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AZIMUT N o 27 NOVEMBRE 2011 25 ‘’Les temps libres, c’est bien pour les jeunes. Mais pour les chefs il faut être encore plus dispo! ” Clément, 18 ans ‘’J’aime bien les moments où on n’est pas trop pressé. Au moment des douches par exemple. Ça laisse le temps de discuter avec les autres. ” Lise, 13 ans ‘’J’aime pas les temps libres. On est obligé de faire la sieste”. Tim, 9 ans Dans notre société de la rentabilité, de la vitesse et de l’optimisation du temps, prendre son temps, avoir du «temps libre» sont souvent vus comme des signes de faiblesse, d’ennui, voire de paresse. Pourtant, c’est bien dans cet espace de liberté que l’imagination, la créativité, la construction de soi peuvent avoir lieu. Comment tirer parti de la durée et habiter les temps libres pour en faire des alliés pour grandir? Ce dossier vous apporte des réponses. Dossier coordonné par Emmanuelle Audras Le temps, ça s’apprend © Olivier Ouadah - SGDF Dossier educatif , Le temps, ça s’apprend

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Page 1: Le temps, ça s’apprend · pensables le temps libre se transforme en temps d’errance ce qui peut être source d’inquiétude pour certains jeunes. Observe des enfants «inventer

AZIMUT No 27 NOVEMBRE 2011 25

‘’ Les temps libres, c’est bien pour les jeunes.Mais pour les chefs il fautêtre encore plus dispo ! ”

Clément, 18 ans‘’J’aime bien les moments

où on n’est pas trop pressé. Au moment des douches parexemple. Ça laisse le temps

de discuter avec les autres. ”Lise, 13 ans

‘’ J’aime pas les temps libres. On est obligé de faire la sieste ”.

Tim, 9 ans

Dans notre société de la rentabilité, de la vitesse et de l’optimisation du temps, prendre son temps,avoir du « temps libre » sont souvent vus comme des signes de faiblesse, d’ennui, voire de paresse.Pourtant, c’est bien dans cet espace de liberté que l’imagination, la créativité, la construction de soi peuventavoir lieu. Comment tirer parti de la durée et habiter les temps libres pour en faire des alliés pour grandir ?Ce dossier vous apporte des réponses.

Dossier coordonné par Emmanuelle Audras

Le temps, ça s’apprend

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Dossier educatif,

Le temps, ça s’apprend

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L ’allongement de la durée de la viea bouleversé la représentation

commune du temps et des âges de lavie. Les repères, autrefois clairs, le sontmoins : quand cesse-t-on d’être unenfant pour devenir un adolescent ?Quels critères pour déterminer le passagede la jeunesse à l’âge adulte? Cette remise en question de notre rapportau temps se joue dans l’articulation dusingulier et du collectif, là où le scoutismemet en œuvre ses dynamiques éduca-tives pour aider chaque jeune à « trouverle temps» de vie qui lui convient.

Jouer la carte du tempsDans un monde marqué par l’accélération du temps, le scoutismepropose aux jeunes d’expérimenter le temps, la durée, comme desalliés pour se trouver et se construire.

Aider chacun à trouver le temps de vie qui lui convient.

Des rituels qui modèlentDistinguons le temps cyclique de la répé-tition et le temps irréversible de la nova-tion: ce qui revient chaque jour ou chaqueannée, et ce qui jalonne sans retour l’his-toire des individus et des communautés.La vie scoute favorise l’appropriation par

le jeune de ces deux temporalités, etc’est essentiel pour prendre en main sapropre vie.Pour ce qui est du temps cyclique, noussavons combien l’équilibre d’une grillede journée conditionne la réussite d’uncamp. Rassemblement du matin, prièredes débuts de repas, temps des ser-vices, temps de repos : ces repères ryth-ment les jours, devenant au fil du campde petits rituels. Rituels aussi cesmoments de la vie scoute qu’on retrouved’année en année : « montées », pro-messes, départ en camp, et les tempsliturgiques de la vie chrétienne — Noël,carême, temps de Pâques — qui nour-rissent aussi l’année scoute dans nosgroupes et nos unités. Cette ritualité du temps cyclique enseigneles bons équilibres de vie, mais elle permetaussi au jeune de se sentir membre d’unecommunauté humaine qui le dépasse, decomprendre que ces rituels qui nousmodèlent (chez les scouts et guides, maisaussi dans la famille, à l’école, dans d’au-tres activités) ont existé avant nous, conti-nueront après, avec d’autres.

