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les Amis de Novembre Décembre 2015 n° 148 Novembre Décembre 2015

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les Amis de

NovembreDécembre

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n° 148NovembreDécembre

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L’orage est l’une des plus grandes chansons de Bras-sens et l’une des plus interprétées puisque nous comp-tons à ce jour près de cent versions !

Elle fut « endisquée », comme disent nos cousins qué-bécois, en février 1960, en deux jours ! Le chanteur neruinait pas sa maison de disques en frais de studio :48 heures pour graver huit chansons dont plusieurschefs-d’œuvre ! Brassens, accompagné par le fidèlePierre Nicolas et, à la deuxième guitare, particulière-ment présente sur ce titre, Victor Apicella (pourquoi a-t-il fallu attendre neuf ans et le neuvième disque pourque le nom du deuxième guitariste soit enfin men-tionné sur la pochette ?), enregistrait ici l’un de sesmeilleurs albums. Les chansons furent créées à l'Olym-pia du 21 janvier au 15 février 1960. Sorti en mars dela même année ce septième 25 cm connut aussitôt untrès vif succès avec bien sûr Les funérailles d’antan,mais également Le mécréant, Le bistro et… L’orage !

Annoncée d’abord sous le titre Le paratonnerre dansune émission de télévision, cette chanson tendre etdrôle, dans la lignée de l’inoubliable Parapluie, avaittout pour séduire.

Chanson qui prouve combien les perturbations atmo-sphériques influent parfois sur celles du cœur ! Péda-gogique également pour les gamins que nous étions àl’époque puisque l’on y apprenait, en trois minutes dix-neuf, le nom de quelques nuages, une expression chèreau capitaine Haddock (tonnerre de Brest), le nom del’inventeur du paratonnerre, Benjamin Franklin, et ce-lui du dieu romain du ciel et de la terre, Jupiter.

Sans oublier la découverte d’une perspective de dé-bouché professionnel : la vente des paratonnerres quipeut, selon la chanson, vous rendre millionnaire ! et,pour finir, un conseil de prudence conjugale : évitez delaisser votre femme seule si elle est atteinte d’astra-phobie (peur irraisonnée du tonnerre et des éclairs) sur-tout si vous avez comme voisin de palier un poète so-litaire !

Cet orage-là ne traîne pas. Le rythme est alerte, les versmagnétiques. Yves Duteil garde toujours le souvenir lu-mineux d’un Grand Échiquier (Antenne 2, 25 octobre1979) où il chante L’orage, accompagné par Pierre Ni-colas, Joel Favreau et un Brassens… déchaîné.Georges, très enthousiaste, lui confiera par la suite : « Jene me souviens plus très bien comment est née cettechanson. J’ai un peu oublié mais en t’écoutant la chan-ter je me suis aperçu que je l’avais un peu travaillée…

On n’écrit pas une chanson pour qu’elle soit entenduemais pour qu’elle soit réentendue […] je m’applique àdécalquer la mélodie sur le texte, je suis le rythme duverbe. Je ne veux absolument pas disloquer le rythmedu vers […]) la mélodie doit s’y coller… »

Propos corroborés par l’historien de la prononciationet de la déclamation Olivier Bettens dans son ouvrageChantez-vous français ? : «Pour acquérir corps et subs-tance, le rythme doit s’incarner dans un verbe lui-même ancré dans la “matière” sonore et dans l’histoirede la langue […]

Dans le chant, le rythme est fondamental, mais il n’estpas autonome. Il résulte d’un savant compromis entrele rythme de la langue, celui du vers et celui de la mu-sique… »L’orage malgré son demi-siècle n’a pas pris une ride.Les jeunes interprètes l’ont presque tous inscrit à leurrépertoire. Renan Luce révélait dans une émission de radio qu’enécoutant ce titre (qu’il chante dans un clip) il se laissebercer par les paroles et la mélodie, tel un enfant.« Au-delà de sa perfection musicale inégalée, L'oragerévèle à la fois la dimension poétique du chanteur etson talent de conteur… à la voix chaude et à la dictionenvoûtante. » Ce n’est pas son célèbre beau-père Renaud (Renan aépousé sa fille Lolita) qui le contredira, lui qui interprèteavec infiniment de sensibilité cet Orage dans sondisque Renaud chante Brassens.Brassens avait l’art de planter « dans le mille de noscœurs » des chansons qui nous accompagnent uneexistence entière. On se souviendra toujours de cettehistoire d’amour insolite, si délicatement chantée. Celle d’une jolie Pénélope que le tonnerre terrifie et quia oublié le temps d’un orage son « Ulysse de ban-lieue » dans les bras d’un amant circonstanciel maisdéjà follement épris. Il est des coups de foudre dont onne se remet pas. Hélas :« … bêtement, même en orageLes routes vont vers des pays… »La « traîtresse » rejoindra son mari soudain devenuriche. Comment résister à un tel argument ? De ce belamour, que restera-t-il ? pour la voisine, peut-être, unregret, pour le poète, un espoir…

Jean-Paul Sermontewww.sermonte.net

Édito

L’orage (1960)

Les Amis de Georges • n° 148 Novembre-Décembre 2015

Sommaire

N° 148NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2015

› Actualités 3-5

› Festival 6

› Souvenirs 7

› Chronique 8-9

› Hommage 10

› Presse 11

› Rencontre 12-13

› Dossier 14

› Archive 15

Notre sélection• L’orage :

Graeme Allwright Sam Alpha Valérie Ambroise Philippe Chatel Michel Jonasz

Autres sélections• Gigliola Cinquetti :

L’orage

• Michel Rivard :Après l’orage

• Saint-Preux :L’orage

• L’orage, chanson populaire : (Il pleut il pleut bergère)

Photo de couverture : G. SCHACHMES (Mercury)

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Revue bimestrielle publiée par : « Le mot de Passe »

13, avenue Pierre Brossolette94400 VITRY-SUR-SEINE

[email protected]él. : 01 46 82 69 65Fax : 01 46 82 27 15N° ISSN : 1277 1406

Dépôt légal : à parutionAbonnement un an : 38 euros

Abonnement Étranger : 40 eurosMise en page et impression :

Chevillon Imprimeur89100 SENS

Tél. 03 86 65 04 78

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Livres❯ Chez Brassens – Légended’un poète éternel, par Jean-Claude Lamy et Philippe Lorin. Voiciun livre lumineux que nous devonsà deux amoureux de Brassens.Journaliste et écrivain, Jean-ClaudeLamy est connu des Amis deGeorges grâce à son ouvrage Bras-sens, le mécréant de Dieu, paruen 2004 (Albin Michel). Il est éga-lement l'auteur d'une vingtaine delivres, dont Prévert, les Frères amis,et Mac Orlan, l’aventurier immo-bile. Son œuvre a été récompenséepar plusieurs prix littéraires. Philippe Lorin, peintre illustrateuret dessinateur bien connu a fait re-vivre par ses aquarelles remarqua-bles tous les grands noms qu’il ad-mirait : De Gaulle, Colette, GeorgeSand, Jacques Brel, Jean Ferrat…etune premier livre sur en 1969 avecHenri Gougaud. Merci donc pourcette jolie promenade dans les jar-dins d’un poète inoubliable dontles guides, un romancier et unpeintre, nous font partager leur ad-miration avec délicatesse et élé-gance. Éditions du Rocher, 20,90D.

La dernière affiche du dernier tour de chant. Rares ! Un de nos abonnés collectionneurs aoffert à notre association quelques affichesoriginales 38,5x59 du dernier Bobino de Bras-sens. Geste généreux puisque datant de 1976elles ont près de 40 ans ! Prix de l’affiche :28D emballage sous tube et port compris.Commande à adresser à : Les Amis deGeorges, 13, avenue Pierre-Brossolette,94400 Vitry-sur-Seine. Tél. : 01 46 82 69 65.

Disques❯ Prochaine sortie : un CD de JeanSangally et Isel Rasua, intituléBrassens le Cubain. Cet albumcomprendra 16 titres de styles etrythmes différents et typiquementcubains : pilon, mambo, cha-cha-cha, boléro, danzon, salsa, mo-zambique, guaguanco, bachata,etc. Association Le Mélomane, 04 26 17 13 72.❯ Georges Brasswing. 16 titresde Brassens plus deux chansonsde Jean-Jacques Delaforge, d’aprèsle remarquable spectacle Des pin-ceaux dans la guitare, interprétéspar Jean-Jacques Delaforge trio(avec Christian Etcheberry et Da-niel Suire. Avec la participation deJean-Pierre Blanchard, le maître duspeed painting. (terme signifiant« peinture rapide », qui désigneune technique où l'artiste disposed'un temps donné pour réaliser sonœuvre). Prix du disque : 10 D +3,50 D de port. Jean-Jacques Dela-forge,4 bis, rue des Jolettes, 17420Saint-Palais-sur-Mer. [email protected]. À noter que Jean-Jacques est l’auteur d’un autre CD :On est bien dans le « 17 », hom-mage à cette Charente-Maritimequ’il aime tant.

