leon bloy - exegese de lugares comuns

316
Exégèse des lieux communs / Léon Bloy Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

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Page 1: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

Exégèse des lieuxcommuns / Léon Bloy

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Page 2: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

Bloy, Léon (1846-1917). Exégèse des lieux communs / Léon Bloy. 1902.

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Page 3: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

RELIURE SERREE

Absence de marges

intérieures

Valable pour tout ou partie

du document reproduit

Page 4: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

Original en couleur

NF Z 43-120-8

Page 5: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

LÉON BLOY

Lièî& Communs

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés.

Les Animaux malades dc la peste.

PARIS

SOCIÉTÉ DVMERCVRE DE FRANCE

XVP RVE DE l'ÉGHAVDÉ-SAINT-GERMAIN,XV

mcmil

Page 6: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

Couverture inférieure manquante

Page 7: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

!^v\ EXËGESE

DESLIEUX COMMUNS

Page 8: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

DU MÊME AUTEUR

v LE révélateur DU GLOBE, (Christophe Colomb et sa Béa-

tification future).Préface de Jules

Barbey d'Aurevilly.

PROPOS D'UN ENTREPRENEUR DE DÉMOLITIONS.

v LE pal, pamphlet hebdomadaire. (Les 4,nos parus.)

LE DÉSESPÉRÉ, édition Soirat, la seule approuvée par l'auteur.

r'UN BRELAN D'EXCOMMUNIÉS. (Barbey d'Aurevilly. Ernest

Hello. Paul Yerlaine.)

CHRISTOPHE COLOMB DEVANT LES TAUREAUX.

LA CHEVALIÈRE DE LA mort. {Marie- Antoinette .)

v- LE SALUT PAR LES JUIFS.

SUEUR DE SANG. ( 1870-1 87 1) Portrait de l'auteur en 1893

et trois dessins exécrables d'Henry de Groux.

i LÉON BLOY DEVANT LES COCHONS.

rHISTOIRES DÉSOBLIGEANTES.

ICI ON ASSASSINE LES GRANDSHOMMES,

avec un portrait et un

autographe d'Ernest Hello.

LA FEMMEPAUVRE, épisode contemporain.

le mendiant INGRAT (Journal de Léon Bloy).

r LE FILS de louis XVI, avec un portrait de Louis XV1I en

héliogravure.

JE m'accuse. Pages irrespectueuses pour Emile Zola et

quelques autres. Curieux portrait de Léon Bloy à 18 ans.

Page 9: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

LÉON BLOY

Exégèse

1" ]; des

Lieux Communs

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaientfrappés.

Les Animaux malades de la peste.

PARIS

SOCIÉTÉ DV MERCVRE DE FRANCE

XV, RVE DE l'jÉCHAVDÉ-SAINT-GERMAIN, XV

WGMII

Page 10: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE

Trois exemplaires sur japon impérial,

numérotés de r à 3, et

Douze exemplaires sur papier de Hollande, numérotés de 15.

JUSTIFICATION DU TIRAGE

Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays, y comprisla Suède, la

Norwège et le Dunemnrk.

Page 11: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

A RENÉ MARTINEAU

Rappelez-vous, cher ami, notre petite chapelle

de Sainte-Anne et de Saint-René, si humble et si

pauvre, là-bas, près de l'Océan. En souvenir de

cette chapelle et de l'hospitalité de Ker Saint-

Roch, je vous prie d'accepter la dédicace de ce

livre, plus grave et plus douloureux qu'il n'en a

l'air, où j'ai montré, comme il m'a plu, le mal

dont on meurt.

Votre nom affronté au mien, dès cette première

page, vous condamne à partager mes disgrâces.

Ami de l'écrivain malfamé que vous osâtes nom-

mer un vivànt, comment échapperiez-vous à votre

destin ?

Notre rencontre fut un miracle appelé par la

Douleur et on ne manquera pas de vous dire que

la persistance de notre amitié en est un autre. Le

plus étonnant prodige n'est-il pas qu'un homme se

soit évadé avec enthousiasme des Lieux Communs

où l'on dîne pour venir héroiquement ronger avec

moi des crânes d'imbéciles dans la solitude?

Lagny, 31 décembre igoi.

LÉON BLOY

Page 12: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns
Page 13: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

Je commence aujourd'hui, 3oseptembre,

sous

l'invocation de saint Jérôme, auteur de la Vulgate,

appariteurde tous les

Prophètes, inventoriateur

pleinde gloire des Lieux Communs éternels.

Est-ce làmanquer

derespect

à cet étonnant doc-

teur que l'Église honore du titre de Maximus, et

quele Concile de Trente a implicitement déclaré le

Notaire del'Esprit-Saint ? Je ne le crois pas.

De quoi s'agit-il, en effet, sinon d'arracher la

langueaux imbéciles, aux redoutables et définitifs

idiots de ce siècle, comme saint Jérôme réduisit au

silence les Pélagiens ou Lucifériens de son temps?

Obtenir enfin le mutisme duBourgeois, quel

rêve 1

L'entreprise, je le sais bien, doitparaître

fort

insensée.Cependant je ne

désespère pasde la dé-

montrer d'une exécution facile et même agréable.

Le vrai Bourgeois, c'est-à-dire, dans un sens

moderne et aussigénéral que possible, l'homme

quine fait aucun usage de la faculté de

penser et

quivit ou paraît

vivre sans avoir été sollicité, un

seuljour, par

le besoin decomprendre quoi que

ce soit, l'authentique et indiscutable Bourgeois est

nécessairement borné dans son langage à un très-

petit nombre de formules.

Page 14: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

8 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

Le répertoire des locutionspatrimoniales qui lui

suffisent est extrêmement exiguet ne va

guère au

delà de quelques centaines. Ah I si on était assez

béni pourlui ravir cet humble trésor, un

paradi-

siaquesilence tomberait aussitôt sur notre globe

consolé 1

Quand un employéd'administration ou un fabri-

cant de tissus fait observer, par exemple«

qu'on

ne se refait pas qu'onne

peut pas tout avoir que

les affaires sont les affaires; quela médecine est

un sacerdoce que Paris ne s'estpas

bâti en un

jour; que les enfants ne demandent pasà venir au

monde etc., etc., etc., »qu'arriverait-il

si on lui

prouvaitinstantanément que

l'un ou l'autre de ces

clichés centenaires correspondà

quelqueRéalité

divine, a le pouvoir de faire osciller les mondes et

de déchaîner des catastrophes sans merci ?

Quelle ne serait pasla terreur du

patronde bras-

serie ou du quincaillier,de

quellesaffres le

phar-

macien et le conducteur des pontset chaussées ne

deviendraient-ilspas

laproie, si, tout à

coup, il

leur était évidentqu'ils expriment, sans le savoir, des

choses absolument excessives quetelle

parole

qu'ils viennent de proférer, aprèsdes centaines de

millions d'autresacéphales,

est réellement dérobée

à la Toute-Puissance créatrice et que, si une cer-

taine heure était arrivée, cette parole pourrait

très-bienfaire jaillir un monde?

Il semble, d'ailleurs, qu'un instinct profondles

Page 15: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 9

en avertisse. Qui n'aremarqué

laprudence

caute-

leuse, la discrétion solennelle, le morituri sumus

de ces braves gens, lorsqu'ils énoncent les senten-

ces moisiesqui

leur furent léguées parles siècles

et qu'ils transmettront à leurs enfants ?

Quand lasage-femme prononce que

«l'argent

ne faitpas

le bonheur » etque

le marchand de tri-

peslui

répondavec astuce

que,« néanmoins, il y

contribue », ces deux auguresont le

pressentiment

infaillible d'échanger ainsi des secrets précieux,de

se dévoiler l'un à l'autre des arcanes de vie éter-

nelle, et leurs attitudes correspondentà l'impor-

tanceinexprimable

de cenégoce.

Ilest trop

facile de dire ceque paraît

être un

lieu commun. Mais cequ'il est, en réalité, qui

pourrale dire ?

Pourquoi, autrement, meserais-je

recommandé

à saint Jérôme ? Cegrand personnage

ne futpas

seulement leconsignataire pour toujours

de la

Parole qui ne change pas, des Lieux Communs

pleins de foudres de la Très-Sainte Trinité: Il en

fut surtout l'interprète,le commentateur inspiré.

Avec une autoritébeaucoup plus qu'humaine,

ilenseigna que

Dieu a toujours parlé de Lui-même

xclusivement, sous les formes symboliques, para-

boliques ou similitudinaires de la Révélation par

'Ecriture, et qu'ila

toujours dit la mêmes chose de

ille manières.

J'espère que ce Docteur sublime daignerafavori-

Page 16: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

10 EXÉGÈSE DESLIEUXf COMMUNS

ser de son assistance unpamphlétaire

de bonne

volontéqui

serait si heureux de mécontenter, une

fois de plus,la

populacede Ninive, éternellement

ccincapable de distinguer

sa droite de sa gauche »,

et de la mécontenter à un telpoint que

des

colères inconnues se déchaînassent.

Ce résultat serait obtenu, sans doute, si la céleste

douceur ne m'était pas refusée d'établir, en l'irré-

futable argumentation d'une dialectiquede bronze,

queles

plus inanes bourgeois sont, à leur insu,

d'effrayants prophètes, qu'ilsne

peuvent pasou-

vrir la bouche sans secouer les étoiles, etque

les

abîmes de la Lumière sont immédiatementinvoqués

par les gouffres de leur Sottise.

Page 17: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

2

1

Dieu n'en deman d e pas tant!

Quelle épigraphe pourun commentaire du Code

civil Plaisanterie tropfacile et

qu'ilfaut laisser

charitablement à MM. les journalistes ou clercs

d'huissiers. Le cas estgrave.

N'est-ce pas une occasion de stupeur de songer

que cette chose est dite, plusieurs millions de fois

par jour, à la face conspuée d'un Dieuqui

« de-

mande » surtout à être mangé! Lemarchandage

perpétuel impliqué parce Lieu Commun a ceci de

troublant qu'ilrend manifeste le

manque d'appétit

d'un monde affligé cependant par les famines et

réduit à se nourrir de son ordure.

Il serait puéril de faire observerqu'en cette for-

mule, bien plus mystérieuse qu'on ne croirait, tout

portesur le mot tant, dont l'abstraite valeur est

toujours à la merci d'un étalon facultatifqui n'est

jamais divulgué. Celadépend naturellement de

l'étagedes âmes.

Mais, comme lapente

de toute négation est vers

le néant, il n'est pas téméraire de conclureque

Page 18: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

12 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

l'imprécisedemande de Dieu équivaut

à rien, et

que ce Dieun'ayant plus

rien à demander, en fin

decompte,

à des adorateurs qui peuventindéfini-

ment rétrécir leur zèle, il n'aque

faire désormais

de son Être ou de sa Substance et doit nécessaire-

ment s'évanouir. Ilimporte, en effet, aussi peu que

possible, qu'on ait telle ou telle notion de Dieu.

Lui-même n'endemande pas tant, et voilà le point

essentiel.

Quand j'exhorte ma blanchisseuse, Mme Alaric,

à nepas prostituer

sa dernière fille comme elle a

prostitué lesquatre

aînées ou que, timidement, je

proposeà mon

propriétaire,M. Dubaiser, l'exem-

ple de quelques Saints qui ne crurent pasindis-

pensableà

l'équilibre social de condamner à mort

lespetits enfants, et

queces

dignes personnes me

répondent:Nous sommes aussi religieux que

vous, mais Dieu n'en demande pas tant. je dois

reconnaître qu'elles sont fort aimables de ne pas

ajouter:au contraire bien

quece soitévidemment,

nécessairement, le fond de leurpensée.

Elles ont raison, sans doute, car lalogique

des

Lieux Communs ne pardonne pas.Si Dieu n'en de-

mandepas tant, il est forcé, par

uneconséquence

invincible, d'en demander de moins enmoins, je le

répète,et finalement de tout refuser. Que dis-je ?

Ensupposant qu'il lui reste alors un peu d'exis-

tence, il se trouvera bientôt dans laplus pressante

nécessité de vouloir enfinqu'on

vive comme des

Page 19: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES L1EUX COMMUNS 13

cochons. et de lancer le reliquat de son tonnerre

sur lespurs

et sur les martyrs.

Lesbourgeois, d'ailleurs, sont

tropadorables

pour n'êtrepas

devenus eux-mêmes des Dieux.

C'est à euxqu'il

convient de demander, à eux seuls.

Tous les impératifs leurappartiennent

et onpeut

être certainque

lejour où ils demanderont trop

seraprécisément le

jourmême où ils commenceront

às'apercevoir qu'ils ne demandent

pastout à fait

assez.

Moi, je demande vospeaux, sales canailles 1

leur diraQuelqu'un.

II

Rien n'est absolu.

Corollaire du précédent. Laplupart

des hommes

de ma générationont entendu cela toute leur en-

fance. Chaquefois

qu'ivres de dégoût nous cher-

châmes un tremplin pour nous évader en bondis-

sant et en vomissant, le Bourgeois nous apparut,

armé de ce foudre.

Nécessairement, alors, il nous fallait réintégrer

le profitable Relatif etla sage Ordure.

Presque tous, il 'est vrai, s'y acclimatèrent, par

Page 20: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

14 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

bonheur, devenant, à leur tour, desOlympiens.

Savent-ils, pourtant, cesbuveurs d'un sale nectar,

qu'il n'ya rien de si audacieux

que de contreman-.

der l'Irrévocable, etque

celaimplique l'obligation

d'être soi-même quelque chose comme le Créateur

d'une nouvelle terre et de nouveaux cieux?

Évidemment, si on donne saparole d'honneur

que« rien n'est absolu », l'arithmétique, du même

coup,devient exorable et l'incertitude plane sur

les axiomes les plusincontestés de la

géométrie rec-

tiligne. Aussitôt, c'est une questionde savoir s'il

est meilleur d'égorger ou de ne pas égorger son

père,de posséder vingt-cinq centimes ou soixante-

quatorze millions, de recevoir descoups

depied

dans le derrière ou de fonder unedynastie.

Enfin, toutes les identités succombent. Il n'est

pas« absolu » que

cet horloger quiest né en i85o,,

pour l'orgueil de sa famille, n'aitaujourd'hui que

quarante-troisans et

qu'ilne soit

pasle grand-

pèrede ce

doyende nos emballeurs

quifut enfanté

pendantles Cent Jours, de même

qu'ilserait

téméraire de soutenir qu'une punaise est exclusi-

vement unepunaise

et ne doit pas prétendreaux

panonceaux.

En de telles circonstances, on en conviendra, le

devoir de créer le monde s'impose.

Page 21: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS l5

2.

III

Le Mieux est l'ennemi du Bien.

Ici, je l'avoue, mon titre m'accable et je suis

furieusement tenté de descendre de ma chaire.

Exégèse signifie, hélas explication,et voici un

monstre de Lieu Communqui

vient au-devant de

moi sur la route de Thèbes. Jamais, sans doute,

une énigme plus difficile ne futproposée

à un

Œdipe.

Voyons cependant.

Si le Mieux est l'ennemi du Bien, il faut néces-

sairement que le Bien soit l'ennemi du Mieux, car

les abstraitsphilosophiques

ne connaissent pas

plusle

pardon quel'humilité. Un homme peut

répondreà la haine

par l'amour, une idée jamais,

etplus

cette idée est excellente, plus elle récalcitre.

On affirme donc, implicitement, que le Bien a

horreur du Mieux et qu'une haine farouche les

divise. C'est àqui mangera l'autre, éternellement.

Mais alors, qui est le Bien etqui

est le Mieux et

quelle fut l'origine de leur conflit? Que nous veut

ce manichéismegrammatical ?

Est-il bien, par exemple,d'être un sot et mieux

d'avoir dugénie ? Quand on dit que

Dieu a tout

fait pour le Mieux, dois-jeentendre

qu'iln'a rien

Page 22: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

16 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

faitpour

le Bien? Dans quelle cavernemétaphy-

siquece comparatif

et ce positif se sont-ils déclaré

la guerre ?C'est à en devenir fou.

Je prendsma tête à deux mains

et je me donne

à moi-même des noms très-douxVoyons

1

encore une fois, mon cher ami, mon trésor, mon

petit lapinbleu I un

peude calme, nous retrouve-

rons peut-êtrele fil. Nous avons dit ou entendu

dire quele Mieux est l'ennemi du Bien, n'est-ce pas?

Or, qu'est-ce que l'ennemi du Bien, sinon le Mal ?

Donc le Mieux et le Mal sontidentiques.

Voilàdéjà

unpeu

de lumière, semble-t-il.

Oui, mais si le Mieux est vraiment le Mal nous

allons être forcés de reconnaîtreque

le Bien, à son

tour, est aussi le Mal, d'une façon très-incontes-

table, puisque tous les hommes avouent qu'ilest

lui-même mieuxque

le Malqui

est le Mieux etque,

par conséquent, il est mieuxque

le Mieux qui

serait alors le Pire!???

Zut Ariane me lâche et j'entends mugir le Mi-

notaure.

IV

L'hôpital n'est pas fait pour les chiens.

Celui-là, ai-je besoin de le dire? est une

Page 23: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 17

antiphrase.Le toujours suave et rafraîchissant

Bourgeoisutilise volontiers cette forme grecque

de la glose confabulatoire. Nous auronsplus d'une

fois l'occasion de le remarquer.

Il faut donc lire fermement L'hôpital estfait

pourles chiens. En ce sens, qui

est le vrai, le Bour-

geois parlecomme un Dieu. De

simples hommes

ne pourraient pas si bien dire.

J'ouvre la Sylva allegoriarum du Frère Hiero-

nymus Lauretus, savant in-folio, imprimé àLyon,

en 1622, aux frais deBarthélémy Vincent, sous

lesigne

de la Victoire, etje

trouve ceci au mot

Canis Le chien est un animal au service de

l'hommepour

le réjouir de sa compagnie et de ses

caresses. Il aboie contre les étrangers. Il est im-

monde, pleinde rage

et d'une extrême lubricité. Il

est le gardiendu

troupeauet le chasseur des

loups.

Il est vorace et carnivore et retourne à son vomis-

sement. »

La science moderne, àqui

legenre humain est

redevable de tant de découvertes utiles, présume

en outre que le chien estquadrupède-et que la voix

articulée lui manque.Mais il

n'ya

pas lieu de s'ar-

rêter à ces hypothèses. D'ailleurs, ily

a chien et

chien, c'est bien connu.

Le chien pour qui l'hôpitalest fait, c'est le carni-

vore, l'immonde carnivore, devenu vieux ou infirme,

dontla compagnie

a cessé de plaire, incapable dé-

sormais d'aucune sorte de fureur, qui n'aplus

la

Page 24: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

l8 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

forced'aboyer, que

letroupeau,

à son tour, est

obligé de garder etque

menace la dent desloups.

Aquel autre, je

le demande, seraient ouverts ces

admirables asiles où on crève, avec tant de conso-

lation, dans les bras de l'Assistance publique ? Le

vrai, le seul, l'authentique chien, c'est celui,

quel quesoit le nombre de ses pattes ou la force de

soncoup

de gueule, qui ne peut plusêtre

pro-

fitable. C'est pour celui-là, exclusivement, que

fonctionne l'Administration aux mamelles crochues

qui s'allaite elle-même du sang des agonisants. Le

juste Bourgeoisl'a voulu ainsi.

N'est-il pasle Maître? N'est-il pas

le Dieu des

vivants et le Dieu des morts ? Depuis quele Code

Napoléonl'a

promuau

remplacement de Jéhovah,

nul ne lejuge

et il fait exactement ce quilui

plaît.

Or, il luiplaît d'être, comme cela, le Bon Dieu des

chiens.

V

Pauvreté n'est pas vice.

Autre antiphrase. Voudriez-vous m'apprendre,

ô mon aimable propriétaire, ce qui peut-êtrevice

Qu crime, si la pauvreté ne l'est pas ?

Page 25: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNSig

Je crois l'avoir beaucoupdit ailleurs, la pauvreté

est l'unique vice, le seulpéché, l'exclusive noirceur,

l'irrémissible et très-singulière prévarication.C'est

bien ainsique

vous l'entendez, n'est-cepas, pré-

cieuses Crapules qui jugezle monde ?

Qu'on le proclamedonc une bonne fois, la

pau-

vreté est si infâmeque c'est le dernier excès du

cynismeou le cri

suprême d'une conscience au

désespoird'en faire l'aveu, et

qu'il n'ya

pasde

châtiment qui l'expie.

Le devoir de l'homme est tellement d'être riche

quela présence

d'un seul pauvre clame vers le ciel,

comme l'abomination de Sodome, et dépouilleDieu

lui-même, le forçant à s'incarner et à se promener

scandaleusement sur la terre, vêtu seulement de la

guenille de ses Prophéties.

L'indigence est uneimpiété;

unblasphème

atroce

dont il n'est pas possible d'exprimerl'horreur et

quifait reculer du même

couples étoiles et le dic-

tionnaire.

Ah que l'Évangile est malcompris 1 Ouand on

litqu'

« il estplus facile à un chameau de passer

par le trou d'uneaiguille qu'à

un riche d'entrer dans

leroyaume des cieux », faut-il être aveugle pour

ne

pas voirque cette parole n'exclut, en réalité, que

lechameau, puisque

tous les riches, sansexception,

sont certainement assis sur des chaises d'or dans

Paradis etque, par conséquent,

il leur est tout à

faitimpossible, en effet, d'entrer dans un endroit

Page 26: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

l!0 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

où ils sont installésdéjà, depuis toujours! C'est

affaire aux chameaux d'enfiler desaiguilles

devant

laporte

et de se débrouiller comme ils pourront.Il

n'y a paslieu de s'en préoccuper

autrement.

Ce Lieu Communs atteste, plus qu'un autre, la

pudeursublime du Bourgeois. C'est un voile qu'il

jette bonifement, avec le divin sourire des garçons

d'amphithéâtre,sur le chancre le plus horrible de

l'humanité.

VI

On n'est pas parfait.

Esculape Nuptial,s'étant assuré

que Je vieillard

avait reçu un nombre suffisant decoups de couteau

etqu'il

avait certainement exhalé ce qu'on est con-

venu d'appeler le dernier soupir, songea tout d'a-

bord à seprocurer quelque

divertissement.

Cet hommejudicieux estima que

la corde ne sau-

rait être toujours tendue, qu'ilest

sage de respirer

quelquefoiset

que toutepeine

vaut son salaire.

Il avait eu la chance de mettre la main sur la

forte somme. Heureux de vivre et la conscience

délicatement parfumée, il allait çà et là, sous les

marronniers,ou les platanes, respirant avec délices

l'odorante haleine du soir.

Page 27: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 21

C'était leprintemps,

nonl'équivoque

et rhuma-

tismal printempsde

l'équinoxe, mais le capiteux

renouveau du commencement de juin, lorsqueles

Gémeaux enlacés reculent devant l'Écrevisse.

Esculape,inondé d'impressions suaves et les yeux

mouillés. de pleursy,se sentit apôtre.

Il désira le bonheur du genre humain, la frater-

nité des bêtes féroces, la tutelle desopprimés, la

consolation de ceux qui souffrent.

Son coeur,plein de pardons,s'inclina vers les indi-

gents.Il

répandit dans des mains tendues l'abon-

dante monnaie de cuivre dont sespoches étaient

encombrées.

Il entra même dans une église etprit part

à la

prière en commun querécitait un

troupeau fidèle.

Il adora Dieu, lui disant qu'ilaimait son

prochain

comme lui-même. Il rendit grâces pourles biens

qu'il avait reçus, se reconnaissant tiré du néant.

Il demanda que fussent dissipées les ténèbres qui

lui cachaient la laideur et la malice du péché, fit

unscrupuleux examen de conscience, découvrit en

lui desimperfections tenaces, de persistantes

brou-

tilles mouvements de vanité, impatiences, distrac-

tions, omissions, jugementstéméraires et

peucha-

ritables, etc., mais surtout laparesse

et la négli-

gence dansl'accomplissement

des devoirs de son

état.

I1 terminapar un bon

proposd'être moins fra-

gile désormais, implorale secours du ciel

pourles

Page 28: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

22 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

agonisantset les voyageurs, demanda, comme il

convient, d'être protégé pendantla nuit, et, péné-

tré de ces sentiments, courut auplus prochain

lupanar.

Car il tenait pourles joies

honnêtes. Ce n'était

pasun de ces hommes qui se laissent aller facile-

ment aux dissipationsfrivoles. Il

penchait plutôt

du côté de la rigueuret ne se défendait qu'à peine

d'une gravitéridicule.

Il tuaitpour vivre, comme la

plupartdes

honnêtes gens, parce qu'il n'ya

pasde sot

mé-

tier. 11 aurait pu,à

l'exemplede tant d'autres,

s'enorgueillirdes dangers

d'une sichatouilleuse

profession.Mais il

préféraitle silence. Pareilles au

convolvulus, les fleurs de son âme nes'épanouis-

saientque

dans lapénombre.

Il tuait à domicile, poliment, discrètement et le l

plus proprementdu monde. C'était, on

peut Ie

dire, de la besogne joliment exécutée.

Il ne promettait pas ce qu'ilétait

incapablede

tenir. Il nepromettait

même rien du tout. Mais

ses clients ne seplaignirent jamais. |

Quant aux langues venimeuses, il n'en avait cure.

Bien, f'aire etlaisser dire, telle était sa devise. Le

|

suffragede sa conscience lui suffisait.

Homme d'intérieur avant tout, on ne le rencon- |

trait quetrès-rarement dans les cafés, et les mal-

veillants eux-mêmes étaient forcés de lui rendTe

Page 29: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 23

3

cette justice qu'en dehors du bordel, il ne voyait

àpeu près personne.

Dans cette demeure hospitalière,il avait fixé sa

dilection sur unejeune

fille légèrement vêtue qui

faisait prospérerl'établissement et

quesa précocité

de virtuose désignaità l'enthousiasme. A peine

au

sortir de l'enfance, de nombreux salons l'avaient

admirée déjà.

L'heureux Esculape avait eu l'art de s'en faire

aimer, et letemps paraissait

«suspendre son vol »,

quandces deux êtres étaient

penchésl'un vers l'au-

tre, sur le lacmystique.

La ravissante Loulou ne voulait plusrien savoir

aussitôtqu'apparaissait son petitCucu, et, souvent,

celui-ci fut contraint de la ramener, d'une main

ferme, au sentiment professionnelde son art, quand

les vieux messieurs s'impatientaient.Elle lui don-

nait, en retour, des indications précieuses.

Enfin, ils plaçaient avec discernement d'assez

jolies sommes. Loulou n'usait presque rien, l'air

et la lumière suffisant à sa toilette quotidienne qui

étaittoujours très-simple

et d'ungoût parfait.

Déjà même, ils entrevoyaient larécompense,

l'heureux avenirqui

les attendait à lacampagne,

dansquelque chaumière enfouie sous les lilas et les

roses, qu'ils achèteraient un jour,et la vieillesse

paisible dont la Providence rémunère ceux qui ont

bravement combattu.

Oui, sans doute, mais, hélasqui pourra

dire

Page 30: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

24 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

combien sont vaines 'lespensées

des hommes ?

Cequi

va suivre est excessivement douloureux.

Cette nuit-là, Esculapene

parut pas.La maison

en souffritplus qu'on

ne peutdire. La pauvre Lou-

lou, d'abord fébrile, puis agitée,et enfin hagarde,

cessa de plaire.

Un notaire belge, quiavait

apportéles fonds de

ses clients, reçut une retentissante paire de claques

dont les passantss'étonnèrent.

Le scandale fut énorme et le décriparut

imminent.

Mais ellene voulait « entendre à rien nià personne».

Soninquiétude

montant au délire, elle poussale

méprisdes

lois j usqu'àouvrir une fenêtre demeurée

close, depuisle dernier 1 4 juillet,

etappela

son Cucu

d'une voix terrible, dans legrand

silence nocturne.

Quelques pasteurs protestants prirentle large,

non sans avoir expriméleur indignation, et, dès le

lendemain, lesjournaux graves pronostiquèrent

tristement la fin du monde.

Dois-jele déclarer? Esculape

faisait la noce,

Esculapeavait rencontré un

serpent.

Comme il rentrait sagementau bercail d'amour,

il fut accostépar

un camarade d'enfance qu'il

n'avait pasvu depuis

dix ans etqui parvint

àle

débaucher, pourla première fois de sa vie.

J'ignoreles sophismes que déploya cet ami fu-

neste pourle détourner de l'étroite voie

quimène

au ciel, mais ils se soûlèrent à cepoint que,

vers

l'aurore, l'amant désorbité de la gémissante Lou-

Page 31: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 25

lou pritune voiture

pouraller chercher un Cont'

bat spirituel qu'il se souvenait d'avoir oublié, la

veille, chez son machabée, et qu'il jugeait tout à

fait indispensableà son

progrès intérieur.

Le fidèle compagnonde sa nuit le conduisit,

comme parla main, jusque

dans la chambre du

mort, où le commissaire de police l'attendait obli-

geamment.

Et voilà comment une seule défaillance brisa

deux carrières.

On n'estpas parfait (i).

VII

Les malhonnêtes gens redoutent la

lumière.

Et les honnêtes gens, donc!Quelqu'un pense-t-il

quela lumière les rassure ? Ah! si elle était encore

(i)Le touchant récit qu'on vient de lire n'est malheureusement pas

tout à fait inédit. Il fut inséré dans mes Histoires désobligeantes,

publiées chez Dentu, en 1894. Mais l'insuccès de ce livre, demeuré

presque inconnu, a été si grand qu'à l'exception de quelquesfurieux

qui recueillent jusqu'à mes raclures, onpeut

être certain que cette

page n'a jamais été lue par personne.' Pourquoi recommencer,

d'ailleurs, une chose qui fut si bien faite et quelleautre paraphrase

plus lumineuse aurais-je pu écrire?

Page 32: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

26 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

à créer, je ne saispas

ce que feraient lescoquins,

maisje

sais bien ce quene feraient

pas les hon-

nêtes gens.

On ne voit pas déjà très-clair sur notreplanète

où lesplus clairvoyants

vont à tâtons. Il paraît

cependant que c'est encore trop, puisque tout le

monde se cache. Qu'arriverait-il si la Science, tant

admirée par Zola et si digne de l'admiration d'un

tel cerveau, venait à lancer un rayon neufqui

éclairât les antres des cœurs?

N'est-il pasévident

que toute affaire, à l'instant,

deviendrait impraticable impossible ? Plus de

commerce, plus d'industrie, plus d'alliances poli-

tiques, plus de médecine, plusde pharmacie, plus

de cuisine, plusde

procès, plus de mariages, ni

d'enterrements, ni de testaments, ni de « bonnes

oeuvres » d'aucune sorte.Enfin plus

d'amour. Les

honnêtes gens cesseraient de naître. Il ne reste-

raitpour vaquer

au grouillernent humainque

ceux

qui« redoutent la lumière » et qu'on nomme les

malhonnêtes gens. Quel désordre étrange

Il est vraique

ceux-là succomberaient bientôt à

leur tour, étant devenus eux-mêmes, par la force

des choses, des honnêtesgens pour succéder aux

disparus,et les deux

espèces quifont la totalité

dugenre disparaîtraient,

successivement extermi-

néespar

la lumière, comme ces couleurs fraî-

ches et brillantesque

lesoleil mange, dit-on, à son

déjeuner.

Page 33: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 27

3.

Espérons queces malheurs n'arriveront

paset

queles malhonnêtes gens

aussi bien que les hon-

nêtes, ceux qui« redoutent » la lumière non moins

queceux qui

se bornent à la trouver indiscrète, con-

tinueront à se repoussersous le bleu du ciel, à se

faire valoir les uns parles autres dans le cadr e

poétiquedes huissiers, des gendarmes et des ver-

dures. L'universelle harmonie l'exige.

VIII

Les enfants ne demandent pas à venir

au monde.

NI. Paul Bourget. eunuque par vocation et l'un

des adeptes les plus illustres du Lieu Commun, a

pris la peine de recommander celui-là. Je ne ferai

pas à mes lecteurs l'outrage de leur rappeler le titre

du livre puissant vertébré par cette formule.

Il paraît bien certain, en effet, que les enfants

n'en demandent pas tant. C'est leur manière de

confiner à l'état divin et c'est par là, sans doute,

qu'ils peuvent plaire quelquefois à l'âme religieusedu Bourgeois qui adore par-dessus tout qu'on ne

lui demande rien.

Je l'avoue, la .seule idée d'un enfant qui deman-

Page 34: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

2H EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

derait à naître a quelquechose de troublant, et

je

comprendsmieux le

prophèteJérémie

déplorant

quesa mère ne fût

pasdemeurée grosse de lui

éternellement sans pouvoir jamais l'enfanter.

Cependant,s'il s'agit de naître Bourgeois. ou

Psychologue, l'impatience,à la

rigueur, sepeut

concevoir.

Ce Lieu Commun ne me paraîtdonc

pasreceva-

vable en tant qu'axiomeet

jecrains

quePaul ne

se soit laissé entraîner plusloin

qu'iln'aurait fallu

sur lapiste

d'un receveur des contributions ou d'un

chef de bureau de l'Etat civiltrop

téméraire. Je

suis mêmepeu éloigné de croire, avec le fétide

Schopenhauer, quetous les enfants,sans exception,

demandent à naître etque

c'est ainsique

sepeuvent

expliquerles

transportsdéraisonnables de l'amour.

Il va sans direque je m'interdis absolument d'ef-

fleurer, en cette occasion, l'idée religieuse, impli-

quantdes choses telles que la Prescience divine ou

la Prédestination, quele

perspicace Bourgeois dé-

daigne.Saint Colomban, dit-on, entendait les cris

despetits

enfantsqui l'appelaient

du sein de leurs

mères. Mon coiffeur n'ajamais entendu rien de

semblable, et tout ce surnaturel est surabondam-

ment.démenti parla

bicyclette..

Pour m'en tenir àl'hypothétique allégation du

cuistre précité, j'estime bienséant de conjecturer

quesi les enfants, même de

bourgeois,ne deman-

dent pas positivement à naître, ilssuggèrent du

Page 35: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÉSE DES LIEUX COMMUNS2g

moins à leurs parentsl'horreur instinctive d'une

virginitéou d'une continence

qui s'opposeraità

leur entrée dans la vie. Je ne sais sije

me fais

bien comprendre.En tout cas cela, suffit

pourin-

valider la formule.

Mais lorsqu'unnotaire affirme, en

s'accompa-

gnantd'une gesticulation bilatérale, que

« les

enfants ne demandentpas

à venir au monde »,cela

ne peut signifier pratiquement quedeux choses ou

qu'ilfaut renoncer à en faire, ou qu'il faut les tuer

avant qu'ils naissent, dans l'intérêt des familles et

dans l'intérèt biencompris

des hoirs. Jamais, au

grand jamais,dussent crouler les cieux, il ne devra

être entendu, par exemple, qu'un petitbâtard tombé

du ventre d'une gueuse a des droits quelconques

à la pitié d'un procréateur qu'il est toujours inter-

dit de rechercher. Et voilà tout, exactement tout.

Essayez de vous dire, après cela, que ce joli

monde a été racheté, ily

a dix-neuf siècles, par un

ENFANT qui avait demandé à naître, depuis toute

l'Éternité

IX

Il faut manger pour vivre.

-Je ne demande pas mieux que de manger, dit

Page 36: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

un pauvre diable, bienque

la vie ne me soitpas

douce, mais encore faut-ilque j'aie quelque

chose

à me mettre sous la dent. Tous les chiens mangent

et vivent. Ceuxqui

n'ontpas

la chance d'être ser-

vispar

un maître se nourrissent tout de même

d'excellentes orduresqui

suffisent à leur vie de

chiens.Moi, je ne peux pas.

J'ai le malheurd'app ar-

tenir à la race humaine et d'être avantagé d'un

front sublime qui doit continuellement fixer les

astres. Jemanque

de flair et la charogne me reste

sur l'estomac

J'aientendudirequ'autrefoisilyavait une Viande

pourles

pauvreset

que les mourants de faim avaient

la ressource de manger Dieu pourvivre éternelle-

ment. Dans les très-vieuxtemps,

on se traînait,

enpleurant

les larmes du Paradis, d'unechapelle

de confesseur à unecrypte

de martyr et d'un sanc-

tuaire miraculeux à unebasilique pleine

degloire,

sur des routes encombrées de pèlerins quimen-

diaient le Corps du Sauveur. Cet aliment unique

suffisaità

quelques-uns qui étaient des Bienheu-

reux dont la langueur avait le pouvoir de guérir

toutes leslangueurs et, quelquefois,

de ressusciter

les morts. Tout cela est loin, terriblement loin.

Aujourd'hui, c'est le Bourgeois quia

remplacé

Jésus, et les truies même reculeraient devant son

corps

Page 37: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 31

x

On ne peut pas vivre sans argent.

In-con-tes-ta-ble-ment. Et c'est si vrai que, quand

on en manque, on est forcé de prendre celui des au-

tres. Cela peut se faire, d'ailleurs, avec beaucoup

de loyauté.

Je ne force personne, fait observer affable-

ment un prêteur à cent cinquante pour cent, mais

j'ai des risques et il faut que ['argent travaille.

Vivre sans argent est aussi inconcevable pour cet

homme juste que vivre sans Dieu pour un solitaire

de la Thébaïde. Et ces deux viveurs ont raison,

puisque leur objet est identigue, inexprimable-

ment IDENTIQUE.

Ayant déjà tellement prouvé qu'il est impossible

de vivre sans manger, il est à peu près oiseux

d'entreprendre la démonstration de la vitale néces-

sité de l'argent. Manger de l'argent hurlent en

cœur les pères de famille. Quel trait de lumière que

cette locution métonymique 1

Hé que pourrait-on manger, dites-le moi, si on

ne mangeait pas de l'argent ? Existe-t-il dans le

monde une autre chose qui soit mangeable ?

N'est-il pas clair comme le jour que l'Argent est

précisément ce même Dieu qui veut qu'on le dévore

Page 38: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

3^EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

et qui seul fait vivre, le Pain vivant, le Painqui

sauve, le Froment des élus, la Nourriture des

Anges, mais, en même temps,la Manne cachée

que

lespauvres

cherchent en vain ?

Il est vrai que le Bourgeois, quisait

presque

tout, ne pénètre pasce mystère.

Il est vrai aussi

quele sens du mot « vivre » ne lui est

pas clair,

puisque l'argent sanslequel

il soutientgénéreuse-

ment qu'on ne peut pasvivre est, néanmoins, pour

lui, une QUESTION de vie ou de mort.

N'importe, il le possède, voilà l'essentiel. S'il

ne le mange pas lui-même, d'autres le mangeront

après lui, c'est sûr.

Mais quand il profère ces mots redoutables, j'ose

le mettre au défi de ne pas ressembler à un vrai

prophète et de ne pas affirmer Dieu avec une force

infinie. Trahitur sapientia de occultis.

XI

Faire travailler l'argent.

On vient de le voir, ce Lieu Commun sort du

précédent comme l'abeille sort de la fleur. Lepré-

cepte ressassé de faire travaillerl'argent

est théo-

logiqae^ au fond, beaucoup plus qu'économique,

Page 39: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 33

parune suite nécessaire de l'identité

que je viens

d'inscrire.

Travailler, dans le sens du latin laborare, c'est

SOUFFRIR. On fait donc souffrirl'Argent qui est

Dieu. On le fait souffrir, naturellement, avec la

plusabondante

ignominie. A l'exception des cra-

chats, car leBourgeois « ne crache

passur l'ar-

gent », aucunopprobre

ne lui estépargné.

On

le fait même suer. On lui fait suer le sang despau-

vres dans l'agonie des labeurs de mort.

Ily

a despeuples qui

crèvent dans les usines ou

les catacombes noirespour

velouter lagueule des

vierges engendrées par des capitalistes surfins, et

aussipour que

« lemystérieux

sourire de la Joconde »

ne leur soitpas refusé. C'est ce

qui s'appelle/a^Ve

travaillerl'argent

1

Et la Face PALE du Christ est plus pâle au

fond des puits et dans les fournaises.

XII

Les affaires sont les affaires.

De tous les Lieux Communs, ordinairement si

respectables et si sévères, je pense que voici le

plus grave, le plus auguste. C'est l'ombilic des

Page 40: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

34EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

Lieux Communs, c'est la culminante parole du siè-

cle. Mais il faut l'entendre et cela n'est pasdonné

indistinctement à tous les hommes. Lespoètes, par

exemple,ou les artistes le

comprennentmal. Ceux

qu'onnomme archaïquement

des héros ou même

des saints n'y comprennentrien.

L'affaire du salut, les affaires spirituelles,les

affaires d'honneur, les affaires d'État, les affaires

civiles même, sont des affairesqui pourraient

être

autre chose, mais ne sont pasles Affaires qui ne

peuventêtre

queles Affaires, sans attribution ni

épithète.

Etre dans les Affaires, c'est être dans l'Absolu.

Un homme tout à fait d'affaires est unstylite qui

ne descend jamaisde sa colonne. Il ne doit avoir

depensées,

de sentiments, d'yeux, d'oreilles, de

nez, de goût, de tact et d'estomacque pour

les Af-

faires. L'homme d'affaires ne connaît nipère,

ni

mère, ni oncle, ni tante, ni femme, ni enfants, ni

beau, ni laid, nipropre,

ni sale, ni chaud, ni froid,

ni Dieu, ni démon. Il ignore éperdument les lettres,

les arts, les sciences, les histoires, les lois. Il ne

doit connaître et savoir que les Affaires.

Vous avez à Paris laSainte-Chapelle

et le

Musée du Louvre, c'est possible,mais nous autres,

à Chicago, nous tuons quatre-vingt mille cochons

par jour 1. Celui quidit cela est vraiment un

homme d'affaires.Cependant,

il y a plus homme

d'affaires encore, c'est celui qui vend cette chair de

Page 41: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 35

porc,et ce vendeur, à son tour, est

surpassé par

un acheteur profond quien

empoisonne tous les

marchés européens.

Il serait impossiblede dire

précisément ceque

c'est que les Affaires. C'est la divinitémystérieuse,

quelquechose comme l'Isis des mufles

par qui

toutes les autres divinités sont supplantées. Ce ne

serait pas déchirer le Voileque de parler,

ici ou

ailleurs, d'argent, de jeu, d'ambition, etc. Les Af-

faires sont les Affaires, comme Dieu est Dieu, c'est-

à-dire en dehors de tout. Les Affaires sont l'Inex-

plicable, l'Indémontrable, l'Incirconscrit, aupoint

qu'il suffit d'énoncer ce Lieu Communpour

tout

trancher, pour museler à l'instant les blâmes, les

colères, lesplaintes,

lessupplications,

les indigna-

tions et les récriminations. Quand on a dit ces

Neuf Syllabes, on a tout dit, on a réponduà tout

et iln'y

aplus

de Révélation àespérer.

Enfin ceuxqui

cherchent à pénétrercet arcane

sont conviés à une sorte de désintéressementmys-

tique, etl'époque

est sans doute peu éloignée où

les hommes fuiront toutes les vanités du monde et

tous ses plaisirs et se cacheront dans les solitudes

pour se consacrer entièrement, exclusivement,

aux AFFAIRES.

Page 42: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

36 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

XIII

J'ai la loi pour moi.

C'était une famille chrétienne à la manière d'au-

trefois. Lepère,

excellent ouvrier et très brave

homme, apportait exactement son salaire à la mai-

son. La mère, pleine de vaillance, faisait des mé-

nages. L'aîné des enfants, un beaugarçon

de qua-

torze ans, venait de commencer sonapprentissage

et les deux petites filles, dont lamoins jeune se pré-

parait à lapremière communion, allaient à l'école

des soeurs. Ç'étaient d'humblesgens

d'une candeur

extrême qui voulaient devenir des saints. Une tête

d'épingle jetée sur leurs bonnes intentions ne se-

raitpas

tombée par terre.

On priait en commun, chaque matin et chaque

soir. On allait ensemble aux offices, les dimanches

et jours de fêtes et, le plus souventpossible,

à une

première messe dans la semaine. Bien des fois, on

lisait l'histoire desMartyrs

ou tel autre de ces rares

livres qui donnent la vie. Quelques images pieuses,

détestables et attendrissantes, pendaient aux murs:

une Viergeà la Ghaise écrasée sous quinze cents

pierres lithographiques, un Ecce Homo du Guide

mis en couleur par des vitriers barbares, un Gol-

Page 43: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 37

gotharaisonnable et une Sainte Famille

privée de

calme acquisdans des foires.

Mais l'honorée, la vénérée, c'était une représen-

tation chevaline et tutélaire de Léon XIII. Cette

caricatuio atroce était, pources

pauvres,la

pré-

sence m(,,ine, nonpas

tout à fait du Fils de Dieu,

mais de on Vicaire. Ils avaientsuspendu

à côté

une veilleuse rose toujours allumée et ily

avait

cette règlede ne

pas passerdevant sans dire une

prière.

Jamais on ne vit des chrétiens plus pieux.Leur

dévotion nu Pape à leursyeux

le Père despères

était une choseunique,

tout à faitsimple, pres-

que auguste. Ils auraient donné leur vie en ce

monde etplusieurs

siècles de leur repos éternel,

tout ce qui peutêtre donné, pour épargner

au Sou-

verain Pontife le moindre souci, leplus

innocent

outrage.

Le malheur sauta sur eux et ils furent abandon-

nés comme des maudits. Lepère

fut laminépar

une machine sous l'oeil d'un patron quine réclama

rien pour lui-même. Le gérant dupropriétaire

inconnu fit procéder à l'expulsion, non sans retenir

le mobilier etjusqu'à

la fameuse image du Suc-

cesseur de saint Pierre. La mère, à son tour,

mourut de chagrin et de labeur. Enfin, lejeune

garçon fut rencontré, quatreans plus tard, devenu

juge de son siècle et maquereau de ses deux sœurs.

Il savait, alors, quele propriétaire qui

avait con-

Page 44: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

38 EXÉGÈSE UES LIEUX COMMUNS

sommé leur naufrage en les expulsant légalement,

était un étranger du nom de Pecci et qu'il occupait

la Chaire de Rome, pourne rien dire de celle d'An-

tiochequi

est aux mains des infidèles et où les dis-

ciplesde Jésus furent nommés, pour

lapremière

fois, chrétiens.

Oui, Très-Saint Père, vous avez la LOIpour vous.

Post-scriptum. Aucune loi, mêmethéophobe,

nem'obligeant, jusqu'à ce jour,

à scandaliser les fai-

bles, j'avertis,une fois

pour toutes, quec'est une de

mespentes de m'exprimer

enparaboles

etque

tel

est ici le cas, manifestement. Il est bien certainque

je nepourrais

donner l'adresse d'aucune maison

derapport appartenant

à Léon XIII, maisje .pour-

rais nommer toutes leséglises paroissiales

de France

qu'un Innocent III ou un GrégoireIX aurait, depuis

longtemps, frappéesdu grand Interdit, pour

ce seul

fait monstrueux et qui compromet horriblement le

Vicaire du Dieu des pauvres, queles

Va-nu-pieds

en sontexpulsés

invariablement et avecignominie.

XIV

On ne peut pas tout avoir.

Assurément, surtoutlorsqu'on a

déjà la loipour

Page 45: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 3g

soi, comme il vient d'être dit. Demander le reste

par surcroît, ce serait vouloir avaler le monde. Or

le Bourgeois est comme Dieu, il n'en demande pas

tant. Contempteurde l'Infini et de l'Absolu, il sait

se borner. Qui le saurait mieuxque

lui? son uni-

que soin, son travail de toutes les heures, depuis

l'enfance, n'est-ilpas

deplanter

des bornespar-

tout ?

Etremarquez

la modération de ce Lieu Commun.

Il ne ditpas

On ne doitpas, mais, on ne

peut

pas.Le Bourgeois

devrait tout avoir, puisquetout

luiappartient,

mais il nepeut pas tout saisir, tout

envelopper, parce qu'ila de trop petits

bras. « Mi-

sère de grand seigneur,a dit Pascal, misère d'un

roidépossédé

».

Lorsqu'àune

demande imprévue,mon épicier

me

répond, avec un brave sourire, qu'on ne peut pas tout

avoir, le digne homme pense peut-êtreavoir seule-

ment exhalé un modeste rot. Moij'ai

cru entendre

laplainte

énorme de Prométhée.

Nepas

tout avoir Quelle infortune! Et je me

demande comment cette parole, quiressemble à une

récrimination surnaturelle et que profèrentsans

relâche des millions de gueulessublimes tournées

vers les astres, ne cassepas quelque

chose dans

le ciel!

Page 46: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

XV

Tout le monde ne peut pas être riche.

Moins absolu enapparence que

le précédent,

celui-ci al'avantage d'une plus grande précision.

Identité parfaite quant au fond. Il convenait donc

de lesrapprocher, de les mettre en contact, en

faisant observer qu'ils éveillent tous deux les mêmes

sentiments, les mêmespensées.

Car il esttemps de le déclarer, la langue des

Lieux Communs, laplus étonnante des langues, a

cette particularité merveilleuse de diretoujours

la

même chose, comme celle desProphètes.

Les bour-

geois,dont cette langue est le privilège, n'ayant

à

leur service qu'un très-petit nombre d'idées, ainsi

qu'il appartientà des sages qui ont réduit au mini-

mum le fonctionnement de l'intellect, rencontrent

nécessairement chacune d'elles à tous les entrecroi-

sement de leurquinconce,

àchaque tournant de

leurbobine. Jeplains ceux qui ne sentiraient pas la

beauté de ça. Quand une bourgeoise dit, parexem-

ple« Je ne vis

pasdans les

nuages », tenez pour

sûr quecela veut tout dire, que

cela dit tout et

qu'ellea tout dit, absolument

et pour toujours.

