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CAHIERS FRANÇAIS N° 372 55 Qu’est-ce qu’un livre ? Un discours qui a cohé- rence et unité ou bien une anthologie de citations et d’extraits ? La conversion numérique d’objets de la culture écrite qui sont encore les nôtres, le livre, mais aussi la revue ou le journal, oblige de faire retour sur la question fondamentale. Cette opération est au fondement même de la constitution de collections électroniques permettant l’accès à distance des fonds conservés dans les bibliothèques. Bien fou serait celui qui jugerait inutile ou dangereuse cette extraordinaire possibilité offerte à l’humanité. Le rouleau, le codex, l’écran Tous les livres pour chaque lecteur, où qu’il soit : le rêve est magnifique, promettant un accès universel aux savoirs et à la beauté. Toutefois, il ne doit pas faire perdre raison. Certes, le transfert du patrimoine écrit d’une matérialité à une autre n’est pas sans précédents. Au XV siècle, la nouvelle technique de reproduction des textes fut mise massivement au service des genres qui dominaient la culture du manuscrit : manuels de la scolastique, livres liturgiques, compilations encyclopédiques, calendriers et prophéties. Dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, l’invention du livre qui est encore le nôtre, le codex, avec ses feuillets, ses pages et ses index, accueillit dans un nouvel objet les Écritures sacrées et les œuvres des auteurs grecs et latins. Textes, supports et manières de lire L’histoire n’enseigne rien, malgré le lieu commun qui lui attribue des leçons, mais dans ces deux cas, elle montre un fait essentiel pour comprendre le présent, à savoir, qu’un « même » texte n’est plus le même lorsque changent le support de son inscription, donc, également, les manières de le lire et le sens que lui attribuent ses nouveaux lecteurs. La lecture du rouleau dans l’Antiquité supposait une lecture continue, elle mobilisait tout le corps puisque le lecteur devait tenir l’objet écrit à deux mains et elle interdisait d’écrire durant la lecture (1) . Le codex, manuscrit puis imprimé, a permis des gestes inédits. Le lecteur peut feuilleter le livre, désormais organisé à partir de cahiers, feuil- lets et pages et il lui est possible d’écrire en lisant. (1) Colin H. Roberts et T. C. Skeat (1987), The Birth of the Co- dex, Londres, Published for the British Academy by Oxford Uni- versity Press ; Les débuts du codex, Alain Blanchard (ed.) (1989), Turnhout, Brepols ; et les deux essais de Guglielmo Cavallo, « Testo, libro, lettura », in Lo spazio letterario di Roma antica, Edited by Guglielmo Cavallo, Paolo Fedeli et Andrea Giardino (eds.), Rome, Salerno editrice, t. II, p. 307-341 et « Libro e cultura scriitta », in Storia di Roma, Aldo Schiavone (ed.), Turin, Einaudi, t. IV, 1989, p. 693-734. L’ÉCRIT À L’ÈRE DU NUMÉRIQUE Roger Chartier Professeur au Collège de France Le numérique constitue pour le livre une mutation bien plus forte encore que celles jadis représentées par le passage du rouleau au codex ou, au XV siècle, par la nouvelle tech- nique de reproduction des écrits. Les manières de lire peuvent s’en trouver à nouveau révolutionnées, le monde numérique favorisant une lecture par fragments au rebours d’une approche des textes appréhendés dans leur totalité. L’entreprise de numérisation de Google entend exploiter ces lectures discontinues et segmentées mais, nonobstant son discours de démocratisation de la culture, on peut s’inquiéter des conséquences éventuelles de la logique du profit qui est la sienne tout comme de sa position de monopole. Roger Chartier explique par ailleurs que le numérique suscite des écritures originales – polyphoniques et palimpsestes –, libérées de la morphologie du codex et du régime du copyright. C. F.

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Cahiers français n° 372 55

Qu’est-ce qu’un livre ? Un discours qui a cohé-rence et unité ou bien une anthologie de citations et d’extraits ? La conversion numérique d’objets de la culture écrite qui sont encore les nôtres, le livre, mais aussi la revue ou le journal, oblige de faire retour sur la question fondamentale. Cette opération est au fondement même de la constitution de collections électroniques permettant l’accès à distance des fonds conservés dans les bibliothèques. Bien fou serait celui qui jugerait inutile ou dangereuse cette extraordinaire possibilité offerte à l’humanité.

