l’enseignement du berbère en algérie et au maroc

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  • 7/27/2019 Lenseignement du berbre en Algrie et au Maroc

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    Rsum :

    La langue berbre vit, depuis les annes 90, un moment dcisif de son his-toire. Des dcisions historiques majeures sont prises dans les deux principaux

    pays concerns (Algrie, Maroc) par les plus hautes autorits de lEtat. Ellesconcernent principalement la question de lenseignement de cette langue. Celui-ci, vu limportance des enjeux pdagogiques, culturels et politiques, doit obir des rgles de scientificit et dobjectivit. Notre intervention alimentera le d-bat autour de cette question partir de deux expriences : lune personnelle, etconcerne lenseignement du berbre que nous avons nous-mme pris en charge luniversit de oulouse II, et lautre internationale, et concerne lexprience delintgration du berbre dans le systme ducatif marocain. Lobjectif tant dap-porter quelques lments de rponse au dbat sur lamnagement linguistique enAlgrie, un dbat qui dtermine lavenir du berbre dans ce pays.

    Repres historiques : lenseignement du berbre en Algrie

    Rappelons dabord quen Algrie, le berbre a t institutionnalis trs tt,cest--dire ds 1880 la Facult des lettres dAlger, initialement appele lEcolesuprieure des lettres, puis lEcole Normale de Bouzarah. rs vite aprs, res-pectivement en 1885 et en 1887, un brevet de langue kabyle et un diplme de dialectes berbres sont crs. La Facult des lettres dAlger, mais galementlInstitut dEtudes Orientales formeront ainsi un nombre important de berbri-sants qui ont beaucoup apport la langue et la culture berbres.

    La chaire de berbre la Facult des lettres dAlger, fut successivement occu-

    pe par des noms prestigieux : Ren Basset, Andr Basset et Andr Picard. Ellesera supprime lindpendance. De toute cette tradition denseignement duberbre et de formation berbrisante, ne subsistera plus que le cours, tout justetolr, de Mouloud Mammeri la Facult des Lettres dAlger (1965-1972). Ilsagit dun cours complmentaire en option rentrant dans le cadre de diplmesdlivrs par cette Facult.

    Depuis, pour disposer dune formation en berbre souvent de 3mecycle, il fal-lait se tourner vers des pays occidentaux comme la France, lAngleterre ou encoreles Etats-Unis.

    En effet, lAlgrie, pays dsormais indpendant, entendant reconstruire lunit

    nationale, jugeait imprieux, dans le cadre dune vision arabo-musulmane trsmarque, de nier toute forme de diversit linguistique susceptible de mettre en

    Lenseignement du berbre en Algrieet au Maroc : Les dfs dun amnagementlinguistique

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    Michel QuitoutAncien professeur

    de berbre Toulouse IIDirecteur de La revue

    des deux rives

    [email protected]

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    Michel QuitoutLenseignement du berbre en Algrie et au Maroc : Les dfs dun amnagement linguistique

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    danger, ses yeux, lunit de la nation. (V. S. Cha-ker, 1989 ; V. A. Bounfour, 1994). A partir de l,tout enseignement du berbre, fut-il une chellestrictement universitaire, tait peru comme po-tentiellement porteur de risques majeurs de conflit.

    Il faut attendre plusieurs dcennies pour renoueravec cette tradition et aboutir enfin, en 1995, lacration du HCA (Haut Commissariat lAmazi-ghit) et lenseignement nouveau de la langueberbre.

    Dans larticle 4, le dcret du 28 mai 1995, por-tant cration de cet organisme directement ratta-ch la Prsidence de la Rpublique, il est prcisque le HCA a pour mission : La rhabilitation etla promotion de lamazighit en tant que lun des fon-

    dements de lidentit nationale ; lintroduction de lalangue amazighe dans les systmes de lenseignementet de la communication.

