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Quatre ans de captivitéà Cochons-sur-Marne :
(pour faire suite auMendiant ingrat et àMon journal) (7e éd.)
Léon Bloy
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
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Bloy, Léon (1846-1917). Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne : (pour faire suite au Mendiant ingrat et à Mon journal) (7e éd.) Léon Bloy. 1935.
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Quatre ans
de Captivitéà Cochons-sur-Marne
~poup FAIRE SUITE AU Mendiant Ingrat ET A Mon J ournal
1 1
190~-1904AVEC UN AUTOGRAPHE DE L'AUTEUR R
MERCVRE DE FRANCE
XXVt, RVE DE CONDÉ, XXVI
LÉON BLOY
e e
Léon Bloy est une gargouille
de cathédrale qui vomit les
eaux du ciel sur les bons et
sur les méchants.
JULES BARBEY D'AUEEVtLI.Y<
SEPTIÈME ÉDITION
PARIS
MCMXXXV
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Quatre ans de CaptivitéA Cochons-sur-Marne
II
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DU MBM ~M'EM
LE RÉVÉLATEUR DU GLOBE (Christophe Colomb et sa Béatification
future). Préface de J. Bar be y d 'A ur evi ll y (épuisé).P ROP OS D'UN ENTREP RENEUR DE DÉMOLITIONS (Stock).
LE PAL, pamphlet hebdomadaire (les 4 numéros parus) (Stock).
LE DÉSESPÉRÉ, roman.
CHRISTOPHE C OL OM B DEV ANT LES TAUREAUX (epm~e).
LA CHEVALIÈRE DE LA MO RT (Marie-Antoinette).
LE SALUT PAR LE S J U IF S.
SUEUR DE SANG (1870-1871).
LÉON BLOY DEVANT LES COCHONS, suivi de LAMENTATIONS DE L'ÉPÉB
et de JE M'ACCUSE.
HISTOIRES DÉSOBLIGEANTES (Crès).LA FEMME PAUVRE, ép is od e c on tem po rai n.LE MENDIANT INGRAT (Journal de Léon Bloy), 2 vol.
LE FILS DE Louis xv i, po rt rai t de Louis XVn.
EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS.
L ES DERNIÈRES COLONNES DE L'ÉGLISE (Coppée. Le R. P. JttdtU.
Brunetfëre. Huysmans. Bourget, etc.).
MON JOURNAL (Dix-sept mois en Danemark), suite du Mendiant
Ingrat (2 vol.).
QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ A COCHONS-SUR-MARNE, suite du Mendiant
Ingrat et de Mon Journal ( 2 v ol .) .
BELLUAIRES ET PORCHERS (Stock).L'ÉPOPÉE BYZANTINE ET G. SCHLUMBERGER (ëptTttë).LA RÉSURRECTION DE VILLIERS DE L'ISLE-ADAM (épuisé).PAGES CHOISIES (1S84-1905).
CELLE QUI PLEURE (Notre-Dame de la Salette), avec gravure.
L'INVENDABLE, suite du Mendiant Ingrat, de Mon Journal et de
Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne.
LE SANG DU PAUVRE.
LE VIEUX DE LA MONTAGNE, STiite du Mendiant Ingrat, de Mon Jour-
nal, de Quatre ans de captuttfé d Cocnon~ur~Mcu'ne et de
Mnuenda&te. Deux gravures.VIE DE MÉLANiE, Bergère de la Salette, écrite par eUe-même. In-
troduction par Léon Bloy. Portrait de Mélanie.
L'AME DE NAPOLÉON.
EXÉGÈSE DES LIEUX COMMUNS (Nouvelle série).
SUR LA TOMBE DE HUYSMANS (Laquerrière).LE PÈLERIN DE
L'ABSOLU,suite du
Mendiant Ingrat,de Mon Joli-
nal, de Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne, de t'Jn-
vendable et du Vieux de la Montagne.JEANNE D'ARC ET L'ALLEMAGNE.
A U S EU IL DE L'APOCALYPSE, suite du Pèlerin de l'Absolu.
CONSTANTINOPLE ET BYZANCE.
HISTOIRES DÉSOBLIGEANTES.
DANS LES TÉNÈBRE S.
LE SYMBOLISME DE L'APPARITION, 1879-1880.
LA PORTE DES HU MBL ES , 1 91 5- 191 7, suite d'Att Seuil de l'Apocalypse,
Tous droits réservés.
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ler. A Rachilde en réponse à son article sur
l'Exégèse des Lieux Communs (Voir 31 juillet)
Chère amie, j'espère que me trouverez un peu mufle
d'avoir laissé votre article sans remerciement. Cela
me mettrait à l'aise pour vous avouer que cet article
m'a fait de la peine. J'avais tant compté sur vous
Songez donc Il n'y a plus que vous aujourd'hui pour
parler de ce que je fais et justement l'jE~M~èM paraîtêtre le plus fermé, le plus inaccessible et le plus
inexpugnable de mes ouvrages, décidément.
Que s'est-il donc passé? dites-le moi. Vous aviez si
bien commencé ce malheureux article et vous me
jetiez à la tête du public avec une si aimable imper-tinence « Quel chef-d'œuvre déconcertant que ce nou-
veau livre de Léon Bloy, disiez-vous dès la première
ligne, et quel beau rêve il a fait d'arracher la langue à
tous les bourgeois » Ah 1 vous étiez bien partie et
Septembre
IQ02
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ6
deux ou trois douzaines de maniaques, sur votre parole,allaient m'acheter.
Soudain vous déchirez votre papier, songeant
que la richesse ne fait pas le bonheur, que je n'ai
besoin de personne, qu'on n'est pas sur la terre
pour s'amuser, etc., enfin que « Rien n'est éternel ».
Car vous l'avez écrit, celui-là, à la quatrième avant-
dernière ligne de votre article. Je l'avais oublié ou
négligé, moi, comme j'en avais oublié ou négligé tant
d'autres, pour que mon livre n'eût pas les inconvénients
d'un Bottin.
Monstrueusement vous écrivez pour plaire à qui g
pas à vous-même, je pense que « Bloy est beau-
coup plus près de Ravachol, que de J ésus ». Autant
dire, sauf respect, que je dîne plus volontiers d'un
étron que d'une poularde truffée. C'est affligeant.
Enfin, ma pauvre Rachilde, convenez-en, pour une
raison que je ne devine pas, vous avez inventé le truc
lamentable de faire semblant d'avoir à peine feuilleté
mon infortuné bouquin, surtout de n'en avoir pas lu
la préface.
Tant pis vous êtes-vous écriée, Bloy pensera
qu'à force de lire professionnellement des inepties ou
des saletés, je suis déprimée au point de ne plus
pouvoir discerner un livre généreux et fort et d'être
sans courage pour en parler comme il faudrait.
Alors, ô Rachilde, cette fois, je suis tout à fait
vaincu. J'ai eu, un instant, la velléité de vous écrire
ces choses comme une réponse à publier dans le
Mercure; mais la dégoûtation de me faire à moi-même
de la réclame
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2. Je tâche de décourager un pauvre de se
saigner pour moi, en lui disant que ma déli-
vrance coûterait environ 50.000 francs, si on vou-
lait vraiment me délivrer, ayant le pouvoir de le
faire.
3. Lecture du merveilleux poème de ce
triple bourgeois de Thiers, dont la sagesse borgneet piedbote ne parvient pas à détruire la magnifi-cence de Napoléon.
4. Relu les vieilles lettres de d'Aurevilly,d'un enfantillage si triste pour moi, mais qui in-
téresseront peut-être beaucoup
degens.Une habitante nous honore de sa visite. Je vois
une laideron mécanique, disant des sottises pré-vues d'une manière sèche et coupante; une mal-
heureuse créature sans éducation ni intelligence,venue très-visiblement pour faire de l'effet, peut-être pour m'éblouir et qui ne pense qu'à elle seule.
Il est impossible de manquer plus complètementde tact, de simplicité, de lumière et d'être plus
antipathique.Dès les premières minutes, elle a cru devoir me
parler de la Femme pauvre que Jeanne lui avait
prêtée, et dont elle dit avoir lu la première partie.C'est gentil, très-gentil, mais c'est sérieux,
très-sérieux, a-t-elle prononcé. Au surplus, elle
me promet son jugement, quand elle aura fini.
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Jeanne lui ayant parlé de Sueur de .SaM~. Oh
les récits militaires, c'est trop aride, a-t-elle ré-
pondu.L'énormité de cette sottise commençant à me
suffoquer, j'ai pris la fuite. Je pense qu'elle a dû
me mépriser fort de goûter si peu sa présence.
6. L'histoire de Napoléon m'enivre. Par
elle, notre situation affreuse est rendue tolé-
rable.
L'affreux Vignoble, l'ancien curé de Ceux-d'En-
Haut, a un successeur digne de lui. Visiteur fré-
quent de sa vieille église que j'aime, et ne connais-
sant que de vue le nouveau pasteur, je me persuade
que ce serait la chose la plus simple de lui em-
prunter cinq francs à rendre le lendemain, devant
faire une course utile à Paris, demain matin, et
n'ayant pas même l'argent du voyage.Je n'ai pas tardé à savoir que rien n'est simple
avec les curés. On faisait le chemin de croix.
Quel chemin de croix Ces méditations d'une sen-
timentalité de séminaire où Marie est nommée« pauvre mère sont haïssables au-delà de toute
expression. Puis, quelle rage ils ont, tous ces
prêtres, de dire toujours en français des prières,telles que le Pater, l'Ave, les Litanies, etc. Que
pourraient faire de plus des protestants?
Après cet exercice de piété, je vais résolument
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trouver le curé à la sacristie et je reçois l'une des
belles mortifications de ma vie Dès qu'il a compris
que je lui demande un service d'argent, sa figure,'d'abord bienveillante, change. Il n'y a plus devant
moiqu'un
masqued'hypocrisie
et d'avarice et me
voilà forcé, malgré mes protestations, de subir
une élégie pleine d'aigreur sur la pauvreté sacer-
dotale. Il me parle des indigents de sa paroisse
qu'il faut d'abord secourir et de l'infidélité certaine
des prétendus emprunteurs, etc. Impossible de
faire comprendre que je demande le service le
plus banal et pour vingt-quatre heures seulement.
J'ai beau faire, il veut que je sois un mendiant et
j'opère ma retraite, inondé d'ignominie. Je n'ai
pas de chance à Ceux-d'en-Haut, décidément. Ce
serviteur de Dieu se nomme Toudou.
7. Ma visiteuse d'il y a trois jours, a chargé
quelqu'un de me faire tenir son appréciation de
la Femme pauvre. Voicice très-précieux jugement
promis: Ce monsieur est comme moi, il n'est
pas fait pour vivre
à Cochons! Maintena'ntje n'ai plus le droit de me plaindre d'être privé de sa-
laire.
9. Consulat et Empire. Malgré l'auteur, cette
histoire est pour moi si vivante que je souffre
réellement de l'abandon du projet de descente en
Angleterre, comme j'ai souffert précédemment de
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l'évacuation de l'Egypte. Autre peine. Comment
exprimer, dans le sens du symbolisme en histoire,
la grandeur absolument unique de Napoléon? C'est
décourageant.Alfred de Vigny, dont je relisais tout à l'heure
le Dialogue inconnu, n'y a rien compris, rien de
rien.
10. Rachilde répond à ma lettre du i". Il
paraît que c'est un « bon chanoine (?) qui lui a
fourni le mot « plus près de Ravachol que de
Jésus ». Joli, le chanoine. Appartient-il à la col-
légiale de Priape ou à celle de Bacchus ?
La publication des lettres de Barbey d'Aure-villy à moi est décidée. La personne que le pauvre
Barbey, aux trois quarts détruit, institua sa lé-
gataire daigne y consentir, mais à condition quetout ce qui ne sera pas le texte même du mort
soit soumis à son examen. Le recueil paraîtra donc
sans préface ni commentaires. On aurait pu avoir
un livre, on aura de la raclure de tiroir. ~ima-
riorem morteMM/Mr~K,
a dit Salomon.
li. J'arrive enfin à la campagne de 1805,
après cette catastrophe horrible de l'abandon forcé
du projet de descente en Angleterre.
Aujourd'hui même on apprend que les généraux boers qui avaient capitulé, comptant sur la bonne
foi anglaise, ont été abominablement roulés.
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Juste salaire de leur stupidité. Ces calvinistes
offraient quelque intérêt, les armes à la main.
Maintenant, c'est fini. Il ne reste plus que des hé-
rétiques imbéciles à qui Dieu n'a pas voulu don-
ner la gloire de démolir la maquerelle des na-
tions.
12. La campagne de 1805 me prive de toute
énergie pour m'occuper avantageusement de quoi
que ce soit.
On peut être un imbécile et pratiquer tout de
même l'imparfait du subjonctif, cela s'est vu. Mais
la haine de l'imparfait du subjonctif ne peut exis-
ter que dans le cœur d'un imbécile.
15. Le Matin publie une lettre inouïe du car-
dinal Rampolla. « II a été résolu, dit cette lettre,à propos d'un refus d'audience, que le Saint-Père
ne dirait rien, et la simple sagesse exige qu'il ne
dise rien à personne, ni même fasse un acte qui
pourrait avoir des commentaires inopportuns. »
Le Pape se désintéresse de la chrétienté La
« prudence »,
la «sagesse M exigent qu'il
sacrifie
son troupeau. Du moins ses domestiques lui
donnent cette attitude.
Question. Pourquoi un homme ne peut-il pasdire sans ridicule Je. suis un penseur, alors qu'il
inspire du respect et même de l'admiration en di-
sant Je suis un libre-penseur?
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16. Étonnement de ne pas trouver en la
bataille d'Austerlitz, le foudroyant chef-d'œuvre de
stratégie que j'avais rêvé. Il est vrai que le narra-
teur est un misérable. Cependant il avait paru
éblouissant, tout de même, dans le récit de Ma-
rengo.
18. Je rôde autour de cette Prusse abjecte et
redoutable de 1805 et 1806, que Napoléon aurait
détruite si Dieu n'avait pas eu besoin qu'elle durât
pour l'humiliation de la France.
Je ne me lasse pas d'admirer la précision et la
fidélité de mon ami Vallette, directeur du Me?*-
cure de France, l'un des rares hommes tout à faitsûrs que j'aie rencontrés.
20. Jeanne a inutilement attendu une petitecouturière qui venait le samedi, depuis deux ou
trois mois. La dernière fois, elle nous avait fort
dégoûtés par le déploiementd'une douleur sublime.
Ayant enterré sa grand'mère, huit jours aupara-
vant, elle avait décidé de nous étonner du fastede sa piété filiale et nous avait servi, toute la
journée, une larmoyante gueule, affectant, pour
que la beauté de son cœur fut indiscutable, de
montrer la pire humeur aux pauvres enfants gla-
cées du givre de cette affliction. Qu'elle dispa-raisse à jamais 1
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21. Consulat et Empire. Iéna. Une chose me
frappe qui pourrait être la matière d'une belle
page. C'est la solitude inouïe de Napoléon. Sans
doute il fut secondé par ses lieutenants, parfois
d'une manière admirable; des fonctionnaires for-
més par lui le servirent avec dévouement et
intelligence. Mais qui aurait pu, dans tout l'uni-
vers, être le compagnon de ce prodigieux Rê-
veur ?
22. Rien n'arrive que la tristesse. Je suis
indigné de la médiocrité de ma vie, aussi mécon-
tent que possible de moi-même. La sainteté est à
une distance infinie et semble reculer toujours.Puis, la misère du corps,'de ce corps, compagnon
jusqu'ici robuste et jeune, d'une âme consumée et
douloureuse. Je deviens tout à coup très-vieux.
Eylau. A propos du projet de temple en l'hon-
neur de la grande armée, qui est devenu l'église
de la Madeleine, médiocrité, incompréhension
totale de Napoléon en art. Voir les premières
pages du livre XXVI de Thiers.
23. Mon jésuite m'envoie une petite photo-
graphie de l'inimaginable et terrifiant crucifix
vénéré à Uden, dans une chapelle de Croisiers et
dont j'apprends aujourd'hui l'existence. L'histoire
de ce crucifix miraculeux est inouïe et l'image'qui
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ14
est sous mes yeux, quoique insuffisante, est abso-
lument terrible. Me voilà hanté. Cette vision me
poursuit jusque dans les lieux profonds de mon
âme où j'ai rarement l'occasion de pénétrer. Je dis
à l'envoyeur l'effet produit sur moi par cette.
image « Elle fera peut-être de moi un saint. Lavue continuelle des catholiques de Cochons-sur-
Marne ne suffisait pas. Le dégoût peut accélérer une
fuite salutaire, mais la vomissure est un mauvais
tremplin pour sauter dans le Paradis. »
25. Paiement douloureux de nos contribu-
tions. Je ne me prive pas d'exprimer au percep-
teur mes sentiments vrais. Gracieuse assimilationde son guichet à un trou de latrines où l'on me
forcerait de jeter le pain de mes enfants devenu
ainsi le pain de Trouillot, l'apéritif de Pelletan ou
le pantalon de l'abbé Combes!
Entrepris avec désespoir la lecture d'un recueil
manuscrit de vers libres soumis à mon examen.
C'est navrant. Le vers libre est, à mes yeux, l'une
des pires aberrations modernes, l'une de cellesqui proclament avec des éclats de fanfare, l'affai-
blissement de la Raison. Remplacer le mystèretout à fait surnaturel du Rythme et du Nombre
par des alinéas et des signes de ponctuation, ce
n'est pas seulement de la sottise, c'est de la per-versité.
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A COCHONS-SUR-MARNE 1&
29. Saint Michel. Mort de Zola. La nou-
velle de cet heureux événement est apportée,
avant toute information des journaux, par une
voisine qui se trouvait aux environs de la porche-
rie. Nous sommes saisis de cette idée que l'auteur
des Quatre Évangiles dont j'annonçais, il y a
deux ans, la très-salé fin, est crevé le jour même
de saint Michel, et dès le matin..9~!7M; virtute,
in infernum detrude. (Voir le post-scriptum de J e
M'accuse H ) Le sacrilège goujat n'a pu torcher son
quatrième évangile. QnELon'CN en avait assez.
30. A l'auteurdes poésies manuscrites men-
tionnées un peu plus haut
Il y aurait un moyen de noas entendre qui serait
de ne pas parler art. Je suis un traditionnel, un homme
d'autrefois. J'ai besoin de l'Autorité, c'est-à-dire de
l'Obéissance et'de la Discipline en toutes choses
Besoin absolu. Vous vous appuyez à tort sur moi. J'ai
fait des poèmes en prose, mais non pas des vers tibres.
Cela jamais. Je deviens dangereux quand on m'en
parle.
J'ai lu, autant
que je pouvais,
votre manuscrit.
Eh bien, puisque vous insistez, voici Il y a dans la
plupart de ces pièces et surtout dans celles qui vous
tiennent le plus au cœur, non seulement l'adoptiond'une forme horriblement défectueuse, mais, hélas
~'absence de style et d'originalité; pis que cela, le
manque absolu de pensée, de conception centrale et
génératrice. Le morceau que vous m'avez tant recom-
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ16
mandé est navrant. Mais quand vous touchez aux
choses religieuses, c'est une misère à faire pleurer.Une chose, d'ailleurs, que vous ignorez éperdûment,
c'est que l'art n'est pas mon but, mais seulement un
instrument dont j'ai appris à me servir comme d'une
épéeou d'un canon et
que je suis, avanttout et
plus quetout, une âme religieuse. Je donnerais tous les artistes
du monde et tous les chefs-d'œuvre de l'art pour l'Oraison <~oM!:K!c~e dite par un mendiant au bord
d'un fossé. Savez-vous seulement ce que c'est que cette
Oraison? Non, n'est-ce pas? Alors que pouvez-vous
comprendre à un homme qui n'a écrit que pour en pa-
raphraser les syllabes et qui pense continuellement à
la mort? P
Ily a,
en cemoment,
rue deBruxelles,
une « cha-
rogne infâme » qui ne sera chantée par aucun poète,habitacle déserté d'une très-sale âme qui sait, depuis
vingt-quatre heures, à quoi s'en tenir sur l'Oraison
dominicale.
Les journaux confirment la bonne nouvelle.
D'après un reportage, le Crétin des Pyrénées aurait
crevé dans sa littérature. On l'aurait ramassé dans
les excréments. Dans le Matin, dithyrambe desfrères Margueritte, littérateurs à quatre pattes,
comme les Rosny ou les Goncourt. Il y est parlé
du « chemin » de Zola qui fut un « calvaire ».
Dans le même journal, interview de Huysmans
déclarant que Zola a été « un brave homme M
Dans la Libre Parole, interview du même Huys-
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A COCHONS-SUR-MARNE 17
mans, .d'une lâcheté incroyable dépassée seule-
ment par Coppée, disant que « la mort purifie ».Au résumé, l'excrément surabonde en cette
mort. Crevailles scatologiques. L'Écho de Paris
explique que M"" Zola qui survit à son mari
considéré comme ayant vécu « doit son salut
au fait qu'elle a pu arriver jusqu'à son cabinet
de toilette ». Émile, moins béni, n'a pu se préci-
piter assez rapidement vers les latrines.
Jeanne ayant eu l'occasion de voir les reli-
gieuses de Saint-Joseph, en a été bien reçue, mais
on lui a fait subir une sorte d'interrogatoire ten-
dant à connaître nos ressources, mes gains d'écri-
vain, la contenance approximative de nos pots dechambre, etc. Vous mettez de côté, n'est-ce
pas, madame? a dit une-des Mères. Tout cela
accompagné d'une inintelligence miraculeuse. On
veut que je sois une sorte de commerçant. Aprèsune lutte ridicule, Jeanne est revenue écœurée.
Octobre
1" Suitedessaletés.L'~M?W6réclamelePanthéon.LaZ~reParolequine cessederécla-
2
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18 QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ
mer l'égoût, publie une image allemande repré-sentant Zola en saint Michel, habillé de fer, tenant
à la main une épée sur la lame de laquelle est
écrit imbécilement le mot Vérité et terrassant une
sorte de dragon wagnérien en papier mâché. A
la marge « Vive Zola, le vengeur MA Vallette à propos des Lettres de Barbey d'Au-
revilly. Réponse à la proposition d'une note pré-liminaire explicative et devant être contrôlée
Privé de liberté, quelles explications pourrais-jeoffrir? A cinquante-six ans le putanat est sans avenir,
vraiment, sans profit et sans excuse.
2. Que font les Anges Gardiens dont c'est
aujourd'hui la fête? On annonce Jt<~es Barbey
d'Aurevilly, sa Vie, son ÛEMurc, par EugèneGrêlé (!"?) 1 vol. in-8.. Ce bouquin aurait été
fait sur les documents les plus sérieux. Rien n'y
manquerait. La preuve, c'est que je n'ai pas été
consulté, bien que j'aie vécu dans l'intimité de
d'Aurevilly, de 1867 à 1889. N'est-il pas admi-
rable que cette publication, évidemment inspirée
par la légataire, œuvre d'un de ses petits amis,
et toute à sa gloire, j'imagine, soit annoncée
juste au moment oü je vais avoir besoin et soif
d'une revanche?
3. La publication par le Mercure de F~Mce
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A COCHONS-SUR-MARNE 19
d'un de mes premiers essais littéraires la Mé-
duse-Astruc, sorte de poème fou à propos d'un
buste de' Barbey d'Aurevilly, est bizarre. Elle me
donne l'air d'un écrivain mort et enterré dont on
aurait gratté les vieux tiroirs.
Le boulanger, ce matin, m'a parlé de ma noteavec une éloquence intérieure, comme, autrefois,les premiers chrétiens parlaient du royaume de
Dieu.
On raconte l'immense et panique horreur de
Zola pour la mort. Il paraît que ce maudit était
jeté, quelquefois, hors de son lit parla pensée de
la mort, en proie aune épouvante indicible.
4.. Idée d'une étude sur Barbey d'Aurevillyà propos de ce Grelé dont l'existence me fut révé-
lée avant-hier. Je dis « existence M parce que la
langue est pauvre.
5. Mot du poète de l'Ensorcelé sur Zola à
propos de Po~-BoM!c et des dîners de Médan
Ah! qu~il a donc tort de manger! vous voyez
le résultat.
Rappelé dans l'Écho de Paris par Octave Uzanne,
le jour même des funérailles du Crétin.
6. Article de Joergensen sur Zola dans le
Vort Land (Notre pays), grand journal de Co-
penhague. Cet article, intitulé ironiquement Un
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ20
Afa?' et pensé fort médiocrement, est une es-
pèce de tour de force. J oergensen a réussi à
écrire plus de trois cents lignes sans me nommer
une seule fois. Comment a-t-il pu faire? Il avait
mon livre Je m'accuse. ouvert devant lui pour la circonstance et il y puisait à chaque instant.
Parmi les morts, il nomme Barbey d'Aurevilly et
Villiers de l'Isle Adam, catholiques l'un et l'autre,
dont les deux noms invoquent le mien avec des
cris désespérés. Parmi les vivants ou les suppo-sés vivants, il nomme Anatole France et Remy de
Gourmont, deux ennemis déclarés de Notre Sei-
gneur Jésus-Christ. Ceux-là sont les virtuoses de
langue, les SEULS qu'il veuille connaitre. Quelleforce il lui a fallu pour résister à ce point aux
injonctions impérieuses de sa conscience! Joer-
gensen, que j'ai cru « un homme envoyé de Dieu o
(voir Mon Journal, p. 156 et suiv.), est donc un
journaliste comme les autres et, me croyant mort,
sans doute, il jette, lui aussi, sur mon cercueil, sa
poignée de terre scandinave. Quelle honte! Moi
qui l'aimais comme un frère et qui l'ai fait con-naître en France, en parlant de son œuvre comme
nul n'en parlera jamais! Ah! rien ne, m'aura été
épargné! Il sait pourtant combien je suis aban-
donné et combien les contemporains sont injustesà mon égard! 11 le sait mieux que personne en
Danemark, et le livre qu'il avait sous les yeux en
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écrivant cet article, il m'a dit que c'était unchef-
d œuvre. Comment a-t-il pu s'y prendre pour ne
pas écrire mon nom et pourquoi? Les voilà donc,
ces catholiques scandinaves!
7. René Martineau met à ma disposition le
livre du Grelé dans lequel il n'est pas parlé de
moi, dit-il, sinon à la fin où on me mentionne ra-
pidement comme un « ami commun qui a été
chercher un prêtre, démarche, au surplus, sans
importance. Notre vie est le prix surnaturel d'un combat
furieux de chaque jour. J'ai voulu suivre Jésus et
voilà qu'il me sème dans le désert, in terra deserta,i~UM et !M~M(MN.
8. On dira ce qu'on voudra, je ne peux pas
prendre mon parti d'avoir des amis ou admira-
teurs vivant dans l'abondance. J'avais à peine dix
ans, lorsque je lus, dans un pauvre livre de distri-
bution de prix, une histoire intitulée naïvement
Le Fils sensible. Il faut croire qu'il y avait, dansce récit enfantin, une vertu divine, car le souve-
nir m'en a accompagné toute ma vie. Il s'agissait
simplement d'un petit garçon pleurant au collègedevant un bon repas et refusant de manger en se
rappelant la très-pauvre table de ses parents.
Après quarante-cinq ans, je pleure encore, moi le
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vieux ~<:M!e'<<N7'e, en me rappelant cette chose
si humble et si lointaine.
9. Nous vidons les pauvres tirelires des en-
fants pour passer la journée.
10. Rien n~arrive qu'un temps très-doux,
quasi printanier, qui semble narguer notre peine.Je meurs de chagrin.
11. Est-ce possible que durant toute ma vie
terrestre, je n'obtienne jamais un peu de justice?
12. CoMSM/a< et Empire. J'arrive à la grande
insurrection d'Espagne. La cause de ce soulève-ment de tout un peuple, l'acte de Bayonne, si ver-
tueusement blâmé par Thiers et, sans doute, à
cause de cela, digne de louanges, est à étudier, au
moins dans ses conséquences qui ont épouvantéle monde. Cette guerre d'Espagne ayant été le
commencement de la chute, n'est-il pas infiniment
à présumer que c'est là qu'il faut chercher la clef
du mystère de cette inimaginable Préfiguration?
13. Trouvé dans Thiers une belle page sur
la capitulation de Baylen. C'est donc une espèce de
prodige. Fallait-il que ce médiocre eût la gloiremilitaire de l'Empire au fond du cœur Je copie
M. de Villoutreys, revenu auprès de son général
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A COCHONS-SUR-MARNE 2~
en chef, est chargé d'aller sur la route d'Andujar à la
la rencontre du général Castanos pour faire ratifier la
trêve consentie par ses lieutenants. L'infortuné géné-ral Dupont, jusque-là si brillant, si heureux, rentre
dans sa tente, accablé de peines morales qui le rendent
presque
insensible aux peinesphysiques
de deux bles-
sures douloureuses. Ainsi va la fortune, à la guerrecomme dans la politique, comme partout en ce monde,
monde agité, théâtre changeant, où le bonheur et le
malheur s'enchaînent, se succèdent, s'effacent, ne lais-
sant après une longue suite de sensations opposées
que néant et misère 1
Trois ans auparavant, sur les bords du Danube, ce
même général Dupont arrivant à perte d'haleine au
secours du maréchal Mortier, le sauvait à Diernstein.
Mais autres temps, autres lieux, autre esprit
C'était en décembre, et au nord c'étaient de vieux
soldats pleins de santé et de vigueur, excités par un
climat rigoureux au lieu d'être abattus par un
climat énervant, habitués à toutes les vicissitudes de
la guerre, exaltés par l'honneur, n'hésitant jamaisentre mourir et se rendre. Ceux-là, si leur positiondevenait mauvaise un moment, on avait le temps d'ac-
courir à leur aide et de les sauver. Et
puisla fortune
souriait encore et réparait tout personne n'arrivait
tard, personne ne se trompait, ou bien, si l'un se
trompait, l'autre corrigeait sa faute. Ici, dans cette
Espagne où l'on était si mal entré, on étaitjeune, faible,
malade, accablé par ce climat, nouveau à la souf-
france. On commençait à n'être plus heureux et si l'un
se trompait, l'autre aggravait sa faute. Dupont était
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ24
venu au secours de Mortier à Diernstein Vedel n'al-
lait venir au secours de Dupont que lorsqu'il ne serait
plus temps.
16. Entrepris la lecture du Grelé. C'est un
livre ridiculeet,
autantque j'en peux juger par les premières pages, le livre d'un ennemi. -La per-
sonne qui l'a inspiré et qui n'est certainement pasune idiote, aurait donc été et continuerait d'être
une ennemie de d'Aurevilly et même la plus dan-
gereuse. Assertion toute simple qui semblera
excessive.
17. Lu toute la journée le Grelé dont la sot-
tise m'intéresse, mais je continue à penser qu'il ya autre chose que de la sottise. Je fais cette re-
marque, une fois de plus, que jamais d'Aurevillyne me parlait de sa jeunesse, sinon d'une manière
extrêmement vague. Il ne remontait pas plushaut que 1840, n'avouait rien au-delà. Il eût été
au-dessus de son courage de dire qu'il avait été
un jeune homme en 1825. Quel âge a-t-il mainte-
nant, là-bas, dans le Gouffre?
20. Campagne nationaliste, livre inepte à
prétentions apologétiques de ce Jules Soury, dis-
ciple de Renan, qui trouva, il y a vingt-cinq ans,
je crois, le secret d'aller plus loin que son maître
dans la vilenie de pensée et dans le blasphème,
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étant un de ces Exclus en faveur de qui la moindre
velléité de pardon semble à jamais impossible. Il
paraît que celui-là, de même que Coppée ou Huys-
mans, est devenu, lui aussi, une colonne de
~E'</t'Me.
22. Messes de sept heures et de huit heures.
Ce n'est pas aujourd'hui seulement que nous re-
marquons la différence de ces deux messes.
D'abord il y a une grâce certaine, inhérente à la
première, à la messe de l'aube, en quelque pays
que ce soit. Puis, à Cochons, c'est la seule où
puissent être rencontrées trois ou quatre personnes
qui prient. La messe de huit heures est dite pour le troupeau de M. le Doyen, c'est-à-dire pour les
dames qui veulent bien honorer l'église de leur
présence.Ces pieuses servantes du d émon créent néces-
sairement une atmosphère dangereuse que j'aisentie plusieurs fois et dont Jeanne a beaucoup
souffert. J'y résiste mieux, ayant l'âme plus forte
que les âmes réunies de ces misérables créaturesqui ne peuvent m'infliger leur ascendant.
24. J'arrive à la fin du Grelé dont l'inexacti-
tude, la sottise et la perfidie augmentent, bien
entendu, à mesure que la conclusion approche,c'est-à-dire lorsque l'inspiratrice entre en scène.
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26. Patronage de la Sainte Vierge. Des
quatre pauvres que nous sommes, trois ont reçuDieu ce matin, leur Dieu vivant. Jeanne est ma-
lade. Qui consulter dans ce pays d'imbéciles et
comment lui donner la nourriture dont elle aurait
besoin ?
27. Il y a, en haut de Cochons, un fantôme
qui aurait fait peur à Edgar Poe. Une vieille de
théâtre, autrefois sautante ou gueulante, mais
ayant attrapé la richesse, réside continuellement
dans je ne sais quelle caverne au fond d'un parcoù nul ne pénètre. A l'entour un groupe de mai-
sons inhabitées par la volonté formelle de cetteruine qui les acheta tout exprès pour que l'incu-
rie et les météores en fissent des ruines comme
elle, des ruines impitoyables qui puent et qui font
horreur. La propriétaire avait besoin de silence,
craignant peut-être que le moindre bruit ne ré-
veillât certains souvenirs. Ne pouvant obtenir ce
silence ni des oiseaux ni du tonnerre, elle a tâché
de le réaliser ainsi. Les miséreux ou les vagabondssans toit qui passent devant ces demeures fermées
et mortes que dévorent les quatre saisons, doivent
avoir des pensées ou des sentiments qu'enregistreavec attention le plus effrayant des Anges.
29. Dans une heure d'enthousiasme pour son mari, Jeanne écrit une notice très-belle qui
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me fait le plus grand honneur. [Elle a~etë publiée,
quelques mois plus tard, dans le VII1° volume de
l'album Mariani. Je tiens à la reproduire ici,
n'imaginant pas un écrivain capable de mieux
faire.]
Léon Bloy
JC&ÉPAR SA FEMME
Par ces temps d'américanisme, de féminisme, de
snobisme à outrance, où tout se fait par groupe ou par
troupeau, il serait peut-être bon de se reposer la vue
en contemplant une peinture des Primitifs qui existe,
vivante au milieu de nous, au fond d'un sublime gre-nier où seuls pénètrent le soleil et le son des cloches.
Un homme, d'une cinquantaine d'années, « la tête
blanchie par l'écume des cataractes de la Turpitude
contemporaine », subsiste comme il peut, hors dumonde, hors de la société des hommes, par sa volonté
et par la volonté de cette société qui n'aime plus l'Art.
Cet homme est un solitaire contemporain des Van Eyck
et des Cimabue. C'est un a dorateur de la Croix et un
habitant du Rêve.
Il se nomme LÉON BLOY.
Investi d'une magnificence d'imagination tout à fait
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ28
unique, il ne cesse de verser ses images, tantôt
farouches, tantôt naïves et délicieuses, dans ses livres
toujours renaissants au moment où on le croit vaincu,
toujours édités, parce qu'il existe un groupe de plus en
plus nombreux qui les veut toujours enfouis dans le
silence de la
presseinfâme; et remontant,
quand
même
et toujours, à la surface de la littérature contempo-
raine, comme une épave sublime d'un vieux corsaire
qu'on voudrait couler à fond, mais dont le capitaine a
le don de marcher sur les eaux.
Voilà, en quelques traits, cet homme d'un autre
'emps, cet écrivain de premier ordre qui ne vous lais-
sera jamais sans réponse par une intuition toute
prophétique si vous vous avisez de lui demander
conseil.
Lisez la Femme pauvre, son oeuvre de maturité,
lisez ensuite le .DMMp~e', livre qui le rendit célèbre, il
y a quinze ans, et comparez la suavité douloureuse de la
première avec l'ouragan du second. Vous trouverez le
même homme, fort parce qu'il aime, que ce soit dans
la tempête pour sauver son âme, ou bien dans la paix
pour sauver celle des autres.
Quand votre esprit, secoué par les émotions de ces
lectures, désire se
reposer sans descendre des hau-
teurs, prenez alors son Salut par les Juifs, écrit pour une élite de penseurs avec tout son art et qui vous
force à vous mettre à genoux. D'une main ferme et
tranquille, l'esprit dans les cieux et le cœur en feu, i!
plie la Parole à sa volonté et vous imprime sa pensée
qui veut l'action dans le calme, la guerre dans la paix.l'adoration sous la cuirasse.
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A COCHONS-SUR-MARNE 29
Mais de l'avoir entendu lire ses œuvres vraiment ins-
pirées, seuls les quelques amis qui lui restèrent fidèles
s'en souviendront La voix sonore, mais souple, à qui
la grande âme qui la soutient prête des accents inouïs
d'amour ou de colère, ne pourrait être oubliée, une fois
connue. L'intensité duregard
sous les deux plis gravesde son front se fond en tendresse infinie quand un ami
lui parle. On sent que l'écrivain et l'artiste, quelque
grands qu'ils soient, ne donneront rien au-dessus de
l'Amitié forte et tendre qui sait faire des sacrifices jus-
qu'à se dépouiller de tout, jusqu'à porter avec joie le
manteau d'ignominie que lui jetèrent tous ceux qui
dirigent et détiennent aujourd'hui l'opinion, manteau
fait de calomnie, de mensonge, d'envie, de haine pour le Beau. Celui
quiavait tout donné fut
appeléun men-
diant!
LÉON BLOY demeure. On a voulu le tuer par le
silence, l'arme la plus lâche et la plus meurtrière
contre un écrivain. Pourquoi ? Parce qu'il n'est pas
comme les autres; parce qu'il a eu horreur de vendre
sa pensée parce qu'il. a pris au sérieux le Christia-
nisme.
Sans le vouloir on lui a facilité sa vie qui ne peutavoir lieu
quedans la solitude. C'est là seulement
qu'iltrouve l'eau vive de la prière et c'est là qu'il désire
qu'on le laisse. Age d'argent qui est le nôtre, il fallait
ton cadre abject autour de cette image d'un solitaire
pleurant d'Amour qui te hait parce que tu as volé la
Gloire
Voulez-vous connaître les paroles de réprobation
que LÉON BLOY profère contre le monde, c'est-à-dire
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ30
contre le Bourgeois, qui est le roi de l'argent, et l 'en-
nemi du Beau? Ouvrez alors son Exégèse des Lieux
Communs et vous passerez de gais moments en voyantavec quelle justice et quelle bonhomie on exécute votre
voisin.
La variété estun des traits
les plus remarquablesde l'œuvre de LÉON BLOY. Sa place est, de ce fait,
tout indiquée dans quelque grand journal dont il
ferait le succès, car la source de son génie est intaris-
sable et tandis que, l'un après l'autre, nos soi-disant
grands hommes défaillent ou s'épuisent, lui reste
debout, maître de sa pensée, tantôt tragique comme
dans ses souvenirs de la guerre de 1870, Sueur de
Sang, tantôt amusante et satirique comme dans ses
Histoires désobligeantes.Son AfeM~MïM~ ingrat nous initie enfin à sa vie de
tous les jours, vie de douleur et de joie qu'il partage
avec les siens et qu'il n'a pas craint de raconter. Nous
engageons tous ceux qui ne trouvent pas de quoi se
nourrir dans la littérature qu'on leur sert aujourd'hui,
à frapper à la porte de ce méconnu qui les invite à
l'accompagner à travers son existence exceptionnelle
dans ce livre fait de soleil et de larmes.
J eanne LEON BLOY, née Molbech.
Thiers. Prise de Madrid. Me voilà débarrassé
du préjugé d'enfance de l'héroïsme des espa-
gnols contre Napoléon. Le grand homme les mé-
prisait comme une lâche et infâme canaille et il
avait raison, exception faite pour Saragosse. Mais
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que penser d'un héroïsme qui a besoin de mu-
railles ?
30. Voici deux bourgeois, l'homme 'et la
femme, ayant passé ensemble un demi-siècle, sans
avoir jamais dit autre chose que des lieux com-
muns, sans s'être jamais rien dit. Si Dieu vou-
lait qu'ils s'aperçussent tout à coup dans la
Lumière, ils ne se reconnaîtraient pas.
31. Les journaux racontent que le roi de
Portugal, en visite à Paris, ces jours derniers, a
fait l'ignoble Combes grand-croix de l'Ordre du
C/Mt~/ i
Novembre
1* Fête de tous les Saints. Je demande,
une fois de plus, l'indépendance pour être en étatde faire mon œuvre qui est de combattre l'espritdu. siècle, de l'accabler terriblement, pour l'hon-
neur de Dieu et la gloire de tous ses Saints.
Véronique nous répète un mot étonnant de sa
maîtresse, parlant d'une petite fille de treize ans
qui n'a pas encore fait sa première communion.
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ32
« En général, dit cette religieuse, il vaut mieux
la faire le plus tard possible. » Faut-il donc
attendre le lit de mort? Nous expliquons à notre
enfant l'ignorance épaisse et l'inconcevable manquede foi supposé par une telle parole.
Mercure de France. Article très-médiocre de
Remy de Gourmont sur Grelé dont il se borne à
transcrire les affirmations et les idées. Autre article
de Quillard comparant Zola à Socrate! Le Mer-
cure ne cesse pas d'être jeune. La moitié du
numéro est remplie par une enquête sur l'in-
fluence allemande à propos d'un discours de Guil-
laume. Ennui effroyable. Tout le monde a été
consulté, excepté moi, bien entendu.
2. Jour des Morts. Les conséquences du mal
qu'on a fait retournent continuellement à leur
source, tourment des damnés et des âmes du
Purgatoire, à moins qu'on n'ait interrompu le
courant et coupé le câble en devenant un saint.
Les esprits n'ont pas de lieu. Cependant on
peut
dire que certaines âmes sont enfermées dans
un certain lieu, le Purgatoire, par exemple. Mais
il faut entendre cela au spirituel, à savoir que
certaines choses indispensables leur sont cachées.
Leur ignorance constitue leur captivité.
4. Encore une lettre recommandée ne con-
tenant aucun envoi d'argent et j'ai donné au fac-
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A COCHONS-SUR-MARNE 33
teur quelques-uns de nos derniers sous Je vais
prier mon correspondant, lorsqu'il sesentirapousséà m'écrire par lettre recommandée, de m'avertir
quelques jours à l'avance, pour que je ne sois pas
trop saisi.
5. On me prête un livre étonnant Politesse
et convenances ecclésiastiques, par l'abbé Branche-
reau, une autorité, où il est enseigné comment les
prêtres doivent se tenir à table et ailleurs, code en
323 articles. [Voici quelques-unes de mes notes
prises au cours de la lecture qui a duré plusieurs
semaines.] ]
Sanctum Canibus
Saint Paul « /iMMM< pyo/ëMtOM de s'accommoder à
toutes les exigences. » Page 10. Les personnes qui font
profession de lire les Épitres de cet Apôtre auraient pucroire le contraire. Voir le célèbre Nolite conformari
huic M'eM~o. Rom., XII.
Idéal du prêtre poli. P. 10.
u Nul ne dira que l'honnête homme qui paie ses
dettes fait un acte de politesse ». P. 12.
Selon ce docteur extraordinaire, « l'acte de résister à
la tentation n'a rien de commun avec la Liiarité w. P. 13.
n 3
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QUATRE ANS DE CAPTI VI TÉ34
Juste le contraire de ce qui se lit au commun des con-
fesseurs non pontifes QMt potuit ~ns~'e~t et non est
<f<!M~yes~MX, etc.
Et cette prodigieuse maxime, à la même page « La
politesse est un extra, la charité est le strict néces-
saire ».Il voit dans la liturgie « un code parfait de politesse ».
P. 20.
Pour ce qui est de la PERFECTION, elle consiste à « se
mettre à. l'unisson des autres hommes, quant aux
mœurs et aux habitudes et à faire les mêmes choses de
la même manière, sous peine de singularité ». P. 29.
Tout le passage est à lire.
C'est exactement comme si on disait que le comble
de la celsitude pour une montagne est de n e pas dépas-ser d'un cheveu le crottin des ruminants de la plus basse plaine.
Celui qui pourrait mesurer la. haine du monde ecclé-
siastique pour la singularité, depuis deux ou trois
cents ans, saurait, comme les anges, pourquoi il n'ya plus de Saints dans l'Église.
Recommandation de « changer de bas tous les jours,
quand on pue des pieds ». P. 31.
« Surtout pas de parfums ». P. 35.« Quand vous prenez du tabac en compagnie, n en
offrez pas ». P. 47.
« Faites en sorte, en prenant votre tabac, surtout
quand vous êtes en plein air, de n'en pas faire voler
dans les yeux de vos voisins ». P. 48.
« Les priseurs feront bien de renouveler souvent
leurs mouchoirs ». P. 49.
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A COCHONS-SUR-MARNE 35
« L'action de se moucher. Guide du jeune prêtre').
P. 49.
« Le vêtement est ce qu'il y a de plus apparent dans
la personne n P. 51.
« La matière des vêtements du prêtre ne doit pas
être riche et précieuse. Elle peut MÊME être pauvre, pourvu cependant qu'elle ne soit pas grossière ». P. 54.
Traduction Jésus peut naître dans une étable. Il le
peut à la rigueur, à condition que les bourgeois de
Bethléem qui ont refusé l'hospitalité à ses parents n'en
soient pas mécontents ni scandalisés, à condition sur-
tout qu'il n'y ait aucune intention satirique ou allégo-
rique de la part du bœuf et de l'âne qui sont des ani-
maux très-grossiers.
