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 Les C@hiers dePsychologie politique

revue interactive d'information et de dialogue

N° 3 - Avril 2003

Page de bienvenue des Cahiers de psychologie politique

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Editorial Point de vue : la face émergente d'unnouvel empire A. DORNA

Articles Le retour aux chantiers de lapsychologie politique A. DORNA

 Particularités du post-communisme enRoumanie L. BETEA

 Actualidad  e historia de la psicologiapolitica latinoamericana

A. RODRIGUEZKAUTH

La création d’un délit de manipulationmentale. Histoire d'un débat faussé.

M. VILLATTE, D. SCHOLIERS et E. FREIXA i BAQUé

Les aspects culturels de la négociationinternationale

 S.  RADTCHENKO-DRAILLARD

Les leçons morales de l'histoire S. TOMEI

La terreur comme fondation,  del’économie émotive de la terreur.

S. WAHNICH

L’effet “groupthink” dans “larévolution roumaine” (1989) L. BETEA

Communicationsbrèves

 EPoPs European Political PsychologyNetwork

 

   Considérations psychopolitiques surune actualité de crise J. BARUS-MICHEL

Entretiens etdébats

Les perspectives de contrôle socialoffertes par le behaviourisme

D. LESUEUR et E.FREIXA i BAQUE

Le leadership politique en Russie – deGorbatchev à Poutine  A. MELNIK

 Le terrorisme : un sujet d’étudescientifique ? P.  MANNONI

Chronique deslivres

A propos de "La Société défensive" de MichelMonroy  

   La question des guerres civiles et leprocessus de réconciliation  

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In memoriam Harold GERARD  

    Françoise SUBILEAU  

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Point de vue : la face émergente d'un nouvelempire

Une fois n'est pas coutume, je n'abuserai nullement des éditoriauxde notre revue pour faire passer mes opinions politiques. Or, laguerre si longuement annoncée est là avec la triste logique desraisons qui se camouflent sous les méandres des interprétationspsychologiques. Cela nous concerne donc, et exige un certainpositionnement, pour y voir un peu plus clair. C'est uneresponsabilité citoyenne et intellectuelle.Je ne pense pas que l'étude (simple hypothèse) de la personnalité de G.W. Bush nousapportera plus d'explications que l'analyse des circonstances. Car, ce qui se passe dansla "tête" d'un homme politique est en rapport étroit avec une situation, dans laquellel'histoire et la culture pèsent autant que les expectatives d'une guerre.  Bref, si lapsychologie est un mauvais oracle politique, elle permet néanmoins de saisir quelquesmécanismes utiles. Certes, il n'est question d'oublier ni la géopolitique ni les intérêtséconomiques en jeu, mais d'évoquer une variable : l'effet d'expectative.

Certains travaux de la psychologie politique montrent comment l'enjeu militaire etpolitique (pléonasme!) est surdéterminé par les expectatives, puisque la nature desactions n'est pas la même selon qu'on prédit une réussite ou un échec.

L'expectative d'une victoire peut, au moment décisif, faire la part du risque pour nevoir que le gain. C'est le cas aujourd'hui avec la décision américaine d'intervenir enIrak, car une partie importante de la classe gouvernante américaine pense que lesÉtats-Unis se trouvent devant un dilemme: gérer le déclin ou bâtir un véritable empire. Deux thèses se sont de tout temps affrontées au Pentagone : la politique del'endiguement ("contaiment") et celle de la maîtrise par la force ("liberation"). Le jeude la domination en tant que superpuissance économique à moindre risque et le sautvers la construction d'un empire territorial. Colombes contre faucons, donc ? Choixtactique plutôt, la stratégie d'une volonté de puissance étant inscrite dans la culture

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politique américaine.

La chute de l'empire soviétique marque la fin de l'endiguement et l'exigence d'un ordrepolitique nouveau, capable de mener à terme la mondialisation culturelle etéconomique selon le modèle américain.

Ainsi fallait-t-il quelques tests symboliques pour réfléchir sérieusement à la deuxièmethèse : développer la stratégie de l'empire.  La première guerre du Golfe est alorsl'épilogue de la stratégie de l'endiguement (Gorbatchev était encore le responsable del'Union Soviétique), tandis que celle-ci est le moment de la cristallisation de lapolitique d'expansion territoriale de l'empire. Car l'ouverture historique de la fenêtre detir ne durera pas très longtemps. L'avertissement de S. Huntington ("Le Choc descivilisations", 1995) est fort parlant, car d'autres superpuissances menacent à longterme l'avenir hégémonique de l'Amérique. 

Dans ce contexte, les attentats du 11 septembre ont permis à Bush fils et à sa cohortede conseillers conservateurs, de mettre en pratique la thèse de l'exportation de ladémocratie à l'américaine par la force.

Dans un ouvrage, effacé par le temps, J. Burnham (1953) expose l'arrière-penséepolitique américaine en ces termes :

         " Il y a des raisons de croire que ce qui paraît aujourd'hui une crise mondialeest, historiquement, la crise de la civilisation occidentale. Dans cette hypothèse, laquestion dont il s'agit est celle de savoir si la civilisation occidentale  est capable desurmonter sa tendance au suicide... "

Aujourd'hui, l'Union Soviétique disparue et l'Europe divisée, rien n'empêche lesÉtats-Unis de franchir le Rubicon. La nouvelle "croisade" peut commencer.

Les prémisses sont claires. La tactique de la "pax americana" doit céder sa place à lastratégie de l'empire. Les conditions géopolitiques sont réunies pour faire des USA l'empire romain du XXIe siècle, car les guerres impériales sont l'issue pour unOccident en manque de renouveau.

Ainsi la question irakienne n'est-elle pas une lubie du président américain (transmisede père en fils), mais le résultat d'une ancienne vision d'empire qui arrive à maturité aubon moment. Cette guerre lui semble une question vitale: les États-Unis se sententmenacés et en danger, tout en étant les plus forts.

Paradoxalement, l'Amérique profonde a compris, depuis le 11 septembre, qu'elle estmortelle. D'où la position d'une majorité des Américains en faveur de la guerre.Logique. C'est la conséquence d'une société dont la mentalité, défensive etisolationniste, s'est forgée sur un sentiment d'invulnérabilité et sur la croyance d'êtreporteuse de grandes valeurs morales. Or, aujourd'hui, cela leur semble être remis enquestion.

Et du côté de la France ? La crise irakienne a montré le flou de la

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construction européenne, la fragilité des institutions internationales,et le rôle ambigu de la "vieille Europe". Le jeu diplomatique estpiégé entre les principes et le pragmatisme. La France se trouve -mutatis mutandis- dans la position de l'ancienne Grèce, devant leslégions romaines et au milieu d'une crise dont personne ne peutdéceler les conséquences.Les réflexions de Plutarque, grec d'origine et romain d'adoption,sont devenues d'une étonnante actualité : " (L'homme d'État ) ... s'ilne peut garder son pays entièrement à l'abri des troubles, essaieradu moins de guérir et de contrôler de l'intérieur le désordre etl'agitation, en les cachant, afin d'avoir le moins possible desmédecins et des remèdes extérieurs"Les conseils de Plutarque sont certes une parabole exemplaire, carla concorde est le but de toute véritable république.                                                                  Alexandre Dorna

                                                                 

Références :

Burnham J. (1953) : Contenir ou libérer. Calmann-Levy.Huntington S. (1996 ) : Le Choc des civilisations.

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Le retour aux chantiers de lapsychologie politiqueParticularités dupost-communisme en RoumanieActualidad  e historia de lapsicologia politicalatinoamericana La création d’un délit demanipulation mentale. Histoire d'un débat faussé. Les aspects culturels de lanégociation internationale

Les leçons morales de l'histoire

La terreur comme fondation,  del’économie émotive de la terreur.L’effet “groupthink” dans “larévolution roumaine” (1989)

 

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Le retour aux chantiers de la psychologie politique

 Alexandre Dorna

La vivacité de la psychologie politique se mesure par la profondeur de la crise. Il n'est pas question ici derefaire l'inventaire de malaises et de représentations qui l'accompagnent  (Dorna 1998). En revanche,plusieurs "chantiers" se sont re-ouvert, notamment : la mémoire collective, le discours politique, lenéo-populisme, le charisme, le machiavélisme et surtout l'énergie de fond : la crise de la démocratiereprésentative. Il y a bien d'autres chantiers qui se développent pas à pas : la citoyenneté, la justice, lacorruption, les médias, les femmes en politique, la démocratie participative, les stratégies identitaires, lenouveau syndicalisme, etc. Ces chantiers concernent des préoccupations concrètes des nos sociétés etméritent toute notre attention, afin d'essayer, si cela est possible, de résoudre, ou d�atténuer, certainsdysfonctionnements socio-politiques qui menacent l'équilibre social.

     1. Comprendre les mécanismes de crise de la société moderne.

Voilà un vaste chantier. Comprendre les changements et les crises fait partie de l'enjeu de la psychologiepolitique. Il faut insister sur un point : la crise actuelle de la modernité est d'autant plus profonde qu'ellerésulte d'un télescopage des crises préalables. C'est une des raisons qui expliquent en partie l'impuissance dudiscours politique contemporain et le rétrécissement de la conscience citoyenne. Pour ce faire, un diagnosticaussi complet que possible se révèle indispensable. L'art de l'analyse nécessite non seulement de cerner leséléments en jeu et de délimiter les enjeux, mais surtout d'en tirer une vision d'ensemble et de proposer unestratégie d'ajustement ou de changement. 

Une telle démarche n'a pas été encore clairement envisagée, sauf dans un cas exceptionnel : au moment de lamontée du fascisme en Allemagne, avec la création de l'Institut des Recherches Sociales à Francfort.

Pour mémoire : l�École de Francfort représente l�apport le plus systématique au développement de lapsychologie politique dans les années 30 en Allemagne. C�est le groupement dans l�urgence d�un nombreconsidérable de penseurs, autour d�un projet d�explication de l�autoritarisme antisémite et fasciste.

Les noyaux durs de la réflexion sont:

- sociologiques-économiques: le nazisme n�est pas un accident historique, mais le fruit d�une conjonctureprécise au regard du développement du capitalisme monopoliste.

- politiques: le capitalisme monopoliste trouve une solution à ses contradictions dans un régime autoritairefasciste.

- psychologiques: si la société accepte le nazisme, on en découvre la raison dans la formation psychosocialedes préjugés et de la culture.

C�est un travail théorique considérable et inachevé. Fortement marquée par le marxisme, l'originalité despenseurs de l'école de Francfort porte sur le déplacement de l'objet d'étude économique et politique vers lepolitique, le psychologique et le culturel. C'est une tentative de reprendre une approche critique de la sociétéde leur époque.

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Faut-il rappeler que l�arrivée d�Hitler au pouvoir, en 1933, oblige l�Institut à prendre le chemin de l�exil,d�abord à Genève, puis à Paris où est publié l�ouvrage collectif «Études sur l�autorité et la famille» enl936, ensuite à Londres, et finalement à New York   Leurs travaux sont encore des outils puissants pourcomprendre les processus de crise de la société et de la culture occidentales.

Quelques membres de l�École de Francfort ont marqué profondément la psychologie sociale dans sonapproche de la politique. Notamment:

Max Korkheimer (1895-1973), directeur à partir de 1930 du groupe des chercheurs, est un analyste desmécanismes de socialisation. Il développe dans «Autorité et famille» (1935) la thèse selon laquelle ladisproportion entre ce que la société promet à ses membres et ce qu�elle leur accorde, joue un rôle trèsimportant dans la formation de la personne. La famille est le ciment et le lien psychologique par lequel lasociété imprègne l�enfant de la structure sociale spécifique qui lui correspond ainsi à l�âge adulte. C'est leterrain prédisposé à la production des préjugés sociaux. Le nationalisme (allemand) s�explique à travers cesparamètres.

Eric Fromm (1900-1980) est un autre des théoriciens dont la formation psychanalytique est hétérodoxe. Trèstôt, il développe une interprétation qui s�écarte de la pensée dominante même à l'intérieur du groupe deFrancfort. L�homme n�est pas figé dans une nature biologique, dit-il, s�opposant à Freud. La nature de l�homme, ses passions et ses angoisses sont un produit de la culture. Il s�inscrit ainsi comme l�un desfondateurs de la tendance «culturaliste» qui connaîtra un développement formidable aux États-Unis autour deM. Mead et K. Horney.

L�ambition de Fromm est de réinterpréter Freud selon Marx. La liberté (dit-il) est un fardeau quand lesconditions économiques et politiques la rendent illusoire. Ce sentiment accélère le besoin de s�intégrerautrement dans la société. Le sujet, dont la frustration est devenue insupportable, remplace les déterminismesde l�enfance (famille) par ceux qui émergent des structures sociales autoritaires (rassurantes) et des actionsd�évasion. Cela s�accompagne d�un état psychologique paradoxal : les gens ne sont pas conscients deleurs besoins de conformisme. Ils vivent dans l�illusion de leur autonomie. En fait, le consensus leur fournitla preuve de la justesse de leurs croyances. C�est la recherche par des millions d�hommes d�un refugecontre la «peur de la liberté» qui explique l�autoritarisme: «le nazisme est un phénomène économique etpolitique, écrit-il, dont les répercussions sur l�ensemble d�un peuple doivent être expliquées en termes depsychologie».

 Theodor Adorno (1903-1970). Philosophe de la culture, musicologue de renommée mondiale, théoricienmarxiste et psychologue politique, dont l'Suvre se révèle être le vecteur de la réunion de tendances théoriqueset méthodologiques diverses, et même contradictoires. Cependant ce sont les recherches sur «la personnalitéautoritaire» qui ont rendu Adorno intensément connu dans le milieu psychologique. Elles ont fait de lui undes piliers de la psychologie politique contemporaine.

Reprenons le fil central de nos propos. Dans l'histoire collective (autant qu'individuelle), les crises sont despériodes critiques (l'étymologie est la même: discerner, décider, juger) entre deux équilibres. C'est le momentdécisif pour envisager les formes du passage, et pour éviter des conséquences incontrôlées. La crise est uneconjoncture accoucheuse d'idées novatrices et de comportements extrêmes. La dynamique et l'énergie descrises sont en relation directe avec l'idée que les hommes se font des conséquences de leurs actions.

Pour le psychopolitologue, dont le regard est  nuancé, les effets des crises sont multiples : perturbationsémotionnelles, troubles devant le désordre et l'incertitude. Surtout, il faut ne pas oublier que les changementsissus des crises sont associés, dans le vécu des sujets, à des sentiments d'incompréhension, d'insécurité,d'anxiété, de souffrance, d'espoir et de déception.

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Le symptôme majeur d'une crise sociale profonde, écrit Ridel (1991), est la déstructuration de l'identitécollective et individuelle. L'homme est confronté dans des situations critiques à un cadre flou et souventchaotique, il n'arrive pas à se faire une idée d'ensemble ni à trouver un fil conducteur. Il éprouve le sentimentd'être dans un dédale incompréhensible où personne ne semble capable de mettre l'ordre du monde à laportée de tous. Observé de manière (quasi) clinique, l'homme qui cherche du sens au cSur d'une crise socialeprofonde est une masse qui s'ignore, une force qui se pense faible, un questionnement multiple dans l'attented'un éclairage qui ordonne le monde confus d'une manière simple. Cet état psychologique est un processussocial, un mouvement au rythme asynchrone. Une accélération peut se déclencher à tout instant, car lesforces politiques et sociales se mettent en marche généralement à la suite d'événements mineurs.

La crise est le résultat d'une interruption (plus ou moins aiguë) des liens entre le vécu immédiat et le cumuld'explications acquises par la personne dans son interaction avec le milieu social. L'homme est un animalintersubjectif, qui a besoin, pour se coordonner avec les autres hommes, d'une image cohérente du monde.C'est une figure de protection, qui fixe la conscience immédiate, la manière d'être perçu par les autres,l'estime de soi et les émotions. Ici, la crise est un processus de ré-organisation de l'expérience personnelle. Iln'y a pas un ordre (externe) objectif, normal et salutaire, et universellement explicable. Aussi la crise est-elleune émergence, c'est une coupure du sens et de la continuité temporelle de l'unicité. Le débordementémotionnel affaiblit la conscience ; la personne ne réussit pas à échapper à l'expérience immédiate dudanger ; le cadre perceptible (le degré de conscience) se rétrécit ; le processus d'intégration des perceptions(nouvelles) et les mécanismes de la cohérence se font plus rigides. L'épisode psychotique représente un casextrême, où la séparation entre l'expérience immédiate et l'explication évoquée devient brutale. 

En conséquence, le diagnostic de la société actuelle est un véritable défi épistémologique surl'importance des croyances. Les travaux récents de Garzon et Seoane (1996) sur les systèmes de croyances"postmodernes" s'inscrivent dans cette perspective. Ils renouvellent l'étude des mentalités et de l'historicité psychologique. Un modèle général à partir de trois dimensions (politique, sociale et culturelle) est proposé.La dimension politique est le reflet de la volonté et la direction de ce que les hommes veulent à un momentdonné ; la dimension culturelle correspond à leurs représentations du monde et la dimension sociale n'est riend'autre que l'expression de leurs sentiments.

Enfin, pour mieux comprendre le sens et l'irruption des crises, il est prioritaire non seulement d'actualisercertains thèmes (par exemple la soumission à l'autorité, le modèle de la personnalité démocratique, lapersonnalité machiavélique) mais encore d'explorer la psychopathologie des situations, le leadershipcharismatique, l'expérimentation des comportements de contre-pouvoir, d'examiner les méthodes d'éducationcivique, les tests de cohésion sociale, la connaissance du rythme politique, l'intégrisme sous ses diversesformes.

2. La mémoire sociale : un chantier stratégique en reconstruction.

La mémoire collective est un de plus riches chantiers dont dispose la psychologie politique actuellement. Siles sources sont anciennes, Bartlett, Berr, Blondel, Halbwachs et d'autres, l'actualisation est en cours et tisseune toile très étendue qui englobe d'autres disciples anciennement proches, mais jusqu'à présent cloisonnéespar les structures académiques.

C'est le cas en France ces dernières années où, dans le cadre de la psychologie sociale et clinique, denombreuses études, Jodelet (1992), Rouquette (1994), Hass (1997), Kiss (1999), Laurens et Roussiau (2002)mettent en relief d'une manière très pertinente le rôle et la portée de la mémoire dans les contextes politiques.

H. Arendt (1972) avait évoqué jadis, à propos du procès d'Eichmann, la signification psychopolitique et le

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fonctionnement technocratique de la machine meurtrière du nazisme, mais c'est l'analyse de Jodelet ( 1999)qui met en lumière la signification de la mémoire dans les conflits entre les propres victimes lors dujugement de Barbie. Par ailleurs, l'étude monographique de Hass (1999) articule finement la mémoirecollective avec le processus identitaire, en fonction des traces historiques qui imprègnent l'histoire de la villede Vichy. L'essai de Rouquette sur la psychologie des masses réserve une belle place à la mémoire sociale,mais sans l'analyser directement. Quant au travail clinico-social de Kiss ( 1999  ) sur l'obéissance  contraireaux droits humains, il éclaire les processus de la mémoire, à partir des entretiens, concernant des "collabos",des tortionnaires, des criminels de guerre et des dictateurs.

D'autres contributions sont à retrouver dans les travaux du sociologue Namer (1987) à la fois sur l'Suvred'Halbwachs et les pratiques commémoratives en France. Le philosophe Debray (1998) propose une grille delecture très érudite sur les "monuments" comme médiation de la mémoire collective. Le monument cacheune tragédie : c'est une masse mise en valeur par le vide, écrit-il. C'est le jeu entre l'oubli et le motif. Leparaître qui risque de ne rester qu'un vestige en l'absence d'une éducation publique du sens. La mémoire estune affaire de pouvoir, tel que certains le posent aujourd'hui. 

Par ailleurs, faut-il insister, la mémoire n'est pas une chose. Elle est changeante, mais obéit à des règles detransformation ; elle est à la fois sélective et culturelle ; elle incorpore les expériences, afin de fabriquer denouvelles cohérences au fur et à mesure que les évènements se passent, se stockent et s'actualisent. Processushistorique et social donc. Un "bricolage" de pièces d'origines différentes dans une cohérence culturellenouvelle.

Toutefois, la mémoire travaille à la fois pour oublier et se souvenir. Il y a là une sorte de solidarité destermes, puisque les données de la mémoire ne sont pas fixes pour toujours. La synergie de la mémoire semanifeste dans le rapport entre l'affectif et la raison au sein d'une histoire, d'une culture et d'une société.Mais, bien entendu, tout ne se passe pas sans conflits. Quant le passé possède une autorité transcendante, leprésent se reproduit,  c'est la dimension "normative" de la mémoire sociale ; mais le conflit est latent avecceux qui sont attirés par le changement. C'est la dimension "innovatrice", chacun s'approprie le passé selonses re-lectures et ses inserts. Certes, ce conflit n'est pas inexorable : la tradition peut incorporer lesinnovations et vice versa.

La tradition, écrit Trompson (1995), concerne quatre éléments :

- L'herméneutique : il y a un cadre perceptif avec lequel les individus et les masses s'expliquent la réalité etdonnent sens au présent en fonction des expériences passées ;

- Le normatif : c'est le magistra vitæ.  La tradition donne la définition de ce qui est licite, tolérable,acceptable ou ne l'est pas dans une situation donnée,

- L'identitaire : la tradition collabore à défendre l'identité sociale,  à en rendre la spécificité et même à fournirune "stratégie identitaire" (Cuche 1999) ;

- La légitimation : la mémoire des mythes fondateurs est source de la légitimité du pouvoir traditionnel.

Cette grille s'avère utile dans l'analyse des "corrélations de forces" entre les dimensions normatives etinnovantes. Mais c'est un tort de croire que la seconde remplace clairement la première. La société atendance à consolider une mémoire officielle dans une nébuleuse de souvenirs devenus symboles et presqueinvisibles à l'Sil nu. Paroles perdues donc ? C'est là que l'actualisation des mémoires peut constituer unestratégie de résistance. Car l'histoire officielle finit, malgré elle ou à cause d'elle, par devenir une aliénantesource de domination.  

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C'est là que la mémoire peut être perçue comme un espace stratégique de résistance. La présence d'unphénomène "charismatique" (Dorna 1998 a) au sein d'une société dans un moment de crise, où l'affectif et lalogique du politique s'affrontent, est propice à l'actualisation de la mémoire innovatrice.

Pour illustrer, brièvement, ces propos, il est utile de faire appel à une situation actuelle largement médiatiséede surcroît : l'irruption de l'armée zapatiste de libération nationale (EZLN) au Mexique et l'émergence d'unleader charismatique (Marcos), dont la parole, la persévérance et la stratégie médiatique marquent untournant dans l'histoire politique de ce pays. C'est au fond un vrai cas d'école pour l'étude de la mémoirecollective politique. Ici, la relation sujet-histoire-mémoire-politique se montre à ciel ouvert.

L'EZLN est porteuse d'une histoire (populaire) et d'un discours (politique) où la mémoire de la nationindigène représente le pivot central. C'est un défi à la culture réifiée et à l'idéologie de la fin de l'histoire, quiexprime le besoin de redéfinir les termes de la relation entre démocratie et néo-libéralisme, l'idée de lasociété civile comme sujet historique et la question de l'indigénisme et du sort des opprimés.

Étrange mélange de tradition et de modernité, de culturalisme et de cosmopolitisme, de figuresrévolutionnaires et d'une utilisation étonnante des médias. Il y a là une vision transversale des enjeuxidéologiques actuels et une volonté de dépassement des impasses de la mondialisation. Ainsi, le discourszapatiste fait-il la critique de la démocratie (représentative) dominante et d'une politique institutionnelleoligarchique devenue une "cage de fer" pour le peuple. Le zapatisme (ré)introduit la question de lasubjectivité dans la politique et le rôle (psychologique) de l'histoire dans la politique contingente.

La mémoire s'illustre par des images fortes. Voir Marcos à cheval et les armes en bandoulière est une imageque la mémoire collective mexicaine actualise, car c'est le rappel d'un personnage légendaire: Zapata. SiMarcos renvoie à Zapata, ce dernier renvoie à la figure du général Morelos, qui s'enracine à son tour dans lamémoire biblique.

L'histoire est un enchaînement de souvenirs fait d'images, dont le pouvoir et la politique se servent, soit pourles effacer, soit pour les utiliser comme des drapeaux ou les ritualiser. D'où l'observation classique : l'avenirn'est que le reflet de la manière dont le passé est traité.

Finalement, il semble utile, afin de démontrer encore le besoin de revenir sur la question de fond de lamémoire politique que pose la psychologie politique: re-construire un regard d'ensemble. Non seulement ausens de la ré-introduction du sujet, dont tous conviennent, mais de débattre avec ceux qui tendent àfragmenter l'histoire-sujet elle-même.

L'important travail des historiens sur la mémoire des lieux l'illustre parfaitement : Pour ce faire, ilsfragmentent l'unité nationale et proposent implicitement une politique décentralisée. C'est de lamicro-histoire :  l'histoire événementielle, qui s'oppose à l'histoire comme processus.

En somme : il n'y a plus une histoire générale& ni une identité commune, mais une parcellisation. C'est làune manière subtile de gommer une histoire passée pour nouer des liens inédits avec le passé au service d'unprésent. Les résonances de la mémoire ne sont pas innocentes ni sans perversions possibles.

3. Le discours politique : un chantier en permanente reconstruction

Le plus classique des moyens politiques est le discours. C'est un chantier inépuisé et inépuisable. Larecherche en France est riche, immense et périodiquement réexaminée, avec  des résultats encore fortlimités.       

Les travaux sur les discours politiques se sont multipliés ces dernières années, les références universitaires entémoignent (Cotteret 1973, Guespin 1984, Bellenger 1992, Brechon 1994, Breton 1996). Mais c'est dans le

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cadre de la "communication contractuelle" (Ghiglione et al. 1986, Ghiglione et al 1989, Dorna et Ghiglione1990, Dorna 1995, Ghiglione et Bromberg 1998), qu'on peut constater les  avancées les plus significatives.Le discours est un processus dialectique de co-construction de la réalité ; la réalité sociale n'est pas unedonnée que le langage ne ferait que traduire, copier, véhiculer, mais une réalité qui se construit (serenouvelle) par des transactions sémantiques que les personnes actualisent dans leurs interactions sociales.Le postulat de base se résume ainsi: toute parole est à visée persuasive. D'autres études (Argentin, Ghiglioneet Dorna (1990), Dorna (1991), proposent comme complément  une grille d'analyse gestuelle du discours,afin d'identifier l'impact persuasif des gestes dans une situation politique réelle et directe.

Ces recherches de laboratoire ont permis de dégager quelques postulats théoriques :

" la parole politique fait partie du paradigme de l'influence et de la persuasion sociale ;

" le discours politique vise un but: faire agir l'autre dans le sens souhaité par la source ;

" il y a toujours dans le processus de persuasion discursive un enjeu quelle que soit l'importance de celui-ci ;

" il y a des patterns stratégiques et des logiques persuasives ;

" la persuasion discursive, spécialement en politique, est articulée, à la fois, par une logique du vraisemblableet des contrats de communication dans des situations à des moments donnés.

Trognon et Larrue (1994) participent à la recherche sur le discours politique avec un autre outilméthodologique: l'analyse conversationnelle dans le cadre de la linguistique pragmatique. C'est la paroled'affrontement dans un débat public ou lors d'échanges de points de vue entre militants. Dans un cas commedans l'autre s'opère une co-construction du référent, dont on décèle les échanges successifs. Tout se passedans le cadre des règles conversationnelles et c'est la règle d'alternance qui se révèle une pièce-clef de lastratégie discursive.

Les discours politiques, analysés par divers méthodes, montrent tous le poids sémantique des mots et la forcepersuasive de la retordre dans le cadre des stratégies argumentatives. C'est ainsi que les grands débats à latélévision offrent les moments les plus frappants de la manipulation par les mots. L'affrontement entreMitterand et Giscard ( Labbé 1963) reste un classique : le vocabulaire de Mitterrand ne se différencie pas -malgré sa richesse lexicale - de celui des autres hommes politiques de son époque. Or,  c'est son caractèrearistocratique qui le rendait redoutable et lui permettait, à travers un choix des figures, de garder une distanceà la fois polie et fascinante. Aussi la machine rhétorique de J. Chirac est redoutable : les échanges vifs dudébat Chirac-Fabius ( Ghiglione et al 1989) est un des exemples à retenir dans les anthologies de l'analyse dudiscours politique. C'est là que la maîtrise et la lourdeur de la technique rhétorique de Chirac l'a emporté surle discours lise et technocratique de Fabius.  

Force est de constater que l'ensemble de ces travaux fait du discours seulement le lieu d'articulation entre lalangue et les conditions (sociologiques) de la production discursive. Ainsi, le discours politique est-il vidé deses autres composants, notamment de l'émotion. Certes, la reconnaissance d'une intentionnalité demeure,mais son traitement purement cognitif ne prend pas en compte  la partie affective. La tâche reste doncinachevée. Il y a là, de toute évidence, une nouvelle piste pour un travail empirique. Question à vérifier.  

4. La crise politique actuelle : démocratie représentative et république.

Certains redoutent l'étude de la crise politique moderne ; loin d'être un problème théorique, c'est unequestion  éminemment pratique. C'est l'acceptation passive d'un consensus mou qui renforce le statu quo et leglissement vers un mode d'existence où la volonté citoyenne est remplacée par la volonté d'une nouvellecaste d'experts et de technocrates solidement incrustés dans toutes les sphères décisionnelles, marquant ainsi

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la subordination du politique (l'intérêt général) au corporatisme des intérêts particuliers. Les institutionspolitiques sont touchées de plein fouet. Quelques-unes (la justice, le Parlement, le gouvernement, l'éducation,la République) ne sont plus en accord, dans leur fonctionnement, ni avec les principes fondateurs ni avec lademande actuelle. N'est-il pas évident que l'actuelle Constitution française fige encore davantage l'actionpolitique. La dérive est devenue visible y compris dans un domaine où la réflexion semblait bien arrêtée :l'État de droit. Car force est de constater (Gueraine 1998) que l'influence croissante du pouvoirconstitutionnel sur la société s'accompagne d'un malaise intense. Le consensus légal démocratique ronge del'intérieur le régime démocratique lui-même. Faut-il rappeler que le déclin de la volonté politique marque lafin de l'intégration des hommes dans la société politique? Le trop de droit risque de tuer le droit à faire de lapolitique sans intermédiaires. C'est dans ce contexte que divers travaux, dans des domaines très varies(travail, prisons, hôpitaux, écoles, municipalités), profilent une recherche sur les remparts de la démocratieparticipative où se mêlent à la fois les questions des droits humains et les principes du contre-pouvoir.L'élément clef de ce mouvement de ressourcement social reste, dans la tradition française ( Duchesne 1998)la notion de citoyen.

Le système démocratique représentatif moderne (Manin 1995) est une savante alchimie de régimes politiquescontradictoires. Un compromis entre l'autoritarisme monarchique et le libéralisme utopique. Et, si ladémarche moderne reste incertaine, l'ancienne est encore enracinée. La raison en est simple et la formecomplexe. A la différence de celui d'hier, le monde d'aujourd'hui se précipite vers l'avenir sans se donner letemps de saisir le présent ni de se souvenir du passé. Les points de repère à l'échelle individuelle diffèrent deceux de l'échelle collective. La perception en est proche, mais virtuelle. Vouloir percevoir le monde dans saglobalité contradictoire est une charge psychologique trop lourde. D'où son caractère sélectif, dont une desconséquences est l'effritement des valeurs communes. Ainsi, morale et politique se cherchent dans un jeu decache-cache polémique qui conduit à des impasses. Ce sont des impasses où l'idéal grec de virtus s'esttransformé en simple représentation au sens scénique du terme et la volonté en résignation. Myopie oudémission ? Ce n'est pas l'absence de lucidité qui caractérise les hommes politiques dans les situationscritiques, mais l'absence de courage.

L'affaiblissement des valeurs républicaines et l'affaissement des institutions démocratiques rend de plus enplus légitimes les pratiques de manipulation et la démagogie. Aussi l'ambiguïté est-elle de retour endémocratie, mais avec un élément supplémentaire et auto-mutilatoire : la stagnation. C'est une telledémocratie qui est en train de produire une République sans républicains et une élite machiavélique ettechnicienne.

5. L'ambiguïté de la post-modernité: l'homme démocratique est-il machiavélique ?

La question des élites est toujours au cSur des impasses et le machiavélisme dans les raisonnements deshommes de pouvoir. Le Bon n'a-il pas désigné Machiavel comme le premier des psychologues de la politique? Mosca et Pareto n'ont-ils montré les mécanismes de la circulation des élites et leurs pratiques suicidaires ?

Bien entendu, la réflexion théorique sur le machiavélisme a gagné en ampleur : cinq siècles de polémiques sesont télescopés. La psychologie politique retrouve avec le machiavélisme (Dorna 2001) un ancien chantiercognitif qui fait le lien avec la crise du politique.

La représentation que se font les hommes ordinaires de la situation de crise actuelle évoque un parfum depuissance machiavélique. Le pouvoir politique républicain (issu des valeurs de la modernité) est de plus enplus perçu comme une oligarchie technocratique, paradoxalement à l'aide des stéréotypes anciens aveclesquels le machiavélisme vulgaire est jugé : cynisme, manipulation, fourberie, arrogance, froideur, mépris,langue de bois, et surtout raison d'État. D'où quelques questions (im)pertinentes à l'égard des élites modernes:Et si le progrès n'en était pas un? Et si l'évocation des droits n'était qu'une grande mascarade bien orchestrée

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par une élite machiavélique? Et si l'absence de morale politique des gouvernants était directementresponsable d'un étouffement juridique qui semble vider de sens l'action politique au profit des condottieri? 

Questions qui renvoient au prétendu amoralisme de la pensée machiavélique. L'ambiguïté des situations decrise rend la morale insaisissable. N'est-ce pas dans de tels moments, où tout se vaut, que des personnagesbariolés et volontaristes émergent de partout? Cette pensée n'est-elle pas l'expression d'un sentiment profondde vide collectif dans des périodes charnières et des grandes mutations? N'est-elle pas l'intériorisation del'éclatement d'individualités dont la volonté de puissance semble sans mesure?  Le mérite de Machiavelconsiste probablement à avoir observé avec acuité, dans un contexte bouleversé, les rapports des hommespolitiques avec le pouvoir, de ces mêmes hommes avec d'autres hommes, et éclairé ainsi la zone d'ombre quicouvre les passions humaines et rend (trop) subtils les raisonnements rationnels. Enfin, la société est-elle entrain de vivre une transformation de la morale au sein de la crise de la démocratie représentative moderne ?

La recherche empirique fournit des informations capables d'approfondir la recrudescence générale. Christieet Geis (1979) sont les premiers à étudier le machiavélisme d'un point de vue expérimental. Leurs recherchess'étendent sur une longue période qui commence aux années 60. Au départ, Christie s'intéresseparticulièrement au sujet manipulateur, dont le comportement se révèle assez différent du comportement desindividus ordinaires. Son profil est assez clair : un grand détachement à l'égard des conventions sociales,ainsi qu'une relation peu affective avec autrui. D'où l'hypothèse que l'individu manipulateur tire un maximumde bénéfice d'un comportement rationnel stratégique. Après un programme d'expériences, l'élaboration d'uneéchelle permet d'identifier le type machiavélique et les situations dans lesquelles son influence est la plusperformante.

Quelques expériences dans le cadre du groupe de recherches psychosociales et politiques à l'Université deCaen ont corroboré les résultats obtenus par les expérimentalistes américains, bien qu'il ne s'agisse pas deréplications à l'identique. Certaines ont déjà fait l'objet d'autres publications (Dorna 1996, Desmezières etLehodey 1994, Reboul 1994, Dorna 2001), mais leurs objectifs portent sur de nouvelles situations. Parexemple, l'étude de la relation entre le positionnement politique des sujets et leur degré de machiavélismes'avère statistiquement significative. Schématiquement les résultats indiquent que le machiavélisme politiques'établit ainsi :

Certes, les différences sont minimes, mais elles existent. Il y a là des pistes à explorer plus en détail. Uneautre enquête cherche à préciser la capacité persuasive de sujets machiavéliques et non machiavéliques. Bienque les résultats ne permettent pas de conclure, les données brutes indiquent que, "dans la situation explorée"(rédiger un texte sur la semaine de 32 heures, puis le défendre devant quelqu'un), contrairement à l'attente, cesont les non-machiavéliques qui semblent plus convaincants que les machiavéliques. C'est une situation oùles grands machiavéliques sont moins motivés, mais la question n'est pas tranchée. En revanche, d'autreséléments s'y ajoutent : si la richesse de vocabulaire dans les divers textes était assez semblable, le nombre demots des non-machiavéliques était plus important. D'ailleurs, il y a quelques différences dans la structure deleurs discours : les machiavéliques ont une structure plus marquée par les verbes factifs que par les verbesdéclaratifs, ils personnalisent davantage leurs discours, utilisent plus de modélisations.  Plus originales sontdeux observations qualitatives : d'une part, on convainc mieux ses pairs, d'autre part, on est plus convaincantquand on part d'une position critique.  

Par ailleurs, si l'ensemble des résultats visent l'existence d'un système de pensée, c'est la mise en évidence dupoids de l'ambiguïté des situations qui le rend plus performant. L'homme machiavélique n'est pas un froid

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ordinateur rusé et sans scrupules, ce sont certaines situations d'interaction qui renforcent ces comportements.A savoir : les relations face à face, peu structurées (l'ambiguïté règne), et lorsque les règles et les moyens nesont pas définis préalablement. Encore davantage quand les situations sont d'une grande intensité affective, laperformance des non-machiavéliques se détériore.

Le profil de la personnalité machiavélique semble confirmé. Ce qui le rend redoutable est la neutralitéémotionnelle et le goût pour les rapports de force. Il sait mesurer la puissance des situations avec une grandemaîtrise de soi. De fait, le grand machiavélique ne se laisse pas arrêter par les contraintes, les conventionsmorales ou culturelles de son propre milieu. La capacité de percer les points faibles d'autrui, le calme et lemanque d'engagements idéologiques lui sont autant d'atouts. D'où l'aura de cynisme et la logique froide quil'entoure dans son pouvoir. L'action des machiavéliques s'inscrit dans l'ordre établi des choses.

En somme, le machiavélisme hante les situations de crise. Comme personne n'arrive à cerner l'avenir, il y estcomme un poisson dans l'eau. Un sentiment de non-sens s'empare de l'action citoyenne. La peur de la liberté,selon la fameuse formule de Fromm, reste le syndrome de notre temps. Il y a là une situation que l'ambiguïté transforme en un vivier de machiavélisme, dans lequel les grands mangent les petits dans le silence etl'impuissance des masses orphelines d'un projet de société autre.

Enfin, le machiavélisme des élites est un symptôme. Quand la démocratie ne répond pas aux aspirationsprofondes des masses qui l'ont plébiscitée, alors la déception est grave. C'est une glaciation subite.

Le "règne" de F. Mitterrand peut se prêter à une interprétation de ce type, mais ce n'est pas ici le lieu pourdévelopper le caractère démocratico-machiavélique du personnage ni d'analyser, en amont ou en aval, leprocessus politique qui lui est propre. Il suffit de poser une telle hypothèse.  

En vérité, les crises démocratiques sont de véritables "boîtes de Pandore". Le spectre de la révolte peut se lireà travers les indices socio-économiques, mais encore mieux  dans l'anxiété sociale, la violence latente,l'apathie, l'individualisme effréné, la fascination de l'éphémère. Il y a là encore  une quête mythique decertitudes et de vérités palpables.

Parmi les issues, le populisme offre dans ces cas une porte de sortie chaleureuse, et un élan pour débloquerles situations devenues coincées.

6. Le leadership politique: charisme et populisme.

Formidable vieux chantier en pleine expansion, le leadership est une notion capitale qui traverse toute laproblématique de l'homme et de la cité. C'est le vecteur psychologique fondateur de toutes les organisationsqui composent la structure sociale. Ce n'est pas un hasard que la question du leadership se trouve dans l'Sildu cyclone de la crise globale de la modernité. L'idéal d'autonomie de l'homme moderne se décompose ainsique le système qui lui donne sens. Le conformisme a épousé l'individualisme et le statu quo rend la situationtendue entre une masse dans l'attente d'un sauveur et une élite de moins en moins en phase avec la réalitéconcrète. Là, le charisme rejoint le populisme toujours latent dans les systèmes démocratiques.

Comment reconnaître le syndrome populiste ?

L'attitude populiste (Dorna 1999) est la constituante de toute politique démocratique : il n'y a pas de discourspolitique sans référence au peuple. C'est un phénomène de transition éruptif et presque éphémère, qui sedéveloppe sous la pression d'une crise généralisée devenue chronique. C'est le désarroi des masses populairesdevant l'immobilisme d'une aristocratie d'état au pouvoir, qui se considère compétente et propriétaire deslieux.

Une constatation s'impose: le populisme est associé soit à l'échec des régimes autocratiques, soit à l'échec des

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régimes démocratiques corrompus. C'est le manque de liberté autant que la désillusion de l'égalité quipoussent les masses vers d'autres issues.  

Le plus poignant et, à la fois, le plus insondable de la réalité populiste est le fond émotionnel qui l'anime. Leciment n'est pas sociologique, mais psychologique. Véritable socle sur lequel tous les autres composants(sociologiques et économiques) s'installent. L'étonnante vitalité que dégage le populisme est, en ultimeanalyse, plus une sonnette d'alarme qu'une explosion violente capable de tout emporter sur son passage.Mais, c'est une lame de fond: une réaction de colère et de méfiance à l'égard des institutions.

Le populisme contemporain, mutatis mutandis, a trouvé un nouvel élan dans la société de consommation etles moyens modernes de communication. Or, c'est là une perversion remarquable des attitudes populistes denaguère. Il faut donc se méfier des contrefaçons : le néo-populisme peut s'apparenter au néo-fascisme. Mais,c'est une erreur stratégique de les confondre. Les médias, notamment la télévision, démultiplient en images laportée des discours ; la forme émotionnelle l'emporte sur la parole réfléchie.

Il y a un appel au peuple. L'homme populiste s'adresse à tout le peuple, mais surtout à ceux qui n'ont pas depouvoir, ceux qui subissent en silence l'impasse et la misère. Il y a dans cet appel l'évocation des grandsmythes fondateurs. C'est là sa  force et sa raison d'être. Les symboles jouent un rôle de reconnaissance,formidablement accéléré par l'espérance d'un retour à l'équilibre d'antan.

Pour mieux comprendre, le mouvement populiste s'incarne toujours dans une des figures les plus classiquesdu maître : l'homme providentiel charismatique. Le style du leader compte pour beaucoup : la forme entraînele fond. C'est le jeu de la séduction et du savoir-faire, la finesse dans l'esquive, le contact direct etchaleureux. La dimension anti-dépressive n'est pas absente. Le leader charismatique épouse la rhétorique,mais rarement la démagogie. Si l'imposture guette le chef démagogue, la démesure accompagne le leaderpopuliste.

Le leader populiste émerge d'une manière abrupte, apparemment de nulle part, sans appareil structuré nidoctrine élaborée. Un self-made man. Populaire par sa démarche autant que par son langage, il incarne latradition de la terre et l'innovation technique, avec une farouche volonté de contestation.  Ce n'est pas unprophète, encore moins un César, mais quelqu'un qui traverse le firmament social et politique comme unmétéore avec beaucoup de prestance et une parole fracassante.

Le leader populiste se distingue d'autres types charismatiques (Dorna 1998) par la plasticité pragmatique etl'habileté émotionnelle exubérante avec laquelle il féconde le temps du changement. L'attitude de base estcelle du grand frère proche qui cherche le contact direct et le dialogue avec tous. La communication esthorizontale et chaleureuse. Les échanges sont ouverts, vivaces, directs. C'est l'image vivante de l'hommedisponible, simple, qui apparaît sans affectation ni calcul.

Quelques chercheurs pensent (House 1992, Rondeau 1986, Barbuto 1997) que le leader charismatiqueassume un rôle de transformation. Quatre points sont ainsi évoqués :

     ° l'inspiration : le leader incite les membres du groupe à se dépasser eux-mêmes pour la réussite del'ensemble ;

     ° la considération : le leader agit comme un mentor auprès de ceux qui ont besoin d'aide pour sedévelopper ;.

     ° l'encouragement : le leader stimule de nouvelles manières d'envisager le changement de croyances et devaleurs ;

° l'identification : le leader représente, à la fois, l'incarnation d'un projet collectif et l'adhésion du plus grand

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nombre.

Par ailleurs, le leadership charismatique est définissable essentiellement à partir de ses rapports avecl'émotion par la parole. Il possède la maîtrise des émotions en même temps qu'il dégage des émotions fortes.Ce n'est pas un trait de caractère, mais une forme de savoir, savoir qui s'apprend et se développe mêmetardivement. (Goleman, 1995). Il faut rappeler que la logique du syndrome néo-populiste est de natureaffective. Aussi le discours explicatif purement rationnel ne suffit-il pas. Encore pis : il induit des erreurs dediagnostic et néglige, par méconnaissance, les données subjectives, c'est-à-dire les vraies questions d'unesociété en crise.

Rien ne remplace dans une argumentation l'appel à l'exemple vivant. Si nous avions évoqué en introductionla figure de Berlusconi, d'autres sont tout aussi identifiables. Les traiter en épiphénomène serait une erreurissue de la méconnaissance de la lame de fond néo-populiste qui traverse le monde. Il y en a bien d'autres, etla figure de Berlusconi n'est pas qu�un des exemples européens. Jeter un regard ailleurs peut s'avérer fortutile: Que penser du néo-populisme charismatique d'Hugo Chavez et de la récente tentative de coup d'étatdont il fut l'objet?

Toutes les conditions d'un néo-populisme étaient réunies lors de l'arrivée tumultueuse de Hugo Chavez à laprésidence du Venezuela en 1998 . La récente tentative de l'évincer du pouvoir  et la riposte populaire qui lerétablit dans son fauteuil sont une preuve supplémentaire du caractère charismatique de son leadership.

La volte-face de la situation vénézuélienne re-pose la question des causes et des formes du populisme, dontl'histoire est longue et complexe. Encore davantage lorsque les transgressions et les défis à la "maininvisible" se répandent comme une tache d'huile dans un contexte de réchauffement de la planète.

Chavez incarne dans son pays, de manière paradigmatique, le renouveau et la renaissance médiatique dunéo-populisme. Jeune colonel en 1992, à l'issue d'un putsch avorté, il est devenu le symbole de la cause"bolivarienne" (mythe têtu d'une Amérique latine autonome et unifiée) et le porte-parole d'un discourslibérateur. Il ne faut pas oublier qu'il est aussi un diplômé de la prestigieuse Université Simon Bolivar ensciences politiques. Rien d'étonnant alors d'observer que ses premiers actes politiques témoignent d'une lutteouverte contre l�establishment et la corruption, associés à la crise structurelle du pays. Enfin, une foisprésident, son programme le conduit à faire voter plusieurs lois sur l'expropriation des terres improductives etle contrôle de l�industrie pétrolière. 

Récapitulons : cet exemple, face à l�embarras conceptuel, permet de dégager quelques signes dereconnaissance, afin de mieux saisir les caractéristiques de la question populiste et ses manifestationscharismatiques. On peut en tirer trois constats:

Premier constat : le populisme n'est pas un simple mouvement de masse, mais la réponse des masses àl'action (jugée courageuse) d'un homme charismatique. Le style du leader compte pour beaucoup, car laforme entraîne le fond. C�est le jeu de la séduction et du savoir-faire, de la finesse dans l�esquive, du contactdirect et chaleureux. L'énergie étant contagieuse, la dimension anti-dépressive du charisme n�est pas absente.Le leader charismatique épouse la rhétorique, mais rarement la démagogie et, si l�imposture guette le chefdémagogue, la démesure accompagne le leadership populiste.

Deuxième constat : l�effervescence sociale n�est pas la caractéristique principale du populisme, mais lavolonté farouche de rupture. Le ciment qui le fonde n�est pas sociologique, mais psychologique. Véritablesocle sur lequel tous les autres composants (sociologiques et économiques) se mettent en place pour formerun nouveau monde imaginaire.

Enfin, troisième constat : l�appel populiste s'adresse à tout le peuple, à tous ceux qui subissent en silence l

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�impasse et la misère. Il y a dans cet appel l�évocation des grands mythes fondateurs, c�est là sa puissance etsa raison d�être. Les symboles jouent ici un formidable rôle de reconnaissance.

Par ailleurs, il faut insister sur le contexte : le populisme émerge toujours associé à une situation de crisesociétale. Sa signification se trouve en amont lorsque le fonctionnement de l'état s'est rendu hermétique aupeuple et la classe politique coupable d'une confiscation sournoise du pouvoir. Cela s'accompagne d'unépuisement culturel et idéologique, d'un manque de confiance  dans l�avenir et d�une dose létale deconformisme. La cohésion sociale (nationale) cesse d�être un rempart contre le processus de désintégration etl�action corrosive de l�immobilisme des institutions. D'où la sensation de vieillissement. En réalité, il y a uneabsence de projet commun. C'est l'enchaînement de trois facteurs : la déception, la frustration et l�attente. Lacroyance dans le gouvernement se fissure et l�avenir fait peur. Le doute se transforme en silence politiquecomplice et en individualisme étroit. Il y a un sentiment diffus et contradictoire d�ordre et de changement.

En somme, le néo-populisme n'annonce pas la fin d�un système, ni le commencement d�un autre, mais l'étatde délabrement de la gouvernance démocratique. D'où la nécessité de le (re)connaître, l'utilité de lecomprendre et l'intérêt de le canaliser autant que possible.

Pour revenir au cas de Chavez, nous nous trouvons devant une des multiples expériences actuelles derecomposition des forces politiques institutionnelles dans le monde. Si les partis de gauche et de droite sedécomposent dans un libéralisme gestionnaire, des mouvements de résistance s'incarnent sous la forme deremakes populistes inattendus. La question néo-populiste est devenue, aujourd'hui, le symptôme politique dela crise de la démocratie représentative.

Il peut paraître naïf de remonter à Pascal pour rappeler que la logique de la raison dérape sans l'aperçu de lalogique du cSur. Mais, incontestablement, c'est là que se situe le talon d'Achille de la science politiqueclassique, et encore davantage des élites tristes au pouvoir, trop prises dans le carcan technocratique et lamécanique calculatrice de la pensée unique. La psychologie politique retrouve là une de ses raisons d'être.

7.- Le chantier du discours sécuritaire :  la ville et l'insécurité.

        La ville est généralement le centre de nombreuses représentations associées à la politique, ainsi l'étudede ce phénomène est devenu un chantier pour la psychologie politique. Pour les responsables de la fameuseécole de Chicago, la ville est un "état de l'âme" ( R. Park), d'autant que la matrice psychologique urbainemarque profonde mente les mentalités et les comportements de ses habitants. 

        Chacun sait que la politique est le résultat de l'urbanisation. La racine étymologique de ville, cité,politique est la même : polis. Ainsi toutes les ville ont une histoire politique, côté rue, des journéesherboriseurs, et côté jardin, les officines de corruption. L'urbain engendre des représentations affectives,comportements stratégiques, personnalités "citadines", émotions qui terrorisent ou charment. La ville attire etelle répugne. Et elle dégage des style de vie contradictoires.

           Faut-il rappeler l'importance - dès tous les temps - octroyé par le pouvoir politique à l'aménagementde l'espace public de la ville ? Cela fait partie de la legitimisation de l'État : la mémoire collective de massess'en nourrie en permanence. Il y a là, au milieu des jardins et à l'ombre des monuments, une véritable agendahistorique de l'identité politique des peuples, de ses héros et martyrs, de ses batailles, de l'idéalisation desgrands projets, et rarement le souvenir des grands échecs.. 

          Par ailleurs, comme à la fin du XIXe siècle, la ville (les mégapoles et plus particulièrement leursbanlieue ) sont perçues sous l'optique du danger et l'insécurité : le sentiment de menace permanente se traduitpar une demande de plus en plus forte de mesures répressives. La littérature psychologique sur le syndromedes "foules délinquantes" est a la base des interprétations politiques à la fin du XIX siècle. Aujourd'hui la

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question de la sécurité est devenu le centre et la pierre d'achoppement des discours politiques.

         L'idéologie politique puise dans les scènes de la vie quotidienne des villes: le bruit, la promiscuité, lasaleté, les maladies, le vice, le désordre, le melting-pot culturel, l'anonymat, la marginalité, mais égalementse dégagent d'autres arguments plus positifs: le changement, la vitesse, l'échange, l'animation, la technologie,les divertissements, les équipements sportifs et culturels. Nul ignore que le gigantisme des villes est devenule symbole à la fois de la gestion politique et la vitrine de l'ambiguïté intrinsèque de la modernité. Singapour,Mexico, Sao Paulo, New York, sont là pour rappeler la puissance et l'arrogance du pouvoir.

          L'attentat terroriste du 11 Septembre 2001 aux tours jumelles de New York mêle dans un même actepolitique les multiples représentations contradictoires de l'urbanisation, l'idéologie et le sentimentd'insécurité.                                                               

8.- L'État et la solidarité

Rarement les rapports entre l'Etat, la solidarité_ humaine et l'auto estime sont analysés comme un chantierpsychopolitique. Pourtant, le principe de solidarit_ est un trait d'union qui traverse le temps.  En effet, l'idéesolidariste est restée latente depuis saint Paul et Marc-Aurele, sans oublier les actualisationssocial-chretiennes,  au cour de la première moitié du XIXéme siècle de Pierre Leroux. C'est chez lui que lemot trouve une acception politique, pour devenir à la fin du siècle un grand thème donnant lieu à denombreux débats avec la participation de plusieurs universitaires (H. Marion, F. Passy, C. Janet, Ch. Gide, H.La Fontaine, F. Buisson, E. Boutroux, E. Durkheim, C. Bouglé et bien d'autres, dont les contributionsmontrent la richesse.

Plus politique que philosophe, Leon Bourgeois (1912) est le catalyseur intellectuel de l'ensemble bigarré depositions solidaristes, afin de réaffirmer une évidence théorique : l'organisation politique de la société est lacondition première de l'évolution vers une société plus juste. D'autant que l'idéal social démocratique ne peutse réaliser en dehors d'une République au sens de la "politeia" grecque. C'est là que la pratique humaine quiconcerne l'ensemble de citoyens. Car la sécurité et le bien-être, l'instruction et la justice, l'assurance contreles risques prévisibles, et les garanties de la liberté individuelle, passent par la structuration du "biencommun", dont le lien n'est autre que la solidarité réciproque. Le solidarisme se caractérise par desinterventions spécifiques du politique sur les structures sociales, donc l'Etat.

Parce que l'idée de solidarité exprime, selon Bourgeois, une valeur politique, il faut lui proposer un cadrejuridique et sociologique dont la justification est à la fois morale et scientifique. C'est le propre duraisonnement poussé jusqu'aux limites par le positivisme politique. Ainsi, il écrit  : " La nature n'est ni justeni injuste, c'est l'homme qui détermine la valeur de choses et des comportements". Et ajoute : " Le propre del'homme c'est non pas de se révolter contre les lois de la nature mais de s'en servir, de les plier à son usage,de choisir parmi les moyens ceux qui le mènent à ses fins. Il asservit les lois, la nature, et par là conquiert sapropre liberté". 

Quel est l'argumentaire explicatif du solidarisme. Un point de départ : la vie humaine est individuelle etsociale. C'est un truisme de dire qu'elle est faite d'interdépendance, de réciprocité, d'association et d'équilibre.A y réfléchir l'humanité est une solidarité de fait: l'homme est un animal social, voire politique. C'est à causede la rupture du trait d'union que l'injustice montre sa laideur et les antagonismes d'intérêts effacentl'essentiel commun des hommes. D'où la recherche d'une issue politique capable de désamorcer la spirale dela violence et la reproduction de l'injustice. C'est un impératif moral, mais démunis des vieux démonsmétaphysiques. L'esprit de justice n'est pas une simple idée sortie de la tête des quelques sages, mais l'issuerationnelle à la violence et au désir de domination que la "lutte pour la survie" avaient imposé aux hommes lasatisfaction des besoins primaires à l'aube de l'humanité.

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Par conséquent, la théorie solidariste de Bourgeois s'interroge et souhaite répondre à la question de la valeursociale de devoir. C'est par l'expérience récurrente des générations, l'éducation et le raffinement progressif etcumulée des cultures aussi diverses que complémentaires. Mais, si le mécanisme est simple, à première vue,il opère d'une manière complexe. D'abord, c'est la reconnaissance des "créances" et des "dettes", autant que laprésence des "quasi-contrats" de réciprocité.

Il y a ainsi un même mécanisme qui fonctionne dans deux temps:

Premier temps : la reconnaissance de la dette envers l'humanité. L'homme est le produit d'une culture et desconnaissances cumulées par l'humanité de génération en génération. De fait, il est débiteur et par conséquentl'homme doit s'acquitter de sa dette envers ses ancêtres, et ses coassociés ( ici et maintenant); de plus, il fautqu'il s'occupe de ceux qui viendront après lui. C'est là où l'économie est un acte politique et moral, individuelet collectif.

Deuxième temps : le quasi-contrat. Contrairement à Rousseau qui propose un mythe pour expliquer lesorigines de l'humanité, sous la forme d'un contrat-social, Bourgeois parle d'un quasi-contrat, rétroactivementconsenti, en tant que  reconnaissance de la dette de chacun avec autrui. C'est le prix à payer à la nation pourla liberté; sa juste part  - écrit Bourgeois - " selon une progression qui imposera nettement à chacun unecharge véritable correspondante aux bénéfices qu'il tire de la société". 

La question psychologique pousse la réponse politique dans une unité dialectique : Comment réparer lacassure de la solidarité sociale qui engendre l'injuste, donc le sentiment de perte de liens?  La seule prise deconscience ne suffit guerre. Il n'y a plus de place à une "utopie" quelconque. C'est là que l'État (républicain)peut jouer un rôle central et devenir une force de proposition. Certes, à condition que les principes de l'intérêtgénéral soient respectés et la justice sociale puisse retrouver un point d'équilibre. La démocratie, étant uneméthode pour gouverner, peut le permettre dans un espace public ouvert au dialogue, afin de ne pasescamoter les contradictions. Car, il serait une erreur de ne pas reconnaître que derrière toute solidarité, desconflits existent en puissance, même si la concertation les adouci. De fait, le moteur du changement n'est pasici la "lutte de classes", mais l'effort pour l'harmonisation de forces en tension grâce à la parole et ladélibération collective.

Ici, l'État joue son rôle d'arbitre et selon Bourgeois : "L'État, dont la raison d'être est d'établir la justice entreles hommes, à donc le droit et, par conséquent, le devoir d'intervenir pour établir l'équilibre". Or, l'expériencemontre la distance considérable entre la théorie abstraite de juristes et la pratique concrète de la citoyenneté.Car, l'État prend corps avec son appareil administratifs et s'oppose parfois aux citoyens, c'est à dire à laNation qu'il est censée de représenter. Le pouvoir de l'État est ainsi ressenti comme une contrainte, voire uneanti-liberté. Telle dérive bureaucratique n'échappe pas à la réflexion de Bourgeois. L'Etat-Républicain doit segarder non seulement de ses propres perversions, mais des effets de la pression de l'oligarchie financière quipénètre et corrompe de façon insidieuse l'appareil administratif.

C'est là l'appel à la citoyenneté, profondément encré dans la démarche solidariste, afin de dénoncer les abus,et de plaider pour l'instauration des contre-pouvoirs. Car, le pouvoir tend à faire croire à des réformesillusoires, dénaturer  et déformer l'information, ou encore à distribuer le chaud et le froid en fonction desdirectives qui échappent au contrôle de la Nation.

Voilà pourquoi, Bourgeois pose le problème de la liberté, de la "propriété" et du couple "capital-travail" dansle droit fil de l'approche de l'Etat-Républicain, sous le contrôle de la Nation, afin de ne pas tomber dans lesexcès d'une vision collectiviste ni l'égoïsme d'une pratique purement individualiste. Ainsi, il n'est pasquestion de transférer dans les mains de l'État les moyens de production, mais d'équilibrer les secteurs où lesexcès sont flagrants. Car, l'analyse de la société réduite à l'ordre économique est à la fois incomplète et

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trompeuse. La loi est une ressource puissante pour contraire l'emprise de corporatismes sans avoir recours àla violence.

La théorie solidariste peut se retrouver dans les réflexions de R. Lane (1982), dont l'approchepsychopolitique réaffirme l'idée que la justice et l' équilibre n'existent spontanément dans la nature, en mêmetemps qu'il s'agit des valeurs qui découlent de l'expérience collective et se canalisent à travers l'interventionde l'Etat. Ainsi, l'estime de soi est devenue une affaire d'Etat. Dans ses travaux Lane met en évidence lesrapports étroits entre l'estime de soi et le pouvoir public. Car, c'est l'Etat, à travers ses agents, qui confère desrécompenses psychologiques puissantes : des honneurs et de la reconnaissance sociale, le statut et larenommée.

