dans les fers du droit de la concurrence, forward magazine, janvier 2011

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  • 8/7/2019 Dans les fers du droit de la concurrence, FORWARD magazine, janvier 2011

    1/1228 JANVIER 2011

    L'emprise du droit de la concurrence devient plus forte

    EN COUVERTURE Droit de la concurrence

  • 8/7/2019 Dans les fers du droit de la concurrence, FORWARD magazine, janvier 2011

    2/12

    I l y a quelques annes, le droit de la concurrence tait encore rel-gu au rang des disciplines exotiques dont lobscur objet chap-pait aux proccupations concrtes des citoyens et des entreprises.Aujourdhui, la donne a chang. Non seulement il est devenu une

    discipline stratgique que les entreprises ne peuvent se permettredignorer, mais, plus fondamentalement, il touche lin-quitude principale des consommateurs europens,

    savoir leur pouvoir dachat. Cette volution se con-crtise dans deux tendances majeures : lampli-

    fication de limpact du droit de la concur-rence et sa grandissante mdiatisation.

    Les entreprises pchent sou-vent par ignorance des r-

    gles, martle lavocat Jac-ques Derenne, partner au

    cabinet Hogan Lovells

    Bruxelles et matre deconfrences lULgpour le droit des aides

    dtat. Une enqute r-cente relative limpact du

    droit de la concurrence sur lesecteur priv en Belgique le con-

    firme : le degr de spcialisationdes quelque 200 juristes dentreprise

    ayant particip au sondage est relativementfaible, alors que 50% dentre eux indiquent

    que leur entreprise a dj t accuse dune violation dudroit de la concurrence (avec, dans 20% des cas, une

    condamnation la cl). Cest que le droit de la con-currence est intrinsquement li la vie de lentrepri-

    se. Tout dabord, le prescrit des rgles de concurrencemises en uvre lchelon europen vise pratiquement toute entre-prise, quelles que soient sa taille, son importance sur le march etson activit. Ensuite, chacun des comportements commerciaux, cha-cune des relations daffaires, chaque contrat, change dinformationsou rapprochement entre entreprises (rseau de distribution, joint-venture, opration de fusion-acquisition, candidature un subsidepublic, bnfice d'une exemption fiscale spcifique, participation un processus de certification) peuvent tre apprhends.

    La Commission europenne joue un rle de premier ordre dans les-sor du droit de la concurrence. Ses pouvoirs dinvestigation ont tconsidrablement renforcs. Elle peut mener des perquisitions sur-prises tant au sige des entreprises souponnes que, depuis 2004,au domicile priv de leurs dirigeants. Elle a galement amplifi sa

    capacit de dtection des infractions en tablissant un rseau dau-torits nationales de concurrence disposant de comptences similai-res et charges de dtecter et de sanctionner les infractions de moin-dre ampleur impactant leur territoire. Les petites et moyennes entre-

    prises peuvent, elles aussi, tre inquites pour participation uncartel ou pour restriction de concurrence illicite dans le cadre duncontrat de distribution, par exemple.

    Sous lre Kroes commissaire la Concurrence de 2006 2009 -,lon ne comptait plus les critiques dnonant la mdiatisation voiremme la peopleisation du droit de la concurrence. Selon sesdtracteurs, la Commission privilgierait une mise en uvre pure-ment ngative des rgles de concurrence, axant la majorit de sesressources sur la sanction et ngligeant de donner des orientationsaux entreprises en vue de les pauler dans lauto-valuation de leurspratiques. Pire, elle concentrerait ses foudres sur les entreprises grand rayonnement mdiatique auprs du grand public (telles que

    Intel, Microsoft ou Google). Enchanant campagnes publicitaires etpropositions de loi visant permettre aux consommateurs victimesdun comportement anticoncurrentiel den obtenir rparation, laCommission serait en train de transformer le droit de la concurrenceen instrument de relations publiques Nen dplaise certainspolitiques, le droit de la concurrence est intrinsquement li laconstruction de lEurope, et la crise systmique qui a branl la pla-nte financire vient de dmontrer lutilit extrme du contrle desaides d'tat notamment. Ainsi, la Commission a-t-elle pu convainc-re les tats membres ( la suite de l'examen du rgime irlandais degarantie en octobre 2008) que la solution rsidait notamment dansl'application, certes ajuste, de ce contrle plutt que dans sa ds-activation, prconise par certains ministres des Finances en 2008,

    rplique lavocat Jacques Derenne.

    CHG et CHS

    30 pe ou bouclier pour sortir de la crise ?Enqute dans les ddales du droit de la concurrence

    37 Belgique : les ententes caractrises sont unepriorit absolue

    Rencontre avec les "gendarmes" nationaux

    DANS CE DOSSIER

    29JANVIER 2011

    The ShowbizzPolitics

    EN COUVERTUREDroit de la concurrence

  • 8/7/2019 Dans les fers du droit de la concurrence, FORWARD magazine, janvier 2011

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    C e pourrait tre le coup denvoi mdiatique de la carrireeuropenne de lEspagnol Joaquin Almunia, commissai-re la Concurrence depuis un peu moins dun an. lami-dcembre 2010, la Commission a ouvert uneenqute pour constitution de cartel contre huitproducteurs de ciment comptant parmi les tnors

    mondiaux du secteur. Une fois une telle procdu-re lance, les entreprises font gnralement pro-fil bas, se contentant de ragir par de laconiques communiqusde presse Car les enjeux, pour celles qui sont pointes dudoigt, sont normes.

    Scurit juridique compromiseLes amendes, dont laugmentation exponentielle inquite lemonde des entreprises, sont la face la plus visible de liceberg (lireencadr). Elles sont thoriquement plafonnes 10% du chiffredaffaires total de lentreprise qui se serait rendue coupable depratiques anticoncurrentielles. quelques nuances prs : si unefiliale dtenue presque 100% par une socit holding est con-

    damne pour des restrictions la concurrence, la limite des 10%peut sappliquer au chiffre daffaires de la maison mre (celle-citant cense ne constituer qu'une seule entreprise avec sa filiale).

    Pour des pratiques illgales de longue dure, on peutdonc tre confront des cas o une amende seraitsuprieure au chiffre daffaires de la filiale incrimine !

