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MIXITÉ SOCIALE : LES MODES DE GARDE EN PREMIÈRE LIGNE Les EAJE, fers de lance des enjeux de mixité sociale Un enfant sur cinq vit dans une famille au-dessous du seuil de pauvreté, dont un sur trois dans des familles monoparentales. C’est un constat cruel, rappelé dans le rapport de la mission interministérielle chargée du plan de prévention et de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, remis au Président Macron le 15 mars dernier. Or de nombreuses études ou rapports mettent aujourd’hui en évidence les bienfaits l’accueil collectif pour réduire les inégalités liées à la précarité des familles. Voilà pourquoi les structures d’accueil collectif devraient accueillir plus d’enfants issus de familles dites défavorisées. iStock La mixité sociale est d’abord à viser en EAJE (Etablissements d’Accueil du Jeune Enfant). Plusieurs études concordantes ont en effet montré que l’accueil dans ces structures collectives des enfants issus des familles les plus défavorisées boostait l’égalité des chances. Les EAJE assurant une qualité d’accueil et de développement (socialisation, langage, éveil, confiance en soi, découvertes…) supérieur en moyenne au mode de garde individuel, à commencer par celui assuré dans les familles elles-mêmes. Après celui de janvier 2014 , le rapport Terra Nova de mai 2017 « Investissons dans la petite enfance : l’égalité des chances se joue avant la maternelle » pointait ainsi l’importance du rôle des crèches et des centres de PMI pour lutter de façon précoce contre les inégalités. Cette prise de conscience ne date pas d’hier. Toute une batterie de textes et outils visant à

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Page 1: Les EAJE, fers de lance des enjeux de mixité sociale‰ SOCIALE... · 2018-04-12 · note le rapport. Selon Terra Nova, quatre causes principales seraient à l’œuvre. Tout d’abord,

MIXITÉ SOCIALE : LES MODES DE GARDE EN PREMIÈRE LIGNE

Les EAJE, fers de lance des enjeux de mixité sociale Un enfant sur cinq vit dans une famille au-dessous du seuil de pauvreté, dont un sur trois dans des familles monoparentales. C’est un constat cruel, rappelé dans le rapport de la mission interministérielle chargée du plan de prévention et de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, remis au Président Macron le 15 mars dernier. Or de nombreuses études ou rapports mettent aujourd’hui en évidence les bienfaits l’accueil collectif pour réduire les inégalités liées à la précarité des familles. Voilà pourquoi les structures d’accueil collectif devraient accueillir plus d’enfants issus de familles dites défavorisées. iStock

La mixité sociale est d’abord à viser en EAJE (Etablissements d’Accueil du Jeune Enfant). Plusieurs études concordantes ont en effet montré que l’accueil dans ces structures collectives des enfants issus des familles les plus défavorisées boostait l’égalité des chances. Les EAJE assurant une qualité d’accueil et de développement (socialisation, langage, éveil, confiance en soi, découvertes…) supérieur en moyenne au mode de garde individuel, à commencer par celui assuré dans les familles elles-mêmes. Après celui de janvier 2014, le rapport Terra Nova de mai 2017 « Investissons dans la petite enfance : l’égalité des chances se joue avant la maternelle » pointait ainsi l’importance du rôle des crèches et des centres de PMI pour lutter de façon précoce contre les inégalités. Cette prise de conscience ne date pas d’hier. Toute une batterie de textes et outils visant à

