le testament musical de schubert

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LE TESTAMENT MUSICALDE SCHUBERT

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EN BREF

1827shy1828 LE TESTAMENT MUSICALDE SCHUBERTPAR MARC BOSMANS LUNDI 9 DEacuteCEMBRE 2013

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Extrait Ndeg1 (05shyimpromptushyenshylashybmolshymajeurshyopshy142shyn2mp3)

Eacutecoutez lImpromptu en la beacutemol majeur op142 ndeg2 D935 par Alexandre Sorel extrait du CDPianiste ndeg83

On peut faire commencer la derniegravere peacuteriode creacuteative de Schubert vers 1822 agrave lrsquoeacutepoque ougrave illaquo inachegraveve raquo outre la fameuse Symphonie en si mineur plusieurs sonates pour piano Ilsortira vainqueur cependant de cette crise estheacutetique avec la WanderershyFantasie en utmajeur dans laquelle il semble srsquoarcshybouter sur les principes formels beethoveacuteniens pourdevenir luishymecircme

Sonate en sol majeur  un paysage sonore incertain

Mais quatre ans plus tard agrave lrsquoautomne 1826 il franchit un nouveau palier vers un monde expressifavec la Sonate pour piano en sol majeur (D 894) qui peut ecirctre consideacutereacutee comme le deacutebut drsquounenouvelle peacuteriode eacutegalement marqueacutee par le grand Quatuor en sol majeur (D 887) Il ne lui resteplus que deux ans agrave vivre mais il nrsquoa que 29 ans et nrsquoimagine pas une issue si prochaine en deacutepitde problegravemes de santeacute reacutecurrents

Cette Sonate en sol majeur a quelque chose drsquoeacutetrange dans son plan mecircme De dimensionsimportantes (mais Schubert avait deacutejagrave composeacute de vastes formes au cours des anneacutees preacuteceacutedentes)elle sera publieacutee sous le titre de Fantaisie par un eacutediteur qui nrsquoadmettait peutshyecirctre pas qursquoune sonatecommenccedilacirct par un long mouvement plutocirct lent (Molto moderato) bien diffeacuterent des allegrosbeethoveacuteniens La forme et la conduite de lrsquoensemble sont peu acadeacutemiques et Schubert y joue surdes particulariteacutes harmoniques tregraves simples mais efficaces comme ce deacutebut du deacuteveloppement dupremier mouvement ougrave lrsquoapparition soudaine de sol mineur apregraves une conclusion de lrsquoexposition ensol majeur produit lrsquoeffet drsquoun coup de tonnerre dans un ciel clair

Suit un Andante qui ne doit rien au Lied mais nous introduit en des zones particuliegraverement tendueset presque violentes qui alternent avec des moments drsquoune ceacuteleste douceur Les intermegravedes en simineur offrent un autre exemple de ces tensions que lrsquoon retrouvera ulteacuterieurement dans les troisderniegraveres sonates Comme lrsquoeacutecrit Alfred Brendel laquo Schubert est preacuteciseacutement le creacuteateur de sonatesdrsquoun dramatisme intense Il suffit de regarder la notation dynamique pour voir agrave quel point sadimension expressive est normeacutee raquo Le Menuet est moins complexe quoiqursquoassez tendu (lesbatteries rythmiques du thegraveme initial) Il semble eacutevident que le Finale (Allegretto) nrsquoest pas tristeavec son jeu de meacutelodies populaires plus ou moins dansantes et ses eacutepisodes drsquoun lyrisme eacuteperdu ndashmais ce nrsquoest en rien une laquo apotheacuteose de la danse raquo plutocirct lrsquoeacutevocation drsquoun monde drsquouneimpalpable leacutegegravereteacute agrave lrsquoatmosphegravere sans cesse changeante

Ce qui surprend surtout dans lrsquoeacuteconomie geacuteneacuterale de la sonate crsquoest lrsquoimpression que chaquemouvement est plus lent que le suivant de sorte que lrsquoon semble avancer de plus en plus vite versun horizon qui nrsquoest plus la peacuteroraison triomphale des sonates ou des symphonies de Beethovenmais un paysage sonore incertain Dans cette sonate comme dans lrsquoultime en si beacutemol majeur on