Le rouleau, le codex, l’écran

Tous les livres pour chaque lecteur, où qu’il soit : le rêve est magnifique, promettant un accès universel aux savoirs et à la beauté. Toutefois, il ne doit pas faire perdre raison. Certes, le transfert du patrimoine écrit d’une matérialité à une autre n’est pas sans précédents. Au XVe siècle, la nouvelle technique de reproduction des textes fut mise massivement au service des genres qui dominaient la culture du manuscrit : manuels de la scolastique, livres liturgiques, compilations encyclopédiques, calendriers et prophéties. Dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, l’invention du livre qui est encore le nôtre, le codex, avec ses

feuillets, ses pages et ses index, accueillit dans un nouvel objet les Écritures sacrées et les œuvres des auteurs grecs et latins.

Textes, supports et manières de lire

L’histoire n’enseigne rien, malgré le lieu commun qui lui attribue des leçons, mais dans ces deux cas, elle montre un fait essentiel pour comprendre le présent, à savoir, qu’un « même » texte n’est plus le même lorsque changent le support de son inscription, donc, également, les manières de le lire et le sens que lui attribuent ses nouveaux lecteurs. La lecture du rouleau dans l’Antiquité supposait une lecture continue, elle mobilisait tout le corps puisque le lecteur devait tenir l’objet écrit à deux mains et elle interdisait d’écrire durant la lecture(1). Le codex, manuscrit puis imprimé, a permis des gestes inédits. Le lecteur peut feuilleter le livre, désormais organisé à partir de cahiers, feuil-lets et pages et il lui est possible d’écrire en lisant.

(1) Colin H. Roberts et T. C. Skeat (1987), The Birth of the Co-dex, Londres, Published for the British Academy by Oxford Uni-versity Press ; Les débuts du codex, Alain Blanchard (ed.) (1989), Turnhout, Brepols ; et les deux essais de Guglielmo Cavallo, « Testo, libro, lettura », in Lo spazio letterario di Roma antica, Edited by Guglielmo Cavallo, Paolo Fedeli et Andrea Giardino (eds.), Rome, Salerno editrice, t. II, p. 307-341 et « Libro e cultura scriitta », in Storia di Roma, Aldo Schiavone (ed.), Turin, Einaudi, t. IV, 1989, p. 693-734.

L’ÉCriT À L’Ère DU nUMÉriQUeRoger ChartierProfesseur au Collège de France

Le numérique constitue pour le livre une mutation bien plus forte encore que celles jadis représentées par le passage du rouleau au codex ou, au XVe siècle, par la nouvelle tech-nique de reproduction des écrits. Les manières de lire peuvent s’en trouver à nouveau révolutionnées, le monde numérique favorisant une lecture par fragments au rebours d’une approche des textes appréhendés dans leur totalité. L’entreprise de numérisation de Google entend exploiter ces lectures discontinues et segmentées mais, nonobstant son discours de démocratisation de la culture, on peut s’inquiéter des conséquences éventuelles de la logique du profit qui est la sienne tout comme de sa position de monopole. Roger Chartier explique par ailleurs que le numérique suscite des écritures originales – polyphoniques et palimpsestes –, libérées de la morphologie du codex et du régime du copyright.

C. F.

DOssier - L’ÉCriT À L’Ère DU nUMÉriQUe

Cahiers français n° 37256

Le livre peut être paginé et indexé, ce qui permet de citer précisément et de retrouver aisément tel ou tel passage(2). La lecture ainsi favorisée est une lecture discontinue mais pour laquelle la perception globale de l’œuvre, imposée par la matérialité même de l’objet, est toujours présente.

Les bibliothèques le savent, même si certaines d’entre elles ont pu avoir, ou ont encore la tentation de reléguer loin des lecteurs, voire de détruire, les objets imprimés dont la conservation semblait assurée par le transfert sur un autre support : le microfilm et la micro-fiche d’abord, le fichier numérique aujourd’hui(3). Contre cette mauvaise politique, il faut rappeler que protéger, cataloguer et rendre accessibles (et pas seulement pour les experts en bibliographie matérielle) les textes dans les formes successives ou concurrentes qui furent celles où les ont lus leurs lecteurs du passé, et d’un passé même récent, demeure une tâche fondamentale des biblio-thèques – et la justification première de leur existence comme institution de conservation et lieu de lecture. À supposer que les problèmes techniques et financiers de la numérisation soient résolus et que tout le patrimoine écrit puisse être converti sous une forme numérique, la conservation et la communication de ses supports antérieurs n’en seraient pas moins nécessaires. Sinon, la félicité promise par cette bibliothèque d’Alexandrie enfin réalisée se paierait au prix fort de l’amnésie des passés qui font que les sociétés sont ce qu’elles sont.