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garantir la mixité sociale ont été déployés ces dernières années. La loi de 2005 sur la cohésion sociale indique que les EAJE sont censés garantir une place sur vingt minimum pour les enfants dont les parents sont en situation d’insertion ou en recherche d’emploi. S'y ajoute un certain nombre de places d’urgence, allant de 10% à 20 % en plus en fonction de la capacité d’accueil, à réserver aux accueils prioritaires. Le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale de 2013 a donné une impulsion nouvelle à cette politique. Pour financer les dispositifs, deux outils sont mis à disposition par la Cnaf en sus du Contrat Enfance et Jeunesse (CEJ) : la Prestation de Service Unique (PSU) et le Fonds Publics et Territoires (FPT)* 30 % des enfants accueillis en situation de pauvreté, selon la CNAF En contrepartie, les structures concernées ont certaines obligations. La Convention d'objectifs et de gestion de la CNAF 2013-2017 prévoit que : « la part de ces enfants (NDRL : ceux en situation de pauvreté) dans ces structures devra au moins correspondre à la proportion qu’ils représentent parmi les enfants du même âge sur le territoire concerné, avec dans tous les cas un minimum de 10 % ». Sont considérées par l’organisme national de prestations sociales comme vivant dans des conditions de pauvreté les familles dont la participation maximale est inférieure à 1 euro de l’heure, soit quelque 30 % des enfants en 2016. « Les gestionnaires doivent veiller à ce que la mixité sociale soit garantie et que les enfants de familles en situation de pauvreté puissent être effectivement accueillis au sein des EAJE », stipule le Guide de la PSU publié par la CNAF. Lequel précise aussi les conditions de mobilisation du FPT : celui-ci s’adresse à « des structures qui accueillent des publics nécessitant des adaptations dans le fonctionnement de la structure : élargissement des créneaux d’ouverture, accueil à la carte, accueil sur des horaires spécifiques, travail en réseau avec les partenaires et les familles, etc... et qui adaptent leur offre d’accueil en conséquence. » Fortes inégalités territoriales Des résultats qui restent mitigés, tant, à ce jour, les enfants issus de familles défavorisés semblent encore éloignés des crèches. Comme le pointe le rapport Terra Nova cité plus haut, en 2013, seuls 5 % des enfants de moins de 3 ans des parents les plus modestes étaient gardés en crèches, contre 22 % des enfants des parents les plus aisés. « Non seulement l’inégalité d’accès est énorme, mais elle s’est creusée depuis la dernière enquête portant sur l’année 2007 (…). L’écart de taux d’accueil en crèche était alors de 1 à 4 : il représente aujourd’hui un écart de 1 à 4,4 », note le rapport. Selon Terra Nova, quatre causes principales seraient à l’œuvre. Tout d’abord, la très inégale répartition des crèches sur le territoire, avec un nombre de berceaux directement proportionnel aux moyens des communes. Paris et les Hauts-de-Seine bénéficient des capacités d’accueil les plus élevées, comptabilisant 67 et 63 places pour 100 enfants de moins de 3 ans.**D’autres zones, notamment en milieu rural, restant les oubliées du maillage territorial en matière d’EAJE. « En période de restriction budgétaire, les crèches relevant de la compétence facultative des communes, les élus peuvent avoir tendance à se recentrer sur leurs compétences obligatoires », soulève Elisabeth Laithier, maire adjointe chargée de la petite enfance et de la politique familiale à Nancy et coprésidente du groupe de travail sur la petite enfance à l’Association des Maires de France (AMF). Ce qui n’empêche pas, selon elle, un accueil conséquent de ces publics au sein des EAJE existants. « Nous, communes, accueillions déjà 19,5% d’enfants issus de familles en