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ne sait plus tregraves bien distinguer le climat affectif Lrsquoanneacutee 1827 sera surtout celle du Voyage drsquohiver mais comprend quelques belles reacuteussitespianistiques En janvier il publie Douze Valses nobles (D 969) brillantes et mondaines Auprintemps Schubert compose un bref Allegretto en ut mineur (D 915) de forme tripartite et drsquounton tregraves deacutepouilleacute

Autour des Impromptus

Agrave lrsquoautomne il revient au piano avec quatre Impromptus (D 899) qui ne furent publieacutes qursquoen 1855ndash ce terme assez vague drsquoImpromptu avait deacutejagrave eacuteteacute employeacute peu auparavant par le compositeurtchegraveque Vorisek Le premier (Allegro molto moderato en ut mineur) fondeacute sur un rythme initial proche de la marchequi deacutebouche ensuite sur un deacuteveloppement beaucoup plus lyrique est proche en esprit de certainsLieder du Voyage drsquohiver Le deuxiegraveme (Allegro en mi beacutemol majeur) est plus volubile presquemondain avec ses charmants triolets quasi virtuoses Beaucoup plus laquo romantique raquo le troisiegraveme(Andante mosso) adopte la tonaliteacute rare de sol beacutemol majeur Schubert le transposa en sol majeurpour complaire agrave son eacutediteur et faciliter le travail aux amateurs (Horowitz enregistra encore cetteversion) Crsquoest lrsquoune des plus belles pages de tout le piano romantique drsquoune graviteacute et drsquouneeacuteleacutevation qui peut eacutevoquer un hymne religieux Le dernier de la seacuterie (Allegretto en la beacutemolmineur) rappelle le deuxiegraveme mais en plus profond avec un beau thegraveme montant des profondeursdu clavier jusqursquoau registre meacutedian

La derniegravere anneacutee de Schubert srsquoouvre par un recueil de valses Valses de Graz (D 924) moinsimpressionnantes que les Valses nobles de lrsquoanneacutee preacuteceacutedente On y entend toute la simpliciteacutebonhomme du folklore de Styrie Agrave la mecircme eacutepoque une seconde seacuterie drsquoImpromptus (D 935)eacutetait precircte mais fut refuseacutee par lrsquoeacutediteur Schott en raison de sa difficulteacute Elle ne sera finalementpublieacutee que dix ans plus tard et fera alors lrsquoadmiration de Schumann dont les jugementsenthousiastes seront pour beaucoup dans leur succegraves posthume

LrsquoImpromptu en fa mineur (Allegro moderato) est bel et bien un premier mouvement drsquoune sonatequi ne vera jamais le jour mais Schubert innove beaucoup dans le deacuteveloppement qui semble plusdicteacute par une neacutecessiteacute expressive que par un souci purement formel pourtant sousshyjacent Lemorceau suivant (Allegretto en la beacutemol majeur) plus simple de forme et de caractegravere vaut par labelle courbe de son thegraveme initial et son inteacuterioriteacute sobre et sans complications

Le Troisiegraveme Impromptu (Andante en si beacutemol majeur) est une classique suite de cinq variationssur un thegraveme deacutejagrave utiliseacute dans lrsquoun des intermegravedes de la musique de scegravene de Rosemonde Princessede Chypre D 797 et dans le Quatuor en la mineur D 804 Le dernier (Allegro scherzando en famineur) nous montre un Schubert feacuteru de rythmes populaires et bondissants Ceux qui insistentlourdement sur le caractegravere quasiment drsquooutreshytombe du dernier Schubert en sont ici pour leurs frais un tel morceau nrsquoa rien de funegravebre ni de glaccedilant On retrouvera drsquoailleurs cette dichotomie entrelrsquoeffusion lyrique la plus deacutesespeacutereacutee et la vivaciteacute la plus deacutetendue dans la Fantaisie en fa mineur agravequatre mains D 940 acheveacutee en avril 1828 alors que le Grand Rondeau en reacute majeur D 951composeacute deux mois plus tard et eacutegalement agrave quatre mains est plus uniformeacutement positif

