la langue berbère au sahara

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  • 7/29/2019 La langue berbre au Sahara

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    Salem Chaker

    La langue berbre au SaharaIn: Revue de l'Occident musulman et de la Mditerrane, N11, 1972. pp. 163-167.

    Citer ce document / Cite this document :

    Chaker Salem. La langue berbre au Sahara. In: Revue de l'Occident musulman et de la Mditerrane, N11, 1972. pp. 163-

    167.

    doi : 10.3406/remmm.1972.1152

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0035-1474_1972_num_11_1_1152

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_remmm_111http://dx.doi.org/10.3406/remmm.1972.1152http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0035-1474_1972_num_11_1_1152http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0035-1474_1972_num_11_1_1152http://dx.doi.org/10.3406/remmm.1972.1152http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_remmm_111
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    LA LANGUE BERBRE AU SAHARApar S. CHAKER

    Dans un article de 1948, intitul "la langue berbre au Sahara", Andr B assetopposait les parlers rsiduels aux parlers solidement implants. Ces dernierscomprenaient uniquement les parlers du groupe touareg, et les parlers rsiduelstous ceux du Sahara central et septentrional de l'Egypte l'Atlantique, c'est dire :

    en Egypte : Siwa en Libye : Awgila, Sokna, le Djebel Nefoussa et Ghadames dont le parlera t bien dcrit par Lanfry. en Tunisie : quelques villages berbrophones du sud tunisien, (Tawjjut,Zrawa, Tamezret, Chnini et Dwiret). en Algrie : quelques villages de l'oued Righ autour de Touggourt,Ngoussa et Ouargla, les villes du Mzab, la moiti des oasis du Gourara (l'enqutede J. Bisson de 1955 donne 63 % de berbrophones parmi les sdentaires),Tamentit et Tittaf dans le Touat, Tit dans le Tidikelt.Il faut ajouter cela la quasi totalit des ksours du sud oranais de part etd'autre de la frontire algro-marocaine et l'lot compltement isol des Zenegaprs du Sngal.Nous ne reprendrons pas ce critre de classification qui fait appel desdonnes de gographie humaine et de socio-linguistique, comme l'importancenumrique du groupe envisag, le degr de son ventuel bilinguisme, qui sont trs

    difficiles valuer et surtout sujettes des volutions rapides, maints exemples leprouvent.Nous prfrons adopter des critres plus linguistiques, mme si le problmede la classification des dialectes berbres est loin d'tre rsolu de faon satisfaisante.Aussi, centrerons nous notre propos sur deux groupes du Sahara algrien, ledialecte touareg et les parlers zntes.A. LES PARLERS ZENETES

    Existe-t-il un groupe linguistique znte ? La question est complexe, et nousn'y rpondrons pas de faon dfinitive. Nous savons, en tous cas que les historiensarabes, notamment Ibn Khaldoun dans son "Histoire des Berbres", nous ont

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    164 S- CHAKERbeaucoup parl des Zntes et de leur rle dans le Moyen-Age maghrbin. CesZntes, bien que Berbres, s'opposaient trs nettement, dans l'esprit des historiens arabes, tous les autres Berbres. Et cela un tel point qu'ils leurattribuaient des anctres mythiques diffrents, les Zntes descendant de Mad7is etles autres Berbres, les Senhaga, descendant de Mazi7.

    Or, de nos jours, certains groupes berbres dsignent leur parler sous le termede "znatia", ou du moins utilisent ce qualificatif concurremment un autre. Cesgroupements sont ceux du Sahara central et septentrional algrien. Mais ce termeest aussi employ par les quelques lots berbrophones de l'ouest algrien :Ouarsenis, Teniet el Had ... (et peut tre les franges Est des parlers marocains,Rif et Moyen Atlas)Effectivement, les historiens arabes situaient le centre du monde znte dansles hautes plaines Oranaises. Mais ils nous ont aussi appris que cette rgion avait

    t le thtre de nombreux remous et trs tt occupe par des populations arabes.Une partie des Zntes s'est alors rfugie au Sahara, o elle s'est souventsuperpose un peuplement plus ancien (parfois ngrode, comme dans leGourara), l'autre partie, reste sur place, a t largement arabise.L'examen de tous ces parlers montre qu'ils possdent en commun quelquestraits linguistiques qui les opposent tous les autres dialectes berbres. les systmes phonlogiques de ces parlers traitent les occlusives palatales duberbre de faon identique. La palatale sourde passe la fricative pr-palatale oupost-palatale : /k/ => /c , x/ ; et la palatale sonore passe fricative sonore /g/ => /j/,parfois /y/,