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situations de précarité, selon une enquête Cnaf de septembre 2017, précise-t-elle. Nous voulons que nos structures soient le reflet de nos communes au niveau du taux d’accueil des enfants défavorisés. A Nancy, deux de mes structures ont 35 % d’enfants dont les parents paient moins d’un euro par heure. » Non-recours important des familles Le rapport pointe aussi l’« opacité » existante sur les procédures d’accès : faible publicité des critères ; nécessité de déposer une demande très en amont, d’exprimer un degré élevé de motivation, de bien connaître les rouages des attributions de place. « Le pouvoir discrétionnaire des élus peut laisser place à des dérives et à un risque d’attributions arbitraires », estime-t-il. Tertio : dans « les deux-tiers des établissements qui tiennent compte de la situation de l’emploi des parents », les places sont réservées aux enfants dont les deux parents travaillent. Ce qui exclut, de fait, les familles les plus éloignées de l’emploi et donc les plus précaires. Le quatrième facteur, le non-recours , est du fait des familles. En cause, une information suffisante sur l’offre en crèche et les conditions d’accueil, ainsi qu’une pratique (la garde à l’extérieur du cercle familial, même si elles ont accès au tarif le plus bas) inhabituelle dans leur environnement social. « S’y ajoute parfois une méfiance vis-à-vis de l’administration : crainte du jugement social, voire du retrait de l’enfant », pointe Julie Marty Pichon, co-présidente de la Fédération Nationale des Educateurs de Jeunes Enfants (FNEJE). Ce à quoi un rapport complémentaire de Terra Nova, publié en septembre 2017, ajoute un critère d’éloignement des familles d'origine étrangère, en raison de la non-reconnaissance de la culture et de la langue familiale par l'institution d'accueil. Des freins persistants Quels que soient les gestionnaires, de nombreuses structures prennent plusieurs enfants sur une même place. « Ce qui reflète à la fois une souplesse, une manière d’être à l’écoute et d’accueillir des familles pas toutes biactives, tout en constituant une stratégie nécessaire pour compenser les trous dans nos plannings et conserver la PSU », décrypte Céline Fromonteil Clavelou, présidente d'Accent Petite Enfance L’inventivité et l’adaptation des équipes sont en effet au cœur de la problématique de la mixité sociale en matière de modes de garde, afin de pallier les freins persistants du système. Le premier frein tient à la fréquentation aléatoire qui caractérise ces publics. « Nous accueillons de plus en plus de familles qui peuvent avoir des comportements volatiles, expose Julie Marty-Pichon. Parce qu’elles cumulent les petits contrats de travail, et que, du jour au lendemain, elles peuvent partir en formation. Mais aussi parce qu’elles sont éloignées de la vie en société, avec ses règles et contraintes. Avec, à la clé, des inscriptions pas forcément respectées. » Une attitude qui a au moins deux conséquences dommageables. « La première étant d’entraîner, de la part des professionnels, une continuelle capacité d’adaptation et une vraie rigueur de gestion, qui, ajoutées à la nécessité de travailler en réseau, constituent autant de sources de surcharge de travail, et donc d’épuisement », pointe Julie Marty-Pichon. La seconde étant la mise en difficultés, voire la fermeture, de certaines structures, dont le taux de fréquentation, passant sous le minimum imposé par la CNAF (70 %), entraîne la perte de leurs subventions. En bref, une double peine qui vient « récompenser » les efforts de souplesse. « Rien d’étonnant à ce que beaucoup de communes aient été découragées, notamment concernant les crèches AVIP*** », commente Elisabeth Laithier.

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Le second frein est d’ordre institutionnel et administratif. « La complexité des dispositifs et l’alourdissement des formalités administratives pèsent lourd dans la réticence des structures à s’engager », évoque Julie Marty-Pichon. Autre travers pointé du doigt, en particulier concernant les crèches AVIP : la précipitation des pouvoirs publics. « Il ne faut pas chercher à généraliser trop vite un dispositif, sans prendre la peine d’expérimenter, ni écouter les communes, premiers gestionnaires des EAJE. Au risque de se couper des besoins et des possibilités réels des territoires », analyse pour sa part Elisabeth Laithier. *Un fonds doté de 380 millions d’euros sur 2013-2017, dont 29 millions mobilisés par les CAF entre 2013 et 2015 sur son axe 2, dédié à l’accueil des publics fragiles dans les crèches. ** Source : observatoire nationbal de la petite enfance, 2017 *** Créches à Vocation s'Insertion Professionnelle Article rédigé par : Catherine Piraud-Rouet PUBLIÉ LE 03 AVRIL 2018 MIS À JOUR LE 04 AVRIL 2018

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MIXITÉ SOCIALE : LES MODES DE GARDE EN PREMIÈRE LIGNE

Des dispositifs innovants pour accompagner les publics fragilisés Avec le soutien de la CNAF et des pouvoirs publics, plusieurs dispositifs innovants ont été mis en place ces dernières années, tous dans le but de favoriser l’accueil et l’accompagnement des familles défavorisées en matière de mode de garde en EAJE. DR

Les crèches AVIP, premier dispositif formalisé Les crèches à vocation d’insertion professionnelle, ou crèches AVIP, sont une initiative née d’un double constat. « Primo, le frein majeur que constitue la garde d’enfants, en particulier pour les mères élevant seules leurs enfants, pour un retour à l’emploi, explique Dominique Ducroc-Accaoui, de la CNAF. Secundo, l’inadaptation, pour résoudre ces problématiques d’insertion, du quota d’une place réservée sur vingt, du fait de la nécessité d’offrir à ce public spécifique un temps d’accueil en lien avec les problématiques de son quotidien. » On doit l’inspiration directe de ces EAJE d’un nouveau genre à la sociologue Mara Maudet et aux 12 crèches aujourd’hui gérées par l’Institut d’Education et des Pratiques Citoyennes (IEPC). Mara Maudet a aussi contribué à la rédaction de la charte des crèches AVIP, en avril 2016, signée entre les ministères des Affaires Sociales, du Travail et de la Famille, la CNAF et Pole