Et ce, d’autant plus que la numérisation des objets de la culture écrite qui est encore la nôtre (le livre, la revue, le journal) leur impose une mutation bien plus forte que celle impliquée par la migration des textes du rouleau au codex.

La transformation de la relation entre le fragment et la totalité

L’essentiel ici me paraît être la profonde transfor-mation de la relation entre le fragment et la totalité. Au moins jusqu’à aujourd’hui, dans le monde électro-nique, c’est la même surface illuminée de l’écran de l’ordinateur qui donne à lire les textes, tous les textes, quels que soient leurs genres ou leurs fonctions. Est ainsi rompue la relation qui, dans toutes les cultures

(2) Peter Stallybrass, « Books and Scrolls : Navigating the Bible », in Books and Readers in Early Modern England, Jennifer Andersen et Elizabeth Sauer (eds.), Philadelphia, The University of Pennsylvania Press, 2002, p. 42-79.

(3) Nicholson Baker, Double Fiold : Libraries and Assault on Paper, Londres, Vintage Books / Random House, 2001.

écrites antérieures, liait étroitement des objets, des genres et des usages. C’est cette relation qui organise encore les différences immédiatement perçues entre les différents types de publications imprimées et les attentes de leurs lecteurs, guidés dans l’ordre ou le désordre des discours par la matérialité même des objets qui les portent. Et c’est cette relation, enfin, qui rend visible la cohérence des œuvres, imposant la perception de l’entité textuelle, même à celui ou celle qui n’en veut lire que quelques pages. Il n’en va plus de même dans le monde de la textualité numé-rique puisque les discours ne sont plus inscrits dans des objets qui permettent de les classer, hiérarchiser et reconnaître dans leur identité propre. Le monde numérique est un monde de fragments décontextua-lisés, juxtaposés, indéfiniment recomposables, sans que soit nécessaire ou désirée la compréhension de la relation qui les inscrit dans l’œuvre dont ils ont été extraits.

On objectera qu’il en a toujours été ainsi dans la culture écrite, largement et durablement construite à partir de recueils d’extraits, d’anthologies de lieux communs (au sens noble de la Renaissance(4)), de morceaux choisis. Certes. Mais, dans la culture de l’imprimé, le démembrement des écrits est accom-pagné de son contraire : leur circulation dans des formes qui respectent leur intégrité et qui, parfois, les rassemblent dans des « œuvres », complètes ou non. De plus, dans le livre d’extraits lui-même les fragments sont nécessairement, matériellement, rapportés à une totalité textuelle, reconnaissable comme telle.

Plusieurs conséquences découlent de cette diffé-rence fondamentale. L’idée même de revue devient incertaine lorsque la consultation des articles n’est plus liée à la perception immédiate d’une logique éditoriale rendue visible par la composition de chaque numéro, mais est organisée à partir d’un ordre thématique de rubriques. Et il est sûr que les nouvelles manières de lire, discontinues et segmentées, mettent à mal les catégories qui régissaient le rapport aux textes et aux œuvres, désignées, pensées et appropriées dans leur singularité et cohérence. Ce sont justement ces propriétés fondamentales de la textualité numérique et de la lecture face à l’écran que le projet commercial de Google entend exploiter.

(4) Francis Goyet, Le sublime du « lieu commun ». L’invention rhétorique dans l’Antiquité et à la Renaissance, Paris, Champion, 1996.

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Cahiers français n° 372 57

Bibliothèques numériques et marché de l’information

Le projet commercial de Google…

Le marché visé par Google est celui de l’infor-mation. Les livres, tout comme d’autres ressources numérisables, constituent un immense gisement où elle peut être puisée. De là, la perception immédiate et naïve de tout livre, de tout discours comme une banque de données fournissant les « informations » à ceux qui les cherchent. Satisfaire cette demande et en tirer profit, tel est le premier but de l’entreprise, et non pas construire une bibliothèque universelle à la disposition de l’humanité. Google ne semble d’ailleurs pas très bien équipé pour le faire à en juger par les multiples erreurs de datation, de classification et d’identification produites par l’extraction automatique des données et relevées avec ironie par Geoffrey Nunberg(5). Pour le marché de l’information, ces bévues sont secondaires. Ce qui importe est l’indexation et la hiérarchisation des don-nées et les mots-clés et rubriques qui permettent d’aller au plus vite aux documents les plus « performants ».