    Dans ce domaine, les mthodes de calcul et les pro-cdures de la Commission sont souvent pointes dudoigt en raison dune certaine opacit. Il arrive, par

    exemple, que les sanctions soient rabotes en boutde course sur la base de lapprciation de la situationparticulire et de la position financire de lentrepri-se mise lamende : arguant de son incapacit payer, Almamet, fabricant allemand de ractifs desti-ns lindustrie sidrurgique, a ainsi vu sa sanction

    fondre de 20% en 2009. Ce qui nous heurte nest pas tant lemontant des amendes, qui doivent absolument avoir un effetdissuasif, que labsence de sparation entre le pouvoir denqu-te et le pouvoir dcisionnel et, dans certains cas, le non-respectde droits fondamentaux, souligne Philippe Lambrecht, admi-nistrateur-secrtaire gnral de la FEB et prsident de la nouvel-le Brussels School of Competition.

    Un rapport rdig, en France, par plusieurs personnalits enappelle plus de scurit juridique pour les entreprises. Il fautdire que la Cour dappel de Paris a inflig un svre camouflet au

    pe ou bouclier ?

    Le droit de la concurrence aide-t-il les entreprises sortir de la crise ?

    Aimez-vous tre devanc par un concurrent dominant sur le march ? Ou trouvez-vous pluttque vos possibilits dexpansion sont limites par les rgles du droit de la concurrence ? Selonnotre vision occidentale, lentrepreneuriat exige quelques rgles du jeu. La question est tou-

    tefois de savoir quel but elles servent. Notre droit dela concurrence est-il une pe, qui permet aux entre-prises de se dvelopper et de jouer en premire divi-

    sion parmi les champions du monde, ou un bouclier, quiles protge contre les concurrents mais leur offre en

    mme temps peu de marge de manuvre ? Notredroit de la concurrence fait-il les bons choix pour

    aider les entreprises vaincre la crise ? Enqute.

    Ce qui heurte, cest labsencede sparation entre le pouvoir

    denqute et le pouvoirdcisionnel Philippe Lambrecht

    1.Quels sont les risques encourus par les entreprises ?

    30 JANVIER 2011

    EN COUVERTURE Droit de la concurrence

    D.Rys

  • 8/7/2019 Dans les fers du droit de la concurrence, FORWARD magazine, janvier 2011

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    gendarme national de la concurrence en divisant par huit lemontant de lamende record (575 millions EUR) inflige onzeentreprises de ngoce de produits sidrurgiques. De tellessituations ne se sont pas encore produites en Belgique et, auniveau europen, la Cour de justice donne le plus souvent rai-son la Commission en cas de recours, quand elle naugmen-te pas le montant de la sanction , com-mente Philippe Lambrecht. Pour tenter,malgr tout, de couper court aux cri-tiques et viter des jurisprudences dis-cordantes, la Direction gnrale de laConcurrence a initi, en janvier 2010,une vaste consultation publique desti-ne renforcer la transparence et la prvisibilit des procduresde concurrence. Depuis, chacun peaufine ses arguments

    Un business model revoirOutre linflation des amendes, lentreprise suspecte de pra-tiques anticoncurrentielles doit faire face dautres risques.Charles Gheur, conseiller la FEB, en pingle trois. Tout dabord,limmixtion des autorits de la concurrence dans les affairesdune entreprise mobilise le temps et lnergie du managementet dtourne celui-ci de ses objectifs stratgiques, avec, danscertains cas, des consquences nfastes, sinon funestes, sur leplan financier. Vient, ensuite, le risque dimage : la publicitngative dcoulant du tapage mdiatique impacte sans doutepeu le consommateur dans sa stratgie dachat, mais il en vatout autrement au niveau des analystes financiers et des inves-tisseurs, ce qui pourrait avoir des rpercutions ngatives sur la

    valorisation boursire. Enfin, et ce risque est loin dtre le plus

    anodin, la Commission peut contraindre une entreprise modi-fier son business model. Certaines banques belges en ont faitles frais aprs les aides dtat massives dont elles ont bnficipendant la crise financire (lire en page 36). Dans les opra-tions de fusions-acquisitions, les parties concernes peuventtre amenes cder une marque, une filiale, voire un pan

    complet dactivits.

    La menace durecours collectifDautres nuages encoresamoncellent lhori-zon. Daucuns voudraient

    que des sanctions pnales (comptence exclusive des tatsmembres) sajoutent aux amendes administratives, commecest le cas aux tats-Unis ou en Grande-Bretagne. Un avant-

    projet de loi avait t labor en ce sens, en 2009, la deman-de du ministre Van Quickenborne, mais cette ide a t aban-donne en raison de la difficult bien articuler la procdureadministrative et la procdure pnale. Dans dautres pays,comme lIrlande, la menace est cependant plus tangible,commente Charles Gheur (lire galement en page 37). moyenterme, ce que le monde conomique redoute le plus, cest lamise en place de recours collectifs manant de consomma-teurs lss par une pratique anticoncurrentielle et introduisantune procdure en dommages et intrts (une sorte de classaction sur le modle amricain). Mme si le recours collectifest un peu lArlsienne du droit europen de la concurrence,lide lance par lex-commissaire Neelie Kroes et que la FEB

    a combattue jusquau dernier jour de son mandat nest pas

    Le prix payerEn 2010, le montant des sanctions anti-trust infli-ges par la Commission a atteint 3,1 milliardsEUR. Soit six fois lenveloppe globale des amen-des dcides par Leon Brittan ou Karel VanMiert durant lentiret de leur mandat ! Ceuxqui espraient un peu plus de modration aprsle dpart de Neelie Kroes la commissaire laplus pingle par le milieu des affaires pour sapolitique spectacle en sont donc pour leursfrais. En novembre dernier, au terme dune lon-gue enqute, la Commission a inflig une de sesplus lourdes amendes collectives (799 millionsEUR) onze compagnies ariennes ayant consti-tu un cartel dans le transport de fret durant lesannes 1999-2006. Et quelques semaines plustard, elle mettait lamende (649 millions EUR)quatre fabricants dcrans plats tawanais et unfabricant sud-coren, coupables de stre runisune soixantaine de fois pour s'entendre sur lesprix et changer de l'information sur leurs plan-nings de fabrication et l'utilisation de leurs capa-

    cits de production entre 2001 et 2006.Pour dterminer le montant des amendesquelle inflige, la Commission se base sur deux

    critres essentiels : levolume daffaires affec-t par la restriction dela concurrence et ladure de linfraction.Ainsi, deux entreprisesqui changent desinformations sur les prixfuturs et constituentdonc un cartel aux yeuxde la Commission surun march dont le chiff-re daffaires slve 5millions EUR sexposenten thorie une amen-de qui peut monter jus-qu 30% de ce mon-tant par anne dinfraction. Si les changesont dur trois ans, ce montant sera donc multi-pli par trois ! Dans la pratique, on constateque les amendes sont en gnral comprises

    entre 15 et 20% des montants en jeu, avec,toutefois une tendance certaine linflation,commente Luis Ortiz Blanco.