Par conséquent, explique Lane, l'Etat peut favoriser (ou pas ! ) les comportements sociaux et l'equilibrepsychologique collectif, lorsque le respect à soi même et autrui sont renforcés, la dignité de chacun estgarantie, et l'importance de l'argent et du pouvoir trouvent une juste place dans l'echelle des valeurscommunes.

L'Etat n'est pas un simple appareil administratif, mais une communauté d'inserts collectifs, dont le rôle estd'assurer la distributions de richesses matérielles, mais le garant de l'équilibre et des valeurs communes. D'oùson caractère politique. Certes, hors du cadre républicain, l'Etat peut se transformer en tyrannie ouverte oudéguisée. 

9.- Le chantier de l'économie politique et de ses rapports avec la psychologie.

Faut dire que ce chantier est en pleine évolution, voire en quête d'autonomie fontionnelle. Si, la vieillequestion du pouvoir politique, est représenté par un triptyque fort ancien, dont les éléments sontsymbolisables par une figure triangulaire en mouvement rotatif, l'économie politique réintroduit lepsychologique, mais d'une manière équivoque  avec la formule : "l'homo economicus". Car, ici la questionpsychologique est autour du leadership à un moment donné. Rappel : tout pouvoir ( commandement) à unvisage

L'histoire des processus politiques et de ses régimes illustre à merveille la complexité de l'interaction de leurscomposants. Certains auteurs classiques ont  postulé une éternelle circularité de la structure du pouvoir.Pourtant, sans revenir aux querelles idéologiques, il semble utile de re-situer un quatrième composant dupouvoir qui progressivement surdétermine l'ensemble, et dont la particularité est de toujours rester à l'ombre,bien que de nos jours sa présence est devenue d'une grossière évidence : le système économique.

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         Si, dans ces dernieres décennies, il y a eu plusieurs tentatives pour développer une psychologieéconomique (Katona 1963, Albou 1884, Lassare 1995        ) pratiquement personne s'est occupé de ses liensavec les régimes politiques. Certains on voulu introduire un rapprochement avec le concept de "besoin". Or,telle initiative s'est transformé en vSu pieux. Ni les économistes ni les psychologues sont arrivés à en faireune notion commune. L'effort est épistémologique.   Il faudrait revenir au dialogue (subjectif-objectif)proposé par H. Berr et certains de ses disciples, notamment Simiand, dans le cadre d'une théorie synthétique.Et surtout sans oublier l'Suvre de G. Tarde ( 1902) qui porte déjà justement le titre de "psychologieéconomique". Il dénonce dans ce cours au Collège de France l'erreur de méconnaître la nature " éminemmentpsychologique des sciences sociales , dont l'économie politique n'est qu'une branche" ( souligné par nous).Or, contrairement à ce vSu la économie politique s'est situé hors du champs des sciences humaines etsociales pour devenir une technique. 

         C'est pourquoi le "vide" persiste encore. Or ce "vide" la psychologie politique est en mesure de lecombler, à condition dépasser la simple utilisation des méthodes psychosociologiques pour étudier lescomportements de "consommation".

Pour y parvenir il faudrait la re-ouverture des vieux chantiers épistémologiques qui renforcent lecloisonnement de chaque discipline. Car le manque de dialogue et d'inter-communication entre lesdisciplines humanistes et sociales a fortement contribué à leur propre épuisement sous la forme desmicro-théories autonomes.  

1O.- Un chantier sorti de la nuit des temps : religion, psychologie et politique

         La question de la relation omniprésente de la religion avec l'ensemble des phénomènes sociaux,politiques et psychologiques est un truisme. Tous les auteurs classiques en conviennent. L'histoire entémoigne. Or, le poser dans le cadre actuel, quand l'emprise religieuse est évanescente en occident, relève

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d'une réflexion plus récente. La montée de l'islamisme dans le monde et son caractère terroriste (l'attentat du11 septembre 2001 à N. York) sont des faits, dont l'amalgame est fâcheux, mais non moins pertinent.

         Sans vouloir évoquer les clichés, largement vulgarisés par la presse, les réflexions des quelquessociologues et politologues tels Kepel (1991), Barber ( 1997), puis Huntington (1996) montrent l'importancecontingente de la question religieuse de nos jours. L'islam n'étant que le sommet d'un iceberg, le renouveaureligieux se trouve au cSur de la transmutation culturelle, du malaise de société moderne et de la crisepolitique de la démocratie représentative.

Faut-il rappeler l'hypothèse du rôle la religion dans l'organisation sociale, à l'aube de l'humanité, et dans lespériodes de crises profondes (le moyen âge en occident reste un paradigme), pour comprendre son poidsaujourd'hui ? Ainsi la figure que nous avons utilisée (ci-haut) pour montrer l'interaction des grandesreprésentations du pouvoir nous permet de reposer la question de la religion comme le sommet historique dela pyramide de la notion d'autorité. C'est l'ordre religieux au sens théocratique qui reste dans l'ombre, encoreaujourd'hui, de ordre "politique" .

 

         Sans rallier les conclusions de l'essai de S. Huntington (1996) faire attention à l'éventualité d'un retourdu refoulé religieux est une attitude candide. La société occidentale est sortie depuis un moment des guerresde religion, quoique la virulence et la durée du conflit d'Irlande du Nord devrait (nous) faire réfléchirdavantage. D'ailleurs, la séparation de l'État et l'église reste un vSux pieux dans un occident profondémentmarqué par la tradition judéo-chrétienne.

         Le réveil musclé de l'Islam fait partie d'une longue série d'évènements qui montre la fragilité desvaleurs laïques et le retrait des positions matérialistes, scientifiques et rationalistes.

         Le retour du religieux en politique - sous diverses formes - s'inscrit dans la crise qui traverse depuis

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plus d'un siècle la culture dite occidentale.  Faut-il insister sur le fait qu'il s'agit d'une crise de "sens" plutôtque de "vérité" ? Il y a là un vaste terrain vide, jadis occupé tant bien que mal par ce que certains appellentencore le "sacré", c'est à dire le rapport psychologique de l'homme avec le cosmos. Question ancienne, maisjamais vraiment dépassée, qui retrouve une place dans les nouveaux rapports à ciel ouvert que la religiontisse avec la politique à travers la reconversion religieuse des anciens pays communistes, la visionprovidentielle de l'idéologie libérale de G.W. Bush ou l'engagement des islamistes dans le terrorismepolitique.

         Comment expliquer cette renaissance religieuse ? Les réponses sont multiples,  Spengler n'a-t-il pasdéjà parlé au début du XX siècle de la "décadence d'occident", l'impact de la modernisation et la technologiesur les structures traditionnelles, les traumatismes affectifs et sociaux,  la fragmentation de l'hommemoderne, et les besoins qui en découlent autour de la recherche d'une nouvelle identité dans un monde sansrepères. En somme : c'est une réaction en chaîne à la laïcisation de la société, au relativisme culturel et moral,à l'individualisme et la solitude des masses. Les conséquences sont une réaffirmation des valeurs canoniquesd'ordre, de discipline, de solidarité de groupe et de cohérence psychologique. 

         En quelque sorte la religion prend la place de l'idéologie de l'émancipation politique, et, le nationalismeconfessionnel celle du cosmopolitisme révolutionnaire issu des révolutions modernes. La force de latransfiguration du religieux nous révèle un fait étonnant : le retour de la religion touche toutes les couchessociales, notamment dans les pays occidentaux : les secteurs urbains, les immigrés, les jeunes et certainsintellectuels déçus de la modernité.

         Impossible donc de faire comme si ce chantier n'existait pas. Or, les psychosociologuesexpérimentalistes campent sur des positions révolues en matière de religion, sauf quelques rares exceptions.Il faut se tourner du côté de la sociologie classique et des études en sciences politiques pour reprendre lestraces d'une si longue histoire et d'une rentrée si peu attendue, malgré les signes existants depuis fortlongtemps. 

IV.- Le besoin d'une réflexion inattendue : les rapports entre l'état de la science et la pratique politique.

L'emprise du modèle de sciences dures sur les SHS s'est effrité. Nombreux sont les voix qui se prononcentpour une révision de l'état de la question. L'écart entre l'émotion et la raison est en train d'être dépassé.

La fragmentation des sciences humaines et sociales (SHS) dont nous avons décelé une de raisons du retourde la psychologie politique et de la tache de se doter d'une nouvelle transdisciplinarité pose un problèmeencore majeur : la crise de l'approche scientifique et des modèles issus de la modernité est-elle responsablede l'absence d'un projet alternatif de société ?

La crise de la modernité frappe tous les domaines. C'est une déflagration, dont les conséquences sontpolitiques. Le marasme démocratique réponde - à notre avis- à l'essoufflement du projet humaniste etrationaliste des lumières. De fait, les SHS esse trouvent dans l'Sil du cyclone. Comment ne pas s'apercevoirque la fragmentation du savoir en SHS et la multiplication de micro-théories laissent sans réponse lesgrandes questions de société de ces deux derniers siècles.

En réalité, l'époque contemporaine traverse une crise aiguë de manque de synthèses, dont le symptôme est laperte du sens collectif et d'un horizon théorique. L'avenir est envisagé subjectivement d'une manièreincertaine et indéchiffrable. L'ambiguïté brouille les pistes, renverse les perspectives et fragmente la visiondu monde introduite par la modernité. Le siècle des lumières s'obscurcit. La perception de ses grandsprincipes fondateurs (la rationalité, l'universalisme, l'humanisme et la laïcité) se trouble et la réalité se faitévanescente.

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La société actuelle est perçue en conséquence comme plus complexe et son processus d'évolution fort peumaîtrisable. Les cadres de compréhension de ses racines, la relation entre société et individu, culture etpolitique, se trouvent profondément altérés et méconnus de surcroît. D'ailleurs, si la société moderne retrouveune nouvelle phase de globalisation, la transformation des rapports humains et des rapports de productionmodifie les mentalités autant que les contours de la civilisation. De fait, dans ce contexte, le modèledémocratique montre ses limites, curieusement, au moment même où il s'impose à l'échelle de la planète. 

Certes, la société est devenue réflexive, autocritique et globale, mais la sociologie de la modernisation est entrain de développer un fatalisme négatif et des comportements à la fois plus compétitifs et davantageindividualistes. Les rapports sociaux et les expectatives psychologiques ont changé de nature. Enconséquence, l'approche des SHS n'échappe guère à cette évolution générale. 

Si une telle incertitude touche à la fois le domaine de l'expérience individuelle et celui des institutionscollectives, c'est la pertinence, non seulement des gouvernements, mais également des sciences, autant les"naturelles" que les "sociales", qui est en cause. Certes, la question n'est pas nouvelle en ce qui concerne lessciences sociales, mais elle pose à nouveau deux problèmes, l'un évoqué dans les années 60 par Snow, sur laséparation progressive de la culture scientifique (dure) et de la culture littéraire  (molle), l'autre un bilanparadoxal de la production de la connaissance en sciences sociales : le syndrome des "micro-théories". Pluselles se multiplient (via les expériences de laboratoire ou les travaux purement empiriques), moins on disposed'une théorie sociale explicative compatible avec l'évolution vertigineuse du monde. En conséquence, laconnaissance s'émiette, se fragmente et finit par se transformer en connaissance de rien. Il existe deuxpolitiques du savoir que les politiques eux-mêmes sont en train d'écarteler : l'attitude de l'expert, de plus enplus légitimé par les pouvoirs, est trop partielle, car munie de la sensibilité de l'histoire. En revanche,l'attitude du généraliste correspond mieux à l'urgence de tenir compte de l'ensemble. Il s'agit de renverser ouplutôt re-équilibrer la tendance à la micro-specialisation et l'in communication du savoir qu'en résulte. Unemanière d'envisager une telle démarche consiste en réconcilier à la fois la raison et l'émotion, la subjectivitéet l'objectivité, ainsi que la volonté de réduire la distance entre les approches qualitatives et quantitatives. Afin d'illustrer la tâche, voici un schéma (provisoire) de las variables à considérant en el analyses de lasperceptions de l'interaction sociale et politique.

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Ce schéma ( simple échafaudage à revisiter) re-introduit trois dimensions, à notre avis négligées par lapsychologie sociale et les SHS lorsqu'elles se penchent dans la recherche d'explication de la réalité construitepar les hommes. A savoir : la culture, l'historie et le temps. Les éléments que nous appelons "antécédents"sont le levier de la situation hic nunc, autant que les variables dites d'expectatives ( conséquences perçus parles individus) permettent d'envisager le cadre large dans lequel se situe le processus psychologique deschangements politiques.

En réalité, notre démarche appel la coopération transversale des connaissances, au lieu de chercher leparadigme perdu ou le retour à la matrice originale Voilà la question d'une heuristique psychopolitique :simplement observer les phénomènes en mouvement, et l'interaction des comportements humains dans undevenir historique (avec continuité et ruptures), dont les conséquences peuvent être perçues, sans faire de larationalité un système fermé, ni postuler une connaissance unique et indépassable, en dehors de la

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expérience, à la fois objective et subjective. 

Alexandre Dorna

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Particularités du post-communisme en Roumanie

Lavinia BETEA

   

 

L� année 1989 - �annus mirabilis�, comme il est souvent appelé - reste le point de repèredes démarches ayant pour thème l�histoire récente des sociétés ex-communistes.Quelles que soient les disciplines socio-humaines qui les encadrent, celles-ci sontcompliquées par l�absence d�hypothèses explicatives, antérieures au fait historique. Leschangements au niveau du mental individuel et collectif sont difficiles à estimer, pourde diverses raisons. Les modifications survenues dans la configuration de lapersonnalité de l�individu, dont une grande partie de la vie a été soumise au programmede formation de �l�homme nouveau� ne comportent pas de termes de comparaison. Enmême temps, le fait de se rapporter, de la perspective psychologique individuelle etsociale, à la situation précédant l�instauration des régimes communistes n�est pasopérationnel.Comme les autres pays des Balkans, la Roumanie se caractérise par l�absence destraditions démocratiques.Le système politique roumain de la période d�entre les deux guerres, basé sur lesuffrage censitaire, est designé comme une �démocratie mimée� (Doggan, 1999). Lesconditions sociales, économiques et culturelles n�étaient pas à mêmes de favoriser laculture civique et politique de l�électorat. En plan politique, la Roumanie se situait,comme tous les autres pays du sud-est de l�Europe, dans la phase de constitution de lanation après l�écroulement des grands empires où ils avaient été incorporés. Le besoinde consolider leur identité nationale constituait le dénominateur commun de ces pays.C�est ainsi que, entre les deux guerres -le bolchévisme et le fascisme- l�option desélites roumaines et d�une partie de la population sera l�extrêmisme de droite, répresentépar �le mouvement légionnaire�. L�interdiction du �pluripartisme� par la loi électorale demai 1939 a été succedée par le �régime des démocraties populaires´(1944-1948), étapedans laquelle on a imposé le régime communiste, par des techniques de manipulationspécifiques.Il faut y ajouter que dans la Roumanie communiste, le �régime Ceausescu� (1965-1989)a excellé par le �nationalisme� promu, par l�empechement et l�anéantissement de touteforme de résistance r travers le contrôle exercité par la police politique sur les citoyenset la censure sur l�information avec laquelle ceux-ci pouvaient venir en contact. C�estainsi que, dans le processus d�écroulement des régimes communistes en éurope, afin dechanger l�équipe au pouvoir, en Roumanie �on a mis en sccne une révolution typique�en 1989 (Karnoouth, 2000).Dans les analyses concernant la révolution de Roumanie, la seule �révolution sanglante�par rapport r la �révolution de velours� des autres états communistes d�Europe�, il faut

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signaler les particularités suivantes du transfert du pouvoir:En Roumanie seulement il y a eu lieu un renversement sanglant du régime, pendantlequel (22-25 décembre 1989) 1104 hommes sont morts et 3352 ont été blessés.On a fait recours r la violence non seulement avant la fuite du couple Ceausescu deBucarest, mais encore plus aprcs cela. Le but de cette action était de créer l�apparencede legitimité dans la prise du pouvoir par la nouvelle équipe dirigeante et d�assurer cepouvoir par les changements institutionnels et des élites de premier rang.En Roumanie seulement, le chef du parti et de l�état a été executé aprcs un proccsreprésentant une rémanence des proccs staliniens.A peine aprcs le renversement de la dictature ayant une teinte idéologiquenational-communiste, en Roumanie les communistes réformistes ont pris le pouvoir.�La competence� du nouveau groupe décisionnel est remarcable par l�organisation duFront du Salut National (FSN) - formation qui assume la direction du pays. Pendant 3jours (le 22-25 décembre 1989), sur le fond des manipulations appelées �l�affaire desterrotistes�, celui-ci se substitue aux organization du parti communiste à tous lesniveaux du politique dans tout le pays. Dans une première étape, les nouveauxdirigeants veulent se légitimer en tant qu�agents du changement, en maintenant leurspositions au sommet de la hiérarchie par des mesures populistes. Leurs attentes ont étésatisfaites par l�électorat qui a crédité FSN aux élections du mois de mai 1990 de 87,5% des suffrages. Son leader Ion Iliescu - en compétition finale pour le fauteuilprésidentiel avec les représentants, récemment revenus de l�exil, des deux �partishistoriques qui renaissent� (Le Parti National Liberal et Le Parti National PaysanChrétien et Démocrate) - est paru comme le facteur de déclenchement des effetspositifs de l�époque.Son avantage, pour occuper la position de premier rang dans la hiérarchie du pouvoir, aconsté dans son habileté d� organisateur et dans sa capacité de détenir �des relationsclientélistes basées sur sa propre personne� parmi les élites du temps (Gabanyi, 1999).Ainsi, par sa biographie, Ion Iliescu représente les relations et les groupes suivants:les répresentants et les continuateurs des communistes illégalistes de 1922-1944 (sonpère et sa mère adoptive avaient été illégalistes);les anciens étudiants des facultés de Moscou (pendant 1950-1953 il avait été étudiant àl�Institut d�Energétique dans la capitale soviétique et leader des étudiants roumains de l�URSS)l�organisation de la jeunesse communiste UTC (1957-1971 - il a été premier secrétairede l�UTC),les activistes de premier rang du parti (février-juillet 1971, sécretaire de la propagandedu CC de PCR; 1971-1974, sécretaire de la propagande du département de Timis,1974-1979, premier secrétaire r Jassy);les technocrates (1979-1989, directeur du Conseil National des Eaux);les gens de culture (1984-1989, directeur de la Maison d�Edition Technique ayant lesicge r �Casa Scânteii�); dans sa qualité de dirigeant départamental ou national de lapropagande, les écrivains, les gens de culture et d�art et ceux de l�enseignement luiétaient subordonnés)�La démocratie non-représentative� du pluripartisme. La promulgation de certaines loisdémocratiques en vue de la libre association a donné naissance au phénomène appelé�la démocratie non-répresentative�(Revel, 1990)

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Tout comme dans l�ex-Union Sovietique, les partis parus en Roumanie - des dizaines -peuvent être groupés en cinq catégories (Thom, 1994)des partis qui essaient de renouveler la tradition pré-bolchevique, respectivement celled�entre les deux guerres (Le Parti Liberal, Le Parti National Paysan Chrétien etDémocrate);des partis qui prétendent s�inspirer des modèles occidentaux (Le Parti Démocrate, LeParti Ecologiste);des partis qui ne sont, en réalité, que des groupements autour d�un leader plus ou moinscharismatique;des partis qui expriment l�organisation politique et les interêts de certains groupes de l�administration et de l�économie;des partis résiduels, qui renaissent du parti communiste et/ou des services spéciaux.Malgré la dénomination et les doctrines déclarées, les partis politiques qui dominent àprésent la vie publique roumaine ressemblent peu aux partis politiques propres à lasociété moderne. L�identification avec un parti n�a pas les connotations connues (l�apparition de nouveaux partis se produit par la fragmentation de ceux déjà existents,dans le cadre d�un phénomène qui ressemble à la multiplication des organismesprimaires par scissiparité). En général, les partis actuels sont construits non pas commedes groupements qui appuient une certaine politique, mais autour de certains leaders.Les conflits existant entre les leaders font naître d�autres partis. Mais depuis 1990, surle plan principal de la scène politique, PDSR n�a jamais manqué - il s�agit du partiarticulé en décembre 1989 (FSN) sur les structures du parti communiste.Il faut signaler un moment significatif de l�histoire post-communiste de la Roumanie:la constitution de la Convention Démocrate de Roumanie (CDR), comme une coalitiondes �forces d�opposition� à PDSR. CDR et son candidat présidentiel EmilConstantinescu ont gagné les élections de 1996. La législature 1996-2000, au début delaquelle la plupart des Roumains avaient espéré qu�elle apporterait �le changement enbien�, a constitué pourtant une grande désillusion.Les caractéristiques des élites. Les membres du gouvernement, du parlament, des staffdes principaux partis post-communistes peuvent être designés par le terme �institutciki�(utilisé par la presse russe conservatrice pour les promoteurs de la �perestroika�). Ilsproviennent, la plupart, des instituts et des universités - représentant �le milieuuniversitaire, conformiste, servile et faible� (Iakovlev, 1999), des services spéciaux etde la presse. L�éducation en vertu du principe stalinien �qui n�est pas avec nous estcontre nous� est visible dans les rapports existant entre les partis adverses, dans lecontenu de la presse communiste, dans le �langage eschatologique� utilisé par certainsjournalistes et politiciens dans les disputes avec leurs adversaires.Des concepts comme �réforme�, �changement�, �démocratie�, �consensus�, � économie demarché� constituent des accessoires doctrinaux de tout parti. Le discours électoralexcelle en promesses; le politicien actuel a herité le manque de responsabilité typiquede l�activiste de parti du régime précédent. Mais plus encore que pendant le régimecommuniste, la carrière de politicien est la voie le plus avantageuse et efficiente deposseder des biens, des privilèges et de la popularité.En essence, le manichéisme et la logocratie sont les caractéristiques des élitesactuelles.La confusion d�institutions et de rôles. Dans la multitude des organisations et des

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institutions dépourvues de compétences bien définies du régime communiste, c�est lerôle dirigeant et de censeur du parti unique qui s�est distingué. La propagande aaugmenté sans cesse la création de la représentation selon laquelle c�est au particommuniste (et surtout à son leader) qu�on devait la satisfaction des besoinsexistentiels des individus.C�est pourquoi, au niveau du mental collectif se maintiennent à présent les confusionsentre les attributions des institutions fondamentales politiques, législatives etadministratives. Cela donne naissance à des disputes et à des divergences difficiles àsolutionner au niveau central et local. En Roumanie, les gens attendent encore que lespartis auxquels ils adhèrent résolvent leurs problèmes exitentiels individuels.Dans le plan de la vie individuelle, on remarque le fait que le rôle de la famille stagne àla mentalité de l�ancien régime. Ainsi, les parents essaient de transférer leursresponsabilités aux institutions d�assistance sociale et éducationnelles.L�appauvrissement de la population. L�échec des premières tentatives de transition à l�économie de marché a été peu ressenti pendant les premières cinq années suivant lachute du régime communiste. Cela s�explique par le fait que les emprunts financiersfaits à l�étranger ont été utilisés non pour restructurer l�économie, mais poursubventionner des marchandises et des services de large consommation pour lapopulation. Apres cette étape, les Roumains habitués à un certain niveau de viesous-mediocre, mais qui leur garantissait certains droits sociaux, (le lieu de travail, lapension de retraite, le congé et la gratuité de l�éducation et de l�assistance médicale)ont ressenti le choc de la dégradation des conditions de vie.L�appauvrissement de la population a evolué progressivement. En dix ans, le salairemoyen net, exprimé en dollars, s�est réduit à la moitié (en octobre 1990, il représentait162 dollars; en janvier 2000 il avait diminué à 87,5). Les sondages d�opinion montrentque la privatisation est perçue comme un �stimulent pour la pauvreté� (Constantinescu,1995) et la représentation des entrepreneurs se réalise par association avec lamalhonnêteté. Des données qui utilisent �le passé et l�avenir comme indices du présent�(M. Ziolkowski, 1998), il résulte que les espoirs d�une vie meilleure des Roumains sedétériorent progresivement. En 2000, 70% des Roumains appréciaient que lesconditions de vie de 1989 étaient meilleures que le présent. Tout comme dans lesautres états communistes, en Roumanie les gens ont commencé à associer le régimepassé avec les �bons temps� (G.H. Hodos, 1996)Le nationalisme et la xénophobie. Cela a constitué le contexte socio-politique danslequel les dernières élections se sont deroulées (26 novembre 2000). Compromise à lasuite du gouvernement précédent, CDR n�a obtenu qu� 6% des suffrages. PDSR et sonleader qui candidait pour le fauteuil présidentiel, Ion Iliescu, étaient considérés commeles favoris incontestables des élections. PDSR a obtenu finalement 43% des suffragesdes électeurs. Parmi les �partis historiques�, PNL uniquement a obtenu des résultatssignificatifs (10%) par rapport aux élections précédentes.L�ascension du parti �România Mare� (�La Grande Roumanie�) (PRM) et de son leaderCorneliu Vadim Tudor en tant que candidat à la présidence de la Roumanie a constituéune surprise de grandes proportions. Récepté comme un parti extrêmiste - seloncertaines opinions, �de droite�, selon d�autres - �de gauche� - antérieurement auxélections de 2000, aucun sondage ne créditait le parti avec la performance d�obtenirplus de 10% des suffrages. Mais il a obtenu 22% des votes de l�électorat, se montrant

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ainsi la principale �force de l�opposition� actuelle en Roumanie. Après le premier tourde scrutin pour la présidence, C.V.Tudor (28,4% des suffrages) était placé d�unemanière surprenante très près de Ion Iliescu (36%).Qui est �le leader nationaliste� de Roumanie? Né en 1949, C.V. Tudor se présente, d�une manière propagandiste, comme le fils �d�une famille de travailleurs, chrétienne�. Ilest diplômé de la faculté de sociologie de Bucarest et il a terminé ensuite une école d�officiers en resèrve. Pendant le régime communiste, il a excellé en tant que publicisteet poète �engagé politiquement�. En 1990, sur le fond des conflits inter-ethniques deTransylvanie et des manipulations practiquées par les officiers de l�ancienne �Securitate� C.V. Tudor a fondé le parti România Mare. Sans que l�on ait des données précises surle nombre de ses membres, le parti semble représenté, en principal, par la revuehebdomadaire �România Mare�. Ses représentants marquants dans l�actuel parlement deRoumanie sont des anciens officiers de la Securitate, des chanteurs de musiquepopulaires et des journalistes.Sans avoir un programme économique ou destiné à freiner la corruptionm - celle-ciétant déclarée la cause fondamentale de la dégradation de la vie en Roumanie - lapopularité de PRM semble résider dans le discours de son leader.Ce qui le caractérise c�est l�appel aux mythes de large circulation analysés par R.Girardet (1986) - le mythe du �sauveur�, de la �cité assiégée� (les allusions continuellesà la Transylvanie), de la �conspiration�(les conspirateurs étant �les maffieux� désignés d�une maniere imprécise) et du �renouvellement de l�âge d�or� (apprécié comme étant,selon les circonstances, soit l�époque médievale, soit l�époque de �La Grande Roumanie� de 1919-1940, soit le régime communiste). Ainsi, dans l�éditorial de la revue�România Mare� du 1 décembre 2000, le pays est présenté comme se trouvant à uncarrefour historique ou les Roumains doivent décider leur �entrée� (�à genoux et la maintendue ou bien le front haut�). En vue de la décision, Vadim se présente comme �lesauveur� de la nation.Le nationalisme roumain - caractéristiques et motivations. Bien que le succès de PRMet de son leader aux dernières élections ait surpris et inquiété les milieux roumains quiadhèrent aux valeurs des démocraties traditionnelles, le phénomène n�a pas été analyséavec pertinence et la méthodologie des sciences socio-humaines.Par conséquent, la recherche comparative �Les extrêmes droites en Europe�, nousestimons la possibilité d�obtenir des réponses avisées. L�analyse de la societé roumaine- avec ses particularités présentées antérieurement - peut contribuer, à son tour, a l�éclaircissement de certaines questions avancées par le projet proposé concernant laré-emergence de l�extrêmisme de droite dans les pays de l�Europe, par exemple:En quelle mesure la popularité du discours nationaliste en Roumanie représente-t-elleune rémanence des représentations sociales formées par la idéologie de droite pendantla période d�entre les deux guerres ou bien de celles dues à l�étape historique plusrécente, désignée par le syntagme �le communisme national�?Quelles notes et quelles étapes communes ont les représentations sociales dunationalisme post-communiste par rapport aux représentations sociales des �extrêmesdroites� de l�Europe Occidentale?�Le nationalisme� est-il une possible doctrine de l�histoire récente annoncée comme untemps de �la mort des idéologies�? Avec quelles motivations?

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Bibliographie

Betea, L., 2001, Psychologie politique; L�individu, leader, masse pendant le régimecommuniste, Iasi, PoliromConstantinescu, N.N., 1995, Reforma si redresare economica în România, Bucuresti,Edit. EconomicaDoggan, M., 1999, Sociologie politica, Bucuresti, AlternativeGabanyi, A.U., Revolutia neterminata, 1999, Bucuresti, Edit. Fundatiei CulturaleRomâneGirardet, R. 1986, Mythes et mythologies politiques, Paris, Edit. Du SeuilIakovlev, A., Marcou, L., 1999, Ce que nous voulons faire de l�Union Europeenne,Paris, Edit du SeuilKarnoouh, C., 2000, Comunism, postcomunism si modernitate târzie, Iasi, PoliromMoscovici, S., 1976, La psychanalyse, son image et son public, Paris, PUFRevel, J. F., 1990, La Connaissance inutile, Paris, Grasset&FasquetteTanase, S., Interviu cu G.H. Hodos, 1999, în revista Sfera Politicii, anul V, nr.35,pp.26-28Thom, F., 1994, Les fins du communisme, Paris, CriteriosZiolkowski, A. 1998, Despre pluralitatea prezentului în Psihosociologia achimbarii(coord. A. Neculau, G Ferreol), Iasi, Polirom, pp. 233-244Le journal �România Mare�, nr. 542, an. XI, 01/12/2000.

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ACTUALIDAD E HISTORIA DE LA PSICOLOGIA POLITICALATINOAMERICANA

Angel Rodriguez Kauth

1-INTRODUCCION.La mayoría de quienes hacemos Psicología Política en América Latina creíamos que ladisciplina se desprendía de la Psicología Social. Esto se ha repetido cual una suerte delatiguillo sin ponerlo en duda, hasta que Dorna (2002) demostró la falacia de ello, alseñalar que era anterior a la Social, no en su constitución formal, sino en cuanto a suexistencia fáctica, aunque sin ése nombre. Es tan cierto que en Aristóteles y Platón serastrea -en sus estudios políticos- que atendían a los atravesamientos de lo subjetivo. Lahistoria del pensamiento confirma los dichos de Dorna, basta recorrer algunos clásicospolíticos para ver referencias a tales atravesamientos: Maquiavelo, Hobbes, Locke,Hume, Smith, Marx, Veblen, etc.Una explicación a la confusión de los orígenes de la Psicología Política está en quequienes la trabajamos en América Latina -no más de 15 años- lo hicimos con base en laPsicología Social. La mayoría de quienes aceptamos la propuesta de Montero (1987)procedíamos de la Psicología Social Crítica, que era una lectura comprometida políticae ideológicamente de lo que hacíamos desde ella. Más, ante la afirmación de Dorna,tuvimos que salir de esa postura ingenua, sin ver lo que había en los clásicos políticos.Quizás los dichos de Brozek (2002) -al referirse a la Psicología- valga aquello de quetenemos "Un pasado largo y una historia corta".Para finalizar con la Introducción, anticipo de que pese a que nota refiere a la PsicologíaPolítica Latinoamericana, básicamente haré referencia a lo que ocurre en la Argentinapor dos motivos:a) Argentina, durante sus doscientos años nunca se sintió parte del subcontinente; loslatinoamericanos nos consideran el lugar más occidental de Europa por la exquisitezargentina de mirar con avidez hacia Europa -en especial a París- lo cual retroalimentóque nos sintamos menos parte de nuestra América. Pero, en los años '90 -con elmenemismo- nos aggiornamos y buscamos el referente en los EE.UU. y con esocreímos que éramos el Primer Mundo, cosa que nunca fuimos debido al abismo entreexplotadores y explotados. Los parámetros macroeconómicos mantenían la ilusión,aunque la realidad que vive el pueblo es la de la pobreza social e intelectual (1); y b)merced a la crisis financiera, económica, política y social que atravesamos, loshabitantes pusieron en juego las células grises indemnes para superarla por sus propiosrecursos y, en ello, colaboran un grupo de psicólogos comprometidos con los excluidosy marginados por el imperiocapitalismo que nos arrojó a la miseria extrema. Ellos fijanpautas de trabajo psicopolítico que contribuyen a elevar la cabeza y mirar al mundocomo iguales o, al menos, no dejar que nos exploten los que encontraron en esteterritorio una vena abierta para sus negocios. Es por esto último que parcialmente dejarélos desarrollos de colegas del subcontinente, ya que tuvieron -no siempre- un

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compromiso verbal no reflejado en hechos.2-DESARROLLOS DE BREVE TIEMPOEl entendimiento que la disciplina era un desprendimiento de la Psicología Social, debeañadírsele que se la consideró como un nivel superior de análisis e interpretación de loshechos que de la cotidianeidad que se trabajaba y fue necesario recurrir a conceptospsicosociales como a conceptualizaciones políticas, históricas, ideológicas, filosóficas yeconómicas. Así surgió una síntesis de datos psicológicos y sociales del entorno políticoque atraviesan la subjetividad, para lograr más eficiencia teórica e investigativa, a másde mayor efectividad en el análisis, comprensión e intervención en los hechos políticosy sociales que se sucedían en derredor.Sobre la ampliación de conocimientos con que egresan los psicólogos, interesa traerunas palabras de Guattari en una entrevista en Buenos Aires: "Me parece que lo queenriquece la potencialidad de un intelectual es su capacidad de dispersar su producciónde registros heterogéneos". Los psicólogos tenemos el deber intelectual y profesional depretender no sólo ser "sabios" en nuestro quehacer, sino también la de ser intelectuales,para tener una perspectiva más abarcativa que permita realizar con mayor eficacia lalabor.La Psicología Política surgió en Latinoamérica para los '80, como resultado deinvestigaciones de campo hechas por psicólogos sociales ocupados y preocupados porlos "males" sociales endémicos que azolaban a la región y que -luego de 15 años-crecieron aún más (2). El hito fundacional fue la convocatoria de Montero y MartínBaró (Montero, 1987) inquietos por temas y problemas políticos. La Psicología Políticaya existía en especial en USA y Europa, aunque las relaciones que se mantuvo con esoscentros del poder económico e intelectual se matizaron de un modo diferente ya que,como señala (Parisi, 1999), "... las temáticas, los enfoques y los recursos metodológicosutilizados implican una distintividad del quehacer psicopolítico surgido en cada uno deellos".Se convocó a psicólogos que cumplían con dos condiciones necesarias para hacer lasuperación de la frustración social e intelectual que teníamos. Estar atravesados por laslimitaciones de la lectura de datos de investigación y, asimismo, estar en condiciónintelectual y afectiva para asumir un compromiso con la realidad social que vivíamos ydar un paso adelante en las intrascendentes -socialmente dicho- investigaciones conasepsia de compromiso ideológico; tales hechos debían ser sentidos como dolor propioen tanto afectan a la dignidad de humana que merece una mejor calidad de vida.Dado que toqué marginalmente a los derechos humanos, es interesante notar que pese alos episodios de tortura y genocidio que sufrió la población de "nuestra" América, buennúmero de psicólogos ignoran los experimentos hechos por Milgram (1974) sobre"obediencia debida" y que aplicaron los despótas latinoamericanos -incluso europeos,ya que Serbia está en Europa- para encubrir sus acciones.Más, retomando el tema central -el desarrollo disciplinar desde las premisas señaladas-hay que advertir que sólo con su presencia no se está ante una Psicología Políticacientífica. Sólo se dio un paso necesario -no suficiente- en superar lo que Montero (op.cit.) marcó como el de la psicología política inconsciente al consciente. Aquel momentose produjo cuando un número significativo de psicólogos asumieron un papel políticoprotagónico en su quehacer profesional y en su privacidad. Por discreción a personajestenidos como "vacas sagradas" en la psicología latinoamericana, no los mencionaré;

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esto no obsta para que el lector sepa quienes no asumieron tal compromiso ycontinuaron disfrutando de subsidios que se distribuían desde lo que se sería la capitaldel Nuevo Orden Mundial (García Lupo, 1983). Es decir, en términos fenomenológicosla conciencia es el "para-sí" que prueba el uso de la libertad asumida por el sujeto y quelo angustia frente a la ética de la responsabilidad con que se tomen las acciones queprotagonice. Para Sartre, la fuga a la angustia se puede hacer con "mala fe"; laconciencia -alienada- niega la realidad (Freud, 1925) como mecanismo defensivo yfinaliza por cosificarlo. Al proteger intereses personales se olvida que la historia es delos conflictos y las luchas de clases (Marx, 1852), a las que hoy hay que añadir la de losmovimientos sociales que marcan un rumbo al que es preciso adaptarse por que larealidad así lo indica, ya que ignorarlos es ignorar el paso del tiempo, incluso lasideologías creídas -en devaneos religiosos más que "científicos"- que serían eternas,ignorando a la dialéctica.Si la base de la historia está en el conflicto, entonces la cooperación propuesta poralgunos psicólogos refleja el vasallaje a que se someten -los más- por otros -los menos-que atraen con el dinero. La única cooperación y solidaridad está entre los oprimidos(Memmi, 1969) que, para esto, son los psicólogos latinoamericanos que enfrentan aladversario para revertir la humillación a que es sometido nuestro pueblo. Para eso, lospsicólogos latinoamericanos estamos dispuestos a afrontar la asepsia política yreemplazarla por el compromiso ideológico y de praxis con los marginados sociales que-en general- atraen la atención para declaraciones de solidaridad, aunque sin dar el pasode la militancia que es la que realmente nos comprometerá con lo que decimos estarcomprometidos.En Argentina hay una pequeña tradición en esto, fue M. Langer (1978) que llevó a otrospsicólogos -en especial psicoanalistas- pero que la represión de la dictadura (1976-83)desbarató con el ostracismo, la tortura y la muerte de varios de sus protagonistas. Sinembargo, surgen grupos que asumen el compromiso activo (Carpintero, 2002) con suparticipación en la organización Madres de Plaza de Mayo.Proponer participación y compromiso puede aparecer descolocado ante a una tradiciónpsicológica que hizo de la no contaminación política un santuario; estas conductas nofueron atrabiliarias entre filósofos, sociólogos, economistas e historiadores. Entre lospsicólogos esto no ha sido lo común, debido a lo sostenido al inicio de que están "mal"dotados en su formación por carencia de otros registros, lo cual les impide alcanzar lacategoría de "pensadores", es decir, se quedan en profesionales. Esto no significa quemañana corramos a afiliarnos a un partido político sino que basta con adherir sinreparos a los movimientos sociales que reemplazan a entes que quedaron anquilosadosen el tiempo por falta de conducción que piense más en los otros y menos en susintereses. Que nadie crea que tal conducta hará perder "objetividad científica" a nuestroquehacer; como ejemplo de esto valga el científico más notable del Siglo XX -Einstein-que no por adherir y participar por la paz mundial, la no violencia, los derechoshumanos y hasta con adhesión condicionada a ciertos postulados socialistas dejó de serun científico del cual tenemos mucho que aprender más allá de su campo de laborespecífica.Hoy la participación política-ideológica no pasa por lo que alguna vez afirmara(Rodriguez Kauth, 2001): desenmascarar las políticas económicas proteccionistas ybelicistas que usan los amos del Norte. Y, sobre los "equilibrios comerciales",

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recordemos los dichos de I. Caruso (1971) que señaló: "Los pueblos que cultivanintercambios amistosos entre sí se ponen a la defensiva cuando esos intercambios sonperturbados en beneficio de uno de ellos".Una forma de combatir la desocupación excluyente y sus consecuencias inmediatascomo la desnutrición infantil, la miseria, el hambre, la indigencia, etc., es participandocon nuestros saberes en la recuperación de empresas abandonadas y ponerlas-cooperativas o autogestión- en manos de los trabajadores. Quienes hacemos PsicologíaPolítica tenemos mucho que decir y hacer en pos de lograr con éxito el intento(Rodriguez Kauth, 2002), pero nos falta aún mucha distancia para ser honestos con losotros y con nosotros.No se me escapa que ya algún lector sospeche si con la implicación activa, lospsicólogos políticos -u otros- no perderán "objetividad científica" en cuanto sirven aalguna causa política. Los reto a un ejercicio intelectual al revés. Pregúntense si quienespermanecen en la asepsia política en su profesión no creen que están limpios de la culpade "hacer" política. ¡Sí lo hacen!. ¿Porqué la respuesta enfática?. Lo hacen a diario al noreconocer conscientemente de que son cómplices de las políticas vigentes por omisión,no por acción como la propuesta, pero igual participa de los intereses en disputa. Con unagravante ético: engañan a los otros y a sí mismos con un actuar falsamente puro lo quelos poderes se encargaron de decir que es sucio o pecaminoso, para que no nosentrometamos en sus enjuagues y los dejemos continuar con sus depredaciones sobrelos pueblos.No por eso han de ser mejores o peores psicólogos que otros, al igual que los queponemos la cara no sólo para decir "desde aquí escribimos", sino para testimoniar ellugar desde donde actuamos. Tampoco ellos son peores en su quehacer -que goza desubsidios por realizar todo lo que al sistema le conviene desarrollar- que los quetomamos la posición sugerida; sólo nos diferencia el conocimiento que tenemos desaber al servicio de quienes ponemos nuestras capacidades y del lado de quien estánuestro compromiso. Las consecuencias de la toma de posición activa llevó a Parisi (op.cit.) a caracterizar a lo que ha ocurrido como el momento de "... una RevoluciónCientífica al interior del pensamiento psicológico, especialmente el de las ideas de laPsicología Social".3-LA ACTUALIDAD:En el repaso histórico, deslicé cuestiones atinentes a la actualidad del hacerpsicopolítico en particular y del psicológico en general, sobre todo en donde se implicanacciones profesionales con problemas de la vida cotidiana de las personas que buscanapoyo terapéutico, o como intersección con la Psicología Social Comunitaria o comoseñala Carpintero (op. cit.), cuando se trata de actuaciones profesionales enmarcadasclaramente con contenido político y social.Existen denominadores comunes sintetizados en dos: a) incuestionable compromiso delprofesional con su clase -trabajadores- que permite superar la falsa conciencia (Marx,1847); y b) la aplicación de sus conocimientos al servicio de Otros, de los que lonecesitan y no pueden pagarle su quehacer por ser indigentes y necesitarlos como unapoyo más en la reivindicación de derechos inalienables: trabajo, comida, salud,educación, vivienda y libertad; todo lo cual es un propósito que lleva a la lucha diariacontra los intereses de los que hicieron de la desocupación la forma de tener mano deobra barata para reducir costos y lograr esclavos en vez de empleados.

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La torpeza de algunos intelectuales del establishment, como de la llamada clase media,logró que se observe a la pobreza como propia de quienes no son capaces de superar lacondición agraviante en que viven. Un pobre es igual a cualquiera, la diferencia está enque él no tiene ánimo -por falta de fósforo y proteínas- como para hacer marchar susneuronas que se atrofiaron por ser pobre social, afectiva e intelectualmente. Son ellos,los que nos requieren para salir de la condición en que los hundió un sistema político yeconómico perversamente injusto.Retornando a la aplicación de los conocimientos psicológicos a una práctica socialconcreta que va de la mano del compromiso explícito con quienes necesitan de nosotrosy no de los que nosotros necesitamos para obtener honores, financiamientos, subsidios,becas, invitaciones, etc. (Rodriguez Kauth, 2002b) diré que lo que se realiza con esasexperiencias incipientes es, desde el conocimiento que tenemos y que a los otros lesfaltan, alcanzar una alianza libre de especulaciones egoístas que vayan más allá delmero hecho de poner conocimientos y técnicas al servicio de los que lo requieren. Talaplicación no será novedosa para quienes conocen de psicología social aplicada, comola intervención institucional, organizacional y grupal que funcionan como contención delas ansiedades paranoicas que frenan las posibles acciones de lucha.En Argentina existen cerca de 200 empresas e industrias cerradas por los dueños, peroque sus trabajadores intentan convertirlas en empresas de autogestión para reabrirlas ydar trabajo a miles de desocupados excluidos del sistema laboral, porque para lospatronos fue negocio "vaciar" capitales y retornar a sus casas matrices donde gozan dela seguridad jurídica que aquí no encuentran debido a los vaivenes de unagobernabilidad política caótica que se mueve como en el Mar de los Sargazos sin hallarel rumbo para llegar a puerto.Así se procura el retorno de lo reprimido bajo la forma de utopía puesta en marcha yuna de esas marchas es para que se haga caminar más rápido a la Justicia a fin queentregue esos establecimientos a sus trabajadores y que los hagan funcionar. Con lasmovilizaciones y asambleas obreras se logra la temida "justicia por mano propia". Peroen este caso no se trata de una venganza, sino de recuperar el trabajo y ante ello losjueces no pueden hacer oídos sordos y se ven obligados a autorizarlos para cumplir consu objetivo de trabajar.La recuperación del trabajo es el imperativo para no ser excluidos de un sistema que losnecesita afuera de las fábricas para regular precios y salarios según les convenga. Latoma de fábricas no es en reclamo por condiciones laborales o salariales, se reduce aponerlas en marcha para recuperar la fuente con la que alimentarse, lo que va atado asuperar la fragmentación -de la globalización- por medio de la solidaridad y de entablarlazos sociales estrechos entre quienes compartían un espacio laboral, pero se ignorabancomo sujetos y ahora se piensan de modo más humano en la forma de relacionarse. Talreconversión cooperativa se hace contra la oposición patronal, del gobierno y de laburocracia sindical aliada al capital y no defiende a los afiliados. A estos últimos se losdesplazó de las fábricas recuperadas reemplazándolos con dirigentes de la base obrera.Me he referido a la defensa y protección de los Derechos Humanos. Es uno de losproblemas centrales en Latinoamérica; merecen destacarse los aportes -que va más alláde lo expositivo- de Lira, Weinstein y Kovalskys (1987) y Parisi (2002). Es un temacomplejo, ya que nuestros territorios estuvieron sometidos a gobiernos despóticos queno dudaron en recurrir a la protección de los EE.UU. para violarlos, en especial la vida.

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Aquí los psicólogos sociales realizaron una tarea silenciosa y eficaz en el rescate de lamemoria individual y colectiva; siendo de destacar lo realizado desde organismos comoMadres de Plaza de Mayo, Abuelas e Hijos por encontrar la identidad pérdida deciudadanos despojados desde niños de ella, como también participar en la elaboracióndel duelo en familias de desaparecidos. Asimismo se destacan los trabajos realizadossobre los efectos de la tortura, siendo de los más recientes el de Bouças Coimbra (2001).Un problema que afecta a la política y al atravesamiento subjetivo de la población es elde la corrupción. Sobre ella se ha escrito e investigado bastante y se continúahaciéndolo en pos de desenmascarar ONGs que pretenden ser "transparentes".Otros temas y problemas alientan la Investigación psicopolítica sudamericana pero, parafinalizar, sólo haré hincapié en el racismo -o clasismo- que es problema presente noentre nosotros y cuyos estudios han de incentivarse por los hallazgos del biólogo S.Wells (2002) que demuestran que hablar de "razas" es un dislate intelectual, luego deseguir genéticamente las migraciones que partieron desde Africa hace unos 60 mil añosy que echan por tierra las concepciones racistas imperantes.5-CONCLUSIONES.No son muchas las que puedo poner aquí, pero el punto debe incluirse porque es derigor en estos escritos. Las conclusiones debe sacarlas el lector a partir de lo expuesto.Sólo señalaré que la Psicología Política está tomando la fuerza que necesitaba paraenfrentar los desafíos sociales, políticos y económicos que afronta la región y, sobretodo, lo hace con la honestidad intelectual de decir desde qué lugar se ha tomadoposición para llevar la tarea que nos convoca.BIBLIOGRAFIA:ARDILA, R.: (2002) La Psicología en el futuro. Pirámide, Madrid.BOUÇAS COIMBRA, C. M.: (2001) "Práticas psi e tortura no Brasil". PsicologíaPolítica, Sao Paulo, Vol. 2, Nº 1.BROZEK, J.: (2002) "Un pasado largo y una historia corta". En Ardila.CARPINTERO, E.: (2002) Produciendo realidad: las empresas comunitarias. Topía, Bs.Aires.CARUSO, I.: (1971) "Psicoanálisis, ideología y crítica de la ideología". Actas IICongreso de Psicología Social, Mar del Plata.DORNA, A.: (2002) "La Psicología Política. Ausencia de Proyectos Políticos y la crisisde las Ciencias Sociales". Psicología Política, Valencia, Nº 34.FREUD, S.: (925) La Negación. Amorrortu, Bs. Aires, 1986.GARCIA LUPO, R.: (1983) El Plan Camelot. C.E.A.L., Bs. Aires.LANGER, M.: (1978) "Notas autobiográficas". Topía, Bs. Aires, Nº 35, 2002.MARX, C.: (1847) La Ideología alemana. Pueblos Unidos, Montevideo, 1958.MARX, C.: (1852) La Lucha de Clases en Francia de 1848 a 1852. Espasa Calpe,Madrid, 1953.MEMMI, P.: (1969) Retrato del colonizado. La Flor, Bs. Aires, 1971.MONTERO, M. y otros: (1987) Psicología Política Latinoamericana. Panapo, Caracas.PARISI, E. R.: (1999) "Psicología Política Latinoamericana". PsicologíaIberoamericana, México, Nº 2.PARISI, E. R.: (2002) "Tratamiento psicosocial de los derechos humanos". Tesisdoctoral inédita, San Luis.RODRIGUEZ KAUTH, A.: (2001) "La Psicología Social y la Psicología Política

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Latinoamericana: ayer y hoy". Psicología Política, Valencia, Nº 22.RODRIGUEZ KAUTH, A: (2002) "La crisis que se vive en Argentina". Debats,Valencia, Nº 77.RODRIGUEZ KAUTH, A: (2002b) "La Política de la Psicología: el caso Argentino".Psicología Política, Sao Paulo, Vol. 2, Nº 3.WELLS, S.: (2002) The Journey of Man. A genetic odyssey. Penguin, London.

Resumen.El tema -dadas las actuales circunstancias sociales, políticas y económicas que atraviesala región- implica necesariamente hacerlo desde una perspectiva ideológica: delcompromiso. El quehacer psicológico siempre ha estado comprometido ya sea con lospoderes hegemónicos o con los agraviados por estos de manera consciente oinconsciente. El escrito asume un compromiso consciente con los marginados yexcluidos del sistema globalizador.Palabras Clave: Compromiso, desocupación, marginación, exclusión.Abstract.Latin American Political Psychology's Present Time and HistoryThis issue -given the current social, political and economical circumstances the region isgoing through- has necessarily to be treated from an ideological point of view: thecommitment. Psychological work has always been commited to both the hegemony'spowers and the those others who are injured by these powers in a conscious orunconsciuous way. This essay assumes a conscious commitment with those who are outand excluded from the global system.Key words: commitment, unemployment, social exclution, misery.

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La création d’un délit de manipulation mentale. Histoire d'un débatfaussé

 

Matthieu VILLATTE, David SCHOLIERS et Esteve FREIXA i BAQUé

 

Introduction

Le 30 mai 2001, l’assemblée nationale a adopté, en deuxième lecture, le projet de loiAbout-Picard renforçant la législation contre les sectes. Le texte définitif, comportant denouvelles mesures qui facilitent la dissolution civile d’organismes condamnés àplusieurs reprises par la justice et qui limitent l’installation et  la publicité desgroupements sectaires, étend l’article 313-4 du code pénal réprimant l’« abusfrauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse » puisqu’il devientégalement répréhensible s’il concerne un sujet « en état de sujétion psychologique ouphysique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniquespropres à altérer son jugement pour le conduire à un acte ou à une abstention qui lui estgravement préjudiciable ». Cette reformulation du délit de manipulation mentale,initialement prévu par le projet et adopté en première lecture, est un compromis entreles différentes positions qui se sont affrontées tout au long de l’élaboration du projet deloi.

Le texte définitif est en fait rejeté par l’ensemble des représentants des religionsmonothéistes, par une large partie du monde juridique et par le milieu de la psychiatrie.Pourtant, tous s’accordent à dire que la lutte contre les sectes est d’une importancecapitale. On peut se demander ce qui est à l’origine de positions aussi diverses etopposées dans la poursuite d’un but commun.

Pour tenter de répondre à cette question, nous présenterons d’abord les origines duprojet de la loi About-Picard - en précisant les différentes définitions du concept demanipulation mentale apportées notamment par la psychologie clinicienne française -puis les étapes de son élaboration et les justifications qu’y apportent leurs auteurs ; nousverrons ensuite les réactions du milieu non religieux et la critique formulée par desjuristes à l’égard du texte ; les réactions des représentants des religions monothéistesseront également examinées, notamment lors de leur audition devant le sénat ; enfin, àla lumière de l’approche béhavioriste du comportement et de son contrôle, nousproposerons de clarifier ce débat qui semble faussé dès l’origine par uneconceptualisation erronée de l’être humain.

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Le problème sectaire en France

La France a commencé à s’intéresser sérieusement au problème des sectes en 1995, enparticulier après le suicide collectif des membres de l’Ordre du Temple Solaire et ladécouverte de tentatives répétées d’infiltration de l’Église de Scientologie dans ledomaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Unecommission parlementaire, dirigée par Alain Gest, a tenté de dresser une liste desmouvements sectaires en France en fonctions de critères définissant leurs dangerosité,un seul suffisant pour figurer dans la liste:

-         Déstabilisation mentale ;

-         Caractère exorbitant des charges financières ;

-         Rupture induite avec l’environnement d’origine ;

-         Atteintes à l’intégrité physique ;

-         Embrigadement des enfants ;

-         Discours plus ou moins antisocial ;

-         Troubles à l’ordre public ;

-         Importance des démêlés judiciaires ;

-         Eventuels détournements des circuits économiques traditionnels ;

-         Tentatives d’infiltration des pouvoirs publics.1

Une liste de 172 organismes et associations a été ainsi produite par la commission et 12catégories différentes ont été identifiées :

-         Les groupes « New Age », persuadés de la venue de l’âge du verseau et de lavocation de leur religion à remplacer le christianisme, religion dominante de l’âge dupoisson qui s’achève.

-         Les groupes « alternatifs », qui basent leurs discours sur des propositions dechangement de la société, des rapports entre économie et politique.

-         Les groupes « évangéliques », dissidences des religions chrétiennes. Parmi lesplus célèbres, l’ « église de Jésus-Christ des saints des derniers jours », dont les adeptessont plus connus sous le nom de Mormons, fondée en 1830 par Joseph Smith.

-         Les groupes « apocalyptiques », tels les témoins de jéhovah.

-         Les groupes « néo-païens ». Essentiellement des adorateurs de dieux nordiquesou germaniques. Le rapport en cite trois pour la France : « l’ordre monastiqued’Avallon », « le suicide des rives » et  « la clé de l’univers ».

-         Les groupes « sataniques », souvent nommés avec les précédents ou confondusavec eux.

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-         Les groupes « guérisseurs », souvent condamnés pour pratique illégale de lamédecine, ils peuvent en effet se révéler très dangereux s’ils se substituent auxtraitements classiques.

-         Les groupes « orientalistes », telle la Soka Gakkaï, émanation nationaliste etintolérante, selon le rapport Gest, de la religion bouddhiste.

-         Les groupes « occultistes », adeptes des para-sciences comme la chiromancie, laradiesthésie, la télépathie, la télékinésie, etc. Un exemple de ces mouvement étaitl’Ordre du Temple Solaire.

-         Les groupes « psychanalytiques », dont la Scientologie.

-         Les groupes « ufologiques », pour lesquels l’existence d’êtres extraterrestres estune évidence (ex : les Raëliens).

-         Les groupes « syncrétiques », mélangeant diverses religions.2

Le droit français, et le code pénal en particulier, permettaient déjà de sanctionner laplupart des infractions dont se rendent coupables les mouvements  sectaires, qu’ils’agisse de l’homicide ou des blessures volontaires, de l’escroquerie, de lanon-assistance à personne en danger, des agressions sexuelles, du proxénétisme, del’incitation de mineurs à la débauche, de la séquestration des mineurs, des violences ,des tortures, etc. L’article 313-4 du code pénal, qui incrimine le délit d’« abus defaiblesse », était également adapté au comportement de certains groupements sectaires :

« L’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit d’unmineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à unemaladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état degrossesse, est apparente ou connue de son auteur, pour obliger ce mineur ou cettepersonne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables, est puni detrois ans d’emprisonnement et de 250 000F  d’amende ».

La justice civile permettait également de protéger les individus, y compris majeurs(placement sous sauvegarde de justice, de tutelle ou de curatelle, législation sur laprotection des majeurs incapables en application de l’article 488 du code civil, etc.).

Cependant, selon une commission parlementaire formée en 1999 et emmenée parNicolas About et Catherine Picard, cette législation ne prenait pas assez en compte lamanipulation mentale. La commission observait en effet que l’abus de faiblesse nes’appliquait qu’à des personnes objectivement vulnérables à l’origine, en raison de leurâge ou pour des raisons physiques, et qu’il ne sanctionnait que des préjudices matérielsou patrimoniaux. Par ailleurs, il apparaissait que les poursuites pour escroquerie,attentat aux mœurs, séquestration, rupture familiale, se heurtaient souvent auconsentement, passé ou présent, des adeptes ; la justice civile semblait égalementconfrontée au consentement des victimes majeures et apparemment, saines de corps etd’esprit. Le problème s’avérait d’autant plus grave que les instruments dont disposentles manipulateurs étaient bien supérieurs à ceux des décennies passées3.

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Dès lors, la commission s’est interrogée sur ce que signifiait la liberté de conscience(droit garanti par la déclaration des droits de l’homme et du  citoyen, article 10 et 11)d’une personne qui ne maîtrise plus ni sa vie psychique, ni sa vie morale. Il est apparuopportun à la commission, sachant que la manipulation mentale est l’un des moyenssouvent utilisés par les sectes pour obtenir des avantages matériels et financiers de leursmembres, de combler ce vide juridique. La création d’un délit de manipulation mentalea été ainsi envisagée.

La notion de manipulation mentale

La notion de manipulation mentale fait l’objet d’un large débat entre spécialistes. Eneffet, pour les uns, le phénomène n’existerait tout simplement pas, alors que pour lesautres, il s’agirait d’une réalité. Mais, là aussi, des divergences existent : certainspensent que, même s’ils sont influencés, les adeptes des sectes demeurent des personneslibres et responsables de leurs choix tandis que pour les autres, ce sont des victimestotalement manipulées.

Pour Massimo Introvigne4, avocat professeur d’histoire et de sociologie des nouveauxmouvements religieux, président du CESNUR (Centre d’Études Sur les NouvellesReligions, Italie), la manipulation mentale ne serait qu’un mythe et ne serait qu’une vuede l’esprit ultra-combatif d’association qu’il qualifie d’« anti-sectes ». De même,Bernard Chouvier5, psychologue clinicien et professeur de psychopathologie àl’Université de Lyon, ne peut adhérer à l’idée d’une manipulation mentale pratiquée parles sectes. Pour lui, il s’agirait plutôt d’une mise en aliénation volontaire puisque l’êtrehumain ne peut être manipulé sans son accord : « le psychisme n’est pas un bloc de ciremodelable et sa transformation, une question de technique ».  Chouvier ajoute qu’ilimporte de comprendre l’investissement sectaire en terme de rencontre qui serait sous lesigne de l’échange passionnel ; l’adepte adhèrerait activement et se laisseraitentièrement investir par la secte.