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emploi. Le pari ? Ouvrir des crèches dédiées aux parents en recherche d'emploi, et notamment aux mères isolées. « Le profil type, dans nos crèches : une mère célibataire habitant les quartiers prioritaires, au RSA et sans qualification », précise Christine Louiserre, directrice petite enfance. Au menu des crèches détentrices du label AVIP : - Un repérage des publics cibles par Pole emploi, les crèches ou un autre acteur d’accompagnement social, et une information de ceux-ci par les CAF ; - La signature d’un document contractualisant l’engagement de la famille de rechercher une insertion professionnelle et à participer aux actions proposées d’accompagnement vers l’emploi, en échange d’une place en crèche. Un contrat conclu pour une durée initiale de six mois, renouvelable une fois. - Un suivi des parents en lien avec les services publics de l’emploi (Pole emploi, Conseils départementaux ou Missions locales) ou un juriste en droit social salarié de l’association, pour les crèches de l’IEPC. - Des horaires décalés et souples en fonction du projet professionnel. - Des tarifs spécifiques. - Si le parent bénéficiaire trouve un poste ou une formation, il garde la place en crèche jusqu’à l’entrée de l’enfant en école maternelle. Les crèches AVIP s’appuyaient sur des critères de labellisation initiaux extrêmement cadrés : - Accueillir au minimum 30% d’enfants de moins de trois ans dont les parents sont dans une démarche active de recherche d’emploi ; - Accueillir l’enfant a minima trois jours par semaine, huit heures par jour selon une amplitude journalière d’au moins 12 heures. Des critères jugés trop contraignants par les structures. Avec, à la clé, un faible nombre de candidats, et seulement 43 crèches AVIP labellisées début 2018, loin de la centaine initialement prévue à la fin 2016. D’où un assouplissement fin 2017 : - Le comité de labellisation peut désormais accorder un délai de 12 mois aux crèches candidates ne pouvant respecter d’emblée l’ensemble des critères ; - Le pourcentage d'enfants accueillis peut être ramené à 20 % au lieu de 30 ; - Le temps d’accueil minimal des enfants dont les parents sont engagés dans un projet de retour à l'emploi peut être réduit à 10 heures par semaine. « Nous accordons même parfois des labellisations anticipées, même si les crèches concernées n’ont pas encore tous les critères exigés », ajoute Dominique Ducroc-Accaoui. Ces crèches répondent à un modèle économique spécifique. Le temps d’accompagnement des parents a un coût, compensé par le FPT, qui complète les financements PSU et CEJ jusqu’à hauteur de 85% des frais de fonctionnement. Un bilan encore fragile Deux ans après leur création, le bilan demeure mitigé. Très en-deçà, donc, des objectifs sur le plan des chiffres, il semble très encourageant en termes d’insertion. « Ce mode d’accompagnement intensif et global a jusqu’à présent permis d’aboutir à un taux d’insertion ou de retour à l’emploi (CDI, CDD, intérim, formation….) de près de 90 % des parents accompagnés dans un délai de 6 mois », informe la CNAF. Un bilan confirmé du côté des