Ces huit mots: « Tout le monde nepeut pas

Page 47: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 41

être riche, n'ont l'air de rien, n'est-cepas? et, en

réalité, ils ne sont rien, maisessayez

de lesrempla-

cer Vous voulez exprimerd'une façon neuve cette

idée forte que tout le monde nepeut pas avoir dans

sa pocheun grand nombre de

pièces de cent sous,

c'est-à-dire appartenirà la classe bourgeoise qui

ne

peut pastout avoir, c'est entendu, mais qui a, tout

de même, l'argent.Vous voulez la ruine de ce Lieu

Commun parla trouvaille d'une forme

quin'ait

pas

servi. Eh bien, cherchez, creusez, fouillez, boule-

versez. Vous rencontrerez peut-être l'Iliade, mais

ça, vous ne le trouverez pas C'est à sangloter

d'admiration.

XVI

Il faut mourir riche.

Celui-là estplutôt belge,

mais si beau Il est,

d'ailleurs, destiné à devenir français, le bienheu-

reuxjour où la France aura été annexée enfin à

cepeuple spirituel.

Mourir riche Vœu héroïque Desideratum pro

digieux Que sont, à côté, les commandements de

Dieu et les commandements de l'Eglise, et les Souf-

frances du Rédempteur, et laCompassion

de Marie,

Page 48: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

42KXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

et le sang des dix-huit millions de Martyrs, et les

extases des Saints? Le Paradis, c'est de crever

dans la couenne d'un pourceau,et saint Paul

même eût été forcé d'en convenir, s'il avait connu

les Belges.

Aprèsce Lieu Commun grandiose

oùs'exprime

si

bien l'âme d'un peuple, j'ai presquehonte et

quasi

peurde continuer mon Exégèse. Pauvre comme un

vieux rat et vraisemblablement appeléà mourir

tel, que suis-je pouraffronter de si redoutables

arcanes et où prendre l'audace de toucherplus long-

tempsà ces

topiques pleinsde menaces qui ont

toujoursl'air d'être sur le

pointde lancer la fou-

dre ? Il me semble que je remue les plus redouta-

bles engins d'explosion. Oui sont-ils donc, ces

bourgeois terribles qui peuvent prononcerhabi-

tuellement, exclusivement, du matin au soir, de

tellesparoles,

sansexpirer

de terreur?

Post-scriptum.-Le

Bourgeoisest invinciblement

persuadé que les trappistes, dont la règleest de ne

jamais parler,ne se rencontrent pas une seule fois

sans se dire: « Frère, il faut mourir ». C'est une

des idéesauxquelles

il tient leplus.

C'est comme

la fameuse tombeque chaque

Inoine est tenu de

creuser tous les jours, pourson

usage personnel,

à raison de huit heures de travailpar jour, pendant

toute la durée de sa viereligieuse qui est, quelque-

fois, de cinquante ans. LeBourgeois est le Cyné-

girede ces deux bateaux. Il n'en démord pas.

Page 49: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 43

4.

Pour revenir aupremier, je voulais dire seule-

ment qu'en Belgique ily

a sans doute une addi-

tion au texte français. Lestrappistes belges

doivent

murmurer: « Frère, il faut mourir riche ».

XVII

Quand on est dans le commerce.

Il me tardait d'y arriver. Cetteparole d'usage

fréquentest surtout recommandable

par son ex-

trême noblesse. Être dans le commerce cela veut

dire, chez les bourgeois, être assis dans delarges

trônes d'or pour juger le monde. Aristocratie au-

près de laquelle toutes les aristocraties sontun peu

moins que de la crotte. Les pairieset les

gran-

desses devraient s'honorer de la servir très-hum-

blement, si les choses étaient à leur place. Pour

cequi est des artistes et des derniers misérables

qui font encore usage de la faculté de penser, qui

dira les basemplois où il les faudrait

colloquer?

Maispatience.

Être dans le commerce Voilà cequi répond

à

tout, voilà cequi englobe tous les

privilèges,toutes

les faveursdisponibles, toutes les dispenses

ima-

ginables, toutes les amnisties. Cequi

n'est permisà

Page 50: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

44 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

personneet dans aucun cas devient licite, et même

professionnel, quand on est dans le commerce.

La parole fameuse du grand Roi d'Esther « La

loi qui est faite pour tous n'est pas pour toi »,

parait avoir été dite à l'intention des personnes qui

sont dans le commerce, indistinctement.

Peu importe ce qui est vendu. Que ce soit du

fromage, du vin, des chevaux, de la bijouterie, de

la quincaillerie, des couronnes de mariées, de la

charogne ou de la raclure de n'importe quoi, il suf-

fit que cela se vende ou même que cela soit à ven-

dre sans aucune chance d'être vendu et qu'il y ait

des livres de commerce derrière, avec un comptoir

ajouré d'une petite galerie faite au tour.

Le mensonge, le vol, l'empoisonnement, le ma-

querellage et le putanat, la trahison, le sacrilège

et l'apostasie sont honorables, quand on est dans

le commerce. « A plat ventre devant le client »,

disait un jour devant moi une patronne de café à

un de ses garçons, « toujours à plat ventre, quand

on est dans le commerce Cette recommandation,

que dis-je? ce précepte qui, dans d'autres circons-

tances eût été le plus bas étage de l'ignominie,

avait là quelque chose d'augural et ressemblait à une

vaticination. J'ai vu peu de gestes aussi majestueux

que celui de cette caissière gonflée d'enthousiasme

et la trompe en l'air, montrant impérieusement le

sol, de son index tendu, dans l'attitude picturale

d'une Éüsabeth Tudor désignant le billot de Marie

Page 51: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 45

Stuart. Cejour-là j'entrevis, comme en un éclair,

la beautémystérieuse

et irrévélable du Commerce.

Suivez-moi bien. Une chose se vend ou peut se

vendre, selonqu'il y a

preneurou

qu'il n'ya

pas

immédiatement preneur.Cette chose est une salade,

un médicament, un couteau à virole, une fille à

soldats, peu importe.Le vendeur est toujours un

homme prodigieux,un thaumaturge ayant le

pou-

voir de donner à Dieu le Père cequi appartient au

Saint-Esprit,c'est-à-dire de faire passer l'Amour

dans la Foi et le Feu dans l'Eau, cequi peut

à

peine être compris.

C'estpourtant

biensimple. L'Argent, par quoi

s'opèrecette translation, est le

Rédempteur ou, si

on veut, l'image du Rédempteur.Mais voilà! Les

commerçants, hermétiquesde leur nature, se fou-

tent également duRédempteur,

de laRédemption,

des Trois Vertus théologaleset des Trois Person-

nes divines, et, en général,de tout ce

qui peutêtre

conçu parl'entendement humain.

Combien de fois n'ai-je pas reçu le conseil de

« faire du commerce », c'est-à-dire d'écrire comme

un cochonpour devenir riche hélas

Page 52: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

XVIII

On ne se refait pas.

C'est un mot dephénix découragé.

Les joueurs

le disent aussi quelquefois,mais sans conviction.

Icije

confesse mon embarras.

Le Bourgeois pense-t-ilvraiment

qu'onne se

refait pas, qu'onrefait seulement les autres, ou

faut-il croire à une ironie ? L'ironie estpeu proba-

ble. Elle ne convientpas

à lagravité

de ce bonze.

Il doit penserréellement qu'on ne se refait

pas,ce

qui paraîtdur. Mais comment l'entend-t-il ? voilà

laquestion.

Avec lui, il faut toujours s'attendre

àquelque surprise,

àquelque

révélationimprévue

qui jette par terre, qui assomme et dont on ne se

relève quedifficilement.

Écartons tout de suitel'hypothèse

de la réfec-

tion négative des vieilles carcasses de notaires ou

de tailleurs sur mesure. Le Bourgeois esttrop

éclairé pourméconnaître les progrès de la science

dont il est le Mécène leplus désigné.

Il saitque

la

science ne s'arrête pas, qu'ellene

s'arrêtera jamais

etque, demain, peut-être,

elle remettra sur le feu

la marmite enfin retrouvée du vieil Eson. Assuré-

ment ce n'estpas

celaqu'il

aurait l'audace de nier.

Que reste-t-il alors, et de l'impossibilité de quel

Page 53: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 47

renouveau veut-il doncparler ?

Ahque le Bour-

geoisest

impénétrable J'aiemployé une partie

de mon existence, laplus belle sans doute, à cher-

cher le sens de ce Lieu Commun. Je n'ai rien trouvé

du tout et, ma îoij'aime mieux. vous déclarer

franchementque j'y renonce.

XIX

La médecine est un sacerdoce.

Ah! les sacerdoces! qui essaiera de les dénom-

brer ? Le sacerdoce de l'agriculture, de la ma-

gistrature, de lapharmacie, de l'épicerie,

de la

bureaucratie, de lapolitique,

del'enseignement; le

sacerdoce del'épée,

le sacerdoce du journalisme,

etc., enfin le sacerdoce antiquede la Prostitution

remis en honneur dans ces dernierstemps.

Iln'y a

guère que le sacerdoce religieux qui ne soitplus

unsacerdoce, ayant

été formellement et si judi-

cieusementrayé

de la liste par le Bourgeois qui s'y

connaît, puisquec'est lui-même qui

a institué tous

les sacerdoces contemporains.

J'ai nommé, sans choix, la médecine, parce que

ce sacerdoce-là s'est offert lepremier

à ma mémoire

et vous avouerez qu'ilest rudement beau.

Page 54: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

48 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

Un docteur quiflaire trente ou

quarante pots de

chambre de Bourgeois et qui palpeleurs viandes

intimes, tous les matins, avant sondéjeuner, a

une autre allure, on est forcé d'en convenir, qu'un

missionnaire annonçant la parole de Dieu à des

idolâtres mal élevés quile

mangeront peut-être

aprèsson discours, et le libellé d'une ordonnance

est bien autre chose, n'est-cepas? qu'un

mande-

mentépiscopal

Auprèsdes gestes tâteurs, tripoteurs, ausculta-

teurs des médecins ou encomparaison

de leurs

formules isochrones etstéréotypées,

tombant de si

haut, qu'onest toujours sûr d'entendre, que

de-

viennent, jele demande, les canons et les

liturgies?

Quand on vous affirme que la médecine est un

sacerdoce, dites-vous avec unepieuse crainte

qu'il y

a nécessairement un Dieu ineffable ettout-puissant

derrière ce clergéet

qu'ilvous échoit de le démê-

ler, comme vouspourrez, d'avec tous les autres

Dieux non moins ineffables et non moinspuissants

situés, eux aussi, derrière d'autresclergés innom-

brables. Ah les sacerdoces

Page 55: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 49

XX

Toutes les opinions son t respectables.

Pourvuqu'elles soient sincères, ajouta

fine-

ment le marchand de poisson.

Bien entendu, reprit avec bonhomie lapa-

tronne delà Corne d'Or, quivenait d'acheter un peu

de marée enputréfaction pour ses

pensionnaires.

Moi, voyez-vous, je suispour

la liberté. Chacun

poursoi et le bon Dieu pour tous.

A la bonne heure Voilàqui

est parler.

Alors, comme ça, vous ne voulez pas de mes mou-

les ? Je vous les laisserai pour rien, histoire de les

finir.

Non, non, merci, je vais voir masoupe que

j'ai laissée sur le feu. Et la digne hôtesse, qui pa-

raissait, en effet, impatiente de rentrer, se remit en

circulation aussirapidement que

le lui permettaient

sonembonpoint et le

poidsd'un filet énorme plein

deprovisions.

Mme Zola exploitait, depuis vingt ans, un hôtel

meublé dedix-septième ordre, auquel

s'annexait

un restaurant fort à craindre. La C'orne d'Or, située

dans le voisinage du Val-de-Grâce, avait, en appa-

rence, une clientèle dejeunes gens pauvres.

Mais

la location à l'heure, et même à la course, de pres-

Page 56: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

'Jr0 EXÉGÈSE .DES LIEUX COMMUNS

quetoutes les chambres rémunérait agréablement

la tenancière, quieût été indignée et

stupéfaite si

on lui avait dit quesa maison était un bordel.

Elle avait été autrefois, dutemps

de lajeunesse

de feu Vallès, une espècede

joliefemme

qui avait

échappé, disait-on, à la fusillade en se retroussant

prodigieusementdevant les soldats éblouis. Elle

passait pouravoir

joué, non sans virtuosité, du

bidon àpétrole

et del'étoupe enflammée sous

quel-

ques balcons, dans les douces nuits de mai. C'était

pourcette raison, sans doute, qu'elle voulait

que

toutes les opinions fussentrespectées. Cela, elle

y

tenait absolument.

Où est le petit cochon? demanda-t-elle en

arrivant.

On l'a vu filer du côté de l'église, comme à

l'ordinaire, ily

aplus d'une heure et il n'est

pas

encore rentré, répondit Ferdinand, le garçon du

lieu.

Là j'en étais sùre; toujours l'église, toujours

la messe, toujoursson bon Dieu! Ah! zut à la fin

J'ai bien envie de leflanquer à la

porte, quandil

reviendra.

Le petit cochon était un long bougre de trente-

cinq ans. Ruiné par desspéculations habiles, il

vivait d'un humbleemploi et, tenté

parle

prix mo-

dique, avait cru bien faire deprendre pension à la

G'orne d'Or. C'était un homme bien élevé, espèce

de monstre àpeu près inconnu des nouvelles

géné-

Page 57: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUN S 51

rations, et qui, bientôt, ne seraplus rencontrable

quechez quelques belluaires anglo-saxons. Il était

même 'dévot, chose qui dépassait lesmoyens de

Mme Zola et la bouleversait de fond en comble.

Elle aurait pu rester tranquille, dira-t-on, s'ins-

taller dans l'indifférence. Eh! bien, non, elle ne le

pouvait pas.Elle avait le cœur

pris,le cœur

ravagé.

Ce demi-siècle avait rêvé de finir dans les bras de

son pensionnaire.L'héroïne

de 71avait

espéré le

saloir de ce dernier amour pour sa vieille viande.

Voyant l'objet pauvre,silencieux et triste, et dis-

cernant en elle-même une consolatrice de première

classe, elle s'était ditqu'il

lui serait sans doute fa-

cile de s'em'parer d'un malheureux. Puis, voilàque

cette sacrée religion s'y opposait; car iln'y

avait

pasd'illusion possible. Elle ne pourrait jamais

marcher avec le bon Dieu, son commerce nonplus

et ce jésuite foutrait lecamp

aussitôtqu'il se ver-

rait aimé par une jolie femme

Précisément, ce matin, elle avait résolu de ten-

ter une démarche concluante, analogue peut-être

à celle quiavait autrefois désarmé les culottes rou-

ges de Mac-Mahon. Et voilà que le misérable était

allé faire ses dévotions, sans avoir l'air de se dou-

ter de rien. Il n'avait donc rien vu, riencompris

Ah parbleuelle ne s'était

pas jetéeà son cou,

elle ne s'était pasmise sur ses genoux,

cequi

eût

été décisif, au moins pour les vieilles chaises de la

Corne d'Or, Mme Zola ne pesant pasloin de trois

Page 58: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

cents kilos. Mais les petitesattentions dont il était

l'objet,les chatteries, les mamours, les avances à

peinedissimulées de chaque

minute et renouvelées

sans cesse, tant de regardset tant de sourires, tout

n'aurait-il pasdû l'éclairer? Hélas! 1 Pleine de ces

pensées douloureuses, elle ouvrit machinalement

une lettreque

lui remettait un commissionnaire.

« Très-chère dame, disait cemessage, veuillez

confier au porteurla valise

quevous trouverez

dans ma chambre. Je vousquitte

avec une douleur

extrême, heureusement adoucie par l'espoir de

rendre la paix à votre âme, en dérobant à vos yeux

très-pursl'excitante beauté de mon

visage. Otrop

tendre ettrop

inflammable Zola, jevous

respecte

à l'égald'une opinion, d'une de ces

opinions innom-

brables, toujoursvieilles et

toujourssi

jeunes, que

vous recommandâtes si souvent de respecter. Adieu

donc, ô Émilie, dont l'imageest indécrochablement

nxéedans mon coeur. ALPHONSE ALLAIS, ex-pharma-

cien de I re classe »

Sale calotin vociféra la douce hôtesse qui

ne croyait pas si bien dire. Il est sans exemple

qu'une bourgeoise se soit trompée.

Page 59: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 53

XXI

Je suis comme saint Thomas.

Vous l'avez tous connu, ce Sicambre dupot-au-

feu, affirmant ainsi son indépendance. Il est comme

saint Thomas. Pour croire, il a besoin de voir et

de toucher. Car il est bien entendu, n'est-cepas?

que l'apôtre saint Thomas, surnommé le Double

Abîme par l'Esprit-Saint, doit être apprécié selon la

jugeotte contemporaine et mesuré avec la dernière

exactitude, d'aprèsles

irréprochables méthodes

d'évaluation psychologiqueinstaurées

parles Paul

Bourget pourl'assiette indéfectible du

Bourgeois.

Aucun homme doué d'intelligence n'hésitera à

reconnaître que saint Thomas est le patriarche des

positivistes,c'est-à-dire des hommes sans foi et

même, s'il faut tout dire, d'un assez grand nombre

decrapules qui

se faufilent, par malheur, dans ce

groupe lumineux, quelques précautions qu'on

prenne.

Mais ily

a une chose très-bellequ'on

ne ditpas.

C'estque le disciple

adépassé

le maître etque

leBourgeois

estbeaucoup plus grand que saint

Thomas. Son admirable supériorité consiste, en

effet, à nepas croire, même après

avoir vu et

avoir touché. Que dis-je à devenir incapable de

Page 60: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

54 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

voir et de toucher à force de nepas croire. Ici on

est au seuil de l'Infini

Une visionnaire fameuse a dit que le doigt de

saint Thomas, ce doigt qui est entré dans les Plaies

des Mains, fait tourner le monde. C'esteffrayant

de songerà ce

que peutfaire tourner un individu

quiest

plus grand quesaint Thomas et

qui ne

croit êtreque

son égal

XXII

Je m'en lave les mains comme Pilate.

Autre réminiscenceévangélique.

Nous en trou-

verons encore. Le Bourgeois n'est pas précisément

religieux; non, mais il est pleinde traces accumu-

lées, plus ou moins distinctes, comme un décrot-

toir fidèle ou unpaillasson qui aurait

beaucoup

servi. Rien ne lui sembleplus

facile que d'être

comme saint Thomas et, en même temps, de se

laver les mains de ceci ou de cela, comme Pilate.

Traditionnellement et instinctivement, Pilate

est le héros de son choix. C'est, de tous lesperson-

nages évangéliques, celuiqui parle

leplus

à son

cœur. Il sent tellement en lui. son prototype 1 Il ne

sait peut-être pas très-bien cette histoire et, proba-

Page 61: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSEIDES LIEUX COMMUNS 55

blement, la cause de ce lavement célèbre ne lui est

pasfort connue. Il a autre chose à faire, mais tout

de même.

Les anciens bourgeois, depuis longtemps resti-

tués à lapoussière, qui furent ses ancêtres, ont

pusavoir

quece

gestealléguait métaphoriquement

l'innocence. Lui, très-moderne et, par conséquent,

plusarmé contre toute

espècede notions, en a

judicieusement élargile sens. « Je m'en lave les

mains », dit à propos de n'importe quoi, signifie

toutsimplement

« Je m'en fous », et l'addition

« comme Pilate » n'est plus qu'une habitude sécu-

laire de la langue,une sorte de bruit sourd analo-

gue à celui d'un corps pesant qui tomberait dans

un gouffre.

Pour direquelque

chosedéplus,

le Lieu Commun

que je tente, sansespoir, d'élucider, équivaudrait,

rigoureusement,et dans l'Absolu, à la

réponsede

Caïn « Suis-jele

gardiende mon frère? » tant

il est vrai quele

Bourgeois ne peut pas dire un

mot, fût-il chauve, sans secouer toutes les colon-

nes, comme un Samson

Mais voici que je perdsla tête. Ne

viens-je pas

de nommer l'Absolu, oubliantque

rien n'est absolu

etque je me suis fendu en

quatre pour le démon-

trer. En vérité, je crainsparfois de ne

pouvoirarri-

ver à la fin de cet immense travail d'exégèse, tel-

lement la matière m'accable et lesujet m'abrutit.

Post-scriptum.J'ai observé que

ce Lieu Com-

Page 62: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

56 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

munest ordinairement etinexplicablement invoqué

par des individus aux mains sales, de mêmeque

lemystérieux omnibus dePanthéon-Courcelles s'ar-

rête toujours devant lelupanar dégénéré

de la rue

des Quatre-Vents, sansque personne y monte ni

en descende et sansqu'on

aitjamais pu savoir

pourquoi.

XXIII

Prêcher dans le désert comme saint

Jean.

Encore l'Évangile Quelle monographieon

pour-

rait écrire des résidus évangéliques aperçus dans

les entrailles duBourgeois

Ici la difficulté n'est

pas petite et je meplains

derechef.

Mon Dieu! je sais bien ce que veulent dire ce

professeur de mathématiques,ce marchand de mar-

rons, cet académicien François Coppée,si on veut,

ou cetHanotaux, quandils

affirment qu'untel

prê-

che dans le désert. comme saint Jean. Oui, sans

doute, je sais ce qu'ils veulent dire, un enfant de

trois ans le saurait. Mais j'ignore ce qu'ilsdisent

en réalité.Je l'ignore presque autant qu'eux-mêmes.

Situation étrange! Que signifie, pourde tels

Page 63: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 57

juges,le mot «

prêcher » etqu'entendent-ils par

le « désert »? Quant à saint Jean, n'enparlons pas,

cela vaut mieux.Lorsque je

lis dansl'Évangile

que«

Jean-Baptiste prêchait dans le désert de

Judée il me suffit de continuer lechapitre pour

savoir immédiatement qu'une énorme foule d'au-

diteurs venus departout l'écoutait dans ce désert,

qu'un grand nombre se faisaientbaptiser par

lui

et devenaient sesdisciples,

etque, par conséquent,

il neprêchait pas en vain. Or c'est

justementle

contraire qui paraît êtrecompris par François

Coppéeou tel autre académicien bourgeois précité.

Alorsquoi?

Cetteapparente

confusion du datif

et de l'ablatif l'âneriepure

etsimple

n'étant pas

supposableun seul instant ne cacherait-elle pas

quelquesecret prodigieux? Ces hommes auraii.xxt-

ils reçu jene sains quelle révélation inouïe invali-

dant le Texte sacré?. Une telle penséeme donne le

trac, je l'avoue, et, du fond de ma bassesse d'écri-

vain, de mon ignominie d'artiste pauvre, je bénis

Dieu de ne m'avoirpas

fait naître bourgeois pour

lagloire d'un si lourd fardeau.

Page 64: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

58 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

XXIV

Etre dans les nuages.

Aimer autre chose quece

quiest ignoble, puant

et bête convoiter la Beauté, la Splendeur, la Béa-

titude préférerune œuvre d'art à une saleté et le

Jugementdernier de

Michel-Ange,àun inventaire

de fin d'année; avoirplus

besoin du rassasiement

de l'âmeque

de laplénitude

des intestins; croire

enfin à la Poésie, à l'Héroïsme, à la Sainteté, voilà

ceque

le Bourgeois appelle« être dans les nua-

ges». D'où il suit

queles nuages

sont uneespèce

de patrie-omnibus pour quiconquen'est

pas situé

exactement au plusbas de tous les degrés de

l'échelle, -= ce qui n'est, bien entendu, le cas de

personne.Car il

y a une hiérarchie de nuages à

n'en pasfinir et voilà ce

quecache

soigneusement

l'Ennemi des hommes.

Démonstration aussi facilequ'elle

estimportante.

Un pauvre compagnon vidangeur raclant le gra-

tin au fond d'une fosse et songeant auxpommiers

ou aux acacias en fleurs, est incontestablement

dans les nuages.Un triste

employé de commerce

interrompantses bordereaux pour dévorer un feuil-

leton de Richebourg d'où lui vient la sensation

d'une pantelante littérature, est encoreplus

dans

Page 65: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 59

5

les nuages,si c'est possible, et on ne le lui envoie

pasdire. Un notaire ivre d'amour

quifait un

qua-

trième enfant à sa notaresse, oubliant qu'il a déjà

procrééun hydrocéphale

et deux avortons, est au-

tant dans les nuages qu'on y puisse être, c'est cer-

tain, et il faudrait quelquechose comme la mons-

truosité d'un pharmacienfaisant des vers

pour y

être d'une manière plus inquiétante.Je ne finirais

pas,s'il fallait tout dire.

En somme, pours'enlever instantanément dans

les nuages,il suffit de faire, penser, vouloir ou

rêver n'importe quoide propre ou de

quasi-propre,

ne fût-ce qu'unedemi-seconde.

Donc ces fameux nuages siénergiquement ana-

thématisés parle Bourgeois peuvent, hélas être

parlui rencontrés à

chaque détour. Quoi qu'il

fasse, il n'est jamaissûr de les éviter et voilà

pour-

quoi son sort, bêtement envié, est si douloureux

On s'est souvent demandépourquoi

le Bourgeois

est si cochon, si crapuleusement bas, si enfoncé

dans les latrines Toutsimplement à

cause des

nuages.

Un usurier venait de crever. Sa famillepria saint

Antoine de Padoue deprononcer

l'oraison funèbre.

Ily consentit et son sermon, tout à fait dans les

nuages, fut sur ce texte « Là où est ton trésor, là

est ton cœur. » Puis,le sermon fini, s'adressant aux

parents

Allez, leur dit-il, fouillez maintenant dans les

Page 66: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

60 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

coffres de cet homme qui vient de mourir. Je vais

vous dire ce que vous trouverez au milieu des mon-

ceaux d'or et d'argent.Vous trouverez son cceur.

Ilsy allèrent, ils fouillèrent et, au milieu des écus,

ils trouvèrent un cœur humain, un cœur chaud et

qui palpitait. Celui-là, peut-être, avaitéchappé aux

nuages.

Combien l'Ascension doitparaître fâcheuse au

Bourgeois et combien Jésus montant au ciel doit

le révolter Un Dieu dans lesnuages Cepen-

dant, qui pourrait être meilleur chrétienque le

Bourgeois ?On le trouve à la tête de toutes les

œuvres dans nosparoisses,

et il s'arrange même de

la Transfiguration, tant il est malin

XXV

Être comme il faut.

Règlesans exception.

Les hommes dont il ne

faut pasne peuvent jamais

être comme il faut. Par

conséquent, exclusion, élimination immédiate et

sanspasse-droit

de tous lesgens supérieurs.

Un

homme comme il faut doit être, avant tout, un

homme comme tout le monde. Plus on est semblable

Page 67: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 61

à tout le monde, pluson est comme il faut. C'est

le sacre de la Multitude.

Être habillé comme il faut, parler comme il faut,

mangercomme il faut, marcher comme il faut,

vivre comme il faut, j'ai entendu cela toute ma vie.

Je demande qu'on se rappelle ce que j'ai dit en

commençant cette exégèse,à savoir que le Bour-

geois profèreà son insu, continuellement et sous

forme de Lieux Communs, des affirmation s très-

redoutables dont laportée

lui est inconnue et qui

le feraient crever de peur,s'il

pouvait s'entendre

lui-même.

Ainsi le Lieu Communqui

nous occupe en ce

moment exprime,avec une énergie singuliète, le

mandement évangéliquede l'Unité absolue Sint

unum sicut et nos. La Parole substantielle étant

vraie dans tous les sens, il est certainque le Bour-

geois accomplità sa façon la Volonté qu'il ignore

enexigeant que

le bétail humain soit un immense

et uniforme troupeaud'imbéciles -pourl'immola-

lationpiaculaire.

un certain jour.

XXVI

Etre pratique.

A ne consulterque

les dictionnaires, on pourrait

Page 68: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

Ô2 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

croire qu'il s'agitici tout bêtement d'une chose en

oppositionavec une autre qu'il faudrait

appeler

théoriqueet qui

ne serait pas moins estimable,

d'ailleurs.

De ce pointde vue, un homme

pratique serait

l'instrument pourla réalisation d'une idée ou

l'ap-

plicationd'une loi. L'homme

pratique parexcel-

lence serait le bourreau.Mais il nes'agitpas de cela.

Dans la langue du Bourgeois, langue très-spé-

cialequ'il

faut avoir peur de nepas

admirer assez,

êtrepratique signifie un ensemble de qualités mo-

rales, un état d'âme. On dit d'un homme qu'il est

pratiquecomme on dirait

qu'il est vertueux et

même avec une nuance de dédainpour

la vertu.

Au fond l'hommepratique est le véritable demi-

dieu bourgeois,le

remplaçant moderne du Saint

des légendes.La

plupart des statues contemporai-

nes ont été dressées à des hommespratiques par

d'autres hommespratiques

très-aviséset toujours,

levés de très-bonne heure.

Unpropriétaire qui

fait jeter dans la rue, en

plein hiver, des malades et des affamés, est abso-

lument un hommepratique,

surtout s'il est million-

naire, et plusil est millionnaireplus il est

pratique.

Ce quimet cet homme si haut, c'est

qu'il a un

coeur, souvent même un cœur bien tendre, etqu'il

sait le refouler généreusement.Il

y a des fournis-

seurs de charogne pour les hôpitaux ou des mar-

chands de laitqui empoisonnent, bon an, mal an,

Page 69: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 63

5.

quinzecents enfants, et qui gagnent

ainsi beau-

coupde monnaie. Eh! bien, tous ces gens-là débor-

dent d'amour. Mais le principeles enchaîne. Il faut

être pratique.

Autre règle sans exception.Un saint n'est

jamais

un homme pratique.

XXVII

Etre à cheval sur les principes.

Genred'équitation

exclusivement àl'usage du

Bourgeois.C'est le plus sûr qu'on connaisse. Il est

même inouïque

le cavalier ait été désarçonné Mais

aussi, quels principes admirablement dressés!

Monture d'autant plus aimable qu'elle ne coûte rien

etqu'elle vient d'elle-même trouver le

cosaque1

Labicyclette

et l'automobile sontsurpassés, car

cesprincipes-là

vont encore plus vite, et ils écra-

sent mieux, d'une manière plus satisfaisante, plus

irrémédiable. Ils ne broient pas seulement les corps

des faibles et des innocents privés de défenseurs.

Ils broient aussi et surtout leurs. âmes.

Lesprincipes que

monte le Bourgeois sont d'iné-

galables, d'indépassablescoursiers de la mort et il

lesloge dans l'écurie de son cœur.

Page 70: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

XXVIII

Etre poète à ses heures.

Je vous mets au défi de trouver un Bourgeois

quine soit

pas poète à ses heures. Ils le sont

tous, sans exception.Le Bourgeois qui

ne serait

pas poèteà ses heures serait indigne de la confré-

rie et devrait être renvoyé ignominieusementaux

artistes, à ces espèces d'esclavesqui

sont poètes

aux heures des autres.

Par exemple,il est un peu difficile de com-

prendreet d'expliquer ce que peut

bien être cette

poésieaux heures du Bourgeois. Supposer un

instantque

cet huissier serepose

des fatiguesde

son ministère entaquinant

la muse, qu'il se con-

sole du trop petitnombre de ses exploits en exé-

cutant des cantates ou des élégies, serait évidem-

ment semoquer

de ce qui mérite le respect.Ce

serait, si j'ose le dire, une idée basse.

LeBourgeois n'est

pasun imbécile, ni un

voyou, et on sait que les vraispoètes,

ceux quine

sont quecela et qui le sont à toutes les heures,

doivent être qualifiés ainsi. Lui est poèteen la

manièrequi

convient à un homme sérieux, c'est-à-

dire iquandil lui

plaît,comme il lui plaît et sans

y

Page 71: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÉSE DES LIEUX COMMUNS 65

tenir le moins du monde. Il n'a mêmepas besoin

d'ytoucher. Il

ya des

domestiques pour ça. Inu-

tile de lire, ni d'avoir lu, ni seulement d'être

informé de quoi quece soit. Il suffît à cet homme

de s'exhaler. L'immensité de son âme faitcraquer

l'azur.

Mais il ya des heures pour ça, des heures qui

sont siennes, celle de sa digestion, entre autres.

Quand sonne l'heure des affaires, qui est l'heure

grave,les couillonnades sont immédiatement con-

gédiées.

Être poèteà ses heures, rien qu'à ses heures,

voilà le secret de la grandeur des nations, me

disait, dans mon enfance, unbourgeois de la

grande époque.

XXIX

Être dans une situation intéressante.

Celui-là estpour les dames, exclusivement. Un

monsieur, même bourgeois, ne serajamais dans

une situation intéressante.

Comment faut-il entendre cette parole? Si je vois

unebourgeoise enceinte, il m'est

impossible de ne

pas penser à la naissanceprochaine d'un

petit

Page 72: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

66 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

bourgeoiset

j'avoue quecela me paraît plutôt trou-

blant. Je ne vois même pas très-bien enquoi la

famillepeut y

être intéressée, sinon dans le sens le

plusfâcheux. Car enfin le Bourgeois n'est

pas pa-

triarche et ne doitpas

l'être. Les vertuspatriarcha-

les sont justele contraire des vertus dont il s'ho-

nore. Il n'aque

faire d'une postérité innombrable

et ne se voitpas

adorant Jéhovah dans les solitu-

des, à la tête d'une caravane. Même lorsqu'il en-

gendre, le Bourgeois est dans les affaires. Il ne

pourraitdonc être question que

d'un intérét à tant

pour cent, tout auplus.

Mais ces réflexions ne nous donnent aucune

lumière. La formule de bienséance « Être dans

une situation intéressante »paraît

un de ces lieux

communsqui

nes'expliquent pas

etqu'il

suffit de

désigner enpassant, comme

quelquechose de

redoutablequ'il ne faut

pas trop approfondir.

XXX

Il faut être de son siècle.

M. Culot avait inventéquelque chose, on ne sa-

vait quoi et il n'en fitjamais la confidence à per-

sonne. Il voulait seulementqu'on sût qu'il n'était

Page 73: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 67

pasun idiot et

qu'endehors de ses fonctions,

d'ailleurs brillamment remplies, de premier comp-

table à l'administration des Soufres, il était cequ'on

est convenu d'appeler quelqu'un.

Nul mieux que lui n'était informé de toutes les

étapesde la science. Abonné à toutes les revues ou

bulletins scientifiques et les dévorant oufeignant

de les dévorer, on le consultait comme unréper-

toire. Il faut être de son siècle, disait-il à cha-

que instant, considérant que ce siècle-là, qui était

alors le dix-neuvième, avait au suprême degré

tout ce qui pouvaitfaire désirer d'en être, au

point

de donner ladémangeaison

de revivre auxplus

obsolètes poussièresIl n'admettait

pas la plus

lointaine suppositiond'une tare ou d'un déchet,

et les autres siècles, encomparaison, lui parais-

saient irrespirables

Il s'était fait inventeur pour appartenir plus

complètementà un siècle d'inventions. Mais, je

le

répète,on ne savait que croire de ses découvertes.

Ily

avait chez lui uneporte mystérieuse toujours

fermée àtriple

tour sur laquelleon lisait ce

simple

mot LABORATOIRE et lesconjectures

allaient leur

train.

Certains sous-entendusaccompagnés

de sourires

vaguesdonnaient à

penser qu'ilavait

domptél'es-

pacedes airs et résolu le

problèmede la navi-

gationaérienne.

Quelques-uns présumaientavec

profondeur qu'ilavait dû retrouver le feu

grégeois

Page 74: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

(;8 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

ou même la poudreà canon. Un malin, qui cou-

chait avec Mme Culot tous les samedis, chuchotait

qu'ilétait inventeur d'une machine à

aboyer des-

tinée à remplacer les chiens degarde

à la ville et

à la campagne. Bref, on ne savaitpas

et on ne de-

vait jamais savoir. Mais M. Culot jouissait d'une

haute notoriété et il fut questionde le fourrer à

l'Institut, cequi

serait certainement arrivé sans les

cabales.

Maintenant, voici le dénouement bizarre de sa

destinée, si, toutefois, il estpossible de nommer

cela un dénouement. Il avait une fille sans Dieu

ni beauté, mais irréprochablement salope qui, bien

quen'accordant aucune attention aux studieuses

manigancesde son père, voulait, non moins éner-

giqllement que lui, être de son siècle.Encouragée

d'ailleurs par l'exemple de sa mèrequi

eût fait par-

ler d'elle à toutes lesépoques

du monde, elle avait

de très-bonne heure obtenu les résultats lesplus

remarquables.

Très-diff érente en cepoint

de M. Culot, dèsl'âge

de dix-huit ans, Mlle Barbe Culot n'eut plus rien de

secret pour personne.A

vingt-cinq,elle s'était déjà

débarrassée scientifiquement deplusieurs enfants,

circonstance divulguée quilui valut, étant alors

devenue sage-femme de 1 re classe, les félicitations

du Président de laRépublique

et la croix d'hon-

neur, le jour même de l'inauguration de la statue

de Ricord.

Page 75: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

Mais toute médaille a son revers, dit un autre Lieu

Commun que j'étudierai, autantque possible, en

numismate, lorsque le moment sera venu.

Un jour, deux hommes du siècle se rencontrèrent,

comme par hasard, dans la chambre à coucher de

l'aimable enfantqui était, pour l'instant, sans au-

cun voile etcomplètement soûle. Il

y eut, je ne

saispourquoi,

de telles engueulades queM. Culot

ne crut pouvoir se dispenser d'accourir, invitant

ces messieurs àquelque modération.

On voit 6iengue

vous n'êtes pas de votre

siècle! luirépondit-on.

L'énormité de la remontrancepétrifia, quelques

instants, le vieillardqui balbutia enfin des excuses.

Il alla mêmejusqu'à

offrir des rafraîchissements,

et le calme revint dans cette demeure. Mais le coup

étaitporté.

M. Culot, soupçonné de n'êtrepas

de

son siècle, perdit peu à peu ses belles couleurs,

tomba dans le marasme et finitpar s'aliter. Se

sentantperdu,

il demanda son incinération aux

frais de l'État ets'éteignit doucement, ayant pris

les assistants à témoinqu'il

crevait homme de son

siècle. Le monde savant déplora la disparition de

cet Archimède.

Nolite conformari huie sœculo, ne vous confor-

mezpas

à ce siècle, s'écrie saint Paul, dont le

triompheest trop

facile etqui n'eût assurément

riencompris

à l'impénétrable sagesse du Bourgeois.

Page 76: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

70EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

XXXI

Il ne faut pas être plus catholique que

le Pape.

Apremière vue, on

pourraitcroire

qu'ilest heu-

reuxpour le Pape qu'il y

ait des gens plus catho-

liques que lui, des avertisseursqui

lui disent

Arrêtez-vous, quandil va

trop loin, c'est-à-dire,

toujours,n'est-ce

pas ?Car le

Papeest le seul

hommequi

setrompe infailliblement, et c'est même

comme celaqu'il

faut entendre la doctrine de l'In-

faillibilitépontificale.

Du moins, c'est ainsique

l'entend le Bourgeois.

Pourquoi, alors, dit-ilqu'il

ne faut pas être p(us

catholique quele Pape? Sans doute parce que

lePape

l'est encore trop. Je vous écoute, mais tout

de même ça n'est pas très-clair.

Si le Pape setrompe toujours et

qu'ensa qua-

lité d'infaillible il soit seul à setromper toujours,

il s'ensuit qu'il est impossible de n'être pas plus

catholique que lui. En même temps,vous me dites,

ô Bourgeois, que cela ne vaut rien, qu'ilne faut

pas l'êtreplus,

cequi implique

nécessairement qu'il

faut l'être moins, impossibilité quivient d'être dé-

montrée.

Page 77: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXEGESE DES LIEUX COMMUNS71

6

Dans cettehypothèse absurde, le

Pape reprend

son niveau, comme la mer aux « tumescences mer-

veilleuses », et me revoilà sur leplan d'un catho-

licisme inférieur à celui de ce Souverain Pontife

quine

peut pas nepas se

tromper etqui, de ce

fait, retombe aussitôt, invinciblement, auplus bas

étage. Encore une fois, je demande unpeu de

1 lumière.

XXXII

Tous les goûts sont dans la nature.

Dans la nature duBourgeois,

cela va sans dire.

Essayezde vous

représenterune telle universalité

degoûts chez un

poète!Et

remarquez, jevous

prie, qu'il n'estpas question

de goûts très-variés,

degoûts très-multiples,

mais de tous les goûts,

depuis legoût

de l'ambroisie jusqu'àcelui de la

merde, inclusivement.

Tel est le Bourgeois, il aime tout et il avale tout.

Du moins le malinqu'il

est voudrait le faire croire.

Mais je connais ses pentes et je ne le vois pas très-

bien aimant des chosespropres.

C'est là son indis-

cutable etsempiternelle supériorité qu'il

cache en

vain.

Page 78: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

XXXIII

Toutes les vérités ne sont pas bonnes

à dire.

Il y en a d'autres, enplus grand nombre, qui

ne

sont pasmeilleures à entendre. Donc, il faut faire

un choix des unes et des autres, cequi suppose

le discernement des anges, et dequels anges

Une vérité qui exposerait son divulgateur ou son

témoin à quelque disgrâce, évidemment, ne serait

pas bonne à dire. Lapeau avant tout, chacun son

métier, le Bourgeois n'estpas

unmartyr.

Mais il

n'est pasnon

plusun confesseur, un pénitent

aff a-

mé d'humiliations, et les véritésqui le désobligent,

il juge préférablede les ignorer.

C'est fort bien, mais alors voici une choseétrange.

Si on supprimedu même coup les vérités dange-

reuses àproclamer

et les véritésdésagréables

à

entendre, querestera-t-il ? Car enfin, j'ai beau

chercher, je n'aperçois pas un troisième groupe.

Déclarons-le sans barguigner. A ucune véri té n'est

bonne à dire, tel est le vrai sens du texte. Peut-être

même n'y a-t-ilpas de Vérité. Pilate, qui

LAvoyait

face à Face, n'en étaitpas sûr.

Page 79: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 73

XXXIV

Chercher midi à quatorze heures.

C'est ce qu'on ne manquera pasde me

reprocher.

On dira que je cherche le Bourgeois où il n'est pas,

que je lui supposedes intentions, des sentiments,

des idées qu'iln'a pas.

Eh! bien, on setrompera.

Je ne cherche. ni nesuppose. Le Bourgeois est ren-

contrable à n'importe quelle heure, leshorlogers

le savent très-bien, et il estcapable de tout, les

pauvresl'ont

apprisà leurs

dépens.J'ai dit seule-

ment, et ce travail n'a pas d'autre objet, quele Bour-

geois est un écho stupide, maisfidèle, qui répercute

la Parole de Dieu, quandelle retentit dans les lieux

bas; un sombre miroirplein

du reflet de la Face

renversée de ce même Dieu, quandIl se penche

sur les eaux où gîtla mort. J'ai

ajouté que cela me

semblait terrible. Et voilà tout.

Pour ce quiest de ce misérable

topique, de cette

fétide rengaine quia comblé de sa banalité morne

mon enfance vouée aux tourments et qui n'a même

pas l'excuse démoniaquede grimacer la contrefaçon

d'un Texte sacré, jesais ce

qu'il en faut penser.

C'est comme le Rien n'est absolu des premières

pages de ce livre. Quand un pauvre écolier a trouvé

Page 80: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

74EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

ou cru trouverquelque

chose etqu'il en pantèle de

joie,le coup de trique

de Midi à Quatorze heures lui

est invariablement asséné.

Je l'ai déjà dit et je serai bien forcé de le dire

encore préférerce qui

est noble à ce qui. est igno-

ble et ce quiest beau à ce

quiest hideux chercher à

comprendre,tenter la

conquêtede

n'importe quoi,

en sautant par-dessusbornes et clôtures vouloir

vivre enfin; voilà ce qui tombe sous l'anathème.

J'essaie de me représenter cet avoué au tribunal

de première instance, crevant àmidi juste, à l'é-

chéance d'une vie très-basse, et sa très-sale âme

légèreentraînée par

lespleurs des pauvres qu'il

écrasa, jusqu'àla station de Quatorze heures

qui

est la dernière du Chemin de la Croix et le Tribu-

nal sanglantde Jésus-Christ!

XXXV

Il y a des bornes qu'il ne faut pas

franchir.

Ceci est plus net.. On est informé qu'à une cer-

taine distance, pas énorme, ily a une frontière qui

ne pardonne pas.Malheureusement il faut de bons

yeux pour la discerner,car elle est peu apparente.

Page 81: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 7'rJ

Puis, elle a cet inconvénient d'être instable. C'est

un cordeau lâche qui ne délimitepas

exactement.

Quelquefois,c'est le Bourgeois lui-même qui

dépasseles bornes, sans le savoir, et alors il suc-

combe sans honneur dans letraquenard qu'il a lui-

même tendu aux Poètes, lessupposant

malicieu-

sement destaupes.

Tant pis pour lui, aprèstout. Moi

jesuis de ceux

quivoudraient qu'une révolution éclatât et

qu'àla

tyrannieintolérable du Bourgeois antique

ennemi

des aventures, s'opposassent les modernes effer-

vescences d'un Bourgeois casse-cou qui ne voulût

plus entendre parler d'aucune barrière. Ce cata-

clysme répandrait un peu d'agrément sur notre

planète.

XXXVI

L'excès en tout est un défaut.

Ilpeut

même arriver qu'onsoit

trop bourgeois,

cequi semble

paradoxal. Voici, pourle démontrer,

une histoire extrêmement simpleoù j'eus un rôle

peu honorable.et quiarriva dans ma jeunesse.

M. Robert, petitrentier retiré des huiles, n'était

pas heureux. Il aurait dû l'êtrepourtant.

L'effort

Page 82: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

de toute une carrière dedéloyauté commerciale

avait été, en sa personne, rémunéré d'uneéqui-

tableopulence par

unjuste

sort.

Une maison dénuée, grâce au ciel, de tout profil 1

architectural, attestait, sur lagrande rue, l'impor-

tance financière de cet homme récompensé. La

blancheur inexorable du crépi rendait ophtalmique

et faisait mourir lavégétation.

Par la porte cochère, onapercevait

unjardin

bouilli, calciné, sinistre, d'où le goût du maître

avait proscrit la nature. Touts'y passait

en rocail-

les etplomberie d'agrément.

Un amourespiègle

en

simili-bronze tenait un jet d'eau, peu abondant, au

centre d'un bassin exécuté parle même cyclope,

où despoissons rouges malheureux avaient l'air de

suer.

Quelques géraniums hydrophobesse

groupaient

çà et là, au pied de quelques tilleuls qui avaient

renoncé à toute fraîcheur. Onvoyait

aussi des

miroirssphériques

de diverses couleurs, unjeu de

tonneau d'un vert d'asperge pisseux,un berceau de

vigne vierge et de glycines complètement grillées

dont la seule imagination d'un brûlé vivant aurait

pu implorer l'ombrage. Enfin, la niche, couleur

d'azur, d'un chien arrivé au dernier degré de l'alo-

pécie galeuse,commis à la surveillance dupaysage.

Un mur de geôle crénelé de culs de bouteilles bar-

rait l'horizon. Ce séjour enchanteur était lagloire

de M. Robert.

Page 83: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS77

Des raisons plus hautes le conviaient à lajoie

parfaite.Il était membre du Conseil

municipal,

grandementestimé

pour l'abondance et la fluidité

de ses vues, appelé, disait-on, parle cri

public à

de plus augustes emplois.Pour surcroît de bon-

heur, sa femme était morte, l'attendant désormais

au ciel, après l'avoir, trente ans, cocufié sur terre.

Pourquoifallut-il

qu'un ver sanspardon rongeât

intérieurement ce beau fruit ? M. Robert avait un

voisin qui empoisonnait sa vie et le réduisait au

désespoir.C'était un graveur, homme de désordre

et de concupiscence, qu'ilne pouvait rencontrer

sans frémir et dont la seuleprésence

l'affolait.

Ce graveur, toujours débraillé, toujourscoiffé

d'unpanier

à figues venu de l'Asie Mineure, tou-

jours fumant à l'extrémité d'un roseau, dans un

tronc de merisier d'un poids excessif, se livrait, en

outre du burin, à des exercices photographiquesde

l'espèce la moins innocente, s'il fallait en juger par

ses acolytes ordinaires un gros aide fortement

trapu qu'aucun propriétaire n'eût aimé à rencon-

trer au coin d'un bois, le jour d'échéance de ses

locations, et un escogriffe d'opérateur sombre aux

yeux de nitrate, noueux comme un cep, qui ressem-

blait, sous le velum noir de son appareil, à quel-

que bourreau masqué.

Tout cela, disait M. Robert, n'était pas très-

catholique.

Des femmes, probablement impudiques, venaient

Page 84: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

78EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

presquetous les

jours,Dieu savait pour quels

of-

fices 1 Et iln'y

avait pas moyen de ne pasles voir,

car M. Robert n'était pas entièrement clos de mu-

railles et sonjardin

n'était dérisoirement séparé de

celui du graveur que parune simple claire-voie qui

ne cachait rien.

Combien de fois sa demoiselle, une jeune bique

pointueet sentimentale, pure

comme la violette,

avait-elle entrevu, enpassant, des scènes

orgiaques

dont le souvenir la troublait Elle avait vu, j'ose le

dire, ces odieux voisins, mâles et femelles, dépoi-

traillés sans vergogne,sous

prétexte d'art, et bu-

vant, au dehors, des apéritifsen

poussantdes cris

sauvages.Cela devenait d'autant

plus intolérable

qu'ilsavaient l'air de narguer, éclatant de rire

aussitôt qu'apparaissaitle

pèreou la fille.

L'abominable photographe,un certain

jour,

n'avait-il pas eu l'audace de braquer sur eux son

objectif, leur adressant, le lendemain, les deux

portraits accompagnésd'une demande carabinée

d'envoyerMlle Armandine pour des études d'en-

semble. Cemessage inqualifiable, qu'Armandine

avait lu, malheureusement, contenait deshypo-

thèses d'une indécence inouïe. et le plus fort

c'étaitque l'avocat de l'ex-huilier, homme sérieux

pourtant, consulté sur l'heure, avait haussé les

épaules avec un gros rire en lui donnant le conseil

d'en rester là, de nepas

donner d'importance à

une sotte fumisterie.

Page 85: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 79

6.

Enfin, pour tout dire, legraveur

aupanier

à fi-

guesen était arrivé, dans l'insolence, à le tutoyer,

lui, M. Robert, quiavait

toujoursfait honneur à sa

signature, quiavait toujours payé recta, lui

tapant

sur le ventre an milieu de la rue etl'appelant

« mon

vieux Macaire ». Ledigne, homme ne dormait plus,

perdait pied dans le torrent des tribulations.