Pour d’autres, la manipulation mentale est à la base de l’endoctrinement sectaire. Ainsi,d’après le psychiatre Jean-marie Abgrall6, nous serions tous manipulables, même si ledegré de résistance à la manipulation varie selon les individus et les moments de la vie,et serions tous manipulés, que cela soit à l’école, en famille ou au travail. Cependant,dans certains cas, cette manipulation se ferait coercitive, c’est-à-dire que l’individuperdrait son libre arbitre et se transformerait en marionnette. Abgrall précise que lamanipulation ne se manifesterait que par ses effets. Elle s’articulerait en trois temps,selon une démarche d’approche, de séduction et de persuasion. Aussi, Michel Monroy7,psychiatre et fondateur du groupe d’études sur les sectes GRAPH, estime que laresponsabilité des individus séduits par un groupe sectaire n’est pas totale dans lamesure où ils ne détiennent pas l’ensemble des paramètres qui pourraient leur permettrede se rendre compte, dès le départ, du type de mouvement dans lequel ils s’apprêtent às’engager. Le sujet donnerait son accord à une procédure mais aurait méconnaissance dela nature du processus de transformation qu’il va connaître, du résultat final de cettetransformation et aussi des finalités des maîtres du jeu.

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Pour ceux qui soutiennent l’existence du phénomène de manipulation mentale, il reste àdéfinir les mécanismes qui le sous-tendent. Selon Bouderlique8, nous avons souventtendance à penser qu’un adepte aurait subit un lavage de cerveau pour adhérer à unesecte ; pourtant, cette théorie explicative des adhésions aux groupes sectaires doit êtredifférenciée de ce que vit réellement un adepte. En effet, le lavage de cerveau serait unetechnique spécifique entrant dans le cadre d’une situation bien définie. Lors de la guerrede Corée (1950), des soldats américains capturés et torturés par les chinois furentcontraints de suivre un programme visant à vider le cerveau de ses informationantérieures pour le remplir  d’autres informations grâce à des techniques coercitives.Ainsi, cette notion implique, par définition, contraintes, tortures et emprisonnement. Or,selon les témoignages, les anciens adeptes insistent sur les notions d’engagement et delibre arbitre.

Il semblerait que la notion de manipulation mentale soit plus pertinente, dans la mesureoù elle implique le caractère insidieux du processus. Selon cette conceptualisation,l’adepte retrouverait son statut de sujet désirant et responsable et, en même temps, unstatut de victime puisqu’il y aurait décalage entre ce à quoi il croit s’engager et ce à quoiil s’engage réellement9. Dans cette perspective, certaines pratiques de mise sousinfluence pourraient entraîner des altérations des processus de pensée, unedéstabilisation au niveau des besoins physiologiques et une déstabilisationpsychologique qui renforcerait le processus de dépendance et enfermerait le sujet dansun système de croyances. Aussi, la manipulation mentale n’opèrerait que si elle esttotalement dissimulée ; la victime serait persuadée que toutes ses pensées et décisionsviennent librement d’elle10.

 

Le processus d’embrigadement

Pour obtenir, sans contrainte visible, une adhésion et une participation active des sujets,le groupe sectaire utiliserait des masques séduisants, en s’appuyant sur les aspirationsdes personnes susceptibles d’être intéressées. Ainsi, seraient proposés des programmesde développement personnel, des activités humanitaires, écologiques, commerciales,culturelles et éducatives, des médecines alternatives. Les groupes sectaires feraientégalement de larges emprunts aux diverses religions et psychothérapies11.

Selon Bouderlique12, pour mettre en place une emprise psychologique, le groupesectaire proposerait une initiation progressive obligeant l’adepte à abandonner sesrepères habituels et toutes ses références antérieures, excluant toute réflexion critique etincitant à la soumission totale, condition de sa progression, de sa connaissance, de soninitiation. Ainsi, l’adepte contribuerait à sa propre transformation en se coupantprogressivement de la réalité extérieure. Ensuite, d’après Michel Monroy13, latransformation de la personnalité se ferait en plusieurs phases. Dans une premièrephase, il s’agirait de déstabiliser le sujet grâce à plusieurs phénomènes divers tels queles effets de groupe, la mobilisation des émotions, l’isolement et les ruptures,

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l’encouragement à évoquer le passé, les aveux de difficultés, les séances de confessionset d’autocritiques, la culpabilisation ou encore la modification des niveaux devigilance.  La seconde phase serait de reconstruire une identité en proposant une rupturedéfinitive avec les doutes et les sentiments d’impuissance, la possibilité de changer lemonde en se changeant soi-même. Enfin, dans une dernière phase, consisterait àrenforcer la dépendance physique et psychologique : le groupe apparaîtrait alors commeun univers de remplacement où l’on trouve identité, relations, activités, idéal,explications et projets. Ainsi, ayant un nouveau cadre de vie, l’adepte s’isoleraitprogressivement des réalités du monde extérieur et considèrerait le monde profanecomme suspect voire dangereux.

 

Les techniques de mise sous influence14

Ces trois phases seraient soutenues par des techniques particulières de mise sousinfluence. En effet, pour qu’un sujet soit en conformité avec le collectif, pour qu’il soittotalement imprégné par ce qu dit le gourou et pour que son monde ne puisse plus êtreautre que celui constitué par la secte, de nombreux procédés très divers seraientexploités afin d’annihiler le sens critique et de renforcer la dépendance. Tous lesgroupes sectaires n’utiliseraient pas les mêmes techniques, n’exploiteraient pas lesmêmes phénomènes.

Les mécanismes psychologiques :

D’après les psychologues issus du courant psychanalytique, certains mécanismespsychologique, inhérents à tout individu, seraient exploités et renforcés afin de créer desconditions de vulnérabilité. Ainsi, les groupes sectaires tireraient profit des pouvoirs dela séduction et de la tendance au transfert, entretiendraient certaines peurs etinquiétudes, multiplieraient les promesses et certitudes, développeraient la culpabilité etvaloriseraient en félicitant et en glorifiant. De même, les sectes s’appuieraient surcertains besoins psychologiques de tout individu : le besoin de sécurité, d’appartenanceà un groupe, d’estime et de reconnaissance de soi, de réalisation de soi. Profiter destendances et des prédispositions psychologiques de chacun garantirait engagement,soumission, acceptation et dépendance.

La rupture avec les habitudes, le cadre de vie et les relations :

Il s’agirait d’assujettir l’adepte à un rythme de vie carencé en sommeil, en alimentationcar, soumis à un tel mode de vie, il aurait de plus en plus de difficultés à analyser et àcritiquer ce qu’il vit au sein du groupe. Aussi, la privation de sommeil peut provoquer, àcourt terme, de l’euphorie mais des troubles importants peuvent également semanifester tels que l’altération de la mémoire du raisonnement et une perte totale dusens critique. Stimulant cérébral, le jeûne ou la soumission à des régimes très sévèrespeut entraîner des complications médicales graves comme un déséquilibre important dusystème nerveux. De même, sans moment possible de solitude, surveillé, l’adepte seraitinvité progressivement à se couper de tous repères, qu’ils soient familiaux, culturels,

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langagiers, afin de le déstabiliser et, plus précisément, de l’isoler du monde extérieurpour accroître sa dépendance au groupe, devenu unique référence.

Le délit de  manipulation mentale

Basé en grande partie sur la définition que les psychologues donnent du concept demanipulation mentale, le projet de loi About-Picard a été adopté en première lecture le22 juin 2000. Il définissait le délit de manipulation mentale, selon l’article 225-16-4 ducode pénal, comme suit :

« Le délit de manipulation mentale est le fait, eu sein d’un groupement qui poursuit desactivités ayant pour but ou pour effet de créer ou d’exploiter la dépendancepsychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités, d’exercer surl’une d’entre elles des pressions graves et réitérées ou d’utiliser des techniques propres àaltérer son jugement afin de la conduire, contre son gré ou non, à un acte ou à uneabstention qui lui est gravement préjudiciable. Cette infraction est punie de trois ansd’emprisonnement et de 300 000 F d’amende. »

L’article 225-16-5 ajoute :

« L’infraction prévue à l’article 225-16-4 est punie de cinq ans d’emprisonnement et de500 000 F d’amende lorsqu’elle est commise sur une personne dont la particulièrevulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physiqueou psychique ou à un état de grossesse, est apparent ou connue de son auteur. » 15

Des premières réactions issues du monde religieux, notamment lors de l’audition desreprésentants des quatre grandes religions monothéistes devant le sénat (nous yreviendrons), contraignent le garde des sceaux (à l’époque, Elisabeth Guigou)  à saisir laCommission Nationale Consultative des Droits de l’Homme afin d’établir si le nouvelarticle était conforme à la Déclaration des Droits de l’Homme. Celle-ci a rendu son avisle 21 Septembre 2000 :

« La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme constate que la simpleappartenance à un « groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effetde créer ou d’exploiter la dépendance psychologique et physique des personnes quiparticipent à ces activités » n’est pas punie par l’article 9 de la proposition de loi, ce quirespecte la liberté fondamentale de pensée, de conscience et de religion.

« Consciente de la nécessité de mieux coordonner l’action pénale contre les pratiquessectaires, elle constate que les faits dont la répression est envisagée sont déjà largementprévus par l’article 313-4 du code pénal en réprimant particulièrement les abusprovoqués par l’ignorance ou la situation de faiblesse caractéristiques de l’état danslequel se trouvent les victimes des pratiques sectaires.

« Elle estime que des compléments devraient être apportés :

« 1- En déplaçant cet article dans le code pénal pour ne pas concerner uniquement lesactes préjudiciables concernant les biens.

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« 2- En aggravant la répression lorsque le ou les auteurs du délit sont des responsablesde droit ou de fait d’un groupement sectaire au sein duquel l’infraction a été commise etqui avait pour but ou pour effet de créer ou d’exploiter la dépendance psychologique ouphysique des personnes qui participent à ces activités.

« 3- En prévoyant la responsabilité de la personne morale.

« Dans ces conditions, la création d’un délit spécifique de manipulation mentale ne nousparaît pas opportune. »16

            Le 3 Mai 2001, le sénat  supprime cet article en deuxième lecture, et déplace le« délit d’abus frauduleux de l’état de faiblesse » du livre III (atteintes aux biens) au livreII (atteintes aux personnes) du code pénal, afin qu’il ne sanctionne plus seulement lespréjudices patrimoniaux ou matériels ; il complète ce délit pour qu’il soit constitué nonseulement en cas d’abus de la faiblesse d’une personne particulièrement vulnérable,mais également en cas d’abus de la faiblesse d’une personne « en état de sujétionpsychologique ou physique résultant de pressions graves ou réitérées ou de techniquespropres à altérer son jugement ». 

Le 30 Mai 2001, l’Assemblée Nationale discute le projet de loi ainsi modifié :

Marylise Lebranchu, garde des sceaux à cette date, explique que la nouvelle définitiondu délit d’abus frauduleux de faiblesse est inspirée du délit de manipulation mentaleinitialement proposé. Elle précise qu’il fallait écarter tout risque d’atteinte aux libertésfondamentales et que la définition retenue de l’abus de faiblesse permettra aux autoritésjudiciaires d’intervenir avant que ne soient commises des infractions aux conséquencesparfois bien plus graves17.

Catherine Picard (groupe Parti Socialiste) rappelle que l’Assemblée et le sénat ontconstamment veillé à ne pas porter atteinte à la liberté de conscience dans l’élaborationdu projet de loi et considère que le délit d’abus de faiblesse, dans sa nouvelle définition,n’est en rien attentatoire aux Droits de l’Homme ni aux libertés de pensée, deconscience et de religion. Elle ajoute que ce délit permettra de sanctionner lesescroqueries intellectuelles dont pourraient être victimes non seulement des personnesparticulièrement vulnérables, mais aussi celles qui se sont laissé abuser. Concernant lesréactions négatives des représentants religieux, elle précise qu’aucun amalgame nesaurait être fait entre secte et religion, lorsqu’il est question d’une pratique religieusetolérante, respectueuse de la liberté et de l’intégrité de la personne humaine, qui tend àélever les personnes et non à les humilier ou à les asservir18.

Dominique Bussereau (groupe Démocratie Libérale) explique, quant à lui, les difficultésà contrer les mouvements sectaires sans porter atteinte aux libertés. Il rappellel’inquiétude du groupe DL, en première lecture du projet, au sujet de la création du délitde manipulation mentale dans sa version initiale. En effet, pour le groupe DL, lesorganisations syndicales ou politiques pourraient tomber sous le coup d’une telledisposition. Bussereau se félicite donc de la suppression du délit de manipulationmentale et s’interroge sur la nouvelle version du délit d’abus de faiblesse, comprenantnotamment les réticences du monde religieux. Enfin, il appelle à la prudence et exhorte

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les parlementaires à ne pas adopter de comportement liberticides, au nom de la liberté.Faisant toutefois confiance aux rédacteurs de la loi sur le respect de ces conditions,Bussereau annonce que le groupe DL votera le texte de loi19.

Le projet de loi est finalement adopté par les députés de l’Assemblée Nationale.

Critiques formulées par les juristes et les non religieux

Tout au long de l’élaboration du projet de loi About-Picard (du rapport de lacommission jusqu’au vote du 30 Mai 2001), un certain nombre de juristes a formulé demultiples critiques à l’encontre du texte, à toutes les étapes de sa transformation. Danssa version initiale, il apparaissait, pour une partie d’entre eux, que les articlesconcernant le délit de manipulation mentale étaient soit inapplicables, soit dangereux.En effet, selon eux,  l’article 222-18-1 du Code Pénal proposé à l’origine (dont le texteproposé par Doligé est: « La manipulation mentale est le fait pour une personnephysique ou morale de créer ou d’exploiter chez autrui, contre son gré ou non, un étatde dépendance psychologique en vue notamment d’en tirer des avantages financiers oumatériels ») caractérisait, en dernière analyse, ce délit par le seul fait de « créer oud’exploiter chez autrui un état de dépendance psychologique ». Il s’agissait d’uneinfraction punie d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq années de prison dont l’uniqueélément constitutif était la création, voire la simple exploitation, peu important le but etquand bien même la personne serait consentante, d’un simple état de « dépendancepsychologique »20.

Un tel délit pouvait sembler plutôt commun, vraisemblablement commis par la plupartdes parents vis-à-vis de leurs enfants, par une forte majorité de conjoints l’un vis-à-visde l’autre, et réciproquement ; certaines politiques commerciales ciblant les enfants dèsleur plus jeune âge apparaissaient également comme pouvant parfaitement être puniespar les nouvelles dispositions du Code Pénal. En outre, le texte se révélait contraire auprincipe essentiel de la légalité des infractions et des peines (art. 111-3 du Code Pénal)qui veut qu’on puisse déterminer, d’après la loi et avant de commettre un acte, si cetacte est pénalement répréhensible ou non. Ainsi, les juristes ont évoqué l’exemple del’Italie dont les législateurs avaient crû pouvoir prévoir une incrimination de « plagio »,définie comme « le fait de soumettre une personne à son pouvoir, de façon à la réduire àun état de total assujettissement ». Bien que le texte ait été plus précis que celui proposéen France initialement, le milieu juridique avait exprimé de forts doutes sur lacompatibilité de cette définition avec le principe de légalité. Pour sa part, la CourConstitutionnelle italienne (sentence n°96, avril 1981) a annulé l’incrimination, jugéeincompatible avec ce principe essentiel, pour les trois raisons suivantes :

1)     Impossibilité de vérifier le fait incriminé ;

2)     Impossibilité même de sa définition par des critères rationnels et objectifs ;

3)     Risque d’arbitraire de la part du juge.

Selon les juristes français, ces trois griefs s’appliqueraient au texte définissant la

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manipulation mentale (222-18-1) 21.

D’autre part, il était constaté que la rédaction initialement envisagée définissait lamanipulation mentale non par ce qu’elle est mais par certains de ses effets possibles(« en vue notamment d’en tirer des avantages financiers ou matériels »). Or, pourcertains, on omettait que ces effets peuvent découler de bien d’autres causes que demanipulations mentales répréhensibles22.

Une autre critique a été formulée au sujet de la défense des victimes contre elles-mêmes(« …contre son gré ou non… ») ; au lieu de défendre les victimes contre autrui, contrele résultat des manipulations d’autrui, il semblait plus logique de les défendreprécisément contre ces manipulations. Selon les auteurs de cette critique, prétendreprotéger les victimes contre elles-mêmes, ou contre les conséquences des manipulationsmentales qu’elles subiraient, implique de poser judiciairement  une évaluation critiquedes convictions de la personne, dans un processus liberticide qui ne pourrait queconduire, malgré les intentions positives des initiateurs, à une police de la pensée23.

Pour une partie des juristes, il convenait d’avantage d’appliquer de façon adaptée lestextes généraux du Code Pénal existant déjà. Ainsi, l’incrimination classique del’escroquerie pourrait permettre de sanctionner le gourou qui se ferait remettre lafortune de ses fidèles, à condition d’articuler et de caractériser précisément lesmanœuvres frauduleuses qui sont au cœur de l’incrimination. De même, les textesclassiques en matière d’abus sexuels seraient parfaitement applicables aux abus oufaveurs de cet ordre, respectivement commis ou obtenues à la suite des supposées« manipulations mentales » : si le consentement de la victime a été forcé, même sousune contrainte psychologique, il n’y aurait pas de consentement valide et l’infractionexisterait et pourrait être sanctionnée. Enfin, les textes généraux applicables aux parentsou aux personnes ayant autorité en cas de mauvais traitements s’appliqueraient toutaussi bien, que les parents soient membres ou non d’une secte, et pourraient s’étendreaux cas où les enfants voient leur santé ou leur éducation menacée par les pratiquessectaires24.

Dans la version proposée par Picard, était incriminé, sous le terme de manipulationmentale, « le fait, au sein d’un groupement qui poursuit des activités ayant pour but oupour effet de créer ou d’exploiter la dépendance psychologique ou physique despersonnes qui participent à ces activités et portant atteinte aux Droits de l’Homme ouaux libertés fondamentales, d’exercer sur une personne des pressions graves et réitéréesafin de créer ou d’exploiter un tel état de dépendance et de la conduire, contre son gréou non, à un acte ou à une abstention qui lui est gravement préjudiciable ». Si cetteproposition semblait moins immédiatement fondée sur des notions arbitraires etsubjectives que la précédente, elle paraissait compliquer les poursuites en posant desconditions d’incriminations tenant à une activité de groupe et en se référant à uneappréciation idéologique de fond, dangereuse selon de nombreux juristes, et en mêmetemps laisser le champs trop libre à des dérapages risqués, en recourant à des faitsconstitutifs particulièrement subjectifs et en s’abstenant de caractériser en lui-mêmel’état de « dépendance » qui est au cœur de l’incrimination. La référence aux «droits del’homme » ou aux « libertés fondamentales » ne serait pas une garantie ; alors que ces

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notions devraient être relativement intouchables, elles sont, de fait, plutôt fluctuantes etne permettraient pas de constituer un rempart à la persécution de groupes religieux25.

Les éléments constitutifs visés laisseraient, semble-t-il, trop de place à l’arbitraire. Eneffet, il apparaîtrait difficile d’apprécier « un acte ou une abstention gravementpréjudiciable » puisque la nature de ces derniers (matériels ou financiers, morale ouphysique) n’est pas précisée. Selon certains juristes, il conviendrait donc d’abandonnerl’appréciation de la gravité des pressions au regard du fond du discours philosophiqueou religieux pour une appréciation au regard des méthodes employées. En outre, ladéfinition de la dépendance psychologique, autour de laquelle s’articule l’incrimination,apparaîtrait impossible sans entamer la liberté de conscience et les libertés religieuses etassociatives26.

Certains ont avancé que le texte, quelle que soit sa version, se heurtait à plusieursarticles de lois régissant le droit français ou européen, notamment les articles 10 et 11de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, qui disposent que « nul ne doitêtre inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation netrouble pas l’ordre public » et que « la libre communication des pensées et des opinionsest un des droits les plus précieux de l’homme » ; l’article 2 de la Constitution du 4octobre 1958 précise également que la France « respecte toutes les croyances » ; laConvention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertésfondamentales garantie la « liberté de pensée, de conscience et de réflexion », dans leslimites imposées par la protection de l’ordre, de la santé, de la morale publique et desdroits et libertés d’autrui ; enfin, la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation deséglises et de l’État précise que « la République garantit la liberté de conscience » etqu’elle « garantit le libre exercice des cultes ». Par ailleurs, la neutralité de l’État, qui ne« reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » implique qu’aucune définitiondes religions n’existe en droit français27.

D’une façon plus générale, on a observé de nombreuses réactions dans le mondejuridique et politique français et international, principalement axées sur l’idée que lanouvelle loi était une atteinte à la liberté de conscience et à la liberté religieuse. Ainsi, laFédération Internationale d’Helsinki pour les droits de l’Homme considère que laFrance connaît, depuis 1996, une « montée de l’intolérance et de la discrimination àl’égard des minorités religieuses et spirituelles » ; la France aurait, toujours selon laFédération, fait circuler des rumeurs et des fausses informations et constitué uneincitation à l’intolérance religieuse28.

François Terré29, procureur et président de l’Association de Philosophie du Droit,estime que la nouvelle définition  de la manipulation mentale est  exactement la mêmeque l’ancienne et tout aussi dangereuse. Au sujet des « techniques propres à altérer lejugement », il ajoute que celles-ci sont employées par tout le monde, professeurs,journalistes, publicitaires.

Selon le Centre Français pour la Justice et les Droits fondamentaux de la personnehumaine (CFJD)30, la notion de manipulation mentale ferait peser des menaces sur laliberté de conscience ; le texte comporterait un « réel danger de dérapages » et

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« ouvrirait la porte à une sorte de politiquement correct du moment ».

L’expert en droit constitutionnel Guy Carcassonne31 déclare en juin 2000, à la suite duvote en première lecture à l’assemblée nationale, qu’il n’est « ni bon ni juste que leParlement prétende ainsi vouloir prémunir tout le monde contre tout pour n’aboutir qu’àinfantiliser chacun ».

Dans le milieu de la psychiatrie, de nombreux experts judiciaires s’interrogent sur ladéfinition juridique de la manipulation mentale. Pour Jean Claude Paumès32,pédopsychiatre et expert auprès de la cour d’appel de Colmar, il serait difficile de menerune expertise psychiatrique dans des affaires où ce délit serait institué, car les limites duphénomène seraient imprécises ; les citoyens seraient avant tout des sujets avec leursubjectivité, leurs désirs, leurs dépendances plus ou moins conscientes et consenties, etbeaucoup d’actes de notre vie pourraient être assimilés à de la manipulation mentale.

Enfin, on peut rapporter les propos du sociologue James T. Richardson33, pour qui lesthéoriciens de la manipulation mentale ignorent les aspects de la volonté dansl’adhésion aux nouvelles religions, ainsi que les traits de caractère prédisposant à unetelle adhésion.

On peut ainsi classer les critiques formulées à l’encontre du texte de loi (dans toutes sesversions) en deux catégories : celles qui refusent le concept même de manipulationmentale et reproche aux législateurs d’avoir nié le libre arbitre de l’être humain en luiinterdisant de penser et de croire à sa convenance ; celles qui considèrent que lamanipulation mentale est un phénomène très large qui recouvre des domaines variés etpas nécessairement néfastes.

Les réactions des religieux

De la même façon que les juristes, les religieux ont suivi chaque étape du projet de loiAbout-Picard. Ils ont exprimé de nombreuses critiques et marqué leur inquiétude faceaux nouvelles dispositions du Code Pénal.

Lors des débats précédant la deuxième lecture du projet au Sénat, les représentants desquatre grandes religions monothéistes en France ont été entendu par les parlementairesau sujet, notamment, de la définition du délit de manipulation mentale.

Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris a estimé que la religion impliquaittranscendance et mystère et que l’être humain n’était qu’un « facilitateur » des voiesconduisant à Dieu. Il s’est interrogé sur le bien fondé de porter un jugement, parl’intermédiaire du délit de manipulation mentale, sur les voies et pratiques prônées parles religions pour accéder à Dieu ; enfin, il a évoqué la conversion, se demandant si ellene risquait pas d’être assimilée à des manipulations mentales34.

De son côté, Joseph Sitruk, grand rabbin de France, a noté que tout orateur ayant unascendant naturel sur son auditoire pourrait être accusé de manipulation mentale ; il aégalement observé que tout discours religieux tendait à convaincre ceux auxquels ils’adressait35.

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Jean-Arnold de Clermont, président de la fédération protestante de France a rappelé queles termes de secte, de schisme ou d’hérésie étaient employés par référence à une normeet s’est demandé par qui cette norme pourrait être fixée dans une société marquée par laséparation de l’Église et de l’Etat36.

Jean Vernette, représentant de la conférence des évêques de France, a fait valoir qu’iln’existait aucune garantie que la nouvelle disposition ne serait pas appliquée à desreligions ou à des mouvements de pensée. Il s’est demandé si l’adoption d’un tel délitne finirait pas par donner à penser que toute conviction religieuse serait la manifestationd’une déviance de l’individu concerné37.

Par la suite, le projet de loi ayant été adopté par l’Assemblée nationale le 30 mai 2001,diverses personnalités religieuses ont réitéré leurs critiques à l’encontre du nouveautexte. Ainsi, Jean-Arnold de Clermont38 a déclaré regretter que le terme de « sectaire »ait été retiré puisque la notion de « groupe », seule, était juridiquement indéfinissable ; ila déploré que le seul le terme de manipulation mentale ait disparu pour en garder sadéfinition, rendant le jugement toujours aussi arbitraire : « qui jugera du caractèrepréjudiciable de l’abstention ? ». Jean Vernette39 a déclaré, de son côté, que le jugedevra apprécier les choix de vie des personnes selon des critères qui peuvent varier. Ils’est demandé ce que penserait un magistrat de la vie en congrégation et de sescontraintes ; la personne ayant fait ce choix pourrait paraître manipulée et sonconsentement sans valeur.

Pour Marc Lienhard40, président de l’Église de la Confession d’Augsbourg d’Alsace etde Lorraine, il est impossible de définir selon quels critères un mouvement est sectaireet rappelle que le christianisme, à l’origine, était une secte juive qui a finit par réussir. Ilprécise en outre que chaque religion a pour vocation de s’élargir et que, dans un telcontexte législatif, l’apparition de nouvelles communautés risque de paraître suspecte.

Le père Bernard Bastian41, membre de la Commission pour les Relations avec lesCommunautés Ecclésiales Nouvelles à l’Archevêché de Strasbourg, a expliqué que lavie religieuse se construit autour des vœux d’obéissance, de pauvreté et de chastetélibrement consentis. Avec la perte d’influence du sens religieux, l’acceptation de cesrègles pourraient être assimilée à une dépendance.

D’après Bernard Fillaire42, spécialiste religieux des sectes, il serait nécessaire dedistinguer les nouveaux mouvements religieux des sectes coercitives ; au contraire dessectes dont la finalité serait la manipulation mentale visant à altérer les capacités dejugement de leurs adeptes, les mouvements religieux permettraient à leurs membres dese forger des convictions personnelles profondes et de ne pas se laisser séduire par lepremier gourou venu.

Enfin, citons sans commentaire, le conseil du religieux Samuel Saltzman43 : « Le seulmoyen de garantir la liberté de conscience dans notre pays est le retour à l’Évangile, à laBonne Nouvelle de Jésus-Christ, qui répond aux aspirations les plus profondes de l’êtrehumain dans sa quête du bonheur et de la vraie liberté ».

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Clarification béhavioriste du débat

Le problème qui semble à l’origine des polémiques ayant eu lieu au sujet de la créationdu délit de manipulation mentale ou du nouveau délit d’abus de faiblesse serait ladéfinition de plusieurs concepts employés dans le texte.

Le domaine du droit est incontestablement celui de la définition ; dans un texte de loi,chaque mot a son importance et est largement discuté lors de la rédaction du texte. Pourrespecter le principe de légalité, chaque délit doit nécessairement être explicité demanière à ce que les citoyens puissent se comporter en accord avec les règles instituées,en connaissance de cause. Plus la définition est précise, moins la règle prête àinterprétation. Pourtant, l’interprétation des textes de loi constitue l’activité la pluscourante des avocats. En effet, si une loi ne supposait aucune interprétation, lesjugements rendus s’aligneraient sur de simples barèmes, un acte correspondant à unepeine ou à une amende, sans qu’aucune discussion ne soit nécessaire. Bien sûr, lessituations sont très variées et il n’existe pas de loi spécifique à chaque cas particulier,les textes généraux sont donc supposés recouvrir l’ensemble des cas avec une définitionà mi-chemin entre le particulier et le général. Une loi nécessite ainsi une définition laplus précise possible pour que chacun se positionne clairement par rapport aux limitesqu’elle apporte, et en même temps suffisamment large pour que les détails de chaquecas se fondent dans le texte.

Ce compromis ne pose pas de problème aux avocats, qui ont en fait tout intérêt àprofiter des imprécisions d’une loi pour en faire profiter leurs clients ; en revanche, lesjuges supposés impartiaux sont confrontés couramment à un paradoxe de taille :l’objectivité leur est demandée pour trancher entre les diverses interprétations d’untexte, c’est-à-dire qu’ils doivent décider où se trouve l’interprétation juste qu’une loirelativement générale peut trouver dans une situation particulière ; or, si une loi peuttrouver plusieurs interprétations du fait de sa relative imprécision, on ne voit pas surquelle base le juge peut « objectivement » prendre une décision. Il apparaît que lesdécisions sont qualifiées d’impartiales du simple fait qu’elles sont prises par un juge.

Cette recherche de la définition parfaite est bien connue dans le domaine scientifique oùle principe d’opérationalisation est majeur puisqu’il s’agit avant tout de neutraliser aumaximum la subjectivité du chercheur. En effet, pour respecter les critères defalsifiabilité d’une hypothèse proposés par Popper, il est nécessaire de définir en termesmatériels et quantifiables chaque concept employé ; au contraire d’un texte de loi, enscience expérimentale, aucun mot ne doit prêter à interprétation. C’est du moinsl’objectif vers lequel doit tendre toute formulation scientifique qui n’a nullement à fairede concessions pragmatiques à l’imprécision.

Le concept de manipulation mentale a nécessité une définition dans le domaine du droit,en vue de la création d’un délit présumé courant dans les mouvements sectaires. Onpeut se demander sur quelle base les législateurs se sont appuyés pour traduire en actesun tel concept puisque personne ne semble en accord sur cette traduction, bien que lesbuts poursuivis (lutter contre les mouvements sectaires) soient assez largement acceptés.Il semble que les rédacteurs du texte aient tenté la définition d’une notion totalement

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imaginaire, compte tenu de la conceptualisation de l’être humain qu’impliquent lestextes de loi préexistants. En effet, les juristes qui ont critiqué le texte ont parfaitementmontré la contradiction qui existait, dans les premières versions, entre la liberté decroyance garantie par les droits de l’homme et la mention « de son plein gré ou non » ;de plus, la liberté de « conscience », garantie également par les droits de l’homme,implique l’acceptation du principe de libre arbitre caractérisant l’être humain, ce quisemble contradictoire avec toute volonté de protéger les individus contre toute formed’influence.

On peut émettre l’hypothèse selon laquelle aucune des parties impliquées ne remet encause le principe du libre arbitre et, si cela ne pose aucun problème du point de vue desreligions, cela semble être la faille principale de l’argumentation des législateurs. Afinde démontrer cette position, on peut revenir au principe d’opérationalisation de lascience expérimentale.

Le béhaviorisme se définit comme une philosophie qui sous-tend la science ducomportement (Analyse Expérimentale du Comportement) ; en tant que science, celle-cin’étudie que les phénomènes matériels et se réfère uniquement aux causes matériellespour expliquer ou prédire les événements de son domaine d’étude, en l’occurrence lescomportements. Elle se distingue en cela des autres courants de la psychologie (lescourants mentalistes) qui, tous dualistes, se réfèrent à des phénomènes inobservables carnon matériels : des causes internes tels que les processus mentaux ou les instances dusystème psychanalytique. Il apparaît que dualisme et opérationalisme sontincompatibles puisque, par définition – si l’on peut dire - les phénomènes non matérielsn’ont aucun référent matériel et quantifiable. Le deuxième principe qu’implique lebéhaviorisme  est l’acceptation du déterminisme, autre condition fondamentale à laqualification de science, dans la mesure où son but est d’identifier des relations entredes variables indépendantes (des « causes ») et des variables dépendantes (des« effets ») et là encore, il s’oppose aux autres courants puisqu’ils invoquent des causesinternes à l’individu pour expliquer les comportements (la psychanalyse est en faitdéterministe, bien que nombre de psychanalystes l’ignorent, mais les causes ducomportement étant internes, le principe du libre arbitre n’est pas réellement remis enquestion).

Or, il apparaît que les notions contenues dans les différentes versions du texteconcernant la manipulation mentale ou l’abus de faiblesse sont directement issues d’uneconception dualiste et mentalise des causes du comportement. En effet, les auteurs de laloi déclarent avoir respecté la liberté de conscience, ce qui semble être un conceptindéfinissable dans un cadre scientifique qui nie le principe de liberté absolue et qui doitrejeter les explications internes du comportement. Même si la version finale du texte necomporte, pour ainsi dire, que des termes opérationalisables, il semble que le choix deces termes ait été fait sur la base d’un compromis entre deux conceptions : celle qui veutque chaque individu possède un libre arbitre et peut ainsi décider seul de ce qui est bonpour lui ; celle qui veut que certaines pratiques sont capables d’« altérer le jugement ».Tout se passe comme si les parlementaires acceptaient le principe du libre arbitre mais,constatant les comportements néfastes de citoyens envers eux-mêmes (suicide,enfermement, malnutrition, etc.) reconnaissaient qu’une forme d’influence peut « forcer

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le libre arbitre ». Pour faire coïncider ces conceptions contradictoires, sont invoquéesdes techniques psychologiques peu définies, le terme de conditionnement revenantfréquemment, alors que le conditionnement, bien au-delà d’une technique isolée, est unmécanisme naturel omniprésent dans la sélection et le contrôle du comportement. Lesparlementaires pensent avoir identifier un phénomène particulier (la manipulationmentale) qui serait la cause des comportements déviants des adeptes de sectes, maisn’ont en réalité connaissance d’aucun fait scientifique pour étayer cette thèse. Comme lemilieu juridique l’a souligné, les textes concernant les délits d’escroquerie, demaltraitance ou d’abus sexuel sont probablement suffisants pour lutter contre une partiedes agissements sectaires. En revanche, le refus d’abandonner une conception del’humain construite autour du l’idée du libre arbitre rend, sans doute, le problèmeinsoluble lorsque la personne exprime son consentement.

Les parlementaires ont voulu ménager la liberté religieuse sans pouvoir apporter unedéfinition de celle-ci qui la différencierait des mouvements sectaires basés égalementsur des croyances. En fait, même les représentants religieux reconnaissent qu’unereligion n’est qu’une secte qui s’est élargie, suffisamment pour ne plus gêner personnepuisque, du fait du grand nombre d’adeptes, le critère de déviance s’est estompé. Si ladéfinition de secte était précise, sans doute concernerait-elle, soit tous les groupesdéviants (y compris les partis politiques, syndicats, associations  dont l’idéologie estsimplement minoritaire), soit tous les groupes basés sur une croyance (y compris lesreligions).

Il est clair que les parlementaires ont légiféré sur la base de certaines conséquences de la« manipulation mentale » ; en d’autres termes, certaines manipulations leur sont apparus« pour la bonne cause » et d’autres « dangereuses ». Probablement que  l’éducation oula psychothérapie n’étaient pas visées, mais les mécanismes qui permettent d’éduquersont-ils différents de ceux employés dans un groupe « sectaire » ? Probablement que lesreligions n’étaient pas visées, mais le principe de croyance religieuse est-il différent decelui d’un groupe « sectaire » ? Probablement que les partis politiques minoritairesn’étaient pas visés, mais leur statut de déviant est-il différent de celui des groupes« sectaires » ?

Il apparaît que pour instituer un délit caractérisant un groupe « sectaire », il estnécessaire de faire la différence, non pas entre les moyens utilisés pour convaincre, nientre les bons et les mauvais groupes minoritaires, mais plutôt entre les différentsmodes de connaissance. En effet, si une religion ne se différencie d’une secte que par lenombre de ses adeptes, il paraît difficile de déterminer, sans tomber dans l’arbitraire, lesgroupes qui auront le droit d’exister de ceux qui n’en auront pas le droit. La position desÉtats-Unis sur le sujet est plutôt cohérente avec le système politique libéral sur lequelrepose le pays : aucune entrave à la liberté de croyance ; le problème des groupesdéviants est aisément réglé puisqu’il n’y a officiellement pas de problème. En revanche,si l’on veut instituer des règles régissant le droit de croire, il est probable qu’il failleassumer soit un certain arbitraire dans le choix des croyances autorisées (ce quiconsisterait à publier une liste des religions ayant le droit d’exister en France – n’est-cepas ce qu’a fait le rapport Gest, sorte d’annuaire inversé des religions autorisées ?) soitun refus pur et simple de l’acte de croire (puisque aucune croyance ne serait meilleure

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qu’une autre, on les refuse toutes ou on les accepte toutes. Bien sûr, on pourra opposerque certaines croyances sont dangereuses, mais y inclura-t-on dans ce cas le refus dupréservatif exprimé par Jean Paul II ?).

En France, la position intermédiaire entre libéralisme et contrôle de l’État entraînenécessairement des incohérences dans le système judiciaire. Les textes de loigarantissent des droits qui sont punis par d’autres textes. L’État garantit la liberté tantqu’elle n’entame pas celle d’autrui ; mais les contraintes imposées par les mouvementssectaires à leurs adeptes ne sont pas différentes de celles qu’impose un professeur à sonélève, seuls les buts fixés le sont. Or, les buts sont fixés, dans le cas du professeur, parl’État ; le problème de fond semble donc la déviance. La liberté serait garantie àcondition, non seulement, que la liberté d’autrui ne soit pas atteinte, mais aussi que lescomportements respectent une certaine norme, établie par l’État. Et semble-t-il, lapolémique autour de la création du délit de manipulation mentale prend sa source dansl’établissement de cette norme.

Si toute société se doit de respecter certaines règles garantissant les principesfondamentaux de sa Constitution, pourquoi ne pas admettre que cette société exerce uncontrôle sur ses membres ? De fait, chaque individu qui naît dans une société voit sescomportements modelés par des principes qui ont été instaurés bien avant sa naissanceet sa liberté est, dès lors, toute relative. Les législateurs français ont sans doute eu desdifficulté à reconnaître cet état de fait (comme nous l’avons dit, le refus de remettre encause le libre arbitre de l’être humain y est probablement lié) et se sont donc trouvésdevant l’impossibilité de définir un délit précisément.

Si la France choisit la voie du contrôle, contrairement aux États-Unis, elle doit le fairesur la base d’autres principes que ceux contenus dans la Déclaration des Droits del’Homme, dans la Constitution de 1958 ou dans la Constitution Européenne car ilsimpliquent précisément, sur le thème de la croyance, une absence de contrôle.

Quelle peut être la position d’une philosophie déterministe qui situe les causes descomportements dans l’environnement des individus ? Pour Skinner, l’absence decontrôle, comme la liberté absolue,  est impossible ; si l’humain ne contrôle aucuncomportement, il sera simplement contrôlé par toutes les autres contingencesenvironnementales. Même en supposant que les humains ne se manipulent pas les unsles autres (ce qui supposerait l’absence totale d’interaction), ils seraient toutefoismanipulés par des variables non humaines. La création d’un délit de « manipulation »semble, dans ce cadre, totalement impossible.

Si on ajoute le terme « mental », qu’obtient-on ? Il apparaît, dans la conceptionbéhavioriste de l’être humain, que les événements appelés communément « mentaux »sont des comportements (penser, raisonner, réfléchir, etc.). Le fait d’ajouter « mentale »au terme de manipulation n’enlève rien au problème : dans ce cas, on condamnesimplement le modelage des actes de penser, réfléchir ou raisonner, ce qui n’a aucunsens, dans la mesure où personne ne peut apprendre à penser sans interaction.L’apprentissage est procédure de manipulation.

La question qui reste posée est de savoir vers quoi orienter ce contrôle, pour peu que

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l’Homme décide de l’exercer. Il semble, comme nous l’avons expliqué plus haut, quel’Etat français exerce bel et bien un contrôle ; ce contrôle est censé s’orienter vers lesprincipes inscrits dans la déclaration des droits de l’Homme et dans la constitution.Mais comment exercer un contrôle dans le but de garantir une absence de contrôle (laliberté de conscience ou la liberté de croyance) ? Sans doute les principes vers lesquelsdoivent tendre le contrôle sont-ils à reformuler. Selon Skinner, dans la planificationd’une culture, les décisions doivent être prises sur des critères de scientificité ; il nes’agit pas de déterminer quelles sont les bonnes décisions d’un pont de vue moral oureligieux mais d’après des critères de validité expérimentale. On qualifie généralementune telle position de scientiste et on lui oppose les exemples de la bombe nucléairecréée par les scientifiques ; on avance la citation de Rabelais selon laquelle « sciencesans conscience n’est que ruine de l’âme ». Mais nous avons vu plus haut que la notionde conscience était bien vague et clairement impossible à opérationnaliser. Ce que l’onnomme communément « conscience » n’est autre qu’un supposé libre arbitre censédétenir toutes les informations justes et décider (pour nous ?) ce qui est bon. Skinnerpropose un seul critère arbitraire : la survie de la culture. Ensuite, toutes les décisionssont prises en fonction de cet objectif et selon les critères objectifs de la scienceexpérimentale. Si l’on suit ce principe, qu’en est-il de la lutte contre les mouvementssectaires ? Doivent-ils être interdits ? Les religions sont-elles assimilables aux sectes etdoivent-elles être également interdites ? Dans son roman utopique Walden Two44,Skinner décrit les principes qui devraient régir un vie en communauté selon lesprincipes philosophiques qui découlent eux-mêmes des connaissances fournies parl’Analyse Expérimentale du Comportement. Les interdictions y sont peu nombreuses, lecontrôle aversif inexistant. Pourtant, le contrôle existe puisque des directions précisessont adoptées dans la planification de cette culture. En fait, le comportement decroyance est abandonné (non par une procédure de punition mais par extinction) auprofit d’un mode de connaissance empiriste. Le contrôle y est assumé, mais dans un butparfaitement défini.

En conclusion, il apparaît que des problèmes de définition, liés à des erreurs deconceptualisation, ont rendu impossible tout débat concernant les libertés de religion etde conscience ainsi que leur contrôle. L’État français n’a assumé ni sa conceptualisationlibérale de l’homme, ni sa vocation à contrôler des comportements. Assumer totalementla première aurait conduit les parlementaires à s’abstenir de légiférer, assumerpleinement la seconde les auraient conduit à rejeter toute forme de croyance.

1 Cité par : http://www.quebecoislibre.org/000304-9.htm

2 Cité par : http://flevrier.free/skippy.html

3Source : http://www.assemblee-nationale.fr/rapports/r2472.asp

4 Cité par : http://www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm

5 Cité par : http://www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm

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6 Cité par : http://www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm

7 Cité par : http://www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm

8 Cité par : http://www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm

9 UNADFI, « Manipulation mentale, lavage de cerveau, mégalomanie : essais dedéfinition », Bulletin de liaison pour l’étude des sectes, Bulles n°40, 4ème trimestre1993, cité par : http://www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm

10 Bouderlique Max, « Les groupes sectaires totalitaires, les méthodesd’endoctrinement ». Chronique sociale, 1998, cité par :http://www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm

11 Source : http://www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm

12 Cité par : http://www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm

13 Cité par : http://www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm

14 Source : http://www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm

15 Source : http://www.senat.fr/rap/100-192/100-19211.html

16 Source : http://www.senat.fr/rap/100-192/100-1925.html

17 Source : http://www.assemblee-nationale.fr/cra/2000-2001/2001053015.asp

18 Source : http://www.assemblee-nationale.fr/cra/2000-2001/2001053015.asp

19 Source : http://www.assemblee-nationale.fr/cra/2000-2001/2001053015.asp

20 Source : http://www.cfjd.org/html/dossier_sectes_1.htm

21 Source : http://www.cfjd.org/html/dossier_sectes_1.htm

22 Source : http://www.cfjd.org/html/dossier_sectes_1.htm

23 Source : http://www.cfjd.org/html/dossier_sectes_1.htm

24 Source : http://www.cfjd.org/html/dossier_sectes_1.htm

25 Source : http://www.cfjd.org/html/dossier_sectes_1.htm

26 Source : http://www.cfjd.org/html/dossier_sectes_1.htm

27 Source : http://www.cfjd.org/html/dossier_sectes_1.htm

28 Cité par : http://net.addr.com/kataros/liberte.htm

29 Cité par : http://www.freedommag.org/french/EL25/page01a.htm

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30 Cité par : http://www.mpe-poc.org/loiantisecte.htm

31 Cité par : http://www.mpe-poc.org/loiantisecte.htm

32 Cité par : http://www.mpe-poc.org/loiantisecte.htm

33 Cité par : http://www.quebecoislibre.org/000304-9.htm

34 Source : http://www.senat.fr/rap/100-192/100-19216.html

35 Source : http://www.senat.fr/rap/100-192/100-19216.html

36 Source : http://www.senat.fr/rap/100-192/100-19216.html

37 Source : http://www.senat.fr/rap/100-192/100-19216.html

38 Cité par : http://www.coordiap.com/loi11.htm

39 Cité par : http://www.coordiap.com/loi18.htm

40 Cité par : http://www.mpe-poc.org/loiantisecte.htm

41 Cité par : http://www.mpe-poc.org/loiantisecte.htm

42 Cité par : http://www.mpe-poc.org/loiantisecte.htm

43 Cité par : http://www.mpe-poc.org/loiantisecte.htm

44 Skinner, B. F. (1976). Walden Two. New Jersey: Prentice Hall

 

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LES ASPECTS CULTURELS DE LA NEGOCIATIONINTERNATIONALE

Svetlana RADTCHENKO – DRAILLARD

   

La négociation est une procédure de décision par laquelle les gens tendent de trouver un accord commun au lieud’agir par voie unilatérale. Outil privilégié de l’échange entre les hommes, de l’ajustement de leurs points de vueet de la résolution de leurs conflits, la négociation est l’un des ressorts les plus fondamentaux de la vie.L’extrême diversité de ses applications, la richesse de son contenu, l’importance des questions qu’elle soulèveconstituent autant éléments susceptibles, à titre intellectuel comme à titre pratique, de nourrir de façon durable unintérêt pour le domaine. Elle est un formidable condensé de l’activité sociale avec ses dimensions coopératives etconflictuelles entremêlées. Elle exprime quelque chose d’essentiel dans la condition d’homme en mettant enscène des enjeux tels que l’incertitude, la complexité, le pouvoir, l’équité.

QUELLES SONT LES DEFINITIONS ESSENTIELLES DE LA NEGOCIATION ?

DUPONT (1994) définit les éléments essentiels dans la définition de la négociation :

1) une interaction entre les négociateurs qui prend souvent la forme d’un face à face,

2) les divergences qui peuvent aller de simples interprétations ou perceptions différentes aux intérêts opposés ouaux conflits déclarés,

3) des intérêts communs par constatation d’une interdépendance : chaque négociateur ne peut agir que par larecherche d’une solution fondée sur cette interdépendance,

4) la reconnaissance que la solution recherchée (accord) soit mutuellement acceptable,

5) le caractère volontaire de l’activité : le négociateur choisit d’entrer dans ou de sortir de la négociation,

6) l’aspect relationnel qui est à la fois un instrument et un résultat recherché de l’activité de négociation.

Selon TOUZARD (1977) les points les plus importants de la négociation sont :

Le contenu : l’objectif de la négociation pour deux ou plusieurs parties en conflit de parvenir à un accordpar le biais d’entretiens et d’échanges entre leurs représentants. Le contenu est aussi l’objet de lanégociation. De quoi parlera-t-on ? Dans quel ordre ? Qui parlera et dans quel ordre ? Créera-t-on descommissions ou pas ? Quel sera le rythme des séances ? Qui sera président de séance ? Quelle forme aurala table ? Comment se placeront les délégations e t. c ? Ces questions de procédures et de présence fontune partie intégrante de la négociation.

Les rôles : on peut constater les différents rôles pendant la négociation : a) les acteurs, qui agissent en tantque représentants de leur groupe ou de leur organisation ; b) les experts qui sont présents pour conseillerles négociateurs, leur fournir des informations et des arguments ; c) le président qui a un rôle d’introduire

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le débat, distribuer la parole, faire respecter les formes de procédure et l’horaire fixe e t. c ; d) négociationà deux ou à plusieurs parties : dans le cas de négociation où deux parties sont impliquées, chaquedélégation se trouve face à l’autre, lorsqu’il y a plus de deux délégations, les phénomènes se compliquent àcause de rôles et buts multiples de différentes délégations.

Les phases essentielles - la négociation, qu’elle soit courte ou prolongée, passe par un certain nombre dephases, que l’on retrouve invariablement. On distingue souvent trois périodes dans la négociation : a)l’inventaire des points de litige (le but de cette phase est de reconnaître les positions initiales de chacun),b) la reconnaissance des possibilités de négociation (elle comprend les négociations dans les commissionset les premières séances plénières qui leur succèdent ; c) le dénouement (elle s’établit lorsque les parties enprésence sentent qu’ils ont atteint un point de non-retour et que l’accord doit être conclu.

Les normes et règles tacites de la négociation : a) négocier de bonne foi- éviter de maintenirsystématiquement des positions que l’on sait inacceptables pour l’adversaire, éviter de se comporter detelle manière que tout accord soit impossible, b) honorer les accords parties- cette règle tacite stipule quelorsque la négociation porte sur des articles ou des clauses successives et indépendantes les unes des autres; c) faire preuve de flexibilité - le corollaire de cette norme est d’éviter tout ultimatum au cours denégociation sauf dans les situations très particulières ; d) la réciprocité des concessions - une conséquencedes normes de bonne foi et de flexibilité ; d) éviter l’hostilité et l’agressivité personnelles - il s’agit là deconvention de politesse et de savoir-vivre, mais qui peuvent avoir des fonctions importantes au niveau desuccès de la négociation.

Les processus à l’œuvre dans la négociation : a) les processus de coercition qu’ils peuvent prendre au seinde la négociation des formes toutes particulières comme la menace, le bluff, la surenchère, lescomportements agressifs ; b) les processus de dissimulation contiennent l’information technique,l’information sur les modes de l’adversaire, sur sa volonté d’aboutir ou mis à un accord, sur sa stratégie,connaissance des points sur lesquels il peut céder et ceux sur lesquels son intransigeance sera irréductible ;c)les processus de persuasion pour tenter de démontrer à l’autre qu’il a raison de demander ce qu’ildemande et, de plus, qu’il est dans l’intérêt de son adversaire de céder à ses exigences ; d) les processusd’accommodation qui mènent à l’accord, se retrouvent au sein des deux dernières phases de la négociation: reporter à plus tard les questions épineuses (commencer par les questions sur lesquelles l’accord risqued’être plus aisé) et le marchandage et le jeu des propositions et contre-propositions (une discussion oùchaque partie va peu à peu modifier sa position initiale au direction de celle de l’autre et une utilisation ducompromis, de l’innovation et des relations positives interpersonnelles pour conclure un accord.

2. LE MODELE DE SAWYER ET GUETKOW

Il existe différents modèles pour décrire et prévoir la négociation. Parmi eux le modèle de SAWYER ETGUETZKOW est le plus connu. En 1965, SAWYER et GUETKOW s’intéressent aux relations entre diversfacteurs et le processus général de la négociation en termes de comportement des acteurs et de résultats. Ilsproposent dans la version originale de leur modèle théorique une systématisation des variables qui influencent defaçon causale le déroulement et le résultat de la négociation. Au sein d’une structure de relations causales, lemodèle définit cinq types de variables (opérationalisation de cinq facteurs), catégorisées en fonctions du momentactuel elles peuvent intervenir durant le déroulement d’une négociation. Ces cinq facteurs ayant une influencecausale sur le processus et le résultat de la négociation sont les suivants :

les buts des parties impliquées : il s’agit d’un facteur en amont de la négociation qui fait référence à lacommunauté des buts des différentes parties, et à la nature de la négociation (buts qui dériventd’idéologies/négociation idéologique ou buts technique/négociation technique).

les facteurs fondamentaux (historiques, culturels) concernant les relations entre parties : ils se situentaussi en amont de la négociation. Leur opérationalisation renvoie aux variables, telles que les relations

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internes aux parties (processus de délégation, négociation formelle), les attitudes et les relations entre lesparties, les différences culturelles entre les parties et les caractéristiques du négociateur (statut, traits depersonnalité).

les conditions spécifiques de la négociation le processus de la négociation : il s’agit du deuxième facteursimultané. Son expression opérationnelle renvoie aux variables, telles que le contexte social de lanégociation (négociation publique ou secrète, formelle ou informelle), le nombre de participants(constitution des délégations), le nombre des parties impliquées à la négociation (négociation bilatérale ounégociation multilatérale), le processus d’information (déchiffrage des unités de la/des partie/s, adverse/s) ,les états psychologiques des négociateurs (stress en vue de la négociation) et le temps (existence ou nond’une pression temporelle).

le processus de la négociation : il s’agit des variables mises en œuvre par le déroulement même de lanégociation, qui contribuent à son découpage séquentiel (par l’intermédiaire de la communication), depersuasion, des faits accomplis et de la recherche des solutions.

les résultats de la négociation : facteur conséquent. Ce sont les variables relatives à l’élaboration decritères pour l’évaluation des résultats, la clarté des résultats et la continuité de la négociation.

Les processus de communication, de persuasion et de recherche des solutions (variables du processus de lanégociation), qui renvoient à la discussion entre les négociateurs et au sens trivial du terme de la négociation,sont influencés par les facteurs de contexte (variables des conditions de la négociation), des facteurs de buts etdes facteurs fondamentaux (le background de la négociation). Ce sont ces facteurs du processus de la négociationqui vont, par la suite, déterminer les résultats de la négociation qui, selon leur nature et leur caractère définitif ounon, vont être réinjectés dans le système des relations causales afin de devenir des facteurs qui influencent lesnégociations à venir. Le modèle de SAWYER et GUETZKOW s’intéresse plus particulièrement aux facteursjouant sur la négociation. Les buts qui peuvent être communs ou spécifiques à chaque partie font référenceessentiellement à l’idéologie, les principes dont on se réclame pouvant bien entendu avoir des incidencestechniques sur le choix des modalités d’application. Les «conditions » caractérisent les particularités de lanégociation (caractère secret ou public de la rencontre, nombre de parties, de participants, durée, climat, etc.)tandis que «les facteurs fondamentaux » sont relatifs aux différences culturelles entre les parties, aux relationsinternes ou aux rapports externes qui les particularisent.

Le cœur du modèle en est son «processus » pour l’étude duquel les auteurs empruntent certains concepts à lathéorie des jeux, en particulier celui d’utilité, c’est-à-dire de valeur associée, pour chaque partie, à chaque résultatpossible ; on peut ainsi construire une matrice des utilités. La menace, la promesse, fait accompli ont pour but defaire disparaître de l’éventail des solutions possibles ; inversement, l’innovation en fait apparaître de nouvellespropositions, tandis que la persuasion tente de modifier les valeurs associées pour chaque partie à chaque résultatpossible. La dynamique de la négociation suppose donc une modification séquentielle des matrices des utilités.Malgré ces réserves portant sur la formalisation du processus de négociation, le cadre général du modèle deSAWYER et GUETZKOW définissant les conditions qui jouent sur le déroulement et le résultat de lanégociation internationale nous paraît d’un grand intérêt.

3. LES ASPECTS ESSENTIELS DE LA NEGOCIATION INTERNATIONALE

Il y a beaucoup de description des stades cruciaux du déroulement de la négociation internationale. PourZARTMAN (1982) la négociation internationale peut être subdivisée en trois phases successives : 1)

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prénégociation, 2) élaboration d’une formule d’accord, 3) mise en points des détails. DUPONT (1994) proposetrois stades cruciaux de son déroulement  : 1) les contacts préliminaires et le premier entretien, 2) le cœur de lanégociation, 3) l’aboutissement.

 

WALTON ET MCKERSIE (1965) ont entrepris de décrire de manière exhaustive et formalisée les différentsaspects de la négociation internationale . Les auteurs distinguent quatre ensembles indépendants d’activités quisont considérés comme des sous-processus de la négociation internationale :

l’aspect distributif (le système d’activités lié à la poursuite des buts des parties en conflit),●

la dimension intégrative (le système d’activités liées à l’atteinte de buts qui ne sont pas en conflitfondamental pour les deux parties),

la structuration des attitudes (l’établissement de relations particulières entre les parties),●

la négociation interne de chaque partie (l’ensemble des activités qui permet d’aboutir à une positionunique à l’intérieur de chaque partie que sera celle qui défendra le chef de la délégation). Ils distinguentégalement trois étapes essentielles dans le processus de négociation internationale: 1.l’identification duproblème ; 2.la recherche de nouvelles solutions et leurs conséquences ; 3.la hiérarchisation des solutionset la sélection de l’action. La première étape se caractérise par l’échange d’informations sur le problème etles difficultés créées par la situation pour chaque partie. La deuxième étape fait appel aux processus decréativité et d’innovation. La troisième étape fait intervenir les préférences. Il peut y avoir ainsi retour àl’étape n°2 en cas d’insatisfaction quant aux solutions envisagées. Les conditions (la motivation,l’information et le langage, la confiance et l’absence de climat défensif) facilitent la recherche de solutionsnouvelles et favorisent la créativité en groupe.

DUPONT (1994) montre également qu’il existe quatre caractéristiques propres à la négociation internationale :l’importance des facteurs culturels :les facteurs culturels imprègnent les différentes facettes de la négociation,c’est-à-dire les lois, les règlements, les usages professionnels ou sociaux, les facteurs d’ordre politique, maisencore les comportements personnels qui sont eux-mêmes influencés par les stéréotypes, les systèmes de valeurs,les rites et bien attendu le langage) ; la diversité considérable des contextes : la négociation internationale soit sesitue à l’étranger, soit met en relation deux ou plusieurs négociateurs de nationalité différente ; cette simpleparticularité multiplie la variété de contextes : de nombreuses applications ou allusions seront évoquées dans lessections suivantes, mais un effort de documentation- par exemple sous la forme de fiches de pays - suffit àmontrer la diversité dérivée des conditions géographiques, des lois et des usages, de la langue, des particularitéspolitiques et culturelles etc.) ; multipolarité de la négociation internationale : la négociation fait intervenir denombreux acteurs de nature et de statut différent ; ceci tient à une double réalité : un grand nombre denégociations internationales passent par l’intermédiaire de tiers, en particulier les Etats et les administrationslocales ; la négociation internationale se joue souvent à plusieurs niveaux et de plus, il y a toujours interactionentre ces niveaux et le négociateur doit ainsi surveiller l’évolution de la négociation globale en ne se connaissantpas toujours les tractations qui se situent hors de son environnement immédiat) ; exigences exceptionnellementélevées pour le négociateur international : les observations qui viennent d’être faites suffiraient à montrer lacomplexité et la difficulté de la tâche du négociateur international : il lui faut à la fois tenir compte du fait que lesacteurs appartiennent à différentes cultures et par conséquences ne partagent pas la même façon de penser, desentir et de se conduire ou - en d’autres termes -ils ont leurs stéréotypes, leurs valeurs et leurs croyances. Troiséléments supplémentaires vont encore accroître les exigences requises : 1) la plupart des négociationsinternationales reflètent l’âpreté des relations internationales, les rivalités de tout ordre et de la concurrencemondiale dans le domaine économique, 2) les négociations internationales exigent du négociateur unecompétence très différenciée, le négociateur doit se montrer capable de passer d’un registre à un autre ou d’un

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ensemble de règles du jeu à un ensemble de contraintes d’un ordre tout à fait différent, 3) les négociationsinternationales ont des coups et des risques élevés : l’investissement est lourd et souvent aléatoire ; lesmalentendus, des ruptures, des incidentes inattendues, des pénalités ou des mésaventures peuvent surgir à toutinstant). Tout ceci n’est pas le seul fait de la négociation internationale, mais celle-ci particulièrement délicate etexige beaucoup de patience, de doigté, de savoir-faire et d’expérience. 

En raison de ces particularités, la négociation internationale met en lumière un certain nombre de points sensibles:

la préparation doit être méticuleuse, rigoureuse sur le contenu technique, fine et approfondie sur les aspectspsychologiques et lucide et ingénieuse du point de vue stratégique,

la logistique prend une importance accrue et le négociateur devraient consacrer quelque réflexion avantd’être arrivé à destination,

le choix du négociateur ou de la délégation est cruciale ; on ne s’improvise guère négociateur international: il faut des dons et ensuite de l’expérience,

les négociations internationales se trouvent facilitées non seulement par une bonne connaissance du milieuet des dossiers, mais encore par le recours à des contacts exploratoires, la construction d’un réseau efficacede relations judicieuses, le bon maniement de l’information, l’établissement d’une réputation favorable etd’une crédibilité solide.

 

KREMENYUK (1991) à son tour constate que le processus de la négociation internationale a des caractéristiquessuivantes : 1) phases, 2) échanges d’information et phénomènes communicationnels, 3) mécanismes depropositions et contre-propositions, 4) techniques et tactiques, 5) initiatives, 6) modalités, 7) dénouement.