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crèches de l’IEPC. « Sur 774 familles accueillies en 2016, 407 étaient en situation d’insertion, parmi lesquelles 98 % de mères célibataires, illustre Christine Louiserre. Sur ces personnes en insertion, 362 (soit 89 %) ont concrétisé leur projet professionnel. » L’implantation des crèches AVIP semble, par ailleurs, se révéler adaptée aux besoins des territoires. « Les stratégies sont de plus en plus fortement pensées sur les bassins d’emploi, avec partenaires institutionnels et intercommunalités, se félicite Dominique Ducroc-Accaoui. Les quartiers politiques de la ville, notamment, sont ciblés. » C’est pourquoi la CNAF affiche des perspectives résolument optimistes, avec un chiffre de 326 crèches susceptibles obtenir le label. Un foisonnement d’initiatives plus informelles, souvent d’origine associative Avant même ces crèches AVIP, de nombreuses initiatives se sont faites jour depuis des années, sur l’ensemble du territoire, sur un mode plus ou moins formel. Dès 2014, la CNAF recensait pas moins de 542 actions correspondant à l’adaptation de près de 4 000 places d’accueil de jeunes enfants soutenues par l'axe 2 du FPT, essentiellement en accueil collectif. De nombreux EAJE mettent en place, d’une façon ou d’une autre, des systèmes qui favorisent l’insertion professionnelle des parents. Halte-jeux, multi-accueils, crèches, éphémères ou non, accolées à des centres sociaux, partenariats avec des structures associatives… Ancrage territorial et accompagnement resserré L’économie sociale et solidaire (ESS), notamment, constitue un maillage serré d’initiatives disparates, menées par ses divers acteurs : EAJE associatifs, mutualités, crèches à vocation parentale, fédération des centres sociaux, association Familles rurales, Croix-Rouge… « Autant de démarches visant non seulement à garantir l’accès des modes de garde aux familles les plus modestes ; mais aussi à les accompagner de manière resserrée, tant sur le plan de l’insertion que de la parentalité », note Céline Fromonteil Clavelou, Directrice générale de La Goutte de Lait Saint-Léon et Présidente de l’association Accent Petite Enfance, un collectif associatif crée fin 2015 et regroupant les gestionnaires d’EAJE issus de l’ESS sur l’ensemble du territoire. « Les crèches de l’ESS, qui représentent plus de 30 % des places d’accueil en EAJE, que ce soit sous statut associatif, de mutualités, d’entreprises à but non lucratif ou même de Scop, portent souvent des projets orientés vers des publics fragiles, poursuit-elle. La grande richesse de l’ESS, c’est d’être dans la diversité. En moyenne, nous touchons 35% de publics fragilisés, un taux qui peut monter à 70 % dans certains de nos établissements. Ce qui nous place, parfois largement, au-delà de la moyenne CNAF. Par ailleurs, nous nous positionnons sur un schéma résolument départemental et donc un réel ancrage territorial, qui montre une vraie volonté d’aller vers des thématiques précises et locales. » Les halte-garderies, aux modalités d’accueil plus souples et davantage ancrées sur un quartier ou une aire géographique limitée, donc mieux connues des familles, sont souvent en première ligne dans ces démarches. Article rédigé par : Catherine Piraud-Rouet PUBLIÉ LE 03 AVRIL 2018 MIS À JOUR LE 04 AVRIL 2018

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MIXITÉ SOCIALE : LES MODES DE GARDE EN PREMIÈRE LIGNE

Anne Donzel, Ville de Paris : « La mixité sociale doit être une recherche perpétuellement à l’œuvre. » Anne Donzel, cheffe du service Pilotage et Animation des territoires à la Direction des Familles et de la Petite Enfance de la Mairie de Paris explique comment la capitale met en place la mixité sociale dans les établissements d’accueil du jeune enfant qu’elle gère. DR

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Les Pros de la Petite Enfance : Comment se positionnent les EAJE parisiens en matière de mixité sociale ?