Spectacles, festivals,événements❯ Spectacle Des pinceaux dansla guitare, le 6 novembre à20 h 30 : J.-P. Blanchard, J.-J. Dela-forge et la formation GeorgesBrasswing. Salle Le Sémaphore,17560 Bourcefranc-le-Chapus. Ré-servation : 06 80 58 87 08. ❯ 2e Festival Brassens à Ensuès-la-Redonne les 13 et 14 novembre.

Après le succès du premier festival,l’association du Foyer rural pro-pose cinq nouveaux spectacles degrande qualité. Au programme,Marie d’Épizon et le groupeContreband. Richard Daumas, Bis-trot Brassens et les Trois Oncles.Également la chorale « La clef fre-donne », une scène ouverte et uneséance de dédicaces avec Jean-Marc Héran. Pour tous renseignements : 06 31 91 20 68 ou 04 42 45 76 53.❯ Contrebrassens : spectacle le19 novembre au forum Léo-Ferré àIvry-sur-Seine. Fin novembre : tour-née en Allemagne et en Belgique.Rens. : http://www.contrebras-sens.com/concerts.html❯ Olivier L'Hôte en tournée eu-ropéenne. 1er novembre : Londres,at the Cellar Magneval ; 3 novem-bre : République Tchèque, à Plzen ;4 novembre : République Tchèque,à Pardubice ; 5 novembre : Répu-blique Tchèque, à Ostrava ; 6 no-vembre : Autriche, au Phil’s cafe ; 7novembre : Autriche, au club dumardi.http://www.band.fm/olivier-lhote.

❯ Alain Brisemontier chanterale 20 novembre à Briollay, Anjou.Réservations : 02 41 72 22 57. D’au-tre part Alain propose son coffretIntégrale Brassens au tarif promoNoël 60 D + 3 D envoi (au lieu de85). Contact : 02 41 72 22 57. alain-brisemontier.com.

Votre courrier❯ Je me permets j’ajouter cettepetite lettre à ma demande de réa-bonnement pour simplement vousremercier de la qualité de votretravail et de cette passion toujoursintacte depuis tant d’années. Je meréabonne d’autant plus volontiersque j’ai énormément apprécié ladernière revue de septembre-octo-bre que je considère comme l’unedes plus réussies. Certes il y a cettepetite erreur de cliché inversé sur lacouverture, mais après tout ce n’estpas grave, car il y a tant de poésiequi émane de cette photo qu’elledemeure vraiment très belle ! Vousallez voir que ce numéro avec jus-tement cette erreur pourrait deve-nir, comme c’est souvent le cas, uncollector ! J’ai beaucoup aimé éga-lement l’article des amoureux duparc Brassens et la qualité desimages. Je connais l’endroit maisaprès avoir lu l’article il me donneenvie d’y retourner ! Dans votrecahier central j’ai été heureux deretrouver Jacques Mailhot qui estl’un des chansonniers qui m’a faitle plus rire ! merci de nous avoirdonné de ses nouvelles ! Néan-moins ce qui m’a le plus touchéc’est l’article « Les Anarchistes à laMutualité ». Très émouvant et quede souvenirs ! Merci mille fois àBablo d’avoir ressuscité ces ins-tants gravés au fond de notre mé-moire. Bonne continuation et conti-nuez à nous offrir des numéros decette qualité ! Gérard Antoine,Bruxelles.

Croque-notes❯ Les adieux de Juliette Gréco :« J’ai plutôt envie de voir çacomme une tournée de remercie-ments. Je veux juste dire merci auxgens qui sont venus me voir au fildes années. J’ai choisi les chan-sons avec mon cœur et ma pas-

Actualités

«Je n’ai pas la prétention de plaire à tout le monde. Pour plaire à tout le monde, il faut êtrele ciel bleu, et encore, il y a des gens qui n’aiment pas le ciel bleu. Moi j’aime bien les gris bretons, par exemple» GB, 1971.

Les Amis de Georges • n° 148 Novembre-Décembre 20153

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L’histoire des expressions : «Tonnerre de Brest ! »

«Tonnerr’ de Brest et saperlipopette…» GB, La ronde des jurons.

sion, mais ce fut un exercice diffi-cile. Je n’ai jamais chanté unechanson sans l’aimer ou parcequ’elle allait être un succès. J’aichanté ces chansons dans l’affinitéet dans l’amour, et c’est très diffi-cile de se séparer de son amour »(conférence de presse à Montréal,le 10 juin 2015).❯ Voilà Voilà : est le titre d’unouvrage de 254 pages, très originalpuisqu’il s’agit d’un polar en…alexandrins. L’auteur, Pierre Que-loz, est un artiste peintre reconnuet également musicien et poète.Ses maîtres ? Brassens et Ferré.Nous tenions à saluer son audaceet son talent ! Contact [email protected].

❯ Anna Birgit, photographe en-tre Paris et Natashquan, par Ma-rie Béïque. Un ouvrage magnifiqueconsacré à l’une des photographespréférées de Brassens.Ce livre est le fruit de la rencontrede deux artistes dans l’âme. L’une est photographe et amou-reuse de la lumière ; l’autre estamoureuse des mots et de lalangue française.Entre Birgit, d’origine danoise, et laQuébécoise Marie Béïque l’osmoseest parfaite et a donné naissance àun livre de jolis mots et d’imagespoétiques. Contacts : www.librairieduque-bec.fr et [email protected].

Sylvie et GeorgesBrassens par Sylvie«Comme on le sait, avec lui, c'était souvent “les copains d'abord”. Nousnous retrouvions après le spectacle pour dîner avec, entre autres, PierreLouki, merveilleux poète avec ses chansons gentiment loufoques, parexemple « il y a un frelon qui a les cheveux teints ». Brassens mangeaittoujours avec ses doigts. Un soir, comme d'habitude, il avait ses deuxmains dans l'assiette, Jean-Noël Dupré s'approche de nous. Il était l'undes piliers du Petit Conservatoire de Mireille, qui l'adorait. Il avaitconnu un certain succès, dans les années 70, en surjouant les lympha-tiques. Ses tubes étaient : « Ça me rappelle les vacances », sorte de « ElBimbo » triste, ou « Y a d' la joie », interprétée d'un air sinistre. CharlesTrenet l'avait d'ailleurs surnommé “Le mou chantant”.Dupré s'assied et dit à Georges en me montrant d'un signe du menton :

– C'est bien, ce qu'elle fait, mais pourquoi ce n'est pas moi qui assurevotre première partie ?

Georges est entrédans une colère ab-solument terrible. Ils'est levé et s'estmis à hurler :– Petit con, t'es

vraiment tropcon : casse-toi !

Apostrophe qui rap-pelle une autre dumême tabac, beau-coup plus récente.J'ai hurlé de douleuren apprenant le décès de Brassens. C'était un artiste exceptionnel. »

Extrait du livre de Sylvie Joly : C’est votre vrai nom ? – Souvenirs, Flam-marion, octobre 2010.

❯ Au revoir Sylvie JolyBrassens aimait beaucoup Syl-vie Joly. Pour elle il avait écritune préface pour un spectacledonné au théâtre du Rond-point en 1980, rééditée pour lelivre de sketches Ça va, ça va,faut le dire vite.« Je ne viens pas vous présentermon amie Sylvie Joly. Elle n'a plusbesoin de personne ni de préface àprésent. Depuis qu'elle a mis unpied sur une scène de théâtre, sonsuccès ne cesse de croître et d'em-bellir. Elle emporte l'adhésion d'unpublic de plus en plus nombreux etchaleureux et c'est justice. La meil-leure preuve du succès d'un artistece sont ses camarades qui la don-

nent en s'enthousiasmant depuisles coulisses à l'unisson avec lesspectateurs.

En ce qui me concerne, quand nouspassons dans le même programme,je ne manque jamais d'aller l'écou-ter chaque soir caché derrière lerideau – la plus mauvaise placepour goûter un numéro – etchaque soir elle me “fait plaisir”,elle m'amuse en me donnant enprime une leçon de psychologie.

Ce ne sera pas une soirée perduepour vous aujourd'hui.

