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Tropical Medicine and International Health c & 6, d ?ag%? VOLUME 2 NO 8 PP 729-732 AUGUST I997 Le risque epidemiologique dans un foyer de maladie du sommeil en Cote d’Ivoire db . Laveissière’, B. Sané‘, P. B. Diallo’, P.Truc’ e t A. H. Méda’ Institut Pierre RichctlOCCGE, BP IJOO, Bouaké, Côte d’Ivoire : Prince Leopold Institute for Tropics/ Medicine, Antwerpen, Belgium Résumé L’indice de risque épidémiologique, basé sur des données purement entomologiques, permet de mettre en évidence les zones à haut risque de transmission dans les foyers de Maladie du Sommeil de la zone forestière de Côte d’Ivoire. I1 offre ainsi la possibilité de sélectionner les biotopes traiter pour améliorer l’efficience des campagnes de lutte antivectorielle. En forêt de Côte d’Ivoire, les milieux ‘socialement ouverts’, peuplés d’un grand nombre d’ethnies, avec un habitat dispersé er campements de culture et une grande mobilité des personnes, sont les secteurs les plus propices à l’épidémisation de la maladie. Dans ces milieux la transmission se fait surtout à proximité de l’eau. bas-fonds et forêts riveraines, trous d’eau, puits dans les plantations. A l’inverse dans les milieux ‘socialement fermés’, mono-ethniques, avec un habitat regroupé en villages et une circulation moins intense, le risque est faible voire nul comme la prévalence de l’endémie. Les comportements humains jouent donc un rôle prépondérant dans l’intensité de la transmission, dans la mesure l’environnement est modifié favorablement ou défavorablement pour les glossines vectrices. Summary An epidemiological risk indicator based on purely entomological factors can be used to identify regions which are at higher risk of transmission within the endemic forest zones of Ivory Coast, and can serve to point out biotopes to be treated to make antivector campaigns more effective. In the forests of Ivory Coast, so-called socially open environments which are populated by a great number of ethnic groups who are highly mobile and whose camps are spread over a large area, are particularly vulnerable to epidemics of the disease. Transmission always occurs near water: at rivers, water holes, plantations. By contrast, socially closed societies consisting of a single ethnic group settled in a village are at much lower risk. It seems that human behaviour plays as much a role in transmission dynamics as environmental changes which may be more or less favourable to the vector. keywords human African trypanosomiasis, epidemiology, risk indicator, transmission, forest region, Ivory Coast correspondence C. Laveissière, Institut Pierre RichedOCCGE, BP 1500, Bouaké 01, Côte d‘lvoire Introduction basant sur des critères purement entomologiques (Laveissière et al. 1994). A partir de recherches effectuées dans plusieurs foyers de maladie du sommeil en forêt de Côte d’Ivoire, nous avons mis au point un indice pour mesurer le risque de transmission de la Trypanosomiase humaine en nous Cet indice, élaboré à partir de données acquises dans le foyer de Zoukougbeu entre 1991 et 1993, a été évalué rétrospectivement sur une ancienne zone endémique (le foyer de Vavoua) et sur un secteur indemne, tous deux 729 O 1997 Blackwell Science Ltd I - - ,

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Tropical Medicine and International Health c& 6, d ?ag%? VOLUME 2 NO 8 PP 729-732 AUGUST I997

Le risque epidemiologique dans un foyer de maladie du sommeil en Cote d’Ivoire

db . Laveissière’, B. Sané‘, P. B. Diallo’, P.Truc’ e t A. H. Méda’

’ Institut Pierre RichctlOCCGE, BP IJOO, Bouaké, Côte d’Ivoire : Prince Leopold Institute for Tropics/ Medicine, Antwerpen, Belgium