Des anneacutees feacutecondes

Agrave lrsquoeacutepoque ougrave il conccediloit des chefsshydrsquoœuvre agrave jet continu sa vie personnelle nrsquoest guegraverepassionnante Srsquoil semble gagner un deacutebut de reconnaissance et peut mecircme organiser un concert deses œuvres agrave la Socieacuteteacute des Amis de la Musique il reste agrave la lisiegravere de la bohegraveme artistique Bien eacutevidemment lrsquoanneacutee 1828 ne sera passeulement occupeacutee par des projets pianistiques Schubert deacutecideacutement tregraves en veine enchaicircne lagrande Messe en mi beacutemol majeur (D950) lrsquoune de ses compositions les plus fortes et les plusamples indispensable chaicircnon entre Haydn et Bruckner puis le Quintette agrave cordes en ut majeur D956 sans compter les Lieder qui seront recueillis dans le cycle posthume Le Chant du cygne D 957

Crsquoest au milieu de ces monuments au cours du mois de mai qursquoil conccediloit trois nouvelles piegravecespour piano qui ne seront elles aussi publieacutees que bien plus tard par les soins de Brahms LesKlavierstuumlcke D 946 pourraient srsquointituler laquo impromptus raquo Le premier (Allegro assai en mi beacutemolmineur) fait alterner un refrain plein drsquoune urgence deacutejagrave schumannienne et deux eacutepisodes plusmeacuteditatifs (Andante et Andatino) Le deuxiegraveme (Allegretto en mi beacutemol majeur) est lrsquoune descompositions les plus bouleversantes confieacutees par Schubert (et mecircme par un compositeur) au pianoLe thegravemeshyrefrain est une tendre berceuse alternant avec deux eacutepisodes en mineur drsquoune expressiontour agrave tour deacutepressive et deacutechirante ougrave semble se reacuteveacuteler la trageacutedie intime exprimeacutee dans LeVoyage drsquohiver Le dernier (Allegro en ut majeur) rappelle par sa vivaciteacute rythmique qui luiconfegravere tout de mecircme une certaine nervositeacute grinccedilante le dernier Impromptu D 935

En septembre 1828 Schubert compose (successivement simultaneacutement ) les trois derniegraveressonates Bien qursquoelles soient tregraves individualiseacutees elles ne forment pas moins une sorte de cycle parcertains traits communs agrave la fois formels et expressifs Du point de vue formel elles reviennent agraveune forme laquo classique raquo en quatre mouvements et toutes les trois utilisent agrave lrsquooccasion des eacuteleacutementslaquo populaires raquo Quant agrave lrsquoexpression dans les trois Schubert semble traverser des climats affectifstregraves contrasteacutes atteignant parfois des sommets de tension dramatique

Sonates D 958 D 959 et D 960La Sonate en ut mineur D 958 est la plus beethoveacutenienne en intentions (Beethoven est mort dixshyhuit mois plus tocirct) la plus appassionata Le premier mouvement est fascinant Le deacutebut fortementmarteleacute semble un hommage au grand disparu mais au cours du deacuteveloppement voilagrave que leparcours harmonique et le traitement motivique mecircme se font erratiques Le voyageur drsquohiver seperd dans les brumes glaceacutees dans un passage eacutetonnant qui anticipe sur les deacuteveloppementsatheacutematiques de la musique moderne

LrsquoAdagio rare chez Schubert adopte une forme en rondo Lagrave encore lrsquoeacutecriture harmonique est tregravesoriginale sans cesser cependant drsquoecirctre claire au service drsquoune expression fervente qui eacutevoque laveine religieuse du compositeur Le Menuetto nrsquoa plus rien de la danse de cour pas plus que drsquounscherzo Le thegraveme initial srsquoeacutelegraveve avec une grande intensiteacute lyrique agrave la fois rayonnante etdouloureuse (de telles ambiguiumlteacutes sont freacutequentes dans ces sonates) Mais le plus eacutetonnant reste agravevenir Le finale Allegro un rondo assez deacuteveloppeacute eacutevoque une course agrave lrsquoabicircme avec des rythmesmarteleacutes obseacutedants et sinistres assez semblables agrave ceux du finale du Quatuor laquo La Jeune Fille et laMort raquo (ici il faut entendre lrsquointerpreacutetation laquo live raquo de Richter agrave Budapest en 1958) Musiquehallucineacutee et pourtant tregraves bien construite qui srsquoeacutecrase brutalement sur les deux accords conclusifs

La Sonate en la majeur (D 959) est plus longue plus connue aussi Le premier mouvement(Allegro) se caracteacuterise par un thegraveme initial rythmique et heurteacute Tout le mouvement sembleirreacutegulier anguleux Les thegravemes paraissent srsquoentrechoquer le deacuteveloppement se fonde sur unenouvelle ideacutee lrsquoharmonie est constamment changeante Le mouvement lent innocemment marqueacute