« Selon M. de la Motte, évêque d'Amiens, une déchi-rure au vêtement est moins répréhensible qu'une tache. »
P. 55.
« Il y a dans la Vie des Saints certains détails qu'iln'est pas toujours expédient d'imiter. » P. 57. Tu
parles! diront en chœur les séminaristes du vingtième
siècle.
« Ne pas se moucher ni baver sur son rabat. »
P. 68. r
« La grande tenue est de rigueur quand on va chezles riches. » P. 74. Quand on va chez les pauvres, la
chie-en-lit, sans être de rigueur, est tout-à-fait conve-
nable.
« Que jamais, sous aucun prétexte, la cuisine ne serve
de salle à manger. » P. 77. En temps de persécution
sanglante seulement, il sera permis de manger dans
les lieux.
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« C'est une impolitesse de faire entrer par la cuisine,
les visiteurs honorables », P. 77, c'est-à-dire, le maire,
le notaire, l'huissier, le percepteur, le brigadier de
gendarmerie, le conducteur des ponts et chaussées et
les négociants ou capitalistes prépondérants.« En fait d'ameublement, la
règle la plus sage
est de
faire comme tout le monde. P. 78.
« II ne convient pas qu'un prêtre ait un ameublement
tellement pauvre qu'il ne se distingue en rien de la
dernière classe du peuple. » P. 79. C'est une questionde savoir si le mobilier de saint Siméon Stylite con-
viendrait à un vicaire de Sainte-Clotilde ou si l'abbé
Olmer, curé de Saint-Laurent à Paris et youtre fameux,
pourrait échanger avec avantage son mobilier contre
celui de saint Alexis,qui
vécut trente-quatre ans avec
les cochons.
« Pas de curiosités artistiques ». P. 80. Il doit yavoir quelques exceptions. Il y a certainement des curés
de canton qui collectionnent des timbres on des cartes
postales. J 'ai entendu parler d'un humble desservant
qui étonna son diocèse par des grenouilles empaillées
qu'on voyait combattre, l'épée à la main, sur sa che-
minée. Un misionnaire subjugué, considérant la multi-
tude infinie de ces batraciens, aux environs du
pres- by stère, lui a conseillé dernièrement le siège de
Port-Arthur. Enfin des personnes, dont je pourrais être
l'ami intime, ont connu un doyen qui travaille, depuis
trente-cinq ans, au naufrage de la Méduse ou au Juge-
ment dernier de Michel-Ange, en bouchons de liège.Curiosités artistiques, si on veut, mais ordonnées par la patience et tempérées par la chasteté.
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« A table, il ne faut pas de couverts en étain o. P. 82.
Mais on s'arrange très-bien de convives en plomb,
comme dans les romans de Huysmans, depuis sa con-
version.
« Ce qui se voit dans les salons du monde, n'est pas
obligatoire dans un « Salon de presbytère » ??? P. 83.« Signalons certains mouvements bruyants que la
politesse prescrit de comprimer ou de modérer o. P. 100.
Le motmouvementsest d'une pudeur ecclésiastique tout
à fait exquise.« La chasse interdite aux prêtres et la pêche non
interdite H??? P. 109.
« Les jeux de c artes tolérés )'!H P. 110. Excepté,
j'imagine, en cas de transparence.
« Restons médecins des âmes et laissons la profes-sion de médecins des corps à ceux qui en portent le
nom ». P. 118. Knfoncé saint Marc. Le dernier chapitrede cet évangéliste est raturé par Branchereau. Quantà saint Pierre de qui l'ombre seule guérissait, il eût dû
être soigneusement écarté du ministère.
« Il est inconvenant de s'arrêter à la fenêtre ou à la
porte d'une maison pour s'entretenir avec les personnes
qui sont à l'intérieur. Le peuple le fait, un homme de la
bonne société ne se le permet jamais ». P. 121. Fort bien, mais quand on est soi-même à l'intérieur, peut-onse flatter d'appartenir encore à la bonne société, si on
interpelle les passants? Les premiers apôtres quin appartenaient certainement pas à la bonne société,
nous ont laissé sur ce point trop peu de lumière.
Visites. « Ne pas se présenter avant que les dames
aient fait leur toilette ». P. 153. Il serait peu convenable,
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ38
onen conviendra, d'assister à une séance du pédicureei,il est assez difficile de se représenter un ecclésias-
tique, même éloquent, chez une dame en train de se
faire onduler, etc.
Pourquoi cet ouvrage s'adresse-t-il aux prêtres,
puisque l'auteur ne semble jamais les distinguer desautres hommes? La supériorité infinie du Sacerdoce
n'est pas même aperçue. Ah! que nous en sommes
loin
« Ne mettez pas votre chapeau par terre ni ~My le lit
c~'MMe dame n. P. 188. tl paraît que sur un autre lit ça
n'aurait pas les mêmes inconvénients.
« Quand on reçoit une visite, il n'est pas poli d'offrir
le siège sur lequel on est assis soi-même ni celui
sur lequel est assis un autre visiteur » P. 170. Tironsl'échelle et venons au chapitre des repas.
« Ne vous asseyez pas trop loin de la t able ». P. 179.
« A table, comme ailleurs, toujours l'ordre de <~Ht<e,
un curé de village, parexemple, devant passer après un
sous-préfet ou un maire de canton, comme étant moins
digne a. P. ~00. Quelle serait la place du dixième lépreuxde l'Évangile, et où mettrait-on ces mendiants infirmes
de la Parabole que le père de famille envoie chercher
dans les rues pour les contraindre à prendre part à sonfestin?
Ah Seigneur, tous ces usages mondains, toutes ces
règles, toute cette étiquette du Démon proposés, recom-
mandés à des prêtres de Jésus-Christ
« Les ecclésiastiques sont dispensés, en ~e~t~'<t?, de
donner le bras aux dames pour passer dans la salle à
manger o. P. 201.
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Parmi les formules variées de refus de tel ou tel
plat, l'auteur oublie celle-ci Merci, madame, jesuis plein Ou si on accepte Permettez-moi, aupa-
ravant, de déboucler ma sous-ventrière.
Voici encore une bien excellente recommandation
« Al'égard
desdomestiques,
nesoyez pas impoli, maisévitez d'être respectueux ». P. 210.
Le jeu. « Un prêtre ne doit pas tricher « P. 232. On
excepte naturellement les prêtres grecs.« Dettes de jeu, dettes d'honneur ». P. 233. C'est-à-
dire que si un curé ayant de l'honneur vient à perdreau jeu une somme destinée aux pauvres, les pauvresdevront se taper, l'honneur l'exige.
« 11 n'est pas convenable qu'un prêtre donne le bras
à unautre homme
»,P.
235, même, j'imagine,si
cetautre homme a besoin de ce secours.
A cheval. « La place d'honneur est à droite. Si,
cependant, en vous tenant à gauche, vous deviez incom-
moder votre supérieur placé à droite, en lui envoyant
de la poussière, changez de côté avec lui ». P. 237. Si
c'était un inférieur, il n'y aurait aucun inconvénient à
lui envoyer de la poussière, de la crotte ou même des
excréments.
«Ne pas visiter un musée où on serait exposé à ren-
contrer quelque indécence ». P. 238. Ce qu'on est con-
venu de nommer l'Art n'ayant absolument aucun inté-
rêt, ou si on aime mieux, le goût des images peintesou taillées, trouvant très-amplement à se satisfaire
dans les boutiques de la rue Saint-Sulpice, quel pour-rait bien être le mobile d'une exploration dans un
musée, sinon le besoin de voir des indécences? En ce cas
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il serait mieux qu'un ecclésiastique se contentât, chez
lui, d'un album de photographies captivantes.« Soyons amis de la vérité, mais ne soyons pas inci-
vils ». P. 24i. En d'autres termes, il y a des circons-
tances où il faut savoir mentir carrément.
« Éviter avec soin tout ce qui porterait le cachet de
la singularité ou de l'originalité ». P. 274. Voir, plus
haut, la citation de la page 29.
« Un des avantages les plus appréciables qu'offre à
un jeune ecclésiastique le séjour dans un château, c'est
de pouvoir acquérir, mieux que dans tout autre milieu,
la s cience et la pratique du savoir-vivre ». P . 322. La
conclusion s'offre d'elle-même. Il est trop évident quela fréquentation des pauvres est tout ce qu'il y a de plus
dangereux pour un adolescent qui est appelé à boire le
Sang de Jésus-Christ sur son autel.
Prononciation. L'auteur enseigne qu'il faut dire ~Mos-
sieu, taba, estoma, almana, por. P. 362.
N'aime pas les liaisons. Veut qu'on dise un discour
intéressant, un rappor exact ». P. 365.
« Ne pas dire gifle ni blaguer, etc. ». P. 380.
« En général, ne risquons aucune expression figuréeou proverbiale sans être assurés qu'elle est admise
dans la bonne société. Pourtant ce serait pousser troploin la délicatesse que d'exclure de la conversation les
mots porc, gueule, vomir, etc. ». P. 382. Il oublie de
dire si le mot de Cambronne est admis dans la bonne
société ou seulement dans la mauvaise.
Défiance extrême de l'imparfait du subjonctif. P. 3S3.
Et puis, zut J'en ai tout à fait assez de ce cuistre
immense.
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Ipse Spiritus postulat pro KO&M~eMM~!&!Minenarra-
bilibus. On demande des Prêtres.
6. Nous pensons que le Mépris serait le phar-
maque sûr, l'électuaire vrai pour la santé de
l'âme et du corps. Mais il faut entendre le mépriscomplet, le mépris des autres, le mépris de soi-
même, enfin et surtout le mépris du mépris quirend libre.
Le Péché est la porte du ciel. Felix c:<)a.
7. Il pleut dans notre église. Des torrents
d'eau s'échappent de la voûte en certains endroits.
Est-ce la faute du doyen que tout le monde accuse
d'avarice et qui emploierait trop peu d'ouvriersaux réparations ? Serait-ce que l'église est irrépa-rable ?
Mécontentement. Voici quelques jours ou
quelques semaines que la mère Marie, l'ex-jolie
femme, surveillante générale de l'école Saint-
Joseph, semble avoir pris Véronique en aversion,
la grondant pour une minute ou deux de retard
dont la pauvre petite est bien innocente, puisquece retard est causé par la nécessité où nous sommes
de combiner difncilement toutes les minutes pour
ne pas manquer la messe. Mais la messe n'est rien
pour cette religieuse qui doit nous mépriser beau-
coup d'y tenir et de n'être pas dans le commerce.
On sait que nous n'avons pas de bonne, ce qui
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QUATRE ANS DE CAPTIVITE42
paraît sans doute le dernier degré de l'abjection.
8. Je suis à jeun, mais le papier boit; on fait
ce qu'on peut.
J'ai, aujourd'hui, des raisons pour croire que
la jolie femme ancienne est une de ces religieusesqui ont besoin qu'on tape dessus.
Négligé Politesse pour lire Wagram.
9. Article d'un Pierre Gay dans le Salut
public de Lyon. Il est dit que j'égale au moins
Ezéchiel ou Jérémie, ce qui ne m'empêche pas
d'être un « malin e et même un « parfait bour-
geois
» 11!
11. Étonnante obstination de Thiers à tou-
jours parler de la Fortune, à toujours écrire le mot
Fortune à la place du Nom de Dieu, comme s'il
l'adorait véritablement.
13. Encore la Martinique. A-t-on remarqué
que les récentes et célèbres catastrophes par le feu
sont arrivées en mai. Opéra comique, 25 mai
Bazar de Charité, 4 mai; Saint-Pierre Martinique,
8 mai et Ascension.
16. Ma journée se passe à lire successivement
Politesse et la Campagne de Soult en Portugal.
C'est peut-être la même chose dans l'Infini.
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A COCHONS-SUR-MARNE 43
C'est avec une jolie amertume que nous pensonsà la Sainte-Catherine, dans quelques jours. A cette
occasion, nous serons tapés infailliblement et
d'une main ferme. Les sœurs ont institué le truc
profitable de régaler les petites filles moyennant
une rétribution de 2 francs par tête pour le
déjeuner, de 5 francs pour les deux repas, ce
qui fait, vu le peu qui suffit à des enfants, et leur
nombre, un bénéfice de beaucoup plus de la moitié.
Aucun moyen d'échapper, les pauvres petites quine marcheraient pas devant être taxées d'igno-minie.
17. Ily
alongtemps que
nous n'avions aussi
rudement souffert dansnos âmes. C'est cette étreinte
si connue de nous, cette suffocation, cette agonieintérieure qui ne permet pas l'espérance. Avoir
eu cela si souvent et sans en mourir, comment est-
ce possible? Nous souffrons pour quelqu'un, me
dit Jeanne.
Bataille de Tatavera. Quelle histoire déchirante
que cette guerre d'Espagne et quelle « affliction
d'esprit » que cetémiettement du colosse!
20. Les fidèles n'ont pas besoin de lumière.
Telle est évidemment la pensée de notre doyen,au propre comme au figuré. La neige ayant obscurci
le vitrage d'une petite chapelle où se disent les
messes de semaine, les ténèbres seraient com-
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ44
plètes sans les deux bougies de l'autel. Il y a des
becs de gaz, mais, par eeoMO?M!C, le doyen ne veut
pas qu'on les allume. Impossible de suivre les
prières liturgiques, ce qui est profondément indif-
férent à ce vénérable pasteur. Il les lit déjà pénible-
ment, lui, parce qu'il ne peut pas s'en dispenser,mais les fidèles n'ont rien à y voir et n 'ont que
faire de prier avec l'Église. Dans le trouble et
l'indignation, je demande à Jésus d'avoir pitié de
son prêtre.Je deviens populaire dans le diocèse. On m'ap-
prend que les prêtres ou séminaristes de Meaux
me lisent avec plus ou moins de satisfaction.
22. Note monstrueuse du couvent, 88 francs
pour le trimestre devant finir le 1~ janvier. Elles
sont joliment pressées, les misérables On a eu le
toupet de nous augmenter. Il y a, dans le relevé,
13 francs de « fournitures » injustifiables. Déjànous avons donné 3 francs pour le déjeuner de
sainte Catherine. On demande encore pour une tom-
bola, pour une photographie d'ensemble, etc., etc.
Ces commerçantes me saturent de dégoût. Basse-
ment elles ont calculé, sans doute, qu'étant pauvres,
nous devions être accablés, et que notre piétéconnue nous conseillerait la résignation. En quoi
elles se trompent.
23. Consulat et Empire. Le Divorce En cette
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A COCHONS-SUR-MARNE 45
occasion où Napoléon voulait se donner un héritier,
il me semble qu'il a surtout engendré le Bourgeois
moderne.
25. Sainte Catherine et notre situation ac-
tuelle. Il me faudrait 20.000 francs, mais je rece-vrais 0 fr. 50 avec des larmes de joie.
26. Matinée terrible, aggravée affreusement
par l'indignation. Les enfants nous ont donné des
détails sur les divertissements d'hier, au couvent.
On a joué deux pièces. Dans la première, une
petite fille envoie d'une fenêtre des baisers à son
cousin! Dans la seconde, d'un caractère plus relevé
et, par conséquent, d'une niaiserie plus intense, on
est à Lyon, au temps des Martyrs. Sainte Blandine
et saint Pothin! sont représentés, ce dernier par
unejeune dinde affublée d'une barbe d'uneMM~e//
et donnant sa bénédiction aux Martyrs Véroniquenous dit qu'à ce moment l'assistance a éclaté de
rire. Donc voilà un Pontife Martyr, c'est-à-dire
Notre Seigneur Jésus-Christ Lui-même, livré par
des religieuses à la risée des petites canailles
bourgeoises, des petites salopes futures dont elles
flattent la vilenie en aggravant leur sottise. Qua);~ (j
on est des chrétiens, père et mère d'enfants chré-
tiens, c'est à pleurer de honte et de douleur.
27. Thiers Blocus continental. Ignorance,
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ46
ineptie et mauvaise foi, en ce qui regarde les affaires
de l'Église.
29. A deux prêtres amis qui rêvèrent, un
instant, d'intéresser à moi Paul Bourget =
.Vous ignorez donc que, depuis vingt ans, je suis
l'ennemi de ce personnage et qu'il a toujours et métho-
diquement écopé dans mes livres ou mes articles, à
propos de n'importe quoi. Le plus célèbre de mes
livres, le Désespéré, est s urtout contre Paul Bourget.
J'ajoute que je ne le lâcherai jamais. Ileo~MKMtMe main-
tenant, dites-vous. Cette horreur manquait. Aggrava-tion effroyable qui me le ferait détester un peu plus si
c'était possible.
« Un brave homme », avez-vous écrit.
Ah si vous saviez Il y a rudement longtemps que jele connais, que je sais sa médiocrité infernale, sa vile-
nie de cœur, sa cupidité, son avarice, sa souplessed'échine à l'égard des puissants et sa dureté envers les
faibles ou les inférieurs. Il d evient aujourd'hui, me
dit-on, une colonne de l'Eglise, une des dernières avec
Coppée, Brunetière, Huysmans et quelques autres. Ah
le dernier coup et le plus mortel qui pouvait être portéà
l'Église,c'est assurément la conversion des littéra-
teurs.
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A COCHONS-SUR-MARNE 47
Décembre
1. Lettre d'un ami persuadé que tout va très-
bien et qui me félicite. Je ne sais rien de plusamer que l'ironie de ces félicitations à des gens
qui souffrent, au moment où ils souffrent le plus.
3. Je commence à ne plus pouvoir faire un passans passer sous l'œil d'un créancier.
Idée d'un livre qui s'appellerait Le Pauvre
Maître. Protagoniste, Jules Barbey d'Aurevilly.
[Je me décide, après deux ans, à publierla pagede début la seule qui existe parce qu'elleéclaire un peu deux ou trois coins obscurs. Le
livre aurait pu être important,l'auteurétantde ceux
qui ont le besoin de dire tout ce qu'ils savent et
tout ce qu'ils pensent. Il y a renoncé par crainte
de faire trop de plaisir à certains démons, peut-êtreaussi pour ne pas se déchirer le cœur à lui-même.
Consulter à ce sujet le Mendiant ingrat, pages 420
à 424].Introduction inachevée du Pauvre Afaz~e, avec
cette épigraphe « Flammeum ~a~tMM atque VER-
SATILEM, Barbey d'Aurevilly en personne. »
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ48
La pire infortune pour un grand homme, c'est l'ad-
miration des imbéciles. Il vient de se publier un pesantvolume intitulé JULES BARBEY D'A~nEVtLLY, sa Vie et
MM Œ?Mwe, par un monsieur Eugène Grelé, avec une
préface de M. Jules Levallois (?) Dans cette besogne
juvénile
d'un
pionautochtone,
renseigné par
une
vieille demoiselle cosmopolite, ce que j'ai trouvé de
plus agréable, c'est la préface de M. Jules Levallois,
laquelle est absente. Si le reste n'était que stupide, on
pourrait s'entendre. Je ne hais pas les simples idiots
qui me consolèrent souvent des gens d'esprit, mais je
cogne volontiers sur les roublards et les venimeux. Or
le souci du monsieur Grelé paraît avoir été de faire de
Barbey d'Aurevilly un grotesque et même quelquechose de
plus.Dieu sait que j'avais renoncé au projet ancien d'un
livre sur d'Aurevilly. Ayant été, vingt-deux ans, l'in-
time de ce mort et demeuré le seul capable de parler
de lui avec compétence, il me plaisait que le noble
artiste qui eut de si belles heures de fierté, redevînt,
en allant à l'Éternité bienheureuse, par le chemin des
tourments du Purgatoire, l'Inconnu grandiose qu'il
était, il y a cinq cents ans.
Mais puis-je
voir les pourceaux
de la vanité ou les
macaques à tête aplatie et à courte queue de la littéra-
ture de complaisance, déposer leurs crottes sur son
tombeau ?P
Je compte sur vous, me disait-il, pour me faire
respecter quand je serai mort.
Barbey d'Aurevilly n'a que moi pour le défendre. Si
je ne parlais pas, on ne verrait plus la fin des profana-
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A COCHONS-SUR-MARNE 49
tiens et des âneries. Ah je n'oublie pas que je parlerai
pour un petit nombre et que l'ignorance des choses
littéraires est universelle de plus en plus. Qui sait, par
exemple, que M. Doumic est un sot et que M. Ledrain
en est un autre? Moi-même, c'est tout au plus si je le
sais, ayanttout le mal du monde à retenir
ces nomsde
cuistres qui m'échappent continuellement.
Combien de fois, lorsqu'on croyait être jeune encore,
l'auteur de l'Ensorcelée ne m'a-t-il pas dit Mon cher
Bloy, vous êtes le seul à qui je voudrais confier la
publication de mes œuvres, quand je ne serai plus!Une personne a su m'alléger de cet héritage. Barbey
d'Aurevilly n'était pas une forteresse difficile à prendre,surtout à quatre-vingts ans.
J 'ai eu mieux que cela. N'est-ce pas à moi que,quelques semaines avant sa mort, il demanda de lui
amener un prêtre pour l'y préparer, me disant, le mal-
heureux, qu'il ne savait pas un autre homme à quis'adresser pour un tel service. Le connaissant bien,
j'eus le bonheur de lui trouver presque aussitôt le
prêtre qui lui convenait. C'était un très-humble fran-
ciscain, un confesseur d'indigents et d'illettrés. Je savais
que le mourant, n'ayant jamais habitué son vieil esto-
mac aux crapauds de la pénitence, eût été dégoûté jus-qu'au désespoir par un ecclésiastique distingué. Le
Grelé qui a cru écrire ce qu'il croit être la vie de son
personnage, a mentionné du moins cette circonstance,
pour lui, d'ailleurs, si accessoire à la dernière
page de sa massacrante biographie. J'y suis nommé, à
cette page, pour l'unique fois et mystérieusement qua-lifié d'ami commun.
II
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ50
Ayant donc, une fois de plus, renoncé, provisoi-rement du moins, à décourager les assassins des
morts, je pense que quelques-unes de mes notes
sur le livre qui vient d'être honoré d'une mention
ne seront pas jugées sans intérêt. Les voici toutes
brutes, telles qu'elles furent écrites comme
celles sur le cuistre Branchereau au courant
d'une lecture qui me dégoûtait. On sait le mot
charmant d'Eugénie de Guérin sur d'Aurevilly« Un beau palais dans lequel il y a un labyrinthe.Le Minotaure fourvoyé dans ce labyrinthe, assuré-
ment ne relève pas du glaive de Thésée. Le grandstatuaire à qui le présent ouvrage est dédié m'a
dit souvent qu'il y a des gens, bien plus nombreux
qu'on ne pense, dont la vocation est de solliciter
constamment des coups de pied au derrière et quimeurent de consomption quand ça leur manque.Le Grelé me paraît appartenir à cet escadron.]
« Ante Porcos »
L' Antigone n du vieux Barbey. C'est, je crois,
Séverine qui a inventé ça. Pauvre Maître, déguisé en
Œdipe aveugle et conduit chez les éditeurs ou les mar-
chands -d'autographes par une demoiselle quadras~é-
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A COCHONS-SUR-MARNE 51
naire. Et dire qu'aucun homme n'a pu avoir, plus que
d'Aurevilly, la préoccupation et la crainte du ridi-
cule
a La sœur de charité du génie o, disait le tendre
Coppée, parlant de la même personne. C'est étonnant
comme ce poète
est douépour
écrire des phrases
dont
tous les mots, sans exception, sont inexacts. <S'œMr de
e~M't<~ d'un côté, génie de l'autre, c'est le comble de
la stupidité ou de la démence. C'est surtout le comble
du lieu commua adopté par le gâtisme.« A défaut de talent, avoue Grelé, j'y ai mis toute
mon âme. » Toute l'âme de G relé Il doit rester de la
place. Grelé représente la postérité. P. 8.
Hanotaux et une douzaine de personnages de cette
importance, presquetous
présentés par moi,dont il
n'est jamais dit un mot. P. 10.
Ancêtre de d'Aurevilly protestant et par conséquent« brave homme ». P. 15.
« Le bas de laine des Barbey ». P. 17.
« Les meilleures choses n'ont qu'un temps ». P. 17.
On peut croire que les pires ont deux temps et même
trois, comme la valse.
Haine basse de Grelé pour la noblesse à propos de
celle de d'Aurevilly qu'il juge ridicule. Les réflexionssur la savonnette à vilains sont d'un beau goujatisme.
Lyrisme adjectival. « La surexcitation fébrile d'un
enthousiasme contagieux qui devenait malsain à force
d'être violent ». P. 29.
« Il a (le jeune Barbey) plus d'inclination vers cette
sorte de paganisme latent, de naturalisme imma-
nent. ». P. 32.
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ52
« Le joli nom de d'Aurevilly, cette appellation gra-(lieuse )'. P. 61.
« 11 se r enfermait dans sa tour d'ivoire ». P. 62.
Quand sera-t-ôn délivré de ce cliché sacrilège?« Tristesses et désespoirs byroniens de d'Aurevilly,
Cequi
ne meurtpas,
l'Amour impossible,
etc. ». P. 94.
Mon dégoût extrême de tout cela.
Pourquoi d'Aurevilly n'est-il pas devenu un démo-
crate ? Déballage des idées généreuses du Grelé.
« Sa vanité, sa seule déesse dorénavant)'. P. 104.
Incrédulité de d'Aurevilly. P. 109-111.
Attitude comique du Grelé racontant une crise de
mélancolie de d'Aurevilly, crise dont il ne fut pasle témoin et dont on n'est pas bien sûr. Cet historien
ressemble à un infirmier plein
de sollicitude offrant
sans cesse le pot de chambre ou la tisane.
Grelé parle de l'Ironie de d'Aurevilly qui le « carac-
tériserait ». P. 122. Faux et bête.
Barbey d'Aurevilly passe ses journées « à babiller,
à s'habiller et à se déshabiller ». P. 1 23. Platitude et
perfidie.
Rappel complaisant de cet « ancêtre dont le Bien-
Aimé fut le père et le parrain ». P. 129. Quand on a été
cocufié ou bâtardé par
unsimple particulier,
c'est une
honte énorme. Quand cela vient d'un roi, c'est un sou-
venir infiniment honorable qui se conserve dans les
papiers de famille. Le pauvre Barbey qui ne fut étran-
ger à aucune vanité, m'a parlé quelquefois, en piaffantde gloire, d'une bisaïeule qui lui aurait transmis, de la
sorte, le sang abominable des Bourbons. Grêlé se
vautre dans cette ordure.
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A COCHONS-SUR-MARNE 53
Trait de style de notre Grelé « Les nuages de la
rêverie et la solide plate-forme de la t erre » P. 126.
« La presse me dégoûte ». Ce mot de d'Aurevillysemble à Grelé l'effet de la mauvaise humeur d'un
malade. P. 128. Ce n'est pas lui qu'on dégoûterait faci-
lement. Il a un excellent estomac.
Grelé sait mieux que d'Aurevilly ce que c'est que la
comédie. P. 142.
Barbey d'Aurevilly marchand de chasubles. Le grandartiste avait espéré, une minute, gagner, de cette
manière, un peu d'argent. Il ne m'en parla jamais et
j'ignore les détails. Mais comment aurait-il pu ne pasêtre odieusement roulé? La chose était assez bien
cachée. Il a fallu le flair de chercheur de truffes parti-
culier à MM. Anatole France et Jules Lemaître pour
que cette misère fût connue. Grelé naturellement très-
emballé pour les vilenies, nomme ces deux person-
nages « nos plus fins critiques ». P. 179.
Vie mondaine de Barbey d'Aurevilly. « On ne peutdébiter sans cesse des sornettes dans les salons ou les
boudoirs ». P. 180. Ce ton, de la part d'un Grelé,
est inouï.
Encore les chasubles. Joie du Grelé se représentantla vente effective et
matérielle, par l'admirable
écrivain,de ces ornements d'église. Se déroule-t-il assez, le sale
reptile P. 187.
Son indignation à la pensée que d'Aurevilly traite
avec mépris des cuistres tels que Jules Simon, Vache-
rot, Saisset. P. 193.
Barbey d'Aurevilly ne savait pas se faire aimer de la
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ54
foule, il s'y prenait mal. On ne le lui envoie pas dire.
P.199.
Les ouvriers de 1 848 ne trouvèrent pas en d'Aure-
villy l' « âme sœur » dont ils avaient besoin.
D'Aurevilly ayant, à une époque, désiré de fuir le
monde, de s'enfermer dans un couvent, le sage Grelé pense qu'il lui aurait fallu un couvent comme certains
d'avant la Révolution où on faisait la noce tout le temps.P.216.
Grelé, le juste Grelé rejette la doctrine antilibérale
de d'Aurevilly, applaudissant au Coup d'État. P. 222.
Il ne supporte pas le Credo en matière de critique.P.233.
Il nomme Baudelaire le « fantasque poète. » P. 2~0.
Unique mot heureux de Grelé à propos de Trébu-tien qui se ruinait en éditions de son ami d'Aurevilly:« Son amitié seule a besoin de faire fortune ». P. 24i.
II a d û voler à quelqu'un ce très-modeste bijou.Idées imbéciles du même à l'occasion d'un projet de
mariage de d'Aurevilly. C'est juste le contraire de ce
qu'il dit ou plutôt de ce qu'une certaine personne lui
fait dire si sottement d'ailleurs. P. 26i.
Grelé ne pardonne pas à d'Aurevilly de vouloir « ra-
mener le monde en arrière, etc. ». P. 282.Le nom de B. d'A., ne figurant pas dans l'édition de
Maurice de Guérin, exactement, comme le mien ne
figure pas dans la Vie de Grelé.
Longue note perfide sur les QManM<e Médaillons
de l'Académie. P. 299. 'Pourquoi voudrait-on que ce
monsieur désobligeât les autres messieurs de son es-
pèce qui sont arrivés ?P
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A COCHONS-SUR-MARNE 55
Le triple crétin Grelé expliquant le Doigt de la Pro-
vidence à propos du Prêtre marié. P. 308.
Toujours ce mot ridicule d' « individualiste », pour caractériser l'indépendance de d'Aurevilly
Ignorance de Grelé. Il ne dit pas un mot du journalLe Dix
Décembre,en 1869 et 1870. La
jupe quile do-
cumente n'en a jamais entendu parler.« Quand il retourne à Paris, au printemps de 1873.
il n'apporte plus à sa tâche de journaliste les ardeurs
guerrières d'autrefois. Ses facultés critiques s'affinent
et s assouplissent. Il cultive la belle fleur qui, jamais,
jusque-là, n'avait germé dans son <î)Ke la vertu de
tolérance et de charité. » Page 347.
Le mot de TOLÉRANCE est évidemment le seul que
puisse comprendre Grelé.« Il est vrai qu'un vieillard de soixante-cinq ans ne
saurait, de bonne foi, partager l'intolérance d'un néo-
phyte. A quoi autrement servirait l'épreuve de l'âge? »
P. 348.
Vous en reviendrez disait à un séminariste pleind'enthousiasme un vieux prêtre infâme.
« Devenu vieux, il est toujours indépendant, mais
il comprend mieux que l'indépendance de tout écrivain
a des limites et que cette rare vertu ne doit' pas seconfondre avec l'esprit d'intransigeance n. P. 356. Sans
doute, il n'y aurait plus de bordel possible.« Après la mort de Léon (son frère), il se terre dans
sa modeste chambre. 7Z /'M!'< le monde ». P. 358.
Pendant douze ans, à partir de cette époque, 13 no-
vembre 1876, j'ai vu le contraire, tous les jours.
Inexactitudes énormes. P. 363.
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QUATRE ANS DE CAPTI VITÉ56
Toujours « l'individualiste d'Aurevilly, ses muni-
tions de bataille, ses coups de mousquet, sa canar-
dière, son panache rutilant, ses fusillades bien nour-
ries, etc. Quel style de pion
Le panache de d'Aurevilly « ralliant » des individus
qui n'ont jamais fichu le pied chez lui. P. 370.« Sa Germaine, il la pare comme une épousée prête
à recevoir l'anneau nuptial de la faveur publique ».
P. 374. Cette phrase seule mérite le prix Monthyon.« Renan, le suave iconoclaste de la vie d e Jésus ».
P.388.
Grelé, en bon bourgeois, nomme la vie « la loterie
universelle '). P. 391.
« Barbey d'Aurevilly, dit-il, voulait mourir la plume
à la mam H P. 392.Tel est l'idiot qui fut chargé d'écrire l'histoire d'un
des plus grands écrivains chrétiens du dernier siècle.
6. La mort d'un chrétien n'est qu'un immense
acte d'humilité. JEANDE.
Lu un article sans lumière ni chaleur de Lucien
Descaves sur les cloches. J'apprends ainsi que
l'ignoble Combes, qui semble réellement un pos-
sédé, vient de prescrire par circulaire une enquêtefort étrange. Le jean-foutre voudrait recueillir les
plaintes des habitants qu'empêchent de dormir les
cloches des églises oudes communautés religieuses.
L'interdiction administrative des cloches L'In-
t~a<tOK au <;oya~€
Si nous ne vivions pas dans des pensées d'une
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A COCHONS-SUR-MARNE 57
beauté accablante, écrit Jeanne à une amie, où en
serions-nous ? Que Dieu ait pitié de ceux qui mangentet qui se chauffent
Pourvu que nous possédions la Vie éternelle, qu'im-
porte le reste, à nous qui voudrions suivre Jésus-Christ
dans sonignominie?.
7. Thiers. Andalousie et Torrès Védras.
Quelle pitié de voir Napoléon gâcher ainsi sa puis-sance 1
Nous parlions de la boussole dont l'aiguille ai-
mantée cherche continuellement le Nord, c'est-à-
dire l'Ennemi, le Démon. Ainsi le veut la Chute,
car il faut voir là une figure de l'Homme crucifié.
Tourné vers le Nord, il lui suffit d'étendre les bras
pour toucher l'Orient de la main droite et l'Occi-
dent de la main gauche.
9. Admirable corrélation dès événements ou
des incidents de cette vie, lesquels ne peuvent être
vus que successivement, hélas et qui révèleraient
tellement les desseins de Dieu, si on pouvait les
fixer simultanément dans la Lumière C'est commeles lettres de l'alphabet qui ne sont rien isolément
mais qui, rapprochées par l'intelligence, ont le
pouvoir de donner la vie ou la mort.
Voilà beaucoup d'années que Jésus me force, à
coups de fouet, de marcher devant lui sur les
eaux. La Vérité qui est Lui-même a. besoin de
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ58
Saints, de Martyrs, elle n'a pas du tout besoin
d'écrivains. Je le confesse, j'ai souvent espéré, à
cause d'une certaine puissance de parole, de traî-
ner vers Dieu des multitudes. Que s'est-il réalisé
de ce rêve? Quelques âmes seulement, quelques
pauvres et chères âmes conquises. Mais n'est-ce
pas immense et qui peut dire combien c'est im-
mense ?. Sois patient et doux envers toi-même.
Il est infiniment probable que Dieu ne fera rien de
ce que tu rêves. Il fera mieux.
Thiers. Toujours Masséna en Portugal. Lugubreet terrible histoire.
13. Simon le Cyrénéen aide Jésus à porter sa Croix. Les chrétiens modernes mettent leurs
croix sur le dos de Jésus.
Lu le panégyrique de sainte Thérèse par Bos-
suet. Il y a de beaux endroits, mais quelle fin dé-
testable « Abandonner les richesses, macérer le
corps? Non, je ne vous dis pas, chrétiens, que vous
abandonniez vos richesses, nique vous macériez
vos corps par de longues mortifications. etc. »C'est juste le niveau de notre doyen. Le christia-
nisme est bon pour les goujats. Il est vrai queBossuet prêchait devant la cour de Louis XIV, tan-
dis que notre doyen s'adresse à la basse-cour de
M. Ménier. C'est probablement la même chose. On
va au diable avec de telles paroles qui sont une
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A COCHONS-SUR-MARNE 59
dérision du christianisme, et si on est Bossuet, on
devient schismatique à cinquante-cinq ans.
Thiers. Fuentès d'Onoro. Depuis Tilsitt et l'évé-
vement de Bayonne, je subis l'angoisse, toujours
croissante, d'assister au plus monstrueux gaspil-
lage de force, de beauté, de grandeur qu'il y ait
jamais eu.
Quel homme fut aveuglé aussi manifestement
que Napoléon? L'inconcevable inertie de cet An-
nibal disponible pourtant après Wagram
demeurant obstinément à Paris, alors que sa pré-
sence eût été si profitable en Portugal, en est une
preuve stupéfiante.
17. Après un grand nombre de jours d'une
misère atroce dont le détail ne peut pas être ra-
conté, nous recevons enfin une réponse d'assassin.
Un homme riche, naguère mon ami et même un
peu mon obligé, se déclare dans l'impossibilité
absolue de faire quoi que ce soit et proteste de son
dévouement. Je sens le petit soufQe de la mort.
i8. J'ai eu beaucoup d'amis qui ont passédans ma vie comme on passe dans une rue obscure
et dangereuse et qui se sont éloignés pour ne ja-
mais revenir.
19. Le septuagénaire facteur qui nous des-
sert déclare d'une voix apologétique et sépulcrale,
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ60
à propos de l'éventualité de la mort dont il est
parlé, j'ignore pourquoi, qu'il n'a rien à se repro-
cher. Dieu nous préserve de contredire cet homme
admirable 1
Thiers. Le Concile. C'est ici surtout que devait
se déployer le vieux parapluie voltairien. « La
Sainteté n'est pas toujours la Sagesse. » Tout le
chapitre est ramassé dans cette sentence, comme
un paquet d'excréments est enlevé d'un seul coupdans une vaste pelle à merde. En ai-je assez en-
tendu parler, dans mon enfance et ma jeunesse, de
cette sagesse des bourgeois 1
Dire de quelqu'un, fût-ce d'un personnage
illustre « On n'est pas plus bête ') est certaine-ment un acte de malveillance. Pourquoi le con-
traire « On n'est pas moins bête paraît-il encore
plus désobligeant?
20. Un trait caractéristique du bourgeois est
la peur de toute détermination héroïque chez les
autres, aussi bien que chez lui-même.
A un prêtre
Dites au « bon pauvre qui a donné les 10 francs
que je l'ai mis avec vous dans mon cœur et qu'il me
verra, un jour, parmi les mendiants, aux pieds de son
Juge.
22. La place que j'occupe dans le Plan caché
est telle que je ne peux être secouru, même
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A COCHONS-SUR-MARNE 61
dans l'ordre matériel, que par ceux qui m'aiment
surnaturellement. Ceux qui m'aiment naturelle-
ment ne peuvent RIEN.
Un pauvre existe qui se dépouillerait volontiers
d'une manière complète et se ferait cracher à la
tigure, si cela pouvait me délivrer. Celui-là peut
quelque chose, très-certainement.
23. Admirable histoire touchant le mercan-
tilisme incomparable de la dévotion à saint An-
toine. Une neuvaine de messes est commandée à
un curé qu'on informe vaguement d'un avantage
temporel à obtenir. Le dixième jour, la dévote
vient pour une messe d'actions de grâces que lesaint, paraît-il, a rudement gagnée. Un parent,
dit-elle, dont je devais hériter est crevé hier, justeau moment où finissait la dernière messe.
25. Noël. Grand'messe très-pénible à cause
de ce vieil âne de doyen qui ne peut se dispenser de brailler une demi-heure. Il ferait mieux d'éco-
nomiser ses paroles et de prodiguer un peu le
charbon. Jamais son église n'est chauffée. Je
rentre glacé jusqu'au centre de l'âme et jusqu'à la
moelle des os.
26. Deus Caritas. Texte à l'usage exclusif et
constant de ceux qui haïssent Dieu de tout leur
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QUATRE ANS DE CAPTIV!TË62
Elie est jolie, la nouvelle école exégétique, en
ce qui regarde l'interprétation ou seulement la lec-
ture des Textes Saints. Il y a des prêtres qui
pensent, au mépris du Concile de Trente, qu'il y a
mieux que la Vulgate. J'en connais un que la queue
du chien de Tobie empêche de dormir.
27. Chemin de croix au couvent. Parlons-en,
il en vaut la peine. La méditation, la paroissialeet fétide méditation en français, était lue par la
mère Marie, la vieille jolie femme qui fait depuis
quinze ou vingt ans, le décor et la retape du pen-
sionnat, personne pleine de sucre dont c'est la
spécialité d'être parfaite en toutes choses. Bien que
passablement habitué aux putasseries du phari-
saïsme, la manière de lire de cette farceuse
m'étonna. C'était une voix divine, une de ces voix
d'ange, tour à tour brisées par l'émotion et révigo-rées par de saints élans. Elle vous avait une ma-
nière d'exhaler le « doux Jésus » qui rappelait
invinciblement, quelque effroyable que cela pa-
raisse le « maman! » des prostituées. Aussitôtaprès, l'Oraison dominicale et la Salutation angé-
lique, toujours en français, étaient grognées, si
j'ose dire, par la voix de femme de ménage de la
supérieure. Cela quatorze fois de suite. Rude
épreuve pour ma piété. L'événement de la Marti-
nique a pu être la conséquence d'un chemin Q<*
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A COCHONS-SUR-MARNE 63
croix de cette sorte, exécuté par des religieuses du
même institut.
28. -Rien, et voici le joyeux Jour de l'an. Si Dieu
permettait que cette détresse continuât quelques
jours seulement, nous ne pourrions plus cacher notre indigence, et, dans cette ville infâme, ce se-
rait la mort.
29. Agonie. Plus que jamais, ce monde nous
paraît hideux. Les commerçants, les religieuses,la plupart des prêtres sont réellement des ennemis
de Dieu. Une maison comme le couvent Saint-
Joseph, par exemple, avec toute sa devanture de
piété et sa culture professionnelle des innocences,
est certainement un habitacle des démons. Si une
circonstance telle que la divulgation de notre
misère venait à écailler le vernis de bienveillance
ou de politesse que l'intérêt le plus bas a étendu
sur toutes ces faces, leur aspect deviendrait, ins-
tantanément, épouvantable.
30. J'avais porté la lampe dans un coinobscur. Tout à coup, à cette lumière, j'aperçois,sur une tablette, un petit tas de sous déposés là
et complètement oubliés. Il y a 35 centimes.
C'est comme si Jésus me disait C'est tout ce que
je peux, en ce moment. Patience et courage Ne
i:e mets pas en colère contre moi. Je suis crucifié.
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ64
A celui pour qui Dieu est mort
Vous me dites, et ce n'est pas la première fois
Que de changements depuis deux ans Je ne sais
guère ce que vous entendez par ces mots. Mais voici
ce que je sais bien. En matière de religion, ce
qu'on ne /at< pas absolument, on ne le {ait absolu-
ment pas, et il est à craindre qu'on ne le fasse jamais.Un chrétien qui communierait trois cents fois par an,
mais qui, DÉLIBÉRÉMENT, ne communierait pas tous les
jours, serait avec tous les « bons chrétiens », c'est-à-
dire avec tous ces bons amis des démons tièdes qui« font leur salut a et qui, dans les siècles des siècles,
ne s'approcheront pas de Dieu. Les prêtres qui disent
.autre chose sont des Judas, ou des crétins homi-
cides. Je ne me suis interrompu d'obéir à Hérode et
d'égorger les Innocents que le jour où j'ai décidé de
communier tous les jours. Jusque-là, j'ai été exacte-
ment un salaud et un idiot lamentable.
Cela, non pas dans mon imagination d'écrivain, mais
dans la réalité substantielle. Prière d'y faire attention.
Le jour où vous ferez ce que vous avez le devoir
de faire, sous peine de mort, non seulement pour vous,
mais pour les ~d<res, ce
jour-là
vous verrez, vous
entendrez, vous comprendrez, vous sentirez, vous pleu-rerez et vous pourrez. Alors vous me délivrerez, s'il est
temps encore de me délivrer. Je vous l'ai dit. Mais
le pouvoir ne vous en sera certainement pas donné
-auparavant. On a tant souffert que je suis sans
forces. Je n e peux vous offrir pour vos étrennes que-cet autographe. 11 y a des cadeaux plus banals.
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A COCHONS-SUR-MARNE 65
31. COMMENT DIEU TRAITE SES AMIS.
Ideo ecce ego mitto ad vos prophetas, et sa-
pientes, et « ~o'ï~a~ )', et ex illis occidetis, et cy?<c!
figetis, et ex eis flagellabitis !M. synagogis ves-
tris et persequemini de civitate in civitatem.
Matth. XXIII, 34.
Est-ce tout, Seigneur? Non, il est ajouté quecela durera jusqu'à ce que vienne, sur les hypo-crites et les maudits, tout le sang qui a été répandusur terre. Mais ce flux, cette marée montante est
d'une mer infinie dont les lames se sont retirées
au fond du Cœur de Marie et dont le reflux est
incalculable. En attendant, les amis de Jésus
souffrent comme ils peuvent, avec la patience
qu'ils trouvent. Autant que cela est permis, on les
tue, on les crucifie, on les flagelle, on les persé-
cute et la consolation qu'ils obtiennent, je vais
vous la dire. C'est celle des damnés qui n'ont
d'antre rafraichissement dans le gouffre de leurs
tortures que la vision des épouvantables faces des
démons. Les amis de Jésus voient autour d'eux les
chrétiens modernes et c'est ainsi qu'ils peuventconcevoir l'enfer. Tel est notre cas à Cochons-
sur-Marne.
Jésus a dit « Mon joug est suave et mon far-
deau léger. H On est bien forcé de supposer un
sens mystérieux, car il est clair qu'au sens di-
°S
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QUATRE ANS DE CAPTI VI TÉ66
rect, rien n'est plus terrible que ce joug ni plus
écrasant que ce fardeau.
Avant tout et surtout, Jésus est l'Abandonné.