    En lot de consolation, les entreprises prises surle fait pourront, en Belgique en tout cas, ddui-re fiscalement les amendes infliges. Malgr unecirculaire du 13 aot 2008 du ministre des

    Finances allant contre le principe de la dduc-tion fiscale, la jurisprudence reste favorable auxcontribuables.

    Total des amendes infliges aux entreprises accusesde cartel par lUE depuis 1990 (en milliards EUR)

    1990-94

    Leon Brittan

    0,571995-99

    Karel Van Miert

    0,572000-04

    Mario Monti

    3,702005-09

    Neelie Kroes

    8,27

    Les mandats des commissaires ne concident pas avec les annes calendrier.Il ne sagit donc pas forcment dannes compltes.Source : Commission europenne

    La Commission veille ne pasrpliquer le systme en vigueuraux tats-unis Luis Ortiz Blanco

    31JANVIER 2011

    EN COUVERTUREDroit de la concurrence

    Des amendes qui flambent

    Unioneuropenne

  • 8/7/2019 Dans les fers du droit de la concurrence, FORWARD magazine, janvier 2011

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    enterre, loin sen faut. La Commission, quicertains reprochent ses maigres avancesdans le domaine de la protection des con-sommateurs, pourrait sen servir pour redorerson blason, aprs avoir lanc une vaste con -sultation sur le sujet. La Commission veutavancer dans ce sens, mais reste prudentepour ne pas rpliquer le systme en vigueuraux tats-unis. L-bas, on a mme vu des en-treprises spcialises qui achtent les droitsde clients lss pour attaquer des contreve-nants prsums aux rgles de la concurren-ce, indique Luis Ortiz Blanco, avocat sp-cialis en droit de la concurrence et partnerau cabinet Garrigues, Madrid. ce stade,

    les entreprises europennes sont parvenues convaincre la Commission quun systme lamricaine serait aussi nfaste pour les en-treprises que pour les consommateurs.

    L a question est videmment trs sensible et saventurer dansune rponse gnrique comporterait une part de risque nonngligeable. Cest quon ne badine pas avec les entorses laconcurrence ! Si, traditionnellement, la Commission europennecherchait tablir des faits concrets avant de se prononcer sur lecaractre anticoncurrentiel dun change dinformations, elle aopr rcemment un durcissement de sa politique. Elle considredsormais certains changes comme anticoncurrentiels au regard

    de leur seul objet. La Commission suit ainsi la Cour de

    justice qui, en 2009, dans son arrt T-Mobile Nether-lands, a jug quune simple runion pour changerdes informations entre concurrents dispense derechercher ses ventuels effets anticoncurrentiels. Il

    rgnait jusqualors une certaine tolrance de la part de la Com-mission par rapport des changes pour lesquels elle navait paspu tablir deffet restrictif sur la concurrence, explique lavocat LuisOrtiz Blanco. Mais le 14 dcembre dernier, elle a durci ses rglespour lapprciation des accords de coopration entre entreprises.La Commission examinera dsormais de plus prs les effets anti-concurrentiels drivs de lchange dinformations.

    Qui joue au gendarme et le contrle

    est-il dmocratiquement organis ?A u niveau europen, 900 fonc-tionnaires environ travaillent ausein du service du droit de la concur-rence. Cela semble beaucoup, maisconcrtement cela signifie, par exem-ple, 15 personnes pour tout le sec-teur europen des transports. LaDG Concurrence couvre le contrledes fusions, la politique antitrustdont labus de position dominante etles affaires de cartels, ainsi que lecontrle des aides dtat qui peuventfausser la concurrence. En raison dela rpartition des effectifs entre lesdiffrents instruments et du fait quetout le march europen est couvert,ce nombre de personnes est loin

    dtre un luxe, commente-t-on encoulisses.

    ce service europen sajoutent lesautorits nationales. Leur efficacitvarie dun pays lautre, mme si leslgislations nationales et les possibili-ts denqute sont relativement simi-laires ce qui se fait au niveau euro-pen. La rpartition des tches et lacoordination entre les autorits sontralises par le Rseau europen dela concurrence. Cest lautorit natio-nale qui, bien entendu, soccuperadune affaire purement locale, un car-tel de boulangers dans telle ville parexemple, et appliquera la lgislation

    Des entreprises actives dans un secteur ne pourraient-ellesdonc mme plus se parler ? Une fois encore, tout dpendra delenvironnement de march en question et du poids relatif desentreprises concernes sur ce march. Nanmoins, deux rglesdor doivent tre respectes la lettre en cas dchange din-formations : ne jamais discuter des prix et encore moins desprix futurs (auquel cas on parlera de cartel) et ne pas divulguerde renseignements sur les clients. Autre prcaution qui permetde rduire les risques de se retrouver dans la ligne de mire de

    la Commission : externaliser la collecte des renseigne-

    ments. Un tiers sera ainsi charg de consolider les don-nes sur lensemble dun secteur et assurera une cer-taine neutralit aux changes. Cest dailleurs une r-gle qui prvaut pour les runions des associations pro-fessionnelles et autres fdrations sectorielles. Les as-sociations sont aussi tenues des rgles jurispruden-

    tielles trs strictes, poursuit Luis Ortiz Blanco. Lorsquellescommuniquent des informations ou des statistiques leursmembres, elles doivent, dune part, sassurer quil sagit dedonnes agrges sur lensemble du secteur pour que les don-nes individuelles de lune ou lautre entreprise concerne nepuissent pas tre divulgues. Dautre part, elles doivent obser-ver un certain dcalage dans le temps. Des donnes trop r-centes pourraient tre considres comme suspectes aux yeuxdes autorits. Une prcaution supplmentaire consiste inviteraux runions un expert en droit de la concurrence qui veillera ce que les changes ne sortent pas du cadre lgislatif autoris.