Résumé L’indice de risque épidémiologique, basé sur des données purement entomologiques, permet de mettre en évidence les zones à haut risque de transmission dans les foyers de Maladie du Sommeil de la zone forestière de Côte d’Ivoire. I1 offre ainsi la possibilité de sélectionner les biotopes traiter pour améliorer l’efficience des campagnes de lutte antivectorielle. En forêt de Côte d’Ivoire, les milieux ‘socialement ouverts’, peuplés d’un grand nombre d’ethnies, avec un habitat dispersé er campements de culture et une grande mobilité des personnes, sont les secteurs les plus propices à l’épidémisation de la maladie. Dans ces milieux la transmission se fait surtout à proximité de l’eau. bas-fonds et forêts riveraines, trous d’eau, puits dans les plantations. A l’inverse dans les milieux ‘socialement fermés’, mono-ethniques, avec un habitat regroupé en villages et une circulation moins intense, le risque est faible voire nul comme la prévalence de l’endémie. Les comportements humains jouent donc un rôle prépondérant dans l’intensité de la transmission, dans la mesure OÙ

l’environnement est modifié favorablement ou défavorablement pour les glossines vectrices.

Summary An epidemiological risk indicator based on purely entomological factors can be used to identify regions which are at higher risk of transmission within the endemic forest zones of Ivory Coast, and can serve to point out biotopes to be treated to make antivector campaigns more effective. In the forests of Ivory Coast, so-called socially open environments which are populated by a great number of ethnic groups who are highly mobile and whose camps are spread over a large area, are particularly vulnerable to epidemics of the disease. Transmission always occurs near water: a t rivers, water holes, plantations. By contrast, socially closed societies consisting of a single ethnic group settled in a village are at much lower risk. It seems that human behaviour plays as much a role in transmission dynamics as environmental changes which may be more or less favourable to the vector.

keywords human African trypanosomiasis, epidemiology, risk indicator, transmission, forest region, Ivory Coast

correspondence C. Laveissière, Institut Pierre RichedOCCGE, BP 1500, Bouaké 01, Côte d‘lvoire

Introduction basant sur des critères purement entomologiques (Laveissière et al. 1994).

A partir de recherches effectuées dans plusieurs foyers de maladie du sommeil en forêt de Côte d’Ivoire, nous avons mis au point un indice pour mesurer le risque de transmission de la Trypanosomiase humaine en nous

Cet indice, élaboré à partir de données acquises dans le foyer de Zoukougbeu entre 1991 et 1993, a été évalué rétrospectivement sur une ancienne zone endémique (le foyer de Vavoua) et sur un secteur indemne, tous deux

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Tropical Medicine and International Health VOLUME 2 NO 8 PP 729-732 AUGUST 1997

C. Laveissière et al. Le risque de tha en forêt de Cote d’ivoire

dans le domaine forestier de Côte d’Ivoire. Nous l’avons testé dans un foyer actif d’une part pour

vérifier sa validité et d’autre part sélectionner les zones à haut risque de transmission afin d’améliorer le rapport coûtlefficacité des campagnes de lutte antivectorielle.

Matériel et méthodes

L’indice de risque est calculé à partir de la formule

Y = Io4k(t + 1 ) ~ , ~ 3 X n2 X (2.4‘ -(Dsr)l0 X- pj3.69 log (Dsr)

oh t est le nombre de glossines ténérales dans l’effectif total C capturé par p pièges en j jours (máles et femelles); II le nombre de repas de sang humain et Dsr le taux de survie journalier (Laveissière et al. 1994).

Les différentes données de cette formule, qui peut paraître complexe, sont normalement acquises au cours de toute étude bio-écologique et entonio- épidémiologique sur la glossine: la dissection des tsétsé permet de connaître I’áge physiologique des femelles (à partir duquel on calcule le taux de survie journalier) et le taux de ténérales. Les repas de sang sont collectés au cours de la dissection pour connaître les hôtes de l’insecte.

La présente étude fut menée à partir d’octobre 1995, en zone forestière, dans le foyer de Sinfra, au centre- ouest de la Côte d’Ivoire. Depuis la mise en évidence de ce foyer en 1992,764 malades ont été dépistés, dont 327 pour la seule année 1995.

l’ensemble des biotopes du foyer, capturent durant 4 jours de suite. Les glossines sont récoltées matin et soir et disséquées pour rechercher tous les repas de sang et évaluer I’âge physiologique des femelles. Les repas de sang, étalés sur papier chromatographique Whatman %‘I, sont analysés au laboratoire par une nouvelle méthode mise au point par Truc et al. (communication

Les pièges, en nombre (280) suffisant pour représenter

personnelle). Cette méthode permet d’identifier plus de repas de sang humain que les techniques classiques: aussi les valeurs de l’indice obtenues dans ce foyer sont- elles nettement plus élevées que celles que nous avons pu obtenir dans d’autres foyers.