Deux heures durant elle va vousfaire rire aux larmes avec son per-sonnage que vous n'oublierez pasde sitôt. »

Actualités

Les Amis de Georges • n° 148 Novembre-Décembre 20154

Signification : juron de marin.Avec « bachi-bouzouk » et « millesabords », « tonnerre de Brest» faitpartie des jurons-injures préférésdu capitaine Haddock. Brest serait-elle une ville où les orages sontfréquents ? La bruine ou la pluie,

certes, mais les orages, pas plusqu'ailleurs. Rien qui justifie, en toutcas, que le tonnerre qu'on entendparfois à Brest ait pu marquer lesesprits au point d'en faire un juron.Il existe deux explications sur l'ori-gine de l'expression. Les deuxconvergent sur le fait que ce « ton-nerre » était un coup de canon et,selon certains, ce serait même lenom du canon lui-même. Les deuxraisons d'entendre ce coup de ton-

nerre très particulier étaient les sui-vantes : les tirs (effectués à blanc) qui mar-quaient la vie de l'arsenal brestois,entendus à 6 h et 19 h, à chaqueouverture et fermeture des portes ;les tirs qui signalaient les évasionsdu bagne de Brest. Outre l'alertedes forces de police, ils permet-taient d'informer les habitants quirecevaient une récompense s'ilscapturaient l'évadé (avant de de-

venir chef de la police, Vidocq aété un de ces évadés). On peut no-ter que les tirs effectués pour lesévasions s'entendaient loin dansla rade de Brest, en particulierjusqu'à Landerneau, et que, seloncertains, ce serait là l'origine del'expression « cela va faire du bruitdans Landerneau ». Cette explication vous est propo-sée avec l'accord du site Web Ex-pressio : http://www.expressio.fr.

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connaître les phénomènes météo-rologiques. Ce qui nous a paru amusant etémouvant chez Pierre-Mathieu,c’est de découvrir qu’il est ungrand admirateur de Brassens etque sa chanson préférée senomme… L’orage !« À partir de ce jour j’ n’ai plusbaissé les yeux,J’ai consacré mon temps à contem-pler les cieux,À regarder passer les nues,À guetter les stratus, à lorgner lesnimbus,À faire les yeux doux aux moin-dres cumulus… »Vous pouvez voir ses photos sursa page Facebook en tapant sim-plement son nom.

Yvette Casabianca

Pierre-Mathieu, le chasseurd’orages… Il s’appelle Pierre-Ma-thieu Paolini. Âgé de 18 ans, cejeune mannequin nourrit une pas-sion qui semble-t-il n’a rien d’éphé-mère, puisqu’elle dure depuis troisans, pour la photographie. Pierre-Mathieu est surtout spécialisé dansles photos des perturbations at-mosphériques. L'activité du chas-seur d'orage consiste à traquer unorage avec toujours l’espoir defaire un jour la rencontre de savie… une tornade ! Difficile, certes,voire impossible dans certaines ré-gions, quoique, avec le fameux ré-chauffement, plus rien ne devienneimprobable. Le plus souvent lechasseur d’orage fait les yeuxdoux, surtout au cumulonimbusavec ses flancs chargés de foudre,grêles et monstrueuses rafales…Tout en assouvissant sa passionpour les manifestations violentesde la nature, il aide à mieux

Sébastien Melaye filme L’orage.Sébastien Melaye est un jeunecomédien de 23 ans, de la troupede théâtre d’Yves Uzureau. Ci-néaste passionné il met en scènedes personnages truculents, lou-foques et poétiques. Vous trou-verez l'intégralité de ses créa-tions sur sa chaîne Youtubeintitulée « Top 3 de la connerie ».Sensible, drôle, fourmillant demille idées à la seconde et dotéd’une énergie communicative, il

travaille actuellement à la réalisation d’un clip sur une chanson de Brassens qui a pour titre… L’orage.Décidément ! Cinquante-cinq ans après sa création, cette chanson demeure l’une des préférées desadmirateurs de Brassens, toutes générations confondues. Nous reviendrons sur ce film et sur ce co-médien dont la carrière artistique semble bien plus que prometteuse.

François Clément

Actualités

Les jeunes et Brassens

Les Amis de Georges • n° 148 Novembre-Décembre 20155

Le 16 septembre 2015, Guy Béart à son tour a « fait sa grande valise», selon le mot de sa fille Emmanuelle. Nous pleurons l’artiste mais aussi l’ami qui,dès le début, a toujours soutenu et encouragénotre revue. Dans le prochain numéro nous lui rendronsl’hommage qu’il mérite.

Pierre-Mathieu Paolini en pleine action

« Par un soir de novembre, à chevalsur les toits,Un vrai tonnerr’ de Brest, avec des crisd’ putois,Allumait ses feux d’artifice. »GB, L’oragePhoto : Pierre-Mathieu Paolini

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Vingt ans après et au moment oùl’association Vivre à Chirens s’ap-prête à passer le relais à une nou-velle équipe, nous souhaitons avecLes Amis de Georges saluer commeil se doit ce festival dont la devise,100 % Brassens, a été la règle in-tangible, et souligner ce qui en afait son originalité.Le prieuré de Chirens fut toutd’abord le cadre – magnifique – de

Public

Avec peu de moyensmais avec unegrande admirationpour le poète et pourson œuvre libertaireet humaniste, MaxChorier eut l’idée en 1996 de créer àChirens, son petitvillage de l’Isère, un festival Brassens.Notre ami était bienloin d’imaginer que son initiativeallait prendre une telle ampleur et attirer tous les ansdans le Dauphiné des centaines de spectateurs venusde tout l’Hexagoneet de l’étranger.

ses premières éditions mais,lorsque pour fêter les dix ans les or-ganisateurs invitèrent Paco Ibañez,il fallut migrer à Charavines, com-mune voisine, sur les rives du lac dePaladru, et transformer sa salle desCèdres, un gymnase, en une sallede spectacle aménagée avec soinpour accueillir le public : tablesfleuries, nappes, assiettes de petitsgâteaux et paroles des chansonsde Brassens qui seront reprises parl’assistance pour le bœuf final avecles artistes.Les soirées « cabaret » tradition-nelles (trois artistes ou groupes etle piano de Guido Thielens animantles entractes) sont, depuis 2007,précédées d’une avant-première :causerie-débat ou séance de ci-néma. Charavines a pu ainsi rece-voir des proches de Georges Bras-sens : Lucienne et PierreOnténiente, Victor Laville, SophieDuvernoy, Josée Stroobants, ou despersonnalités telles que FrançoiseCanetti, Jacques Vassal, BernardLonjon, Jean-Paul Liégeois, San-drine Dumarais et Rémi Sautet(réalisateurs de films documen-taires sur le Sétois).Dans une salle attenante, les visi-teurs ont découvert chaque annéede nouvelles expositions : celle desAmis de Georges, les photos de Jo-sée Stroobants, les impeccablescollections de Claude Michel ou lesœuvres originales de Bruno Cortotet de Lisette Blanc.Il n’est évidemment pas possiblede mentionner les 400 artistes quise sont succédé à Chirens et à Cha-ravines pendant 20 ans, mais nous

ferons une exception pour PacoIbañez, venu trois fois, et pour Va-lérie Ambroise que l’on voit ici tousles deux remercier le public en2005.Les après-midi, en extérieur, un po-dium a pu permettre à de nom-breux amateurs ou professionnelsde chanter leurs propres composi-tions ou des reprises des grandsde la chanson francophone (Tre-net, Barbara, Leclerc, Brel, Ferré ettutti quanti) et d’écouter Jean-Claude Marotte, fidèle parmi les fi-dèles du lieu, dire merveilleuse-ment les monologues d’AristideBruant et de Bernard Dimey.

Sur ce podium, égale-ment, des couples ontpu célébrer en grandepompe leur « non-de-mande en mariage »,avec champagne,confettis et musique àla clé.Le 6 août dernier, enouverture du festival,Max Chorier a remer-cié avec une émotiondifficilement contenuele public, les artisteset tous ceux qui ontfait le succès de Cha-ravines avant de lais-ser place aux invités

de cette 20e édition : Philippe Hen-nequin, les Décal’çons, le Pierre &Willy trio, Djamel Djenidi et l’en-semble El Djamila, les Polisson’g,Philippe Charlot, Catalina Claro etMichel Maestro, Bruno Granier etles Amis de Brassens, Michel Sa-danowsky, Annick Roux et YvesUzureau, et Bad Reputation. À notre tour aujourd’hui de direun grand merci à Nadine et à Maxqui ont été, avec les bénévoles deVivre à Chirens, les artisans mo-destes et passionnés de cetteexemplaire et belle aventure.

F. Clément

Festival

Charavines : vingt ans de bonheur !