    Lenseignement de la langue berbre tait lunedes plus importantes revendications de toujours duMouvement culturel berbre algrien. Cet ensei-gnement qui a limmense avantage dexister, souffretout de mme dun certain nombre de difficultsqui limitent son action : imprcision des objectifspdagogiques, absence dinstruments didactiques,moyens financiers et humains limits, etc. Lheureest peut-tre venue, comme le prconise juste titreLe Centre National Pdagogique et Linguistiquepour lEnseignement de amazight (CNPLE),pour un amnagement linguistique dot doutilsdidactiques adquats et de moyens humains suffi-sants et forms pour cette tche pdagogique quine peut tre improvise. LAlgrie dispose dsor-mais dune exprience apprciable denseignement/apprentissage qui autorise une valuation objectivedans le but dasseoir cet enseignement sur des bases

    scientifiques solides. (V. N. igziri, Laceb, 2002).Il serait donc intressant de faire appel aux exp-riences damnagement et denseignement des lan-gues maternelles non officielles de par le monde,dans certains pays occidentaux, mais galement auMaroc, comme on va voquer ci-dessous, dont lasituation sociolinguistique est comparable.

    Diversit et unit de la langue berbre

    Avant daller plus loin dans notre propos, in-terrogeons-nous dabord sur le contenu de lappel-lation langue berbre. Il est vrai que lon assiste

    aujourdhui une extrme fragmentation de cettelangue. Sa prsence sur des territoires distantsles uns des autres affaiblit considrablement leschanges linguistiques et favorise normment lemorcellement de la langue aussi bien sur le plan

    lexical que phontique.La facilit des moyens de communication ausens large, ces dernires dcennies, a considrable-ment attnu1 ce problme en favorisant le contactentre les groupes berbrophones, mais il nen de-meure pas moins vrai que cette langue a souffertjusqu une date rcente de labsence de ce qui pou-vait tre latout majeur de son uniformisation et sapromotion savoir une instance de normalisationofficielle.

    Cet tat de choses amne les linguistes consi-drer la notion de langue berbre comme une abs-traction linguistique et non une ralit sociolin-guistique identifiable et localisable. La seule ralitobservable, ce sont en effet les usages locaux effec-tifs. Cette diversit, inhrente toutes les commu-nauts et tous les systmes linguistiques et nonpas seulement au berbre, nest pas incompatibleavec lunit fondamentale de cette langue. Mmeles grandes langues vieille tradition scripturale ounormalisatrice connaissent ce phnomne univer-sel. Il nexiste pas de langue homogne, identique elle-mme tout point de vue. La sociolinguis-tique a depuis longtemps remis en cause cette il-lusion. La langue amazighe souffre justement deces clichs largement rpandus aussi bien dans lamasse que chez certains intellectuels non spcia-listes1.

    La tradition berbrisante franaise a toujoursfait sienne cette thse dunit. Venture de Para-dis, lun des premiers explorateurs linguistiques

    qui a men ses enqutes vers 1787-88 (publies en1838), reconnaissait dj que le kabyle et le chleuhcomme tant deux dialectes dune seule et mmelangue. R. et A. Basset, grandes figures de cette tra-dition, ont toujours confirm que la langue berbreest une et chaque dialecte nen est quune variante r-gionale.

    Cependant, depuis 1985, des linguistes commeL. Galand parlent de langues berbres. Cette ap-

    1-Cette situation est double tranchant : dun ct, elle a permis

    certes une meilleure communication entre les locuteurs berbres etde lautre, ctait et cest encore lun des facteurs dterminants delarabisation en profondeur des rgions restes jusque-l labri desinuences linguistiques extrieures.

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    proche pluralisante est en rupture totale avec laconception unitaire jusque-l admise partout etpar tout le monde y compris mme la traditionarabe qui depuis toujours a considr les Berbrescomme un seul peuple, comme une seule nation

    et ce malgr lextraordinaire fragmentation de sestribus.Si lon peut effectivement relever dans certains

    parlers priphriques (Libye, Egypte, Mauritanie)ou dans le touareg des phnomnes linguistiquesspcifiques rebelles aux donnes de la langue ber-bre nord, il y a lieu de les considrer non commedes systmes autonomes, mais bien plutt commedes modalits particulires de ralisation. Lesdiffrences sont mettre sur le compte de ce qui

    est bien connu dans les tudes dialectologiques savoir la variabilit et lenchevtrement trans-dia-lectal et intra-dialectal (V.S. Chaker, 1989).