Résultats

Durant cette étude, deux secteurs bien distincts sont échantillonnés: Un milieu dit ‘socialement ouvert’, le coeur du foyer de Sinfra; les Gouro représentent l’ethnie dominante mais de nombreux groupes ethniques s’y sont installés vivant pour la plupart en Campements de culture dispersés dans les plantations de café ou de cacao; la circulation des personnes le long d’innombrables sentiers y est intense; la majorité des familles s’approvisionnent dans des points d’eau naturels. L’autre secteur est un milieu dit ‘socialement fermé‘, le pays bktk, voisin du foyer, où la population est presque mono-ethnique (ethnie Bété) et l’habitat regroupé en villages.

Entre les deux milieux (Tableau I), les risques diffèrent totalement et nous faisons à Sinfra la même constatation que dans le foyer de Zoukougbeu (Laveissière et al. 1994): le risque de transmission est significativement plus élevé dans les secteurs pluri- ethniques, cette différence étant certifiée par le niveau des prévalences respectives.

Le foyer de Sinfra lui-même n’est pas homogène; on y distingue deux secteurs qui diffèrent géographiquement (la densité des campements est notablement plus faible au nord qu’au sud) et parasitologiquement par la prévalence: Z I , Z % ~ au sud -6,5960 au nord. Ceci se reflète dans des valeurs du risque très différentes, 6 fois plus élevée au sud.

biotope à l’autre; si l’indice de risque est valable on doit retrouver ces variations dans les deux foyers, Sinfra et

Sur l’ensemble d’une région le risque varie d’un

Tableau I Le risque dans le foyer et hors du foyer de Sinfra Secteur r Prévalence (%O)“

Milieu ouvert = foyer Zone nord du foyer Zone sud du foyer

Milieu fermé = pays beté

“Nombre de malades dépistés rapporté au nombre de personnes visitées en 1995.

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Tableau 2 Variations du risque dans les différents biotopes des foyers Sinfra Zoukougbeu

Biotopes (fin de saison des pluies) r Rapport r Rapport-

Ensemble du foyer 13 420 439 283 2 , ~

132 I,O Aux campements 3167 I,O Dans les bas fonds 20 671 65 SS9 6 7

Puits au campement 6006 199 93” 077 Tous points d’eau a usage personnel 5574 178 287 2,2

Tous points d’eau 1 usage multiple 116 31s 36>7 1035 7 J

Aux points d’eau I77 61-5 561 750 5>7

Lisiéres des villages 360843 1q.o 145 1,I

(I) peu de sites, ’Rapport entre le risque du biotope et celui du campement.

I

Zoukougbeu. Pour faire cette comparaison nous avons calculé le ratio ‘risque dans le biotope considérélrisque au campement’ (Tableau 2).

présence de l’eau: les bas-fonds, boisés ou herbeux, cultivés ou non, sont plus dangereux que les campements même si ceux-ci ont un puits (le risque y est alors multiplié par 2). L’approvisionnement au trou d’eau, qui entraîne une présence humaine quasi permanente, aggrave singulièrement le risque. Toutefois on constate partout que l’utilisation des points d’eau par une seule famille entraîne un risque bien moindre que s’il est utilisé par tout un groupe (plusieurs familles ou campements).

Les différences enregistrées entre les foyers de Sinfra et de Zoukougbeu ne peuvent être strictement imputées à des paysages distincts puisque les rapports de risque bas-fonddcampement sont identiques. Elles ne sont dues qu’aux populations elles-mêmes, leurs comportements et leurs modes d’approvisionnement en eau variables d’un foyer à l’autre.