Ceux qui l'aiment doivent être des abandonnés,
mais des abandonnés comme lui, des Dieux aban-
donnés 1 Voilà le supplice qui n'a pas de nom.
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i<)o3
J'affirme nettement que le monde
catholique moderne est un monderéprouvé, damné, rejeté absolu-
ment, irrémédiablement, un monde
infùme dont le Seigneur Jésus a
soupé de la façon la plus complète,un miroir d'ignominie où il ne peut
pas se regarder sans avoir peur,comme à Gethsemani.
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Janvier 3. Je suis enfermé dans les ténèbres où
j'entends pleurer et saigner ceux que j'aime,
presque sans les voir.
4. On souffre à table. Question, dès ce qua-trième jour du nouvel an Dieu veut-il nos
peaux ?René Martineau chargé par moi, en Octobre,
d'informer Joergensen de mes sentiments au sujetde son incroyable article du Vort Land, me transmet
enfin la réponse. Il ne voulait pas empêcher le
public danois de lire son article en me nommant.
Ainsi se trouvent confirmés les pires soupçons.Johannes Joergensen que je croyais un homme
du plus admirable caractère (Voir Mon Journal,
p. 156 et suiv.), est simplement un journaliste. Il
explique mes plaintes par une extrême « vanité de
littérateur et un « désir furieux de notoriété ».
La notoriété à Copenhague Le pauvre poète a tel-
lement roulé dans l'escalier qu'il en est à ne pas
comprendre qu'ayant essayé de lui élever le cœur,
je suis désolé de le voir si bas.
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ70
Nos pauvres enfants demandent du pain avant
de s'endormir.
5. Comment est-il possible, ô Marie quevous résistiez à tant de larm?s ? Si mes fillettes
bien-aimées me priaient à genoux et en pleurant,
je serais bien incapable de leur résister.
Voici une chose aussi étonnante que (loulou-
reuse. Véronique a composé, on peut le dire, sur
des paroles insignifiantes trouvées dans un re-
cueil enfantin, une mélodie d'une tristesse, d'une
force de tristesse incroyable et Madeleine, ravie,chante cela toute la journée. Je ne puis dire ce
que j'éprouve. Ma Véronique aurait-elle reçu cette particulière infusion de l'Esprit-Saint qui est le
génie de la musique ?
6. Épiphanie. A sept heures du soir on
agonisait. Jeanne et les enfants souffrant de la
FAIM, j'ai couru chez le charcutier qui a consenti
à me faire encore crédit de quelques morceaux.
Jamais, même en 95, nous n'avons été aussi bas.
8. Le secours arrive. Avant de continuer ce
journal terrible et puisqu'il nous est donné de
respirer un instant, je veux dire une chose quime remplit le cœur et qui restera ici comme un
témoignage pour être lu avec émotion, dans
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A COCHONS-SUR-MARNE 71
quelque dix ans, par mes petites filles bien-ai-
mées.
Les pauvres enfants ont eu faim, c'est sûr, et
leurs plaintes auraient pu être pour nous une
occasion de désespoir. Or, les chéries, par l'eS'et
d'une intelligence et d'une résignation fort au-
dessus de leur âge, n'ont fait entendre aucune
plainte, se bornant à demander souvent du pain,
le seul aliment qu'il y eût à la maison, le bou-
langer ne nous ayant pas retiré son crédit.
Que Dieu les bénisse éternellement comme jeles bénis
11. Thiers. Continué la lecture douloureusede 1812. Ce qui atténue la peine, c'est de penser
que Napoléon a été, sinon le père, du moins
l'oncle à héritage du Bourgeois contemporain et
qu'il faut voir en lui, décidément, un imbécile du
plus foudroyant génie.
12. Moscou, la Bérésina. Tout devient in-
sensé, désespérant.
13. Il me faudrait bien d'autres lectures
pour me former une idée personnelle de cette
guerre atroce. Thiers condamne Napoléon d'une
manière absolue et son blâme semble plausible.Mais il se nomme Thiers et, par conséquent, doit
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se tromper. En Espagne et surtout en Portugalil y a une faute sans excuse, je crois. C'est l'ab-
sence de Napoléon. Mais il était présent en Russie,
ayant à subir et d'autres avec lui, un châtiment
prodigieux. D'ailleurs l'Histoire est, par essence,
insupposable. Des événements autres que ceux
accomplis ne peuvent même pas être imaginés
sans sottise ou sans folie. Napoléon sans la Béré-
sina ou Waterloo serait une figure sans yeux, un
monstre indicible. Puis, la beauté incomparable
de la bataille de Borodino, par exemple, quel
triomphe l'égalerait?
i4. Entrepris la lecture de la Cathédrale, deHuysmans. Répugnante, mais nécessaire. Qui di-
rait la vérité sur Huysmans converti, si je ne la
disais pas ?A propos de cet homme, lu dans l'Écho de
Paris un article sur l'Académie Goncourt dont
Huysmans est président. Je savais déjà que les
dix académiciens ont chacun une rente de six
millefrancs,
mais j'ignorais qu'il y
a un prixannuel de cinq mille, destiné à encourager les
écrivains de talent jeunes et pauvres, c'est-à-dire
ne me ressemblant pas. Ce sera amusant de voir
fonctionner cette mécanique.
15. Continué la Ca~~a/e. Rien ne peut
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égaler l'inintelligence et l'ânerie somptueuse de
ce livre, si ce n'est la bassesse de cœur, le manqueabsolu de générosité qui caractérise l'auteur.
Le corbeau du saint Ermite que l'Église honore
en ce jour nous a visités. Nous vivons encore.
16. Parlé de Huysmans à un prêtre qui l'a
un peu connu. Je lui dis ce que je pense de cet
académicien qui m'a traité avec tant d'injusticeet qui traitera peut-être Dieu de même, quand sa
fantaisie de catholicisme aura passé.
17. Encore Huysmans et son livre. Si je
n'avais pas à parler de lui, utilement, un peu plustard, nul ,emploi de mon temps ne pourrait être
plus bête.
18. La Cathédrale a-t-elle été lue en entier
par une seule personne? Je ne crois pas qu'il
existe en France, un seul ouvrage prétendu litté-
raire dont l'ennui soit plus étouffant.
19. Achevé, avec un grand soupir! 488 pagessans rencontrer une idée, c'est atterrant. Ah 1
son succès s'explique Mais je pense qu'on l'achète
par mode, par snobisme, pour ne pas le lire. Il
faut être, comme moi, un galérien de la critique
pour avaler ça.
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ74
En manière de réconfort, je reprends Thiers
dont la médiocrité consigne du moins des événe-
ments grandioses ou terribles. Commencé le
XV" volume, l'Espagne en 1812, Wellington, Sala-
manque, l'étonnante désunion des chefs et la
mauvaise volonté homicide de quelques-uns, en-fin et surtout, l'agonie, à cette autre extrémité de
l'Europe, des sublimes soldats que Napoléon n'avait
pas condamnés à l'effroyable extermination de la
campagne de Russie.
20. Fini de corriger les épreuves des
Lettres de Barbey <f.~M~ Léon Bloy. Ennui
et tristesse de ce rappel d'un temps misérable,sans la ressource de se remonter le cœur par des
notes ou des commentaires. Quelques-unes de ces
lettres, parmi les dernières, sont très-bonnes,
très-généreuses et me vengeront de beaucoup de
calomnies et d'humiliations.
Le pauvre Barbey valait mieux alors que vers
la fin de sa vie, me semble-t-il. Si le Désespéréavait
parudix ans
plustôt, en 1877,
jecrois
qu'ilaurait fait quelque chose d'important pour ce
livre malheureux, dont le sort eût pu être ainsi
fort changé. A cette époque, il ne connaissait pas
Antigone et il allait depuis moins longtemps
chez les Juifs affreux qui ont avili, tant qu'ils ont
pu, sa vieillesse
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A COCHONS-SUR-MARNE 75
Continue Thiers. Misérables aspects de Napo-léon au retour de Russie. Son manque de gran-deur morale, à ce qu'il semble. Et pourtant quelleforce il a fallu à ce foudroyé pour ne pas déses-
pérer
23. Hier, j'avais lu, dans l'Écho de Paris,
l'interview d'une centenaire italienne, vivant aux
environs de Rome, laquelle aurait tenu dans ses
bras Léon XIII enfant, il y a plus de quatre-vingt-
dix ans, et qu'on allait voir en pèlerinage à cause
de cela. Cette ruine avait peu de chose à dire
Cependant on parlait d'un long entretien qu'elle
aurait eu, ces derniers temps, avec le Pape, entre-tien mystérieux au sujet duquel elle observait une
singulière discrétion.
Or, j'apprends qu'hier matin, au moment peut-
être où je lisais l'interview, cette vieille est
morte, brûlée vive par accident.
Interrompu la Campagne de Saxe pour com-
mencer la sainte Lydwine de Huysmans.
24-. Sainte Lydwine. Huysmans porté, par son sujet, en Hollande; restitué ainsi pour un peude temps, à ses origines, a fait un peu mieux.
Mais quelle misère et que de misères Que dire,
par exemple, des dix pages sur l'armée des saints,
à l'époque, avec emploi de toute la phraséologie
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ76
technique de l'art militaire ? C'est de quoi donner
aux plus pauvres l'illusion et l'orgueil de la
richesse.
25. Tristesse, une fois de plus sentie, du
Dimanche. C'est ce jour-là, surtout, que Dieu est
méprisé et c'est ce jour-là, surtout, que nous sen-
tons notre solitude.
26. Achevé la Sainte Lydwine. Une vie de
saint, l'histoire étudiée à fond, d'un saint, devrait
être bienfaisante à l'âme, donner de la joie, de
l'enthousiasme pour Dieu. Celle-ci ne donne que
lassitude et dégoût.Ah que ne suis-je, moi aussi, colonne de l'Eglise
de mon état, colonne d'argent!
28. Sommation avec frais du percepteur. Çame change des Bulletins de la Grande Armée.
J'apprends que l'ignoble apostat Combes, pros-
cripteur des congrégations, a inexplicablement
déclaré à la tribune, je ne sais quels sentiments ou
quelles vues spiritualistes, ce qui a déterminé
aussitôt une tempête parmi les sectaires enragés
qui lui avaient donné leur confiance. Est-ce quecelui-là aussi va devenir une colonne de l'Eglise? '1
Une colonne de merde!
La lecture de Huysmans m'a tant déprimé que
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je reprends Thiers. Lutzen. Le grandiose est fini
depuis Moscou. En 1813, 1814 et 1815, on sent
le froid de ces trois ou quatre cent mille cadavres
de soldats héroïques, absurdement sacrifiés en
Russie et en Espagne, et qu'il fallut remplacer
par des enfants. Napoléon ne paraît pas s'en être
jamais repenti.
29. Bautzen. L'amertume de cette histoire
est en harmonie avec ma tristesse excessive.
Prière du soir à l'église, dite en français par un
vicaire .qui parle du nez. Ce parti pris, dans toutes
les paroisses, de dire obstinément en français des
prières quetout le monde sait en
latin,me
paraîtsimplement diabolique.
30. Un ami m'a parlé de ma pauvreté.Plût à Dieu, lui ai-je dit, que je fusse paM~'e/ Je
serais, alors, compagnon des bergers adorateurs.
Mais je suis indigent, absolument indigent, vivant
du miracle seul, faisant des dettes en comptant
sur Dieu pour les payer, en un mot pratiquant ce
que tous les honnêtes gens nommeraient l'escro-
querie, l'abus de confiance en Dieu. Et cela
dure depuis des années et on ne se doute de rien
et je n'ai pas encore été pincé.
3i. En attendant l'effet d'une démarche af-
freuse, je me t raîne sur Thiers, traînerie de déses-
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ78
péré. Vers le soir, j'ai l'assurance de pouvoir
respirer deux ou trois jours. Ensuite Dieu se dé-
chaînera peut-être.Je sais un misérable homme qui s'inMige pour
l'argent des tourments divins et qui va peut-être
mourir dans vingt-quatre heures, ayant tout em-
poisonné.
Février
l". Ce qui nous
afflige
le plus, c'est la suc-
cession, la loi du Temps. Etant des ressemblances
de Dieu, participant à la Nature divine, Dieux
nous-mêmes, nous avons le besoin de voir tout, de
sentir tout, simultanément. La chute, c'est d'être
tombés de l'Éternité.
3. Couvent de Saint-Joseph. Cours de poli-tesse. Véronique nous dit avoir reçu cette instruc-
tion Quand une personne éternue, il ne faut pas lui dire Dieu vous bénisse C'était bon autre-
fois. Aujourd'hui, ça ne se dit plus Faut-il dire
« La jambe » ou « Ta gueule ?
5. Voici ce que m'a donné Jeanne
« Tout le peuple Juif se lèvera pour faire un
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A COCHONS-SUR-MARNE ,79
Chemin de croix sanglant. Ses ennemis se jette-ront sur lui, à chaque station, pour l'écraser là où
il aura humilié Jésus. »
6~ Article inédit
Mystère de Noël
Je venais de lire coup sur coup la Cathédrale et
Sainte Lydwine de Huysmans. Je n'en pouvais plus.
Cette littérature de tribulation qui a toujours l'air d'avoir été tirée à la lumière ainsi qu'un ténia, avec des
précautions de pharmacien, m'avait déprimé complè-tement. L'écolier de Médan, auteur de plusieurs petites
impuretés préalables à sa conversion, que j'eus tant
de peine à décrasser, il y a environ quinze ans, et qui,
récemment, a découvert le Catholicisme pour en devenir
aussitôt une des colonnes, m'avait accablé en vingt-
cinq mille lignes, de ses « épithètes rares », si labo-
rieusement extirpées de divers lexiques en vue denotifier sur des objets où les petits enfants sont
tous docteurs de coquebines et centenaires appré-ciations.
Ce fut au milieu de cette détresse qu'un bon facteur
m'apporta le Mystère de Noël de Jacques Debout.
(Gabriel Beauchesne, éditeur, Paris). Je me hâte
d'avouer un premier mouvement très-hostile à cette
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brochure, en laquelle je voulais voir une de ces homi-
cides excogitations de calotins par quoi on imbécillise
la jeunesse dans les cercles ou institutions catho-
liques.
Bientôt, pourtant, je me ravisai. Ce Jacques Debout
un pseudonyme évidemment n'était pas un in-
connu pour moi. J'avais lu de lui un roman dont jen'avais pas aimé toutes les idées, mais qui m'avait
paru généreux et d'une langue robuste. 11 fallait voir.
Avant d'aller plus loin, je dois avertir que jen'aime pas la forme du théâtre, en quelque genre que
ce soit. Je la juge anti-littéraire jusqu'à déplorer, par
exemple, que Shakespeare n'ait pas fait l'histoire de
l'Angleterre en poème épique au lieu de la faire en
drames. Au point de vue de la morale chrétienne, je
pense avec Bossuet, qui suivait en cela les Pères et
la Tradition, que le théâtre est essentiellement mau-
vais, absolument indéfendable. On voit par là ce qu'ilest possible d'espérer de moi, quand il s'agit d'une
pièce quelconque destinée à être représentée sur une
scène par des jeunes gens prétendus chrétiens. Diver-
tissement dont les Jésuites passent pour être les inven-
teurs et qui se pratique à peu près partout, depuis
que la foi est morte et enterrée. Mais si la pièce sup-
posée quelconque a la prétention d'être un de ces
Mystères comme les entendaitle moyen âge, oh alors,
je me cabre tout à fait.
Dans une fête qu'il y eût, l'an passé, en un couvent
de Cochons-sur-Marne, on a vu, sous forme de mys-
tère, la chienlit impardonnable d'un J oseph vendu par ses frères que jouaient des filles de boutiquiers ou de
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ronds-de-cuir, l'une d'elles ayant été costumée en
patriarche J acob et affublée inimaginablement d'une
barbe! cela se passait dans le voisinage du Saint
Sacrement chez d es religieuses qui ne se croient pas
désagréables à Dieu.
Un autre jour, dans la même maison, les mêmes
artistes offrirent le spectacle non moins inouï des
Martyrs de Lyon. 11 y avait, cette fois, un saint Pothin,
barbu, lui aussi, mitre en tête et crosse en main, don-
nant aux Témoins de Jésus-Christ la bénédiction épis-
eopf~e La salle se tordit à l'apparition de ce pon-
tife. Je le répète, cela se passait dans une maison où
on est persuadé qu'on croit en Dieu.
Assurément le ridicule de ces manigances est per-
ceptible, même pour des détaillants de chef-lieu de
canton. Mais l'ignominie parfaite et la sacrilège hor-
reur de telles mascarades où l'enfance est profanée,
qui donc pourrait s'en douter seulement parmi les
bestiaux du commerce, les aumailles puantes et inco-
mestibles du comptoir?
Voilà, n'est-ce pas? des préliminaires étranges à un
article sur ce pauvre ~ys~re de Noël dont j'ai décidé
de parler. Je lui dois bien ça, puisqu'il qu'il m'a con-
solé, un jour de tristesse. Après ce qui vient d'être
dit, l'éloge que j'en voudrais faire ne semble pas très-
facile. Mais, d'abord, je n'ai considéré jusqu'ici que
les âneries ordinaires et le Mystère de Noël est, au
contraire, une chose touchante et belle. Ensuite je me
persuade, comme je peux, que cette pièce ne pourrait
jamais être représentée au naturel dans aucune école
ou pensionnat chrétiens. En effet une troupe d'acteurs
n 6
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QUATRE ANS DE CAPTI VI TÉ82
des deux sexes étant impossible dans ces endroits. ïl
faudrait nécessairement, ou des filles pour jouer saint
Joseph, les Bergers, les Rois Mages, ou un garçon
pour jouer Marie –monstruosités intolérables. Reste
le merveilleux expédient des marionnettes.
Dieu me préserve d'oublier le Mystère de la Nativitéde Maurice Bouchor, au petit théâtre des Marionnettes
de la galerie Vivienne, en janvier 91, les rôles étant
lus, derrière la coulisse, par Jean Richepin, Raoul
Ponchon et deux autres. Oui, de véritables marionnettes
grandes comme des e nfants de dix ans, défectueuses
et pauvres comme les figures taillées des humbles
calvaires.
« Rien ne surpasse, écrivais-je, quelques jours plus
tard, la douceur de ce poème où des rôles importantssont tenus par le Bœuf et l'Ane, après que l'archangeGabriel leur a départi le langage humain. L'allégresseinfiniment humble de ces animaux sans péché quin'en peuvent plus de savoir que Jésus va naître, est
pénétrante comme la lumière. L'âme vaseuse du spec-tateur en est clarifiée. Ce qui tombe alors, c'est la
pluie des Lys, des grands lys pâles, éclatants et silen-
cieux, de l'Adoration la plus pure. La suavité de cet
instant n'est pas exprïmable. Un effluve de réconcilia-tion et d'amour qu'on croirait eucharistique, émane
positivement de ces bêtes en carton, charitables et
rudimentaires, qui dialoguent saintement par la voix
émue des invisibles récitateurs. »
Le Mystère de Jacques Debout est digne de ces
marionnettes et c'est l'élog& le plus affectueux, le plus
profond. Puisse-t-il obtenir, un jour, cette interpréta-
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A COCHONS-SUR-MARNE 83
tion, la seule qui lui convienne Cet humble poème est
beau par la forme, plus beau, par l'accent, son auteur
étant de ces monstres qui aiment réellement les
pauvres et que le Pauvre tout brûlant de gloire visite
amoureusement. Il est, peut-être, le dernier ou l'avant-
dernier ami de ces pauvres, de plus en plus détestésdans une Société qui va devenir tout à fait sans Dieu.
Beaucoup de gens que son ~t~re ferait pleurer
sont précisément des dévorateurs de pauvres. On
connaît l'anthropophagie des sentimentaux.
J'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger
dira le Juge. Pardon, Seigneur, lui répondront-ils,
nous avions saigné un pauvre, ce jour-là, et nous
l'avions accommodé pour vous faire honneur. II ne
tenait qu'à vous de prendre part à notre festin.Jacques Debout a une autre manière de lire l'Évan-
gile. Il a la manière des Saints qui est i rrésistible et
je n'ai pas mieux à dire de cette brochure presque
enfantine qui m'a pris le cœur.
Lecture excessivement amère de la Campagne
de Saxe, côté des désastres. Cette ruine du plus
grand des hommes est intolérable.
Il
y
a des
jours
où on croirait Dieu brûlant de
fureur contre ceux qui l'aiment. Deus noster ignis
consumens est. Rebr., xn, 29.
9. Lu la terrible bataille de Wachau, près de
Leipsick. En voyant le calme impassible de Napo-
léon, avant, pendant et après ces boucheries im-
menses, sa gaité même, quelquefois, au milieu
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QUATRE ANS DE CAPTI VI TÉ84
des plus effroyables catastrophes et son absence,
au moins apparente, de tout remords, à Sainte-
Hélène, je me suis rappelé ce troublant détail,vrai ou faux, donné dans je ne sais quel mémoire.
Napoléon ayant été ausculté, un jour, le médecin
découvrit que le battement de son cœur était a~o-/Z</K6M<imperceptible.
Une chose, dans Thiers, m'est douce. Sa haine
furieuse et constante pour Bernadotte.
il. Achevé la Campagne épouvantable de
Saxe. Napoléon ramené au Rhin. Convulsions
énormes de sa puissance. La bataille de Leipsick,
à elle seule, a coûté la vie à 120.000 hommes.
Pourquoi cette lecture m'est-elle si pénible ? Le
mot de patriotisme, à la distance d'un siècle, ne si-
gnifie pas grand chose. La vérité, je crois, c'est
que je ne prends pas mon parti des forces perdues,ce qui est, à un point de vue transcendant,
l'une des formes les plus affligeantes de l'injustice.En 1814, Napoléon s'est efforcé de sauver la
France avec quelques dizaines de milliers d' hommesdont la plupart étaient des enfants, ayant perdu inu-
tilement, en Espagne d'abord, puis en Russie, enfin
dans les forteresses d'Allemagne, à peu près cinq cent mille soldats des meilleures troupes qu'il yeût au monde. Les anges gardiens de la France
ont dû sangloter.
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A COCHONS-SUR-MARNE 85
Appris la naissance d'un petit luthérien, une
âme de plus pour la médiocrité infernale, sauf
miracle. Je rêve, avec une grande douceur, d'un
homme de Dieu, d'un prophète investi de sa puis-
sance, qui frapperait d'ïM/ecoMc~e les nations hé-
rétiques en attendant leur abjuration ou leur extermination. EGEO GLORiA DEt (Rom., m, 23).
12. Question. Pourquoi Dieu n'a-t-il eu be-
soin de personne pour créer le monde? Il est bien
sûr que Dieu a créé le monde tout seul, de sa
propre Main, et c'est une chose à laquelle on ne
pense pas assez. Dieu n'avait pas de serviteurs
pour créer toutes choses à sa place, etc. Mais
lorsqu'il voulut « réformer la dignité de la subs-
tance humaine », comme il est dit au sacrement
de la messe, il ne pouvait ni naître, ni mourir
tout seul il ne pouvait, le tout-puissant, ni se
souffleter, ni se cracher à la figure, ni se flageller,ni se crucifier lui-même. Il lui fallut bien se faire
servir et la plus horrible canaille pouvait seule
être appelée à collaborer ainsi à la Rédemption.
Les bourreaux de Jésus-Christ ne seraient-ils
pas, en cette manière, les véritables ouvriers de la
onzième heure?
13. Commencé l'énorme volume XV11I' de
Thiers: 1814. Les branches du grand arbre tombent
les unes sur les autres. C'est toujours la même peine
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QUATRE ANS DE CAPTIY:T-É86
pour moi qui suis tellement le contemporain des
hommes de 1814. Ce misérable historien, ce sen-
tencieux raccommodeur de vieux parapluies, me
montre tout de même de si grandes choses Oh i
les deux discours de Napoléon, le premier au Corps
législatif (p. 179) et le s econd au Sénat (p. 182)! 1Le premier surtout!
Quand, pour la première fois, je rencontrai
Léon Bloy et que je demandai Qui est cet
homme? on me répondit Un mendiant. Je
sentis alors que c'était le destin. Six mois après,nous étions mariés. JEANNE.
14. Cematin,
on lisaitici,
en l'honneur de
saint Séverin, la messe pro a~a~M~ où il est
dit Ce~My~MHï accipiet. Là-dessus, sainte Cathe-
rine de Sienne que nous étudions, affirme que le
nombre cent est du Saint-Esprit. Un moment nous
pensons que toutes les choses divines grondentautour de nous.
Un Jésuite m'affirme qu'il y a des saints dans
son Ordre, des saints contemporains, mais cachés.
Réponse Est-il possible de cacher un incendie?
15. On m'a persuadé d'écrire à une Mère
Mercédès, religieuse illustre et puissante qu'on
suppose capable de changer ma vie, si elle voulait,
st dont on me parle depuis un mois. J'écris à cette
religieuse une lettre ~ue je la défie bien d'oublier.
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A COCHONS-SUR-MARNE 87
Entre autres choses « Je voudrais achever mon
oeuvre. Je demande cela comme un enfant pieuxdemande qu'on Ini permette d'achever sa prièreavant de dormir. Je demande cela et rien de
plus. »
Exurge, quare obdormis, .Po?mMe?'dit la liturgiede ce jour, dimanche de Sexagésime. Jeanne me
rappelle l'étonnante chose que voici. En 95, dans
cette maison affreuse du Petit-Montrouge où nous
avons été si malheureux, Véronique se remettant
à peine d'une maladie qui avait failli la tuer, si
peu de temps après la mort de son frère André,
dit, un matin, à sa mère, en lui montrant le cru-
cifix Maman, dis-lui donc de se réveiller Or,c'était le matin de Sexagésime.
16. Géographie élémentaire. Qu'est-ce queCochons-sur-Marne ? C'est un trou plein de ver-
mine.
17. Lettre de la Mère Mercédès à un des
amis qui m'ont décidé à lui écrire. «Elle sent par-
faitement qu'elle a le devoir d'agir et comprend
qu'avec un tomme tel que moi, il faut aller jus-
qu'au bout. » Telles sont ses expressions. Pro-
messe formelle, si je ne me trompe.Thiers. Arrivé à Montmirail, j'entreprends une
relecture parallèle d'Henry Houssaye. Fatigue de
passer continuellement d'une parole vivante à une
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ88
parole morte, d'un Lucifer à un fabricant de
chandelles 1
18. Commencé les Dernières Colonnes de
l'Église. Il est temps que la vérité soit dite. On se
moque un peu trop de Jésus-Christ.
19. Parlé de Bossuet à un prêtre ami. Nous
opposons ce grand évêque à Fénélon qui voulait
que le directeur donnât au pénitent ses propressentiments ou pensées, au lieu de se se borner à
le mettre en garde contre les déviations et les
écarts. Je précise en faisant observer que le di-
recteur doit être un tacticien et non pas un stratège,ce rôle devant être abandonné à l'Esprit-Saint. A
ce propos, j'exprime l'idée, si ancienne chez moi,
que la mort de Dieu, pour le résultat que nous
voyons, après dix-neuf siècles, est insupportablela raison, ce qui semble être approuvé sans res-
triction par le confabulateur. Il convient que le
ministère du prêtre, dans notre société livrée au
démonde
l'impiétéou au démon de la
bêtise,est presque toujours en vain, occasion d'une tris-
tesse extrême. Nous parlons aussi de quelques
dévotions imbéciles, propagées depuis quelque
temps, la dévotion à saint Expédit, par exemple,
pour obtenir d'être exaucé avec promptitude! Ce
saint martyr, dont l'existence paraît incertaine,
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A COCHONS-SUR-MARNE 89
est représenté avec une croix sur laquelle on lit
Hodie (aujourd'hui) et foulant du pied un cor-
beau qui crie Cras! (demain). Il se fait autour
de cette dévotion exceptionnellement cocasse un
commerce important de médailles, images, ex-
voto, statuettes, etc,
20. Une âme que Dieu assiège avec toute sa
puissance! Imaginez quelque chose de plus beau! 1
21. Dernières Colonnes, chapitre Huysmans.Plus j'y regarde et plus je méprise le catholicisme
figé et si profitable de ce confident des diction-
naires.
23. Lundi gras. A deux prêtres qui se sou-
viennent de la Passion de Jésus-Christ
Chers amis, Je profite de ces jours où Jésus est si
particulièrement torturé pour vous supplier de vous
souvenir de moi devant son Corps exposé. Vous savez
l'espérance qui m'a été donnée. Il me semble que je
suis un peu plus
malheureuxqu'avant,
à cause de ma
crainte d'une déception nouvelle après tant d'autres.
Puis il y a la longueur des délais. Il faut avoir enduré
le supplice de la roue, appliqué par des bourreaux som-
nolents dans une solitude léthargique, pour savoir ce
que les délais et surtout les délais inconnus peuventfaire
souffrira un malheureux qui aurait besoin d'être secouru
ou expédié à l'instapt même. Ah! le bienfait ne suffit
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ90
pas. 11 faut qu'il ne'vienne pas trop tard, et il y a lieu de
craindre qu'amorce d'être désiré dans les tourments, il
ne finisse par perdre sa saveur et son efficacité. Cette
dernière observation peut n'être pas applicable au cas
présent, mais j'en suis, tout de même, obsédé. Vous
savez ce que disait souvent mon vieil ami Ernest Helo,qui a tant souffert par le désir et par la prière inexau-
~ée On voudrait voir la main de Dieu et c'est la
promptitude seule qui montre cette Main.
Vous connaissez nos aimables enfants. Imaginez
quelque chose de plus déchirant que d'entendre ces
petites bourrèles innocentes nous demander ce qui leur
serait nécessaire ou très-utile et que nous ne pouvonsleur donner. Nous wons en déjà cette énorme peine
qui menace de revenir. Puis, tout le reste que voussavez bien. Les créanciers anciens ou nouveaux, les
fournisseurs impatients -et aboyants, la recherche quo-tidienne des expédients et la difficulté presque insur-
montable pour un écrivain plongé dans un tel enfer, de
se recueillir, de se récupérer suffisamment. Où est le
galérien qui voudrait d'une existence pareille et com-
ment la pourrais-je supporter, si je n'avais pas, chaque
matin, le Corps de Notre Sauveur crucifié? Ce matin,
je sentais le premier souffle, si délicieux, du printempset cette caresse me pénétrait de mélancolie. Je son-
geais à une petite maison très-humble, avec un jardinoù mes pauvres fillettes pourraient courir et jouer pen-dant que je travaillerais en paix. Tout cela dans -votre
voisinage, ô mes chers amis! Et, en même temps, jeme disais que c'était un vain et douloureux rêve, queces choses, pourtant faciles, n'étaient pas pou rmoi.
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A <;OCHONS-SDR-MARNE 91
Consolez-moi, si vous le pouvez, mais surtout priez
pour moi, priez comme des Princes du Sang de Dieu
que vous avez l'honneur d'être.
P.-S. Je m'occupe, comme je peux, des D~~mére~
Colonnes de l'Église, livre que personne, excepté moi,
ne songe à écrire et que le succès des apôtres de came-
lote rend, chaque jour, plus nécessaire.
24. Mardi gras. Jeanne revenant de l'église:
Rappelant à Jésus notre dénûment extrême, jelui disais Donnez-moi ce qu'il y a dans votre
Main, ouvrez votre Main. Alors, il a ouvert SA
MAtN, et j'ai vu qu'Elle était percée!
Je n'ai rien trouvé de plus beau thez aucunécrivain mystique.
1814. Thiers et Houssaye. Cette histoire m'est
décidément une agonie. D'un bout~ l'autre, il n'ya que des fautes ou des crimes. Augereau, Mar-
mont, Ney, Soult, Napoléon lui-même qui ne
pense qu'à Paris, au lieu de marcher résolument
sur ses places et de rappeler de là les garnisons
formidables d'Anvers et de Hambourg, ce qui l'eûtmis à la tête de 150.000 hommes de bonnes troupes;tout le monde se trompe ou défaille d'une façon hor-
ribl~et la misérable France est mangée. Napoléon,hélas qui aurait pu agir en poète casse-cou et qui
eût ainsi tout sauvé, semble avoir été hébété par le désir bourgeois de régner à n'importe quel
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ92
prix, de régner à Paris même au lieu de régner sur le monde, en se disant que, désormais, le quar-tier général de Napoléon serait la capitale de la
France.
28. Pas de réponse de la Mère Mercédès.Elle est trop occupée, dit-on. Quand Dieu vien-
dra, sans doute qu'il trouvera ses serviteurs trop
occupés pour le recevoir. In propria venit. Sait-
elle qui je suis, cette femme qui semble vouloir
ne me donner que de l'espérance et qui n'a peut-être pas encore remué un doigt pour me venir en
aide? Elle est avertie, pourtant, et j'imagine que
sa négligence n'attirera pas de très-abondantes bénédictions sur ses oeuvres. Mais essayez de faire
comprendre n'importe quoi à une religieuse quicroit qu'elle fait quelque chose 1
Mars
1" Autrefois, il y a plus de vingt ans, lorsque
je n'écrivais pas encore, ce premier jour de mars
était attendu par moi avec une impatience amou-
reuse. Rien que d'y penser, mon vieux cœur tres-
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A COCHONS-SUR-MARNE 93
saille. Depuis, j'ai été si cruellement abandonné
par Celui qu'on nomme le « Gardien du Trésor des
cieux H et qui fut le premier, le plus impitoyablede mes lâcheurs, que toute cette gloire de mon
passé tombe en ruines et que je sens une sorte
d'égarement douloureux à voir venir, une fois de
plus, le terrible mois de ce Patriarche effrayant à
qui j'ai donné tout ce qu'un homme peut donner,
sans recevoir autre chose que des tourments.
Cette Mère Mercédès Dès le premier jour, j'ai
compté sur elle comme on compte sur un homme.
Elle attend peut-être que je sois mort, pour agir.On l'étonnerait en lui disant que les amis qui la
sollicitent pour moi lui font le plus grand hon-neur. Ah! les catholiques modernes et leurs exé-
crables œuvres!
Jésus fait passer sa Croix de ses épaules sur
les nôtres et de nos épaules sur les siennes, en
sorte qu'on pleure toujours de douleur ou de com-
passion.
2. Capitulation de Paris. Admirable constancede Napoléon. Sa supériorité infinie sur tous les
contemporains en qui je vois l'éternelle canaille
déchaînée contre les enfants de Jupiter.
3. A quelqu'un qui m'a envoyé une imageridicule
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ94
La Sainte Monique d'Ary Scheffer est tout à fait
digne de ce peintre. C'est une toile protestante et sen-
timentale, ce que j'appelle de la peinture de latrines.
Votre incertitude sur ce point prouve que vous ne
m'avez jamais lu.
4. Lorsque j'attends de l'argent, il m'arrive
ordinairement des choses telles que ceci Un bul-
letin d'abonnement à la Nouvelle Revue c~E~yp~,feuille consacrée au « relèvement intellectuel et
artistique du public égyptien ». Le Directeur, un
nommé Braun qui parle de son « apostolat », me
paraît avoir un fier culot.
On me dit que le retard de la Mère Mercédès est
explicable par l'énorme encombrement de ses
affaires. Elle organise des ventes de charité et
autres cochonneries du même genre. C'est elle,
peut-être, qui relève le public égyptien.
5. « Je m'abandonne à vous, Marie, en vous
priant de m'abandonner à Jésus, pour qu'il s'aban-
donne à moi. » JEANNE.
7. Pleurer, c'est vivre. Anniversaire du cruel
jour à Rendebanen. (Voir Mon journal, p. 350.)
8. Reçu l'Oblat de Huysmans qui vient de
paraître. C& nouveau bouquin de 448 pages est
suivi d'une page de réclame pour chacun de:
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A COCHONS-SUR-MARNE 95
précédents. J~. suppose que Huysmans en est
l'auteur. A propos de Sainte Lydwine, il est dit
qu'il. est le plus grand écrivain chrétien depuis
plusieurs siècles., C'est évidemment son opinion.
Qui sait? Il est peut-être consulté avec respect par
la personne qui a dans sa main le pain de mafemme et de mes enfants.
A la messe, le doyen annonce pour 3 heures
un Te Deum en l'honneur du vingt-cinquièmeanniversaire du couronnement de Léon XIII. Reste
à savoir si ce Te Deum retentira dans le c iel. L'ora-
teur nous avertit qu'il faut louer Dieu pour la
longueur de ce pontificat glorieux combien glo-
rieux Qui pourrait le dire?et
demander sa prolongation indéfinie. J'aurais cru plutôt qu'ilétait urgent de demander le contraire.
11. Rêve. Je me voyais soldat dans je ne
sais quelle guerre, mais séparé de mon régiment,isolé et décidé à vendre ma vie très-cher, car
c'était une espèce de guerre diabolique et sans
merci. L'ennemi paraissant, je
me battais avec
une énergie surhumaine. Après avoir beaucoup
massacré, j'étais enfermé dans une prison, atten-
dant la mort, je ne sais quelle terrible mort. Mais
je me recommandais à Marie. Aussitôt, je pouvaism'évader sans le moindre effort, j'ouvrais les portes
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QUATRE ANS DE CAPTI VITÉ96
avec une extrême facilité et je revenais pieds nus,
l'âme baignée de délices.
On me répète que la Mère Mercédès a été priseen un très-mauvais moment. Je m'en doutais. Si
elle avait un atome de sainteté, elle se serait dit
que je lui étais envoyé, peut-être,pour /<MMr, etelle aurait tout lâché pour moi. N'étant pas une
sainte, mais seulement une sainte femme, elle ne
fichera rien, c'est fort probable.
18. Je demande à Marie si elle a Elle
aussi des œM~yey qui l'empêchent de m'écouter,
de me délivrer comme je l'en supplie avec larmes,
depuisdes années.
14. La Mercédès vuf~ par un ami qui s'est
dérangé avec héroïsme. Il est reçu par elle comme
un lavement et n'obtient que deux mots galopés
qui prouvent que je s'tis très-cuit. Je livre cette
pharisienne à Celui qui ne pardonne pas.
Voici mes pensées sur Fontainebleau. Lorsque
Ney, Oudinot et les autres voulurent faire la loi à
Napoléon, le forcer insolemment à abdiquer,
malgré le bon vouloir et le dévouement absolu de
l'armée; quel spectacle inouï, quel coup prodi-
gieux si le grand homme, appelant sa garde, avait
fait arrêter et fusiller sur l'heure une demi-dou-
zaine de ses maréchaux Quel ascendant terrib'b
sur ses vieux soldats qui ne parlaient que de
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A COCHONS-SUR-MARNE 97
trahison! Quelle inquiétude pour le tsar et ses
médiocres alliés Quel retour possible de la for-
tune
16. Sermon quelconque sur Jeanne d'Arc,
dont la Cause en Béatification va être jugée. Il ya de hautes et magnifiques choses à dire de Jeanne
d'Arc, mais personne ne s'en avise et, d'ailleurs,
qui pourrait les entendre? Jeanne d'Arc préfigurede l'Esprit-Saint, comme Christophe Colomb, mais
d'une manière plus précise, puisqu'elle est femme,
quoi de plus inintelligible pour les sentimentaux
qui l'avilissent de leur admiration? Ayant, autre-
fois, beaucoup travaillé, etcombien en vain! pour la Cause de Christophe Colomb, j'avoue que jesuis sans enthousiasme pour celle-ci qui n'inté-
resse la Congrégation des Rites que parce qu'elleest une affaire d'or. Il n'y a guère que les cui-
rassés à tourelles qui coûtent plus cher que les
procès en béatification.
17. Autre discours sur Jeanne d'Arc par l'abbé
Galette, prêtre d'argent et tombeur de messes déjà.Y~mmé. Tisane de lieux communs.
13. Thiers. Lu la première Restauration avec
horreur. Tous ces maréchaux, généraux et fonc-
tionnaires qui ont tout reçu de Napoléon et qui se
traînent aux pieds du cochon mis en sa place
!I 7
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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ98
19. La maîtresse de Véronique disait, ces
jours-ci, aux petites boutiquières de sa classe que,sans doute, il serait bien de fermer le dimanche,
mais qu'il n'y a pas de mal à ouvrir jusqu'à midi.
En voilà des religieuses qui se fichent un peu de
la Salette! Elles verront ce que cela leur rappor-tera. La Chambre a voté hier la fermeture de
toutes les congrégations enseignantes.
20. Deux prêtres avares, rien que pour ce
trou de paroisse
21. Je prie comme un blessé qui demande à
boire à sa mère absente.
22. Difficulté ancienne déjà: Non sumus an-
cï/~s /M, dit saint Paul. Écce ancilla Domini, dit
Marie. Tout ce que je trouve, c'est que Marie serait
ancilla jusqu'à l'avènement du Paraclet et libera,
aussitôt après. Cela, bien entendu, est pour les
exégètes purs. Mais tout de même, je crois que ce
n'est pas très-fort.
Maria Immaculata Conceptio, ~M~ sursum esJerusalem, mater nostra, da nobis ~?~MMï tuam
HODIE.
Sermon du prédicateur de Caréné sur l'Amour
de Dieu. Ce prédicateur venu de loin, j'imagine,
est, exceptionnellement, un prêtre sans remontoir,
une sorte de prêtre en vie et paraît avoir quelque
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A COCHONS-SUR-MARNE 99
considération pour les pauvres, ce qui déplait fort.
Faiblement inspiré, aujourd'hui, c'est l'amour de
Dieu à la portée des épicières et des épouses d'em-
ployés qu'il nous propose. Une corvée, croirait-on.
Un moment il a parlé de l'Amour de Dieu compa-
tible avec le commerce Les murs n'ont pas reculé,fort heureusement. Alors jen'ai plus écouté quemon rêve. Rêve d'un livre qui serait une série de
sermons sur chacun des Évangiles du carême,mais des sermons aux petits bourgeois, et terribles,
où cette canaille serait fouaillée comme les chiens.
Carême nullement ~ya~Me, sans doute, mais où
les prédicateurs de bonne volonté trouveraient
peut-être quelques idées. J'étais singulièrementsecouru par le voisinage, ayant la sensation d'être
entouré d'animaux immondes. L'infirmité des pré-dicateurs est de ne plus oser dire la vérité «Vous
autres impies, vous autres hypocrites », etc. « Mes
chers frères et sœurs, nous sommes tous des
morts, et nous puons effroyablement », etc., etc.
Décidément le Grand Carême du Père Marchenoir
ne manquerait pas d'intérêt.En un endroit, le prédicateur a rappelé la
parole forte « Qui non odit patrem suum, etc. 1en la faisant suivre d'une interprétation de sémi-
naire, alors qu'il eût été si facile de l'éclairer par le texte de saint Jean: « Vos ex patre diabolo estis. »
Quelle misère
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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ100
Il y a, au seuil de l'Église, n'assistant jamais à
aucun office, un misérable homme, dont le pro-
priétaire vient de faire enlever la porte et la fenêtre
pour une dette de quelques francs. Naturellement
ce propriétaire est riche. C'est un tueur de pauvres
très-âgé qui va probablement mourir demain. Je pense que le Doyen lui confiera un passe-partoutdu Paradis. IL FAUT BIEN QUE LES PROPRIÉTAIRES
MANGENT nous a expliqué une boutiquière de
génie. Raccourci de toute la sagesse humaine.
23. Me sera-t-il jamais donné d'écrire sur
Napoléon le livre que j'ai si souvent rêvé? C'est à
peine probable, l'huile de ma lampe étant déjà
presque épuisée. Et j'ai plusieurs autres livres à
faire. Il me semble, cependant, que j'ai reçu
quelque lumière sur ce PyecM~eMy et cela depuis
longtemps. Mais il faudrait, avant tout, que je fusse
délivré de ma prison actuelle et jamais prison ne
me parut aussi fortement cadenassée.
24. Visite d'un salaud porteur de contraintes,
m'apportant un commandement qui n'est ni deDieu ni de l'Eglise. 1 fr. 60 pour le torche-cul.
25. Annonciation. Voilà bientôt deux mille
ans que vous saignez sur moi, ô Jésus et je suis
tout ruisselant de votre Sang. Regardez-moi et
ayez pitié de vous-même.
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A COCHONS-SUR-MARNE 101
La férie (4° après Ls~c) est d'une douceur indi-
cible. Vidisti eum et qui loquitur tecum ipse est.
Voir Jésus! Parler avec lui, mon Dieu! Cet aveugle-
né est évidemment moi-même.
26. Jeanne a aperçu, hier, à l'église, unevieille dame qu'elle savait malade. Ce matin, elle
apprend la mort de cette personne qui n'a pu être
à l'église hier ni même avant-hier, puisqu'alorselle était morte ou agonisante. Voilà donc une âme
qui lui demande des prières. J'ai pensé souvent que bien des gens qu'on aperçoit, ici et là, sont réelle-
ment des morts, des morts exhalant une odeur de
fosse, ayantdes habitudes de cadavre. Combien
sont-ils de vivants au Ministère ou au Parlement ?7
Un des inconvénients les moins observés du suf-
frage universel, c'est de contraindre des citoyensen putréfaction à sortir de leurs sépulcres pour
élire ou pour être élus. Le Président de la Répu-
blique est probablement une charogne.Lu passionnément le Retour de l'Me d'Elbe, dans
Thiers, tentative douloureuse de réparer l'irrépa-
rable, poème unique dans l'histoire du monde.
Remarqué que Napoléon marchant sur Grenoble et
nullement assuré, jusque là, de son succès a passé,
par Corps, au pied de la Salette. Il doit y avoir là
quelque chose à dire.
27. Suite du silence de la sainte Mère Mer-
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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉM2
cédès. Quelqu'un qui la connaît m'apprendqu'elleest unie à Dieu d'une manière qui ne lui permet pasde penser à la canaille.
