Leçon 2: L’école française de géographie,

une normalisation du paradigme classique?

« On peut nommer cet ensemble « géographie traditionnelle », « géographie classique » ou « protogéographie ». Elle se manifeste surtout en Europe, et tout particulièrement en France, dans la seconde moitié du XIXème siècle et dans la première moitié du XXème siècle. »

Jacques LEVY (dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés).

« C’est une science naturelle d’éléments dont les chercheurs postulent la stabilité : paysages agraires, structures régionales, milieux humanisés.»

Paul CLAVAL(dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés).

 

I – Les fondements de l’Ecole française de

géographie

A. Du déterminisme au possibilisme

•  Paul Vidal de la Blache (1845-1918) : très influencé par Ratzel ambiguïté foncière de son œuvre mais présenté par la suite comme le maître du possibilisme = refus du déterminisme absolu des conditions naturelles = opposition à l’Ecole allemande de géographie Ouvrage principal:

Tableau de la géographie de la France (1903) « la nature propose, l’homme dispose » = maxime au fondement du paradigme classique le milieu physique limite les choix humains mais diverses possibilités de « genre de vie »: ex : milieu sub-désertique : éleveur nomade ou agriculteur d’oasis et une certaine connexion entre les lieux qui permet en partie d’échapper à l’emprise des milieux • Une inspiration = le lamarckisme (J.-B. Lamarck : évolution des espèces)

L. Febvre (1878-1956)

P. Vidal de la Blache (1845-1918)

II. « LA PROTOGEOGEOGRAPHIE » (J. LEVY) OU LA GEOGRAPHIE « CLASSIQUE » (1880-1960)

ò  La géographie de l’Ecole française : Vidal et sa conception de la géographie

Qui est Vidal de La Blache ? ü  Auteur du Tableau de la géographie de

la France (1903)

ü  Père de l’école de la géographie française

Quelle identité et quelle démarche pour la géographie ?

ü  Vocabulaire précis ü  Méthode d’observation et travail de

terrain ü  Utilisation des cartes

I – Les fondements de l’Ecole française

de géographie

B. Le clivage entre la géographie humaine et la géographie physique

La géographie classique française se positionne dans un entre-deux : entre les sciences de la « nature » et les sciences sociales = « un compromis épistémologique », « un mixte », recherche du bon degré de déterminisme, du « juste milieu » (M.-C. Robic) : ni trop, ni trop peu de « nature » => entrée à reculons dans les sciences sociales -> Grand partage entre la géographie physique et la géographie humaine à l’instigation d’Emmanuel de Martonne (rôle clé dans la normalisation de la discipline après la mort de Vidal, 1873-1955). Mais même en géographie humaine, importance des facteurs physiques. /-> Modèle des sciences de la "nature" pour construire une science qui dépasse les idées de la géographie populaire (mais sans vouloir une coupure)

Jean Brunhes (1869-1930)

Emmanuel de Martonne (1873-1955)

I – Les fondements de l’Ecole française

de géographie

C – La participation au projet de construction nationale

• forte relation entre discipline universitaire et discipline scolaire dans le cadre de la IIIe République -> renforcement de l’enseignement de la géographie pour inculquer l’importance du cadre national (déjà à l’œuvre depuis le début du 19e siècle) • Le Tableau de la géographie de la France de Vidal (TGF), 1903 = une introduction à la monumentale Histoire de France (1903-22) d’Ernest Lavisse = contribue à naturaliser l’espace national, le rendre évident car naturel, associé à la France et à son histoire P. Vidal de La Blache écrit des manuels et participe à l’édition de cartes scolaires très diffusées (cartes murales « Vidal Lablache »)

Des terrains et des objets d’études inscrits pour l’essentiel dans le cadre national

I I– Méthodes et objets de l’Ecole française de

géographie

A – L’importance du regard : une mystique du terrain

Croquis et relevé de terrain (Carnet de terrain de Paul Vidal de La Blache)

Un bloc-diagramme d’Emmanuel de Martonne

La photographie pour appréhender le paysage humanisé (Jean Brunhes , 1869-1930)

La sensibilisation des étudiants au travail de terrain par la sortie de terrain (Petit guide du voyageur actif, Pierre Deffontaines, 1943)

Le Tableau de la géographie de la France de Vidal (TGF), 1903

Importance de la carte pour lire le paysage et le milieu -> Commentaire de carte.