Il propose le modèle qui postule cinq grandes classes d’éléments présentés dans toute négociation : 1) acteurs, 2)structure, 3) stratégie, 4) processus, 5) résultats. Ce modèle est en fait une manière de synthétiser le jeu desinteractions émanant d’au moins deux (et éventuellement de plus de deux) «parties », et, deuxièmement, queselon les approches suivies, il sera loisible d’insister surtout tel ou tel élément. Il insiste également sur les pôles«acteurs » et «processus », visant à trouver des relations entre des variables d’acteurs et des processus ou desvariables des processus et des résultats. Dans ce modèle on trouve aussi une centration sur les phénomènes de«pouvoir » notamment dans le triangle : "acteurs, structure, stratégie ".

 

Depuis le début, l’étude de la négociation internationale a été basée sur deux conceptions principales : laconception de la négociation internationale en tant que simple marchandage où la flexibilité est définie comme lefait de faire les concessions et d’éviter les impasses et la conception de la négociation internationale en tant quele processus de la résolution de problème où la flexibilité est définie en tant que processus et non pas comme desimples séquences « action-réaction ». Une façon différente d’exprimer la définition de la flexibilité a étéproposée par DRUCKMAN (1993). Cet auteur inspiré par la théorie des jeux et par le processus d’interaction àœuvre durant la négociation internationale propose la définition suivante :

La conception des choix compétitifs et coopératifs qui sont effectués dans un jeu d’interaction correspondent auxchangements ou aux non- changements des positions durant la négociation. La coopération consiste à faire un pasloin de sa position initiale en faisant preuve de flexibilité (…). Il a été montré que la flexibilité se produit au seinde la négociation selon d’autres façons que le simple fait de faire des concessions. Elle se trouve au seind’échanges verbaux entre les négociateurs ou dans leurs perceptions de la situation et de leur/s adversaire/s.(DRUCKMAN, 1993, p.2).

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Influencé par l’approche séquentielle de la négociation (DOUGLAS, 1957,1962, MORLEY et STEPHENSON,1977), DRUCKMAN considère que flexibilité peut être présente durant tous les stades de la négociationinternationale sous les formes différentes :

Durant le période préparatoire de la négociation, la flexibilité s’exprime par la volonté d’étudier leproblème en adoptant la perspective de la partie adverse, la recherche des solutions intégratives quiamènent à un grand profil conjoint, l’effort de minimisation des différentes idéologiques existant entre lesparties impliquées dans le conflit.

Durant la première phase de la négociation, la volonté de séparer les différents thèmes à discuter, deconsidérer qu’il y a possibilité d’accord partiel lorsque l’accord sur l’ensemble des thèmes n’est paspossible des expressions de flexibilité.

Durant les discussions, la flexibilité se trouve dans la volonté de prendre en considération un argumentvenant de la partie adverse.

Durant la phase finale de la négociation, la flexibilité s’exprime par les concessions et la volonté deproposer plusieurs solutions dans l’espoir qu’il y en aura au moins une sur laquelle les parties pourronttrouver un accord.

 

En 1993, DRUCKMAN identifie un ensemble de facteurs situationnels qui sont à l’origine des comportements deconcessions. Partant du modèle théorique de SAWYER et GUETZKOW, DRUCKMAN propose de tester l’effetdes facteurs situationnels relatifs au contexte de la négociation internationale. L’origine de cette étude consistedans le regroupement au sein d’un même scénario de négociation d’un grand nombre de variables situationnellesregroupées en quatre sous-ensembles en fonction du stade auquel elles interviennent dans la négociation  :

Prénégociation Stage primitif de lanégociation

Stade des discussions Stade final de la négociation

Positions qui sontlièes ou non auxidéologies politiques(Druckman etZechmeister, 1973)

1.

Le rôle dureprésentant principalde son groupe ou dusimple conseiller ausein de la délégation(Druckman, 1971,1973)

2.

Etude du problème etl’élaboration d’unestratégie pendant lapréparation de lanégociation(Hammond et al.,1966, Druckman,1968)

3.

Existence vs absencede familiarité avec les

4.

Les discutionscentrales oupériphériques(Galting, 1964)

1.

Forme de conférénceformelle vs informelle(Galting , 1964)

2.

Essai d’aboutissementdes accords globauxvs partiels (Fisher,1964, Hopman, 1986)

3.

La positionavantageuse vsdésavantageuse de ladélégation en terme depouvoir (Hopmann,1978 ; King, 1979)

4.

Existence vs absencede solutions saillantes(Schelling, 1960,Druckman et Rozelle,1975)

1.

Beaucoup vs peu deconcessions d’unepartie d’adversaire(Siegel et Fouraker,1960, Bartos, 1974,Druckman et Bonome,1976)

2.

Le leadership de laconférence se présenteen tant qu’uninnovateur ou non(Underdal)

3.

Converturemédiatique desconférénces légère vsintense (Druckman etRozelle, 1975)

4.

Existence vs absencede limite temporelle(Pruitt et Drews,1969, Druckman etal.,1991)

1.

Existence vs absenced’une meilleurealternative en casd’absence d’accord(Fisher et Ury, 1981 ;Thibaut, 1968)

2.

Une solution proposéepar un médiateur oupar la partie adverse(Pruitt, 1981).

3.

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positions de la partieadverse (Johson,1967, Druckman etBroome, 1991)

Relations entre lesparties aimables vsantagonistes

5.

( Druckman et Broome, 1991)

Tableau : Les variables situationnelles étudiées par Druckman (1993) et leur regroupement en quatre opérations de la négociation(DRUCKMAN, 1993, p.10)

 

Pour étudier l’effet simultané des variables situationnelles sur les comportements de flexibilité. DRUCKMANutilise une simulation de la négociation internationale multilatérale. La création de trois conditionsexpérimentales a permis de vérifier les hypothèses et confirmer des résultats des études précédentes: 1) produiredes comportements de flexibilité tout au long de la négociation ; 2) produire les comportements inflexibles(distributifs) tout au long de la négociation ; 3) produire des comportements distributifs durant les trois premiersstades et des comportements flexibles au stade final de la négociation. DRUCKMAN (1977), dans la versionplus récente de ce modèle, enrichit l’opérationalisation des facteurs pivots en mettant l’accent sur l’influence desfacteurs cognitifs et motivationnels (au sein des facteurs fondamentaux) et sur le processus social de lanégociation.

La perception subjective du/des négociateur/s concernant des attitudes et les intentions de la partie adverse, ainsique la perception subjective de la situation de la négociation internationale, s’avèrent être des variablescognitives qui peuvent expliquer le comportement et le résultat de la négociation internationale. Les étudesexpérimentales effectuées par TVERSKY et KAHNEMAN, portant sur les limitations cognitives duraisonnement humain, constituent le point de départ de l’approche cognitive dans l’étude de la négociation entermes de biais affectant le comportement des négociateurs et le résultat de la négociation. Ces auteurss’intéressent à des fonctions spécifiques du raisonnement humain (prise de décision en situation impliquant uncertain degré de risque, jugement en situation d’incertitude), identifient une série de biais et de schémas cognitifsne permettant pas à l’individu la production de jugements objectifs et le conduisant à la formulation de jugementset d’évaluations subjectives basées sur des données limitées et formulées en fonctions des schémas préexistants.Précisément ils identifient trois biais cognitifs principaux affectant le raisonnement humain en cas de jugement/évaluation en condition d’incertitude : 1) le biais de la représentativité : 2) le biais de la disponibilité del’information ; 3) le biais de l’ajustement et de l’ancrage : Le jugement final sera, par conséquent, une valeurajustée par rapport à la valeur initiale. Le biais cognitif d’ancrage consiste en la persistance de l’individu à lavaleur initiale qui devient, par la suite le jugement final. Cette liste de trois biais cognitifs affectant leraisonnement humain en cas de jugement en situation d’incertitude sera par la suite enrichie par l’identificationd’autres biais cognitifs, tels que la surconfiance de l’individu (KAHNEMAN et al.,1982).

 

Les études réalisées sur la prise de décision au cours de la résolution des problèmes montent que les sujets quisont sûrs d’eux raisonnent de manière objective dans la prise de décision : 1) ils proposent des solutionsoriginales qui les traitent en profondeur, 2) ils augmentent le nombre de concessions novatrices et efficaces, 3) ilsredéfinissent les propositions précédantes avec les corrections acceptables pour l’adversaire, 4) ils synthétisent etréétudient leurs idées crédibles pour trouver une solution optimale (BROUSHLINSKY, RADTCHENKO, 1988)

 

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4. LES FACTEURS CULTURELS DE LA NEGOCIATION INTERNATIONALE

ROBERTS (1970) a proposé une liste des variables culturelles qui peuvent jouer un rôle important dans lanégociation internationale : 1° valeurs et croyances, 2° langage et communication, 3° tempérament et caractère,4° attitudes en général et notamment vis-à-vis du changement, 5° motivations et besoins d’accomplissement, 6°stéréotypes nationaux, 7° pratiques relatives au travail et au fonctionnement de l’économie, 8° structures etpratiques sociales, 9° modes d’autorité, 10° modes de résolution des conflits, 11° changement technologique.

 

Citons un exemple : GRAHAM et al ; (1996) ont mené la recherche sur les différences dans les comportementsverbaux entre négociateurs. Il est intéressant pour nous de comparer les comportements verbaux entrenégociateurs appartenant à sept cultures différentes :

Comportement Japon France Chine Russie Royaume-Uni Etats-Unis Allemagne

1.Promesse 7 5 6 5 11 8 7

2. Menace 4 5 1 3 3 4 3

3.Conseil 7 3 2 4 6 4 6

4.Avertissement 2 3 1 0 1 1 1

5.Récompense 1 3 1 3 5 2 4

6.Punition 1 3 0 1 0 3 2

7.Appel normatif positif 1 0 1 0 0 1 0

8.Appel normatif négatif 3 0 0 0 1 1 0

9.Engagement 15 10 10 9 10 13 13

10. Apport d’information 34 42 36 40 39 36 47

11.Question 20 18 34 27 39 20 15

12.Suggestion 8 9 7 12 9 6 9

 

Ce type de recherche donne des indications intéressantes sur les « etics » culturels (PIKE,1967 ;TRIANDIS,1994), c’est à dire les éléments qui, au plan méthodologique, sont transversaux à toutes lescultures considérées. Une autre question aussi essentielle porte sur les « emics » culturels, sur ce qui estspécifique et contribue ainsi à façonner l’identité particulière d’une culture. Plusieurs auteurs ont réalisé destravaux dans cette perspective, tels ceux le négociateur japonais (BLAKER,1977 ; GRAHAM & SANO,1989),sur le négociateur américain (GRAHAM & SANO,1989), sur le négociateur russe (KREMENYUK,1998), sur lesnégociateurs français et chinois (FAURE,1995 ; PYE,1982). Il est toujours possible de comprendre uncomportement du négociateur, d’expliquer ses actes et d’établir un rapport causal entre sa vision du jeu et sonaction.

Le regroupement des variables culturelles a une limite qui tient au lieu entre culture et personnalité.

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L’identification culturelle de l’interlocuteur part généralement des caractéristiques attribuées - plus ou moinscorrectement - au groupe duquel ce dernier se rattache. Mais la personnalité propre du négociateur se superpose àcette structure de groupe. On a pu ainsi mettre en évidence - à l’occasion de l’analyse de l’hostilité «culturelle » -l’existence simultanée de deux tendances dont l’une, spécifiquement culturelle, est expliquée par un réflexe derejet lié à la différence d’ethnicité - et donc une des causes serait l’anxiété naissant de l’incertitude - et l’autre, denature plus individualisée, qui concerne un sentiment immédiat de distanciation ou d’antipathie, reflétant - d’unemanière très sélective - la désapprobation, la gêne ou l’embarras devant des caractéristiques de conduites’écartant des normes ou des usages.

 

6. LES STEREOTYPES NATIONAUX ET LA NEGOCIATION INTERNATIONALE

Les stéréotypes nationaux définissent souvent le comportement des adversaires pendant le déroulement de lanégociation internationale.

Un stéréotype est un jugement qui caractérise un groupe mais aussi un moyen de distinguer un groupe d’un autre.Les deux façons d’utiliser les traits, pour la catégorisation et pour la distingabilité, ont été utilisées pour isoler lesstéréotypes. De nombreuses recherches ont montré également que des groupes à statut élevé tendent davantage àmarquer leurs distances à l’égard d’un groupe à statut bas qu’inversement. (DOISE, 1979, JODELET 1994 ;PERSONNAZ, 1979, SINGLY, 1993). On constate également que les groupes à statut moins élevé ou moinsassuré se comportent d’une manière plus discriminatoire à l’égard d’un autre groupe et expriment assez fort lefavoritisme de l’endogroupe (DESCHAMPS et PERSONNAZ, 1979). Les stéréotypes nationaux définissentsouvent le comportement des adversaires pendant le déroulement de la négociation internationale.

FAURE (1998) constate à plusieurs reprises que les stéréotypes peuvent être un obstacle dans la négociation (lesstéréotypes négatifs, les préjugés et les conduites différentes peuvent empêcher le déroulement de lanégociation). Il donne un exemple : »Dans le cas présent, à tort ou à raison, les Français pendant la négociationavec les Chinois étaient perçus comme des interlocuteurs cherchant à faire de très grosses marges et, parconséquent, surfacturant leurs prestations. Ils sont également perçus par les négociateurs chinois comme desinterlocuteurs mettant en œuvre une stratégie « romantique » . Aux yeux des Chinois, les Français montrentabondamment qu’ils sont fiers d’être ce qu’ils sont, d’appartenir à une culture importante même si elle est unpeu tournée vers le passé ». FAURE ajoute que les stéréotypes positifs peuvent être aussi comme un facteurd’aisance (les ressemblances culturelles, les mêmes valeurs et les mêmes buts et la confiance de la part denégociateur peuvent faciliter la négociation). Les stéréotypes positifs peuvent aussi faciliter et développer laconfiance et l’empathie des négociateurs.

 

Au début de la négociation les différences culturelles vont également rendre les relations difficiles, opaques etainsi ajouter à l’opposition d’intérêts qui est à l’origine de la négociation. Le sens donné par les uns à leurs actessera très éloigné de celui qui lui attribue les autres. Aux difficultés de communication peuvent s’ajouter desphénomènes de dissonance cognitive. Les situations tendues, les positions très conflictuelles sont parfois à lasource de tels processus. Le sujet tend à ne retenir de l’expérience de la relation à l’autre que les éléments quiconfortent ses hypothèses de départ et qui, ainsi nourrissent sa suspicion. Dans la négociation internationale telscomportements peuvent créer la méfiance, l’hostilité, l’anxiété ou l’indifférence initiale entre les protagonistes etprovoquer le conflit ou être la conséquence du conflit comme l’a montré SHERIF (1961,1966). Les actes positifspeuvent être interprétés comme destinés à donner le change et ne font que révéler la duplicité du comportementde l’autre.

 

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A notre avis les stéréotypes négatifs des protagonistes peuvent être liés à une orientation compétitive de lanégociation où l’intérêt propre emporte sur l’intégration des intérêts communs et il s’agit de lutter pourl’appropriation des ressources et des « gains » de la négociation. L’orientation compétitive de la négociationcontient les activités les plus conflictuelles qui s’établissent entre les parties ; chaque partie cherche à atteindreses buts propres qui sont en opposition avec ceux de l’autre ou des autres parties. Il s’agit le plus souvent deressources rares (argent, pouvoir) que l’on cherche à se partager, chacun cherchant à obtenir la grande part. Cesous-système renvoie donc aux tactiques et comportements les plus conflictuels : les tactiques de pression detoutes sortes (menace, mise en garde, mise en avant d’un mandat reçu et incontournable, usage de la force sur leterrain, l’intransigeance de chacune des parties dans la présentation des objectifs qu’elle cherche à atteindre etdes positions qu’elle défend. Dans cette situation les négociateurs peuvent effectuer les comportementsdistributifs suivants : 1) répéter la position initiale, 2) réserver sa position par rapport à la position de quelqu’und’autre, 3) refuser la proposition autrui, 4) toutes interventions de pression, 4) évaluer négativement ou avechostilité une personne ou un groupe ; 5) manifester sa désapprobation (TOUZARD, 1995).

Les stéréotypes nationaux ne sont pas toujours négatifs par rapport à l’exogroupe. Les gens peuvent exprimer unesympathie et une confiance par rapport aux autres et les juger assez positivement. A notre avis ces stéréotypespeuvent faciliter une orientation coopérative de la négociation où domine la recherche en commun d’une solutionmutuellement satisfaisante, mettant l’accent sur les intérêts communs. Ils accompagnent souvent les sentimentsd’amitié, d’estime et d’empathie qui peuvent s’établir entre protagonistes. Ils ont une zone d’intérêts en commun,les parties ont ensemble un problème à résoudre et cherchent une solution satisfaisante pour chacune d’elles : unesolution intégrant les objectifs de l’une à l’autre. (WALTON et MC KERSIE, 1965). La caractéristique d’unesolution intégrative est de permettre un gain conjoint et un gain pour chacun supérieurs à un banal compromis.Ici les négociateurs utilisent les comportements de flexibilité, comme : 1) formuler une proposition nouvelle, 2)intégrer dans une proposition un élément de la proposition d’autrui, 3) s’aligner sur la proposition d’autrui, 4)demander à autrui une solution ou de suggestion, 5) évaluer positivement une personne ou un groupe, 6)manifester son approbation.(TOUZARD, 1995).

La négociation compétitive contient les activités les plus conflictuelles qui s’établissent entre les parties ; chaquepartie cherche à atteindre ses buts propres qui sont en opposition avec ceux de l’autre ou des autres parties. Ils’agit le plus souvent de ressources rares (argent, pouvoir,) que l’on cherche à se partager, chacun cherchant àobtenir la grande part. Ce sous-système renvoie donc aux tactiques et comportements les plus conflictuels : lestactiques de pression de toutes sortes (menace, mise en garde, mise en avant d’un mandat reçu et incontournable,usage de la force sur le terrain, l’intransigeance de chacune des parties dans la présentation des objectifs qu’ellecherche à atteindre et des positions qu’elle défend. Dans cette situation les négociateurs peuvent effectuer lescomportements distributifs suivants : 1) répéter la position initiale, 2) réserver sa position par rapport à laposition de quelqu’un d’autre, 3) refuser la proposition autrui, 4) toutes interventions de pression, 4) évaluernégativement ou avec hostilité une personne ou un groupe ; 5) manifester sa désapprobation (TOUZARD, 1995).

Mais ce processus de la négociation compétitive ne commence pas nécessairement d’une manière symétriquepour tous les groupes concernés. On peut constater souvent que la négociation se déroule entre catégoriesdéfavorisées et catégories dominantes ou entre nations dominantes et nations colonisées. Au début de lanégociation ce groupe, en reconnaissant leur statut moins favorable, tend à inverser activement les rapportsdominants.

Les stéréotypes nationaux ne sont pas toujours négatifs par rapport à l’exogroupe. Les gens peuvent exprimer une

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sympathie et une confiance par rapport aux autres et les juger assez positivement. Ces stéréotypes peuventfaciliter la négociation coopérative où domine la recherche en commun d’une solution mutuellementsatisfaisante, mettant l’accent sur les intérêts communs. Ils accompagnent souvent les sentiments d’amitié,d’estime et d’empathie qui peuvent s’établir entre protagonistes. Ils ont une zone d’intérêts en commun, lesparties ont ensemble un problème à résoudre et cherchent une solution satisfaisante pour chacune d’elles : unesolution intégrant les objectifs de l’une à l’autre.(WALTON et MC KERSIE, 1965) La caractéristique d’unesolution intégrative est de permettre un gain conjoint et un gain pour chacun supérieurs à un banal compromis.Ici les négociateurs utilisent les comportements de flexibilité, comme : 1) formuler une proposition nouvelle , 2)intégrer dans une proposition un élément de la proposition d’autrui, 3) s’aligner sur la proposition d’autrui, 4)demander à autrui une solution ou de suggestion, 5) évaluer positivement une personne ou un groupe, 6)manifester son approbation. (TOUZARD, 1995).

Quand des négociateurs entrent ainsi en contact, il s’agit bien de la relation entre groupes mais aussi d’individusinteragissant avec d’autres individus. Le plus souvent des négociations commencent à se dérouler entre plusieursreprésentants de chaque groupe ; plusieurs individus ont à définir ensemble une position par rapport à un autregroupe, cette prise de position devient plus nette et plus extrême que lorsqu’un individu doit se prononcer toutseul dans une situation semblable. Les négociateurs individuels peuvent arriver plus souvent à une solutionconstructive et entraîner une mémorisation plus facile des caractéristiques personnelles de soi et d’autrui. Maislors d’une négociation collective les compromis sont plus difficiles à élaborer et souvent la discussion continuejusqu’à ce que l’un ou l’autre partie l’emporte. Dans ce moment les comportements agressifs peuvent provoquerla mémorisation d’informations plus impersonnelles et stéréotypiques telles que lieu d’origine, lieu de résidence,âge, sexe etc. Souvent quand la négociation collective commence à se développer les nouvelles solutions peuventapparaître et les négociateurs doivent donc discuter avec leur propre camp pour essayer de faire modifier lesattentes et les niveaux d’aspiration. Lorsqu’ils sont deux ou plusieurs, les négociateurs peuvent se répartir lesdeux rôles requis par les deux faces du mandat reçu. L’un pourra jouer la souplesse, tandis que l’autre joueral’intransigeance. Ainsi dans les rôles peuvent-ils se répartir au sein d’une délégation, ce qui permet à chaquenégociateur de dépasser le conflit interne ressenti. C’est une véritable négociation interne qui s’instaure, avecluttes d’influence, alliances, etc. Les négociateurs sont donc au centre de deux processus de négociation, unenégociation interorganisationnelle et une négociation intraorganisationnelle ; l’issue de la première dépendsouvent du déroulement de la seconde. Dans cette négociation intraorganisationnelle on peut constater le conflitdans les différences motivationnelles (différenciation verticale au sein de l’organisation, hétérogénéité desformations et des expériences), perceptives (différenciation verticale au sein de l’organisation, ambiguïté de lasituation) et émotionnelles dont l’origine est l’expérience passée (besoin d’une victoire, d’une revanche, etc.). Ledilemme du négociateur pris en tenailles entre des objectifs contradictoires- défendre les positions de son proprechamp et parvenir à un accord – ne peut trouver une solution aisée. Sa tâche est difficile et nécessité une grandemaîtrise intellectuelle, affective, émotionnelle. Dans ce cas les négociateurs peuvent sous-estimer leurs proprespossibilités et leurs chances.

 

La phase suivante de la négociation internationale commence souvent avec l’utilisation de différentes sources depouvoir : le pouvoir de coercition, de récompense, de compétence, de référence, le pouvoir légitime et le pouvoirbasé sur la détention d’information. La source de pouvoir la plus utilisée dans les cas des conflits internationauxest la coercition. Ici le rôle de stéréotypes nationaux est très important : plus les stéréotypes sont négatifs plus lesnégociateurs vont essayer d’utiliser les différentes formes de coercition. La menace c’est une forme de pressionsouvent utilisée dans les négociations compétitives : menace de rompre le cessez-le-feu, de déclencher la guerre,de blocus économique, d’embargo, de rupture de relations diplomatiques ou de rupture des négociations. Lamenace consiste à tenter de dissuader l’adversaire de persister dans son comportement, son intransigeance, en luiprédisant des sanctions, des pertes qu’on lui infligera s’il ne se soumet pas aux exigences que l’on formule. Mais

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assez souvent la menace est avancée avec l’espoir qu’on n’aura pas à la mettre à exécution, car l’exécution de lamenace peut coûter aussi cher à celui qui la profère qu’à celui qui la subit.

 

La réponse de l’adversaire par rapport à la menace peut aussi être influencée par ses stéréotypes nationaux.DEUTSCH (1967) décrit les stratégies du négociateur par rapport à la menace d’autrui : 1) stratégie de la jouetendue (le sujet répond de manière coopérative, quel que soit le comportement (agressif, menaçant) del’adversaire ; 2) stratégie non punitive (le sujet se défend contre les attaques ou menaces, mais n’attaque ni nemenace l’adversaire ) ; 3) stratégie dissuasive (le sujet réagit par la menace à tout acte non coopératif del’adversaire, contre-attaque quand il est attaqué, mais répond coopérativement à tout acte coopératif ; 4) deuxstratégies de repentir (le sujet joue de manière menaçante et agressive au début et ensuite adopte soit la stratégiede la joue tendue, soit la stratégie non punitive.

Lorsque la menace n’est pas mise à exécution, c’est le bluff. Le bluff ne se révèle qu’après coup. Lesinconvénients du bluff sont de miner la réputation de fermeté et de détermination de la partie qui en est l’auteur.Une autre façon de faire pression sur l’adversaire au cours de négociation est d’utiliser la surenchère. Elleconsiste, devant l’intransigeance de l’adversaire à demander encore plus. Les stéréotypes négatifs par rapport àl’exogroupe seront liés très souvent à des comportements agressifs et souvent à l’hostilité à l’encontre d’unnégociateur. Les outrances verbales dirigées de manière impersonnelle contre l’adversaire ou ses alliés peuventprovoquer la rupture de la négociation internationale. La rupture peut être très longue et coûteuse et peut signifieraussi la reprise des hostilités dans les relations internationales et l’augmentation des stéréotypes négatifs pourautrui.

Mais les processus de coercition ne sont pas toujours présents dans le déroulement de la négociationinternationale. Dans le cas de la négociation coopérative et de la présence des stéréotypes positifs les relationspeuvent se dérouler assez positivement. Une autre tactique peut être utilisée par les négociateurs dans cette phasede la négociation internationale: le processus de dissimilation. Ici la négociation internationale met en œuvre unpouvoir basé sur l’information et sur la compétence. Celui qui possède l’information a le pouvoir surl’adversaire. Information technique, mais aussi information sur l’adversaire, sur sa volonté réelle d’aboutir ounon à un accord, sur sa stratégie, connaissance des points sur lesquels il peut céder et ceux sur lesquels sonintransigeance sera irréductible.

FISHER (1980) a proposé une grille de décodage des phénomènes transculturels qui organisée autour de dixquestions devant orienter la réflexion des négociateurs : 1) Quelle est la conception prédominante de lanégociation (fonctions, rôle, règles du jeu) dans la culture de la partie adversaire ? 2) Le négociateur adversepeut-il être considéré comme représentatif de la culture de son groupe (ce qui obligé à en dessiner le profilsocial et culturel) ? 3) Quel est le mode de décision usuel dans la culture à laquelle appartient la partieadverse ? 4) Dans quelle mesure la négociation risque-t-elle d’être influencée par l’image qu’ont d’eux-mêmesles négociateurs, par leurs stéréotypes ? 5) Les notions « d’accord », de compromis » , d’engagements, derenégociation ont-elles le même sens pour les parties concernées ? 6) Quel est le style usuel des négociateursavec qui l’on traite, et notamment les comportements et les techniques courantes ? 7) Quel est l’impact probabledes différences dans les systèmes de valeurs, des croyances et dans les idéologies ? 8) Y a-t-il des différencesnotoires dans les modes de penser et de raisonner entre les négociateurs ? 9) Quels seraient les facteursculturels spécifiques susceptibles de créer des barrières ou des « bruits » dans la communication ou lanégociation ? 10) Y a-t-il des problèmes potentiels concernant l’usage de la langue et d’éventuelleinterprétation ? Le déroulement de la négociation internationale a pour fonction de permettre cette prised’information progressive. Pendant ce processus l’influence des stéréotypes nationaux devient plus en plus

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inutile car ils empêchent d’avoir une image plus précise de l’adversaire et une possibilité d’analyserl’information individuelle pour le négociateur.

La dernière phase de la négociation internationale est courte comparativement aux deux précédentes qui peuventdurer des années. Elle s’établit lorsque les parties en présence se rendent compte qu’il faut prendre la décision.C’est le moment où les négociateurs sentent qu’ils ont atteint un point de non-retour et que l’accord peut êtreconclu ou non. Une négociation peut se terminer de diverses manières : 1) par absence d’accord et lesnégociateurs font alors le constat de l’impasse , de l’échec de la négociation, 2) par un compromis, 3) par unesolution relativement nouvelle, originale et créative, à laquelle on n’avait pas pensé lors de la préparation, ni d’uncôté ni de l’autre et qui intègre les intérêts divergents des parties, c’est ce qu’on appelle une solution intégrative.

Dans le cas de l’échec de la négociation internationale plusieurs causes peuvent être à l’origine de cettesituation : rigidité excessive, inadaptation de la négociation comme modalité de résolution de conflit, incapacitédes négociateurs à maîtriser des phénomènes d’escalade ou l’augmentation des stéréotypes négatifs par rapport àl’exogroupe ou même parfois par rapport à leur propre groupe.

Le compromis c’est un accord entre négociateurs adverses sur un thème en discussion , accord qui se situequelque part entre les positions de départ des uns et des autres. Le compromis est la solution la plus aisémentenvisagée, celle qui vient le plus facilement à l’esprit quand on négocie par exemple un prix de vente. Lecompromis s’établit alors en un point intermédiaire entre les deux positions initiales, les concessions ayant étéréciproques mais pas obligatoirement symétriques. Une autre possibilité est d’accorder une concession àl’adversaire en reprenant un avantage perdu sur un autre point. Ainsi des accords partiels antérieurs peuvent êtretout à fait modifiés. La négociation qui finit par un compromis peut provoquer les sentiments ambigus desnégociateurs et la présence de deux types des stéréotypes en même temps : négatifs et positifs.

La solution intégrative c’est une solution qui intègre les intérêts des diverses parties impliquées, qui tient comptedes positions développées, des objectifs visés. Il s’agit donc d’une solution originale, créative, et à plus longterme que tout compromis puisqu’elle prend en compte les positions et intérêts en jeu. C’est une solution quipermet de germer au cours de la négociation grâce à la dynamique des échanges et de la recherche de solutions.Une solution intégrative donne donc satisfaction à chaque partie car elle permet à chacun d’atteindre un grandnombre de ses objectifs. Au lieu de gagner contre l’autre, on gagne avec l’autre (« gagnant- gagnant »). Lesnégociateurs peuvent choisir les différentes stratégies qui peuvent être d’origine des solutions intégratives.

PRUITT(1977,1981) décrit les stratégies qui peuvent être d’origine des solutions intégratives :

la première stratégie consiste à « agrandir le gâteau » : si l’on veut que la part de chacun soit plus grande,il faut que le gâteau soit plus grand,

1.

la deuxième stratégie, spécifique des négociations répétées avec les mêmes parties, consiste à attribueralternativement à chaque partenaire le résultat maximum,

2.

la troisième stratégie permette d’aboutir à une solution où chacun gagne quelque chose d’important ,au-delà des intérêts contraires, un intérêt commun,

3.

la quatrième stratégie possible est l’échange de concessions gagnantes (« logrolling ») qui suppose deux4.

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conditions : a) les parties en présence ont décidé de négocier en même temps sur plusieurs rubriques ; c’estla négociation globale , « en paquet » ; b) les parties en présence ont des priorités différentes.

Les recherches sur la négociation internationale se sont focalisées depuis quelques années sur cette dernièrestratégie de l’échange de concessions gagnantes dans le cas de priorités différentes. Ce genre de solution étantdifficile à élaborer, il nécessite de la part des négociateurs certaines orientations particulières préalable à lanégociation : un niveau d’aspiration élevé et une orientation de type de résolution de problème. Une solutionintégrative ne peut se profiler que si aucun compromis n’est possible, ce qui est le cas lorsque de part et d’autre leniveau d’aspiration est élevé : devant l’impossibilité de parvenir à un accord, les négociateurs vontéventuellement se livrer à un travail d’investigation plus large. Deuxième caractéristique nécessaire chez lesnégociateurs : orientation de type coopératif, de type de résolution de problème. En effet, l’élaboration d’unesolution intégrative nécessite chez chaque négociateur une décentralisation de son propre point de vue, une priseen compte au moins partielle du point de vue de l’adversaire, de ses intérêts. D’autres facteurs facilitantl’élaboration d’une solution intégrative par échange de concessions sont à chercher dans la dynamique même deséchanges entre négociateurs adversaires. Il s’agit d’un échange intense d’informations rendu indispensable parcette recherche des priorités différentes et les négociateurs doivent découvrir d’abord qu’ils n’ont pas les mêmespriorités en termes objectifs, ensuite il leur faut découvrir la nature de ces priorités différentes. Dernier facteur :parallèlement à cette recherche d’information concernant les priorités toujours malaisée dans le climatconflictuel, chaque négociateur, tout en gardant à l’esprit un objectif élevé, doit formuler un grand nombre depropositions selon un procédé d’essais et erreurs, dans l’espoir de rencontrer à un moment les priorités del’adversaire. Ces facteurs facilitant la recherche d’une solution intégrative sont formalisés par PRITT (1981) enun modèle : le modèle de la rigidité flexible. Une solution intégrative, pour apparaître nécessite à la fois de larigidité au niveau des buts (un niveau d’aspiration élevé) et de flexibilité au niveau des moyens (une propensionélevée à faire de nombreuses propositions). Quand les négociateurs souhaitent trouver la solution intégrative ilsrapprochent leurs attitudes : telles que la non-agressivité, l’implication dans la réussite, l’évaluation positive duclimat du groupe, les attitudes vis-à-vis de l’adversaire et de sa position, sont liées à la performance.

 

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LES LECONS MORALES DE L’HISTOIRE

Samuel TOMEI 

   

"Non, il n’y a pas de droit de nations dites supérieures contre les nations inférieures. » G. Clemenceau

                                                                                 

Aspirant peut-être au statut d’Euménides, ces divinités infernales chargées de lavengeance des dieux, nos éditorialistes, spécialistes, politiques… convoquent sans répitl’Histoire au service d’une morale comminatoire. L’Histoire recèlerait des leçonsmorales que nous, mauvais élèves amnésiques, aurions le tort de ne pas bien retenir.Voulons-nous donc que tout recommence ? N’avons-nous donc rien appris ? Ainsi,périodiquement, on nous met en garde contre l’apparition d’un nouveau Hitler : Nasseren 1956, Saddam Hussein en 1991, plus récemment Slobodan Milosevic.

 Au moment de l’intervention de l’OTAN, au printemps 1999, le président yougoslaveest accusé d’ordonner un « génocide »  ; on brandit les spectres de « camps deconcentration », de « liste de Schindler », de « chambres à gaz »[1]… La comparaisonavec l’Europe de la Seconde Guerre mondiale devient automatique : l’UCK estassimilée à la Résistance, le peuple albanais au peuple juif, les militaires serbes jouentle rôle des nazis et les Alliés celui des… Alliés. Le recours systématique à la Shoah,mal absolu, condamne la pratique du doute, immorale. Selon Claude Lanzmann, « cesréférences perpétuelles à la Shoah, c’est une façon de museler toute parole.Interdiction de parler. Plus de débat[2]. » Chacun doit dès lors choisir son camp.Quand Régis Debray convie ses lecteurs à douter, à fournir un effort de réflexion[3], les ripostes sont rageuses : il est le complice du pouvoir autocratique de Belgrade etn’a rien retenu des enseignements de l’histoire ! Qu’on se souvienne du papier deBernard-Henri Lévy qui s’interroge gravement  sur les raisons qui ont pu pousserDrieu la Rochelle à prendre « le parti de ses ennemis et, donc, de la barbarie » ; certes,« Debray n’est pas Drieu. Ni Belgrade Berlin. Mais enfin… D’une certaine façon nousy sommes[4]. » Le même jour, Alain Joxe écrit que, « faute d’avoir choisi ladémocratie contre le fascisme », Régis Debray « gonfle le groupe des ‘crétinsinternationaux’ ». Le philosophe-écrivain conteste-t-il les chiffres donnés par lesautorités occidentales ? Alain Joxe fustige son « impudence » qui, le choix des termesn’est pas innocent, « révèle une complicité plus profonde. Le ralliement de Debray auxthèses révisionnistes va très loin dans le détail. » Enfin, à celui qui doute dubien-fondé de la comparaison de la Yougoslavie avec l’Allemagne hitlérienne aumoment de Munich, qui doute du bien-fondé de l’emploi du terme « génocide » pourqualifier les exactions serbes[5], la leçon d’Alain Joxe : « Il pense court terme, hors

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l’histoire, sans morale politique et sans amour pour l’avenir[6]. » Nous sommes dèslors sommés, au nom de la Morale de l’Histoire, au nom du Devoir de Mémoire, desoutenir l’intervention militaire occidentale, sauf à passer pour néo-munichois,pro-Milosevic et donc…

 Et peu importe que comparaison ne soit pas forcément raison en histoire (« Pourquoi,au lieu de s’en tenir à la spécificité d’événements historiques, déjà assez effrayants eneux-mêmes, faut-il toujours rameuter la Shoah ? […] Rien n’est plus horrible que lecomparatisme des horreurs. », estime Claude Lanzmann). Nos prédicateurs ont donné,à l’occasion de l’intervention au Kosovo, dans un immuable psittacisme propagandiste,sans paraître eux-mêmes retenir grand-chose de supposées leçons du passé. Penser estfatigant. Le moralisme sur fond historique des médias occidentaux ne s’est révélé quel’exact contraire de celui de La voix de la Russie,  pro-Serbe tout d’un bloc.

La caractère caricatural de cette illustration ne délégitime pas pour autant la questionde la morale en histoire. On ne saurait nier que chercher à instituer le passé commeguide de bonne conduite pour le présent relève d’une intention louable. « Laphilosophie a dû proscrire sans doute cette superstition, qui croyait presque nepouvoir trouver des règles de conduite que dans l’histoire des siècles passés, et desvérités que dans l’étude des opinions anciennes. Mais ne doit-elle pas comprendre,dans la même proscription, le préjugé qui rejetterait avec orgueil les leçons del’expérience[7] ? » se demande Condorcet. Cette question nous ramène à la pratique dudevoir de mémoire censée nous responsabiliser en ce qu’elle nous permettrait dedominer notre réalité contemporaine.

La pratique du devoir de mémoire est indispensable au maintien de l’unité d’ungroupe, elle lui donne une cohérence, des valeurs, des normes communes. Soninvocation se fonde sur la morale ; la mémoire commune est notre code. Le devoir demémoire relève de la religion. Or, comme le remarque Serge Berstein : « […] toutsystème qui désire atteindre à une certaine stabilité doit emprunter au religieux[8]. »On peut ici entendre « religieux » dans les deux sens que suggère l’étymologieambivalente du terme. Religieux au sens de relegere (Cicéron), relire, au sens figuré,relire le passé, c’est-à-dire se rappeler régulièrement un passé supposé commun, etaussi relire dans le sens de réinterpréter pour les besoins de la cause. La cause est ici lemaintien de la cohésion sociale à travers la définition d’une identité commune -religare, relier (Lucrèce). Le devoir de mémoire ou culte d’une mémoire qui doit nousêtre commune est, du point de vue de tout pouvoir, le principe cohésif par excellence.Pour Ernest Renan, le chant spartiate : « Nous sommes ce que vous fûtes ; nous seronsce que vous êtes » est « l’abrégé de toute patrie » ; une nation se définit selon lui bienmoins par ses frontières que par l’existence « dans le passé [d’] un héritage de gloireset de regrets à partager [et] dans l’avenir [d’] un même programme à réaliser » ; ensomme : « avoir souffert, joui, espéré ensemble[9] ». La mémoire collective doit pource faire être intangible et s’affranchir, sauf à perdre son caractère opératoire, de touttravail critique : « Elle trie à son gré dans la matière historique - écrit Mona Ozouf[10]-, se donne le droit d’isoler tel épisode révélateur, de s’attarder à des nœudstemporels, d’ignorer en revanche de très longues séquences ». Elle s’établit donc,

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aussi, sur l’obligation de silences[11]. Nécessaire à la concorde civile, la pratique dudevoir de mémoire, qui implique une relation affective immédiate à un passé mythifié,fait de nous des citoyens passifs, des croyants… (la commémoration par excellencen’est-elle pas l’eucharistie ?) Elle homogénéise et tend à dissoudre l’individu dans legroupe.

Selon Paul Ricoeur, la dette à l’égard du passé oblige ; il souligne que l’exhortationd’Israël : « Zakhor », « Souviens-toi », est une invocation, non un commandement[12].Or, le devoir de mémoire serait l’occasion d’abus[13] : de l’invocation à se souvenir,nous serions passés à la sommation. Nous étions conviés à honorer une certainemémoire afin de nous responsabiliser, mais l’invitation tend à se muer en injonction etla responsabilisation en culpabilisation : « Le devoir de mémoire est aujourd’huivolontiers convoqué dans le dessein de court-circuiter le travail de l’histoire, au risquede refermer telle mémoire de telle communauté historique sur son malheur singulier,de la figer dans l’humeur de la victimisation, de la déraciner du sens de la justice et del’équité. C’est pourquoi je propose de dire travail de mémoire et non devoir demémoire[14]. » Les dérives récentes du devoir de mémoire ont également été analyséeset dénoncées avec force et finesse par Pierre Nora : « L’important, ici, n’est cependantpas l’inflation proliférante du phénomène, mais sa transformation interne : lasubversion et le délitement du modèle classique de la commémoration nationale, telque la Révolution l’avait inventé et tel qu’en lui-même l’avait fixé la IIIe Républiqueconquérante […][15] » ; ou par Henry Rousso : « Lorsque le devoir de mémoire setransforme en morale de substitution, et prétend ériger en dogme la consciencepermanente, imprescriptible et universelle du crime commis, il se retrouve dans uneimpasse. […] La morale, ou plutôt le moralisme, ne fait guère bon ménage avec lamoralité historique. Pour conserver sa force d’édification, il va finir par tricher avecles faits […] [16] »

Or, même si certains intellectuels dénoncent les distorsions que le devoir de mémoirefait subir à la « réalité » historique, c’est en fait pour défendre une mémoire non moinssélective et tout aussi moralisatrice que celle qu’ils repoussent. Ainsi l’on condamneles mystifications de la mémoire républicaine – et nous n’en nions pas l’existence –moins pour chercher à approcher la vérité que pour affouiller la République dans sonprincipe. On peut évoquer deux exemples : devoir de mémoire envers les peuplesopprimés par une République colonisatrice amnésique ; devoir de mémoire envers lespeuples corsetés par une République jacobine.

Les révélations du général Aussaresses à travers lesquelles il admettait avoir torturé enAlgérie ont indigné à juste titre. L’on ne saurait accueillir avec indifférence sontémoignage même s’il ne fait que confirmer ce qui est largement su et dénoncé depuisl’époque des faits eux-mêmes[17]. Cette affaire a fourni l’occasion à certainscommentateurs d’inviter à une plus large discussion sur le colonialisme françaisconsidéré comme un « impensé de l’histoire de France[18] », n’étaient, nouspermettons-nous d’ajouter, l’abondante littérature sur la question, torture pendant laguerre d’Algérie y compris. La logique est simple : la République a colonisé par le feret le feu, elle a bafoué ses principes, elle doit faire repentance, elle est disqualifiée. Il

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est ainsi mis l’accent sur la contradiction – indéniable - entre les pratiques ducolonialisme et les principes affichés de promotion de l’égalité républicaine. LaRépublique est invitée à « assumer » son passé, son « lourd fardeau de contradictions[…]» afin de mieux appréhender « les réflexions actuelles sur le devenir du modèled’intégration [français] ». La République, en effet, ne voudrait plus aujourd’hui sesouvenir que l’idéologie coloniale était « inscrite dans les valeurs de la IIIeRépublique[19] ». La réalité est moins simple.

Le colonialisme n’est pas né avec la République, les colons n’avaient pas forcément, ils’en faut, la tripe républicaine, ne nous attardons pas sur ces évidences. Mais si le droitet le devoir des races prétendues « supérieures » à civiliser des races supposées« inférieures » ont trouvé un ardent avocat en Jules Ferry, suivi par la plupart desrépublicains de la Troisième République, doit-on jeter aux oubliettes la tradition, certesminoritaire mais bien pugnace d’un anticolonialisme foncièrement républicain ? Iln’est que de rappeler le long discours de Clemenceau du 30 juillet 1885 qui pourfendl’inanité de la colonisation jusque dans son principe : « […] Regardez l’histoire de laconquête de ces peuples que vous dites barbares, et vous y verrez la violence, tous lescrimes déchaînés, l’oppression, le sang coulant à flots, et le faible opprimé, tyrannisépar le vainqueur. Voilà l’histoire de notre civilisation. Non, il n’y a pas de droit denations dites supérieures contre les nations inférieures. » Et c’est au nom de cesprincipes – républicains – que, sur la question coloniale, il a fait tomber quelques moisplus tôt le ministère Ferry. (Rappelons ce détail piquant  : le Cayennais GastonMonnerville ne fut pas le dernier à déplorer l’action anticoloniale du Tigre[20]…)

Mais Clemenceau n’est pas un initiateur. N’oublions pas la formule des hommes de1848 : « La République n’entend plus faire de distinction dans la famille humaine.» LaDeuxième République, « considérant que l’esclavage est un attentat contre la dignitéhumaine ; qu’en détruisant le libre arbitre de l’homme, il supprime le principe natureldu droit et du devoir ; qu’il est une violation flagrante du dogme républicain : Liberté,Egalité, Fraternité » décrète le 27 avril 1848 l’abolition de l’esclavage. Elle ne fait ques’inscrire dans la filiation de certains révolutionnaires : du 7 au 15 mai 1791, laConstituante débat des colonies et des droits des hommes de couleur et accorde lesdroits politiques à ces derniers s’ils sont nés de père et mère libres. Le 16 pluviôse an II(4 février 1794), la Convention abolit l’esclavage dans les colonies françaises ; c’estBonaparte qui le rétablira en 1802. On incrimine la République, soit, mais depuisquand commettre des abominations au nom d’une idée noble devrait-il entacher cetteidée ? On demande réparation, mais au nom de quel principe civilisé les petits filsdoivent-ils être comptables des crimes commis par leurs grands-parents ?[21]

 Dès lors, peut-on invoquer un devoir de mémoire à propos de notre passé colonialaussi assurément que le font les tenants d’une vision « culpabilisatrice » ? Marc Ferrosouligne bien, à cet égard, l’existence d’  « un scandale de la colonisation. EnIndochine, en Afrique, la République a trahi ses valeurs. […] Mais - ajoute-t-il – ilrègne aujourd’hui une sorte de ‘culpabilisme’ qui me frappe d’autant plus qu’unepartie de l’opinion réagit comme si on lui avait tout caché. Ce n’est pas vrai. Dans leslivres de classe de ma génération, dans l’entre-deux-guerres, il était écrit noir sur

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blanc qu’en Algérie Bugeaud faisait flamber les douars les uns après les autres et queGallieni à Madagascar passait des villages entiers au fil de l’épée. » Selon lecodirecteur des Annales, si, socialement, l’intégration n’existait pas, instituteurs,professeurs et médecins « ont accompli une œuvre dont ils n’ont pas à rougir [22]».Aussi le devoir de mémoire auquel on nous presse n’est-il que le négatif de lacélébration d’une mémoire coloniale se bornant à la présentation des supposésbienfaits de l’expansion française. La morale qui s’en dégage n’est donc pas mieuxassise.

Après l’expansion au dehors, on incrimine le colonialisme intérieur. Un secondexemple qui illustre bien l’utilisation du devoir de mémoire est, surtout depuis lacommémoration du bicentenaire de la Révolution française, cette propension à fustigerun certain jacobinisme républicain au nom de la mémoire des minorités régionalesopprimées ; certains historiens allant jusqu’à parler, comme Pierre Chaunu, un peuprovocateur sans doute, du « génocide » des Vendéens par la République : « Nousn’avons jamais eu l’ordre écrit de Hitler concernant le génocide juif, nous possédonsceux de Barère et de Carnot relatifs à la Vendée. » Et le grand historien du temps desRéformes d’honorer à sa façon la mémoire des victimes vendéennes : « D’ailleurs, àchaque fois que je passe devant le lycée Carnot, je crache par terre[23]. »  D’autress’efforcent de flétrir une mémoire républicaine présentée sous les traits simplifiés d’unjacobinisme caporaliste défendu hargneusement par une poignée de nostalgiques,survivants d’une France rance : « Elle était là, elle est toujours là ; on la sent, peu àpeu, remonter en surface : la France moisie est de retour. Elle vient de loin, elle n'arien compris ni rien appris, son obstination résiste à toutes les leçons de l'Histoire, elleest assise une fois pour toutes dans ses préjugés viscéraux. Elle a son corps, ses motsde passe, ses habitudes, ses réflexes[24]. » Cette vieille France se crisperait sur unemémoire condamnée : « à l’heure d’internet » (imparable argument !), comment oser leridicule de défendre des notions aussi éculées que nation, république, école laïque,comment oser encore se méfier des corps intermédiaires comme autant de féodalitéspotentielles contraires au principe d’égalité ?… Maurras, au nom de la tradition,plaidait pour le retour de ces corps intermédiaires (corporations, provinces…), rejetaitl’étatisme, la centralisation administrative… On reproche à Jean-Pierre Chevènementde vouloir les maintenir. Pourquoi dès lors le considérer comme « fondamentalementun idéologique maurrassien[25] » ? Amalgame peu tenable de la part deBernard-Henri Lévy qui relit l’histoire au service d’une idéologie anti-républicainemanifeste. Les mémoires particulières se posent non seulement en égales mais enrivales de la mémoire nationale. Pour reprendre le mot (déjà ancien) de Michel Rocard,il s’agirait de décoloniser la province. Dans ce sens, Philippe Sollers ne craint pasd’écrire : « La Corse est partie intégrante du territoire, comme l’Algérieautrefois[26]. »  

Le débat sur les langues régionales est caractéristique. On suspecte la langue française,instrument séculaire d'asservissement. La Troisième République aurait éradiqué lespatois à coups de férule. L’histoire dément quelque peu cette idée. Ici encore, il nes’agit pas de nier qu’il y ait eu contraintes et abus. Mais soutenir que les républicainsont été les fossoyeurs des dialectes bretons, corses ou autres montre, selon

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Jean-François Chanet, « une méconnaissance profonde de la politique républicaine,dont ni les principes ni la pratique n’ont obéi entièrement à cette logiqued’exclusion[27]. » L’historien rappelle que les partisans de la langue nationale étaientsouvent des gens du peuple voyant dans la langue française un moyen d’émancipation.En outre, « davantage que l’impulsion des autorités, c’est l’adhésion des populations àl’ ‘idéologie’ républicaine qui a entraîné l’affaiblissement des langues régionales. »Quant aux contraintes, elles « ont gardé une souplesse bien éloignée de la brutalitéqu’on leur prête souvent. » Faut-il rappeler que nombre d’instituteurs devaientexpliquer certaines règles grammaticales de la langue française en patois pour se fairecomprendre ? Il convient de distinguer selon Jean-François Chanet entre un discoursoffensif et une pratique pragmatique. « Il faut aujourd’hui beaucoup de mauvaise foipour soutenir que cette ‘violence symbolique’ mérite d’être assimilée à un ‘génocideculturel’ » conclut-il. Mais les partisans de la renaissance des parlers locaux ont besoinpour servir leur cause de constituer une mémoire en tordant l’histoire. On culpabilise laRépublique, on donne des leçons de morale aux républicains leur reprochant leuramnésie…

Ces exemples montrent qu’on ne peut fonder une morale sur une mémoire univoque.Les dérives du devoir de mémoire sont inéluctables dès lors que l’on admet que ladéfinition d’une mémoire obligatoire, révélée, implique l’existence d’une orthodoxiehors laquelle point de salut.

Or le travail historique ruine l’idée d’une univocité des faits ; si la mémoire nes’embarrasse pas de nuances, l’histoire doit y sacrifier.

 Le dévoiement du devoir de mémoire plaide pour le travail historique. Déjà en 1865,Edgar Quinet entreprenait de « porter l’esprit d’examen dans l’histoire de laRévolution, car beaucoup de gens en veulent faire un livre fermé des sept sceaux etauquel il n’est pas permis de toucher [...][28]. » Si, aujourd’hui, on tente de mettrel’histoire au service de la mémoire[29], l’auteur de La Révolution cherchait déjà àaffranchir quelque peu l’histoire de la mémoire, à donner au travail historique unfondement critique. L’histoire doit démythifier, démystifier. En regard de ce qui a étéévoqué sur le caractère « religieux » du devoir de mémoire, l’histoire serait uneentreprise de « laïcisation » de la mémoire, rendant au passé commun toute sarelativité. Tant que l’on ne voudra pas comprendre que s’efforcer de contextualiser, desoumettre sans cesse un événement historique à la critique n’est pas diminuer sonéventuelle intensité tragique, on invoquera de façon péremptoire un devoir de mémoireau détriment de la recherche permanente, asymptotique et difficile de la vérité. Ainsi laShoah ; comment partager l’idée d’Adorno selon laquelle après le génocide on nepourrait plus philosopher, alors qu’il est un devoir moral au contraire de tenterd’expliquer. Expliciter n’est pas justifier. Commentant des travaux relatifs àl’évaluation du nombre des victimes d’Auschwitz, François Bédarida notait il y a unpeu plus de dix ans qu’ « en histoire, rigueur et rectitude sont les deux conditions de lavérité. Seule une arithmétique précise, à base de données dûment contrôlées etvérifiées permet d’espérer que s’opère […] une confluence entre la mémoire savante etla mémoire commune[30]. » La description froide d’atrocités frappera d’autant plus

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profondément la conscience, édifiera d’autant plus qu’elle sera démontrée et complète.Le souci de la nuance, exigence d’équité,  ne signifie pas que l’historien n’ait pas devaleurs, ni de conscience[31]. Edgar Quinet voulant faire la critique de la Révolutionétait-il moins républicain que les sectateurs de 1793 ?

Outre le souci de la nuance, l’idée que l’histoire ne puisse se répéter peut jeter le doutesur l’utilité morale du travail historique. Invoquer les leçons morales de l’histoirerevient à faire émerger de situations par nature différentes des conséquences similaires.Le principe qui veut que des causes identiques produisent des effets identiques estdonc, comme on sait, la négation de l’évolution historique. Jean-Noël Jeanneneysouligne qu’on « peut poser qu’il revient précisément aux historiens de mettre engarde les acteurs contre la fascination des répétitions en rappelant que rien nerecommence jamais à l’identique et que la suite est toujours neuve[32]. » Et derappeler le mot fameux de Rabaut-Saint-Etienne à la Constituante : « Notre histoiren’est pas notre code ». Reconnaître que l’Histoire revêt essentiellement le caractère dela contingence[33] doit-il pour autant nous condamner à un désespérant scepticisme,déniant toute valeur d’exemplarité à des événements considérés comme uniques ensoi ? Doit-on penser comme Paul Veyne que « l’histoire, [affaire de pure curiosité], nesert pas plus que l’astrologie[34] » ?

Que l’existence d’éventuelles leçons d’une histoire répétitive soit pour le moins sujetteà caution ne signifie pas qu’il n’y ait rien à apprendre de l’étude de l’histoire, neserait-ce qu’en tant qu’instrument de déchiffrement approximatif de la complexité dumonde. Instrument d’émancipation donc, voire de sagesse, puisque « l’hommepassionné de vérité, ou du moins d’exactitude, est le plus souvent capable des’apercevoir […] que la vérité n’est pas pure. De là, mêlés aux affirmations les plusdirectes, des hésitations, des replis, des détours qu’un esprit plus conventionneln’aurait pas[35]. »

L’histoire ne recelant pas en soi de leçons de morale toutes prêtes à l’emploi,l’historien ou qui se réfère à l’histoire n’a pas à se muer en professeur de morale maisbien plutôt en professeur de lucidité. Il n’enjoint pas, n’accuse pas, il tente d’éclairer.La morale se déduira d’elle-même de l’étude circonstanciée de l’histoire.

C’est le travail historique critique, « sans colère comme sans faveur[36] », bien plusque la soumission au devoir d’une mémoire imposée, qui nourrit la conscience moraledu citoyen républicain.

Samuël Tomei

 

(*) Une version abrégée fut publiée dans Le monde Diplomatique en 2002.   

[1] Cf. le dossier réalisé par Serge Halimi et Dominique Vidal, « Médias etdésinformation », Le Monde Diplomatique, Mars 2000, p. 12-13.

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[2] Claude Lanzmann, « Infantilisation de la politique, déréalisation de la violence »,Marianne, 31 mai – 6 juin 1999.

[3] Régis Debray, « Choses vues au Kosovo », Marianne, 17-23 mai 1999.

[4] Bernard-Henri Lévy, « Adieu, Régis Debray », Le Monde, 14 mai 1999.

[5] Régis Debray, « Lettre d’un voyageur au président de la République », Le Monde,13 mai 1999.

[6] Alain Joxe, « Contre le ‘crétinisme international’ », Le Monde, 14 mai 1999.

[7] Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, Paris,Garnier-Flammarion, 1988, 350 p ., p. 88.

[8]  Serge Berstein, La République sur le fil, Paris, Textuel, 1998, 144 p., p. 52.

[9] Ernest Renan, Qu’est-ce qu’une nation, Paris, Mille et une nuits, 1997 (1882),48 p.,p.32.

[10] Mona Ozouf, « Le passé recomposé », entretien avec Jean-François Chanet,Magazine Littéraire, n°307, Février 1993, p. 23.

Jean-Noël Jeanneney, La République a besoin d’Histoire – Interventions, Paris, Seuil,2000, 253p., p. 228-229. rappelle l’exemple des démocrates athéniens qui en 403 (av.JC), de retour dans la Cité après la sanglante dictature des Trente, proclament laréconciliation générale et décrètent l’interdiction de « rappeler les malheurs » (mémnésikakeîn). Ici « la volonté de sceller le consensus démocratique s’appuie sur ledevoir du silence […] ».

De cette manière commence l’Edit de Nantes qui considère que « la mémoire de touteschoses passées d’une part et d’autre, depuis le commencement du mois de mars 1585jusqu’à notre avènement à la couronne et durant les autres troubles précédents et àleur occasion, demeurera éteinte et assoupie, comme de chose non advenue. » Le roidéfend à ses sujets « d’en renouveler la mémoire, s’attaquer, ressentir, injurier niprovoquer l’un l’autre par reproche de ce qui s’est passé […] ».

On ne doit pas perdre de vue que l’amnistie n’est pas amnésie, ni le silence oubli…

[12] Paul Ricoeur, « La mémoire heureuse », Notre Histoire, Septembre 2000.

[13] Paul Ricoeur, « Un grand philosophe face à l’Histoire », Le Nouvel Observateur,7-13 septembre 2000.

[14] Le Monde, 15 juin 2000.

[15]  Pierre Nora, Les lieux de mémoire, op. cit., Tome III, p. 4692.

[16] Henry Rousso, La hantise du passé, Paris, Textuel, 1998, 143 p., 44-45. Voir

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également : Eric Conan et Henry Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris,Gallimard (Folio-Histoire), 1996, 515 p.

[17] On lira à cet égard, outre la réédition des articles de Pierre Vidal-Naquet, lapublication par Le Monde du 21 mai 2001 de certaines lettres d’Hubert Beuve-Méryqui écrivait au ministre-résident Robert Lacoste, le 10 octobre 1956 qu’il ne faisaitaucun doute que certains secteurs de la police et de l’armée « aient recueilli le funestehéritage des méthodes totalitaires, y compris celles de la Gestapo ».

[18] Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire et Nicolas Bancel, « Une histoire colonialerefoulée », Le Monde Diplomatique, Juin 2001.

[19] Article paru dans Le Monde Diplomatique de janvier 2001 et repris dans Manièrede voir n°58, juillet-août 2001.

[20] Pierre Guiral, Clemenceau en son temps, Paris, Grasset, 1994, 458p., p.85.

[21] Pourquoi, pour reprendre l’idée d’André Bellon, la France ne demande-t-elle pas,suivant cette logique, réparation à l’Italie de M. Berlusconi pour les crimes de JulesCésar…

[22] Marc Ferro, « La République a trahi ses valeurs », Les Collections de l’Histoire,n°11, avril 2000, p. 9.

[23] La Croix, 29 juin 1986.

[24] Philippe Sollers, « La France moisie », Le Monde, 28 janvier 1999.

[25] Bernard-Henri Lévy, « Encore l’idéologie française », Marianne, 8-14 février1999.

[26] Philippe Sollers, « Le fantôme de la République », Le Monde, 24-25 septembre2000.

[27] Jean-François Chanet, « La question des langues régionales », L’Histoire,Novembre 2000.

[28] Lettre du 23 novembre 1865 adressée à Edmond de Pressensé, citée par HenriCORDEY, Edmond de Pressensé et son temps (1824-1891), Lausanne, Georges Bridel& Cie éd., Paris, Fischbacher, 1916, 600 p., note 1 p. 303-304.

[29] Comme le déplore Antoine Prost au terme de ses Douze leçons sur l’histoire,Paris, Seuil, 1996, 341 p., p.299.