Ce graveur était donc son cauchemar et il eût

tout faitpour

en être délivré. C'est assez direqu'il

l'épiaitavec attention, espérant qu'un jour ou l'au-

tre il surprendrait quelque manigance criminelle.

Ensupposant qu'il

exécutât réellement de lagra-

vure dans sa caverne, comme il s'en vantait, cet

art prétendu pouvaittrès-bien servir à cacher d'hor-

ribles combinaisons. Car enfin on ne ferait jamais

croire à un honnête hommequ'il

fallait tant de

compagnes et decompagnons,

tant d'allées et ve-

nues et tant de micmacspour gratter

un morceau

de cuivre. Il devait y avoirquelque

chose.

Un beau matin, il n'en douta plus.Comme il se

glissait vers laporte, étouffant ses

pas,selon sa

coutume, depuis qu'il« veillait au grain », la voix

trop connue del'énigmatique

voisin se fit entendre

à travers le mur contrelequel

il fut obligé de s'ap-

puyer dans son angoisse et, distinctement, lui

parvinrent ces paroles chargées de terreur

Le cadavre commence à blanchir.

D'autres mots furent prononcés qu'ilne

putsai-

sir, mais ceux-là suffisaient bien et il savait ce qui

Page 86: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

80 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

lui restait à faire. Toutefoisses jambes

se déro-

baient il se sentait froid comme s'il eût été lui-

même le cadavre et, pendant quelques minutes, il

lui falluts'éponger

et seravigoter

l'âme. Enfin il

ne s'était pas trompé.Le voisin était bien réellement

une sombre canaille, un malfaiteur des plus dange-

reux dontla justice des hommes allait ledébarrasser.

Bénissant, pour la premièrefois de sa vie, la Provi-

dence, il s'élança vers la caserne de gendarmerie.

Informépar lui d'un massacre, le brigadier de

service accourut aussitôt avec trois hommes. On

entra sans cérémonie chez legraveur, malgré les

yeux ronds de son ouvrier sur lequelon mit d'a-

bord le grappin.

Où est tonpatron?

lui demanda d'une voix

dure lesuppôt

des lois.

Eh! ben, quoi?il est dans la chambré noire.

Vous allez le voir dans deux minutes. Qu'est-ce

quevous lui vouiez? Vous n'allez

pasnous

pren-

dre pour des brigands, peut-être?

Assez causé dit le brigadier, tu t'expliqueras

devant le juged'instruction. Ouvre cette porte.

Zutrépondit l'homme, je

ne veuxpas

me

brouiller avec mon patron pourvous faire

plaisir.

Adressez-vous à lui-même, si vous êtespressé.

Vous verrez bien cequ'il vous dira.

Le gendarme, dégainant, s'avança vers le lieu

terrible.

Ah ça, dites donc, cria lepersonnage

invi-

Page 87: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 81

sible, vous n'allez pas me foutre la paix, vous au-

tres ? Qu'est-ce quec'est donc

que tout ce potin?

Je vous dis quele cadavre sera

superbe.

C'en était trop. Lejuste soldat menaça d'enfon-

cer la porte.Il fallut alors s'exécuter et M. Robert

confondu vit sortir de l'ombre son bourreau, coiffé

du panierà figues et la

pipe au bec, tenant du

bout des doigtsle cliché

photographique d'un

tableau fameux signifiant la mort de César ou de

tout autre tyran.

XXXVII

Il faut hurler avec les loups.

Précieuse maxime qui a dû êtreléguée par un

vieux chien. Hurler, ai-je besoin de le dire? est

une litote, un euphémisme.Il

s'agit de faire ceque

font les loups,c'est-à-dire de

manger les moutons,

en commençant,bien entendu, par ceux

qu'on a

le devoir de garder.

Le clergé bourgeoisest unanime à reconnaître

que c'est unepratique plutôt agréable, la chair du

mouton étant exquiseet bienfaisante à l'estomac de

toutes les sortes de chiens. Ily a, dans Ezéchiel,

unchapitre menaçant qui

a l'air de leurprédire

Page 88: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

82 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

des indigestions. Mais on ne lit guère Ezéchiel

dans le clergé bourgeois et, enparticulier, dans le

diocèse de Meaux, où j'imagine qu'on doit le trou-

ver unpeu

rococo. Je cite le diocèse de Meaux

parce que j'yvis assez mal, d'ailleurs, n'étant

pas berger,ni chien de berger et

que j'ai eu

l'occasiond'y

observer quelques curésque

Bossuet

n'avaitpas prévus et

quine ressemblent

pasà des

aiglons.

Je parlerai plus tard de ces serviteurs de Dieu

avec un certain luxe de détails. En attendantje

leurpropose l'apologue tout à fait ecclésiastique

du chien de garde devenu un « chien muet », à

force de hurler avec les loupset

qui engloutiten

silence la Chair et leSang de l'Agneau,

tous les

matins.

XXXVIII

Il n'y a que la Vérité qui offense.

Post-scriptum au paragraphe XXXIII. J'allais

l'oublier, celui-là. N'avais-je pas raison? Non seu-

lement ily a des vérités qui

ne sont pas bonnes à

entendre, mais leprofond Bourgeois nous affirme

qu'il n'y aque

la Vérité quil'offense.

Page 89: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 83

Le mensonge ne l'offensepas, ne l'offensera

jamais.C'est une

espèced'oncle dont il

espère

toujourshériter et pour lequel

il n'apas

assez de

caresses. Quand leMensonge s'incarnera, ce

qui

doit arriver unjour,

il n'auraqu'à dire « Quit-

tez tout et suivez-moi », pour traîner aussitôt der-

rière lui, non pasune douzaine de pauvres, mais

des millions debourgeois

et debourgeoises qui

le

suivront partoutoù il lui

plaira d'aller.

Jusqu'à présent,la Vérité seule s'est incarnée,

EgoVeritas qui loquor tecum, et vous savez

comment elle a été accueillie. Ah on nes'y

estpas

tromjèéune minute Crucificjatur IL N'Y A QUE

LA VÉRITÉ QUI OFFENSE

C'est tout de même troublant d'entendre le Bour-

geois dire ces choses-là, tranquillement,du matin

au soir.

XXXIX

C'est l'ambition qui perd les grands

hommes.

Savoir ceque

le Bourgeois entendpar

un grand

homme n'estpas

la chose laplus

facile. Tout le

Page 90: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

84 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

monde penserait que leplus grand homme, à ses

yeux,est celui qui

a le plus d'argent. Eh bien ce

n'estqu'une opinion plausible. Ce n'est pas encore

tout à fait ça.

Au-dessus de l'homme qui abeaucoup d'argent,

ily

a celuiqui

faitpeur, ayant le

pouvoirde

pren-

dre l'argent des autres et de leur donner, en

échange,des

coupsde

pieddans le cul. Celui-là

est incontestablement unplus grand homme.

Ily

en apourtant

un troisièmequi est

plus

grand encore, sij'ose

le dire, qui est, àcoup sûr,

leplus grand des hommes. C'est celui

qui venge le

Bourgeoisde cette Vérité offensive dont il vient

d'être parlé.Un tel victorieux, on le

comprend,

n'apas besoin d'être riche ni de

répandre la ter-

reur. Inutile mêmequ'il

se nomme Renan ou

Voltaire. Ne fût-il qu'uncuistre bâtard, un molé-

culaire et vagabond apostat,dans les plus vermi-

neuses guenilles,il est le

Scipion de cetteCarthage

de lumière qu'ilfaut détruire. Cela suffit. Son

ambition, s'il en avait une, serait departager

la

gloirede ce soldat immortel et

ganté de fer qui

souffleta, chez le grand Pontife, aux matines

du Vendredi saint, le Christ enchaîné.

Mais, alors, quenous veut ce Lieu Commun avec

son « ambition » désastreuse ? Je me le demande.

Siquelque

chose nlanque essentiellement au Bour-

geois, c'est laGrandeur qu'il abhorre. Il ne

peut donc

passe perdre par

là et le Lieu Communqui

nous

Page 91: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 85

embarrasse adû être mis en circulation par de très-

petitshommes

quivoulaient en imposer.

XL

On n'est pas surla terre pour s'amuser.

Pardon, voudriez-vous me direpourquoi

ony

est, si ce n'estpas pour s'amuser. Serait-ce pour

souffrir ?

Oui et non, mais il faut s'entendre. Laparole

du

Bourgeois est à deux tranchants comme le glaive

d'Aod, fils de Géra, troisième Juge en Israël. La

souffrance estpour les autres et lui seul est sur la

terre pour s'amuser. Aussitôt qu'onoublie cette

loi, tout devient obscur.

11 est écrit dansl'Évangile qu'il y

aura toujours

despauvres. Naturellement. Voudrait-on que

le

Bourgeois prît lapeine

de souffrir lui-même? Et ce

n'estpas assez d'avoir des larbins, il Jui faut des

esclaves, des malheureux dont ilpuisse

exténuer

lescorps et flétrir les âmes. Le voilà son amuse-

ment1 Dégrader les âmes, les souiller, les

désespé-

rer. Quand lepauvre

crie de douleur, cette con-

solation lui est offerte « On n'est passur la terre

pour s'amuser », et il croit être parmiles démons.

Page 92: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

86 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

XLI

Je ne suis pas un saint.

Le Bourgeois n'oserait pas dire « Je ne suis pas

un homme degénie ».

Comment ose-t-il dire « Je

ne suispas

un saint? » Les deux choses doivent

lui être également odieuses, puisqu'ellessont d'or-

dre absolu. Il est certain, cependant, que le soup-

çon de sainteté aquelque

chose deplus lancinant

pour l'amour-propre, de plus difficile àsupporter.

L'homme de génie,en effet, a des chances

pour

n'être pasindiscutablement et

irréparablementun

idiot; le saint n'en apas.

C'est connu.

Mais il faut serappeler que

lalangue

du Bour-

geois,étant exclusive de l'Absolu, doit fourmiller

de surprises,de contradictions dans les termes, de

non-sens, d'incohérences et de coq-à-l'âne, au mi-

lieu desquelsil se débrouille très-bien, paraît-il,

mais qui doivent ahurir un étranger. Moi-même,

qui m'efforce dejeter un peu de lumière dans ce

gâchis, j'avoue quebien souvent

je m'y perdset

que je tombe, par l'effet de cette recherche, dans

uneespèce

de coma dont mes amis sont alarmés.

Lemoyen, par exemple,

de concilier le désir si

évident, si bourgeois et si raisonnable de n'être pas

Page 93: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 87

un saint, avec l'exigence habituelle de la sainteté

chez les autres, particulièrement chez les inférieurs,

car tel est le cas de ce Lieu Commun, très-analogue

au précédent.La sainteté est pour

les autres,

comme la souffrance.

Mais tout s'arrange. Le Bourgeois ne voulant pas

et ne devant pas être un saint, il devient néces-

saire qued'autres le soient à sa place, pour qu'il

ait lapaix, pour qu'il puisse digérer

et roter en

paix.C'est la

religionà

l'usage des domestiques

préconisée par Voltaire, laquelleconsiste à mettre

son paquet sur le dos des autres.

Onremarquera que je neparle

icique

du Bour-

geois rudimentaire, duBourgeoi s monopétale,

si

j'ose dire, celui qui« n'a rien contre Dieu » et qui

nepense qu'à

sestripes.

Le Ricaneur, préjugeant

l'hypocrisiede tout homme qui accomplit

un acte

religieux et s'efforçant de le poignarder de cesoup-

çon, sera l'objet d'une mentionparticulière.

Dans son célèbre Voyageen Chine, M. Huc

expliquela

fréquence extrême du suicide chez les

Chinois.

Dans les autres pays, dit-il, quandon veut assouvir

savengeance sur un ennemi, on cherche à le tuer; en

Chine, c'est tout le contraire, on se tue soi-même. On

est assuré de lui susciter, par ce moyen, une affaire

horrible. Il tombe immédiatement entre les mains de la

justice qui, tout au moins, le torture et le ruine com-

plètement, si elle ne lui arrache pas la vie. La tamille

du suicidé obtient ordinairement, dans ces cas, des

Page 94: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

88 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

dédommagementset des indemnités considérables

aussi il n'est pas rare de voir des malheureux, emportés

par un atroce dévouement à leur famille, aller se donner

stoïquement la mort chez des gens riches.

Cettepage

curieuse m'est revenue ensongeant à

mon bourgeois. Au point de vue strictement reli-

gieux,le refus ou l'absence du désir de la sainteté

ne diffère pasdu suicide, puisqu'en

dehors de

l'état des saints il n'y a, rigoureusement et en fin

de compte, que l'état des morts, des vrais morts

qui ont détesté leurs âmes, des morts éternels.

Ceux-là se sont tués, eux aussi, dans le dessein de

perdre leurs frères. L'homme qui dit volontiers

« Je ne suis pas un saint », accomplit spirituelle-

ment l'acte effroyable du Chinois désespéré.Mais

comme il est dans les ténèbres, il croit n'enjamber

qu'une marche et il enjambe l'abîme.

XLII

Je ne me fais pas meilleur

que je ne suis.

Assez de blagues, Bourgeois Si tu n'espas

un

saint, ce que j'accorde, l'humilité ne te convient

pas.Il ne s'agit pas de te faire meilleur ni pire,

Page 95: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS89

mais d'être ce que tu es, simplement. Or tu es très-

bon, sans mérite et sans effort, parla seule excel-

lence de ta nature. Unpeu plus, tu serais

tropbon.

Tu donnerais ton argent à des poètes, quisait ?

Laissons tout cela. Engénéral, lorsque

le Bour-

geoisdéclare qu'il

ne se faitpas

meilleur qu'il n'est,

on peutêtre sûr

qu'ilne pourrait pas

se rendre

pire, quandmême il le voudrait, et qu'il mijote,

séance tenante, quelquerosserie.

Tu es une vache gueulaitun condamné à

mort, s'adressant au bourreauqui

se préparaità

luicouper

les cheveux.

Je ne me fais pasmeilleur clue je

ne suis,

répondit,d'une voix très-douce, l'exécuteur.

XLIII

La parole est d'argent,

le silence est d'or.

En voilà un quine

pourra jamais être compris.

Le comble du ridicule serait d'espérerun seul audi-

teur en disant, par exemple, qu'au plus profonddu

Texte sacré, la Parole et l'Argentsont synonymes

etque

le Silence tout en or est une image de la

Vie éternelle.

Page 96: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

goEXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

Ce serait demander la camisole de force que d'es-

sayerd'avertir qu'il

est dangereuxde toucher à

des Formes irritables et peut-êtresans pardon,

comme legénie

de la fable allemande accourant,

avec son redoutable pouvoir,au commandement

d'un évocateur téméraire quine sait plus

s'en dé-

barrasser.

Je n'essaierai donc pas, me bornant à dire, sans

espérance d'être entendu, quecet argent

adoré

pour lequelvit exclusivement le

Bourgeois signif e

comment dirai-je ?une Volonté mystérieuse

dont l'énergie d'expansion est incalculable etqui,

pourtant, n'estque

la monnaie de l'Indicible dési-

gné par ce Silence d'or, éternellement désirable,

auquelsont si vainement conviés tous les bour-

geois.

Lorsque le Seigneur dormant duProphète-Roi

se retournera sur son lit de siècles, ily

aura un

changement surnaturel analogue à celui du com-

mencement de l'Ère chrétienne. On ne verra pres-

que plus Jésus, la Parole semblera s'éteindre, la

Prédication, autrefoisapostolique, cessera; cepen-

dant qu'à l'autre extrémité du cielapparaîtra

la

prodigieuse Face d'or de Celuiqui

se nomme lui-

même, inscrutablement, le Silence

Voilà ceque dit, sans le savoir, le

percepteurde

mon endroit, quand il aligne, dans sesimprenables

tiroirs, les sonnantesespèces qu'il

a raflées.

Page 97: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS9I

XLIV

J'ai bien gagné de me reposer.

.M. Répanduest propriétaire et il le sait. Il sait

même qu'ila la loi pour lui. Mais il tient à ignorer

ses locataires, son médecin luiayant

interdit les

émotions quisont l'effet ordinaire desengueulades.

Il souffre, paraît-il,du grand sympathique.

Pour échapperaux plaintes et réclamations, il a

un gérantau cœur ferme, un ex-huissier ou clerc

de notairequi

la connaît dans les coins etqu'il

avantage d'un tant pour cent pour quetout aille

sur des roulettes.

Cettegérance, d'ailleurs, n'est

pasune sinécure,

M. Répandu possédant plusieurs immeubles, près-

que tous habitéspar

des ouvriers dont il faut, cha-

que samedi, attraper, pourainsi dire, l'argent au

vol. Ily a aussi, dans ces casernes, un assez bon

nombre de filles aimables dont les rentrées sont

incertaines et les amitiésondoyantes.

La collecte

desloyers chez ces

personnesest moins consolante

que périlleuse.

Je suis lepropriétaire qui

ne veut rien savoir,

disait M.Répandu, après

vérification des sommes,

unjour que

son gérant était venu chez lui avec

Page 98: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

92EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

quatredents de moins et une gueule qui ressem-

blait à un paysage forestier de la fin d'octobre, j'ai

bien gagné de mereposer.

Parole admirable On l'avait toujours vu se re-

poser, depuisenviron trente ans que la bienheu-

reuse mort de sesparents

l'avait mis enpossession

de leur fortune, acquise,disait la rumeur, aux

coins des bois. Une tentative de noce, vers son bel

âge,avait dégoûté

cegarçon qui, de très-bonne

heure, aima l'argentd'un chaste amour.

Devenu homme pratique,il ne voit dans les

pas-

sions juvénilesou séniles quece

qu'elles rapportent

auphilosophe qui

sait en tirerparti.

Il a même

relevé de ses ruines, onpeut

le dire, etglorieuse-

ment restauré, un historique et centenairelupanar

du tempsdes derniers Capétiens dont le rendement

apanageraitun fils de France. Cette

besogne, pour-

tant, ne l'a pas courbatu, et, comme il parle sans

cesse de son repos bien gagné,on est réduit à con-

jecturer Dieu sait quelles fatigues antérieures qui

défient la mémoire des hommes.

Votre Répandu, m'a dit, l'autre jour, un

concentrateur, est simplement un fantôme. Ce qu'il

nomme le repos, c'est la mort. Vous savez peut-

être qu'il y a des gens qui paraissent vivre et qui

sont en réalité des morts. C'est le cas de presque

tous les vampires que vous appelez bourgeois. On

les croit debout et gesticulant. Ils sont couchés et

immobiles. On est persuadé qu'ils parlent ou, si

Page 99: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS g3

vous voulez, qu'ils profèrent des sons et la vérité

stricte, c'est qu'ils sont au-dessous du silence

même, enfoncés dans la vase la plus épaisse du

mauvais silence. Pour que se manifestât leur putré-

faction certaine, leur puanteur effroyable, il suffi-

rait d'une parole simple, dite par un vivant. Quand

un individu vous parle de « repos gagné », croyez-

moi, flairez-le avec la plus grande attention.

Mon interlocuteur avait raison. Il y a quelques

jours à peine, j'eus affaire à un de ces morts qui ne

parlait même pas de se reposer, tant il avait peur

de se réveiller lui-même. Dès le premier mot j'eus

devant moi et contre moi un volcan de pourriture,

un Orénoque de sanie où je crus périr.

XLV

L'argent ne fait pas le bonheur, mais.

Lieu Commun depremier

ordre etqui nécessite

le confident de latragédie antique.

Il faut quel-

qu'un pour ajouter immédiatement « Mais ily

contribue ». Alors c'est tout à fait beau.

Cette humble contribution, quivient

tempérer si

heureusement la rudesse mélancolique d'un aveu

qu'on pourrait prendre pourun

blasphème, doit

Page 100: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

94EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

avoir une efficacité singulière. C'est comme du sucre

sur la conscience ou de lapommade sur le cœur.

Oui, c'est vrai, songe profondément le Bour-

geois, l'argentne fait

pasle bonheur,` surtout lors-

qu'ilest absent. Il le fait

presque,sans doute, mais

pas complètement. Quelquechose

manque, tout le

monde est forcé d'en convenir, et c'est l'occasion

d'une tristesse infinie que d'être témoin de cette

impuissance de -l'argent qui devrait assurer la féli-

cité de ceux qui l'adorent, puisqu'il est véritable-

ment un Dieu.

J'ai fait remarquer plus d'une foisque

ce métal,

significative ment dépréciéà notre époque, est, dans

le Saint Livre, unefigure très-identifiée du Verbe

souffrantqui

est la Seconde Personne de la Trinité

divine, leRédempteur. Dire qu'il

ne fait pas le

bonheur est donc, pour tout chrétien, une affirma-

tion audacieusejusqu'à l'impiété et, précisément,

c'est un Lieu Commun deprovenance chrétienne.

J'en trouve lapreuve

dans cette atténuation d'un

si beau style qui fait Dieu contribuable de l'allé-

gresse des imbéciles.

Unpaïen dirait carrément « C'est l'argent qui

fait le bonheur » et il auraiteffroyablement raison.

Mais toi, sordide Bourgeois prétendu chrétien,

surqui meurent tous les

symboles de la Vie divine,

comme lesperles

sur unlépreux; toi

qui penses très-

certainementque la

pièce de cent sous est béatifi-

que, pourquoi mentir? Que pourrais-tu craindre ?

Page 101: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS95

7

Ton inintelligence des Assimilationsprophétiques

est insondable et ce n'est pas toiqui aurais

peur, à

force d'évoquer l'Argent, de voirparaître la san-

glante Face

XLVI

Rentrer dans son argent.

Ar-^sce

qui vient d'être dit, celui-ci aquelque

chose d'ahurissant. Qu'est-ce, en effet, que ren-

trer, sinon entrer de nouveau dans quelque chose

ou dansquelqu'un

d'où on était sorti ? On rentre

dans sa maison ou dans sa coquille on rentre à la

caserneaprès une bordée, ce

quiest

plutôt embê-

tant on rentre même dans les lieux, un jour de

médecine, presque aussitôt après en être sorti, si

le besoin s'en fait sentir derechef. Enfin on rentre

dans tout ceque

vous voudrez, à condition, toute-

fois, que lesréciproques

et nécessaires égards qui

se doivent de contenu à contenant soient obser-

vés.

Métaphoriquement, je conçois encore qu'on ren-

tre dans l'ordre, dans son sujet, dans sa nature,

etc., puisqu'on suppose toujoursune chose enve-

loppante permettant l'exode et la réintéâration.A

Page 102: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

96EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

l'extrême rigueur, j'admettraismême la rentrée dans

le néant, cequi semble dur.

Mais « rentrer dans son argent » est au-dessus

de mes moyens.Il faudrait imaginer follement

quelquechose comme un fleuve ou un océan d'ar-

gentoù on pourrait prendre des bains à telle épo-

quede l'année. On dirait la saison

d'argent, comme

on dit la saison de Trouville ou d'Evian. En ce cas,

onpourrait

tout aussi bien rentrer dans l'argent

des autresque

dans le sien. Or, ilparaît que

cela

ne se fait pas et ne se ditpas.

Pourquoi?

XLVII

Il faut que tout le monde vive.

Il seraitpuéril

de demander ce que leBourgeois

entend parvivre. Les romanciers qu'il honore de

sa confiance, naturalistes oupsychologues,

ont suf-

fisamment démontréque

cela consiste às'acquit-

ter de toutes les fonctions digestives, dormitives ou

générativesattribuées aux différentes

espèces d'a-

nimaux, mais, par-dessus tout, à gagner beaucoup

d'argent,ce qui délimite essentiellement la na-

ture humaine, en laséparant

de celle des brutes.

Page 103: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS97

Longtempsmême avant ces docteurs, il était admis

qu'unhomme qui fait habituellement de copieux

repasest un bon vivant.

Cependant, tout le monde, c'estbeaucoup. Ne

suffit-il pas quele

Bourgeois vive, leBourgeois tout

seul?

Dans lalangue religieuse, très-différente de la

sienne, le mot vivre a un autre sens, il le sait fort

bien. Que peutlui faire cette anomalie ? Que des

toquésou des

hystériques entreprennentde donner

lajoie

à cequ'ils nomment leurs âmes, en choisis-

sant de crever de faim, cela les regarde;mais

qu'ils

nous considèrent, nous autres BOURGEOIS, comme

descharognes au dernier degré de putréfaction,

c'estpar trop comique. Sachez-le, une bonne fois,

calotins et sacristains, nous sommes plus religieux

que vous, et la preuve c'est quenous nous foutons

duRoyaume des Cieux et de la Vie éternelle

XLVIII

Tous les chemins mènent à Rome.

Argument invincible en faveur de la rotondité

de notreplanète.

S'ily

avait un chemin quine

menât pas à

Romej^je-vcrois

bien qu'ilaurait la

Page 104: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

98EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

préférence, car enfin, Rome, c'est lePape, n'est-

cepas?

Seulement iln'y en a point.

Tous les che-

mins imaginables sont aiguillés sur Rome.Impos-

sibled'échapper

à ce terminus.

Par bonheur, on n'estpas

forcé d'allerjusqu'au

bout. Ily

a la ressource de s'arrêter à un embran-

chement et d'enfiler un autre chemin qui mènera,

lui aussi, à Rome, infailliblement, mais en passant

parles Iles de la Société ou le

Cap Nord, cequi

éloignera le danger. On pourra mêmevoyager

ainsi toute la vie et quadriller circulairement la

planète autour du Pape immobile, sans inconvé-

nient.

J'offre ce conseil aux touristes du meuble et de

lacharpente qui voudront se donner un

peu d'agré-

ment avec leursépouses, dans la saison morte.

XLIX

Paris n'a pas été bâti en un jouer.

C'est possible. Je ne saispas combien de jours

il a fallu pour bâtir une sigrande ville, mais

j'es-

time fort probable qu'il en a falluplusieurs.

Au

surplus,cela

n'importe pas le moins du monde.

Cequi

a del'importance pour l'étude morale et

Page 105: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS99

7.

philosophiquedu

Bourgeois, c'est son désir, conti-

nuellement exprimé, sous cette forme, que Paris

n'ait pasété bâti en

un jour. Il ya là

quelque chose

quile ronge. On

pourraitcroire

que rien ne lui

est plusindifférent. Eh! bien, non. Si Paris avait

été bâti en un seuljour,

cet homme serait au déses-

poir.Il verrait là un attentat presque indicible au

Terre à terre, au Petit àpetit,

à la Platitude! une

espècede miracle, enfin!

La vérité, pourtant, doit être dite. Paris, tel

qu'ilest

aujourd'hui,avec son million de maisons,

évidemment n'apu

être bâti envingt-quatre heures,

surtout si on tientcompte

de la statue de Gam-

betta et du Pont Alexandre IIIqui

sont de ces

chefs-d'oeuvrequ'on

ne bâcle pas.

Mais ce Paris immense a eu un commencement.

Ily a

eu un moment où rien n'existait en cepoint-

là sur les deux rives de la Seine et ily

a eu un

autre moment consécutif au premier, où quelque

chose exista, un toit dejonc,

une cabanequelcon-

que faitepour

durer. A ce moment précis, on peut

dire et on doit dire que Paris était virtuellement,

potentiellement et, par conséquent,tout à fait bâti.

J'ajoute qu'ildevait être bien plus beau, incompa-

rablement, incommensurablement, inimaginable-

mentplus beau. Mais comment me faire compren-

dre ?

Page 106: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

100 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

L

La pluie et le beau temps.

La science météorologiquea dû naître dans une

boutique d'épicier.On sait l'exactitude

scrupuleuse

aveclaquelle

cesnégociants estimables renseignent,

chaque jour,sans

acceptionde personnes, toutes

leurspratiques,

sur l'état certain ou seulementpro-

bable de l'atmosphère. Rien ne leuréchappe,

ni

un nuage,ni un rayon de soleil, ni une bise, ni un

zéphyr,et tout le monde en

profite àl'instant même.

Ce quime subjugue, c'est la diligence et l'infa-

tigabilitéde ces informateurs bénévoles. Ils ren-

seigneraientmille clients, ils

renseigneraient le

diable 1

Et avec cela? disent-ils du fond d'un sourire.

On a beau répondreavec

impatience qu'on n'a

plusbesoin de rien. On a beau leur

beugler ça, en

s'accompagnantde

gestesfurieux Eh bien,

ce serapour

laprochaine

fois!soupirent-ils,

tout

de mêmepleins d'amour, et ils vous reconduisent

et vous gratifient, jusque sur le seuil, d'un dernier

et, autantque possible,

favorablepronostic.

La pluieet le beau temps sont la ressource uni-

verselle et qui jamaisne

s'épuise.« Notre conuer-

Page 107: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS iol

sation est dans les cieux », a dit saint Paul. Parole

étonnamment prophétique, vérifiable, trente mil-

lions de foispar jour, après dix-neuf siècles, non

seulement chez l'épicier, mais chez tout bourgeois.

Ily

en a qui parviennent à untrès-grand âge

et quimeurent environnés de respect,

au sein du

gâtismele plus avancé, sans avoir jamais parlé

d'autre chose que de cequi

sepasse

dans le ciel.

LI

La crème des honnêtes gens.

Édouard avaitsoixante-quinze

ans et Rosalie

soixante-cinq.Mais leurs consciences étaient si

pu-

resqu'on

lescroyait jeunes.

« Ils ne devaient rien

àpersonne »;

ils « n'avaient jamais fait de tort à

personne », et, par conséquent,« n'avaient rien à

sereprocher ».

On disait d'eux la crème des hon-

nêtesgens, pas moins, ce

qui épuise toutsimple-

ment lalouange

humaine.

Édouard cachait sa source, comme le Nil. Il

avouait seulement avoir été domestique, puis tenan-

cier d'un hôtel garnià des

époqueset dans des

quartiers inconnus. Il lui restait de cepassé une

bonhomie essoufflée, une cordialitéasthmatique et

Page 108: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

102 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

cette espèce de doléance marmiteuse de l'homme

de bienqui

se tâte l'échine en gémissant, comme

n'enpouvant plus de rendre service et de s'immo-

lerpour

tout le monde.

Le clignementhabituel dont il soulignait certains

propos égrillards dont il voulait qu'on appréciâtla

finesse était accompagnéd'un inexplicable

remue-

ment de grenouille,de bas en haut, sous la partie

latérale de l'épiderme de sa vieille face, et le chan-

tonnement catarrheux qui était avec tout cela com-

plétaitla physionomie

de cet honnête homme qui

aimait à 's'entendre appelerMonsierlr Édouard.

Rosalie ou Madame Édouard avait été, l'espace

d'une génération,femme de chambre chez une mar-

quise oui, ma chère, une vraie marquise quiétait

morte, hélas i comme tout cequi

est bon, lui lais-

sant des toilettes à la dernière mode du second em-

pire et, je crois, aussi quelques écus, ce qui, ajouté

à lagratte consciencieuse d'un quart

de siècle,

l'avait rendue unparti

sortable dès quarante-cinq

ans. Car ce fut à cet âge quel'heureux Edouard

l'épousa, ayantsu toucher son cœur avec sa figure

de ruminant astucieux.

Extrêmement oraculaire et pleineà éclater de la

sagessedes nations, elle ressemblaità une ancienne

pouled'Henri IV ayant survécu à la monarchie.

Elle tenait aussi de lamarquise

d'étonnants airs

de haut en basqui

nepermettaient pas

de la

confondre avec levulgaire, et le perron

dequatre

Page 109: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS I03

marches par lequelon entrait chez les

époux avait

été visiblement concerté pour l'ostentation de ses

magnifiquesmanières.

Je n'aipu

savoir sil'ex-garno

de Monsieur Edouard

avait été tenu par cette grande dame ou si ce fut un

épisodeantérieur à leur mariage. Mais, dans, le cas

de l'affirmative, il est sûrque

sa présence dut mettre

un fameux ragoût dans les affaires et agrémenter

d'un lyrisme d'aristocratie le monotone va-et-vient

des cuvettes et des saladiers.

Amants tous deux de la nature, ils s'étaient en-

fin retirés un peu au delà des fortifications, sur la

voie rôtie et médiocrementappienne

d'un de nos

cimetières suburbains.Ayant

fendu enquatre une

maison déjà minuscule et se serrant eux-mêmes,

s'aplatissantcomme des

punaises,ils avaient pu

arborer des locataires et réaliser ainsi leurplus

beau rêve.

Mais, hélas il n'est donné àpersonne

de mon-

terplus

hautque

lapointe

de la pyramide. Arrivé

là, on nepeut plus que

redescendre. Edouard et

Rosalie étaient tombés sur un mauvais locataire.

Tout le monde sait qu'unmauvais locataire est

celuiqui

ne paie pasexactement un de ses termes,

en eût-il payé auparavant plusieurs centaines, eût-

il sauvé la patrie trente ou quarante fois. Lagram-

maire latine elle-même n'insinue-t-elle pas qu'Aris-

tide fut un mauvais locataire, puisqu'il mourut

pauvre ?

Page 110: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

104 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

Bref, Monsieur Edouard avait loué, depuis déjà

plusieurs années, la plus importante partie de sa

maison à un poète.Vous avez bien lu, un

poète.

Seulement il avait été trompéde façon odieuse. Ce

poète s'était dit écrivain et, naturellement, lepère

Edouard pénétré,mouillé de respect, s'était cru en

présenced'un monsieur faisant des écritures, d'un

expéditionnaire dans quelquebureau. Il avait tel-

lement cru cela que, mêmela vuede plusieurs livres

marquésdu nom de ce

prétendu calligrapheet la

lecture de plusieursarticles de journaux où on le

traitait d'obscure canaille et de fangeux imbécile

cequi

estpourtant l'estampille

du génie n'avait

pu lui ouvrir lesyeux

Il ne fallut pas moinsque

la misèrebrusquement

visible et l'impossibilité probable de payer unpro-

chain terme pour l'opérer de ses écailles. Ce luifut

un rude coup.Le digne homme se mit à gueuler

avec d'autant plusde véhémence

quela femme de

son locataire étaitdangereusement malade et

avait besoin d'une immense paix. Sans doute, on

ne lui devait rien encore, il n'aurait plus manqué

que ça. Mais il avait beau être leplus serviable des

hommes, il n'était pas de ceuxqu'on

foutait dedans,

etc. On ne put se dispenser dejeter

dehors cette

crème de bourgeois que la seule peur de n'être pas

payéfaisait semblable à un

possédé et quihurlait

comme unpourceau qu'on égorge.

Or, voici cequi

arriva sous mes yeux, exactement.

Page 111: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS io5

La malade, assommée de cette scène, tomba dans

un délire effrayantd'où on ne

pensait pas qu'elle

pûtrevenir. Plusieurs jours et

plusieurs nuits, elle

vit ce vieux et sa vieille massacrant des êtres hu-

mains et vendant leur chair à des restaurateurs ou

des charcutiers. Ce fut une obsession continuelle,

acharnée, d'uneprécision,

d'une intensité, d'une

insistance inouïes. On fut éclaboussé, jusqu'à la

nausée etjusqu'à

lacorporelle horreur, du

sang

queversaient spirituellement

cespropriétaires.

J'ai compris plus tard que cette malade, plus lu-

cide queles clairvoyants, avait VU réellement le pas-

sé de ces serviteurs du Démon dans l'incommensu-

rable clichéphotographique

dont l'univers est en-

veloppé. Seulement, parl'effet d'une

transposition

que je suis incapable d'expliquer ou dequalifier,

mais dont la certitude estfoudroyante, elle avait

vu se réaliserobjectivement,

dans leur forme vraie,

despensées

et des sentiments épouvantables.

ELLE AVAIT VU L'EAU DES LARMES CHANGÉE EN

SANG 1

Edouard et Rosalie ont été heureusement dé-

barrassés de leur poète. Ils n'ont pas perdu un

centime, et même ils ont eu l'habileté de railer, au

déménagement, quelques objets. Comment le ciel

ne lesaimerait-il pas?

Ils sont bien avec leur curé

qui lespropose

en exemple et ils ne doivent rien à

personne, pas même aux Trois Personnes qui sont

en Dieu!

Page 112: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

ioû EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

LU

L'honneur des familles.

Autrefois, lorsque l'abolition du sens des mots

n'avaitpas

encore étépromulguée,

l'honneur d'une

famille consistait à donner des Saints ou desHéros,

tout au moins d'utiles serviteurs de la chosepubli-

que. Cela, qu'onfût riche ou pauvre, qu'on eût des

ancêtres illustres ouqu'on

n'en eûtpas. Dans ce

dernier cas, on montaitsimplement

et naturelle-

ment dans l'aristocratie, parla seule nature des

choses.

Aujourd'huil'honneur des familles consiste uni-

quement,exclusivement, à échapperaux

gendarmes.

Lesbourgeois

éclairés accordentquelquefois,

aprèsavoir demandé à réfléchir, que

lapauvreté

peut,dans un

très-petitnombre de cas

qu'ils se

gardentbien de

spécifier,n'être

pas déshonorante,

mais rien n'effacerait la honte d'une condamnation

judiciaire,surtout en

province.

Les Martyrs ont beau avoir leurs ossements sur

les autelsdepuis

des siècles, l'Église a beau caril-

lonner leurs fêtes etles,inonder de gloire, le Bour-

geois pleinde défiance voit en eux des maladroits

qui se sont laissé pinceret

quiont un

casier judi-

Page 113: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS107

8

ciaire. Une nièce de saint Laurent ne trouverait

pasà se marier et un

arrière-petit-cousindu Bon

Larron n'obtiendraitjamais une

placede douze

cents francs dans une administration.

La répugnance du Bourgeois pourle Christia-

nisme tient engrande partie à ses sentiments d'hon-

neur, on ne l'apas assez dit. Il n'arrive pas

à

s'arrangerd'une religion dont le « fondateur »,

aprèsavoir subi une

peine infamante, est ressus-

cité, le troisièmejour, pour aggraver éternellement

le déshonneur de sa famille.

LIII

Les devoirs du monde.

«Ego non sum de hoc mundo ». Je ne suis pas

de ce monde. Jésus-Christ n'étaitpas

homme DU

monde. C'est lui-même qui l'a déclaré. Donc ily a

des devoirs en dehors de lui et, par conséquent,

opposés à lui, quise nomment les Devoirs du monde.

Il faut le savoir pour comprendrece qu'il y

a

delonganimité

miséricordieuse dans le sourire du

Bourgeois écoutant, par exemple, un sermon sur

lemépris des richesses ou la

puretéchrétienne.

J'aime mieux entendre ça que d'être sourde

Page 114: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

l0H EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

semble-t-il dire avec bonhomie, en songeant à ses

vrais devoirs quisont de cracher à la Face du Sau-

veur et de le crucifier, chaque jour, aprèsune Fla-

gellation indicible.

L1V

L'habitude est une seconde nature.

«. J'ai la peste Il n'estpas impossible que la

pestesoit la conséquence de l'erreur et du mal;

vous le dites et je ne le niepas.

Il est certainque

jesuis sur la route de la mort; il est

possible que

je sois sur laroute de l'enfer, etque

tout cela vienne

de l'erreur. Il est vrai que je m'ennuie, queles

sensations s'émoussent avecl'âge

etque

la mort

viendra. Cettepensée

est désagréable.

« Cependant,si Dieu me

proposait de quitter un

instant ces choses ennuyeuses, monotones, men-

teuses, mourantes et mortelles, quime conduisent

au désespoir présentet au

désespoir éternel; puis,

de les échangercontre la Vie, la Joie et la Béati-

tude, je refuserais, je ne l'écouterais mêmepas.

J'irais jouerun

jeu qui m'ennuie et je lui dirais

va-t'en 1 Va-t'en, maître de l'extase etpropriétaire

de lajoie,

va-t'en Va-t'en, soleilqui

te lèves dans

Page 115: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 100

tes fiots de pourpreet d'or Va-t'en, majesté

1 va-

t'en, splendeur1 Va-t'en! Va-t'en toi

quias sué le

sangau

jardin des Olives Va-t'en! 1 toi quias été

transfiguré sur le Thabor Va-t'en! je vais au café,

où je m'ennuie.

« Pourquoi yallez-vous?

« Parceque j'en ai l'habitude. »

Ernest HELLO. L'Homme. Ira édition, page 33.

LV

Où il y a de la gêne, il n'y a pas de

plaisir.

Une nuit, Forain reçut une très-belle volée de

coupsde bâtons administrée sans erreur par deux

estafiers au service d'une princesseoffensée de la

rue Pigalle, Le caricaturiste aimé des mufles avoua

qu'il n'avait pas eu deplaisir

et sa vie en dut être

empoisonnée, car la vue d'une trique,même sur

l'arbre, lui cause, m'a-t-on dit, un vif sentiment

degêne

Il m'eût été diîficile, en songeant à ce Lieu Com-

mun, de nepas me souvenir du personnage

et de

sonaventure, qui

apu, d'ailleurs, se 'renouveler

Page 116: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

IIO EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

un assez grand nombre de fois, car elle remonte à

plusde dix ans.

Mais l'exemple ne vaut rien. Les bourgeois ne

sont pas régulièrement, invariablement rossés et il

ya des commis-voyageurs

ou des clercs d'huissier

pour quiForain est un grand artiste. C'est assez

pourmon exégèse

de faire observer que lemotgêne,

dans ses deux sens de malaise douloureux ou de

pénurie financière, est également exclusif de tout

plaisir.

Parexemple,

la sainte loi du divorce obtenue

parun cocu

préalable, avantagéd'une bosse de

chameau de Tartarie, est venue tout à fait àpoint

pourdélivrer la joyeuse nation française de la gêne

des indissolubles liens. Il est vrai que son effet se

borne là etque

les divorcés ne reçoivent pasd'ar-

gent pourfaire la noce. Lacune fâcheuse

quisera

certainement comblée, un de ces jours, par quelque

législateur goitreux.

Inutile, n'est-ce pas? de parlerdes chaussures

trop étroites, ou des corsets aux baleines péné-

trantes, ou des clous dans le derrière ou de toute

autrepéripétie s'opposant

à la rigolade.Dans tous

les casimaginables,

il faut le plaisir, àquelque prix

quece soit, et de la gêne

il n'en fautjamais,

dit le

Prince de ce monde, pèredu

Bourgeois,ennemi de

laRédemption par

le Sacrifice.

Page 117: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS II 1

LVI

Il n'y a pas de plaisir sans peine.

Sanspeine pour

les autres, bien entendu. Il serait

un peufort

quele Bourgeois fût obligé d'ache-

ter d'un déplaisir personnel unplaisir quelconque.

Lieu Commun identique au précédent, toutes cho-

ses bien examinées. « Iln'y

apas

de roses sans

épines », disent aussi lesjeunes personnes ambi-

tieuses de s'exprimer de façon poétiqueet

originale,

cequi

ne signifie pasdu tout

qu'ellesse résignent

auxpiqûres qu'on peut attraper en

cueillant, inno-

cemment la reine des fleurs.

Le Bourgeoismâle et femelle ne saurait être com-

pris tant qu'onne se pénètre pas

de cette idée

qu'étant aujourd'huile maître du monde, s'il

ya

quelque chose à souffrir, cela regarde ses esclaves,

c'est-à-dire tous ceuxqui

ne sontpas bourgeois

comme lui. Or, parmices esclaves à

peu prèssans

nombre, il en est de volontaires. Ily a,

si vous vou-

lez, des Carmélites ou des Bénédictines, fillesquel-

quefois pousséessur les monts de la

plus haute

aristocratie, quiont librement choisi la vie la

plus

durepour que

le Bourgeois n'eût pasà souffrir sur

terre, pour quecet effrayant

avorton du Précieux

Page 118: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

112 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

Sang, qui n'a rien à espérer et qui ne veut rien

espérerdans une autre vie, pût

au moins jouir, en

celle-ci, de lapaix

des brutes.

Il ignore tout cela, ai-jebesoin de le dire? et il

ne lecomprendrait pas, quand

même unange le lui

expliquerait pendantun siècle. Toutefois, il le de-

vine en une manière etjusqu'à

un certainpoint.

Une sorte de flair assimilable à l'instinct des ani-

maux l'avertit qu'on travaille pour lui, qu'on prend

de lapeine pour lui et

qu'ainsi s'accomplitune cer-

taine justice quile fera, un jour, hurler de] terreur.

Quand il ditqu'il n'y

apas de plaisir sans

peine,

cela ressemble à l'ironie bête et légèrement affolée

du mauvais soldat qui sent très-bienque

ses cama-

rades ne se ferontpas

tuer éternellementpour

lui.

LVII

On ne fait pas d'omelettes sans casser

des œufs.

C'est en ces termesque

le colossalBourgeois

Abdul-Hamid dutexpliquer à son bon ami et loyal

serviteur Hanotaux le massacre des deux ou trois

cent mille chrétiens d'Arménie. Seulement, il ne

l'invitapas

à manger l'omelette

Page 119: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS I13

Gabriel, congédié avec un maigre pourboire, se

consola comme ilput, ayant gratté quelques ronds,

j'ose l'espérer,dans la casserole du ministère où ses

passades aprèsRichelieu firent tant d'hon-

neur à la France.

Ayantfort connu cet homme d'Etat, je regarde

même comme infinimentprobable que

son admi-

ration pourle sultan ne fit

qu'augmenter.Ses en-

trailles de fils depetits bourgeois de Saint-Quentin

ont dû être plus que remuéespar

ce padischah,

possesseur, assure-t-on, de plusieurs vingtaines

de millions de rente et immolant à sa chiasse la

populationde cinquante villes 1

Quand un bourgeois parlede casser des œufs

pourfaire une omelette, soyez

sûrqu'il y

a quel-

qu'unou

quelques-uns qui écopentterriblement et

qu'il y .a toujoursun Hanotaux

pour applaudir.'

LVIII

Je n'ai pas de monnaie.

Telle est laréponse d'un gros individu reluisant

à un malheureuxqui implore cent sous après avoir

inutilement demandé vingt francs. Il nes'agit même

pas d'une aumône. Le solliciteur est connu et il

Page 120: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

Il4 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

prometson travail. Que dis-je?

il l'adéjà donné,

son travail, mais il n'apas

lemoyen d'attendre

l'époquefixée

pourle

règlementde son salaire.

Par malheur, le sollicité est un hommequi

a des

cprincipes

arrêtés » etqui

ne fait jamais d'avances

d'argent. Ça,c'est invincible. On

peut opérer un

miracle, on ne surmonte pasun

bourgeois de cette

espèce.La rigidité d'un cadavre résiste moins à la

Prièreque

larigidité de ses

principes.

Pourtant, comme l'insistance est extrême, que

l'homme a l'air d'undésespéré

etqu'on

se trouve

dans un endroit plutôt désert, il a renoncéprovi-

soirement à parler de sesprincipes et se borne à

répondre qu'iln'a

pasde monnaie.

Voulez-vous que jevous en fasse? dit l'autre.

Proposition effrayante.Le

Bourgeois croit enten-

dre la voix d'un brigand quile menace de mort.

Une idée lui vient cependant. Il déclare son inten-

tion d'en faire lui-même au carrefourplein

de lu-

mières qu'on aperçoitau bout de l'avenue. Arrivé

là avec son compagnon,il

désigne celui-ci à deux

sergots qui l'empoignent immédiatement.

Le malheureux couchera auposte, c'est sur, et les

pauvres petits quiattendent leur dîner s'en

passe-

ront en grinçantdes dents, car cette chose

effroya-

ble existe. Celuiqui

n'apas

vu ni entendu lespetits

enfants grincer des dents ne connaîtpas

le fond de

la douleur humaine.

L'homme juste, délivré et content de lui, prend

Page 121: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS Il5

8.

une voiture et s'en va faire sa monnaie dans un

restaurant de nuit. Tout est donc très-bien. Mais

voici une autre affaire. Cette nuit même, pendant

qu'il ribote, ses immenses chantiers s'allument et,

demain, lesjournaux

estimeront laperte

à six

cent mille francs.

Que penserde cela? Serait-ce

qu'il ya des pa-

roles qui incendient toutes seules, sans qu'inter-

vienne une main visible? L'homme au désespoir

est sous clef et sespetits se tordent de faim dans

les ténèbres enpleurant

etgrinçant des dents. Ce

n'est toujours pasceux-là

qu'on accusera d'avoir

fait lecoup. L'homme aux

principes arrêtés ferait

bien tout de même d'avoir de la monnaie, à l'ave-

nir. On ne sait pas. Dieu a desdéguisements

et le

Feuprend

bien des formes. C'est un Vagabond qui

fait ce qu'il veut, sans qu'on sache d'où il vient ni

où il va. Quelquefois,il tombe du ciel, comme on

l'a vu pour Sodomeperpendiculairement.

LIX

Je pourrais être votre père.

Ne serait ce pasle

plusbizarre de tous les Lieux

Communs?

Page 122: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

116 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

Pour entrevoir cequ'il

a d'énorme, qu'on essaie

de se représenter un vieux juif prévaricateur etplein

d'ordures, disant à Jésus « Jepourrais

être votre

père »

J'étais avant Abraham. répond Celui par

quitout a été fait.

Cetteparole

del'Évangile dans la bouche d'un

Homme de trente ansqui ressuscitait les morts, en

attendant de ressusciter lui-même, faitpeu d'impres-

sion sur les âmes cyclistes du vingtième siècle. Mais

les gens d'alorsqui

se tenaient deboutpour voir le

Maître etqui

allaient sur leurspieds, durent la trou-

ver bien inouïe.

C'estqu'à

ce moment l'idée depaternité trans-

férée de l'Homme à Dieu et du Tempsà l'Éternité

apparaissaittout à

coup presque inaccessible.Abra-

ham avait beau garder son nom, on ne savaitplus

qui était le père, de celui qui avait engendréou de

celuiqui

avait étéengendré. Et cette incertitude

seuledéplaça tellement l'humanité que le christia-

nisme devintpossible. Pater noster..