    La thse de lunit de la langue berbre confir-me par des travaux rcents met en vidence unehirarchie trois niveaux bien distincts : dabord,au sommet, il y a la langue berbre, ensuite les dia-lectes rgionaux correspondant des aires din-tercomprhension immdiate comme le rifain, lekabyle, etc., et enfin, les parlers locaux correspon-dants, eux, des usages intra-tribaux se caract-risant par des particularits phontiques, lexicalesrarement grammaticales et qui trahissent loriginego-linguistique des locuteurs.

    Le berbre : de loralit la scripturalit

    Le passage lcrit des langues orales pose bonnombre de difficults aussi bien aux chercheursquaux politiques2. Mais il y a les langues qui, pourdes raisons diverses, ne sentent pas le besoin de

    ce passage ; elles rsistent tant bien que mal, maiselles sont terme condamnes lextinction. Et ily a les langues qui voient saccrotre, sous la pres-sion du sentiment identitaire ou nationaliste de seslocuteurs, le besoin daccs au march scriptural2.

    2-Parler du passage de loralit la scripturalit pour la langue berbre,cest envisager un processus continu qui affectera lensemble de lac-tivit des hommes dans lespace o elle est parle. Daprs J. Goody(1979, 115), ce passage engendre des changements dans le mode depense, dans les aptitudes la rexion et mme dans lactivit cogni-tive . Il nest dailleurs qu consulter lhistoire pour sapercevoir queles vnements qui ont induit de grands progrs humains ont t suite

    un bouleversement dans la technique de communication : lcritureen Babylonie, lalphabet en Grce ancienne, limprimerie en Europeet tout rcemment les Nouvelles Technologies de lInformation et de laCommunication (NTIC) aux Etats-Unis.

    Se pose alors le problme du choix dune graphieet celui des moyens mettre en uvre pour uni-formiser une ralit linguistique caractrise forc-ment par la diversit3.

    Pour noter le berbre, nous avons trois systmes

    dcriture rivaux : la graphie latine, le tifinagh et lagraphie arabe4.Jusqu une date rcente, cest vers les pays dim-

    migration quil fallait se tourner pour trouver desexpriences denseignement du berbre en graphielatine. En France, par exemple, o lon dispose deplusieurs centres denseignement et de rechercheuniversitaire sintressant au berbre, la graphie la-tine semble prdominante eu gard limportancede la production scientifique laquelle elle a donn

    lieu ces dernires dcennies3

    . Le tifinagh est mar-ginalement utilis par les ouaregs et une partiedes Kabyles. Quant la graphie arabe, elle a tou-jours t, depuis le Haut Moyen Age, la traditionchez les Ibadites et au sud du Maroc.

    Avant de voir quels sont les arguments des unset des autres en faveur de lun ou de lautre des sys-tmes en question, il convient de rappeler que lalangue berbre est en effet une langue orale par-tout o elle est parle, mais elle est, curieusementde ce point de vue, non pas en passe de dcouvrirpour la premire fois une graphie, mais elle tentede rcuprer une graphie qui est la sienne et quellea perdue il y a prs de deux millnaires.

    Ce systme graphique, appel libyco-berbre,est lanctre de lcriture touargue encore en vi-gueur, de faon marginale certes, chez la popula-tion de ce nom au Sahara et au Sahel.

    Cet alphabet libyco-berbre na pas fait lobjetdune vaste utilisation pouvant lui donner un ca-ractre tant soit peu officiel lchelle de lamazi-

    ghie (aire de lamazighophonie). Par consquent, lalangue amazighe, na jamais joui au cours de touteson histoire du statut de langue crite connue et

    3-Nous avons nous-mme assur pendant cinq ans un enseignementde langue et de civilisation berbres lUniversit de Toulouse II le-Mi-rail (1993-1998). Dans toute notre production scientifque concernantcette langue, nous avons retenu la graphie latine pour noter cette lan-gue, sduit en cela par son adaptabilit phonologique, sa modernit,sa familiarit au plus grand nombre, son degr damnagement et sonuniversalit.4-Signalons, en plus des textes chleuh en caractres arabes du 16e etdu 18e sicle, que lon a dj voqu, limportant travail lexicogra-phique qua ralis lacadmicien marocain M. Chafq : son Diction -

    naire tamazighte-arabe, constitu de plusieurs tomes est entirementen arabe. Il y a eu aussi dans lhistoire la traduction en berbre du Co-ran ainsi que dautres ouvrages religieux, juridiques ou historiques. (cf.R. Bourouiba, la vie intellectuelle Tahart, Panorama, 2, Alger, 1980.

