1. pourquoi l’espace urbain est-il un objet fétiche des...

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L6 – La démarche postmoderne en géographie Etude : L’espace urbain au prisme de la géographie postmoderne Questions : 1. Pourquoi l’espace urbain est-il un objet fétiche des approches postmoderne en géographie ? 2. Comment le postmodernisme étudie-t-il l’espace urbain ? Document 1 : Autoroute urbaine de Los Angeles, photographie d’Edward Burtynsky. Document 2 : Les formes de la ségrégation urbaine à Los Angeles, extrait de Mike Davis (1997) [1992], City of Quartz, La Découverte. Chapitre 4 – La forteresse L.A. 1 Sur les pelouses soigneusement entretenues du Westside, à Los Angeles, on voit chaque jour davantage de petites plaques menaçantes indiquer « Armed response ! » Même les quartiers plus riches, perdus dans les canyons ou accrochés aux collines, se retranchent derrière des murs gardés par des vigiles armés et par des systèmes de surveillance électronique ultrasophistiqués. Au centre, une « renaissance urbaine » financée sur fonds publics a produit le plus grand centre d’affaires du pays, véritable citadelle ségrégée des quartiers pauvres par un glacis architectural monumental. A Hollywood, le célèbre architecte Frank Gehry, vanté pour son « humanisme », a construit une bibliothèque qui est un véritable fleuron du style forteresse assiégée, avec ses allures de fortin de la Légion étrangère. Dans le district de Westlake et dans la San Fernando Valley, la police barricade les rues et boucle les quartiers pauvres au nom de la « guerre contre la drogue ». 1 Ici : une protection physique importante (barrière).

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Page 1: 1. Pourquoi l’espace urbain est-il un objet fétiche des ...espacesmonde.com/wa_files/L6_20La_20ville_20postmoderne_V2.pdf · 2. Comment le postmodernisme étudie-t-il l’espace

L6  –  La  démarche  postmoderne  en  géographie  Etude  :  L’espace  urbain  au  prisme  de  la  géographie  postmoderne

Questions : 1. Pourquoi l’espace urbain est-il un objet fétiche des approches postmoderne en géographie ? 2. Comment le postmodernisme étudie-t-il l’espace urbain ?

Document 1 : Autoroute urbaine de Los Angeles, photographie d’Edward Burtynsky.

Document 2 : Les formes de la ségrégation urbaine à Los Angeles, extrait de Mike Davis (1997) [1992], City of Quartz, La Découverte.

Chapitre 4 – La forteresse L.A.1

Sur les pelouses soigneusement entretenues du Westside, à Los Angeles, on voit chaque jour davantage de petites plaques menaçantes indiquer « Armed response ! » Même les quartiers plus riches, perdus dans les canyons ou accrochés aux collines, se retranchent derrière des murs gardés par des vigiles armés et par des systèmes de surveillance électronique ultrasophistiqués. Au centre, une « renaissance urbaine » financée sur fonds publics a produit le plus grand centre d’affaires du pays, véritable citadelle ségrégée des quartiers pauvres par un glacis architectural monumental. A Hollywood, le célèbre architecte Frank Gehry, vanté pour son « humanisme », a construit une bibliothèque qui est un véritable fleuron du style forteresse assiégée, avec ses allures de fortin de la Légion étrangère. Dans le district de Westlake et dans la San Fernando Valley, la police barricade les rues et boucle les quartiers pauvres au nom de la « guerre contre la drogue ».

1 Ici : une protection physique importante (barrière).

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Document 3a : La structure urbaine de Chicago résumée par le modèle de Burgess

Document 3b : Le modèle de la structure urbaine postmoderne ou le « Keno capitaliste ». DEAR Michael & FLUSTY Steven, ed. (2002). The Spaces of Postmodernity, p. 231. Oxford/Malden (Mass.) : Blackwell, 486 p.

Document 4a : Une première analyse d’un centre commercial. Extrait de Gérard Richez (1988), « Un nouveau type d’attraction touristique : le West Edmonton Mall », Travaux de l’Institut de Géographie de Reims, 73-74, p. 101-113.