Aujourd'hui qu'on est des chrétiens depuistant

de générations et quels horribles chrétiens

c'est ahurissant d'entendre un êtreprétendu

rai-

sonnable etbaptisé au Nom des Trois Personnes,

dire, fût-ce à un enfant et fût-il lui-même chargé

de siècles « Jepourrais

être votrepère », en vue

d'exprimer une différenced'àoe, tout bêtement,

comme si on pouvait jamais savoir à quion

Page 123: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNSII7

parle, quion est soi-même et comme si ce con-

ditionnel étonnant pouvait avoir une signification

quelconque,sinon celle-ci

C'est moiqui

suis le Bon Dieu, moi quivous

parle,et vous ne vous en doutez pas

1

LX

On ne meurt qu'une fois.

Autant dire qu'onne vit

qu'une fois et c'estdéjà

trop quandon est un imbécile ou un malfaisant, ce

quine peut jamais

être faut-il sans cesse le re-

dire ? le cas du Bourgeois.

Ce serait intéressant, tout de même, de savoir ce

qu'ilentend par mourir, une ou

plusieurs fois. J'ai

déjà demandé ce qu'il pouvait bien entendrepar le

mot viure, et laréponse

a été sipeu satisfaisante

que jesuis découragé. Le Bourgeois est un malin

quine dit

quece

qu'ilveut. Il ne faut

pas seplain-

dre quece marié est trop beau.

Une seule chose oh! une chose de rien du

tout me paraîtclaire. C'est

qu'il ne veut absolu-

mentpas

marcher avecl'Apocalypse, laquelle parle

d'une« seconde mort ». Mais tout le monde sait ce

qu'il faut penserde l'Apocalypse. On en a

trop de

Page 124: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

118 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

toutes ces histoires d'étang de feu, depluie de

soufre, de sauterelles et de scorpions,du puits de

l'abîme et de la Bête aux dix cornes.

Voltaire, qu'onne lit

plus assez, aujourd'hui, a

réponduvictorieusement à tout cela et à

beaucoup

d'autres choses dans son immortel Dictionnaire

philosophique.Avec une inconcevable noblesse de

langage,il

y expliquele génie et, en

général, toutes

les manifestations de l'âme humaine, qu'on croyait

auparavantl'effet d'un souffle

inspirateur, parl'ex-

trême difficulté de faire caca. Un efficacepurgatif,

etNapoléon

devient immédiatement un imbécile.

Plongez-vous dans les foirades de Voltaire qui

n'était pas constipé, lui, j evous en

réponds, et vous

verrez si ce n'estpas

mourir deux fois.

Post-scriptum. Il est utile de rappeler que

Voltaire n'étaitpas

unscatologue.

LXI

Il est bienheureux, il ne souffre plus.

La SacréeCongrégation des Rites, un des ulcères

lesplus

noirs au flanc de laPapauté, exige cou-

tumièrement des sommes immenses. Unprocès en

béatification coûte dans les deux cent mille francs.

Page 125: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS1 19

Le Bourgeois est béatifiépour rien. Aussitôt

qu'ilcommence à

puer, lesparents

et amis décla-

rent qu'ilest bienheureux, tout

simplement. C'est

vrai qu'on ne le met pas sur les autels, mais iln'y

tient pas. L'essentiel, pour lui, c'est d'être bien-

heureux, c'est-à-dire de neplus

souffrir dans sa

viande, car, pource qui est de l'âme, il ne l'a jamais

sentie.

Et voilà tout, leprocès est fini. Pas

d'enquête

sur les vertus du défunt, non plus que sur ses mi-

racles. Nul besoin d'offrandes, ni de cadeaux coû-

teux, ni de bullespapales.

Le premier voisin rem-

place très-avantageusement promoteur, juges, car-

dinaux et Souverain Pontife. Quand il a prononcé

la formule, il est clair quetout va bien et que le

décédé n'aplus

rien à craindre.

Le uprogrès

de la science », d'ailleurs, est venu

en aide aux morts, en les délivrant des affres de

l'inhumationprématurée.

Le four crématoire, plus

rassurantque le

Requiem,est autrement expéditif.

Autrefois, oncraignait de se réveiller dans la main

duJuge terrible. On tremble, aujourd'hui, de se

réveiller dans la fosse entre les quatre planches

d'une bière. Dans l'ancienne peur, on ne finissait

pas de prier; dans le trac moderne, on estréglé

subito.

Lesemployés fourrent vos cendres, mêlées, je

pense, d'escarbilles et de mâchefer, dans une urne

inconsolablementétiquetée, surles

flancs de laquelle

Page 126: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

120 EXÉGÈSE DÉS LIEUX COMMUNS

il estparlé, quelquefois, de se revoir. Alors, on

« n'aplus besoin de rien », on ne souffre plus, on

est « bienheureux ».

LXII

Il ne s'est pas senti mourir.

Eh bien! ce n'estpas

encore assezpour

le Bour-

geoisde ne

plussouffrir

aprèsla mort. Il tient à ne

passouffrir

pendant.S'il lui était permis d'avoir du

style,ilferait volontiers comme cette dame du dix-

huitième siècle qui se soûla pour mourir. J'ignore

jusqu'à quel point cette ivresse fut consolante et

comment elle se put combiner avec lespaniques

appelsdu Souterrain. Mais

l'expédient peuttou-

joursêtre

proposé.

Dequoi s'agit-il, en somme, dans tout ce

que

fait ou veut leBourgeois,

sinon de démentir la Pa-

role de Dieu ou de son Eglise? « De la mort subite

etimprévue, délivre-nous, Seigneur »,

dit celle-ci,

dans ses grandes Litanies. Parconséquent,

le con-

traire est désirable etdoit toujours

être espéré, sinon

demandé.Car tel est le grand Arcane du Bourgeois,

le secret de sa force, l'espèce de réaction organi-

que par quoi estdéterminé son

parfum,

Page 127: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 121

Il tient donc absolument à nepas

souffrir en cre-

vant. Pourquoisortir avec douleur d'une vie faite,

en somme, pour qu'on en jouisse jusqu'audernier

soupirinclusivement et

qui devrait être une « si

charmantepromenade

comme disait Renan, le

philosophe entripaillé qui eut une si belle fin,

étant mort, un beaujour,

tout à fait sous lui, en se

vidant de son âme

LXIII

On dirait qu'il dort.

Il est sansexemple qu'un pauvre corps exposé,

que ce soit celui d'un bourgeois ou d'un héros, ait

échappé à ce Lieu Commun. Ce n'est pas assez de

mourir, il faut encore passer parlà. Combien de

fois et avec quelles crispations l'ai-je entendu

Mais, ô Dieu quelsommeil J'en ai vu de ces

cadavres gras et terreux et sombres, paraissant

amalgamés déjà, qui étaient terribles et lamenta-

bles comme la Sottise morte.

J'en ai vu d'autres, des « bienheureux »proba-

blement, àqui

le travail de l'agonie avait restitué

leur caractère de bêtes, plusou moins caché toute

la viepar les inutiles mouvements de leurs âmes.

Page 128: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

122 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

Ily

en avait quiressemblaient à des chevaux, à

des loups,à des cochons, à des crocodiles, à des

singes, à je ne sais quels animaux de cauchemar.

L'un d'eux, j'oseà

peine l'écrire, ressemblait mons-

trueusement à une punaise.

J'ai vu le corps d'un grand poète qui était mort

enpleurant

et surlevisage de qui

les larmes avaient

laissé une double trace.

J'ai vu celui d'un petit enfant semblable à un

capitainedes anges qui aurait eu la

permissionde

mourir etqui,

lespoings fermés et la bouche close,

avait l'air d'attendre résolument qu'on l'appelât.

Enfin, j'ai gardé le souvenireffrayant de ce sol-

dat allemandmort en un coin dechamp de bataille,

en1870-

Il n'était pas tombé, parce qu'onl'avait

cloué d'un formidable coup de baïonnette à une

ported'étable. L'arme, très-profondément

enfoncée

dans le bois, aprèsavoir traversé la poitrine de.

l'homme, n'avait puen être arrachée, et le meur-

trier s'était borné à dégager le canon de son fusil,

laissant la victime agoniser comme un chat-huant.

Je n'oublierai jamais l'expression d'horreur, d'é-

pouvanteet de

désespoir de cette face.

Un j our, un jeune bourgeois me montra son beau-

pèreétendu

depuis plusieurs heures et environné

de toutl'appareil

funèbre. Les lettres de faire part

avaient été envoyées; toutes les mesures étaient

prises, l'enterrement devait avoirlieu le lendemain.

C'était un vieil officier retraité de la bonneépo-

Page 129: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 123

que,un digne et naïf bonhomme

que j'aimais pour

sa bêtisepresque

autant que pour sa droiture.

N'est-cepas,

me dit legendre, qu'il

a l'air de

dormir ?

J'eus envie de souffleter cet imbécile, mais,

l'ayant regardé avec attention, je compris que je

me trouvais en présence d'une espèce de démon.Sa

joied'hériter de

quelquessous éclatait, malgré ses

efforts. « Quand on est crevé, c'est pour long-

temps », pensait-il,sans doute.

Ayant récité intérieurement un De profanais,

j'allaisfuir

pour échapperà ce vivant, lorsque

le

mortporta

la main à son front et ouvrit lesyeux.

Avec unsang-froid qui

m'étonne quand j'y pense,

jeme précipitai, j'éteignis

lescierges

etje

fis tout

disparaître en un clin d'oeil. Puis, me tournant vers

le gendre qui venait depousser

un cri et dont la

bassegueule figée me parut d'un citoyen

de l'enfer:

Allez chercher votre femme, lui dis-je; vous

voyezbien

qu'ila cessé de dormir.

LXIV

Elle est morte comme une sainte.

Le matin du 25 octobre, le Pèlerin la trouva

Page 130: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

124 EXÉGÈSE DES LIEUX (COMMUNS

toute terrifiée et toute bouleversée « J'ai eu cette

nuit, dit-elle, uneeffrayante

vision qu'encore main-

tenant jene

puischasser de mon

esprit.Comme

je

priaishier soir

pourles mourants, je fus conduite

prèsd'une femme assez riche, et j'eus la douleur

de voir qu'elleallait se damner. Je luttai avec Satan

devant son lit, mais sans succès il merepoussa

il était trop tard. Je nepuis

direquel

fut mon dé-

sespoir quandil enleva cette âme et qu'il laissa là

ce corpscourbé en deux et aussi

repoussant pour

moi qu'une charogne.Je ne

pusm'en

approcher,

je ne le visque

de haut et de loin. Ily

avait là

aussi des anges qui regardaient.

» Cette femme avait un mari et des enfants. Elle

passait pour une très-bonnepersonne et

vivait à la

mode du monde. Elle avait un commerce illicite avec

un prêtre,et c'était là un vieux péché d'habitude

qu'elle n'avait jamaisconfessé. Elle avait reçu tous

les sacrements on parlait de sa belle contenance

et on la disait bienpréparée.

Elle était pourtant

dansl'angoisse

à cause dupéché qu'elle avait tenu

secret.

» Alors le diable lui envoya une misérable vieille

femme, son amie, à laquelleelle s'ouvrit sur ses

inquiétudes.Mais celle-ci l'exhorta à chasser ces

penséeset à ne pas faire du scandale elle lui dit

qu'ilfallait se tenir en repos quant

aux chosespas-

sées, qu'elle ne devait plus se tourmenter mainte-

nantqu'elle

avait reçu les sacrements et édifié tout

Page 131: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

le monde, qu'ellene devait pas exciter des

soupçons,

mais s'en aller en paix à Dieu. Puis la vieille femme

ordonna qu'onla laissât seule et en repos.

» Mais la malheureuse, si voisine de la mort,

avait encore l'imagination pleinede désirs

qui la

portaientvers le

prêtre complice de sonpéché. Et,

lorsque je l'abordai, je trouvai Satan sous la figure

de ce prêtre qui priait devant elle. Elle-même ne

priait pas,car elle

agonisait, pleinede mauvaises

pensées.Le Maudit lui lisait les psaumes;

il lui

citait, entre autres, cesparoles Qu'Israël espère

dans le Seigneur,car en lui est la miséricorde

et la rédemption surabondante, etc., etc. Il fut

furieux contre moi. Je lui dis de faire une croix

sur la bouche de la mourante, mais il ne leput pas.

Tous mes efforts furent inutiles il étaittrop tard,

on ne pouvaitarriver

jusqu'à elle elle mourut.

» Ce fut quelquechose d'horrible

quandSatan

emmena son âme. Jepleurai et je criai. La misé-

rable vieille femme revint, consola lesparents qui

étaient là et parla de la belle mort de son amie.

Lorsque je m'en allai, enpassant sur un

pont qui

était dans la ville, je rencontrai encorequelques

personnes qui allaient chez elle. Je me dis « Ah!

si vous aviez vu ce que j'ai vu, vous vous enfuiriez

loin d'elle! » Je suis encore toute malade et je trem-

ble de tous mes membres. »

Cettepage

estempruntée au 3e volume de l'in-

comparable Vie d'Anne-Catherine Emmerich, la

Page 132: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

126 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

voyante stigmatisée de Dulmen, parle Père Schmoe-

ger,de la congrégation des Rédemptoristes.

LXV

On doit le respect aux morts.

Il est inutile de respecterles vivants, à moins

qu'ilsne soient les plus

forts. Dans ce cas, l'expé-

rience conseille plutôtde lécher leurs bottes, fus-

sent-elles merdeuses. Mais les morts doivent tou-

joursêtre respectés.

A l'exceptiondes artistes et des poètes, pour qui

la mort ne saurait être une excuse, lesplus atroces

criminels ont droit à des égards et même à une

certaine vénération, lorsqu'ils ont cessé de vivre.

Pourquoi?Serait-ce parce qu'ils sont devenus des

v bienheureux »? Réponse tropfacile. Cherchons

unpeu

dans la profondeur.

J'ai dit, en commençant cetteExégèse, que le

Bourgeois profère sans cesse, et tout à fait à son

insu, des paroles absolument excessives, capables

d'ébranler le monde. Dieu saitpourtant que telle

n'est passon intention. Mais il en est ainsi et c'est

dans l'espérance de le démontrer que j'ai entrepris

ce travail.

Page 133: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS127

Pourquoi donc, encore une fois, le Bourgeois

affirme-t-il avec tant d'obstination qu'ondoit le

respectaux morts, sinon, peut-être, parce que, ne

démêlant pastrès-bien la mort de la vie, comme

j'aidit plus haut, un pressentiment

obscur l'avertit

de le revendiquer,ce respect, pour

lui-même et

pourses semblables qui sont, avec leurs grands

airs de vivre, les vrais morts et les morts d'entre

les morts?

LXVI

Les morts ne peuvent pas se défendre.

Quelle bêtise ouquelle hypocrisie

1 Comment

donc! mais ils se défendentprécisément par

le res-

pect quileur est dû et

quine

permet pas qu'onles

touche. Imagine-t-on une meilleure défense? Elle

est d'autantplus

sûrequ'une

incertitude conti-

nuelleplane

sur eux. Ils ont sisouvent, je ne me

lassepas

de lerépéter,

l'air de vivre, et on les

enterre d'une si drôle de façon! Essayez, par

exemple, de pisser contre la statue de Gambetta et

vous verrezsur-le-champ s'épaissir,

se coaguler, se

condenser et finalementapparaître,

sous la forme

de larépression

la plus exaltée, toutes les sales

Page 134: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

I2& EXEGESE DES LIEUX COMMUNS

ombres intéressées au prestige de cette abominable

charogne. J'appelle ça se défendre.

Les morts se défendent si bien qu'il n'ya

plus

moyen de vivre. Sous prétexted'encaisser le res-

pect auquelils

prétendentavoir droit, ils

remplis-

sent les villes et jusqu'aux villages de leurs effigies.

Bientôt, sans doute, ils envahiront les demeures

descitoyens et je

me verrai forcé, sous des peines

graves, moiqui

vous parle,de pendre, un jour, à

mes murs les néfastes gueules d'Edouard Drumont,

du docteur Maurice Peignecul où d'Emile Zola dit

le G'rétin desPyrénées.

LXVII

Je ne suis pas un domestique

ou

Quand on nourrit.

J'étais impatient d'y venir. C'est à ce Lieu Com-

mun queviennent aboutir tous les filaments, toutes

les filandres de pensées ou de sentiments dont se

constitue l'âme du Bourgeois pauvre.C'est à ce

signe qu'on peut reconnaître le monstre. Car il

existe, sorti de la vase, lui aussi, pour dévorer le

Page 135: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DÈS LIEUX COMMUNSI29

Bourgeois riche, aussitôt que prendrafin la sep-

tième année d'abondance.

Il a le genre de laideur de Barrèsauquel

il res-

semble avec addition de crasse. Bonne éducation

belge et muflisme aigu. En outre, prétentionsà la

.penséeet à une sorte d'omniscience. On est informé

tout de suitequ'il

sait assez degrec pour

traduire

au besoin le code civil ou la table des logarithmes

en vers asclépiades oucholiambiques.

Il ne sait pas

moins d'hébreu et lesyriaque

n'aguère

de secrets

pour lui. Quant au sanscrit, c'est plutôtsa lan-

gue.Il ne fait, d'ailleurs, aucun

usagede ces con-

naissances précieuses et on s'en étonne. Mais il ne

veutpas éblouir, c'est assez

qu'onsache qu'il les

possède.

Les ongles, extraordinairement longs et taillés en

griffes d'albatros, font unétrange contraste avec

la lèvre toujours pendante,la face livide et les

yeux cuits. Un ami m'avaitpourtant

conseillé de

me défier des individusqui ont la bouche pourrie

et les pieds sales, cequi est aussi le cas. J'eus le

tort de nepas

écouter cet avertissement prophéti-

que. Le nom seuld'Edgar n'aurait-il pas

dû me

mettre en défiance?

Que voulez-vous? Jecroyais lui devoir quelque

chose etje poussai l'imprudence jusqu'à

lui offrir

l'hospitalité dans ma maison, le sachant fort mena-

ce. Lorsqu'ilvoulut bien me faire entendre qu'il

n'étaitpas

undomestique, ce

qui ne tarda guère,

Page 136: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

l3o EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

je compris l'énormité de ma sottise. Mais il était

troptard.

Puis, que dirai-je encore? Ily

avait la simagrée

religieuse. Cet homme libre, imitateur et trans-

cripteur infatigable d'un écrivain trop connu, était

pleinde textes et d'élans. Enfin ne l'ayant jamais

vu, j'ignorais lesdécourageants

effets de sa de-

vanture. Que cela, surtout, me soit une excuse.

Il avait, hélas unecompagne qui répondait

au

nom deRaphaële et même un

petit enfant, malheu-

reux êtrevoué, j'en

aipeur,

à une éducation homi-

cide. Cette mère, une blondasse flamande à chair

molle et blanche sous unepeau sale, aux yeux

couleur depoussière,

auregard fuyant,

à la bou-

chehermétique d'une avaricieuse impressionnée

parle

cul-de-poule de la Joconde, était, je ,pense,

plus odieuse encore que son mari.

Lui, du moins, ne nourrissaitpas.

Il se conten-

tait d'être nourri et d'avoir uneplume,

car il se

vante sans cesse d'avoir une plume, unepauvre

diablesse de vieilleplume

ramassée dans l'ordure

de monplumier

etqu'il espère

utiliser contre

moi.

Mais elle, ah!justes cieux.! Elle était de ces fem-

mes àqui le fait de donner à téter confère

ungrade

élevé dans l'admiration des hommes. Dépoitraillée,

languissante, l'âme enpantoufles, elle se traînait

suavement, du matin au soir, ayant à peinela force

de réclamer, d'une voix exténuée parle prodige

de

Page 137: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES L1EUX COMMUNS I3I

9

son insurpassable dignité, les attentions et révé-

rences quilui étaient dues.

Le comble de l'injure eût été de luiproposer

quelquechose à faire. Oubliez-vous

que jenonr-

ris ?Me prenez-vous pourune domestique? se serait

écriée cette chambrière immobile harnachée d'un

épouxsavant. L'idée seule en

paraissait mons-

trueuse et n'aurait eud'équivalent que

l'action

folle de porter à cuire des pois cassés devant le

Saint Sacrement.

Jen'essaierai pas de peindre

les extasesd'Edgar.

Il n'en revenait pas d'avoir une femmequi

nour-

rissait, regardant ça, toute la journée, de sa lèvre

pendanteet s'indignant avec lyrisme de ne

pasvoir

affluerpour

elle et surtout pour lui les viandes

rares et les succulents morceaux qu'il avait espéré

trouver sur ma table. Car cet helléniste engouf-

frait comme dans Homère.

J'aigardé

et rempli, trois mois, ce gracieux cou-

ple. Dès la première semaine, pourtant, j'en avais

assez. Mais c'était l'hiver. Ma femme, quiavait à

gagner les calomnies horribles dont on l'abreuva

plus tard, me suppliade

prendre patience et nous

eûmes pitié de l'enfant. A la fin, Dieu se souvint

de nous et un double miracle futaccompli.

Les ver-

minesayant cru trouver mieux nous délivrèrent et

un subside me tomba du cielpour payer

l'énorme

dépense.

Le mois dernier, Edgar, que je croyaisdans les

Page 138: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

1 ez EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

profondeursdu nadir, reparut pour

metaper au

Nom de Marie/-d'une forte somme.Tout le monde

sait que je suis un mendiant et on en abuse. L'ex-

pressionde ma surprise

et l'aveu de mon impuis-

sance me valurent aussitôt une lettre goujate que

je gardecomme un document

précieux pourservir

à l'histoire du Bourgeois pauvreau commencement

duvingtième

siècle.

Mépriserle

paindont on s'est gavé

à la table

des indigents et leur expédier, en retour, un flot

d'ordures où le nom de Dieu estpieusement

invo-

quéà chaque minute; être

appareilléd'une idiote

qui accomplitcet acte sublime de nourrir et, avec

tout cela, pousserl'héroïsme

jusqu'à n'être pasun

domestique, lorsqu'onest si saintement outillé pour

vider des pots de chambre etles rincer avec atten-

tion telles sont les grandes lignes de ce dévorant

de ton espèce quite menace, ô

Bourgeois riche, et

qui vient du Brabantpour t'engloutir (i).

LXVIII

Je n'ai besoin de personn e.

Donc, je suis Dieu. Il estremarquable que

telle

(i) Voir le Fils de Louis X VI, chap. x, où j'ai traité à fond

celte question grave de la Domesticité.

Page 139: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES .LIEUX COMMUNS l33

est la conclusion nécessaire de presque toute

parole bourgeoise. Je l'ai fait observerplus

d'une

fois. Les Lieux Communs entrent ainsi les uns

dans les autres, comme les tubes d'un télescopeou

comme les vagons d'un trainrapide tamponné par

un train de marchandises. C'est amusant pour le

spectateur,mais fastidieux à la longue.

Le rabâchageest l'écueil à

peu près inévitable

d'un livre de cegenre. J'espère, cependant, que

la

force me sera donnée d'aller jusqu'au bout.N'ayant

pasl'honneur d'être bourgeois, il ne me coûte rien

d'avouer que j'aibesoin de tout le monde, à com-

mencer précisément parle

Bourgeois quime four-

nit ma matière, etqui, appartenant tout de même

à notre ondoyante espèce, récompense de quelque

diversité l'observateur attentif.

LXIX

Les grandes douleurs sont muettes.

Cequi veut dire

quele silence de M. Ignibiis,

chapelier célèbrequi

vient d'enterrer sa femme

dans uncimetière de banlieue, après l'avoir empoi-

sonnée avec de la raclure de sombrero, exprime

une bienplus grande

douleurque

les Lamentations

Page 140: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

de Jérémiequi

n'ontpas

moins de centcinquante

Versets, hauts comme ces monts bibliquessur la

cime de chacun desquels rugit un lion.

Cela ne fait pas l'ombre d'un doute. LeBourgeois

quise connaît en douleur, on

peut en répondre,

nul mieuxque

lui ne sachantl'infliger

aux autres,

n'aimepas

les grandes larmesqui

font peur, et les

aboiements des Hécubes ne luiplaisent pas. C'est

un hommesimple.

Ilpeut

lui arriver aussi bienqu'au premier venu

d'être un imbécile ou une canaille. C'est la fragi-

lité humaine. Mais sa douleur, à lui, ne peut être

que grande et muette. Pasmoyen

de sortir de là.

Essayezde vous

représenterun fabricant de tubes

en caoutchouc, un constructeur de ressorts à bou-

din pour les sommiers élastiques, un gommeur de

papierà lettres, un agent voyer de

première classe

ou bien un architecte vérificateurpoussant des

criseffroyables

etdégainant le

lyrismed'un

'So-

phocle pour déplorer le trépas d'unepersonne

de

sa famille!

LXX

« Quo vadis? »

Intercalons icirapidement

ce Lieu Comniunlitté-

Page 141: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS l35

9.

raire quin'existera plus demain, mais qui sévit

avec tant de rage depuistant de mois. Oh! je n'ai

pasl'intention de parler de ce livre sot, si dure-

ment condamnépar

son succès même et qu'admi-

rent, avec unanimité, catholiqueset

protestants,

ce qui est, intellectuellement, la honte des hontes.

On a vu des curés le citer en chaire!

Je n'ai voulu que raconter une anecdote. Voici.

L'autre jour,à la gare de Lagny,

deux ecclésiasti-

ques appartenant, j'aimeà le croire, à l'intelligent

diocèse de Meaux, se hâtaient devant moi. L'un

d'eux, plus pressé,se

précipita,tout à

coup,vers

un urinoir. Oczo vadis? lui cria son confrère.

Je n'entendispas

laréponse, qui m'était, d'ailleurs,

bien indifférente.

LXXI

La plus jolie fille du monde ne peut

donner que ce qu'elle a.

On était aux environs de Sully-sur-Loire,ta-

lonnépar

les Allemands. L'armée française, vic-

torieuse il y avait si peu de jours,s'émiettait sur

toutes les routes. Débâcle [immense.Le froid était

terrible, désespérant.

Page 142: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

136 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

Quatre jeuneshommes appartenant à je ne sais

quel régiment de ligne arrivèrent comme des loups,

un triste soir, dans une maison isolée, tout près des

bois. Ils ne savaient plusoù était leur colonne et,

pourtout dire, ne tenaient

pasà le savoir, étant

tombés, à force de fatigue, de froid et de faim, dans

un découragement complet. Manger n'importe quoi

et dormir dans un endroit chaud, telle était désor-

mais leur ambition unique,leur fin dernière.

Malheureusement, la maison dans laquelle ils

venaient d'entrer et dont ils n'avaient eu qu'à pous-

ser la portene leur parut pas

l'endroit rêvé. Il leur

sembla qu'il yfaisait plus froid qu'au

dehors et

l'examen leplus

minutieux ne leur fitpas

découvrir

une croûte depain,

ni une tranche de lard, ni une

pommede terre, ni une bouteille de vin, ni

quoi

que ce fût depotable

ou de comestible. Le gîte

était visiblement abandonnédepuis

des semaines.

Cette recherche, il est vrai, se fit misérablement

avec quelquesallumettes et un bout de bougie.

Aucune espéranced'avoir du feu, le bois et le char-

bon étant aussi introuvables queles

provisionsde

bouche, et ils étaient sans outilspour dépecer les

boiseries. Un moment ilspensèrent

à brûler la mai-

son elle-même, mais ils s'avisèrentpresque aussitôt

qu'il n'ya rien

quichauffe aussi mal

qu'un incen-

die etqu'après tout, l'abri tel

quel de.cette bico-

quevalait mieux que

lespectacle

des constellations.

Puis, il était prudentde ne pas se faire

trop remar-

Page 143: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXEGESE DES LIEUX COMMUNS137

quer.On ne savait

pas quiétait dans le voisinage.

Mourants de lassitude etplus

affamésque jamais,

ils se couchèrent enfin sur de vieux matelasqui

avaient la consistance des meules et tâchèrent de

s'endormir.

Ce mauvaisrepos

ne dura pas longtemps. La

porte, qu'ilsn'avaient

paseu la

précautionde refer-

mer au verrou, se rouvrit avec violence et donna

passageà trois

grandsdiables de francs-tireurs

que poursuivaità

quelquedistance une

patrouille

bavaroise commandée parun officier d'une

physio-

nomie abominable quidardait sur eux le

rayon

jaunede sa lanterne. Une volée de

coupsde fusils

salua leur disparition dans la forteresse. Les dor-

meurs s'étant dressés en un clin d'œil, la porte se

trouva refermée, verrouillée, barricadée instanta-

nément.

Jusqu'au petit jour, long à venir, on laissa tran-

quilles cessept

hommes qui eurent letemps

de

faire connaissance etqui

n'avaientpas

moins

faim les unsque

les autres. L'aube frissonnante

luisait àpeine que

le siège commença.

Les pauvres garçons essayèrentde se défendre,

maisque pouvaient-ils

contre une multitude? Leur

asile fut bientôt forcé. L'un des francs-tireurs eut

assez laprotection

des saintsanges pour qu'on

l'éventrât, les armes à la main. Les autres, poussés

dans unespace trop

étroit et, d'ailleurs, exténués

demisères, se laissèrent

prendre.Leur

comptefut

Page 144: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

138 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

bientôt réglé. Les Prussiens avaient peu d'égards

pour les francs-tireurs ou les combattants isolés et

la fusillade, en cestemps-là, répondait

à tout.

Voici donc, simplement, ce qui arriva. Au der-

nier moment, leplus jeune de ces malheureux

demanda pour toutegrâce

la faveur de manger

un morceau depain

avant de mourir.Lôjchef prus-

sien, personnage d'une laideur atroce^ je l'ai dit

tout à l'heure, voulant prouver qu'ilavait du moins

del'esprit, et même de

l'esprit français, montra de

la main les fusils dupeloton

d'exécution et dit

ces mots, immédiatement suivis du signal de mort

La blis chôlie fille ti monte né beut tônner

quece

qu'elle a.

Quand un bourgeois me parle de laplus jolie

fille

du monde, je pense qu'onne sait pas

ceque

c'est

que la mort et que cepauvre

enfant a peut-être

encore faimdepuis trente ans.

LXXII

A l'impossible nul n'est tenu.

Napoléon,le plus grand

lanceur de Lieux Corn»

muns qu'il yait eu, a déclaré

quele mot impossible

n'était pas français. La génération présente,beau-

Page 145: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS1 3g

coupmoins épique,

a un dictionnaireplus étendu.

Au contraire de ce qui se passait en i8o5 ou1809,

plusieurs choses, aujourd'hui, sont devenuesimpos-

sibles. Mais en est-il une seule qui le puisse être

autant quede donner de l'argent

àn'importe qui

pour n'importe quoi?Même les

concupiscents

déchaînés reculent à l'idée de faire passer dans

d'autres mains ce qu'ils ont reçu pour la vendition

de leur Sauveur.

J'espère qu'onme saura gré de l'anecdote abso-

lument inconnueque

voici

Il ya vingt ou

vingt-cinq ans, la SacréeCongré-

gationdes Rites dont s'honore l'Eglise romaine et

qui n'est pas simoniaquedu tout, comme on va voir,

exigeaun

insignifiant pourboirede

175,ooo francs,

pour s'occuperutilement de la Cause en Béatifica-

tion de ChristopheColomb.

Tous les autres obstacles avaient été mispar

terre. Six cents évêques avaient signé le postulatum

et le monde ecclésiastique savait que cet acte d'im-

mense justice, naguère si ardemment désirépar

Pie IXqui en fut, il

ya deux générations, le véri-

tablepromoteur,

avait failli être votépar acclama-

tion au Concile du Vatican.

Lepostulateur,mort aujourd'hui, aurait pu payer.

C'était un homme extrêmement âgé, presque mou-

rantchaque jour,

maistrempé dans le

Styx bour-

geois et invulnérable à tout espritde renoncement.

Pourquoi ne payeriez-vous pas ?lui

disais-je

Page 146: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

J40 EXÉGÉSE DES LIEUX COMMUNS

en 92, époque des fêtes fameuses duquatrième sé-

culaire de la Découverte del'Amérique. Voilà qua-

rante ansque vous travaillez

pour cette causequi

est votre unique objet. Vous êtes vieux et sans

enfants, vous allez mourir. Vous auriez assezpour

subsister honorablement jusqu'àla fin de vos jours,

mêmeaprès

avoir assouvi cesjuges infâmes. Ne

privez pasde cette consolation votre dernière heure.

Mon cher ami, me répondit-ilde sa voix loin-

taine d'insectecaptif,

à l'impossible nul n'est tenu.

C'estprécisément parce que je suis

vieux que je ne

peux pasfaire cela. Quand j'étais jeune, je

ne dis

pas, mais maintenant, songezdonc 1.

Peu de temps après ce refus qu'attendait sans

doute Quelqu'un, une série de spéculations désas-

treuses lui raflait, coup sur coup, la somme totale

de centsoixante-quinze mille francs,

LXXIII

Un homme averti en vaut deux.

Je vouspréviens donc, cher Monsieur, que vous

recevrez, à telle échéance, douze douzaines de cla-

queset un nombre égal de

coupsde botte, sans

parlerdes petites affaires accessoires qui pourront

Page 147: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS I4

agrémenterle cotillon. Ce ne sera pas trop

de la

résignationet de la force d'âme de deux hommes

pour porter ça. Ainsi, vous voilà parfaitementen

règle,étant prévenu.

Au fait, ily

aurait peut-êtrelà un

moyen d'aug-

menter considérablement les effectifs en tempsde

guerre, ou, du moins, de doubler la constance de

nos soldats, voire même leur agilité, en cas de mal-

heur. C'est une questionà étudier.

LXXIV

Que voulez-vous! l'homme est l'homme.

Combien Pilate estjoli garçon et digne d'amour

quand on lecompare

à la multitude considérable

desgens qui

selaventles mains Cetteparole archi-

traînée, depuisdeux dizaines de siècles,me fut ser-

vie, l'autre jour, parun

bourgeois douxqui parais-

sait avoir les mainspropres, pour la justification

d'unbourgeois

féroce dont j'avais eu l'enfantillage

de lui parler avec une extrême indignation. Il n'o-

saitpas ajouter comme dans saint Jean Ecce rex

vester, celui-là est votre roi, parce quele Bourgeois

ne metjamais

hors de lui cequi

est en lui, mais

Page 148: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

142 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

comment aurait-ilpu

faire pour n'y pas penser dans

son lieu leplus

intime ?

L'hommequ'il

me montrait dans l'indéfini était

vêtu de lapourpre

du sang des faibles et, de son

effrayante couronne, ruisselaient des larmes de

sang. Or, iln'y a qu'un

seul homme quisoit vrai-

ment l'Homme et c'est terrible de l'évoquerde la

sorte, car ilpeut

arriverqu'on

ne distingue pas

très-bien Celuiqui

assume de celui qui est assumé

et Celui quisauve de celui qui tue. Quelle épouvan-

ble situationque

celle d'un désolateur des âmes

descendu si basqu'il

nepeut plus

avoir l'air d'un

hommequ'en

mettant sur lui, parune mascarade

sans nom, ladéfroque inexprimablement

sainte de

Gabbatha

LXXV

Il est avec le ciel des accommodements.

Peut-être avec leciel,maispas

avec le Bourgeois,

quand ils'agit de Molière. Il ne permet pas qu'on

y touche. Tout ceque vous voudrez, mais

pas ça.

Profanez les sanctuaires, les SaintesReliques,

le

redoutable Sacrement de l'autel. Soit, mais nepor-

tez pas la main sur Molière.

Page 149: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

10

Cett,e loi est d'autant plus remarquable que le

Bourgeoisne connaît absolument

pas Molière. Il

sait à peu près quecet homme célèbre a

beaucoup

parlédes cocus, ce qui

le flatte, et qu'il est l'auteur

d'une comédie intituléeTartufe,

où l'infamie de la

dévotion est divulguée.Il estinébranlablementcon-

vaincu queLouis XIV, dompté par

tant de génie,

le fit, un jour, manger à sa table etque toute las

cour en fut dans l'admiration. C'estmême, je crois,

le seul fait du. règnede Louis XIV

qu'il soit capa-

ble de citer, et sa gratitude est immortellepour ce

repas auquelil sent si

profondément qu'ilfut invité

en lapersonne

de Molière

Au temps de ma verte jeunesse, iln'y a pas loin

de trente-cinq ans, Jules Vallès ouvrit une sorte de

plébiscitecontre Molière. Il

yeut au

journal heb-

domadaire, la Rue, que dirigeait le futuragitateur,

un registreoù chacun était invité à

protester avec

énergie contre le Misanthrope.Je me rappelle qu'il

y eut une petiteclameur dans les journaux graves,

mais fort peu de signatures. Le Bourgeois ne ré-

gnait pas plus qu'aujourd'hui,chose

impossible,

seulement il était un peu moins inculte etparaissait

lirequelquefois.

Je ne sais sil'entreprise de Vallès

aurait maintenant plusde succès. Mais

je trouve

que notreépoque

est bien plus belle, puisque c'est

untemps de foi. On

yadore Molière comme les

Athéniens adoraient le Dieu inconnu.

Page 150: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

t!\l\ EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

LXXVI

Au ciel on se reconnaît.

Puisquenous

y sommes, expédionscet autre

Lieu Commun sur le ciel.Il est de sacristie, celui-là,

ai-jebesoin de le dire?

Au ciel on se reconnaît, c'est-à-dire que lors-

qu'onaura été installé dans le Lieu de Béatitude,

ce qui doit nécessairement arriver aux bourgeois

et à leurs bourgeoises, on ne sera pas exposé à

l'ennui de prouver son identité à des tas degens.

On sera reconnu et on reconnaîtra les autres tout

de suite. Cela fera partie du bonheur interminable.

On évitera ainsi le contact desparvenus

et des in-

trigantsde toute sorte qui, n'ayant pas

été bour-

geoissur la

terre, prétendraientavec insolence l'être

éternellement dans le ciel. Mais tout cela est si

bienréglé qu'il n'y

apas

lieu de s'yarrêter un seul

instant.

Page 151: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXEGESE DES LIEUX COMMUNS l/j5

LXXVII

Les prêtres sont des hommes comme

les autres.

« Comme les autres » est certainement une poli-

tesse. Il est bien certain qu'un homme qui prati-

quela continence et qui dit la messe

chaque jour

est fort inférieur aux autres. Si le Bourgeois n'é-

taitpas

si bon, il dirait avecplus

d'exactitude et

de fermetéque

lesprêtres

ne sontpas

des hommes

comme les autres. Juste le contraire. Mais il con-

vient d'êtregénéreux

et de n'écraser personne,la

pensée du Bourgeois n'étantpas, d'ailleurs, une

automobile.

Puis, tous lesprêtres

ne se ressemblent pas.Il

y en a encore, Dieu merci en assez grandnombre

qui ne donnentpas dans les nuages, qui

sont pour

le sérieux, le solide, le confortable. Ceux-là font

passer les autres. Onpeut

les recevoir, les inviter

àdîner, leur faire faire des commissions, leur con-

fier despaquets,

les utiliser enfin, cequi change

unpeu de ces faiseurs d'embarras

qui parlenttou-

jours de ladignité sacerdotale.

Ily en a même qui ont de belles situations, qui

Page 152: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

l46 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

gagnent beaucoup. A plat ventre devant ceux-ci,

naturellement. Mais, enprincipe, ne nous embal-

lonspas

sur lesprêtres.

La vie est courte. N'ou-

blions pas non plus quele Lieu Commun

quinous

occupeest une contre-vérité, une

antiphrase char-

gée demystère,

etqu'il peut cacher la mort.

LXXVIII

Chacun pour soi et le bon Dieu

pour tous.

MmePlutarque, patronne

de l'ancienne maison

« Plutarqueet oncle,papeterie

et objets depiété »,

fait sa méditation quotidienneà son église parois-

siale, en laprésence du Saint Sacrement. C'est une

femmetrès-pieuse.

Fils aimable du Tout-Puissant, dit-elle, s'ai-

dant d'un de ces livres de la maison Marne ou de la

maison Poussielgue, dont l'éloge n'est,.plus à faire,

ô mon très-doux Maître venu en ce monde pour

en chasser le péché, ayez pitié de ceuxqui

vivent

dans cette souillure et gémissentà, l'ombre de la

mort. Je vous demanderai aussi de nousenvoyer

unpeu plus de monde à l'occasion du Jubilé. Ce

serait le cas ou jamais d'écouler nos vieux scapu-

Page 153: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

laires en cotonqui commencent à se manger aux

vers et vous savezqu'il

nous en restebeaucoup.

Agneausans tache qui vous offrez

pourles

pécheursavec tant d'amour, ayez pitié de leur état

et délivrez-les del'esclavage du démon par le mé-

rite de votre offrande. Je crains bien d'avoir fait

une trop forte commande de bénitiers en biscuit. Il

y ade nos clients

qui seplaignent que c'est trop

cher. Mais c'est un articleavantageux que je ne peux

pourtant paslaisser à meilleur marché. Il

n'y au-

raitplus qu'à

mettre la clef sous laporte. Heureu-

sementque ça se casse vite et qu'il

en faut toujours.

On serattrape

sur laquantité.

Nos péchés, ;ô divin Sauveur, ont armé vos

bourreaux des instruments de votresupplice. Il

est vraique

les affaires sont les affaires et qu'il n'y

auraitpas moyen de joindre les deux bouts si on

donnait la marchandise. Puis, ily a

la morte-saison

où on n'arrive pasà vendre un catéchisme, ni une

bouteille d'encre, ni une rame dépapier. Si onplace

detemps en temps, par

cipar là, un

petitroman

unpeu léger,

unepetite polissonnerie,

un toutpe-

titjeu de cartes

plusou moins

transparentes, mon

Dieu ça regarde ceux qui les achètent, n'est-ce

pas? D'ailleurs, jene fais ces affaires-là, vous le

savez, qu'avec des messieurs bien mis et d'un cer-

tainâge. Où est le mal ? Ah doux Jésus, ne vous

mettezjamais dans le commerce!

Cemystère nous enseigne la mortification cor-

Page 154: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

148ERÉGÉSE DES LIEUX COMMUNS

porelle.C'est

pourimiter le Sauveur

flagellé que

les saints ont pris de sanglantes disciplines.

Oh! ça ne vapas fort, non

plus,le commerce des

disciplines!Si nous vendons quelques méchants

cordons de saint François, c'est tout le bout du

monde. Pour cequi est du crin, il n'en faut

plus,je comprends ça.Il nous restaitquelques vieux

cilices quenous disions avoir

appartenuau curé

d'Ars, comme cela se fait couramment dans notre

partie.Nous avons eu tant de

peineà nous en

défaire que nous avons renoncé à en avoir d'au-

tres.

Je le reconnais, ô Jésùs, c'est votre mort, qui

a détruit en moi le péché. C'est votre résurrection

quim'a délivrée du tombeau des vices où j'ai dormi

si longtempsdans le sommeil de la mort. En effet,

notre maison vaprendre

de l'extension, malgré

tout. Le fabricant de suppositoires nefaitplus rien.

Ce sera bien le diable s'il ne nous cèdepas

son bail

à moitié prix. D'ailleurs, c'est unDreyfusard

et

nous l'aidons tant que nouspouvons

à faire faillite.

Ce sera painbénit. Quant à sa fille, qui s'en va de

la poitrine,vous faites bien de la prendre. Nous

avons essayéde lui faire du bien et nous en avons

été drôlement récompensés. Lepère

ne nous a-t-il

pas reprochéde la tuer, en la laissant debout toute

lajournée

dans laboutique, comme si nous étions

responsablesdes maladies du

prochain.Chacun

poursoi et le Bon Dieu

pour tous. Quand elle n'a

Page 155: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNSi4q

plusété capable

de travailler, nous l'avons flanquée

à laporte,

comme dejuste.

Vous en auriez fait au-

tant, n'est-il pas vrai, monRédempteur?

Mainte-

nant qu'onme calomnie tant

qu'on voudra, je sau-

rai porterma croix

jusqu'au bout, avec le secours

de votre grâce. L'amour de mon Dieu doit me suf-

fire dans cette vallée de larmes et dans la bienheu-

reuse éternité. Ainsi soit-il.

LXXIX

Aller son petit bonhomme de chemin.

« Alexandre le Grand réduisit, après sept mois

d'unsiège opiniâtre, l'imprenable

ville de Tyr.

Pour lapunir

de cette résistance, il fit mettre en

croix deux mille habitants échappésà la fureur du

soldat.Après quoi

il continua, dans la direction de

l'Egypte,son petit bonhomme de chemin. »

Ainsiparlait

au lycée de Périgueux,il

y a quel-

que quarante ans, un digne professeurd'histoire à

qui nous infligions, presque chaque jour, d'effroya-

bles farces dont il s'apercevait à peine.

Ce « petit bonhomme de chemin o est resté dans

ma mémoire avec le nom d'Alexandre et la figure

de ce savant comme une sorte de mastic. Il n'a

Page 156: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

150 EXÉGÈSE DRS LIEUX COMMUNS

plusété

possiblede les

séparer et, par lephéno-

mène de l'association et de la filiation des idées,

jene

puisentendre ce Lieu Commun sans voir aus-

sitôt lesplus héroïques personnages se défiler d'une

patte légère, aprèsavoir

accompli quelque rosserie

grandiose. Napoléon, par exemple, aprèsla Béré-

sina, ou, si on lepréfère, l'aimable Néron

qui

n'était, jele veux bien, qu'un imbécile, mais un

imbécile maître du monde etqui allait, lui aussi,

son petitbonhomme de chemin planté de chrétiens

en feu, comme l'a raconté Tacite, ut cum defecisset

dies, inusum nocturni luminis urerentur.

Le Bourgeois,à son tour héritier et successeur

de ces personnages effrayants, va sonpetit

bon-

homme de chemin vers la mort, éclairépar

les

étrons.

LXXX

Ne pas valoir le Diable.

Où donc est l'honnête hommequi pourrait

se

vanter de le valoir ? Songez quetout diable qu'il

est, tout de même, il est un ange et le chef d'un

grandnombre d'anges. Si l'ingénieur des ponts

et

chaussées quevoici ou le brigadier de gendarmerie

Page 157: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 151

io.

quevoilà entendent

parces

paroles qu'on ne vaut

pas grand'choseou rien du tout, ils se

trompent

d'une manière quiétonne. Affirmer d'un individu

qu'ilest moins riche qu'un milliardaire

n'implique

pas qu'ilsoit un nécessiteux. On peut ne

pas valoir

précisémentle Diable et, néanmoins, capitaliser

sans fatiguela valeur morale et intellectuelle d'une"'

infinité de bourgeois. Que penser dequelqu'un qui

vaudrait le Diable ?.

Il faudrait faire attention à cequ'on dit. Le

Diable n'aimepas qu'on

secompare à lui, fût-ce

pourdéclarer qu'on

ne le vautpas et

il ya des

mots quile font venir. « Quand nous ne

parlons

pasà Dieu ou pour Dieu, a dit un écrivain

peu

connu, c'est au Diableque

nous parlons et il nous

écoute dans un formidable silence. o

LXXXI

Se plaindre que la mariée est trop belle.

Essayezde faire comprendre

à desbourgeois

qu'il peut yavoir lieu de se plaindre, en effet, et

que

l'excessive beauté d'une mariéepeut avoir des in-

convénients Ah qu'ilssont loin de cette crainte

et de ce gémissement1 Il leur faut des

épouses

Page 158: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

l52 EXEGESE DES LIEUX COMMUNS

d'une beautéparfaite.

Je n'aiqu'à jeter les yeux

autour de moi. C'est incroyable,c'est effarant, c'est

éblouissant Je ne sais pasoù ces cochons vont

chercher leurs femmes.

Alors, naturellement, étant installés à ce point

dans la beauté, ils ne voientplus que la beauté, ils

nepensent plus que

la beauté. Une affairequelcon-

quedevient

poureux une mariée qui

doit être belle,

quine

peut jamaisl'être

tropet dont il leur

paraît

monstrueux que d'autres se plaignent, surtout

lorsque ces autres sont sur le point d'être complè-

tement roulés.

Ily aura, un

jour,une Mariée dont

l'approche

fera claquer lesportes du ciel et qui sera si belle

qu'onne

pourra pasla

distinguer de la foudre. C'est

Celle dont il est écritqu'« elle rira au

dernier jour»).

Elle seraprésentée

comme le Jugement de Dieu et

nul n'aura letemps

de seplaindre. Mais comment

imaginer unbourgeois capable de la

pressentir?

LXXXII

Tuer le temps.

Dans larhétorique du Bourgeois, tuer le temps,

ai-je besoin de le dire ?signifie tout

simplement

Page 159: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS J 53

s'amuser. Quand le Bourgeois s'embête, le temps

vit ou ressuscite. Vous comprendrez ou vous ne

comprendrez pas, mais c'est ainsi. Quand le Bour-

geois s'amuse, on entre dans l'éternité. Les amu-

sements du Bourgeois sont comme la mort.

LXXXIII

Avoir le mot pour rire.

Parmi lesgens qui

ont habituellement le mot

pour rire, on cite volontiers les employésdes

pom-

pes funèbres, les garde-chiourme,les huissiers, les

chirurgiens, les bourreaux. Il paraît queleurs

honorables métiers veulent ça.

Villiers de l'Isle-Adam, quiavait la passion de

courir leguilledou des exécutions capitales

etque

les messieurs de la guillotine considéraient comme

un amateur éclairé, affirmait avoir entendu l'exé-

cuteur dire à une de sespratiques,

en luitapant

joyeusement surl'épaule,

dix minutes avant le

couperet « Je vousgâte,

mon ami, jevous gâte

Il venait de l'avantager d'une de ces petites dou-

ceurs dont les bourreaux ont le secret. Villiers

avaitgardé dans l'oreille la crécelle de celte voix

decoupeur

et il affirmaitque c'était irrésistible,

Page 160: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

l54 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

dequelque

manièrequ'on

veuille entendre cet

adjectif qualificatif.

LXXXIV

Assurer l'avenir de ses enfants.

Depuissi longtemps que

les pères s'occupentde

l'avenir de leurs enfants, n'est-il pas étrange que

les enfants ne pensent pasà l'avenir de leurs pères?

Qui donc faisait remarquer cela etquel avenir cet

anonyme pouvait-ilbien avoir en vue? Le Bour-

geoiss'étonne des

questionsainsi

présentées. Quoi

de plus simple, cependant?Il faudrait prévoir le

cas où unpère

aurait étéengendré par

son enfant.

