sharon, tu es obligé de nous don-ner une réponse », s’exclame, de soncôté, à la « une » de son quotidien,le rédacteur en chef du Maariv,Amnon Dunkner, qui note que lenombre de morts israéliens de l’Inti-fada – 606 – « est le même qui, lorsde la guerre du Liban, avait conduitle premier ministre Menahem Beginà s’enfermer chez lui ». En septem-bre 1983, plus d’un an après ledébut de l’opération dite « Paix enGalilée », M. Begin avait démission-né de son poste et disparu de la viepolitique.

    Catherine Dupeyron

    ISTANBULde notre correspondante

    Un espoir nouveau est né en Tur-quie depuis l’adoption par le Par-lement, à l’aube du 3 août, d’unesérie de lois visant à améliorer ladémocratie turque, mais Ankara aencore un long chemin à parcouriravant de pouvoir intégrer l’Unioneuropéenne. Psychologiquementaussi bien que légalement, un obs-tacle crucial a été franchi. Malgréles sondages indiquant que plusdes deux tiers de la populationturque souhaitent entrer dans l’Eu-rope, celle-ci demeurait une utopiepour la plupart des Turcs. Désor-mais, les standards démocratiqueset économiques paraissent à leurportée, même s’ils sont encore desbuts lointains.

    Mais les attentes créées par ceprogrès indéniable pourraient êtredéçues. Malgré l’enthousiasmegénéré par les récents développe-ments, un doute subsiste en Tur-quie sur la sincérité des Européens.Aux yeux des Turcs, le vote del’Assemblée nationale a renvoyé laballe dans le camp de l’UE, et ilsattendent désormais de Bruxellesun signe sans ambiguïté – en l’oc-currence l’annonce d’une date pré-cise pour l’ouverture des négocia-tions d’adhésion – que leurs effortsne sont pas passés inaperçus.

    « Au niveau des critères de Copen-hague, je ne pense pas qu’il nousreste des insuffisances impor-tantes », a déclaré le premier minis-tre, Bülent Ecevit. Cet optimismeexcessif n’est pas forcément par-tagé à Bruxelles. Les réformes ontété saluées comme une « coura-geuse décision » et la preuve la plustangible, à ce jour, des intentionsde la Turquie, mais les Européensattendent de voir comment cesréformes seront appliquées dans laréalité. L’ouverture de cours de

    langue en kurde, en laz et autresdialectes régionaux sera réglemen-tée par le ministère de l’éducationnationale. Quant aux émissions deradio et télévision en kurde, ellesseront soumises au contrôle strictdu Haut Conseil pour l’audiovisuel(RTUK), qui interprète souventdans leur sens le plus restrictif lesdirectives qui assurent la protec-tion des principes fondateurs de laRépublique et de l’unité territorialedu pays.

    Critiquer les institutions éta-tiques, y compris l’armée, n’estdésormais plus un crime. On peut

    donc s’attendre à une diminution,voire à la disparition des nom-breux procès intentés contre lesjournalistes et les intellectuels.Mais qu’adviendra-t-il de cas telsque celui de l’éditeur Abdullah Kes-kin, condamné le 31 juillet à sixmois de prison, commués en uneamende, pour avoir traduit etpublié un livre du journaliste améri-cain Jonathan Randal sur lesKurdes, dans lequel figurait le mot« Kurdistan » ?

    D’autres dossiers restent à résou-dre : celui de Chypre, notamment,a le potentiel de provoquer un

    regain de tension entre Ankara etBruxelles si, comme on l’attend,l’UE annonce officiellement à la finde l’année que l’île méditerra-néenne a rempli avec succès lesconditions d’adhésion.

    Jusqu’à présent, les négociationsentre les dirigeants des deuxcommunautés sur l’île n’ont pasavancé. A Ankara, où Chypre estconsidérée comme une cause natio-nale, aucun politicien ne sembleenclin à faire pression sur RaufDenktash pour obtenir des résul-tats, d’autant plus que le pays estentré en période électorale.

    Les problèmes de droits del’homme en Turquie et l’influencedes militaires ont parfois faitoublier que les critères politiquesne sont qu’un volet des conditionsd’adhésion à l’Union européenne.Sur le plan économique égalementla Turquie a encore beaucoup àaccomplir. En fait, la crise finan-cière de 2001 et la profonde réces-sion, qui a entraîné une contrac-tion de l’économie de 9,4 %, n’ontfait que creuser la distance entre laTurquie et le bloc des Quinze.

    Les cibles fixées par le pro-gramme de réforme économique,

    introduit avec l’appui du Fondsmonétaire international, qui asigné un accord stand-by de 16 mil-liards de dollars en février, vontdans le même sens que celles del’UE, mais, avec 45 % d’inflation(35 % à la fin de l’année selon lesestimations officielles) et des tauxd’intérêt de 70 %, la Turquie estencore loin de s’aligner avec lesQuinze.

    Certains facteurs échappent aucontrôle d’Ankara : ainsi uneattaque américaine contre l’Irak ris-querait de retarder la reprise écono-mique en Turquie. De même, lesrésultats des élections en Alle-magne, où Edmund Stoiber, le can-didat de l’opposition, affiche ouver-tement son hostilité à l’entrée de laTurquie dans l’UE, pourraientralentir le rapprochement entreBruxelles et Ankara.