La découverte d’un nouveau marché, toujours en expansion, et les prouesses techniques qui donnent à Google un quasi-monopole sur la numérisation de masse ont assuré le grand succès et les copieux bénéfices de

(5) Geoffrey Nunberg, « Google’s Search : A Disaster for Scho-lars », The Chronicle of Higher Education, 31 août 2009.

cette logique commerciale. Elle suppose la conversion électronique de millions de livres, tenus comme une inépuisable mine d’informations. Elle exige, en consé-quence, des accords passés ou à venir avec les grandes bibliothèques du monde mais aussi, comme on l’a vu, une numérisation d’envergure, guère préoccupée par le respect du copyright, et la constitution d’une gigantesque base de données, capable d’en absorber beaucoup d’autres, de tous ordres, et d’archiver les informations les plus personnelles sur les internautes utilisant les multiples services proposés par Google.

Toutes les controverses actuelles dérivent de ce projet premier. Ainsi, les procès faits par certains éditeurs européens pour reproduction et diffusion illégales d’œuvres sous droits. Ou bien l’accord passé entre Google et l’Association des éditeurs et la Société des auteurs américains, qui prévoit le partage des droits demandés pour l’accès aux livres sous copyright, mais qui n’a pas été validé par le juge new-yorkais qui en examine la compatibilité avec les lois anti-trust(6). Ou encore, le lancement spectaculaire de Google Edition, qui est, en fait, une puissante librairie numérique destinée à concurrencer Amazon dans la vente des

(6) Google et l’association des éditeurs américains AAP ont rendu public, le 4 octobre 2012, « un accord à l’amiable qui va permettre l’accès à des livres et des journaux soumis aux droits d’auteur et numérisés par Google pour son projet de bibliothèque » en ligne. Cet accord n’a pas besoin d’être validé par la justice américaine. Le syndicat américain des auteurs continue, toutefois, son action en justice. (NDLR)

DOssier - L’ÉCriT À L’Ère DU nUMÉriQUe

Cahiers français n° 37258

livres électroniques. Sa constitution serait rendue possible par la mainmise de Google sur cinq mil-lions de livres « orphelins », toujours protégés par le copyright, mais dont les éditeurs ou ayants droit ont disparu, et par l’accord qui légaliserait, après coup, les numérisations pirates.

… et les préoccupations qu’il suscite

Les représentants de la firme américaine proclament leurs bonnes intentions : démocratiser l’information, rendre accessibles les livres indisponibles, rétribuer correctement auteurs et éditeurs, favoriser une législa-tion sur les livres « orphelins ». Et, bien sûr, assurer la conservation pour toujours d’ouvrages menacés par les désastres qui, parfois, frappent les bibliothèques. Cette rhétorique du service du public et de la démocratisation universelle ne suffit pas pour lever les préoccupations. Robert Darnton convoque les idéaux des Lumières pour mettre en garde contre les possibles conséquences de la logique du profit qui gouverne les entreprises goo-gliennes(7). Certes, jusqu’ici une claire distinction est établie entre les ouvrages tombés dans le domaine public, qui sont accessibles gratuitement sur Google Books, et les livres sous droits, orphelins ou non, dont l’accès et, maintenant l’achat sur Google Edition, sont payants. Mais rien n’assure que dans le futur, l’entreprise, en situation de monopole, n’imposera pas des droits d’accès ou des prix de souscription considérables en dépit de l’idéologie du bien public et de la gratuité qu’elle affiche actuelle-ment. D’ores et déjà, un lien existe entre les annonces publicitaires, qui assurent les profits considérables de Google, et la hiérarchisation des informations qui résulte de chaque recherche sur Google’s Search.

C’est dans ce contexte qu’il faut situer les débats suscités par la décision de certaines bibliothèques euro-péennes de confier la numérisation de tout ou partie de leurs collections à Google, dans le cadre d’une conven-tion ou, plus rarement, d’un appel d’offres. Dans le cas français, de tels accords et les discussions ouvertes pour en signer d’autres ne concernent jusqu’à maintenant que les livres du domaine public – ce qui, on l’a vu, ne protège pas nécessairement les autres, scannés en grand nombre dans les bibliothèques américaines. Faut-il poursuivre dans cette voie ? La tentation est forte dans la mesure où les budgets réguliers ne permettent pas de numériser beaucoup et vite. Pour accélérer la mise en

(7) Robert Darnton, The Case for Books : Past, Present, Fu-ture, New York, PublicAffairs, 2009, tr. fr. Apologie du livre : hier, aujourd’hui, demain, Paris, Gallimard, 2011.

ligne, la Commission européenne, les pouvoirs publics et certaines bibliothèques ont donc pensé qu’étaient nécessaires des accords avec des partenaires privés et, bien évidemment, avec le seul qui a la maîtrise technique (d’ailleurs gardée secrète) autorisant des numérisations massives. De là, les négociations, d’ailleurs prudentes et limitées, engagées entre la Bibliothèque nationale de France et Google. De là, les désaccords sur l’opportu-nité d’une telle démarche, tant en France qu’en Suisse où le contrat signé entre la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne et Google a entraîné une sérieuse discussion.