C'est en vain que d'eux tous le sang m'a fait descendre,

Si j'écris leur histoire, ils descendront de moi.

Vers cornéliens, aujourd'hui presque oubliés,

dont la splendeur consolait Alfred de Vigny, le

poète-gentilhomme, de la disgrâce de n'être pasné dans une boutique pour léguer, à son tour, une

clientèle à de fortunés et crétins enfants.

Le Bourgeois, plus heureux, se félicite dans une

autre langue. Pour ce qui est de ses ancêtres, à

lui, il ne saurait ni en descendre ni en remonter.

Page 161: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS l55

Toute salignée, depuis

les siècles, garde l'horizon-

talité absolue dans laplatitude géométrique du lieu

le plus bas, et cette postureest assurée dans l'ave-

nir, sauf miracle, à tous ceuxqui pourront sortir

de lui.

Sauf miracle, cela s'est vu. Un êtred'exception

peut, quand même, jaillirde cette alluvion de dé-

jections.Mais de

quelavenir cette

géniture pourra-

t-elle bien gratifierses

pères?J'abandonne la co-

casserie phénoménaledu problème

à ceux de mes

lecteursqui

furent enfantés surles joyeuses collines.

LXXXV

Faire honneur à ses affaires.

Le mot « affaires » me trouble toujours. J'ai es-

sayé, dès le commencement de cetteExégèse, d'en

direquelque chose. Je n'ai réussi

qu'à manifester

monimpuissance. Ce qui me semble tout particu-

lièrement haïssable dans ce chien de mot, c'est son

mystère. Impossible d'y pénétrer. « Faire honneur

à ses affaires » est une des paroles lesplus dites

et certainement les moins entendues.

Qu'est-ce quel'honneur vient faire ici ? Je le de-

mande aux sages. Faire honneur àquelqu'un est

Page 162: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

l56 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

une locution intelligible. Exemple.On se fend en

quatre pour prouver à un piratearmé

jusqu'aux

dents qu'on a pourlui de l'estime et une

profonde

considération. Honorer les canailles qui ont l'ar-

gent ou le pouvoir,c'est le cri de la conscience

bourgeoise. Mais fairelaonneur à ses affaires est

un texte difficile.

Je sais aussi bien quevous

que, dans une lan-

gue inintelligibleaux

purs esprits,cela veut dire

payerune lettre de change, un billet souscrit ou

toute autre saleté du mêmegenre.

Je n'ignore pas

nonplus qu'un

tenancier delupanar, un empoi-

sonneur depauvres,

un usurier à cent cinquante

ou deux centspour

cent font honneur à leurs

affairesquand

ils règlent exactement leurs échéan-

ces. Eh! bien, que vous dirai-je? cette façon en

reliefd'exprimer une platitude

me bouleverse.

LXXXVI

Faire un trou à la lune. Faire son trou.

Identiquesdans l'Absolu, identiques

dans l'In-

fini. On ne dira jamaisFaire un trou au soleil,

ni à la terre, ni à Mars, ni même à Vénus. On ne

fait de trous qu'àla lune, on ne fait son trou que

Page 163: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÉSE DES LIEUX COMMUNS 157

dans la lune, laquelle,à vrai dire, n'est qu'un

vaste systèmede trous et de cavernes

profondes.

C'est, du moins, letémoignage d'un romancier

anglais contemporain quia été assez

heureux pour

profiterd'une occasion tout à fait

unique de visiter

la lune, ces dernierstemps.

Il en a mêmerapporté

d'énormes barres d'or vierge que tout Londres

a puadmirer. On sait enfin

que l'or est à fleur

de lune et aussi banal queles

pierres sur ce satel-

lite (1).

Ainsi se trouveexpérimentalement corroborée,

aprèsdes générations de caissiers, la

métaphore

bourgeoised'un passage heureux à travers la lune,

quandon se dérobe en

emportant le bien d'au-

trui. Ainsi se démontre, avec une précision que

j'ose qualifier d'astronomique, l'inhérence de l'idée

de trou à l'idée générale deprospérité humaine. Le

Bourgeois a deviné juste, commetoujours,

mais

cette fois, il nousprécipite dans les cieux.

LXXXVII

Brûler la chandelle par les deux bouts.

M. Besoin compritd'autant mieux qu'une gifle

(i) Les Premiers Hommes dans la Lune, traduit de l'anglaisde

H;-G. Wells, par Henry-D, Davray. Mercure de France.

Page 164: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

t58 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

éblouissante soulignala

péroraison.Jamais l'autre

Lieu Commun dit des trente-six chandelles n'avait

étéplus complètement justifié,

car les muscles de

l'envoyeur valaient sadialectique.

M. Besoin est un de ces penseurs dont la liberté

étonne les animaux domestiques.Son trait le plus

originalest d'avoir lâché Dieu, comme tout le

monde, à l'époque illuminative de sa puberté. A

partirde là, peu

de choses lui furent cachées.

Ayantvécu loin du monde sacerdotal, il connaît

les prêtres, cela va sans dire, et sait exactement

ce qu'il faut penser de leurs manigances. M. Be-

soin ressuce goulûment le dix-huitième siècle et

passe, dans son chef-lieu de canton, pour une intel-

ligence de prime-saut. Il parle volontiers de l'In-

quisition, de la Saint-Barthélémy, de la Révocation

de l'Edit de Nantes, etc., en des phrases qui pa-

rurent champignonneuses vers 1820, et il s'exprime

avec force contre le fanatisme de deux ou trois

pauvres vieilles bougresses de dévoltes qui vont

assidûment à l'église paroissiale.

On n'attend que l'occasion pour faire de cet

orateur un député. C'est lui qui saurait en finir

avec la religion, quand il serait aux affaires 1

Sans doute, ce n'est pas mal, si on veut, d'a-

voir congédié un assez bon nombre de religieux

et de religieuses. Le gésier de cet homme d'Etat se

dilate à la pensée que les pénitentes du Carmel ou

les hospitalières des indigents sont peut-être dé-

Page 165: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNSl59

sormais errantes et sanspain.

Maisquelle mollesse

dans l'exécution!quelle

timidité!quel manque de

décision! quelle impuissance!alors

qu'il s'agissait

de tout chambarder en un clin d'oeil

M. Besoin en était là de son discours, enplein

cafédu Commerce lorsque le sacristain, homme

fougueuxvenu pourse rafraîchir, lui demandabrus-

quements'il allait « fermer sa

gueule ». L'orateur,

interdit etsuffoqué,

nerépondit pas.

Je vaisparler pour vous, reprit l'employé

d'église, chacun son tour. J'ai à vous dire d'abord

quevous êtes un imbécile et

quevous brûlez votre

chandelle parles deux bouts. Ici vous braillez du

matin au soir, et souventjusqu'à minuit, contre les

prêtres,contre l'église,

contre les cérémonies etcon-

tre les cloches dont la sonnerie vousexaspère comme

si vous étiez un démon, enfin contre lesreligieux

etles religieuses.En même

temps vous avez vos deux

filles en pension,à Paris, chez les Dames Visitan-

dines. Là je suppose quevous tenez un autre lan-

gage. Moi, je m'en fous, remarquez bien. Seule-

ment, jetrouve un

peusalaud de se contredire à

quelquesminutes d'intervalle, juste le temps d'al-

ler à Paris et d'en revenir. C'est une dégoûtation

de mentir continuellement aux uns et aux autres

comme vous le faites, avec l'intention de ficher

dedans tout le monde. Heureusement que vous

vous brûlez des deux côtés à la fois, je le répète,

étant unparfait

idiot et jé ne vous l'envoie pas

Page 166: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

160 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

dire, moi, Charlemagne Dasconaguerre, ancien

maréchal-des-logis aux cuirassiers de Reischoffen

et devenu calotin, à votre service.

Etant mal placé dans ce café sans perspective,

je ne pus voir comment la claque avait suivi la

harangue, et quelle claque M. Besoin avait-il

montré du dédain ou risqué le commencement d'un

geste? Toujours est-il qu'il en resta démantibulé.

LXXXVIII

Vendre la peau de l'ours.

Oui, je sais, il ne fautpas

la vendre. C'est un

conseil.Vendez n'importe quelle peau, si vous trou-

vez acheteur, s'entend; mais ne vendezpas

celle

de l'ours, ni surtout celle de lagrande Ourse. Il

paraît quecette opération commerciale est dange-

reuse. C'est, d'ailleurs, la seule foisque le Bour-

geoisconseille de ne pas vendre. Exception remar-

quable.

Cependantvoici quelque chose qui n'est

pas

clair. Si cettepeau

n'estpas

à vendre, j'imagine

qu'elleest encore moins à donner, l'action de

donner étant cequ'il y a de plus contraire au

génie bourgeois.Il faudra donc la

garder, c'est toute

Page 167: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXERESE DES LIEUX COMMUNS l6.I

une affaire. Il est vrai quece Lieu Commun embar-

rassant est conditionnel. Les autorités assurent

qu'ilserait loisible à quiconque

de vendre lapeau

d'un ours qu'il aurait tué lui-même, cequi

est

une mauvaise plaisanterie.Le Bourgeois

veut rire.

LXXXIX

Perdre ses illusions.

C'est le premierarticle du

programme.Il devrait

être l'unique,tellement il

enveloppeles autres. Un

bourgeois quin'aurait pas perdu ses illusions res-

semblerait à un hippopotame quiaurait des ailes.

Au fond, les illusions, c'est tout ce quine

peut pas

être digéré.Les éleveurs ne

s'y trompent pas.

Jamais une illusion ne vaudra un sac de pommes

de terrepour engraisser

des cochons. Sans doute,

mais, là encore, ily

a une difficulté.

Que faut-il entendre par le mot illusion? Y a-t-il

des illusionsparticulières

aux bourgeoiset d'autres

qui ne peuvent affecterque

des héros ou des poè-

tes ? Ungrand artiste qui croirait, par exemple,

qu'il faut« choisir une carrière », comme dit l'indé-

passable Hanotaux, ouque

le sucre de betterave,

àpoids égal, ne vaut

pasmoins que le Moïse de

Page 168: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

t62 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

Michel-Ange, serait-il, oui ou non, dans des illu-

sions trop généreuses qu'il lui faudrait perdre?

Un commis,du mont-de-piété à qui je posais cette

question, m'a demandé sije

mepayais

« sa fiole ».

Il avait raison. Laréponse n'est

passans

danger.

XC

Souffrir le martyre.

Il souffre lemartyre,

il souffre comme un mar-

tyr. Toutes les foisqu'un bourgeois expie,

avant de

crever, les saletés de son existence, il estmartyr,

ça ne rate pas.On déshonore ainsi un mot et une

idée admirables, c'est toujours ça. Autrefois mar-

tyr signifiaittémoin et les martyrs enduraient, par

choix et de leurplein gré, d'horribles tourments

pourrendre témoignage

à la Vérité crucifiée. Tout

cela est considérablement changé.

Le martyre de l'Entrepreneur, très-différent de

celui des Vierges, consiste à souffrir, bien malgré

lui, en gueulant et enblasphémant, jusqu'à

sa

puantemort

quisera un fier débarras

poursa

famille etaprès laquelle

il nemanquera pas

d'être

« bienheureux ». Il meparaît

difficile de lui appli-

querle S'emen christianorum du terrible Père Afri-

Page 169: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS l63

cain. Les sérosités et les sanies de cet égrotant

seraient plutôt capables d'engendrerla peste.

Cependantil y

a des mots qui ne connaissent pas

plusle repos que

le pardon,des mots

plus qu'hu-

mains quirôdent comme des

loupsautour de ceux

quien abusèrent. Ils sont, ces mots, dans la néces-

sité invincible d'exprimer, n'importe comment et à

quelque prix quece soit, une réalité indiscutable.

Si cet homme n'est pasle témoin volontaire de Celui

qui est, il faut inévitablement qu'il soit l'involon-

taire et fantasmatiqueassistant de Celui qui n'est

paset qui

veut aussi ses martyrs.

XCI

S'ensevelir dans le cloître.

Ce Lieu Commun faitpartie

dupetit

nombre de

tropes qu'ona retenu de l'éducation

plusou moins

chrétienne qui se donnait encore, ily

a unequa-

rantaine d'années. Généralement, on « s'ensevelit

dans le cloître », aprèsavoir « bu le calice jusqu'à

la lie », «porté

une lourde croix », «gravi son cal-

vaire ». J'ai connu des hommes reluisants qui

étaient assez régulièrement« crucifiés ». Mais l'en-

sevelissement dans le cloître est le derniercoup.

Page 170: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

l641!:XÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

Ons'y

détermine spécialement quand on a des cri-

mes àexpier.

C'est proverbial.

L'idée que quelqu'unse précipiterait à la vie

religieuse comme dans ungouffre de

joie est

aussiétrangère

àl'époux

de laBourgeoise que le

calcul de la vessie à une momie qui a trois mille

ans. Les crimes effroyablesdes Bénédictines, et les

remords déchirants des Capucins font, d'ailleurs, le

plusheureux repoussoir

à l'intégrité de conscience

de tel ou teldéputé ou magistrat

cequirendinex-

plicable, disons-le en passant, l'idiote rage actuelle

de les abolir.

Maisj'y pense, n'y

aurait-il pas, analogiquement

à cequi précède,

une sorte de cloîtreinsoupçonné

pour l'ensevelissement des bonshommesqui

n'ont

rien à sereprocher,

et l'Inconnuqui exige des

martyrs n'exigerait-il pas aussi des moines? Il y a

bien des signeset le Bourgeois devrait trembler.

On ne m'ôtera pasde l'esprit qu'il est

indispensa-

ble de choisir entre les deux monastères, celui des

canaillesqui est naturellement dévolu aux

Trappis-

tes et aux Chartreux, et celui des Honnêtes Gens

dont le Démon jetterala clef dans l'Abîme, au Der-

nier Jour.

Page 171: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS J 65

XCII

Chercher la petite bête.

On pourrait croire qu'il s'agit d'un tableau célè-

bre de Murillo. Mais avec le Bourgeois, il ne peut

jamaisêtre

question d'une œuvre d'art, à moins

qu'onne veuille

parler d'un pont métallique, d'un

tunnel ou de toute autre hideuse besogne du même

genre queles

bourgeois suréminents, c'est-à-dire

les Ingénieurs desponts

et chaussées, ne se gênent

pasle moins du monde

pournommer des travaux

d'art.

Il s'agit de toute autre chose. Lapetite bête est

une métaphore, unepauvre

diablesse demétaphore

bourgeoisecomme il

yen a encore dans la marine

marchande, chez les grands facteurs des halles ou

chez nos dernierscommis-voyageurs.

Lenégociant

qui cherche une erreur decomptes

aupréjudice

d'un de ses clients est un hommequi

cherche la

petite bête, un hommeperdu. C'est comme s'il chas-

sait le tigre avec la table de multiplication et un

parapluie.

Page 172: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

IÔ6 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

XCIII

Tendre la main.

Celui-ci me ramène au clergé du diocèse de

Meaux. Je fis,, unjour,

cette expérience d'aller de-

mander l'aumône au curé d'uneparoisse immédia-

tement dépendantedu doyenné

deLagny.

Il me la

refusa, ai-je besoin de le dire ? avec des paroles

d'huile et de miel, douces et froides comme la lune.

Cetecclésiastique, jeune encore, a la

physiono-

mie d'un vieux rat et paraîten avoir les mœurs.

Rond comme un rond de cuir et luisant comme un

boudin, derrière un nez perpétuellement quêteur

surmonté de deux petits yeuxen têtes de clous

noires et brillantes, l'abbé Pucelle est le typedu

prêtre bourgeois.

Il se pique d'archéologie,disant à

quiveut l'en-

tendre que, lui aussi, a fait «gémir la

presse »;

prononce« les saints Pierre épaule », avec len-

teur garde l'argent qu'onlui confie

pourles pau-

vres et utilise enqualité de domestiques ses vieux

parents. J'ajoute ce trait prodigieuxet absolument

inouï qu'en vue decomplaire

aux boutiquiers de sa

paroisseil

exige des factures acquittées pourdon-

ner l'absolution aux nécessiteux.

Page 173: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 167

11

Il va sans dire que je ne ratai pas l'occasion,

ayant sous la main- un pareil sujet, de révéler que

j'étais l'auteur d'une autobiographie intitulée Le

Mendiant ingrat, que je vivais exclusivement d'au-

mônes et que, même, je ne concevais pas une autre

manière de vivre, pour un chrétien. En le quittant,

j'eus la satisfaction de le voir installé dans ce ba-

teau, confortablement.

A quelque temps de là, l'occasion s'offrit de parler

avec plus de précision et d'énergie. Ce joli curé,

dont j'étais presque le paroissien, avait cru devoir

abuser de quelques-unes de mes paroles d'une ma-

nière grave et dans l'exercice de son ministère. Je

lui écrivis que, me jugeant offensé, je voulais des

excuses chez moi, sinon que je m'adresserais à ses

supérieurs d'abord, puis aux journaux. Ultimatum

d'un effet certain. Le drôle vint aussitôt, non pour

me faire des excuses, mais pour établir qu'il ne

m'en devait pas. Retranché derrière ses Lieux Com-

muns de séminaire, dans un mépris inexpugnablede la Sainteté, de la Perfection évangélique, de la

Parole de Dieu, de la Prière, de tout ce qui n'est

pas le glorieux Argent monnayé, il me parut in-

vincible et me découragea du premier coup.

Impossible de lui faire comprendre quoi que ce

fût. Je ne me souviens pas d'avoir jamais vu un

homme si sot. Ah! j'avais beau jeu pour complétermon observation de la Médiocrité Sacerdotale In-

terrogé sur la prière impétrante: Dieu ne fait pas

Page 174: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

168 EXÉGÈSE DES LIEÙX^ COMMUNS

de miracles, sinon en faveur des saints, prononça

cet âne. Je lui objectai immédiatement les dix

lépreuxde

l'Evangileet les

guérisonsde Lourdes,

cequi

le laissa silencieux et bouche ouverte

comme unpoisson

cuit.

Sije

n'avaispas

été édifié depuis longtemps, le

sourire professionnelde cette soutane, chaque fois

que je lui présentaisun Texte, m'aurait éclairé

sur l'avilissement horrible duclergé contemporain.

C'est épouvantable et consolant à ce point de

vueque

tels doivent être lesprodromes

du Cham-

bardement.

Au cours de cet entretien.plus que cocasse, il

me conseilla avec bienveillance de faire un autre

métier que celui d'écrivain, un métier «nourrissant

son homme u. C'eût été amusant de lui retourner

le conseil. Je m'en abstins. Mais ce quime

parut

significatif au dernier point, ce fut le retour con-

tinuel, quasi automatique,de l'exclamation horri-

fiée Tendre la main 1

Combien de fois, voulant à toute forceque je

fusse un mendiant de profession, parce que je lui

avais dit mon immense confiance en Dieu, ne ré-

péta-t-il pas ces trois mots avec une sorte d'épou-

vante intime etprofonde, précisant ainsi pour

s'en étonnerdavantage

l'attitude habituelle

qu'il mesupposait! Evidemment un tel acte, sans

lequelil est à peu près impossible de se représen-

ter un Ami du Sauveur despauvres, était, à ses

Page 175: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS l6§

yeux,le comble de l'ignominie et de l'infamie. La

visite s'acheva sansgloire.

Je décernai à ce misé-

rable le certificat de mauvaisprêtre qu'il semblait

être venu me demander et nos relations en restè-

rent là.

Ce souvenirmalpropre

s'efface. Il a fallu ma

recherche furieuse des Lieux Communs pour

le réveiller. Mais ne trouvez-vous pas que cette

horreur de la main tendue, cette honte renégate

et sacrilège d'un geste quifut celui de dix mille

Saints, étaient admirablement et affreusement ca-

ractéristiques de ce hongre de l'autelqui

résume

en sapersonne

tout un monde?

XCIV

Respecter les Convenances.

Ce Lieu Commun jaillitde celui

qui précède. Quoi

deplus irrespectueux pour

les Convenancesqu'une

main tendue? Un mufle accompli peut se permettre

les dernières incongruitéset s'oublier ou se sou-

venir de lui-même, comme on voudra jusqu'à

faire devant les dames des ordures quema réserve

bien connue m'interdit de préciser.S'il a de l'ar-

gent, on le priera de nepas

se gêner.Le voulût-il,

Page 176: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

Iy0EXÉGÈSE DÈS LIEUX COMMUNS

un riche ne blessera jamaisles Convenances. Cela

lui est aussiimpossible que

d'entrer dans le

Royaumedes Cieux.

XCV

Être de bonne foi.

Je suis de bonne foi. J'ai tué mon père de

bonne foi. J'ai cru lui rendre service. Je le crois

encore. Ils'ennuyait

de vivre, depuis longtemps,

et tous les voisins pourront vous dire que c'était

un vieillard très-difficile.

Mettez-vous à ma place, messieurs les jurés, que

pouvais-je faire ? Avais-je un autre moyen de lui

prouver mon affection ? Appartenant à un autre

siècle, il me blâmait de faire la noce, ne compre-

nant pas qu'on ne saurait être de bois et qu'il faut

que jeunesse se passe. Impossible de s'entendre.

Avec ça, j'avais besoin d'argent. De toutes ma-

nières, pour lui et pour moi, il était préférable d'en

finir. Oh! il n'a pas souffert, allez! Je l'ai abattu

d'un seul coup, avec la plus grande humanité, n'é-

tant pas de ceux qui se plaisent à faire souffrir.

Si tout le monde faisait comme moi, on s'embête-

rait moins et les vaches seraient mieux gardées.

Page 177: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXEGESE DES LIEUX COMMUNS171

I

n.

XCVI

N'être pas le premier venu.

Ce n'est pas lepremier

venu. Lorsqu'un père-de

famille, c'est-à-dire le chef d'une importante mai-

son de commerce, a dit cela d'un monsieur Trouil-

lot; par exemple,on est fixé. C'est Trouillot

qui

aura la fille.

Leplus

haut titre auxyeux du Bourgeois, c'est

de n'êtrepas

lepremier

venu. Il vous accablerait

de son mépris, si vous lui disiez que Napoléon

était lepremier

venu. Le soixante-dix-huitième,

si vous voulez, mais le premier, jamais dela vie.

Ledernier non plus. L'Evangile

ditque

les derniers

seront lespremiers, et

leBourgeois

s'en souvient.

Cequ'il

déteste par-dessus tout, c'est qu'on soit

le premier ou le derniern'importe où, n'importe

comment et n'importe quand.Il faut être dans le

tas, résolument etpour toujours.

Page 178: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

I72EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

xcvii

Jeter sa gourme

ou

Il faut que jeunesse se passe

ou

On n'est pas de bois.

Un filsprodigue qui n'a pas gardé les cochons,

mais quiaurait eu un fier besoin qu'on le gardât

lui-même, est revenu chez sesparents après avoir

étudié trois ans à Paris. Ily

a lieu de croireque

ses études ont été poussées assez loin, car il a une

belle couronne autour du front, une lèvre de moins,

des yeux qu'on prendrait pourdes

chrysanthèmes

et quatre champignonsbleus sur la face.

Je ne sais si on a tué un veau gras, mais il se dit

couramment quece

jeunehomme a «

jeté sa gour-

me », etc. Lejournal

de l'endroit annonçait hier

le riche mariage de cet héritier avec la fille aînée

du vétérinaire. On sereprésente sans

peine l'envide

quela timide et

pure fiancée doit exciterparmi

les

vierges.

Page 179: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES UEL'X COMMUNS173

XCVIII

Faire un bon mariage.

En principeet d'une manière générale, ce

qu'oa

appellefaire un bon mariage consiste à

épouser

n'importe qui.Rien n'est plus facile à démontrer.

Epouser quelqu'unde connu, quelqu'un ou

quel-

qu'une quiserait une personne plutôt qu'une autre,

supposenécessairement un choix fondé sur une

estime particulière. Or, dans lajurisprudence du

Bourgeois, cela, ai-je besoin de le dire? est un dé-

sordre quine

peutêtre

supporté.

Lapremière

etindispensable

condition pour la

pratiqued'un bon mariage, c'est de faire

passer

l'argent avant toute autre considération, en ayant

bien soin de se dire que toute autre considération

serait oiseuse et, par conséquent, pleine de danger.

L'arithmétique est le sûr préliminaire, le seul

prélude, la guitare unique pour des gens sérieux

qui ont décidé de coucher ensemble. La bénédiction

du prêtre, si la clientèle exige cette formalité sans

importance, et la mainlevée plus décisive de l'offi-

cier municipal, doivent aller à des unités humaines

qui s'ignorent autant, et même beaucoup plus, quedes animaux en chaleur. C'est ainsi et non autre-

Page 180: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

1,74EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

mentque

se conditionnent les bons mariages etque

naissent les enfants d'argent.

XCIX

Faire une fin.

C'est-à-dire faire un mariage bon ou- mauvais.

Mais lapensée

du Bourgeois est, ici, passablement

enveloppée,car il me semble

quele mariage, de

quelque façon qu'onle veuille entendre, est encore

plusun commencement qu'une fin.

L'acception purement philosophique du mariage

envisagécomme la fin du Bourgeois n'est

pasrece-

vable. La fin du Bourgeois, c'est lui-même, et bien

plus qu'ilne

pense, infiniment plussans doute que

Dieu n'est la fin de laplupart

des chrétiens. Jamais

idole mexicaine oupapouase

ne fut adorée comme

le Bourgeois s'adore etn'exigea des sacrifices

humains aussi effroyables.

La guerre monstrueuse du Transvaal est un

holocauste aux bourgeois anglais dont letype,

à

l'heure actuelle, paraîtêtre l'horrible manufacturier

de Birmingham. Dira-t-onque l'Angleterre

est en

train de faire une fin?J'y

consens de tout mon

cœur, mais il nes'agit, en ce cas, d'aucun mariage

Page 181: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

et le Lieu Commun reste obscur. Qu'il s'en aille

donc à tous les diables

C

Se faire une raison.

Le verbe « faire » est un desplus

difficiles de

la langue française, surtoutlorsqu'il est pronomi-

nal ou réfléchi, comme disent les bons grammai-

riens. Si vous voulez vous former une idée de l'a-

bîme qu'il peut y avoir entre l'une et l'autre de ses

acceptons innombrables, dites-vous qu'un homme

occupé à se faire la barbe peut, en même temps,

« se faire une raison ». Je me hâte seulement de

remarquer que tout homme peut se faire la barbe,

mais qu'il n'appartient qu'au Bourgeois de se faire

une raison.

En voilà encore un qui n'est pas facile Je sais

bien qu'il n'y a pas beaucoup de lumière à espéreren général, d'une confrontation des Lieux Com-

muns avec leur acception ordinaire.Cette acception,

toujours dépassée, reste par terre, à des distances

incalculables du sens vrai qu'on s'imagine planantdans les cieux. Essayons pourtant.

Ernest Mijoton, quatrième clerc d'avoué, atten-

Page 182: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

17ÔEXEGESE DES LIEUX COMMUNS

dait sa maîtressedepuis cinq quarts d'heure. Il

faisait ceque

les routiers du Lieu Communappel-

lent un chien detemps. Attendre une créature,

même délicieuse, lespieds dans la crotte et le nez

gelé, paraîtêtre au-dessus de tous les

courages. Il

avait beau se remémorer lesplacets et les

qualités

dont la rédaction avait charmé les heures dujour,

laprocédure,

il le sentait bien, ne remplissait pas

son cœur et ceplanton dans la sauce le

déprimait

excessivement.

Ses affaires d'amour allaient mal. Eléonore se

f chait de lui avec uneremarquable désinvolture.

L'avant-veille elle l'avait fait poser deux heures et

demiepour

venir enfin lui serrer furtivement la

main et prendre aussitôt la fuite avec des airsmys-

térieux. Une semaineauparavant, ayant

eu l'oc-

casion de la convaincre du plus impudentde tous

les mensonges, elle lui avait cassé sonpropre para-

pluie sur la tête, enplein

café du boulevard, après

l'avoir accabléd'injures.

On les avaitjetés

à la

porte, inondés d'ignominie.

Bref, il aurait dû rompre vingt fois, mais il ne

pouvait, quelle quefût sa

rage,aller au delà de

quelquesobscures

protestations d'indépendance.

Il suffisait alorsque la charmante enfant le traitât

de «grand serin » pour qu'il

se retrouvât instanta-

nément et inextricablement ligotté. C'était, d'ail-

leurs, un beau caractère.

Ce soir-là, ilattendit en vain

prèsde quatre

Page 183: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS171

heures et ne s'en alla, fort enrhumé, qu'au dernier

coupde minuit, en se disant, suivant son habitude

invariable, depuisune vingtaine d'années, qu'il

fallait se faire une raison.

Comme cette histoire est sur lepoint

de devenir

embêtante, jevais

l'expédieren

peude mots. Après

quelquesmois encore de cette existence, il fallut

enfermer letrop

fidèle Mijoton dans unhospice

d'aliénés. Etait-il enfin parvenu à se faire une

raison? Qui nous le dira? Mais c'était un imbécile

d'avenir et il futpleuré.

CI

monteur une affaire.

Autant dire monter un coupou monter le cou.

Laplus belle affaire du monde serait le lotisse-

ment ou la vente audoigt mouillé du Paradis ter-

restre. Ily aurait de l'argent à gagner,

si l'état

embryonnaire de nos connaissances géographiquesne s'y opposait pas invinciblement. Par bonheur,

il est caché, ce lieu de délices, bien caché et bien

gardé. Tout fait présumer qu'il sera encore à naî-

tre dans dix mille ans, le premier bourgeois quiaura la permission d'y pénétrer.

Page 184: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

178EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

Essayezde vous mettre en face de cette horreur

l'exploitationet le

dépeçagedu Paradis terrestre

l'irruption du notaire, du métreur, de l'entrepre-

neur et des tramways électriquessous ces ombrages

de six mille ansqui

ont vu l'Innocence humaine. 1

Par nature le Bourgeois est haïsseur et destruc-

teur de paradis. Quand ilaperçoit

un beau Do-

maine, son rêve est decouper

les grands arbres,

de tarir les sources, de tracer des rues, d'instau-

rer des boutiques et des urinoirs. Il appelle ça

monter une affaire. On m'assure qu'il existe, sur

le Golgotha, uneentreprise avantageuse de com-

modités.

cil

Encourager les beaux-arts.

Quand le Bourgeois,retiré des affaires, a marié

sa dernière fille, il encourage les beaux-arts. Çaet

les timbres-poste, ça va toujours. Ceprécieux

encouragementconsiste à payer fort cher la came-

lote ou le gratin des artistes décorés. Entre Mem-

lingencore inconnu et un peinturier du Luxem-

bourg,il n'hésitera pas

une seconde. Si vous lui

proposezune toile d'un garçon de génie non ins-

Page 185: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXEGESEDES LIEUX COMMUNS

12

crit dans les diptyquesde la Commande, il vous

répondra qu'il n'encourage pasla «

soulographien.

Son flair est inconcevable pour discerner les ou*

vriers de néant, les crétins du tube, les avilisseurs.

Ces derniers, surtout, lui sont chers. Ils lui donnent

tellement ce qu'il lui faut Sa soif intime, son désir

profond, sa croisade à lui, c'est de mettre le Beau

par terre, au-dessous de la pire ordure, et rien, ne

vaut les cochons d'artistes pour cette besogne.

Si l'Enthousiasme ne poussait pas des cris de

rhinocéros écorché, quand on veut le faire entrer au

bordel, il faudrait ce mot pour exprimer l'espèce

d'agitation surnaturelle dont il est ici parlé.

CIII

De la discussion jaillit la lumière.

Chez lepeuple

iljaillit

surtout des claques et la

lumière, en ce cas, ne pourrait être qu'une allusion,

unpeu lourde, aux trente-six chandelles mention-

néesplus haut. Chez le Bourgeois, ça se

passe

autrement. Pénétrez dans un café d'habitués, un de

ces bons vieux cafés d'employésou de

boutiquiers

où tout le monde se connaît, où le patron toujours

affable serre la main à tous ses clients, oùl'appa-

Page 186: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

l8o EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

rition d'un étranger donne lieu à des réflexions moi-

sies sur l'alliance franco-russe. Il ne sepassera pas

certainement vingt minutes avant que vous assis-

tiez à une discussion à propos d'une péripétie de

la manille, d'unpoint

contesté aujeu de billard ou

de tout autre objet d'un intérêtpalpitant.

Vous verrez alors seproduire

tout doucement la

lumière, lumen rectis, comme dit leProphète Roi.

Ce ne sera peut-être pasla lumière sur le

pointen

litige, rigoureusement,mais ce sera du moins la

lumière ou une quasi-lumière sur les contendants

eux-mêmes.

Vous apprendrez quele patron de l'hôtel meublé

a fait faillite sous laprésidence de Mac-Mahon; que

legros

marchand de fourrages, grains et issues, est

le fournisseur attitré du panier de son de la guil-

lotine que le boulangera

passéau

bagne« les plus

belles années de sa vie » enfinque

le vérificateur

de l'enregistrement,homme

profondément cor-

rompuet

quisait

parfaitementà

quoi s'en tenir

sur la conduite de sa belle-mère, passe pour être,

en mêmetemps, quelque

chose comme l'oncle ou le

neveu, par alliance, de sa propre femme; etc., etc.

Tout vous sera dévoilé, àl'exception d'un

unique

point.Vous ne comprendrez pas que ces honnêtes

gens,loin de se casser la figure, reprennent tran-

quillementleurs cartes ou

leur jacquet, aussi-

tôtaprès

la discussion. C'estqu'alors la jaillis-

sante lumière est obtenue et qu'il serait déraison-

Page 187: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS t8ï

nable de continuer desengueulades qui n'ont plus

d'objet.

CIV

Qui n'entend qu'une cloche n'entend

qu'un son.

Il semble puéril de conclure quele même indi-

vidu qui entendrait une dizaine de cloches, par

exemple,entendrait une dizaine de sons différents

etantipathiques

les uns aux autres. Pourtant c'est

exactement ceque

le Bourgeoisveut dire.

Au fond il lui faut des cloches contradictoires,

des clochesqui hurlent de sonner ensemble, des

cloches sourdesqui

ne s'entendentpas

elles-mêmes.

L'harmonie surnaturelle des carillons de nos églises

l'exaspère et l'idiotifie. Observez-le, un jour de

grande fête, au moment où les cloches sonnent à

toute volée. Vous sentirez, vous verrez en lui la

présence d'une bêtequi

se retourne etqui tressaille.

Les cloches bénies vont atteindre, jusque dans les

entrailles de cet homme, on ne saitquelles appé-

tencesmystérieuses vers l'anarchie. Car tel est le

secret duBourgeois.

Il est anarchiste, mystérieuse-

ment, dans lesprofondeurs.

Page 188: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

l82 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

Par làs'explique

sa haine des cloches, lesquelles

ne peuvent être consacrées que parun

Evêque,

annonciateur et démarcateur d'Unité divine. Une

cloche unique,un son

unique,auraient trop

l'air de

venir du ciel, et c'estpour

celaqu'ils

font peur.

GV

Le soleil luit pour tout le monde.

Plus ou moins, cela va sans dire. Il est certain

qu'ilne luit

pasautant pour

les Groenlandais que

pourles habitants des Iles de la Sonde. Il est éga-

lement incontestable quela lumière de cet astre est

pluséclatante pour les

clairvoyants que pour les

aveugles.

Ce Lieu Commun, j'aile

regretd'avoir à le dire,

manqueun

peud'exactitude. Il n'a

pas la belle

tenue ni la haute allure de tant d'autres mention-

nés déjà.Il me semble qu'on me

passe l'irrévé-

rence d'extraction savetière, comme ces fameux

Droits de l'Hommequ'il

a laprétention d'allégori-

ser. Quand vous l'entendez, soyez sûrque

vous

êtes dans levoisinage

d'uncitoyen honorable qui

songe à vous chambarder pour s'installer à votre

place. Equivalent de la célèbre formule d'expro-

Page 189: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 183

priationOte-toi de là

que je m'ymette. Seulement

on ne sait pas ceque le soleil vient faire ici.

Mais voyez lemystère des Lieux Communs.

Depuis environ dix ans, jene

peux entendre celui-

là sans une sorte de terreur. Au même instant,

jerevois un

épouvantable bonhomme qui faisait

l'usure etqui était aveugle comme Homère. Mais

ses mains sales valaient une dizaine d'yeux est il

vous détroussait à tâtons avec une prestesse, une

subtilité, une sûreté, une compétence inégalables.

Il affectionnait, je ne sais pourquoi, ce Lieu

Commun qu'il répétaità tout

propos,lui

suppo-

sant, j'imagine, unpouvoir fascinateur, et c'était

une chosepanique, je vous assure,' que

la face de

cecompagnon

des ténèbres qui parlaitdu

glorieux

Soleil, enayant

l'air de vous fixer de ses deux yeux

blancs.

CVI

Tout le monde a plus d'esprit que

Voltaire.

Quand se décidera-t-on à fonder unprix

de deux

cent mille francspour le malin

quidira ce que

c'estque

« tout le monde » ? Je ne legagnerais

Page 190: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

184 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

pas,étant de ceux qui pensent que Voltaire, vu de

pasbien haut, paraît

avoir été aussi sot que tout

le monde, cequi jette peu de clarté sur la locution

énigmatique.

LeBourgeois,

en saqualité

desuffragant uni-

versel, doit croireque

Voltaire estavantagé par

ce Lieu Commun, puisqu'il suppose qu'il n'a pas

fallu moins quela masse entière, la totalité des

hommes et des femmespour bloquer plus d'esprit

quen'en eut ce

patriarchedes imbéciles malfaisants.

Mais lesophisme

est trop manifeste. Cequi

est

demandé parle

Bourgeois,c'est un niveau, rien de

plus.Tout le monde, c'est lui-même, indéfiniment,

au ras de la crotte, et il a raison d'imaginer

Voltaire plus bas. Voltaire est son orifice excré-

mentiel.

CVII

Qui veut trop prouver ne prouve rien.

Attention. Je veuxprouver, par des moyens

honnêtes, un théorème de géométrie, un fait histo-

rique,une assertion de théologie morale, tout ce

quevous voudrez. A quel moment, à quel point

précisdevra s'arrêter ma

preuve ?

Page 191: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS l85

J'avais crujusqu'ici qu'on prouvait ou qu'on ne

prouvait pas. J'apprends tout àcoup qu'on peut

prouver trop.Voilà

quirenverse toutes mes idées.

On peut manger trop,boire

trop,cela se com-

prend.On

peutêtre trop bête ou

trop cochon,

cela s'est vu. Ilparaît

mêmequ'on peut

êtretrop

honnête, ce qui est rarement le cas du Bourgeois,

hommed'équilibre

et de juste tempérament. Mais

prouver tropet par là même ne prouver rien, c'est

unprodige qui

me dépasse.

Tournons le dos au tableau noir etpassons

la

tête entre nos jambes, pourvoir le problème

à

l'envers. Voilà quiest fait. Je vais

essayer, cette

fois, de ne pas prouvertout à fait assez, de m'ar-

rêter à unpetit

cheveu de l'endroit où lapreuve

seraitcomplète.

Victoire! Neprouvant pas trop,

j'ai enfinprouvé quelque chose. Hélas à l'instant

même, cette preuve me condamne. Par cela seul

qu'elle existe, elle existe intégralement. Donc le

cheveu est dépassé. Malgré mes précautions, j'ai

trop prouvé et, par conséquent, je n'ai rien prouvé

du tout. Impossible de s'échapper de ce cercle où

périront les mathématiques, les philosophies et

toutes les sciences.

Page 192: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

186 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

CVIII

Il n'est j amais trop tard pour bien faire.

Hostilité de l'adverbe «trop

». Nous voilà

encore embêtés. Se pourrait-ilvraiment

qu'ilne

fûtjamais trop

tard? Devons-nous croirequ'il y

a une heure où il est assez tard, sans être trop

tard et une autre heure où il est trop tôt et qui

serait la bonne pour mal faire? Cette dernière heure

siimportante,

où commence-t-elle, et où finit elle ?

Dois-jem'arracher des bras du vice, à 5 heures et

demie du matin, pourme

précipiter,à 6 heures

moins unquart,

dans ceux de la vertu? Est-ce

assez tôt, ou unpeu tard, ou même très-tard,

sans être trop tard ? Ferai-je mieux d'attendre à

7 heures du soir ou à minuit? etc.

Mais laissons tout ça. Dequoi s'agit-il,

en subs-

tance, etqu'est-ce que

les Lieux Communs, sinon

la langue du Bourgeois ?La langue du

Bourgeois,

songez donc! Alorsquoi de plus simple?

etqu'est-

ceque bien faire,

sinon faire ce queveut le Bour-

geois, cequi

lui plaît, ce qui lui profite, ce qu'il

ordonne en ses commandements, et rien de plus ?

Il est bien certain, par exemple, que si vous

voulez vous faire casser la figure pour lui et lui

Page 193: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS18ï

12.

donner tout ceque

vous possédez,il

pensera que

vous faites votre devoir, un peu tard peut-être,

mais pas trop tard. Inversement, s'il trouve lemoyen

de vous.prendrevotre argent,

votre maison, votre

femme ou même votrepeau

etque

cela lui semble

utile ou agréable,vous n'avez

pasle plus petit

mot

à dire. Il fait très-bien, absolument bien etjuste

à

l'heure qu'il faut, puisquec'est l'heure de son bon

plaisir, quine sonne jamais trop

tard.

CIX

Petit à petit, l'oiseau fait son nid.

VilainBulgare

1 s'écria la comtesse de Sainte-

Périne. Elle avait raison. Il est sûr qu'onne

pour-

raitjamais rencontrer un

plushaïssable bougre

que ce rédacteur en chef. C'est le mufle sans épi-

thète, le Mufle absolu. C'est lui et nonpas

un autre

qui, recevant la visite d'un grand poète,mort au-

jourd'hui, venu pourlui offrir une pièce de vers

dont sa morne gazette eût été incroyablement

honorée, affecta de ne pas même se retourner et fit

cetteréponse

devenue célèbre Soyez donc

assez bon, cher monsieur, pourmettre vous-même

votre manuscrit dans lepanier.

Page 194: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

l88 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

Belle idée queson mari avait eue de

l'envoyer

là Le ruffian l'avait accueillie avec une insolence

telleque,

toutepréparée qu'elle fût, par son anté-

rieureprofession

de sage-îemme, à tous les élans

du goujatisme, elle en avait étésuffoquée. Bien loin

d'emporterla résistance de cette brute, comme elle

s'en était doucement flattée, il ne lui avait même

pasété

possiblede placer un mot. C'était bien la

peinede se compromettre. Gonflée de rage, elle

revint à la maison.

Le docteur Maurice de Sainte-Périne, mari de

sa femme et comte parl'effet d'une sélection mys-

térieuse, était l'arriviste surprenant, aujourd'hui

connu et même consulté, qui avala, en moins de dix

ans, le Fleuve de Crotte. Al'époque de ce récit, il

débutait à peine et venait de s'unir audacieusement

à une sage-femme de province dont une ville de

trois cent mille âmes avait été fière. De même que

le soleil met un peude

joie lumineuse chez l'indi-

gent,cette personne crépue et mordorée était venue

mettre chez ce carabin un peu d'obstétrique. Ils se

comprirentet se soutinrent, l'épouse ayant un reste

de ragoûtet

l'épouxun commencement de flair.

Ce dernier avait conçu le dessein, que l'idiotie

contemporainelui a

permisde réaliser en

partie,

d'une sorte de clinique littérairepour salle à man-

gerou train

rapide, parle

moyen d'unjournalisme

d'Epidaure périodiqueou intermittent. En termes

plus clairs) ils'agissait

de glisser dans les feuilles

Page 195: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS l8()

lues comme un infirmier perfide glissedes ca.

nules dans les derrières depetits

articulets

émollients où personne,bien entendu, n'était offensé.

Chroniquesmédicales incolores, fluides et neutres,

assez comparablesà des lavements inefficaces

qu'onutiliserait pour

lepot-au-feu. C'était embê-

tant et tiède, mais non sans effet sur le jabot de

quelques illustres, heureux tout de même de la

gratuitédu laudanum.

A force de platitudes et de saletés, l'indécoura-

geableMaurice est arrivé à se faire

prendre pour

une quasi-autorité, pour un observateur sagace,

pourla plus

fine d'entre lespunaises de l'informa-

tion spécialeet à s'introduire ainsi dans les fentes

sociales, dans les lézardes ou les fissures de la

vieille boutiquedu Monde. Il a même trouvé, m'a-

t-on dit, une clientèle, et sa femme, dont lapâte

lourde a eu letemps de lever dans le pétrin de

leur misère, jouitenfin d'un salon.

Mais, jele répète, au moment

quinous

occupe

toutes ces grandeurs étaient à venir. Le docteur

Maurice, non encore émancipédes

expédients quo-

tidiens de la domesticité la.plus basse, utilisait sa

compagne pourle placement de sa copie. Il comp-

tait sur cette Lucine pour l'accouchement des bien-

veillances obstruées et la délivrance heureuse des

bonnes volontés àgestation lente.

Qu'on n'aille pas croire, cependant, que j'insi-

nue des turpitudes.La sage-femme ne récompen-

Page 196: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

19°EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

saitpersonne,

se bornant à être lancinante etopi-

niâtre. Libre à chacun de désespérerou de rêver,

mais on n'entendit jamais parler d'aucun suicide.

Sais-tu cequ'il

m'a dit ? cria-t-elle, en arri-

vant, au comte Maurice Flagornant de la Lêcherie

du Val des Aménités de Sainte-Périne. Eh! bien,

voici ses propres paroles« Le genre d'imbécillité

de votre mari ne saurait nous convenir. Ça ferait

double emploiavec un autre salaud déjà connu et

estimé de notrepublic. D'ailleurs, sa gueule ne me

revient pas,la vôtre non plus.

Ainsi donc, par file

àgauche et foutez-le camp. »

Le docteur comte a un nez vastequi

luipermet

de renifler avecpuissance. Ayant

donc revigoré le

concile de ses pensées parune généreuse prise

d'air, ils'approcha, l'œil picoté, de sa sage-femme

qui s'était laissé tomber sur une chaise et la baisant

pieusementau front, lui dit avec lenteur, du ton

inspiréd'un barde

antique

Pauvre amie 1 console-toi. N'avons-nouspas

letémoignage de notre conscience? Il faut se faire

une raison, rien n'est absolu et on nepeut pas

tout avoir. N'oublie pas qu'il faut êtrepratique et

marcher avec son siècle. Puis, après tout, on n'est

pas sur la terre pour s'amuser. Patience Paris n'a

pas été bâti enun jour, c'est vrai, mais le soleil

luitpour tout le monde et, petit

à petit, l'oiseau

fait son nid.

Ce jour-là,dit le poète, ils ne

lurent pas plus avant.

Page 197: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNSI9I

ex

Les petits ruisseaux font les grandes

rivières.

Ainsi parlemon

épicier empochantles sous des

misérables. Ainsi parletel financier raflant

l'épar-

gnedes humbles gens.

Ainsi parle Chamberlain en

voyantcouler le sang des petits enfants des Boers.

Et tous trois disent exactement la même chose.

CXI

On ne peut pas être et avoir été.

Vous voustrompez,

cheremployé des

Pompes

funèbres, et la preuve, c'estqu'on peut avoir été

un imbécile et l'être encore. C'est même le contraire

qui n'arrive pas. Donc, vouspouvez dans l'Ab-

solu être et avoir été n'importe quoi, madame

votreépouse aussi, n'en doutez

pas, soit dit sans

vous offenser.

Page 198: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

IQ*.EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

Mais Dieu nouspréserve des j ugements témé-

raires Le fond de votre maxime ne serait-il pas

tout bêtement qu'on ne peut pas être jeune tou-

jours, au moins dans le sens de la reproduction de

l'espèce ? 0 François Coppée, doux ami, quel trait

de lumière

GXII

Si jeunesse savait,

si vieillesse pouvait!

Qu'arriverait-il ? Leprudent Bourgeois

segarde

bien de le dire. Qu'on le sache donc une bonne

fois. Sijeunesse savait, elle

accompliraitdes co-

chonneries dont la vieillesse elle-même n'a aucune

idée, et si vieillessepouvait,-

la vieillesse du Bour-

geois,bien entendu encore une fois, qu'arrive-

rait-il ? Je vous le donne en cent.

Ellepratiquerait

la vertu 1 et la face du monde

serait changée. Tel est le secret redoutableque j'ai

longtempshésité à divulguer.

Page 199: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EYGGÉSE DES LIEUX COMMUNS ig3

CXIII

Si on savait tout!

On serait Dieu, situation infiniment désagréable,

parce qu'alorson serait forcé de nier sa

propre

existence sous peinede

passer pourun imbécile,

de sebrouiller avec le Vénérable de sa loge et d'être

mal noté dans lequartier.

On ne trouverait plusde

crédit nulle part et on ne serait plussalué par

personne.On

passerait pourfaire des miracles et

pouravoir un crucifié dans sa famille. Enfin une

vilepopulace

dénuée dephilosophie

et confondant

la Substance avec l'Accident, appelleraitcalotin

l'omniscient Bourgeois inculpé de divinité.

Ah! croyez-moi,le

plus sûr,c'est de ne rien

savoir et surtout de ne rien tirer du néant, à com-

mencerpar

soi-même. Au surplus, n'est-ce pasla

tradition? Aquelle époque,

voulez-vous me le

dire? les ancêtres de nos bourgeoisont-ils cru

pro-

fitable de créer la lune et les étoiles? Ily

a tant de

chosesqu'il

est avantageux d'ignorer et tant d'autres

qu'il est utile de ne pas l'aire! Le but de la vie n'est-

ilpas uniquement

de gagner beaucoupde galette

etd'acquérir, par

ce moyen, la Mort éternelle?

Page 200: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

194EXÉGÈSE DES LTfiUX COMMUNS

CXIV

On ne saurait penser à tout.

Soyons raisonnables, n'est-ce pas?Je suis forcé

de penserà mes

affaires, d'abordensuite aux af-

faires des autres, pourles fourrer dedans, s'il est

possibleenfin à mes

plaisirs.Où diable voulez-

vous que je prennele

tempsde penser à autre

chose ?