28. Un ami que beaucoup d'ennemis ap-
prouveront. m'écrit que mes soufr~uces doivent
être expliquées par la Justice de Jieu qui me
punit de ma méchanceté. A propos des Dernières
Colonnes ~e 7'.É~M<? dont il sait le dessein, cet ami
déplore que je sois toujours le même « jeunehomme impétueux et incapable de pardon quin'a pu vieillir, depuis le Désespéré.
29. Notre prédicateur qui improvise trop,
parlant de la famille et du divorce, s'était embar-
qué dans une phrase où la femme accomplissaitdes actes. Là, s'apercevant qu'il était sur le pointde dire un mot peu convenable, il s'arrêtait quelquessecondes et finissait par se jeter sur le premier mot venu. Alors la femme accomplissait des actes
d'agriculture! En l'écoutant, je songeais à ce
prédicateur effrayant qui serait une sorte de pro- phète, annonçant le divorce de Jésus-Christ et de
son Église. Mais qui pourrait comprendre?
30. Sur la terre nous voyons l'Invisible par le Visible. Après la mort. nous verrons le Visible
par l'Invisible. JEANNE
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A COCHONS-SUR-MARNE 103
31. Paris me devient insupportable. Quand
on y est sans amis et qu'on a renoncé à la vie
sensuelle, que faire au milieu des bicyclettes, des
automobiles, des tramways électriques, dans des
rues partout défoncées ou barrées à cause des
travaux du métropolitain. Qu'est devenue l'aimableville d'il.y a quarante ans?
Avril
2. La plus discrète mention de la prière pour les morts, sans aucune tentative d'apostolat, suffit
pour exciter l'indignation la plus vive chez les
protestants luthériens. Nous venons d'en faire, une
fois de plus, l'expérience. Cette pratique est, à
leurs yeux, un insoutenable blasphème. En effet,
tous les luthériens, sans exception, ne quittant ce
mondeque pour entrer,
aussitôtaprès,
en Para-
dis, quelle insolence de croire qu'ils peuvent avoir
besoin de secours pour y pénétrer J'ai remarquésouvent la férocité latente sous là prétendue dou-
ceur de ces hérétiques.
3 A Henry Houssaye
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ104
Voulez-vous me faire envoyer par votre éditeur lesdeux volumes publiés de 1815, lesquels me.sont indis-
pensables pour un travail d'exégèse historique sur
Napoléon, entrepris, il y a déjà plusieurs années? Ayantlu deux fois et fort attentivement 1814, je vois en vous
l'historien le plus excellent de cet Homme unique dont
je voudrais montrer la place dans l'Ordre invisiblele seul qui soit. Or, j'ai l'honneur d'être pauvre et
l'honneur plus grand de mendier. Si vous savez mon
nom, chose fort incertaine, il est probable que vous le
savez seulement par mes ennemis, multitude équitableet fière, que je n'ai jamais entrepris de dénombrer.
Cela m'encourage. Veuillez.
4. Fort péniblement, j'écris quelques lignessur la manière d'envisager l'histoire des saints, à
propos de Huysmans. Énorme difficulté d'intéres-
ser à cela les intellectuels. Difficulté plus grandeencore de discerner ou d'apercevoir un Huysmans
quelconque dans le voisinage de sainte Lydwine.Consulté saint Augustin sur la résurrection de
Lazare dans son Traité de saint Jean, en vue de
me prévaloir de son autorité contre Huysmans quia parlé ridiculement de ce miracle. Je ne trouve
rien. Toujours l'exégèse morale, comme dans la
plupart des Pères. L'autre exégèse n'est aperçue
que chez quelques visionnaires et encore si fai-
blement 1. Cette science, telle que je l'ai conçue
ou inventée, partant de ce point que l'Écriture
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A COCHONS-SUR-MARNE 105
c'est-à-dire la Vulgate n'est que l'Autobio-
graphie divine, peut et doit se définir l'iLLUMi-
NATION, lieu d'embarquement de tout enseignement
théologique et mystique.Thiers. L'acte additionnel. Tristesse et misère.
Déchéance du' plus grand des hommes se rac-crochant à un Benjamin Constant pour régner encore un peu, au lieu de disparaître nèrement
sur ceci L'empire du monde ou rien!
6. Lundi Saint. Notre prédicateur qui n'a
pas honte d'aimer vraiment les pauvres et quifinira par le payer cher, parlait, ce matin, de la
Sainte Famille errante à Bethléem et, dans un
beau mouvement, il a montré le Sauveur exposéà naître dans la rue. Malheureusement il n'a pasfait l'application immédiate qu'il aurait fallu, sans
doute parce qu'il n'y a pas pensé. Quelle est
celle de vous, Mesdames, qui n'aurait pas agicomme les femmes de Bethléem? N'avaient-elles
pas raison mille fois de repousser des pauvres et
des vagabonds? etc. Ah! le beau discours à faire,
si on avait assez d'énergie et de précision pour ne laisser à ces pharisiennes aucune porte pour fuir. Quand viendra l'homme de Dieu qui se ser-
vira de la Parole comme d'un marteau?
Réponse de Henry Houssaye. Il dit me connaître
par mes livres mieux que par mes ennemis et.
m'envoie ~/j
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ106
7. Mardi Saint. L'Ave ~M- JM~o~MM des
Juifs répercute l'Ave gratia plena. Ce mot ave si
plein de mystère, cet anagramme d'Éva, mutans
E~ nomen, est ainsi, au commencement et à la
fin de la Rédemption. Je voulais en parler au pré-
dicateur, pensant que cette idée pourrait lui ser-
vir pour son sermon sur la Passion. Je ne l'ai pasrencontré. Je lui aurais parlé aussi de saint Josephd'Arimathie. J'ai connu un abbé très-humble qui
pensait que les prêtres obtiendraient des grâces
très-particulières s'ils étaient dévots à ce saint quifut le premier reponens hostiam super corporel.
8.Lu,
cesoir,
aucafé,
une sorte de conte où
Richepin imite misérablement les Diaboliques,
nommant, d'ailleurs, d'Aurevilly. Voilà donc toute
la trace laissée dans les âmes par le pauvre grandécrivain. Toujours les DM~o/MM/ J'espère pour moi un plus consolant bagage.
10. Vendredi Saint. Essai d'explication du
verset 15, chapitre V de saint Matthieu. La Lu-
mière est Jésus et le Boisseau est la Loi, la mesure.Jésus doit être mis sur le candélabre, c'est-à-dire
sur la Croix où il doit luire sans mesure, être aimé
hors de mesure.
Notre petite Véronique écrit avec beaucoup de
netteté et d'expression un rêve qu'elle a eu. Elle
se voyait à la suite de Jésus et devenait témoin de
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A COCHONS-SUR-MARNE 107
la troisième chute et du secours donné par Simon
de Cyrène. « Il me semblait que j'étais une vierge »,
dit-elle avec une délicieuse innocence, voulant
exprimer une forme de la sainteté.
Achevé le dix-neuvième et avant-dernier volume
de Thiers. Impression forte. L'auteur, si souvent
misérable, insiste, comme s'il avait une âme, sur
la tristesse de Napoléon, tombé de si haut. La
page 628 m'a paru belle. De Porto-Ferrajoà Paris,
triomphe, parce qu'il était en présence des fautes
des Bourbons. Mais à Paris même, difficultés,
amertume, sombres pressentiments, parce qu'alors
il se trouva en présence de ses propres fautes.
13. Rencontré une victime de M"" Frusquin,la propriétaire cocasse dont je reçus une si déli-
cieuse visite, le 10 juin -i90d. Le locataire infortuné
me raconte la jolie existence qui lui est faite par la
propriote s'efforçant de le retenir dans sa maison
qu'il a résolu de fuir et n'essayant pas même de
lui cacher] es pauvres ficelles dont elle entreprend
de le ligotter. Cette personne, heureusementrésistible, suit à Paris, les cours de littérature
molle expectorés en Sorbonne par le crétin distin-
gué qui a nom Deschamps, J'ai eu un ami dans le
purin naturaliste qui aurait appelé ça « siroter le
tuyau de descente des éviers ». Elle va là, dit-on,
régulièrement, avec ses deux girafes de filles, les
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ108
deux créatures les plus laides les plus sotte-
ment laides qui se puissent voir. Ignorant
qu'elle est elle-même une indigente à faire pleu-
rer, elle voudrait qu'on fît travailler les pauvresà coups de fouet et qu'on noyât dans l'égout,
comme des rats empoisonnés, ceux dont il n'est
plus possible de rien extraire. Cette écolière de
Gaston est, d'ailleurs, une chrétienne pieuse et
probablement, une Dame de la Providence, asso-
ciation d'amour patronée par notre doyen.
16. Lettre du Général des Chartreux à notre
canaille de premier ministre qu'il assigne à com-
paraître devant Dieu
Là, plus de chantages, plus d'artifices d'élo-
quence, plus d'effets de tribune, ni de manœuvres par-
lementaires plus de faux documents ni de majorité
complaisante; mais un juge calme, juste et puissant et
une sentence sans appel contre laquelle ni vous ni moi,ne pourrons élever de protestation A bientôt, monsieur
le Président du Conseil. Je ne suis plus jeune et vous
avez un pied dans la tombe. Préparez-vous, car la con-
frontation que je vous annonce vous réserve des émo-tions inattendues.
i7. Un Schwarz, éditeur et directeur de
l'Assiette au Beurre, me demande ma collabora-
tion. Pourquoi pas? Léon Bloy à l'Assiette au
Beurre!
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A COCHONS-SUR-MARNE 109
Waterloo. Quand j'écrirai sur Napoléon, je dirai
mon étrange angoisse toutes les fois qu'il est parléde Waterloo, par n'importe qui et l'impossibilité,
pour moi éternelle, de consentir à ce désastre. Il
y a les fautes ou les crimes de Napoléon, oui.
Mais il y a bien autre chose et je sens, au plus
profond lieu de mon âme, que jamais, en aucun
jour, une aussi énorme injustice ne fût accomplie.
21. Article livré aujourd'hui à Schwarz [et
publié dans l'Assiette au Beurre, le 16 mai, sous
ce titre Journalistes. J
L'Aristocratie des Maquereaux
Des personnes singulièrement avisées viennent me
relancer dans un malpropre canton pour me demander
ce que je pense du Journalisme. Je l'ai beaucoup dit
déjà et beaucoup écrit. J'y ai même gagné une jolie
réputation et, si j'ose dire, une joyeuse existence.
« L'esprit français, écrivais-je, en 85, dans le premier numéro de mon infortuné Pal qui dura si peu de jours,
l'esprit français, en cette fin de siècle, rappelle invinci-
blement l'effroyable Charogne de Baudelaire et les jour-
nalistes sont sa vermine. Ils se pressent, innombrables,
sur ce cadavre sans sépulture et précipitent sa putré-faction qui est à empoisonner l'univers. »
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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ110
Cette image d'une exactitude à faire gueuler, je l'ai
ressassée vingt ans, avec une fidélité plus grande
chaque jour, et une amertume qui n'a pas cessé d'aug-menter jusqu'à devenir quelque chose qui est sans
nom.
Une femme de beaucoup d'esprit pourquoi ne la
nommerais-je pas? Marie Krysinska, me disait, il n'ya pas longtemps, qu'elle voyait en moi l'homme quis'est le plus amusé, voulant exprimer qu'elle n'imagi-nait aucun prince qui se fût autant payé ses contempo-rains. Vous y avez mis le prix, ajoutait-elle, c'est
certain, mais comme vous avez dû jouir! Elle avait
raison, j'ai joui à en crever, littéralement.
Par malheur, cela commence à s'user. A force d'avi-
lissement,les
journalistes sont devenus si étrangers àtout sentiment d'honneur qu'il est absolument impos-
sible, désormais, de leur faire comprendre qu'on les
vomit et qu'après les avoir vomis, on les réavale avec
fureur pour les déféquer. La corporation est logée à
cet étage d'ignominie où la conscience ne discerne plusce que c'est que d'être un salaud.
Ah! je sais bien que ça ne reluisait pas déjà trop, ce
joli monde, il y a trente ou quarante ans, c'est-à-dire
avant l'Affaire Dreyfus, avant Panama et Boulanger,avant la guerre franco-allemande, surtout, mais, tout
de même, il y avait alors des moyens de se déshonorer.
Il était possible encore d'être un jean-foutre et de pas-ser pour une canaille. Aujourd'hui, c'est exactement le
contraire. Tant mieux si cela nous mène au désirable
chambardement de la fin. Le jour où il n'y aura plus
moyen de faire une bonne action ou une œuvre d'art
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A COCHONS-SUR-MARNE 111
sans risquer le bagne ou tout au moins le pilori, il est
clair que le monde sera gouverné par des journalistes
et que le Déluge de Merde sera sur le point de com-
mencer. Il y a des moments où il me semble que nous
y sommes déjà.C'est difficile,
pourtant, d'accepter qu'il
en soit ainsi 1
Quand on est assez vieux pour avoir vécu à une époque
où il était possible de rencontrer dans les bureaux de
rédaction autre chose que des crapules, il est dur d'être
le témoin d'une pareille dégoûtation et la solitude
complète paraît un sacré délice.
Je ne parle pas, cela va sans dire, du journalismeexclusivement politique dont la sottise et l'aridité in-
fernales sont au-dessus de mes forces. Je n'ai en vue
quele
journalismelittéraire on soi-disant tel, instauré,
il y a cinquante ans, par feu Villemessant, pour la dé-
lectation des officiers de cavalerie et des employés de
diverses administrations.
Ce Villemessant, autrefois célèbre et maintenant
inconnu, était un de ces hommes en v iande comme on
en rencontre en allant aux abattoirs. Il fut pour quelquechose dans les massacres piaculaires de l'année affreuse,
ayant exalté, comme pas un, la frivolité française. Je
sais fort bienque personne, aujourd'hui,
n'est plus
en
état de comprendre que l'éventrement, l'incendie, la
grillade, la canonnade, la fusillade et la mitraillade sont
les suites nécessaires et prosodiques de la rigolade.
Mais l'Expérience, dieu de fer adoré des hommes, pro-
nonce qu'il en est ainsi. Rochefort a été lancé par ce
Barnum, cela ne dit-il pas tout?
A cette époque, cependant, je le répète, l'invasion
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ112
allemande, la botte germanique n'ayant pas encore nivelé
tous les derrières, il y eut, même parmi les farceurs,
une certaine tenue littéraire, un besoin appréciable de
n'être pas uniquement des imbéciles gardés par des
cochons. Ce temps est loin.
Pour être juste, il convient d'ajouter que tout ne
croula pas immédiatement après la Colonne. Dix ans
plus tard, on trouve encore, çà et là, quelques individus
lavés dont les mains, les pieds, la conscience même
ont l'air d'être propres. Il n'est pas absolument impos-
sible, en 1880, de lire des articles de critique et jusqu'àdes nouvelles ou des romans qui n'aient pas été écrits
dans des bordels par des enfonceurs de suppositoires.Il y avait encore Barbey d'Aurevilly et deux ou trois
autres qui voulaient, quand même, avec plus ou moins
de discernement ou de vieillesse, l'art et la justice.Mais Gil Blas venait de naître et le règne des porcs
s'inaugura. Alors, ce fut tout à fait fini. Chacun peutvoir où nous en sommes. La littérature du cul et le
journalisme du cul sont exclusivement demandés. Le
texte même disparaît pour faire place à l'illustration
des viandes. On n'ose pas tout à fait encore l'obscénité
précise tirant l'œil avec des vermillons et des carmins,
mais il s'en faut d'un si petit poil qu'on peut bien dire
que la chose est accomplie. Au surplus, le brûlant lycéenou le petit employé privés de femmes peuvent se sou-
lager, moyennant un sou, à l a 6 e ou 8" page des grands
journaux. A ce point de vue, les rubriques A~M':a~M et
Petite correspondance laissent peu à désirer. Je recom-
manderais les « dames du monde ayant eu des revers
et donnant des leçons de langue ». Il y a aussi le
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A COCHONS-SUR-MARNE 113
proxénétisme à peine voilé des offres de location et
des ventes de toute espèce. Enfin, c'est une illécébra-
<tOM de tout repos, quasi chaste, économique et sans
avaries. Je connais un nationaliste érotomane, con-
verti par le dégoût, qui a pris en telle horreur cette
idiote et frénétique oblation des parties sexuelles qu"tne cesse de s'en indigner dans une feuille de vigne
transparente qui a besoin de la vertu pour les élec-
tions.
Vous pensez ce que devient l'autre littérature et quel
peut être le joli destin d'un écrivain amoureux de la«a
Justice autant que de la Beauté, perdu dans cette forêt
américaine de la réclame et du putanat. Quand on a le
malheur énorme d'être cet écrivain, le comble du
désastre est évidemment de se tourner, avec un œil
implorant, vers les mangeurs d'évacuations qui dé<
tiennent la publicité.Si on a des millions ramassés dans le purin de
Louis XVIII ou l'incestueuse gonorrhée du duc Decazes
et qu'on ait été /b!'rë', comme le prétendu comte Robert
de Montesquiou, dans des cabinets de poésie, on peut
encore, avec des vers en fils de viande extraits, au prix
d'un labeur immense, du fondement de ses auteurs,
éblouir assez une multitude préalablement régalée.Mais un poète pauvre, un historien pauvre, un roman-
cier pauvre, eût-il le génie de trois cents Titans,
comment voulez-vous qu'il se fasse écouter?
Ainsi donc le cul et la galette, tel est le diptyque du
journalisme contemporain. Les grands artistes indi-
gents ou dégoûtés, s'il s'en trouve encore, n'ont plus
qu'à crever de faim, à moins qu'il ne leur arrive un
il 8
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ114
beau désespoir qui les porte à massacrer, ce qui leur
ferait de la notoriété en cour d'assises.
J e ne voulais nommer personne et, jusqu'à présent,
je ne crois pas avoir désigné un seul contemporain
ayant un semblant de vie organique. Mais, franchement,
il m'est impossible de ne pas y aller de mon voyage en
faveur du célèbre Félicien Tagueule, auteur d'une
chose fameuse intitulée je ne sais comment. J'entrevis
le personnage au Chat Noir, il y a vingt ans. La der-
nière fois qu'il me fut parlé de lui, je crois qu'il était
employé, la nuit, au gratin. D'où vient, aujourd'hui, le
mistral furibond, le simoun, le sirocco de réclame qui
enveloppent cet imbécile notoire, ce crétin fangeux quine sera jamais dépassé? Ce n'est certainement pas avec
la qualité de sa marchandise qu'il a pu débaucher la
presse et fixer les automobiles de l'inattention. Un
critique, sans doute important, dont le nom peu con-
venable ressemble à un <ïMatt/ disait de ce merdeux
que son livre eût été « le chef-d'œuvre de Balzac, si
Balzac avait pu l'écrire. Je demande un histo-
rien espagnol autant que possible de la conquêtede cet ablatif.
Et maintenant, que veut-on que j'ajoute à ça? J'ai dit,
combien de fois l'abus épouvantable de la parole, du
vestige infiniment profané de la Parole. Si j'avais la
niaiserie de répéter, qui pourrait comprendre?
L'intelligence moderne, soûle des ordures de son
orgueil, dégringole au travers de l'Escalier des Géants
du Crétinisme et le Cloaque Maxime ouvre sa gueuleà la dernière marche de cet escalier.
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A COCHONS-SUR-MARNE 115
22. A mon jésuite qui semble tenir beaucoup
à ce que je ne méprise pas son Institut
Assurément vous avez droit à une réponse sur les
Jésuites. Après ce qui s'est passé, il serait bien diffi-
cileque j'eusse
de la défiance ou dumépris.
Je ne puisavoir qu'une grande tendresse pour quelques-uns tels
que vous et une pitié immense pour tous les autres.
Il vous arrive, m'écrivez-vous, de «faire d'impor-,tantes aumônes afin d'obliger le Seigneur à se décla-
rer pour vous ». Hélas! n'est-il pas trop tard? En ce
qui me concerne, si votre Compagnie avait fait, il y a
quinze ans, ce que les Assomptionnistes, si bien infor-
més pourtant, ne voulurent pas faire, si vos pères, con-
sidérantque l'Église
était sans soldats, avaient décidé
de m'armer complètement, employant à cet usageune faible partie des ressources dont l'institut disposait
alors, qui peut savoir la Bénédiction qu'il y aurait eu
sur cet acte de justice ?P
A cette époque, celle du Désespéré, je me sentais fort
comme Bonaparte à Marengo, capable de gagner toutes
les batailles. Un courant irrésistible pouvait être déter-
miné par moi. N'ayant pas à lutter, chaque jour, contre
la famine et toutes les horreurs de lamisère,
assuré de
l'appui matériel et moral d'un Ordre puissant, quelle
n'eût pas été ma force ? Songez que le pauvre Huysmans
est devenu une espèce de chef d'école, d'oracle plu-
tôt, agissant avec certitude sur beaucoup d'âmes
Huysmans!Au lieu de cela, j'aurai été, par l'incurie mons-
trueuse de tous les catholiques sans exception,. une
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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ116
grande force perdue, juste le contraire de ce que Dieu
voulait, je pense. Vous savez ces choses, mon cher
Paul, et vous comprenez qu'il me soit impossible d'y
penser, sans une excessive amertume.
Les catholiques, réguliers ou séculiers, peuvent se
direqu'ils
ont bien mérité cequi
leur arrive et ce
qui leur arrivera encore. Remarquez que je suis un
exemple parmi beaucoup d'autres. « Personne ne bouge,
dites-vous, on tient à rester dans la légalité. » En 1880,
je l'ai dit souvent, deux ou trois cents hommes
armés, rangés sur le trottoir de la rue de Sèvres, de-
vant la maison de vos pères et déterminés à se faire
tuer et tuer, auraient été u n obstacle insurmontable
à l'exécution des décrets. Jamais le faible gouverne-
ment de laRépublique
n'aurait osérisquer
cela.
Mon ancien camarade, Hanotaux, devenu depuis une
si blafarde canaille, maisqui n'était alors qu'un petitlar- bin de Gambetta, m'en fit l'aveu. Comme je lui exposaisl'idée claire ci-dessus énoncée Sans doute, me dit-
il, vous avez raison, mais on est bien tranquille. On
sait si bien qu'on peut tout se permettre avec vos ca-
tholiques
Que dire des catholiques de i902, commandés par
lesde Mun
et les Gayraud? Si uneseule âme
guerrières'était montrée, il y a quelques mois, toute la Bretagnese levait, donnantl'exemple à toutes les provinces res-
tées chétiennes. Le ministère infâme était perdu. Loin
d'agir, on a parlé, comme en 80, de légalité et la tra-
d ition de dix-neuf siècles a abouti à quelques protesta-
tions scatologiques..Dieu voulait cela, sans doute, pour faire éclater su
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A COCHONS-SUR-MARNE 117
gloire dans quelque miracle indicible, car la France de
sa Mère ne peut pas périr. Il est le Maître et il peut en-
voyer Quelqu'un demain matin ou demain soir.
Consulté sur le dessin, je réponds ceci
La Tradition universelle et la Raison disent
que l'étude de la figure humaine doit être au début
de tout enseignement du dessin. Si on ne sait pasfaire un œil ou un nez, on ne saura jamais faire
un paysage, ni une fleur, ni rien. Au contraire,
quand on sait dessiner la figure humaine, on sait
tout dessiner. Pourquoi? Simplement parce que le
Fils de Dieu, in quo omnia constant, a incarné la
Figure Humaine.
La sœur portière a dit à Jeanne avec des airs
mystérieux qu'on me priait de ne plus venir à la
messe du couvent, que désormais on tiendra la
porte fermée pour ne donner aucune prise aux
persécuteurs. Qu'espèrent ces religieuses misé-
rables d'une si honteuse prudence ? On a ce qu'on
mérite, encore une fois.
24. Lu, en grande partie, le dernier et si pénible volume de Thiers. Napoléon ne me paraîtà aucune époque de sa vie plus grand qu'alors.
Napoléon résigné, une seconde fois, à perdre l'em-
pire du monde comme une chose de nulle valeur,
trop résigné. Mais quelle immense et magnifiquesatiété des hommes et des choses, en cet être
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inexplicable qui ne connaissait pas Dieu et qui
mourut, dit-on, sans le connaître! Quelle pitié
que ces intrigues ignobles qui fourmillent autour
de lui, avant même qu'il soit vaincu Quelle igno-minie que tous ces domestiques ingrats et im-
mondes grouillant à la suite de Fouché, sans
savoir, non plus que leur chef, pourquoi ils
grouillent et embarrassés des résultats de leur
trahison avant même qu'elle soit consommée.
L'histoire de Napoléon c'est la Face de Dieu dans
les ténèbres.
28. Autre article pour l'Assiette au Beurre
[publié le 9 mai sous ce titre bête CoMMMo?M/].
Jésus-Christ aux Colonies
Est descendu aux en fers.STMBOLBDMAPOTMS.
Un des hommes les plus sots de notre temps et, peut-
être, de tous les
temps,mon vieux camarade
Hanotaux,admirateur d'Abdul-Hamid et de Paul Bourget, servi-
teur indégoûtable de tous les puissants souteneurs
ou empereurs dont on peut ramasser les crottes;académicien d'autre part et homme d'État disponible,a publié récemment une assez joyeuse rigolade sous ce
titre Le Choix <fMKe carrière. Dieu me préserve d'une
analyse de ce biberon Je n'ambitionne pas assez l'Ins-
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A COCHONS-SUR-MARNE 119
titut pour embêter mes contemporains de cette ma-
nière. J'en ai une autre qui est autrement récom-
pensée.
Mais, ayant à écrire je ne sais quoi sur les colonies
et le génie colonisateur de notre affable patrie, il m'eût
été difficile de ne pas penser immédiatement à Gabriel,
qui en a si souvent parlé depuis qu'il a vu crever dans
la gloire son ancien patron de la Tunisie et du Tonkin,
celui qui avait une si belle gueule de maître d'hôtel ou
de rinceur de lupanar. Rappelez-vous son enthou-
siasme pour l'Algérie, où son voyage précéda de si
peu de mois celui de Loubet. Ce furent quelques jours
agréables. Deux fois par semaine, le J ournal s'incen-
diait de la prose de ce voyageur. Par lui, nous apprîmesenfin
que
le temps passé ne revient plus, qu'il ne faut
pas mettre tous ses œufs dans un même panier, ni
attacher ses chiens avec des saucisses; que le comble
de l'aveuglement est de prendre des vessies pour des
lanternes; qu'il n'y a pas de fumée sans feu, que l'oisi-
veté est la mère de tous les vices, qu'il faut savoir mé-
nager la chèvre et le chou et qu'il est bon d'avoir à son
arc plusieurs cordes de pendu. Enfin, cet homme poli-
tique, cet écrivain si original, ne nous chuchota-t-il
pas
son intime secret, à savoir
qu'on
ne
prend pas
les
mouches avec du vinaigre et que les cordonniers sont
souvent les plus mal chaussés.
De ce pinacle intellectuel, que de vues inespérées,
que d'enseignements, que de conseils Par l ui seul, en-
core une fois, tout le monde a pu savoir l'irrépréhen-sible beauté de nos institutions coloniales, la candeur
liliale de nos fonctionnaires et leur probité de pa-
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ120
triarches avant le Déluge, la joie sans mélange des
indigènes de toute couleur soumis à la tutélaire domi-
nation de la République et l'avenir paradisiaque de
leurs patelins.Mais laissons ce domestique dont je n'ai parlé qu'en
songeant à la dérision atroce et imperturbablementrenouvelée de la plus homicide réclame. C'est avec le
même télescope que le Paradis terrestre avait déjà été
découvert au Soudan par feu Zola, un peu avant qu'ilexhalât son âme généreuse dans les excréments de ses
chiens. Le sujet est grave au delà de ce qui peut être
exprimé.« Grande Dame, dit Christophe Colomb à Isabelle,
dans l'Atlantide de Verdaguer, donnez-moi des navires
et, l'heure venue, je vous les rendrai avec un monde àla remorque. » Il les obtint, ces petits navires dont on
aurait pu garder les débris comme d'impayables tré-
sors, leur bois étant le plus précieux qu'il y eût sur
terre, après celui de la Croix du Christ et pour la
même raison. Il les obtint, comme on sait, après dix-
huit années de supplication dans toutes les contrées
de l'Europe et ce fut la mort qu'il apporta au monde
indien, dans ses mains ineffablement paternelles.On lui
changeason œuvre dès le
premier jour. On fitdes ténèbres avec sa lumière et quelles ténèbres! On
se soûla du sang de ses innombrables fils et ce qui res-
tait de ce sang, ce dont les chacals du pillage et les
chiens du vomissement ne voulaient plus, on le re-
cueillit dans le creux des mains, dans des pelles de mi-
neurs, dans des écopes de bateliers, dans les coupes de
la débauche, dans les deux plateaux de la justice pros-
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tituée, dans les calices mêmes des saints autels et on
l'en éclaboussa de la tête aux pieds On contraignitcette Colombe amoureuse à piétiner, ainsi qu'un cor-
beau, dans le pourrissoir des assassinés. L'orgie des
avares et des sanguinaires enveloppa la montagne de
son sourcilleux esprit comme d'un tourbillon de tem-
pête, et ce fut la solitude la plus inouïe sur cet amon-
cellement de douleurs
Christophe Colomb avait demandé qu'aucun Espa-
gnol ne put aborder aux terres nouvelles, à moins qu'il
ne fût certainement chrétien, alléguant le but véritable
de cette entreprise, qui était « l'accroissement 'et la
,gloire de la religion chrétienne n. On vida pour lui les
prisons et les galères. Ce furent des escrocs, des par-
jures, des faussaires, des voleurs, des proxénètes et des
assassins qu'on chargea de porter aux Indes l'exemple
des vertus chrétiennes. Lui-même fut accusé de tous
les crimes et la hideuse crapule qu'on lui envoyait fut
admise à témoigner contre cet angélique Pasteur quivoulait défendre son troupeau, dont le principal forfait
avait été d'attenter à la liberté du pillage et de l'égor-
gement.Il fut enfin dépossédé, exproprié de sa mission et,
pendant plusieurs années, put assister, lié et impuis-
sant, à la destruction de son œuvre. Ses illégitimes et
cupides successeurs remplacèrent aussitôt la Paternité
par l'Ergastule et l'évangélisation pacifique par le cruel
système des yep~r<:M!:eM<os, qui fut l'arrêt de mort de
ces peuples infortunés.
Telle fut l'aurore des colonisations européennes dans
les temps modernes. Rien de changé depuis quatre
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ122
siècles. L'unique différence fort appréciable, il est
vrai c'est qu'à l'époque précise de la découverte du
Nouveau-Monde, il y eut un homme, grand comme les
Anges, immolé par la multitude des canailles et qu'aus-
sitôt après lui, il n'y a plus eu que des canailles.
Ah! l'évangélisation des sauvages, la dilatation et
l'accroissement en eux de l'Église, choses voulues si
passionnément par le Christophore, que nous en
sommes loin 1 Pas même un semblant d'équité rudi-
mentaire, pas un tressaillement de pitié seulement
humaine pour ces malheureux. C'est à trembler de la
tête aux pieds de se dire que les belles races améri-
caines, du Chili au nord du Mexique, représentées par
plusieurs vingtaines de millions d'Indiens, ont été
entièrement exterminées, en moins d'un siècle, par leurs conquérants d'Espagne. Ça, c'est l'idéal qui ne
pourra jamais être imité, même par l'Angleterre, si
colonisatrice, pourtant.Il y a des moments où ce qui se passe est à faire
vomir les volcans. On l'a vu, à la Martinique, l'année
dernière. Seulement le progrès de la science empêche
de comprendre et les horreurs ne s'arrêtent pas une
seule minute. Pour ne parler que des colonies fran-
çaises, quelle clameur, si les victimes pouvaient crier!
Quels rugissements, venus d'Algérie et de Tunisie,
favorisées, à cette heure, de la carcasse du Président
de notre aimable République Quels sanglots de Mada-
gascar et de la Nouvelle-Calédonie, de la Cochinchine
et du Tonkin
Pour si peu qu'on soit dans la tradition apostolique
de Christophe Colomb, où est le moyen d'offrir autre
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A COCHONS-SUR-MARNE 123
chose qu'une volée de mitraille aux équarrisseurs d'in-
digènes, incapables, en France, de saigner le moindre
cochon, mais qui, devenus magistrats ou sergents-
majors dans les districts fort lointains, écartèlent tran-
quillement des hommes, les dépècent, les grillent
vivants, les donnent en pâture aux fourmis rouges,
leur infligent des tourments qui n'ont pas de nom, pour
les punir d'avoir hésité à livrer leurs femmes ou l eurs
derniers sous!
Et cela, c'est archi-banal, connu de tout le monde
et les démons qui font cela sont de fort honnêtes gens
qu'on décore de la Légion d'honneur et qui n'ont pasmême besoin d'hypocrisie. Revenus avec d'aimables
profits, quelquefois avec une grosse fortune, accompa-
gnés d'une longue rigole de sang noir qui coule der-
rière eux ou à côté d'eux, dans l'Invisible éternelle-
ment ils ont écrasé tout au plus quelques punaisesdans de mauvais gîtes, comme il arrive à tout conqué-
rant, et les belles mamans, éblouies, leur mijoteront
des vierges.J'ai devant moi des documents, c'est-à-dire tels ou
tels cas. On pourrait en réunir des millions. L'histoire
de nos colonies, surtout dans l'Extrême-Orient, n'est
que douleur, férocité sans mesure et indicible turpi-
tude. J'ai su des histoires à faire sangloter les pierres.Mais l'exemple suffit de ce pauvre brave homme quiavait entrepris la défense de quelques villages Moïs,
effroyablement opprimés par les administrateurs. Son
compte fut bientôt réglé. Le voyant sans appui, sans
patronage d'aucune sorte, on lui tendit les simples
pièges où se prennent infailliblement les généreux. On
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ124
l'amena cemme par la main à des violences taxées de
rébellion et voilà vingt ans qu'il agonise dans un bagne,
si toutefois il vit encore. Je parlerai un jour avec plus
de force et de précision de ce naïf qui croyait aux lois.
C'est un article de foi que Jésus, après son dernier
soupir, est descendu aux enfers pour en ramener les
âmes douloureuses qui ne pouvaient être délivrées que
par lui. Toute chose divine étant perpétuelle, c'est donc
toujours la même espérance unique pour la même dé-
solation infinie. Mais elle est vraiment unique et c'est
là, surtout, je veux dire aux colonies, qu'il n'y a rien
à espérer des hommes.
Les rapports officiels ou les discours de banquets sont
des masques sur des mufles d'épouvante et on peut
dire avec certitude et sans documents que la condition
des autochtones incivilisés dans tous les pays conquis
est le dernier degré de la misère humaine pouvant être
vue sur terre. C'est l'image stricte de l'Enfer, autant
qu'il est possible d'imaginer cet Empire du Désespoir.
Tout chrétien partant pour les colonies emporte né-
cessairement avec lui l'empreinte chrétienne. Qu'il
le veuille ou non, qu'il le sache ou qu'il l'ignore, il a
sur lui le Christ Rédempteur, le Christ qui saigne
pour les misérables, le Christ Jésus qui meurt, qui des-
cend aux enfers, qui ressuscite et qui juge-vivants et
morts. Il est, ce chrétien, lui aussi, et quoi qu'il fasse,
un Christophore, comme Colomb, mais un Christo-
phore à tête de Méduse, un Christophore d'horreur, de
hurlements, de bras tordus, et son Christ a été, à moi-
tié chemin, annexé par les démons.
Le bon jeune homme élevé par les bons Pères, et
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A COCHONS-SUR-MARNE 125
rempli de saintes intentions, embrasse pieusement sa
mère et ses jeunes sœurs, avant d'aller aux contrées
lointaines, où il lui sera permis de souiller et de tortu-
rer les plus pauvres images de Dieu.
C'est ainsi que se continue l'œuvre de la douce
Colombe du xve siècle et c'est comme cela que le Sau-veur du monde est porté aux colonies.
Mai
8. Jeanne revient, exaspérée, du mois de
Marie, ayant été condamnée à entendre la lecture
d'une méditation intolérable. On dirait que les
curés s'ingénient à chasser de l'église leurs parois-
siens. Sur cette impression, elle écrit au Doyen
Ayant été empêchée d'aller au mois de Marie jusqu'ici,
je viens d'y assister ce soir. J e vous soumets très-hum-
blement mes réflexions, sûre que vous n'y serez pas in-différent. Pourquoi ne pas choisir une lecture vivante,
vibrante, à la place de ces terribles méditations dont
l'ennui épouvantable chasse je le sais -lesgens de
bonne volonté de .votre ég)ise?Vous nous avez habi-
tués, monsieur le Doyen, à des discours si chaleureux.
J e vous en prie, ayez pitié de votre troupeau et déli-
vrez-le de ce quart d'heure dont l'ennui tue les plus
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ126
ferventes résolutions. Je ne puis me résigner à m'em-
bêter jusqu'à ce point. Il est impossible que vous né
sentiez pas le même ennui. Alors, pourquoi l'infligez-vous à vos paroissiens?
12. A un condamné à mort
11 ne sera pas dit que je n'aurai pas eu un mot de
remerciement pour les heures si précieuses que vous
m'avez données hier. Dieu me montre ainsi, de tempsen temps, sa miséricorde, surtout depuis quelques mois
et, de plus en plus, comme si un désert était franchi,
un désert immense qu'il m'aurait fallu traverser lente-
ment avec d'excessives douleurs. Nous devions nous
rencontrer hier,
en vertu d'un décretdivin,
fort anté-
rieur à la création des jours. Car il en est ainsi de
toutes choses, le hasard, dieu des imbéciles, n'existant
pas. Nous devions nous rencontrer hier seulement, pour la première fois. Cela pour des raisons certainement
admirables, en vue d'un accomplissement inconnu,dont l'espérance enivre les Cieux.
Il ne faudra pas moins que l'éternité pour admirer la
beauté absolue, indicible des choses que nous ne fai--
sonspas nous-mêmes,
et vous savezque
nous ne faisons
jamais notre destin. Voilà bien des années que je suis
le spectateur pantelant de ma propre vie, comme jeserais le spectateur d'une tragédie surnaturelle. Étant
aussi lâche que tous mes frères, je me suis plaint de
n'être pas confortablement assis. Je m'en plains encore
et c'est une grande pitié, je le sais, de ne pas mieux
reconnaître le don de Dieu. ~t scires Donum Det/ dit
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Jésus, à la Samaritaine. Ah oui, si on savait, décidé-
ment, qu'il n'y a pas de petites choses et combien tout
ce qui se passe est grand, ce serait à mourir de ravis-
sement.
Songes-tu, pauvre Marchenoir, que lorsque tu pro-
nonces le nom de Jésus, tout fléchit le genou, au ciel,sur la terre et dans les enfers, et que c'est l'Esprit-
Saint qui a dit cela? Lorsque tu accomplis un acte bon
ou mauvais, rappelle-toi qu'il y a des âmes sans nombre,
des âmes de vivants ou des âmes de prétendus morts
qui correspondent mystérieusement à la tienne toute
ta parenté spirituelle qui ne te sera visible que dans la
Lumière âmes d'esclaves ou d'empereurs ayant puanimer des corps, il y a cinq mille ans, ou les animant,
à cette heure, lesquelles ont un besoin infini de toi. Sidonc ton acte est mauvais, cette multitude est refou-
lée si ton acte est bon, tu la r amènes comme par la
main. La catastrophe de la Martinique, par exemple,a pu être déterminée par un refus d'obéissance, ou une
transgression vénielle dont se rendra coupable, dans
un demi-siècle, une misérable créature éternellement
designée pour lancer ainsi l'étincelle au fond de ce
gouffre. Et il se peut tout aussi bien que tel sauvage
de la Tasmasie ou de l'Angola qui s'abstint d'une atro-cité au siècle dernier, ait déterminé la crise heureuse
qui sauvera, je ne sais quand, tel moribond dans un
hôpital de Londres. Lorsque les lieutenants exaspé-
rés, de Grouchy, le pressaient avec fureur d'aller au
secours de Napoléon, je me représente fort bien des
millions de bras invisibles retenant cet imbécile devenu,
un instant, le pivot du monde. Tout cela, c'est ce qu'on
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ128
nomme la Communion des Saints, l'article neuvième
du Symbole, la Solidarité de toutes les créatures, de
tous les mondes et de tous les temps, l'Infini
Donc, il n'est pas possible que nous nous soyonsrencontrés en vain, et cet événement voulu et préparé
depuis toujourspour un certain
point,
adorablement
calculé, du temps et de l'espace, est, sans aucun doute,
important au-delà de ce que nous pourrions imaginer.
De notre conversation très-décousue, ainsi qu'elledevait l'être entre deux pèlerins se rencontrant au fond
d'une caverne dangereuse, j'ai gardé cette impression
que vous êtes de ceux dont les Trois Personnes ont
faim et soif et qu'Elles réclament avec impatience.Alors voyez quelle bénédiction pour moi d'être devenu,
ne fût-ce que pour si peu d'heures, l'ami d'un homme
dont Dieu ne peut plus se passer t.
14. Une personne qui connaît la Mère Mer-
cédès m'apprend que cette religieuse, complète-
ment sécularisée, vit dans un appartement somp-
tueux et sort vêtue avec faste. Je suis informé, en
outre, ce dont j'avais après cela peu de
besoin, qu'elle ne tient jamais ses promesses.
15. Je lis, dans les journaux, que ma vieille
prophétie du chambardement universel de l'Eglise
paraît sur le point de s'accomplir. Déjà, ces jours
derniers, l'église d'Aubervilliers a été profanée en
pleine cérémonie, envahie par des crapules aux
ordres de Charbonnel et de Tailhade. Les assis-
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A COCHONS-SUR-MARNE 129
tants, femmes et enfants, pour la plupart, ont été
roués de coups, et le curé battu lui-même, ayanttenté une protestation, a été puni, presque aussi-
tôt, de la perte de son traitement. On annonce queces scènes vont se produire par toute la France.
On ne se cache plus de vouloir la destruction duchristianisme et, comme les catholiques sont troplâches pour résister, il est probable qu'on réussira.
17. Grand'messe très-solennelle. Suivant un
usage créé, je crois, par notre doyen, un dimanche,
tous les ans, vers cette époque, est donné au Sou-
venir français (sic), forme patoise ou briarde signi-fiant
qu'on priera pour la France toute
seule,à
l'exclusion de la Suisse et de la Belgique, pour les
vivants et les morts français. L'église est remplie
de drapeaux et de fanfares et me voilà très-ëmbêté.
Le curé de Ceux-d'En-Haut, braille un discours
pompier fait de tous les lieux communs patrio-
tiques. L'unique réalité dans tout cela, c'est la
messe à laquelle, j'imagine, personne ne pense.
18. A la Mère Mercédès
Très-révérende Mère, J'apprends que vous avez le
projet de venir à Cochons-sur-Marne et de me voir par cette occasion. Je vous prie de ne donner aucune suite à
la seconde partie de ce projet. Votre vue me serait ex-
trêmement pénible. Est-il nécessaire de vous dire
pourquoi? J i 9
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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ130
Vous m'avez fait beaucoup de mal, infiniment plus,
peut-être, que vous ne pouvez le comprendre ou le
croire, etj'en ai confié le secret Dieu en lui demandant
justice.
Que vous ayez laissé sans réponse ma lettre du
15février, soit.
Le plus grand
écrivain dumonde,s'il est indigent, n'a droit à rien, je le sais, pas même
aux plus rudimentaires égards, et les personnes douées,
comme vous, d'une intelligence exceptionnelle, savent
que je ne suis pas le plus grand écrivain du monde.
Mais décevoir le Pauvre, lui promettre la délivrance
et Me ~)<M la lui donner, l'enivrer de joie pour RIEN,
au risque de le jeter, bientôt après, dans le désespoir,est-il possible d'imaginer un acte plus méchant, une
pluscruelle
injustice ? Se moquer du Pauvre, c'estmarcher sur le Cœur de Notre Seigneur Jésus-Christ,
savez-vous cela ?P
Ah qu'il vous eût été facile de ne rien promettreVous n'aviez qu'à vous dérober, comme tant d'autres.
Mais promettre et promettre jusque là, et tellement en
vain, à un tel malheureux et en de telles circonstances 1
C'est épouvantableJe vous prie donc de ne pas chercher à me voir, à
moinsque
ce ne soit pour
vous humilier. Il serait au-
dessus de mes forces de rester calme. D'ailleurs, nous
allons mourir, l'un et l'autre, demain ou après-demain,et c'est le Père des Pauvres qui nous jugera.
Agréez, très-Révérende Mère, l'assurance de ma
compassion respectueuse.
19. II y a ici quelqu'un pour qui la Mère
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A COCHONS-SUR-MARNE 131
Mercédès est une sainte quand même. Vive Cam-
bronne
20. A mon grand étonnement quelques ca-
tholiques ont l'air de se réveiller. On me. dit que
plusieurs voyous de Charbonnel ont été assommés.
21. Pas de réponse de la sainte Mère Mer-
cédès. Quelqu'un me disait « Si je recevais une
telle lettre, à l'instant même je quitterais tout et
me précipiterais vers celui que j'aurais offensé
pour lui demander pardon. » Eh bien, ce n'est
pas ça du tout. C'est, au contraire, cette admirable
religieuse en corset de satin qui est offensée et
tout le monde catholique, tout le Bazar de Charité,
en sa personne.
23. Le temps est devenu très-chaud et ma
tristesse est grande à voir nos pauvres enfants
souffrir dans cet appartement misérable au lieu de
courir sous les arbres et parmi les fleurs. Pour
quoi n'obtenons-nous pas notre grâce? Pourquoi
de si humbles vœux ne se réalisent-ils pas?