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    reconnue large chelle. Cest ainsi que les cher-cheurs ne peuvent que rester sur leur faim quandil sagit de vouloir consulter, dans cette langue, unequelconque production littraire malheureusementinexistante. Les tudes linguistiques portant sur la

    diachronie de la langue sen trouvent particulire-ment affectes. En matire dvolution de la lan-gue, les linguistes berbrisants sen remettent desformulations hypothtiques tant donn la profon-deur historique qui spare le berbre moderne duproto-berbre ou du berbre ancien.

    Lautre aspect du dbat propos de lamazigheconcerne lalphabet pouvant prendre en chargeson passage lcrit. Ce passage tant la condi-tion imprative pouvant permettre cette langue

    de se maintenir dans un monde o lcrit rgne enmatre et o lcole reprsente le lieu incontest dela transmission du savoir. Cest ainsi que le dbat vasimposer et mettre en confrontation trois optionsdiffrentes pour tenter de russir au mieux ce pas-sage : celle de lalphabet tifinagh, celle de lalphabetarabe et celle de lalphabet latin.

    Lalphabet tifnagh

    Les tenants de cette option mettent en avant

    la dimension psychologique et symbolique dontest investi cet alphabet. Ce choix permettrait derenouer avec lhistoire, de se la rapproprier et deconsolider une identit linguistique et culturellepartie en miettes depuis longtemps sous leffet desinvasions successives. Selon ses tenants, cette op-tion serait loption de lunification par la graphie,une graphie promue en symbole idologique.

    Le tifinagh est issu du libyco-berbre. Celui-ci,dorigine probablement phnicienne, daterait au

    moins du VIe sicle av. J. -C. Mais la plus ancienneinscription libyque dont on soit sr date de -138.Cest une ddicace de la dixime anne du rgne duroi numide Micipsa.

    La parent fondamentale entre le libyque et leberbre actuel est dfinitivement tablie tant sur leplan phonologique (en dehors de quelques articu-lations nouvelles dues plus lvolution de la langueet lemprunt qu la structure fondamentale de lalangue, on note la prsence quasi-totale des pho-

    nmes), morphologique (le t initial des nomsfminins et le n final du pluriel, par exemple)

    que syntaxique (lordre canonique VSO, la prposi-tion n du complment dterminatif, etc.).

    A lpoque punique, le libyque semble avoir at-teint un niveau non ngligeable de vogue notam-ment avec le rgne des rois numides comme Mas-

    sinissa et Micipsa. Lpoque romaine, en revanche,semble, elle, rserver cet alphabet un destin pluttmoribond et ce, malgr les traces quon en trouvechez certains auteurs latins tardifs comme Coripuset autres. Chez les Arabes, arrivs aprs, on nentrouve aucune mention, ce qui laisse supposer queson extinction tait tablie bien avant eux5.

    Lalphabet libyque pose un certain nombre dedifficults relatives son dchiffrement (V. A. Bas-set, 1959 ; J-G. Fvrier, 1956 ; L. Galand, 1966 ;

    S. Chaker, 1984). Malgr les nombreuses inscrip-tions, quon a dcouvertes (plus de mille dont uncertain nombre de bilingues : punique/libyque,latin/libyque) notamment dans les rgions forte-ment punicises au nord du Maghreb, cet alphabetna pas encore livr tous ses secrets. Il y a beau-coup de raisons cela : dabord, comme ses cong-nres smitiques, lalphabet libyque ne note que lesconsonnes, ensuite les groupes consonantiques nesont gnralement pas spars ce qui pose le pro-blme de linterprtation. Ajoutons cela lnormedistance historique (environ 2000 ans) qui sparele berbre moderne de son anctre le libyque, sa-chant que des changements notables ont d affec-ter la langue depuis.