Les Amis de Georges • n° 148 Novembre-Décembre 20156

Paco et Valérie Ambroise

Nadine et Max Chorier accompagnés par Philippe Boischot

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Cette jolie femmeintriguait bien des biographes et passionnés de Brassens. Qui était-elle ? Nous avonsretrouvé… son fils,Michel Gourdant,qui, à notredemande, nous faitdécouvrir l’histoirede sa mère enécrivant à sa place, le temps d’un article,ses «Mémoires».Mémoires de GinetteTerry (dite «Nadja»)– Nadja ou «Qui estdonc la belleinconnue sur laphoto devant le pontAlexandre Ill ?»

Non, je ne suis pas la femme deBertrand, pas la femme de Gon-tran, pas la femme de Pamphile…Ni même la femme d'Hector ! Jesuis née à Lyon le 14 mai 1924.Mon père, Lucien Terry, descendantd'Irlandais égarés en Dauphiné auxalentours de 1800, était, à Lyon,dépositaire, pour le Sud-Est, d'unefameuse marque de chocolat fa-briqué à Saint-Étienne par M. Pu-pier, dont les tablettes renfer-maient des images éducatives àcollectionner.Ma mère, Yvonne, née Ravet, pas-sionnée de littérature, gérait entredeux lectures l'administration del'entreprise ainsi que les préoccu-pations d'échanges d'images despetits collectionneurs.Ce préambule m'était nécessairepour en venir à vous demanderd'ouvrir, pages 134-135, celui devotre livre de chevet intitulé Bras-sens, lettres à Toussenot – 1946-1950, de Janine Marc-Pezet.Il convient de comprendre, sur cespages, que le chocolat en question

provenait d'envois de la « familleTerry », de Lyon, et non pas de« M. Pupier », de Saint-Étienne. Laconfusion était excusable car, enfait de Lyonnais débarquant im-passe Florimont, Jeanne ne devaitalors connaître que Roger Tousse-not, rencontré quai de Valmy, ausiège du Libertaire, en 1946, parGeorges-Charles (ainsi qu'àl'époque Brassens aimait se faireappeler, utilisant, entre autres, cepseudonyme pour la signature deses articles). Or à Lyon, à la mêmeépoque, ma mère, Yvonne, se trou-vant un jour, au hasard de ses pé-régrinations littéraires, au siège dujournal Le Progrès, fit la connais-sance du même Roger Toussenotdont, par phénomène d'attractionréciproque, elle ne pouvait quetomber amoureuse, autant intel-lectuellement que platoniquement.Les dates que je cite demandentvérification d'experts. Je ne veuxpas trop tracasser avec cela monfils Michel Gourdant (73 ans) quiest déjà assez aimable de tenir icila plume à ma place, étant donnéque j'en suis malencontreusementempêchée, en raison de mon décès,survenu le 1er juin 2010 à 12 h 30.Je venais d'avoir 86 ans. YvonneTerry, ma mère, donc, émue par lesespoirs littéraires déçus éprouvéspar Roger en vint à le salarier dansl'entreprise familiale, l'intronisant,du même coup, conseiller littérairede ces dames. Ma mère, évidem-ment, m'avait passé le virus. C'estainsi que, par l'entremise de RogerToussenot, la famille Terry fit laconnaissance de Georges Brassens.

La fille du passeurÀ l’occasion de passages à Lyon,Brassens était reçu à dîner à la ta-ble des Terry. Un soir, il montramême à mon petit Michel com-ment imiter la trompette bouchéeen se pinçant le nez. Ce qui setransforma chez lui, par la suite,en une passion pour l'harmonica.En saluant ses hôtes, Brassens nemanquait jamais de remercier parun compliment : «Oh ! MadameTerry, vous êtes la reine desnouilles» ou, selon… : «La reinedes tartes.» En 1949, j'ai accom-pagné Roger pour un séjour à Paris ;Roger était hébergé chez Jeanne, etmoi chez Joha. Plusieurs photos,dont celle devant le pont Alexan-dre III, ont été prises à l'occasion depromenades dans Paris. Vous l'au-rez compris, c'est moi, la jolie damesur la photo, avec Joha et Georges.Mon nom est Ginette Terry. Georgesm'avait rebaptisée «NADJA» car ilvenait de lire le livre du même nom,d'André Breton. Selon son humeurdu jour, Georges m'a aussi appelée

« la fille du passeur », parfois aussi« Sara » ou, pire, la « malheureusemuse ». Du matin au soir Georges,Roger et moi étions plongés, ab-sorbés, dans un monde irréel, oni-rique, où n'existaient que la poésie,la philosophie, la littérature. Consé-quence de tant d'intérêt, BlondeChenille et Grosbidon veillant augrain, il dut s'ensuivre quelquesfrictions. Si Roger Toussenot etJeanne Le Bonniec ont été les prin-cipaux piliers spirituels et maté-riels de l'accomplissement deGeorges Brassens, il ne faut pasoublier de citer ceux qui, à plusmodeste mesure, ont été là pour luiapporter leur aide aux temps demisère. Les colis de survie, chocolaty compris, expédiés de Lyon, dontGeorges et Roger font état dansleur correspondance, provenaientde Lucien et Yvonne Terry, mes pa-rents. Autant d'Auvergnats à sa-luer !Pour Nadja (sur la base des souve-nirs de son fils, Michel Gourdant)

Souvenirs

Nous avons retrouvé Nadja !

Les Amis de Georges • n° 148 Novembre-Décembre 20157

Georges et Roger en 1949.

Nadja et Joha.Nadja, Georges et Joha en 1949.

Nadja en 1954, elle avait 30 ans. Elle avait débuté une carrière de chan-teuse lyrique.

Joha, Roger et Nadja.

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Puis le public découvrit Oli-vier l'Hôte (auteur délicat quifit les beaux jours de l'Inté-grale Brassens organisée parl'association « Le GrandPan »), accompagné par leviolon virtuose de RaphaëlChetrit. Sa chanson La Luneétait particulièrement d'ac-tualité puisque, la nuit même,une éclipse de lune excep-tionnelle illuminait notreciel ! Olivier rendit aussi hom-mage à Brassens avec des in-terprétations très roman-tiques (La Marine, LesCroquants…)

En première partie, le groupe Malo, mené par Jérôme Arnould, auteur-compositeur-interprète, qui connaît son Brassens sur le bout du mé-diator puisqu'il publia en 1999, aux éditions Arthémus, un ouvrage in-titulé Brassens et la camarde qui couronnait ses études universitaires.Outre Jérôme (chant et guitare), le groupe se compose de Pierre Che-valier (clarinette), François Hope (contrebasse) et Margaux Liénard(violon et voix). Les chansons, tel leur créateur, oscillent entre poésieet gouaille, âme tsigane et racines classiques, non sans laisser unelarge place à une critique sociale bien contemporaine. Entre deux créa-tions de Jérôme, Malo fit souffler un Vent brassénien aux couleurs au-dacieusement klezmer mais – c’est trop rare pour ne pas le signaler– dans une version aussi personnelle que respectueuse de l’original.

La salle de la Grande Comédie bondée pouraccueillir la 9e édition des Amis de GeorgesAprès un détour l'an passé par le Palace, le gala des Amis de Georges a retrouvé la salle de la Grande Comédie, rue de Clichy. Et, pour la première fois, un dimanche. Mais qu'importe le jour, les passionnésde Brassens et de la chanson se sontretrouvés toujours aussi nombreuxpour applaudir les artistes, excellents. Est-il besoin de rappeler que tous prêtentgracieusement leur concours à cettemanifestation ? Un plateau prestigieux cette année encore,rehaussé par la participation de MaximeLe Forestier. Jean-Paul Sermonte, qui organisece gala et présente comme chaque année ce somptueux aréopage, ne manqua pas de saluer leur grande générosité, non sans préciser – humour corse oblige ! : «L'organisation de ce gala, c'est fatigant !»L’affaire s’est corsée – décidément ! – à l’écoute de cet enregistrement d'une radiosuisse des années 60 (époque où la censureétait particulièrement implacable) : version de la chanson «Le temps ne fait rien à l'affaire»… édulcorée du petit vocable de trois lettres qui a fait son succès.

Après Jacques, Fabienne Thibeault, inoubliable « ser-veuse automate » de l’opéra rock Starmania, de LucPlamondon et Michel Berger, chanta seule en scène surune bande orchestrale, ce qui n’empêcha pas le publicde manifester sa joie de retrouver cette mythiqueFranco-Québécoise : ses interprétations de Félix Leclerc(Le Petit Bonheur), Raymond Lévêque (Quand leshommes vivront d'amour), de Charles Trenet et Mou-loudji furent saluées avec une très amicale émotion.