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Toujours pareils, mais jamais pareils,parce que sur la toile de fond de ce tempscyclique se joue aussi l’histoire person-nelle, celle du temps de la novation.Comme d’habitude on « fait les pro-messes», on remet des labels, etc. Maisde cette répétition émerge l’histoireunique de chacun : nouvelle jeannette àqui on remet son foulard, pionnier quireçoit la pierre jaune de son cairn… Cessignes de progression individuels, ni troprares ni trop fréquents, enseignent l’at-tente et l’effort, la confiance en soi et laprojection vers l’avenir.

Faire de sa vie une œuvre Le moteur de cette marche en avant dechaque jeune dans le scoutisme, c’est leprojet commun — escapade, aventure,cap, expériment — choisi, préparé, vécu,fêté ensemble. Il donne sens au tempsqui s’écoule, fructueux : oui, l’effort d’hiera pu changer l’aujourd’hui et nous savonsmieux ainsi que demain sera ce que nousvoudrons en faire. Cette histoire collective invite chacun àprendre en main sa propre vie, à la choisir,à en faire une œuvre unique et belle poursoi et pour les autres.Les avancées de la science nous garan-tissent aujourd’hui une plus grande espé-rance de vie ; par le scoutisme nous pou-vons contribuer à en faire une vie de plusgrande espérance.

Étienne Père,chargé de mission, équipe nationale

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Le bon tempo : habiter le temps que Dieu donne Les générations successives cherchent à percer le mystère du temps. De son côté, la Bibledonne une parole et des repères de durée au service de l’humanisation. Ces durées, parfoiscourtes, parfois longues, n’ont pas pour but de posséder le temps qui appartient à Dieu,mais de l’habiter comme un don. Si l’histoire sainte est truffée de nombres bibliques, de durées chiffrées, c’est pour permettrede repérer l’action conjointe de Dieu et des hommes qui vient transformer les cœurs au rythmede chacun. On a parfois le sentiment d’être pris par le temps. Le temps est au service del’humain et de la libération des personnes. De cette manière-ci, on accède aux autres et àsoi-même. Ce faisant, on prépare la rencontre ultime avec Dieu et avec la multitude des élus. Habiter le temps que Dieu donne, c’est un peu une affaire de rendez-vous à ne pas manquer.

Significations symboliques de quelques chiffres et nombres bibliques :

• 3, chiffre de Dieu, Trinité. Jésus ressuscite le troisième jour.• 7, chiffre de la semaine. Une invitation à entrer régulièrement dans le repos de Dieu.• 40, temps d’une génération ou d’une libération longue. Au désert, le peuple de Dieu y reste

40 ans et Jésus 40 jours..

Père Bertrand Lacombe,aumonier national Louveteaux-Jeannettes

Quelles réflexions tire-t-on du rapport

des jeunes au temps aujourd’hui?

Les jeunes souffrent, eux aussi, desmaux de la modernité, hyperactivité etmanque de temps dans un monde enconstante accélération où il est difficilede se projeter dans l’avenir. Ils dévelop-pent une qualité précieuse qui est l’ «at-tention consciente» au présent, je diraispresque une exigence pour le présent,ici et le maintenant (la fête et les amis),ici et ailleurs (en connexion avec lemonde grâce aux nouvelles technolo-giques de l’information et de la commu-nication, téléphone portable, Internet,Facebook, MSN).

mentale demandent du temps. L’analysedes échecs par les jeunes est primor-diale pour pouvoir apprivoiser la com-plexité en acceptant d’avancer par tâ-tonnements et en acceptant de faire deserreurs. Ils se dotent d’outils pour com-prendre le monde et ses blocages maisaussi ses espaces de créativité et dechangement. Les jeunes intègrent lequestionnement, le doute, le paradoxeet l’incertitude. Loin de constituer desfaiblesses, j’y vois là un atout majeurpour préparer les enjeux à venir.

Quels conseils donneriez-vous aux

éducateurs pour surmonter les in-

jonctions de l’époque par rapport au

temps et à la durée?

Je leur dirais : «Vous êtes une référencepour les jeunes car vous pouvez mettreen lumière des potentialités dont ilsn’avaient pas forcément conscience.Cela passe par la qualité de votre pré-sence, votre authenticité et la stimulationconstante de la réflexion».

Propos recueillis par

Christine de Bernardy

DANS LA BIBLE…

PAROLE DE CHERCHEUR

Dossier educatif,

“Les jeunes développent une exigence pour le présent”.

Giusto de’Menabuoi, «La Création du monde»,

1370-1378 Padoue, baptistère.