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Andantino srsquoouvre sur une meacutelodie dans laquelle Brahms entendait une laquo berceuse de la douleur raquoDans lrsquoeacutepisode central Schubert renonce agrave toute effusion meacutelodique au profit drsquoun eacutetrange reacutecitatifougrave le piano se perd en traits virtuoses fous et inquieacutetants Mais le Scherzo peacutetille et semble avoirtout oublieacute de ce qui preacutecegravede hormis peutshyecirctre quelques contretemps deacutehancheacutes dans le trio Lasonate est couronneacutee par un long finale (Allegretto) en forme de rondo qui reprend le finale de laSonate D 537 dont Schubert deacutelaisse le rythme de marche pour lui donner plus de plasticiteacute et de lyrismeLes laquo couplets raquo comme souvent chez Schubert offrent de saisissants contrastes dramatiques Versla fin le tempo srsquoacceacutelegravere et la sonate srsquoachegraveve sur un rappel du thegraveme rythmique qui ouvrait lepremier mouvement en une preacutefiguration de la forme cyclique

La Sonate en si beacutemol majeur D 960 est aussi la plus joueacutee Crsquoest la plus eacutetrange des trois celle ougraveles climats psychologiques sont les plus insaisissables Le deacutebut du Molto moderato initial faitentendre une meacutelodie drsquoune meacutelancolique tendresse interrompue drsquoabord par des roulementssourds des basses comme des timbales Drsquoailleurs tout le mouvement est envahi par lrsquoinventionmeacutelodique mais agrave travers des parcours harmoniques pleins de fantaisie LrsquoAndante semblera sereinou deacutepressif selon lrsquointerpreacutetation et lrsquoimagination de lrsquoauditeur Le thegraveme principal rappelle certainsLieder agrave caractegravere religieux

Loin des miegravevreries de lrsquoesprit Biedermeier Schubert a atteint un des sommets les plus troublantsde lrsquoeacutemotion romantique Apregraves ces deux mouvements drsquoune extrecircme densiteacute le Scherzo (Vivacecon delicatezza) assez bref nous megravene dans un monde leacuteger et aeacuterien un instant troubleacute par desaccents anguleux du Trio Le finale Allegro ma non troppo combine la forme sonate bitheacutematique(un thegraveme peacutetillant et enjoueacute contre un thegraveme nerveux et violent) et la forme rondo Une fois encoreSchubert enchaicircne et juxtapose des climats varieacutes On passe sans cesse de la deacutetente humoristique agravede douloureuses eacuteruptions de violence Un strette presto conclut brillamment Moins de deux mois apregraves avoir acheveacute cette sonate le 19 novembre 1828 Schubert mourait dutyphus Marc Bosmans

LIRE AUSSI LA SEacuteLECTION DISCOGRAPHIQUE SCHUBERT PAR MARC BOSMANS

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ne sait plus tregraves bien distinguer le climat affectif Lrsquoanneacutee 1827 sera surtout celle du Voyage drsquohiver mais comprend quelques belles reacuteussitespianistiques En janvier il publie Douze Valses nobles (D 969) brillantes et mondaines Auprintemps Schubert compose un bref Allegretto en ut mineur (D 915) de forme tripartite et drsquounton tregraves deacutepouilleacute

Autour des Impromptus

Agrave lrsquoautomne il revient au piano avec quatre Impromptus (D 899) qui ne furent publieacutes qursquoen 1855ndash ce terme assez vague drsquoImpromptu avait deacutejagrave eacuteteacute employeacute peu auparavant par le compositeurtchegraveque Vorisek Le premier (Allegro molto moderato en ut mineur) fondeacute sur un rythme initial proche de la marchequi deacutebouche ensuite sur un deacuteveloppement beaucoup plus lyrique est proche en esprit de certainsLieder du Voyage drsquohiver Le deuxiegraveme (Allegro en mi beacutemol majeur) est plus volubile presquemondain avec ses charmants triolets quasi virtuoses Beaucoup plus laquo romantique raquo le troisiegraveme(Andante mosso) adopte la tonaliteacute rare de sol beacutemol majeur Schubert le transposa en sol majeurpour complaire agrave son eacutediteur et faciliter le travail aux amateurs (Horowitz enregistra encore cetteversion) Crsquoest lrsquoune des plus belles pages de tout le piano romantique drsquoune graviteacute et drsquouneeacuteleacutevation qui peut eacutevoquer un hymne religieux Le dernier de la seacuterie (Allegretto en la beacutemolmineur) rappelle le deuxiegraveme mais en plus profond avec un beau thegraveme montant des profondeursdu clavier jusqursquoau registre meacutedian