Vous me parlez de Dieu, c'est bien gentil de

votrepart mais, sérieusement, qu'est-ce que

vous

voulezque j'en

fasse de votre bon Dieu ? Jamais

je n'y pense, jamais je n'yai

penséet

quand je

serai sur lepoint

de crever, je vous prie de croire

que je n'y penserai pas davantage.Les

prêtres le

disent eux-mêmes, on est poussière et on retourne

enpoussière.

Alors pourquoi s'embarrasser de tou-

tes ces blagues ?

Vous êtes vraiment bien rigolo de vous intéres-

ser à mon âme, comme sije m'intéressais à la

vôtre, moi Oh là là on voit bienque vous

n'êtes pas dans le commerce. Si vousy étiez, vous

sauriez que,loin de pouvoir penser à tout, on a

bien assez et même trop, quelquefois, depenser

à

son livre de caisse. Tenez, mon cher monsieur,

Page 201: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DRS LIEUX COMMUNS195

voulez-vous que je vous dise ? Je demande un bon

Dieu qui soit dans les affaires. Alors on pourrait

s'entendre. Il n'auraitpas

letemps,

lui non plus,

de penserà tout. Il ouvrirait le dimanche, pour

sûr, et il nous ficherait lapaix, je

vous en réponds.

Telles sont lesparoles

de celuiqui

a remplacéle

Génie farouche qui apostrophaitautrefois les navi-

gateurs téméraires, auCap

de Bonne-Espérance.

cxv

On ne peut pas faire deux choses

à la fois.

Traduction en langue bourgeoise duNemo potest

duobus dominis servire. Nul nepeut servir deux

maîtres. C'est une espèce depudeur qui empêche

de citer bravement le Texte et nous en sommes

avertis par le mot chose. C'est commequi

dirait

Il est tout chose, il a mal à son chose ou il a peur

de montrer son chose. Car le Bourgeois a lapu-

deur de ce quiest beau ou noble, comme d'autres

ont lapudeur

de ce qui estmalpropre ou hideux.

Nuance où se manifeste songénie.

Toutefois le Texte saint, même traduit de la

sorte, ne l'enchaîne pas, car cepossédé de Celui

Page 202: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

I96EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

qui se nomme Légion, locataire, sans le savoir, des

sépulcres du désert et que deux mille cochonspour-

ront à peine déménager, quandil le faudra, échappe

continuellement à tous sesdompteurs.

LeBourgeois

ne seraitplus lui, s'il marchait

avecl'Esprit

duSeigneur.

Il accordequ'on

nepeut

pas faire deux choses contradictoires, sans doute,

mais dans le seul cas où on entreprendrait de les

faire simultanément. De toute autre manière, ça

va très-bien. Honorer sonpère, par exemple, et

lui lancer auvisage

unpaquet

d'ordures sont pour

lui deux actes conciliables, si on est attentif à ne

pas lesaccomplir

dans le même quart d'heure.

Tout est là, ne pasfaire deux choses à la

fois.

Admirable tempérament d'une doctrine trop rigou-

reuse. Il suffit d'en regarder lesconséquences,

les

applicationssans nombre.

Quand viendra le Cordonnierqui

doit fixer défi-

nitivementl'Evangile?

CXVI

Chaque chose en son temps.

« Tout a sontemps, dit l'Ecclésiaste, et toutes

choses sous le ciels'accomplissent

en leurs temps.»

Page 203: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 197

Ily

a temps de naître à Bethléem ettemps

de

mourir au Golgotha;

Temps de planterla Croix et

temps de l'arra-

cher

Temps de tuer les âmes et temps de les guérir

Temps de détruire la Maison d'or ettemps

de

bâtir la maison d'argent;

Temps de pleurerau passage du Christ sanglant,

comme pleuraientles Filles de Jérusalem, et

temps

de rire comme rira la terrible Femme au Dernier

Jour;

Temps de se désoler avec laVierge aux

Sept

Epéesdans le cœur et

tempsde danser avec la fille

prostituéede l'incestueuse pour obtenir le Chef de

saint Jean;

Tempsde

disperserles

pierresvivantes et

temps

de les rassembler;

Tempsd'étreindre le Bien-Aimé qui vient en

bondissant par les collines ettemps de fuir les

embrassementsépouvantables

dont nul ne délivre;

Tempsde tout

acquériret

temps de toutperdre;

Tempsde

garderla Loi du Seigneur et temps

de

larejeter comme un vêtement inutile

Temps de déchirer en deux le Voile dutemple

et

temps de coudre le Suaire duRédempteur;

Tempsde se taire sous les

outrageset

tempsde

parler dans les éclats de la foudre;

Temps de l'Amour fort comme la mort et temps

de la Haine délicieuse comme l'Eucharistie;

Page 204: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

198EXÉGÈSE des LIEUX COMMUNS

Temps de laguerre

contre les saints ettemps de

la paix irrévélable des heureux morts.

Quelle autre chose, demande Salomon, l'homme

peut-il espérer de son labeur?

J'attend du mien la ressemblance avec les

Démons et mon logement préparédans leurs habi-

tacles de désespoir, répondrale Bourgeois, quand

sera venupour

lui le tempsde répondre avec un

discernement parfait.

CXVII

Le temps, c'est de l'argent.

Jusqu'àla

réponse absolument sûre, infaillible

et lumineusequ'on

vient de lire, leBourgeois

ne

manquera pas d'observerque

tout ces divers temps

mentionnéspar

l'Ecclésiaste etqui

sont la somme

des temps ne représentent quel'AnsErrT sous dos

vocables inutilement multipliés. Même le temps de

mourir celui-là surtout est de l'argent à ses

yeux.

Il faut donc qu'il y ait là une vérité profonde, la

Vérité même car on ne se trompe pas ainsi. A

l'instar des valeurs ou des poids égaux, le temps

et l'argent se balancent et s'équilibrent dans l'Infini.

Page 205: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 199

Lorsquele Seigneur des mondes s'est laissé vendre

trente pièces d'argent, il étaitjuste au milieu des

Tempset les concentrait en lui de la manière la

plus expressive,la

plus foudroyante,la

plus ini-

maginable.

C'est à celaque tendent continuellement, sans le

vouloir et sans le savoir, les paroles dupauvre

Bourgeois, plus terriblesque les ouragans.

CXVIII

L'argent n'a pas d'odeur.

C'est tout de mêmeréjouissant de pouvoir se

direque

les Flaviens couverts de gloire n'étaient

pas moins insatiables niplus dégoûtés que nos

bourgeois. Vespasien, qui pouvait manger deux

mille sesterces à chaque repas,comme Vitellius,

nedédaignait pas d'utiliser le pipi romain et de

faireargent

de tout cequi pouvait

sortir des maî-

tres du monde.

L'exemplen'a

pasété perdu et les

spéculateurs

duvingtième

siècle aiment à s'enprévaloir. Seu-

lement cette famille d'empereursavait abattu Jéru-

salem et mis à mort onze cent mille Juifs, tandis

que les bourgeois s'associent avec Israël pour le

Page 206: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

200 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

rendement des lieux. Cela fait une différence.

Tire-moi, dit la bien-aimée duCantique, nous

courronsaprès toi, dans l'odeur de tes parfums.

CXIX

Plus on est de fous, plus on rit.

A boire 1 demanda lapauvre femme, d'une

voixqui était à peine

unpeu plus qu'un souffle. Pas

deréponse.

Elle pensa que c'était l'heure de son

agonieet

essayade s'exciter à la contrition de

ses fautes. Plus tard, une autre gardienne venant

àpasser,

elle parvint,en réunissant toutes ses

forces, àprononcer

distinctement ces mots qu'elle

croyaitirrésistibles Madame, un verre d'eau,

pourl'amour de Dieu 1 Mais l'amour de Dieu a peu

de crédit à l'Assistancepublique. L'employée,

la

regardantà

peine,haussa les

épauleset continua

son chemin. Alors l'infortunée Géneviève se sentit

réclaméepar

le désespoir.

On l'avait menée làparce que son mal, très-dan-

gereux,nécessitait des soins

que son mari, malade

lui-même et sans ressources, nepouvait lui donner

à la maison. Dans la voiture, elle avait vu auprès

d'elle, comme une image del'impuissance du Génie,

Page 207: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 201

ce grandartiste désolé. Combien désolé Elle n'au-

rait pule dire. Elle savait seulement qu'il y

avait

là un gouffre et, dans sa propre détresse qui était

effroyable,elle n'osait pas penser

à cette détresse.

Il y avait aussi les enfants, aperçus parune fe-

nêtre, à la dernière minute, aperçus seulement,

hélas elle-même sentant bienque

sondépart

eût

été impossiblesi elle avait

entreprisde les em-

brasser. Pauvres petits leur souvenir était comme

des griffesautour de son cœur!

Aussitôt arrivée, on l'avait laissée surcette chaise

au milieu de ce vestibule, sans aucun secours,

sans moyende

reposersa tête douloureuse. Elle

avait cru trouverquelqu'un pour

la recevoir, un

litpour s'étendre, et sa

présencene

paraissait pas

même remarquée. Elle aurait donné la moitié des

jours qui pouvaientlui rester à vivre

pourun verre

d'eau fraîche et l'autre moitiépour appuyer

sa tête

contre un mur.

Au bout d'une heure environ, la surveillante

ayant achevéprobablement

de torturer desimpo-

tentes ou des agitées dans une autre salle, daigna

enfins'occuper d'elle. En attendant de la mettre au

lit, on la fit asseoir à une longue table oùquelques

gâteuses étaient installées devant des bols.Ayant

essayé de boirequelques gorgées du bouillon de

crocodile de l'Assistance, une odeur circulante et

chaude l'arrêta soudain. Elle vit alors, avecépou-

vante, que ses compagnes étaient encastrées dans

Page 208: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

202 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

des sièges en forme de petitsbahuts

et qu'elles

fonctionnaient en même temps de la barbacane et

de l'entonnoir. Mais ce n'étaitque

le commencement.

Jusque-làelle avait pu

croirequ'elle appartenait

encore à la triste foule des malheureuxqui, du

moins, possèdentleurs

corps.Il lui restait à voir

disparaîtreses vêtements d'épouse et de mère

qui

ne lui seraient rendus qu'àla sortie, s'il était dans

sa destinée de sortir. Désormais elle ne se lèverait

plus que dans l'uniforme des condamnées à la dou-

leur sans mesure ni consolation robe bleue, et de

quelhorrible bleu t tablier de cuisine, et de quelle

cuisine fichu blanc lessivépar

desimaginations

pleines de fangeet bonnet blanc

que ne tuyauta

jamais aucune innocence.

La femme du grand artiste croyait savoir ce que

c'était quede souffrir. Ame jeune, elle

supposait

quetout était jeune,

même ledémonet sapuissance.

Comment aurait-elle pu prévoirles terreurs noctur-

nes, dans cet asile, et la circonstanceeffroyable

des portesfermées à clef sur trente ou

quarante

malades, parmi lesquelles vingt aliénées ? Car ce

mélange homicide est toléré monstrueusement par

les médecins, comme s'il y avait uneconsigne

d'al-

légerl'Administration de ses pensionnaires, en les

exterminant parla

peur.Le détail est sans nom

et ferait ressembler l'enfer despoètes à une

caverne d'espérance.

Au cri d'agonie que poussera une infortunée, en

Page 209: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE 4ES LIEUX COMMUNS 203

13

voyant s'approcherd'elle un fantôme errant d'une

couche à l'autre, dans lapénombre, rien ne

répon-

dra, sinon, peut-être,d'autres

gémissements plus

douloureux encore, montés du fond despuits de

l'Angoisse.Les

gardiennes sont trop saoules pour

se réveiller ou trop occupéesde leurs saletés pour

consentir à se déranger.Si une clameur extraordi-

naire lesy force, elles accourent, enragées, avec le

blasphème, l'injure, lamenace et souvent lescoups.

Dès lapremière nuit, Géneviève, au comble de la

terreur pouravoir vu une folle

quise

penchait sur

elle en la regardant avec des yeux terribles, s'enten-

ditpromettre

la diabolique cellule où s'éteignent

infailliblement les résistances et parfois les vies.

Elle s'enplaignit,

le lendemain, au médecin en

chef, à l'heure de la visite.

Tout cela se passe dans votre tête, mapetite

dame, réponditen souriant le vieux sot et le vieux

lâche quine voulait pas contrecarrer l'Administra-

tion etqui s'éloigna en faisant des gestes de pitié.

L'abandonnée comprit qu'il n'yavait

pourelle au-

cunejustice,

aucun secours à espérer des hommes.

Elleapprit,

le même jour, queson mari avait été

frappé de paralysie et leurs deux petitsenfants

livrés à un monstre. On ne saitpas

ceque

Dieu

demande à certaines âmes.

Elle vécut, ainsi que bien d'autres, sans qu'on

puisse dire comment ni pourquoi. Avec la vigueur

surnaturelle des naufragés, elle sejeta et se cram-

Page 210: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

204 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

ponnaà l'idée chrétienne de payer généreusement

cequ'il y avait à payer pour elle-même et de secou-

rir de ses tourments les êtres chersque

son absence

mettait en danger.A

partir de cetinstant, une force

immense lui fut donnée. Sapauvre âme, portée en

haut des douleurs, envisageasans

désespoir les

perspectiveset les raccourcis de l'enfer. Elle

put

entendre les malédictions, les exécrations, les mots

atroces quifont

pleurerles Invisibles, les ricane-

ments quifont

apparaîtreles démons, les cochon-

nerieseffroyable,

leslongs sanglots. Elle

put

affronter l'obsédante, la terribleplainte

des mal-

heureuses appelantleurs

pères,. leurs maris, leurs

enfants, leurs morts. Elle connut le dragon des

pleurssans larmes de la Folie qui ressemblent

aux hurlements prolongésdes chiens lamentateurs.

Cequi

lui coûta leplus, ce fut la Sottise bour-

geoise, empanachée, gueulante et oraculaire des

internes ou des médecins, à commencer par le vieux

drôle déjà nommé, quandil débobinait, chaque

matin, devant les lits, sapalabre filamenteuse.

Habituée aux vues supérieures de son mari dont

elle avait épouséle

mépris sans bornes pourla

médecine et lessaltimbanques homicides qui

s'en

prévalent,elle se sentit

plus blessée des âneries

importantes quise débitaient sur son

corps plein

de souffrance quede tout le reste. Le

jouroù cet

onagresans beauté, ayant aperçu son chapelet,

proférale Lieu Commun

d'hôpital« C'est une

Page 211: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUY COMMUNS 205

mystique,il n'y a rien à faire », elle eut honte

d'appartenirau

genresoi-disant humain d'un tel

idiot et sejugea plus profanée par ce crétinisme

olympien que parles regards infâmes et la conco-

mitante brutalité des carabins.

Ily

a au Mexique, particulièrement à la Vera-

Cruz, uneespèce

de vautour dont le nomm'échappe,

lequela

pourfonction d'assainir la ville en dévo-

rant toutes les charognes. Il perche par milliers

sur les toits et les murs les plus élevés, observant

d'un œil infaillible tout cequi

tombe. C'est àpeine

si une ordure a le temps de toucher le sol. Cet

oiseau est l'objet d'une considérationrespectueuse.

Il ne se donne, pourainsi dire, pas

de fêtes sans

lui, et il est défendu de le tuer sous les peines les

plus sévères. Telle est laprérogative des malades

assistés dans les hôpitauxou les asiles de Paris. On

comptesur eux

pour engloutirla vieille carne et

les autres mangeailles putréfiéesdont les cochons

ne veulent pluset

qu'ilserait indélicat d'offrir à

d'honnêtes chiens.

Cetexpédient offre le multiple avantage de dimi-

nuer les chances de pestes buboneuse dans les divers

quartiers de Paris, de remédier augaspillage des

subsistances, d'atténuer chez les égrotants l'hor-

reur de la mort, enfin et surtout de faire affluer

dans lespoches laïques

etphilanthropiques des

intéressés la bonne galettesans odeur. Il

y a seu-

lement cette différence avec les oiseaux deproie

Page 212: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

-20Û EXÉGÈSE DES LIEUX COMMIS

que les malades jouissent d'une bien moindre con-

sidération etqu'il

est loisible de les crever avec

promptitude.

En se souvenant de Dieu, Génevièveput avaler

cette ordure, bénie, chaque jour, par les médecins

de la maison. Que de choses n'avala-t-elle pas Bien

qu'elle fût d'une faiblesse extrême etquasi-morte

en arrivant, il lui fut accordé de subsister làplu-

sieurs semaines et de survivre à ce qui aurait assom-

mé une géante. Elle a dit plus tard qu'elle ne com-

prenait pas qu'unevieille gardienne

aux trois quarts

démente, quila

priten haine dès le

premier jour,

n'eûtpas

réussi à la tuer.

Car l'existence des grabataires est absolument à

la discrétion de ces chiennes, ce qui tombe par-

tout ailleurs sous la rigueur des loispénales étant

là tout à fait normal, toléré etencouragé par les

bons docteurs eux-mêmes, quine

veulent jamais

rien savoir. Il faut un Décret spécial analogue à

celui de la Création des Anges pour qu'une créature

humaine échappeà ces assassins.

Une religieuse de quel ordre ?croupissait

àquelques pas, échantillon rare et

paniquede

décadence. Géneviève se demanda ceque pouvait

être une communauté capable d'envoyerlà une

épousede Jésus-Christ. Celle-là se jetait parfois

sur

ses voisines ou sur les gardiennesen

poussantdes

cris à ressusciter les Innocents massacrés, ily

a

vingt siècles, parHérode. Dans ces moments, le

Page 213: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXEGESE DES LIEUX COMMUNS 207

13.

Nom de Dieu sortait d'elle, comme l'eau refoulée

avec force d'un puits profond, et il fallait enten-

dre les plaisanteries boueuses des internes, jeunes

crapules jutées naguère sur despaillasses

de vo-

missement, dansl'allégresse

des gredineries, par

des boutiquiers sans horizon.

Une autre en cheveux courts, pas religieuse mais

plus effrayante encore, se croyait un homme, s'ha-

billait en homme autantque possible,

affectait des

allures d'homme et faisait la cour à la surveillante,

indéclinable trognon qui passait pouravoir été une

joliefille à la

prisede

Sébastopol.

Ces deux misérables, cette aboyante religieuse

et cette androgyne, pouvaientêtre sûres de leur

affaire. Parmi les hideurs de ce canton de l'Abîme

où tout est médiocre, même la mort, quoide

plus

tragique ?

La dernière visionque Geneviève emporta, pour

ne l'oublierjamais,

fut celle d'ungroupe

de folles

se cousant des robes blanchespour

la Sainte-Cathe-

rinequi approchait.

L'une d'elles, une sorte de

petite jeune fille à l'air vieux, courait sur de hauts

talons, de salle en salle, cherchant des rubans qu'elle

ne trouvaitjamais. Le jour de sainte Catherine

venu, les toilettes sinistres s'étalaient, sedéployaient

sur ces mortes sans repos, allant et venant, avec des

manières, sanspouvoir trouver leurs sépulcres.

Géneviève serappellera toute sa vie souve-

nir bizarre et cruelqui

flotte obstinément au-des-

Page 214: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

sus d'un cratère de douleurs uneespèce

de chan-

son ou de mélopée, triste comme la mandoline du

purgatoire,dont les

paroles étaient ordonnées par

la démence, mais dont le refrainsignifiait

cette

chose précise qu'onest heureux d'avoir perdu

la

raison qui faittant

souffrir!

Plus on est de fous, pluson rit.

cxx

Tout ce qui brille n'est pas or.

La notion du brillant chez les Bourgeois ne dif-

fère pasde la notion collatérale du reluisant. Esthé-

tiquede décrotteur. En littérature, par exemple,

Paul Bourgetest un brillant écrivain, toujours

jeune,et l'auteur de Quo vadis ? en est un autre, peu

éloignéde

resplendir.Toutefois de

pareilles opi-

nions supposent qu'onest à la cime de l'intellectua-

lité bourgeoise. A de moindres altitudes, un simple

boudin peut paraîtreaussi éclatant

que l'Iliade.

Mais il ne s'agit pas de ça.

Il s'agit de l'or, non de l'or des cœurs, ni de celui

dont la Jérusalem des cieux est bâtie, mais de l'or

dont on fait les pièces de vingt francs, etqui

n'est

précieux que par ce qu'il vautbeaucoup d'argent.

Page 215: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS209

Au fond, ce Lieu Commun n'est, ainsique tant d'au-

tres, qu'une façon quelconque d'exprimerla divi-

nité incommunicable de l'Argent. Car enfin l'or

peutêtre mat et, alors, le brillant ou le reluisant

qu'onlui

suppose n'égale pascelui d'une

pairede

bottes, unjour de revue. L'argent lui-même, le

sacré argent n'apas

besoin de briller, et lapreuve,

c'est qu'il ya des torche-cul d'un bleu pâle qui

ne

valent pas moins de mille francs.

CXXI

Il ne faut pas jouer avec le feu.

Le Livre des Juges raconte que Samson pritun

jourtrois cents renards, attacha à la

queue de

chacun de ces animaux un brandon enflammé et

les lâcha dans les moissons des Philistins. C'est

ainsique jouait

avec le feu le Nazaréen terrible. Je

rêveparfois

d'un Samson moderne qui mettrait le

feu au derrière de trois cents bourgeois et les lâche-

rait au milieu des autres.

Je -me demande pourtantsi ce petit jeu serait

aussi amusant qu'ilen aurait l'air. Qui sait si le

Bourgeois, même allumé de cette façon, ne devien-

draitpas quelqu'un

de prophétique ?Car le feu

Page 216: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

210 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

est, en mêmetemps,

un mot banal et une réalité

des plus mystérieuses, et quandil est annoncé, que

ce soit à voix basse ou parla clameur

désespé-

rée des tocsins, on diraitque

c'est luiqui joue

avec l'homme, tant il affole dupressentiment divin

lesplus lamentables imbéciles!

CXX1I

Le bon Dieu.

Faut-il avoir la conscience en mauvais état pour

dire le bon Dieu J'ai beau faire, je ne me repré-

sente pasun

martyr faisant usage de cetexemple

de la règle des adjectifs. Zola lui-même, quandil

paîtses vaches, s'écrie quelquefois

« Grand Dieu »

si rune d'elles vient à clocher ou à ballonner. Mais,

de lapart

de cejuste,

c'est une exclamation pieuse,

un élan du cœur, tandisque

le bon Dieu du com-

mun des gens n'implique pas un atome de dévotion.

Le bon Dieu du Bourgeois est uneespèce

de

commis dont il n'estpas

sûr etqu'il

segarde

bien

d'honorer de sa confiance. Il lepaie

mal et se

montre habituellementdisposé

à le congédier,

quitteà le

reprendre lejour même, s'il en a besoin.

Car, iln'y

apas

à dire, le bon Dieu est extrême-

Page 217: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

ment décoratif dans lesboutiques.

On sait cela

quandon est dans le commerce ou même dans

n'importe quelle manigance qui, sans être précisé-

ment le commerce, exige néanmoins cesaptitudes

flibustières dont s'honore la Bourgeoisie. Je ne

serais pas étonné si, quelque jour, un huissier de

grandebanlieue me faisait présenter un comman-

dement parle bon Dieu

parlant à mapersonne.

Enfin, et pour tout dire, le bon Dieu, si rarement,

si difficilement avalé par leBourgeois,

est tout

de même encore assez demandé parla clientèle et

cela vautqu'on

sacrifie bien desrépugnances.

En-

trez n'importe où, vous n'entendez parler quede

lui « Le bon Dieu vous viendra en aide. le bon

Dieu s'occupe de vous. le bon Dieu pour tous.

le bon Dieu sans confession. la bête à bon Dieu.

iln'y

a pas de bon Dieu, etc. » Il est vraiqu'on

s'en tire à bon marché. Le bon Dieu est tellement

dans la misère qu'il se contente volontiers d'une

croûte de painet d'un verre d'eau et qu'il

se rési-

gne aux plusbas

emplois,sans même obtenir le

repos du septième jour. Avec cela, combien de

fois ne s'entend-il pas reprocher par les plusinti-

mes du Démon de nepas

valoir le diable!

Et si c'est ce bon Dieu-làqui

doit jugertoute la

terre, le Bourgeoisa raison, je pense,

de le mépri-

ser et de l'outrager.Le malin qu'il est se prépare

ainsi de bellessurprises

et une émotion éternelle

Page 218: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

212 EXEGESE DES LIEUX COMMUNS

CXXIII

La Nature.

f Je mentionne celui-ci, parce qu'ilme rappelle

majeunesse.

Il est aujourd'huifort déchu et ne

s'utilise guère. On est devenu tropsavant. De mon

temps,la nature signifiait encore un tas de choses.

Laissez faire la nature, disait-on à toutpropos,

laissez agir la nature. Maintenant on neparle plus

quede microbes et la nature est remplacée par une

seringue.Idole pour idole, j'aime

mieux l'ancienne.

Elle était agréable à voir, beaucoupmoins sotte et

beaucoupmoins dangereuse.

Elle fut adorée, sur-

tout au dix-huitième siècle, époque où subsistait

encore en France un vif sentiment du ridicule. Il

est certain quenotre Bourgeois

aperdu ce senti-

ment là. Sans doute il ne dit plus, comme au temps

de Jean-Jacques Rousseau, quele retour à l'état

de nature serait l'idéal Unje ne sais

quoi l'avertit

qu'il y aurait de l'imprudenceà

paraître in natura-

libus à son café, à se manifesterbrusquement

à

poil,dans le voisinage, des sergots; mais il sup-

porteet même il sollicite, entre

beaucoupd'autres

choses, les aventuresmalpropres et fabuleuses de

la médecine contemporaine.

Page 219: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 213

La nature conçue parle

Bourgeois moderne,

lorsque cette bêtepuante a reçu un semblant d'é-

ducation, est unprodige d'ânerie et de pédantisme

quela brièveté de la vie ne

permet pas d'expliquer.

Tout cequ'on peut faire, c'est de rêver sur l'autre

prodige quilui est consubstantiel et

quise nomme

la nature même du Bourgeois. De ce côté, on peut

direqu'il y

a dugrandiose.

Il suffirait peut-être

de serappeler le miroir ù la renverse dont

j'ai

parlé,où la face de ce dernier des maîtres du

monde est reflétée par l'effrayanteFace de Dieu.

Vous savezque les philosophes d'a priori, ceux

qui ne ramassentpas

le crottin, ont tous dit,

depuisle Calvaire, que

la nature de l'homme était

un état d'innocence et de perfection d'où il est

tombé, en sorteque

la Vertu ou la Beauté serait

un retour vers le Paradis, juste le contraire de ce

qui est enseigné dans les étables. Que penser de la

« nature » d'une légion hideuse, aux millions de

voix méchantes et confuses, demandant avec inso-

lence lerapatriement

chez lespourceaux?

CXXIV

La Science.

Et voici le labarum des imbéciles. La Science

Page 220: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

2i4EXÉGÈSE DES LÏNUX COMMUNS

Avant le vingtième siècle, la médecine, pour ne par-

ler quede cette gueuse, n'avait aucun besoin de la

science et daignait àpeine

s'en recommander.

Depuisfort longtemps, elle croupissait dans les

déjectionsde ses malades. Maintenant elle piaffe

dans sapropre

ordure.

La putréfactionse

plaignait de n'avoir pas son

prophète.Alors Pasteur est venu, Pasteur au nom

doux et mélibéen, et le Microbe, en retard de

soixante siècles sur la création, est enfin sorti du

néant. Quelle révolution 1 Apartir

de lui, tout

change.La recherche de la

petite bête remplace

l'ancien esprit des Croisades. On ne connaît plus

quela science. On ne veut

plusrien savoir, sinon

la science, et chaque matassinrevendique

son ani-

malcule. Tous les sérums, toutes lespestes liqui-

des, tous les écoulements des morts, tout ce quise

passait naguère au fond dessépulcres,

estaujour-

d'hui restitué à la lumière, préconisé, mobilisé,

injecté,avalé. La

rage, la tuberculose et le choléra

sont devenus desapéritifs ou des pousse-café.

Le

moujick de la bande vient de découvrir même un

juscontre la vieillesse. Il ne tient qu'aux parents

d'avantager leurs enfants de quaranteferments

d'infection, dès le berceau, et de faire de leurs

corpsdes vases de

purulence.Ils sont à l'Institut

Pasteur tout un lot decitoyens

utiles exclusive-

ment voués à la recherche desmoyens

de pourrir.

-Oui, monsieur, on les loge pour çà 1 me disait,

Page 221: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXiGkSE DES LIEUX COMMUNS 215

J4

il ya

quinze joursà peine, l'interne de la

placede

la Concorde, et l'illustre empoisonneur Jenner, à

qui l'Europe contemporaine est redevable de sa va-

cherie, ne trouverait plus de litièrepour

lui-même

dans cette maison!

Ce qui fut, autrefois, lacinquième

d'entre lesSept

pointesde flammes de la coiffure

impérialedu Va-

gabond,ladivine Science est devenue quelque

chose

de si bas quele Bourgeois y pense atteindre. Faut-il

quecette Valeur soit

dépréciée pour qu'unimbé-

cile telque Zola, par exemple,

ait l'audace de la

tripotersous les yeux

d'unpeuple

si déchu quenul

ne songe à cracher au visage de l'affronteur

Ah quecelui-là représente

bien cette relavure

de l'espèce humaine, cette gringuenaude des siècles

quise nomme le

Bourgeois contemporainet

qu'il

doit lui aller au cœur, lorsqu'àtout

propos,il in-

voquece qu'il ose appeler

la Science, dans lespages

souillées et indéchiffrables de ses romans vomitifs 1

La science pouraller vite, la science pour jouir,

la

sciencepour

tuer La science aviliejusqu'à paître

lespropriétaires, jusqu'à nettoyer

le chenil des

brutes féroces dont le Pauvre estépouvanté!

Page 222: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

216 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

cxxv

La Raison.

« La raison, a dit Malebranche, est lasagesse de

Dieu même, » définitionqui

neparaît pas convenir

à ceque

les commerçants nomment la raison sociale.

Etpourtant, qui

sait ?.

On a dit tout ce qu'on a voulu de la Raison, mais

l'opinionla

plus achalandée, c'estqu'elle

estoppo-

sée à la Foi. Cequi le prouve, c'est l'horreur uni-

verselle des gens raisonnablespour

le nombre

treize et leur unanime répugnance à commencer

leurs saletés le vendredi J'ai connu un fougueux

adversaire du christianismequi

mettait sournoise-

ment ses chaussures dans la cheminée, la nuit de

Noël. Le Vénérable de sa loge, informé de cette

manie, luipersuada de les mettre bonnement et

raisonnablement derrière laporte

des lieux, ce qui

est, sans contredit, beaucoup plusconforme aux

traditions de la Libre Pensée.

Page 223: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

CXXVI

Le Hasard.

Un heureux hasard, un hasardprovidentiel, le

hasard a voulu, le hasard a permis,il faut laisser

quelquechose au hasard, etc. Donc le hasard est

Dieu, tout leprouve et, qu'on y fasse bien atten-

tion il esc le seul et dernier Dieu qui obtienne

encore, aujourd'hui,l'adoration des imbéciles, ce

qui supposeun sacré tonnerre! Mais,tout de même,

il faut avouer que c'est là un bien drôle de Dieu

qui n'aqu'une puissancé positive,

sans un atome

depuissance négative. Oh! je sais

quece n'est

pas

très-clair ce que jedis là. Fort heureusement j'ai

sous la main la lettre d'un aliéné dont voici un

lucide extrait

« Vous le savez, cher monsieur, j'ai donné ma

vie entière au hasard, comme cela se doitquand

on

saitqu'on a été créé et mis au monde

parle hasard

etqu'on subsiste par

la volonté du hasard. « L'élé-

phant le salue au lever du soleil. » a dit Château-

briand. Dès maplus

tendre jeunesse, j'aivoué ma

virginité au hasard, ce qui était, vous en con-

viendrez, une façon bien édifiante et bieningé-

Page 224: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

218 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

nieuse de laperdre.

J'ai constamment vécu, pensé,

agi, aimé au hasard.

« Ma fortune étant un obstacle, jeme suis hâté

de la jeter auxjeux

de hasard. Devenu libre, alors,

j'ai connu le bonheur de manger et de dormir par

hasard. Au contraire de tant de gensdont le sens

religieux est oblitéré etqui

disent qu'ilne faut

pas

tout abandonner au hasard, jen'ai rien

gardé pour

moi. Inutile d'ajouter que j'ai une femme de hasard

et des enfants qui sont vraiment les fils du hasard,

onpeut le dire.

« Eh bien! l'avouerai-je? avec cela, je ne suis

pas content. Le Dieu que j'adore manque de Déca-

logue et de Sinaï. Le Hasard n'apas de Com-

mandements. Il peut tout, il veut tout et il fait tout,

mais il nes'oppose

à rien, nedéfend

rien.Essayez

de dire Le hasardn'a. pas voulu, le hasard n'a

pas

permis, le hasard est offensé, le hasard punit, vous

n'y parviendrez jamais. Avec luipas

detransgres-

sionpossible, pas de péché. Quand on fait la noce,

c'est assez amusant, jene dis

pas non, mais, à la

longue, c'est exaspéran t. »

J'interrompsici cette lettre qui

devient tout i

coup d'une impudicité surprenante,sans

qu'il soit

possible de dire pourquoi.J'ai seulement retenu

cetteprosopopée

finalequi paraît s'appliquer aua

bourgeois,mais dont j'ai eu

quelque peine à identi-B

fier la destination: « Oh! les cochons les cochonsl

les cochons »

Page 225: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

GXXVII

La nuit du Moyen Age.

Autrefois, il y a cinquante ans à peine, la nuit

ou, si on veut, les ténèbres du Moyen âge étaient

rigoureusementexigéesdansles examens. Unjeune

bourgeois qui aurait douté de l'opacitéde ces ténè-

bres n'auraitpas

trouvé à se marier.

Aujourd'hui, grâceà l'art industriel propagé par

les cabarets chanteurs, la société bourgeoise, déjà

siragoûtante,

est devenue moyenâgeuse.Elle a des

vitraux en culs de bouteilles, des stalles, des huches,

destapisseries,

des crédences, de la faïence et du

fer forgé. Tout cela sans ruine ni douleur. Unpa-

tron de bazar qui n'est pasune brute doit pouvoir

improviser une collection Du Sommerard envingt-

quatre heures. Désormais la Lampisterie et la Con-

fection ont de quoi répondreaux artistes. On ne la

leur fait plus. Elles la connaissent dans tous les

coins.

Il est vraique cet unique

bec de gaz étant allumé,

la fameuse nuit continue. Accordons l'art, cet art-

| là, bien entendu, puisqu'on y tient et que cela fait

aller le commerce. Mais à celaprès,

comment refuser

Page 226: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

220 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

les ténèbres à uneépoque

où tout le mondecroyait

en Dieu ?

CXXVIII

L'Inquisition.

Celui-là n'apas bougé. Il est exactement au même

point qu'il y acent ans. Les auto-da-fé, lesbûchers,

les san-benito, lesbrodequins,

les chevalets, les

cabestans, les tenailles, lespals, les scies, les limes,

les fouets, les clous, lesgrils et les crics, ça va tou-

jours. L'instrument de torture est un article cou-

rant et depremière

nécessité. L'âme. dugazier

et

celle du planeur ont besoin d'êtrepersuadées que

l'histoire de l'Eglise est une longue friture. Le

Bourgeois, quel quesoit son métier, peut

douter

d'une addition, mais il saitqu'il y

a eu un ouplu

sieurs ordresreligieux institués à

l'uniquefin de

brûler àpetit feu les

penseursou de les écorche r

de la tête aux pieds.

Ah! cespenseurs, mon enfance en a-t-elle été

assez farcie, comblée, bondée, obstruée, saturée,

soûlée C'était aupoint que

toutprêtre m'apparais-

sait au milieu des flammes et des échafauds, envi-

ronné depensantes victimes. Ce qu'il y avait de

plus atroce, c'estque plus on était vertueux et plus

Page 227: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 221

on pensait, moins onéchappait

à ces tigres. Que de

larmes que de cris que de hurlements de déses-

poir et, de ma part, que de juvéniles épiphonè-

mesque d'imprécations! Tout cela venant à se

combiner avec les hennissementseuphoniques

de

lapuberté, je commençai à devenir moi-même un

penseur.

Le décor et la mise en scène des supplices ont

quelquechose de si

captivant quedes hommes

qu'on auraitpu

croire situés à une certaine distance

des boutiques etqui

n'étaientpas nécessairement

séquestrésdans une ignorance imprenable, des

poètestels

queVictor

Hugo et Villiers de l'Isle-

Adam, ont navigué avec bonheur dans les vieux

bateaux à voiles de l'Inquisition d'Espagne. Cha-

cun d'eux a fait sonTorquemada.

Villiers seul, qui se croyait catholique, s'est avisé

d'un Pierre d'Arbuès, premier inquisiteurde la foi

en Aragon,assassiné

parles Juifs, en 1485 au

pied

de l'autel et canonisé par Pie IX. Ce saint et même

ce martyr est montrépar

l'auteur des Histoires

insolites dans laposture

d'un opiniâtre etsangui-

nolent papelard qui exhorte à l'amour divin en fai-

santcraquer

les os.

Alors que voulez-vous On a envie de les em-

brasser enpleurant, les bourgeois et leurs sous-

bourgeois qui poussentdans l'ombre de ces mon-

tagnes etqui, peut-être, crétinisent avec inno-

cence.

Page 228: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

222 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

CXXIX

La Saint-Barthélemy.

Ah par exemple, je renâcle à la série. J'ai pu

consentir, héroïquement,à l'observation de

quel-

ques âneries jugées par moi-même singulièreset

prototypiques,mais je m'arrête là. Qui sait si on

n'exigerait pasbientôt

que jem'attardasse à la

Révocation de l'Edit de Nantes, acte leplus

hono-

rable du règne de Louis XIV etqui

fait braire la

moitié de l'Europe depuisdeux cents ans ? Ne fau-

drait-il pas,immédiatement

après,dire

quelque

chose de la Bastille, de la Liberté de Conscience,

des Droits de l'homme, du Suffrage universel, des

artsd'agréments et, peut-être aussi, du sourire

mys-

térieux de la Joconde ? Alors, zut et zut 1

Pour nous en tenir à laSaint-Barthélemy, qui

aurait pu être un des moments les plus agréables

de l'histoire de France, j'avoue avoir éprouvé une

bien pénibleconfusion toutes les fois

qu'enDane-

mark, en Suède, ou dans tout autrepays protes-

tant, on m'en aparlé.

En effet, il se dit communé-

ment, dans ces banlieues, quecette fête fit couler

le sang de plusieurs centairtes de milliers de calvi-

nistes au cœurpur,

rien qu'à Paris.

Page 229: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 223

14.

Plût à Dieu mesuis-je écrié, chaque fois, dou-

loureusement. Vous représentez-vous l'humiliation

de rectifier, parles humbles chiffres

trop certains,

ces chiffres grandioses J'étais dans la situation

d'un malheureuxsupposé

riche et forcé d'avouer

son dénuement. Cette humiliation dure toujours,

atténuée un peu, il est vrai, parla certitude

consolante que les calvinistes, aujourd'hui, s'en-

trecrèvent eux-mêmes volontiers, leplus gentiment

du monde.

Tout de même c'est dur, pourun

catholique,de

ne jamaisvoir la fin de cette ironie, de toujours

subir, ici ou là, en France aussi bien qu'à l'étran-

ger, depuisenviron 33o ans, la dérisoire vitupéra-

tion des imbécilespour l'atrocité, malheureusement

imaginaire,d'un vieux Fait-Paris qui eût pu

être

un si grand acte, maisqui, par l'effet d'un concert

inouï de maladresses, n'a été, hélas! rien deplus

qu'une espèced'effusion sentimentale.

cxxx

Il y a du bon dans toutes les religions.

« Cher ami, j'aibesoin de vous ce soir. Peut-être

serez-vous forcé depasser

la nuit. Il se pourrait

Page 230: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

224EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

mêmequ'il y

eûtquelqu'un

à assommer. C'est très-

sérieux etprofondément original. Songez qu'il s'agit

de capturer un non moindre seigneur quemon

propriétaire, violemment soupçonnéde cambrioler

enpersonne

le locataireque je suis. Vous compre-

nezque, pour

tirer de cette occasion tout le profit

qu'onen

peut attendre, j'ai besoin d'un témoin.

Venez donc, maispas trop

tard. Il ne faut pas

qu'on s'aperçoive que j'ai reçu du renfort. »

Lorsque j'écrivis cette lettre, ily a quelques ans,

j'habitaisun pavillon isolé près des fortifications

et j'avais, en effet, la certitudeque

mon cher voi-

sin etpropriétaire

s'introduisait la nuit dans ma

cave pour soutirer mon vin etdéménager

mon char-

bon. Ce propriétaire était le même père Edouard

que j'ai essayé de peindre plus haut, quand je me

suis occupée de « la crème des honnêtes gens ».

Le fait estqu'il

avait sur safigure toutes les vile-

nies et-toutes les fraudes.

Monplan

était d'unesimplicité divine. J'avais

fait venir très-ostensiblement quelques provisions

de nature à le tenter, et, la porte de ma cave ou-

vrant sur le jardin, j'avais laissé la clef dans la ser-

rure comme pour l'inviter. Tout était machiné de

telle sorte qu'illui était impossible de ne

pastom-

ber avec fracas aussitôt qu'il aurait franchi le seuil.

Me précipitant alors, j'espérais arriver assez

promptement pour l'enfermer. Il eût été, dès cet

instant, tout à fait à ma merci et, sous la menace

Page 231: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 225

du commissaire de police et de la correctionnelle,

j'eussetiré de lui avec la plus grande facilité, non

seulement une indemnité sérieuse, mais la quit-

tance en règlede

plusieurstermes. Le concours

de mon ami, garçonrobuste et

pèlerin très-subtil,

assurait indiscutablement le succès de la mani-

gance.

Je me hâte de direque

le complot n'eut aucun

succès. Le vieux drôle vint très-tard, lorsque

nous étions assoupis et découragés. Réveillés par sa

chute, mais déçus par son incroyable agilité, nous

eûmes la mortification de le voirs'échapper

sans

qu'ilnous laissât l'ombre d'une

preuve, ayant àpeine

reçu dans le bas des reins lecoup de

triquelancé

au juger quel'un de nous lui décocha au dernier

instant.

Eh bien, monsieur Edouard, lui demanda

mon ami, quelquesheures après,

comment va le

cambriolage 1Le

père Edouard, quisavait être

sourd quandil le fallait, en profita pour

faire cette

réponseextraordinaire

Oh mon cher monsieur, il y a du bon

dans tontes les religions

Quelque temps auparavant,le

grand rabbin

Zadoch Kahn m'avait, àpropos d'un de mes livres,

servi ce Lieu Commun admirablequi paraît être

le commencement del'Evangile

selon saint Jean

pour les imbéciles et les malfaiteurs.

Page 232: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

226 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

CXXXI

Avoir l'esprit faux. Exagérer.

Qu'est cequ'un esprit

faux ? C'est unesprit qui

exagère. Qu'est-ce qu'un esprit qui exagère ? c'est

unesprit qui

dit Oui ou Non.(Evangile selon

S. Matthieu, chap. V, v. 37.)

Combien de foisai-je

eu l'occasion d'observer

qu'il n'ya

pasUNE

parolede la

Sagesse éternelle

quine reçoive chaque jour de la

sagesse bourgeoise

leplus parfait

démenti

CXXXII

Il ne faut pas voir les choses trop

en noir.

Unpeu, passablement, beaucoup même, si vous

voulez, maispas trop.

Enfin lajuste mesure, vous

m'entendez bien. Une sagesseaimable conseille-

raitplutôt

de les voir en rose ou en blanc. Tel est,

du moins, l'avis du Premier Hommequi

ne veut

pas queles mourants soient avertis de la mort

Page 233: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS227

« même s'ils le désirent ». Cela il ne le veut abso-

lument pas. Le coma lui semblepréférable à l'ac-

tion de sepréparer

à mourir et «l'usage atroce »

de l'extrême-onction le révolte singulièrement.

Je lis ces choses dans unechronique

du Journal

où elles sont, d'ailleurs, tout à fait à leurplace,

la feuille de feu Fernand s'adressant à un public

heureusement délivré des «exigences cruelles de

la foi ». Le Premier Homme parle beaucoup de la

pitié,à cette occasion. Voici la dernière

phrase,

digne d'être citée, car elle m'aévoqué, prophéti-

quement, l'assistance de crocodiles et de singes

férocesque

la conscience définitivement libérée du

vingtième siècle prépare auxagonisants.

« Instruisons-nous dans la pitié, la douceur et la

compassion, même s'ils'agit de voiler les signes de

la mort accourue au chevet du malade. Habituons-

nous moins au dévouementqu'à

la POLITESSE BIEN-

faisantequi

de chacun écarte lespeines

inutiles et

leschagrins superflus.

»

Il est évidentque,

« le salut de l'âmeayant

cessé

d'être l'essentiel », le comble de cettepolitesse

consisterait àexpédier

les malades subito, puisque,

par là, on leurépargnerait

sûrement les affres et les

douleurs. Plusieurs siècles avant l'ère chrétienne,

des anciens avaient trouvéça.

Pour neparler que

de cedegré

depolitesse qui

consiste à laisser croire aux mourantsqu'ils peu-

ventguérir,

le Premier Homme sait-ilqu'il

est

Page 234: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

228 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

pratiquéfort assidûment et devine-t-il

pourquoi?

S'il avait 1"avantage de connaître le curé d'unepa-

roissequelconque,

ce ministresuperflu pourrait lui

apprendre quela plupart des bourgeois meurent

sans confession parce qu'il faudrait restituer. La

famille, qui craint ce dénouement d'une existence

de coquineries et de brigandages, fait lagarde la

plussévère autour du moribond

pour qu'il« ne

voie pasles choses trop en noir ». Le prêtre, quel-

quedemandé qu'il

ait été, n'est introduitque lors-

que son ministère est devenu inutile et, pour cela,

les plus sacrilèges mensonges paraissent licites.

Je serais curieux de savoirquel

doit être, en

pareil cas, le bénéficiaire de lacompassion du Pre-

mier Homme, car, enfin, il y a troispersonnes

morales enprésence, également dignes d'intérêt

le moribond, les héritiers du moribond et les étran-

gersvolés par

le moribond. Il estindispensable de

choisir. Si on cache au voleur qu'il est sur lepoint

de crever, il nesongera guère

à restituer. Si on

l'avertit, il estprobable qu'il n'y songera pas da-

vantage,même

aprèsles exhortations du

prêtre,

mais ily

aura des chances. Ce sera une affaire de

tous les diables, c'est le cas de le dire. Encore une

fois, sur quitombera la miséricordieuse

pitié du

Premier Homme

Je parlais tout à l'heure du démenti continuel

infligé par le Bourgeois au Texte sacré. Le même,

à son lit de mort, me faitpenser, tellement il

Page 235: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS229

est suggestif!à l'adolescent de l'Évangile qui,

ayant demandé à Jésus cequ'il

fallait faire pour

avoir la vie éternelle, en reçut cetteréponse qu'il

fallait tout donner aux pauvres,et s'en alla plein

de tristesse. Abiit tristis.

Post-scriptum. L'Évangile ne ditpas trop

triste, « nimis tristis » mai s triste seulement, sans

excès. LeBourgeois peut

sepasser

de la vie éter-

nelle. C'est ce quile distingue des brutes.

CXXXIII

A quelque chose malheur est bon.

Le malheur des autres, cela va sans dire. Iln'y

a

même que cela de bon. Il est assez difficile de se

figurerune chose heureuse arrivant à un voisin

de campagne, par exemple, et dont on puisse

tirer parti.La

preuve,c'est

quele bonheur des uns

ne fait pasle bonheur des autres, comme le dit

fort exactement un autre Lieu Communpresque

identique.

Votre meilleur ami vient d'hériter inopinément

de plusieurscentaines de millions de francs. Eh

bien il est probable quevous n'en tirerez pas un

centime. Peut-être mêmeentreprendra-t-il

de vous

Page 236: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

230 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

dépouiller,car il vous ressemble comme un frère.

Cequi

est incontestablement bon, c'est de voir

souffrir leprochain, de savoir qu'il

souffre. C'est

bon en soi et c'est bonpar

les conséquences, puis-

qu'unhomme abattu est un homme qu'on peut

manger. Or, il est bien connuqu'il n'y

apas

de

chair, pasmême celle du cochon, qui

soit aussi

savoureuse.

CXXXIV

Tout vient à point à qui sait attendre.

Une famille chrétienne. Le meilleur morceau est

offert au père. Sans y toucher, lepère

l'offre à la

mère. La mère le donne aux enfants, quile donnent

à unpauvre qui

lejette

aux chiens.

Les chiens savent attendre leCorps

de Notre

Seigneur Jésus-Christ.

cxxxv

La santé avant tout.

Ehquoi! même avant l'argent? Oui, mon

Page 237: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 231

enfant, avant tout, absolument. Ménage ta viande,

c'est ce que tu as de plus précieuxet ça ne se rem-

place pas.Fais-la durer le plus possible, en jouis-

sant de ton mieux. Il faut cequ'il

faut et la vie est

courte. Les curés ont beau parler de la vie éternelle,

crois-en ma vieille expérience,il vaut mieux tenir

quecourir et il est

plus agréable de payerla cuisi-

nière quele

pharmacien.Pour ce

quiest de l'ar-

gent,il n'est pas perdu parce qu'on se soigne, au

contraire. Ily

a des moments où il faut savoir le

laisser dormir. On ne se rattrape quemieux sur la

clientèle.

Napoléon disait que la santé est indispensableà

un général.Eh bien! qu'est

ceque

le commerce,

veux-tu me le dire, s'il n'estpas

laguerre ?