    Lautre difficult qui surgit encore cet gardest celle de la diversit de cet alphabet mme. Il yaurait distinguer entre pas moins de quatre al-phabets :

    1- le libyque oriental qui est le mieux connu etle plus attest. Il concerne le nord de la unisie et

    le Constantinois, autrement dit la Numidie.5-Lalphabet tifnagh choisi par lIRCAM comportera 33 lettres (4voyelles, 2 semi-consonnes et 27 consonnes) et sorientera de gauchevers la droite. Il a t intgr depuis peu dans le standard Unicode quisert de base universelle aux industriels de llectronique et du logiciel.Unicode est une organisation but non lucratif regroupant des socitset des universits dont lobjet est de dvelopper et promouvoir le stan-dard Unicode, le systme de codage informatique des caractres. Il estcompatible avec toutes les plates-formes (Windows, Apple, Linux),fonctionnant avec nimporte quel logiciel et utilisable avec/dans nim-porte quelle langue.Lintgration du Tifnagh dans ce standard est susceptible de limposercomme graphie de rfrence pour le berbre lchelle maghrbineet mme au-del. Le tifnagh qui tait en perte de vitesse ces dernires

    annes pourrait revenir sur le devant de la scne et voir ainsi sa cote depopularit augmenter au dtriment de lalphabet latin qui tait jusque-l largement diffus. La situation de la graphie latine serait termemenace moins que lAlgrie nopterait pour elle.

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    2- le libyque occidental, il couvre laire des deuxMauritanies tangitane et csarienne, autrementdit lAlgrie occidentale et le Maroc. Les inscrip-tions de ce libyque sont moins nombreuses et pluscourtes.

    3- les inscriptions touargues anctres des ti-finaghs actuels. Elles sont rpandues sur la zonesaharienne.

    4- les inscriptions des Iles Canaries apparentesvidemment aux critures berbres.

    Cest ainsi que daucuns en arrivent se deman-der si lalphabet tifinagh est vraiment en mesure deprendre en charge la graphie berbre et den assurerla viabilit surtout quand on sait par ailleurs que siles tifinaghs sont familiers aux ouaregs, ils restent

    dans une large mesure assez trangers beaucoupde Berbres dont les Algriens et les Marocains, lesplus nombreux par ailleurs.

    Lalphabet arabe

    Cette option qui a elle aussi ses dfenseurs meten avant des arguments relatifs notamment la pa-rent gnalogique entre larabe et lamazighe, lafamiliarit qua lalphabet arabe auprs des massesamazighophones ainsi que laffinit religieuse

    quont ceux-ci avec les caractres arabes investis desacralit.

    Ces arguments tant certes, tous vrais, maisforce est de constater, rtorque-t-on, que la parentest tout simplement mconnue du grand public, lafamiliarit, elle, ne concerne que les berbrophoneslettrs (la majorit tant analphabte) et enfinla sacralit ne fera quapprofondir linsparable couple arabit/islamit.

    Signalons enfin que la graphie arabe na jamais

    fait lobjet dune quelconque uniformisation dansce sens et que toute la production berbre en carac-tres arabes tait et est toujours livre, jusqu pr-sent, aux apprciations et aux ajustements intuitifsde son auteur4.

    Lalphabet latin

    Parmi tous les systmes dcriture proposs, lagraphie latine diacrite semble tre prdominante

    en juger par lnorme production scientifique etaussi littraire de ces dernires dcennies. Cetteoption constitue un prolongement la science co-

    loniale de prs dun sicle et qui avait pour plesprincipaux : Paris, Alger et Rabat. Depuis les ind-pendances, elle est enrichie par les tudes des ber-brophones eux-mmes et consolide par des plesscientifiques non franais : europens et anglo-

    saxons. Mais, cest par le fait mme de ce rapportavec le pass colonial que cette graphie rencontredes rsistances voire des rejets. La graphie latinenest-elle pas, disent certains, une survivance d-guise de ce dont voudraient sloigner justementles tats concerns et ce, par une politique linguis-tique axe sur larabisation outrance.