Chronique

Grand Gala des A27 septem

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Les Amis de Georges • n° 148 Novembre-Décembre 20159

Esthétique : tel est l’adjectifqui peut témoigner du trèsgrand talent de Christina Ros-mini, magnifiquement ac-compagnée par le guitaristeBruno Caviglia et ChristopheGallizio, un remarquable per-cussionniste. Cette artiste dé-ploie son univers profondé-ment original sur un fondchatoyant de chansons et demusiques méditerranéennes,de poésie et d'humour. Pasfacile, pour une femme, d’in-terpréter Brassens ? La sélec-tion, très pertinente, des chansons du Sétois, et leur interprétation, vibrante sans lourdeur, ori-ginale sans trahison, de Christina Rosmini, fait oublier la question ! Sa version franco-espagnolede Saturne et son Gastibelza ont irradié le public, et durablement ! Juste avant l'entracte, l'habituel tirage de la tombola fit trois heureux parmi les spectateurs quise virent offrir des lots exceptionnels d’ouvrages et de collections de CD.

Quel plaisir, ensuite, que de retrouver, Jacques Mailhot,l'un de nos plus célèbres chansonniers, égalementhomme de radio et de télévision, mais aussi directeur dumythique théâtre des Deux Ânes ! Avec lui, l'actualité politique tombe sous le couperet del'impertinence et de la satire. Fous rires irrépressiblesd’une salle conquise par son esprit aussi subtil que mor-dant, qui remet à leur place des politiciens auquel il prête(sans intérêts, c’est plus prudent) un humour d’autantplus décapant qu’il échappe aux intéressés !

Fidèle à sa parole de participer à ce gala, Maxime Le Forestier entra en scène sousun tonnerre d’applaudissements. Juché sur son tabouret, l’œil malicieux et la gui-tare affûtée, il enchaîna L'Orage, La Maîtresse d'école, Chansonnette à celle quireste pucelle, Le Parapluie, Les Passantes… avant d’attaquer Une jolie fleur. Après le vers « elle n'avait pas l'esprit beaucoup plus grand qu'un dé à coudre »,il marqua un temps d’arrêt : « Vous avez vieilli, lança-t-il, pince-sans-rire au pu-blic (féminin !) Dans les années 70, à ce moment de la chanson, les spectatricesréagissaient ! » Puis de reprendre : « On ne demande pas / Aux filles d’avoir inventé la poudre » Alors les spectatricesretrouvèrent leur verve de naguère et sifflèrent le passage supposément misogyne,avant que les spectateurs des deux sexes ne s’unissent pour applaudir Le Fores-tier, réunis dans une même ferveur !

Un DVD a été enregistré, par une équipe de ci-néastes professionnels pour perpétuer lesmeilleurs instants de ce gala unique.

Il paraîtra à la fin du mois. Film hors com-merce, tirage limité, destiné uniquement auxADG. À commander à : Les Amis de Georges, 13 av. Pierre-Brossolette, 94400 Vitry-sur-Seine. Le DVD : 18 E + 3 E de port

Amis de Georgesmbre 2015

Des moments précieux

Le gala fut dédié à Guy Béart dont Jean-Paulcita ces vers très touchants, extraits de L’Espé-rance folle : « La mort c’est une blagueLa même vagueNous berce toujours »

Lionel Lévêque

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Chronique

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Mon vieux Gorille,Tu nous as bien eus. Pourtant, Dieusait si on se méfiait, si on se croyaitblindés contre les procédés d'ef-fraction des fabricants de veu-dettes !Depuis qu'on est au monde etqu'on est des cherzauditeurs, deschers spectateurs, des chers lec-teurs, des chers boulotteurs demargarinastra, de vachekiri, depostillon, de cocacola, de quatche-vaux, de tissuboussac, de caroline-chérie, de roberlamoureux, de bri-gittebardot et de minoudrouet, oncroyait avoir appris à naviguer enslalom entre les pièges de lagrande retape publicitaire. L'expé-rience comme toute expériencenous avait été amèrement acquise,n'est-ce pas, Gréco ? N'est-ce pasSagan ? Mais enfin, on se sentaiten sûreté dans un coffre-fort descepticisme en acier au tungstène,absolument impossible à fracturer.Tu ne le fracturas pas. Tu avais laclé dans ta poche.Ce jour-là, mon vieux poste trico-tait tout bas, dans mon dos, cet in-saisissable radotage qui colore lasolitude sans imposer l'écoute. Etvoilà que, dans l'engourdissementronronnant des mots à peine ouïs,quelque chose m'avait mordu autalon. Potentiomètre aussitôt des'entrebâiller un rien de plus, pours'ouvrir enfin triomphalement à lachère voix qui tirait, au bout d'uneficelle, La Cane de Jeanne.Ainsi, tu pénétras, bourru, traînantta guitare, dans les « moi » cade-nassés des irréductibles, insoumis àla médiocrité universelle, à la poé-sie de carte de Noël, à l'art de Pri-sunic, au clinquant, à la fausse

Publié sous le pseudode Sépia dans larevue Cordées no 35,l’auteur des Ritals a consacré cet article à Georges en 1958. Un documentémouvant.

bonhomie, à la bêtise au front detaureau. Ceux-là t'aimèrent toutde suite.T'aimèrent aussi, hélas ! les galo-pins et les commis-voyageurs,grands amateurs de chansons «dé-gueulasses qui braillaient ton Go-rille et ton Hécatombe dans lestrains du dimanche soir, en guisede variante au caduc « Il est cocu,le chef de gare… » ou bien les dé-taillaient, en fin de banquet. Àgrand renfort de clins d’œil auxdames aux bons endroits.Les femmes du monde ne te lou-pèrent pas. Tu étais si adorable-ment féroce, si délicieusement osé,ma chère ! Et c'est de la vraie poé-sie, vous savez ? On dirait du Villon.Tu leur jetais tes coups de dents, àces emplumées, et ça les faisaitroucouler d'excitation. Le gros go-rille avait un anneau dans le nez etse grattait la guitare comme on segratte l'aisselle… Mais il fautbouffer, tu avais largement gagnéta soupe, et les snobs sont là pourcasquer.Que les imbéciles et les snobst'aient annexé, rien de gravejusque-là.L'ennui, c'est qu'aujourd'hui lesnobisme n'est plus l'apanage d'unpetit groupe d'oisifs pleins de fric.Le snobisme est la chose du mondela plus répandue. Tout le mondeest snob, platement, servilement,tyranniquement snob. On t'injectaà quelque cinquante millions deFrançais, de Belges, de Suisses. Tuscandalisas les soirées sous lalampe selon un rythme prévu, ti-rant au même moment la mêmeexclamation horrifiée de millionsde bouches arrondies en unemême évocation d'orifice de poule.Ne te méprends pas, Gorille. Je nemets pas en doute la sincérité deton personnage. Tes déboires, tamisère, ta longue lutte contre l'in-compréhension et le conformisme,ta timidité, ton mauvais caractère,tes suées fluviales, ton taudis bien-aimé, tes chats… Pourquoi toutcela ne serait-il pas vrai ? Ça l'est,j'en suis sûr. Mais là n'est pas laquestion. Vrai ou faux, on s'en fout,Gorille ! Ce qui compte, ce qui estnavrant, c'est que tout cela n'est

plus qu'accessoires de ta légende,que bric-à-brac attendrissant pourlectrices de Elle ou de Cinémonde.De tout cela, de tout ce qui est toi,et surtout de tout ce qui, plus oumoins tripoté par les spécialistes,met l'accent sur le personnagequ'une fois pour toutes on a décidéque tu serais, on a fait des argu-ments publicitaires.

Tu es pris dans l'engrenage, le bongros engrenage feutré de la so-phistication. Étant donné l'imagequ'on traça de Brassens, il t'a fallute conformer à cette image. Toutcomme une Brigitte Bardot ou unTino Rossi.

Te voilà au cinéma, consécrationsuprême. Évidemment, tu ne pou-vais pas t'y comporter autrementqu'en gorille. Match, Elle et Ciné-monde répandirent les échos illus-trés d'un Brassens indiscipliné,boudeur, mauvais, et qui, pour finir,claque la porte en jurant qu'on nel'y prendra plus. Voire…

Les vedettes ne se différencientque par leur façon de conquérir lanotoriété. Gréco sortit des caves,Sagan du lycée, Minou du berceau.Toi, tu sors du fond des bois. Mais,une fois le seuil difficile franchi,aucune gloire «arrivée» n'a pu évi-ter la mise au pas publicitaire.