    2. Deux entreprises dun mme secteur peuvent-ellesencore changer des informations sur leurs domaines

    dactivits, voire simplement se parler ?

    Une prcaution supplmentaire con-siste inviter aux runions un experten droit de la concurrence Luis Ortiz Blanco

    32 JANVIER 2011

    EN COUVERTURE Droit de la concurrence

  • 8/7/2019 Dans les fers du droit de la concurrence, FORWARD magazine, janvier 2011

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    La Commission sintresse principalement aux grandes entreprises,mais les PME ne sont pas immunises pour autant. Pour les entre-prises de moins de 250 travailleurs, ce sont les autorits nationalesqui prendront le relais, avec souvent une conception plus troite des

    marchs... et donc des risques accrus dy dceler des pratiques anti-concurrentielles. En mai 2010, le Conseil de la concurrence a ainsicondamn quatre producteurs de radiateurs en acier les princi-paux acteurs sur le march belge - qui avaient conclu un accord

    visant lchange dinformations sensibles en matire de concurren-ce, mais aussi la coordination de laugmentation de leurs prix devente en gros. Lun deux a b nfici de limmunit damende pouravoir apport les premires preuves permettant dtablir linfraction.

    Dnoncer ou ne pas dnoncer ? Un autre enjeu stratgique pour lesentreprises car toute demande de clmence va requrir une coop-ration sans faille avec le gendarme de la concurrence, quil soit natio-nal ou europen. dfaut, cest leffet boomerang garanti.

    Chantal Samson et Christian Dominici

    acquis une position de force. Peter LEclu-se : Pour le contrle des concentrations,on examine la part de march, et cela est

    bien diffrent de la taille. Mme si les plusgrandes entreprises risquent davantage de se trouver en difficult.Mais le nombre de transactions interdites aucours des 20 annes dexistence du contrle des

    concentrations est extrmement limit. Cela neprsente pas non plus de problme mes yeux.

    March pertinentFaut-il alors pointer du doigt la dlimitation du march ? Sil devienttrop petit, cela a, en effet, des consquences sur les possibilits dex-

    locale. Sil sagit dun dossier local, mais quecelui-ci a une incidence sur le commerce entretats, lautorit nationale restera en charge dudossier, mais devra appliquer le droit euro-pen. Si, dans les faits, laffaire stend plu-sieurs pays, il y a de grandes chances pourque la Commission sen charge et appliquebien sr la lgislation europenne.

    Il y a donc une grande uniformit au niveau ducontenu, mais pas en pratique. Chaque autori-t est organise sa manire. Cela vaut laDG Concurrence pas mal de critiques. Elleest la fois juge et partie, estime PeterLEcluse, partner du cabinet davocats VanBael & Bellis. Et bien que lon travaille auxcontrles internes et que presque toutes les

    affaires (il y en a environ 200 en instance ac-tuellement) partent vers la Cour europennede justice au Luxembourg pour une procduredappel, ce contrle dmocratique est long,

    beaucoup trop long, admettent aisment lesautorits europennes elles-mmes. Pour r-soudre ce problme, deuxaffaires se sont soldes parun arrangement lanne der-nire. Si les parties adhrentau verdict de la Commissionet acceptent les sanctionsimposes, elles peuvent b-nficier dune rduction de10%. Une bonne affaire enchange de la scurit juri-dique court terme. Par ail-leurs, les entreprises qui onteu recours au programme declmence, ont dnonc lecartel dont elles faisaient par-

    tie et ont collabor une affaire peuventrduire au total leur amende de 60% au niveaueuropen. Si une entreprise se rend laCommission delle-mme avec des informa-

    tions importantes, elle peut mme sen sortiravec une exonration complte de sanction.

    Le programme de clmence et lestransactions remporteront encore unvif succs lavenir, prdit notrecontact au sein de la DG Concur ren-ce. Au niveau belge, lenqute (lAu-ditorat et le service de la concurrencedu SPF conomie) et le pouvoir dedcision (Conseil de la con currence)sont clairement distincts. Et il est,bien sr, toujours possible de faireappel de lune ou lautre dcision.

    Pour en savoir plus sur vos droits entant quentreprise en cas denquteconcernant des infractions la lgis-

    lation de la concurrence par la Commission :http://ec.europa.eu/competition/antitrust/legislation/explanatory_note.pdf

    SBR

    33JANVIER 2011

    EN COUVERTUREDroit de la concurrence

    On affirme parfois que le droit de la concurrence actuel emp-che les entreprises europennes de devenir des acteurs mon-diaux. Cest absurde, ragit lavocat Peter LEcluse de Van

    Bael & Bellis. Si nous examinons les entreprises qui sontdans le collimateur de la Commission europenne, nous re-marquons que cela na rien voir avec leur taille, et encoremoins avec leur caractre europen ou non. On trouve descartels pour accords tarifaires dans toutes sortes de secteurs,avec des entreprises de toutes tailles et de toutes origines.Les plus grands cartels rcemment pingls par la Com mis-sion europenne dans les domaines des panneaux LCD et du trans-port arien concernaient, en effet, beaucoup d'entreprises asiati-ques et, dans les dossiers dabus de position dominante, les plus gros-ses amendes ont t distribues des entreprises amricaines commeMicrosoft et Intel. Mais cela ne prouve pas non plus que les entrepri-ses europennes ne rencontrent aucune entrave une fois quelles ont

    Le nombre de transactions interdi-tes au cours des 20 annes dexistence

    du contrle des concentrations estextrmement limit Peter LEcluse

    3. Les entreprises europennes sont-ellesbrides dans leur volont de croissance ?

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    semble extrmement ngative pour les grosses entreprises, on nousaffirme de toutes parts quune position dominante nest pas en soiun problme, cest au contraire un signe de russite. Mais il nest paspermis den abuser afin de faire concurrence dune manire anor-male. La question que lon est en droit de se poser est celle-ci:quest-ce qui est anormal?, remarque Peter LEcluse. Cest l unpoint extrmement discutable. Microsoft a rcemment t con dam-n une amende colossale, mais je me pose de grosses questionssur ce dossier. Le secteur pharmaceutique a, lui aussi, t svre-ment pingl, mais il doit tout de mme toucher des royalties surses brevets. Sinon, on paralyse lensemble du cycle dinvestissementet dinnovation !