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Anne Donzel : La Ville de Paris mène une politique active en matière de mixité sociale. Nous sommes tous conscients du fait que les inégalités se réduisent dès le plus jeune âge, et que les EAJE ont un rôle à y jouer. C’est pourquoi la recherche de cette mixité est un principe partagé par tous les acteurs : mairies d’arrondissements, responsables d’établissement, PMI, coordinatrices... Globalement, les enfants issus de familles en bas revenus sont plutôt surreprésentés dans nos EAJE par rapport à leur représentation globale. D’après une étude interne, en 2014, on y comptait 26,1% d’enfants de moins de trois ans vivant dans des familles à bas revenus alors qu’ils représentent 18 % au total de leur tranche d’âge dans cette situation. A quels leviers renvoie cette recherche de mixité sociale au sein de vos équipes ? La mixité sociale renvoie à la conscience que nous avons de deux rôles. D’une part, celui des établissements dans la formation de la société et des individus à venir. Nous savons que des interactions positives se développent entre les enfants, dans toute leur diversité, dans nos établissements. D’autre part, celui que nous jouons dans la société d’aujourd’hui, elle-même diverse. Le service que nous rendons est universel, il s’adresse à tous. Cela ne veut pas dire qu’il aura les mêmes enjeux sociétaux pour tous. Pour les uns, ce sera un soutien à la conciliation vie familiale - vie professionnelle ; pour les autres, l’occasion de rechercher un emploi. Dans tous les cas, nous ne jugeons pas les motivations : nous avons vocation à accueillir les enfants et à assurer un service auprès de leurs familles, dans leur grande diversité. Sur quelles actions s’appuie la politique menée ? La Ville de Paris mène une politique très volontariste, notamment dans les quartiers les plus défavorisés. D’abord, en matière de création de places en crèches. 11 Maires d’arrondissement sont aujourd’hui signataires de la charte « Attribution des places de crèche : Priorité Transparence ». Cette charte vise à lutter contre le non-recours des familles qui ne se sentiraient pas légitimes à déposer une demande, en les accompagnant dans la recherche d’un mode d’accueil via les Relais d’informations familles ou la généralisation des pré-commissions sociales. Celles-ci permettent, avant la commission d’attribution, d’examiner un certain nombre d’enfants en situations de vulnérabilité, sur la base de remontées d’informations par la PMI, les services sociaux ou d’autres acteurs de la petite enfance. Par ailleurs, des systèmes de cotations ont été mis en place, conduisant certains arrondissements à valoriser fortement les situations de bas revenus. Mais cette démarche couvre aussi l’information et le suivi des familles. Nous avons instauré, depuis septembre 2017, dans chacune de nos dix circonscriptions des affaires scolaires et de la petite enfance, des référentes familles. Ces éducatrices de jeunes enfants - qui sont parfois d’anciennes responsables de haltes-garderies - ont pour mission d’améliorer l’information des familles sur tous les services qui leur sont dédiés (éducatif, soutien à la parentalité, culturel, etc.). Afin d’encore mieux orienter nos efforts, nous lancerons prochainement une étude avec la CAF et l’atelier parisien d’urbanisme sur ce point. Principalement quantitative, elle visera à établir une méthode de recensement précise et fiable de ces publics fragilisés. Une étude d’une ampleur scientifique inédite, qui marque une vraie préoccupation de nos élus de voir plus large et de se doter d’outils de poids en la matière. Les résultats devraient en être publiés avant la fin 2018.

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Diriez-vous que la mixité sociale est suffisante dans les EAJE parisiens ? Difficile de répondre. Je pense qu’elle est très réelle : nous cherchons constamment à nous adapter et à répondre à la diversité. Cette dernière doit rester un objectif : dire que la mixité sociale est suffisante, c’est risquer de se figer. Or, précisément, la mixité, c’est un process toujours à l’œuvre. Donc, nous continuerons à la rechercher. Article rédigé par : Propos recueillis par Catherine Piraud-Rouet PUBLIÉ LE 03 AVRIL 2018 MIS À JOUR LE 04 AVRIL 2018

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MIXITÉ SOCIALE : LES MODES DE GARDE EN PREMIÈRE LIGNE

Assistantes maternelles : familles pauvres, passez votre chemin ! Onéreux, compliqué… Le recours aux assistantes maternelles demeure très faible parmi les familles les plus défavorisées. Un état de fait qui risque de durer, faute de constituer une priorité pour tous… Istock

La question de la mixité sociale se pose de manière particulièrement exacerbée en ce qui concerne l’accueil chez les assistantes maternelles. Selon une enquête CNAF, en 2017, celui-ci concernait 20 % des familles, toutes catégories confondues. Or, quelques années à peine auparavant, en 2013, selon une étude de la DREES, ce mode de garde ne touchait que 5 % des enfants ayant au moins un parent inactif ou au chômage ou encore à temps partiel inférieur à 50 %. « Ce n'est pas étonnant puisque le complément du libre choixde mode de garde (cmg) ne permet pas aux parents inactifs de le percevoir pour ce mode d'accueil » commente Sandra Onyszko del'Ufnafaam. Un chiffre qui bondissait à 33 % pour les temps partiels à plus de 50% et à 38 % lorsque les deux parents travaillaient à temps complet. « En cause, plusieurs facteurs, notamment pour les assistantes maternelles employées par les particuliers : l’avance conséquente (au moins 800 euros, salaire moyen d’une assistante maternelle dans les grandes villes) à avancer avant de percevoir les aides ; le reste à charge plus important pour les familles que pour les EAJE, plus