    Au cours des derniers mois, unmouvement civil de soutien au pro-jet européen s’est développé, quirassemble de nombreuses organisa-tions non gouvernementales, syndi-cats et associations d’hommes d’af-faires. Par le biais des médias,d’une campagne d’affichage et depression constante sur les hommespolitiques, les partisans de l’Euro-pe et d’une Turquie plus démocrati-que ont réussi à se faire entendre.

    Encore faut-il que les partis poli-tiques, qui sont désormaisconscients que les élections antici-pées du 3 novembre feront figurede référendum sur l’Europe, main-tiennent le cap avec constance. Levote du Parlement représente pourde nombreux Turcs qui souffrentdu chômage, de la récession et dela dévaluation de la monnaie natio-nale l’espoir d’un avenir plus pros-père dont ils ont bien besoin etauquel ils s’accrochent.

    Nicole Pope

    MADRIDde notre correspondante

    L’Espagne est en état de choc,après la mort, dimanche 4 août, àSanta Pola, près d’Alicante (sud-est), d’une fillette de 6 ans et d’unhomme de 57 ans, victimes d’unattentat attribué à l’organisationséparatiste basque ETA. Une voitu-re, chargée de 50 kg d’explosif,avait été placée près d’une casernede la Guardia Civil, à côté d’unarrêt d’autobus, très fréquenté cedimanche d’été où les rues de lastation balnéaire étaient noires demonde à 20 h 30, lorsque l’explo-sion s’est produite.

    L’homme a été tué sur le coupainsi que l’enfant, fille d’un gardecivil, qui se trouvait chez elle maisa été atteinte par l’onde de chocayant détruit le mobilier la pièceoù elle se situait. Ce qui, avec leconseiller municipal socialisteassassiné, à Orio, au Pays basque,le 21 mars, porte à trois le bilandes personnes tuées lors d’atten-tats attribués à l’ETA, cette année.Quarante autres personnes ont étéblessées à Santa Pola, dont quatregrièvement.

    La brutalité et surtout la « gratui-té » de cet attentat qui s’inscritdans la « campagne d’été » del’ETA contre les intérêts touristi-ques espagnols, mais ne semblaitmême pas avoir un objectif précis,a suscité une vague d’indignationdans tout le pays. Le gouverne-ment autonome basque, qui aappelé à des rassemblements deprotestation, lundi, en milieu dejournée, et la classe politique en

    général – exception faite de Bata-suna, la coalition indépendantiste« vitrine politique » de l’ETA – avivement condamné « cet acte sau-vage et cruel ». D’autant plus que,contrairement à ses habitudes,l’ETA n’avait pas prévenu justeavant l’attentat, permettant ainsi,parfois, d’évacuer la zone. Ce quidonne à penser que l’organisationpourrait renouer avec la sauvage-rie des années 80, lorsqu’elle assas-sinait cent personnes par an et pra-tiquait sans prévenir des attentats« aveugles », dans lesquels plus de20 enfants sont morts.

    743 Après sa série de 4 attentats en

    deux jours, en juin, coïncidantavec le Conseil européen deSéville, l’ETA ne s’était plus mani-festée, mais avait, au contraire, étévictime de plusieurs coups de filetimportants, en France et en Espa-gne où « Pakito » Francisco Mugi-ka Garmendia, l’ancien chef del’ETA, vient d’être condamné à743 ans de prison pour avoirordonné un attentat contre un carde militaires, qui avait fait 2 mortsen 1987.

    De son côté, le Parti populairede José Maria Aznar a pris l’enga-gement – si Batasuna, fidèle à sonattitude, ne condamne pas l’atten-tat – de mettre en œuvre les méca-nismes de la nouvelle loi sur lespartis politiques pour faire interdi-re la coalition basque indépendan-tiste.

    Marie-Claude Decamps

    a L’Union des étudiants juifs deFrance (UEJF) a appelé « toutes lespersonnes émues par le décès deDavid Gritz », tué dans l’attentat àl’Université hébraïque de Jérusa-lem, le 31 juillet, à « se joindre dansla dignité au recueillement de safamille et de ses amis » lors de sesfunérailles, mardi 6 août, à 15 h 30,au cimetière du Montparnasse, àParis. « Au nom de l’universalité dessavoirs et de la solidarité étudiante,l’UEJF réclame, comme réponse auxactes de haine, un jumelage entreles universités de Nanterre et de Jéru-salem », ajoute le communiqué del’UEJF.

    L’attentat qui a tué neuf personnes dans un autobus, en Israël, dimanche4 août, a amené le président américain, George Bush, à lancer un appel insis-tant à « toutes les nations » pour qu’elles fassent « tout ce qu’elles peuventafin d’arrêter ces tueries terroristes ». M. Bush a fait cette déclaration alorsque deux sénateurs avaient mis en cause plusieurs pays de la région pour lesoutien qu’ils apportent aux organisations telles que le Mouvement de larésistance islamique (Hamas), qui a revendiqué l’attentat de l’université deJérusalem, dans lequel cinq Américains sont morts, le 31 juillet.