La derniegravere anneacutee de Schubert srsquoouvre par un recueil de valses Valses de Graz (D 924) moinsimpressionnantes que les Valses nobles de lrsquoanneacutee preacuteceacutedente On y entend toute la simpliciteacutebonhomme du folklore de Styrie Agrave la mecircme eacutepoque une seconde seacuterie drsquoImpromptus (D 935)eacutetait precircte mais fut refuseacutee par lrsquoeacutediteur Schott en raison de sa difficulteacute Elle ne sera finalementpublieacutee que dix ans plus tard et fera alors lrsquoadmiration de Schumann dont les jugementsenthousiastes seront pour beaucoup dans leur succegraves posthume

LrsquoImpromptu en fa mineur (Allegro moderato) est bel et bien un premier mouvement drsquoune sonatequi ne vera jamais le jour mais Schubert innove beaucoup dans le deacuteveloppement qui semble plusdicteacute par une neacutecessiteacute expressive que par un souci purement formel pourtant sousshyjacent Lemorceau suivant (Allegretto en la beacutemol majeur) plus simple de forme et de caractegravere vaut par labelle courbe de son thegraveme initial et son inteacuterioriteacute sobre et sans complications

Le Troisiegraveme Impromptu (Andante en si beacutemol majeur) est une classique suite de cinq variationssur un thegraveme deacutejagrave utiliseacute dans lrsquoun des intermegravedes de la musique de scegravene de Rosemonde Princessede Chypre D 797 et dans le Quatuor en la mineur D 804 Le dernier (Allegro scherzando en famineur) nous montre un Schubert feacuteru de rythmes populaires et bondissants Ceux qui insistentlourdement sur le caractegravere quasiment drsquooutreshytombe du dernier Schubert en sont ici pour leurs frais un tel morceau nrsquoa rien de funegravebre ni de glaccedilant On retrouvera drsquoailleurs cette dichotomie entrelrsquoeffusion lyrique la plus deacutesespeacutereacutee et la vivaciteacute la plus deacutetendue dans la Fantaisie en fa mineur agravequatre mains D 940 acheveacutee en avril 1828 alors que le Grand Rondeau en reacute majeur D 951composeacute deux mois plus tard et eacutegalement agrave quatre mains est plus uniformeacutement positif

Des anneacutees feacutecondes

Agrave lrsquoeacutepoque ougrave il conccediloit des chefsshydrsquoœuvre agrave jet continu sa vie personnelle nrsquoest guegraverepassionnante Srsquoil semble gagner un deacutebut de reconnaissance et peut mecircme organiser un concert deses œuvres agrave la Socieacuteteacute des Amis de la Musique il reste agrave la lisiegravere de la bohegraveme artistique Bien eacutevidemment lrsquoanneacutee 1828 ne sera passeulement occupeacutee par des projets pianistiques Schubert deacutecideacutement tregraves en veine enchaicircne lagrande Messe en mi beacutemol majeur (D950) lrsquoune de ses compositions les plus fortes et les plusamples indispensable chaicircnon entre Haydn et Bruckner puis le Quintette agrave cordes en ut majeur D956 sans compter les Lieder qui seront recueillis dans le cycle posthume Le Chant du cygne D 957

Crsquoest au milieu de ces monuments au cours du mois de mai qursquoil conccediloit trois nouvelles piegravecespour piano qui ne seront elles aussi publieacutees que bien plus tard par les soins de Brahms LesKlavierstuumlcke D 946 pourraient srsquointituler laquo impromptus raquo Le premier (Allegro assai en mi beacutemolmineur) fait alterner un refrain plein drsquoune urgence deacutejagrave schumannienne et deux eacutepisodes plusmeacuteditatifs (Andante et Andatino) Le deuxiegraveme (Allegretto en mi beacutemol majeur) est lrsquoune descompositions les plus bouleversantes confieacutees par Schubert (et mecircme par un compositeur) au pianoLe thegravemeshyrefrain est une tendre berceuse alternant avec deux eacutepisodes en mineur drsquoune expressiontour agrave tour deacutepressive et deacutechirante ougrave semble se reacuteveacuteler la trageacutedie intime exprimeacutee dans LeVoyage drsquohiver Le dernier (Allegro en ut majeur) rappelle par sa vivaciteacute rythmique qui luiconfegravere tout de mecircme une certaine nervositeacute grinccedilante le dernier Impromptu D 935