    Pourtant, lalphabet latin est dot dune grandeadaptabilit. Il est emprunt par plusieurs langueset plusieurs familles de langues, chacune delles,

    ladapte fort bien ses besoins phonologiques. Ila par ailleurs lnorme avantage de fournir au ber-bre une entre immdiate dans la modernit etluniversalit eu gard la familiarit dont il jouitde par le monde. Ce qui nest videmment le cas nide lalphabet arabe, ni, encore moins, de lalphabettifinagh. Noublions pas non plus quun long pro-cessus damnagement linguistique sest opr aufil des dcennies et des recherches depuis plus dunquart de sicle.

    Standardisation et enseignement delamazighe

    Entre autres questions poses par lenseigne-ment du berbre quel que soit le pays, il y a cellede la notation de la graphie et de sa codification,celle de la standardisation, celle de lobjet de len-seignement (le parler local, le golecte ou le pan-berbre), celle de sa gnralisation lensemble descycles, lensemble des apprenants, de son option

    ou de son obligation pour tous, etc.Pour ce qui est de la codification de la graphie

    qui reprsente une tche pralable toute opra-tion de standardisation de la langue, il y a lieu dedistinguer deux niveaux diffrents : dun ct lechoix dune graphie et de lautre, le mode de trans-cription de cette graphie.

    Pour cela, il existe deux types de transcriptionstout fait distincts, la transcription phontique et latranscription phonologique : la premire sattache

    transposer le plus fidlement possible toutes lesparticularits phontiques des dialectes ou des par-

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    lers que lon tudie. Le transcripteur note toutes lesvariantes individuelles, dialectales ou contextuellesobserves, la seconde, celle qui est prconise par laplupart des berbrisants dans une perspective pan-berbre, permet entre autres dliminer les variantes

    dialectales, les variantes contextuelles, notammentlemphatisation et la sonorisation, les variantes vo-caliques en sen tenant uniquement au triangle vo-calique fondamental et de rtablir les assimilationsdans leur forme initiale. (cf. afi, 1992).

    Cest ainsi quau Maroc, pour le choix dune gra-phie, lIRCAM a opt pour le tifinagh5. Ce choixest fond sur une approche tendance phonolo-gique. Ce systme graphique supradialectal pr-senterait lavantage dunifier lamazighe au niveau

    de lcrit tout en permettant des ralisations pho-ntiques particulires au niveau de la prononcia-tion des units phoniques, de laccent, de lintona-tion, du rythme, etc. (cf. Ameur & Bouhjar, 2003).Lobjectif vis tant que le mme texte crit enamazighe soit lu par les locuteurs, ventuellementselon leurs donnes phoniques et prosodiques na-tives, exactement comme un texte crit en alphabetarabe et lu diffremment dans dautres pays arabes,en Egypte, dans le Golfe ou ailleurs.

    Lautre question laquelle est confront len-seignement du berbre est celle de la standardi-sation. Mais face la ralit sociolinguistique duberbre, celle-ci requiert dabord que lon rponde une question centrale qui dterminera les actionsfutures de normalisation. En effet, quel est lobjet normaliser6 ? Est-ce le parler local, le golecteou le pan-amazighe pour en faire lamazighe com-mun ?

    Mme si la troisime option semble se fondersur certains arguments solides comme lunit de

    la langue au niveau de toute la Berbrie, le sym-bole idologique fort, etc., elle a t juste titrevite carte parce que trop coteuse, et de surcrottrs risque. Les linguistes berbrisants commeS. Chaker, mettent en garde contre llaborationdun monstre normatif sans ancrage dans laralit sociolinguistique et culturelle, supposerque lon puisse aplanir les difficults inhrentes la construction de son identit linguistique au ni-veau phonologique, morphologique, lexical et syn-

    taxique (V. A. Boukous, 2003).Sur le plan pdagogique, cette option auraitlimmense inconvnient de dtourner les appre-

    nants dune langue non familire assimilable auxlangues non maternelles enseignes jusquici lcole avec les consquences dsastreuses que lonconnat dsormais en termes dchec scolaire, din-scurit linguistique, de haine de soi, dalination,

    etc. (cf. Saib, 1995).Enfin, avec cette option, le risque est granddaboutir, comme la peru S. Chaker, une situa-tion diglossique dans le domaine amazighe lins-tar de celle que connat larabe. Cest ainsi quunconsensus sest form entre les spcialistes autourde loption de la standardisation de lamazighe endeux tapes :