    Ancien candidat démocrate à la vice-présidence des Etats-Unis, Joseph Lie-berman a mis en cause, sur la chaîne de télévision Fox News, l’Irak et l’Iran,mais aussi la Syrie et l’Arabie saoudite. Sur CNN, un sénateur républicain,Arlen Specter, a déclaré : « Nous devrions faire en sorte que les Saoudiens ces-sent leur aide financière [aux terroristes]. » Ces propos ont été tenus enréponse à des questions sur les actions que les Etats-Unis pourraient entre-prendre contre les organisations terroristes au Proche-Orient. – (Corresp.)

    En Turquie même, le processus d’ouverture ne fait pas l’unanimité. « J’aidemandé que des préparations soient faites pour faire appel auprès de laCour constitutionnelle contre ces lois, notamment l’abolition de la peine demort et celles concernant le droit à l’éducation et à la diffusion en languematernelle », a déclaré Devlet Bahçeli, le dirigeant du Parti d’action nationa-liste qui, en 1999, avait centré sa campagne électorale sur la pendaison dudirigeant du PKK, Abdullah Öcalan.

    Une soixantaine de représentants des « familles des martyrs », les soldatstombés au combat durant le conflit entre les rebelles kurdes et les forcesgouvernementales, ont brièvement manifesté, dimanche 4 août, sur le pontdu Bosphore contre la levée de la peine capitale. « En Turquie, malheureuse-ment, l’Etat et la justice ne fonctionnent pas », a déclaré leur représentant,Sencan Bayramoglu : « Ce que voulaient les forces étrangères a été adopté. »

    Deux morts, dont une fillette,dans un attentat attribué à l’ETA

    près d’Alicante, en EspagneMadrid veut interdire la vitrine légale du mouvement

    Douze Israéliens tués en moins de 24 heuresdans six attaques palestiniennes

    Le Hamas a revendiqué l’attentat-suicide qui a fait 9 morts, dimanche 4 août, contre un bus,près de Safed, alors que Tsahal poursuit ses opérations de ratissage à Naplouse, en Cisjordanie

    M. Bush en appelle à « toutes les nations »

    Haïfa

    ISRAËL

    GOLAN

    SYRIE

    JORD

    ANIE

    LIBAN

    MerMorte

    CISJORDANIERamallah

    JÉRUSALEM

    Attentatspalestiniens

    ATTENTATS EN SÉRIE

    20 km

    Tel-Aviv-Jaffa

    Naplouse

    Shilo

    Safed

    Gaza

    Tulkarem

    I N T E R N A T I O N A L

    La Turquie attend un geste d’encouragement de l’EuropeL’adhésion à l’UE n’est plus une utopie, mais de nombreux dossiers restent en suspens

    Des partisans de la peine de mort manifestent

  • LE MONDE/MARDI 6 AOÛT 2002/5

    À SA NAISSANCE, le 27 juillet,Mylène pesait 550 grammes. Ellen’est restée que 25 semaines dans leventre de sa mère. Depuis, elle estaccueillie das le service de néonato-

    logie de la maternité parisienne dePort-Royal. Au cœur de l’été, c’estla plus petite patiente du secteur deréanimation. Autour d’elle, unedizaine de bébés pèsent moins de1 000 grammes. Il y a Augustin, 770grammes, Marie, 680 grammes, Mat-thias, 810 grammes…, tous nésentre 24 et 29 semaines d’aménor-rhée.

    Certains de ces grands prématu-rés ont été conçus par une techni-que de procréation médicale assis-tée, d’autres ont dû être mis au mon-de avant terme parce que leur mèresouffrait d’hypertension ou parcequ’elle avait développé une maladieinfectieuse. Installés en couveuse,sous assistance respiratoire, cesbébés sont sous haute surveillance,entourés d’écrans affichant en per-manence leur fréquence cardiaqueet la saturation de leur sang en oxy-gène. Infirmières et pédiatres serelaient jour et nuit à leur chevet.

    « Il y a dix ans, les nouveau-nés de27 semaines et pesant moins d’unkilo, c’était exceptionnel », constatePierre-Henri Jarreau, professeur demédecine néonatale. Désormais, ilsreprésentent plus de 20 % desenfants hospitalisés en réanima-tion, contre 11 % en 1996. Sur les 60nouveau-nés de moins de 1 000grammes accueillis depuis le débutde l’année, 8 sont décédés. « Cesbébés restent hospitalisés plus long-temps et demandent beaucoup desoins, il faut leur donner toutes leschances », explique le médecin. Acôté d’eux, le personnel médical etparamédical doit prendre en charge

    les prématurés (nés avant 33 semai-nes) et les bébés nés à terme souf-frant d’une grave complication.Mais, à Port-Royal comme dansbien d’autres services de néonatalo-gie, « la situation devient extrême-ment difficile ». Des lits fermentfaute de pédiatres et d’infirmièresen nombre suffisant, et le personnelne parvient pas à se faire entendrede son administration. « Nous aler-tons notre tutelle depuis des mois. Envain. Maintenant le ras-le-bol estgénéral », constate le professeur Jar-reau. « Avant, les moins de 28 semai-nes, on disait qu’il s’agissait de faus-ses couches tardives. Maintenant, onarrive à en sauver. Mais plus les bébéssont petits, plus ils coûtent cher. Soiton continue dans les avancées scienti-fiques, et on nous en donne lesmoyens, soit on dit qu’en dessousd’un certain terme on ne réanimeplus. Il s’agit d’un choix de société »,insiste Catherine Delaitre, infirmiè-re cadre supérieure en puériculture.