En septembre 1828 Schubert compose (successivement simultaneacutement ) les trois derniegraveressonates Bien qursquoelles soient tregraves individualiseacutees elles ne forment pas moins une sorte de cycle parcertains traits communs agrave la fois formels et expressifs Du point de vue formel elles reviennent agraveune forme laquo classique raquo en quatre mouvements et toutes les trois utilisent agrave lrsquooccasion des eacuteleacutementslaquo populaires raquo Quant agrave lrsquoexpression dans les trois Schubert semble traverser des climats affectifstregraves contrasteacutes atteignant parfois des sommets de tension dramatique

Sonates D 958 D 959 et D 960La Sonate en ut mineur D 958 est la plus beethoveacutenienne en intentions (Beethoven est mort dixshyhuit mois plus tocirct) la plus appassionata Le premier mouvement est fascinant Le deacutebut fortementmarteleacute semble un hommage au grand disparu mais au cours du deacuteveloppement voilagrave que leparcours harmonique et le traitement motivique mecircme se font erratiques Le voyageur drsquohiver seperd dans les brumes glaceacutees dans un passage eacutetonnant qui anticipe sur les deacuteveloppementsatheacutematiques de la musique moderne

LrsquoAdagio rare chez Schubert adopte une forme en rondo Lagrave encore lrsquoeacutecriture harmonique est tregravesoriginale sans cesser cependant drsquoecirctre claire au service drsquoune expression fervente qui eacutevoque laveine religieuse du compositeur Le Menuetto nrsquoa plus rien de la danse de cour pas plus que drsquounscherzo Le thegraveme initial srsquoeacutelegraveve avec une grande intensiteacute lyrique agrave la fois rayonnante etdouloureuse (de telles ambiguiumlteacutes sont freacutequentes dans ces sonates) Mais le plus eacutetonnant reste agravevenir Le finale Allegro un rondo assez deacuteveloppeacute eacutevoque une course agrave lrsquoabicircme avec des rythmesmarteleacutes obseacutedants et sinistres assez semblables agrave ceux du finale du Quatuor laquo La Jeune Fille et laMort raquo (ici il faut entendre lrsquointerpreacutetation laquo live raquo de Richter agrave Budapest en 1958) Musiquehallucineacutee et pourtant tregraves bien construite qui srsquoeacutecrase brutalement sur les deux accords conclusifs

La Sonate en la majeur (D 959) est plus longue plus connue aussi Le premier mouvement(Allegro) se caracteacuterise par un thegraveme initial rythmique et heurteacute Tout le mouvement sembleirreacutegulier anguleux Les thegravemes paraissent srsquoentrechoquer le deacuteveloppement se fonde sur unenouvelle ideacutee lrsquoharmonie est constamment changeante Le mouvement lent innocemment marqueacute

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Andantino srsquoouvre sur une meacutelodie dans laquelle Brahms entendait une laquo berceuse de la douleur raquoDans lrsquoeacutepisode central Schubert renonce agrave toute effusion meacutelodique au profit drsquoun eacutetrange reacutecitatifougrave le piano se perd en traits virtuoses fous et inquieacutetants Mais le Scherzo peacutetille et semble avoirtout oublieacute de ce qui preacutecegravede hormis peutshyecirctre quelques contretemps deacutehancheacutes dans le trio Lasonate est couronneacutee par un long finale (Allegretto) en forme de rondo qui reprend le finale de laSonate D 537 dont Schubert deacutelaisse le rythme de marche pour lui donner plus de plasticiteacute et de lyrismeLes laquo couplets raquo comme souvent chez Schubert offrent de saisissants contrastes dramatiques Versla fin le tempo srsquoacceacutelegravere et la sonate srsquoachegraveve sur un rappel du thegraveme rythmique qui ouvrait lepremier mouvement en une preacutefiguration de la forme cyclique