[30] François Bédarida, « Le crime et l’Histoire », Le Monde, 22-23 juillet 1990.

[31] « […]Je maintiens que pour écrire l’histoire, il faut des valeurs, on ne peut yéchapper. » (Pierre Vidal-Naquet, « Le génocide, l’incontestable et les valeurs »,entretien avec Régis Debray in Les Cahiers de Médiologie, n°8, 2e semestre 1999, p .

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174)

[32] Jean-Noël Jeanneney, Op. cit., p. 235-236.

[33] Ainsi Serge Berstein dit-il : « […] je suis […] persuadé que la contingence joueun rôle considérable. Après tout, nous aurions pu avoir en France des monarquesintelligents – rien n’est impossible » (Op. cit., p. 23-24). Ou Pierre Vidal-Naquet :« Dans l’histoire, il y a du surgissement, de l’inattendu, de la nouveauté radicale. »(Op. cit., p. 177)

[34] Paul Veyne, Sciences Humaines, n°88, novembre 1998.

[35] Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien, Paris, Gallimard (Pléiade – T1),p.535.

[36] « Sine ira nec studio » Par ces mots, Tacite, au début des Annales, caractérise sontravail d’historien.

 

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La terreur comme Fondation,de l’économie émotive de laterreur.Sophie WAHNICH

   

Les grandes choses s’ébauchent.Ce que fait la révolution en ce

moment est mystérieux. Derrièrel’œuvre visible, il y a l’œuvreinvisible. L’une cache l’autre.L’œuvre visible est farouche,l’œuvre invisible est sublime.

Victor Hugo, Quatrevingt-treize [1]

Dans l’historiographie la plus classique, la période de la Terreur se présente de deuxfaçons opposées. Tantôt elle fournit la matière d'une une histoire sainte : la Terreur asauvé la République et l’on n’aurait pu s’en abstenir sans négligence grave. Tantôt aucontraire la Terreur est présentée comme une espèce de crime éminementcondamnable, qu’on ne saurait commettre sans s’exposer à des risques également trèsgraves [2] . Cette historiographie divisée nous livre ainsi un objet ambivalent, fascinantet inquiétant, légitime et illégitime. Victor Hugo dans Quatrevingt-treize, parvient ànous proposer une représentation de la Terreur et qui plus est, de la Terreur en Vendée,qui maintient cette ambivalence. Comme s’il revenait à la littérature de mettre en scèneun savoir impossible, un savoir sur ce qui d’ordinaire doit rester caché ou qui débouchepour les historiens sur une écriture de l’histoire volontairement suspendue etdiscontinue. [3] Or, fondamentalement, ce que Victor Hugo met en scène, c’est laTerreur comme dilemme sur la définition du sentiment d’humanité, sur finalement ce

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qui permet de fonder l’humanité comme société respectueuse de l’humanité. Il déploieainsi à travers trois personnages les clivages qui sont constamment réfléchis par lesacteurs de la Terreur : passions privées contre passions publiques, sentiment de sonhonneur et de sa douleur face au sentiment du bien public et de la nécessité. Onretrouve finalement dans la mise en scène du procès de Gauvain, le chef d’arméeclément jugé par Cimourdain, le délégué intransigeant du Comité de salut public, munide pleins pouvoirs mais épris d’un sentiment filial à l’égard du jeune homme, laquestion toujours actuelle de ce que signifie en terme de sensibilité, le désir puis lavolonté de terreur. Lors du procès de Louis XVI, le 28 décembre 1792, Robespierredéclarait : “ Citoyens, la dernière preuve de dévouement que les représentants doiventà la patrie, c'est d'immoler ces premiers mouvements de la sensibilité naturelle au salutd'un grand peuple et de l'humanité opprimée! Citoyens la sensibilité qui sacrifiel'innocence au crime est une sensibilité cruelle, la clémence qui compose avec latyrannie est barbare ” [4] . Gauvain mérite la mort parce que “ par suite d’un accès depitié, il a remis la patrie en danger ” en laissant s’échapper Lantenac, ce “ fanatique deroyauté ”, “ massacreur de prisonnier ”, “ assassin déchaîné par la guerre ”, mais qui aété finalement capable d’humanité et a sauvé des flammes des enfants républicains. Unaccès de pitié entraîne la mort d’un brave. C’est pourquoi la politique de la Terreurn’est pas une simple politique de violence arbitraire ou de peur extrême à intimer auxennemis. Elle est d’abord contrainte pour soi, semblable à cette contrainte vécue parCimourdain qui doit vouloir la mort de Gauvain. “ Il s’agit pour chacun plus que de laservir, de la vouloir, comme on veut la vertu, comme on veut la liberté ” [5] .

“ Mais qu’est-ce qui a pu frapper assez les hommes pour qu’ils tuent leur semblables,non par le geste immoral et irréfléchi du barbare semi animal qui suit ses instincts sansconnaître autre chose, mais sous une poussée de vie consciente créatrice de formesculturelles (…) ?” [6] Cette interrogation a été formulée pour essayer de lever lesmystères des rituels de sacrifice, et il peut être tentant de la faire travailler pour cettepériode de la Terreur.

En effet, avec cette approche explicitement anthropologique, on pourrait s’éloigner dujugement a priori de la Terreur et tenter d'associer trois termes qui sont aujourd’huidevenus imprononçables ensemble : “ terreur ”, “ culture ”, “ poussée de viecréatrice ”. On pourrait également relégitimer l’enquête sur une cause qui paraissait tentendue, celle des raisons de la violence de la Terreur. A l'écart d'uneautreanthropologie, cette fois plus implicite, nourissant le discours historique dominantet l'orientant  vers les notions de pulsion, de barbarie de l’instinct, de tendancemortifère liée à un “ rigorisme de la vertu ” [7] , on pourrait retrouver [8] la questionde la violence fondatrice.

En effet, si l’analyse de la Terreur en termes de violence fondatrice n’est pas nouvelle,on trouve ainsi à l’article “ Terreur ” du Dictionnaire historique de la Révolutionfrançaise, les énoncés suivants : “ la Terreur fut d’abord un effort d’encadrement et dedéfinition du champ légal concédé à la violence fondatrice de la révolution à l’encontrede l’Ancien régime ” ; “ cette violence fut salvatrice [9]  ”, la notion même de violencefondatrice n’est jamais vraiment analysée. De plus, la violence semble être une fatalité

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liée à la lutte contre l’Ancien régime. Notre point de vue est différent. Cette violencefondatrice, nous voulons la restituer, mais en montrant qu’elle n’est ni fatale, ni dirigéespécifiquement contre l’Ancien régime. Si les rituels religieux commémorent les tempsde fondation et gèrent symboliquement les risques liés à un moment qui associedestruction et construction des liens sociaux, risques qui d’ailleurs peuvent conduire lacommunauté à disparaître, il s’agit bien pour nous de comprendre ce qui se joue dansla Terreur comme fondation. L’exercice n’est cependant pas sans risque.

Le premier est de considérer la Terreur comme une résurgence du primitivisme. Lacritique du couple sociétés primitives/sociétés modernes effectuée par lesanthropologues du politique nous semble cependant pouvoir parfaitement en répondre[10] . Puiser dans les interrogations des anthropologues ne doit pas aujourd’huiconduire à effacer l’historicité non généalogique des sociétés. Fonder n’est pas un acteprimitif, mais nous faisons l’hypothèse qu’il existe des invariants anthropologiquesdans l’exercice de la fondation, qu’elle ait lieu au Vème siècle avant Jésus-Christ, auXVIIIème siècle, ou au XXème siècle. Rappelons aussi pour mémoire quel’anthropologie du XVIIIème siècle ne distinguait pas seulement les peuples primitifsdes peuples modernes, mais les peuples libres des peuples esclaves. Or, ce n’est paspour être primitif qu’on était esclave, ni pour être moderne qu’on était libre. L’histoireétait alors souvent considérée comme une entreprise de dénaturation qui avait conduitdes peuples libres à l’esclavage. De quoi ajouter à la critique  du couple sociétéprimitive/société moderne.

Le deuxième risque, puisque nous empruntons cette première interrogation àl’anthropologie des religions, est de proposer une analyse en termes“ théologico-politiques ”. La critique radicale d’une telle approche a été faite parFrançoise Brunel [11] . Or le théologico-politique visé est celui qui invente uneemprise des principes des religions et en particulier du catholicisme, pour interpréterdes notions révolutionnaires laïques telle que la vertu. Michel Vovelle avait déjàsouligné le chemin accompli vers la laïcité par les révolutionnaires français en regarddes révolutionnaires britanniques qui avaient encore eu besoin de la bible pour agir[12] . Mais Françoise Brunel elle-même affirme par contre, que la question du liensacré est loin d’être absente des préoccupations des révolutionnaires. Relier,“ religare ”, les hommes entre eux par des liens sacrés est effectivement une dimensionimportante du projet révolutionnaire de l’an II. Nous ne décrirons donc pas duthéologico-politique mais bien une fondation où s’effectue un “ transfert de sacralité ”[13] . Il s’agit alors de saisir quelle économie du sacré comme économie émotive [14]conduit à la violence de la Terreur, en amont de l’an II [15] .

C’est ainsi ce qui est couramment appelé “ dynamique de la révolution ” que noussouhaitons examiner. Or loin de considérer que la Terreur repose sur une dynamiqued’économie narrative, c’est à dire une circulation de discours de plus en plus radicauxqui font passer à l’action violente [16] , nous considérons qu’elle repose effectivementsur une dynamique d’économie émotive ressortissant du sacré et de la vengeancecomme institution effectivement fondatrice [17] . Dans ce cadre, il s’agit pour lesrévolutionnaires à la fois d’entendre les risques de violence et de dislocation de la

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société du fait de la circulation rapide des émotions et de les contrôler justement parl’activité symbolique dont participent les discours, en particulier le discours de la loi.Si “ le politique est ce qui assure l’indispensable unité de la structure sociale et que safonction est intégrative [18] ”, c’est en tant qu’action politique que nous décrirons cettedynamique de la Terreur. 

Nous savons que la mise à l’ordre du jour de la terreur procède d’un retournementénonciatif. Face à la volonté des ennemis contre-révolutionnaires de terroriser lespatriotes, ceux-ci répondirent, “ soyons terribles ” [19] . Ce retournement a étéinterprété d’une manière plus large en termes de “ terreur-réplique ” [20] . Ces notionsde retournement ou de réplique sont suggestives, car il s’agit effectivement derépliquer au sens de reprendre voix après une expérience ou un sentimentd’anéantissement. De ce fait, la réplique ne s’apparenterait pas à un simple rebond oùla balle change de camp. Il s’agit plutôt d’une reprise, au sens où un sujet se reprend etreprend ainsi “ l’initiative de la terreur ” [21] . C’est pour analyser les modalités decette reprise que la notion d’économie émotive nous paraît pertinente. Car ceretournement ou cette réplique peuvent aussi être décrits non comme déplacement desénoncés mais comme déplacement des émotions ressenties du “ être terrorisé ” ouanéanti à “ être en colère ” et effrayant, ou plus exactement au déplacement de“ l’émoi ”. En effet l’émoi vient du verbe “ esmayer ” qui veut dire inquiéter, effrayer,priver de ses forces, décourager. Ce verbe “ esmayer ” signifie également faire sortir desoi en jetant un sort. L’émoi serait ainsi une figure générique de l’effroi et serait doncmortifère. Loin de supposer une réplique immédiate, il met en place pour ceux qui leressentent un risque majeur de disparition.

A la question “ comment la Terreur , a été mise à l’ordre du jour ? ”, il faudraitsubstituer la question “ comment l’effroi imprimé aux révolutionnaires par leursennemis a-t-il été surmonté et transmuté en demande de terreur ? ” Mais au-delàcomment se fait-il que cette demande ait été entendue et acceptée, et in fine qu’est ceque la Terreur a fondé ou voulu fonder ?  

1. Les ressorts du sacré ou l’effroi subliméL’été 1793, l’effroi ressenti, en particulier par le peuple parisien, est suscité par la mortde Marat. Jacques Guilhaumou a montré comment cet effroi avait été sublimé, d’aborddans la forme prise par ses funérailles, puis retourné en demande de vengeance dupeuple et de terreur [22] . C’est autour du corps de Marat incarnant le peuple meurtri etla Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que les sentiments d’affliction et dedéploration se sont transmutés en enthousiasme. La décomposition du corps a étésublimée, les spectateurs de l’événement sont passés d’une perception sensibledécourageante à un sentiment enthousiaste à l’égard de “ l’esprit de Marat ”. Avecl’inhumation, l’énoncé “ Marat n’est pas mort ” a surgi. On proclame ainsi que laRévolution n’a pas été annéantie, et qu’elle ne le sera pas. Il devient alors possible deréclamer vengeance puis, mise à l’ordre du jour de la terreur. Ce que JacquesGuilhaumou décrit avec ce mouvement sublime en termes d’esthétique [23] de la

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politique, met en jeu non seulement la disposition des corps, la circulation desémotions et des sentiments qui les animent, mais encore le rapport instauré à la chosesacrée.

En effet, si le corps de Marat ensanglanté produit un tel désarroi, c’est bien parcequ’incarnant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, il est un corps sacré,et que son assassinat est un acte de profanation majeure pour les révolutionnaires. Laquestion qui se pose alors d’une manière forte est de savoir réinstaurer le cerne dusacré autour du corps en décomposition, ce que parviennent à faire les funérailles enredéplaçant les sentiments, du corps à “ l’esprit ”, du sens incorporé au sens symbolisé.On pourrait dire dans les termes révolutionnaires que les funérailles assurent le salutpublic en réinstaurant la puissance de l’enthousiasme ou esprit sublime à l’égard dudroit, en lieu et place de l’affliction face au corps mort. Parce que le corps est sacré, samort produit l’effroi, mais parce que cette sacralité réfère à un texte déclaré sous lesauspices de l’Être suprême, elle peut redevenir un point d’appui pour reprendrel’initiative.

C’est ainsi la transaction entre corps sacré et texte sacré qui permet de résister auxennemis de la Révolution et de sublimer l’effroi.

Or cette transaction qui s’opère ici autour du corps de Marat est récurrente pendant lapériode révolutionnaire. Elle ressurgit dès que la question du salut public est en jeu, cequi est une autre manière de dire qu’elle ressurgit dès que l’effroi peut dissoudre le liensocial et politique révolutionnaire.

Cette notion de salut public traverse la Révolution et permet de nommer une situationd’extrémité, où “ le salut du peuple est la loi suprême”. Comme cette loi suprêmetrouve son fondement théorique dans le corpus des règles du droit naturel [24] , sonévocation permet de produire autour de l’effroi, le cerne de la sacralité du droit. Mais ilne suffit pas de convoquer le sacré en parlant de salut public, il faut aussi l’agir. Etl’agir, c’est toujours engager des corps pour sauver le droit comme condition de laliberté. Les formules telles que “ la liberté ou la mort ” sont à entendre au pied de lalettre et expriment cette transaction qui passe par le sacrifice du corps vivant, de la vie.Les premiers serments fédératifs sont sur ce point encore plus explicites. Écoutonscelui prononcé par les fédérés du district de la Guerche : “ Nous citoyens militaires desvilles et campagnes formant le district de la Guerche, jurons sur nos armes et sur notrehonneur, d’être fidèles à la nation, aux lois, au roi (…) de maintenir de tout notrepouvoir la constitution, d’être unis à jamais de la plus étroite amitié, de nousrassembler au premier signal de péril commun, de nous porter réciproquement lessecours en toute occasion, ainsi qu’à nos frères fédérés, de mourir s’il le faut pourdéfendre la liberté, le premier droit de l’homme et la base unique de la félicité desnations, et de regarder comme ennemis irréconciliables de Dieu, de la nature et deshommes, ceux qui tenteraient de porter atteinte à nos droits et à notre liberté [25] ”.Ainsi, dès 1790, ce serment fédératif inscrit la définition de l’ami comme de l’ennemipolitique, ennemi d’ailleurs irréconciliable, dans l’ordre du sacré. Cet ennemi estirréconciliable parce qu’il est celui qui enfreint l’ordre sacré où sont très clairementassociés Dieu, la nature, et les hommes. Or c’est en prétendant pouvoir mourir pour la

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défense des lois des Français, mourir pour les droits des Français que ces fédérésprétendent défendre un ordre sacré. A chaque fois que l’effroi surgit, il s’agit pour lepeuple de se sauver lui-même en s’engageant d’une manière sacrée, on dirait “ corps etâme ”. Le serment prêté sur l'honneur engage ainsi à la transaction sacrée, s'exposer àla mort pour sauver des droits garants de la liberté. Saint-Just le 15 germinal an IIexprime dans une formule lapidaire la nature de l'engagement révolutionnaire alorsqu'il prononce le rapport sur les moyens de faire respecter l'autorité au nom desComités, alors que Danton met en échec le tribunal révolutionnaire : "Vos Comitésestiment peu la vie, ils font cas de l'honneur". (…) Peuple puisse cette expérience tefaire aimer la Révolution par les périls auquels elle expose tes amis!. " [26]

On retrouve cette volonté d’engagement lorsque de nombreuses adresses et pétitionsémanants de sociétés populaires demandent, de mai à juin 1792, qu’on déclare “ lapatrie en danger ”. Le mot patrie permet alors de nommer le lieu de la liberté et des lois[27] . Le “ mourir pour les lois ” est devenu un “ mourir pour la patrie en danger ”. Lesadresses, députations, pétitions qui expriment l’opinion publique et transforment larumeur [28] diffuse en affirmation politique, déclarent qu’il s’agit de contrer“ l’effroi ” provoqué non seulement par la guerre mais encore par la trahison du roi etplus précisément son parjure qui est aussi un acte de profanation des règles sacrées. Parexemple, “un grand nombre de citoyens de la section du Luxembourg ne peuvent  voirsans effroi [29] , la situation horrible où se trouve l'Empire français. L'ennemi est à sesportes. Des fanatiques conspirent au dedans. Les factieux se pliant en tout sens,profitent de toutes les circonstances pour faire réussir les horribles manœuvres qu'ilsmachinent depuis longtemps. Le roi a juré d'être le père, le soutien de tous les Françaiset il les expose à être anéantis. [30] ”

Ici le retournement de l’effroi en action défensive passe donc par la figure sacrée de lapatrie, la mise en œuvre de l’énoncé “ la patrie est en danger ”. [31] Or, ce qui se joueavec cet énoncé c’est l’ouverture de la garde nationale aux citoyens passifs et lapossibilité pour chacun de pouvoir participer à cette transaction sacrée, offrir son corpspour sauver le peuple et la Révolution, offrir son corps pour sauver le droit.

La réplique supposerait donc ce ressort du sacré produit par le rapport constant établientre l’événement et la Déclaration des droits, rapport d’engagement des corps desacteurs révolutionnaires prêts à mourir pour sauver le projet révolutionnaire en tantqu’il est projet conforme à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, maisprêts aussi à faire mourir les ennemis irréconciliables. C’est pourquoi la notion de“ vengeance ” qui est une des modalités d’expression du ressentiment à l’égard desennemis et des adversaires, la notion de “ punition ” qui isole l'individu transgressif dureste de la société, surgissent toujours quant le salut public est en jeu. Ainsi, le 12 août1793, lorsque Royer vient réclamer la levée de “ la masse terrible des sans-culottes ”Danton répond à la députation de venue dans ces termes : “ Les députés desassemblées primaires viennent d’exercer parmi nous l’initiative de la terreur contre lesennemis de l’intérieur. Répondons à leurs vœux. Non point d’amnistie à aucun traître.L’homme juste ne fait point de grâce au méchant. Signalons la vengeance populairepar le glaive de la loi sur les conspirateurs de l’intérieur ” [32] .

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La demande de terreur est inséparable de cette demande de levée en masse réclaméepar Royer. Quant à l’armée révolutionnaire [33] comme armée populaire, elle est lelieu par excellence de la transaction entre corps sacré du patriote, loi par définitionsacrée et corps sacré de l’ennemi impur. Le 5 septembre 1793, l’échange entre lesporte-parole de l’adresse rédigée conjointement par Hébert et Royer et, le Président del’Assemblée qui n’est autre que Robespierre, met en évidence ce rapport immédiat descitoyens à l’exercice militaire conjoint à celui de la justice comme exercice desouveraineté : “ Il est temps que l’égalité promène la faux sur toutes les têtes. Il esttemps d’épouvanter tous les conspirateurs. Eh bien Législateurs, placez la terreur àl’ordre du jour. Soyons en révolution, puisque la contre-révolution est partout traméepar nos ennemis. Que le glaive de la loi plane sur tous les coupables. Nous demandonsque soit établie une armée révolutionnaire, qu’elle soit divisée en plusieurs sections,que chacune ait à sa suite un tribunal redoutable, et l’instrument terrible de lavengeance des lois ”.

Le président à la députation : Citoyens, c’est le peuple qui a fait la révolution, c’est àvous qu’il appartient d’assurer l’exécution des promptes mesures qui doivent sauver lapatrie… [34]  ”

Demander qu’on mette la terreur à l’ordre du jour, c’est demander qu’on mette enplace une politique visant littéralement à reconduire constamment le cerne du sacré[35] , à réaffirmer en permanence la valeur normative de la Déclaration des droits, àdemander vengeance et punition pour les ennemis de la patrie. Les mots d’ordre de“ patrie en danger ” ou de “ terreur ” sont de fait initiés par le peuple [36] . Lesémotions souveraines déclinent des mots d’ordre souverains et l’on peut effectivementconsidérer que la Terreur est bien “ l’une des modalités par lesquelles s’effectuel’appropriation populaire de la souveraineté  [37] ”. Les citoyens affirment leursouveraineté en réclamant à être les premiers acteurs du salut public.

Or, loin d’être signes d’un penchant mortifère [38] , ces demandes sont signes d’unmouvement de vie, d’ardeur. Elles transmutent [39] les émotions dissolvantesproduites par des actes profanateurs, émotions qui traversent le corps social, enémotions qui redonnent du courage là où le découragement gagnait. “ Les ennemis dela patrie s’imagineraient-ils que les hommes du 14 juillet sont endormis? S’ils leursavait paru l’être, leur réveil est terrible. Ils n’ont rien perdu de leur énergie.L’immortelle Déclaration des droits de l’homme est trop profondément gravée dansleurs cœurs. Ce bien précieux, sera défendu par eux, et rien ne sera capable de leurravir. [40]  ”

Ainsi, pour comprendre autrement l’économie émotive de la demande de terreur, il nes’agit pas seulement de se demander si l’obsession du complot était bien légitime ouattisée par les journaux, mais de repérer quand et comment ce qui a été produit commesacralité révolutionnaire est bafoué. Ce qui produit effectivement l’effroi, c’est d'abord,dans cette perspective, cette rupture du sacré.

Reste maintenant à comprendre comment ce mouvement d’ardeur qui réclame

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vengeance ne produit pas une “ furie de destruction ” [41] dans un massacre généralisé,mais produit effectivement un dispositif spécifique qui prétend au contraire viserl’apaisement.

2.   L’Assemblée doit traduire les émotions populaires souveraines

Les révolutionnaires ont conscience du caractère volcanique des émotions populaires.En juin 1792, la question de l’insurrection est débattue aux Jacobins. JeanbonSaint-André oppose alors “ l’insurrection d’un peuple esclave qui est accompagnée detoutes les horreurs ” et “ celle d’un peuple libre ” qui “ n’est que l’expression subite àla volonté générale de changer ou de modifier quelques articles de la constitution ”[42] . L’argumentation visait à ne pas attacher à l’idée d’insurrection “ celle de révolteet de carnage ” [43] . Un poème envoyé par le citoyen Desforges au printemps 1792 estparticulièrement éloquent à cet égard :

“ Et sur le grand théâtre où nous place le sort

Liberté c’est la vie et licence la mort

La licence ose tout sans penser à l’usage

Des souveraines loix, d’une liberté sage ;

Qui dit libre dit homme et non pas furieux

Il est oh ! mes amis des droits impérieux

Et d’éternelles loix qu’il ne faut pas enfreindre

Si nous les ignorions nous aurions trop à craindre

De l’univers entier, l’histoire en est témoin

Le premier de ces droits c’est le premier besoin

Sans cesse renaissant que l’on a l’un de l’autre

Sauvez mon bien soudain et je sauverai le vôtre

Et je m’imposerai la respectable loi

D’oser tout  pour celui qui risque tout pour moi.

Alors vous concevez, qu’en un moment de crise

Un peuple tout entier s’enflamme, s’électrise… ” [44]

Ainsi, les secours réciproques font la valeur de l’insurrection légitime en lieu et placed’un massacre généralisé de “ furieux ”qui s’effectue en dehors des lois et qui n’a plusde valeur politique. Ceux qui portent la parole du peuple à l’Assemblée ne sont pasmoins avertis. Lorsqu’ils réclament qu’on déclare la patrie en danger, ils évoquent très

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explicitement le problème. “ La force populaire fait toute votre force; vous l’avez enmain employez la. Une trop longue contrainte pourrait l’affaiblir ou l’égarer. ” [45]“ Le peuple est debout prêt à venger la majesté nationale outragée. Ces moyens derigueur sont justifiés par l’article 2 des droits de l’homme “résistance à l’oppression”.Quel malheur cependant pour des hommes libres qui vous ont transmis tous leurspouvoirs de se voir réduits à tremper leurs mains dans le sang des conspirateurs” [46] .“ Forcera-t-on le peuple à se reporter à l’époque du 13 juillet, à reprendre lui-même leglaive de la loi et à venger d’un seul coup la loi outragée, à punir les coupables et lesdépositaires pusillanimes de cette même loi ? Non, messieurs, vous voyez nos craintes,nos alarmes  et vous les dissiperez. [47] ”

Or, le moyen de dissiper ces craintes est justement de donner à cette ardeur populaireune forme symbolique normative. Ce qui est alors explicitement demandé, c’est que lapuissance émotive souveraine [48] du peuple, afin qu’elle ne devienne pas destructrice,soit traduite dans les termes de la loi. Ces émotions, de la douleur à la colère, doiventdonc être déposées par le peuple auprès des législateurs dans l’enceinte sacrée del’assemblée et y trouver une place : “ C’est dans votre sein que le peuple françaisdépose ses alarmes et qu’il espère enfin trouver le remède à ses maux. (…) ” [49] .“ Nous avons déposé dans votre sein une grande douleur, (…) ”. Les législateursdoivent donc d’abord entendre la douleur politique du peuple, entendre que cettedouleur surmontée peut produire de la colère, puis, ensuite, les retraduire dans l’ordresymbolique afin de les canaliser. “ Législateurs, vous ne refuserez pas l'autorisation dela loi à ceux qui veulent aller mourir pour la défendre [50]  ”.

Ainsi, confrontés aux émotions populaires, les législateurs doivent subjectivementdevenir de bons traducteurs de la voix du peuple. Les porte-voix du peuple [51] tel queSanterre, viennent d’ailleurs déposer une voix déjà symbolisée par des “ paroles ”, unevoix déjà mise en forme. Il n’empêche que l’intersubjectivité espérée ne repose pasalors sur un argumentaire dont il faudrait débattre en raison, mais bien sur unesensibilité qu’il s’agit de mettre en partage. Il faut toucher le cœur plus que l’esprit.“ (…) Nous avons soulagé nos cœurs ulcérés depuis longtemps Nous espérons que ledernier cri [52] que nous vous adressons se fera sentir au vôtre. Le peuple est debout, ilattend dans le silence une réponse enfin digne de sa souveraineté.  [53] ” La fonctiondes législateurs dans le processus d’apaisement est donc fondamental, car ils opèrentdans l’enceinte sacrée de l’assemblée la traduction des émotions en lois. Il s’agit biensur de leur donner ainsi une forme légale, mais surtout d’inventer les formessymboliques et les pratiques qui permettront de contenir l’ardeur [54] . C’est ainsi ques’exprime Jean De Bry dans son rapport du 30 juin 1792 où il déclare que si la patriedoit être déclarée en danger, il reviendra à l’Assemblée de le faire afin de produire del’ordre : "un corps bien discipliné qui, sans se consumer en mouvements inutiles attendtranquillement l'ordre d'un chef pour agir. La nation marchera s'il le faut, mais ellemarchera avec ensemble et régularité" [55] . De ce fait la puissance souveraine n'estpas vraiment fixée du côté du peuple qui pourrait devenir un simple instrumentnécessaire. “ Convaincue qu'en se réservant le droit de déclarer le danger, (l'assemblée)en éloigne l'instant et rappelle la tranquillité dans l'âme des bons citoyens. La formule à

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énoncer sera "Citoyens, la patrie est en danger. ” [56]

Revendiquer en faveur d’une loi qui déclare, en juin 1792 “ la patrie en danger ”, c’estainsi réclamer contre la possibilité de l’égarement, du carnage et de la fureur,l’apaisement d’un décret qui reflèterait très exactement l’amour des lois, c’est à dire lareconnaissance de la souveraineté populaire. On retrouvera comme chez Jean De Brycette préoccupation de l’ordre chez Danton le 12 août 1793, “ sachons mettre à profitcette mémorable journée. On vous a dit qu’il fallait se lever en masse. Oui, sans doute,mais il faut que ce soit avec ordre ” [57] . 

Or, entre le printemps 1792 et l’été 1793, l’évocation redoutable d’une représentationdu souverain, c’est-à-dire de l’Assemblée, réduisant des hommes libres à “ tremperleurs mains dans le sang des conspirateurs ” est devenue une expérience : celle desmassacres de septembre.

3. Des massacres de septembre, de lavengeance souveraineLes atermoiements de l'assemblée autour de la “ patrie en danger ”, et l’attitudeambiguë qu’elle avait adoptée à l’égard de Lafayette qui s’était autorisé à incriminer lajournée du 20 juin 1792 et à accuser le peuple, avait radicalement remis en question lesrelations de confiance entre le peuple et l'Assemblée. Lors du 10 août 1792, le peuples'était contenté de la  tenir informée des événements. Il n'était plus question d'attendrele signal de la loi pour accomplir l’insurrection visant la déchéance du roi parjure.Contrairement à ce qui s’était passé le 20 juin, on n’avait plus lieu d’espérer obtenir undécret pour agir. Il ne viendrait pas à temps. L’Assemblée n’avait été sollicitée quepour entériner l’événement. Dans une certaine mesure, il s’agissait de le traduire dansl’enceinte de la loi uniquement après coup. Mais, en septembre 1792, une étape estencore franchie dans ce désaveu de l’Assemblée. En effet, ce qui produit l’effroi desParisiens, ce sont non seulement les défaites aux frontières, mais le sentiment d’êtretrahis par des législateurs qui ne prennent pas les mesures appelées par l’insurrectiondu 10 août. En particulier les mesures qui viseraient à “ juger les crimes du 10 août ”.

Robespierre intervient le 15 août comme délégué de la Commune et affirme “ depuis le10 août la juste vengeance du peuple n’a pas encore été satisfaite  [58] ” ; le 17 août uncitoyen représentant provisoire de la Commune déclare à la barre de l’Assemblée“ Comme citoyen, comme magistrat du peuple je viens vous annoncer que ce soir àminuit le tocsin sonnera, la générale battra… le peuple est las de n’être point vengé.Craignez qu’il ne fasse justice lui-même. Je demande que sans désemparer vousdécrétiez qu’il sera nommé un citoyen dans chaque section pour former un tribunalcriminel ” [59] . Non seulement ce décret n’a jamais été pris mais Choudieu et Thuriotcherchèrent alors à délégitimer l’orateur en affirmant qu’il ne connaissait pas les “ vrais principes ” et “ les vraies lois ” . Lors des massacres de septembre, lesreprésentants sont donc complètement marginalisés, on pourrait dire qu’ils sont“ absentés ”, c’est à dire dans une présence absolument négligeable pour les

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protagonistes de l’événement.

Lorsque les représentants des autorités constituées se présentent devant lesseptembriseurs, lorsqu’ils veulent parler le langage de la loi, ce langage n’a plusd’efficience. Leur parole est devenue “ une parole malheureuse qui prend la formed’un monologue sur la loi ” [60] . La référence à la loi n’est plus une référence sacrée.

L’économie émotive que nous avons décrite, qui est aussi économie du sacré, est alorsen panne. La voix sacrée du peuple qui réclamait vengeance, “ vox populi, vox dei ”,n’a pas été entendue ou n’a pas été retraduite par ceux dont c’est la fonction. Lesreprésentants ont ainsi perdu leur position d’intercesseurs nécessaires. Désormais il n’ya plus d’intersubjectivité recherchée et les gestes des septembriseurs vont creuserl’écart qui s’instaure entre cette représentation délégitimée de fait, et le peuple. Laréférence à la loi n’est plus une demande du peuple mais une imposition desreprésentants, or leur légitimité à dire la loi, ou à la “ faire parler ” [61] est alorsinvalidée. De fait, ils ne sont plus reconnus comme des représentants. La transactionentre texte sacré et corps sacré ne peut plus se manifester et c’est le corps à corps quise substitue alors à l’opération symbolique devenue impossible.

Lorsqu’on lit de près les comptes rendus des représentants des autorités constituées, onest frappé par l’absence d’animosité qui s’exprime de la part des émeutiers à leurégard. Ainsi lorsque Pétion se présente à la prison de la Force, il n’est pas rejeté oumolesté, on a même l’impression que les Parisiens auraient bien aimé pouvoir lui faireplaisir et lui obéir mais que leur devoir est devenu autre : “ Je leur parlai le langageaustère de la loi, je leur parlai avec le sentiment de l’indignation profonde, dont j’étaispénétré. Je les fis tous sortir devant moi. J’étais à peine sorti moi-même qu’ilrentrèrent. [62]  ” Le désaveu ne suppose pas le déploiement d’une agressiviténouvelle, simplement les intermédiaires qui étaient supposés produire les loisnécessaires au salut public, sont déclarés inutiles et négligeables. Certains argumentssont pourtant encore audibles. Ainsi, “lorsque le maire de Versailles a demandé grâcepour les innocents, Blomquel, un des protagonistes des événements qui dirigeait lesopérations, a répondu de les faire sortir. Cependant, le maire ne sachant distinguerentre innocents et coupables en fut incapable.” [63]

Il ne s'agit donc pas d'une vengeance indistincte, démesurée, aveugle qui s'opposeraitpoint par point à la justice pénale, ou qui serait pur désir à réfréner par la loi. Loind'être l'expression d'une passion vindicative, la vengeance qui s'accomplit se poseavant tout comme l'exercice d'une charge difficile et qu'il convient d'assumer pardevoir. L'une des difficultés de cet accomplissement est justement de distinguer lesinnocents des coupables, de tracer cette ligne de partage. En effet la vengeance distingue entre les offenseurs et ceux qui restent à l'extérieur du face à faceoffensés/offenseurs. Or cette question de la ligne de partage entre ceux qui méritent lavengeance publique et les autres est constamment thématisée dans les grands rapportsde la période de la terreur. Ainsi pour ne donner qu'un exemple Robespierre le 5 nivôsean II : " Si donc on regardait comme criminels tous ceux qui, dans le mouvementrévolutionnaire, auraient dépassé la ligne exacte tracée par la prudence, onenvellopperait dans une proscription commune, avec les mauvais citoyens, tous les

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amis naturels de la liberté, vos propres amis et tous les appuis de la république(…) Quidonc démèlera toutes ces nuances? Qui tracera la ligne de démarcation entre tous lesexcès contraires? L'amour de la patrie et de la vérité". [64]

La vengeance affirme la distinction entre les groupes sociaux et construit leur identitérespective, ici l'identité du peuple souverain face à ceux qui lui dénient cettesouveraineté ou qui ne la respectent pas : les responsables du déni de justice et lescoupables restés impunis. Si l'ordre de la peine suppose que l'offenseur et l'offenséappartiennent au même groupe, l'ordre de "la vengeance s'inscrit dans un espace socialintermédiaire, entre celui où la proximité des partenaires l'interdit et celui où leuréloignement substitue la guerre à la vengeance" [65] . Une telle approche met à mall'opposition vengeance/peine en termes évolutionnistes. Il s'agit plutôt d'appréhender lavengeance comme un moment de justice constitutif de l'identité respectée de chacundes groupes sociaux qui s'affrontent dans une même société. La vengeance est "unsystème d'échange et de contrôle social de la violence. Partie intégrante du systèmesocial global, le système vindicatoire est d'abord une éthique mettant en jeu unensemble de représentations et de valeurs se rapportant à la vie et à la mort, au temps età l'espace (…) il est enfin un instrument et lieu de pouvoir identifiant et opposant desunités sociales, les groupes vindicatoires" [66] .

Cette longue définition de la vengeance éclaire d'un jour nouveau, l'appelrévolutionnaire à la vengeance. En effet elle nous montre que loin d'être disqualifiant,cet appel à la vengeance se réclame d'une éthique où l'on commence  à entendre laquestion déroutante du devoir. Le dommage est toujours un affront fait au groupe de lavictime, et la demande de vengeance est une obligation de réaction pour faire respecterl'identité du groupe. "En ce sens la dette d'offense peut être définie comme une dette devie et la vie comme un capital spirituel et social que les membres du groupe ont chargede défendre et de faire fructifier. (…) Ce capital vie est figuré par deux symboles, lesang symbole d'union et de continuité des générations, l'honneur symbole de l'identitéet de la différence qui permet à la fois de reconnaître l'autre et d'exiger qu'il vousrespecte." [67] Lorsque les porte-parole du peuple réclament vengeance des crimes du10 août, la dette de vie est celle du sang des patriotes, mais aussi celle de l'honneur dupeuple à qui on refuse de reconnaître son identité de peuple et de peuple vainqueur. Entermes révolutionnaires rétablir l'honneur c'est finalement manifester à nouveau etirrévocablement l'identité de peuple souverain par l'acte de vengeance.

Les commentaires produits sur les massacres de septembre par les grandes figures de laTerreur, utilisent indistinctement les notions de justice et de vengeance, montre quec'est la défaillance des institutions ordinaires qui conduisent à la vengeance des lois ouvengeance du peuple et mettent l'accent sur la nécessité de reconnaître que c'est bien lepeuple qui a agi.

Marat d’abord : “le peuple a le droit [68] de reprendre le glaive de la justice lorsqueles juges ne sont plus occupés qu’à protéger les coupables et à opprimer les innocents.”[69] On est ici dans le registre de la déchéance des institutions légales, l'assemblée etles tribunaux, défaillants, ne défendant plus le respect du au groupe social "peuple".

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Robespierre ensuite : “ La justice du peuple expia aussi, par le châtiment de plusieursaristocrates contre-révolutionnaires qui déshonoraient le nom français, l’éternelleimpunité de tous les oppresseurs de l’humanité.” [70]  Le peuple, groupe social inscritdans la longue durée de l'histoire face au groupe social des "oppresseurs del'humanité", défend l'honneur de son nom : "Français". Le 13 ventôse Saint-Just avantd'affirmer que le bonheur est une idée neuve en Europe encourage à défendre cethonneur : “Faites vous respecter, en prononçant avec fierté la destinée du peuplefrançais. Vengez le peuple de douze cents ans de forfaits contre ses pères.” [71]    Le26 germinal an II, Saint-Just interroge aussi l'histoire dans la  longue durée de"plusieurs siècles de folies"  face à  "cinq années de résistance à l'oppression" et souligne les valeurs portées par le nom de "Français" comme nom de peuple dans leprojet révolutionnaire : "Qu'est-ce qu'un roi près d'un Français?". La représentation dela structure sociale obéit aux règles de l'antonymie asymétrique [72] . Non seulementon sait qu'il n'y a pas encore d'unité sociale mais le nom Français permet à la fois dedire le tout à venir et la division conflictuelle effective qui oppose les oppresseurs etles opprimés. C'est à ce titre qu'il est vraiment le nom du peuple. " Enfin dans saréponse à Jean-Baptiste Louvet, Robespierre affirme qu’il s’agit bien de lire à traversles massacres de septembre un acte de souveraineté du peuple : “ Les magistratspouvaient-ils arrêter le peuple ? Car c’était un mouvement populaire, et non la séditionpartielle de quelques scélérats pour assassiner leurs semblables.(…) Que pouvaient lesmagistrats contre la volonté déterminée d’un peuple indigné qui opposait à leurdiscours et le souvenir de la victoire remportée sur la tyrannie et le dévouement aveclequel ils allaient se précipiter au devant des Prussiens, et qui reprochaient aux loismêmes la longue impunité des traîtres qui déchiraient le sein de leur patrie. Pleurezmême les victimes coupables réservées à la vengeance des lois et qui sont tombéessous le glaive de la justice populaire ; mais que votre douleur ait un terme commetoute les choses humaines… ” [73]

Ainsi, si les pratiques des septembriseurs sont insupportables sur le plan de lasensibilité, elles apparaissent historiquement compréhensibles- et non releveruniquement d'une “irrationalité” ou  d'une pure “sauvagerie”- et, si l'on se situe au plusprès des discours des acteurs, elles trouvent même des justifications politiques. Enrejetant le populaire du côté de la nature et en l'excluant  de l'univers de la culturesensée [74] , on ne peut que manquer la démarche compréhensive [75] .

Dans une telel perspective compréhensive on pourrait parler finalement de vengeancesouveraine et associer ainsi au concept anthropologique, un concept politique quiéclaire cette vengeance de septembre 1792 sous un jour singulier, car ici le lieu de lavengeance est aussi le lieu de la sphère souveraine, là où les lois ordinaires n'ont plusforce de loi, mais où il ne s'agit encore que de choses humaines et non de chosesdivines. “ On dira souveraine, la sphère dans laquelle on peut tuer sans commettred’homicide et sans célébrer un sacrifice ; et sacrée, c’est à dire exposée au meurtre etinsacrifiable, la vie qui a été capturée dans cette sphère. ” [76] L’agir souverain est"exception" parce qu’il s’exclut tant du droit humain ordinaire que du droit divin, “ ildélimite le premier espace proprement politique, distinct aussi bien de la sphèrereligieuse que de la sphère profane, aussi bien de l’ordre naturel que de l’ordre

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juridique normal. ” [77]

Par la vengeance accomplie dans les massacres de septembre le peuple affirmeraitconjointement qu'il convient de le respecter comme tel, en tant que groupe socialhistorique, et qu'il est le souverain puisqu'il peut décider de l’exception souveraine.Cependant une telle exception souveraine ne relèverait pas d'une exception arbitraire,puisque précisément un tel mode de la vengeance n'apparaît légitime que lorsqu'aucuneinstitution formelle n'est encore venue la régler et que les anciennes institutions dejustice sont défaillantes.

L’appropriation de la souveraineté par le peuple ne relèverait donc pas in fine d’untransfert de sacralité, mais bien de la mise en œuvre d’une sacralité, d’un agir propreau politique. En août et septembre 1792 puis en 1793, "le langage des sectionsrévolutionnaires ne cesse d’employer l’adjectif sacré pour évoquer leur devoir sacré etl’insurrection sacrée, quant à la vengeance elle est également qualifiée de sacrée parnombre de patriotes, “ la vengeance nationale est toujours aussi juste que sacrée, etpeut-être plus indispensable que l’insurrection elle même. ”" [78]

On peut déplorer, que la fondation du pouvoir souverain repose ainsi sur l’exercice del’exception souveraine, comme on peut déplorer que les représentants du peuple aientrenoncé ou refusé de traduire la voix du peuple et l'aient ainsi conduit à ce rejeu de lafondation souveraine, à la vengeance effectuée sans médiation symbolique. Dès le 20juin 1792, les porte-parole populaires étaient dans la crainte d’une rupture des lienssacrés qui unissaient par la loi, le peuple et l’Assemblée. Santerre rappelait auxreprésentants du peuple qu’ils avaient “ juré à la face du ciel de ne point abandonnernotre cause (la cause de la souveraineté du peuple), de mourir pour la défendre ”, et lesinterpellaient dans ces termes : “ Rappelez vous, Messieurs ce serment sacré etsouffrez que le peuple, affligé à son tour ne se demande si vous l'avez abandonné.(…) ” [79] .

Les septembriseurs ont fait le pari de fonder, malgré cet abandon, d’une manièreirréversible la souveraineté populaire en assumant l’exception souveraine commevengeance du peuple. Les commentateurs qui affirment qu’il n’y a pas eu crime maisexercice effectif de la souveraineté affirment leur fidélité à ce pari [80] . Comme lesseptembriseurs, ils prennent une décision politique sur laquelle il ne cèdent pas, que cesoit au moment du procès du roi, où ce qui se joue est non seulement le sort à réserverau roi traître, mais aussi conjointement et indissociablement la réinterprétation du 10août 1792 et des massacres de septembre ; ou que ce soit lors des journées des 31 maiau 2 juin 1793 où sont exclus les représentants qui refusaient d’entendre qu’ils avaientassisté les 20 juin 1792, 10 août 1792, 2 et 3 septembre 1792, à l’appropriationfondatrice de la souveraineté du peuple, le peuple disposant de fait de la violencelégitime.

Une triade d’événements en 1792 et une série d’interprétations de ces événements en1793, jalonnent ainsi une même décision, celle de fonder la souveraineté du peuple enassumant ce qu’on nomme alors “ la terreur ” c’est-à-dire l’usage par le peuple de lavengeance souveraine.

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4.  “ Soyons terribles pour dispenser le peuple de l’être ”, instituer lavengeance souveraine

Le tribunal révolutionnaire qualifié le plus souvent de tribunal d'exception parl'historiographie ou de tribunal extraordinaire par les acteurs révolutionnaires, est à lafois un emblème de la terreur et  un rejeu du scénario des massacres de septembre. Eneffet sa création procède d'une demande populaire. Ce sont les sections parisiennes quile 9 mars 1793 le réclament dans un contexte de crise où l'ennemi vainqueur est près àenvahir la patrie, et où les sections parisiennes ont le sentiment que les traîtres et lescontre-révolutionnaires ne sont pas punis et sont près à abattre la République enVendée mais aussi à Lyon, à Paris, dans les départements du centre, où le prix du painrend la situation dramatique et où les émeutes se multiplient.

Le conventionnel Bentabole de retour d'une visite effectuée auprès de la section del'Oratoire avec Tallien pour accélérer la levée en masse, "a observé que les citoyens nesont dégoûtés de partir que parce que l'on s'est aperçu qu'il n'y a pas une justice réelledans la République, qu'il fallait que les traîtres et les conspirateurs  fussent punis. Enconséquence, ils ont demandé un tribunal dont on soit sûr, un tribunal révolutionnaire"[81] . Jean-Bon Saint-André et David, reviennent de la section du Louvre et rendentcompte de la même demande des sectionnaires. "Ils prient la Convention nationale depunir et d'anéantir les intrigants, afin de faire justice au peuple, si le peuple est trompéou mal servi. Il demande (…) que l'on venge le sang de nos soldats qui a été versé soitpar trahison, soit par impéritie soit par lâcheté.(…) L'assemblée de la Section duLouvre, arrête qu'elle invite, de la manière la plus puissante et au nom de la Patrie, lescitoyens Saint-André et David à émettre son vœu à la Convention nationale pour qu'ilsoit  incessamment établi un tribunal sans appel pour mettre une fin à l'audace desgrands coupables et des tous les ennemis de la chose publique" [82] .

La transaction sacrée entre le corps des patriotes et l'avènement de la République estainsi au cœur de l'argumentation. Verser son sang pour la patrie suppose que larépublique advienne. Faire justice au peuple au sein de la république vengerait ainsi lesang versé inutilement aux frontières. Or ici encore la vengeance comme la justice sontgages d'ardeur et sources de vie car il s'agit de vaincre le dégoût comme en 1792 ils'agissait de vaincre l'effroi. Dans l'un et l'autre cas, ces émotions mortifères peuventconduire à l'anéantissement du peuple et de la révolution. Transmuter le dégoût enardeur patriotique est nécessaire pour, au dedans comme au dehors, sauver larévolution. Le salut public passe donc comme au printemps 1792 par unetransmutation des émotions. Mais alors que les émotions en jeu en 1792 étaient liées àla dynamique de l'insurrection, effroi, colère, indignation; en mars 1793 elles ressortentd'une dynamique de l'après-coup, de la justice et de la vengeance. Pour que cesse lalassitude face à l'absence de justice même après les massacres de septembre, mêmeaprès le procès du roi, pour que cesse l'éloignement et le refus de la transaction sacrée,c'est-à-dire faire de son corps un rempart pour la liberté, pour que cesse le dégoût, ilfaudrait que le sentiment de la justice annule l'écœurement. N'oublions pas que dans lediscours révolutionnaire c'est le cœur et non la seule raison ou l'esprit qui garantissent

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la défense du projet révolutionnaire. "Honorez l'esprit mais appuyiez vous sur le cœur".[83]

Alors que les Conventionnels allaient se séparer le 10 mars sans avoir institué cetribunal, Danton prend la parole : “Quoi, citoyens, vous pourriez vous séparer sansprendre les grandes mesures qu'exige le salut de la chose publique ? Je sens à quelpoint il est important de prendre des mesures  judiciaires qui punissent lescontre-révolutionnaires car c'est pour eux que ce tribunal doit suppléer au tribunal de lavengeance du peuple (…) S'il est si difficile d'atteindre un crime politique, n'est-il pasnécessaire que des lois extraordinaires prises hors du corps social, épouvantent lesrebelles et atteignent les coupables? Ici le salut du peuple exige de grands moyens etdes mesures terribles. Je ne vois pas de milieu entre les formes ordinaires et un tribunalextraordinaire.” [84]

Le tribunal révolutionnaire se présente donc comme l'antidote de la "vengeance dupeuple" ou plus exactement comme son possible contrôle par une institution qui estbien une institution qui ressort de "lois extraordinaires prises hors du corps social"dans cette sphère sacrée qui fonde la souveraineté populaire par la vengeancesouveraine. Mais cette vengeance du peuple permet de rouvrir le dossier des massacresde septembre qui avait été évoqué  sous les termes "d'anarchie" par Buzot affirmantque le tribunal révolutionnaire conduirait “à un despotisme plus affreux que celui del'anarchie” [85] ou encore par Amar déclarant “il n'y a que cette mesure qui puissesauver le peuple  autrement il faut qu'il s'insurge et que ses ennemis tombent. ” [86]Mais pour Danton le tribunal révolutionnaire n'est pas seulement une manière demettre des bornes à l'exception souveraine dans sa fonction vengeresse, il est aussi unemanière de renouer avec la fonction apaisante de l'Assemblée.

 “Puisqu'on a osé dans cette Assemblée, rappeler ces journées sanglantes sur lesquellestout bon citoyen a gémi, je dirai moi que si un tribunal eût alors existé, le peupleauquel on a si cruellement reproché ces journées, ne les auraient pas ensanglantées; jedirai et j'aurai l'assentiment de tous ceux qui ont été les témoins de ces événements,que nulle puissance humaine n'était dans le cas d'arrêter le débordement de lavengeance nationale. Profitons des fautes de nos prédécesseurs. Faisons ce que n'a pasfait l'Assemblée législative, soyons terribles pour dispenser le peuple de l'être.Organisons un tribunal, non pas bien, cela est impossible; mais le moins mal qu'il sepourra, afin que le glaive de la loi pèse sur la tête de tous ses ennemis. (…) que lemonde soit vengé.” [87]

Classiquement “ dans l’institution de la vengeance, il revient à ceux qui incarnent legroupe social en tant que totalité, d’assurer la médiation entre les protagonistes et derestaurer, autant que possible l’état de paix ” [88] . Cette fonction de tiers médiateurentre groupes sociaux qui s'affrontent, appartient d’abord à l’Assemblée dans lesystème révolutionnaire. Sa fonction est de fabriquer les lois adéquates aux émotionspopulaires, et c’est cette fabrique spécifique d’un discours symbolique ritualisé etapaisant qui permet effectivement de ne pas basculer hors du politique [89] .

A la lumière de cette problématique, la terreur se présente ainsi comme un retour,

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retour à la traductibilité des émotions populaires propre au printemps 1792, retour à lasacralité de la loi, retour à la possibilité pour les représentants du peuple de trouver uneparole heureuse, performative. La terreur est donc aussi l’invention d’une nouvelleplace pour les législateurs. Désormais, ils doivent pleinement reconnaître lasouveraineté populaire, mais conjointement et indissociablement éviter au peupled’avoir à se compromettre dans des pratiques insoutenables pour fonder la république.On pourrait dire que la terreur est à l’ordre du jour pour que l’émotion ne devienne nidissolvante, ni massacrante, pour symboliser ce qui ne l’avait pas été en septembre1792 et faire ainsi réémerger une fonction régulatrice de l’Assemblée. Elle avait étéperdue, du fait de son incapacité à reconnaître la souveraineté du peuple et à enrépondre. Pour Danton, les Conventionnels doivent être les “dignes régulateurs del'énergie nationale” [90] . Cambacérès interroge cette fonction nouvelle de l'Assembléequi doit prévenir les malheurs des temps en se montrant décidée et courageuse : “dépositaires de la souveraineté nationale, respectez vous assez pour ne pas craindrel'immense responsabilité dont vous serez chargés. Si les temps révolutionnairesdemandent des mesures extrêmes, par qui ces mesures doivent-elles être prises si cen'est par des hommes à qui la nation a remis le soin de tous ses intérêts les pluschers ? ” [91] Duhem enfin adhère à cette nouvelle fonction du Conventionnel qui doitse faire vengeur du peuple “Quand ce peuple nous a envoyé ici, il nous a dit: "Vousavez nos pouvoirs, allez établissez la liberté, dégagez vous de toute tyrannie, vengeznotre oppression. Vengeons sincèrement le peuple, écartons  tout ce qui peut entraverla vengeance révolutionnaire, pressons l'expédition de la justice (…). ” [92]

L’entreprise de la Terreur viserait donc, paradoxalement au regard des interprétationsaujourd'hui dominantes, à instituer des bornes à l’exception souveraine, à mettre unfrein à la violence légitime du peuple et à donner une forme publique et instituée à lavengeance. La terreur comme justice est ainsi une tentative désespérée et désespérantede contraindre à la fois le crime politique et la vengeance populaire légitime qui peuten résulter. Car la terreur comme forme d’exercice de la politique ne vaut pascondamnation de la vengeance exercée en septembre 1792, elle vaut condamnation dela forme qu’elle a du prendre du fait de l’impunité dans laquelle les élites avaient laisséles contre-révolutionnaires. [93]

Reste à examiner en quoi la fidélité à la situation des septembriseurs est aussi fidélitéau sentiment d’humanité qui anime la Déclaration des droits de l’homme et du citoyenet d’une manière plus générale, le projet révolutionnaire d’une souveraineté populaire.Reste à examiner donc en quoi peut consister le sentiment d’humanité qui anime lesprotagonistes de la Terreur voire de ce que l'historiographie a consacré comme"Grande  terreur" en aval de la loi du 22 prairial an II, là où la justice devientparticulièrement expéditive.

5. Cycle long de la vengeance et sentiment d’humanité [94] .

Le système de vengeance est un code social ayant ses règles et ses rites pour ouvrir,suspendre et clôturer la vengeance [95] . Les mesures prises dans le contexte de lademande de terreur ouvrent un "cycle de la vengeance" instituée. Ce cycle présente un

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début, à notre sens, la mise en place du tribunal révolutionnaire; un déploiement quiassocie la structuration des groupes sociaux vindicatoires, la justice faite aux offenséset de nouveaux rapports symboliques,  “ cette institution, apparaît alors comme l’un deces faits sociaux privilégiés au travers desquels se redéfinit constamment un ordresymbolique. [96]  ”. La vengeance est ainsi une façon d’élaborer ces valeurs et de lesmettre à l’épreuve. On peut dire ainsi que la vengeance fonde aussi les valeurs. Enfin“si la vengeance conduit à faire mourir les membre du groupe social offenseur, lavengeance peut aussi choisir in fine de ne pas faire mourir car, il s'agit de rétablirl'équilibre entre les groupes et ainsi de faire cesser le cycle de la vengeance”. Onpourrait interpréter ainsi la loi des suspects du 17 septembre 1793. Il s'agit de répondrede la demande de terreur tout en suspendant les effets violents de la vengeance. Enfinl'analyse de la loi du 22 prairial an II devrait permettre d'offrir quelques hypothèsespour la faire sortir de son caractère totalement énigmatique. Pour ces différentsmoments du cycle de la vengeance, il s'agit d'éclairer comment les acteurs peuvent seréclamer du sentiment d'humanité sans faire obstacle à leurs raisons et à leurs émotionspar un soupçon a priori d'inhumanité.

C'est bien connu, le temps de la terreur est celui de la fulgurance. Robespierre le 17pluviôse an II déclare “La terreur n'est autre chose que la justice prompte, sévère,inflexible. ”  [97] , Couthon le 22 prairial an II “Le délai pour punir les ennemis de lapatrie ne doit être que le temps de les reconnaître, il s'agit moins de les punir que de lesanéantir” [98] . La terreur est une triple course de vitesse. Il faut agir vite pour vaincreles ennemis avant qu’ils n’anéantissent la Révolution. Il faut agir vite pour que lepeuple ne soit pas dégoûté de l'injustice. Il faut agir vite pour que le peuple n’ait plus àreprendre “ le glaive de la loi” et réussir effectivement à mettre des bornes àl'exception souveraine. C'est dans ce contexte que Danton fait appel à un sentimentd'humanité naturel. Le désir de ne pas laisser se répéter les massacres de septembreressort d'une sensibilité commune à tous les hommes, à toutes les femmes. Lessectionnaires modérés qui sont aussi ceux qui n'ont pas besoin de travailler pour vivreet occupent de ce fait les assemblées sectionnaires en l'absence des sans-culottes et fontpasser des motions que ces derniers désavouent ensuite :  “En voyant le citoyenhonnête occupé dans ses foyers, l'artisan occupé dans ses ateliers, ils ont la stupidité dese croire en majorité.” [99] Or pour Danton “ces ennemis de la liberté lèvent un frontaudacieux, partout confondus, ils sont partout provocateurs” et sont donc ceux quirisquent justement de subir la vengeance du peuple. “Eh bien! Arrachez-les vous mêmeà la vengeance populaire, l'humanité vous l'ordonne.” [100]

Les massacres de septembre justifiables mais insupportables, et leur effet en termes defrissons rétrospectifs, offrent un premier angle d’analyse pour comprendre l'usage de lanotion d'humanité, du sentiment d'humanité. Que le peuple ait eu à “ reprendre leglaive de la loi ” est insupportable. Il n’aurait pas du avoir à refaire ainsi l’expériencepolitique du sang versé. Une société humaine doit prévenir, non pas le principe del’exception souveraine, mais la nécessité de transformer ce principe en action. Unesociété humaine, pleine d'humanité doit réussir à maintenir l’exception souveraine enmarge de la vie politique, réussir à prévenir un tel rapport au sang, entre autres dansune république démocratique, par le pouvoir des médiations symboliques propres à

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traduire la voix du peuple en logos politique. Le sentiment d’humanité dicte ainsi uneplus grande responsabilité des représentants à cet égard, ils doivent assumer cetteviolence pour ne pas la laisser se diffuser inconsidérément.

Mais il ne suffit pas seulement d'assumer la violence, il faut l'assumer avec célérité.C'est bien à un combat difficile et fulgurant que le verbe "arracher" choisi par Dantondonne en spectacle prospectif. Il s'agit de ne plus laisser de temps au temps.

Dans le procès verbal des événements du 9 septembre 1792 à Versailles, le portrait dumaire est dressé dans l’événement : “ Il veut parler, les sanglots étouffent sa voix, (…)il voit le massacre, il perd connaissance, on le transporte dans une maison, il reprendses sens, il veut sortir, il est retenu, il dit que s’il est des hommes, qui se déshonorent, ilveut mourir pour la loi. C’est en vain lui dit-on que vous voulez les sauver, il n’est plustemps.  [101] ”. Ce “ Il n’est plus temps ” est comme un miroir du leitmotiv du régimede temporalité propre à la Terreur et au salut public : “ Il est temps ” de l'adresserédigée par Hébert et Royer et de tous les grands rapports des Comités de sûretégénérale et de Salut public. La notation pourrait paraître anodine, elle ne l’est pas. Letemps révolutionnaire de la Terreur est celui où l’on ne peut pas s’autoriser à prendrele temps des longs débats et des retournements politiques lents et laborieux [102] . Lerégime de temporalité inauguré par la Terreur est celui de la médiation immédiate. Ilfaut canaliser les émotions, les traduire, les formaliser sans attendre. “ Que le glaive dela loi, planant avec une rapidité terrible [103] sur la tête des conspirateurs, frappe deterreur leurs complices ” demandait  Robespierre le 12 août 1792.

Cependant le temps des remaniements symboliques engagés dans un cycle devengeance ne ressort pas de cette temporalité, mais bien plutôt d'une conjoncturesociale vindicative qui se déploie, s'argumente et doit enfin faire "rentrer la révolutiondans l'état civil", "la faire entrer dans les mœurs".