24. Il avait été parlé d'un projet d'invasion
de notre église par les crapules de Charbonnel et
du cyclope des urinoirs. Mais les misérables déjàrossés à Paris et autres lieux se découragent.
De René Martineau
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ132
Voici une anecdote que vous ne manquerez pas d'ap-
précier et d'utiliser à l'occasion.
M~' Renou, archevêque de Tours, en tournée de
confirmation dans les environs, fut invité à dîner
dans un châteaudes bords du Cher, il y a une huitaine
de jours. 11 était reçu par un très-jeune ménage.S'adressant à la maîtresse du logis, il lui dit en
substance
Maintenant, Madame, que vous voilà châtelaine,
je vais vous indiquer vos devoirs de chrétienne. Il
faut d'abord visiter tous les pauvres et tous les
malades.
La dame l'interrompant aussitôt
Monseigneur, dit-elle, j'ai peur des microbes 1
L'évêque se contenta de pâlir et de hausser lesépaules. Quant aux autres témoins, ils trouvèrent
cela très-drôle.
25. Travaillé passionnément à un article sur
Jehan Rictus, Le dernier Poète catholique. Article
qui pourrait être un acte de charité en même temps
que de justice. Notre Seigneur sait bien que j'aisurtout en vue l'âme de ce pauvre poète.
Folie furieuse de l'automobilisme. On avait
organisé une course de Paris à Madrid et c'était
un délire depuis plusieurs jours. De Paris donc à
l'extrémité du territoire français, la route de l'Es-
pagne était gardée par des régiments. La vie
nationale était interrompue pour l'amusement des
millionnaires. On leur avait fabriqué des machines
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A COCHONS-SUR-MARNE 133
allant à des vitesses inouïes, très-supérieures à
celles des trains les plus rapides. Le résultat facile
à prévoir a été l'écrasement, l'assassinat pur et
simple d'une dizaine de personnes. Quelques-unsdes malfaiteurs eux-mêmes ont été blessés, en trop
petit nombre, hélas!
Cette chose moderne paraît démoniaque, de
plus en plus. Se représente-t-on l'horreur de ces
deux ou trois cents voitures hideuses lancées
comme des boulets et triturant, chacune à son
tour, d'un bout de l'horizon à l'autre, les mêmes
lambeaux sanglants! Il y a des consolations. Une
de ces voitures a pris feu et le chauffeur a été heu-
reusement carbonisé.
29. Achevé l'article sur Rictus. Je ne pense
pas qu'aucun travail de ce genre m'ait plus coûté
et je ne crois pas non plus avoir jamais rien écrit
avec un plus grand élan de cœur.
8 h. 40 du matin, train des employés. Ces gens quise connaissent tous, arrivent, invariablement, un
petit sac ou un petit panier de provisions à lamain pour leur déjeuner au bureau. Ils se serrent
la main et, du commencement de l'année à la titi,
échangent les mêmes plaisanteries de saison, les
mêmes calembours, les mêmes lieux communs
dans lesquels on les ensevelira, après qu'ils auront
fait semblant de mourir.
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ134
31. Une personne que j'ai fameusement
envie de gifler me parle des œuvres de bienfai-
sance pratiquées par les chrétiens riches. J'en
arrive à ne plus pouvoir penser à ces maudits
sans être bouleversé.
Juin
2. Article inédit
La Revanche de l'Infâme
/tr<MCM ~'7n/'dtM.
VûLTAïM.
Il fallait une époque où personne n'a plus rien à
faire et ne sait absolument plus où aller, pour que se
déchaînât la folie furieuse de la vitesse. Expliquera
qui pourracette anomalie.
Mais voici un homme, dix mille hommes riches
n'ayant aucun besoin de gagner leur vie, ni surtout
aucun désir d'accomplir quelque chose de propre,vulnérables seulement à l'aiguillon de l'imbécile vanité
des sports et qui risquent passionnément leurs car-
casses pour arriver n'importe où, deux heures plust6t que le rapide. A supposer quel'un d'eux eût un !?<
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A COCHONS-SUR-MARNE 135
ret quelconque, un intérêt véritable à se trouver le
plus promptement possible, en un lieu déterminé,
assurément celui-là quitterait sur-le-champ son auto-
mobile, pour sauter dans le premier train. Et ce
serait, au cours de sa vie, un trait de lumière bien,
inutile.Ab les cochons les cochons 1 les cochons Crevez-
vous les uns les autres, dit l'évangile du vingtièmesiècle. Enfin plusieurs y ont laissé leurs peaux, ce qui
est peu intéressant, mais tous ensemble ont écrasé
six ou huit personnes. Assassinats collectifs, pour
lesquels nul de ces riches ne sera poursuivi. En un
pays de progrès industriel et soi-disant scientifiqueoù il est entendu que chacun doit se résigner patrio-
tiquement à être émietté sous le sabot des bisonsmigrateurs, il serait grotesque de vouloir que n'im-
porte qui fût responsable de n'importe quoi.« La v érité est en marche o, disait le Crétin des
Pyrénées. C'est le même truc. Un enfant qui se tord
dans l'agonie ou qui n'a même pas le temps de se
tordre, des parents au désespoir, des familles en
deuil, des orphelins, des veuves hurlant de douleur et
les bras au ciel, qu'est-ce que cela, quand il s'agit de
faire triompher le « pneu continental a ou la « voitureMercedes )) ? (L'écrasante voiture Mercédès!) Car nous
sommes dans le commerce et les affaires sont les
affaires.
Et puis, n'est-ce pas ? du moment que M*°* du Gast
n'y a été d 'aucun morceau de sa viande à peinture, de
cette carne si chère au prince de Sagan et que notre
ami Rodolphe Darzens n'a pas écopé, il est bien sûi
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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ136
qu'on peut s'en battre la paupière. Le pilon est fait
pour les pauvres, chacun sait ça.
J'ose dire même qu'il y a une évidente fermetc
d'âme, un indiscutable estomac à rouler sur des tripes
humaines, en traversant comme l'éclair les bois et
leschamps qui n'obtiennentjamais
unregard. Songez
qu'une petite canaille de rien du tout, un filsde paysan,un saute-ruisseau de rural notaire, tamponné pour la
vie, aux environs de Versailles ou de Châteaudun,
par la première voiture, a pu être trituré, malaxé
successivement parles 254 autres voitures quifaisaientdu cent ou du centcinquanteà l'heure, dans la direction
de Madrid. Les fleurs de la belle propriétaire mangeusede pauvres ont dû contracter un certain fumet qui n'a
pas été,sans
doute, pour très-peudans les dilata-
tions voluptueuses de sa personne. Car le riche ne
s'amuse, ne jouit vraiment que lorsqu'il écrase. Cela,
c'est d'expérience humaine et soixante fois séculaire.
Il faut être bête comme un cycliste ou un automobi-
liste pour en douter.
L'avenir est, d'ailleurs, celui-ci Tout individu prisen flagrant délit de lecture, de compréhension, d'ima-
gination ou de pensée sera jugé dangereux et proba- blement
grillagécomme un animal féroce.
Quandle
o'étinisme arrive à ce point de parler, comme on fait
au Journal, des « hardis pilotes qui ont consacré leur
vie au triomphe de la locomotion mécanique a et « dont
l'automobile est la vie », comment l'anthropophagie la
plus déchaînée ne deviendrait-elle pas une loi?
« Oh si tu avais vu le pauvre Marcel inanimé sur
le bord de la route 1 » Combien en avait-il assassiné
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A COCHONS-SUR-MARNE 137
déjà le pauvre Marcel ? « L'épreuve à laquelle j'ai pris
part a été une bataille où il y a des blessés et des
morts », nous dit le même Rodolphe. Si on était plus
jeune, ce léger fusain d'un Wagram d'idiots ou de
meurtriers déments serait à bondir en gueulant jus-
qu'au fond du ciel. Au temps où le christianisme n'était pas défunt et où il y avait encore en France un quel-
conque sentiment d'honneur, les guerriers de cette
sorte eussent été branchés avec promptitude et leurs
entrailles jetées aux chiens. L'un de ces goitreux mal-
faisants a été carbonisé. C'est toujours ça. « On admi-
rait les Afo~ », dit encore Darzens foudroyé par une attaque d'inconscience. Les voitures dites « de
course », hideuses dès leur création, ne sont-elles pas
devenues funèbres et, si j'ose dire, de pompes funèbres,ayant pris, décidément, la forme des bières et d es cor-
billards ?
Il est évident que tout automobiliste ambitieux est
un assassin avec préméditation, puisque un tel sport
implique, à son escient et à peu près nécessairement,
le massacre de toute créature animée qui pourra se
rencontrer sur son chemin. Cela est formel, absolu,
indiscutable et l'avachissement inouï des contemporains
est seul capable d'expliquer l'ignoble patience quiencourage ce meurtrier.
11 y a deux ans, me trouvant dans un pays mortel-
lement affligé d'automobilisme, je conseillai aux cul-
tivateurs exaspérés de saluer aupassage les automobiles
avec des pompes à merde. J'allai même jusqu'à préco-
niser l'obstacle devant et l'obstacle derrière, dans les
bouts de route isolés, puis la destruction des machines
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ138
a coup de merlin, sans préjudice d'une capilotade cons-
ciencieuse pourlestouristes exaltés, mâles ou femelles.
Mais tout le monde gueule et personne ne marche.
C'est la couardise, la pusillanimité universelles.
Jamais on ne s'est tant fichu des pauvres, c'est sûr,
mais jamais
les
pauvres
ne l'ont tant
permis.
Cela les
flatte, semble-t-il, d'être écrasés par des machines qui
ont coûté jusqu'à cent mille francs. Il se dit et il s'im-
prime que l'industrie des automobiles occupe un
nombre incalculable d'ouvriers, qu'elle en occupera
demain le double ou le triple, ce qui donne lieu d'espé-
rer qu'à la fin elle occupera tous les ouvriers sans
exception. Les deux tiers de la population de la France
et des colonies fabriqueront exclusivement des auto-
mobiles innombrables au
moyen desquelles
ils seront
écrasés quotidiennement et studieusementparle dernier
tiers. Il est possible que tel soit le joli destin. Ce serait
la levée en masse pour la bonne guerre du parfait
abrutissement français. Il y a dix ans à peine, la bicy-
clette semblait avoir atteint d'un bond ce résultat. Per-
sonne déjà, ne lisait plus rien. Mais l'automobile est
un instrument de progrès à tout casser, à tout enfon-
cer, à tout écraser.
Sans doute la culture des
champs
est abandonnée
et il se pourrait assurément qu'on crevât de faim en
allant plus vite. J'ignore s'il y a là une difficulté inex-
tricable et ce n'est pas à moi qu'il appartient de la
débrouiller. Toutefois cette circonstance ne change
-ien au fait indéniable de l'idiotification d'un peuple qui
~t le premier de la terre. Ceci est autrement grave que
Lécrasement éventuel des individus ou des multitudes.
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A COCHONS-SUR-MARNE 139
Qu'un milliardaire infect enrichi par les plus crimi-
nelles spéculations et gavé de la substance des
misérables, vienne à s'aplatir bêtement et ignoblementcontre un arbre ou contre un mur, désormais impuri-
fiable, en accomplissant, au mépris de la vie des autres,
un balourd exploit de vitesse, deux cent journaux, lelendemain, lui décerneront le martyre et glorifieronten cette charogne une victime du devoir et de la
PENSÉE Ne dirait-on pas un faire part du décès de la
Raison humaine.
Il y eut, autrefois, la sélection merveilleuse du Sanget de l'Ame qui s'est nommée l'aristocratie des vertus.
Il y a, aujourd'hui, la sélection de l'argent qui.produitnaturellement l'aristocratie des imbéciles et des assas-
sins, représentée par les 285 automobiles de Paris-Madrid.
3. Tristesse énorme. Par la permission de
Dieu, je souffre, pour la millième fois, cette peine
de croire que je suis perdu.
Lu ~o~5 d'Henry Houssaye qui ne me console
guère. Rien n'est plus triste que cette fin des ma-
gnificences. Napoléon et la France m'ont semblé
moins déchus dans Thiers que dans Houssaye.
Cela tient sans doute à la supériorité de documen-
tation de ce dernier.
Fatigué de cette lecture, je retombe aux mains
de l'ennemi.
4. Lu dans diverses feuilles:
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ140
Les Phonogrammes de S. S. le Pape Léon XIII.
S. S. le Pape Léon XIII a daigné choisir les Phono-
graphes X. afin que sa parole soit gravée à jamais pour le bonheur des ndèles. Le Souverain Pontife a prononcédans deux Phonographes la prière de l'Ave Maria etla
.B~c<t'OH solennelle donnée, le 3 mars, à Rome, àl'occasion de son Jubilé. Les deux phonogrammes de
S. S. sont en vente. l'Ave Maria, 10 francs, la B~-
diction, 12 francs. Voir nos catalogues.
6. Bon voilà que je rêve du doyen, main-
tenant. Dans mon sommeil, j'ai vu ce pasteur, ce
curé aux œuvres sans nombre. Le pauvre homme
venait de fonder l'œuvre des « Voisines » Evidem-
ment, c'est stupide, mais, dans le mirage du rêve,
c'était si plausible et c'était un tel diamant de
ridicule!
Lu ~~5. Appris ceci dont Thiers, je crois, ne
dit rien. Napoléon, au retour de l'île d'Elbe, aurait
pu déchaîner les passions de 93, assoupies seule-
ment, et devenir ainsi un roi jacobin très-redou-
table.
7. Renouvellement solennel de la premièrecommunion de Véronique. Elle a remis sa robe
blanche de l'année dernière et je m'attendris à
l'église, la voyant de loin et lui trouvant une granderessemblance avec ma mère. Je savais que cette
ressemblance existait, mais je ne J'ai sentie qu'au
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A COCHONS-SUR-MARNE 141
jourd'hui. Où est-elle, en ce moment, ma dou-
loureuse mère et quel secours peut-elle donner à
son pauvre vieil enfant ?
L'Occident, revue d'art, parle de l'Oblat. Huys-mans est dit l' « unique écrivain religieux )).
Comme c'est aujourd'hui, la Trinité, troisièmemesse avec troisième discours du doyen, ne cessant
de parler de leurs parents à des enfants dont quel-
ques-uns, probablement, n'ont ni père ni mère.
Je renonce aux vêpres où il doit y avoir un
quatrième discours du doyen. Jeanne revient
épouvantée. Cet âne furieux a vociféré trois quarts
d'heure, se déchaînant de plus en plus, jusqu'àdevenir une sorte
d'énergumène,mettant au défi
ses auditeurs, leur jetant presque le gant et triom-
phant de leur silence, enfin se déclarant déterminé
à parler jusqu'à extinction de voix. Ce sermon quia étonné le canton, s'explique charitablement par
l'hypothèse d'un excellent et préalable déjeûner.Le doyen est gras et il porte bien la viande.
8. Lettres de direction du Révérend Père
Judas (Didon). Vanité de gymnaste et sentimen-
talité confinant à la luxure.
9. Au directeur d'une revue que j'imagine
prospère [et qui a cessé, depuis plusieurs mois,
d'exister]
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ142
Je ne sais vos sentiments à mon égard. Consen-
tiriez-vous à publier une étude critique de moi sur
Husymans? Ce travail pouvant avoir douze cents lignes,est poussé très-à fond, véhément peut-être, quelque-
fois, mais sans violence injurieuse. J'ai voulu protester,au nom du catholicisme absolu et intégral, contre tous
les genres de bondieuseries, contempteur au même
degré du sucre de pomme de la rue Saint-Sulpice et
du sucre de betterave hollandaise de J.-K. Huysmans.
12. PRIÈRE D'INSÉRER
Lettres de J . Barbey d'Aurevilly à Léon Bloy, avec
un portrait et une lettre autographe de J . Barbey
d'Aurevilly.Société du Mercure de France.
On sait que Léon Bloy a été, plus de vingt ans, le
familier de Barbey d'Aurevilly.Ces Lettres de Barbey d'Aurevilly à Léon Bloy
offrent, par conséquent, le double intérêt qui s'attache
à l'auteur des Diaboliques et à l'auteur compliqué du
Désespéré, du Mendiant ingrat, et de l'Exégèse des
Lieux Communs.
Ces lettres vont de 1872 à 1878. Quelques-unes,
extrêmement curieuses, se rapportent aux débuts lit-
téraires de Léon Bloy qui déplore que les héritiers de
son vieil ami, en lui permettant de publier cette collec-
tion, lui aient interdit tout commentaire et toute pré-face. Ses souvenirs et documents d'histoire littéraire
iront donc plus âprement à un autre livre pour
lequel il n'aura besoin d'aucune autorisation, et où
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A COCHONS-SUR-MARNE 143~
Barbey d'Aurevilly sera raconté par le seul écrivain en-
core vivant qui l'ait bien connu.
Les Lettres de Barbey d'Aurevilly à Léon Bloy sont
précédées d'un très-beau portrait du grand écrivain
sur son lit de mort.
17. Article sur le célèbre tableau de Félix
Jenewein, La Matinée du Vendredi Saint dont j'ai
reçu de Moravie une belle lithographie en couleurs.
[Article publié par le ~MercM~'e de France, 1" sep-tembre 1903. Félix Jenewein vient de mourir
subitement, le 5 janvier dernier, foudroyé par la
joie d'être élu à l'Académie des Arts de Vienne
Janvier 1905.J J
La Matinée du Vendredi-Saint
Dopoledne Velkého Pàtku Jest odsouzen, bude
ukrizovan.
~.M~e meridiem ~f:as VI in Parasceve Damnatus
est, crMC!e<Mr.Telle est l'inscription ou plutôt la subscription de
cette œuvre qui a fortement agité des âmes. Ce n'est
pas une chose d'hier. C'est un tableau qui fut assez
remarqué, en 1895, à l'exposition de Vienne, pour queson auteur devînt aussitôt célèbre dans son pays
tchèque lequel s'honore, d'ailleurs, de l'avoir laissé
crever de faim très-longtemps, par respect pour l'Évan-
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ144
gile qui me veut pas que les prophètes soient honorés
dans leur patrie.Peut-on dire, cependant, qu'il ait été prophète,
celui-là? Suffit-il d'avoir l'âme ouverte à tous les
soudes comme la caverne, redoutablement habitée,
d'un mont dangereux? En ce cas, c'est bien d'un pro-
phète qu'il s'agit ici. <<Il est condamné, il sera cru-
cifié. a Félix Jenewein a entendu cette rumeur énorme
dont fut secouée la terre, comme si un Titan, l'ayantsaisie à deux mains, eût entrepris avec rage de l'arra-
cher de ses gonds, et il a voulu la faire entendre aux
autres pour qu'ils en tremblassent à leur tour. Car les
peintres ont le pouvoir de faire entendre par les yeux.Les Prophètes sont des gens qui se souviennent de
l'avenir. Placés juste au centre, l'avenir est devant
eux et derrière eux, à leur droite et à leur gauche. Le
temps n'existant pas en soi, non plus que l'espace, tout
ce qui appartient au sensible est identique dans
l'Absolu.
II faut lire le témoignage de la non pareille Anne-
Catherine Emmerich qui eut, au commencement du
siècle dernier, le privilège d'être témoin oculaire et auri-
culaire de la Douloureuse Passion.
Un peu après le récit de la condamnation de Jésus.
rappelant la plus terrible parole que les hommes aient
proférée< Toutes les fois, raconte cette prophétesse du passé,
qu'en méditant sur la douloureuse Passion de Notre
Seigneur, j'entends cet effroyable cri des Juifs « Queson sang retombe sur nous et sur nos enfants! M l'effet
de cette malédiction solennelle m'est montré et rendu
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sensible par de merveilleuses et terribles images. Il me
semble voir au-dessus du peuple qui crie, un ciel
sombre, couvert de nuages sanglants, d'où partentcomme des verges. et des glaives de feu. C'est comme
si cette malédiction pénétrait jusqu'à la moelle de leurs
os et atteignait jusqu'aux enfants dans le sein de leurs
mères. Tout le peuple me paraît enveloppé de ténèbres
leur cri sort de leur bouche comme un trait de feu
sombre qui revient sur eux. »
Je ne sais si Félix Jenowein a lu la visionnaire de
Dulmen qui est, sans contredit, ce qu'on peut lire de
plus grand, mais il est sûr que, de manière ou d'autre,
quelque chose est entré en lui de l'Épouvante divine
du Vendredi Saint.
Son tableau n'est pas compliqué. Marie est debout,
au centre, sur le premier plan. Elle a reçu le coup sans
tomber, quoi qu'en dise la sainte, parce qu'elle ne peut
pas tomber, parce que la Mère des vivants ne peut pastomber. Qui soutiendrait le ciel bleu ou le ciel sombre
si celle-là tombait? Cette guerrière soutient le ciel sur
la pointe de la lance qui a percé le flanc de Jésus,
comme les Gaulois prétendaient faireavec leurs piquets.Mais surtout elle est, en vérité, la Mère des vivants et
c'est pour cela que l'Évangile la montre debout au pied
de la Croix, regardant un spectacle à tuer des lions.
Elle est donc debout, les mains jointes sur ce Ventre
fameux que les chrétiens nomment chaque jour, et quia porté le Salut du monde. La tète est renversée dou-
cement, mais les yeux à moitié clos ne quittent pascette terre où le Fils de l'Homme va mourir.
L'épouvantable peine assiège comme une multitude
11 10
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ146
armée cette Tour de David, cette Tour d'ivoire qu'on
ne peut pas prendre et qui souffre. Il faudra qu'il n'y
ait plus d'hommes pour qu'on voie la fin d'une telle
agonie. Elle a beau avoir triomphé; Elle a beau être
morte, un certain jour, ou seulement s'être endormie,
car on ne sait pas;
Elle a beau avoir été enlevée au
ciel d'où elle règne sans partage, un peu au-dessous
de Dieu; Elle a beau être honorée et presque adorée,
depuis bientôt deux mille ans, sur des autels d'or, dans
des cathédrales de diamant que les anges mêmes, inha-
biles à la souffrance, n'auraient pu bâtir tant qu'il yaura un pauvre, l'immaculée se tiendra debout, la poi-trine pleine de poignards.
Cela sous l'auréole, dans la dérision sublime du
manteau d'azur que l'iconographie
chrétienne a tou-
jours prêté à Marie, oubliant qu'elle est surtout la Fon-
taine douloureuse ou prennent leur source tous les
fleuves du Désir inexaucé, de l'Amour éperdu, des
Larmes de sang, de la Pitié qui donne la mort, de
l'Expiation qu'on ne peut pas fuir, de l'Horreur et de
la Terreur qui coulent à travers le genre humain comme
des Danubes.
La sentimentalité veut à toute force que la ViergeMère soit une idole de miel dans
l'azur,au milieu des
fleurs. Us sont trois ou quatre cent mille démons pour cacher les créneaux et les m eurtrières de cette Cita-
delle de la Compassion. On veut ignorer qu'Elle est,
avant tout et après tout, la résidente, la stagiaire in-
déracinable du Golgotha qu'elle a les pieds dans le
Sang de son Fils, que ses yeux et son visage sont en
sang et que son manteau, eut-il été d'un bleu translu-
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cide avant les tourments, est éclaboussé du sang de la
Flagellation, du sang de la Couronne d'Épines, du
sang des Clous, du sang de la Lance, de tout le jaillis-sement écarlate qu'Elle recevait en plein quand fut cé-
lébrée la grand'messe de la Rédemption.Onrefuse absolument de
comprendre qu'ilest
impos-sible à une telle Mère de ne pas avoir toujours à l'es-
prit les gestes atroces des bourreaux d'un tel Enfant,leurs physionomies de possédés, leurs irrémissibles
injures.Allez dire à ce troupeau de renégats qu'on nomme
les catholiques modernes que toutes les fois que la
douceur nous est procurée d'une catastrophe incen-
die d'un bazar achalandé par des martyres en robes de
gala,dont
les mendiantsn'ont
aucune idée et que ne paierait pas le Suaire de Notre Seigneur Jésus-Christ;
éruption inespérée d'un bon vieux volcan que Sodome
et Gomorrhe croyaient endormi et qui éteint d'un
souffle trente mille vies; collisions de trains ou de
navires, cyclones ou tremblements de terre, sans pré-
judice des massacres gracieux qui ont été, jusqu'ici,la résultante historique et inéluctable de toute exacer-
bation sentimentale; essayez donc de leur faire
entendre, à ces contempteurs de la Justice, que c'estla « Vierge clémente qui se promène ainsi dans son
royaume, en attendant l'effrayant Jour de sa plénièremanifestation. 31aledictio Matris eradicat fundamenta.
Pourquoi voudrait-on qu'elle épargnât quelqu'un,
Celle qui a immolé son propre Enfant? Car les consen-
tements de Marie sont les instruments de la Passion
de Jésus-Christ, non pas d'une manière symbolique ou
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ148
métaphorique, mais en une façon substantielle et ce
n'est pas autrement que les plus saints docteurs l'ont
entendu. « Marie monte au Calvaire avec calme, a dit
le P. Faber, pour aider à égorger son cher fils de
Béthléem. »
Saint Jeanqui l'accompagne
est tombé àgenouxderrière elle, les mains crispées au-dessus du cœur. Et
il reste là figé, sans force ni lumière. Ephèse est loin,
Pathmos est plus loin et le « Fils du Tonnerre » est
actuellement un foudroyé. Plus tard, quand le « Miroir
de justice » des Litanies lui aura brûlé les yeux et
après qu'il aura passé par l'huile bouillante de Domitien,
il aura quelque chose à écrire pour que le monde claquedes dents jusqu'à la' consommation des siècles. Mais
aujourd'hui,Vendredi
Saint,il a l'air tout à fait anéanti.
Et le tableau entier est autour de ces deux ~tres
comme un ouragan. Il y a une demi-douzaine de per-
sonnages et on a la sensation d'une multitude. La
puissance du peintre fait ce mirage. C'est la multitude
enragée et si terriblement prophétique sur elle-même,
racontée par Anne-Catherine, dix-neuf siècles après
l'Évangile. Les Hébreux, sauvés autrefois de la Mer
Rouge et impatients dy rentrer, vocifèrent pour qu'onouvre les écluses du
Sangadorable.
A gauche, un soldat parabolique, anachronique, syn-
thétique, indéfinissable, une sorted'aventurier du car-
nage tenant à la fois du prétorien, du cataphractaire et
du brigand calabrais, assis sur une borne verte de peur
etles jambes goujatement campées l'une sur l'autre, ri-
cane en regardant la Rose mystique décolorée, l'Étoile
dm matin dans sa pâleur.
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A COCHONS-SUR-MARNE 149
A quelque distance, un prêtre gras, suggère on ne
sait quelle diabolique méchanceté à un youtre squalidevenu dePolognepourassisterau Crucifiement. A droite
une saturnale de l'an mil ou de l'an quarante un.
homme nu, horriblement coiffé d'une espèce de casquede
coléoptèremonstrueux
garnid'antennes
quile fait
ressembler à un démon et porté sur les bras de deux
autres chenapans masqués, élève au-dessus de ta
foule, comme un labarum, une dérision de crucifix,torchon sale roulé, ficelé et suspendu à une traverse
en haut d'un manche à balai, figuram crMez/MCt in
baculo quo ~err~Mr, m'écrit un explicateur masca-
rade sacrilège qui réjouit infiniment la populace.Cet admirable tableau que son auteur ne croit pas
allégoriqueest extrêmement
étrange. J'yai trouvé
par exemple, ceci qui n'est rencontrable, je crois, nulle part.Les canailles, ivres d'allégresse et riant, comme oa
dit, ? se' tenir les côtes, ont le geste uniforme de se
croiser les mains sur le dos, paumes en l'air, figurantainsi des captifs enchaînés invisiblement. Qui potest
capere, capiat.
19. Loué un nouveau gîte. Nos fillettes au-
ront enfin des arbres et un jardin.Petite discussion théologique avec un prêtre au
sujet de la Grâce sanctifiante et de la non-vatcur
absolue, selon lui, des bonnes œuvres accomplies
hors de l'état de grâce. Mon contradicteur est un
théologien rigoureux, un prêtre du règne de Jésus.
Je suis du règne du Saint-Esprit. Je plaide philo-
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ150
sophiquement pour la pérennité de l'acte humain
et théologiquement pour le droit de grâce du
Législateur. On ne s'entend pas et je cède volon-
tiers, n'étant pas, d'ailleurs, outillé pour la con-
troverse.
21. Parole remarquable de la mère Marie,
l'ancienne jolie femme: « Monsieur Bloy, un homme
si modeste » Je ne savais pas avoir mérité cette
louange. Personne, jusqu'à ce jour, ne s'en était
avisé. Aurais-je donc, à mon insu, mis le feu à ce
grenier ?
22. Oh! le
prêtre,
l'affreux prêtre qui ne
donne rien à personne et qui, ayant hérité d'une
fortune pour l'appliquer à de bonnes œuvres, l'em-
ploie uniquement à des trafics usuraires et vit en
paix dans le mépris épouvanté d'un diocèse J'ima-
gine, cependant, que la plupart de ses confrères
doivent l'envier en secret.
Revu notre nouvelle demeure. Assurément nous
pourrons y être heureux, si Dieu nous donne le
nécessaire. Mais quel nettoyage ne faudra-t-il pas?La saleté de la maison dépasse toute rhétoriqueet l'occupante actuelle, une veuve à faire reculer
les saints autels, est un prodige de crotte et de
vermine.
24. Nativité de saint Jean-Raptiste. Il m'est
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A COCHONS-SUR-MARNE 151
montré ceci Toutes les fois qu'on dit le Magnificat,saint Jean « exulte )' au sein de sa mère.
On m'assure que je scandalise Cochons-sur-
Marne. Plusieurs épouses de Jésus ont horreur
d'un monsieur connu pour n'écrire que des sale-
tés et qui communie tous les jours.
25. 1815. Waterloo. Même impression pénible.
Toujours les combinaisons du Dieu de la guerre,avortant par l'infirmité ou la perfidie de ses lieu-
tenants. Ayant à écrire sur Napoléon, je voudrais
pouvoir montrer parfaitement cette misère des
contemporains du plus grand des hommes, quieussent dû, à défaut de compréhension supérieure,être des héros de dévouement et d'obéissance, des
héros d'admiration, ce qu'étaient les pauvressoldats et ce que ne furent pas les chefs. Il me
semble qu'il y aurait là des choses à écrire, d'une
beauté à percer le cœur de Dieu, comme la lance.
26. Carte d'Henry Houssaye « Tous mes
remerciements. Ces Lettres valaient bien qu'on
les publiât. J'ai été heureux d'y voir revivre leterrible et doux Barbey d'Aurevilly. »
27. U faut tout quitter, il faut quitter le
lendemain. JEANNE.
Je voudrais en finir, c'est trop doulou-
reux. Quelle incertitude bizarre au cœur del'homme,
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QUATRE ANS DE CAPTIVEE i~152
quel besoin plus étrange encore d'incertitude ou
plutôt quel pressentiment admirable que rien n'est
définitif en ce monde! J'ai beau savoir cette cruelle
série de désastres, il m'est impossible de ne pas
espérer, à chaque instant, qu'ils M'<M'~ero~ pas.
Je veux me persuader qu'à Ligny, d'Erlon obéiraà son empereur, que Ney lui obéira aux Quatre-
Bras, retrouvant sa résolution d'autrefois, que
Grouchy enfin daignera écouter, à Wavre, ses
officiers et ses soldats. Quoi que je fasse, les
malheurs affreux et si injustes, en apparence, de
cette guerre, me surprennent toujours. Si tout
le monde s'était trompé, cependant! Si la bataille
de Waterloo durait encore!
28. A Jehan Rictus
Mon article sur vous ne sera jamais modiHé ni atté-
nué. Je l'ai écrit en conscience et je n'y veux rien chan-
ger. Seulement, quand je le publierai envolume, je serai
forcé de faire -en note de bas de pages une réserve
d'ailleurs très-fraternelle et très-douce. Quelque large
que je puisse être et quelle que soit ma volonté d'entrer
dans l'esprit de votre vagabond merveilleux, je ne dois
;)as épouser ni paraître approuver la manière
effroyable pour moi dont vous parlez de l'Amour de
Madeleine, page 115; amour de Montmartre ou de
Montparnasse très-différent de la dilection infiniment
pure et surnaturelle de l'Évangile. li y a des choses aux-
quelles on ne doit pas toucher.
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A COCHONS-SUR-MARNE 153
29. A un artiste qui me fait l'honneur de me
préférer à tous ses contemporains
Je suis heureux que les Lettres de Barbey d'Aure-
villy vous aient intéressé. il ne m'a pas été permis de
faire une préface ni des commentaires et j'en suis na-
vré.
Ce qui me ravit, c'est votre appétit pour le Salut par
les Jui fs qui est incontestablement le meilleur de mes
livres et celui dont personne, jamais, ne me parle. Je
vous confie, comme à un très-vieux et très-sûr ami,
cette peine qui est, au fond de ma vie, tout à fait au
fond de ma vie, une grande amertume.
Vous m'aviez écrit, en septembre 1900, une lettre quin'avait déplu. Oh combien! J'ai horreur des prophètes
ou des visionnaires quine changent pas les eaux en sanget qui ne ressuscitent pas les morts. Mais vous aimez
le Salut par les Jui fs, vous accomplissez cet acte de
justice de recueillir dans la poussière et les ténèbres,
le pauvre livre méprisé. Alors vous êtes vraiment mon.
frère et vraiment l'ami de Dieu. « Celui qui aime la
grandeur et qui aime l'abandonné, quand il passera à
côté de l'abandonné, reconnaîtra la grandeur, si la
grandeur est là. » Cette parole magnifique est d'Ernest
Hello qui fut un abandonné.
Il n'y a pour moi qu'une manière de concevoir le
le péché contre le Saint-Esprit, le péché tyr~MM'MtMe.
C'est le manque d'aMtuMr, crime effroyable, très-exacte-
ment délimité par saint Paul, 1 Cor., XIII. Tout ce
qu'on peut dire ou écrire, hors cela, c'est exactement
de la couillonnade. Les catholiques modernes qui sont
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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ154
au-dessous de tout et qui ont mérité tous les supplices,
pratiquent ce péché en désobéissant au précepteformel de communier chaque jour, en rejetant le
« panem quotidianum supersubstantialem », encouragésen cela par des prêtres homicides. J'espère écrire ce
qu'il faudraen
tempsutile. Dieu
ne me laissera pasqu'ilfaudra en
tempsutile. Dieu ne me
laissera pasmourir de faim et de désespoir.P.-S. Vous dites quelaVulgate parle au futur. Vous
n'y êtes pas du tout. La Vulgate c'est le Saint-Esprit,sans passé ni futur. Le temps n'existe pas.
30. Envoyé à mon jésuite l'article sur Rictus
publié par le Mercure et devant former le dernier
chapitre des Dernières Colonnes de l'Église. Expli-
cation en raccourci et parabolique « Christus evo-
mens Phariseos, ccenat libenter apud MjfMM prin-
cipempziblicanorum.» Ajouté: « Besogne peu facile,
ce nouveau livre, et singulièrement nauséeuse. Je
vous assure qu'il ne fait pas bon s'attarder sur du
Coppée, ou du Brunetière, surtout quand on est
jacens ad januam divitis, ulceribus plenus, egensmicis et nullis canibus ulcera lingentibus. »
Waterloo, page 3i4. Un guide Joseph
Bourgeois, foirant de peur dans son nom. Il disait,
quand on lui demandait comment était l'empereur:« Son visage aurait été un cadran d'horloge qu'onn'aurait pas osé y regarder l'heure. »
Sermon du doyen sur je ne sais quoi. Il affirme
que son auditoire est une assemblée de saints,
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A COCHONS-SUR-MARNE 155
dilectis Dei, vocatis sanctis. J'étais le saint le plus
rapproche de lui, quand il faisait ce beau discours
et je crois que ma présence a dû le gêner.
Juillet
3. Le doyen livré, ce soir, à une sorte de
gâtisme véhément, nous offre quelque chose comme
l'oraison funèbre d'un individu qu'il ne nomme
pas, mais qui était riche. Cela dit à demi-voix avec
une expression de piété et de respect infinis. Ce
riche donc était dévoré du désir de rendre service,
au point qu'il en est mort. Aucune explication,
aucun détail de cette mort qui n'a pas dû être moins
curieuse qu'édifiante. Ce martyr ambitionnait, nous
est-il révélé, d'être « membre du Conseil muni-
cipal et du Conseil général, pour être mieux en
état de rendre service », ce qui nous fait entrevoir
un joli mufle.
4. Je crie vers Marie comme un désespéré.
5. Dimanche du Précieux Sang. Je demande
que ce Sang soit changé pour moi en .4rye~, con-
formément à l'exégèse.
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ156
C'est la fête de Cochons. Joie ignoble de cette
foule. Quand les bourgeois se réjouissent, c'est la
même chose que lorsqu'ils ont peur. Ils ressemblent
à des démons.
6. Quand plaira-t-il à Dieu de m'arracher ducœur les épines qui me torturent?
7. Relu la Bonne Souffrance en vue des
Dernières Colonnes. Suavité des âneries de Coppée.« Je me déplais moins qu'autrefois », dit-il. Quelle
belle épigraphe! J'espère du plaisir pour ceux quime liront et pour moi-même.
8. Nous sommes excessivement malheureux,le chagrin m'écrase et ce n'est pas la lecture de
ce pharisien gâteux qui pourrait me consoler.
10. Parlant à un prêtre de la mort prochainede Léon XIII, je déclare, une fois de plus, avoir
toujours vu en ce pontife un obstacle à Dieu. Il
refuse de me suivre, disant que Léon XIII a étéadmirable pour les ouvriers, mérite bien inconnu
de tous les ouvriers de l'univers. Quand un prêtreest excellent, on trouve ça chez lui.
ii. Un citoyen de Nimes est venu me voir.
On parle de la campagne antireligieuse dans les
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A COCHONS-SUR-MARNE 157
provinces et du rôle épouvantable de Charbonnel,
en train de devenir une sorte de potentat par les
loges et agissant au moyen de son infâme journal
jusque sur le ministère, avec une autorité qui n'a
pas de nom.
13. Chaleur horrible. Pour me rafraîchir, lu
une centaine de pages de l'Étape de Bourget, tou-
jours en vue des Dernières Colonnes où cet ami
d'Hanotaux a naturellement sa place. L'académi-
cien des dames est si médiocre qu'il échappe même
au ridicule. Sa sottise est inconsistante et insaisis-
sable.
14. Le docteur X. est un médecin attentif,
mais pluvieux. C'est un de ceux qui disent « Je
suis si pressé que je n'ai jamais le temps de lire, »
et qui parlent, une demi-heure, de l'alliance franco-
russe ou de l'incompétence en hydrostatique du
brigadier de gendarmerie, chez chacun de leurs
clients.
15. Il y a certainement de bons prêtres quidéplorent l'inertie de Léon XIII dans les affaires
d'Arménie et dans la persécution actuelle. Ils
blâment en gémissant la condescendance de ce
pontife recevant des Taxil et des Brunetière, mais
sans comprendre que son horrible.politique est un
crime du même genre, plus grand encore. Telle
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ158
est la misère du Clergé contemporain, et il n'ya pas de remède. Une bonne paraphrase de la
Bulle Unam Sanctam de Boniface VIII, en col-
laboration avec l'Esprit-Saint, quelle gifle lumi-
neuse
16. Continué l'Étape. Ah! que j'ai eu raison
de nommer Bourget l' « Eunuque M C'est inouï
d'impuissance. Cœur châtré, intelligence figée,cristallisée. Il n'est pas même ennuyeux avec force.
Une sorte d'intérêt soutient son misérable livre
qu'on dirait saupoudré avec de la raclure de roman-
feuilleton.
18. Quel esprit sacerdotal, celui qui consiste
à faire passer les âmes après les œuvres
i9. Léon XIII est en agonie et voici l'Introït
de ce dimanche, introït qui doit dominer toute la
semaine Omnes gentes, plaudite manibus ~'M&~c Deo in voce exultationis. Q~oMï~M Dominus
e.rce~sM~ TERRiBins. ?
20. EnvoidesLettres: « Amon ami Alexandre
Roy, vainqueur de Tyr etvaincu de Babylone. C'est
à Barbey d'Aurevilly qu'il faudrait demander une
dédicace pour ce livre dont je ne suis pas l'auteur
et qui aurait pu être si remarquable sans la sottise
d'une femme qui avait malheureusement le pou-
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voir de s'opposer à mon projet d'une préface et
d'un commentaire que, seul au monde, je pouvaisécrire. »
21. Léon XIII est mort, hier, à quatre heures
de l'après-midi. H y a plus de vingt ans que j'at-tends son successeur.
22. Travaillé au chapitre Bourget (Dernières
Colonnes) avec un peu d'énergie et passablementde dégoût. Cet auteur est un des contemporains
que j'ai le plus rendus. Il est si bas et si bête que
je ne sais pas ce qui l'emporte.
24. Je vis comme une brute en compagnie
de Bourget. Heureusement le chapitre est fini ce
soir.
26. Pour engourdir mes peines dans le plus beau de tous les rêves, lecture du Napoléon de
Norvins dont les sublimes illustrations par Raffet
ont tant exalté ma triste enfance.
27. Découpé dans un journal:
Rome, 26 juillet. La Voce della Verita publie le
texte du document sur parchemin déposé dans la bière
du Pape. Ce document rédigé par le Père jésuite de
Angelis, est une biographie de Léon XIII, accompa-
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ160
gnée de quelques allusions à la malice des temps. ïl
conclut eu disant que Léon XIII fut un pape auquel
aucun autre peut-être ne pourra jamais être comparé
pour la bonté d'âme, la grandeur de l'intelligence, l'in-
tégrité de la vie, la sainteté des mœurs et pour l'ardeur
qu'il
mit à consacrer toute son existence et toutes ses
forces au service de l'Église et du Christ.
Eh bien, je réclame avec véhémence pour mon
patron saint Léon-le-Grand et pour un assez grand
nombre d'autres, parmi lesquels le pape martyr,
saint Martin 1"r, qui préféra une mort horrible et
les outrages de tout un monde à la complicité de
sophisme et d'hérésie qu'on lui proposait.
29. J'ai la chance de connaître un prêtre
pieux et intelligent. Cependant je me sens seul
auprès de lui. Il appartient à la génération sacer-
dotale formée par Léon XIII. Je suis un catholique
du Syllabus et de Boniface VIII. A quelque dis-
tance du Dogme strict, impossible de se rencontrer.
31. A Albin Michel, éditeur
Jehan Rictus me dit que vous êtes exceptionnelle-
ment outillé pour un lancement. Vous seriez donc
l'homme que je cherche depuis tant d'années. Ne
l'ayant pas rencontré jusqu'ici, je suis devenu uiie
~espèce de « vieux maître fort connu du monde litté-
raire et fort inconnu du grand public.
Aujourd'hui s'ouvre le Conclave. J'ai formé le projet
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d'une brochure courte pouvant être lue en une heure,
où serait présenté* substantiellement le rôle présumabledu Pape futur. Cela dans la forme littéraire qu'on me
connaît et qui réjouit ou exaspère tant de gens. Cin-
quante ou soixante pages me suffiront. Cela vous con-
vient-il ? Je me mettrais au travail aussitôtaprès
votre
acceptation formelle.
Août
l". L'énorme tourment dontj'ai tantvu souf-
frir le pauvre Hello, il y a plus de vingt ans, celui
de /t'~p pas ea~MC~ et de paraître prier en vain,
est devenu mon tourment. Il me semble que jen'obtiens plus rien et que la chose qui m'est,chaque
jour, plus nécessaire, est précisément celle quim'est refusée avec le plus de fermeté. Décourage-ment affreux, larmes très-amères en me rappelantles anciens jours, certains ineffables jours d'autre-
fois.2. Remarqué l'étonnante prière liturgique
à la messe de saint Alphonse de Liguori Sacer-
dos magnus qui in vita sua ~M~M/M'~ domum et in
diebus suis corroboravit templum, quasi Ignis
e/~M/y~M~ et thus ARDENs iN IGNE. Mots qui paraissenttout à fait surnaturels quand on pense que le
it 11
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ162
Conclave est actuellement rëuni pour l'élection du
Pape I&Nis ARDENS De telles choses passent
devant moi comme des éclairs, m'avertissant queDieu est là, toujours là, et que je suis, toujours
aussi, la même épave désolée dans un torrent.
A Jehan Rictus
Je n'espère pas grand chose de votre éditeur. Je
connais trop l'ignorance de ces gens, leur bêtise
prompte et surtout la fripouille ambiante consultée par eux. Vous savez ce qu'il y a à dire de moi littéraire-
ment. Pour ce qui est de mes croyances, de mes doc-
trines, ne craignez pas de me séparer violemment des
autres
catholiques,
non
pas quant
au fond, bien
entendu, mais de t oute autre manière. En un mot,
affirmez, gueulez même que je suis un catholique, c'est
vrai, mais un catholique non embêtant, parce que jesuis un catholique ABSOLU. Ce serait l'originalité de
ma brochure. Une pétition de théocratie d'après le
Syllabus et Boniface VIII, le grand Pape de la fin du
XIIIe siècle, en ce temps d'imbéciles et de capons, ça ne
serait pas banal. Vous direz Bloy fera ce qu'il a fait
tant defois,
il dira les choses les plus
révoltantes pour
l'esprit moderne, les plus incompatibles avec l'automo-
bile et la télégraphie sans fil. Il invoquera, pour les
dire, les arcanes les moins pénétrés de la philosophietraditionnelle et de la théologie, mais tout cela dans
une forme telle que les commis-voyageurs et les came-
lots eux-mêmes comprendront ou croiront com-
prendre. Etc.