Cette hypothèse est confirmée par le fait que dans le foyer de Sinfra, au niveau des biotopes fréquentés par des malades (campements, points d’eau) le risque est supérieur à 32.000, quatre fois plus élevé que dans les autres biotopes. Le comportement des hommes a donc modifié localement l’environnement de telle façon que le risque y augmente. Ceci est aussi démontré par la variabilité du risque observée entre les villages de Sinfra et ceux de Zoukougbeu. Ces derniers, entourés de jachères herbeuses et possèdant des puits à l’intérieur, ne sont pas plus à risque que les campements; par contre à Sinfra, les forêts secondaires maintenues autour des

Le risque de transmission augmente fortement avec la

villages et les points d’eau qui s’y trouvent, en font des sites extrêmement dangereux o Ù une part non négligeable des malades doit se contaminer.

Discussion-Conclusion

N’était-il pas plus simple de ne considérer que la densité apparente des glossines au lieu d’utiliser un indice de risque exigeant la dissection des glossines? Nous avions déjà précisé (Laveissière et al. 1994) que la transmission de la trypanosomiase humaine n’est pas strictement liée à l’abondance des tsétsé. Ceci avait déjà été montré par Nash (1948): de petites populations de vecteurs, limitées dans un gîte restreint comme un point d’eau, entretenant des relations intimes, fréquentes et presque exclusives avec l’homme, font plus de ravages que des populations importantes, dispersées, inféodées à d’autres hôtes que l’homme. I1 existe certes une corrélation entre la densité apparente par piège et par jour (DAP) des glossines et le risque de transmission, mais cette corrélation n’est pas absolue. Or dans une étude entomo-épidémiologique, dont l’objectif est d’identifier de façon très précise les sites de transmission, en utilisant uniquement la DAP comme indicateur on s’expose au risque de sélectionner des sites de moindre intérêt et d’oublier ceux qui sont vraiment importants. Ainsi au cours de l’année, dans les campements du foyer de Zoukougbeu (Tableau 3), le test de corrélation des rangs de Spearman montre qu’il n’y a pas d’association entre la DAP et le risque (n = 6,

Le risque dans un gîte à glossine n’existe que dans la TS = 0,600, P > 0,20).

mesure où l’homme fréquente ce gîte: un point d’eau uniquement utilisé par les animaux pourra abriter un

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Tableau 3 Relation entre DAI? et risque au niveau des campements de culture (foyer de Zoukougbeau)Relation entre DAI? et risque au niveau des campements de culture (foyer de Zoukougbeau)

Mois DAP r

Novembre Février Mai Juillet Septembre Décembre

forte population de G. p . pulpulis mais le risque pour l’homme y sera nul. La valeur de ce risque dépendra, elle, de la façon d’utiliser ce gîte: nous l’avons montré plus haut en distinguant les points d’eau à usage familial et à usage multiple.

L’indice de risque de transmission peut s’appliquer à tous les foyers, à toutes les situations, du moins, tel qu’il est conçu, dans le domaine forestier. Son utilisation ne peut être faite de façon routinière mais dans le cadre d’une étude épidémiologique. I1 permet, pour des conditions particulières, peu ou mal connues, et à condition de travailler sur un secteur le plus vaste

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possible, de préciser une fois pour toutes les zones à risque, celles où survient la majorité des contaminations pour orienter, rapidement, de façon sélective er à moindre frais, la lutte antivectorielle.

d’Ivoire on peut confirmer que la lutte contre la maladie du sommeil doit être focalisée dans les milieux socialement ouverts. A l’intérieur de ceux-ci la transmission peut avoir lieu pratiquement partout, compte tenu de la mobilité des personnes et des glossines, mais principalement dans des biotopes oÙ les populations de tsé-tsé sont pérennes, c’està dire à proximité de l’eau: les bas-fonds, les trous d’eau, certains puits.

beaucoup plus complexes que ceux auxquels on est confrontés en savane, on peut désormais affirmer que dans les deux zones biogéographiques la trypanosomiase humaine est liée à l’eau.

C’est ainsi que dans le domaine forestier de Côte

Bien que les problèmes posés en zone de forêr soient

References

Laveissihe C, Sané B & Méda AH (1994) Measurement of risk in endemic areas of human African trypanosomiasis in Côte d’Ivoire. Transactions of the R.oyal Society of Tropical Medicine und Hygiene 88, 6451648.

Nash TAM (1948) Tsetse pies in British West Africa. HMSO London.