    Si 53 lits (20 en réanimation, 13

    en soins intensifs et 20 en pédiatrienéonatale) sont officiellement bud-gétés à Port-Royal, 44 sont ouvertsen période normale et seulement 32en été, pour un service qui travailleen réseau avec vingt maternitésd’Ile-de-France. Les médecins sontobligés d’assurer deux gardes parsemaine et les décrets de périnatali-té de 1998 – qui donnent commerègle une infirmière pour deuxenfants en réanimation, une pourtrois en soins intensifs – ne sont« jamais respectés », affirme M. Jar-reau. « Nous sommes régulièrementen surcharge, afin de toujours faireface aux urgences imprévisibles »,explique-t-il.

    Pour ouvrir les 53 lits, « il faudrait15 infirmières supplémentaires et, sion tenait compte des décrets, il en fau-drait encore 13 de plus », calculeMme Delaitre. Et cela sans compterl’application des 35 heures et la ges-tion des demandes de mutation.Cette année, 15 infirmières, sur les80 du service, ont demandé un pos-te en province.

    Si la mise en place du réseau a per-mis de développer largement le

    transfert des femmes « à risque »avant leur accouchement afin d’évi-ter la séparation mère-enfant et letransport postnatal du bébé en souf-france, la pression de la demandedevient telle « que nous sommes par-fois obligés de refuser des transferts »,constate M. Jarreau.

    En Ile-de-France, les cinq SMUR(service médical d’urgence et de réa-nimation) pédiatriques s’inquiètentde la difficulté croissante pour trou-ver des places dans les services denéonatologie. « Les problèmes ontcommencé dès le mois de mai et, enjuillet, nous avons dû emmener troisbébés en province », déplore NoëllaLodé, responsable du SMUR del’hôpital Robert-Debré. « Le tempsd’attente pour l’enfant augmente – cequi constitue pour lui une perte dechances – et des bébés ne sont pasaccueillis dans les bonnes struc-tures », complète-t-elle.

    A l’entrée du service de néonata-lité de Port-Royal, des murs sontrecouverts de courriers de parentset de photos d’enfants qui, à leurnaissance, ont passé plusieurssemaines, parfois plusieurs mois, àl’hôpital. « Thomas et Matthieu sontnés à 26 semaines. Ils pesaient 890 et1 050 grammes. Merci pour tout ceque vous avez fait pour eux. Sansvotre dévouement ils n’auraientjamais soufflé leur première bougie »,écrit une maman. « Hélène, 850grammes à la naissance, va mainte-nant très bien. Merci », peut-on lireun peu plus loin.

    Sandrine Blanchard

    Présentées lundi 5 août à Jean-François Mattei, ministrede la santé, les données épidémiologiques recueilliespar les chercheurs de l’ (Association des utili-sateurs de dossiers informatisés en périnatalogie, obsté-

    trique et gynécologie) sont alarmantes. A l’heure oùl’on constate une forte ,l’augmentation du nombre de grossesses multiples etde grands prématurés, ajoutée au manque d’effectifs

    dans les maternités, témoigne d’une . « Nous entrons dans une phase de régression »,déclare Nicole Mamelle, présidente de l’Audipog, quidénonce la mise en œuvre toujours plus précoce des

    traitements de la stérilité, à l’origine de nombreusesgrossesses multiples. A la maternité de Port-Royal, àParis, infirmières et pédiatres décrivent leur ras-le-bol.Pour eux, c’est désormais un « ».

    LES CHIFFRES sont préoccu-pants. Présentés, lundi 5 août, àJean-François Mattei, le ministrede la santé, par l’Association desutilisateurs de dossiers informati-sés en périnatalogie, obstétriqueet gynécologie (Audipog), ces don-nées épidémiologiques laissentapparaître un phénomène qui sem-ble bien constituer une régressionsanitaire. Après avoir étudiédepuis huit ans la prise en chargedes femmes enceintes et le résultatde leur grossesse, les chercheursde l’Audipog n’hésitent pas à dire,par la voix de leur présidente, Nico-le Mamelle, que la santé périnataleest aujourd’hui « en péril ».

    La très vive préoccupation des res-ponsables du réseau « sentinelle »de l’Audipog tient au fait que tousles indicateurs habituellement utili-sés dans ce domaine sont en évolu-tion négative. Nombre de grosses-ses multiples, proportion de préma-turés, taux de césarienne : ces chif-fres apparaissent d’autant plusinquiétants qu’ils interviennent àl’occasion d’une remontée impor-tante de la natalité. En effet, alorsque le nombre de naissances avaitpeu varié entre 1995 et 1999 (entre735 000 et 745 000), l’an 2000 aconnu une « forte reprise », souligneAudipog, avec 775 000 naissances,confirmée en 2001, au cours delaquelle 778 000 bébés ont vu lejour. Ces deux phénomènes conju-gués provoquent une surcharge desservices de néonatalogie. « Il s’agitici d’une question majeure de santépublique dans la mesure où les chif-fres dont nous disposons sont le refletdes risques à moyen et à long termeauxquels sont exposés les enfants pré-

    maturés, souligne le professeur Sté-phane Marret, chef du service denéonatologie au CHU (centre hospi-talo-universitaire) de Rouen. Il estaujourd’hui bien établi que le dévelop-pement de ces enfants peut être grave-ment perturbé du fait des séquellesneurologiques et neuropsychiques etdes handicaps qui leur sont associés,notamment au moment des apprentis-sages scolaires. »

    f Les grossesses multiples.Selon les données recueillies en2001 par le réseau Sentinelle, entre2,1 % et 4,2 % des enfants qui voientle jour sont issus de ces grossesses.