Carte 45. Régularité du paysage bourguignon. Plusieurs zones se découpent dans le sens du Nord au Sud : 1° Plateau calcaire coupé de vallées en pierres sèches. Les établissements humains s’adaptent aux ramifications des vallées, pour se rapprocher du niveau d’eau ; pas d’habitations sur le bord relevé du plateau. 2° Etablis calcaires : zone de vignobles; faisceau de routes. 3° Sables et alluvions anciennes: pays de forêts, où Cîteaux a pratiqué une clairière et groupé quelques villages. 4° Terrasse de la Saône, où s’alignent bourgs et villages, à l’abri des inondations.

Importance de la description.

I I– Méthodes et objets de l’Ecole française de

géographie

« Nulle part cette coopération de l’élément naturel et de l’élément humain n’est plus profonde, plus étroite que dans ces contrées du Nord de la France. […] C’est en fin de compte par la combinaison de ces deux éléments […] que, étroitement soudées sur ses lisières, tantôt avec les pâtures de la Thiérarche, du Boulonnais et du Bray, tantôt avec […], tantôt avec […], la Plaine Picarde a conquis sa personnalité géographique. »

Albert Demangeon (1872-1940), La Picardie et les régions voisines, 1905, conclusion è question de la délimitation des régions (naturelles ?, historiques ?) è  ambition synthétique et recherche d’exhaustivité è  la région est vue comme un organisme vivant (organicisme) è la région est vue comme un objet singulier : approche idiographique

è approche de la différenciation des lieux et des régions très importante, notamment en Allemagne et aux Etats-Unis

B – L’importance de l’approche régionale La région, le « pays » : une combinaison complexe, un « être géographique » :

I I– Méthodes et objets de l’Ecole française de

géographie

C – Une explication multicausale

Source : Daniel Loi, « Une étude de la causalité dans la géographie classique française »,

La combinaison de causes

Des causes physiques, mais pas seulement célébration d’une certaine harmonie des paysages humanisés, célébration de la cohésion des communautés -> pas de dimension critique des relations sociales : une vision positive des campagnes et de leurs « individualités » // vision ruraliste de la IIIe République -> le possibilisme en tant que tel ne suffit pas à rendre compte du compromis disciplinaire de l’Ecole de géographie

Conclusion: Les critiques

faites au paradigme classique

• Critique de la méthode : pas assez « scientifique » approche idiographique (-> souligner le particulier) vs. nomothétique (dégager des lois universelles) = critique formulée par les partisans de la « nouvelle géographie » • Critique des objets et des échelles d’étude : Surtout des espaces ruraux, des petites régions vs. contexte d’urbanisation et de mondialisation • Critique de concept : Les contraintes physiques n’apparaissent plus si déterminantes avec l’artificialisation des milieux

Conclusion: Des géographes mis à l’écart : d’autres géographies à l’œuvre

Des géographes très novateurs mais à la marge de la géographie universitaire car ils s’écartent de la matrice disciplinaire de l’Ecole, notamment dans leur implication dans le monde politique (vs. idée d’une science neutre) : - Elisée Reclus (1830-1905) : précurseur des études environnementales et urbaines, mais anarchiste - Marcel Dubois (1856-1916) : co-fondateur avec Vidal de la grande revue de l’Ecole, Les Annales de géographie, mais trop associé aux milieux d’affaire coloniaux - Camille Vallaux (1870-1945) : impliqué dans les débats politiques régionaux + ambition théorique très large - André Siegfried (1875-1959) : pionnier dans les études électorales mais développe une approche considérée comme trop concentrée sur le fait politique …