I – LES EQUIPEMENTS La création de ce méga-centre commercial et récréatif à Edmonton n’est sans doute pas le fruit du hasard. Cette ville, située dans la partie septentrionale de la Prairie (cf. Fig 1), connaît des hivers longs et rigoureux et présente, pour des investisseurs, la caractéristique d’offrir une clientèle relativement captive de près de 800 000 habitants. Capitale de la province de l’Alberta, Edmonton faisait encore figure de petite ville vieillotte jusqu’à la fin des années soixante dix. Depuis, des opérations de restructuration et d’embellissement du centre ville ont eu lieu : de très beaux immeubles de bureau ont été construits, de grands hôtels, un nouveau

Ethnoburb (quartier résidentiel ethnique)

Centre de confinement (prison)

Opportunités de consommation

Centre de contrôle

Spectacle

Auto routes de la désinformation / Espaces interdits d ’ accès Edge - cities Parcs à thème Gated communities Quartiers de guérrilla urbaine

Siège social forteresse

Centre d’affaires

Zone industrielle

Zone de transition

Zone d’habitat ouvrier

Zone résidentielle

Banlieues suburbaines

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théâtre, une grande bibliothèque publique s’ajoutent à la rénovation complète de la place centrale « du Canada ». L’installation du nouveau centre commercial périurbain s’inscrit dans ce processus d’évolution urbaine et de modernisation. La mise en place s’est étalée sur cinq années. Elle a été marquée par trois phases […] 1.1 L’ESPACE DU COMMERCE A WEST EDMONTON MALL 1.1.1 Son envergure Il s’agit donc, pour la partie strictement commerciale, du plus grand centre du monde, plus de deux fois la surface et le nombre de magasins du précédent tenant du titre, le Del Amor Fashion Center à Torrance (Californie) qui n’a, lui, « que » 361 commerces. Quelques chiffres pour situer en 1987 la taille de ce mastodonte du commerce :

- superficie du terrain : 44,5 hectares ; - superficie commerciale : 48 000 m² ; - nombre total de commerces : 829, dont 53 magasins de chaussures pour femmes, 187 boutiques

spécialisées dans la confection féminine, 11 grandes chaînes commerciales (Canadian tire, Ikea, Eaton…), 138 restaurants 24 bijouteries, 11 banques, 20 cinémas, 13 boîtes de nuit… Il faut remarquer toutefois l’absence totale de commerces alimentaires ;

- ce centre commercial ne comprend qu’un étage sur rez-de-chaussée qui, au total, développe environ deux kilomètres de galeries ;

- nombre d’emploi créés (ensemble du W. E. M.) : environ 15 000 ; - nombre de places de stationnement : environ 35 000 ; - nombre de portes d’entrées : 57.

1.1.2. Ambiance et décoration Document 4b : Une deuxième analyse de ce centre commercial. Extrait (traduit en français) de Rob Schields (1989), « Social spatialization and the built environment: the West Edmonton Mall », Environment and Planning D: Society and Space, 7 – 2, p. 147-164. Le West Edmonton Mall est un enfant de son temps. Il permet de se pencher sur toute une série d’observations des relations entre production [économique], consommation et imaginaire populaire. Si l’on est confronté à ce que Benjamin2 a appelé un site de « songe collectif » et d’imagination (1973), c’est aussi une manifestation tangible des relations qui relient la production aux idéologies dominantes. De la sorte, le West Edmonton Mall est un palimpseste3 à la fois des pratiques passées et des possibilités futures, des dynamiques à l’œuvre. Il fragmente l’espace géographique conventionnel et le temps historique par sa furieuse combinaison d’éléments de décor intérieur. A un angle, on fait face à une « Nouvelle Orléans » simulée, à un autre angle : « Paris ». […] Le Mall est un type « d’espace de jeu » qui encourage ses utilisateurs à abandonner ce qu’on pourrait appeler la conception moderne et rationnelle moderne du monde. En adoptant une cosmologie [(vision du monde)] alternative, les utilisateurs suspendent momentanément leur relation avec le monde capitaliste, fait de pouvoirs distants et abstraits, pour se laisser tenter par un conte collective qui donne l’illusion d’une logique différente de l’espace et du capitalisme. […] Le Mall représente un rejet allégorique du monde géographique des centres distants pour lesquels Edmonton est une périphérie. Cet ordre est remplacé par la propre « hyperréalité » interne du Mall (Eco4, 1986 ; Gottdiener5, 1986 ; Jameson6, 1984) […] : « on vous donne la reproduction de telle sorte que vous ne ressentiez plus le besoin de l’original » (Eco, 1986, p. 19).

2 Walter Benjamin (1892-1940), philosophe historien de l’art et critique d’art allemand. Lié à l’école de Francfort qui à travaillé sur l’industrie culturelle et la culture de masse. 3 Originellement : un manuscrit écrit sur un parchemin déjà utilisé mais dont on a fait disparaître les inscriptions pour pouvoir écrire de nouveau. Par extension, on parle de palimpseste pour désigner des objets construits par constructions et destructions successives tout en conservant certaines traces anciennes. On parle souvent du paysage comme d’un palimpseste, comme ici celui du West Edmonton Mall. 4 Linguistique, sémiologue et romancier italien, né en 1932. 5 Sociologue 6 Critique littéraire.

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