    Une enquête, conduite conjointe-ment par l’Inserm et la directiongénérale de la santé, avait situé res-pectivement ces taux à 1,3 % et2,5 % en 1995. Ces chiffres avaientété confirmés par l’Insee en 1996. Ilsétaient passés, en 1998, à 1,7 % et3,5 %, puis à 1,7 % et à 3,6 % l’annéesuivante. « Il semble que l’augmenta-tion significative que nous mettons enévidence en 2001 ne concerne pas seu-lement les jumeaux (3,9 %), mais aus-si des triplés ou plus (0,3 %), alors queces derniers ne représentaient,en 1996 et 1998, que 0,1 % desenfants naissant dans notre pays »,

    souligne le professeur Olivier Claris,chef du service de néonatologie deLyon.

    Les estimations de l’Audipog fontd’autre part valoir que le nombredes enfants issus de grossesses mul-tiples, qui était de 21 000 en 1995,serait passé à 33 000 en 2001, soitune augmentation de 40 %. A ellesseules, ces 12 000 grossesses multi-ples supplémentaires sont responsa-bles de la naissance prématurée de6 000 enfants.

    f La prématurité. Elle corres-pond à des accouchements comprisentre 33 et 37 semaines de grosses-se, cette période étant calculée à par-tir des dernières règles. L’enquêteInserm-direction générale de la san-té de 1998 observait un taux globalde naissances prématurées de 6,8 %,ce phénomène concernant plus par-ticulièrement les grossesses multi-ples. En 1999, le réseau Sentinelle del’Audipog établissait ce taux à 7,2 %.« Nos derniers résultats révèlent uneproportion de naissances prématu-rées en légère augmentation en casde grossesse unique, le taux passantde 5,3 % en 1999 à 5,5 % en 2001 »,précise le docteur Maria, chef de ser-vice à l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges. Avec l’augmentation dunombre de naissances, cette évolu-tion du taux entraîne en revancheune explosion du nombre de préma-turés, qui est passé d’environ 44 000en 1995 à 56 000 en 2001.

    f La grande prématurité. Cettedernière concerne les naissances sur-venant avant la 33e semaine de gros-sesse. Les spécialistes de l’Audipogjugent la situation « alarmante ».Certes, le taux de grands prématu-rés reste stable (1,4 %) depuis 1998,

    mais, souligne l’étude, « c’est d’en-fants, et non de pourcentage, qu’ils’agit, quand on veut évaluer lesbesoins de la population en structuresde soins adaptées ». Or le nombre degrands prématurés est passé de8 800 en 1995 à 10 600 en 1999 et11 200 en 2001.

    f La pratique de la césarienne.Le taux est passé de 16,3 % en1998 à 18,3 % en 2001. Cette inter-

    vention chirurgicale est désormaispratiquée de manière prophylacti-que dans 50 % des cas lorsque l’en-fant se présente par le siège, contre40 % en 2000. « Il faut peut-être icivoir une évolution générale des prati-ques devant toute situation reconnuecomme à risque accru de complica-tions », observe le professeurMares, chef du service d’obstétriquedu CHU de Nîmes.

    f La surcharge des services hos-pitaliers spécialisés. L’évolution dela situation en médecine périnatale

    fait que les services de néonatologieet de réanimation néonatale sonttous surchargés. Ces dernièresannées, la proportion des femmesdonnant naissance à des grands pré-maturés et dirigées vers les materni-tés les mieux équipées était passéede 55 % (1997) à 80 % (1999). En2001, ce pourcentage, selon les don-nées de l’Audipog, était redescenduà 70 %. « Face aux nouveaux besoins

    qui se font jour, une juste planifica-tion des structures et de nouveauxmoyens humains sont plus que jamaisindispensables pour rendre l’offre desoins accessible à tous, estime le pro-fesseur Michel Dehan, chef du servi-ce de réanimation néonatale à l’hô-pital Antoine-Béclère de Clamart.Dans l’attente des décisions ministé-rielles nous concernant, nous sommestous véritablement débordés, à la foisusés et, trop souvent, résignés. »

    Jean-Yves Nau

    Avoir les moyensou pas de travailler,c’est désormais« un choix de société »

    Nicole Mamelle, spécialiste d’épidémiologie périnatale

    « Nous entrons dans une phase de régression »

    Les épidémiologistes dénoncent la dégradation de la santé périnataleAugmentation du nombre de grossesses multiples et de grands prématurés, maternités et services de réanimation débordés : alors que

    les naissances ont fortement augmenté en 2000 et 2001, tous les indicateurs témoignent de la situation inquiétante des services spécialisés

    Créé en 1994 sous l’impulsion de professionnels médicaux volontaires etprésidé aujourd’hui par Nicole Mamelle (unité Inserm 369, Lyon), le réseau« sentinelle » de l’Audipog recueille les données provenant de plus d’unecentaine de maternités françaises publiques et privées. Ces maternités met-tent en commun, pour une analyse statistique informatisée, les informa-tions individuelles concernant leurs patientes et les nouveau-nés à qui ellesdonnent naissance. Une technique de standardisation de ces données,fondée sur la distribution des accouchements selon les statuts juridiques etles régions géographiques des maternités, permet de fournir une estima-tion fiable de ces indicateurs de santé à l’échelon national.