À constater la radicale différence qui sépare les raisons, les modalités et les utilisations des numérisa-tions des mêmes fonds lorsqu’elles sont portées par les bibliothèques publiques ou l’entreprise californienne, cette prudence est plus que justifiée et pourrait ou devrait conduire à ne pas céder à la tentation. Les justes réticences face à un partenariat aussi risqué ont plusieurs conséquences. D’abord, exiger que les financements publics des programmes de numérisation soient à la hauteur des engagements, des besoins et des attentes et que les États ne se défaussent pas sur des opérateurs privés des investissements culturels à long terme qui leur incombent. Ensuite, décider des priorités et construire des collections numériques cohérentes, respectueuses des critères d’identification des discours qui ont organisé et organisent encore la culture écrite et la production imprimée.

Écriture et édition numériques

L’obsession, peut-être excessive et indiscriminée, pour la numérisation ne doit pas masquer un autre aspect de la « grande conversion numérique », pour reprendre l’expression de Milad Doueihi(8), à savoir, la capacité de la nouvelle technique à porter des formes d’écriture originales, libérées des contraintes imposées, à la fois, par la morphologie du codex et le régime juridique du copyright. Cette écriture polyphonique et palimpseste, ouverte et malléable, infinie et mouvante, bouscule les catégories qui, depuis le XVIIIe siècle, sont le fonde-ment de la propriété littéraire et elle prend place dans un univers où ce sont les notions mêmes d’écriture, de sociabilité ou d’identité qui se trouvent redéfinies(9).

(8) Milad Doueihi, La Grande Conversion numérique, Paris, Seuil, 2008.

(9) François Bon, Après le livre, Paris, Seuil, 2011 et Milad Doueihi, Pour un humanisme numérique, Paris, Seuil, 2011.

DOssier - L’ÉCriT À L’Ère DU nUMÉriQUe?

Cahiers français n° 372 59

Comme l’indique Antonio Rodríguez de las Heras(10), dans l’espace numérique ce n’est pas l’objet écrit qui est plié, comme dans le cas de la feuille du livre manuscrit ou imprimé, mais le texte lui-même. La lecture consiste donc à « déplier » cette textua-lité mobile et infinie. Une telle lecture constitue sur l’écran des unités textuelles éphémères, multiples et singulières, composées à la volonté du lecteur, qui ne sont en rien des pages définies une fois pour toutes. L’image de la navigation sur le réseau, devenue si familière, indique avec acuité les caractéristiques de cette nouvelle manière de lire, segmentée, fragmentée, discontinue, qui défie profondément la perception des livres comme œuvres, des textes comme des créa-tions singulières et originales, toujours identiques à elles-mêmes et, pour cette raison même, propriété de leur auteur. Les nouvelles productions écrites, d’emblée numériques, posent dès maintenant la dif-ficile question de leur archivage et conservation. Les bibliothèques doivent y être attentives, au moment où elles développent la numérisation de leur patrimoine,

(10) Antonio R. de las Heras, Navegar por la información, Madrid, Los Libros de Fundesco, 1991, p. 81-164.

tout comme les éditeurs, confrontés aux différences entre les livres numérisés, qui ont ou ont eu aussi une existence imprimée, et les livres numériques, composés selon les logiques et ressources propres à la publication électronique(11). Ce qui est en jeu est la construction d’un nouvel ordre des discours où se croisent, pour s’opposer ou s’associer, concepts hérités et possibilités inédites. (*)

(*) Ce texte est une version révisée de la dernière partie d’une conférence donnée à la Bibliothèque nationale de France dans le cadre du colloque « Les métamorphoses du livre et de la lecture à l’heure du numérique » tenu à Paris les 22, 23 et 24 novembre 2010 et organisé par la DGESCO du ministère de l’Éducation natio-nale, la Bibliothèque nationale de France, le Celsa de l’Université Paris IV et l’École Estienne. Le texte intégral a été publié dans la revue Le Français aujourd’hui, n° 178, septembre 2012. Plusieurs intertitres sont de la Rédaction des Cahiers français.

(11) John B. Thompson, Books in the Digital Age. The Transfor-mation of Academic and Higher Education Publishing in Britain and the United States, Cambridge, Polity Press, 2005 et Merchants of Culure. The Publishing Business in the Twenty-First Century, Cambridge, Polity Press, 2011.

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