    La premire correspond la normalisation de lasituation linguistique intragolectale, au niveau des

    grandes aires dialectales. Cela permet dune part, derester coll la ralit sociolinguistique golectalepour assurer les conditions de la scurit linguistique etculturelle des communauts rgionales, et dautre part,dobtenir un consensus ncessaire au succs de lentre-prise au niveau des diffrentes sensibilits rgionales.

    La seconde tape correspond la mise en place delopration de standardisation intergolectale. Ce tra-vail qui doit servir de base la standardisation pan-amazighe, permet d valuer la nature et le volume desdiffrences phoniques, morphologiques et lexicales entreles parlers dans le but dapprcier leur juste valeurles divergences significatives entre les dialectes (V. A.Boukous, 2004)

    Cette stratgie un double avantage. Dabord,elle garantit la proximit sociolinguistique du go-lecte aux locuteurs des parlers dune mme airedialectale et culturelle, ensuite, elle transcende lesdiffrences dialectales superficielles pour tablir unpont dintercomprhension lchelle nationale auservice non seulement des berbrophones, mais

    galement des arabophones soucieux daccder cette langue ainsi normalise6.Lunification de la langue est trs attendue de la

    part des amazighophones et la pression militante sefait sentir chaque jour davantage. Mais le berbreconnat une situation indite de son histoire, et

    6-La question sest souvent (im)pose de par le monde. Les Arabes etles Franais se sont vus ainsi imposer respectivement le dialecte qo-rachite et le dialecte francien qui deviennent respectivement la lan-gue arabe classique et la langue franaise. Lune et lautre ne sont lorigine quun dialecte parmi tant dautres parlers lpoque. Pour le

    premier, dans la Pninsule arabique ; pour le second, en Gaule, lan-cienne France (et plus prcisment la rgion parisienne). Ils furent lunet lautre soutenus par le pouvoir, religieux pour lun (Coran), temporelpour lautre.

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    les dfis sont donc importants. Son amnagementsinscrit dans cette conjoncture urgente certes,mais lurgence ne devrait pas conduire limprovi-sation et la prcipitation. La ralisation de cettetche devrait adopter une approche mthodique,

    rationnelle, progressive et flexible intgrant unedmarche alliant la recherche, limplmentation,lexprimentation et la rgulation. (V. A. Boukous,2003)7.

    Enfin, et pour rester fidle lesprit de la Charteuniverselle des droits de lhomme et aux prin-cipes de lducation universelle prconiss parlUNESCO, lesquels sont bass sur une approcherationnelle et quitable de linsertion de la languematernelle dans lducation, lenseignement du ber-

    bre devrait tre gnralis lensemble de la po-pulation scolaire, en appliquant bien videmmentles principes didactiques qui simposent (ceux deL1 pour les amazighophones et L2 pour les ara-bophones), devrait tre obligatoire au mme titreque les autres enseignements fondamentaux afindviter la baisse bien connue de linvestissementpsychologique des lves pour les enseignementsoptionnels non sanctionns par une valuation for-melle, et intgr pleinement et entirement dansles diffrents cycles du systme ducatif, du prsco-laire au suprieur. Lobjectif est de former une g-nration de citoyens panouis dans leur tre, dansleur socit ; ouvert sur le monde et sur les valeursuniverselles qui fondent lhumanit.

    Rfrences bibliographiques :

    1) AMEUR M. & BOUHJAR A. 2003 : Norme graphiqueet prononciation de lamazighe , in Prologue, Revue Ma-ghrbine du Livre, n 27/28, pp. 21-28.

    2) AMEUR M. & BOUMALEK A., (Dir.) 2004 : Stan-dardisation de lamazighe ,Actes du sminaire organis parle Centre de lamnagement linguistique Rabat du 8 au 9dcembre 2003, IRCAM, Rabat, p 278.