    En 2001, 108 maternités ont adressé 25 866 dossiers au réseau de l’Audi-pog, portant à près de 100 000 accouchements l’ensemble de son fichier. Enl’absence de structures institutionnelles d’observation fine et continue de lasanté périnatale, ce réseau constitue l’unique système d’information dansce domaine sanitaire. (http ://audipog.inserm.fr)

    Comment expliquez-vous l’ac-croissement du nombre des gros-sesses multiples en 2001 ?

    Entre autres enseignements, labase de données de l’Audipog nouspermet d’analyser la prescriptionde traitements de l’infertilité. Or ilapparaît que ce n’est pas tellementune augmentation du recours à cestraitements qui permet de fournirune explication, mais bien l’abaisse-ment de l’âge des femmes à qui cestraitements sont prescrits. Notreanalyse montre ainsi que, parmi lesfemmes ayant accouché en 2001suite à un tel traitement, 9 %avaient moins de 25 ans et 40 %moins de 30 ans. Ces chiffresétaient respectivement 2 % et 20 %en 1999 et en 2000.

    Il importe de rappeler que les trai-tements de la stérilité ne se rédui-sent pas aux techniques mises enœuvre dans les centres d’assistancemédicale à la procréation (AMP,)comme la fécondation in vitro oula micro-injection de spermatozoï-des. Il faut aussi compter avec lesinductions médicamenteusesd’ovulation prescrites par des gyné-cologues ou des généralistes, quireprésentent environ 40 % de l’en-semble des traitements contre lastérilité. Or ces inductions, commeles traitements plus sophistiqués,sont mises en œuvre de plus enplus précocement.

    Disposez-vous, sur ce point, dechiffres précis ?

    Oui. En 2001, parmi les femmesayant reçu une induction d’ovula-tion, 15 % avaient moins de 25 anset 50 % moins de 30 ans. Ces chif-fres étaient respectivement de 3 %et 20 % en 1999 et en 2000. Lemême phénomène est observé ence qui concerne les techniquesd’AMP, qui, elles aussi, se font deplus en plus tôt : 20 % des femmesconcernées avaient moins de30 ans en 2001 contre 8 % en 1999et 2000. Tout laisse penser que detelles prescriptions chez des fem-mes jeunes, ne souffrant peut-êtrepas d’une véritable infertilité, peu-vent générer plus de grossessesmultiples que lorsqu’elles sont réali-sées chez des femmes plus âgées,et par définition moins fertiles.

    Quelle lecture faites-vousd’une telle évolution ?

    Au vu des indicateurs périnatauxde 2001, il est clair que nousentrons aujourd’hui dans unephase de régression, après lesacquis notables des années 1980 et1990, qui résultaient d’uneconjonction de facteurs commel’amélioration des conditions detravail et de vie, d’une meilleuresurveillance médicale et des arrêtsde travail plus fréquents pour lesfemmes enceintes. On peut aussi,me semble-t-il, face à une telle exi-gence grandissante de maîtrise desprocessus de procréation, parlerd’une forme de dérive de notresociété.

    « Avoir un enfant si je veux quandje veux », disaient les féministes enplaidant pour la contraception etl’IVG ! Le « quand je veux » a deplus en plus tendance à devenir« tout de suite », dès l’arrêt de lapilule contraceptive. On peut icirappeler une étude que nousavions menée il y a près de vingt-cinq ans auprès de femmes qui enavaient fini avec leur vie reproducti-ve sans avoir connu nos avancéestechnologiques. Ces femmes, quin’avaient que la méthode Ogino etla courbe de température à leur dis-position, nous disaient que, dansun cas sur cinq, elles avaient« attendu » l’arrivée de la grosses-se plus d’un an avec, dans ce cas,un délai moyen d’attente de cettegrossesse de trois ans.

    Aujourd’hui, quelle femme sou-haitant un enfant attend trois anspour consulter ? Les données du

    réseau de l’Audipog nous disentque, stérilité ou pas, le délai d’atten-te pour concevoir (soit le délaientre l’arrêt de la contraception etla survenue de la grossesse) est enmoyenne de six mois et peut attein-dre un an dans 10 % des cas. Lesdonnées physiologiques n’ayantpas changé en un quart de siècle,pourquoi ne pas recommander lapatience aux couples souhaitantconcevoir ?

    Ne craignez-vous pas de tenirun discours quelque peu passéis-te, peu audible par ces couples ?