Toute

personne quimet le pied dans notre

boutiqueest

un ennemi. « Le client, voilà l'ennemi » a dit Gam-

betta, ne l'oubliejamais,

mon fils. Le vrai com-

merce, le commerce biencompris,

celuiqui

mène à

la fortune et aux honneurs, consiste à vendre vingt

francs ce qui a coûtécinquante. centimes, comme

fontchaque jour

les apothicaires les plus honora-

bles. Il est vraique

cela leur est facile,puisque leur

marchandise échappe au contrôle du vulgaire.

Pourtant, c'est l'idéal.

Tu sais aussi bien quemoi

que, dans tout ce qui

regarde l'alimentation, par exemple,la

première

chose àapprendre,

l'a b c du métier, c'est de ne

servirque des saletés, en

ayant soin, ai-je besoin

Page 238: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

232 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

de le dire ? de toujours peser dans le coin le plus

obscur, avec une extrême rapiditéde mouvements,

en sorte que le client n'ait absolument pas cequ'il

achète, ni comme quantité,ni comme qualité.

J'ai travaillé autrefois chez le célèbre Gibier, de

la maison Caverne et Gibier, qu'on regarde géné-

ralement comme le Masséna ou le Cambronne de

l'épicerie.Je me rappellerai toute ma vie la

phy-

sionomie vraiment héroïqueet l'austère simplicité

de cegrand vieillard, lorsqu'ilnous disait

Apprenez, ,mes amis, que je n'aijamais

vendu quede la merde et

toujoursà faux

poids,

surtout aux pauvres quin'ont

pas de balances chez

eux. Pour ce qui est de la monnaie, je peux me

rendre à moi-même cetémoignage que j'ai toujours

su faire passerles mauvaises

pièces.Il m'est arrivé,

dans les coupsde feu, de faufiler

jusqu'à des bou-

tons de culotte.Mais il faut de la santé pour ça, une

santé de fer, car il faut être continuellement sur la

brèche et ne jamais prendre un jour derepos

ni

mépriserles

plus légers gains, eût-onattrapé

cin-

quantemillions.

Médite ces hautesparoles,

mon cher enfant, et,

encore une fois, soigne ta carcasse. La santé avant

tout.

Page 239: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

CXXXVI

Dieu ne fait plus de miracles.

C'est une manière conciliante, bénigne, quasi-

pieuse,de dire qu'il n'en a

jamaisfait. C'est le Lieu

Communpréféré

de l'abbé Pocelle et de combien

d'autres encoreparmi

lesecclésiastiques

ou les

laïquesdévots

Un jour,il

y a environ dix ans, je fus présenté

à un monsieur qui, apprenant mon nom, entreprit

aussitôt de m'étonner et me déclara qu'il jugeait

puéril d'attendre oud'espérer de grandes choses,

ou mêmesimplement des choses extraordinaires.

En cequi

me concerne, ajouta-t-il, j'affirme

qu'il ne m'est jamais rien arrivé.

L'énormité de la sottise meparalysa

un instant,

puis je présentaidoucement cette objection:

Il faut, monsieur, quevous soyez

bien inat-

tentif ou bien ingrat, puisque vous semblez choisir

pour me dire ça le moment où il vous arrivepréci-

sément une chose inouïe que vous n'auriez jamais

prévue niespérée.

Etlaquelle? demanda cet homme

surpris.

Vous avez eu l'honneur de me rencontrer,

Page 240: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

234 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

répondis-je avec unegrande simplicité, en tournant

le dos à cet imbécile.

CXXXVII

Je ne suis pas plus bête qu'un autre

Doncje possède

uneintelligence

au moins égale

à celle de n'importe qui. Cetteconséquence ne pa-

raît pas rigoureuse, mais il en est de lalogique

des

bourgeois comme de certaines loisgrammaticales

que l'usage seul détermine. Si le vieux marchand

deparapluies

disait aujeune télégraphiste « Je

ne suispas plus bête

qu'un autre et la preuve, c'est

que jevous ai vu naître », il est certain

que le pa-

petier et le fabricant degaloches ne

manqueraient

pasde crier à l'évidence.

La force d un homme qui peut affirmer, en con-

science, qu'iln'est

pas plusbête

qu'un autre est

incalculable. Ily

a un telmystère

dans ce diable

de Lieu Commun qu'on estpresque tenté de croire

qu'il peutbien avoir été

pour quelquechose dans la

création du monde.

Vous faites lire à votre médecin, à votre dentiste,

à votreentrepreneur de

pompes funèbres, à votre

ernpailleur, à votre notaire, une phrase magnifique

Page 241: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

.EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 235

de Barbey d'Aurevilly, de Villiers de l'Isle-Adam,

une pensée ingénieused'Ernest Hello, une vivante

strophede Paul Verlaine. Que répondront ces hom-

mes ? Simplement ceci « Nous necomprenons pas.

Cependant nous ne sommes pas plusbêtes

que

d'autres. » Et, à l'instant, sansqu'un ange même

pûtdire

pourquoi, Verlaine, Hello., Villiers, Bar-

bey et même, si vous voulez, Napoléonet tous les

grands personnages seront aperçussous leurs

pieds.

L'universelle supériorité de l'hommequi

n'est

pas plus bêtequ'un autre est ce

que je connais de

plusécrasant.

CXXXVIII

Qui veut la fin veut les moyens

et

Il n'y a pas de petites économies.

Je ne saisplus pour quelles raisons les

époux

Chien avaient intérêt à la mort de leur enfant. Je

ne l'aipeut-être jamais su. Il

ya si

longtemps! J'a-

vais tout au plus vingt ans et je n'ai jamais rien

compris aux combinaisons ni aux micmacs des

notaires. Je sais seulementqu'après l'enterrement

Page 242: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

236 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

dupetit

Chien sesparents

devaient « entrer en

jouissance » d'une jolie somme. Il faut leur rendre

cette justice que, dès l'instant où cet intérêtprit

place dans leur vie, ils ne songèrent qu'aux moyens

d'en exclure lepauvre

enfant. 11 serait téméraire

pourtantde conclure

queles Chien étaient des ca-

nailles. Ils étaient desbourgeois,

rien que des bour-

geois et, passaientà

justetitre pour de fort hon-

nêtes gens. Etant à leur aise, ils avaient horreur

des nuages, voilà tout.

Le mari avait une bonne place à l'Hôtel de ville

et la femme tenait un cabinet de lecture ou

d'aisances, jene me

rappelle pas exactement.

L'un et l'autre, d'ailleurs, appartenaient à la

catégorie des bien pensants.Ils se seraient fait

scrupulede manquer

la messe le dimanche et ils

patronnaientdes œuvres. On disait d'eux avec res-

pect« Ils ont ceci et cela, sans

compter lesespé-

rances. o Lesespérances,

c'était la mort dupetit

Chien et, on les enviait en lesplaignant.

Pauvres Chien c'est tout de même vexant

pour eux d'avoir ce gamin qui serait si bien avec

le bon Dieu Tel était le crigénéral.

Ils avaient un partisan très-déterminé dans la

personne du gros quincaiilier Minet, qui était l'ora-

cle du quartier. Ah sij'étais à leur place I.

gueulait-il detemps

en temps.Il n'achevait

pas,

mais, le geste de sa main pliéeen

équerredans la

direction du sol etcoupant

l'air degauche à droite

Page 243: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 237

au-devant de sa poitrine, soulignait assez claire-

ment un clind'yeux qui

en disait long.

Le curé lui-même, auteurpraliné

d'un livre sur

la Pureté d'intention, les consolait avec amour, les

exhortant àporter leur croix jusqu'à ce qu'il plût

à Dieu de les en débarrasser. Bref, ilsjouissaient

de lasympathie

universelle et, quand on appritla

mort du petit Chien, le quartierse sentit allégé

d'un poids.

Oh ses parentsne l'avaient

pastué. Ils l'avaient

fait vivre vite, rien de plus.Ce n'était

pasleur

faute, après tout, si les enfants n'ont pas l'endu-

rance des chameaux de Tartarie. Celui-là avait à

peine cinqans et on le forçait à marcher jusqu'à

des dix heurespar jour pour

lui faire de la santé.

La nourriture, toujours succulente, était en propor-

tion de ce salutaire exercice. Jamais enfant ne fut

mieux nourri. Quant au sommeil, ons'arrangeait

pour qu'iln'en abusât pas, et comme on le desti-

nait à la carrière des armes, onl'y préparait déjà,

enmultipliant

les alertes nocturnes. Etc., etc.

Le futur soldat fut expédié en quelques mois.

Quelqu'un quivoit à travers les murs m'a dit

que,

lorsque ces deux monstres étaient seuls avec leur

victime, il décollaient leursmasques

etque

c'était

épouvantable. Pauvre petitêtre sans défenseur! Les

détails nepeuvent

s'écrire. On saitque

les larmes

des faibles sont, pourles bourgeois, comme du vin

de laVigne de Dieu.

Page 244: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

23ô EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

Assassiné de fatigues, d'indigestions, d'insom-

nies, muet de terreur et immobile, le pitoyable

enfant des Chien descendit dans la mort sans faire

plusde bruit qu'un petit bonhomme de

plomb qui

descendrait au fond d'un lac.

Jerappelle

cette histoire affreuse, parce qu'elle

est exacte, rzniverselle etprofondément typique. Il

y eut, à l'enterrement, un toutpetit

fait d'une lési-

nerie tropinfernale

pour que j'osele

raconter,

mais dont l'assistance fut émerveillée.

IIn'y

apas de petites économies, répondit

modestement l'heureuse mère à un vieillard dans

les enduitsqui essayait

de luiexprimer son admi-

ration.

CXXX1X

Faire contre mauvaise fortune

bon cœur.

Si vous voulez mon avis, c'est biensimple.

Ce

quenous

appelonsmauvaise fortune dans le com-

merce, c'est d'être dans le cas denepouvoir régler

nos échéances, et ceque

nousappelons « bon coeur»

c'est de foutre le camp si nous ne trouvons aucun

expédient.

Page 245: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS23g

Ons'exprime comme ça parce qu'on a tout de

même un restant depoésie.

Mais si c'est la femme

du commerçant qui sauve la mise enpayant

de sa

personne, chosequ'il

faut toujours prévoir dans

les affaires, il est sûrque

le cour n'a rien ày voir.

Vous m'entendez bien.

CXL

Avoir du cœur, un bon cour

Une vierge quifait la noce

pour nourrir ses

vieux parentsa certainement du cœur. Une autre

qui fait la nocepour

entretenir un noble jeune

homme a indiscutablement un bon cœur. Une troi-

sième qui ne faitpas

la noce du tout et qui veut

épouserun

pauvreest radicalement dénuée de

cœur. Voir Les demoiselles deBienfilâtre.

CXLI

Avoir de l'amour-propre

La femme du chef de bureau a de l'amour-propre

Page 246: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

n4o EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

et la concierge a son amour-propre.Mais c'est

toujours le même bijou.

« Je sors de moipour n'y plus rentrer D, a dit,

un jour, sainte Catherine de Gênes, et c'est un des

plus grands motsqu'on

ait entendus.

L'amour-propreconsiste à être

toujourschez soi.

On aremarqué que

les honnêtesgens

sortentplus

rarementque

les assassins. C'est la seule différence

considérable entre les deuxgenres.

CXLI1

Avoir le travail facile.

C'est ledegré le plus haut, l'échelon

suprême

dans la hiérarchie intellectuelle des bourgeois.Les

notaires et les matelassierspensent qu'un grand

homme doit avoir le travail facile. Un écrivain de

génie qui peine mortellement, plusieurs années,

sur trois ou quatre centspages, incarne pour

eux

laplus honteuse

impuissance.

Entrequinze

etvingt ans, j'ai furieusement en-

tendu parler d'Alexandre Dumaspère qui

était en-

core, à cette époque, l'interminablepluie

de mucus

tièdequi parut

à deux générations de graveurs sur

bois larupture ou l'éclatement des cataractes de

Page 247: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 241

la lumière. En voilà un quia le travail facile 1

disait-on, encomputant

et ensupputant

les deux

ou trois cents volumes de ce noir.

Aujourd'hui,il

y ena d'autres, prétendus faciles,

quiont un mal inouï à sortir leurs glaires et leurs

catarrhes. C'est consternant de songer qu'un poly-

graphecomme Bourget,

dont les écrits ressemblent

à une diarrhée de colle depoisson, est pourtant

l'un de nos faiseurs les plus opiniâtrémentcons-

tipés.

Mais ne multiplions pascet exemple.

Se crever

en accomplissantdu travail facile, tel est le cas

plus quebizarre d'une multitude littéraire. Faut-il

conclure qu'ilen est ainsi dans les autres troupes

contemporaines,et

dois-jecroire que

mon épicier,

par exemple, grosimbécile gouverné par

laplus

rosse des femmes, a besoin de se fendre enquatre

et de suer sang et eau pourme filouter ?

CXLIII

Avoir de la chance.

On dit communément qu'un citoyen français a

de la chancequand

il a unpère qui

est né avant

lui. Onsuppose, ai-je

besoin de le faire observer ?

Page 248: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

242 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

quece

pèrea de l'argent. Autrement, ce serait la

guigne.Mais cela, c'est le comble de la chance.

En général, avoir de la chance consiste àécoper

le moins possible, c'est-à-dire à être dupetit nom-

bre de ceux qui échappent aux coupsde

trique ou

auxcoups de pied dans le derrière

que tout le

monde paraît avoir mérités. Dans cet ordre d'idées,

il estsûrqu'aux yeux du Bourgeois explorant, des

cimesqu'on sait, l'histoire du monde, le Patriarche

Noé a eu de la chance. La langue, ici, est à la

hauteur de lapensée.

Il est, d'ailleurs, indifférent quele mot « chance»

soitinintelligible,

absolument et à jamais. C'est

assezqu'il ajourne

ouqu'il

écarte la notion de

Justice. On ne lui demande pasautre chose.

CXLIV

Avoir du pain sur la planche.

Cela s'entend ordinairement des individus qui

ont«

du foin dans leurs bottes » etqui jouissent

de ce qu'on appelle « une honnête aisance », depuis

les i5 francs de rente annuelle de votre serviteur

jusqu'auxmillions de revenu

possédés par d'autres

et ramassés autrefoispar un saint aïeul, calviniste

Page 249: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 2A3

i5.

ou luthérien, dans le sang des catholiqueséventrés.

Car telle est l'origine des grandesfortunes protes-

tantes.

Mais, laplupart du temps,

cepain

ne profite

guère,surtout aux

pauvres. Quandil

n'y en a que

quelques miettes, ça se mangeencore. Quand il

y

Pn a trop, ça ne se mange pas du tout, ça devient

des pierres et c'est avec le pain sur la planche des

bourgeois de Jérusalem que fut lapidé le Proto-

martyr.

CXLV

Entretenir des danseuses.

Comment ai-je pul'oublier

jusqu'àcet instant?

Je l'ai tellement entendu, celui-là, qu'ila fini

parne

plus exister pour moi.C'est comme l'éternel « Bon-

jour, monsieur » du premier venu qu'à la longueil

estimpossible

d'entendre. Songez que, depuiscent

ans, au moins, iln'y

a pas eu unpoète, un artiste

remarquable quin'ait entretenu des danseuses

pendant son adolescence et aussi longtemps que

durèrent sestrop

faciles études.

Tout le monde sait derrière lescomptoirs,

sur-

tout enprovince, que

les études d'un peintre,, par

Page 250: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

exemple, ne sontqu'une vaste

rigolade.Pour ce

qui est des commencements littéraires d'unpoète

c'est bien autre chose et on doit se garder d'y faire

allusion devant lesjeunes filles.

0 les farces de majeunesse 0 les danseuses que

j'entretinsdans la rutilance de mes vingt ans! Mais

qu'est-ce que cela? Chacun ne sait-ilpas, dans les

boutiquesdu détail et sur les ronds de cuir mé-

thodiquementsoufflés des administrations de

l'Etat, que jecontinue? Comme

toujours, le Bou r-

geoisvoit clair.

Cependant, ily

a unpoint

obscur. Où diable ces

noceurs d'artistes vont-ils chercher leurs danseu-

ses ? Une si constante et sinonpareille orgie en

supposeun nombre infini.

L'explication trop sim-

ple,hélas! ne peut qu'aggraver le triste cas des

poètes.

Ces danseuses ne sont qu'une danseuse, toujours

la mêmedepuis des générations. Elle a des

yeux

quiressemblent à des lampes suspendues dans des

cavernes, elle a le teintplombé, la face en tête de

mort, lesdoigts crispés sur sa

gorge flétrie et, si

vous voulez le savoir, elle danse la danse du ventre

devant les buffets des cimetières.

Page 251: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 2LErJ

CXLVI

Les absents ont toujours tort.

Celasignifie, personne, je pense, ne l'ignore, que

les absents doivent être invariablement carottés,

filoutés, dibustés, refaits, dévalisés, cambriolés,

volés, grugés, pillés, dépouillés, trompés, vendus,

trahis et calomniés de toutes les manièresimagina-

bles. Là-dessustout le monde estd'accord. Onpeut

même dire que c'est une desdispositions essen-

tielles de la Loibourgeoise.

Cela doit avoir un sensprofond,

comme tout ce

qui vient des imbéciles ou des canailles. Si vous

êtes curieux de savoir àqui

vont tous lesoutrages,

toutes lesiniquités,

toutes les horreurs du Crucifie-

ment, demandez-vous Qui est leplus

absent de ce

monde abominable.

CXLVII

L'argent se cache.

Je vais révéler leplus grand secret que je

Page 252: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

246 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

connaisse, disait un illustre philosophe qui s'est tue

à force depenser.

Et ilajouta,

non sans avoirpris

quelques précautionscontre un

cataclysmesou-

dain

Eh bien! mes amis, l'argent se cache

CXLVIII

Je veux dormir tranquille.

Tel fut le dernier mot de lapropriétaire. Le

tempsdes combats était

passé pour elle. A son

âge,elle avait besoin de dormir tranquille. Il lui

fallait des locataires sûrs, de bonnes garanties.

Vous avez bien raison, madame, réponditle

visiteur quiavait eu le

temps d'examiner les êtres,

si ça ne tient qu'à moi, vous dormirez. Et il s'en

alla.

Mme Mouton était une horrible vieillequi se

chauffait à son argent, quandil faisait froid. On la

disait fort riche et son avarice était un prodige,

même dans cette atroce banlieue depetits

bour-

geois.

Feu Mouton avait gagnéce

qu'ilavait voulu

dans l'exploitationdu lait fécondé dont il était l'in-

venteur etqui était un

produitsans rival pour la

Page 253: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

d,estruction des petits enfants. Ravi de bonne heure

à la tendresse de sonépouse,

il était allé l'attendre

dans un mausolée d'une hideur extraordinaire.

C'est làque j'ai lu, non sans effroi, au-dessus

d'une entrée bizarre, ces motsincroyablement

ti-

rés de l'Evangile*: Frappezet l'on vous ouvrira.

Cette inscription n'eûtpas

été à saplace

à la

portede la maison de la veuve. Quand on avait

carillonné plusieurs fois, onvoyait

lentement s'ou-

vrir un guichet étroit et, dans ce cadre, apparais-

sait une chosefantastique.

Levisage

affreux de la

vieille à côté de la gueule féroce d'un énorme

chien danoisappuyé

des deuxpattes

sur lesépau-

les de sa maîtresse. Elle parlait alors au survenant

d'une voix de gendarme où il y avait autant de

haineque

depeur.

Si on étaitun pauvre,

le guichet

se refermait violemment avec un blasphème.On

neparvenait

à franchir le seuil qu'à titre de loc a-

taire futur et muni de certaines références. Dans

ce cas, on traversait une cour et un morceau de

jardin pourarriver à un

pavillonsinistre en com-

pagniede Mme Mouton et de son molosse.

Cepavillon rongeait

lapropriétaire.

Elle nepou-

vait, en aucune façon, l'utiliser et cette non-valeur

ladésespérait.

D'un autre côté, elle nepouvait pas

davantagese résoudre à

prendreun locataire, quel-

lesque fussent les

garanties.C'était

pourelle aussi

grave quele choix d'un amant

pourune femme

honnête. Jamais elle n'avait puse décider.

Page 254: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

Le vrai, c'est qu'elle avait horriblementpeur

d'installer siprès d'elle un étranger. Elle était l'a-

vareclassique,

la vraie, cellequi

adore le métal,

quile baise avec

transport, quisouffre de ne

pou-

voir le manger comme un chrétien mange son Dieu

dans le sacrement de l'Eucharistie. Le soir, on l'en-

tendait verrouiller et cadenasser toutes sesportes,

pendantun

quart d'heure, et elle ne se couchait,

disait-on, qu'aprèsavoir fouillé

partoutavec son

chien.

Cesprécautions invoquent

tellement les catastro-

phes que personnene fut étonné

d'apprendre que

Mme Mouton avait été trouvée chez elle poignardée

etpresque décapitée. Ayant

habitué son voisinage

auxplus étranges lubies et aucun être humain n'é-

tant autorisé à mettre le piedchez elle, on ne s'a-

visa d'un crimeque fort tard et

lorsquel'odeur de

charognese faisait

déjàsentir. On la découvrit

dans une chambre noire, étendue parterre

auprès

du molosse, l'un et l'autre aux trois quarts

pourris.

L'argent avait étéintégralement déménagé,

et

l'assassin, qui était, àcoup sûr, un artiste, avait

laissé sur la table une belle feuille de papierministre

où se lisaient, écrits d'une main très-ferme, ces

mots d'un refrain célèbre

Dormez, dormez, mabelle,

Dormez, dormez toujours.

Page 255: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS2^Q

CXLIX

Je ne veux pas mourir comme un chien.

Il est permis de se demander, et même de deman-

der aux autres, pourquoiun homme qui a vécu

comme un cochon a le désir de nepas mourir comme

un chien.

D'abord, qu'est-ce que mourir comme un chien ?

D'après les autorités, cela consiste àquitter

ce

monde agréable, sans sacrements, et à s'en aller

droit au cimetière, sans aucune cérémonie reli-

gieuse. LeBourgeois qui ne veut

pas mourir comme

un chien doit donc faire venir unprêtre,

le curé

de laparoisse autant

que possible, et lui parlerde

l'impôt sur le revenu, desavantages

de la culture

intensive dutopinambour, des inconvénients du

mastic dans les mâchelières del'hippopotame

ou de

l'urgence d'une réforme carabinée dans l'enseigne-

mentobligatoire du Kamtchadale; manifestation de

foi chrétienne qui donne, aprèsla mort, le droit de

faireporter sa carcasse à l'église et d'être accom-

pagné par unsurplis jusqu'au cimetière, si la fa-

mille ne recule pas devant ladépense.

Tout cela, ai-je besoin de le dire? est pourla

galerie. On crève pour lagalerie de façon à ne

pas

Page 256: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

250 EXÉGÈSE DES LÏRUX COMMUNS

mourir comme un chien. Vouscomprendrez ou

vous ne comprendrez pas,mais tout est là.

Je me fous de lareligion, dit le grainetier,

maisje

ne veuxpas

mourir comme un chien.

La clientèle de la maison en dépend,si cette clien-

tèle est bienpensante.

Si elle ne l'est pas, l'intérêt

de la maison exige, au contraire, quele patron

crève comme un chien, mais le cas est rare dans

les banlieues où on fait la noce.

CL

Les amis de nos amis sont nos amis.

Le chevalier du Bran d'Enhaut avait sauvé la vie

à unpetit avocat au

parlement de Normandie.

Quand vint la Terreur, cet avocatplein de gratitude

recommanda son bienfaiteur à un menuisier, qui

le recommanda à un savetier, qui le recommanda à

unvidangeur, qui

le recommanda à un bénédictin

défroqué, quile recommanda à Catherine Théot la

prophétesse, quile recommanda à

Robespierre qui

lui fitcouper la tête. Un bienfait n'est jamais perdu.

Page 257: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 25 t

16

CLI

C'est en ami que je vous parle.

Quand unemployé du Domaine ou de

l'Enregis-

trement a décidé de ne rien faire, c'est comme cela

qu'il parle à sesplus intimes, s'ils sont en

danger.

L'homme àqui

sonpropriétaire parle

« en ami »

est le plus protégé,le

plus jugé et le plus exécuté

des hommes.

CLII

Un livre de chevet.

Ils'agit ici de l'élite. Le commun des bourgeois

ne lit rien du tout et, par conséquent, n'a pas de

livre de chevet. Le seul livre capable d'intéresser

un marchand de nouveautés ou un entrepositaire

de vins engros

est le livre de caisse, énorme in-

folio à coins de cuivrequ'on ne se

représente pas

sous un traversin.

Les ouvriers lisent davantage. Ils lisent, bien

Page 258: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

252 .EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

entendu, ce qu'ils peuvent,mais ils lisent. Us

n'ap-

partiennent pas au Commerce. Ils ne sontpas

im-

médiatement sous lesyeux de l'Idole. Ils ont la

permissionde vaquer,

une demi-heurepar jour, à

leurs âmes, à leurspauvres âmes, et

quelques-uns

en profitent.

Tout de même, avouons-le, ily

a une élite chez

les bourgeois, une sacréeélite supposant/au moins,

un livre de chevet par chaque32e

demi-brigade.

Quel peutbien être ce livre ? Il m'a été

impossible

de le savoir. J'ai entenduparler

dequelques ma-

thématiciens quicouchent avec la table des

loga-

rithmes, mais on a dû se ficher de moi, c'estdéjà

troplittéraire.

Je croirais plutôt qu'il y a plusieurs vieilles da-

mes quis'endorment encore un

peudans les bras

de Paul Bourget ou de Maupassant et des demoi-

selles appartenantà diverses générations qui s'en-

filent carrément laPhilosophie dans le Boudoir

du marquis de Sade ou tout autre livre du même

genre. Mais jen'ai

pas d'indicationprécise

etj'a-

voue ne savoirque penser

de ce fameux livre de

chevet quidoit exister, pourtant, puisqu'on

en

parlesans cesse.

Autrefois, ily avait l'Imi tat ion infiniment

lue de Jésus-C'hrist.Beaucoup plus tard, à la fin

du dernier siècle, ily eut l'Imitation de Notre-

Dame la Lune, dont l'auteur est àpeu près

mort

de faim et que personne,à commencer par moi, ne

Page 259: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

lira jamais. J'ai songé, quelquefois,à une Imitation

d'Hanotaux, livre de chevet à écrire, mais il fau-

drait une telle absence destyle,

une si méthodique

dépression de lapensée que l'entreprise ne peut

pasêtre

proposée,même à un académicien.

CLIII

Le coeur sur la main

et

Les larmes de crocodile.

Ilparaît qu'on peut

avoir en mêmetemps le

cœur sur la main et le cœur sur les lèvres, cequi est

déjà unmystère.

On peut aussi avoir son dîner sur

le cœur et répandre des larmes de crocodile. Cette

physiologie étonnante appartient au Bourgeois qui

nepourrait plus

vivre si on la lui ôtait.

Je me rappelle qu'étantenfant ce cœur sur la

main m'étonnait fort etque je regardais instincti-

vement les mains des gens. Ayant appris que c'é-

tait l'indice d'une véracitéirréprochable, d'une

candeur et d'une transparence héroïques, j'inférais

de l'absence de cet organe sur les abatis l'univer-

selle dissimulation de monentourage. Même aven-

turepour le cœur sur les lèvres.

Page 260: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

254 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

Plus tard, j'ai eu des notionsplus exactes. J'ai

su avecprécision

cequ'il

fallaitpenser du cœur

bourgeois et l'usage qu'onen

pouvait faire. Pour

tout dire, j'ose me flatter d'avoir mieux conclu que

Gargantua lui-même, en sonpropos torcheculatif.

Ici il nes'agit plus

de cœur sur la main, mais

d'avoir le cœurbourgeois

bien en main, vous m'en-

tendez.

Pour cequi est des larmes de crocodile, voici ce

quem'a dit un illustre

voyageur,un célèbre avocat

de Bruxelles, l'un desconquérants

du Congo belge,

le dernierpays

où l'on cause

Le crocodile est un bateau, il n'existepour

ainsidirepas,

en tantqu'animal, et, par conséquent,

nepeut verser aucun

pleur. C'est une figuration

mythologique du Pauvre par quil'infortuné Riche,

victime de ses exécrables larmes, est assidûment

dévoré.

« Faites-le passerà tout mon

peuple »,disait-il

ya

cinquante-six ans, Notre-Dame des Sanglots,

sur la terrible Montagne.

Page 261: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 255

CLIV

Être fils de ses œuvres.

C'est le pire conseilque puisse

donner cepince-

sans-rire qui se nomme le Bourgeois. Que penser

d'un vidangeur quiserait sorti de son tonneau ou

d'un feuilletonniste qui aurait étéengendré parses

feuilletons ? Est-ilpossible

deconjecturer seule-

ment l'immensité de larigolade ?

Supposez maintenant Zola mis bas parNana

ou n'importe quelle autre truie de ses romans, et

demandez-vous cequ'il

faudrait croire d'unpeuple

où l'on trouverait des sages-femmes ou des accou-

cheurspour de tels enfants

CLV

Cherchez la femme.

Tel est le cri de l'employé,lisant un crime dans

sa feuille. Je parle, remarquez-le,de

l'employéaux

écritures, del'employé intellectuel, de celui qui vous

Page 262: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

a des gestes d'enfonceur de coinspour dire que,

vu ladouceur dutemps,

il apris sur lui de quitter,

le matin même, son gilet de flanelle. Cet homme,

habitué à juger de haut, à voirplus

loinque

le vul-

gaire,ne rate

jamaisce conseil. Il a cette idée pro-

fonde et neuve, dont sipeu

depenseurs

se sont

avisés, qu'en toute aventure tragique lapremière

chose à faire est de chercher la femme.

J'en ai connu un tresser et très-marié dont la

femme cherchait l'homme aussi ardemmentque

la

belette cherche leclapier,

etqui

le trouvait avec

unepromptitude et une

fréquence incroyables*

CLVI

L'honnête femme.

Balzac a voulu, un jour, élever le mur d'Adrien

entre la femme honnête et l'honnête femme. Démar-

cationromantique, aujourd'hui

sans exactitude. Les

deux sont devenues la même. C'est l'éternelle Bour-a

geoisede Béthléem

quirefuse l'hospitalité

à l'En-

fant Sauveur et qui jette la Rose mystique au vent

du nord.

L'honnête femme est cellequi

a eu le premier

prix d'arithmétiqueà

i4 anset qui fait peur

aux

Page 263: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 25y

dix milleanges que

la Visionnaire d'Agréda voyait

autour de l'ImmaculéeConception.

L'honnête femme est la morose et brûlante épouse

du grandCocu déchaîné.

0 Prostituées sansmensonge pour qui Jésus a

souffert; pitoyables et saintes Putains qui n'avez

pashonte des pauvres et

qui témoignerez au Der-

nier Jour, que pensez-vous de cette gueuse?

CL VII

Le courage civil.

Si le Poète n'avait eu affaire qu'à des imbéciles

sans bonté, ils l'eussent acquitté probablement.

Mais lejury

avait été trié, comme parun démon,

dans le tas des commerçants les plushonorables.

L'Espérance,tuée

parle souffle de la Marchandise,

reposaitdans un cimetière lointain.

Sans doute,l'accusation n'avaitpas

l'ombre d'une

preuve, mais il s'était formé de tellesprésomptions,

par un concours si surnaturel de coïncidences, d'in-

cidents,de péripétieshomicides au cours des débats,

que l'innocent nepouvait plus se défendre. Surtout

ily avait la haine féroce, évidente, presque

décla-

rée du jury,dès le

premier jour.

Page 264: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

258 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

On était desboutiquiers

et on avait à juger un

poèteOn en tenait un, enfin 1 Tout était dit et

Dieu même aurait témoignévainement en sa fa-

veur.

L'institution démocratique du jury par laquelle

un hommesupérieur

est livré en proieà douze ma-

nants, créés pourle servir, est si intégrale que

le

malheureux nepeut pas

récuser sesjuges.

Il a beau

sentir et savoirque

chacun d'eux l'a condamné d'a-

vance, s'il ne peut pas démontrer quesa condam-

nation leur est un profit palpable,il est forcé, pour

la défense de sa vie, de paraîtreles

prendreau

sérieux, et même de les implorer,sans espérance,

en les vomissant.

Le Poète plaida lui-même. Son avocat était un

idiot sans conviction ni élan, ébranlé déjà.Le crime

était si énorme qu'il y allait de la vie. Si, vraiment,

il nepouvait pas

sauver sa tête, du moins, il vou-

lait quedes

paroles généreuses eussent été dites,

et que, quelle quefût

l'abjectiondes bourgeois

immondes quil'enverraient à la guillotine, ils gar-

dassent, tout de même, un souvenirinquiétant

de

leur exécrable justice.

11parla près

d'une heure, avec une force inouïe.

Il raconta sa vie douloureuse et fière, sa solitude,

sa pauvreté,la

régularité quasi-monastiquede son

existence dechaque jour.

Ilpérissait, maintenant,

victime de la plus inexplicable erreur, uniquement

parce qu'illui était

impossiblede se

rappeleret de

Page 265: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS25g

prouver l'emploide son temps, un certain soir, il

yavait trois ans.

Avec des gestes de lion audésespoir,

il secoua

sur ses épaulescette fatalité

épouvantable. Comme

des cristaux de compassion qu'une vibration trop

puissanteaurait brisés, des cœurs éclatèrent. Des

sanglots furent entendus, et là, qui demandaient

grâce.

Le verdict de culpabilité n'en devint que plus sûr.

Lepersonnage

influent du jury, unpetit

mandarin

des Contributions indirectes, chafouin de bureau

particulièrement implacable, n'eut pas de peine à

faire comprendreà ses collègues qu'ils devaient

craindre de se laisser gagner par un attendrissement

ridicule, incompatible avec leur devoir; quec'était

l'occasion ou jamais de faire preuve de ce courage

civil, sisupérieur,

comme on sait, au soi-disant

héroïsme deschamps

de bataille etqui

consiste à

tapersur les pauvres et les sans défense avec une

indomptable fermeté.

Un pharmacien quiavait des dents de cheval

ajouta qu'il était, d'ailleurs, temps d'en finir avec

ce faiseur d'embarras qui avait l'air de les regar-

der comme du caca etqu'il

ne fallaitpas rater l'oc-

casion d'inculquerun

peude

respectaux bohêmes

et auxva-nu-pieds.

Enfin un fabricant d'eau de seltz,homme d'action

qui passait pourêtre d'une jolie force au billard,

affirma nettement qu'il se foutait des preuves; que,

Page 266: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

2G0 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

pour lui, quand on avait une gueule pareille,on

était capable de tous les crimes; quesi l'accusé était

innocent de celui-là, il était certainement coupable

de plusieursautres

qu'on ne savait paset que,

même

ensupposant qu'il

n'eûtjamais

tuépersonne,

l'in-

térêt général exigeait qu'onle mît hors d'état de

nuirependant qu'il

en étaittemps

encore. L'éner-

gie de cecitoyen

enleva toutes les volontés.

Le Poète déclaré coupable, sans circonstances

atténuantes, à l'unanimité et sur touslespoints,fut

condamné à mort. Il se leva très-pâle et, d'une voix

calme, il dit aux jurés, plus pâles que lui, ces sim-

plesmots

Messieurs, n'oubliezpas que

vous venez d'en-

voyerun innocent à l'échafaud.

C'est alorsque

monépicier, vous entendez bien,

mon épicier, quiétait des douze, obéissant à une

impulsion mystérieuse ou secroyant simplement

à soncomptoir, ce qui est, peut-être,

la même

chose dans l'infinirépondit par

cette formule

commerciale, prodigieuse en la circonstance

Personne ne nous a jamais, f'ait de reproches,

monsieur 1

Page 267: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSEDES LIEUXCOMMUNS 261

CLV1II

Tout n'est pas rose dans la vie.

Le Bourgeois voudrait-il vraiment que tout fût

couleur de rose dans cequ'il nomme la vie, ou ce

Lieu Commun n'est-ilque l'inoffensive et

plate

constatation d'un fabricant de couleurs ?

J'aime la première hypothèse, quiest certaine-

ment la vraie. Iî faut du rose auBourgeois, c'est

sa couleur. Ses filles s'habillent de rose et même

son épouse, jusqu'àsoixante ans. Lui aussi est

rose et joyeux comme un jeune porc, lorsqu'il fait

de bonnes affaires. Il tient à voir tout en rose et

veutque

tout soit couleur de rose. Ilaspire sans

cesse à dormir sur un lit de roses. Lui seul, après

tant depoètes, parle

encore unpeu, quelquefois, de

« l'aurore aux doigts de rosés » et, pour être juste,

on doit reconnaître que,sans lui, personne, depuis

longtemps,ne ferait la

remarque, toujours fraîche

ettoujours charmante, qu' il n'y a

point de roses

sansépines

».

Un bourgeois qui réclamerait du bleu de cobalt

ou dujaune indien

serait unbourg eois parvenu. Le

vrai, l'authentique,celui qui est tout à fait en

règle,

à l'instar des gentilshommes, leBourgeois bien né,

Page 268: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

262 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

ne tolère qu'en gémissantle noir de la mort. Com-

bien ne sont-ils pas,les

empoisonneursd'enfants

ou les affameurs de vieillards quivoudraient être

mis, aprèsleur

trépas,dans un cercueil rose, au

milieu d'une église tendue de satin rose et remplie

de toilettes roses, cependant qu'un orgue hilare

exécuterait la valse des roses

Onpeut voir, dans un des grands cimetières de

Paris, le tombeau d'un riche facteur de la halle

quiavait des traités avec l'Assistance

publique pour

le fourniture de toute la charogne consommée

dans les hôpitaux etqui

ne gagnait pas moins de

trois cents pour cent. C'était un homme d'une ima-

gination délicieuse. Ily

a sur ses tripes en putré-

faction une corbeille, soigneusement entretenue,

des roses lesplus magnifiques et, sur le marbre, ces

quatre mots « Il les aimait tant

CLIX

Les belles années de l'enfance.

0 François Coppée

Page 269: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

CLX

Le bon vieux temps.

Quelques-uns disent qu'un tempsnommé invaria-

blement « les siècles d'ignorance », par opposition

au «siècle des lumières» qui est lenôtre, nepeut pas

être bon etque, plus

il est vieux, moins il doit être

bon. D'autres soutiennent, sans preuves suffisantes,

me semble-t-il, que la bonté d'un temps n'est nulle-

mentincompatible

avec les ténèbres et la vieillesse.

Un troisièmegroupe,

dont je suis, affirme auda-

cieusement que ce Lieu Commun doit être mis au

rancart, parce quece qu'on

est convenud'appeler

le bon vieuxtemps, c'est-à-dire, je suppose, le

Treizième Siècle,fut, au contraire, etpar excellence,

le jeune temps,celui de la force, de l'amour, de la

lumière et de la beauté, tandis que le Vingtième

est, de plus enplus,

un tempsde

décrépitude, une

hideuse et haïssable imagede

la'plus gâteuse vieil-

lesse. Mais allez dire à un avoué depremière ins-

tance de recommencer la Quatrième Croisade

Page 270: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGFSE DES LIEUX COMMUNS

CLXI

Il y a un Dieu pour les ivrognes.

LeBourgeois

tient beaucoupà celui-ci. Il est de

ceuxpar lesquels

est affirmée sa faimtoujours

neuve de cracher à la Sainte Face, de souiller autant

que possiblela Parole.

« Dieu a commandé à ses anges, dit le Tenta-

teur, de te porterdans leurs mains, de

peur que ton

piedne heurte contre la pierre. »

Ah oui, vous allez me dire que leBourgeois ne

sait pastout ça, qu'il a autre chose à faire

que de

lire saint Luc ou saint Mathieu. En effet, que pour-

rait lui apprendre l'Evangile?Il a le blasphème

infus.L'ordure sortie de ses

pères arrive en lui,

naturellement et sans étude, comme les immondices

d'un égout passent dans un autre égout. Quelques-

uns la reçoivent avec une abondance tellequ'ils

en

sont ivres etqu'ils

ont eux-mêmes besoin d'être

soutenus parles anges, et

par quels anges

L'objet du présent livre necomporte pas

le

développementd'une telle idée, mais

j'espère que

la consolation ne m'en serapas

refuséetoujours.

« On verra alors, écrivais-je à un inconnu, qu'il n'y

apas une parole

du Sauveur ou de ses Amisqui

Page 271: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 265

ait échappéaux démentis et aux outrages conti-

nuels des chrétiens eux-mêmes, et nos dévotes, on

aime à le croire, seront heureuses d'apprendre

qu'elles parlenttout le temps

comme les démons. »

CLXII

L'appétit vient en mangeant.

Bonneréponse à un homme

quimeurt de faim

Malheureux, vous ne savez pas ceque

vous

demandez. Si vous mangiez, vous voudriez mander

j encore et vous seriez, deplus

enplus,

à la charge

des honnêtes gens quise ruineraient sans parvenir

à vous rassasier. Quand on ne se sent pas capable

de rester sur sonappétit, on reste sur sa faim et on

ne demandepas

l'aumône à dix heures du soir. Je

meregarderais comme un criminel, si je vous don-

nais un centime.

Décor deneige. Celui

qui parleest un gros

hommecongestionné par

un délicieux dîner. Il

vient de sortir du restaurant et attend sa voiture

qui décrit une courbe financière pourvenir à lui.

L'affaméreprésente une souffrance quelconque,

une souffrance de tous les siècles. L'affameur ne

Page 272: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

266 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMCNS

représente rienque le Désespoir, le désespoir rouge,

tuméfié etcrépitant.

CLXIII

On ne prête qu'aux riches.

Pourquoi? Parceque

l'eau va toujours à la ri-

vière, vous répondra le greffier de la justice depaix.

Depuis le Pactole, ily

a toujours euquelque

chose

entre les riches et les rivières.Quelquefois,

cette

eau vient directement des sources pures de la mon-

tagne. Plus souvent elle a servi à laver la vaisselle

ou à rincer les pots de chambre.

Les riches reçoivent tout, comme les rivières,

mais le mot prêter est une dérision, car il est sans

exemple quecelles-ci ou

queceux-là aient jamais

rendun'importe quoi. Chacun à sa manière, ils

deviennent de vastes fleuves, en roulant le jusde

latrines ou lespleurs

despauvres, indistinctement,

jusqu'à l'Abyme.

Page 273: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS267

CLXIV

Il n'y a pas de sot métier.

Pardon, il y en a un. C'est d'être tailleur et de

prétendrehabiller un moine. Tout le monde sait

quel'habit ne fait

pasle moine et que, par consé-

quent,il n'est pas possible d'imaginer quelque

chose deplus

sotque

le métier qui consiste à faire

un habit pourun client qui a lui-même besoin

d'être fait, n'existant pas.La chose, je l'avoue,

ne paraît pas très-intelligible.

Cependant qu'est-ce qu'unmoine? sinon un

homme ou soi-disant homme qui pratique cet autre

métier d'être obéissant, chaste etpauvre, juste le

contraire de ce que le Bourgeois nomme la vie.

Ne serait-ce pas là un métier encore plus sotque

celuiqui

vient d'être dit, puisque celui qui l'exerce

n'a aucune partà l'existence bourgeoise et ne peut,

en aucune façon, profiterd'un habit

impuissant à

lui en conférer le moindre semblant? La rencontre

d'un moine et d'un tailleur est probablement ce

qu'on peut imaginerde plus extraordinaire, de

plus fou, deplus cocasse, de plus fantastique.

Page 274: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

268 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

CLXV

La nuit est faite pour dormir.

J'habite, sur la rive gauche de la Marne, unpays

quifut

très-particulièrement saccagé, pillé, ran-

çonné, détroussé, maltraité de toutes façons par

les Allemands, en 187o et et où il estimpos-

sible de trouver quelqu'un qui s'en souvienne.

C'est unpeu décourageant pour un

citoyen fran-

çais quiaurait des histoires de

guerre à raconter.

Précisément, j'entenais une qui

n'eûtpas été sans

intérêt, mais il faudrait tellement compter sur des

âmesqui

n'existent plus

Avec cette espècede sentimentalité internatio-

nale quivoudrait qu'on

oubliâtl'Outrabe horrible

et quetout le monde s'embrassât dans un

pardon

cosmopolite et une chiasse universelle, où trouver

un auditeur capable d'avaler l'anecdote des trois

Prussiens envoyésad

patres, au milieu d'une nuit

assurément faitepour dormir, par un franc-tireur

vendéen, leurprisonnier, qu'ils conduisaient au

princede Saxe et qui devait être fusillé le lende-

main.

Ce captifà la main leste et au

pied léger, quisa-

vait aussi bien quemoi-même les Lieux Communs,

Page 275: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS2GQ

n'ignorait pas que, non seulement la nuit est faite

pour dormir, mais aussiqu'elle

«porte conseil »

aux bravesgens et

qu'enicelle « tous les francs-

tireurs sont gris ».

Avec quelle prestesse etquelle

audace il sut en

profiter, je ne le raconterai pas, décidément. Cela

ferait tropde mal aux

petitsnerfs de ces bâtards

de femmes violées qui font du commerce le long des

murs où la Prusse fusilla ceux qui auraient pu

être leurs pères. On m'a assez accusé d'exagérer

et de surfaire l'horreur.

Mon homme était un boucherincomparable qui

aurait écorché un lion vivant avantqu'il

eût eu le

tempsde tirer ses

griffes. Que cette information

te suffise, mon cher lecteur.

CLXVI

L'occasion fait le larron.

S'ol cognovit occasion suum. Est-ce vous,

Seigneur? Est-ce vous, enfin? demande le Voleur

en croix. Je te le dis, en vérité, tu seras, aujour-

d'hui, avec moi, dans le Paradis, répondla Lumière

du monde crucifiée.

Cela sepasse dans les Ténèbres de la Sixième

Page 276: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

Heure et leBourgeois

s'estpendu lorsqu'il faisait

jourencore.

Post-scriptum. J'aurais voulu trouver l'occa-

sion d'une engueuladeinfinie où il eût été dit que

le Bourgeois n'a de l'argent que pour le rendre et

que,s'il ne le rend

pas,il est un larron sans croix

et sans paradis. Judas, moins canaille, a RENDU

le sien, avant de crever. Maisessayez

de faire com-

prendreces choses 1

CLXVII

Il n'y a pas de fumée sans feu.

Non, Bourgeois, pasmême dans

l'Apocalypse,

quiest un livre où l'on

parle beaucoup de toi.

« Et la fumée de leurs tourments montera aux

siècles des siècles, et il n'y aura derepos,

nijour

ni nuit, pourceux

quiauront adoré la Bête et son

image,ni

pour quiconque aura reçu la marquede

son nom. »

Je te recommande cet endroit.

Page 277: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS2f

CLXVIII

Entre deux maux, il faut choisir

le moindre.

Là-dessus, pasd'incertitude. Les personnes les

pluscharitables reconnaissent que le mal du

pro-

chain est toujoursle moindre etque c'est bien celui-

làqu'il

faut choisir. Les moralistes ontremarqué

depuis longtemps qu'on a toujours assez de force

pour supporterles peines d'autrui.

CLXIX

On n'est pas louis d'or

ou

Ce qui convient aux jeunes filles.

On n'estpas

mêmepièce

de cent sous. J'en fis

l'expériencedouloureuse en Danemark où

je n'a-

vais pas cours. Déjà, en France, je nepasse pas

trop facilement, mais là-bas, si vous saviez

J'habitais, pardécret spécial de l'inhumaine for-

Page 278: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

272EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

tune, une petiteville du Jutland où j'ai cru laisser

mes os. J'y ai donné des leçons de français etj'ai

eu jusqu'àtrois élèves. Je ne parlerai que du

numéro 2, aujourd'huidu moins. Le i

prendrait

tropde

placeet le 3 fut sans intérêt.

M.' Kanaris-Petersen était professeur de lan-

gue française dans une école de la ville etjouis-

sait de la plushaute considération. Je sus

parlui-

même, dès lapremière heure, que

ce nom de

Kanaris, sipeu danois, malgré l'artifice du K ini-

tial, lui était venu, partransmission directe ou indi-

recte, du célèbre héros grec de laguerre de l'Indé-

pendance

Je n'entrepris aucune vérification de cetteparenté,

mais, l'ayant interrogésans malice, je fus étonné

d'apprendre qu'ilne savait absolument rien des

vers fameuxinspirés

à VictorHugo par

cet admi-

rable corsaire.

Je n'espère pas rencontrer ailleurs une vanité

aussiprécieuse,

une imbécillité aussi succulente,

aussi complète.Le Canaris des Orientales « arbore

l'incendie ». Le Kanarisjutlandais arbore la

pluie

et le ridicule. Etquel

ridicule Il faut connaître

le Danemark, avoir vécu dans cepays de médio-

crité idéale, pour apprécier comme il faut l'atten-

drissante idiotie d'unpion imaginant

de se radou-

ber d'un écumeur.

Une extraction si rareexigeait naturellement les

plus aristocratiques manières. M. Kanaris Petersen

Page 279: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS273

est quelquechose comme le Brummel de son trou.

Les jeunes Danois, entr'ouverts sur son passage,

sont attentifs aux gestes et auxparoles

de cet

Arbiter elegantiarum.

« Il n'est pasbon

quel'homme soit seul, dit le

SeigneurDieu. Faisons-lui une aide semblable à

lui. » Je n'étonneraipersonne

en ajoutantà ce

qui

précède qu'uneMm0 Kanaris-Petersen existe et

qu'elleest digne

de sonépoux.

On ne connaîtpas

de vainqueur palicareni

moldo-valaquedans l'as-

cendance de cette dame, où prédominentseule-

ment la quincaillerieet les fers en gros.

Mais elle

apporta, dit-on, de l'argent et passe pouravoir été

une ravissante personne.Il faut le savoir. Elle m'a

paru plutôt briquetéeet verj uteuse, ce qui

vient

sans doute en aide aux grands airs dans ce culot

de province.

Un fait incontestable, c'est qu'ons'amuse fort

chez les Kanaris. Comédie et bal travesti huit ou

dix mois de l'année, Mme Kanaris ayant acquisle

renom d'une délicieuse cabotine, et la chie-en-lit

étant considérée, en général, dans un telfaubourg

Saint-Germain de la Béotie danoise, comme l'ex-

pressiondernière de la finesse et de l'atticisme.