Après le truc nouveau qui assure ledémarrage, il n'y a plus qu'à selaisser porter par la bonne petiteroutine. Le «nouveau» duresur son élan une vie en-tière. Vois Trenet, voisChevalier, Tino…

Ton truc, à toi, ce fut lenon-conformisme. Cenon-conformisme résolut'a résolument portéjusqu'au fauteuil moel-leux du conformisme. Ettoi, le plus « cru », le plus« nature », le plus antilé-gende des hommes, te voilànanti de la plus richementalimentée des légendes.

Les plus étriqués, les pluségoïstes des petits-bour-geois raffolent de toi. EnSuisse, forteresse duconformisme et du bien-pensantisme, on trouve

tes disques dans tous les foyers.En t'écoutant, les bonnes brutesquotidiennes se sentent s'ouvrir àun flux de juvénile audace.Un souffle frais de liberté un peucanaille, de papillons, d'espadrilles,d'amour sur les fougères, de pitiépour le petit âne, de gros vieux ar-bre moussu et de nique aux gen-darmes les épanouit. Ils sont poètes, ils sont bons, ilssont jeunes ! Puis ils ferment lepick-up, rajustent leur faciès degens sérieux et reprennent bien enmain leur férocité minable, raffer-mie par cette brève détente.Tu es le bouc émissaire chargé deporter à toi seul la poésie, l'anar-chie et les bons sentiments de toutun peuple qui a autre chose à faire.Comment pourrions-nous démêlerle vrai et le faux là-dedans ? Oùs'arrête la spontanéité, où com-mence le préfabriqué ? Derrière cegorille en contreplaqué qui branditd'une main une massue, de l'autreune marguerite, y a-t-il encore unBrassens ? Ou seulement une ma-chine à débiter du non-confor-misme pour pantouflards bornés ?Sacré vieux Gorille, va !Tu nous as bien eus.

Sépia

Hommage

«Lettre ouverte au Gorille»Quand Cavanna écrivait sur Brassens

Les Amis de Georges • n° 148 Novembre-Décembre 201510

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Chaque soir, depuis six mois, Pata-chou pousse littéralement sur lapetite scène de son cabaret, àMontmartre, une sorte de géant ti-mide qui semble à peu près aussiravi d’affronter le public qu’un ma-nifestant communiste qu’on auraitamené dans une chambrée degardes mobiles.Pourtant, dès que Georges Bras-sens, tel est son nom, chante, lemerveilleux contact que tant d’ar-tistes essaient en vain d’obtenirs’établit. Il n’y a plus dans la sallequ’une présence, celle de la poésie.Car Georges Brassens est un au-thentique poète, de la lignée desVillon, des Paul Fort, des FrancisJammes, pour lesquels il manifested’ailleurs une grande admiration.Est-ce parce qu’il est né à Sète, pa-trie de cet autre enfant des musesqu’était Paul Valéry, que Brassens aété touché par la grâce poétique ?

Un document ! Le premier grandarticle sur Brassensparu dans La Presse le 21 juin 1952, six mois aprèsses débuts chez Patachou…

Il ne le pense pas. Il est né poètecomme d’autres naissent sourds-muets, tout naturellement si l’onose dire.

L’événement se passait un jourd’octobre 1921. Son père, entre-preneur de maçonnerie, se frottales mains en pensant qu’il lui étaitné un successeur.

Sa mère, une jolie Napolitaine, rê-vait, en secret, d’en faire un officierde marine. C’était trop légèrementdisposer du sort qui, déjà, en avaitdécidé autrement.

Jusqu’à 18 ans, rien ne différenciel’existence studieuse de GeorgesBrassens de celle de ses petitscondisciples du lycée.

Tout au plus a-t-il pris l’habitude degriffonner des vers sur ses cahiers,au hasard de son inspiration, defredonner des airs à lui au gré deses joies et de ses peines. Maisnous sommes tous plus ou moinspassés par là.

Un beau matin de 1939, alors quetout le monde pense que le jeunelycéen n’a en tête que la prépara-tion de son « bac », qu’il doit pas-ser sous peu, Georges Brassensréalise brusquement, avec la har-diesse des timides, un rêve qu’ilforme depuis longtemps : il quittesa famille et « monte » à laconquête de Paris. Il aura à peine letemps d’installer son bivouac, car,en fait de conquêtes, M. Daladierl’invite bientôt à s’occuper de cellede la ligne Siegfried.

Fait prisonnier, le poète va « villé-giaturer » pendant quatre ans àBerlin.

À son retour de captivité, il re-trouve le Paris de ses rêves de ly-céen. Mais le lycéen est devenuhomme et Georges Brassens nevoit plus la vie sous les mêmes as-pects, sous les mêmes couleurs quejadis. Il n’a pas de métier, pas detravail. Une existence nouvellecommence pour lui. Il se détachepeu à peu de la société dans cequ’elle a d’organisé, de conven-tionnel, il se réfugie dans la poésie.

Anarchiste au cœur pur, il ne testepas les hommes, il ne les voit pas ;il n’envisage pas de détruire à labombe les institutions, il les ignore. Il vit dans un monde à part, qu’il necherche même pas à expliquer. Onéprouve à le voir la même impres-sion qu’en visitant ces vieilles de-meures d’un autre temps, chargéesde souvenirs et de fantômes, quifont dire : « Ah ! si ces vieillespierres pouvaient parler ! »« Georges Brassens ne parle pas,mais il écrit et il chante :

« Le jour du quatorze juillet,Je reste dans mon lit douillet,La musique qui marche au pas,Cela ne me regarde pas.Je ne fais pourtant de tort à per-sonne,En n’écoutant pas le clairon quisonne.Mais les braves gens n’aiment pasqueL’on suive une autre route qu’eux.Tout le monde me montre du doigt,Sauf les manchots, ça va de soi. »

Les « braves gens » ont quelqueexcuse à ne pas comprendre cegaillard qui ne travaille pas, qui vitde l’air du temps. Georges Bras-sens a réussi, en effet, à réduireses besoins au strict minimum, à sepasser à peu près de tout. Il n’a pasde maison et vit au gré de l’hospi-talité de ses amis. Il mendie volon-tiers son pain et, quand l’envie luiprend de composer, c’est à l’amiJacques Grello qu’il emprunte saguitare.

Il a écrit ainsi plus de cinquantechansons quand, un soir, il rencon-tre Patachou. Quels amis l’ont amené là ? Il nes’en souvient plus. Timide et repliésur lui-même, perdu dans ses vi-sions intérieures, il ne se souvien-drait peut-être même plus au-jourd’hui de Patachou si celle-ci,intriguée puis enthousiasmée partant de talent associé à tant de

sauvagerie, ne l’avait traîné jusqu’àla scène et obligé à chanter sesœuvres.Ce fut une révélation.Depuis, chaque soir, « Tyranette »,c’est ainsi qu’il a baptisé Patachou,pousse son « grand sauvage »,c’est ainsi qu’elle le nomme, vers lepublic. Un public qui vibre aux ac-cents nouveaux des chansons dupoète. Un public tout émerveilléd’entendre des mots connus quisemblent résonner différemment,qui chantent la peine du « pauvrefossoyeur » :« Les vivants croient qu’ je n’ai pasde remordsÀ gagner mon pain su’ l’ dos desmorts.Mais ça m’ tracasse et d’ailleursJ’ les enterre à contrecœurJ’ suis un pauvre fossoyeur. »…ou les amours de Cendrillon :« Sur sa bouche en feu qui criait :“Sois sage !”Il posa sa bouche en guis’ debâillon.Et c’ fut l’ plus charmant des re-mue-ménageQu’on ait vu d’ mémoire de pa-pillon. »Mais le poète poursuit son rêvesans se soucier du succès que luifait son public. Sitôt le dernier vers,la dernière note, il fuit les applau-dissements sans saluer et courts’isoler dans la foule montmar-troise. Il aime se promener, la pipeau bec, dans ce Montmartre où,dit-il, « il est né au monde ». Sa seule véritable compagnie, c’estdans les animaux qu’il la trouve, etle moins étonnant n’est pas que legrand souci de ce bohème imperti-nent soit d’assurer la provende aucorbeau, aux quatre chiens, à lamultitude de chats et aux dix ratsqui, chaque soir, attendent impa-tiemment son retour.Légende photo : l’article de LaPresse découpé et daté parGeorges lui-même.