    Je ne le pense pas et, pour mapart, je voudrais attirer l’attentionsur l’actuelle surmédicalisation dela grossesse d’une façon généra-le. Certains obstétriciens s’eninquiètent aussi. Par ailleurs, sou-mis très souvent à une très fortedemande de la part de leurspatients, les médecins pourraientaussi, dans le contexte actuel dejudiciarisation de leur pratique,dire à ces couples que, si le risquede grossesse multiple est de 2,1 %dans la population générale, il estde 15 % avec un traitement de l’in-fertilité. Ces mêmes médecinsdevraient aussi leur dire qu’en casde grossesse multiple 40 % des nais-sances ont lieu prématurément,avec tout le cortège de complica-tions futures, des plus bénignes auplus graves.

    Il faut aussi lutter contre la bana-lisation actuelle de la prématurité.La couveuse ne pourra jamais faireaussi bien que le ventre maternel.Face aux données de 2001, l’heureest venue de tirer un signal d’alar-me. Tout doit être mis en œuvrepour recommander aux couples dechercher à concevoir plus jeunes,sans hâte, mais sans planification àoutrance. Il est essentiel que nousparvenions à dire aux générationsà venir qu’il existe un âge optimalpour concevoir, sans pour autantméconnaître le bon usage de la con-traception et des techniques moder-nes de procréation. L’heure estvenue de lancer un nouveau slo-gan : « Un enfant si je le désire,quand IL le désire ! »

    Propos recueillis par J.-Y. N.

    F R A N C E - S O C I É T Én a i s s a n c e s

    Un système unique de recueil d’informations

    « Avoir un enfant si jeveux quand je veux »,disaient les féministes.Le « quand je veux »a de plus en plustendance à devenir« tout de suite »

    A la maternité de Port-Royal, à Paris, des litsferment faute d’infirmières et de pédiatres

  • 6/LE MONDE/MARDI 6 AOÛT 2002

    CORTEde notre envoyée spéciale

    Comme dans tous les partis, com-me pour chaque négociation, la« base », volontiers rebelle et fron-deuse, a besoin qu’on lui explique,qu’on la persuade. Après le « dialo-gue d’Ajaccio » ouvert par NicolasSarkozy, le 27 juillet, et, surtout,leur réception à la préfecture deCorse, les élus de Corsica Nazionedevaient quelques explications auxsix cents militants réunis à Corte,dimanche 4 août. Et ce d’autantplus que, quatre jours plus tôt, leFLNC, lors d’une conférence depresse clandestine, avait expliquéqu’il « doutait fortement de la capa-cité [du gouvernement français] àrésoudre le problème corse » (LeMonde du 2 août).

    Paul Quastana, l’un des deuxnégociateurs du processus de Mati-gnon, a pris la parole le premier :« Nous avons reçu – car c’est nousqui avons reçu – M. Sarkozy à l’As-semblée de Corse. (…) Devant le pré-fet de Corse, l’ambassadeur de Fran-ce, nous lui avons posé les problèmesdes prisonniers politiques. Ensuite,nous sommes allés à la préfecture[Jean-Guy Talamoni et moi]. Il yavait un buffet, il y avait des petitsfours (…), Jean-Guy peut témoigner,on n’a rien touché. » Le chapiteauapplaudit à tout rompre. Le mili-tant ajaccien ajoute alors en corse :« Pourtant, c’était midi, et Dieu saitsi on avait faim ! » Il poursuit sur unautre registre, « Nous n’attendronspas de MM. Sarkozy et Raffarin quel’affaire parte en brioche. Nous n’at-tendrons pas trois ans. Il nous fautdes réponses claires, définitives, etsur des points précis. »

    Devant les militants, M. Quasta-na confirme pourtant les gestes debonne volonté manifestés parM. Sarkozy, une semaine plus tôt,lorsqu’il avait expliqué qu’il met-

    trait « à l’étude » l’aménagementd’un centre de détention corse (LeMonde daté 4-5 août). Pierre Bédier(UMP-RPR), secrétaire d’Etat char-gé du programme immobilier de lajustice, devrait se rendre sur l’île àcette fin, la dernière semaine de sep-tembre. « Paris semble aujourd’huiavoir compris qu’il n’obtiendrajamais de nous que nous satisfaisionsà des préalables indignes, que nousne manquerons jamais à la solidaritéqui unit l’ensemble des patriotes enlutte pour la défense de la nation. »

    « »Cela mis au point, le chef de file

    des élus nationalistes peut évoquerla « nouvelle donne » qui se présen-te. La visite de M. Sarkozy « a faitnaître l’espoir (…) et, de ce seul fait,elle ne peut laisser indifférent », expli-que M. Talamoni. « Nous pouvonscomprendre le scepticisme des uns etnous partageons les réserves desautres. Mais nous ne pouvons rester

    sur l’Aventin en faisant la moue. »Pour tenter de redonner le sou-

    rire aux militants – ils sont deuxfois moins nombreux qu’il y a deuxans –, Indipendenza doit poserd’autres objectifs. François Sargen-tini, son responsable, expose doncle « projet commun » – le FLNCavait parlé de « base programmati-que » –, qui sera celui de la futureAssemblée nationale provisoire.Cette véritable machine de guerreélectorale avant les élections territo-riales de 2004 tente d’unifier en sonsein tout le nationalisme, y compriscelui qui se dit démocratique,c’est-à-dire qui refuse la clandesti-nité. M. Sargentini résume en qua-tre points son futur programme :des « pouvoirs législatif et exécutifdans tous les domaines », l’organisa-tion se sa propre administration,l’officialisation de la langue corse –et son enseignement obligatoirejusqu’à l’université – et enfin la« remise à niveau économique ».