Les grands rapports de l’an II ne cessent de marteler cette volonté de fonder desvaleurs : bonheur, égalité, justice. On sait également que l’exercice de la vengeancepeut conduire à effacer ces mêmes valeurs en présentant des actes qui leur seraient tropcontraires. C’est pourquoi l’exercice de la Terreur ne peut être dissocié de la “ moraleen action ”. La dynamique de la Terreur ne fait pas agir la politique contre la morale,mais une politique indissociable de la morale à faire advenir [104] . “ Puisque l’âme dela République est la vertu, l’égalité et que votre but est de fonder, consolider larépublique, il s’ensuit que la première règle de votre conduite politique doit être derapporter toutes vos opérations au maintien de l’égalité et au développement de lavertu. Avec la vertu et l’égalité, vous avez donc une boussole qui peut vous diriger aumilieu des orages de toutes les passions, et du tourbillon des intrigues qui vousenvironnent ” [105] déclare Robespierre aux Conventionnels.

Or si “ l’institution de la vengeance évite le déchaînement aveugle de la violence, etmet en place des valeurs éthiques socialement fondatrices (…) dès lors qu’elle existe,elle exige de ses membres qu’ils effectuent des choix cruciaux, vis-à-vis des mortscomme des vivants, qu’ils s’engagent par rapport à ces valeurs [106]  ”. On pourraitdire que c’est pour cette raison qu’il faut que la douleur d’avoir assisté à des

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massacres, qui blessent effectivement la sensibilité du temps marquée par la volonté dene plus faire du corps humain le lieu où s’exprime le registre symbolique, doit avoir unterme selon l’expression de Robespierre. Bien que plongés dans l’affliction face auxeffets de la vengeance des lois, les révolutionnaires sont tout de même appelés àchoisir leur camp.

 La Terreur met alors en conflit deux sentiments d’humanité. Celui où il faut sauverdes corps indistincts, amis, ennemis, complices, traîtres, esclaves, pour ne pas blesserson sentiment naturel d'humanité déjà attaché avant tout à la vie comme telle dechaque être humain, et celui où il faut sauver le sens que l’on souhaite donner à la vie,le bien vivre commun. L’émotion à l’égard des humains en vie apparaît alorscontrainte par celle qui surgit du risque de voir sombrer ou détruire, non pas des corpshumains, non pas des vies nues, mais ce qui constituerait le fondement de leurhumanité, c’est-à-dire leur liberté réciproque.

En situation, les révolutionnaires vivent ce conflit des sentiments d’humanité et c’est lamanière dont ils le suspendent qui détermine leur camp politique. Nous avons déjàévoqué Robespierre le 28 décembre à propos du roi, il décrit ce conflit avec uneextrême clarté : “ j’ai senti chanceler dans mon cœur la vertu républicaine en présencedu coupable humilié devant la puissance souveraine.(…)je pourrais même ajouter queje partage avec le plus faible d’entre nous, toutes les affections particulières quipeuvent l’intéresser au sort de l’accusé, (…) la haine des tyrans et l’amour del’humanité ont une source commune dans le cœur de l’homme juste [107]  ”. C’estainsi au nom de l’humanité et pour lutter contre ses affections particulières, qu’ildevient impératif de contraindre son premier sentiment d’humanité. En l’an II,lorsqu’il s’agit d’affirmer aux Jacobins, la haine politique de l’Anglais complice de songouvernement [108] , on retrouve ce conflit : “En qualité de Français, de représentantdu peuple, je déclare que je hais le peuple anglais(…) je ne m’intéresse aux Anglaisqu’en qualité d’homme ; alors j’avoue que j’éprouve quelque peine à en voir un sigrand nombre soumis à des scélérats(…). Cette peine chez moi est si grande quej’avoue que c’est dans la haine de son gouvernement que j’ai puisé celle que je porte àce peuple [109] ”. Le sentiment d'humanité politique, qui est aussi l’exercice dujugement souverain pour l’universalité des citoyens, doit primer en chacun sur lesentiment d’humanité naturelle. De fait c’est ce sentiment politique qui construit lafrontière entre amis et ennemis et rend lisible la question de la vengeance.

Dès novembre 1792, Robespierre lorsqu’il répondait à Jean-Baptiste Louvet,reconnaissait donc la valeur du sentiment d’humanité mais affirmait que dans un telcontexte de vengeance des lois, on ne pouvait plus s’autoriser à être affligé par ce qu’iladvient du corps de l’ennemi. Il redessinait donc le camp des amis à venger contrel’indifférenciation produite par le sentiment d’humanité autour de toutes les victimes.Paraphrasant la Marseillaise, il plaide pour un sentiment d’humanité révolutionnaire.“ Gardons quelques larmes pour des calamités plus touchantes. Pleurez cent millepatriotes immolés par la tyrannie, pleurez nos citoyens expirant sous leurs toitsembrasés, et les fils des citoyens massacrés au berceau ou dans les bras de leurs mères.N’avez-vous pas aussi des frères des enfants, des épouses à venger ? La famille des

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législateurs français, c’est la patrie ; c’est le genre humain tout entier, moins les tyranset leurs complices [110] . Pleurez, pleurez donc l’humanité abattue sous leur jougodieux. Mais consolez vous si, imposant silence à toutes les viles passions, vous voulezassurer le bonheur de votre pays et préparer celui du monde, consolez vous si vousvoulez rappeler sur la terre l’égalité et la justice exilées et tarir, par des lois justes, lasource des crimes et des malheurs de vos semblables. La sensibilité qui gémit presqueexclusivement pour les ennemis de la liberté m’est suspecte.  [111] ”

Ainsi, il s’agit bien de vengeance et de la nécessité de choisir son camp pour fonderdes valeurs : bonheur, égalité, justice.

C’est pourquoi “ il faut vouloir la Terreur comme on veut la liberté ”, elle est toujoursun effort, une contrainte sur soi, sur ses sentiments privés, sur ces affectionsnaturelles.  Le partage du sensible [112] qui s’organise alors est aussi en fait, unpartage politique. Dès l'été 1792 la notion de sensibilité et la qualité de l'hommesensible ne sont plus des notions politiquement neutres. Les situations susceptiblesd'émouvoir divisent l'espace politique.

L’exercice difficile de la Terreur sera donc de tracer les limites effectives du camppolitique légitime dans un corps social où s’étend la pratique de la suspicion etl’impératif de la transparence. C’est une autre histoire qui s’ouvre et une autreéconomie émotive : celle où l’ouverture du cycle de vengeance instituée a été obtenueet où il faut l’agir sans détruire le corps social. On peut considérer que cette deuxièmepériode effectivement fondatrice des valeurs républicaines [113] est celle dugouvernement révolutionnaire [114] . C’est d’ailleurs dans les grands rapportsprononcés au nom du Comité de salut public que les problèmes posés par l’effectuationd’une politique de terreur, sont exposés.

Ainsi le 5 nivôse an II “ Qui tracera la ligne de démarcation entre tous les excèscontraires ? L’amour de la patrie et de la vérité. Les rois et les fripons chercheronttoujours à l’effacer, ils ne veulent point avoir affaire avec la raison ni avec la vérité. [115] ” déclare Robespierre. Mais c’est là un pari politique qu’il approfondit encore le17 pluviôse an II : “ nous avons été plutôt guidés dans des circonstances si orageusespar l’amour du bien et par le sentiment des besoins de la patrie que par une théorieexacte et des règles précises de conduite ” [116] . Robespierre, met alors en évidencel’importance du décisif en politique mais décisif qui doit reposer sur une intuitionnormative, celle du bien ou encore ailleurs, celle de la “ vertu ”.

La notion de raison n’est pas alors opposée au registre des émotions, mais lui fait écho.L’amour de la patrie fonde la raison. Les deux notions sont ainsi associées etconstituent un étayage réciproque. La vengeance ne peut fonder les valeursrépublicaines qu’en s’appuyant ainsi sur un sentiment moral posé comme hypothèsenécessaire : “ l’amour de la patrie et de la vérité ”. On est ainsi avec la Terreur commeeffectuation politique de la vengeance des lois et du peuple, face à un paradigmepolitique qui met le sentiment en position fondatrice et non pas la raison ou leraisonnement. On comprend alors pourquoi Robespierre comme Saint-Just craignentque l’effet d’apaisement de la Terreur ne produise, in fine, un effet d’apathie, où le

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désir ardent d’exercer sa souveraineté  et d’être vertueux au sens où l’entendait Montesquieu deviendrait défaillant. “ S’il fallait choisir entre un excès de ferveurpatriotique et le néant de l’incivisme, ou le marasme du modérantisme, il n’y aurait pasà balancer. Un corps vigoureux, tourmenté par une surabondance de sève, laisse plusde ressources qu’un cadavre. Gardons-nous de tuer le patriotisme en voulant le guérir.Le patriotisme est ardent par nature, qui peut aimer froidement la patrie ?  [117] ” .

La vengeance du peuple est toujours “ terrible ” et constitue un risque majeur. Leretournement de l’effroi peut à son tour devenir dissolvant pour le lien social etpolitique. Les limites culturelles assignées, c’est-à-dire un savoir disponible sur lesdangers de la fureur, et le principe des secours réciproques, peuvent ne pas réussir àcontenir la violence qui s’y déploie. La vengeance pourrait devenir anarchique [118] ,furieuse. Un des enejux essentiels consistera précisément à distinguer ce carnage dusang de l’exception souveraine, fondatrice du politique, car à l'inverse, il est le sangproduit par la dissolution du politique. Une telle dissolution viendrait  justement d'uneconfusion entre ressorts émotifs privés et ressorts émotifs publics. Dès la création dutribunal révolutionnaire ou de l'application de la loi des supects, des députations desection déplorent que " certains membres malveillants des comités révolutionnairesprofitent de leur pouvoir pour satisfaire leur vengences particulières". [119]   Lecitoyen Phulpin, juge de paix de la section des Arcis, imprima un “avis à ses frêrescomposant les comités révolutionnaires et à tous les républicains”  où il déclarait “c'est en ce moment qu'il faut faire trembler les ennemis du bien public, et arrêter tousleurs complots. C'est en ce moment qu'il faut les forcer à nous laisser libres; mais aussiil faut renoncer dans nos opérations à nos vengeances particulières.” [120] Lavengeance que nous avons rencontrée tout au long de ce trajet est publique au sens oùelle engage le bien commun de la république, le salut public et non le salut privé.“Vengeance populaire”, “vengeance  des lois”, “juste vengeance”, “vengeancenationale”, “vengeance du peuple”, le réseau des qualifications du terme " vengeance"exprime l'articulation opérée par les lois entre la république et le peuple. La nation, lepeuple et les lois, sont les figures d'universalité, ce qu'il convient de faire advenir.L'opposition entre justice pénale qui vise autant l'intérêt privé que l'intérêt public, etjustice révolutionnaire qui a pour devoir de ne se soucier que de l'intérêt public  est unleitmotiv du rapport de Couthon sur la loi de prairial  : “On a semblé se piqué d'êtrejuste envers les particuliers sans se mettre beaucoup en peine de l'être envers laRépublique, comme si les tribunaux destinés à punir ses ennemis avaient été instituéspour l'intérêt des conspirateurs et non pour le salut de la patrie. (…) Les délitsordinaires ne blessent directement que les individus, et indirectement la société entière(…) Les crimes des conspirateurs au contraire, menacent directement l'existence de laSociété ou sa liberté; ce qui est la même chose. La vie des scélérats est ici mise enbalance avec celle du peuple. ” [121] Il n'empêche que jusqu'à aujourd'hui, cette loi du22 prairial an II est restée une énigme. L'analyse de la terreur en termes de vengeancepublique permet peut-être de la lever en partie.

En effet, “l'esprit de ventôse était d'opérer le tri des suspects et leur répartition en deuxcatégories, les patriotes injustement détenus et les ennemis de la Révolution détenusdans les prisons, la peine alors retenue était la détention jusqu'à la paix, puis le

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bannissement, non la mort” [122] . En prairial la seule peine retenue est la mort et larègle des jugements est la conscience du juge éclairée par l'amour de la justice et de lapatrie (…). Or le décret du 27 germinal an II proposait de créer deux commissionsparlementaires "l'une chargée de rédiger en un code succinct et complet les lois qui ontété rendues jusqu'à ce jour, en supprimant celle qui sont devenues confuses, l'autrechargée de rédiger un corps d'instruction civile propre à conserver les mœurs et l'espritde la liberté" [123] . La première commission prépare la loi du 22 prairial, la secondeun projet d'institutions civiles. Or ces deux projets viennent clôturer le cycle devengeance.

En effet si les décrets de ventôse construisaient les deux groupes vindicatoires,remettaient à la paix future la possibilité d'y voir clair et l'application de la peine, la loide prairial semble affirmer qu'il n'y a plus lieu de maintenir cette logique de divisionsociale et de suspension de la contre-offense réciproque. Ce faisant la justicerévolutionnaire n'obéit plus aux règles de la vengeance mais bien à celle de la guerreoù la distance avec l'autre n'est plus celle de l'adversité mais celle de l'hostilité. Cettebascule est une manière de sortir de la vengeance, elle affirme que désormais, ceux quipeuplent encore les prisons sont des ennemis irréconciliables, ils n'adopteront pas ouplus les valeurs révolutionnaires. Ici encore il faut entendre au pied de la lettre desénoncés tels que la “ révolution est la guerre de la liberté contre ses ennemis ”. Onretrouve alors la logique défendue par Robespierre et par Saint-Just lors du procès deLouis XVI, qui relevait d'après eux du droit de la guerre. Louis devait être traité enétranger et non en citoyen. “La vengeance cesse de jouer le rôle de régulation de laviolence lorsque transformant l'adversaire en ennemi, elle dégénère en guerre etconduit à son anéantissement.” [124] Logiques vindicatoires et logique de guerre ontcertes coexisté en particulier à l'égard des Conventionnels qui incarnant le "tout" de lasociété divisée, sont exposés à la plus grande sévérité. Lorsqu'ils ne répondent pas desvaleurs à fonder, ils basculent dans ce contexte du côté des ennemis [125] ; mais ce quide notre point de vue importe c'est qu'on ait ouvert puis refermé le cycle de lavengeance et que toutes les pratiques de contrôle de la violence dans la période de laterreur ne soient pas la répétition de la mort du roi, de précipices en précipices [126] .L'étirement dans le temps de ce cycle de la vengeance n'obéit pas aux seulescirconstances mais répond aux possibilités structurelles de mettre un terme auxdynamiques d'affrontement. Si les groupes vindicatoires ne sont pas équivalents, lavengeance doit se transformer en  prise de pouvoir définitif. Sortir de la vengeancec'est finalement déclarer que la souveraineté populaire est fondée. Cela ne veut pas direpour autant qu'elle en rencontrera plus d'ennemis irréconciliables, cela ne veut pas dire que le tribunal de prairial prétend en finir une fois pour toutes avec ce genre d'ennemi.Tel les Amalécites de l'Ancien testament qui barrent l'accès à la loi divine et sont vouéspar dieu à être anéantis, ils peuvent toujours réapparaître, et c'est pourquoi la clémenceest condamnable [127] .Y-a-t-il lieu de parler ici de sentiment d'humanité ? La purelogique guerrière semble en fait l'exclure, mais de fait la guerre maintient le dilemmeentre sentiment d'humanité naturel et nécessité du sentiment politique du devoir faire laguerre pour sauver un projet ou une conception des rapports sociaux.

 Quant aux institutions civiles elles sont l'autre manière de sortir de la vengeance et de

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la division, puisqu'elles sont les moyens de maintenir l'unité sociale retrouvée, l'unitédes Français patriotes.

Certes, on peut se demander dans un constat tragique si les révolutionnaires ont réussià mener à bien l’effectuation de la politique de Terreur, se demander si les principesforts de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 [128] ont vraimentété fondés. Mais c’est là une autre histoire et une autre déploration.

“Le Français moyen de 1889 pouvait aisément préférer la Révolution à la Réactionmais son arrière petit fils de 1989, en tant qu'homme à peu près à son aise, civilisé,humanisé, ayant peur des coups, oubliant de penser que c'est grâce à la victoirenécessairement violente des hommes de 1789 et 1793, qu'il peut aujourd'hui jouir duluxe d'être antiviolent, l'arrière petit fils donc, notre concitoyen, préfère la Réforme à laRévolution. ” [129] On ne saurait mieux exprimer l'écart des sensibilités politiques dela révolution à son centenaire, de son centenaire à son bicentenaire. Il y va à la fois desseuils déplacés de la violence tolérable pensée comme telle et des couples d'antinomiepolitique qui paraissent pertinents. Sans doute l'étrangeté de la période de la terreurest-elle allée croissante dans ce double déplacement. Sans doute la part d'effroi, dedégoût et d'ardeur qu'elle recèle reste présente. "Le gouffre de la Terreur ", n'est jamaiscomplètement refermé tant cette rencontre improbable entre la politique et le sacrédemeure de fait fascinante et inquiétante. C'est sous le terme d'enthousiasmequ'Emmanuel Kant commente cette expérience : “Peu importe si la révolution d'unpeuple plein d'esprit, que nous avons vu s'effectuer de nos jours, réussit ou échoue, peuimporte si elle accumule misères et atrocités au point qu'un homme sensé qui lareferait  avec l'espoir  de la mener à bien ne se résoudrait jamais néanmoins à tenterl'expérience à ce prix, cette révolution dis-je, trouve quand même dans les esprits detous les spectateurs (qui ne sont pas eux même engagés dans ce jeu) une sympathied'aspiration qui frise le véritable enthousiasme et dont la manifestation mêmecomportait un danger; cette sympathie par conséquent ne peut avoir d'autre causequ'une disposition morale du genre humain. ” [130] Cette disposition morale est ce queles révolutionnaires appellent le sentiment d'humanité.  L'expérience de la révolutionselon Kant ne serait pas la perte du sentiment d'humanité, bien au contraire il en seraitle signe. “Citoyens, par quelle illusion vous persuaderait-on que vous êtes inhumains?Votre tribunal révolutionnaire  a fait périr trois cents scélérats depuis un an : etl'inquisition d'Espagne n'en a-t-elle pas fait plus ? et pour quelle cause, grand Dieu! Etles tribunaux d'Angleterre n'ont-ils égorgés personne cette année? (…) et les cachotsd'Allemagne où le peuple est enterré, on ne vous en parle point! ” [131] s'exclamaitSaint Just le 8 ventôse an II.  Quel est donc ce prix de la terreur ?

On pourrait répondre classiquement que les deux mois qui séparent le 22 prairial an IIdu 9 thermidor an II ont vu périr 1376 personnes sur l'échafaud. Aussi brutales aientété les mesures expéditives des fournées du tribunal révolutionnaire d'alors, nous nepensons pas que ce soit là le seul "prix" de la terreur ou de la révolution.

Ce prix ce serait aussi pour nous, celui si coûteux qu'il y aurait à fréquenterhistoriquement cette bordure politique du sacré. L'effroi, le dégoût, la terreur etl'enthousiasme sont les émotions qui désignent l'expérience de cette bordure, là où la

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révolution et ses acteurs peuvent sombrer dans le néant, là où la violence faite au corpsde l'ennemi a partie liée avec une vengeance fondatrice et la souveraineté populaire.

“La terreur! la terreur! Quel dommage qu'on l'ait rendue nécessaire”. Taine cite ainsiDuport, un homme du côté gauche en 1789, puis fait remonter la terreur aux journéesde 5 et 6 octobre 1789 lorsque les femmes obtiennent du roi effrayé, la ratificationrefusée depuis un mois au bas de la déclaration des Droits de l'homme et du citoyen. Sicomme le souligne Jean-Pierre Faye “la validité des droits de l'homme daterait du"premier" jour de la Terreur” [132] , quel est ce dommage évoqué par Duport et qui enest responsable ?

S'il y a dommage, c'est également du côté du défaut de traduction de ces émotionsdissolvantes ou exaltantes. La terreur ressurgit et redevient nécessaire chaque fois queles représentants du peuple souverain refusent de traduire sa volonté subjective,douloureuse, inquiète mais décidée. A chaque fois le peuple est conduit à "reprendre leglaive de la loi", à faire l'expérience du sang versé de la vengeance publique qui estaussi vengeance fondatrice. C'est pour cette raison qu'une analyse en terme d'économieémotive donne une épaisseur nouvelle à l'énigme de la terreur, une économie qui a sesrègles et ses effets récurrents mais des effets qui ne sont jamais inéluctables. L'effroisuppose d'être pris en charge socialement et politiquement pour ne pas conduire à ladissolution du lien social et politique mais, cette prise en charge s'effectue le 20 juin1789 dans le cadre des Etats généraux, le serment du jeu de Paume annoncel'assemblée constituante. L'effroi aurait pu être aussi pris en charge le 20 juin 1792,dans le cadre de l'Assemblée législative pourvu qu'elle ait accepté de redevenirconstituante comme l'avaient fait les Etats généraux, et d'en finir avec la fiction de lacitoyenneté passive. Le peuple de Paris ne choisit pas au hasard cette date anniversaire.A de multiples reprises depuis le 20 juin 1792, le peuple demande que ses émotionssoient traduites en lois ou reconnues dans le cadre de la loi. Mais l'écart ne fait que secreuser entre l'instance productrice d'émotions sacrées et l'instance traductrice de cesémotions. Les médiations symboliques construites patiemment dans l'élaborationrévolutionnaire sont négligées par ceux qui en sont les gardiens. Cette rupture des lienssacrés constitue le dommage. En 1793 la demande de loi est devenue explicitement demande de terreur et plus explicitement encore de vengeance sacrée, “plus sacrée quel'insurrection”. L'efficacité protectrice des médiations symboliques qui s'invententalors sont aussi fragiles que la révolution elle même et le lien social qu'elle instaure.L'affrontement entre groupes sociaux vindicatoires pourrait conduire à la dissolutiondu projet révolutionnaire. Les Conventionnels sont censés protéger le peuple de labrûlure du geste sacré en le concentrant dans la Convention, ses comités et le tribunalrévolutionnaire. Mais nul n'est vraiment à l'abri d'une transaction sacrée où lafondation des valeurs valent la mort des hommes, où il faut s'engager corps et âme, oùchacun peut périr d'effroi, ou être gagné par le dégoût. 

Là est à notre sens le prix oublié de la révolution, le prix enfoui de la terreur, prixindissociablement éthique et politique [133] . Dans l'inconfort, le risque et le pari.

Sophie Wahnich, octobre 2001.

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[1] Victor Hugo, Quatrevingt-treize, Éditions Jean-Claude Lattès, Paris, 1988, p. 517.

[2] C’est le point de vue qui domine aujourd’hui et celui adopté par Patrice Gueniffeydans son essai , La politique de la Terreur, essai sur la violence révolutionnaire,1789-1794, Paris, Fayard, 2000.

[3] On pourrait en effet interpréter ainsi le choix par exemple de Françoise Brunel deprésenter son travail sur le projet politique de l’an II sous la forme paradoxale d’untexte de Billaud-Varenne datant de l’an III, complètement annoté. Les cent trois pagesde notes laissent d’ailleurs souvent en suspens l’interprétation définitive, et proposenten fait de fournir les outils pour que le lecteur, à son tour, tente ce travail impossible.Billaud-Varenne,  Principes régénérateurs du systême social, Introduction et notes parFrançoise Brunel, Publications de la Sorbonne, Paris, 1992.

[4] Robespierre, 28 décembre 1792, Archives parlementaires, t.56, p. 16.

[5] Claude Lefort, “ La Terreur révolutionnaire ”, Passé/Présent, 1983, p. 25.

[6] Nous empruntons cette interrogation à Adolphe Jensen, Mythes et coutumes despeuples primitifs, Paris, 1954, pp. 206-207.

[7] L’expression est l’objet d’un article de Françoise Brunel : “ Le jacobinisme, un“ rigorisme de la vertu ? ”, “ Puritanisme ” et Révolution ” in  Mélanges MichelVovelle. Sur la Révolution approches plurielles, Paris, Société des ÉtudesRobespierristes, 1997, pp. 271-280, où elle critique entre autre l’approchepsychanalytique de Jacques André, La révolution fratricide. Essai de psychanalyse dulien social, Paris, P.U.F 1993.

[8] Il s’agit bien en effet de retrouver et de relégitimer l’objet qui avait étéparticulièrement travaillé par Colin Lucas dans son intervention au colloque deStanford  sur la Terreur “ Revolutionnary Violence, the People and the Terror ”, TheFrench Revolution and the Creation of modern political culture, Vol 4, The Terror,Edited by Keith Michael Baker, Pergamon Press, 1994, pp. 57-80.

[9] Article “ Terreur ” rédigé par Claude Mazauric, Dictionnaire historique de laRévolution française, Paris, PUF, 1989, p. 1024.

[10] On consultera en particulier, Marc Abélès, Henri-Pierre Jeudy, Anthropologie dupolitique, Armand Colin, Paris, 1997. Dans l’introduction, les auteurs affirment “ Aufond , l’anthropologie peut fort bien se dispenser de la notion même de modernité ”. p.17.

[11] Françoise Brunel, “ Le jacobinisme, un “ rigorisme de la vertu ?”, “puritanisme”et révolution ” in Mélanges offerts à Michel Vovelle, Sur la Révolution, approchesplurielles, op. cit.

[12] Michel Vovelle, en particulier dans La mentalité révolutionnaire, Société et

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mentalités sous la révolution française, Paris, Éditions sociales, 1985.

[13] L’expression de Mona Ozouf, mérite en effet d’être désormais travaillée aussid’une manière empirique, si transfert de sacralité il y a, par quels mécanismes ?

[14] Nous avons ici choisi le paradigme des émotions et non comme on aurait pu s’yattendre pour le XVIIIème siècle, celui des passions ou des sentiments moraux. Cettenotion d’émotion n’est certes pas contemporaine mais a l’avantage de mettre enévidence un “ surgissement ”  qui selon le travail effectué par l’éthnométhodologiearticule un état du corps et un jugement. On consultera en particulier, La couleurs despensées, sentiments, émotions, intentions, Paris, E.H.E.S.S, coll. Raisons pratiques,1995. Sentir et juger donc. C’est bien ce que les protagonistes de la Terreur attendentd’un bon révolutionnaire. Écoutons Saint-Just lorsqu’il en fait le portrait le 26 germinalan II. “L’homme révolutionnaire est intraitable aux méchants mais il est sensible, ilpoursuit les coupables et défend l’innocence dans les tribunaux, il dit la vérité afinqu’elle instruise, et non pas afin qu’elle outrage (…) sa probité n’est pas une finesse del’esprit mais  une qualité du cœur. Honorez l’esprit mais appuyez vous sur le cœur ”,Archives parlementaires, t. 88, p. 615.  

[15] Bronislaw Baczko dans son intervention sur “ la Terreur avant la Terreur,conditions de possibilité, logique et réalisation ”  avait souligné le fait qu’enThermidor, comme d’ailleurs aujourd’hui dans l’historiographie, “ il n’y a pas deconsensus sur une date ou un événement qui pourrait symboliser le début de laTerreur ” , in Keith Michael Baker  ed, The Terror, op.cit., p. 22.

[16] C’est là le point de vue de Patrice Gueniffey qui affirme “ Sitôt formulée, toutedéfinition de la révolution s’expose à la concurrence d’autres définitions qui enapprofondiront la nature et en radicaliseront les objectifs. Là réside le moteur de ladynamique révolutionnaire qui, d’outrance en surenchère dans la définition des fins etle choix des moyens, conduit inexorablement, à travers un processus de radicalisationcumulative du discours à la violence ”, La politique de la Terreur, op.cit., p. 230. Ilemprunte en particulier ce concept de radicalisation cumulative du discours à HansMommsen qui le forge à propos du national-socialisme.

[17] Nous renvoyons pour cette définition de la vengeance comme institutionfondatrice au Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, sous la direction dePierre Bonte et Michel Izard, Paris, PUF, p. 738.

[18] Selon la définition fonctionnelle qui prévaut chez Evans-Pritchard, Les Nuer,Paris, Gallimard, 1968; Les systèmes politiques africains, Paris, PUF, 1964.

[19] La description rigoureuse de ce retournement énonciatif a été réalisée par JacquesGuilhaumou, dans son article : “ la terreur à l’ordre du jour (juillet 1793-mars 1794) ”,Dictionnaire des usages sociopolitiques (1770-1815),Fascicule 2, Notions concepts,Paris, Klincksieck Inalf,1987, pp. 127-160.

[20] Mona Ozouf, “ Guerre et Terreur dans le discours révolutionnaire ”, L’école de laFrance, Paris, Gallimard, 1984, pp. 109-127. On pourrait très simplement reprendre le

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terme récurrent des révolutionnaires d’une terreur-vengeance, puisque l’on sait que lavengeance comporte souvent une exigence de parité réparatrice ; ajoutons cependantd’emblée que l’exigence peut aussi être plus absolue lorsqu’il s’agit de venger desmorts ou l’intégrité, la dignité de l’homme telle qu’instituée par une culture donnée.

[21] C’est en effet l’expression de Danton le 12 août 1793.

[22] Jacques Guilhaumou, La mort de Marat, Bruxelles, Complexe, 1989.

[23] Sur esthétique et politique, on consultera les travaux de Jacques Guilhaumou quimettent en relation l’esthétique kantienne et le processus révolutionnaire.  Enparticulier pour analyser le cas de la mort de Marat, on lira une synthèse très limpide :“ Fragment d’une esthétique de l’événement révolutionnaire ”, Gilles Sauron, AndrejTurowski, Sophie Wahnich, ed,  L’art et le discours face à la Révolution, Dijon,E.U.D, 1997.  Et dans L’avènement des porte-parole de la république, 1789-1792,Presses universitaires du septentrion, 1998, le chapitre portant sur “ Un changement desouveraineté et de sensibilité ”, pp. 249-253. On consultera également JacquesRancière, La Mésentente, Paris, Galilée, 1995, Le partage du sensible, La fabrique,Paris, 2000.

[24] Sur cette question du droit naturel, on consultera Florence Gauthier, Triomphe etmort du droit naturel en Révolution, PUF, Paris, 1992.

[25]  Arch.Nat, série C, carton 118, § 2 L 341, s.d. Creuse.

[26] Saint-Just, Œuvres complètes, édition établie par Michèle Duval, Paris, EditionsGérard Leibovici, 1984, p.798.

[27] Saint-Just affirme ainsi “où il n’y a point de lois, il n’y a point de patrie ”. Espritde la Révolution et de la Constitution, 1791, Oeuvres complètes, op.cit. pp.338-339.

[28] Sur le lien entre rumeur et opinion publique populaire au XVIIIe siècle onconsultera Arlette Farge, Dire et mal dire, l'opinion publique populaire au XVIIIèmesiècle, Paris, Seuil, 1992.

[29] C'est nous qui soulignons.

[30] Archives parlementaires, t. 45, p. 352. 19 juin 1792, c’est nous qui soulignons.

[31] Sur la fonction de cet énoncé on consultera Sophie Wahnich, “ De l'émotionsouveraine à l'acte de discours souverain, la patrie en danger ”, in Mélanges offerts àMichel Vovelle, Paris, Société des Études Robespierristes, 1997. “ Produire les normesen Révolution ”, Jacques Comaille, Laurence Dumoulin, Cécile Robert, Droit etSociété 7, la juridicisation du politique, Paris, Maison des Sciences de l’homme etréseau européen droit et société, 2000.

[32] Le Moniteur universel, t. 17, pp. 387-388, réimpression Paris, Plon, 1947. 

[33] Cette armée révolutionnaire ne se confond pas avec les armées régulières.

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Accompagnée d’une “ sainte ” guillotine, elle doit donner force à la loi, lutter contreles accapareurs, et ravitailler les armées.

[34] Le Moniteur universel, t. 17, p 526.

[35] Nous avons utilisé ici la notion de “ sacré ” sans la préciser à priori. En fait, ladéfinition composite qu’en donne l’anthropologie nous convient assez bien. En effet ladéfinition analytique de Durkheim, où ce qui est sacré est ce qui est protégé par desinterdits est pour nous fondatrice pour penser la question de la limite à franchir pourdevenir l’ennemi, ou de la limite à réinstaurer pour ne pas se laisser anéantir dansl’illimité de l’effroi. Mais le sacré de Hubert et Mauss, c’est à dire une réalitétranscendante susceptible d’être éprouvée est également pertinente pour saisir ce quesont les épreuves par exemple de funérailles.  Lorsque cette transcendance n’est autreque la société elle-même, et que l’opposition sacré/profane se conjugue avecl’opposition société/ individu, que ce sacré peut prendre le nom de valeur comme chezL. Dumont. On est alors au plus près de la question révolutionnaire oùfondamentalement le sacré est immanent.

[36] Le peuple que nous désignons ici est le groupe politique qui s'est effectivementsubjectivement affirmé comme tel dans la journée du 20 juin 1792. Dans un contexted'éloquence souveraine des porte parole populaires se présentent comme la "voix de lanation", comme "le peuple français". Ce sont les sections parisiennes mais aussi lesfédérés révolutionnaires de Marseille, de Toulouse ou d'autres grandes villesfrançaises, l'ensemble des acteurs révolutionnaires qui accréditent ces porte parole.Nous avons développé cet argument dans "l'éloquence souveraine", actes du colloqueune expérience rhétorique : l'éloquence de la Révolution. 25-27 septembre 1998,Sarrebrucken, à paraître à la Voltaire Fondation Studies. Il ne s'agit donc pas denaturaliser le rapport peuple porte-parole, le rapport peuple / médiations constitutivestels que les pétitions, adresses, députations. Il s'agit de prendre au sérieux le choixpolitique fait par ces porte parole de parler au nom du peuple ( le tout) sous contrôle degroupes populaires (le menu peuple). Dans l'histoire de la période révolutionnaire, faireusage du mot peuple c'est maintenir de double sens comme tension de ce qui advientpolitiquement.

[37] Patrice Gueniffey, op.cit. p. 193.

[38] Penchant si souvent décrit depuis le jugement hégélien : “ L’unique œuvre etopération de la liberté universelle est donc la mort, et plus exactement une mort qui n’aaucune portée intérieure, qui n’accomplie rien, car ce qui est nié c’est le point vide decontenu, le point de Soi absolument libre. C’est ainsi la mort la plus froide et la plusplate, sans plus de signification que de trancher une tête de chou ou d’engloutir unegorgée d’eau. ” Hegel, Phénoménologie de l’Esprit, tome II, Paris, Aubier- Montaigne,trad Hippolyte, p. 136.

[39] Ce terme de transmutation est employé par Proust dans Le temps retrouvé pourparler de l’opération littéraire qui “ transmute le réel ”. Il s’agit bien d’une opérationesthétique et c’est pourquoi nous la préférons ici à d’autres.

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[40] Archives Parlementaires, t . 45, p. 417. Le 20 juin 1792.

[41] L’expression est bien sur de Hegel, Phénoménologie de l’Esprit, op.cit. p. 135.

[42] Société des Jacobins, 19 juin 1792, Alphonse Aulard, La société des Jacobins,Recueil de documents pour l'étude de la Société des Jacobins, t. 4, p .19.

[43] Idem.

[44] Arch nat, série C 150, L253, p.2.

[45] Adresse des Marseillais, rédaction du 6 juin 1792, lecture du 19 juin 1792,Archives parlementaires, t.45, p. 397

[46] Archives parlementaires, t. 45, p. 417.

[47] Idem.

[48] Sophie Wahnich, “ De l'émotion souveraine à l'acte de discours souverain, lapatrie en danger ”, art.cit.

[49] Archives parlementaires, t. 45, p. 417. 20 juin 1792.

[50] Archives parlementaires, t.45, p. 397. 19 juin 1792

[51] Sur la question de la voix politique, on consultera, Michel Poizat, Vox populi, voxdei, Métaillé ed, Paris, 2001.

[52]   Sur la rhétorique du cri, on consultera Vincent Millot, "Le cri-citoyen, passionspolitiques et imprimés militants, 1788-1800", Les langages de la Révolution,Saint-Cloud, inalf, 1995.

[53] Archives parlementaires, t 45, p. 417.

[54] Cette ardeur est aussi contenue par des formes symboliques non discursives. Le 19juin, une députation demande à être reçu en armes après avoir planté un arbre de laliberté, elle effectue quelques pas de danse au son du tambour dans l’enceinte del’Assemblée. On peut parler à cet égard de rituel d’apaisement.

[55] Jean De Bry, Archives parlementaires, t. 45 p. 707.

[56] Idem.

[57] Moniteur universel, t. 17, pp. 387-388, 12 août 1793.

[58] Archives parlementaires, t.48, p. 180.

[59] Moniteur universel, t. 13, p. 443.

[60] Bernard Conein, Langage politique et mode d’affrontement, le jacobinisme et les

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massacres de Septembre, thèse dactylographiée, EHESS, 1978, Sous la direction deRobert Mandrou, p. 132. Bernard Conein emprunte ici la notion de parole malheureuseà J. Austin, "une parole malheureuse est un acte de langage qui n’est pas authentifiécomme acte par l’auditoire et est du coup frappé de nullité". (J. Austin, Quand direc’est faire, Paris, le Seuil, 1970.)

[61] Selon l’expression attestée dans l’archive comme l’a montré Jacques Guilhaumou.La langue politique et la Révolution française, Paris, Méridiens Klincksieck, 1989.

[62] Le Moniteur universel, t.14, p. 428.

[63] D’après l’acte d’accusation du 20 vendémiaire an III. AD Seine et Oise, 42L58,cité par Bernard Conein.

[64] Robespierre, "Pour le bonheur et pour la liberté", Discours, Paris, La fabriqueédition, 2000, p.277

[65] La vengeance, études d'ethnologie, d'histoire et de philosophie, Raymond Verdiered, Paris, Editions Cujas, 1980, p.24.

[66] La vengeance, études d'ethnologie, d'histoire et de philosophie, op.cit., p.16.

[67] La vengeance, études d'ethnologie, d'histoire et de philosophie, op.cit., p.19.

[68] C'est nous qui soulignons ainsi que dans les citations suivantes.

[69] 25 octobre 1792, Journal de la République française.

[70] 20 septembre 1792, Le défenseur de la Constitution.

[71]   Saint-Just, 13 ventôse an II. Œuvres complètes, op.cit. p. 714.

[72] Reinhart Koselleck, le futur passé, contribution à la sémantique des tempshistoriques, op.cit. “la sémantique historique  des concepts antonymes asymétriques”,pp.191-233.

[73] Convention nationale, 5 novembre 1792. Réponse à l’accusation de Jean BaptisteLouvet. Archives Parlementaires, t. 53, p. 162.

[74] Sur cette question on pourra lire Claude Grignon et Jean-Claude Passeron, Lesavant et le populaire, Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature,Paris, Gallimard- Seuil, Coll Hautes études, 1989.

[75]   Nous parlons de démarche compréhensive au sens où l'entendait Max Weber :"l'activité spécifiquement importante pour la sociologie consiste en particulier en uncomportement qui 1) suivant le sens subjectif visé par l'agent est relatif aucomportement d'autrui, qui 2) se trouve conditionné au cours du développement parcette relation significative et qui 3) est explicable de manière compréhensible à partirde ce sens visé (subjectivement). Max Weber, Essai sur la théorie de la science, Paris,

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Plon, 1965, p 330.

[76] Giorgio Agamben, Homo sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, Seuil,1997, p. 93. 

[77] Giorgio Agamben, Homo sacer, op.cit. p.94.

[78] Colin Lucas, “ Revolutionnary Violence, the People and the Terror ” art.cit, p.73.

[79] Archives Parlementaire, t 45, p. 417.

[80] On peut effectivement parler de pari, car comme le dit Colin Lucas “ when thesystem (of justice loses its transcendent quality (…), its essential violence is unmasked.Here, the line between légitimate and illegitimate violence becomes simply a matter ofopinion, upon wich individuels and groups are free to deverge. ”, “ RevolutionnaryViolence, the Poeple and the Terror ” art.cit. p.61.

[81] Archives parlementaires, t.60, p. 2.

[82] Archives parlementaires, t.60, p. 3.

[83] Saint-Just, 26 germinal an II. Archives parlementaires, t. 88, p. 615.

[84] Archives parlementaires, t.60, p. 62.

[85] Archives parlementaires, t.60, p. 59

[86] Archives parlementaires, t.60, p. 61.

[87] Archives parlementaires, t.60, p. 62.

[88] Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, sous la direction de PierreBonte et Michel Izard, Paris, PUF, p. 738.

[89] Nous reprenons ici une distinction formulée par Paolo Viola qui distingue entreviolence politique et violence irrationnelle qui affirme que les pointes de violenceextrême en Révolution sont celles "d'une violence irrationnelle, non politique, que larévolution n'exige pas, dont elle ne profite pas, dont elle a horreur, qu'elle refoule ,qu'elle finit par réprimer, dès que possible mais qu'elle a déclenchées parce qu'elle atouché les équilibres inconscients et fragiles qui règlent le rapport au sacré". in"violence révolutionnaire ou violence du peuple en révolution ?", Recherches sur laRévolution, Paris, La découverte IHRF, 1991, p. 100. On consultera également sur laquestion de la pratique de vengeance comme pratique punitive “ Il trono vuoto, latransizione della sovranità nella rivoluzione francese. Torino,Giulio Einaudi editores.p.a., 1989.

[90] Archives parlementaires, t.60, p. 17.

[91] Archives parlementaires, t.60, p. 59.

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[92] Archives parlementaires, t.60, p. 67.

[93] À cet égard ce que dit René Girard sur ce qui diffère ou plutôt, ne diffère pas entrela vengeance et la justice pénale, nous paraît éclairant pour notre propos : “ Car il n’y adans le système pénal, aucun principe de justice qui diffère réellement du principe devengeance. C’est le même principe qui est à l’œuvre dans les deux cas, celui de laréciprocité violente, de la rétribution. Ou bien ce principe est juste et la justice est déjàprésente dans la vengeance ou bien il n’y a de justice nulle part. De celui qui se faitvengeance lui-même la langue anglaise affirme “ he takes the law into his own hands ”il prend la loi dans ses propres mains ”. Ce qui caractérise la justice c’est finalementson caractère public ”. La violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972.

[94] Sur la notion d’humanité et son appropriation pendant la révolution française onconsultera, l’article de Nicole Arnold, Dictionnaire des usages socio-politiques dufrançais pendant la Révolution française, Notions-pratiques, Paris, Klincksiek, 2000.

[95] La vengeance, études d'ethnologie,d'histoire et de philosophie, op.cit., p.16.

[96] D. Vidal dans l’article “ vengeance ” du Dictionnaire d’anthropologie etd’ethnologie, il précise encore “ qu’on peut invoquer des textes tels que l’Illiade, leMahabharata ou l’Ancien testament pour montrer comment l’expression des valeurspeut être constamment réitérée dans des situations narratives dominées par  un contextede vengeance. op.cit., p. 738.

[97] “sur les principes de morale politique”, 17 pluviôse an II, Robespierre, “pour lebonheur et pour la liberté”, discours, Paris, la fabrique-édition, p. 296.

[98] Le Moniteur, vol 20, p. 695.

[99] Danton, 10 mars 1793, Archives parlementaires, t.60, p. 63

[100] Idem

[101] Procès-verbal des événements du 9 dressé d’après le récit de monsieur le maireet de plusieurs officiers municipaux. Mémoires sur les journées de Septembre. Cité parBernard Conein, op.cit., p. 133.

[102] Il avait fallu un tel retournement laborieux et plein de péripéties pour obtenirqu’on déclare la “patrie en danger ”.

[103] C’est nous qui soulignons. Le Moniteur universel, t.17, p. 388.

[104] Cette “ morale en action ” pour que cesse les malheurs, c’est–à-dire les loisvertueuses, précède d’ailleurs le plus souvent les grandes décisions de contrainte.

[105] [105] Archives parlementaires, t. 84, p.332.

[106] D. Vidal dans l’article “ vengeance ” du Dictionnaire d’anthropologie etd’ethnologie, op.cit., p. 738.

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[107] Archives parlementaires t. 56, p. 16.

[108] Sur ce point, on consultera, Sophie Wahnich, L’impossible citoyen, l’étrangerdans le discours de la révolution française, Paris, Albin Michel, 1997, en particulier latroisième partie, fraternité et exclusion.

[109] La société des jacobins, op.cit. t.5, p. 633.

[110] C’est nous qui soulignons.

[111] Archives parlementaires, t. 53, p. 162.

[112] Nous reprenons l’expression de Jacques Rancière, Le partage du sensible, op.cit.

[113] Elles sont constamment déployées dans les grands rapports du Comité de salutpublic. Pour une analyse de ce projet politique fondateur on consultera les travaux deFrançoise Brunel.

[114] Pour mémoire, Saint-Just prononce son rapport sur le gouvernementrévolutionnaire le 10 octobre 1793 soit un mois environ après les journées des 4 et 5septembre 1793, et le décret constitutif du gouvernement révolutionnaire sur la base durapport de Billaud Varenne est pris le 14 frimaire soit le 4 décembre 1793.

[115] Archives parlementaires, t. 82, p.301.

[116] Archives parlementaires, t. 84, p.330. Bronislaw Baczko semble commentercette phrase lorsqu’il dit que “ La Terreur n’a pas été la réalisation d’un projetpolitique préconçu. ”,  “ la Terreur avant la Terreur, conditions de possibilité, logiqueet réalisation ”, art.cit. p. 23.

[117] Archives parlementaires, t. 82, p. 302.

[118] Sur cette qualification, on consultera le travail de Marc Deleplace, L’Anarchie deMably à Proudhon, Histoire d’une appropriation polémique, Fontenay, ENS Édition,2000.

[119] Archives parlementaires t.74, pp 384-385. Sur ce point on consultera BenoitDeshaye, Législation et Exécution des lois, mémoire de maîtrise dactylographié,août-octobre 1793,  sous la directionde Florence Gauthier, Paris VII, Jussieu, 2001,"Les plaintes contre les comités révolutionnaires" pp. 207-213.

[120] LB 41-3393. L'avis est daté du 24ème jour du 1er mois soit du 15 octobre 1793.Cité par Benoit Deshaye.

[121] Le Moniteur, vol 20, p. 695.

[122] Françoise Brunel, Thermidor, la chute de Robespierre, Editions Complexe,1989, p. 64 et 70.

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[123] Cité par Françoise Brunel, Thermidor, la chute de Robespierre, op.cit. p.64.

[124] Raymond Verdier, la Vengeance, vol 3, pp. 152.

[125] C'est bien sur le cas de Danton.

[126] Selon l'expression de Myriam Revault d'Alonnes, D'une mort à l'autre,précipices de la révolution, Paris, Esprit /Seuil, 1989.

[127] Le roi Saûl qui n'obéit pas complètement à Dieu en épargnant le roi desAmalécites qu'il fait prisonnier, y perd lui même sa royauté. Dieu ne le reconnaît pluspour roi d'Israël.

[128] Sur le lien entre Terreur et Droits de l’homme nous renvoyons à  Jean-PierreFaye, Dictionnaire politique portatif en cinq mots, articles “ Terreur ”  et “ Violence ”,Paris, Gallimard, 1982.

[129] Maurice Agulhon, L'image de la révolution française, Congrès mondial pour lebicentenaire, Pergamon Press, vol IV, 1990, pp. 2389-2396.

[130] Emmanuel Kant, Le conflit des facultés, 1798, traduction d'A Philonenko.

[131] Saint-Just, œuvres complètes, op.cit. p.700.

[132] Jean-Pierre Faye, Dictionnaire politique portatif en cinq mots, op.cit.p. 106.

[133] Maurice Merleau Ponty lorsqu'il tente de penser les liens paradoxaux entrehumanisme et terreur, note qu'il est parfois “permis de sacrifier ceux qui, selon lalogique de leur situation, sont une menace et de préférer ceux qui sont une promessed'humanité”. Humanisme et terreur, Paris, Gallimard, coll. “Idées”,1980, p. 214.

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L’EFFET “GROUPTHINK” DANS “LA REVOLUTIONROUMAINE” (1989)

 Lavinia BETEA

       C’est une assertion tout à fait commune le fait qu’en 1989 les conditions deRoumanie ont été spéciales et que le transfert du pouvoir a été réalisé d’une autremanière que dans les autres pays de “l’ancien camp socialiste”. “Le régime Ceau_escu”a excellé par son “nationalisme” promu et par l’entretien “du culte de la personnalité”d’une ampleur sans égal dans l’espace européen. L’explication du phénomène résidedans le fait que le leader communiste a détenu le pouvoir, le contrôle des médias, de lapolice répressive pour une longue période de temps.

        En 1965, sous prétexte de “développer la démocratie”, Ceau_escu a remplacél’ancien Bureau Politique par le Comité Politique Executif (le CPEX), organisme dontla structure était élargie (79 membres) et dont les prérogatifs du pouvoir étaient, enréalité, formels. En 1967, après avoir pris le pouvoir depuis deux ans, Ceau_escu avaitrenoncé au principe de la séparation du pouvoir de parti et d’état afin de prendre lafonction de président du Conseil d’Etat. En 1974, le leader du parti unique s’estautoproclammé président de la Roumanie. Il était le commandant suprême de l’armée etle dirigeant des organisations collectives et de masse à la fois. Pendant l’étape del’apogée du pouvoir, il a recouru à “une dictature de clan”, les fonctions les plusimportantes étant accomplies par Ceau_escu, par sa femme, par d’autres membres de lafamille et par un nombre restreint de collaborateurs fidèles.

        Pendant la dernière période du régime, les mécanismes du pouvoir fonctionnaientde sorte qu’il n’y avait aucune autre alternative de gouvernement. Ainsi, le principe de“la rotation des cadres” suivant lequel les activistes de rang supérieur étaient remplacéstrès vite d’un ressort à l’autre, empêchait l’existence d’une relation plus étroite, capablede se cristalliser dans une forme d’opposition. Après les célèbres déclarations contrel’invasion de la Tchécoslovaquie (1968) qui ont assuré à Ceau_escu un grand prestigeinternational, sous prétexte d’empêcher le changement du leader par les soviétiques, ona decidé que les élections du président soient faites par les membres du parti.Ultérieurement, avant les derniers congrès, à la  séance de chaque organisation de parti,l’un des points sur “l’ordre du jour” était “l’approbation de la candidature” ducamarade Ceau_escu en fonction de secrétaire général du PCR. Par conséquence, lesdélégués au congrès devenaient de simples messagers du mandat de quatre millions demembres de parti qui - à l’unanimité – avaient approuve la réélection de Ceau_escu entant que leader suprême. Ainsi, son remplacement de la direction du parti etimplicitement du pays était devenu impossible à réaliser et il parraissait que son pouvoir

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êut reçu le caractère d’étérnité.

       La conséquence était que dans le processus d’écroulement des régimescommunistes d’Europe, pour que l’équipe conductrice soit changée, en Roumanie en1989, “on a mis en scène une révolution typique”. (Karnooh, 2000)

       Dans les analyses dont le sujet repose sur la révolution de Roumanie, “la seulerévolution sanglante” par rapport à celle de “vélours” des autres états communistesd’Europe, on peut signaler les particularités du transfert du pouvoir:

1. La Roumanie est le seul pays où ait eu lieu un renversement violent et sanglant durégime au cours duquel 1104 gens sont morts et 3352 ont été blessés.

2. On a recours à la violence non seulement avant la fuite du dictateur de Bucarest, maisaussi après cette fuite. Le but de cette action était de créer l’impression de légitimitédans la prise du pouvoir par la nouvelle équipe gouvernementale et en même tempsd’assurer, de garantir ce pouvoir par la voie des changements institutionnels et desremplacements des élites.

3. La Roumanie est le seul pays communiste où le chef du parti et de l’état ait étéexecuté à la suite d’un procès représentant une rémanence des procès staliniens; laRoumanie est le seul pays où les prérogatifs du pouvoir aient été absolus; la fonction duchef de parti et d’état était doublée de celle de commandant suprême de l’armée.

4. Ce n’est qu’à la suite d’un renversement de la dictature idéologiquenationale-communiste que les communistes réformistes ont conquis le pouvoir.

      Au niveau de la politologie et du journalisme, l’analyse du passé récent s’arrête ici.Mais dans des termes psychologiques, les causes de la situation décrite pourraient êtreexpliquées par les caractéristiques du groupe de décision, le Présidium CPEX du C.C.du P.C.R.. La structure suprême de décision et la direction de type oligarchiqueinstituées par Ceau_escu expliquent au niveau du rapport de décision la réalité politiqueet les événements passés en décembre 1989. Lorsqu’on compare la situation deRoumanie aux mouvements réformateurs des pays voisins, d’une part, et les prérogatifsofficiels du CPEX d’autre part, la première conclusion est celle d’un échec du groupe dedécision. Le phénomène pourrait être expliqué par “l’effet groupthink” selon la théoriede I. Janis (1977). Conformément à cette théorie – conçue à la suite d’une étude desrelations à l’intérieur du groupe de décision et de l’efficacité des décisions adoptées –toutes les décisions politiques qui ont représenté un fiasco dans la politique américaineaprès la deuxième guerre mondiale, ont été marquées par “l’effet groupthink”, groupequi se caractérise par une séquence typique des faits décrits dans le schéma suivant:

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                                                           Les antécédents

1.    Un niveau élevé de cohésion du groupe de décision.

2.    L isolation du groupe par des influences externes

3. Un leader puissant, autoritaire.

4. L’absence des normes / des procédures afin d’examiner les positions “pour” ou“contre” pour des actions alternatives.

5. Le stress élevé induit par les menacements externes et la faible espérance de trouverune meilleure solution que celle favorisée par le leader.

“                                                                       “Le fort désir de consensus (unité totale d’opinions)

“                                                                       “                                  Les  symptômes de “l’effet groupthink”

1. L’illusion d’invulnérabilité.

2. La conviction dans la moralité inhérente du propre groupe.

3. Les raisonnements collectives

4.   La  perception stéréotype du groupe adverse (l’incarnation du mal)

5. L’autocensure des douts ou des opinions contraires (différentes).

6. L’illusion de l’unanimité.

7. La pression directe sur les disidents.

8. La désignation tacite “des gardiens” idéologiques.

“                                                                        “                               Les conséquences

1. L’inventaire incomplet des alternatives.

2. L’analyse incomplète des objectifs du groupe.

3. L’échec de la réévaluation des risques des éléctions préférées.

4. L’échec de la réévaluation des alternatives préférées.

5. La recherche précaire des informations pertinentes (par des experts)

6. Les distorsions sélectives dans la transformation de l’information.

7. L’échec dans le développement des plans adaptés aux circonstances.

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“                                                                        “La probabilité réduite d’un résultat de succès

                        Le modèle “groupthink” adopté d’après I. Janis et L. Mann (1977)

       Pour sa validité en Roumanie, on retient les informations provenues dessténogrammes publiés à l’occasion du procès de 24 membres du Présidium CPEX (1991) et les mémoires historiques écrites par “les spectateurs engagés” (ex: lesmembres CPEX, D. Popescu et P. Niculescu-Mizil, l’ancien chef de la Chancellerie duC.C., S. Curticeanu et l’ancien chef de la section de presse du C.C, C. Mitca).Conformément à ces sources, les antécédents de l’effet traduit en théorie réside dans lesattributions du groupe de décision et dans les relations de travail établies par le coupleCeau_escu qui monopolisait la décision et en même temps dans le principe de “larotation des cadres” par lequel le dictateur et sa femme attribuaient de différentesresponsabilités à un même subordonné dans un intervale très court de temps.

         Les caractéristiques de l’adoption des décisions par CPEX ont été généralisées àtous les niveaux de décisions subordonnés (les comités départementals de parti parlesquels la liaison avec Ceau_escu était maintenue à l’aide des téléconférences dechaque semaine, locaux, communaux et des organisations de base). Le principe del’unanimité imposé dans la vie politique roumaine après l’instauration du culte de lapersonnalité, les procédures de sélection et de promotion des activistes de parti,l’adoption des décisions d’élection du leader dans le congrès du parti par les déléguésqui apportaient les mandats des organisations politiques territoriales de réconfirmationdu dirigeant, représentent de fortes tendances de l’aspiration du consensus au niveaudécisionnel et de la société. Ce fait peut aussi représenter l’explication du fait qu’enRoumanie les mécontentements individuels n’ont pas réussi à se regrouper autour d’unnoyau unificateur. On peut aussi affirmer que c’est une situation presque similaire àcelle de la Bulgarie (où pourtant on remarque une tentative réformatrice) parce quel’église est restée en totalité asservie au pouvoir. Les mécontentements des Roumainsont été exprimés par ce qu’on a appelé ultérieurement “la sincérité de cuisine”(Iakovlev, 1999).

         Les faits racontés par l’ancien chef de la Chancellerie du C.C. précisaient lesrelations du noyau du pouvoir (Curticeanu, 2000). Ainsi, les membres du CPEX étaientdésignés directement par le couple Ceau_escu. Leur liste lue seulement à la veille ducongrès du parti (afin d’être approuvée par les participants) était devenue une surprisemême pour les personnes nommées. Les rapports et les matériaux dont le débat et dontl’approbation représentaient l’attribution des membres du CPEX, étaient mis à leurdisposition après l’entrée dans la salle de séance. Après un exposé synthétique desthémes, soutenu par Ceau_escu, le leader émettait des conclusions telles: “Je doute quevous ne soyez pas d’accord d’approuver…”). Le rapport devait être présenté ensuite aucongrès du parti et approuvé par les membres du CPEX sans qu’ils aient connu lasituation (“vous vous ennuyeriez autrement lorsque vous les écouteriez d’avance dans lasalle de séance” raisonnait Ceau_escu).

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          Dans l’omnipotentialité de l’idéologie représentée par le leader, les informationset les influences sur les autres membres du groupe, informations parvenues del’extérieur du pays, étaient exclues. “Le contrôle technique” de ceux impliqués dans lesmécanismes décisionnels par la police politique, avait conduit – dans le déroulement desévénements du décembre 1989 – à l’information des membres du CPEX transmiseexclusivement par Ceau_escu. Les réunions du groupe décisionnel sont caractériséesconformement à tous les témoignages, par un stress extraordinaire. L’invocationexcessive des commendements idéologiques du leader du groupe – la conditionprimordiale du consensus du groupe décisionnel – conduit à la situation enregistrée dansle sténogramme de la séance du CPEX du 17 décembre 1989.

        Après l’information dénaturée de N.Ceau_escu sur les événements de Timi_oara(“les actions ont été planifiées par l’est et par l’ouest réunis afin de détruire lesocialisme”), le couple Ceau_escu s’adresse à ceux qui avaient des responsabilités ausein des forces d’ordre, imposant, en réalité, dans une manière militaire, le rapport del’exécution des ordres donnés. Finalement, le leader du groupe décide: “Nous lutteronsjusqu’au dernier et nous devons le soumettre à l’approbation parce que l’indépendanceet la souveraineté sont conquises et défendues par la lutte, parce que si  en 1968 nousn’avions pas agi ainsi, ils nous auraient envahis comme ils l’avaient fait enTchécoslovaquie quand les Soviétiques et les Bulgaires étaient à la frontière”.

         Les effets en avalanche qui ont suivi (le discours de Ceau_escu au balcon, soutenudans la confusion temporelle et causale du leader sur les événements en cours, lagénéralisation de la révolte, l’écroulement du régime après la fuite du couple Ceau_escu) représentent l‘échec dû à “l’effet groupthink” ayant pour conséquence le manqued’une alternative gouvernementale. La situation avait à l’origine des diverses causesappelées “la télérévolution roumaine” et “l’affaire des terroristes”.

       La post-évaluation des alternatives des anciens membres CPEX a supporté desdénaturations dans l’appréciation des difficultés initiales après la découverte de ladécision correcte. Quelques-uns de ceux qui ont pris la décision se sont culpabilisésultérieurement pour avoir ignoré des données essentielles, facilement à observer,culpabilité qui a généré des réactions névrotiques dépressives ou compensatoires. Ainsi,après le procés des anciens membres du CPEX, les uns sont morts ou se sont suicidés(N. Giosan, I. Totu); les autres ont écrit leurs mémoires par lesquelles ils essaient,principalement, de justifier les décisions du groupe dont ils ont fait partie (D. Popescu,P. Niculescu-Mizil, S. Curticeanu).