    De trs nombreuses concertations internationales ont lieu entre lesautorits de la concurrence, mais les plus grandes divergences din-

    terprtation subsistent entre les pays. LEurope est peut-tre tropstricte, avance l'avocat. Malgr les rgles strictes sur papier, il y atout de mme une marge dinterprtation, et cest ce que lon cons-tate en senqurant du concept de champion national. Personne nesemble savoir trs prcisment quelle dfinition cache cette expres-sion. Je pense quil sagit dentreprises qui sont importantes pourlconomie nationale et sont, ce titre, choyes, rpond PeterLEcluse avec prudence. Peut-tre devez-vous vous renseigner au -prs de la Commission L-bas, on parle franchement dentrepri-ses qui, pour certains gouvernements nationaux, doivent pouvoirjouir dun traitement de faveur, par exemple dans le domaine desaides dtat ou des avantages fiscaux (rcemment encore, en Fran-ce, lindustrie automobile nationale a obtenu une aide spciale) ou

    dans le domaine du contrle des fusions. Ainsi, la fusion entre Volvoet Scania fut-elle interdite par le pass en raison d'une dominationtrop forte sur le march scandinave. Les responsables politiques na-tionaux avaient pourtant fait pression sur Bruxelles pour que la fu-sion soit autorise, en arguant du fait que leurs champions devaienttre mieux traits. Big nest donc pas synonyme de bad en Eu -rope, et surtout pas quand on a les bonnes personnes de son ct.Il ne faut pas fermer les yeux sur le travail de pression effectuauprs des autorits de la concurrence, confirme Peter LEcluse.

    crise parce que davantage de gens ontdes difficults financires. D'autres ou-tils de politique

    conomique existent pour sortir de lacrise (mcanismes fiscaux, transferts so-ciaux, etc.). Est-il donc absolument

    impossible de quantifier les effets co-nomiques de la politique en matire de concurrence ? La rpon-se de la thorie micro-conomique est simple : le bien-tre total

    S i la thorie dune politique de la concurrence ambitieusetient debout, son application honnte et cohrente nenreste pas moins, en pratique, un trs gros dfi. Mais laquestion fondamentale de savoir si un tel gen-darme des marchs doit galement aider co-nomiquement nos entreprises sortir de lacrise reste sans rponse. Paul Belleflamme,professeur lUCL : Il ne faut pas tout mlan-ger. La politique de la concurrence n'a pas deraison d'tre applique diffremment selon que l'on est enpriode de crise ou non. C'est comme si on se demandait si lapolice devait moins lutter contre la criminalit en priode de

    Il ny a pas de raison dappliquer dif-fremment la politique de concurrenceen priode de crise Paul Belleflamme

    34 JANVIER 2011

    EN COUVERTURE Droit de la concurrence

    pansion des entreprises. Cet exercice repose sur des analyses co-nomiques, au cas par cas. Nos interlocuteurs admettent cependant

    que cet aspect peut gnrer un certain flottement. Il existe des sec-teurs pour lesquels cette dlimitation est trs claire ; pour dautres,il y a matire discussion", souligne Peter L'Ecluse. Pour la tlvision

    par cble, le march pertinent peut tre la Flandre ou la Wallonie,mais lorsque lon vend des diamants, ce sera sans doute le marchmondial. Les entreprises du secteur de lnergie font lobjet de d-bats. Electrabel voudrait prendre pour rfrence le march euro-

    pen ou, tout au moins, celui de lEurope occidentale alors que lesautorits sen tiennent au march national. Dans lidal, le droit dela concurrence devrait tre un instrument neutre, un peu comme lecode de la route. Ces rgles ne font, en effet, de mal ou de bien personne, mais il faut les respecter pour viter des accidents. Il sagitnanmoins ici dune entreprise humaine, et il est trs difficile dap-pliquer exactement les mmes rgles des entreprises trs variessur des marchs totalement diffrents. Ce que lon appelle abus deposition dominante lillustre la perfection. Mme si lexpression

    Il ne faut pas fermer les yeux sur le travailde pression effectu auprs des autoritsde la concurrence Peter LEcluse

    4. Le droit de la concurrence constitue-t-ilun handicap pour sortir de la crise ?

  • 8/7/2019 Dans les fers du droit de la concurrence, FORWARD magazine, janvier 2011

    8/12

    Brussels School of Competition

    Une cole de droit de la concurrenceSige de la Commission europenne, des au -torits belges de la concurrence, de nombreu-ses entreprises et de grands ca-binets de conseil, la ville deBruxelles est la capitale mondia-le de la rgulation de la concur-rence. Pour autant, Bruxelles necomptait aucune formation sp-cialise en la matire. La FEB acombl cette lacune en mettant

    sur pied la Brussels School ofCompetition (BSC). Cette nou-velle cole propose, depuisoctobre 2010, un cycle completde cours en droit et conomiede la concurrence.