La Sonate en si beacutemol majeur D 960 est aussi la plus joueacutee Crsquoest la plus eacutetrange des trois celle ougraveles climats psychologiques sont les plus insaisissables Le deacutebut du Molto moderato initial faitentendre une meacutelodie drsquoune meacutelancolique tendresse interrompue drsquoabord par des roulementssourds des basses comme des timbales Drsquoailleurs tout le mouvement est envahi par lrsquoinventionmeacutelodique mais agrave travers des parcours harmoniques pleins de fantaisie LrsquoAndante semblera sereinou deacutepressif selon lrsquointerpreacutetation et lrsquoimagination de lrsquoauditeur Le thegraveme principal rappelle certainsLieder agrave caractegravere religieux

Loin des miegravevreries de lrsquoesprit Biedermeier Schubert a atteint un des sommets les plus troublantsde lrsquoeacutemotion romantique Apregraves ces deux mouvements drsquoune extrecircme densiteacute le Scherzo (Vivacecon delicatezza) assez bref nous megravene dans un monde leacuteger et aeacuterien un instant troubleacute par desaccents anguleux du Trio Le finale Allegro ma non troppo combine la forme sonate bitheacutematique(un thegraveme peacutetillant et enjoueacute contre un thegraveme nerveux et violent) et la forme rondo Une fois encoreSchubert enchaicircne et juxtapose des climats varieacutes On passe sans cesse de la deacutetente humoristique agravede douloureuses eacuteruptions de violence Un strette presto conclut brillamment Moins de deux mois apregraves avoir acheveacute cette sonate le 19 novembre 1828 Schubert mourait dutyphus Marc Bosmans

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Andantino srsquoouvre sur une meacutelodie dans laquelle Brahms entendait une laquo berceuse de la douleur raquoDans lrsquoeacutepisode central Schubert renonce agrave toute effusion meacutelodique au profit drsquoun eacutetrange reacutecitatifougrave le piano se perd en traits virtuoses fous et inquieacutetants Mais le Scherzo peacutetille et semble avoirtout oublieacute de ce qui preacutecegravede hormis peutshyecirctre quelques contretemps deacutehancheacutes dans le trio Lasonate est couronneacutee par un long finale (Allegretto) en forme de rondo qui reprend le finale de laSonate D 537 dont Schubert deacutelaisse le rythme de marche pour lui donner plus de plasticiteacute et de lyrismeLes laquo couplets raquo comme souvent chez Schubert offrent de saisissants contrastes dramatiques Versla fin le tempo srsquoacceacutelegravere et la sonate srsquoachegraveve sur un rappel du thegraveme rythmique qui ouvrait lepremier mouvement en une preacutefiguration de la forme cyclique

La Sonate en si beacutemol majeur D 960 est aussi la plus joueacutee Crsquoest la plus eacutetrange des trois celle ougraveles climats psychologiques sont les plus insaisissables Le deacutebut du Molto moderato initial faitentendre une meacutelodie drsquoune meacutelancolique tendresse interrompue drsquoabord par des roulementssourds des basses comme des timbales Drsquoailleurs tout le mouvement est envahi par lrsquoinventionmeacutelodique mais agrave travers des parcours harmoniques pleins de fantaisie LrsquoAndante semblera sereinou deacutepressif selon lrsquointerpreacutetation et lrsquoimagination de lrsquoauditeur Le thegraveme principal rappelle certainsLieder agrave caractegravere religieux

Loin des miegravevreries de lrsquoesprit Biedermeier Schubert a atteint un des sommets les plus troublantsde lrsquoeacutemotion romantique Apregraves ces deux mouvements drsquoune extrecircme densiteacute le Scherzo (Vivacecon delicatezza) assez bref nous megravene dans un monde leacuteger et aeacuterien un instant troubleacute par desaccents anguleux du Trio Le finale Allegro ma non troppo combine la forme sonate bitheacutematique(un thegraveme peacutetillant et enjoueacute contre un thegraveme nerveux et violent) et la forme rondo Une fois encoreSchubert enchaicircne et juxtapose des climats varieacutes On passe sans cesse de la deacutetente humoristique agravede douloureuses eacuteruptions de violence Un strette presto conclut brillamment Moins de deux mois apregraves avoir acheveacute cette sonate le 19 novembre 1828 Schubert mourait dutyphus Marc Bosmans

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