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les complications administratives : nécessité d’établir un contrat de travail, dresser une fiche de paie, de calculer les congés payés, etc. », énumère Julie Marty-Pichon, présidente de la FNEJE. Des contraintes que le recours aux assistantes maternelles relevant des crèches familiales permet d’alléger considérablement. « Mais, dépendant des communes, elles se heurtent aux mêmes limites financières que les EAJE », regrette Elisabeth Laithier. « Les Relais Assistantes Maternelles apportent une aide à ce niveau, ainsi que les organisations professionnelles précise Sandra Onyszko. Par ailleurs, nombre de ces professionnelles peuvent dispenser un premier niveau d'information aux familles. » Cheval de bataille ou non ? Les avis sont partagés… Face à ce constat, deux lignes se font face. Primo, celle visant à élargir l’accès des familles en difficultés à ce mode de garde, en raison des enjeux qu’il présente. « Mieux prendre en compte le taux d’effort sur l’offre individuelle de garde fait partie de notre réflexion, en lien avec l’offre d’accueil collectif, expose Dominique Ducroc-Accoui, conseillère en politiques familiales et sociales à la CNAF. Très souple, ce type d’accueil peut répondre à des besoins atypiques. Par ailleurs, la problématique « emploi » vient se greffer sur celle d’insertion, le taux de chômage des assistantes maternelles étant important sur les territoires sensibles. »Sandra Onyszko ajoute : « les assistantes maternelles accueillent les enfants plus tôt ou plus tard que les structures collectives et bien souvent aussi les week-ends. Soit, en moyenne, un nombre d’heures d’accueil bien supérieur à celui des EAJE. » Une logique partagée par le groupe de travail Petite Enfance de la mission interministérielle sur la prévention et la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes , dont la proposition n°4 vise à « garantir une liberté de choix des modes d’accueil aux familles en situation de pauvreté ». Mais d’autres acteurs, pourtant militants de la première heure de l’accompagnement des familles en situation de précarité et d’insertion comme l’IEPC (Institut d’Education et des Pratiques Citoyennes), ne sont pas de cet avis. « Il faudrait réserver les crèches aux familles précaires et les assistantes maternelles, gardes partagées et assistantes parentales, à celles qui en ont les moyens », déclare Christine Louiserre, Directrice Petite Enfance à l’IEPC. Une position que réfute l’Ufnafaam. « Pour nous, c’est prendre le problème à l’envers. En effet, comment feront les familles dans les milieux ruraux ? Et celles qui ont des horaires atypiques ? », interroge Sandra Onyszko. Selon l’association de défense des assistantes maternelles, « la solution consisterait plutôt à ne plus autant différencier les restes à charge des familles en fonction du mode d’accueil ». « Par ailleurs, il faut prendre en compte les besoins de l’enfant, pointe Sandra Onyszko. Certains enfants sont bien dans un mode d’accueil collectif, d’autres plus à leur place au sein d’un mode d’accueil plus individualisé. » En attendant d’éventuelles mesures concrètes en ce sens, les familles les plus en difficultés peuvent s’appuyer sur la revalorisation d’aides pour la garde de leurs enfants à domicile, chez une assistante maternelle ou en micro-crèche annoncée par Agnès Buzyn en septembre 2017. Soit une hausse de 138 euros de leurs prestations mensuelles. Article rédigé par : Catherine Piraud-Rouet PUBLIÉ LE 03 AVRIL 2018 MIS À JOUR LE 04 AVRIL 2018

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MIXITÉ SOCIALE : LES MODES DE GARDE EN PREMIÈRE LIGNE

Rapport anti-pauvreté des enfants et des jeunes : des espoirs et des questions pour la Petite Enfance De l’avis général des acteurs, le rapport remis par Olivier Noblecourt le 15 mars dernier à Agnès Buzyn et Emmanuel Macron reprend, dans sa partie Petite Enfance, des pistes de solutions valables pour y améliorer la mixité sociale. Les mesures concrètes sont attendues avec impatience. DR