    A la tte de la BSC, Charles Gheur et NicolasPetit sont des directeurs dcole heureux. Ilfaut dire que le programme dtude rencont-re, ds sa premire anne, un vif succs. Il

    compte dj prs de 80 tudiants, parmi les-quels de nombreux juristes dentreprise, ainsi

    que des avocats et des tudiantstrangers.Une connaissance approfondie dudroit de la concurrence est lheureactuelle, plus quun atout, une n -cessit, souligne Charles Gheur,conseiller la FEB. Le programmea pour ambition dlever la connais-

    sance des entreprises et de leursconseils dans cette matire deve-nue incontournable.Pour mettre sur pied le programme,la FEB a pu compter sur lexpertise

    de Nicolas Petit, Professeur lUniversit deLige o il dirige un Master complmentaireen droit de la concurrence. Les conceptsmobiliss dans cette branche du droit re-quirent une connaissance approfondie dethories conomiques pointues et comple-

    xes. Chaque cours est ainsi coordonn parun duo de professeurs, le plus souvent com-pos dun juriste et dun conomiste.Le cycle de formation, sanctionn par undiplme, se veut compatible avec les con -traintes professionnelles. Les cours ont lieutous les vendredis aprs-midis, expliquePierre Sabbadini, assistant la BSC, mais ilest loisible, pour ceux qui ne pourraient passuivre lentiret du pro-

    gramme, de choisir cer-tains cours la carte.Le programme se diviseen effet en 12 modules,pousant les grandesthmatiques de lamatire : cartels, abusde position dominante,accords de distribution,fusions et acquisitions,aides dtat, etc.

    JJDeNayer/Tryptique

    Charles Gheur, Directeurde la Brussels School of

    Competition

    JJDeNayer/Tryptique

    Nicolas Petit, Professeur lUniversit de Lige

    35JANVIER 2011

    EN COUVERTUREDroit de la concurrence

  • 8/7/2019 Dans les fers du droit de la concurrence, FORWARD magazine, janvier 2011

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    de la socit (mesur comme la somme du bien-tre des produc-teurs savoir les profits et le bien-tre des consommateurs savoir la diffrence entre la valeur qu'ils accordent aux biens qu'ilsconsomment et le prix qu'ils paient pour ces biens) s'accrot avec ledegr de concurrencesur les marchs. Il estvrai qu'une restrictionde concurrence est sus-ceptible d'accrotre leprofit des entreprises,mais cet accroissementde profit est toujours infrieur la rduction de bien-tre qui estimpose aux consommateurs. On trouve donc l les effets positifsmacro-conomiques de la politique de concurrence, explicite PaulBelleflamme.

    En ce qui concerne limpact sur la croissance, nous devons, selon leprofesseur, faire rfrence linnovation. Le lien entre la concurren-ce et linnovation est difficile tablir, tant en pratique quen thorie.Pourtant, le droit de la concurrence tient compte aujourdhui des exi-

    gences spcifiques des entreprises novatrices. Lesmonopoles peuvent tre temporaires et des fusionsenfreignant les rgles habituelles sont autorises.Ou, pour reprendre les termes de Peter LEcluse enrponse la question de savoir si cette politiqueaide ou entrave nos entreprises, il est toujours bonde surveiller le fonctionnement du march, surtout

    en situation de crise, car cela permet de trier les brebis galeuses etles autres entreprises sont obliges de rester vigilantes.

    SBR

    L es aides dtat constituent un panimportant du droit de la concurren-ce. Parce que les tats sont parfois lespremiers violeurs du droit !, lanceJacques Derenne, associ du cabinetHogan Lovells et matre de confrences

    lULg (master complmen-taire en droit de la concur-rence). Sans les contrlesinternes lEurope, dontcertains dnoncent la lour-deur, lespace europen

    serait proprement dsint-gr par le nationalismepathologique des tats. Lacrise financire a, selon cet

    avocat spcialis, montr lutilit extr-me du droit de la concurrence. Il nefaut pas oublier trop vite quenBelgique, 51 milliards EUR ont tengloutis en quelques heures sous laforme de crdit exceptionnel d'urgen-ce (de la BCE et des autres banquescentrales) Fortis autour du 29 sep-tembre 2008, soit la moiti des recettesfiscales dune anne !.

    situation exceptionnelle, mesuresexceptionnelles : entre octobre 2008 etoctobre 2010, les aides dtat au sec-

    teur financier avalises par laCommission europenne se sont le-ves 4.600 milliards EUR. Lessentielde la manne a consist en engage-ments de garanties, dont 32% seule-ment ont t rellement pays. Sur ces4,6 trillions, 329 milliards ont t accor-ds la Belgique, selon le derniertableau de bord de la Commissionpubli en dcembre. Cest le rsultatdune pratique exceptionnelle de laCommission dont les agents ont tra-

    vaill sept jours sur sept et pris certai-nes dcisions en une nuit. Plusieursdizaines de personnes ayant une exp-rience en aides dtat ont t rappe-

    les de tous les servi-ces de la Commissionpour constituer unetaskforce, et la com-missaire Neelie Kroesa t autorise, pen-dant deux ou trois

    mois, prendre des dcisions sanspasser par la lourde procdure du col-lge des commissaires. Sans cela, cau-

    rait t la jungle, raconte JacquesDerenne.

    Une fois la menace dimplosion du sys-tme carte, certains observateurs ontcommenc sinterroger. Faut-il exi-ger des cures damaigrissement dras-tique au risque de voir des oprationsde cession imposes aux uns mener la cration de nouveaux groupes tou-jours plus grands, plus puissants et

    donc plus risqus ?, questionne lebanquier Axel Miller dans un livre paruen 2010 (*). La question souleve estcelle du point dquilibre entre la viabi-lit ncessaire dune banque et lesacrifice quelle doit consentir en com-pensation de laide reue afin de limi-ter les distorsions de concurrence.Certaines banques ont subi de fortesrductions bilantaires, dautres ont dprendre des mesures favorisant louver-ture du march de nouveaux concur-

    rents, une banque allemande (WestLB)sera mme privatise Le scnario estdiffrent pour chaque banque, selonson profil de risque et ses difficultspropres, et il ne me parat pas justifide comparer un cas avec un autre,dautant que le texte non confidentielde toutes les dcisions de la Commis-sion na pas encore t publi, argu-mente Jacques Derenne. Le constatprincipal me semble tre le suivant :avant la crise, certaines banques taienttrop grosses pour que leur faillite soitenvisageable, alors quaujourdhui,

    dans chaque tat membre, il devraittre possible dexaminer si une banqueen situation difficile mrite dtre sau-ve eu gard son utilit sur le mar-ch ou non, sans pour autant provo-quer une crise systmique.

    CHS(*) Bruno Colmant et Axel Miller, LeCapitalisme daprs, Ed. De Boeck &Larcier, 2010.