Brigitte Bleuzen, docteur en sociologie, membre de l’observatoire éducatif des Scouts et Guides de France, nous livre son analyse sur le rapport des jeunes au temps.

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Brigitte Bleuzen

Comment les jeunes se construi-

sent-ils dans ce contexte où le

temps semble toujours s’accélérer?

Ils aspirent à l’action utile et/ou festivequi, parfois, se définit comme une actiond’impulsion. L’exemple d’Élisa est révé-lateur. Avec ses amis, elle prépare pen-dant l’hiver des sacs de provisions pourvenir en aide aux sans-abri de sa ville ets’aperçoit, au moment de la distribution,qu’aucun n’est présent. La solidarité, lacitoyenneté et la conscience environne-

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«Faut-il vraiment prévoir des temps libres? N’est-ce paspendant ces moments-làqu’arrivent le plus les bêtises ?»

AU CŒUR DES MAÎTRISES Organiser son programme de week-end ou « faire rentrer»tous les incontournables dans la grille du camp, sont des préoccupations courantes pour chefs et cheftaines,soucieux de bien remplir leur mission. Voici quelques pistespour saisir ces aspects sous un autre jour.

Dossier educatif,

par Emmanuelle Audraset Antoine Dulin

L e temps libre est un moment derespiration dans une journée. Il per-

met à chacun, en se mettant à l’écoutede lui-même, de s’offrir un moment poursoi. De la sieste au jeu de ballon en pas-sant par la discussion avec ses amis oula lecture d’un roman voire pourquoi pas,l’expérience de l’ennui, il existe autantde façons de vivre un temps libre qued’individus. Pendant ce moment où rienn’est «prévu» chacun se confronte àlui-même – seul ou avec les autres. Etfait connaissance avec sa créativité.Mais liberté n’est pas absence de cadre,de règles du jeu. Sans ces repères indis-pensables le temps libre se transformeen temps d’errance ce qui peut êtresource d’inquiétude pour certainsjeunes. Observe des enfants « inventerun jeu» : la première étape consiste engénéral à définir les règles de ce qu’ona le droit ou pas de faire. Pendant letemps libre aussi, le garant des règles,c’est toi. Tout en laissant les jeunes «va-quer à leurs occupations» ta posture estcelle du veilleur. Présent pour les jeunesqui te sollicitent, tu sais aussi te montrerdiscret quand tout va bien et intervenirquand ça dérape. Ainsi ce temps libre devient un es-pace pour grandir, qui fait la part belleà l’initiative et à l’autonomie, en touteconfiance.

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«Entre le projet pédagogique del’unité à construire, les réunions

à organiser, les week-ends à préparer, leterritoire qui nous parle déjà de notredossier de camp… alors la progressionpersonnelle on la fera quand on aura letemps »Tu as l’impression que derrière cetteexpression se cache tout un universcomplexe. Pourtant il exprime simple-ment, dans la méthode scoute, le chemi-nement, le processus, par lequel tupermets au jeune qui vous est confié degrandir. Et comme Monsieur Jourdain, la pro -gression personnelle, vous en faites tout

POUR LA

SUITEEnvoie-nous tes questionsDans un prochain numéro, nous aborderons le sujet de l’éducation

à la citoyenneté. Quelles questions éducatives cela te pose-t-il?

Dis-le nous sur [email protected]

«On n’a pas le temps de s’occuper de laprogression personnelle»

le temps sans vraiment le savoir… Lesoutils que te propose le mouvementdans les propositions pédagogiquessont un cadre pour t’aider à la mettre enplace, pour la structurer et surtout pourpenser à porter une attention sur chacundes jeunes. Car l’éducation, tu le saisbien, est un art du sur-mesure. Chaquejeune est différent, ses besoins ne sontpas ceux du voisin, et il est essentiel deprendre le temps de s’arrêter surchacun. Par les sylphes et les graines, par leslabels personnels ou d’équipages, parles itinéraires du Cairn et les respon -sabilités, les jeunes vont être amenés

dans des univers différents à grandir, àenrichir leurs compétences. Ces outilsont été réfléchis pour être adaptables enfonction des activités, de manière,justement, à ne pas alourdir la tâche desmaîtrises. Ce n’est pas quelque choseen plus mais bien à intégrer dans leprojet pédagogique de votre unité.Lors de la préparation de vos réunions,de vos week-ends, de vos camps,pense à faire un point régulier avec lamaîtrise pour voir comment chacun desjeunes de votre unité grandit. C’estsouvent dans ces moments là qu’ontrouve de la motivation pour organiserles activités !

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