Presse

Maîtresses très exigeantes,l’anarchie et la poésie se disputent Georges Brassens

Les Amis de Georges • n° 148 Novembre-Décembre 201511

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De l’année 1910 quand ils fontconnaissance, et jusqu’à 1939, lafin de leurs relations épistolaires,Romain Rolland et Stefan Zweigont échangé près d’un millier delettres. Un témoignage inestima-ble sur l’histoire tragique de cetteEurope fracassée par deux guerres,sur leur extraordinaire amitié endépit de leurs opinions parfois di-vergentes. Des échanges d’une profonde ri-chesse sur leur œuvre respective,

Depuis 2014,la commémorationde la Grande Guerredonne lieu à de nombreusespublications,spectacles,expositions… C’est dansce contexte qu’estéditée en plusieurstomes la correspondanceentre deux des plus grandspenseurs, écrivains,pacifistes du XXe siècle, le Français RomainRolland et l’AutrichienStefan Zweig1. Bien que ne l’ayantpas connu, Georges Brassensvouait à RomainRolland une profondeadmiration2.

extrêmement féconde, notammentdans l’entre-deux-guerres. Une ré-flexion grave et souvent doulou-reuse, sur l’évolution des sociétésde ce monde bouleversé, et sur lesdestinées souvent tragiques deleurs proches, amis, écrivains,poètes, penseurs…

Quand ils commencent à corres-pondre, les deux écrivains sontconnus, et Romain Rolland déjà cé-lèbre. Ils ont quinze ans d’écart, etStefan Zweig considère RomainRolland comme son maître.

Stefan Zweig traduira et feraconnaître l’œuvre de Rolland del’autre côté du Rhin. Tout au longde leur correspondance, ils échan-geront des avis et conseils sur leurœuvre respective.

Les dix premières années de leurcorrespondance sont marquées parla guerre de 1914. « Je suis accablé.Je voudrais être mort. Il est horriblede vivre au milieu de cette huma-nité démente et d’assister, impuis-sant, à la faillite de la civilisation»,écrit Romain Rolland. « Le silenceet l’indifférence sont criminels au-jourd’hui », lui répond comme enécho Stefan Zweig. Et d’ajouter :« Nous tous qui voulions la paix,sommes punis aujourd’hui parceque nous ne la réclamions pasaussi fort que ceux qui réclamaientla guerre. Cela devrait nous servirde leçon !» En France, Romain Rol-land est haï et vilipendé par lapresse et l’opinion publique pourses idées pacifistes, exprimées no-tamment dans son manifeste Au-dessus de la mêlée. « Je ne com-bats point la guerre, je combats lahaine », écrit-il à Zweig. Quand ilrecevra le prix Nobel en 1915, iln’en sera que plus détesté. En Eu-rope, Stefan Zweig sera un desseuls écrivains à le soutenir, et àl’aimer, et ce, malgré leur diffé-rence de nationalité.

Et malgré, aussi, leur analyse par-fois opposée des conditions deguerre et des conséquences pour lapopulation civile notamment surles exactions – avérées ou non –

commises par les soldats alle-mands. Mais ces désaccords n’en-tament pas leur amitié. « Vous éveillez en moi ce qu’il y ade meilleur », lui écrit Zweig.Pendant toutes ces années, ils par-tageront une volonté communed’œuvrer en faveur d’une Europeréconciliée, fondée sur « l’esprit eu-ropéen ». « Que deviendra lemonde, après qu’auront passé cescyclones de haine ? […] Il s’agit desauver en nous l’esprit européen,l’esprit universel», déclare RomainRolland. « La première tâche serade grouper dans le monde lesfortes individualités libres, déga-gées des préjugés de toutes les pa-tries et de tous les partis… » Ilsprépareront pour l’après-guerre, àl’initiative de Rolland, la créationd’une « haute cour morale, un tri-bunal des consciences » et une re-vue internationale, Réconciliation,qui, hélas, ne verront pas le jour.

Leur amitié sort renforcée de cesannées de guerre et se poursuitpar leur correspondance dans lesannées 1920-1927. Pendant les an-nées 1920, dans un climat appa-remment pacifié, leur œuvre res-pective est riche et abondante. Lesdeux écrivains partagent leur créa-tion littéraire et les très nom-breuses lettres de cette période té-moignent de leur encouragementmutuel.

Au cours de cette période ils serencontrent à plusieurs reprises, etStefan Zweig voyage beaucoup àtravers l’Europe.

En apparence, leur amitié sembleintacte, notamment quand ils par-lent création littéraire ou quand ilsévoquent ce qui les a unis pendantla Grande Guerre.

Leurs lettres disent le même espoird’un monde nouveau, mais aussiles mêmes déceptions et lesmêmes craintes et angoisses d’unenouvelle prochaine guerre : « Jesuis tout à fait certain que notreOccident est condamné à laruine… La vieille Europe périt vic-

time de sa criminelle folie », écritRomain Rolland en 1921. « Voicile triomphe du nationalisme. Oui,nous aurons bientôt la guerre »,s’inquiète aussi Zweig après l’as-sassinat, par l’extrême droite en1922, de Walther Rathenau, minis-tre allemand des Affaires étran-gères.

Pourtant des failles commencent àapparaître dans leur entente, versla fin des années 1920, qui coïnci-dent avec le retour en Europe desnationalismes et de l’antisémi-tisme, et la montée du fascisme. Fin1926, Zweig refuse de signer l’ap-pel à s’unir contre le fascisme lancépar Henri Barbusse et Romain Rol-land, au prétexte que Barbusse« jamais ne donnerait sa signaturepour une protestation contre uneviolence bolchévique ». RomainRolland dans sa réponse lui parlede la nécessité de s’allier « avecles seuls qui osent agir et parler ».

Leurs divergences se feront plusfortes et irrémédiables, dans leurcorrespondance des années 1930 –dont l’édition est à venir, ce quientraînera pour les deux écrivainsla fin de leurs relations épistolairesen 1939, et, de fait, la fin de leuramitié.

À partir des années 1930, leursdésaccords seront d’autant plusprofonds qu’ils sont politiques,concernant notamment les rela-tions avec l’URSS. En 1933, RomainRolland écrit à propos de StefanZweig : « […] nos chemins se sontséparés. Il ménage étrangement lefascisme hitlérien qui, cependant,ne le ménagera pas… »

À ces désaccords politiques s’ajou-tent aussi des déceptions sur leplan personnel. Il semble queZweig n’appréciait pas la nouvelleépouse de Romain Rolland, MariaKoudacheva, une jeune Russe so-viétique qu’il avait épousée en1934. Ainsi, en 1935, Zweig écrit àsa femme Frederike : « […] Il [Rol-land] a l’air vieux et fatigué. […] Ilest entièrement entre ses griffes, àsoixante-dix ans, il se met à ap-

Rencontre

Correspondance Romain Rolland-Stefan ZweigPacifisme et humanisme, les valeursque Brassens aurait partagées

Les Amis de Georges • n° 148 Novembre-Décembre 201512

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prendre le russe et il est tout saufl’homme libre qu’il était… Il n’estplus qu’un agent politique au ser-vice d’une puissance qui ne lui ensera pas reconnaissante. »En outre, en ce milieu des années1930, traqué, pourchassé par lesnazis, son œuvre brûlée, StefanZweig est très éprouvé et dépriméet quitte définitivement l’Autriche.« Il est bien dur après trente ans detravail honnête de venir dans unpays comme un fuyard, commeexilé », écrit-il à Rolland. Il com-mence à perdre confiance en lui. En 1937, il confie à Frederike : « Jedeviens méfiant à mon propreégard depuis que je vois s’éloignermes plus anciens amis, commeRoth, Rolland (pour cause de dés-accord politique). Peut-être ma fré-quentation offre-t-elle de réellesdifficultés… » En 1938 il divorceégalement d’avec Frederike.Dans ce qui est probablement sadernière lettre à Romain Rolland enoctobre 1939, il écrit : « […] cou-rage et ténacité pendant les heuresde terreur qui nous attendent peut-être ! Même du fond de l’abîme, onpeut voir un peu du ciel et des as-tres, si on lève courageusement latête… »Loin de sa Mitteleuropa, se réfu-giant de pays en pays, en Angle-terre puis aux États-Unis, Stefan

Zweig sera accueilli au Brésil en1941 où, lassé, déprimé, ne voulantplus attendre la fin de la guerre nivoir le monde d’après, il se suici-dera en 1942 avec sa jeune femme,Lotte, qu’il avait épousée en 1939 :« Unis dans l’amour, nous avonsdécidé de ne pas nous quitter. »Les jours précédant sa mort, il lais-sera des lettres d’adieux à sesproches. À Frederike, pour laquelle il avaitgardé la même affection, il devaitécrire ces derniers mots : « Je suiscertain que tu verras des tempsmeilleurs et tu me donneras rai-son de n’avoir pas pu attendre pluslongtemps avec ma bile noire. »Il n’écrira pas à Romain Rolland. Cedernier apprendra la mort de Ste-fan Zweig par la radio. Et lui rendraun hommage posthume.