    Neelie Kroes a t autorise, pendantdeux ou trois mois, prendre des dcisionssans passer par la lourde procdure ducollge des commissaires Jacques Derenne

    Aides dtat au secteur financier : la valse des trillions

    Il est toujours bon de surveiller lefonctionnement du march, surtouten situation de crise Peter LEcluse

    36 JANVIER 2011

    EN COUVERTURE Droit de la concurrence

  • 8/7/2019 Dans les fers du droit de la concurrence, FORWARD magazine, janvier 2011

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    voulu reprendre Scarlet en 2008, a t oblig de revendre lerseau de ce dernier. Depuis les modifications de 2005, lesconcentrations impliquant au moins 2 entreprises prsentantun chiffre daffaires de 40 millions EUR chacune et dau moins100 millions EUR ensemble doivent tre notifies. Ce contr-le des concentrations est intressant, mme si nous en ap -prouvons la plus grande part, souligne Stefaan Raes, prsi-

    Les ententes caractrises sontune priorit absolueDepuis cinq ans environ, les autorits belges font, elles aussi, davantage parler delles. Se dbar-rassant de leur poussireuse image de gratte-papier, elles enqutent de plus en plus souventactivement. Ainsi lAuditorat a-t-il rcemment encore perquisitionn chez Belgacom et renduvisite aux entreprises de manutention de fret laroport. Ces enqutes se fondent presque tou-

    jours sur des plaintes et des demandes de clmence. Ce nest pas lambition de contrler pro-activement le march qui manque, mais plutt les effectifs.

    Une politique de la concurrence active en Belgique

    E n 2008, le Conseil de la concurrence a constat pas moinsde 5 ententes illgales. En 2009, il ny a eu quune seulecondamnation, savoir la retentissante affaire Belgacomo lentreprise, accuse dabus de position dominante, sest vuimposer une sanction de 66,3 millions deuros. Pour 2010, lescompteurs affichent 3 condamnations dbut dcembre. On ose-rait presque y voir une sorte de cycle. Une impression que confir-me Bert Stulens, auditeur gnral et responsable de lquipe

    denqute de lAutorit belge de la concurrence : Cela est d aufait quune instruction requiert souvent plusieurs annes. LeConseil doit donc prendre un nombre important de dcisions decondamnation en une anne et presque aucune lanne da-prs. Un phnomne technique donc. Ou pourrait-il tout demme y avoir une explication conjoncturelle ? Il existe djune thorie ce sujet. Il a, en effet, t dmontr scientifique-ment que les priodes de crise sont propices aux accords tari-faires entre entreprises. Bert Stulens estime toutefois que rienne prouve, dans les cas concrets belges, quil y ait un lien vi-dent entre la crise et certaines affaires. Afin de dissiper toutmalentendu, rappelons quil est question ici de dcisions decondamnation. Dans de nombreux autres dossiers, il a t

    conclu, aprs instruction, quil ny avait pas d'infraction ouquil ny avait pas assez de preuves. Dans certains cas, lesautorits dcident de mesures provisoires jusqu ce que laf-faire soit entirement rgle. Ainsi, le groupe diamantaire DeBeers a-t-il rcemment t condamn fournir des diamants l'entreprise anversoise Spira. Cette dernire a t vince lors-que De Beers a modifi son systme de distribution. Abus deposition dominante, a estim Spira qui sest empress de porterplainte, assurant ainsi ses livraisons jusquau verdict dfinitif.

    Mais o sont les concentrations ?Les entreprises qui veulent fusionner ou faire

    des acquisitions doivent en informer lesautorits belges si elles dpassent cer-tains seuils. Celles-ci peuvent alors inter-dire ou approuver la fusion. Ou poserune condition. Ainsi, Belgacom, qui avait

    Dans certains pays, les ententes illgales font gale-ment lobjet de sanctions pnales. Ce nest pas le casactuellement en Belgique. Stefaan Raes, prsident duConseil de la concurrence : Cest bien que ce ne soitpas le cas pour linstant. Il vaut mieux dabord mettreen place une politique publique stricte dapplicationde la lgislation par les autorits de la concurrence,avant den arriver aux sanctions pnales et surtout auxpeines demprisonnement. En Belgique, il sembleplus probable denvisager l'imposition d'amendesadministratives aux personnes physiques, savoir les

    administrateurs et les directeurs des entreprises ayant commis uneinfraction. Mais ce nest pas tout. Les recours collectifs pourraientgalement reprsenter une menace supplmentaire pour les entre-prises. Je crois que nous en passerons par l, dclare Stefaan Raes.Au niveau europen, on a dj la ferme intention dlaborer desrgles uniformes pour tous les tats membres, et je ressens gale-ment une volont, au niveau belge, dintroduire des recours collectifspour toutes les infractions o il y a ce que lon appelle des domma-ges fragments. Les infractions au droit de la concurrence ne sont,en effet, pas les seules, mais elles en sont un exemple typique. Et lesentreprises devront faire attention car, en plus des fortes amendes,

    elles seront galement confrontes des indemnisations 'sales' auxvictimes, avec, comme consquence, que les montants pourront trebien suprieurs ce quils sont aujourdhui.

    Demain, des peinesdemprisonnement ?

    37JANVIER 2011

    EN COUVERTUREDroit de la concurrence

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    souvent victimes des ententes dans la sphre B2B. Les ac-cords tarifaires minent lenvie dinnover et sont donc, long

    terme, nfastes pour les entreprises membres du cartel elles-mmes. Les ententes caractrises sont pour nous une prio-rit absolue, mme si lhonntet moblige ajouter que contrairement la Commission europenne la plupart desautorits nationales de la concurrence sont encore souventconfrontes labus de position dominante. La libralisation

    dent du Conseil de la concurrence. Nous sommes ainsiinforms des mouvements du march. Depuis le relve-ment des seuils en 2005, pas mal de choses chappent nan-moins leur radar. Les autorits ont, par exemple, du mal suivre la trace dun acteur de march qui effectue successi-vement plusieurs petites acquisitions, mais reste chaquefois sous le seuil de notification, et ce, mme si lentrepriseacquiert une position dominante. Stefaan Raes ne se dit pasmcontent pour autant. cause des seuils de notifica-

    tion trop peu levs, nous passions notretemps sur le contrle des concentra-tions. Depuis la modification, nous avonsau moins le temps de nous attaquer auxpratiques restrictives de concurrence,

    savoir les cartels et les abus de positiondominante. Et cest une volution trspositive. Autrement dit, iI sagit dopti-maliser les moyens disponibles. Car lapolitique antitrust compte aujourdhuiparmi les priorits de presque toutes lesautorits de la concurrence, y compris auniveau belge. Bert Stulens : Lorsque le

    bon fonctionnement du march est mis hors-jeu, cela a uneffet ngatif immdiat sur la prosprit et sur le consomma-teur. Il ne faut pas oublier non plus que les entreprises sont