    3) AOURID, H. 1999 : Les identits enrichissantes , LeJournal, du 3 au 9 avril, Rabat. in Cahier du Centre TarikIbn Zyad, Casablanca.

    4) BASSE, A. 1959 : criture libyque et touargue , Ar-ticles de dialectologie berbre, Paris, pp. 167-175.

    7-Cette perspective pan-amazighe doit tre manie donc avec uneextrme prudence. La langue berbre est une, mais sa diversit lin-

    guistique et sociolinguistique impose que lon intgre la variation dansla dfnition dune norme [...] Ni norme pan-berbre, artifcielle et

    mythique, ni multiplication des normes dialectales accusant et fgeantla diversit. La voie est troite certes, mais cest cette seule condi-tion que lunit -dans la diversit- du berbre pourra tre consolide.(Chaker, 1989).

    5) BOUKHRIS F. 2003 : radition berbrisante et pr-mices de la standardisation de lamazighe , in Prologue,Revue Maghrbine du Livre, n 27/28, pp. 35-42.

    6) BOUKOUS, A. (Coord.) 2003 : Lamazighe : les d-fis dune renaissance , Prologue, Revue Maghrbine duLivre, n 27/28.

    7) BOUNFOUR A. 1994 : Le Noeud de la langue. Langue,littrature et socit au Maghreb, Aix-en-Provence, Edi-sud, 135 p. (Institut National des langues et CivilisationsOrientales - Centre de Recherche Berbre, 3).

    8) CHAFIQ, M. 1989/93 : Dictionnaire arabe-amazighe, (enarabe), Acadmie du Maroc

    9) CHAFIQ, M. 2000 : Pour un Maghreb dabord maghrbin,Publication du centre arik ibn Ziyad pour les tudes etla recherche, Rabat.

    10) CHAKER, S. 1984 : Textes en linguistique berbre, Paris,ditions du CNRS.

    11) CHAKER, S. 1989 : Berbres aujourdhui, Paris, lHar-mattan.

    12) FEVRIER, J.G. 1956 : Que savons-nous du libyque? Revue africaine, 100, pp. 263-273.13) GALAND, L. 1966 : Inscriptions libyques , Inscrip-

    tions antiques du Maroc, Paris, pp. 1-79.14) GALAND, L. 1986 : La langue berbre existe-t-elle? ,

    Mlangeslinguistiques offerts Maxime Rodinson, Paris,Geuthner.

    15) LEWICKI ., Queslques textes indits en vieux ber-bres provenant dune chronique ibadhite anaonyme ,Revue d tudes islamiques, 1934, Cahier III, pp. 275-296.

    16) QUIOU, M. 1997 : Grammaire berbre (rifain, tama-zight, chleuh, kabyle), lHarmattan, Paris.

    17) QUIOU, M. 1999 : Lenseignement des langues

    orales : le cas du berbre au Maghreb , La Revue desDeux Rives, n1, oulouse, pp.155-161.18) QUIOU, M. 2001 : Le Maghreb, une diversit

    linguistique en qute de reconnaissance , in pluralitdes langues, pluralisme linguistique, quels enjeux pour lessystmes dducation et de formation, Paris, lHarmattan.Ouvrage collectif sous la direction de E. Rgnault & .Longo, pp. 110-115.

    19) QUIOU, M. 2006 : Lenseignement du berbre enFrance et en Europe , Le Monde amazighe, dcembren79, Rabat. http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=auteurs&obj=artiste&no=868.

    20) SAIB, J. 1995 : Apprentissage dans une langue non ma-

    ternelle et russite scolaire : le cas des lves berbres enmilieu rural , Awal, 12, pp. 67-88.21) SAIB, J. 2003 : Des mthodes de lenseignement de

    lamazighe : examen rtrospectif et prospectif , in Pro-logue, Revue Maghrbine du Livre, n 27/28, pp. 53-60.

    22) AFI, M. 1992 : Lcriture de la langue berbre : pro-blmes de notation , Revue de la facult des lettres de Fs,pp. 139-157.

    23) IGZIRI, N. 2002 : Enseignement de la langue ama-zighe : tat des l ieux , Passerelles, n 24, Tionville, [www.passerelles.org].