1 Les deux premiers tomes de cetteédition sont parus : Correspondance1910-1919 en 2014 etCorrespondance 1920-1927 cetautomne 2015. La correspondancedes années 1930 est à paraître.Édition établie par Jean-YvesBrancy, docteur en histoire de l’université de Toulouse-II.Albin Michel.

2 Voir encadré.

Danièle Salque

Rencontre

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Brassens éprouvait une vive admiration pour Romain Rolland, « le pa-triarche de la non-violence ». Il n’a pas connu l’auteur de Jean-Chris-tophe, décédé en 1944. En revanche, il a rencontré Mme Marie Romain Rolland, chez elle, au 89,bd du Montparnasse. Une lettre inédite de la veuve du grand écrivaindatée du 15 juillet 1981, trois mois avant le décès de Georges, en té-moigne : « Je n’ai pas oublié votre visite et je continue de vous écou-ter quand on donne un disque de vous à la radio. Et j’ai acheté quelques-uns de vos disques pour le centre Jean-Chris-tophe, qui sert à des rencontres internationales. Naturellement tous lesFrançais vous connaissent et je voudrais que les Allemands vousconnaissent aussi […]

Comme vous aimez Romain Rolland, je vous envoie le dernier Cahier-collection où nous publions des inédits concernant un garçon mort à23 ans ; c’était le petit-fils du président Loubet. J’espère que ce livre vousplaira…» Comment l’auteur du Pluriel n’aurait-il pas apprécié celui quiécrivait : « Tout homme qui est un vrai homme doit apprendre à resterseul au milieu de tous, à penser seul pour tous – et au besoin contretous. » À quelques années près ils auraient pu se voir, s’écrire… Nul doute queRomain Rolland eût apprécié à sa vraie valeur La mauvaise réputation…

Jean-Paul Sermonte

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«Mac Orlan donne des souvenirs àceux qui n'en ont pas. »Ainsi parlait Georges Brassens del'aventurier immobile de Saint-Cyr-sur-Morin, à qui il allait rendre vi-site pour discuter littérature, poé-sie, chanson… mais aussi pours'évader, voyager dans le temps etl'espace. Conteur de grand talent,Pierre Mac Orlan avait, depuis sonfauteuil, le don de transporter sonauditoire vers de multiples hori-zons.L'œuvre de celui qui forgea la no-tion de « fantastique social » étaitparticulièrement bien représentéedans la bibliothèque de Georges.Dans une chronique inédite, AndréTillieu cite par exemple La Cava-lière Elsa (1921), Sous la lumièrefroide (1926), Le Quai des brumes(1927) ou encore La Bandera(1931). Mais notre Sétois n'avaitpas oublié non plus l’œuvre poé-tique de Mac Orlan. Les Poésiesdocumentaires complètes (1954)ne l'avaient pas laissé insensible,tout comme les Chansons pour ac-cordéon (1953). [André Tillieu,Brassens – D'affectueuses révé-rences, Arthémus, 2000, p. 286] Outre Germaine Montero, MoniqueMorelli avait également interprétéces dernières, enregistrées sous ladirection de Lino Léonardi (accor-déoniste et compagnon de la chan-teuse) et avec Pierre Nicolas à lacontrebasse. Deux disques enavaient été tirés : Chansons deMac Orlan (Le Chant du MondeLDM 4242), 33 T 25 cm sorti en

Georges Brassens et Pierre Mac Orlan

1962, puis Monique Morelli chantePierre Mac Orlan (Arion 30 D 058),33 T 30 cm sorti en 1968. Le se-cond (distingué par un Grand Prixde l'académie Charles-Cros et ré-édité dix ans plus tard sous le titreMonique Morelli, Chansons duQuai des brumes, Arion 33.474)nous intéresse particulièrement car,au verso de sa pochette, se cô-toient deux textes respectivementsignés Pierre Mac Orlan et GeorgesBrassens. Ce dernier évoque sonami et confrère :« Ah ! Les veillées à Saint-Cyr-sur-Morin où ce sacré bonhomme, no-tre grand-père cent fois plus jeuneque tout le monde, prodigue lesbelles histoires, “donne des sou-venirs à ceux qui n'en ont pas”. Etil sait très bien, lui, le bougre, où onles trouve, ces fameuses “neigesd'antan” que chaque générationcherche en vain depuis des siècleset des siècles.« Encore une, Mac, encore une…« Il y aura toujours des petits en-fants un tant soit peu patibulairespour s'émerveiller de tes chansons,de tes contes des Mille et UneNuits suspectes. Car les vieilles ca-sernes désaffectées, les légions dé-faites, les bouges frappés d'ali-gnement, les marins des vaisseauxfantômes et les filles à soldatsayant des faux airs de madone sesont réfugiés dans tes couplets :leur Panthéon. » Car la chanson tient une place dechoix dans l’œuvre de PierreMac Orlan, accordéoniste amateur

inscrit à la Sacem dès 1936. Jean-Pierre Chabrol écrivit à propos durapport qu'entretenait Mac Orlanavec celle-ci qu'elle «n'est pas sonviolon d'Ingres, c'est l'une des voixnaturelles de sa vie créatrice. » Enpréface des Chansons de la vieillelanterne (1967), illustrées de44 bois originaux d’Henri Landier,l'auteur du Quai des brumes s'ex-prime ainsi :« Je me retrouve donc dans toutesmes chansons, tantôt en acteur,tantôt en spectateur. […] Pour unvieil homme, c'est une situation in-solite mais non sans charme, quede se retrouver en présence de sesanciennes apparences, des appa-rences chargées de détails dont lasomme, péniblement acquise, de-vient la substance même de ce quel'on appelle un écrivain. »L'intérêt de Mac Orlan pour le qua-trième art remonte aux an-nées 1920 où il participa à l’unedes premières émissions de la sta-tion Radiola, laquelle devint Ra-dio-Paris le 29 mars 1924 avant depasser sous le contrôle de l’État le17 décembre 1933. Il fut, à partirde 1927, auteur de l'une des pre-mières chroniques de disques dansla presse. Entre 1930 et 1940, ilparticipa à des émissions sur desstations privées et, de 1947 à 1960,à des émissions sur la Radiodiffu-sion française (RDF), dont Paul Gil-son était directeur des services ar-tistiques. Ce dernier avait confiéun « Bureau de poésie » à AndréBeucler. S'y étaient retrouvés, outreMac Orlan, des hommes de lettrestels que Loys Masson, PhilippeSoupault, Nino Frank et Georges-Emmanuel Clancier.Pierre Mac Orlan tenait à créer,« [non] pas des poèmes mis en mu-sique, mais des chansons écrites,

autant que possible, en respectantles règles du jeu. » Des chansonsécrites pour être interprétées pardes femmes car, selon lui, seuleune voix féminine était capable detransmettre une atmosphère oud'évoquer un décor issus de sonœuvre. L'auteur de La CavalièreElsa écrivit en tout une soixantainede chansons qu'il fit mettre en mu-sique par des compositeurs commePhilippe-Gérard, Léo Ferré, GeorgesVan Parys, Christiane Verger, LinoLéonardi, mais aussi Marceau Ver-schueren dit V. Marceau. C'est d'ail-leurs avec ce dernier qu'il prenaitdes cours d'accordéon après avoiracquis un Cavagnolo qu'il exhibaitde temps à autre pour divertir lesamis qui venaient lui rendre visiteà Saint-Cyr-sur-Morin.« Avec quelques chansons, touthomme peut raconter sa vie. Pourmoi, écrire des chansons c'est écriremes mémoires.» Cette célèbre cita-tion attribuée au père Mac prit toutson sens avec la publication du re-cueil Mémoires en chansons,en 1965. La même année eut lieu letournage de l’émission LesConteurs, chez Jean-Pierre Chabrol,avec Georges Brassens et l'ermitede Saint-Cyr. Sans dire mot, ce der-nier écoutait la poésie de son ami,dont il souligna la propension à tou-cher les jeunes générations, à l'ins-tar de celle de Jacques Prévert :“Prévert et Brassens, on peut leurfaire confiance, ils n'ont rien solli-cité. C'est le monde des jeunes gensqui est allé à leur rencontre pourleur apporter le succès.” » (« Lachanson, art de l'adolescence», Arts,28-03-1956.) (à suivre) Crédit photos : © Musée départe-mental des Pays de Seine-et-Marne

Sébastien Lesné

Dossier

L'univers poétique de Mac Orlan

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Georges Brassens et Pierre Mac Orlan à La Moderne (1968)

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