    2010 en un clin dilQue retenir, finalement, dune anne de surveillance antitrust en Belgique ? Quelques perquisitions, la condamnation sans sanctionpcuniaire dune association professionnelle, celle avec amende cette fois de plusieurs fabricants de radiateurs, un jugement provi-soire contre le numro un du diamant ainsi quun nombre significatif de classements sans suite par lAuditorat auprs du Conseil dela concurrence, le dlai de prescription tant atteint.

    Janvier : LAuditorat pingle des pratiques de hausses coordonnesdans le secteur des produits alimentaires vendus dans la grande dis-tribution.

    Mars : Le Conseil de la concurrence approuve la reprise de KPN Bel giumBusiness par Mobistar, moyennant le respect de certaines conditions.

    Avril : LAuditorat suspecte des accords et/ou pratiques concertesdans le secteur du ciment et de la fabrication de bton prt lem-ploi, en particulier la vente de laitier moulu.

    Mai : Le Conseil impose des amendes (3,5 millions EUR) pour cons-titution dun cartel dans le secteur des radiateurs.

    Juin : Perquisitions au sein dentreprises actives dans le secteur delacheminement du fret arien laroport de Bruxelles national.Accords et/ou pratiques concertes dans le secteur des tests ESB,selon lAuditorat.

    Aot : Le Conseil condamne l'Institut Professionnel des Agents Immo-biliers pour avoir tabli et diffus des barmes minima recommands.

    Il ne faut pas oublier que les entreprisessont souvent victimes des ententes dans

    la sphre B2B

    Bert Stulens

    38 JANVIER 2011

    EN COUVERTURE Droit de la concurrence

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    cours des annes venir, il parvient transmettre 5 6 infrac-tions par an au Conseil de la concurrence. Cinq ou six, cenest sans doute que le sommet de liceberg, mme si lasituation sur le terrain est difficile valuer. Il semble, toute-

    fois, trop tt pour dire si les entreprises belges en conclurontque des poursuites sont improbables. En 2010, lAuditorat a

    russi dposer 8 dossiers et prtend ne pas laisser passerun signal srieux du march.

    Au niveau europen comme en Belgique, cest souvent uneplainte qui met les autorits sur la voie. Mais dans 80% desdossiers, un participant un cartel fait appel au programmede clmence qui, en change de sa confession, lui assureraune exonration de sanctions. Ces amendes sont dailleurstoujours proportionnelles au chiffre daffaires. Ce nest doncpas parce que les autorits belges sont moins strictes queleurs amendes sont moins leves que les amendes euro-pennes. Il sagit simplement dentreprises prsentant deschiffres daffaires moins levs.

    Sofie Brutsaert

    de certains secteurs issusdune position de monopo-le ne se droule pas tou-jours bien. Ces affaires ontassez souvent trait lner-gie et aux tlcommunica-tions. Et sont, par ailleurs,

    un peu plus difficiles prouver. Car il nexiste pasde rgles prcises sur ceque lon entend prcis-ment par abus de positiondominante.

    En vitessede croisire ?Nos autorits belges ont-elles atteint leur vitesse de

    croisire ? Sans doute pas encore. Bert Stulens : De gros pro-grs ont t raliss par rapport au pass, mais pas encore

    assez pour que nous puissions parler aujourdhui dune ma-chine parfaitement huile. On se plaint surtout du manquedadquation entre les moyens accords aux autorits et lescomptences dont celles-ci disposent. Bert Stulens rve, parexemple, dinstructions sectorielles proactives, mais les effec-tifs manquent. LAuditorat peut parler dun bon rsultat si, au

    Septembre : Le Conseil rejette deux recours contre des dcisionsde classement de plaintes par l'Auditorat dans le secteur de la diffu-sion et de la distribution des livres franais en Belgique.

    Octobre : Perquisitions au sige de Belgacom, suspect par daut-res oprateurs de pratiques dobstruction dans les services degros DSL.

    Novembre : Le Conseil se prononce sur le maintien des conditions lgard de Telenet concernant la transmission en direct des mat-ches du championnat de Belgique de football.

    Dcembre : Le Conseil dcide que De Beers, le plus gros produc-teur de diamants au monde, doit continuer fournir lentrepriseanversoise Spira. Mais l'affaire devra encore tre traite sur le fond.

    Lavocat Johan Ysewyn du cabinet Linklaters, professeur laBrussels School of Competition, pointe la volont manifeste du

    Conseil de la concurrence de centrer sa surveillance sur les secteurstouchant particulirement le consommateur final. Cette tendance at illustre dans diffrentes affaires impliquant les architectes, lesauto-coles, les boulangers et a t confirme, en mai dernier, danslaffaire des radiateurs. Elle sera vraisemblablement poursuivie dansles mois venir au travers des dcisions clturant des affaires impli-quant des acteurs de la grande distribution, du chocolat et des pro-duits de droguerie, entre autres.

    On peroit clairement une volution dans la pratique dcisionnelledes autorits belges de concurrence. Nous ne pouvons que nousrjouir de laugmentation de la qualit croissante des dcisions carelle amliore la scurit juridique. On espre aussi, terme, unerduction de la dure de traitement des affaires, un lment crucialpour les entreprises, conclut Johan Ysewyn.

    CHS et PS

    LAuditorat peut parler dun bonrsultat si, au cours des annes venir, il parvient transmettre 5 6 infractions par an au Conseil dela concurrence. 5 ou 6, ce nestsans doute que le sommet deliceberg

    cause des seuils de notification troppeu levs, nous passions notre temps surle contrle des concentrations

    Stefaan Raes

    EN COUVERTUREDroit de la concurrence