    Chacun des dirigeants présentsà la tribune réclame la « corsisa-tion des enfants ». A cet égard,M. Quastana est le plus virulent.« Je crois que la voie a été ouvertepar le FLNC, qui a dit, dans sa der-nière déclaration, que nous ne maî-trisons pas nos flux migratoires. Ilfaut avoir le courage politique de ledire : nous sommes assis sur uneCocotte-Minute qui va exploser. (…)Il y a une communauté de destin,mais cela ne veut pas dire que l’onva être minoritaires chez nous »,poursuit l’élu de Corsica Nazione

    sous un tonnerre d’applaudisse-ments. La version remixée et arran-gée du Diu vi salvi regina, l’hymnenational corse, fait gronder les mili-tants, qui lui préfèrent la bonnevieille version, a cappella. PaulQuastana sauve la mise. Avant quechacun se disperse, il remercie « leministre de l’intérieur, qui a veillé ànotre sécurité en mettant partoutdes barrages avec des fusils d’as-saut, à l’entrée de Corte ». Les mili-tants sont aux anges.

    Ariane Chemin

    TROIS CONVOYEURS de fondsont été licenciés pour une fauteprofessionnelle qui aurait été com-mise lors du braquage au lance-roquettes de leur fourgon, conte-nant 2 millions d’euros, le 30 mai,près d’Evreux (Eure). La Brink’s,qui a confirmé l’information, leurreproche de ne pas avoir respectéles consignes de sécurité quiauraient pu « atténuer les consé-quences du braquage ». De leur

    côté, les convoyeurs justifient leurapparente immobilité durantl’agression par la présence face àeux d’armes de guerre.

    L’attaque a eu lieu près de lanationale 13 dans l’Eure. Unebande de malfaiteurs, disposantd’au moins trois équipes et troisvéhicules, a intercepté un fourgonde la Brink’s qui se dirigeait versune succursale de la Banque deFrance, et l’a conduit jusqu’à unezone voisine de sous-bois. Là, lesbraqueurs ont transféré, sous lamenace de leurs armes, 40 sacs debillets, avant de prendre la fuite.« Les conditions de l’attaque nousont paru éminemment suspectes.Aucune des procédures habituellesne semblait avoir été respectée, dé-clare la Brink’s. Comment ont-ils pusuivre des bandits au fond des boispour se faire tout dépouiller ? Ils ontdonné l’impression de rester les brasballants. »

    L’entreprise de convoyage defonds reproche surtout à sesemployés de ne pas avoir appuyésur le bouton d’alerte GPS, à l’inté-

    rieur du fourgon, qui permet à lapolice de localiser le braquage.

    Leur licenciement, intervenu il ya une quinzaine de jours et révélépar l’hebdomadaire normand Liber-té Dimanche, se fonde donc sur une« faute grave », et leur hiérarchiedirecte a elle aussi été sanctionnée.Les convoyeurs ont été un tempssoupçonnés de complicité par lesenquêteurs de la police judiciaireavant d’être blanchis. L’un des troisconvoyeurs, Didier Wateau, a faitpart de son intention de saisir lesprud’hommes. Des griefs tels que« attitude de soumission, laxisme,absence de conscience profession-nelle, attitude irresponsable » lorsdu braquage figurent sur les lettresde licenciement.

    « ’ »La Brink’s affirme, au contraire,

    qu’« ils n’ont pas été licenciés parcequ’on leur reprocherait de ne pasavoir utilisé leurs armes. Cela n’ajamais été un critère professionnel.On ne leur demande jamais derisquer leur vie. » De son côté,

    M. Wateau accuse sa société deconsidérer ses salariés « comme desmorceaux de viande ». « On auraitdû se faire descendre, ça aurait faitmieux pour l’image de marque (...), ilaurait fallu être à notre place,devant le lance-roquettes, pourjuger », estime-t-il.

    Les syndicats de convoyeurs sesont unanimement dits scandalisés,la CFTC des transports annonçantson intention de saisir les minis-tères des transports et de l’inté-rieur. « Je me mets aussi à la placedes gars, quand on est dans des situa-tions graves comme cela, face à desmenaces telles que des armes deguerre, on ne peut pas forcément réa-gir comme on l’a appris à froid », adéclaré de son côté Gérard Apruz-zese, le secrétaire général de FOtransports, soulignant que d’autressanctions, telle la mise à pied,« auraient peut-être été envisa-geables », position également soute-nue par la CFDT, qui dénonce unesanction « démesurée ».

    Elsa Conesa (avec AFP)

    En venant en Corse le samedi27 juillet, Jean-Pierre Raffarin vou-lait faire un geste : montrer quetout son gouvernement était derriè-re Nicolas Sarkozy et éviter ainsi les« couacs » à la Jean-Pierre Chevène-ment. Las ! Les premières dissonan-ces gouvernementales n’ont pas tar-dé à se faire entendre. Interrogé,dimanche 4 août, sur