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A COCHONS-SUR-MARNE 163
Pour ce qui est de la galette, vous verrez ce qui peutêtre tiré du monsieur. Mais je ne veux pas que vous
vous embêtiez pour moi, mon ami. Ce serait me rendre
complice de l'iniquité des plus odieux mufles. Nous
sommes, l'un et l'autre, des pasteurs. Notre rôle est de
tondre et non pas d'être tondus. Il est vrai que notretroupeau est tellement devenu de cochons qu'il ne peut
plus être question de tondre, mais seulement d'égor-
ger. Si donc vous saignez une de nos bêtes, réservez
ma part.
3. Pour la belle fête de l'Invention des re-
liques de saint Étienne, Protomartyr, messe de
l'abbé Galette, prêtre bafouillard, bredouillard,
ventrouillard, tireliard, Colin-Maillard et corbil-
lard. Je ne puis que lutter contre le dégoût et
l'horreur. Si j'avais l'infortune de me trouver en
un lieu où il n'y aurait que ce seul prêtre, jeserais forcé de renoncer à toute pratique.
Réponse d'Albin Michel. Refus formel, sans re-
tour possible. Règle. Quand un homme écrit
« J'ai le regret de vous informer », on peut être
sûr qu'il n'y a rien à faire et que l'information estaussi mensongère que le regret.
4. Ce Galette a un frère idiot. Qu'il en ait
soin. C'est ce qu'il possède de plus précieux. On
les appelle des innocents dans mon pays. Quand
il crèvera au milieu de son argent et parmi ses
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ16i
sacrilèges, cet)-' pauvre créature parlera peut-être
pour lui.
Appris, ce soir, l'élection du patriarche de
Venise qui a pris le nom de Pie X. Cette nouvellf
m'attriste, loin de me réjouir et même je tombe
uans le noir. J'avais tant désiré un événement
extraordinaire C'est toujours la même chose Un
Italien et un vieillard
5., J'entre à l'église pour en sortir aussitôt,
le sacrilège Galette disant la messe. Toute la jour-
née, je garde ce crottin sur le cœur.
8. A Raoul Narsy
J'ai lu dans l'Occident qui m'est envoyé régulière-
ment, j'ignore par qui et pourquoi, quelques lignes de
vous, exprimant un degré de sympathie. Mais, dans
ces lignes qui sont en ce moment sous mes yeux, vous
disiez « Un J.-J. Rousseau », me comparant avec
cruauté à ce fils d'Onan, à ce masturbateur infâme des
autres et de lui-même vous me dites « pessimiste <)
moil'optimiste
fameux sanségal
nicompagnon,
incorrigible et perpétuellement roulé Notre époque
n'étant pas précisément une époque de penseurs, très-
peu ont compris que Marchenoir est un « désespéré M
philosophique et nullement un désespéré théologique.
En d'autres mots, il n'attend rien des hommes, m~is il
attend TOUT de Dieu.
Vous m'appelez aussi « découragé", oubliant que je
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A COCHONS-SUR-MARNE 165
combats encore, et plus que jamais, à cinquante-sept
ans, abandonné de tous, criblé de blessures horribles
et torturé par la misère.
Enfin vous dites que « je proclame ma défaite »,alors que c'est exactement le contraire qui pourrait
expliquer ma vie. A supposer que je m'estimassevaincu ce qui n'est pas je n'en conviendrais
jamais, sinon ironiquement. Est-ce donc si difficile de
me comprendre? 2
[J'ai cité cette lettre dont l'intérêt est médiocre,
uniquement parce que le destinataire paraît être
un catholique de bonne volonté. Si ceux-là me
jugent ainsi, que dois-je attendre des autres ?j
9. Quand on est incapable de grands crimes,
on est incapable de sainteté. Cette vérité de M. de
La Palisse, dépasse les moyens d'un professeur de
philosophie religieuse venu de fort loin pour nous
instruire.
10. A Georges Rémond qui semble nous
avoir complètement abandonnés. Je le félicite
pour sa traduction d'une « Vie de Nicolas Pous-sin », d'italien en français, adaptation curieuse que
vient de publier l'Occident. Je lui dis qu'ayant si
rarement obtenu la justice, je croirais mériter ce
traitement si je la refusais aux autres.
ii. Commencement d'exécution de PariSt
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QUATRE ANS DE CAPTIVITE166
condamné depuis longtemps à périr par le feu.
Vaste incendie du Métropolitain, au lieu dit les
CoM~oKK~/ Les journaux annoncent la trouvaille
de 85 morts. Cela pour le début du pontificat de
Ignis ardens.
12. Quelle blessure mortelle semble avoir
reçue la Raison! Toujours la même chose! Tous
sont persuadés qu'un mauvais arbre peut donner
de bons fruits.
21 Scandale énorme. Un homme de mau-
vaise vie et riche vient de crever. Funérailles de
première classe avec un déploiement de faste
inouï Tout le monde court à l'église pour voir ça.
Amertume de penser qu'avec une partie de l'ar-
gent répandu vaniteusement sur cette charogne,
nous pourrions être délivrés
Ce qui m'est raconté de la cérémonie me donne
le regret d'être resté chez moi. Il paraît que cela
ressemblait à une solennité des démons. A cha-
cun des quatre coins du somptueux catafalque, il
y avait, pour l'étonnement ou l'épouvante, une
énorme lampe donnant une flamme verte. Cela
faisait comme une délimitation fantastique du
décédé, au milieu d'un torrent de luminaires. Un
orchestre savant venu de Paris jouait avec auto-
rité tout ce qui lui plaisait, et sur tout cela, mêlée
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A COCHONS-SUR-MARNE 167
à l'encens et au suint des bêtes, flottait une
étrange et pénétrante odeur de moisissure.
Il n'a manqué que la terrible péripétie racontée
dans l'histoire de saint Bruno et peinte par
Lesueur, le mort se dressant pour dire à la foule
« Je suis un damné » Quelle eût été la conte-nance de notre doyen qui refusait, il y a quelques
mois, la sépulture chrétienne à une indigente
pour cause de concubinage et qui tolère aujour-
d'hui, avecjoie sans doute, ces effrayantes obsèquesde concubin évaluées à une quinzaine de milliers
de francs?.
22. Je pense à saint Bernard dont c'étaitla fête avant-hier et je dis à la Sainte Vierge quele célèbre Memorare de son grand ami me devient,
chaque jour, plus difficile. Non esse <K«~MMï a
M?CM~o quemquam, dit cette prière. Hélas il ya moi. Il y a si longtemps que je vous supplie de
me délivrer! Puis je songe à toutes les autres
prières liturgiques ou non liturgiques et je me dis
que chacun des mots prononcés par nous en priantest pour toujours, que nous retrouverons leur mul-
titude à l'heure de la. mort et plus loin quel'heure de la mort.
24. Ce soir, sensation de faire notre dernier
repas.
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ168
30. Saint Fiacre (Voir même date 1901).Discours du doyen aux jardiniers. Jésus ingé-~i'~M.r (!) au point d'imaginer cette coMjoa~cMOH<' Pater meus agricola est ». Mon père est jardinier!Son jardin, c'est notre âme, « Ao~M~ conclusus ». Je
renonce à exprimer ce que m'inspire rimbéciiiik-de cette homélie.
Septembre
2. A un pauvre qui va mourir
Je ne peux pas encourager ma femme à vous
écrire. Vous l'avez si complètement déçue Elle a cette
impression étrange et lugubre d'avoir tendu la main à
un homme qui se noyait, d'avoir cru le sauver et de
s'être vue rebutée par cet homme qui préférait la mort.
Vous vous étonnez d'avoir été cru protestant. C'est bien
simple. Vous repoussez la confession et vous dites que
vous ne croyez pas tous les dogmes enseignés par
l'Église. Si ce n'est pas là du protestantisme, je renonce
à savoir le sens des mots.
6. A propos des Iconoclastes, parlé de l'im-
portance énorme et tout à fait mystérieuse des
images. Idée à développer Dieu a fait l'homme
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A COCIIONS-SUR-MARNE 16g
à son image et il l'a fait de terre. Dans le Deuté-
ronome, chapitre iv, il défend expressément à son
peuple de l'imiter en cela.
8. On prépare notre nouveau gîte. Une
équipe d'ouvriers travaille à la désinfection des
murs et des parquets, depuis trois jours. Ces
hommes, habitués pourtant, s'étonnent d'une si-
non pareille ordure. Mais la maison n'est rien au-
près de l'habitante, veuve méphitique d'un pauvrediable de vieil officier qui vient de mourir. Cette
personne, vraiment effrayante, ressemble à une
ville d'Asie grouillante et pestilentielle, où s'éta-
leraient toutes les immondices et toutes les ver-mines. C'est vrai qu'on lave, qu'on décrasse,
qu'on décrotte, qu'on écume, qu'on boucane-
l'habitation tout de même je deviens grave e!t
songeant qu'elle va devenir la nôtre. Puis il y a
cette épine de torture, cette pointe cruelle qui est
le sentiment de ma parfaite impuissance, de notre
dénûment absolu. Si la misère actuelle se pro-
longeait, non seulement nous ne pourrions pas profiter de ce logement, mais nous ne pourrionsmême plus vivre.
9. -Ma nouvelle propriétaire, bourgeoise d'une
laideur classique, m'informe que l'officière puante
qui va être remplacée par nous est une soulard~
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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ170
considérée, une ivrognesse régionale, une zéla-
trice de la plus ancienne Pologne. Naturelle-
ment.
11. Départ soudain d'un jeune homme à qui
nous avons donné l'hospitalité deux mois. Il nousquitte, presque sans un mot, nous écrasant de son
dédain. Ayant, à force d'énergie, attrapé vingt ans,
cet athlète avait rêvé généreusement de me faire
profiter de son expérience, en me donnant des le-
çons de littérature et de piété. Mal récompensé de
son effort, il s'en va rempli d'une grande satiété
des hommes.
[Jen'ai
pasvoulu
parler davantagede ce
pauvreenfant dont la sottise et l'orgueil nous ont fait
souffrir soixante jours. Il se croit appelé au sacer-
doce.] ]
12. Tous les journaux sont remplis de Renan
et de la fête d'inauguration de sa statue à Tré-
guier. Le très-bas domestique des Loges, le sale
renégat persécuteur Émile Combes, le père du
million des Chartreux, ira demain prononcer un
discours en l'honneur du célèbre jean-foutre, con-
tempteur de la démocratie. Six mille soldats ont
été mobilisés pour encadrer l'orateur, menacé de
gifles, ou, tout au moins, de torrents de merde.
14. J'espérais que l'inauguration de la statue
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A COCHONS-SUR-MARNE 171
de Judas aurait été l'occasion de quelque conflit
sanglant. Tout au moins les Bretons auraient dû
fermer hermétiquement leurs maisons et leurs
boutiques, et ne vendre ni un morceau de pain,ni un verre de vin. Interdit absolu, deuil com-
plet. Mais nous sommes au xx° siècle. Tout devaitêtre et a été médiocre. Tout le déplaisir du bandit
et de ses compagnons leur est venu du ciel. Il a
plu sans interruption. Fange sous les pieds et dans
les cœurs.
Jeanne a été insultée, ce matin, par une bour-
geoise à qui elle ne doit rien, mais qui hait, d'ins-
tinct, les gens de notre sorte. Quelle joie diabo-
lique, dans cette ville infâme, si on nous voyait périr Spes M?Mcs/
17. Quelqu'un a essayé de voir les yeux du
misérable Galette. Impossible.
Misère atroce, heureusement et miraculeuse-
ment inconnue.
18. Je connais un prêtre, d'ailleurs excel-
lent, du diocèse de Tarbes qui croit, inexplicable-ment comme tant d'autres prêtres modernes
qu'un mauvais arbre peut faire de bons fruits.Je lui ai vu dans les mains une traduction pro-
testante de la Bible qu'il juge supérieure, plus
près du Texte que la Vulgate. Quand on aime
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ172
l'Église c'est à pleurer. Cet abbé a trop d'esprit
Quand les Colonnes paraîtront je lui en adresse-
rai un exemplaire avec ces mots « D'un dévot
à la Vulgate qui demande qu'on le crucifie en
latin. »
23-29. Le désordre déménagement est
dans mon âme. Depuis notre mariage, c'est le
douzième dont deux en Danemark.
30. Saint Jérôme. En présence de l'école
exégétique moderne, je sens pour saint Jérôme et
sa Vulgate l'amour le plus tendre. Je le vois seul
comme je suis seul. Je suis peut-être son uniqueami.
Octobre
2. SS. Anges Gardiens. Je parle à mon angegardien, à ce compagnon invisible qui fût, un
demi-siècle, témoin de tous mes tourments et quidoit avoir grande pitié.
Le greffier de la Justice de paix m'avise d'une
réclamation de 25 francs formulée par une salopeà qui je ne les dois pas.
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A COCHONS-SUR-MARNE 173
3. Je pense toujours à mon livre sur l'ar-
gent, projeté, il y a si longtemps. Quel chapitre à
écrire sur les propriétaire&, empochant ce qu'onleur donne avec un désintéressement affreux de
l'angoisse de leurs locataires angoisse pouvantaller neuf fois sur
dix, jusqu'à l'agonie!Jevois cette
Madame Corbillard, vieille équarrisseuse aux dents
jaunes, qui nous a loué et qui veut être payée
d'avance, comme tous ces maudits; je la vois tou-
jours du même geste par lequel on gave les oies,
faisant glisser méthodiquement dans une longue
bourse aux mailles d'argent, les malheureuses
pièces de monnaie qui étaient comme du sang tiré
de mes veines, qui représentaient, pour tant de
jours la vie de mes pauvres enfants, argent pré-cieux et exécrable dont elle n'avait même pas
besoin, et que je voyait disparaitre en ayant peineà réprimer un sanglot. Et ce sacrifice énorme, il
faudra le renouveler dans trois mois.
5. Nous subsistons de la fin de notre pauvre
crédit exténué.
6. J'apprends que le doyen a profité d'une
maladie grave du sacristain pour le priver de son
emploi, sous prétexte que le pauvre homme, père
de famille, buvait parfois un petit verre, sans que
cela nuisît à son service où il excellait. Rosserie
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ171
t nouvelle qui complèterait ce pharisien, s'il avait
besoin d'être complété.
8. Sur le chemin de l'église. Moi. Plus
nous irons vers Dieu, plus nous serons unis,
c'est-à-dire rapprochés. Les êtres humains ne sont pas parallèles mais convergents et Dieu est leur
foyer. Chaque âme est un rayon de la Divinité
d'où elle est partie comme d'un soleil et qui doit,
un jour, la résorber.
JEANNE. Et sanabitur anima mea, est-il dit à
la communion. Nous sommes des malades, mais
Marie est notre hospice Salus !'yt/:nMo?'M?M. La
guérison,dans cet
hospice,c'est la sainteté.
De telles pensées nous font supporter l'horrible
vie de ce monde.
La mesure paraît comble. Agonie de tristesse.
J'entreprends de travailler, mais il n'y a qu'un en-
crier pour tout le monde. Complication ridicule
et énorme.
10. Les façons des riches sont à faire vomir
Celui qui garde les cochons dans la Parabole.
11. A Vienne, en Autriche, Mirbeau inter-
viewé déclare que Napoléon ne fut qu'un idiot.
A Clermond-Ferrand, Combes inaugurant (en-
core) une statue de Vercingétorix, lance à la face
de ce Gaulois qu'il n'y eut jamais d'aussi aimable
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A COCHONS-SUR-MARNE 175
gouvernement que le sien (celui de Combes,
naturellement).
13. Paris. L'Assiette au Beurre me demande
un article sur le Sultan. Infamie et ignominie de
cette boutique où ne se voient que des physiono-mies abjectes.
Exploit d'huissier me citant à la justice de paix,
vendredi, pour m'y « entendre condamner » à
payer 25 francs à la salope et aux dépens.Coût 4 fr. 45.
Mon horreur physique pour cette sorte de papiers
est, je pense, un trait de nature. Leur aspect seul
me déséquilibre, me désespère.
14. Dédicace des Colonnes à René Martineau,« tourangeau in venté par Dieu pour donner un peu
de ragoût à cette province dessalée dont les cochons
de l'enfant prodigue commençaient à ne plus vou-
loir ».
15. Autre envoi à un prêtre .Oor~meM~Ms
somniator.Inouï. Les Rédemptoristes du boulevard de Mé-
nilmontant, devant être expulsés, se sont fait
photographier des palmes en mains!
Angustia creberrima. Le cœur dans l'étau.
17. Messe de huit heures. Le doyen a imaginé
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ176
de faire dire le rosaire à haute voix, en même
temps que le célébrant dit la messe, en sorte qu'ilest également impossible de suivre l'une et l'autre.
Résultat voulu par le diable et procuré par dix
mille prêtres chaque jour.
Au Juge de paix
Il est certain que mes ennemis littéraires qui sont
'très-nombreux se seraient infiniment réjouis hier, à
votre audience, de ma très-parfaite humiliation.
Exténué par cinq heures d'attente, debout et dans
l'atmosphère que vous savez, déprimé à en mourir,
par la fatigue, le chagrin et le dégoût, lorsque mon
-tour arriva enfin, il est tout à fait indiscutable que
j'avais perdu tout ressort et que je n'étais plus en état
de me défendre. De me voir à la barre en une telle
compagnie, sous l'œil d'un public ignoble, je me suis
~ru plongé dans un gouffre d'ordures et vous m'avez
vu presque sans parole, ce qui, partout ailleurs, eût
étonné bien des gens. Je me voyais si totalement dé-
sarmé 1 Quelle apparence qu'un homme de ma sorte
ayant à discuter avec une telle souillasse, ne soit pasidiotifié et paralysé du premier coup. Quant à faire la
preuve par témoins, lorsqu'il s'agit de choses qui se
sont passées sans témoins et sous le couvert unique de
la bonne foi, est-ce possible? En pareil cas, un hon-
nête homme est fatalement et indubitablement roulé.
Il y aurait une ressource, pourtant. L'intuition du
bon juge, tout au moins l'induction raisonnable et cer-
tainement équitable tirée par lui de l a moralité connue
des personnes. Mais il paraît que cela ne se fait pas.
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A COCHONS-SUR-MARNE 177
Je l'ai senti au moment même où je comparaissais et
j'ai perdu aussitôt toute espérance.J'ai donc l'honneur de vous informer que, renonçant
à mon droit, je consens à verser, moi très-pauvre écri-
vain, à Mme de J. la somme que je ne lui dois pas et
qui serait très-proHtable à mes chères petites filles
dépouillées par cette puante.J'opérerai ce versement, en même temps que celui
des frais iniques de papier timbré, avec un profondsentiment d'indignation et d'horreur.
i9. Employé dans mon jardin potager, qui
a furieusement besoin d'être labouré, un très-
pauvre homme autrefois jardinier, maintenant
infirme et vivant à peu près
d'aumônes au seuil
de l'église. Rude besogne pour ce malheureux, car
le jardin, assez grand et livré à la plus honteuse
incurie, ressemble plus à un dépotoir. Mais il
y mettra le temps et ce sera, je pense, une manière
assez honorable de partager ce que Dieu nous
donne avec un de ses amis.
2i. Forcé dem'exécuter, je
vais chez legref-der de la Justice de paix qui me présente une carte
payer de 34 francs sans délai, sans possibilité
de couper en deux la somme, Si je ne peux pas
payer, cela recommencera. Telle est la justice. Je
paie.Et ce polisson de juge à figure de hareng samr~
Il 12
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ17S
qui n'a pas daigné répondre à la lettre que je lui
ai fait l'insigne honneur de lui écrire Je reviens
le cœur crispé, songeant à cette truie qui va se
soûler du sang rose des petits enfants de Béthléem.
Il est clair que Jésus veut, en sa qualité de Pon-
tife, m'éprouver comme les
ingénieurs éprouventun pont, c'est-à-dire en mettant sur moi les pluslourds fardeaux.
23. Article pour l'Assiette au Beurre [publié
le 31 octobre 1903.1
Trente ans d'assassinats
Le sultan actuel Abdul-Hamid II, frère puîné du
sultan Mourad et neveu du sultan Abdul-Aziz, est le
deuxième fils du sultan Abdul-Medjid. Petit-fils de
Mahmoud le Réformateur, il est le 34e Padischah de
la famille d'Osman et le 28° depuis la prise de Cons-
tantinople.
Ainsi donc, à partir du 29 mai 1~53, jour de la prisede Constantinople par Mahomet II, il y a eu, en même
temps que 28 sultans, 50 papes, 16 rois dits très-chré-
tiens, en ne parlant pas d'une dizaine d'empereursou de présidents de la République soi-disant fran-
çaise 15 rois ou reines catholiques d'Espagne, à peu
près autant de majestés très.ndèles en Portugal,
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A COCHONS-SUR-MARNE 179
parmi lesquelles un Emmanuel dit le Fortunéqui parut,un moment, sur le point de renouveler Alexandre; un
quarteron d'empereurs d'Allemagne un non moindre
lot de monarques anglais, polonais ou scandinaves et
je ne sais combien de subalternes potentats. Augusteracaille
prétenduechrétienne.
A supposer que cette magnifique Prostituée de
l'Orient et de l'Occident, qui se nomme Constantinople,
depuis bientôt seize cents ans, eût été surprise comme
une pucelle par l'effroyable brute ottomane, les chré-
tiens et leurs monarques auraient eu le temps, en
quatre siècles et demi, de désinfecter l'Occident.
Certes, il y eut de magnifiques efforts. Nicopolis,
Lépante et Vienne; sont parmi les fresques sublimes de
l'héroïsme chrétien. Mais àquoi
bon? Il aurait fallu la
volonté unanime, la coalition permanente, obstinée, in-
décourageable, de toutes les puissances, et c'est la
honte, indicible de l'Europe, que la vermine de Maho-
met soit toujours sur les parties sexuelles du monde
civilisé.
Je dis. les parties sexuelles. « Venter meus intremuit
ad tactum e/tM H, est-il soupiré dans le cantique. Quand
on touche à Constantinople, le, monde frémit de la tête
aux
pieds.Voici ce que j'écrivais, le 14 mars 1897, environ le
temps des horreurs crétoises à Henry de Groux que
je croyais intelligent et qui l'était en effet, m'ayant si
somptueusement lâché quatre ans plus tard
« Ne vous emballez pas trop sur les Grecs. Il n'y
a pas au monde un peuple moins intéressant et tout le
bruit qu'on fait autour d'eux n'est qu'une vile blague.
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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ180
Je refuse absolument de compatir à ces schismatiques,habitants d'une terre vouée depuis trois mille ans à
tous les démons et dont les ancêtres au moyen âge ont
fait rater toutes les Croisades. Leur histoire n'est
qu'une traînée de pourriture et de sang.
« L'attitude actuelle de l'Europe est parfaitement in-fâme, sans doute, mais ne voyez-vous pas que tout ce
potin grec est surtout en vue de faire oublier l'Arménie
dont l'épouvantable massacre n'a ému aucun de nos
chevaleresques étudiants qui parlent aujourd'hui, de se
faire tuer pour la Grèce et qui seraient fort e mbêtés si
on les prenait au mot?
« Pourtant savez-vous ce que c'est que l'Arménie ?7
C'est le pays le plus mystérieux du monde, le lieu
choisi pour la Réconciliation. C'est là que le Déluge prit fin et que recommença la Multiplication humaine.
« Depuis une dizaine de siècles au moins, il n'y a
jamais eu qu'une question d'Orient, question à tripleface et à triple tour Extermination ou du moins
expulsion des musulmans, extermination des Grecs et
conquête du Saint Sépulcre. Tout le reste est idiotie
ou mensonge.« Mais que penser de ce Léon XIII qui fait de la poli-
tique pendant qu'on coupe en morceaux deux ou troiscent mille chrétiens d'Arménie: Ah il faut avoir une
foi robuste. »
Après les Arméniens et les Crétois, c'est enfin et tout
naturellement le tour des Bulgares. Il n'y a pas de plusvieux compte, l'Histoire étant une réitération sempi-~rneDe. Toujours la Bulgarie depuis mille ans. Pour
ijyzuncc, grecque, latine ou turque, chrétienne ou inti-
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A COCHONS-SUR-MARNE 181
dèle, c'est la séculaire angoisse. Au commencement du
x!" siècle, à la veille des Croisades, il y eut un homme
efîrayant parmi les épouvantables. C'était un empereur
byzantin, un Basileus couleur de sang, un capitaine
inouï, à la manière d'Annibal. Lui aussi avait jurél'extermination d'un
peuple, mais, plusheureux
qu'Annibal, il y parvint. La Bulgarie étant alors un
empire dangereux pour Constantinople, il décida qu'il
n'y aurait plus de Bulgarie ni même de Bulgares. Pen-
dant quarante ans, il ne se débotta pas, il ne descendit
pas de son cheval et quand il se coucha pour mourir, cette
nation n'existait plus. On le nomme Basile Il, Tueur de
Bulgares. Je ne connais pas une épopée plus terrible.
Écoutez ceci. Il arriva qu'un jour, traînant après lui
quinzemille
prisonniers quil'embarrassaient dans sa
marche, il partagea ces malheureux en compagnies de
cent hommes, leur fit crever à tous les deux yeux, à
l'exception d'un seul par chaque centaine, auquel il ne
fit arracher qu'un œil, afin qu'il servit de guide à ses
camarades. Il les renvoya en cet état à leur roi, qui
tomba évanoui d'horreur et ne reprit ses sens qu'avec
un battement de cœur si violent qu'il en mourut au
bout de deux jours. Il faut lire cette histoire dans
Gustave Schlumberger.Essayez maintenant de mettre Abdul-Hamid à côté
de ça Ayant entrevu l'homme de guerre du xt° siècle,
tâchez de vous représenter cet abominable maniaque,
toujours tremblant pour sa carne ignoble et immolant
à sa vieille chiasse des peuples entiers.
Tu verras de chameaux un grossier conducteur,
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QUATRE ANS DE CAP TIVITÉ182
à écrit Voltaire parlant de Mahomet. Je ne cite jamaisle patriarche des imbéciles, mais cette inversion me
paraît avoir quelque chose de foudroyant quand je con-
sidère le sale marchand de cacahouettes si léché parles Hanotaux et les Delcassé.
Un de ses historiens, Pierre Quillard, fait observer
que le sultan, quel que soit son nom, est toujours et
nécessairement un personnage sans aucune hérédité
intellectuelle, en qualité de fils d'esclave, la loi même
interdisant au souverain toute alliance avec une femme
.de condition moyenne, avec la fille d'un fonctionnaire,
par exemple
On conçoit aisément les résultats de c ette odieuse
constitution monarchique. Abdul-Hamid est indiscuta-
blement ce qu'on peut imaginer de plus réussi dans
l'exécrable et le monstrueux. L'imagination se décou-
.rage et succombe devant cet idiot atroce qui n'a de
pensée que pour la conservation ou la protection de sa
carcasse et qui semble ne connaître d'autres joies queles massacres ou les supplices. On connaît les épou-vantables égorgements d'Arménie, mais il y avait eu
les massacres des Arabes dans l'Yemen, les massacres
des Druses au Liban, les massacres en Asie des Kurdes,des Lazes, des Tcherkesses ou des Albanais en Europe,toutes les fois qu'il ne s'en était pas servi comme d'exé-
cuteurs. Il avait massacré, près de Mossul, des Yezidis
parfaitement innoffensifs. M avait massacré des Hellènes
en Crète et en Épire. Il avait massacré en Macé-
doine des Bulgares, des Serbes et des Valaques. Il
avait massacré des milliers de Turcs par les noyadesdans le Bosphore, l'étranglement dans les prisons, la
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A COCHONS-SUR-MARNE 183
suppression en terre d'exil. Geôlier et probablementassassin de son propre frère, le Sultan Mourad, il se
fit envoyer à Yildiz comme un Objet d'art, la tête
coupée de Midhat-Pacha, à qui il devait son élévation
au pouvoir.Tout cela ne lui suffit pas cependant, car cela se
passe à distance. H lui faut la vue du sang, l'ouïe des
sanglots et des hurlements de désespoir, le spectacledélicieux des convulsions et des agonies. Il a donc des
bourreaux privilégiés qui travaillent sous ses yeux,dans son palais. Amateur éclairé, il leur donne des
conseils et s'honore d'avoir inventé lui-même quelquestortures.
On a ce qu'on mérite, même quand on est Turc.
Plût à Dieu que ce scélérat pût exterminer tout son
empire! Mais l'inertie de l'Europe complice d'un tel
assassin et luipermettant d'égorger jusqu'à des peuples
européens, c'est un spectacle d'ignominie à dessécher
la langue d'un prophète
Quand Abdul-Hamid crèvera, ce qui ne saurait tar-
der, on verra s'affliger les Hanotaux et toute la servile
crapule des diplomaties. Ils iront à Byzance dans leurs
culottes, et, pour que le deuil soit tout à fait magnifique,on leur fera peut-être comme aux chevaux du cortègede Soliman, lesquels furent vus répandant des larmes,
parce qu'on leur avait soufflé dans les narines je ne sais
quelle poudre lacrymatoire.`
24. Mise en vente des Dernières Colonnes de
/'Ey/MC.
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ181
25. A un autre bienfaiteur
Monsieur, j'ai reçu les 40 francs que vous aviez con-
fiés à un homme extraordinaire qui me fait l'honneur
de m'aimer au point de mendier pour moi. J e ne sais
pas toutes ses démarches. Il a été chez vous, soit. H
paraît même que c'est bougrement difficile d'être reçudans votre maison, quand on n'est pas académicien. Il
savait par moi que je ne suis pas un inconnu pour
vous, il vous voyait riche, trouvant de telles consignesà votre porte et il voulait espérer quand même.
C'est vrai que je suis en danger une fois de plusmais je n'aurais pas osé cela. Me sachant très-pauvre,la gent littéraire a décidé que j'étais un mendiant et
j'ai fait de cette injure honorable un panache pour le
plus fier de mes livres. En réalité, je n'ai jamais su
mendier. Ma voix n'est bonne que pour l'imprécation
ou l'hosanna. Quand on a lu dix de mes pages on est
fixé.
Vous avez donné 40 francs. A v otre place, ne pou-vant ou ne voulant pas faire ce qu'il fallait, je n'aurais
rien fait du tout. Pourquoi humilier un artiste qui
souffre, non sans noblesse ? Si j'avais voulu, comme
tant d'autres que vous connaissez fort bien, je ne serais
pas un pauvre. On sait cela dans le monde des lettres,
mais nul ne le dit. Le livre que je vous ai envoyé me
sauvera peut-être. Quelques personnes croient à un
humble succès. Dieu le veuille! L'injustice énorme que
j'endure et dont pâtissent deux innocentes, me semble-
rait oubliable si j'obtenais seulement un peu de ce quim'est dû. La vie est si courte et si vaine 1
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A COCHONS-SUR-MARNE 185
Envoyez-moi votre troisième volume quand il paraî-tra. Le nom seul de Napoléon me brise d'amour comme
si c'était le Nom de Dieu et je parlerai de votre œuvre
autrement que les autres, c'est probable. Seulement ne
m'infligez pas d'humiliations. J'ai déjà tant à souffrir, si
vous saviez
26. A propos d'une femme de ménage aussi
rosse que toutes'les autres II n'y a plus de ser-
viteurs dans une société qui ne reconnaît plus Dieu
pour maître.
27. Appris la mort de Rollinat dans une
maisonde fous.
Safemme,
encore plus étrange
que lui, était morte enragée, dit-on. Quelleaffreuse
fin d'un artiste qui m'impressionna si profondé-
ment au début de ma vie littéraire Jamais la
folie et la mort ne furent invoquées ainsi. Son art
était une sorte de blasphème chronique. Sa poésie
appelait sa musique et les deux ensemble faisaient
aussitôt venir le diable. Je me souviens d'un mois
passé chez lui, dans le Berrynoir, aux bords de la
Creuse, en 1882. L' « éminent » Haraucourt, quinous a rudement lâchés depuis, était notre com-
pagnon et ne doit pas avoir oublié cette villégia-
ture, sa mémoire fût-elle aussi médiocre que son
talent ou que son cœur. J'ai essayé de décrire,
dans la Femme pauvre, ce sinistre endroit.
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ186
30. Une dédicace liturgique des Colonnes
« A l'abbé Victor Charbonnel. Ecce ~ace7'~o«</MS
qui in e~!e6!M suis (/Mp~c!< Deo, et inventus est
nequam, et in tempore z7'acMM< factus est ana-
<Ae~s. M [Sans réponse.] J
31. Vu, à l'église notre doyen qui s'approche
plein de sourires, pour me remercier de l 'exem-
plaire que je lui ai fait expédier avec cette dédi-
cace « De la brebis galeuse au bon pasteur. » Je
proteste contre la « brebis galeuse », me dit-il,
mais il ne proteste pas contre le « bon pasteur. »
Novembre
1. Toussaint. Je prie la Sainte Vierge et les
Saints de me délivrer de la vue des autres qui me
souille et me désespère. Note copieuse du boulanger. Tout cela est loin
de la Vie éternelle.
3. Attente continuelle et angoisse. Nous
devons, à l'heure actuelle, plus de 800 francs, et
quelques-uns de nos créanciers deviennent me-
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A COCHONS-SUR-MARNE 187
naçants. Je me cramponne à mon pauvre livre qui
croulera peut-être avec moi. J'essaie de me per-suader que la fin de mon vieux tourment est
proche et que mes Colonnes en pourraient être
l'occasion. On ne sait plus comment vivre.
4. La visite prochaine du doyen m'est
annoncée. Ce gros pasteur, impressionné par mon
livre d'agneau, se décide enSn à mettre les piedschez nous, après trois ans.
5. Un épicier dont le nom est ridicule m'en-
voie un relevé inexact, insolemment inexact. En
vain, je lui fais obserser, je lui prouve même
que je suis roulé de 20 francs. Sa comptabilitéest infaillible. Je sens, comme pour l'officière crot-
tée de l'autre mois, que je suis vaincu d'avance et
qu'il faudra, pour avoir la paix la justice de
paix que je me laisse, encore une fois, dé-
pouiller. Rien à faire. Les livres de commerce
font foi en justice! Je vomis dans un abîme.
6. J'affirme nettement que le monde catho-lique moderne est un monde réprouvé, damné,
rejeté absolument, irrémédiablement, un monde
infâme dont le Seigneur Jésus a ~OMp~ de la façon
la plus complète, un miroir d'ignominie où il ne
peut pas se regarder sans avoir peur, comme u
Gethsemani.
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ188
Un Sacamer, quincailler et marchand de char-
bons, à qui je dois ilO francs, avait été prié de ne
pas m'infliger une échéance commerciale. Ce jeuneet brillant époux de i'ainée des filles Dépendeur
m'a fait porter une lettre d'un style abject, disant
qu'il va « tirer sur moi ». Jeanne ayant essayé delui persuader de n'en rien faire et de m'attendre, a
trouvé un très-beau muûe qui refuse avec inso-
lence. Je décide d'accepter la traite. Ignorant,
comme je suis, des immondices de la procédure,tout essai de résistance à ces voyous, serait inutile
et me coûterait horriblement cher.
8. Un tchèque sublime du nom de JosefFlo-rian qui me propage tant qu'il peut, en Moravie,
et qui m'écrit des lettres beaucoup plus précieuses
que le diamant, exprime cette idée simple que
j'aurais besoin d'un '< traducteur dans les cieux ».
10. Visite enfin du doyen accompagné d'un
missionnaire, comme s'il venait chez des sau-
vages de l'Océanie. Ce doyen miséricordieux etgras, n'a pas cru pouvoir, en conscience, me pri-ver plus longtemps de cette faveur. Mais il est
visiblement venu avec crainte et c'est pour cela
qu'il s'est fait accompagner. Séance grotesque. Je
n'ai jamais vu un homme plus mal a l'aise, plus
impuissant à sortir d'embarras. Il n'a pu trouver
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A COCHONS-SUR-MARNE 189
un mot, un semblant de mot sur mon livre quiétait pourtant le prétexte de sa visite. « J'ai tenu
à le lire entièrement avant de venir », m'a-t-il
dit, car il appartient à la multitude qui croit sa-
voir lire. Rien de plus, sinon quelques lieux com-
muns extrêmement vagues sur je ne sais quoi.Sérieux comme un mulet qu'on chargerait de
reliques fort pesantes, j'ai pu être convenable,éviter toute parole fâcheuse. D'ailleurs l'inintelli-
gence extraordinaire de ce visiteur, infiniment
dépaysé, chez nous, me faisait pitié. Il est partiau bout d'une demi-heure.
11. Autre effet des Colonnes. Mon jésuitem'écrit que sa conscience lui fait un devoir de se
~arc?' de moi, la manière dont je parle de
LéonXin lui paraissant inacceptable.J'avais pensé à une réclame dans les Semaines
re/t~ïeM~. Idée qui ne vaut rien, cette publicité
étant la plus fermée de toutes et les directeurs des
Semaines religieuses étant presque toujours des
imbéciles inexpugnables.
12. Lourdes, volume d'un jeune (?) occul-
tiste, Grillot de Givry (?) qui écrit le Xrist, cite
du grec et de l'hébreu et se dit « une colonnette
oubliée ». La vie est courte. L'épigraphe, néan-
moins, me rend attentif. CoM~rcya~to~M a~;M-
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ190
?'!<m appellavit Maria. Certaines phrases, çà et
là me semblent avoir une marque supérieure.
Entrepris la lecture de ce livre qui paraît être
uniquement à la gloire de Marie.
De Jeanne
Si Dieu ne donne que peu, c'est qu'il lui est impos-
sible de donner plus, pour des raisons qui nous sont
cachées. Cela me fait penser à notre pauvre jardinier,le mendiant du seuil de l'église que nous ne pouvons
payer en ce moment, qui souffre à cause de nous, mais
qui serait injuste s'il nous accusait. Et je suis saisie
d'une immense pitié pour Dieu, d'une pitié mystérieuseet surnaturelle.
13. Continué la lecture d'hier. Désenchan-
tement. L'occultiste se retrouve avec tout l'orgueil
particulier à ces gens et le pédantisme incroyabledont ils drapent leur néant. 11 se nomme « l'initié
d'Hermès, lemystériarque des antiques croyances ».
Je n'ai décidément rien à faire avec un tel homme.
15. Une vieille femme de ménage que nous
avions cru un trésor envoyé de Dieu, se soûle.Tout ce qui arrive est préférable à ce qui aurait
pu arriver.
17. L'épicier au nom ridicule, dont il est
parte plus haut, refuse dénnitivemeHt et commi-
n~toirement de modifier son addition. Une fois de
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A COCHONS-SUR-MARNE 191
plus, cet imbécile entreprend de me prouver,
par ses livres que son compte est exact. Je lui
ai déjà répondu « Je lirai vos livres quand vous
aurez lu les miens. » Mais il ne goûte pas le con-
seil.
Il est dit et même écrit, je crois, que les livres
des commerçants « font foi en justice ». Pour-
quoi ? C'est ce qu'on ne saura jamais. J'ai déjà
exprimé cette idée. Qui empêche un épicier d'ins-
crire ce qui lui plaît sur son livre, puis de mettre
sur ses factures de fantastiques reports et, si on
réclame, de répondre Vous avez perdu une ou
plusieurs factures intercalaires. Voici mon livre
qui prouve que je vous ai fait les livraisons quevous niez avoir reçues ?
Il est bien certain que les livres d'un commer-
çant me condamneraient toujours, étant beaucoup
plus dignes de foi que la Bible. Un doute ex-
primé sur leur exactitude m'attirerait la colère de
tous les juges.Continué tout de même la lecture de Lourdes,
ce livre étrange reçu le 12. J'ai beaucoup de peineà comprendre ce que peut être l'auteur dont le
talent est indéniable et qui m'intéresse beaucoup,
lorsqu'il musèle son occultisme.
18. A l'épicier, au nom ridicule
Monsieur, je vous expédie par mandat postal la
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QUATRE ANS DE C ArTIVITË192
somme de i28 fr. 30 dont vous voudrez bien m'envoyer
quittance pour solde de tout compte. Mon temps est pré-cieux et je ne veux pas le perdre en réclamations ou
contestations inutiles. Vos livres ne sont rien pour moi et vous savez parfaitement que j'ai raison de me
plaindre. J'aime mieux payer ce que je ne dois pas quede discuter avec un épicier sur une ignoble question
d'argent. Je vous conseille seulement de soigner un
peu plus votre comptabilité. Tout le monde ne serait
pas aussi accommodant que moi.
Trois heures plus tard, arrivée de l'épicière,
m'apportant la quittance et le châtiment. Mon-
sieur, me dit-elle, les épiciers valent bien les
écrivains 1
J'ai reçu ce coup terrible avec l'humilité conve-
nable. J'ai même été forcé de reconnaître, en sa-
luant jusqu'à terre cette Némésis, que les épiciersvalent beaucoup plus, ce qui a paru « lui en
boucher un coin », comme dit avec tant d'auto-
rité mon vieux camarade Alphonse.
19. Prospectus dont je m'avoue l'auteur,
envoyé par le Mercure à un grand nombre d'ec-
clésiastiques
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A COCHONS-SUR-MARNE 193
Les Dernières Colonnes de FEgMse
COPPÉE, LE RËVERMB PERE JUDAS, BRUNETtÈRB, HOYSMANS, BOnMM,BTC.
LE DERNIER POÈTE CATHOLIQCB
Par LÉON BLOY
On sait que la conversion de Huysmans est un des
ouvrages de LEON BLOY, le seul qui ait eu un peu de
succès. Le célèbre pamphlétaire catholique ayant été
l'instrument visible de ce changement extraordinaire,
rien n'est plus curieux que de voir aujourd'hui le disciple
iugé par le maître.
Par la même occasion, LÉON BLOY juge quelques
autres écrivains acquis à l'Église depuis peu de temps etdont le zèle de convertis lui paraît un peu encombrant.
Quand on connaît la puissance et l'originalité de
l'auteur de La Chevalière de la Mort (Marie-Antoi-
nette), et du Fils de Louis .ZP7, l'annonce d'une
pareille œuvre suffit pour exciter au plus haut point la
curiosité en ce temps de crise religieuse.
20. A Jeanne me parlant de la correspon-
dance qu'elle trouve parfois entre les mouvementsde son âme et la liturgie La Liturgie est si
surnaturelle que c'est tout simple de dire qu'elle
existe réellement en nous, qu'elle est imprimée
en nous comme une suite du sacrement de Bap-
tême et du sacrement de Confirmation. Idée in-
croyablement féconde.
11 13
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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ194
21. Parié d'un abbé Loisy qui paraît avoir
pris la tête parmi ceux qui font la guerre à la Vul-
gate et à saint Jérôme. C'est la pente moderne et
les meilleurs sont sur cette pente. Négation pureet simple du Texte sacré. Jamais la foi n'a couru
un plus grand danger. Au sujet du fruit de l'arbre
défendu que cette école juge mythique, je dis
que ce fruit, cette pomme n'est pas plus un m?/</t<?
que /'E~oece eucharistique, et que, l'Esprit-Saintaffirmant ce fruit, on doit y croire comme à une
réalité visible et sensible, au centre d'un tourbil-
lon de mystères.Le chrétien qui communie sous les espèces
consacrées mange la Vie mystère. Adam etEve mangèrent la Mort sous l'espèce du fruit
défendu. Autre mystère certainement identique.
22. A Grillot de Givry
Monsieur, je ne sais rien dé vous, votre nom même
m'était inconnu et j'ai reçu votre livre avec une défiance
extrême. Déjà peu satisfait de mes contemporains, de
mes contemporains catholiques surtout dont l'idiotieet la tacheté peuvent étonner les plus fermes imbéciles
j'étais rebuté, en outre, par la formule occultiste qu'ilm'est à peu près impossible de digérer. L'épigraphe,
cependant, m'a décidé à vous lire. Disciple de Grignionde Montfort et l'un des derniers tenants de l'Absolu
catholique, j'ai cessé alors de voir ce qui, dans votre
oeuvre, pouvait me paraître onéreux ou difficile, et
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A COCHONS-SUR-MARNE 195
vous avez certainement ajouté à ma vision personnellede la Gloire. Un chrétien donnant aujourd'hui, à Marie,
ce qui lui est dû, c'est le plus étonnant de tous les
miracles.
J'espère, monsieur, que vous ne serez pas indifférent
à ce suffrage d'un vieil écrivain renié de tous ceux qu'ilavait peut-être la mission d'instruire, abandonné par tous les odieux fidèles dont le devoir eût été de lui
assurer son pain et qui travaille depuis vingt ans, pour le Règne de Dieu et pour sa justice, en agonisant de
misère.
[Sans réponse. Déclarer qu'on est pauvre, secret
de pétrifier. Méduse devait être pauvre. J'ai su,
par Péladan,
que
le
méprisdes
pauvresest un des
arcanes de l'Occultisme.]
24. Invitation pour le 30. Ce sera la grandeCulbute. On pourrait amener du monde.
25. Mot amusant d'Eugène Grasset sur
Huysmans,à propos des Colonnes: « Je trouve ses
livres indigestes depuis qu'il a renoncé aux épices. »
La privation de vin et la peine m'exténuent.
Une personne m'apporte un franc, une autre deux
francs. C'est comme si Jésus en croix laissait
tomber trois gouttes de son sang.
28. « Les Anges sont des miroirs volon-
taires ». MARIE D'AGREDA.
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QUATRE ANS DE C AF TIVITK 196
29. J'ai des amis que ma persistante misère
embarrasse et dont la finesse consiste à paraître
persuadés que tout s'arrange, à la minute précise
où commence le râle de l'agonie. Quand l'an-
goisse est énorme, on voudrait
presque
im-
pression tout à fait étrange un désastre afin de
pouvoir leur dire « Voyez combien votre sécu-
rité était cruelle »Il
A un ami passionné qui vient tous les dix-huit
mois
Je veux croire que vous finirez parvenir, un jour ou
l'autre, et même je consens à recevoir votre jeune
peintre. Seulement. (je dis seulement) à une condition.