    /k/=>/c, x/ /g/=>/j,y/amekli = amecli agellid = ajellidtikli = ticli ' igider = ijiderakrar = axrar eg = ej / eyLes tendues /kk/ et /gg/ passent frquemment aux affriques correspondantes

    // et /l :nekk = ne argaz => argaz

    Ce traitement ne risque pas de provoquer de confusions car les phonmes /c/et HI du berbre sont d'une frquence faible. la morphologie du verbe prsente aussi quelques aspects particuliers dansces parlers. Les verbes bilitres voyelle d'aoriste zro (type "gel", "ns", "n7 ")qui ont dans les autres dialectes un vocalisme de prtrit i/a, ont un vocalisme i/uen znatia :

    kabyle, chleuh, touareg. znatia."ns" (passer la nuit)Ie pers. Sing. nsi y nsi y2e pers. Sing. tensid tensid3 e pers. Sing. yensa yensu

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    LA LANGUE BERBERE AU SAHARA 165 les parlers zntes utilisent tous un dmonstratif base vocalique /u/,alors que cette base est partout ailleurs /a/ : argaz-a * argaz-u, cet homme.Bien que seules des tudes plus approfondies puissent rtablir de faon

    certaine, ces quelques faits, que nous considrons quant nous comme l'indiced'une tendance volutive trs marque la concordance des donnes kabyles,chleuhs et touaregs est rvlatrice cet gard , semblent indiquer l'existenced'un groupe linguistique znte assez bien individualis, ce qui expliquerait alorscette dmarcation nette entre Zntes et Senhaga que faisaient les historiens arabes.L'importance numrique de ce groupe est difficile prciser, il ne doitpourtant pas dpasser 225 000 personnes dont les 3/4 sont situes au Mzab. Lebilinguisme est gnral chez ces populations et il semble bien qu'il y ait rgressionsur quelques points, Tamentit notamment, ces dernires annes. Nous voudrions ce propos nous lever contre une erreur trs courante qui consiste croire que le

    bilinguisme implique la disparition rapide du berbre. Nous citerons titred'exemple le cas des Bni Salah, petit groupe berbrophone de la rgion de Blida,que beaucoup croyaient dj disparu (en 1905, Doutt et Gauthier, le disaientdj vou une disparition rapide). En dpit de toutes ces prvisions pessimistes,j'ai pu avoir l'an dernier, la preuve, non seulement de sa survivance, mais aussi desa "bonne sant", puisque j'ai rencontr tout fait par hasard un groupe de dixenfants qui le parlaient fort bien.En fait, mme l o il est trs isol et concurrenc par l'arabe, le berbre nedisparat que trs lentement, car s'il cde facilement la rue, les activits ext

    rieures, l'arabe, il suffit pour cela qu'un commerant arabe s'installe , il semaintient fort longtemps au sein du groupe restreint, dans la famille. C'est sansdoute cette confusion entre disparition de la vie publique et disparition effectiveet totale qui est l'origine du pourcentage extrmement bas de berbrophonesque donne le recensement algrien de 1967 (17,8 %).B. LE GROUPE TOUAREG

    Si les Touareg se distinguent trs nettement des autres populations nord-africaines, par leur organisation sociale, leurs coutumes et leur habillement, ilsconstituent aussi un groupe original sur le plan linguistique puisque leur dialectediverge sur bien des points des autres dialectes berbres. Cette originalit est bienentendu la consquence de l'isolement gographique et historique des Touareg.Comme tous les dialectes berbres, le touareg n'est pas un ensemblehomogne et est constitu de plusieurs parlers : tahaggart : parle par les Kel Ahaggar, les Kel Ajjer et les Taytuq. tayirt : parle par les Kel Ayir. tadyaq : parle par les Kel Ada7. tawllemet : parle par les Iwllemeden et les Touareg de la boucle duNiger.A ces quatre parlers nomades, on doit ajouter les parlers des sdentaires deGhat et de Ganet. Ces parlers prsentent des divergences parfois importantes,

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    166 S. CHAKERsurtout dans le lexique ; au cours d'une enqute mene au Mali en 1934, A. Bassets'est aperu que sur 500 verbes recueillis, 100 ne figuraient pas dans ledictionnaire du Pre de Foucauld consacr au dialecte de l'Ahaggar et que sur1500 noms, 800 n'y figuraient pas. Mais chacun de ces parlers pris individuellementonstitue un ensemble bien homogne, malgr quelques divergences mineuresd'un groupe un autre (ex : Ajjer et Ahaggar).