Au milieu de cette crotte grandissentdeux

peti-

tes filles quel'infanticide frivolité de leur mère

habille et déshabille dix fois le jour. Que devien-

dront-elles ? Il esttrop

facile de le prévoir. Le

monde luthérien, c'estl'empire

de Satan bâtard.

Page 280: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

274EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

Le crime et l'ordure même y sont médiocres. Pour

délivrer une de ces misérables âmes, il faudrait que

Dieu déplaçâttous les décombres de sa création

bouleversée.

Nos petites filles aimeront la danse comme

papaet maman 1 m'a dit, une fois, le crétin morose

quine cesse de prétendre

à la sémillance et à l'en-

jouement. Quelle descendantespirale j'entrevis

alors Voilà donc, me disais-je, ce quiconvient ici

auxjeunes

filles! Danser commepapa

et comme

maman, avec toutes lesconséquences présumables

de cettechorégraphie,

et cequi

ne leur convien-

drait absolument pas, ce serait, par exemple, d'al-

ler à la messe ou de fairen'importe quoi

depro-

pre ou de généreux.

Un an après avoirquitté

cepays ignoble, j'ap-

pris que mon Kanaris dontj'avais subi

les poignées

de main avec constance, le croyantun animal

inoffensif, s'étaitemployé

à me nuirejusqu'à

en

attraper des courbatures. On m'a rapporté de lui

ce motremarquable que je

citepour

embraser

d'un dernier feu lespassionnées qui

auraient pu

me voir naîtra

La maison de LéonBloy

n'estpas

une mai-

son pour les jeunes filles.

Page 281: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNE275

17

CLXX

La critique est aisée, mais l'art est

difficile.

Je ne suispas

sûrque

le Bourgeois se ferait

couperen morceaux pour soutenir

que l'art est

difficile, maisje

saisqu'il veut

quela

critique soit

aisée, et même la chose du monde laplus aisée.

Cela, ily tient. Il faut s'entendre, cependant. Le

Bourgeois n'est pas un âne. La critique peut

fort bien être malaisée, s'il s'agit dugrand art,

de l'art véritablequi

est celui de Bouguereau en

peintureou de Paul

Bourgeten littérature. Où en

serait-on, s'il étaitpermis

aupremier

venu de tou-

cher à ces chameaux ?

Combien, au contraire, n'est-il pasfacile

de juger

Verlaine, Villiers de l'Isle-Adam, Barbey d'Au

revilly, Ernest Hello Et sijamais

uncritique

fut

à son aise, n'est-ce pas lorsque la Providence lui

accorda dedéposer

son crottin sur l'auteur de ces

humblespages?

Page 282: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

276EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

CLXXI

Je suis philosophe

ou

l'An quarante.

Je vous en prie,ne demandez

pasà ce tanneur

s'il appartientà l'école d'Ionie fondée par Thalès

et renouvelée par Anaxagorene cherchez pas

savoir s'il est pythagoricien, métaphysicien, plato-

nicien ou péripatéticiens'il est

disciple d'Euclide

ou d'Antisthènes, de Pyrrhon oud'Epicure,

de Zé-

non ou de Carnéade ne faitespas

la folie de le

supposer éclectique, mystique, stoïque, sceptique,

syncrétiqueou

empirique. Enfin, etsurtout, n'allez

pas imaginer un christianisme quelconque. Quand

il vous ditqu'il

est philosophe, cela signifie tout

simplement qu'ila le ventre

plein,la

digestion

sansembargo,

leporte-monnaie

ou leportefeuille

convenablement dodu et que, par conséquent,il se

fout du reste « comme de l'Anquarante

».

Je me suis souvent demandé ce que pouvaitêtre

cet Anquarante

si fameux et sidédaigné des

phi-

losophes. Impossiblede rien trouver. Pourtant il

a du se passer quelquechose de peu ordinaire,

cette année-là. Comment le savoir ? Leséphémé-

Page 283: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS277

rides et les tableaux synoptiquesne donnent rien.

Remarquons seulement quel'An

quaranteest un

pointextrême de comparaison,

un étalon de mé-

pris.Peut-être faudrait-il savoir, avant tout, ce

que

le Bourgeois méprisele

plusau monde. Mais qui

oserait descendre dans cet abîme ? Cum in profun-

dum uenerit, contemnit.

CLXXII

Une fois n'est pas coutume.

Formule d'absolution àl'usage

desbourgeois.

Tout va bien si la coutume n'est pas implantée.

L'essentiel c'est de ne tuer sonpère qu'une fois.

-> J'ai trois mille bouteilles de vin dans ma cave,

et ma santé ne mepermet pas

de devenir un saint,

me disait un curé d'ici. Vous nevoyez pas le lien,

moi non plus, mais il existe, certainement.

CLXXIII

Je n'avais pas besoin de ça!

Ainsi parle le Bourgeois, lorsqu'un accident im-

Page 284: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

prévu l'accable ou seulement le déconcerte. C'est

une manière deprendre position vis-à-vis de Dieu

et d'interpellerla Providence avec

supériorité.Il

y

a bien peu d'adolescents quin'aient été

impression-

nés entre 16 et 18 ans, quelquefois jusqu'àl'é-

blouissement, par l'espècede connaissance infuse

quele

Bourgeois paraîtavoir de ce qui lui con-

vient et de cequ'il

lui faut. On ne connaîtpas

d'animaux, même parmiles

solipèdes, quisoient

servis par un instinct aussi sûr. Mais où se ma-

nifesteprodigieusement

son flair, c'estlorsqu'il

s'agit des choses dont il n'apas

besoin etqui, par

conséquent, lui pourraientêtre fâcheuses. En voici

unexemple remarquable.

Ily

avingt ou vingt-cinq ans, j'étais,

à dix heu-

res du soir, dans un café aux environs de l'ancienne

gare Saint-Lazare, en compagnie de deux camara-

dessympathiques

dont l'un est aujourd'hui à l'Aca-

démie et l'autre au bagne.On avait, si

j'ai bonne

mémoire, passablement bu et onpensait déjà

aux

moyensde s'achever dans quelque

autre établisse-

ment, lorsque,la

portes'étant ouverte avec fracas,

nous vîmes entrer, furieux et mugissant, le mar-

brier national du Petit-Montrouge, le célèbre José-

phin Dodécaton, inventeur destombeaux inusables.

Cegrand homme avait perdu tout

empiresur lui-

même et nousparut, pour

tout dire, au dernier

degré de larage.

Je n'avais pasbesoin de ça,

disait-il sans cesse, en grognantcomme un

pachy-

Page 285: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS279

derme, je n'avais vraiment pas besoin de ça. Ces

choses-là n'arriventqu'à

moi. C'est à croirequ'il

n'ya

pasde bon Dieu, etc.

Il se fit pourtant servir un verre de bière et finit

par s'expliquer.Il avait raté le train de 9 h. 55 et

sevoyait

forcé de renoncer à une affaire d'or.Déjà

suffisamment émus avant l'arrivée de ce malchan-

ceux, nous le laissâmes gémir.

Apeine dans la rue, une clameur étrangement

lugubreet affolée nous apprit l'effroyable

catastro-

phedu

rapidesi fâcheusement raté par Dodécaton.

Ce train venait d'être broyé à quinze cents mètres

de lagare

et la plupartdes

voyageursétaient

écrasés ou mutilés.

A lastupeur

des gens de la ruequi

nous crurent

frappés de folie, nous éclatâmes de rire en son-

geantà notre entrepreneur

de sépultures quiconti-

nuait sans doute ses lamentations dans le café, et

celui de nousqui

n'est pasmême devenu académi-

cien fit observer, une fois de plus,le discernement

infaillible de ceux qui« n'ont pas

besoin de ça »

Si celui-là avait écopéet qu'il pût parler

encore, dit-il en manière de conclusion, sa plainte

seraitidentique,

absolument. Les bourgeois ont

toujours raison.

Page 286: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

2Ô0 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

CLXXIV

Les enfants sont ce qu'on les fait.

?

Consolante maxime, etquel

avenir elle nous

entr'ouvre C'est, sans aucun doute, l'intention de

la nature que lespetits

des bourgeois soient des

bourgeois. Quelquefois, pourtant, cela rate. Alors

le malheureux boutiquier endurel'opprobre d'avoir

un enfant poète.Le cas, heureusement, est

trop

rare pour être prisen considération. La nature,

généralement,est obéie. Il

yaura donc

toujours

des bourgeois.

Mais les fait-on, aujourd'hui, comme on les fai-

sait ily

a trente ans ? De la réponse à cetteques-

tion toutdépend.

Eh bien l'oserai-je dire ? Il me

sembleque

le Bourgeois segâte. Certes, il n'oublie

pasles grands principes.

Onpeut même affirmer

qu'il adore, plus qu'autrefois, l'argent etqu'il écarte

Dieu d'une mainplus

ferme. A ceségards, il ne mé-

riteque

lalouange et même

l'apothéose. Seulement

la Bourgeoisie, comme tout cequi

estgrand, doit

s'allaiter de la tradition et il me semblequ'elle dé-

raille, depuis quelque temps,vers les nouveautés.

Labicyclette

et l'automobile sont furieusement

artistes, savez-vous ? et on ignore où cela s'arrê-

Page 287: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 281

tera. Le courant est siimpétueux qu'on peut

crain-

dre que, dans une ou deux générations,les fils des

bourgeoisne soient tous des Albert Dürer, des

Shakespeareou des Beethoven et

quela Bourgeoi-

sie nepérisse étouffée par

l'Art. Je signale patrio-

tiquementle

danger.

CLXXV

Il faut se faire un nom.

C'est moins facile et moinspropre que

de faire

des enfants, mais ily

a tant de manières! Il y a le

nom deNapoléon et il y a le nom de Félix Potin.

Ces deuxexemples me dispensent de mille autres.

Il serait puéril d'expliquerla différence de ces deux

noms et l'énormesupériorité

d'un hommequi

n'a

vécuque pour gagner de l'argent, sur un miséra-

bleempereur mort en exil. Il n'y a de grand que

cequi ne

bouge pas laStupidité,

la Cupidité,

l'Abjection.

Quand VictorHugo parle

de ces « Renommées

qui volaient, gorge au vent, pieds nus, clairons en

mains, devant le maître des armées », cesbelles ima-

ges fontpitié

si on se souvient de ceque

la radieuse

et nonsanglante Publicité a su faire des noms de

Page 288: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

28x EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

Ménier et de Géraudel. Les mursd'affichage, les

clôtures de chantiers ou de terrainsvagues,

les

plafondsdes omnibus ou les parois intérieures

des pissotières,dans tous les pays du monde, lé

voilà le Livre de Vie des salauds qui ont su se faire

un nom

CLXXVI

On fait ce qu'on peut.

Quand on a fait des enfants et qu'on est arrivé

à se faire un nom, on a fait ce qu'on pouvait et je

ne vois pasce

queDieu même aurait à demander

de surcroît. Les fameux Commandements du Sinaï

ne sont qu'undécor facultatif. Le solide et le cer-

tain c'est ce quivient d'être précisé.

« Une fois, dit la Bienheureuse Angèle de Foligno,

j'étais plongéedans une méditation sur la mort du

Fils de Dieu. Alors cette paroleme fut dite dans

l'âme :« Ce n'estpaspour

rireque je

t'ai aimée.' »

Je crus recevoir uncoup

mortel et je ne sais com-

ment je ne mourus pas. D'autres parolesvinrent

qui augmentèrentma souîfrance « Ce n'est pas

pourrire que je

t'ai aimée, ce n'est pas par grimace

Page 289: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 283

que je me suis fait ton serviteur, ce n'estpas

de

loinque je t'ai touchée »

A ce dernier mot, le Bourgeois, le vrai, l'éter-

nel Bourgeois, celui qui fut homicide dès le com-

mencement, bondit en criant

Tu m'as touché, toi 1 tu oses dire que tu m'as

touché, avec tes Mains et tes Pieds percés et ta

Face en sang et ta Sueur de sang et les hurlements

de ta multitude juiveet le ruissellement surnatu-

rd de talongue Flagellation Tu m'as touché ah

vraiment, pauvre Homme-Dieu, pauvre Bon Dieu

des ancienstemps

Es-tu seulement une pièce de

cent sous pour agirsur moi ? Tu ne voulais pas

rire avec ta bienheureuse et ta bienheureuse non

plus ne voulait pasrire. Eh bien moi, c'est tout le

contraire. Je suis un homme gai, unjoyeux bougre

et jen'ai

pas plusbesoin de tes Larmes que de ton

Sang.Je suis né

pourles affaires et la rigolade, et

je n'entends rien à la pénitenceni aux extases. On

fait cequ'on peut,

on n'est pasdes bœufs.

Post-scriptum.« J'ai eu faim, dira le

Juge, et

vous ne m'avez pasdonné à manger; j'ai eu soif et

vous ne m'avez pas donné à boire. » Tout ça,

c'esttrès-joli, répondront

mille charcutiers, mais

le carême nous fait rudement du tort.

Page 290: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

2ô4 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

CLXXVII

On.

Au fait, qu'est-ce queOn

pourle Bourgeois? Cet

abstrait sans cesseinvoqué par

lui ne serait-ilpas

le Dieu inconnu ? On ne connaîtpas

cet homxne,

On ne l'aime pas,On ne l'a

jamais vu, On l'a assez

vu. Savez-vous des formules de réprobation plus

certaines, plusefficaces ? C'est On qui tient la fou-

dre et c'est On qui donne la vie. On vous connaît

bien, On saitqui

vous êtes, On vous fait crédit.

Chaque fois quele Bourgeois parle,

cemysté-

rieux On sonne comme un sac d'argent posélour-

dement à terre, dans une chambre voisine où quel-

qu'un aurait été assassiné.

CLXXVIII

Tous les hommes sont frères.

Voir le numéro CL, où je crois avoir épuiséla

matière.

Page 291: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

Texte détérioré reliure défectueuse

NF Z 43-120-11

Page 292: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS 285

CLXXIX

Tout ou rien.

Tout, s'il s'agitde refuser.

Rien/s'il s'agit de

donner. Telle est lagrande

loiordinale. Dans

l'application,cela se mitige suivant les circonstan-

ces, quisont infinies.

Quelquefois même, il faut

donner tout. Cela s'est vu en 1870, lorsque le

Bourgeoisavait les baïonnettes prussiennes dans

le derrière. Mais leprincipe demeure.

CLXXX

Ce que femme veut, Dieu le veut.

Si ta femme veutque

tu sois cocu, ô employé

ieu le veut. Et elle le veut souvent, c'est fort

probable. A toi de t'arrangeren

conséquence.Il

e semble, cependant, que c'est mettre beaucoup

ur la pauvrecréature. Car enfin, si elle ne veut

as ceci ou cela, faudra-t-ilque

Dieu aussi ne le

euillepas

et qu'ainsielle devienne l'axe du mon*

Page 293: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

286 EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

de? Cette espècede

pacteentre la volonté de

^ieu et la sienne, au cas de la négative, ne sera-t-

il résilié ? Combien d'autres difficultés mais

jene

fc»-sUispas chargé

de lesrésoudre,

n'est-cepas?

La vieivst assez

énigmatique déjà,sans

qu'on

entreprenne je débrouillement du chaosmétaphy-

siquedans

l?a cervelle des commis aux écritures.

Cequi

m'e'tonne, malgrémon

expériencede la

fluctuation des

comptables,c'est cette

espècede

respectde la Voie

ntédivine,

manifestée à leurs

cœursimpurs par la olonté de la femme.

Qu'ilte soit fait

sVjon tondésir,

dit Jésus à

la Chananéenne. Mavolonté est avec ta volonté.

S'il savaitpourtant,

lep .Livre Bourgeois, que

son Lieu Commun dit unmysi. Are

dont les cieux

éclatent, qu'il exprime,en une

façu.quin'esi pas

mêmeenveloppée,

la réalité laplus impatiente,

la

plus explosive,et

qu'ilest

impossiblede le

proférer

sans solliciter la foudre

CLXXXI

Qui paie ses dettes s'enrichit.

J'avoue macomplète inexpérience. J'ai assez

souventpayé mes dettes, quelquefois aussi les

Page 294: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

i8

dettes des autres, et jene

remarque pas quema

richesse en ait été considérablementaugmentée.

Cela tientpeut-être

à cette circonstanceque je

payaissans

joie.J'ai eu un

propriétaire qui vou-

lait à toute forceque je partageasse son

allégres-

se. Etantquelque peu

clerc et mevoyant

sans

entrain, nyeut-ilpas,

unjour

de terme, letoupet

inconcevable de me servir le daiorem hilarem de

saint Paul aux Corinthiens, texte réservé, jusqu'à

ce jour, parla Mère Eglise,

à l'office de saint

Laurent sur sa rôtissoire, etpar lequel il serait dé-

sormais notifié à tous les locataires sansexception

qu'ils ont le devoir de verser leur métal gaîment.

J'ai écrit plus d'une fois -avecquelle modération,

lesanges le savent que l'argent des propriétaires

est, un grand nombre de fois sur dix, la mortpour

les malades et les toutpetits enfants, et je vous

prie de croire que je suis docteur en la matière.

Nous étions seuls, on ne m'avait pasvu venir et

l'endroit était isolé. Je fendis la tête de cejoyeux

homme et le débitai enplusieurs tranches

quifu-

rentexpédiées par

colispostaux

à mes autres four-

nisseurs dont un prêtre.Ce souvenir est comme

unrayon

de lune dans mavie. Certes, une fameuse

dette futpayée,

cejour-là.

Maisje n'en suis

pas

devenuplus

riche.

Ily a derrière la maison du Bourgeois un bal-

con sur un abîme. Il faudrait peut-être regarder

par là.

Page 295: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

CLXXXII

Quand le diable devient vieux,

il se fait ermite.

La vieillesse du diable est une des belles inven-

tions duBourgeois,. Alfred de

Vigny, quicaressait

pourtant,à l'occasion, les idées bourgeoises,

en

saqualité

degentilhomme-poète

et deromantique,

imagina, au contraire, desupposer

l'Ennemi des

hommes adolescent et beau. Ce renouveau de vingt

siècles de paganisme s'accomplissait vers 1830. Les

vierges et les matrones, en roucoulant Eloa, sou-

pirèrent devolupté

Je t'aime et je descends, mais que diront les cieux?

Ils diront cequ'ils voudront. Fantaisie

quine

pouvait pas durer. Aujourd'hui commeaupara-

vant, nous préférons l'imaginer vieux dans un

ermitage.Vous

comprenez,il

s'agit d'embêter

l'Eblise autant que possible,c'est-à-dire de désho-

norer du mêmecoup

le diable, la vieillesse et les

ermites.

Avez-vousremarqué le contentement des bour-

geois quand ils peuvent, en ces termes, avilir une

Page 296: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS28g

conversion religieuse?Je

parle, cela va sans dire,

d'une conversion arrivée sur le tard. Jesuppose

unpauvre

bonhommelassé, jusqu'à l'inappétence

absolue et jusqu'au bondissement du cœur, des

âneries et des pourrituresde l'impiété et s'avisant

enfin des sacrements, fût-ce à la dernière minute

de la onzième heure.

Il est aussitôt décrété degâtisme

dans les conci-

les provinciauxou

œcuméniquesde la Nouveauté,

et devient, pour les demoiselles, une sorte de vieux

bouc en retrait d'emploi.

Maispourquoi ermite, c'est-à-dire anachorète?

Pourquoi pas plutôtla vie cénobitique,

la vie en

commun? Puisqu'onveut absolument

quece

pau-

vre diable soit le Diable, qu'onlui

permetteau moins

d'être légion, si cela luiplaît.

Nous aurions ainsi

quelques monastères, quelqueschartreuses de vieux

démons où les rosses de l'Administration, du Com-

merce ou de la Propriété immobilière pourraient,

en conscience, venir se faire abattre etque

les puis-

sants des Loges nesongeraient pas

àpersécuter.

CLXXXIII

Que faisiez-vous en 1870?

Cette interrogation,si fréquente aujourd'hui

Page 297: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

.2 QOEXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

encore, n'auraplus de sens pour la prochaine géné-

ration. Résolu d'en finir avec ces Lieux Communs

qui commencent à mepuer

au nez et forcé d'en

omettreun assez grand nombre, il m'a semblé

que

celui-ci les englobait tous expressivement. Au fond,

le Lieu Commun est une tangente pourfuir à l'heure

du danger et jamais les bourgeois n'ont autant fui

qu'en 1870.

C'était, alors, la fuite tumultueuse, hurlante,

éperdue, l'immensepanique

vidant les maisons et

vidant les villes, comme les ouvriers de nuit vident

les lieux immondes. C'était l'infâme,naïve et classi-

que peurdu rentier écrasant les faibles dans sa

débandade effrénée. Aujourd'hui,c'est le défilé sur

la granderoute du silence.

Que faisiez-vous en 1870? C'étaitpourtant l'épo-

queoù il aurait fallu faire quelque chose, où tu as

dû fairequelque chose, misérable, ne fût-ce, comme

Huysmans, quedes

liquiditésdans un

hôpital.

Quand nous étions une centaine de mille dans les

champs, privésde feu sous un ciel de

glace, privés

de painau cœur de la France devenue la fille aînée

de Gambetta, privésmême de l'ennemi devant

lequelon ne nous alignait jamais,

nous avions le

droit de nous informer, peut-être, et de demander

aux bien vêtus et aux bien nourris ce qu'ils faisaient

dans leurs culottes. Laréponse, quelquefois, était

drôle et il arrivaqu'elle

seperdit en gargouille-

ments, comme le jour où nousenvoyâmes dans la

Page 298: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS291

i8.

Mayennele fils

uniqued'un notaire de Château-

Gontier. Aujourd'hui, je le répète, c'est lagrande

route du silence. Allez demander à ceux de nos

grandshommes

qui ont dépassé cinquante ans ce

qu'ilsfaisaient en 1870.

Cette date est devenue uneespèce

de schéma

pourtoutes les

posturesde l'ignominie contem-

poraine.Elle

signifie toutes les lâchetés, toutes les

hontespassées

et à venir. Laplus parfaite, c'est le

silence, l'universelle fuite silencieuse qui se réalise

ou se prépare. Bicycletteset automobiles sont des

précautionsen vue d'une déroute infinie dont la

débâcle d'il y a trente ans n'aura été qu'une mo-

deste préfiguration,un timide pronostic

auxyeux

baissés. Déroute descorps

ou des âmes? Nul ne le

sait. Les deux ensemble très-probablement.Mais

comment imaginerce monde en fuite, ce déluge de

déserteurs etd'épouvantés?.

A la minute oùj'écris ceci, meurt à deux pas de

moi un très-pauvrehomme. J'ai

essayéde le sauver,

de l'amener à vouloir unprêtre.

Comme il nepeut

plus se faire entendre, la famille m'a parléde ses

opinions quisont invincibles, paraît-il,

et voilà

que tout à coup je me suisrappelé

un Lieu Com-

muninexplicablement

oubliépar

moi jusqu'ici.

Lesopinions

de ce moribond ôpitoyable Sauveur

crucifié

Iln'y a

pas beaucoupde jours,

on faisait le cen.

tenaire de Victor Hugo.C'était beau, il

y avait un

Page 299: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

292EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

discours d'Hanotaux et une muse du peupleet

pas

pourun sou

d'hypocrisie.Voilà un grand homme

fameusement consolé dans son endroit Ah il en

avait desopinions, celui-là aussi, et c'est étonnant

ceque

lecoup de gueule de Gabriel a dû lui servir!

On croirait vraimentqu'ils

savent où ils veulent

aller, tous ces imbéciles douloureux, tous ces idiots

éternellement lamentables

Pour revenir à mon mourant, c'est une unité

dans la multitude, rien de plus, et j'ignoreabso-

lument où était cet homme et ce qu'ilfaisait en

1870. J'ignoremême s'il était un homme en ce

temps-là ou en aucuntemps.

Il me suffit de savoir

qu'il est, à l'heure actuelle, probablement pour

lui la dernière dans les trente millions de rené-

gats recensés parla

République soi-disant fran-

çaise et dont lecantique est d'outrager

la Face de

Dieu.

En commençant cette Exégèse, j'ai désiré le

silence du Bourgeois, de toute mon âme, Dieu

le sait! considérantque

ses Lieux Communs

étaient une sale et hideuse manière de donner la

mort. Sur le point de finir, je considère, àpro-

posde et de l'éternelle interrogation

sans

réponse, que son silence n'est pasmoins homicide

et qu'ila tant de façons de le

produire1

Un ami en danger l'implore, silence; le Ré-

dempteur enagonie lui demande à boire, silence;

la Mère auxSept Epées

lesupplie

d'avoir pitiéde

Page 300: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

EXÉGKSE DES LIEUX COMMUNS2g3

lui-même, silence encore. Et voilà, maintenant, que

C'est la France même, la France entière, la France

quia autrefois vaincu le monde, la France en

sang-

et la France enpleurs qui

crie auBourgeois

Que faisais-tu en1870?

J'avais faim de chier, répond àla fin Émile

Zola, dans la Terre, sous lepseudonyme épou-

vantable de Jésus-Christ. />^v-1

Page 301: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns
Page 302: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

ÉPILOGUE

Que ferez-vous, quandon vous mettra en

croix? demandeQuelqu'un.

Moi, jeferai de beaux rêves, répond

ma

petite Madeleine âgée decinq ans.

Page 303: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns
Page 304: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

TABLE

DEDICACE. : :, 4

EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS

I. DIEU N'EN DEMANDE PAS TANT I

Il. RIEN N'EST ABSOLU 13

III. LE MIEUX EST L'ENNEMI DU BIEN. 15

IV. L'HÔPITAL N'EST PAS FAIT POUR LES CHIENS. iG

V. PAUVRETÉ N'EST PAS VICE l8

VI. ON N'EST PAS PARFAIT 20

VU. LES MALHONNETES GENS REDOUTENT LA

LUMIÈRE 20

VIII. LES ENFANTS NE DEMANDENT PAS A VENIR

AU MONDE. 27

IX. IL FAUT MANGER POUR VIVRE29

X. ON NE PEUT PAS VIVRE SANS ARGENT 31

XI. FAIRE TRAVAILLER L'ARGENT. 32

XII. LES AFFAIRES SONT LES AFFAIRES 33

XIII. J'AI LA LOI POUR moi 3G

XIV. ON NE PEUT PAS TOUT AVOIR 38

XV. TOUT LE MONDE NE PEUT PAS ÊTRE RICIIE 4o

XVI. IL FAUT MOURIR RICHE

XVII. QUAND ON EST DANS LE COMMERCE 43

XVIII. ON NE SE REFAIT PAS 46

XIX. LA MÉDECINE EST UN SACERDOCE 47

XX. TOUTES LES OPINIONS SONT RESPECTABLES. 49

XXI. JE SUIS COMME SAINT TIIOMAS. 53

Page 305: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

298 TABLE DES MATIÈRES

xxii. je M'EN LAVE LES MAINS COMME pilate

PRÊCHER DANS LE DÉSERT COMME SAINT JEAN. 56

\XIV. ÊTRE DANS LES NUAGES 58

XXV. ÊTRE COMME IL FAUT 60

XXVI. ÊTRE PRATIQUE Cl

XXVII. ÊTRE A CHEVAL SUR LES PRINCIPES 63

XXVIII. ÊTRE POÈTE A SES HEURES 64

XXIX. ÊTRE DANS UNE SITUATION INTERESSANTE 65

XXX. IL FAUT ÊTRE DE SON SIÈCLE CG

XXXI, IL NE FAUT PAS ÊTRE PLUS CATHOLIQUE QUE

LE PAPE 70

XXXLI. TOUS LES GOÛTS SONT DANS LA NATURE. 71

XXXIII. TOUTES LES VÉRITÉS NE SONT PAS BONNES A

DIRE. 72

XXXIV, CHERCHER MIDI A QUATORZE HEURES 73

XXXV. IL Y A DES BORNES QU'IL NE FAUT PAS

FRANCHIR 74

xxxvi. l'excès EN TOUT EST UN DÉFAUT

XXXVII. IL FAUT HURLER AVEC LES LOUPS 81

XXXVIII. IL n'y A QUE LA VÉRITÉ QUI OFFENSE 82

xxxix. C'EST L'AMBITION QUI PERD LES GRANDS

HOMMES 33

XL. ON N'EST PAS SUR LA TERRE POUR S'AMUSER. 85

XLI. JE NE SUIS PAS UN SAINT 86

XLII. JE NE ME FAIS PASME1LLEURQUE JE NE SUIS. 88

XLI11. LA PAROLE EST D'ARGENT, LE SILENCE EST

d'or 8g

XLIV. J'AI BIEN gagné DE ME reposer

xlv. L'ARGENT NE FAIT PAS LE BONHEUR, MAIS.

XLVI. RENTRER DANS SON ARGENT 95

XL VII. IL FAUT QUE TOUT LE MONDE VIVE. 9" I

XLV1I1. TOUS LES CHEMINS MÈNENT A ROME. 97 I

XLIX. PARIS N'A PAS ÉTÉ BATI EN UN JOUR. 9^1

L. LA PLUIE ET LE BEAU TEMPS ÏO°B

LI. LA CRÈME DES HONNÊTES GENS 101

Page 306: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

TABLE DES MATIÈRES 299

19

LII. L'HONNEUR DES FAMILLES.

LIII. LES DEVOIRS DU MONDE.

LIV. L'HABITUDE EST UNE SECONDE NATURE.

LV. OU IL Y A DE LA GÊNE, IL N'Y A PAS DE

PLAISIR

LVI. IL N'Y A PAS DE PLAISIR SANS PEINE. III

LVII. ON NE FAIT PAS D'OMELETTE SANS CASSER

DES OEUFS

JE N'AI PAS DE MONNAIE

LIX. JE POURRAIS ÊTRE VOTRE PÈRE.

LX. ON NE MEURT QU'UNE FOIS

LXI. IL EST BIEN HEUREUX, IL NE SOUFFRE PLUS

LXII. IL NE S'EST PAS SENTI MOURIR 120

LXIII. ON DIRAIT QU'IL DORT.

LXIV. ELLE EST MORTE COMME UNE SAINTE. 123

LXV. ON DOIT LE RESPECT AUX MORTS. 126

LXVI. LES MORTS NE PEUVENT PAS SE DÉFENDRE.

JE NE SUIS PAS UN DOMESTIQUE OU QUAND

ON NOURRIT.

LXV1I1. JE N'AI BESOIN DE PERSONNE.

LXIX. LES GRANDES DOULEURS SONT MUETTES.

LXX. « QUO

LXXI. LA PLUS JOLIE FILLE DU MONDE NE PEUT

DONNER QUE CE QV'ELLE

LXXII. A L'IMPOSSIBLE NUL N'EST TENU.

UN HOMME PRÉVENU EV VAUT DEUX.

LXXIV. QUE VOULEZ-VOUS

LXXV. IL EST AVEC LE CIEL DES ACCOMMODEMENTS.

LXXVI. AU CIEL ON SE RECONNAÎT.

LXXVII. LES PRÊTRES SONT DES HOMMES COMME LES

AUTRES.

LXXVIII. CHACUN POUR SOI ET LE BON DIEU POUR

TOUS.

LXXIX. ALLER SON PETIT BONHOMME DE CHEMIN.

LXXX. NE PAS VALOIR LE DIABLE.

Page 307: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

300 TABLE DES MATIÈRES

SE PLAINDRE QUE LA MARIÉE EST TROP BELLE.

LXXXII. TUER LE TEbiPS

AVOIR LE MOT POUR RIRE

LXXXIV. ASSURER L'AVENIR DE SES ENFANTS.

LXXXV. FAIRE HONNEUR A SES AFFAIRES.

LXXXVI. FAIRE UN TROU A LA LUNE. FAIRE SON TROU.

LXXXVII. BRÛLER LA CHANDELLE PAR LES DEUX

BOUTS.

VENDRE LA PEAU DE L'OURS. 16o

LXXXIX. PERDRE SES ILLUSIONS 161

XC. SOUFFRIR LE MARTYRE 162

XCI. S'ENSEVELIR DANS LE CLOÎTRE.

XCII. CHERCHER LA PETITE BÊTE

TENDRA LA MAIN 166

XCIV. RESPECTER LES CONVENANCES 169

XCV. ÊTRE DE BONNE FOl 170

XCVI. N'ÊTRE PAS LE PREMIER VENU.

XCVII. JETER SA GOURME OU IL FAUT QUE JEUNES-

SE SE PASSE Otl ON N'EST PAS DE BOIS..

XCVIII. FAIRE UN BON MARIAGE.

XCIX. FAIRE UNE FIN

C. SE FAIRE UNE RAISON

CI. MONTER UNE AFFAIRE

ENCOURAGER LES BEAUX-ARTS.

DE LA DISCUSSION JAILLIT LA LUMIÈRE.

CIV. QUI N'ENTEND QU'UNE CLOCHE N'ENTEND

OU UN SON. 181

CV. LE SOLEIL LUIT POUR TOUT LE MONDE j82

CVi. Tour LE MONDE A PLUS D'ESPRIT QUE VOL-

CVII. QUI VEUT TROP PROUVER NE PROUVE RIEN.

CVIII. IL N'EST JAMAIS TROP TARD POUR BIEN FAIRE.

'CIX. PETIT A PETIT L'OISEAU FAIT SON

Page 308: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

TABLE DES MATIÈRES 3or

CX. LES PETITS RUISSEAUX FONT LES GRANDES

RIVIERES

CXI. ON NE PEUT PAS ÊTRE ET AVOIR ÉTÉ I

CXII. SI JEUNESSE SAVAIT, SI VIEILLESSE POUVAIT!I 92

CXIII. SI ON SAVAIT TOUT!

CXIV. ON NE SAURAIT PENSER A TOUT.

CXV. ON NE PEUT PAS FAIRE DEUX CIIOSES LA

FOIS.

CHAQUE CHOSE EN SON TEMPS.

CXVII. LE TEMPS, DE L'ARGENT.

L'ARGENT PAS D'ODEUR.

CXIX. PLUS ON EST DE FOUS, PLUS ON 200

CXX. TOUT CE QUI BRILLE N'EST PAS OR. 208

CXXI. IL NE FAUT PAS JOUER AVEC LE FEU

CXXII. LE 210

LA NATURE.

LA SCIENCE.

CXXV. LA RAISON 216

CXXVI. LE HASARD

CXXVII. LA NUIT DU MOYEN AGE.

CXXVIII. L'INQUISITION. 220

CXXIX. LA 222

IL Y A DU BONDANS TOUTES LES RELIGIONS. 223

AVOIR L'ESPRIT FAUX, EXAGÉRER.

CXXXII. IL NE FAUT PAS VOIR LES CHOSES TROP EN

CXXXIII. A QUELQUE CHOSE MALHEUR EST BON.

CXXXIV. TOUT VIENT A POINT A QUI SAIT ATTENDRE 230

LA SANTÉ AVANT TOUT. 230

CXXXVI. DIEU NE FAIT PLUS DE MIRACLES. 233

CXXXVII. JE NE SUIS PAS PLUS BÊTE QU'UN AUTRE..

VEUT LA FIN VEUT LES MOYENS et IL

N'Y A PAS DE PETITES ÉCONOMIES.

FAIRE CONTRE MAUVAISE FORTUNE BON

238

Page 309: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

TABLE DES MATIÈRES

AVOIR DU UN BON

CXLI. AVOIR DE L'AMOUR-PROPRE. 239CXLII. AVOIR LE TRAVAIL FACILE. 240

CXLIII. AV OIR DE LA CHANCE.

CXLIV. AVOIR DU PAIN SUR LA PLANCHE. 242

CXLV. ENTRETENIR DES DANSEUSES. 243

CXLVI. LES ABSENTS ONT TOUJOURS TORT.

1/ARGENT SE CACHE. 245

CXLVIII. JE VEUX DORMIR TRANQUILLE.

CXLIX. JE NE VEUX PAS MOURIR COMME UNCHIEN. 249

CL. LES AMIS DE NOS AMIS SONT NOS AMIS. 250

CLI. C'EST EN AMI QUE JE VOUS PARLE.

CL1I. UN LIVRE DE CHEVET.

LE COEUR SUR LA MAIN et LES LARMES DE

CROCODILE. 253

CL1V. ÊTRE FILS DE SES OEUVRES 255

CLV. CHERCHEZ LA FEMME. 255

CLVI. L'HONNÊTE FEMME 256

LE COURAGE CIVIL

CLVI11. TOUT N'EST PAS ROSE DANS LA 261

CL1X. LES BELLES ANNÉES DE L'ENFANCE.

CLX. LE BON VIEUX TEMPS. 263

CLXI. IL Y A UN DIEU POUR LES IVROGNES.

CLXII. L'APPÉTIT VIENT EN MANGEANT. 265

CLXIII. ON NE PRÊTE QU'AUX RICHES. 266

CLXIV. IL N Y A PAS DE SOT METIER. 2 7,

LA NUIT EST FAITE POUR DORMIR. 268

CLXVI. L'OCCASION FAIT LE LARRON.

CLXVII. IL N'Y A PAS DE FUMÉE SANS FEU. 270

ENTRE DEUX MAUX, IL FAUT CHOISIR LE

MOINDRE. 271

CLXIX., ON N'EST PAS LOUIS D'OR OU CE QUI CON-

VIENT AUX JEUNES FILLES.

CLXX. LA CRITIQUE EST AISÉE, MAIS L'ART EST

DIFFICILE.

Page 310: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

TABLE DES MATIÈRES

CLXXI. JE SUIS PHILOSOPHE OU L'AN QUARANTE. 276

CLXXII. UNE FOIS N'EST PAS COUTUME

JE N'AVAIS PAS BESOIN DE

CLXXIV. LES ENFANTS SONT CE QU'ON LES FAIT. 280

CLXXV. IL FAUT SE FAIRE UN NOM. 281

ON FAIT CE QU'ON PEUT. 282

ON. 284

CLXXVIII. TOUS LES HOMMES SONT FRÈRES.

CLXX1X. TOUT OU RIEN 285

CLXXX. CE QUE FEMME VEUT, DIEU LE VEUT. 285

CLXXXI. QUI PAIE SES DETTES S'ENRICHIT. 286

CLXXXII. QUAND LE DIABLE DEVIENT VIEUX, IL SE

FAIT ERMITE. 288

CLXXX111. QUE FAISIEZ-VOUS EN

Page 311: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

ACHEVÉ D'IMPRIMER

le trois mai mil neuf cent deux

PAR

BLAIS & ROY

A POITIERS

pourle

MERCVRE

DH

FRANCE

Page 312: Leon Bloy - Exegese de Lugares Comuns

TABLEDEDICACE

EXEGESE DES LIEUX COMMUNSI. DIEU N'EN DEMANDE PAS TANTII. RIEN N'EST ABSOLUIII. LE MIEUX EST L'ENNEMI DU BIENIV. L'HOPITAL N'EST PAS FAIT POUR LES CHIENSV. PAUVRETE N'EST PAS VICEVI. ON N'EST PAS PARFAITVII. LES MALHONNETES GENS REDOUTENT LA LUMIEREVIII. LES ENFANTS NE DEMANDENT PAS A VENIR AU MONDEIX. IL FAUT MANGER POUR VIVREX. ON NE PEUT PAS VIVRE SANS ARGENTXI. FAIRE TRAVAILLER L'ARGENTXII. LES AFFAIRES SONT LES AFFAIRESXIII. J'AI LA LOI POUR MOIXIV. ON NE PEUT PAS TOUT AVOIRXV. TOUT LE MONDE NE PEUT PAS ETRE RICHEXVI. IL FAUT MOURIR RICHEXVII. QUAND ON EST DANS LE COMMERCEXVIII. ON NE SE REFAIT PASXIX. LA MEDECINE EST UN SACERDOCEXX. TOUTES LES OPINIONS SONT RESPECTABLESXXI. JE SUIS COMME SAINT THOMASXXII. JE M'EN LAVE LES MAINS COMME PILATEXXIII. PRECHER DANS LE DESERT COMME SAINT JEANXXIV. ETRE DANS LES NUAGESXXV. ETRE COMME IL FAUTXXVI. ETRE PRATIQUEXXVII. ETRE A CHEVAL SUR LES PRINCIPESXXVIII. ETRE POETE A SES HEURESXXIX. ETRE DANS UNE SITUATION INTERESSANTEXXX. IL FAUT ETRE DE SON SIECLEXXXI. IL NE FAUT PAS ETRE PLUS CATHOLIQUE QUE LE PAPEXXXII. TOUS LES GOUTS SONT DANS LA NATUREXXXIII. TOUTES LES VERITES NE SONT PAS BONNES A DIREXXXIV. CHERCHER MIDI A QUATORZE HEURESXXXV. IL Y A DES BORNES QU'IL NE FAUT PAS FRANCHIRXXXVI. L'EXCES EN TOUT EST UN DEFAUTXXXVII. IL FAUT HURLER AVEC LES LOUPSXXXVIII. IL N'Y A QUE LA VERITE QUI OFFENSEXXXIX. C'EST L'AMBITION QUI PERD LES GRANDS HOMMESXL. ON N'EST PAS SUR LA TERRE POUR S'AMUSERXLI. JE NE SUIS PAS UN SAINT

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XLII. JE NE ME FAIS PAS MEILLEUR QUE JE NE SUISXLIII. LA PAROLE EST D'ARGENT, LE SILENCE EST D'ORXLIV. J'AI BIEN GAGNE DE ME REPOSERXLV. L'ARGENT NE FAIT PAS LE BONHEUR, MAISXLVI. RENTRER DANS SON ARGENTXLVII. IL FAUT QUE TOUT LE MONDE VIVEXLVIII. TOUS LES CHEMINS MENENT A ROMEXLIX. PARIS N'A PAS ETE BATI EN UN JOURL. LA PLUIE ET LE BEAU TEMPSLI. LA CREME DES HONNETES GENSLII. L'HONNEUR DES FAMILLESLIII. LES DEVOIRS DU MONDELIV. L'HABITUDE EST UNE SECONDE NATURELV. OU IL Y A DE LA GENE, IL N'Y A PAS DE PLAISIRLVI. IL N'Y A PAS DE PLAISIR SANS PEINELVII. ON NE FAIT PAS D'OMELETTE SANS CASSER DES OEUFSLVIII. JE N'AI PAS DE MONNAIELIX. JE POURRAIS ETRE VOTRE PERELX. ON NE MEURT QU'UNE FOISLXI. IL EST BIEN HEUREUX, IL NE SOUFFRE PLUSLXII. IL NE S'EST PAS SENTI MOURIRLXIII. ON DIRAIT QU'IL DORTLXIV. ELLE EST MORTE COMME UNE SAINTELXV. ON DOIT LE RESPECT AUX MORTSLXVI. LES MORTS NE PEUVENT PAS SE DEFENDRELXVII. JE NE SUIS PAS UN DOMESTIQUE OU QUAND ON NOURRITLXVIII. JE N'AI BESOIN DE PERSONNELXIX. LES GRANDES DOULEURS SONT MUETTESLXX. "QUO VADIS?"LXXI. LA PLUS JOLIE FILLE DU MONDE NE PEUT DONNER QUE CE QU'ELLE ALXXII. A L'IMPOSSIBLE NUL N'EST TENULXXIII. UN HOMME PREVENU EN VAUT DEUXLXXIV. QUE VOULEZ-VOUS! L'HOMME EST L'HOMMELXXV. IL EST AVEC LE CIEL DES ACCOMMODEMENTSLXXVI. AU CIEL ON SE RECONNAITLXXVII. LES PRETRES SONT DES HOMMES COMME LES AUTRESLXXVIII. CHACUN POUR SOI ET LE BON DIEU POUR TOUSLXXIX. ALLER SON PETIT BONHOMME DE CHEMINLXXX. NE PAS VALOIR LE DIABLELXXXI. SE PLAINDRE QUE LA MARIEE EST TROP BELLELXXXII. TUER LE TEMPSLXXXIII. AVOIR LE MOT POUR RIRE

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LXXXIV. ASSURER L'AVENIR DE SES ENFANTSLXXXV. FAIRE HONNEUR A SES AFFAIRESLXXXVI. FAIRE UN TROU A LA LUNE. FAIRE SON TROULXXXVII. BRULER LA CHANDELLE PAR LES DEUX BOUTSLXXXVIII. VENDRE LA PEAU DE L'OURSLXXXIX. PERDRE SES ILLUSIONSXC. SOUFFRIR LE MARTYREXCI. S'ENSEVELIR DANS LE CLOITREXCII. CHERCHER LA PETITE BETEXCIII. TENDRE LA MAINXCIV. RESPECTER LES CONVENANCESXCV. ETRE DE BONNE FOIXCVI. N'ETRE PAS LE PREMIER VENUXCVII. JETER SA GOURME OU IL FAUT QUE JEUNESSE SE PASSE OU ON N'EST PAS DE BOISXCVIII. FAIRE UN BON MARIAGEXCIX. FAIRE UNE FINC. SE FAIRE UNE RAISONCI. MONTER UNE AFFAIRECII. ENCOURAGER LES BEAUX-ARTSCIII. DE LA DISCUSSION JAILLIT LA LUMIERECIV. QUI N'ENTEND QU'UNE CLOCHE N'ENTEND QU'UN SONCV. LE SOLEIL LUIT POUR TOUT LE MONDECVI. TOUT LE MONDE A PLUS D'ESPRIT QUE VOLTAIRECVII. QUI VEUT TROP PROUVER NE PROUVE RIENCVIII. IL N'EST JAMAIS TROP TARD POUR BIEN FAIRECIX. PETIT A PETIT L'OISEAU FAIT SON NIDCX. LES PETITS RUISSEAUX FONT LES GRANDES RIVIERESCXI. ON NE PEUT PAS ETRE ET AVOIR ETECXII. SI JEUNESSE SAVAIT, SI VIEILLESSE POUVAIT!CXIII. SI ON SAVAIT TOUT!CXIV. ON NE SAURAIT PENSER A TOUTCXV. ON NE PEUT PAS FAIRE DEUX CHOSES A LA FOISCXVI. CHAQUE CHOSE EN SON TEMPSCXVII. LE TEMPS, C'EST DE L'ARGENTCXVIII. L'ARGENT N'A PAS D'ODEURCXIX. PLUS ON EST DE FOUS, PLUS ON RITCXX. TOUT CE QUI BRILLE N'EST PAS ORCXXI. IL NE FAUT PAS JOUER AVEC LE FEUCXXII. LE BON DIEUCXXIII. LA NATURECXXIV. LA SCIENCECXXV. LA RAISON

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CXXVI. LE HASARDCXXVII. LA NUIT DU MOYEN AGECXXVIII. L'INQUISITIONCXXIX. LA SAINT-BARTHELEMYCXXX. IL Y A DU BON DANS TOUTES LES RELIGIONSCXXXI. AVOIR L'ESPRIT FAUX, EXAGERERCXXXII. IL NE FAUT PAS VOIR LES CHOSES TROP EN NOIRCXXXIII. A QUELQUE CHOSE MALHEUR EST BONCXXXIV. TOUT VIENT A POINT A QUI SAIT ATTENDRECXXXV. LA SANTE AVANT TOUTCXXXVI. DIEU NE FAIT PLUS DE MIRACLESCXXXVII. JE NE SUIS PAS PLUS BETE QU'UN AUTRECXXXVIII. QUI VEUT LA FIN VEUT LES MOYENS et IL N'Y A PAS DE PETITES ECONOMIESCXXXIX. FAIRE CONTRE MAUVAISE FORTUNE BON COEURCXL. AVOIR DU COEUR, UN BON COEURCXLI. AVOIR DE L'AMOUR-PROPRECXLII. AVOIR LE TRAVAIL FACILECXLIII. AVOIR DE LA CHANCECXLIV. AVOIR DU PAIN SUR LA PLANCHECXLV. ENTRETENIR DES DANSEUSESCXLVI. LES ABSENTS ONT TOUJOURS TORTCXLVII. L'ARGENT SE CACHECXLVIII. JE VEUX DORMIR TRANQUILLECXLIX. JE NE VEUX PAS MOURIR COMME UN CHIENCL. LES AMIS DE NOS AMIS SONT NOS AMISCLI. C'EST EN AMI QUE JE VOUS PARLECLII. UN LIVRE DE CHEVETCLIII. LE COEUR SUR LA MAIN et LES LARMES DE CROCODILECLIV. ETRE FILS DE SES OEUVRESCLV. CHERCHEZ LA FEMMECLVI. L'HONNETE FEMMECLVII. LE COURAGE CIVILCLVIII. TOUT N'EST PAS ROSE DANS LA VIECLIX. LES BELLES ANNEES DE L'ENFANCECLX. LE BON VIEUX TEMPSCLXI. IL Y A UN DIEU POUR LES IVROGNESCLXII. L'APPETIT VIENT EN MANGEANTCLXIII. ON NE PRETE QU'AUX RICHESCLXIV. IL N'Y A PAS DE SOT METIERCLXV. LA NUIT EST FAITE POUR DORMIRCLXVI. L'OCCASION FAIT LE LARRONCLXVII. IL N'Y A PAS DE FUMEE SANS FEU

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CLXVIII. ENTRE DEUX MAUX, IL FAUT CHOISIR LE MOINDRECLXIX. ON N'EST PAS LOUIS D'OR ou CE QUI CONVIENT AUX JEUNES FILLESCLXX. LA CRITIQUE EST AISEE, MAIS L'ART EST DIFFICILECLXXI. JE SUIS PHILOSOPHE ou L'AN QUARANTECLXXII. UNE FOIS N'EST PAS COUTUMECLXXIII. JE N'AVAIS PAS BESOIN DE CACLXXIV. LES ENFANTS SONT CE QU'ON LES FAITCLXXV. IL FAUT SE FAIRE UN NOMCLXXVI. ON FAIT CE QU'ON PEUTCLXXVII. ONCLXXVIII. TOUS LES HOMMES SONT FRERESCLXXIX. TOUT OU RIENCLXXX. CE QUE FEMME VEUT, DIEU LE VEUTCLXXXI. QUI PAIE SES DETTES S'ENRICHITCLXXXII. QUAND LE DIABLE DEVIENT VIEUX, IL SE FAIT ERMITECLXXXIII. QUE FAISIEZ-VOUS EN 1870? EPILOGUE