Vous m'écrivez que cet adolescent a lu « par hasard n,
l'Exégèse des Lieux Communs, mais qu'il n'a lu que ce
seul ouvrage de moi. Or, pour être reçu dans ma mai-
son, il faut avoir lu au moins QUATRE de mes livres,
parmi lesquels le jM&Mpë'~ë' et la Femme pauvre. Je me
dois à moi-même d'exiger cela des inconnus quidésirent me voir, ne voulant pas, à mon âge et n'étant
pas même devenu académicien, être visité comme un
animal dangereux. J'exige, en outre, que mes livres
n'aient pas été lus par hasard. Ces points accordés,vous pouvez exécuter la manœuvre. Je serai « accueil-
lant », si je vis encore, ce qui n'est pas tout à fait cer-
tain.
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A COCHONS-SUR-MARNE 197
Décembre
l". Le Sacamer déjà dit prétend m'avoir
fait présenter la traite hier, ce qui est faux.
Ce couillon de ratepennade », comme dit
Rabelais, avait combiné avec un huissier fort
merdeux cette petite rosserie de me faire des frais,
en oubliant de me présenter leur sale papier. Par
bonheur, je m'en suis souvenu à temps et j'ai été
payer ma traite chez l'homme aux exploits, non
sans avoir comblé le Sacamer de l'expression de
mes sentiments, ce qui l'exaspère, à en juger
par des hurlements entendus après que j'ai refermé
sa porte. J'espérais en vain que, s'élançant der-
rière moi, il viendrait moissonner quelques gilles
sur le trottoir. Je ne m'en serais pas montré
avare, j'aurais même pu ajouter quelques coups de
pieds au cul, mais encore fallait-il qu'il me lesdemandât.
2. Lire lesAvertissements de Bossuet, par un
froid horrible, en buvant de l'eau glacée, je re-
commande ça aux personnes qui voudraient pra.
tiquer la chasteté.
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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ198
Dieu veut toujours être impénétrable, et il l'est
plus que jamais, quand il semble dire à ses amis
désolés Regardez-moi.
4. Neige abondante sur notre misère. La
douleur est une grâce que nous n'avons pas mé-
ritée, me dit Jeanne.
7. A André Martineau, un très-jenne enfant
qui, entendant parler de notre misère, a exigé queses parents nous envoyassent les quelques francs
qu'il possède
Mon cher petit ami, Tu es le bienfaiteur de LéonBloy. C'est une chose que tu ne peux pas encore très-
bien comprendre. Mais si, regardant cette lettre, tu la
relis dans vingt ans, lorsque le pauvre Léon Bloy sera
sous la terre, tu pleureras de pitié en songeant à la vie
terrestre de cet écrivain si malheureux. En même
temps tu pleureras de joie en te souvenant que le pou-voir te fut donné de le consoler quelques heures.
Une personne qui me veut du bien répand que
je suis un ivrogne.
8. A propos d'une facture de librairie dont le
paiement est exigé avec insolence. Jeanne me fait
remarquer que la fin de l'année est une époqueressemblant à un As/Mt. Tous les chiens, gueules
ouvertes, se précipitent.
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A COCHONS-SUR-MARNE 199
40. Huitième anniversaire de la mort de
notre petit Pierre. Nous n'avons pas de souvenir
plus douloureux. J'implore la protection de cet
innocent devenu notre Benoni dans les cieux.
Conférence à Paris, rue du Bourg-Tibourg,
chez des très-pauvres qui m'aiment. C'est unhumble cercle d'ouvriers chrétiens et cela se
nomme l'Espérance. Petite catacombe moderne
sans un propriétaire. Nul n'est moins conférencier
que moi. Je m'en tire comme je peux avec des
lectures. L'assistance décidée à admirer tout ce
qu'il me plaira de lui faire entendre, s'en contente.
Mais je ne puis m'admirer moi-même, quoi que jefasse. Voici la péroraison du bavardage annoncé
sous ce titre.
Le Peuple de Dieu au vingtième siècle
Et le Peuple de Dieu? me demandez-vous. Ne
vous l'ai-je pas montré ? Autrefois, il y a plus de trois
milleans,
lePeuple
deDieu,
c'était le peuple
hébreu.
Les miracles ne lui manquaient pas. Jéhovah le con-
duisait par la main au milieu des flots et dans le désert,
pour l'étonnement et l'extermination des autres peuples.
Depuis Jésus-Christ, le peuple de Dieu, c'est chacun
de nous, c'est moi, c'est vous, le menuisier, vous, le ser-
rurier, vous, l'employé de bureau, le vidangeur ou le
poète. C'est tout ce qui est pauvre, tout ce qui souffre,
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ200
tout ce qui est humilié profondément. C'est un immense
troupeau dans la solitude, une multitude infinie de
cœurs tristes à la recherche du Paradis. Il y en a qui
gagnent tout juste leur pain, qui n'ont jamais une
heure pour la culture de leurs âmes et qui finissent par
yrenoncer.
D'ailleurs, qui pourrait les instruire, les guider, les
encourager? Le clergé insuffisant quant au nombre est,
presque toujours, d'une médiocrité épouvantable. Pour
ce qui est des Léon Bloy, quand il s'en trouve, on les
étrangle, on les étouffe si bien qu'il est impossible de
les connaître et qu'il n'y a pas moyen de les entendre.
Alors quoi? il ne reste plus que les patrons ou les pro-
priétaires. Franchement ce n'est pas assez.
Pourtant,cela
existe,les âmes Vous avez été ache-
tés, payés d'un grand prix, disait saint Paul..)e crois
bien il n'a pas fallu moins que le Sang de Dieu Ce sont
là des choses que nous ne pouvons pas comprendre.Mais ce que nous comprenons très-bien, c'est que
rien au monde ou dans les enfers ne serait capable de
payer nos âmes. « Je suis fils de l'homme et de
la femme, à ce qu'on m'a r~t. Cela m'étonne. Je
croyais être davantage! » Ce mot a été écrit par un
poètetout à fait moderne
qui fut aussimalheureux
que possible. Pascal est brûlant de gloire pour J.-
bien moindres paroles.
Des saints ont affirmé que si, parla permission divine,
une âme pouvait être vue telle qu'elle est, on mourrait
à l'instant, comme si on était jeté dans un brasier ou
dans un volcan. Oui l'âme de n'importe qui, l'âme d'un
nuissier, l'âme d'un concierge nous consumeraient.
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A COCHONS-SUR-MARNE 201
Ah Seigneur que voilà un triste peuple de Dieu un
étrange et inconcevable peuple de Dieu Une proces-sion perpétuelle et universelle, un torrent de flambeaux
plus incandescents que les étoiles et qui ne se con-
naissent pas eux-mêmes Sirius, Aldébaran, Altaïr ou
cet effrayant astre de la Constellation d'Hercule sur
qui notre soleil se précipite avec une vitesse accélérée
de plusieurs milliers de lieues par seconde de tels
astres, dis-je, absolument couverts de ténèbres, insoup-
çonnables, mais certains, puisqu'ils ont coûté tout le
Sang de Jésus-Christ c'est de quoi se compose le
Peuple de Dieu. Des fournaises grandes comme les
mondes, mais invisibles et ne se sachant pas des
fournaises.
C'est un monstre pour la pensée, c'est à mourir d'admiration de se dire, par exemple, que voici un
pauvre expéditionnaire de dix-huit à vingt-cinq ans, un
très-pauvre bougre d'employé qui gratte un papier d'administration pour copier des âneries ou d es saletés,
qui continuera ainsi jusqu'à la mort, sans espérance et
s'abrutissant de plus en plus, et dont l'âme, cependant,a coûté la vie au Fils de Dieu! Dites-vous, après cela,
que ce malheureux est encore un aristocrate, une
espèce de talon rouge oud'Œil de bœuf, en comparai-~n des autres esclaves. Songez qu'il y en a des cen-
) ;<ines de millions d'autres qui ne savent même pas queDieu existe, et qu'onassomme du matin au soir. Est-ce
,i ceux-là que Jésus-Christ a dit Quittez tout, vendez
tout, renoncez à tout et suivez-moi? Sans doute,
puisque personne n'est exclus de la prédication évan-
gélique. Seulement cette multitude peut répondre:
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ202
-Nous n'avons rien à quitter, rien à vendre M, ne pos-
sédant rien, pas même nos corps ni nos âmes, nous ne
savons à quoi renoncer. Nous ne refusons pas de vous
suivre, mais nous sommes des désolés, des centaines
de millions de désolés dans les ténèbres Si nous tâton-
nons à droite, est-ce votre Cœur, ô Jésus est-ce la
Plaie de votre côté ? Si nous tâtonnons à gauche, est-
ce le Diable qui va nous prendre par la main ?. Consi-
dérez, s'il vous plaît, ô Seigneur, qu'il n'y a jamais eu
de Dieu qui ait eu un plus lamentable peuple.Mes chers amis, nous disons cela ou nous ne le
disons pas, mais il est sûr que nos entrailles le crient,
sinon pour nous mêmes, du moins pour nos frères
complètement déshérités.
Le service de Dieu est rude. Leshypocrites
seuls
vous dirontle contraire. Il m'a coûté, à moi, vingt ans
de tortures, l'ignominie parfaite et la mort de deux de
mes enfants tués sous mes yeux par la plus féroce
misère. Cependantje neveux pas me plaindre. La souf-
france est une grâce infiniment précieuse dont tout le
monde n'est pas jugé digne. Tant pis pour moi si jesuis trop lâche pour demander du supplément.
Je suis venu pour vous dire que nous sommes tous
ensemble des misérables extrêmementintéressants,
puisque nous sommes le Peuple de Dieu, n'étant pasdes propriétaires. Mais ce langage ne peut convenir
qu'à des âmes et j'ai naturellement supposé les vôtres.
Vos âmes Ah je songe toujours à ces invisibles four-
naises Interrogez le premier bourgeois venu. 11 vous
dira que le sérieux de la vie c'est de se remplir les
tripes. Ace compte, je n'ai jamais été sérieux et je dé-
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A COCHONS-SUR-MARNE 203
clare que je ne sais pas parler à la viande. Vous venez
d'en faire l'expérience.
13. Existence atroce,amertumeépouvantable.
Quelle disposition pour accueillir la Liturgie de ce
Troisième Dimanche de l'Avent Gaudete; iterumdico G'<KM~6. Le Doyen, dont la sottise devient
galopante, semble poussé à chasser les fidèles de son
église.I) ne permetplus de choisir sa place.Par son
ordre, les chaires sont ficelées ensemble, de façon
qu'il est impossible d'en emporter une et de
s'isoler, fût-ce pour échapper à la puanteur d'un
groupe. Il faudra désormais être parqué à sa fan-
taisie et payer ferme. Il a eu le toupet de parler de ça en chaire. C'est une honte pour l'autorité
ecclésiastique de confier une paroisse impor-
tante à un prêtre si complètement dénué d'intel-
ligence et de bonté.
14. Je lâche Bossuet sur le F° ~e~M~?M~
à cette crapule de Jurieu. Cette controverse où
s'affirme l'impunité terrestre et de droit divin desrois me donne la nausée. A la distance de plusde deux siècles, cette pédagogie venue de l'autre
côté du gouffre de la Révolution, et, lorsque tous
les peuples se tordent, agonisants, sur les seuils de
l'Esprit-Saint, est bien plus qu'étrange.Je suis, d'ailleurs, aussi mal disposé que pos-
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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ204
sible pour bienvenir cette vieillerie. L'idée seule
que, dans quinze jours, il me faudra verser à ma
propriétaire, qui n'en a aucun besoin, une somme
trouvée (?) au prix de quelles humiliations 1 et re-
présentant notre subsistance pendant un mois,cette idée infernale me
prépare peuau
respect pour les puissants salauds de ce monde.
15. On recommence à ne plus pouvoir nour.
rir les enfants. Affranchissement d'une lettre
nécessaire, 30 centimes, une saignée en pleinecarotide, un flot de sang 1
16. Je pense beaucoup à nos petits morts,
à <: la maison. qui chante », le beau et doulou-reux conte de Jeanne, je demande du secours à
ces innocents et je pleure.
17. Si Dieu continue à cacher sa Main, ce
mémorandum deviendra tout de suite le journalde bord du Radeau de la Méduse.
19. Impression très-pénible causée par lachute de l'un des grand arbres du voisinage.Dévastation qui nous afflige et nous dégoûte déjàde notre nouvelle demeure. Hier matin, nous
avions eu le cœur serré en voyant étendus par terre toute une rangée de ces magnifiques peu-
pliers qui nous avaient attirés ici et dont le bruis-
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A COCHONS-SUR-MARNE 205
sement nous donnait l'illusion du voisinage d'une
forêt. Nous en aurions pleuré.Mais aujourd'hui, voyant et entendant tomber
l'un d'eux, j'ai senti une tristesse extrême, une
satiété immense de ce monde. Les sauvages ont
une crainte obscure des forces naturelles, deselementa mundi, comme disaient les anciens, qui
peut les détourner de détruire une belle chose.
Mais le bourgeois, brute supérieure, est incapablede cette crainte. La beauté de la Face de Dieu ne
vaut pas pour lui l'effigie de Louis-Philippe ou de
Napoléon III sur une pièce de cent sous. La mère
des abatteurs de nos pauvres arbres, une bouti-
quière illustre, donnait, il y a quelques jours, lavraie réponse Si ce n'était pas nous, ce serait
d'autres disait-elle avec une grande noblesse
d'expression. Si Judas revendait son Maître,
quinze deniers, autant en profiter. Pourquoilaisser échapper une affaire ?
Ce soir, le terrible facteur a jeté dans notre
boîte une longue lettre d'un crétin grec, d'un idiot
d'Athènesqui
veut bien me faire desréprimandes
historiqueset me donner le conseil de revenirà la rai-
son en lâchant une religion d'imposture. C'est mon
article surAbdul-Hamid qui a déchaîné ce patriote
hellène, ce descendant des guerriers de Marathon.
20. Beau rêve, cette nuit. J'étais dans Paris,
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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ206
j'entrais, je ne sais comment, à la Sainte-Cha-
pelle. Une Sainte-Chapelle de songe qui devenait
aussitôt la Maison de Marie. Non pas la Maison
humble de Nazareth, mais la Maison splendide,la Maison glorieuse. Je ne peux exprimer la sen-
sation de chaleur et de santé surnaturelle que j'éprouvais. C'est le mystère impénétrable des
songes. Impossible également d'expliquer ce fait
que je fus chargé d'alimenter un brasier très-doux
qui chauffait toute la maison. De temps en tempsune grille d'or se levait et je poussais au milieu
des flammes de grandes branches, semblables à
celles de nos pauvres arbres abattus. Ces branches
se pliaient
facilement et volontiers pour entrer dans la fournaise. Je me suis réveillé sua-
vement, préparé à recevoir la joie ou la douleur
qu'il plairait à Dieu de me donner.
21. Un peu de travail et de lecture, mais
avec quel buisson d'épines autour du cœur!
22. Lu ceci que l'Académie Goncourt a dé-cerné un prix de cinq mille francs au meilleur
livre. Ils sont au moins trois dans ce groupe,
Huysmans, Descaves et Mirbeau, qui savent quece prix ne me sera jamais dû et que je meurs de
misère très-justement. Enfin que Dieu les comble
de bénédictions, le Dieu Emmanuel qui va naître
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A COCHONS-SUR-MARNE 207
dans deux jours, et qu'il ait pitié du vieil âne et
du vieux bœuf que je réunis en ma personne!
23. Froid horrible à l'église par la volonté
de notre pasteur qui préfère un lucre ignoble à
son devoir. Il fait des quêtes pour le chauffage et
il ne chauffe jamais. Danger pour les rares fidèles
et mise en fuite des infidèles, sans parler du
scandale. Ces choses-là se retrouvent au lit de
mort.
24. Au café du Commerce. Note rapide.Un individu quelconque vient d'entrer. Presque
aussitôt arrive un autre individu exactement sem- blable au premier. Puis un troisième, puis un
quatrième, puis dix, vingt, cinquante, cinq cents,
on ne sait combien. Le café est rempli, à éclater,
de gens qui sont le même absolument, qui sont
un seul. Et voilà le commencement de la fin des
cafés, le commencement de la fin du monde
Effrayante image venue de Danemark dans un
album de Noël ./M/e Roser. C'est une adorationluthérienne de l'Enfant Jésus par des pharisiens
Scandinaves que le peintre a voulu faire touchants
et bien plus vénérables que les saints catho-
liques. Quelques-uns sont à genoux, mains jointes,
anjects indiciblement. Mais cela n'est rien. Il y a
Marie, une Marie monstrueuse, imaginée par je
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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ208
ne sais quels sales damnés. L'artiste, fort habile, a
dépensé tout son art à représenter une Mère de
Jésus vulgaire, hideuse de vulgarité. La laideur
ignoble de cette figure est calculée pour combler
de joie les cœurs protestants. Sur ses genoux, uu
enfant dont on ne voit pas le visage et qui paraithydrocéphale.
A garder pour le déshonneur du protestan-tisme. J'écris au-dessous Noël luthérien. ADO-
RAT10N DES MAUVAIS BERGERS.
25. Noël. Même aujourd'hui, le doyen ne
chauffe pas. A la grand'messe, j'étais glacé jus-
qu'aux os et il m'a fallu endurer trois quarts
d'heure, le bavardage du vieil avare. Il a dit,il y a quelques jours, à son malheureux sacristain,
père de six enfants, et payé sordidement « Je
n'aime pas les employés besoigneux. »
L'avarice étant une passion qui croît avec
l'âge, c'est effrayant de penser à la fin de ce
prêtre.
26. Un brave homme qui croît m'avoir lu,m'offre ses conseils. Il me montre la bonne voie
qui consiste à être doux et à ressembler aux
autres catholiques dont il est manifeste que Dieu
fait ses délices.
27. Un jeunemonsieur du nom terriblement
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A COCHONS-SUR-MARNE 209
Ir 14
genevois de Morerod et se disant peintre, nous est
présenté comme « admirateur M par un vieil
ami à moitié sauvage. Accueil aussi bon que le
permettent les circonstances. Ne pouvant ni le
régaler, ni le gratifier d'aucune sportule, je lui
parle avec douceur et lui donne deux de meslivres. [Jamais je ne l'ai revu.]
31. Dans le Mercure, longue supplique de
Peladan au Pape « pour la réforme des canons en
matière de divorce ». L'indissolubilité l'embête.
Sophisme commun à tous les hérétiques la Cha-
rité appelée au secours de la passion. Joséphin
était plus amusant quand il était Sar et qu'il pro-menait la princesse Paule dans tous les bordels
de Paris.
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1904La Douleur est une grâce que
nous n'avons pas méritée.
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Janvier
i". J'apprends avec satisfaction l'incendie
du Théâtre Iroquois, à Chicago. Cette consolante
incinération de propriétaires me fait penser, une
fois de plus, à l'incendie de Paris, tant de fois
prédit.
2. Autrefois, il y avait le délire des gran-
deurs, aujourd'hui, c'est le délire de la petitesse.
Pourquoi quitterions-nous Cochons-sur-
Marne ? me dit Jeanne. Ici, au moins, nous sommes
connus, on nous méprise. Ailleurs, il serait peut-être difficile de retrouver ça.
4. Visite à notre propriétaire qui refuse,
en
paiement du terme, une valeur très-bonne offerte
par le Mercure, avance gracieuse sur Mon Journal
qui sera publié au printemps. Elle dit que l'ac-
ceptation d'une valeur l'exposerait à perdre son
privilège de propriétaire, en la mettant sur le
même pied que tel ou tel autre créancier. En
d'autres mots, elle n'aurait plus la ressource de
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ214
faire vendre nos meubles à vil prix, ce qui doit
être pour les créatures de son espèce, une joie
divine, surtout lorsqu'il y a un artiste et des petitsenfants à faire souffrir. Contente et fière de cette
parole qui déshonorerait un hc~nête galérien, elle ¡
consent à m'attendre un mois.Mot plus consolant d'une autre vieille que
Jeanne utilise pour la couture et qui est venue ce
matin, passablement soûle. Je ne sais à quel pro-
pos elle m'a dit « n'avoir rien à se reprocher ».
Comme je la félicitais en l'enviant, à cause du
mauvais état de ma conscience qui ne me donne
pas le droit de me rendre à moi-même ce témoi-
gnage permanent, je me suis attiré cette répliqueforte Monsieur, c'est, sans doute, parce quevous avez de l'instruction!
5. Pas de nouvelles de Dieu.
7. « La communion n'est pas en perma-
nence. » Réponse de notre cher doyen à une
demande qu'on peut deviner. La charité non plusn'est pas en permanence, lui répliquerait-on vo-
lontiers. L'inconscience inouïe d'une telle parole
ranime en moi le vieux désir d'un roman d'ob-
servation qui s'intitulerait Coc~07~-sM?'-MarMC,
chef-lieu de eaM<o~. J'y peindrais le doyen sous
les traits d'un saint opérant quelques miracles et
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accomplissant juste le contraire des actes ridicules
bu révoltants qu'on connaît ici.
8. L'onéreuse nécessité de faire de l'argentavec du papier me force à recourir aux talents
d'un ex-huissier révoqué pour je ne sais quellesturpitudes et qui fait de l'escompte pour sèches
ses larmes. Cet excellent homme se trompe tou-
jours en rendant la monnaie. Avec des clients
comme moi, ça ne rate pas.Parlant de n'importe quoi, il s'agissait de je ne
sais quels actes que nous disions devoir être
accomplis. Soudain Madeleine nous met sous les
yeuxson
petit paroissienouvert à la
pagedes
actes de foi, d'espérance et de charité, en nous
disant Voilà!
10. Au doyen
Vous avez pu remarquer, depuis trois ans, quenous sommes des chrétiens, ma femme et moi, et vous
avez compris que nous allons à l'église dans l'espé-rance d'y trouver la paix. Dès lors, comment pourriez-vous approuver les personnes pieuses qui sans aucune
provocation, sans l'ombre d'un prétexte, nous injurientdans votre église? C'est ce qui vient d'arriver aujour-d'hui, pour la seconde fois.
Ma femme assistant à la grand'messe, avec notre
plus jeune fillette, a été horriblement injuriée par une dame R. que j'ai aperçue une seule fois et que
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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ216
son extrême vulgarité nous faisait prendre pour une bonne. Ma femme était dans l'alignement parfaitet ne pouvait en aucune façon gêner cette bourgeoise
qui avait, d'ailleurs, plusieurs chaises vides devant
elle. 11 faut croire que l'aimable créature était ivre ou
possédée,car elle n'a cessé de se
plaindrescandaleu-
sement et même de s'agiter avec fureur en proférantdes cris et des injures, sans qu'il y eût moyen d'es-
pérer une accalmie au prix de n'importe quelle con-
cession.
Vous savez qu'une femme bien élevée est sans défense
en pareil cas. Une prière très-douce de se souvenir
'qu'on était en présence du Saint Sacrement n'a servi
qu'à exaspérer la mégère. Il est même inouï que vous
ne voussoyez aperçu
de rien.
Telle est donc la situation. Le scandale peut se
renouveler. Supposant que vous êtes le maître dans
votre église, je me persuade que vous voudrez et
que vous pourrez vous opposer à une continuation de
ce désordre.
Ce soir nous avons renoncé à envoyer cette
lettre, sûrs que le doyen nous donnerait tort.
il. II n'y a pas que les huissiers et les
s compteurs. Ayant reçu des religieuses à qui
.tous devons 40 francs une réclamation insolente
et comminatoire, la femme de ménage envoyée
revient avec un reçu de 44 francs, les 4 francs de
surplus pour fournitures absolument illusoires, et
une lettre hypocrite où il est parlé de nos « chères
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enfants ». Ah! qu'on a raison d'expulser ces
chiennes et combien Dieu sait ce qu'il permet 1
Mort du peintre-sculpteur Gérôme. Matière à
copie pour une huitaine. Mort subite. Un des der-
niers actes de cet artiste contestable qui fut traité
par le Monde avec tant de douceur, a été de dire,à propos de moi qui ne lui demandais rien, qu'ilétait décidé, à l'avenir, à ne plus rien donner à
personne.
12. On me reparle de la Mère Mercédès quecertains croient très-avancée dans la vie surnatu-
relle. Il paraît que cette sainte Thérèse de contre-
bande ou de contre-marque se juge appelée, dès leventre de sa mère, à la plus éclatante auréole,
déclarant que la pénitence n'est pas sa voie, qu'illui faut la joie et la gloire de la Résurrection et
que les Souffrances de Jésus-Christ l'intéressent
peu. Ne pourrais-tu donc pas veiller une heure
avec moi? dit le Sauveur en agonie. Je ne dors
pas, mon cher Maître, vous le voyez bien. Je jouisdevant votre Face couverte de sang et les petitesâmes que vous m'avez données à instruire baisent
mes pieds avec un très-grand respect. C'est ainsi
que je vous suis unie. Vous souffrez l'opprobre et
les tortures pour que je sois dans les délices et jen'ai pas mieux à faire que de le vouloir. Pour ce
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qui est des pauvres qui sont vos douloureux
membres, n'est-il pasjuste qu'ils paient pour votre
Élue et qu'a-t-elle à faire des lamentations ou sup-
plications de ces sauvages qui ne connaissent pasvotre splendeur?
13. Je demande à Dieu de me faire grâceau moins des centimes, de ne pas exiger tout de
son pauvre débiteur, de me donner enfin un peude joie, de sécurité.
i4. Rien ne m'est plus nécessaire que le
vin. En conséquence mon marchand refuse, avec
un panacheet des
étoiles,de me
continuer soncrédit. Je ne me lasse pas d'admirer le pouvoir
que tous ces larbins ont de marcher tour à tour
sur deux pieds ou à quatre pattes, selon qu'ilssubodorent la richesse ou la pauvreté.
15. Lettre de mon jésuite, longue et bizarre
mais extrêmement conforme aux traditions de son
Institut. 11s'afflige
de « ne pouvoir plus
me
suivre », à cause de certaines audaces, dans le
Salut par les Juifs, par exemple, et de mon défaut t
d'estinie pour les catholiques modernes que jeconnais mal. Enfin, et c 'est ici que je, crois sur-
prendre la main de ses supérieurs, il insinue quesi je consentais à me transformer au point de con-
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cevoir de l'affection pour ces gens-là, on me déli-
vrerait. Tiens tiens tiens 1
Un certain abbé Purgatoire, élève de l'abbé
Loisy,ne comprend pas qu'il importe à la foi que
Moïse soit cru l'auteur du Pentateuque. Que com-
prend-il alors? C'est pourtant vrai qu'il y a deshommes supérieurs qui arrivent à la fin d'une vie
très-longue sans avoir jamais rien compris.
Réponse à mon jésuite
Je ne demande pas qu'on me suive « jusqu'au bout x ni même pendant une heure. Je me borne à
demander un peu de justice. Vous me parlez des
catholiques « dont je n'ai pas su tirer parti » et à qui
je pourrais encore « faire un bien énorme ». Ce bienvous savez que je l'ai ardemment désiré et que je n'ai
jamais pu l'accomplir. Aujourd'hui, que pourrais-jefaire ? J'ai la tare inexpiable de passer pour un écrivain
de génie. Donc je meurs de misère. Vous m'entendez
bien. C'est au point que si, par miracle, certains ca-
tholiques s'avisaient de moi, enfin, c'est à peine s'ils
n'arriveraient pas trop tard. Le boulanger à qui jedois beaucoup peut, demain, me refuser son pain. Je
sais que, dans vos communautés, chaque religieux est pauvre individuellement, mais il n'a que le souci de
son âme et la charge d'aucune vie humaine ne pèse
sur lui. Dites-moi, croyez-vous qu'il y en ait beaucoupde ceux-là qui puissent, je ne dis pas comprendre,
mais entrevoir seulement l'énorme catastrophe expri-
mée par ces simple mots Le refus du boulanger?.
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16. Dans sa lettre, mon jésuite me disait in-
cidemment qu'Ernest Hello paraissait bien peu de
chose, quand on lisait saint Thomas. Rapproche-ment cuistre et insensé. Autant comparer une
table somptueuse et un grain de blé, en oubliant
que le grain de blé peut devenir le Corps de Jésus-Christ. Et c'est là mon Juge
17. Numéro de l'Assiette au Beurre, illustré
par Géo Dupuis, c'est-à-dire notre Dupuis de Mont-
rouge, mon calviniste converti. Il fait maintenant
de la caricature anticléricale et ce fascicule de l'As-
siette est exactement immonde.
19. Je me reproche de n'avoir jamais dit un
mot de l'ancienne église abbatiale de Saint Furcy.Il y aurait à faire tout un travail d'archéologie et
d'histoire sur cette ruine profanée horriblement.
Transformé en un garno tout à fait infâme, ce bap-
tistère de la Brie ressemble à une maison de passe
pour les vagabonds. Ce lieu où le Sacrifice a été
offert pendant des siècles est une écurie et lesvieilles pierres qui furent les a mies des saints, qui
protégèrent contre le f roid ou la chaleur des géné-
rations de pauvres, sont devenues des parois de
bastringues ou de pissotières. Je passe le plus
rarement que je peux devant cette façade humiliée
et vénérable qui meurt de noblesse dans les or-
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dures, qui est certainement 1 unique belle chose
du pays et que personne, jamais, ne regarde.
20. Lettre d'un groupe de jeunes infirmes,
se disant « Étudiants catholiques de Gand et me
proposant un questionnaire stupide pour la rédac-tion d'un almanach. Je pourrais les renvoyer à
Cambronne.
23. Lettre nouvelle et fort misérable de mon
jésuite. Suite des leçons et des conseils. Je mécon-
nais les bonnes qualités des catholiques et on voit
en gémissant qu'il est trop tard pour me remettre
dans le bon chemin.
Réponse
Il est cruel de proposer des énigmes à un homme qui
meurt, surtout après lui avoir donné une lueur d'es-
poir. S'il est impossible d'obtenir mieux, je demande
au moins le silence. Quel plus humble salaire pour un
ouvrier qui a porté le poids du jour et payé pour
quelques-uns dont vous êtes certainement?
24. A l'envoyeur d'une centaine de francs
Je ne veux pas vous infliger la banalité d'un remer-
ciement. On sait que je vis d'aumônes et je n'en ai pas
honte, ayant devant moi une rangée de quinze volumes
environ qui m'eussent assuré l'aisance et même beau-
coup plus que l'aisance, si je les avais écrits pour
p'mrc aux hommes. Quoique éloigné que vous soyez
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ222
de moi par vos sentiments et vos pensées, je ne crois
pas que vous puissiez mépriser cela.
Lu les premiers feuilletons d'un roman Le
Monde des Vivants, publié parla Quinzaine, œuvre
d'un jeune écrivain, Jacques Debout, dont j'ai eu
l'occasion de parler (voir 6 février 1903). C'est unfranc et généreux vin, mais un peu vert et qui a
besoin de la bouteille. Il y a de très-belles parties.L'auteur pourrait bien écrire, un jour, un chef-
d'œuvre, mais il lui reste à dompter complètement
l'adjectif, à casser les reins à l'adverbe et au par-
ticipe, à se débarrasser tout à fait du chiendent
de l'imagerie pieuse, peut-être aussi de certains
lieux communs, non d'expression, mais de pensée.La marque de l'écrivain, c'est le mot en éclair et
on le rencontre ici fort souvent.
[Le Monde des Vivants vient de paraître en
volume, à la librairie Beauchesne. Février, 1905.]
25. Pour me réchauffer, travaillé à Mon Jour-
nal. Récit de notre captivité en Danemark. Quel
souvenir d'agonie et combien semblable à tousmes autres souvenirs 1
29. Détresse complète. J'étais seul avec Ma-
deleine. Je me suis mis dans l'ombre près du poêle
pour pleurer. Madeleine comprenant que je souf-
frais, est venue se mettre sur mes genoux et mp
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caresser avec tendresse. Que Dieu la bénisse éter-
nellement
30. Toujours préoccupé d'un projet de ro-
man que j'intitulerais avec modestie Cochons-
sur-Marne, une idée gracieuse et fraîche s'offre à
moi. Il y a lieu de présumer vu la durée de
l'occupation prussienne, en 1870 et 1871, et con-
sidérant le sens pratique dont s'honore à si justetitre la classe bourgeoise que la plupart des ci-
toyens actuels de ce chef-lieu du canton ont été
fabriqués avec de la semence allemande. Quel trait
de lumière!
Lu dans les Épilogues de Remy de Gourmont« Saint Paul n'est rien autre chose pour moi qu'unécrivain médiocre et frivole.- La parole de Dieu
n'est tolérable, comme celle de Scribe, qu'en mu-
sique. » Effroyable misère de cette intelligence et
plus effroyable état de cette âme Et dire que cela
est acquis! Quand j'ai connu ce malheureux,en 1893, il aurait eu horreur d'écrire cela. C'est vrai
qu'alors.
31. Ce dimanche de Septuagésime est l'aube
de la Rédemption et commence par un gémisse-ment douloureux. L'Évangile est celui des ouvriers
de la onzième heure. Il semblerait que c'est ce
dimanche lui-mêmequi est signifié par ces ouvriers
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ224
en sorte qu'il doit être payé, honoré autant queles autres dimanches jusqu'à Pâques, étant ainsi,
à la fois, le premier et le dernier, puisque c'est
par lui qu'on commence. Idée plus ou moins claire
dont je tirerai ce que je pourrai, un peu plus
tard.
Février
2. Chandeleur. A un malheureux qui va
mourir sans sacrements
C'est aujourd'hui la Chandeleur, c'est-à-dire la
fête de ce saint vieillard qui avait la promesse de ne pasmourir avant d'avoir vu le Christ et qui, tout en larmes,
reçut enfin, dans ses bras, le petit enfant qui était la
Lumière du monde. Cher ami, si vous vouliez, vous le
recevriez aussi et votre consolation serait infinie. Ayez
pitié de vous-même, ayez pitié de nous, ayez pitié de
Jésua-Christqai est à votre porte et qui vous implore.
3. Étonné d'entendre une messe qui n'est
pas de requiem et qui a cependant l'épître et
l'évangile des défunts, j'interroge des prêtres quine savent rien et ne comprennent pas plus quemoi. Vérification faite, j'apprends que saint Odi-
lon, abbé de Cluny, au mie siècle, dont la fête est
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A COCHONS-SUR-MARNE 225
marquée aujourd'hui, dans l'0r</o de ce diocèse,
a institué la fête de la Commémoration des D~/M~
(2 novembre), ce qui fait de lui un personnage tout
à fait extraordinaire et je m'étonne, une fois de
plus, de l'ignorance ecclésiastique.
Dans mon ignorance laïque, je n'ai pu que
suivre la messe de saint Blaise, en priant cet apo-
tropéen, cet auxiliateur, ce patron de mon choix, de
payer mon boulanger, mon propriétaire et tout le
reste, si Dieu veut.
A Frédéric Masson, académicien fraîchement
élu:
Je ne suis peut-être pas un inconnu pour vous. Il y a
quelque vingt ans que je pratique le métier peu récom-
pensé d'écrivain errant, de batteur d'estrade littéraire
sans compagnon. J'y ai gagné ce que tant d'autres ont
cherché en vain une légende. J'ai ma légende, comme
Napoléon et quelques scélérats. C'est ce qui m'enhar-
dit jusqu'à vous écrire.
Je voudrais finir ma vie par un livre sur Napoléon..l'ai ce grand homme dans le sang au point qu'il m'est
difficile d'entendre parler de lui, sans perdre ou rattra-
per quelque chose de mon équilibre. Or je ne peux me
procurer les ouvrages indispensables, tels que les
vôtres, que par les pratiques de la mendicité, l'indi-
gence étant une suite naturelle de mon choix.
Voulez-vous donc, cher monsieur, me faire envoyezceux de vos livres où il est traité de Napoléon et de sa
famille? Je sais parfaitement ce que je vous demande.
il 15
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ226
Je n'ignore pas que ce genre de requête est particu-lièrement désagréable à un auteur qui ne peut pas tou-
jours donner ses livres avec une extrême facilité. Oui,
monsieur, j'ai l'expérience de cet ennui. Cependant
j'ose vous l'infliger parce que je suis très-pauvre, en
vérité, et aussi parce que j'ai quelque
chose à dire de
Napoléon, même après vous. Sorte de couronnement
d'une existence littéraire qui a été plutôt doulou-
reuse.
[Sans réponse. Ilya legoujatisme académique.]
4. Le pauvre sacristain me dit ses peines.Ce malheureux est opprimé odieusement par le
doyen qui, non content de surmener un père de
cinq enfants, qu'il rémunère honteusement, faitencore des difficultés pour le règlement de ses
misérables gages.Une tristesse épouvantable tombe sur moi. La
vieille Corbillard, notre propriétaire jaune envoie
son domestique avec une lettre. La gueuse exige
qu'on la paie tout de suite, sinon elle donnera
congé. Incapable de me contenir, même en pré-
sence de cet homme, je me suis exprimé siviolemment que j'en ai perdu l'équilibre pour la
journée. Je répondrai demain à votre macaque.
5. A la Corbillard
Votre lettre est une énigme de l'espèce la plus désa-
gréable. Je n'arrive pas à comprendre que, du premier
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À COCHONS-SUR-MARNE 227
coup etsans ~o< connu, vous me traitiez comme un
vagabond et un malfaiteur. Ce procédé est tellement
inouï qu'il ne me parait explicable que par l'effet d'une
calomnie accueillie avec une singulière complaisance.
Lorsque vous refusâtes l'excellente valeur que jevous
offrais, ilfut entendu
quevous m'attendriez en
février. La bonne foi, d'une part et la bienveillance, de
l'autre, étant supposées, comme cela se passe entre
honnêtes gens, je me préparais à vous régler en effet
dans le cours de ce mois qui commence à peine. Com-
ment aurais-je pu prévoir une déclaration de guerre?C'est renversant.
Si vous ne pouvez supporter notre présence dans
votre maison, nous nous en irons d'autant plus volon-
tiersque
lenettoyage
de cette demeure infectée a été
aussi mal fait que possible. Déjà nous sommes envahis
!par des milliers de puces restées, j'imagine, dans les
fentes des parquets. Nous avons même vu des punaises.
Que sera-ce en été? Je pense, madame, que vous ne
devriez pas, en conscience, louer à d'autres personnesvotre maison avant de l'avoir fait renouveler de fond
en comble. Au prix de 700 francs on a droit à un
logement habitable. C'est une question d'ë~M!~ rudi-
mentaire.
Il y en a une autre. Il m'a fallu payer 40 journées de
jardinier à 2 francs pour le défrichement et la mise
en état de culture du potager qui n'était, vous le savez,
qu'un amas d'ordures. Si je ne dois pas profiter de cette
dépense, il serait juste de m'en tenir compte.
Enfin je vous présenterai quelques factures pour
diverses réparations qui, de votre propre aveu, ne
devaient pas être à ma charge.
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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ228
[On verra plus loin la noble réponse de cette
vieillarde à qui j'avais été assez sot pour envoyer les Colonnes, comme j'aurais envoyé une lanterne
magique à une taupe. Celle-là est peut-être une
amie de jeunesse de Coppée.]
Le crédit nous est refusé, ici et là. On dirait
qu'il y a quelqu'un qui nous démolit partout.
6. Déjà nous manquions de vin, de viande
et de charbon. Voici que nous n'avons plus d'eau.
La propriote répond à une femme de ménage,
messagère de nos plaintes, par un mensonge et
une insolence. Nouvelle lettre
Madame, je suis affligé de voir une personne de votreâge manquer de bonne foi. Vous savez parfaitement quela pompe de la cuisine était en mauvais état, puisquevous avez, trois ou quatre fois, envoyé un ouvrier quinous a déclaré qu'elle ne valait rien et que vous cher-
chiez simplement à faire une économie aux dépens de
vos locataires. J'attends toujours une réponse à la lettre
que je vous ai fait porter hier. Je comprends que vous
ayez de la répugnance à garder dans votre maison des
gens intellectuels et bien élevés, mais encore faudrait-ilun peu de droiture et de justice.
Déprimé par les privations et m'efforçant quandmême de travailler, je sentais autour du cœur,cette griffe atroce que je connais et qui donnerait
bientôt la mort, lorsqu'une nouvelle rosserie de
l'équarrisseuse est venue ajouter à ma détresse déjà
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A COCHONS-SUR-MARNE 229
excessive. Cette chienne enragée veut être payéeavant lundi soir, sinon elle fera des frais. Agoni-sant de chagrin, étranglé par l'indignation, jevais chez un personnage déjà rencontré, l'huis-
sier Br. en qui j'avais eu la surprise incroyable
de trouver un lecteur de mes livres et un ami. Ils'intéresse à ma situation, promet de voir l'objetet ne désespère pas d'obtenir un délai.
7. Sexagésime. Après un pesant sommeil
de gens exténués, nous nous traînons à l'église.
Exsurge, quare obdormis, DoM:me? N'est-ce pas
pour nous que parle la Liturgie? Quel souvenir!
C'est,ce même
jour,en
1895, lorsquenous étions
si épouvantablement malheureux, que Véroniquemalade disait à sa mère en baisant le crucifix
Le petit Jésus dort sur sa croix, il faut le réveil-
ler! Ces jours de mort vont-ils revenir? (Voir l'année dernière, 15 février.)
Mon ami l'huissier a tenu parole et réussi. Je
ne serai pas étranglé immédiatement. On m'atten-
dra jusqu'à la fin du mois, mais on veut que je
parte en avril. Quant au dommage qui résulte pour nous du mauvais état de la maison, rien à faire. 11
faut trouver le moyen de fuir ce pays maudit.
8. Impossible de dormir dans cette villa aux
puces. Il est bien clair que nous ne pourrions pas
y vivre cet été. Quelquechose même deplusfuueste
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ230
et de plus dangereux que la vermine pourrait bien avoir été laissé ici par nos prédécesseurs.
Les journaux disent la guerre russo-japonaiseimminente. Danger peut-être pour le monde entier.
Commencement, si Dieu veut, des plus grandes
choses.Un ami, aussi malheureux que nous, est venu
souffrir une heure, dans notre maison. Chaquetrait de son visage, m'a dit Jeanne, songeant à
cette physionomie ravagée, est une promesse de
Béatitude.
9. Journée terrible! Le manque de vin et
d'une alimentation fortifiante, la menace du
manque de charbon, la certitude humaine de ne
pouvoir nourrir nos enfants demain, l'impossibi-lité de continuer à vivre ici et l'impossibilité de
fuir, l'abandon apparent de tout le monde et l'évi-
dente hostilité de tant de gens; enfin et surtout,cette attente infiniment douloureuse d'un libéra-
teur qui ne vient jamais; tout cela ensemble nous
met à deux pas du désespoir. Pendant que nousroidissons nos volontés, notre maison est secouée
par la tempête et le ciel est triste comme la mort
sans Dieu. Pour qui donc spuffrons-nous ainsi?
Et j'ai pu travailler, faire des livres dans ces tor-
tures Cela sera dit au Jugement dernier.
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10. Commencement de la guerre russo-
japonaise. Les lois mystérieuses veulent qu'envertu de la solidarité universelle, il y ait un lien
entre cet événement colossal et notre destinée
humble et douloureuse. Quel est ce lien?
Des journalistes d'antichambre ou d'écurie ont
publié que M* Lebaudy, la milliardaire connue,s'avisant chrétiennement de l'iniquité de ses
richesses, a décidé de restituer, en comblant les
pauvres. Je la connais, cette charité-là! Phari-
saïsme à faire bondir les collines! Quelques braves
ecclésiastiques lui ont écrit pour moi. Je parietout ce qu'on voudra qu'ils ne réussiront pas même
à lui faire tenir une lettre.[J'ai gagné, naturellement. Mais l'eût-elle reçue,
comment voudrait-on que cette femme qui s'oc-
cupe de politique nationaliste, pour plaire à Dieu,
s'occupât de moi? Elle a assez à faire de beurrer
les maquereaux de la Bonne Presse.]
13. C'est effrayant d'être riche. Même quandon veut faire le
bien,comme on le
prétendde cette
Lebaudy, on est forcé de se rendre invisible
comme les démons.
Congé régulier de mon équarrisseuse, avec cette
clause « Si vous restez jusqu'au 15 avril, ce sera
quinze jours que vous voudrez bien me payer en
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ232
plus des trois mois en cours. Oui, ma chatte,
on te le paiera, ton garno 1
14. A un moribond
Vivez-vous encore ? Pouvez-vous me lire, pouvez-vous
m'écrire ou me faire écrire? Avez-vous donné à votre
âme désolée la consolation dont elle avait besoin? Nous
avons souffert pour vous jusqu'à nous sentir en agonie.
Je dis pour vous, parce que, dès la nouvelle de votre
danger, nous avons tout offert, tout donné pour que la
douceur de Jésus-Christ vous fût acquise. Et nous avons
été si profondément, si terriblement malheureux, ces
derniers jours, que nous espérons pour vous! A ce
prix-là, il nous semble que quelque chose de vraiment
précieux a dû être vraiment payé.
Maintenant, mon ami, j'ai une dernière chose à vous
demander. Vous me la donnerez, si Dieu y consent.
Vous savez qu'il n'y a pas, à proprement parler, de
mort. « Vita mutatur, nontollitur », dit la Liturgie.
Quand donc votre vie aura été changée et que vous
serez enfin dans la Lumière, je vous adjure, parle Dieu
vivant et avec sa Permission sainte, de vous manifester
à moi. J'ai un désir immense de savoir ce que veut de
moi mon Créateur et mon Sauveur et si je suis ou non
dans sa voie.Je sais que cela peut se demander humble-
ment et qu'il y a beaucoup d'exemples de pareilles com-
munications.