Bibliographie

--Curticeanu, S., M�rturia unei istorii tr�ite, Edit. Albatros, Bucure_ti, 2000

--Iakovlev, A.., Marcou, L.,Ce que nous voulons faire de l Union Sovietique, Edit. duSeuil, Paris, 1999

--Janis, I., Mann, L., Decision making: A Psychological analysis of conflict, choice andcommitment, New York, Free Press, 1977

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--Karnoouh, C., Comunism, postcomunism _i modernitate târzie, Edit. Polirom, Ia_i,2000

--Mitea, C., Jurnalul unui fost în revista Totu_i iubirea, nr. 25/ iunie 1991

--Niculescu-Mizil, P., O istorie tr�it�, Edit. enciclopedic�, Bucure_ti, 1997

--Popescu, D., Am fost _i cioplitor de himere, Edit. Expres, Bucure_ti, 1994

--Le stenogramme  de la seance du Comite Politique Executif du CC du PCR du 17decembre 1989 dans M. Bunea, Praf în ochi, Procesul celor 24-1-2, Edit. Scripta,Bucure_ti, 1991

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  EPoPs European Political Psychology Network

CONSIDERATIONSPSYCHO-POLITIQUES SUR UNEACTUALITE DE CRISE

 

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EPoPs – European Political Psychology Network

1er CYCLE DE SEMINAIRES

 « QU’EST-CE QUE LA PSYCHOLOGIE POLITIQUE ? »

chaque dernier lundi du mois à la MSH de janvier à juin 2003

 Déroulement des séances :

A chaque séance, deux ou trois participants introduisent quelques textes de référencessur le thème retenu. L’ensemble des textes ainsi présentés sont rassemblés dans le« volume documentaire 2003 » qui sera proposé aux membres d’EPoPs. Ensuite, à partirdes présentations introductives et des réactions qu’elles ont suscitées, l’ensemble desparticipants de la séance discute de manière libre, notamment les aspectsméthodologiques et la dimension interdisciplinaire. Enfin, chaque séance est concluepar un chercheur ou professeur confirmé qui synthétise et comment les débats. Uncompte-rendu écrit de chaque séance sera transmis aux membres d’EPoPs.

* les textes accompagnés de ce symbole existent en version française et en versionanglaise

Lundi 27 janvier :

Histoire et développements de la psychologie politique

* Barrows Susanna, Miroirs déformants : réflexions sur la foule en France à la fin du19e siècle. Paris : Aubier, 1990, 226 p.

Dorna, Alexandre Fondements de la psychologie politique. PUF, Paris 1998. Chapitre5 : « Les matrices nationales de la psychologie politique », pp. 81-175.

Rokeach Milton, The open and closed mind : investigations into the nature of beliefsystems and personality systems. New York : Basic Books, 1960. (aspects généraux)

Avec la participation d’Alexandre Dorna

Lundi 24 février:

Regards croisés :

La dimension psychologique pour les politistes

et les phénomènes politiques pour les psychologues sociaux

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 Doise, Willem, et Staerklé, Christina. “From Social to Political Psychology: TheSocietal Approach” in Monroe, Kristen R. (Ed.) Political Psychology. Londres :Lawrence Erlbaum, 2002, pp. 151-172.

Marie, Jean-Louis. « Pour une approche pluridisciplinaire des modes ordinaires deconnaissance et de construction du politique » in Marie, Jean-Louis, Dujardin, Philippe.& Balme, Richard (éds), L'ordinaire. Modes d’accès et pertinence pour les sciencessociales et humaines. Paris : L’Harmattan, 2002 ; pp. 23-68.

Hermès, n° 5-6 (« Individus et Politique »), 1989 :

-         Moscovici, Serge, « Les thèmes d’une psychologie politique », p. 13-20.

-         Dorna, Alexandre, « La psychologie politique : un carrefour pluridisciplinaire »,p. 181-199.

Avec la participation de Jean-Louis Marie (sous réserve)

Lundi 31 mars :

Regards croisés : diversité des approches

Weltman, David and Billig, Michael. “The political psychology of contemporaryanti-politics: a discursive approach to the end-of-ideology era” in Political Psychology,22/2001; pp. 367-382.

Brubaker, R. & F. Cooper “Beyond Identity” in Theory and Society 29/2000; p. 1-47.

Jovchelovitch, S. “In Defence of Representations” in Journal for the Theory of SocialBehavour 26 (2)/1996; pp. 121-135.

Augoustinos, M. “Social Categorisation: Towards Theoretical Integration” in Deaux, K.& Philogene, G. Representations of the Social. Bridging Theoretical Traditions.

Tom Bryder, “Political Psychology in Western Europe” in Hermann, Margaret G. (Ed.)Political Psychology. San Francisco : Jossey-Bass, 1986; pp. 434-466.

Avec la participation de : Michel-Louis Rouquette

Lundi 28 avril

A propos des Concepts :

l’exemple des attitudes et des concepts alternatifs qui en forment la critique

Milburn, Michael A., Persuasion and Politics. The Social Psychology of PublicOpinion. Pacific-Grove : Brooks/Cole, 1991, chap. 2 : “Attitudes and Public Opinion”,pp. 7-21

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Bergman, Manfred Max, “ Social representations as the mother of all behaviouralpre-dispositions? Notes on the relations between social representations, attitudes andvalues ”. Papers on Social Representations, vol. 7, 1998, p. 77-83. <<http://www.psr.jku.at/PSR1998/7_1998Bergm.pdf >>

Eagly, A. H. and Chaiken, S., “Attitudes” in Murchinson, C. (Ed.) Handbook of SocialPsychology. Westport : Praeger, 1984, pp. 798-844.

de Rosa, Annamaria Silvana, “Social Representations and Attitudes : Problems ofCoherence between the Theoretical Definition and Procedure of Research”. Papers onSocial Representations, vol. 2, 1993, p. 178-192. <<http://www.psr.jku.at/PSR1993/2_1993deRos.pdf >>

Lundi 26 mai .

Quelle conception du politique ?

L’exemple de l’expression des opinions

Mayer, Nonna, « La consistance des opinions. Petits exercices de démocratieappliquée », in Grunberg G., Mayer N., Sniderman P. La démocratie a l’épreuve. Paris :Presses de Sciences Po, 2002, p.

Noelle-Neumann, Elisabeth. The Spiral of Silence. Public Opinion – Our Social Skin.Chicago: University of Chicago Press 1984.

George E. Marcus, W. Russell Neuman, Michael MacKuen. Affective intelligence andpolitical judgment. Chicago: University of Chicago Press, 2000, 199 p.

Mutz, Diana C., “The Role of Collective Opinion in Individual Judgments: Processesend Effects”, in Impersonal Influence: How Perceptions of Mass Collectives AffectPolitical Attitudes. New York: Cambridge University Press 1998, p. 218-265.

Lundi 30 juin

Bilan et perspectives :

quel avenir pour une psychologie politique européenne ?

Monroe, Kristen R. « A paradigm for Political Psychology » in Monroe, Kristen R.(Ed.) Political Psychology. London : Lawrence Erlbaum, 2002, pp. 399-416.

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CONSIDERATIONS PSYCHO-POLITIQUES

SUR UNE ACTUALITE DE CRISE

Jacqueline Barus-Michel

         Chacun de diagnostiquer les crises : elles sont politiques, économiques, socialesdit-on, alors que le propre de la crise et de s'étendre rapidement à tous les secteurs quelque soit le point de départ apparent et de généraliser ses effets déstructurants . De cepoint de vue, la crise ouvertement déclenchée depuis le 11 septembre est d'autant plusexemplaire qu'elle est actuelle, que nous en sommes à la fois les témoins et les partiesprenantes. Nous faisons l'expérience directe du processus critique qui se développe àl'échelle de la planète, où les individus comme les sociétés se sentent engagés.

         L'ouverture spectaculaire de la crise à dimension internationale qui nous affecte aété signée par le retentissant coup double qui a frappé puis fracassé les Twins de NewYork. On a pu dire que cet événement traumatique était lui-même la conséquence d'unedynamique passée plus ou moins inaperçue ou à laquelle une suffisante attention n'avaitpas été portée, liée à l'accumulation de frustrations, d'humiliations, d'agressions,ressenties depuis de longues périodes par les partenaires de ce qui aurait pu rester desconflits et des rapports de force où la négociation avait encore son mot à dire, ou quipouvaient être circonscrits. Mais justement ce n'était pas encore la crise, lacaractéristique de celle-ci c'est d'éclater brusquement parce qu'un événement, parfoismince au regard de ce qui va être engagé, opère une condensation brutale d'élémentsdispersés, jusque-là minimisés, méconnus ou refoulés.

         L'événement n'est pas explicatif en soi, il n'expose rien, mais il est à la foissymptôme et symbole. Symptôme, parce qu'il est la manifestation émotionnelle, inscritedans la matérialité des faits et dans la pulsion, d'un excès de l'expérience malheureuse(imaginaire ou réelle). Symbole, parce qu'il focalise l'attention sur un signifiant, sur lemode scandaleux : le signifiant qui participait du sacré est violé ou profané. Sacrilège,l'événement explosif suscite de l'indignation  et de la peur.

         Comme l'on dit, à partir de là les choses ne seront plus ce qu'elles étaient.L'écoulement normal du temps est interrompu, l'ordre habituel des choses est balayé. La crise est inaugurée par un geste à valeur symbolique qui bouscule l'ordre dessignifiants. Les codes qui servaient à l'échange et à la compréhension descomportements sont brusquement caducs.  Comme si en attentant à un symbole, c'étaittout le système symbolique qui s'effondrait. Le scandale symbolique écrase la chaîne designifiants.

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         La crise s'accompagne d'une prolifération de l'imaginaire affranchi du critère deréalité et des codages symboliques. Le choc de la réalité a été trop formidable, ellecoïncide avec la mort (de toute façon la réalité nue ne se rencontre que dans la mort, elleest autrement toujours enrobée de représentations), le fantasme relayé par l'imaginaires'agite en tout sens pour pallier au vide et soutenir les émotions déchaînées. Les codagessymboliques, eux, ont été démonnayés, aucune des règles de l'échange n'est plusmomentanément sûre. Seul, se déploie l'imaginaire, avec des effets négatifs :amplification de la représentation catastrophique, idée que tout peut arriver et surtout lepire, rumeurs, paniques ; des effets positifs : le mythe fondateur est ravivé ainsi quetoutes les représentations idéalisantes capables de ranimer le narcissisme, rappel dupassé, récits héroïques, exemples de solidarité. L'adversaire est crédité des pires forfaitsselon le seul principe du manichéisme, autant que possible bien au-delà de ce qu'il a puréellement perpétrer.

         Désormais on ne peut réagir que sur le mode émotionnel ou passionnel, l'amour oula haine et parallèlement sur un mode manichéiste : "Il faut choisir son camp", le campdu Bien ou du Mal, de Dieu ou de Satan. Les mots n'ont plus valeur que de signauxaptes à déclencher ces émotions et faire agir sous leur emprise. C'est pourquoi lasurenchère des images en temps de crise : le langage a perdu sa fonction dialectique.Réflexion, dialogue et négociation sont devenus impossibles, on ne peut mettre desmots sur son expérience ni sur celle des autres. La crise est en quelque sorte le règne dunon-sens, elle se manifeste à coups de flashs, images plus ou moins indéchiffrables maisle plus souvent violentes, répétant le traumatisme (et ce faisant l'apprivoisant ?).

         Avec le langage c'est la capacité de faire sens qui est perdue, chacun à quelqueniveau qu'il soit dans la hiérarchie de l'information et donc de la décision, à part sonindignation, laisse voir, même en s'efforçant de la masquer, son impuissance à fournirde l'explication et de l'orientation. La sidération intellectuelle peut être masquée par lesmouvements de panique ou au contraire des élans de solidarité, elle n'en demeure pasmoins présente, ce n'est pas la cause de la difficulté à se déterminer mais l'effet de cettedésymbolisation, de la brutale caducité des signifiants usuels.

         C'est d'ailleurs essentiellement sur les émotions qu'il faudra tabler pour surmonterla crise : rituels de deuil et rassemblements unitaires (fraternels) qui cimentent ce queles rationalités n'organisent plus. C'est pourquoi, en temps de crise, les liens présentsmais oubliés dans la quotidienneté, peuvent être ressentis avec plus de force. Lasurcharge émotionnelle peut avoir inversement pour conséquence une déliaison sociale,les structures ayant perdu leur valeur de repère et de cadre, la peur du vide domine etengendre des réactions de fuite, les unités sociales se défont, les individus sont en malde contenant.

         C'est aussi cette dimension émotionnelle qui anime et fortifie ceux qui provoquentla crise. Eux-mêmes, à la suite de frustrations accumulées sont animés par la rage et lahaine, celles-ci sont renforcées au spectacle des désorganisations qu'ils occasionnent,dans une sorte de mouvement projectif (attaque) qui fait retour (surenchère).

         Le sentiment de menace est en tout cas dominant et partagé. C'est un sentiment qui

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laisse incapable d'identifier son objet, ce n'est pas qu'il n'y en a pas (ce n'est pas unepeur sans objet), mais il est protéiforme : tout peut arriver et c'est forcément le pirepuisque là non plus il n'y a pas de réponse rationnelle.

         La crise s'inscrit dès lors dans le registre de la violence et de la mort, le lienlibidinal (Eros, si l'on se réfère à une conception psychanalytique) est lui-même reprisdans la pulsion de mort (Thanatos). L'union ne se forge que pour ou contre la mort. Laviolence s'efforce à la négation de l'autre, exclusion, élimination.

         Le sentiment de menace et la confusion qui suit le traumatisme initial créent unesituation d'urgence et poussent à réagir immédiatement sur un mode concret :"Il fautfaire quelque chose, on ne peut pas en rester là". Faire quelque chose en effet c'est seréinscrire dans de la réalité, alors que l'imaginaire sidéré reste la proie de l'angoisse etque le symbolique fait défaut. En l'occurrence, le déblaiement des ruines et l'option de laguerre représentent un ré-amarrage dans de la réalité, une façon de réagir et surtoutd'organiser et de conjurer le chaos.

         Le statut de la réalité ne se borne pas à son irruption catastrophique exhibant sacharge de mort, elle est ce qui avait été négligé, écarté voire dénié et refoulé (oppressionde populations résultant de l'emprise économique, politique et militaire) parce que celacontredisait les représentations narcissiques collectives, qui fait retour et, tout le tempsde la crise, contribue à appesantir les efforts de rétablissement ou de riposte.

         La catalyse critique opère une déconstruction du système de défense qui voilait lescontradictions et orientait les conduites et le sentiment de vulnérabilité est d'autant plusgrand que, face à la montée de l'angoisse liée à des menaces indéfinissables, les paradeshabituelles semblent devenues obsolètes.

         La société mise en crise (généralisée : morale, culturelle, économique, sanitaire…)subit l'intrusion d'un corps étranger, ses premières réactions de rejet sont réflexes maissouvent ce sont les seules qu'elle est capable de poursuivre par défaut de connaissancede l'agresseur, d'autre part, la crise met dans l'urgence et l'immédiateté, et les réponsessont difficilement élaborables autrement que sur les modes les plus traditionnelsdevenus réflexes (riposte armée, bombardements). C'est spécifique de la crise de neparaître laisser aucune voie de résolution tellement elle a brouillé tous les réseaux designifiants et bloqué les antagonismes dans le système binaire de l'affirmation de soi etdu refus de l'autre.

         La guerre est le prolongement de la crise par des moyens organisés, elle permet deporter et renvoyer la crise à l'extérieur. C'est une stratégie de récupération des énergiesqui permet aussi de réinvestir la rationalité dans des moyens et dans des objectifs. Larécupération des idéaux se fait par un retour vers les valeurs qui furent pionnières, quel'histoire semble avoir ratifiées (on invoque les vieux mythes), cela accompagne  unerégression politique, signe de la crise mais présentée comme un mal nécessaire (mesuressécuritaires, contrôles accrus, actes racistes). Les archétypes religieux ou idéologiques,fournissent des références idéalisantes susceptibles de drainer émotions et pulsions quipermettent aussi de supporter le climat de mort ou même de l'instrumenter parl'émergence de héros et de martyrs.

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         Paradoxalement, le processus sacrificiel qui inaugure la crise y opère aussi uneffet de condensation résolutoire. Le passage à l'acte déclencheur de la crise proposed'abord ses auteurs comme les héros sacrifiés de causes (et de souffrances) indicibles,ceux qui ont eu le courage de manifester l'insupportable en le renvoyant en quelquesorte au responsable présumé.  Les victimes, quelles qu'elles soient, sont assimilées(dans un amalgame symptomatique de la confusion émotionnelle) aux responsablesdésignés et considérées comme expiatoires. A leur tour et dans les deux campsantagonistes, les individus ou les populations qui volontaires ou non seront desnouvelles victimes prendront valeur de héros et de martyrs, leur  figure glorieusecondenseront les émotions, draineront les identifications et par delà les énergies, enfinauront un effet unificateur. 

         Le héros fournit de l'identité, le monstre (qui est le héros du camp adverse) fournitun abcès de fixation pour la haine, l'un et l'autre absorbent les foules dans une mêmecommunion.

         Des deux côtés antagonistes brusquement affrontés dans la crise, se retrouvent desmécanismes très proches, comme s'ils étaient des images inversées dans un miroir. Depart et d'autre il s'agit d'un problème d'identité, d'unité et de sens. L'une et l'autre partiesont vu ou voient celles-ci mises en question et elles-mêmes mises en danger.

         Les antagonistes développent des processus en miroir. C'est en miroir que lesproblèmes d'identité résument à la fois les causes et les effets de la crise. D'un côté uneidentité qui se cherche, s'éprouve comme déniée, en butte aux humiliations et auxbrimades ; l'identité est traduite en termes de dignité et dégénère en revendication detoute-puissance. De l'autre une identité naïve lourdement entachée du fantasme detoute-puissance, soudainement ébranlée dans ses certitudes et atteinte au cœur de sasymbolique narcissique. Des deux côtés, en ordre inverse, perte ulcérante etrevendication possessive.

         L'attentat sait bien ce qu'il vise, le fond du problème, un narcissisme politiquecollectif, en même temps il l'ignore parce qu'il ne le perçoit que chez l'autre, dans lemiroir. Ce mimétisme, non des situations mais des réactions, est induit par le fait que lesreprésentations des parties engagées dans la crise sont déconnectées d'une réalité que laraison ne peut plus saisir.

         Ce même mimétisme pousse à la violence, se conformant aux hypothèses de RenéGirard, comme si l'autre était insupportable d'être à la fois si pareil et si étranger, dansune indistinction ravageuse : on ne peut s'en démarquer alors qu'il apparaît comme vitalde le faire. Les antagonistes sont identifiés l'un à l'autre quasi sur le mode del'incorporation (d'ailleurs les témoins sensément partiaux et extérieurs à la criseprétendent discerner des connivences louches et des responsabilités réciproques), c'est àun niveau très profond que les uns sont hantés par les autres, les intégristes parl'hyper-modernisme, les libéraux par une orthodoxie cynique.

         Au milieu de la crise, il leur faut avoir raison sans les moyens de la raison : dans laviolence. Chacun s'accuse d'avoir perpétré la violence inaugurale, l'acte le plus

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spectaculaire (l'attentat) est dénié par ses auteurs qui confondent obstinément les motifsqu'ils se donnent, leurs appuis objectifs, avec l'irruption de la haine réactive. Cetteconfusion ne fait que prolonger l'identification dans une réciprocité meurtrière. Leraisonnement différenciateur qui autoriserait une dialectique conflictuelle estimpossible. Que l'autre ne soit pas un saint (même de très loin) suffit pour être, soi,assassin. C'est le principe du talion : la prétention entêtée à la symétrie, la réaction enmiroir qui poursuit la confusion-identification entre la victime et le meurtrier. C'est ledéni de toute justice fondée sur l'intermédiaire du débat raisonné, et l'arbitrage desresponsabilités et dommages et des réparations.

         Il ne faut pas induire du phénomène mimétique ce qu'il tend à imposer : que lestorts soient systématiquement partagés ou même inversés, c'est en effet de la mêmefaçon que le violeur prétend que sa victime l'a (bien) cherché et même provoqué (pardes attitudes aguichantes) et a trouvé son bénéfice dans l'agression. S'il peut être vraique son comportement faisait courir des risques conscients ou inconscients à la victime,cela ne suffit pas à en faire la responsable de l'agression ni à la renvoyer dos à dos avecl'agresseur.

         Selon un principe de généralisation propre à la crise, celle-ci gagne de proche enproche. Les unités sociales extérieures (sociétés alliées ou clientes) dans une plus oumoins grande proximité, en liens de solidarité organique (économique, politique ouculturel) ou prises à témoins, ne tardent pas à être happées dans le tourbillon critique, etcontaminées par l'inflation émotionnelle, la dégradation du symbolique. L'imaginaire decatastrophe amplifié par l'usage des images-chocs exerce un effet de fascination etobture le jugement, les arbitrages possibles se dérobent ainsi que les occasions denégociation. Des crises déjà existantes par ailleurs (conflit israélo-palestinien) viennenttélescoper au risque de l'amplifier la dynamique destructrice.

         On dira que c'est là une conception dure de la crise, mais ces processus sontcommuns à toute crise, que les manifestations et les passages à l'acte soient ou nonexacerbés et spectaculaires, sporadiques ou généralisés. Ils sont bien présents, visiblesdans la crise ouverte par le fracas du 11 septembre et ses développements.

         Essayant de contrer la dégradation du symbolique on assiste aussi et heureusementà un travail de la parole, à travers les débats dans les journaux, les interventionsd'intellectuels, de politiques. Les instances dirigeantes sont, elles, prises au piège de lastratégie du secret, la crise commande en effet que l'on ne livre pas d'informations auxadversaires, la parole est recouverte par la propagande, le mensonge officialisé, ce quirenforce la dégradation du symbolique. Les prises de parole et les débats permettent deréamorcer la pensée et de contrebalance le choc des images. Celles-ci sont pour autantnécessaires : elles sont une première étape pour s'extraire du fantasme et familiariserune réalité traumatique Le débat permet, lui, une assimilation intellectuelle et laconstruction de sens.

         Les réalités, réalismes, finissent par user la crise. L'excès et la durée des sacrificespuis le doute défont les blocages unitaires réactionnels au sentiment d'égarement, lapeur de la mort remet Eros en scène ou les mécanismes de défense type culpabilité,

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renoncement, rationalisation.

         On retourne aux négociations. On reparle, on s'en sort tant bien que mal.

On reconstruit des systèmes d'échange et de régulations internes ou entre partenaires.On envisage des modes de co-existence dans l'avenir. L'imaginaire retourne sousl'administration du symbolique

Novembre 2001

Jacqueline Barus-Michel

Professeur émérite de Psychologie sociale

Université Paris 7-Denis Diderot

Réf.  Biblio. J.Barus-Michel, F.Giust-Desprairies, L.Ridel. Crises. Approchepsychosociale clinique. Paris, Desclée de Brouwer, 1996

 

 

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LES PERSPECTIVESDE CONTRÔLESOCIAL OFFERTESPAR LEBEHAVIORISMELe leadershippolitique en Russie –de Gorbatchev àPoutine (grandestendances)Le terrorisme : unsujet d’étudescientifique ?

 

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 Le leadership politique en Russie – de Gorbatchev à Poutine (grandestendances)

 Alexandre MELNIK

 

 

         Les grandes tendances du leadership politique en Russie épousent la tumultueusetrajectoire de ce pays, depuis le début de la « perestroika » en 1985 jusqu’à nos jours.

         Du passé faisons table rase

         Les réformes lancées par Mikhail Gorbatchev ont débouché sur un véritabledéfoulement social. Les énergies bridées et refoulées par un régime coércitif, pendanttrois générations, ont éclaté au grand jour. Tout un peuple, qui se croyait condamné aumutisme et à la cécité, a soudain retrouvé la parole et la vue. Les langues se sontdéliées, les yeux – entr’ouverts. Euphoriques, les Russes se sont alors lancés à lareconquête de leur mémoire et de leur identité confisquées par le système soviétique.

         Cette bourrasque a propulsé au firmament politique les leaders portant desdiscours pro-occidentaux, à l’opposé de la propagande soviétique. Une nouvelle pléaidedes « enfants politiques de la perestroika » est née en phase avec son époque - celle dela transition. Ces « têtes pensantes » du leadership post-soviétique de la première heureont conquis un pays qui a basculé d’un régime à l’autre, en un laps de tempsétonnamment court. Les ex-Soviétiques admiraient leur liberté de parole et leur sens dela communication en disant que « chez nous, les politiques deviennent enfin presquecomme en Occident ».

         De cette pléiade, quelques fugures emblémathiques méritent d’êtrerappelées :               - Anatoli Sobtchak, le maire de Saint-Pétersbourg qui a rendu, en1992, à sa ville son nom d’origine et dont le talent d’orateur exercé au cours despremiers débats télévisés a enflammé ses compatriotes coutumiers de la « langue debois » ;

-         Andrei Sakharov, prix Nobel de Paix et symbole de l’intégrité ethique -longtemps ignoré en son pays, avant d’y être investi d’un rôle politique ;

-         Vitali Korotich, rédacteur en chef de la revue « Ogoniok » ayant ouvert sescolonnes à des auteurs russes en exil, interdits ou inconnus dans leurs pays (VladimirVoinovitch, Vassili Aksenov, Anatoli Gladiline), un acte de courage qui en a fait unleader politique populaire ;

-         historien Iouri Afanassiev qui a eu la primeur d’avoir dénoncé les crimes de

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Lenine alors que Mikhail Gorbatchev réclamait un « retour aux sources leninistes » dusystème soviétique ;

-         physicien Iouri Rijov qui, après avoir séduit par ses doctrines libertaires un

Boris Eltsine, en pleine traversée de désert en 1988, a préféré le poste d’ambassadeur deRussie à Paris à celui de Premier ministre de la Russie post-soviétique ;

-         Gavriil Popov, un intellectuel parachuté au poste de maire de Moscou, aulendemain de la chute du système soviétique, pour piloter les privatisations de lacapitale ;

-         Serguei Stankevitch – jeune, dynamique, rigoureux, « occidentalisé », il semblaitincarner l’avenir de nouvelles élites politiques, avant de sombrer dans un scandalefinancier dont il ne s’est jamais remis ;

-         Egor Gaïdar – ex-chercheur économiste et Premier ministre « kamikaze », qui, àl’âge de 36 ans, a osé une « thérapie de choc » (brutale introduction de l’économie demarché, libération des prix, privatisations, ouverture des frontières) dans une Russiedéboussolée en 1992 ;

-         Anatoli Tchoubais – le « père » du programme de privatisations, à l’enverguresans précédent dans l’Histoire, de combinats militaro-industriels de l’ex-URSS ;

-         Piotr Aven qui, fort de son portefeuille ministériel, a cassé, en 1992, le sacré-saint« monopole d’Etat » sur le commerce extérieur de son pays, en ouvrant ainsi àl’international des miriades de futures PME (actuellement, il est le patron du groupefinancier Alpha)

         Autant de figures de proue du nouveau leadership russe qui avaient en commun unprofil intellectuel, voire universitaire, leur penchant pour une ouverture de la Russie surle monde extérieur et, surtout, leur attachement aux valeurs occidentales. Hors del’Occident, point de salut pour la Russie, proclamaient-ils en prenant parti dans lasempiternelle polémique entre « occidentalistes » et « slavophiles » qui transcende toutel’histoire de la Russie. Selon eux, leur pays ne saurait se reconstruire et se moderniserque selon un modèle occidenal avec ses ingrédients clés : Etat de droit, économie demarché, liberté d’expression, société civile, etc.

         A l’époque, l’opinion publique russe, lasse du soviétisme avec son cortège depénuries et de restrictions, était globalement favorable à ces « occidentalistes », sanstoutefois comprendre et intérioriser leur message à cause de sa totale ignorance dumodèle occidental dont se réclamait le nouveau leadership.       

         Ce fut l’effet d’un fruit longtemps défendu et brusquement autorisé, même« déifié », devenant ainsi l’objet de toutes les convoitises. Du passé faisons table rase –voilà ce qui guidait, au début des années 90, les Russes qui, au sortir d’une « anomaliehistorique », aspiraient à une seule chose - la « vie normale ». Les termes « norme » et« normalité », sommairement identifiés au mode de vie occidental, dominaient, àl’époque, le débat intellectuel dans le pays.

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         Avec le recul, on note que cette adhésion de défoulement portait en germe lesfuturs déchirements identitaires de la jeune société russe.

         Une nouvelle identité russe

         En effet, l’univers dans lequel les Russes ont été projetés après la chutel’Etat-providence, leur a réservé bien des surprises. L’irruption du système capitalisteavec ses implacables lois du marché et de la concurrence a nourri une nostalgie dupassé. A cet égard, les derniers sondages sont éloquents : en 2002, six Russes sur dixdisaient regretter l’époque soviétique ! Non celle du Goulag et des files d’attente pourles produits de première nécessité, mais celle de certains avantages sociaux paraissantaujourd’hui astronomiquement lointains : absence de chômage, gratuité des soinsmédicaux et de l’éducation, aspect familial et convivial des années 60-70. Désabusés,les Russes plaisantent aujourd’hui en disant que « ceux qui ne regrettent pas l’URSSn’ont pas de cœur, mais ceux qui veulent la restaurer n’ont pas de cerveau ».

         Parallèlement, une nouvelle soif de puissance remonte dans un pays-continent tropfier pour digérer la perte de son statut international et celle de ses anciens territoiresdevenus indépendants après 1991. Une question, aussi pertinente que vaine, taraude lesRusses : pourquoi avons-nous cédé, d’un trait de plume, tant d’espace que nos tsars,puis nos dirigeants communistes avaient conquis, au fil des siècles, par le fer et par lefeu ? La perspective de voir l’OTAN (diabolisée par la propagande soviétique)s’installer à ses frontières, l’adhésion à l’Union européenne d’anciens satellites del’ex-URSS, l’image internationale de la Russie souvent réduite à une caricature de lamafia, de la corruption et de la misère – autant de nouveaux avatars qui sont vécus parles Russes, jusque dans les milieux intellectuels en principe pro-occidentaux, commeune «gifle humiliante » ou une source de souffrance (un tel phénomène est d’ailleursconnu en médecine sous le nom du « membre fantôme », à savoir une sentationdouloureuse qu’éprouve un sujet à l’endroit d’un membre amputé comme si ce dernierétait encore présent). En d’autres termes, il s’agit d’un message émanant de la société etdont le leadership politique est obligé de tenir compte

      Autre « terreau » du leadership russe de la fin des années 90 - début 2000 : unphénomène d’insécurité en raison de la menace terroriste associée à la guerre enTchétchénie. Un phénomène encore plus pesant depuis que cette guerre a fait irruptiondans la capitale russe pendant la prise d’otage en septembre dernier.

     A cet égard, notons au passage que, contrairement à la France et aux Etats-Unis desannées 60, où les guerres – respectivement en Algérie et au Vietnam – ont suscité unsursaut contestataire, la Russie d’aujourd’hui, handicapée par le caractère embryonnairede sa société civile, reproche à ses leaders politiques non les exactions perpetrées enTchétchénie, mais, au contraire, le manque de force et de détermination pour vaincre les« bandits » et – maintenant - les «terroristes ».  L’un des rares leaders politiques quis’oppose (timidement) à cette guerre, Grigori Iavlinski est accusé d’« anti-patriotisme ».

     Il devient clair que cette guerre en Tchétchénie favorise l’émergence d’une nouvelleidentité nationale qui repose sur trois socles fondateurs : Etat – patriotisme –

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orthodoxie. La fermeté et l’autorité deviennent ainsi les mots-clés du nouveauleadership russe.

     Un leadership à une tête

     Dans ce contexte, l’ascension de Vladimir Poutine semble logique. En dominantl’échiquier politique, il incarne à lui seul ce nouveau leadership. Aujourd’hui, 78% desRusses émettent un avis favorable sur son action et sa personnalité. Son exceptionnellecote de popularité a même grimpé jusqu’à 83% au moment de la prise d’otage àMoscou, lorsqu’il a su montrer une « main forte » en ordonnant l’assaut et l’usage degaz (129 morts parmi les spectateurs du théâtre). Jamais depuis la deuxième guerremondiale (appelée en Russie la  « Grande Guerre Patriotique »), le pays n’avait étérassemblé autour de son leader de façon aussi unanime et spectaculaire. Aux tournantscruciaux, le dirigeant suprême (vojd, en russe) - du tsar au président en passantle secrétaire général - reste, pour les Russes, le dernier recours.

      En substance, le succès de Poutine tient à trois raisons.

      D’abord, à l’instar de Louis-Philippe en France, il excelle dans son rôle de« réconciliateur » d’une grande nation, à l’issue d’une période de cassures et debouleversements. Dans cette optique, l’ex-lieutenant colonel du KGB a fait ressusciterdeux vestiges tsaristes : aigle bicéphale et drapeau tricolore de Saint-Andrei, avant deremettre au gout du jour l’hymne soviétique et le drapeau rouge (sans faucille nimarteau) comme bannière d’une armée en mal de réforme. Cette démarche consensuellerépond à une nostalgie, lancinante, de ses compatriotes d’un cadre de vie stable,ordonné et avec des règles du jeu clairement établies.

       Puis, les Russes, frustré du « bavardage » des années Gorbatchev et du« laisser-aller » de l’époque eltsinienne, apprécient son pragmatisme, sa rigueur, sapoigne et sa ténacité. C’est « un vrai patriote russe qui agit », disent-ils, en l’opposant àceux qui ne font que parler. Quant à ses dérapages verbaux, qui auraient provoqué untollé dans un pays occidental, comme celui – à l’allure de « feuille de route » pourl’intervention en Tchétchénie - « nous buterons les Tchétchènes jusque dans leschiottes », ils ne font que contribuer à sa popularité.

       Enfin, Vladimir Poutine a redonné à ses compatriotes une certaine fierté d’êtreRusse. Surfant sur la vague anti-terroriste mondiale, leur pays, membre du G-8, rejoue,en matière géostratégique, dans la « cour des grands ». Sous Poutine, la Russie a aussiperdu de sa légendaire et redoutable imprévisibilité : plus de crises politiques ni derumeurs de putsch ; paiement en heure des salaires et des retraites (médiocres) ;meilleure maîtrise des fondamentaux macroéconomiques (croissance soutenue, inflationjugulée, budget excédentaire, etc), respect de ses engagements vis-à-vis des créanciersinternationaux.

      Conclusion

      L’actuel leadership politique russe est à l’image de la Russie d’aujourd’hui.

      De cette Russie sortie humiliée et exsangue du communisme pour tenter une

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éphémère « lune de miel » avec l’Occident, mais vite désenchantée et reprise en mainpar un nouveau « tsar » se disant « démocrate », en l’absence de tout contre-pouvoir, etqui - à défaut de changer la Russie - semble vouloir changer, en priorité, la perceptionque les Russes ont d’eux-mêmes.

      Une Russie qui rêve de se refaire un destin sur mesure en reprenant la main surl’arène internationale, mais qui, empêtrée dans ses contradictions, hésite et oscille,balançant entre patriotisme exacerbé, envie de fierté, désespoir sans fond et incurablemal  de vivre en quête de sa nouvelle identité – entre nostalgie et reconnaisance.

      Une Russie post-soviétique pour laquelle l’univers occidental – avec son modèle duleadership politique - n’est plus un modèle, mais, au mieux, une référence.

      Alexandre Melnik

     

 

 

 

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 Le terrorisme : un sujet d’étude scientifique ?

Pierre Mannoni

 

La revue Science et Vie (Avril 1979, n° 739) posait déjà la question de savoir si l’onpouvait soumettre le Terrorisme à l’analyse scientifique. Une soixantaine depsychologues et de psychiatres, représentant huit pays, réunis à Berlin, étaient d’accordpour l’admettre. Parmi eux se trouvaient des spécialistes comme D. Hubbard, Directeurdu Centre d’études des comportements aberrants à Dallas ou B. Jenkins, de la RandCorporation à Santa Monica. Cependant, c’est surtout sur la personnalité du terroristeque les réflexions des chercheurs ont alors porté, aboutissant à distinguer entre lecriminel de droit commun et le terroriste.

Or, cette dimension « clinique » ne saurait épuiser un tel sujet, et il nous est apparunécessaire de prolonger les investigations en ce qui concerne les modalités d’actionpsychologiques et psychosociologiques du phénomène Terrorisme, notamment en tantqu’il agit à la manière d’une procédure d’influence, retentissant de façon importanteaussi bien sur les capacités cognitives des populations que sur leur vie sociale. Laprofondeur et la gravité des ébranlements cognitivo-émotionnels déterminés par lesattentats nous a paru relever des intérêts de la psychologie sociale, et nous a conduit àsoutenir, en 1980, devant l’Université de Nice, une thèse d’Etat sur le sujet : Lespouvoirs psychologiques du terrorisme. C’est le texte de soutenance de cette thèse quifigure ci-après. Cette publication « tardive » vient tout de même à propos pour rappelerque, bien avant les événements du 11 Septembre 2001, le Terrorisme, en particulierdans sa dimension psychologique, appelait l’attention et représentait déjà un sujetd’étude scientifique à part entière. Publication qui doit tout à l’intérêt que le ProfesseurA.Dorna lui a témoigné : qu’il en soit ici remercié.

Texte de soutenance de thèse pour le Doctorat -ès -Lettres et Sciences humainesprésentée par Pierre MANNONI  sur :

LES POUVOIRS PSYCHOLOGIQUES  DU TERRORISME

Comme tout ce qui est violent le terrorisme retentit sur la situation psychologique deceux qui ont à le subir. Il détermine chez eux un certain état tant affectif qu'intellectuelqui nous a paru devoir retenir l'attention des psychologues. C'est donc cet état de terreurqui envahit l'esprit des victimes soumises aux attentats qui fait l'objet de la présenterecherche.

On connaissait déjà les études à caractère historico- politique, philosophique, moral oujuridique portant sur le terrorisme. Ou encore les bilans psychiatriques intéressant lapersonnalité ou les motivations de ses agents.

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Ces travaux présentent l'inconvénient commun d’être fragmentaires et surtout decomporter des tendances normatives très apparentes. Une démarche à caractère plusobjectif, dans une perspective psycho-sociologique semblait par conséquent nécessaireafin d'atteindre à une meilleure compréhension, voire à une explication, de cephénomène, du moins pour ce qui touche à son mode d'action.

Il s'est donc agi, en substance, pour nous d'analyser le retentissement des attentatsterroristes, sur le psychisme collectif.

Cette interrogation sur les conséquences psychologiques d'une exposition à la menaceterroriste faisait, en effet, défaut, ce qui nous a encouragé à nous orienter dans cettevoie. Mais une telle démarche supposait que les effets des attentats présentaientsuffisamment de particularités pour être distingués des produits de la violence entenduedans un sens plus général. Et l'examen des faits nous a confirmé que le retentissementsur les esprits provoqué par le terrorisme oblige à dépasser l'interrogation classique denos jours sur l'impact de la violence. Des produits de cette dernière, à l'état ‘simple’pourrions-nous dire, on a beaucoup parlé, même si l'on n'a pas encore tout dit. Mais decette violence extrême et systématique que représente le terrorisme, on constatedavantage les effets qu'on ne comprend comment elle agit sur les individus. C'estpourquoi nous nous sommes intéressé, dans ce travail, à la nature de ce pouvoir depression sur les groupes humains. Considéré sous cet angle, le terrorisme nous estapparu non plus tellement comme un sujet d'actualité que comme un phénomèneintéressant au premier chef, ce qu'on a appelé dans un passé assez prochel'inter-psychologie et la psychologie des foules (ou des masses), thèmes qui sont depuisintégrés dans le cadre de la psychologie sociale. Envisagée dans cette perspective, notrerecherche se rapproche de celles qui sont actuellement conduites sur l'influence socialeet, plus précisément encore, d'une optique comme celle de S. MOSCOVICI (1979) quiaborde le problème sous l'angle des minorités actives comme facteur de changementdans le grand groupe.

Or, pour répondre à la question de savoir comment joue l'influence sociale exercée parle terrorisme et en quoi celui-ci mobilise une constellation psychologique spécifique, ilnous a fallu au préalable préciser ce qu'était ce terrorisme que nous prétendions aborderet quelles étaient ses cibles.

Une enquête rapide nous a montré que parler de ce phénomène en général risquait den'avoir guère de signification étant donné qu'on en recense pas moins de vingt-troisgenres différents en fonction des temps ou des lieux de leur apparition. Partant de lànous avons cru bon de privilégier, dans notre approche et de limiter à elle notre étude,une catégorie particulière de terrorisme que l'on désigne d'ordinaire sous ladénomination de terrorisme ‘d’en-bas’ (ou du contre état): celui-ci est pratiqué le plussouvent par de petits groupes ne disposant que de faibles ressources militaires. Quantaux cibles, nous en reparlerons plus loin, indiquons seulement que le terrorisme enquestion nous a paru viser les esprits ou, pour mieux dire, la mentalité collective et sesfacultés à fantasmer. Ainsi le terrorisme apparaissait bien comme une procédurepsychologique agissant essentiellement par des idées sur des idées et il était cohérent dedemander à la psychologie d'en rendre compte. Ainsi encore s'est élaboré notre

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hypothèse de travail selon laquelle le terrorisme nous a semblé pouvoir être définicomme un laboratoire de la peur ou, si l'on préfère, comme une technologie del'imaginaire. C'est comme tel, d'ailleurs, que nous en avons fait notre sujet d'étude et quenous nous sommes efforcé, de mettre en évidence les mécanismes psychologiques quidéfinissaient son pouvoir sur ses victimes. Telle a été la principale justification de notrerecherche. Mais il nous faut sans doute la compléter par l'aveu d'une motivation plussecondaire et subjective. Si tant est qu'il est vrai, en effet, que l'on met toujours desoi-même dans les objets de sa recherche, comme le suggère A. BESANCON [1] , ils'est aussi agi pour nous de conjurer des démons personnels puisque nous avons faitl'éprouvante expérience, durant de longues années, des attentats terroristes. Expériencequi présente au moins l'avantage de nous mettre à l'abri de la spéculation en chambre,risque majeur auquel on est exposé lorsque l'on traite un sujet de ce genre.

Les difficultés d'approche n'ont pas manqué pour autant. Nous avons essayé de lescontrôler au mieux en appuyant notre démarche à la fois sur la psychologie sociale et lapsychologie clinique. La première nous a permis de découper dans le réel le matérielnécessaire à notre étude: nous avons donc, comme c'est admis en psychologie sociale,considéré que les faits historiques tenaient lieu d'expérimentation naturelle. Notreréflexion a porté, en conséquence, sur le tissu événementiel que les terroristeseux-mêmes mettent quotidiennement à notre disposition, à quoi nous avons rajouté lesdocuments éventuels y afférant. Cette procédure, intégrée dans une démarchedocumentaliste assez large a été complétée par une enquête sous forme de questionnaireet une analyse de contenu des compte-rendus de presse, eux aussi empruntés àl'actualité. Quant à la psychologie clinique, elle nous a fourni les instruments d'analyseles plus appropriés à éclairer la constellation affectivo-intellectuelle mobilisée par leterrorisme.

Une telle perspective laisse probablement beaucoup à désirer et à plus d'un titre: lesvoies et instruments de la recherche que nous avons retenus ne sont ni les seuls nipeut-être les meilleurs; la population qui a servi à l'enquête n'a pas eu toute l'étenduequ'on pourrait souhaiter; le questionnaire lui-même comporte sûrement desimperfections, même si le traitement des résultats chiffrés a pu se faire avec une certainerigueur grâce au concours d'un ordinateur. Il était, en outre, quelque peu aventureux,sans doute, de chercher des signes et des symboles dans les blessures utilisées par lesterroristes et a fortiori de les présenter comme une sorte de langage.

Mais le sujet, par sa nature et les difficultés d'approche qu'elle implique, plaide enfaveur d'une certaine indulgence. La faiblesse de la population interrogée par voie dequestionnaire s'explique, pour sa part, par le fait que cette technique n'était ici ni unique,ni principale, mais seulement un complément de la démarche d'ensemble. Quant à laperfection en matière de questionnaire, elle est à coup sûr très rare. Enfin, nousconsidérons comme recevable l'idée d'une interprétation des blessures (intentionnellesnotamment) en tant que système de signes surtout si l'on se réfère, par exemple, àl'investissement du corps par l'ornementation ou les atteintes rituelles qu'attestent lestravaux des anthropologues et des psychanalystes.

Sous réserve, par conséquent, des précautions méthodologiques susdites et des limites

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que notre sujet nous imposait, nous nous sommes penché sur le mode d’action de celaboratoire de la peur qu'est le terrorisme en caressant l'espoir d'éclairer quelque peu lanature de l'état de terreur suscité par ses attentats.

Nous avons ainsi abouti aux résultats suivants :

Une des clefs commandant notre démarche résidait dans la définition des cibles duterrorisme. Nous avons estimé nécessaire et suffisant de distinguer entre deux sortes devictimes: - les victimes directes qui tombent sous les coups des terroristes et sont doncles porteuses de blessures : elles sont une infime minorité. Les victimes indirectes, quine subissent d'autre atteinte que psychologique et représentent la grande masse desindividus : nous y voyons les ‘vraies’ cibles du terrorisme.

Celui-ci mène le combat pour l'accaparement de leurs esprits (pour les autres, quandelles ne sont pas mortes sous les balles ou dans les explosions, il n'est que trop évidentqu'elles sont "terrorisées").

- Se distinguant ainsi des objectifs militaires classiques, dont le but est de détruire leplus grand nombre d'ennemis grâce à la plus grande puissance de feu possible, leterrorisme nous est apparu comme une machine de guerre d'un "nouveau" genre, menantnon plus tellement une lutte contre des soldats ou du matériel, mais par-dessus tout un‘combat selon l'imaginaire’, suivant l'expression de J. SERVIER (1979).

- Ainsi défini, le terrorisme appara1t nettement comme une technologie psychologiquedont il faut -c'est du moins la tâche que nous nous sommes fixée appréhender lesressorts.

Le principal est très probablement le chantage à la douleur et à la mort. La procéduren'est ni nouvelle ni originale: en tous temps et en tous lieux on a torturé, tué, violé dansdes circonstances diverses où le pénal le disputait au mysticisme ou au fanatisme. Maisil ne s'agissait encore, le plus souvent, que de broyer les corps sous un appareilmagistral. Peu à peu, une "pédagogie" insinuante s'est fait jour à travers cetteadministration de la souffrance: elle devait culminer dans le terrorisme qui,abandonnant la surface tégumentaire, et même cette trompeuse profondeur des chairsouvertes, lacérées, déchirées, investissait ce tréfonds de l'être, cette part radicale de lui-même au-delà de laquelle il n' y a plus rien: l'âme.

Historiquement, à partir de 1793, mais en réalité bien plus tôt (au moins à partir del'inquisition [2] encore que toujours à travers le même dédale de plaies, se met en placeune procédure d'accaparement des esprits.

Nous venons de la définir comme thanatophanie. Et il est de fait que la peur etl'angoisse sont des pré-dispositions affectives fondamentales, présentes chez tous lessujets. Or, il n'y a pas de peur ou d'angoisse qui ne soient, de près ou de loin, peur ouangoisse de la mort. Il suffit donc, pour se donner un pouvoir sur les hommes, d'agiradéquatement sur de telles prédispositions. Le plus sûr moyen, et les terroristes l'ontbien compris, est de leur donner l'impression qu'à tout moment et en tout lieu ilspeuvent être surpris par la mort. Et pas n'importe quelle mort, mais de préférence un

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trépas couronné de supplices dont l'évocation est à elle seule déjà une épreuve difficile àsoutenir. C'est alors qu'interviennent les victimes directes, complices involontaires etinattendues des terroristes, pour frapper l'imagination des victimes indirectes. Là encore,la technique est simple: on accable celles-là des coups dont on veut effrayer celles-ci.Comme leur nombre est très limité, il faut compenser le défaut de la quantité parl'intensité des images. C'est pourquoi on assiste, dans les cas les plus éloquents, commecelui du terrorisme algérien que nous avons choisi comme principal exemple, à unemultiplication des blessures ante et post-mortem. Multiplicité déjà significative en soi.Mais les choses n'en restent pas là: chaque plaie est elle- même porteuse de sens et ildevient possible d'esquisser, à travers leur réseau, toute une symbolique, véritable"écriture de sang" selon l'expression de B. Gros (1976), où surgit le discours terroriste.L'état de terreur se ramène, pour l'essentiel, au déchiffrage par les victimes indirectes decet éprouvant message.

Celui-ci peut avoir deux aspects complémentaires : selon que l'accaparement des espritsqui en procède directement relève de la dynamique des fantasmes et de l'affectivité oude l'érosion des facultés d'appréhension intellectuelle du réel.

Dans le premier cas, la pensée est obsédée par de bouleversantes images où lareprésentation de la mort même le cède à celles des corps morcelés, déchirés, dévastés.Où les femmes et les enfants, protégés d'ordinaire dans toutes les cultures civilisées,sont ici préférentiellement mis en pièces. Les couches les plus profondes du psychismesont de la sorte ébranlées par des évocations qui empruntent leurs séquences les plusréussies à l'archaïsme le plus radical.

Ce déferlement obsédant de fantasmes n'est pas sans évoquer une activité psychologiquequasi-hallucinatoire, et il semble que l'on soit fondé à parler alors de pseudo-délire. Et,en effet, tout porte à croire que l'état de terreur est l'une des formes que peut prendre lapathologie collective. Surtout si on y rajoute les éléments relatifs au retentissement surl'activité intellectuelle des sujets avec ce qu'elle suppose d'affaiblissement de ladémarcation entre le réel et l'imaginaire, d’amoindrissement de l'esprit critique, dedéformation du jugement et de perturbation de l'équilibre mental.

Enfin, la dynamique des fantasmes sur laquelle s'appuie le terrorisme possède certainesparticularités qui clôturent le système sur lui-même : face à la démesure et à l’ubiquitédes blessures consécutives aux manoeuvres terroristes, comme dans tous les cas où il estviolemment ébranlé, l'imaginaire cherche une réparation. Mais il s'efforce en vain d'effacer les représentations qui ont été suscitées en lui par les attentats. Ceux-ci résistentà tout effort tenté dans ce sens. Le psychisme reste donc, quoi qu'il fasse, l'otage et lecaptif de ce qui l'accable: c'est l'une des caractéristiques majeures de l'état de terreur.

Une deuxième caractéristique fondamentale repose sur la surdétermination des imagesde mort liées au risque terroriste, comme nous l'avons déjà dit. Tomber entre leursmains équivaut à la promesse d'un abîme de souffrances. Dans un récent ouvrage, L. V.Thomas (1980) nous rappelle que mourir, c'est pourrir. Les terroristes s'appuient sur uneautre équation imaginaire suivant laquelle mourir, c'est souffrir et, par renversement,souffrir c'est plus que simplement mourir, c'est mourir d'une mort multipliée, d'une mort

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qui n'en finit plus.

Un autre caractère lié aux précédents, réside dans l'appréciation erronée du pouvoir réeldes terroristes et dans une illusion totalement irrationnelle concernant leur omnipotence.Celle-ci rejoint les vieilles angoisses primitives de l'enfance à l'égard des imagesparentales, toujours redoutables par un certain côté. La conviction que cette terriblepuissance est une réalité, et non le fruit de leur imagination, conduit les sujets exposés àla terreur, à se croire totalement démunis, faibles, à la merci d'un pouvoirdiscrétionnaire. L'inhibition qui en résulte conduit à un véritable apragmatisme défensif: chacun est enfermé dans une étouffante névrose obsidionale, d'autant plus difficile àsupporter qu'elle est individuelle, et que la cohésion du groupe, qui aurait pu jouer unrôle de soutien, est rendue impossible par la désorganisation et 1a déstabilisationintroduite par le terrorisme.

En conséquence, nous proposons de reconnaître, devant un tel tableau, un syndrome dedétresse affective.

Et comme si les attentats ne suffisaient pas à provoquer et entretenir la détresse enquestion, les mass media, jouant comme une formidable caisse de résonance, viennenten multiplier les effets.

Fournissant aux terroristes le support psychologique nécessaire à leur propagande, lesjournalistes se font terroristes sans le savoir - naïveté bien regrettable - et assurent auxagents de la terreur une pérennité et même une existence qu’ils n’auraient pas sans eux.En somme, le terrorisme fait peur par lui-même, mais peut-être plus encore nous fait-onpeur du terrorisme. De cette complicité les journalistes doivent prendre conscience pourqu'un terme y soit mis.

Mais, en fin de compte, les terroristes n'ont peut-être pas pris tant de pouvoirs qu'ils lecroient ou cherchent à le faire croire. Du moins faut-il dire que celui-ci, s'il existe, n'estpas absolu.

En effet, l'histoire des hommes est là pour nous apprendre que la peur est de tous lestemps. Cette omniprésence nous invite à la réflexion: au-delà des contenus particuliersque peuvent revêtir les effrois sporadiques qui se sont emparés des sociétés, on peut voirdans leur retour régulier comme l'expression d'un besoin du corps social. Les terroristesne seraient, de ce point de vue, que nos modernes porteurs de mort, dont la fonctionprofonde, inconnue d'eux, serait de faire contre eux l'union "sacrée" du groupe, rôle tenudans le passé par les déviants de tout acabit: ils seraient les sorciers de notre temps,voués comme tous les négativistes à être finalement "digérés" (terrorisés) par le corpssocial au bout du compte toujours triomphant. "Cessons de crier à la barbarie enexcusant les barbares ", écrivait Max Gallo dans l'Express [3] : ambivalence aussilouche que révélatrice.

Que le terrorisme soit éprouvant ne signifie effectivement pas qu'il soit une fatalité. Ilest possible de lui résister, comme on a déjà résisté à d'autres fléaux. Il faut que chacunsache qu'il dépend, en fin de compte, essentiellement de lui de se laisser ou nonterroriser. Nous avons essayé de montrer dans ce travail que tout le pouvoir du

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terrorisme est selon l'esprit. Or, l'esprit peut dans des circonstances favorables, parvenirà se dominer lui-même. Et s'il n'a pas toujours les moyens de contrôler lesdébordements de son imagination, du moins est-il à sa portée de les reconnaître pourtels. S'il y a un pouvoir du terrorisme, et il semble indéniable, du moins est-il possiblede lui opposer un vouloir et, par conséquent, de lui résister.

En conclusion, l’influence psychologique et sociale des attentats reviendrait, en somme,sinon à une question de foi, du moins à une question de croyance. Et on pourrait sansdoute appliquer aux terroristes ces mots que Voltaire destinait aux prêtres : ‘ils ne sontpas ce qu'un vain peuple pense, notre crédulité fait toute leur science’. Autrement ditcessons de croire à leur pouvoir et celui-ci cessera d'être. Il y a donc un consentement auterrorisme, et celui-ci est sans doute plus coupable que le terrorisme lui-même.

Nous espérons, pour terminer, que ce travail aura modestement contribué à élargirquelque peu nos connaissances dans un domaine où, peut-être plus encore qu'en toutautre, conna1tre c'est être libre.

P.M.

[1] Cité par J. DELUMEAU (1978, p. 25)

[2] Robespierre (l’a-t-il su ?) aurait eu beaucoup à apprendre de TORQUEMADA.

[3] N° 1394, du 27 mars au 2 avril 1978.

  

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A propos de La Sociétédéfensive de Michel Monroy

La question des guerresciviles et le processus deréconciliation  

 

 

 

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A propos de La Société défensive de Michel Monroy.( Ed. PUF. 2003)

La Société défensive, ouvrage apparemment simple et doux, entraîne  lentement lelecteur dans l'œil du cyclone de la crise de l'homme moderne. Rien (ou presque) nerappelle que M. Monroy est psychiatre. Et si les idées coulent de source et que l'exposéest clair, ici et là, les éléments psychologiques se cumulent pour faire place à undiagnostic redoutable sur le syndrome de l'inquiétude-panique et de la grande peursubjective de la societé occidentale et son corollaire inavouable : la recherche d'un boucémissaire.

Ce constat rejoint d'autres approches : la "société du risque" d'U. Beck, la sociétévulnérable de J. Theys et "l'archipel du danger" de Kerven et Rubise. Mais ce quicaractérise la réflexion de Monroy est la tentative de saisir la subtile réalité d'une sociétédont la charge psychologique pèse de plus en plus sur la démarche défensive desindividus en déperdition de liens.  

En effet, il y a d'un côté le retour au manichéisme, et de l'autre la méfiance viscérale del'inconnu. Ainsi le "dedans" menacé fait-il du "dehors" menaçant une maladie affectiveavec un ingrédient fort nouveau par rapport à d'autres périodes historiques où la menacea rendu l’homme vulnérable à ses propres excès ;. aujourd'hui, la menace condamne ausilence. Là se trouve "l'effet d'impasse".

Le monde construit par les hommes se montre plein de menaces diffuses. Comment nepas s'inquiéter de l'avenir de l'homme et de la planète avec les déchets radioactifs, ou dela montée d'un terrorisme qui montre un visage pervers, et de la nourriture sur laquelleles manipulation génétiques font peser un doute. Force est de constater que l'imbricationde ces menaces augmente l'impression de boule de neige et le sentiment d'être acculé.

Tout est devenu plus complexe. Et c’est l'inconnu de cette complexité, tellementexaminée et même célébrée par les scientifiques, qui sert de relais à l'inconnu ancestralde la pensée spéculative et aux cercles mystérieux des hypothèses virtuelles.  

C'est là que les querelles d'experts, mélange inquiétant de zèle tâtillon et de fuitepolitique devant les responsabilités, développent le besoin défensif de se couvrir à toutprix avec un système de normes et de règles juridiques.

Enjeux défensifs où tout est dangereux. État d'urgence permanent. Attitude d'isolementvis à vis de soi-même. Programmes de prévention devant des risques réels et virtuels;d'intrusion et d'envahissement, dont les choix rationnels s'avèrent de plus en plus"complexes", tant la lourde réalité financière s'impose.

Comment prévoir la vulnérabilité à des situations elles-mêmes imprévisibles ?

L'erreur hante la société défensive, peuplée d'experts de tout poil, dont le facteurhumain résiste à contre cœur aux évaluations.

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Les menaces objectives ne sont que la partie visible des chocs ressentis subjectivement.Elles sont là depuis l'aube du temps humain, mais ce que les amplifie et les transformeen sentiment aigu d'un risque majeur est la distance entre la perception de vulnérabilité(sélective, sociale et construite) et la réalité quotidienne. Bref, toutes les craintes ne sontpas quantifiables, et les menaces imaginaires ont un effet sur la vie sociale encore plusgrand. Et, si la psychologie individuelle ne suffit pas, semble nous dire M. Monroy,pour expliquer les attitudes défensives, la psychologie collective non plus.

C'est alors que la déambulation sereine de M. Monroy s'approche, tranquillement, de laproblématique de la psychologie politique. L'auteur nous décrit deux contextes : le Frontnational, et le conflit USA-Irak. Il ressort du premier que la focalisation des menacesressenties par les partisans du F.N. (indépendemment de l'idéologie sous-jacente) sefocalise sur l'immigration. C'est le syndrome du bouc émissaire. Avec les phantasmes del'éclatement de l'identité (individuelle) nationale. Le repli identitaire est caractéristiquedes groupes sectaires, dont la méfiance défensive depasse la réalité menaçante. D'autrepart, les menaces bellicistes et celle du fanatisme religieux avec leurs légions decertitudes menaçantes se sont installées dans la réalité quotidienne et l'imaginaire dumonde. Bush et Ben Laden, chacun dans son rôle et avec chacun sa conviction, seréclament d'une farouche volonté de puissance. L'attaque est devenue une nouvelle foisla meilleure défense et, comme dans l'Ancien Testament, la devise est: dent pour dent etoeil pour oeil.

Les oscillations entre un sentiment maximal de menace et l'idée d'une minimisation dudanger, sont en train de rendre les décisions politiques fort difficiles, voireinconsistantes. Car la menace ressentie provoque une perte potentielle de la maîtrise dela situation, sous la pression d'un amalgame défensif intégrale : l'homme invulnérable àl'abri de tous les dangers. Crise de civilisation donc ?   

                                                                                                                        A.D.