Pour encourager les EAJE allant dans le sens d’un accompagnement plus resserré des publics fragilisés, le groupe de travail 1 « Eradiquer la pauvreté des enfants et des jeunes ») de la mission Petite Enfance de la délégation interministérielle propose la mise en place d’un système incitatif, sur la base d’un bonus-malus. Une mesure décryptée par Nathalie Casso-Vicarini, Présidente de l’association Ensemble pour l’Education de la Petite Enfanceet co-présidente de la commission interministérielle. « L’idée est que tous les établissements puissent accueillir ces enfants dont les familles veulent reprendre une activité, sans mettre en péril leur équilibre », explique-t-elle. En notant que « c'est la première fois qu'une professionnelle de la petite enfance participait à une

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délégation interministérielle pour valoriser les métiers du secteur et la fonction parentale sous l'angle de l'accès aux droits à tous les enfants. » Opposée à toute forme de levier contraignant pesant sur les maires et les structures, c’est d’un œil attentif qu’Elisabeth Laithier considère cette perspective. « Tout dépend des préconisations qui seront retenues par la ministre et le Président et des moyens mis en œuvre en face », estime-t-elle. Une démarche, par contre, applaudie par Julie Marty-Pichon, qui y voit un bon levier incitatif, face à des pratiques pernicieuses persistantes. « Dans les critères de pondération des places des commissions d’attributions des places de crèche, on voit encore « temps d’accueil demandé », avec la priorité donnée à une famille qui demande un temps plein par-rapport à un temps partiel, regrette-t-elle. Sans compter les dérogations accordées selon les départements à l’application des directives nationales. » Expérimenter avant de généraliser Nathalie Casso-Vicarini et Frédéric Leturque (Maire d'Arras), co-président de la commission, mettent aussi en avant la nécessité de miser sur les expérimentations, sans faire preuve de hâte excessive. « Il faut tester avant de généraliser, déclare-t-elle. Dans les années qui viennent, il serait intéressant d’expérimenter plusieurs dispositifs : certains fonctionnement très bien sur un territoire, d’autres moins bien. Il faut observer les freins, les interroger, réajuster si besoin avant de déployer à plus grande échelle. Ces mesures permettront de comprendre ce qui est le plus bénéfique aux enfants dans leurs parcours d'intégration à long terme et participeront aux mieux vivre ensemble. » Un message qui semble également entendu par la CNAF : « On avance par étapes et on en tire des enseignements,souligne Dominique Ducroc-Accaoui. Tout en tenant compte de la nécessité de considérer les problématiques d’insertion de manière plus larges. Le retour à l’emploi ne pouvant être une solution que dès lors que toutes les autres problématiques (logement, nutrition, fracture numérique et culturelle…) ont été résolues. » Tandis qu’Elisabeth Laithier, de son côté, rappelle : « Une politique d’accueil de la petite enfance se doit d’être universelle. Il nous faut être très attentifs aux 11 millions de familles vulnérables si on ne veut pas qu’elles basculent. Mais ne pas, non plus, oublier les familles biactives, qui vont bien, dont les enfants ont droit, eux aussi, à ce que l’Etat se préoccupe de leur garde. » S'appuyer sur les schémas départementaux des services aux familles Tous s’accordent sur un point : le déploiement et l’amélioration des schémas territoriaux pour mettre en coordination besoins et ressources sont l’un des piliers de la réussite de l’action. C’est pourquoi les propositions du groupe de travail, notamment celle visant à expérimenter des systèmes de chefs de files sur les nouveaux schémas départementaux des services aux familles, sont porteuses d’espoir. « Le plan gouvernemental en cours me semble réellement dans la continuité des enjeux, approuve Dominique Ducroc-Accaoui. En mettant l’accent sur la coopération entre acteurs et sur le pilotage territorial, il va dans le sens d’une action plus efficace en direction des publics. » Dans ce contexte, les mesures présidentielles, prévues pour les prochains jours, sont attendues avec grande impatience Article rédigé par : Catherine Piraud-Rouet PUBLIÉ LE 03 AVRIL 2018 MIS À JOUR LE 04 AVRIL 2018

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