Après votre départ, vos amis prieront pour vous. Nos
prières seront une suite de notre correspondance ter-
restre. Elles vousprofiteront sans doute et, je l'espère,
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A COCHONS-SUR-MARNE 233
attireront sur moi, en particulier, la grâce exception-nelle que je demande avec larmes. A Dieu
[27 août 1904. Cette nuit j'ai vu en rêve un
vieil homme près de mourir. Comme tout arrive,
dans les rêves, le plus simplement du monde, cevieillard est devenu, pour mourir, un tout petitenfant qui s'est éteint sous nos yeux, en nous
pénétrant de douceur et d'amour divin. J'ai tout
oublié, sinon que cela était une sensation du
Paradis. Quelques heures après, nouvelle de la
mort du vieux bibliothécaire Alexandre Roy, des-
tinataire de la lettre qui précède.]
18. Temps horrible de neige fondue. Je
pense à notre propriétaire qui serait si joyeuse de
mettre nos enfants dans la rue.
19. Un me dit que les Co~o/me.; ont fait ici
des ravages. Une boutiquière riche et vieille
qui a des jugements sur la littérature et pra-
tique, dit-ou, l'imparfait du subjonctif, n'avale
pas mon .R<eM(/ Père J udas, s'indignant, avec plusieurs autres dévotes éclairées, que la commu-
nion fréquente soit permise à un homme si peucharitable. Cette marquise du comptoir éblouit le
pauvre doyen qui voit en elle une Maintenon et
qui la consulte probablement avec le respectsacerdotal qui se doit aux piles d'écus
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ234
L'idée me vient d'une bourgeoise pieuse de roman
ou de conte, laquelle aurait une dévotion exaltée
pour Judas, parce qu'il fut prêtre et même évêque,ne parvenant pas à le distinguer de l'apôtre saint
Jude.
21. Bavardage torrentiel du doyen qui, non
content de lire le mandement de l'évêque dont j'aila chance de ne pas saisir un mot, parle, avant et
après, interminablement. J'ai pu attraper quelquechose au commencement. A propos de je ne sais
quoi, il a tonné et fulminé contre ceux qui, ayantun pouvoir quelconque, en abusent pour opprimer leurs subordonnés. Ce pharisien est effrayant.
Lorsqu'il est enfin descendu de sa chaire, aprèsavoir beaucoup gueulé, j'ai pu admirer, une fois
de plus, la justice de Dieu dans l'abjection de
cette face de prêtre sot, vaniteux et impitoyable,vêtu de la robe canonicale et portant au creux de
l'estomac, très-ostensiblement, la croix qu'il met
avec tant de satisfaction sur le dos des autres. Il
est temps de fuir. C'en est trop.
22. J'ai vu en rêve une multitude de per-sonnes venues de loin tout exprès pour nous se-
courir et qui remplissaient notre maison. C'étaient
des morts.
Parvuli petierunt panem et non erat qui /?'aK-
geret eis.
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A COCHONS-SUR-MARNE 235
23. Pourquoi les prêtres reçoivent-ils tant
de clairvoyance pour refuser et si peu de lumière
pour donner? Autre question. Si un curé gras ou
maigre décide que le sacrement de baptême ne
sera administré que tel jour, faudra-t-il que le
vicaire, par obéissance, refuse la Régénération à
un enfant mourant? JEANNE L'obéissance
devient le tombeau de l'amour, quand l'amour
n'est pas le berceau de l'obéissance.
24. Réclamations sur réclamations. Vie ter-
rible Et cet instinct de férocité des bourgeois quiles fait se précipiter tous ensemble sur un mal-
heureux qui succombe, comme des chiens à lacurée. Travaillé pourtant, il le faut bien. Le piremaiheur c'est d'avoir besoin des hommes on est
aussitôt crucifié à la gauche de Jésus-Christ.
25. Saint Matthias. Je me tords en pleurantaux pieds de l'Apôtre du Saint-Esprit et de la Vie
éternelle. Puisque les autres ne me répondent
pas, vous du moins, répondez-moi 1
26. Par-dessus tout le reste, peine physiqued'un jeûne forcé, mais très-complet, qu'il faut
rendre quadragésimal et méritoire par l'accepta-tion. Nous en sommes tout hébétés. Heureuse-
ment les enfants ne souffrent pas encore. Pourquoi
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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ236
Dieu traite-t-il avec tant de rigueur les pauvres
qui l'aiment?
28. Dans ma détresse, je m'étais adresse aux
Reille, racaille parlementaire peu douée, mais
catholiques suprêmes qui ont des esclaves sous
terre, comme les catholiques belges. Je me croyaissûr d'obtenir au moins un coup de main, étant
recommandé par deux ou trois morts et me sup-
posant appuyé par J'avocat Joseph Menard, fami-
lier de la maison qui fut autrefois mon ami. C'est
un prêtre qui a fait la démarche. Impossible de
voir ces drôles. Joseph Menard, seul visible dans
l'antichambre, a congédié, avec l'insolence d'undomestique, le messager dont il aurait dû res-
pecter au moins le caractère.
Cet avocat Joseph Menard, ambitieux sans
génie, également promis aux suffrages et aux
coups de pied dans le cul, possède un vieux
tableau qui m'appartient. Je l'avais, un jourd'anarchie, confié à un de ses frères. Celui-là, le
plus intéressant et le moins vertueux, étant mortquelque temps après, Joseph trouva plus expé-dient de s'adjuger l'objet que de me le rendre,
estimant, d'ailleurs, très-providentielle cette occa-
sion de. récupérer une demi-douzaine de pièces decent sous. Car c'est ainsi que je suis le Mendiant
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A COCHONS-SUR-MARNE 237
Ingrat. Il n'y a rien de plus coûteux qxo cette
sinécure.
J'ai pensé souvent, surtout quand je voyais mes
petits enfants à l'agonie, à ce pauvre tableau sub-
tilisé par :<M ennemi des JUIFS, lequel tableau a
peut-être une grande valeur et serait pour moiune telle ressource! J'ajoute que cet antisémite
profita de l'occasion pour s'annexer quelques
papiers du Léon Bloy que je suis, confiés au même
défunt et vainement réclamés depuis vingt ans.
L'avocat Joseph Menard, refuge, abri, toiture et
garnison de la veuve et de l'orphelin, est un des
derniers confidents de la divine miséricorde. Je le
récompenserai, celui-là, il peut y compter!Mais quelle folie d'avoir, une seule minute,
espéré quoi que ce fût de ces maudits qui repré-sentent le monde catholique le plus bas, le monde
catholique des Pères de l'Assomption, lesquels ont
une règle leur défendant de faire /'aM?Mdne (Voir le Mendiant Ingrat, p. 395.)
Mars
i" On s'est arrêté de souffrir hier. Selon
l'expression de Jeanne, il semble que, depuis
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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ238
trois jours, depuis la visite d'un pauvre char-
bonnier venu pour nous réclamer, lui aussi, de
l'argent, et qui n'en obtenant pas, nous laissa tout
de même deux sacs de charbon, on ait cru
sentir un gond qui tournait enfin, le gond de la
bonne porte qui n'avait pas voulu s'ouvrir jusque-là. Dieu fera ce qu'il voudra, nous.n'avons pas
peur de lui ni des hommes.
2. Une vieille milliardaire qui ne veut rien
faire, alléguant ses charges, conseille la Société
des gens de lettres! le b ureau de bienfaisance!! l
enfin. M. Loubet! 1
3. Il est une joie que je n'ai jamais connue,celle de n'avoir pas de chiens à mes trousses, de
ne plus sentir derrière moi des gueules hurlantes
et dévorantes et de m'arrêter enfin en sécurité,ne fût-ce qu'une heure, pour boire à la fontaine de
Dieu.
Ayant pu réglermon équarrisseuse, l'un des clercs
de mon ami l'huissier chargé de cette opération
dégoûtante, m'apporte la quittance et un mes-
sage. La sangsue prétend que je lui suis rede-
vable des portes et fenêtres. Je réponds à ce clerc
qu'il aurait dû lui demander si je n'avais pasaussi le devoir de coucher avec elle.
4. Une autre propriote, moins hermétique-
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A COCHONS-SUR-MARNE 239
ment bouchée à la vie intellectuelle, puisqu'elle
prend des leçons de littérature de Gaston Des-
champs, M~ Frusquin, née Visible, déjà honorée
de mon suffrage, est scandalisée d'un sermon où il
a été parlé respectueusement des pauvres. Quel-
qu'un dont la patience est courte objectant que larichesse est condamnée dans l'Évangile Alors,
dit-elle, l'Évangile est exagéré.Dans l'Autorité, réplique de Marc Sangnier à
Paul de Cassagnac lui disant « Vos intentions
sont bonnes, votre œuvre est mauvaise, puisquevous êtes républicain. » Malgré la réplique, j'ail'ennui de penser comme Cassagnac. Je ne crois
pas qu'il y ait une œuvre plus vaine que le S'OM.Seulement Sangnier, malgré des idées fausses,
va, tout de même, vers les pauvres. Je suis donc
avec lui et je veux le lui faire savoir..
Envoi de la Femme pauvre « Marc Sangnier,
qu'avez-vous à faire de ce vieux cadavre de Cassa-
gnac, lorsque vient à vous le vivant qui signe ces
pages? »
Lejour
oùSangnier
lâchera les pauvres, je
retournerai au vieux cadavre.
7. On me raconte qu'un doyen d'un diocèse
de Mandchourie avait donné, le jour de l'an,
5 francs au sacristain et 5 francs au suisse. Lar-
gesse étonnante. Mais les pauvres diables ne tar-
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ240
dèrent pas à découvru' que les deux pièces étaient
fausses. Plainte au doyen de Mandchourie dont
voici la réponse évangélique « On me les a fait
passer, il faut bien que je les fasse passer à mon
tour. »
8. Entendu au café du Commerce Ave/.
vous lu Quo vadis? Oui, mais je ne peux pasen lire beaucoup à la fois, c'est trop a~o?'6<
trop profond. Ça demande une attention trop sou-
tenue.
11. Retour d'une femme de ménage expulsée. Nous voulons espérer
que
cette soularde attirera
un peu de miséricorde sur notre demeure. Noua
l'avions remplacée par la vertu même qu'il a
fallu lancer dehors, avant-hier.
Copié pour l'imprimeur l'importante lettre au
mathématicien qu'on peut lire dans ~on J ournal,
p. 260. C'est un de mes meilleurs endroits. Le
destinataire qui a disparu si soudainement de ma
vie, en 1899, et qui est devenu pour moi un fan-
tôme, n'aura été que l'occasion de parlera d'autres.
13. Un beau et doux soleil de L~arc et, pour nous l'attente continuelle, l'attente de Dieu, l'at-
tente des Saints, l'attente d'un secours, d'un gîte
aimable, d'un commencement de délivrance.
Nous apprenons que le vieux jardinier men-
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A COCHONS-SUR-MARNE 241
diant que nous avons fait travailler par charité et
qui nous a coûté environ 80 francs, dit beaucoupde mal de nous et que le curé, heureux de ces
calomnies, les propage. Ce mendiant n'est-il passon frère, et ne sont-ils pas, l'un et l'autre, les
semblables de la Corbillard et de toute la racailled'ici? 2
15. Paris. Mon premier voyage en métro.
Travail gigantesque, j'y consens, et même non
dénué d'une certaine beauté souterraine; mais
bruit infernal, danger certain, mort probableet quelle mort! toutes les fois qu'on descend
dans ces catacombes. Impression de la fin dessources, de la fin des bois frissonnants, des aubes
et des crépuscules dans les prairies du Paradis.
Impression de la fin de l'âme humaine! 1
16. On m'apprend que le peintre Georges
Rouault, élève de Gustave Moreau, s'est passionné
pour moi. Ayant trouvé chez son maître la Femme
pauvre, jadis envoyée, avec ces mots « A Gus-tave Moreau, pour le venger de M. Folantin »,
ce livre l'a mordu au cœur, blessé incurablement.
Je tremble de penser à la punition de ce malheu-
reux.
Un jeune homme qui fut notre hôte, l'été der-
nier, pendant denx mois, répond à mon envoi des
II 16
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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ242
Co~~M. Le pâ.uvre garçon est uniquement pleinde lui-même et ne s'en aperçoit pas. S'en aper-cevra-t"il jamais? Il demande pardon d'abord, ou
plutôt il écrit les formules qui lui semblent
bonnes pour exprimer cela et, aussitôt, il se met à
faire de l'esprit.
17. Autre histoire du doyen de Mandchourie.
En janvier, trois infortunés croque-morts sont
venus lui demander leurs étrennes. Réponse« J'ai décidé qu'à l'avenir je ne donnerai plusd'étrennes qu'au mois de juillet. »
20. « Cesgens-là
doivent partout
» Telest,sur nous, le chant du scalp des honnêtes gens de
ce pays.
23. Recherche énormément pénible d'un lo-
gement à Paris où nous voulons vivre désormais.
Trouvé enfin un appartement environné d'arbres
qui nous contenterait, sans une concierge extraor-
dinaire qui roucoule en poitrinant, avec une di-
gnité de vieille pintade qui se croit encore de la
devanture.
Retour triste. J'ai froid et je vois noir. Je penseà Jésus-Christ forcé de payer son terme. Le Verbe
de Dieu aurait un propriétaire!
24. Georges Rouault a embarqué, non pour
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A COCHONS-SUR-MARNE 243
Cythère, mais pour mon île déserte et sombre, son
ami et camarade, Georges Desvallières, autre
élève de Gustave Moreau, et les voilà tous deux
cherchant des subsides, levant des deniers pour mon élargissement. Je dois ces deux cœurs à
Auguste Marguillier, l'aimable secrétaire de la Ga-
zette des Beaux-Arts, lequel me fut toujourssi favorable malgré les inconvénients de mon
~y~a~/M~. Je lui dis combien il est glorieux
pour moi que ces braves gens se dérangent ainsi
pour venir m'aider à casser des pierres sur les
routes départementales et les chemins vicinaux,
dans ma vieillesse.
27. Dimanche des Rameaux. Impression à
la messe, ce matin. Un petit enfant criait. Alors
j'ai eu comme la vision d'un lac de tristesse et
de ténèbres au-dessus duquel flottait un silence
énorme. Et ce silence était rompu tout à coup par le cri solitaire de ce petit enfant, le seul être qui
pût se faire entendre parmi les désespérés éter-
nels gisant en ce lieu. Car c'était une vision très- particulière de l'enfer.
Discours du doyen. Papillons attrapés au vol
Je suis très-content d'être curé. Je trouve la
vie très-bonne. Le ciment de la prière vaut
mieux que le ciment de Portland. Etc.
28. Plein de bonne volonté, je voulais
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QUATRE ANS DE C AP TIVITÉ244
écouter attentivement une instruction. Le prédi-
cateur qui n'est pourtant pas le doyen, se met à
parler de « l'affaire du salut », expression sacris-
tine et boutiquière à laquelle il paraît tenir. Je
m'endors. S'il parlait de la SAINTETÉ, je serais
réveillé comme un cheval par la trompette.
29. Dernière lettre à mon jésuite
Mon cher Paul, je ne songeais guère à vous écrire,
me bornant à penser à vous tristement, depuis le jouroù vous m'avez déclaré votre volonté de vous « sépa-rer a de moi. Voulez-vous me permettre de vous
avouer, sans amertume ni récrimination, que ~'e n'ai
pas compris, habitué que je suis à consulter, en touteschoses, votre infaillible patron et fermement déterminé
à ne pas être plus sage que lui. Or votre lettre impli-
quait une telle rature, une si totale confiscation ou
abolition du chapitre xii de la première aux Corin-
thiens (divisiones gratiarum, divisiones MMMM<)'a<tCMM<M,divisiones operationum ad utilitatem), que j'ai senti
que vous étiez tout à fait perdu pour moi. Vous croyez
maintenant, au mépris de saintPaul, que tous les chré-
tiens doivent être jetés dans le même moule. Je ne mesuis donc pas trompé sur les Jésuites, hélas Et nous
ne pouvons plus nous comprendre. Adieu donc, mon
cher Paul. Si je meurs avant vous, comme il est pro-
bable, souvenez-vous quelquefois du pauvre écrivain qun'était pas jésuite, mais qui vous a tout de même
donné à Jésus-Christ.
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A COCHONS-SUR-MARNE 245
Avril
l". Deux choses contradictoires en appa-rence et pourtant certaines, observées chez la
Corbillard. Cette harpie est vexée de perdre des
locataires et, d'autre part, elle aurait tant voulu
nous faire souffrir! La méchanceté et l'avarice se
mordent en hurlant au fond de ses vieilles tripes.On ne
peut pasêtre
plus propriétaire.
2. Je pense qu'il y a des injustices dont
Dieu a besoin pour équilibrer je ne sais quoi,comme les négociants jettent des poids dans le
plateau de la marchandise pour en vérifier la
pesanteur.
3. Réponse de mon jésuite qui ne se résigne
pas à me perdre, mais qui aggrave tout en me
disant, à peu près, que je suis un hérétique,
exactement, que « certaines de mes assertions
sont destructrices du dogme C'est la page 129 du
.Sa/M~pa~ les Juifs qu'il n'avale pas. '< Est-ce une
assimilation métaphorique ou une affirmation
absolue?» Tel son cercle de Popilius. Comment
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ246
lui expliquer que ce n'est ni l'une ni l'autre?
Comment faire entrer dans un cerveau plein de
formules que la difficulté cesse et que le cercle
est rompu, aussitôt qu'on rapproche de cette redou-
table page 129 la prière liturgique du Samedi
Saint Z.MC:/e! m~Mam, qui nescit occasM~ï? Lestrès-rares chrétiens qui font encore usage de leur
raison peuvent remarquer qu'il ne s'agit pas, ici
ou là, de métaphore, non plus que d'affirmation
rigoureuse dans le sens de la doctrine révélée,mais simplement de constater le mystère, la PRÉ-
SENCE e~M mystère, au scandale des imbécites ou
des théotogiens pédants qui prétendent que tout
est éclairci.
4. Lundi de Pâques. Lorsque viennent les
gloires de Pâques, l'âme est saisie d'une tristesse
particulière qui peut se traduire ainsi « Je suis
avec Jésus dans sa Résurrection, n'ayant pas été
avec lui dans sa Mort. Je n 'ai pas souffert avec lui,
mon carême a été une dérision. C'est donc sans
aucun droit que je me réjouis avec les Saints et ceserait à mourir de honte sans l'incompréhensiblePitié divine. »
6. Je connais un prêtre vraiment pieux que
j'aime et qui m'embarrasse jusqu'au malaise. Il
y a en lui un besoin de contradiction, surtout en
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A COCHONS-SUR-MARNE 247
matière d'exégèse et même de liturgie, qui me
paralyse. Il me parlait aujourd'hui du Pape, ratu-
rant des noms de saints reconnus ou supposés
apocryphes ou inexistants, quoique vénérés par toute
l'Église, depuisles siècles. L'idée
quele
Canon de la Messe pourrait être remanié ne le
trouble pas. Moi, j'y découvre un principe de
désespoir.
8. C'est Mon J ournal, enfin achevé, qui va
payer mon déménagement. Travail énorme enlevé
en peu de semaines, malgré tout, et dont je viens
d'écrire les dernières
lignes.
Dieu voudra-t-il enfin
que je vive de mon travail comme les autres
ouvriers? grâce que je demande avec larmes,
depuis si longtemps! 1
i2. Déménagement, évasion, délivrance.
Aucun autre incident que la présentation par le
domestique de l'odieuse Corbillard d'une note
j<e 32 fr. 20 pour portes et fenêtres et loyer du 1"'
.u 12 avril! Cette somme, dans les circonstances,
ast juste autant qu'une pinte de mon sang. Bien
entendu, il ne me sera jamais tenu compte de la
somme plus forte que m'a coûté le jardin reçu à
t état de dépotoir et transformé, non plus que de
certaines réparations à la charge de la proprié-aire dont le remboursement est totalement oublié
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QUATRE ANS DE CAPTIV:TÉ248
par cette honnête femme. Talonné par la vermine
que le renouveau fait éclore en cette maison, je
paie ce que je ne dois pas pour fuir plus vite,
mais je tiens à conserver cette note, monument
d'ignominie e< d'iniquité bourgeotAoo.
La mi~a.ble, dont la mort est vraisemblable-ment peu éloignée, s'en ira ainsi vers Dieu, le
pain de mes pauvres enfants dans sa vieille
gueule 1
Montmartre, février 1905.
FIN
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iMS NOMS cmÉS DANS CET OUVRÂûb
A
Abdul-Hamid.Paul Adam.
Marie d'Agréda.Saint Alphonse de Liguori.Général André.
Père de Angelis.Maréchal Augereau.Saint Augustin.
B
M"° B., milliardaire calviniste
Honoré de Balzac.
Jules Barbey d'Aurevilly.Saint Barnabé.
Maurice Barres.
Saint Barthélémy.Basile Il, tueur de BulgaresCharles Baudelaire.
Cardinal de Bausset.
lernadotte.
Saint Bernard.
Liste alphabétique
Bismarck.
Boniface VIII.Jean de Bonnefon.
Bossuet.Maurice Bouchor.
M"" Boucicaut.
Général Boulanger.Paul Bourget, eunuque.Abbé Branchereau, autorité.
Braun, directeur de la Nou-velle Revue d'Egypte.
Ferdinand Brunetière.
C
Cambronne.
Paul de Cassagnac.Edouard Champion.Abbé Charbonnel.Saint Christophe.
Christophe Colomb.
Emile Combes.
Benjamin Constant.
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ250
François Coppée.M'"° Corbillard, propriétaire à
Cochons-sur-Marne.
D
Danval,pharmacien réhabilité.
Rodolphe Darzens.Jacques Debout.
Général Delarey.Demolins.
Lucien Descaves.
Gaston Deschamps.
Georges Desvallières.
Dieuleveut.
Doumic.
Le Doyen, Curé de Cochons-
sur-Marne.
Dreyfus.Edouard Drumont.
Dubut de Laforest.
Général Dupont.M. Dupont, le saint homme
de Tours.
E
Anne-Catherine Emmerich.
Général d'Erlon.
F
Père Faber.
Jules Favre.
Fénéion.
Paul Ferniot.
Saint Fiacre.
J osef Florian.
Henry Fouquier.
Saint François de Sales.
Anatole France.
Otto Friedrichs, historien de
Louis XVII.
M"" Frusquin, née Visible,
propriétaire à Cochons-sur-
Marne.
&
Abbé Galette.
M""= du Gast.
Pierre Gay.Abbé Gayraud.
Géo, dessinateur.
Eugène Gilbert.
De Goncourt.
Eugène Grasset.
Eugène Grêlé.
Grillot de Givry.
Remy de Gourmont.
Maréchal Grouchy.
Henry de Groux.
Maurice de Guérin.
Eugénie de Guérin.
Guillaume le,.
H
Gabriel Hanotaux.
Edmond Haraucourt.
Ernest Hello.
Henry Houssaye.M. Hue, missionnaire, auteur
du Voyage en TariarM.
Victor Hugo.
J.-K. Huysmans.
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A COCHONS-SUR-MARNE 251
I
Saint Ignace.Isabelle la Catholique.
Mère Isidore, supérieure de
Saint-Josepb de Cluny, à
Cochons-sur-Marne.
J
Religieuses de Saint-Joseph. J eanne d'Arc.
Félix Jenewein.
Saint Jérome.
Johannès Jœrgensen.Révérend Père J udas (Didon).
K
Marie Krysinska.
L
M"' Lebandy.
Lebeau, historien du Bas-
Empire.Le Bison, propriétaire à Ceux-
d'En-Haut.
J ulien Leclercq.
Eugène Ledrain.Jules Lemaitre.
Saint Léon-Ie-Grand.
Léon XIII.
Abbé Loisy. J an Lorentowicz.
Loubet.
Louis XVII NaundorfT.
Louis XVIII.
M
Joseph de Maistre.
Frères Margueritte.
Auguste Marguillier.Maréchal Marmont.
Mère Marie, religieuse de Saint-
Joseph.Saint Martin pape et mar-
tyr.René Martineau.
André Martineau.
Maréchal Masséna.
Louis Ménard, poète.
Joseph Menard, avocat.
Menier (du chocolat)..
.Mère Mercédès, religieuse dés-
affectée.
Michaud, historien des Croi-
sades.
Albin Michel, éditeur.
Michelet.
Père Millériot, jésuite.Octave Mirbeau.
Montaigne.Comte Robert de Mon tesquidu.Gustave Moreau.
Charles Morice.
Comte de Mun.
N
Napoléon. Naundorff Louis XVII.
Raoul Narsy.Saint Philippe de Néri.
Maréchal Ney.Le Tsar Nicolas H.
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QUATRE ANS DE CAPTIVITÉ252
Nobel.
Norvins, historien de Napo-
léon.
D'N., médecin à Cochons.
0
Georges Ohnet.Ollendorff, éditeur médiocre.
Maréchal Oudinot.
Prince Alexandre Ourousof.
P
Saint Paul.
Péladan.
Camille Pelletan.
Charles-Louis Phi~ppe.
Edmond Picard.
S. S. Pie X.
Edgard Poe.
Un poète belge et sa com-
pagne.Raout Ponchon.
Nicolas Poussin.
Abbé Purgatoire.
QQuellien, dit le Barde.
Pierre Quillard.
R
Rachilde.
Raffet.
ardinal Rampolla.
Gabriel Randon (Jehan Ric-
tus).
!i."vachnL
Saint ltaymond Nonnxt.
Paul Redonnel.
Georges Rémond.
Ernest Renan.
Ms'' Renou, archevêqueTours.
J ean Richepin.Henri Rochefort.
Maurice Rollinat.
RoselLy de Lorgues.
Rosny.Edmond Rostand.
Rothschild.
Georges Rouauit.
J.-J. Rousseau.
Atexandre Roy, bibliothécaire.
Royer-Collard.
S
oitcamer, quincailler-mar-chand de charbons à Co-
chons-sur-Marne.
Prince de Sagan.Marc Sangnier.
Ary Scheffer.
GustaveSehiumberger,
autf~. t,
de l'Epopée Byzantine.Père Schmœger.Schwarz.
Scribe.
Séverine.
Maréchal Soult.
Jules Soury.
Sully-Prudhomme.
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A COCHONS-SUR-MARNE 253
T
Laurent Taithade, cyclope.Léo Taxil, colonne brisée.
Thiers.
Abbé Toudou, curé de Ceux-
d'En-Haut, successeur de
l'abbé Vignoble.Marius Tournadre.
Trouduc, milliardaire.
Trouillot.
M"" Tuparle, propriétaire à
Ceux-d'En-Bas veuve de
Tuparle, bienfaiteur.
TT
Octave Uzanne.
Alfred Vallette.
Vercingétorix.
Verdaguer.Jules Verne.Sainte Véronique.
Abbé Vignoble, curé de Ceuxd'En-Haut.
Victoria, salope.Alfred de Vigny.Villemessant.Villiers de l'I~te-Adam.
Wellington.Wel ls.
Z
Emile Zola
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TABLE DES MATIÈRES
1902 5
Heureuse mort de Zola 15
Léon Bloy jugé par sa femme 27
« Sanctum canibus D 33
<:Anteporcos~ 50
Comment Dieu traite ses amis 65
1903 67
Mystère de Noël. 79
Aristocratie des Maquereaux 109
Jésus-Christ aux Colonies 118
Lettre à un condamné à mort 126
La Revanche de l'Infâme 134
La Matinée du Vendredi Saint 143
Trente ans d'assassinats 178
Les Dernières Colonnes de l'Eglise 193
Le Peuple de Dieu au xx. siècle 199
1904 211
Evasion 247
Liste alphabétique des noms cités 249
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POITIERS IMP. MARC TEXIBB
9-10-35
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En~of franco ~u ca~togue J~t~e 5ur JemanJe
'MOGROU-RADENEZ,)!,RtJEOP~.E\'nH.&.)'3
Albert Samain
Le Chariot d'Or M »
Contes 12
Des Lettres MAux Flancs du Vase. 12 »
Au J ardin de l'Infante. 12 »Œuvres choisies 15 »
Polyphème 3 »
César Santelli
Georges Duhamel 7,50
Cécile SauvageŒupres: Tandis que la
Terre tourne. L'Ame en bourgeon. Mélancolie~ Fu-mées. Le Vallon. Prime-vères. Fragments. Penséeset extraits de lettres. 25
George Soutié de Morant
Précis de la vraie acupunc-ture chinoise. 15 »
Anthologie de l 'amour chi-nois 15
Essai sur la littérature chi-noise 12 »
Oswald Spengler
Années décisives 15 »
Laurent TailhadePoèmes aristophanesques 12Poèmes élëgiaques 12 s
Marc Twain
Le Capitaine Tempête H 5 »Contes choisis 15 5 »
Exploits de Tom Sawyer.. t~ »»Le Legs de 30.000 dollars 15Un Pari de Milliardaires 12Les Peterkins 15 »Plus fort que Sherlock. 12 »Le Prétendant américain 15
G. Vanwelkenhuyzen
Huysmans et la Belgique 12 »
Emile VerhaerenLes Ailes rouges de la
Guerre 12 »A la Vie qui s'éloigne 12 eLes Blés mouvants 12 »Choix de Poèmes 12 oLes Déb&cles (manuscrit en
facsimilé). 230 »Deux Drames. 12Les Flammes Hautes 12 »Les. Forces tumultueuses 12 xHélène de Sparte. Les Aubes 12 »Les Heures du Soir précé-
dées des Heures claires etdes Heures d'Après-Midi 12 »
Impressions, I, II, III, 3 v. a 13 »
La Multiple splendeur 12 »Poèmes 12 »
Poèmes, nouvelle série 12.Poèmes, troisième série 12Les Rythmes souverains 12 »foute la Finnrh'c, 3 vol, à 12 »Les Villes tentaculaires, pré-
cédées des Campagneshallucinées 12 »
Les Visages de la Vie. 12 »
Paut Vertaine
Rimbaud, raconté par PaulVerlaine. 12* s
Villiers de l'Isle-Adam
Œufres complètes en 11 oo![tmet.'I. L'Eve future. 25
II. ContCS cruels 25III. Tribulat Bonhomet,
suivi de Nouveaux Contescruels 25
IV. Axël 25V. L'Amour suprême.
AMdyssériiM
VI. Histoires insolites 25 tVII. La Révolte. L'Evasion.
Le Nouveau Monde 25VIII. Morgane. Bien 25
IX. Isis.t. MX. Premières poésies 25
XI. Propos s d'Au-delà.Chez les Passants. Pages
posthumes. M
H.-G. Wells
L'Amour et M. Lewisham 15 tAnne Véronique 12
Anticipations 12 tLa Burlesque Equipée du
Cycliste. 12 >
La Découverte de l 'Avenir et l e Grand Etat 12 s
Douze Histoires et un Rêve 12Effrois et Fantasmagorirs 12La Guerre dans les airs,
2 vol. à 12 fr. 24 »La Guerre des Mondes. 15
L'Histoire de M. Polly 15 t
Une Histoire des Temps àvenir 15
L'Ile du Docteur Moreau 12 »La Machine à explorer le
Temps. 15 s
La Merveilleuse Visite 15
MissWaters. 12
Le Pays des Aveugles 12 »
Le~ Pirates de la mer 12 »Pitce aux Géants. 15 »
Le < Premiers Hommes dansta Lune. 15
Quand le Dormeur s'éveil-lera 15 »
Au Temps de la Comète 12 »
Une Utopie moderne. 12 »
Edward West'ermarck
Histoire du Mariage 1~ 24 »Histoire du Mariage II. 24 »
Walt Whitman
Feuilles d'herbe, 2 vol. 30 »
Pages de J ournal 15
Oscar Wilde
Ballade de la Geôle de Rea-
ding 12 »De Profundis 15 s
Willy et Colette \Yi!)y
Claudine en, ménage 15 »
XXX
L'Eglise catholique en France 12 >
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t. Poésies 25 s
H. Po<~tM. 25 s
III. Moralités légendaires.. M »
IV. Lettres 1(1881-1882).. 25 s
V. Lettres: II (1883-1887) 25
VI. En Allemagne: Berlin,
laCouretiaVille.25 s
Paul Léautaud'
Passe-Temps15
Lc'tis Le Cardonnel
C armina S acra 12 s
De l'une à l'autre Aurore 12 s
Poèmes. 12 s
Charles van LerbergheLa Chanson d'Eve 12 s
Prince de LignePlus belles pages. 15 &
Maurice Maeterlinck Le Trésor des Humbles 15 »
Dr René Martial
La Race française 24 s
Henry Massoui
La leçon de Mussolini. 15 »
Albert Mockel
Verhaeren,poète de l'énergie 12 ».
J ean Moréas
Choix de Poèmes M s
Contes de la Vieille France 12 a
Esquisses et Souvenirs 12 r
Iphigénie 12 s
Poèmes et Sylves 12 »
Premières Poésies 12 s
Réilexions sur quelquesPoètes. 12 s
Les Stances 12 »
Variations sur la Vie et les
Livres M s
Frédéric Nietzsche
Ainsi parlait Zarathoustra 18 s
Aurore. 15 sConsidérations inactueltes, 1 12 »
Considérations inactuelles, II 12 !<Le Crépuscule des Idoles 12 »Ecee Homo, suivi de Poésies 12 s
Le Gai Savoir. 12 s
La Généalogie de la Morale 12 »
Humain 'trop Humain (lre
partie), 2 vol. à 12 fr. 24 s
Œuvres posthumes, in-8. 24 »
Paees choisies. 12 s
L'Origine de ta Tragédie 12 »
Par delà le Bien et le Mal M »
La~ Volonté de Puissance, 2
vol. à 12 fr. 24 s
Le Voyageur et son Ombre
(Humain, trop Humain, II'
partie), 2 vol. à 12 fr. 24 s
Antoine Orliac7.0 Cathédrale Symboliste:
I. Délivrance du Rêve. 15 »
Louis PergaudDe Goupil à Margot. 12 »
La Guerre des Boutons 15 »
La Revanche dn Corbeau 12 »
LeRomnndeMiraut. M »
Les Rustiques. M »
La Vie des Bêtes. 15 »
Rachilde
.L'Animale M »
Contes et Nouvelles 15
Dans le Puits 12 t.
Le Dessous 15 a
L'Heure Sexuelle. 15Les Hors Nature. ML'Imitation de la Mort. 15La J ongleuse. 15 aLeMeneurdeLouves. 15 a
Portraits d'Hommes 12 a
La Sanglante Ironie. 15 aSon Printemps M aThéâtre. 15 tLa Tour d'Amour 12 x
Henri deRégnierL'AItana,2vol.&15fr. 30 a
Les Amants singuliers. 12 s
L'Amphisbène 12 aLes Bonheurs perdus 12 aLe Bon Plaisir. M aLa Canne de J aspe M aLa Cité des Eaux. 12 aCouleur du Temps. 12 aDe Mon Temps. 12 sLa Double Maîtresse, 2 vol. 24
L'Escapade M a
Esquisses Vénitiennes 9 s
Figures et Caractères 12 aLa Flambée. 15 aFlamma tenax 12Histoires
incertaines 12 aL'Illusion héroïque de TitoBassi. M a
Les Jeux Rustiques et Di-
vins. M a
Lettres diverses et curieuses 12 &Lui ou les Femmes et
l'Amour 12aLe Mariage de Minuit. M f
Les Médailles d'Argile. 12 a1914-1916. 5 aLe Miroir des Heures 12 aNos Rencontres 12 aLe Passé vivant. 15 aLa Pécheresse 15 aLa Peur de l'amour 15 aLe Plateau de
laque15 a
Poèmes, 1887-1892. 15 sPortraits et Souvenirs 12 aPremiers Poèmes 12 aProses datées 15 aLes Rencontres de M. de
Bréot 15 aRomaine Mirmault 15 aLa Sandale aHée 12 sLes Scrupules de Sganarelle 12 a
Sujets et Paysages 15 aLes Vacances d'un Jeune
Homme sage 15 s
Vestigia Fiammaa 15 a
Le Voyage d'amour. 12 a
.A-rthur Rimbaud
Les Illuminations 6Œuvres complètes 25 a
Poésies 10 <Une Saison on Enfer 5 s
Vers de Collège 10 s
J .-H. Rosny ainé
Les Compagnons de l 'Uni-vers 15 a
LcsXipéhuz 6 M
André Rouvayrc
Singulier. 15 0
7/14/2019 Léon Bloy - Quatre ans de captivité à Cochons-Sur-Marne.pdf
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Les Chevaux de Diomède 12- a
Un C~eur virginal IX a
Couleurs 12 1>
La Culture des Idées. 15 a
Dialogues des Amateurs sur
les choses du temps 15
Divertissements. 12
Epilogues, 4 vol. & 15 a
Esthétique de la Languefrançaise 15
Histoires magiques 15 a
Le Latin mystique, in-8. 24 1>
Lettres à l'Amazone 15 a
Lettres intimes à l'Ama-
zone 15 aLettres d'un Satyre 12 s
Lettres à Sixtine 12 a
Lilith suivi de Théodat 12 a
Le Livre des Masques 15
Le ? Livre de& Masques 15
Nouveaux Dialogues des
Amateurs. 15 1>
Une Nuit au Luxembourg 12 1>
Pages choisies 15 a
D'un Pays lointain lj a
Le Pèlerin du Silence 12 a
Pendant la Guerre 12 a
Pendant l'Orage 12 a
Physique de l'Amour 15 a
Le Problème du Style. 15
promenades Littéraires (1" à7' série), 7 volumes à. 15 1>
Prom. Philosophiques (1" à
3' série), 3 volumes & 15
Sixtine 15
Le Songe d'une Femme 12 a
Frank HarrisLa Vie et les Confessions
d'Oscar Wilde, 2 vol. 30
Havelock EllisAmour et Vertu. 20 »
L'Art de l'Amour. La Sciencede la Procréation 20 s
Caracteres sexuels physiques. 20Caractères sexuels psychiques 20 »
La Déroute des maladiesvénériennes. 20 »
L'Education sexuelle 20 a
L'Eonisme 20 »
L'Etat psychique pendantla grossesse. La Mère etl'Enfant. 20 a
L'Evaluation de l'amour.La Chasteté. L'abstinencesexuelle 20
aLa Femme dans la Société 20 »
L'Impulsion sexuelle 20
L'Inversion sexuelle 20 »Le Mariage 20 »Le Mécanisme des déviations
sexuelles. 20 1>
L'Ondinisme. 20 aLa Prostitution 20La Pudeur. La Périodicité
sexuelle. L'Auto-érotisme 20 »La Sélection sexuelle. 20 »Le Symbolisme érotique 20 »
Lafcadio HearnChita. 12 »Contes Jes Tropiques 12 DEn glanant dans les champs
de Beuddha 15 »
Esquisses Martiniquaises 12Etudes bouddhistes et Rêve-
ries exotiques. 15
Fantômes de Chine 12 s
Feuilles éparses de littéra-tures étranges. 15 a
Le J apon M aAu J apon spectrat 15 sKotto 12 s
Kwaidan 15
Lettres J aponaises 12 sLa Lumière vient de l'Orient 15
Pèlerinages J aponais. 12Le Roman de la vole tactée 12
Un Voyage d'Eté aux Tropi-ques. 12
Voyage au Pays des Dieux 12Youma 12 y
Jean J acobyLe Secret de Jeanne d'Arc,
Pucelle d'Orléans 15 s
Francis J ammes
L'Antigyde. 12Choix de Poèmes 12 sClairières dans le Ciel 12Cloches pour deux Mariages 12De l'Angelus de l'Aube 15Le Deuil des Primevères 12L'Ecoiebuissonnière. 15Feuilles dans le vent 15 sLes Géorgiques chrétiennes 12
J anot-Poète. 12Leçons poétiques 12 sLivre des Quatrains, 4 voi. & 5 aMa Fille Bernadette 15 »Ma France poétique 15 >Monsieur le Curé d'Ozeron 15
Pipe, chien. Le Rêve fran-ciscain. Iles 12 a
Le Poète Rustique 16 sLes Robinsons basques 12Le Roman du Lièvre 15 sLe Rosaire au Soleil 12Le Tombeau de La Fontaine 12Trente-six Femmes 12 »Le Triomphe de la Vie 12La Vierge et les Sonnets 12
Rudyard KiplingActions et Réactions 15Les Bâtisseurs de Ponts 15« Capitaines Courageux 15 »Le Chat Maltais. 15 »Contes Choisis 15 »Du Cran 1 12L'Histoire des Gadsby 12L'Homme qui voulut être roi 15 »Kim,2vol.al5fr. SOLettres du J apon M sLe Livre de la J ungle 15Le Second Livre de la Jungle 15 »Mais ceci est une autre his-
toire. 15 sLa plus belle Histoire du
Monde. 15Le Retour d'Imray 15 »Sa Majesté le Roi 15Simples Contes de la Mon-
tagne. 12 »StaHty et Cte. 15Sur- le'Mur de la Ville 15 1
J ules LaforgueMélanges posthumes 15Moralités légendaires. 15 tPoésies,2vol.&12ir. 24 zŒuMrM complètes (6 volu-
mes parus), in-Sécu:
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MERCVRE DE FRANCEAniante
Gabriel d'AnnunMo, Saint
Jean du Fascisme. 12 »
Charles Baudelaire
Œuvres en collaboration 20
Vers latins. 10 :t
Ad. van Bever et Paul Léautaud
Poètesd aujourd'hui,
3 vol.
in-16 à 15 fr. 45
Léon BloyL'Ame de Napoléon 12 a
Au Seuil de l'Apocalypse 15 a
Celle qui pleure 15 a
La Chevalière de la Mort 12 a
Dans les Ténèbres. 12 a
Les Dernières Colonnes de
l'Eglise. 12 a
Le Désespéré 18 a
Exégèse des Lieux Com-
muns, 1 et II, chaq. série.. 15 a
La Femme Pauvre 15 a
Le F ils de Louis XVI 12 aHistoires désobligeantes. 12 a
L'Invendable12 s
Jeanne d'Arc et l'Allemagne 12 aMéditations d'un solitaire 12 a
Le Mendiant ingrat, 2 vol. 24 aMon Journal, 2 vol. 24 s
Pages choisies 15 a
Le Pèlerin de l'Absolu 15 sLa Porte des Humbles. 15 a
Quatre ans de captivité à
Cochons-sur-Marne, 2 vol. 24 aSueur de Sang 12 a
Le Vieux de la Montagne 12 a
Gabriel BrunetUne femme se cherche. 15 &
Paul Chaponnière
~La
Vie joyeùse de Piron.. 12 &
J ohn Charpentier ·
Napoléon et les Hommes de
Lettres. 12 s
Faut Ctaude)
12 »
Art poétique. 12 s
Connaissance de l'Est 15TIn~-e. 1 à IV, chaque vol. 15 a
ColetteLa Retraite sentimentale 15 n
Sept Dialogues de Bêtes 12 a
Henry Dérieux
La Poésie française contem-
poraine 1885-1935. 15.~ n
W. Drabovitch
Fragilité de la liberté et sé-
duction des Dictatures. 12 a
André Dubois La Chartre
a Vie de Casanova. 12 s
Georges Duhamel
Civilisation. 15 nLe Club des Lyonnais 12 &Le Combat. 12 n
onfession de Minuit. 15 aDeux Hommes 15 a
égies 9Entretiens dans le'tumulte 15 n
EXTRAIT DU CATALOGUE DU
Géog. cordiale de l'Europe 15Les Hommes abandonnes 15 e
Le Jardin des Bêtes sauvages 15 »
J ournal de Salavin 15 »La Journée des Aveux etc. 1z »
Lettres au Patagon 12 &La Lumière 7,50Le Notaire du Havre 12 »
La Nuitd'orage
15 tPaul Claudel 15La Pierre dTIoreb 15 aLes Plaisirs et les J eux 15 »Les Poètes et la Poésie 15 »La Possession du Monde 15 .aLe Prince J affar 15 a
Querelles de Famille 12 »
Remarques sur les Mémoires
Imaginaires 5 tScènes de la Vie future 12 »Les Sept dernières plaies 15 »Tel qu'en lui-même 12 »
Vie des Martyrs, 1914-1916 12Le Voyage de Moscou 15 »Vue de la Terre promise.. 15 »
Fernand FleuretDe Gilles de Rais à Apolli-naire 12
De Ronsard à Baudelaire.. 45 »
Yves FlorenneLe Hameau de. l a Solitude. 15 »Le Visage nu 15 »
André Fontainas
Crépuscules 12Les Etangs noirs 12 :1>Histoire de la Peinture fran-
çaise (xrx° et xx* siècles). 15 »La Nef désemparée 12L'Indécis 12La Via d'Edgar A. Poe 15 a
Frédéric IlPlus belles pages. Introduc-
tion et Notes de Ch. A.Cantacuzène 15 ))
G6rard-Gai))yLes véhémences de Louise
Colet 12 »
Edouard GancheFrédéric Chopin 15
Dans le Souvenir de F. Cho-
pin 15 »
Voyages avec F. Chopin. 20 »
Souffrances de F. Chopin.. 20 »
André GideL'Immoraliste 15 »
Nouveaux Prétextes 15 r
Oscar Wilde 5 sLa Porte étroite 12 »Prétextes 15 »
Maxime Gorki
L'Angoisse 12L'Annonciateur de la Tem-
pête 12 t.
Les Déchus 15 aLes Vagabonds 15 tVarenka Olessova 1~ »
Remy de Gourmont
Le Chemin de velours 15 a
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1902
Heureuse mort de Zola
Léon Bloy jugé par sa femme
"Sanctum canibus D
"Ante porcos"
Comment Dieu traite ses amis
1903
Mystère de Noël
Aristocratie des Maquereaux
Jésus-Christ aux Colonies
Lettre à un condamné à mort
La Revanche de l'Infâme
La Matinée du Vendredi Saint
Trente ans d'assassinatsLes Dernières Colonnes de l'Eglise