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La question des guerres civiles et le processus de réconciliation ( * )

A partir de 1999 Loveman et Lira ont livré au grand public les résultats d'unepassionnante recherche sur la reconcialiation au Chili. Ces ouvrages sont le fruit del'analyse d'un long processus historique, politique et psychologique, sans oublier lessocles philosophiques et théologiques qui traversent la vie des peuples. C'est unedémarche transversale de psychologie politique qui trouve là un nouveau paradigmethématique.Les auteurs forment un couple scientifique, dont la complémentarité renseigne sur lavolonté d'un travail pluridisciplinaire et de la nécessité des échanges entre les scienceshumaines et sociales, hélas, trop éparpillées et enfermées dans des systèmes de penséeétriqués et micro-theories autosuffisantes. Le Pr. Briam Loveman est un politologue del'Université de San Diego (USA) et la Pr. Elisabeth Lira est psychologue et chercheuse àl'Université D. Hurtado à Santiago du Chili.Entre ces deux rives du savoir universitaires coule l'histoire d'un peuple et ses formes derésolution de conflits. Ainsi, les ponts tendus entre ces disciplines montre la possibilitéde faire d'observations avec une plus grande acuité et resituer les faits dans uneperspective historique de long terme, afin de mettre en évidence les patterns culturels etvicissitudes de la vie politique.La thématique centrale est "la reconsolidation et les résistances de la mémoire". Etcomme les clins d'Sil avec le passé sont le fil conducteur, ces travaux s'inscrivent sousle signe de la "voie chilienne de la reconsolidation", comme hier d'autres et les mêmes,parlaient de la "voie chilienne au socialisme"Certes, ces recherches sont motivées par la réalité actuelle d'un pays, le Chili, après lesdouloureuses expériences du coup d'état de 1973 et la longue dictature militaire dePinochet, dont le séquelles et ambiguïtés sont toujours visibles, jusqu'au point que lepouvoir civil se trouve indirectement encore sous la tutelle des militaires, mais ce letravail à permis aux auteurs de mettre en relief la présence des traces bien plusanciennes d'autres périodes , où les guerres internes et les répressions ont donné lieu àdifférentes formes récurrentes de réconciliations politique. C'est la mise en évidenced'un véritable "filon" qui donne du sens aux querelles idéologiques et politiques, autantque à ses manifestations institutionnelles, à la forme que assume l'État Nation et lesgouvernements d'un pays démocratique, dont la "mentalité" autoritaire, maquillée enpermanence, remonte à la colonisation espagnole et se poursuit à travers les méandresdes réconciliations et nouvelles ruptures.La mise en perspective des guerres civiles chiliennes offre un panorama presqueinattendu, tant les mythes ont effacé une partie des faits réels, malgré leur repentir. Lesamnisties et les tentatives légales de reparution sont les traces juridiques d'une histoire

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violente de luttes fratricides avec ses vainqueurs et ses vaincus, ses injustices et sesrancunes profondes, et surtout les souvenirs des milliers d'exilés, persécutés et morts quicomme des douces cendres couvrent un passé ardent, enfouis dans l'oubli volontaired'une quête de "paix" sociale qui s'exprime soit rethoriquement, soit naïvement, commeun sort d'utopie où les conflits n'existerait pas, ni les méchants ni les justes, sousl'inspiration d'un grand pardon réunificateur.

Enfin, ces travaux sont, aujourd'hui, à la fois une Suvre universitaire, mais aussi unearme politique devant la cour de la histoire, autant qu'un avertissement pour lesgénérations futures, lesquelles marchent courageusement, sans mémoire ni réflexion adhoc, vers un avenir qui n'est pas libre de repeser les mêmes erreurs et avec la mêmepassion des ancêtres.

Comme toute recherche originelle, approfondie et étendue, elle montre une faceuniverselle et une méthodologie ad hoc, et une heuristique capable d'inspirer d'autresétudes comparatives. Les situations semblables ne manquent pas dans le monde. EnFrance, la longue tentative de réconciliation entre la France et l'Allemagne, depuis laguerre de 1870 jusqu'à la IIe guerre mondiale, marque le paysage de fond de la politiqueet les conflits idéologiques. Et la ressente volonté de recombinaison entre la France etl'Algérie, dont les cicatrices sont encore visibles, est une autre histoire qui remonte àune histoire et une psychologie de peuples forte ancienne que le contexte de lacolonisation et la décolonisation

A. Dorna

( * ) Les récents ouvrages de B. Loveman et E. Lira sont:

- Las suaves cenizas del olvido. Vía chilena de reconcialiation politica 1814-1934.Ed. Dibam. Santiago. Chile. 1999- Las ardientes cenizas del olvido. Vía chilena de reconciliación politica 1932-1994.Ed. Dibam. Santiago. Chile. 2000- Historia, politica y ética de la verdad en Chile, 1891-2001. Reflexiones sobre paz y laimpunidad.Ed. Lom. Santiago. Chile. 2001

 

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Liste des articles classés par ordre alphabétique des auteursSi vous désirez consulter directement un article, cliquez sur la référence

J. BARUS-MICHEL Considérations psychopolitiques sur une actualité de crise R3SR2

L. BETEAParticularités du post-communisme en Roumanie R2SR2

L'effet "groupthink" dans la révolution roumaine R2SR8

A. DORNA Point de vue : la face émergente d'un nouvel empire Edito

Le retour aux chantiers de la psychologie politique R2SR1

 E. FREIXA i BAQUELes perspectives de contrôle social offertes par le behaviourisme R4SR1

La création d'un délit de manipulation mentale. Histoire d'undébat faussé

R2SR4

D. LESUEUR Les perspectives de contrôle social offertes par le behaviourisme R4SR1

P. MANONI Le terrorisme : un sujet d'étude scientifique? R4SR3

A. MELNIK Le leadership politique en Russie - de Gorbatchev à Poutine R4SR2

A. RODRIGUEZ-KAUTH Actualidad e historia de la psicologia politica latinoamericana R2SR3

S.RADTCHENKO-DRAILLARD Les aspects culturels de la négociation internationale R2SR5

D. SCHOLIERS La création d'un délit de manipulation mentale. Histoire d'undébat faussé

R2SR4

S. TOMEI Les leçons morales de l'histoire R2SR6

M. VILLATTE La création d'un délit de manipulation mentale. Histoire d'undébat faussé

R2SR4

S. WAHNICH La terreur comme fondation, de l'économie émotive de la terreur R2SR7

Liste des articles

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Si vous désirez consulter la liste des publications d'un auteur cliquez sur son nomlorsqu'il existe un lienSi vous désirez lui envoyer directement un courriel, cliquez sur l'animation

Pierre ANSART  

Jacqueline BARUS-MICHELProfesseur émérite de Psychologie socialeUniversité Paris 7-Denis Diderot

 

Lavinia BETEAUniversité de l 'Ouest �Vasile Goldis�, Arad (Roumanie), Faculté de SciencesPolitiques

Odile CAMUSPRIS – Université de Rouen .

Alexandre DORNAProfesseur de Psychologie politiqueUniversité de Caen

Nicole DUBOIS  

Hélène FEERTCHAKMaître de conférences en psychologie sociale à l’Université Paris V

 

Esteve FREIXA i BAQUEProfesseur d’Analyse Expérimentale du Comportement. Laboratoire ECCHAT.Département de Psychologie. Université de Picardie Jules Verne. Chemin du Thil.80025 Amiens cedex 1. France

Olga GRIBOVAUniversité de Caen

 

Renseignements sur les auteurs

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Bernard GANGLOFFLaboratoire PRIS, Dpt de Psychologie, Université de Rouen

Adam KISSCentre d'Étude et de Recherche en Psychopathologie,UFR de Psychologie, Université de Toulouse Le Mirail

 

David LESUEURUniversité de Picardie Jules Verne. Chemin du Thil. 80025 Amiens cedex 1. France

Pierre MANONIUniversité de Nice

Benjamin MATALONProfesseur de Psychologie SocialeUniversité de Paris 8

Alexandre MELNIKChargé de cours à l’Institut Commercial de Nancy et à l’Université de Caen.Rédacteur en chef d’Eco-Russie

Svetlana RADTCHENKO-DRAILLARD

Angel RODRIGUEZ-KAUTH

Constantin SalavastruSéminaire de Logique discursive, théorie de l’argumentation et rhétorique Chairede Logique et de philosophie systématique                                  Faculté dePhilosophieUniversité “Al.I.Cuza” - Iassy (Roumanie)                                   

David SCHOLIERS

Samuel TOMEI

Manuel TostainLPCP, UFR de PsychologieUniversité de Caen 14032 Caen Cedex

Matthieu VILLATTE

Sophie WAHNICH

Renseignements sur les auteurs

file:///D|/Encours/AFPP/SiteAFPP/Espace_permanent/auteurs.htm (2 sur 2) [28/04/2003 15:27:03]

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LES PERSPECTIVES DE CONTRÔLE SOCIAL OFFERTES PARLE BEHAVIORISME

 David LESUEUR et Esteve FREIXA i BAQUE

 

De temps immémorial, les sociétés se sont construites sur la base du contrôle descomportements des individus qui les composent. De fait, il s'est toujours agi pour lesdirigeants de rechercher la difficile harmonie des aspirations hétéroclites des individuset de l'intérêt général.Des théoriciens ont dégagé de longue date des règles qui leur semblent nécessaires à lavie en commun de nombreux individus. Les textes religieux sont de ces écrits les plusanciens dont nous disposons, mettant à la disposition des hommes des dogmes sensésrégir adéquatement leur vie. Les philosophes, également, ont été nombreux, dans unesprit plus dialectique, à mettre en exergue les principes d'une société idéale.Dans la recherche d'une société idyllique, les idéologies candidates n'ont donc pasmanqué, plus ou moins heureuses dans leur application à l'échelle de populations parfoistrès nombreuses.Mais au 20ème siècle, la révolution épistémologique caractérisant la recherche enpsychologie va bouleverser les conceptions traditionnelles relatives à l'être humain. Ledéveloppement du béhaviorisme au milieu du siècle ouvre une voie de recherche dont laportée des résultats témoigne de l'ouverture de la psychologie à l'investigationscientifique. La compréhension du rôle de l'environnement dans le modelage descomportements donna alors lieu à des expérimentations permettant de dégager les loisqui régissent le comportement des organismes. Changement de taille qui libérait lapsychologie de la seule analyse structurale, toute pré-scientifique, pour lui assigner, entant que discipline scientifique, les fonctions de compréhension, de contrôle et deprédiction du comportement.Et, comme des autres disciplines contrôlées par une méthodologie scientifique, est néede la science comportementale une technologie applicable au quotidien, et visantl'amélioration de la qualité de la vie. Skinner, qui en adoptant la méthodologiebéhavioriste mit en évidence le conditionnement opérant, a clairement perçu la richessedes implications pratiques découlant de l'analyse scientifique du comportement humain.Et, dans ce contexte, il publia en 1948 le roman utopique Walden Two, décrivant la vied'une communauté régissant son fonctionnement à partir des lois comportementalesdégagées par l'analyse expérimentale du comportement.

Aussi, dans quelle mesure le principal modèle de vie issu du béhaviorisme diffère-t-ilfondamentalement des précédentes spéculations utopiques ? Qu'est-ce qui précisémentfait sa qualité, et lui confère un intérêt qui dépasse le plan littéraire ?Nous présenterons dans un premier temps quelques célèbres utopies qui ont jalonnél'histoire, en nous penchant sur la nature du style de vie qu'elles défendent.

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Dans un second temps, après avoir situé la place de Walden Two dans l'œuvre deSkinner, nous étudierons la nature de ses propositions et nous nous interrogerons surl'originalité de leur apport.

I Les utopies classiques

De nombreuses utopies ont fleuri au cours des longs siècles qui ont précédé l'avènementde l'étude expérimentale du comportement. Toutes consistent en la description d'une vieidéale, et en la mise en avant des moyens ou solutions imaginés pour la réaliser. Lepoint commun de ces spéculations consiste en leur assise sur des conceptionstraditionnelles, non scientifiques, de l'être humain. Nous ne nous pencherons que surquelques-uns des plus célèbres écrits utopiques, de manière à illustrer les différentesméthodes préconisées.

1. La République de Platon

Platon, au cinquième siècle avant J-C, développe dans La République les règles qui luisemblent présider à une société idéale. La cité qu'il propose est dirigée par unroi-philosophe qui, dans sa qualité de philosophe, sait ce qu'il convient de faire et, danssa qualité de roi, a le pouvoir de le faire appliquer.Le philosophe grec, par la valorisation des compétences humaines d'un chef juste etraisonnable, met de fait en exergue une solution politique à la réalisation d'une citéheureuse. "L'humanité sera heureuse un jour, quand les philosophes seront rois, ouquand les rois seront philosophes."

Sans doute révolté des abus exercés par ceux qui détiennent le pouvoir, Platon penseainsi établir un efficace garde-fou, en plaçant aux commandes de la cité un individusage, épris de justice et de vérité. Car, comme les sages évitent les fonctions publiques,on est sûr de l'honnêteté et du désintéressement de ces individus qui, seuls parmi deshordes de postulants, rechignent à administrer leurs concitoyens.Bien sûr, une contrainte est exercée sur le philosophe pour le forcer à gouverner, maisPlaton n'y voit point là d'injustice, car c'est selon lui l'occasion pour les philosophes derendre grâces à la société qui, dès leur naissance, leur a offert le régime particulier leurpermettant de devenir des hommes excellents.

Les futurs rois philosophes sont choisis d'après les "qualités nécessaires à la pleine etparfaite connaissance de l'être". Il faut donc discerner les natures philosophiques amiesde la justice et de la bravoure, disposant de grandeur d'âme, de mesure, de mémoire, etd'un grand intérêt pour l'essence (le contraire des apparences chez Platon). On ne peutdouter de la justesse de ce dernier critère, qui atteste l'activité de la Raison. "Quand lavérité ouvre la marche (...), elle marche avec la pureté des mœurs et la justice, à la suitede laquelle vient à son tour la tempérance."

Les philosophes qui pourront gouverner sont donc soigneusement sélectionnés sur leursqualités innées, puis façonnés de façon à agir selon "l'idée du bien, objet de la science laplus haute"."(...) Ce bien que toute âme poursuit et dont elle fait la fin de tous ses actes, dont elledevine l'importance sans pouvoir atteindre à la certitude et définir au juste ce qu'il est, ni

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s'en reposer sur une solide croyance, comme elle le fait à l'égard des autres choses, (...),ce bien si précieux" ne doit pas "rester couvert des mêmes ténèbres pour ces citoyenséminents à qui nous devons tout confier".

Le modèle que propose Platon est sans appel. La prospérité est conditionnée àl'observation des moyens qu'il met en avant."Il ne faut point s'attendre à voir ni un État, ni un gouvernement, ni même un simpleindividu toucher à la perfection, avant que ce petit nombre de philosophes qu'on traite,non pas de méchants, mais d'inutiles soient forcés par les circonstances à s'occuper, bongré, mal gré, du gouvernement et l'État contraint de leur obéir".Aussi, la politique n'a-t-elle pas été le seul procédé suggéré par les utopistes, dans larecherche d'une vie heureuse.

2. L'Utopie de Thomas More

2.1 Une critique de son temps

En 1516, Thomas More, philosophe et juriste britannique, publie l'ouvrage qui donnerason nom au genre spéculatif qu'il compose.L'écrit se compose de deux parties. Dans la première, celui qui est reconnu comme étantl'un des plus célèbres penseurs de la Renaissance, fustige les profondes injustices, ainsique l'irresponsabilité des princes et rois d'Europe de son temps."Les princes ne songent qu'à la guerre. S'agit-il de conquérir de nouveaux royaumes,tout moyen leur est bon. En revanche, ils s'occupent fort peu de bien administrer lesÉtats soumis à leur domination."Il y condamne les aberrations d'un système qui engendre et entretient souffrances, délitset mort.More plaide pour une meilleure administration des affaires humaines. La solution, avecle juriste More, passe par le droit. Il incombe à la société de créer et fournir lesconditions à la faveur desquelles les hommes seront heureux et productifs :"(...) Créez des institutions bienfaisantes qui préviennent le mal et l'étouffent dans songerme, au lieu de créer des supplices contre des malheureux qu'une législation absurdeet barbare pousse au crime et à la mort."A une répression brute et inutile, il propose de substituer des techniques plus efficacesinspirées des autres cultures.

La promotion, par More, d'un système où la communauté des biens et des richesses estde mise, qui constitue la seconde partie de L'Utopie, semble ainsi trouver son originedans l'écœurement concomitant au dévoilement des aberrations découlant d'un systèmequi voit naître le capitalisme et l'enrichissement de quelques-uns au détriment d'unemajorité laborieuse. "Mettez un frein à l'avare égoïsme des riches; ôtez leur le droitd'accaparement et de monopole", prévient More. Car " partout où la propriété est undroit individuel, où toutes choses se mesurent par l'argent, là on ne pourra jamaisorganiser la justice et la prospérité sociale." "Ce que vous ajouterez à l'avoir d'unindividu, vous l'ôterez à celui de son voisin."

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2.2 L'île d'Utopie

Du tableau sans fard des maux qui accablent les sociétés européennes médiévalesdécoule donc le plan d'un système égalitaire, où la sagesse des principes et des règles enusage saurait prévenir la souffrance et garantir une sereine prospérité.

Le peuple utopien maintient des mœurs humanistes à la faveur d'une volonté sans faillede justice sociale, ainsi qu'à la conduite pragmatique dont il fait preuve dans larésolution de ses problèmes internes comme externes.Pour assurer l'ordre, la loi peut parfois se montrer sévère avec les citoyens administréspar des magistrats, qui n'ignorent pas que "réunir hors le sénat et les assemblées dupeuple pour délibérer sur les affaires publiques est un crime puni de mort. Cesinstitutions ont pour but de les empêcher de conspirer ensemble contre la liberté,d'opprimer le peuple par des lois tyranniques, et de changer la forme du gouvernement."En effet, "(...) le salut ou la perte d'un état dépend des mœurs de ceux qui en ontl'administration. Malheur au pays où l'avarice et les affections privées siègent sur lebanc du magistrat ! C'en est fait de la justice, ce plus ferme ressort des États."Au delà des traditionnelles solutions politique et juridique, nombreux ont été les auteursà compter sur le développement des sciences pour résoudre nos problèmes. Bacon estcertainement le plus illustre représentant de cette conception.

3. La Nouvelle Atlantide

Au 17ème siècle, Francis Bacon, homme politique et philosophe, exalte l'horizon ouvertpar les lumières de la Science, chez un sage peuple imaginaire, dont le bonheur n'ad'égal que l'importance qui est accordée à la recherche scientifique. La science est déjàconsidérée comme la discipline sans doute la plus en mesure de contribuer au bonheurde l'homme, en lui facilitant la vie et en le libérant des plus grandes aliénations.Si toute utopie trouve son origine dans une déception de son auteur à l'égard de sonsiècle, alors, on croit pouvoir deviner les motivations à la rédaction de La NouvelleAtlantide. Bacon fut un chercheur qui, conscient de l'apport de la culture chez l'espècehumaine, rêvait d'une Europe donnant la priorité au développement de la recherchescientifique. Nous ne sommes cependant qu'à La Renaissance et la technologie qui doitpermettre une vie heureuse demeure strictement matérielle. Le contrôle descomportements passe par la traditionnelle solution juridique. L'insuffisance de celle-cisera pertinemment dénoncée par la science du comportement, dont la contributionmajeure au vieux rêve utopique témoignera, et de la fertilité de sa perspective, et de lavastitude de ses horizons.

4.Walden

Enfin, l'expérience de Thoreau, qui vécut seul dans un bois du Massachussets, au bordde l'étang Walden, illustre la solution érémitique choisie par certains pour vivre unepleine vie.

La narration de son expérience ascétique attire l'attention, à une époque où ce à quoi

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renonce Thoreau attire des multitudes de pionniers, excités par les rêves de réussite queles régions inconnues ne manquent pas de susciter. Lui dénonce le dévoiement d'unesociété déjà lucrative et cupide, et se crée son espace personnel, dans un rejet desnouvelles mœurs, qui sous couvert de modernité ravalent l'homme à une conditioninférieure.

La propriété et l'argent, érigées au faîte de l'échelle des valeurs, ne valent pourtant pas lapeine d'y laisser sa vie : "Jouis de la terre, ne la possède pas. Par leur manqued'ambition, les hommes sont où tu les vois, à vendre et à acheter, à passer leur viecomme des serfs (...)". "(...) Vivez libres et détachés. Que vous soyez attachés à uneferme ou dans la prison de la région ne fait qu'une petite différence."Thoreau, qui condamne un système où "actuellement, le travailleur n'a pas le tempsd'être autre chose qu'une machine", aspire à vivre lentement et sereinement dans lacontemplation, car "les qualités les plus raffinées de notre nature, tel le velouté desfruits, ne peuvent se préserver qu'en les maniant délicatement". Il s'agit pour l'hommesage de "se tenir à la jonction de deux éternités : le passé et le futur, exactement aumoment présent." L'adoption d'autres valeurs ne peut être que salutaire, "tant la vie deshommes est une vie insensée, comme ils le découvriront quand elle s'achèvera, s'ils nel'ont pas fait avant." Thoreau érige le temps de vivre en valeur suprême : "Le prix d'unechose est la quantité de ce que j'appellerai la vie qui est réclamée en échange. Si onprétend que la civilisation est une réelle évolution de la condition de l'homme (...), ondoit démontrer qu'elle a produit de meilleures habitations sans qu'elles soient pluscoûteuses."

Thoreau prend pourtant soin de souligner la validité toute subjective du style de vie quiest le sien, quelque grisant qu'il soit. Il ne propose pas de solution universelle, de recettemiracle dont l'application rigoureuse procurerait systématiquement joie et bonheur.

La seule prescription incontournable réside finalement dans la frugalité, à l'instar desnombreux ascètes qui l'ont précédé. La simplification de l'environnement matériel et descontacts humains constituent une constante du style de vie érémitique. Il s'agit destechniques majeures mises en oeuvre par les mystiques de toutes les époques, "car nulne peut être un observateur sage ou impartial de la vie humaine s'il n'a l'avantageuseposition de ce que nous appellerions pauvreté volontaire."

Si Thoreau quitte les bois après son expérience de plus de deux ans, il ne semble pasfalloir voir là le constat d'échec d'un mode de vie amer et frustrant, duquel il faudraitdéduire l'échec nécessaire des modes de vie alternatifs à la culture dominante."Je quittai les bois pour une aussi bonne raison que celle qui m'y avait attiré. Peut-être ilme semblait que j'avais plusieurs autres vies à vivre, et que je n'avais plus temps àconsacrer à celle-là."

II Béhaviorisme et planification des cultures

1. Skinner1.1 Science et Psychologie

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Skinner, au 20ème siècle, stigmatise l'insuffisance des méthodes précédemmentdécrites, à la lumière de l'analyse expérimentale du comportement ouverte par la tardivemise en évidence du conditionnement opérant.La planification d'une culture devient une fonction de la science du comportement, qui,ayant comme objet d'étude les affaires humaines, peut légitimement et sérieusementprétendre à cette tâche. Il s'agit de l'application des connaissances issues de la recherchepure, de la technologie issue de l'analyse expérimentale du comportement. On touche àcet égard, avec Skinner, à l'ultime étape du curriculum d'un chercheur qui, parti del'observation et de la manipulation de variables en laboratoire, transfère en imagination,à l'échelle d'une communauté, l'application de contingences favorables àl'épanouissement des cultures.Walden two naît de ce développement. Nous sommes alors en 1945 et Skinner ne sesatisfait pas d'un style de vie que l'on dit libre et digne, et pour la sauvegarde duquel tantde jeunes hommes viennent de mourir.

1.2 Une critique des valeurs occidentales

Que reproche Skinner à notre culture occidentale, qu'une science du comportementdevrait s'évertuer à corriger ? De quelle nature sont les dangers qu'il pointe du doigt etqui mettront un terme à l'espèce humaine si une science adéquate ne vient nous aider àles régler ?

Skinner énonce ses critiques, hardies et perspicaces.Il reproche aux gouvernements tels qu'ils ont existé jusqu'à aujourd'hui, dans leurdiversité, de reposer sur une conception non scientifique de l'être humain. Ce quisignifie lourdeur, quasi-immuabilité et contrainte, violence. Les idéologies dominantesdu communisme et du libéralisme ont longtemps divisé le monde en blocs entre lesquelsles tensions menaçaient d'acheminer l'humanité entière au déclin. Sur le modèle de laRussie soviétique, la Chine communiste gouverne d'une main de fer des individus que ladoctrine régnante va jusqu'à interdire de s'exprimer sur les choses qui les concernent. Lelibéralisme effréné d'une Amérique qui fait de l'argent la valeur suprême place lesÉtats-Unis en tête des systèmes cyniques, où le droit de s'enrichir aux dépens des autresmembres de la communauté n'est remis en question que par une minorité d'individus.L'échec de telle idéologie politique qui interprète la réussite personnelle comme le fruitde la volonté de l'individu déterminé, comme de telle autre que la prise en compteexclusive de l'intérêt général au détriment de l'individu conduit à des violences, doitnous amener à nous demander si à la Raison et au bon sens politiques ne pourrait pasêtre substitué un instrument plus probant, mieux adapté à la complexité des questionssociales.

Or, l'accès de la psychologie à l'investigation scientifique a de fait ouvert la voie aucontrôle et à un nouveau type, prometteur, de recherches. Notre mode de vie nonseulement peut, mais doit s'en servir. Car des dangers immenses nous menacent, quiappellent les solutions d'une autre science que celles qui sont parfois à leur origine.Mais, au préalable, nous devons remettre en question les doctrines de la liberté et dumérite personnel sur lesquelles se sont érigées les démocraties.L'analyse expérimentale du comportement a en effet montré qu'il est impossible, pour

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quelque organisme que ce soit, de vivre indépendamment de l'environnement qui leconditionne. Une fois établi que l'organisme se trouve dans une relation de dépendancenécessaire à l'environnement, on peut en revanche de façon profitable rechercherexpérimentalement les modes de contrôle les moins aversifs. "Le refus d'exercer lescontrôles possibles sous prétexte que tout contrôle est mauvais revient par contre àempêcher des formes éventuellement importantes de contre-contrôle (...)" A WaldenTwo, les contingences, intentionnellement planifiées et librement communiquées,permettent en retour un contre-contrôle optimum, à la faveur de techniques elles aussidélibérément planifiées. Des contingences qui soumettent le comportement desgouvernants aux conséquences de leurs décisions chez les gouvernés, permettent à cetégard une prévention efficace des risques d'abus de contrôle. "La responsabilitépolitique n'est pas une vertu, elle est dans l'agencement adéquat des relations entregouvernants et gouvernés" (Richelle, 1977). Le contre-pouvoir à Walden Two consiste,entre autres choses, en une limitation de la durée de l'exercice de la fonction deplanificateur, en une renonciation à des "contingences spéciales" pour les organisateurs(tous les membres sont tenus d'exercer leur lot de travaux physiques quotidiens), et enune impossibilité de retirer des avantages personnels (on ne peut en effet s'y enrichirpersonnellement puisque l'argent et la propriété privée n'ont pas cours).

Du coup, Skinner gêne et fait grand bruit. La hardiesse et la nouveauté de ses idéesstimulent les blâmes outrés de beaucoup de ses contemporains. Peut-être est-ce par tropdifficile de reconnaître des évidences trop longtemps voilées par des conceptionsmentalistes, au point de rendre très difficile un changement de perspective.Le mentalisme désigne l'usage des théories pré-scientifiques du comportement,consistant à invoquer des entités mentales abstraites pour expliquer les comportements.Ces entités abstraites peuvent être très nombreuses, car inférées ad hoc des conduitesdont il s'agit d'expliquer l'origine. Les pulsions sexuelles, de contrôle, de mort sont ainsitraditionnellement invoquées par la psychanalyse pour satisfaire au principe decausalité. Dans la même veine, l'instinct est construit pour tenter d'expliquer unensemble de conduites spécifiques. Skinner reproche à ce type d'explications, non leurstatut mental, mais leur caractère faussement explicatif qui coupe court à toute analysefonctionnelle de l'organisme en interaction avec son milieu.Aussi Skinner, pas dupe, sut-il déjouer les impasses des psychologies mentalistes par ladécouverte du conditionnement opérant et le concept de contingences de renforcement,qui décrit l'ensemble des interrelations qu'entretiennent une situation, un comportement,et ses conséquences.

1.3 Une critique de la démocratie

Reposant sur les deux principes de liberté et de dignité dont la validité s'amenuise àmesure que progresse l'analyse scientifique, la culture américaine, à l'instar de toutes lesdémocraties telles qu'elles ont été exercées jusqu'à aujourd'hui, adopte des conduites decontrôle éculées que Skinner condamne vigoureusement.

En premier lieu, les gouvernements utilisent les procédures punitives, c'est-à-dire laviolence, pour parvenir à leurs fins. "C'est la technique évidente lorsque celui qui estfort physiquement contrôle le faible" (Skinner, 1948). La force et la menace d'utilisation

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de la force sont les principes de contrôle essentiels des gouvernements, mais "ungouvernement ne peut jamais créer un peuple libre" avec ces méthodes. Au contraire,Walden Two est libre parce qu'il n'est pas fait usage de la force ou de la menace del'utilisation de la force.La démocratie, qui se définit comme le gouvernement par le peuple, ou en accord avecla volonté du peuple, ne réunit pas les conditions propres à une administration efficacedes affaires humaines. Le vote, par exemple, permet d'invoquer le choix des électeurspour expliquer qu'aucun changement social substantiel n'ait été réalisé. Or, "les genssont-ils des gouvernants compétents ? Non. Et ils deviennent de moins en moinscompétents (...) à mesure que la science du gouvernement avance. (...) Une fois que l'ona acquis une technologie comportementale, nous ne pouvons pas laisser le contrôle ducomportement aux incompétents. (...) Les moyens à mettre en oeuvre pour obtenir cequ'ils veulent (...) est un problème de spécialiste.""La pratique actuelle de la démocratie est de voter, non pas pour un état de la situation,mais pour un homme qui prétend être capable d'atteindre cet état." Elle estcaractéristique des sociétés pré-scientifiques où l'on compte sur la sagesse du leader"pour gouverner de façon juste. C'est la seule solution possible lorsque le gouvernementreste un art." Et même si l'on faisait demain appel à des experts, ils ne sauraient être éluspar le peuple, car "les gens ne sont pas en position d'évaluer des experts" (Skinner,1948).

Mais maintenant que les bases d'une science du comportement ont été posées, noussavons quel chemin suivre pour développer une ingénierie culturelle qui surpasse lesprécédentes manières, pré-scientifiques, de résoudre les problèmes sociaux.

2 Les solutions béhavioristes

Le modèle de société proposé dans le roman utopique Walden Two n'est pas le produitfrivole ou purement spéculatif d'un romancier contemplatif, ou d'un illuminé sujet auxrévélations. Certes, il comporte une part d'intuitions, mais, nous l'avons vu, il est surtoutl'aboutissement d'une pensée qui s'est développée autour du recueil rigoureux denombreuses données fondamentales et théoriques.

2.1 Les procédures de contrôle

La mise en évidence de la nature et des effets des contingences de renforcement aavantageusement propulsé la psychologie dans une sphère d'action et de contrôledélibéré et systématique. Elle représente une découverte majeure qui permet de modifierle monde, et par voie de conséquence, de changer le comportement des hommes.Alors qu'habituellement, les hommes "définissent un monde meilleur simplement telqu'ils le désirent, mais (...) ne songent pas à la manière dont ils peuvent l'obtenir"(Skinner, 1969), le modèle de vie décrit dans Walden Two s'attache en effet à unedescription détaillée de contingences jamais définitives, toujours sujettes à modificationdans le sens d'un amendement. Walden Two, assurément, ne constitue ni un systèmedéfinitif, ni un ensemble de dogmes révélés qu'il faudrait suivre à la lettre. Il représenteen revanche un stimulant du plus grand intérêt pour le planificateur de culture à larecherche de nouvelles solutions susceptibles de résoudre les problèmes sociaux

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(Richelle, 1998).

Le style de vie décrit dans Walden Two est fondé, dans son fonctionnement, surl'emploi exclusif du renforcement positif. Ce terme technique désigne l'affermissementde comportements, à laIl s'oppose aux procédures de punition qui consistent à réduire la fréquence d'apparitionde comportements par présentation de stimulus aversifs ou par ajournement ousupression de stimulus appétitifs. Skinner identifie les procédures positives comme étantles procédures les plus utilisées par les cultures pour contrôler les comportements desindividus qui les composent. Aussi n'est-il que d'observer la persistance des mêmesproblèmes dans l'ensemble des cultures, pour saisir l'échec de ces procédures, dontl'inefficacité n'a d'égal que l'évidence avec laquelle elles se présentent à l'individu quisouhaite contrôler les comportements qui le gênent.

Les procédures de renforcement positif permettent en revanche des contrôles ducomportement à long terme, et donnent lieu de surcroît à des sous-produits émotionnelspositifs du type sentiment de liberté.Walden Two doit le bonheur et les compétences de ses membres à la mise enapplication générale de cette procédure comportementale, dans un environnement socialqui, délaissant la compétition, a opté pour la coopération. Une société qui repose sur lacompétition laisse au bord de la route de nombreux individus. Dans une société quisoutient un darwinisme cynique en matière sociale, la misère attend l'individu qui n'apas su s'adapter (Prieto, 1989) pendant qu'à la faveur de contingences heureuses,d'autres s'enrichissent plus que de raison. Or, "lorsqu'un homme obtient une place ausoleil, d'autres sont placés dans une ombre plus épaisse. Du point de vue du groupeentier, il n'y a pas de gain" (Skinner, 1948). Quel est en effet l'avenir d'une culture oùles membres, contrôlés par la peur de la pauvreté et de la déchéance, n'ont d'yeux quepour leur réussite personnelle, et un désintérêt total pour les autres membres, que la joieou la souffrance ne touchent pas ? Les maux de l'individualisme ne sont pourtant pas siinéluctables qu'il faille s'y résigner. Pour que les individus soient intéressés par leurculture dans son ensemble, pour que la fraternité caractérise leurs rapports, descontingences peuvent être posées de telle manière que l'avenir de sa culture ait unintérêt pour l'individu.Walden Two illustre les modalités de contrôle alternatives à la faveur desquelles ungroupe travaille à l'efficience, à la réussite et au bien être de chacun de ses membres.

2.2 L'idéologie béhavioriste à l'épreuve de la réalité. Pour une expérimentation in vivo.

La science du comportement promet une amélioration de la qualité de notre vie, et ce, àla faveur d'un agencement adéquat des contingences qui définissent la culture."Sommes-nous tout à fait sûrs de cela ? Peut-être pas, pondère un Skinner soucieuxd'objectivité scientifique, mais Walden Two peut nous aider à en être sûrs. Mêmecomme une partie d'un projet plus grand, une communauté peut servir d'expériencepilote. La question est simplement de savoir si ça marche (...). Lorsque c'est le cas, nouspouvons développer notre compréhension du comportement humain à la vitesseoptimum. C'est là que réside probablement notre meilleure chance de répondre auxquestions vraiment importantes que le monde affronte actuellement."

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La valeur heuristique d'une communauté expérimentale de type Walden Two constitueun argument cardinal dans la promotion par Skinner de l'expérimentation in vivo.

Skinner ne considère pas son questionnement relatif aux utopies comme une affairesecondaire, d'ordre essentiellement intellectuel et théorique, dont la portée, en raison dela complexité des affaires sociales, serait limitée à l'interprétation contemplative dumonde, au détriment de la contribution pratique. Aussi rappelle-t-il, à l'appui de laméthode sociale qu'il préconise, que "le choix est entre la science ou rien" (Skinner,1971). "Soit nous ne faisons rien et acceptons un futur probablement catastrophique quientraînera notre chute, soit nous utilisons nos connaissances du comportement humainpour créer un environnement social dans lequel nous pourrions mener une vieproductive et créative (...)." (Skinner, 1948).Et pour rendre possible une véritable science du comportement, il est nécessaired'étudier dans une culture vivante sous contrôle expérimental.

De sa visite de la communauté, le narrateur de Walden Two sort sonné, mais les yeuxdécillés. Il analyse désormais d'un regard plus critique la société dont il est issu, à lalumière du discours développé par le subversif et novateur Frazier.Lui, l'enseignant, se rend maintenant compte "que les éducateurs, eux-mêmes, nepouvaient pas sauver la situation. Les causes étaient plus profondes, trop éloignées.Elles impliquaient la structure entière de la société. Ce qui était nécessaire, c'était unenouvelle conception de l'homme (...). On ne peut pas faire l'économie d'une révisioncomplète de la culture."Voilà qui donne le ton. La résolution des problèmes qui nuisent à l'humanité impliquedes changements massifs auxquels les habituels colmatages et expédients ne peuventprétendre. La démocratie, qui présente certes des qualités, ne constitue sans doute pas"notre seul espoir" (Popper,1944) et doit peut-être laisser le pas à une "nouvelle ère"(Ardila, 1979) à la fois humaine et expérimentale. Mais, c'est conscient de la complexitédes phénomènes sociaux que Skinner plaide pour un contrôle à expérimenter à l'échellede communautés de quelques centaines de personnes, lesquelles, de dimensionsvolontairement modestes, sont plus susceptibles de révéler les conditions nécessaires audéploiement des répertoires de comportements que l'on vise.

2.3 Le critère de survie

Mais comment se définit plus précisément la Bonne Vie que Skinner souhaite voirréalisée par un projet ? Quelle est sa version de la Bonne Vie à laquelle un agencementde contingences de renforcement favorable serait à même de conduire ?La définition du bonheur par Skinner est résolument opérationnelle. Il rappelle, par labouche de Frazier : "Nous savons tous ce qui est bon, jusqu'à ce que nous arrêtions depenser à cela. Par exemple, y a-t-il un doute que la santé est meilleure que la maladie ?(...) Toutes autres choses étant égales, nous choisissons la santé."A la suite de son argumentation par l'exemple, Frazier conclut que l'on ne peut pasdonner une justification rationnelle à la Bonne Vie, juste une justificationexpérimentale.

Skinner assure que la science du comportement ouvre une voie digne d'intérêt quant à la

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réalisation d'une vie heureuse. Voilà qui est propre à exciter l'ironie des sceptiques quiremettent en cause les valeurs qui sous-tendent un style de vie qui ne leur semble pasdésirable. Voilà un argument qui semblerait au prime abord révéler le tendon d'Achillede l'idéologie skinnérienne. Tant s'en faut.Skinner (1969) précise en premier lieu que "nous aimons un style de vie dans la mesureou nous en sommes renforcés."Or, "que cela nous plaise ou non, la survie est la valeur par laquelle nous serons jugés."Skinner fait en effet de la sur vie de la culture humaine le critère décisif de sa valeur.Comme le signale Richelle (1971), grand commentateur des oeuvres de Skinner, "saphilosophie est, à cet égard, celle d'un biologiste matérialiste."Il en découle qu'il s'agit de trouver "des formes de compromis, où les buts propres à lacollectivité seraient réalisés à travers des comportements individuels positivementrenforcés" (Richelle, 1971).Tout scientifique qu'il est, Skinner reconnaît que l'on ne peut pas justifierrationnellement le critère choisi pour juger une culture. L'on peut toujours afficher unmépris négligent quant à l'avenir des cultures, et de l'humanité que compose l'ensembledes cultures. "En effet, il n'y a aucune bonne raison (de se soucier de l'avenir de laculture à laquelle on appartient), mais si votre culture ne vous a pas persuadé qu'il y ena, tant pis pour elle", remarque Skinner.A l'opposé, "une culture bien agencée est un ensemble de contingences de renforcementtel que les membres de cette culture agissent de façon à la préserver, à la faire survivreaux situations critiques, et à la modifier dans le sens d'une possibilité sans cesse accruede se perpétuer" (Skinner, 1969).Mais comment parvenir à cet état, à ce point d'équilibre, où les individus, en menant unstyle de vie qui les rend heureux, affermissent en même temps les chances de survie deleur culture ? N'a-t-on pas si souvent vu comme inconciliables l'intérêt de l'individu etcelui de la société ? La société ne violente-t-elle pas systématiquement l'individu, encontenant les comportements qui la desservent ?Il faut savoir que les contingences qui servent la culture en contrôlant la productivité, lacréativité et le bonheur peuvent très bien devoir faire l'objet d'une programmation, sanslaquelle il ne serait pas possible de parvenir aux comportements optimums auxquels onaspire. Un renforcement programmé consiste en une distribution agencée decontingences tel qu'elle amène progressivement à un contrôle de comportementscomplexes. On peut comprendre qu'un étranger exposé de but en blanc auxcontingences terminales qui caractérisent une culture "puisse ne pas les aimer, ou n'êtrepas capable d'imaginer seulement qu'il puisse en venir à les aimer" (Skinner, 1969).En effet le problème n'est-il pas "d'élaborer un mode de vie qu'apprécieraient leshommes tels qu'ils sont maintenant, mais qu'apprécieront les hommes qui y vivront."N'oublions pas que "c'est à ses effets sur la nature humaine - sur le patrimoine génétiquede l'espèce - qu'il faut évaluer tout environnement, physique ou social."

Conclusion

La littérature fournit de nombreuses utopies proposant l'accès à une vie communautaireheureuse, à la faveur de techniques inadéquates. La mise en exergue de la notion de

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contingences de renforcement au vingtième siècle permet l'accès de l'étude ducomportement au champ des disciplines scientifiques. La spécificité de son objet d'étudeconfère à la psychologie, plus qu'à toute autre science, la légitimité de son intérêt pourl'élaboration d'un style de vie en rapport avec ce que l'analyse scientifique révèle del'Homme. La perspective d'une science appliquée au comportement humain permetdepuis Skinner de renoncer, et à la conception fataliste d'une nature humainepernicieuse, et à une aussi impuissante qu'inconditionnelle vision optimiste de l'avenirde l'Homme, au profit de la recherche et du contrôle des variables dont dépend lecomportement. Le projet visant à attribuer à la psychologie la tâche d'administrer aumieux les affaires humaines implique pourtant au préalable une remise en questionfondamentale des notions de liberté et de mérite incompatibles avec une science ducomportement qui continue de subir les foudres d'une infructueuse mais tenaceconception anthropocentrée de l'être humain. L'avenir conditionnel de l'espèce humainedépendra de sa résolution à développer une ingénierie comportementale et culturelle quis'affranchisse des conceptions pré-scientifiques de l'être humain dans son rapport aumonde. Mais ceux qui détiennent le pouvoir ne semblent pas s'acheminer dans ce sens,eux que Skinner suspecte d'entretenir délibérément le mythe de l'homme autonome libreet responsable, pour occulter des contrôles abusifs d'autant plus puissants qu'ils"exploitent les lois du comportement sous le manteau de la liberté" (Richelle, 1993).

BIBLIOGRAPHIE

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BACON, F. (1627) La Nouvelle Atlantide. GF-Flamarion, Paris.

MORE, T. (1515) L'Utopie. 1997, La Dispute.

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POPPER, K. (1945) La société ouverte et ses ennemis. Editions du Seuil, Paris.

PRIETO, J.L. (1989) La utopía skinneriana. Biblioteca Mondadori.

RICHELLE, M. (1977) B.F. Skinner ou le péril béhavioriste. Pierre Mardaga,Bruxelles.

RICHELLE, M. (1993) Du nouveau sur l'esprit ? Paris : P.U.F.

RICHELLE, M. (1998) Walden Two is fifty. In J.C. LESLIE & D. BLACKMAN,Experimental and Applied Analysis of Human Behavior.

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SKINNER, B.F. (1971) Beyond Freedom and Dignity. New York : A.A. Knopf. [(1972)

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Par-delà la liberté et la dignité. Paris : Robert Laffont.]

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THOREAU, H.D. (1854) Walden ou la vie dans les bois. Aubier, Editions Montaigne,Paris.

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Harold Gerard, ancien professeur de psychologie sociale a l'UCLA, nous a quittésle 16 janvier dernier, à l'âge de 79 ans.

Nous retiendrons de sa biographie ses premiers travaux sous la direction de M. Mead,ses multiples recherches expérimentales avec Festinger et la publication avec E. Jonesde son ouvrage « Fondements of social psychology ». Presque à l’aube de sa carrièreuniversitaire son travail change de nature, et s’oriente vers la psychanalyse et lapsychothérapie..

            Nous retiendrons personnellement le souvenir d'un homme étonnement posé etchaleureux, son regard détaché des contingences, ses cours de psychologie socialeexpérimentale à la Faculté Latino-américaine ( Flacso) à Santiago du Chili au début desannées 70, puis ses visites amicales, de temps en temps, en compagnie de son épouseDaisy Safan, psychothérapeute et peintre, laquelle a eu une forte influence sur sa"conversion" psychanalytique.

            Même si je le savais malade, la triste nouvelle m'a surpris, car j’attendais lavisite du couple pour le printemps. Et, j'avais fait le projet d'aller chez lui à SantaMonica. Cela ne se fera pas. Mais, il reste dans notre mémoire. La psychologie a perduun scientifique de valeur, et moi un ami américain.  

                                                                                              Alexandre Dorna

 

 

 

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Françoise Subileau est décédée le 18 février. Sa brutale disparition est une perteirréparable. Elle participait avec assiduité et enthousiasme aux réunions du comitéexécutif de l'AFPP, et toujours attentive à notre projet.  Impossible d'oublier sa voixgrave et posée, ses commentaires percutants et parfois drôlement ironiques.

Directrice de recherche au Cevipof, spécialiste sur le phénomène de l'abstentionnisme etla participation électorale. Nous l'avons connue au début des années quatre-vingts lorsde rencontres de l'Observatoire de la Démocratie..

Ses travaux étaient un avertissement sur la baisse régulier de la participation électoraledes français. Sa réflexion, lucide, mettait en cause la classe politique et l'absence deprojet politique. La abstentionnisme comme phénomène "structurel" portait pour elle unquestionnement des institutions républicaines, auxquelles elle restait très attachée.D'ailleurs, ses travaux sur les militants du parti socialiste, et l'évolution de l'idée laïqueen France, témoignent de son engagement et volonté de connaissance.

Une description de ses travaux a été faite dans le n° 5 de Politèia, et son dernier ouvrage" C'était la gauche plurielle", porte un regard pénétrant sur les clivages actuels, l'érosionidéologique et l'effacement des repères dans une gauche de gouvernement.

 

                                                                                              A.D.

 

 

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Particularités du post-communisme en Roumanie

Lavinia BETEA

   

 

L� année 1989 - �annus mirabilis�, comme il est souvent appelé - reste le point de repèredes démarches ayant pour thème l�histoire récente des sociétés ex-communistes.Quelles que soient les disciplines socio-humaines qui les encadrent, celles-ci sontcompliquées par l�absence d�hypothèses explicatives, antérieures au fait historique. Leschangements au niveau du mental individuel et collectif sont difficiles à estimer, pourde diverses raisons. Les modifications survenues dans la configuration de lapersonnalité de l�individu, dont une grande partie de la vie a été soumise au programmede formation de �l�homme nouveau� ne comportent pas de termes de comparaison. Enmême temps, le fait de se rapporter, de la perspective psychologique individuelle etsociale, à la situation précédant l�instauration des régimes communistes n�est pasopérationnel.Comme les autres pays des Balkans, la Roumanie se caractérise par l�absence destraditions démocratiques.Le système politique roumain de la période d�entre les deux guerres, basé sur lesuffrage censitaire, est designé comme une �démocratie mimée� (Doggan, 1999). Lesconditions sociales, économiques et culturelles n�étaient pas à mêmes de favoriser laculture civique et politique de l�électorat. En plan politique, la Roumanie se situait,comme tous les autres pays du sud-est de l�Europe, dans la phase de constitution de lanation après l�écroulement des grands empires où ils avaient été incorporés. Le besoinde consolider leur identité nationale constituait le dénominateur commun de ces pays.C�est ainsi que, entre les deux guerres -le bolchévisme et le fascisme- l�option desélites roumaines et d�une partie de la population sera l�extrêmisme de droite, répresentépar �le mouvement légionnaire�. L�interdiction du �pluripartisme� par la loi électorale demai 1939 a été succedée par le �régime des démocraties populaires´(1944-1948), étapedans laquelle on a imposé le régime communiste, par des techniques de manipulationspécifiques.Il faut y ajouter que dans la Roumanie communiste, le �régime Ceausescu� (1965-1989)a excellé par le �nationalisme� promu, par l�empechement et l�anéantissement de touteforme de résistance r travers le contrôle exercité par la police politique sur les citoyenset la censure sur l�information avec laquelle ceux-ci pouvaient venir en contact. C�estainsi que, dans le processus d�écroulement des régimes communistes en éurope, afin dechanger l�équipe au pouvoir, en Roumanie �on a mis en sccne une révolution typique�en 1989 (Karnoouth, 2000).Dans les analyses concernant la révolution de Roumanie, la seule �révolution sanglante�par rapport r la �révolution de velours� des autres états communistes d�Europe�, il faut

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signaler les particularités suivantes du transfert du pouvoir:En Roumanie seulement il y a eu lieu un renversement sanglant du régime, pendantlequel (22-25 décembre 1989) 1104 hommes sont morts et 3352 ont été blessés.On a fait recours r la violence non seulement avant la fuite du couple Ceausescu deBucarest, mais encore plus aprcs cela. Le but de cette action était de créer l�apparencede legitimité dans la prise du pouvoir par la nouvelle équipe dirigeante et d�assurer cepouvoir par les changements institutionnels et des élites de premier rang.En Roumanie seulement, le chef du parti et de l�état a été executé aprcs un proccsreprésentant une rémanence des proccs staliniens.A peine aprcs le renversement de la dictature ayant une teinte idéologiquenational-communiste, en Roumanie les communistes réformistes ont pris le pouvoir.�La competence� du nouveau groupe décisionnel est remarcable par l�organisation duFront du Salut National (FSN) - formation qui assume la direction du pays. Pendant 3jours (le 22-25 décembre 1989), sur le fond des manipulations appelées �l�affaire desterrotistes�, celui-ci se substitue aux organization du parti communiste à tous lesniveaux du politique dans tout le pays. Dans une première étape, les nouveauxdirigeants veulent se légitimer en tant qu�agents du changement, en maintenant leurspositions au sommet de la hiérarchie par des mesures populistes. Leurs attentes ont étésatisfaites par l�électorat qui a crédité FSN aux élections du mois de mai 1990 de 87,5% des suffrages. Son leader Ion Iliescu - en compétition finale pour le fauteuilprésidentiel avec les représentants, récemment revenus de l�exil, des deux �partishistoriques qui renaissent� (Le Parti National Liberal et Le Parti National PaysanChrétien et Démocrate) - est paru comme le facteur de déclenchement des effetspositifs de l�époque.Son avantage, pour occuper la position de premier rang dans la hiérarchie du pouvoir, aconsté dans son habileté d� organisateur et dans sa capacité de détenir �des relationsclientélistes basées sur sa propre personne� parmi les élites du temps (Gabanyi, 1999).Ainsi, par sa biographie, Ion Iliescu représente les relations et les groupes suivants:les répresentants et les continuateurs des communistes illégalistes de 1922-1944 (sonpère et sa mère adoptive avaient été illégalistes);les anciens étudiants des facultés de Moscou (pendant 1950-1953 il avait été étudiant àl�Institut d�Energétique dans la capitale soviétique et leader des étudiants roumains de l�URSS)l�organisation de la jeunesse communiste UTC (1957-1971 - il a été premier secrétairede l�UTC),les activistes de premier rang du parti (février-juillet 1971, sécretaire de la propagandedu CC de PCR; 1971-1974, sécretaire de la propagande du département de Timis,1974-1979, premier secrétaire r Jassy);les technocrates (1979-1989, directeur du Conseil National des Eaux);les gens de culture (1984-1989, directeur de la Maison d�Edition Technique ayant lesicge r �Casa Scânteii�); dans sa qualité de dirigeant départamental ou national de lapropagande, les écrivains, les gens de culture et d�art et ceux de l�enseignement luiétaient subordonnés)�La démocratie non-représentative� du pluripartisme. La promulgation de certaines loisdémocratiques en vue de la libre association a donné naissance au phénomène appelé�la démocratie non-répresentative�(Revel, 1990)

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Tout comme dans l�ex-Union Sovietique, les partis parus en Roumanie - des dizaines -peuvent être groupés en cinq catégories (Thom, 1994)des partis qui essaient de renouveler la tradition pré-bolchevique, respectivement celled�entre les deux guerres (Le Parti Liberal, Le Parti National Paysan Chrétien etDémocrate);des partis qui prétendent s�inspirer des modèles occidentaux (Le Parti Démocrate, LeParti Ecologiste);des partis qui ne sont, en réalité, que des groupements autour d�un leader plus ou moinscharismatique;des partis qui expriment l�organisation politique et les interêts de certains groupes de l�administration et de l�économie;des partis résiduels, qui renaissent du parti communiste et/ou des services spéciaux.Malgré la dénomination et les doctrines déclarées, les partis politiques qui dominent àprésent la vie publique roumaine ressemblent peu aux partis politiques propres à lasociété moderne. L�identification avec un parti n�a pas les connotations connues (l�apparition de nouveaux partis se produit par la fragmentation de ceux déjà existents,dans le cadre d�un phénomène qui ressemble à la multiplication des organismesprimaires par scissiparité). En général, les partis actuels sont construits non pas commedes groupements qui appuient une certaine politique, mais autour de certains leaders.Les conflits existant entre les leaders font naître d�autres partis. Mais depuis 1990, surle plan principal de la scène politique, PDSR n�a jamais manqué - il s�agit du partiarticulé en décembre 1989 (FSN) sur les structures du parti communiste.Il faut signaler un moment significatif de l�histoire post-communiste de la Roumanie:la constitution de la Convention Démocrate de Roumanie (CDR), comme une coalitiondes �forces d�opposition� à PDSR. CDR et son candidat présidentiel EmilConstantinescu ont gagné les élections de 1996. La législature 1996-2000, au début delaquelle la plupart des Roumains avaient espéré qu�elle apporterait �le changement enbien�, a constitué pourtant une grande désillusion.Les caractéristiques des élites. Les membres du gouvernement, du parlament, des staffdes principaux partis post-communistes peuvent être designés par le terme �institutciki�(utilisé par la presse russe conservatrice pour les promoteurs de la �perestroika�). Ilsproviennent, la plupart, des instituts et des universités - représentant �le milieuuniversitaire, conformiste, servile et faible� (Iakovlev, 1999), des services spéciaux etde la presse. L�éducation en vertu du principe stalinien �qui n�est pas avec nous estcontre nous� est visible dans les rapports existant entre les partis adverses, dans lecontenu de la presse communiste, dans le �langage eschatologique� utilisé par certainsjournalistes et politiciens dans les disputes avec leurs adversaires.Des concepts comme �réforme�, �changement�, �démocratie�, �consensus�, � économie demarché� constituent des accessoires doctrinaux de tout parti. Le discours électoralexcelle en promesses; le politicien actuel a herité le manque de responsabilité typiquede l�activiste de parti du régime précédent. Mais plus encore que pendant le régimecommuniste, la carrière de politicien est la voie le plus avantageuse et efficiente deposseder des biens, des privilèges et de la popularité.En essence, le manichéisme et la logocratie sont les caractéristiques des élitesactuelles.La confusion d�institutions et de rôles. Dans la multitude des organisations et des

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institutions dépourvues de compétences bien définies du régime communiste, c�est lerôle dirigeant et de censeur du parti unique qui s�est distingué. La propagande aaugmenté sans cesse la création de la représentation selon laquelle c�est au particommuniste (et surtout à son leader) qu�on devait la satisfaction des besoinsexistentiels des individus.C�est pourquoi, au niveau du mental collectif se maintiennent à présent les confusionsentre les attributions des institutions fondamentales politiques, législatives etadministratives. Cela donne naissance à des disputes et à des divergences difficiles àsolutionner au niveau central et local. En Roumanie, les gens attendent encore que lespartis auxquels ils adhèrent résolvent leurs problèmes exitentiels individuels.Dans le plan de la vie individuelle, on remarque le fait que le rôle de la famille stagne àla mentalité de l�ancien régime. Ainsi, les parents essaient de transférer leursresponsabilités aux institutions d�assistance sociale et éducationnelles.L�appauvrissement de la population. L�échec des premières tentatives de transition à l�économie de marché a été peu ressenti pendant les premières cinq années suivant lachute du régime communiste. Cela s�explique par le fait que les emprunts financiersfaits à l�étranger ont été utilisés non pour restructurer l�économie, mais poursubventionner des marchandises et des services de large consommation pour lapopulation. Apres cette étape, les Roumains habitués à un certain niveau de viesous-mediocre, mais qui leur garantissait certains droits sociaux, (le lieu de travail, lapension de retraite, le congé et la gratuité de l�éducation et de l�assistance médicale)ont ressenti le choc de la dégradation des conditions de vie.L�appauvrissement de la population a evolué progressivement. En dix ans, le salairemoyen net, exprimé en dollars, s�est réduit à la moitié (en octobre 1990, il représentait162 dollars; en janvier 2000 il avait diminué à 87,5). Les sondages d�opinion montrentque la privatisation est perçue comme un �stimulent pour la pauvreté� (Constantinescu,1995) et la représentation des entrepreneurs se réalise par association avec lamalhonnêteté. Des données qui utilisent �le passé et l�avenir comme indices du présent�(M. Ziolkowski, 1998), il résulte que les espoirs d�une vie meilleure des Roumains sedétériorent progresivement. En 2000, 70% des Roumains appréciaient que lesconditions de vie de 1989 étaient meilleures que le présent. Tout comme dans lesautres états communistes, en Roumanie les gens ont commencé à associer le régimepassé avec les �bons temps� (G.H. Hodos, 1996)Le nationalisme et la xénophobie. Cela a constitué le contexte socio-politique danslequel les dernières élections se sont deroulées (26 novembre 2000). Compromise à lasuite du gouvernement précédent, CDR n�a obtenu qu� 6% des suffrages. PDSR et sonleader qui candidait pour le fauteuil présidentiel, Ion Iliescu, étaient considérés commeles favoris incontestables des élections. PDSR a obtenu finalement 43% des suffragesdes électeurs. Parmi les �partis historiques�, PNL uniquement a obtenu des résultatssignificatifs (10%) par rapport aux élections précédentes.L�ascension du parti �România Mare� (�La Grande Roumanie�) (PRM) et de son leaderCorneliu Vadim Tudor en tant que candidat à la présidence de la Roumanie a constituéune surprise de grandes proportions. Récepté comme un parti extrêmiste - seloncertaines opinions, �de droite�, selon d�autres - �de gauche� - antérieurement auxélections de 2000, aucun sondage ne créditait le parti avec la performance d�obtenirplus de 10% des suffrages. Mais il a obtenu 22% des votes de l�électorat, se montrant

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ainsi la principale �force de l�opposition� actuelle en Roumanie. Après le premier tourde scrutin pour la présidence, C.V.Tudor (28,4% des suffrages) était placé d�unemanière surprenante très près de Ion Iliescu (36%).Qui est �le leader nationaliste� de Roumanie? Né en 1949, C.V. Tudor se présente, d�une manière propagandiste, comme le fils �d�une famille de travailleurs, chrétienne�. Ilest diplômé de la faculté de sociologie de Bucarest et il a terminé ensuite une école d�officiers en resèrve. Pendant le régime communiste, il a excellé en tant que publicisteet poète �engagé politiquement�. En 1990, sur le fond des conflits inter-ethniques deTransylvanie et des manipulations practiquées par les officiers de l�ancienne �Securitate� C.V. Tudor a fondé le parti România Mare. Sans que l�on ait des données précises surle nombre de ses membres, le parti semble représenté, en principal, par la revuehebdomadaire �România Mare�. Ses représentants marquants dans l�actuel parlement deRoumanie sont des anciens officiers de la Securitate, des chanteurs de musiquepopulaires et des journalistes.Sans avoir un programme économique ou destiné à freiner la corruptionm - celle-ciétant déclarée la cause fondamentale de la dégradation de la vie en Roumanie - lapopularité de PRM semble résider dans le discours de son leader.Ce qui le caractérise c�est l�appel aux mythes de large circulation analysés par R.Girardet (1986) - le mythe du �sauveur�, de la �cité assiégée� (les allusions continuellesà la Transylvanie), de la �conspiration�(les conspirateurs étant �les maffieux� désignés d�une maniere imprécise) et du �renouvellement de l�âge d�or� (apprécié comme étant,selon les circonstances, soit l�époque médievale, soit l�époque de �La Grande Roumanie� de 1919-1940, soit le régime communiste). Ainsi, dans l�éditorial de la revue�România Mare� du 1 décembre 2000, le pays est présenté comme se trouvant à uncarrefour historique ou les Roumains doivent décider leur �entrée� (�à genoux et la maintendue ou bien le front haut�). En vue de la décision, Vadim se présente comme �lesauveur� de la nation.Le nationalisme roumain - caractéristiques et motivations. Bien que le succès de PRMet de son leader aux dernières élections ait surpris et inquiété les milieux roumains quiadhèrent aux valeurs des démocraties traditionnelles, le phénomène n�a pas été analyséavec pertinence et la méthodologie des sciences socio-humaines.Par conséquent, la recherche comparative �Les extrêmes droites en Europe�, nousestimons la possibilité d�obtenir des réponses avisées. L�analyse de la societé roumaine- avec ses particularités présentées antérieurement - peut contribuer, à son tour, a l�éclaircissement de certaines questions avancées par le projet proposé concernant laré-emergence de l�extrêmisme de droite dans les pays de l�Europe, par exemple:En quelle mesure la popularité du discours nationaliste en Roumanie représente-t-elleune rémanence des représentations sociales formées par la idéologie de droite pendantla période d�entre les deux guerres ou bien de celles dues à l�étape historique plusrécente, désignée par le syntagme �le communisme national�?Quelles notes et quelles étapes communes ont les représentations sociales dunationalisme post-communiste par rapport aux représentations sociales des �extrêmesdroites� de l�Europe Occidentale?�Le nationalisme� est-il une possible doctrine de l�histoire récente annoncée comme untemps de �la mort des idéologies�? Avec quelles motivations?

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