    D'un point de vue de linguiste, l'intrt essentiel du touareg, tient au faitqu'il a conserv des formes archaques nombreuses et que, jusqu' ces derniresannes, il n'a gure fait d'emprunts l'arabe. le systme consonnatique du touareg correspond pratiquement au systmefondamental du berbre. Le systme n'a volu que sur deux points qui netouchent pas l'quilibre du systme : /z/ =^> /h, c, j/ et /x/ non phonologiqueen berbre l'est devenu par le biais d'emprunts arabes. le systme verbal est profondment original sur plusieurs points :. le participe verbal a conserv ses accords de genre et de nombre et diffrepar l des dialectes nord qui ont un participe invariable ou n'ont que l'accord denombre :

    Kabyle Chleuh Touareg. / yekcan - / masc. sing,yecan yeccan V tekcat ){em smlyeccamn j yekcanin-( pluriel

    . le touareg est le seul dialecte avoir gard de nombreux verbes suffixe/t/, (type'dubef).

    . le systme drivationnel y est d'une productivit spectaculaire et contribuepour une bonne part l'tonnante richesse lexicale de ce parler. Ainsi, partir du .verge "eg" (faire), le touareg cre une vingtaine de verbes et de noms drivs,alors que l'on en trouve peine un dans un dialecte nord, comme le kabyle, o laproductivit du systme a t touffe par l'invasion des emprunts arabe,

    . l'tat d'annexion, caractris dans le nord par la chute ventuelle de lavoyelle initiale et apparition d'une semi-voyelle /w/, l'est en touareg, par la seulechute de la voyelle initiale,. le lexique touareg est infiniment plus riche que celui des dialectes nord ; leseul dictionnaire de Charles de Foucauld compte quelques 18 000 mots, alors queles meilleurs dictionnaires consacrs aux dialectes nord ne dpassent pas 1500 2000 mots. Il a de plus conserv une foule de termes proprement berbres, dansdes domaines, o les autres dialectes ont emprunt massivement l'arabe.

    Certes, il serait faux de croire que le touareg est, (ou est trs proche de) laforme primitive du berbre, car on y observe maints phnomnes d'volutionnette, comme l'apparition dans le systme vocalique d'un phonme /e/, ou lacration d'un prtrit intensif. Mais, il n'en demeure pas moins que ce dialecteconstitue la pice matresse dans l'entreprise de reconstruction d'un berbrecommun. Il permet, d'autre part de comprendre bien des donnes des autresdialectes, souvent figes et non analysables.

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    LA LANGUE BERBERE AU SAHARA 167Le touareg demeure aussi le seul dialecte qui ait conserv l'criture berbresous la forme des tifina y.La situation actuelle du touareg et son avenir sont des questions trs

    complexes.Depuis la colonisation europenne, le monde touareg est reparti sur quatrepays, l'Algrie, la Lybie, le Mali et le Niger. Cette division a t encore accentuedepuis l'indpendance de ces pays et en quelques annes, les donnes socio-politiques ont tellement volu que l'on peut se demander si la langue et laculture touargues y survivront.Le destin d'une langue est troitement li celui du peuple qu i la parle. Or,le touareg tait et demeure essentiellement le vhicule des populations nomades,dont le rle politique, conomique et mme culturel a t rduit nant par lesbouleversements conomiques et politiques de ces dernires annes ; symptme

    rvlateur, les populations sdentaires, "izagga7en", notamment dans les grandscentres, utilisent de plus en plus l'arabe la place du berbre, rejetant par l, lalangue des anciens matres.En fait, l'heure actuelle, seul le Niger, semble offrir, aux populationstouargues, des perspectives srieuses de survie culturelle.

    Salem CHAKERClos Cangina, La Terrasse Bac.c.13 Aix en Provence

    DISCUSSION

    Mme P. Galand-Pernet voque la rsistance des patois ou des varitsrgionales du franais, qui se maintiennent souvent en dpit de circonstancesdfavorables. D est difficile de faire des pronostics. Dans le cas du berbre, un rledcisif revient aux femmes, qui demeurent les gardiennes du parler local. C'estleur volution leur scolarisation notamment qui pourrait acclrer les changements.En ce qui concerne la richesse du vocabulaire, Mme Galand-Pernet ne croitpas que le touareg surpasse les autres parlers berbres. Si ceux-ci bnficiaientd'enqutes aussi pousses que celles du P. de Foucauld, on verrait apparatre leursressources considrables en mots, locutions, "collocations", etc., comme le laissepressentir l'examen des littratures orales.

    L. Galand pense aussi que le travail du P. de Foucauld, par son excellence,dforme l'image d'ensemble que nous avons du lexique berbre. Peut-tre faut-iladmettre, avec S. Chaker, que le touareg possde plus de mots que les autresparlers, mais la richesse de l'expression ne dpend pas seulement du nombre desmots : elle provient aussi des associations, des locutions, des images, etc.