le rêve nuptial

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1 Le Rêve nuptial de l’esclavagiste chinois

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Poèsie amoureuse

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Page 1: Le Rêve nuptial

   

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Le Rêve nuptial de l’esclavagiste chinois

Page 2: Le Rêve nuptial

   

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u m’as dit

entaille-moi le corps du fil

raide

de tes escarpins

brûlants

et je l’ai fait

dans l’errance du rire et de la nuit,

comme pour oser penser

qu’aimer

ne serait pas jouer,

ou dire que les vies seront fraîches

lorsque perlera la rosée

dans tous ces sourires, béants

Page 3: Le Rêve nuptial

   

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u m’as dit

frotte !

ton sexe de pâle bouche

contre toutes mes lèvres ouvertes,

et je l’ai fait,

fait, oui,

parce que suspendue à tes mots d’une vie

qui s’écoule

vers les égouts de ta panse tendue

ou quelque horizon

flétri

lors d’une nuit aux astres

délaissés

Page 4: Le Rêve nuptial

   

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u m’as dit

de tes ongles griffe-moi le corps,

et le visage,

griffe !

ma mer de peau,

de tous tes yeux perdus

griffe !

et même des autres !

Me suis exécutée

comme pour des blessures secrètes,

que l’on enlèverait le soir avant de les embrasser et de prononcer des paroles,

toutes tachées du sang et des pleurs des bêtes

qui savent bien,

Page 5: Le Rêve nuptial

   

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qui savent.

Puis la lune a hurlé

sous le vent qui apportait la brume, touffue,

et j’ai pensé

qu’il faudrait

oublier

u m’as dit

de ton autre bouche

aiguisée par ton souffle vert-de-gris

mords-moi jusqu’à ce que j’en meure !

et je l’ai fait pour te dire

tu m’aimes,

ne m’oublie jamais

Page 6: Le Rêve nuptial

   

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jamais, n’oublie

toutes les corolles

d’une lune qui pleurait

ses étoiles fichées en terre par faute de ton rire mauvais

u m’as dit

de tes mains étrangle-moi presque,

arrache-moi les yeux ou les cheveux

ampleur, divine,

et béatitude,

ancienne,

comme un brin d’argent.

Des larmes j’ai ravalé,

noires et pointues comme des crêtes franches,

Page 7: Le Rêve nuptial

   

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puis j’ai crié avec toi au fond des nuits,

toutes les nuits de l’existence,

celles du soleil

oublié par hasard au bord d’une vie, nue

à moins que ce n’ait été d’une fenêtre, vide

u m’as dit

pour toi, toujours,

et il faut bien y croire

à tous ces rêves vendus à la criée des marchands d’âmes.

Alors mes soupirs

tendres et salés tels une vague belle

dans la terre de tes pieds sont venus s’immoler,

comme une révérence.

Page 8: Le Rêve nuptial

   

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Bras tendus vers les cieux pour implorer le monde,

mais le ciel n’a pas daigné regarder

u m’as dit

marche donc

sur le verre brisé

sens-le te couper la peau,

sens

sens, donc

et marche !

Tendre comme un soir de mai

si belle et délicate ta peau

sous la grande nuit des étoiles et des empalés ;

et gifle !

Page 9: Le Rêve nuptial

   

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sur ta joue offerte,

pour tous les mensonges empruntés

au fond de la mer de givre,

aussi pour avoir prétendu aimer et oublié le sel

à jeter sur les plaies

mortes

afin de les raviver

u m’as dit

roule, toi,

sur les éclats de verre,

de rêves,

sur tous les verres et les rêves brisés.

Ne pense plus,

Page 10: Le Rêve nuptial

   

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aux soirs de grande tempête

qui viendront tout essuyer.

Et alors

étoiles,

sur un plateau brillant,

offertes à toi pour colmater les brisures

dans les cieux bien trop étales de tous tes mots éteints

u m’as dit

sur les braises, marche !

marche encore

et brûle-toi donc les pieds.

N’oublie pas – amnésie, criminelle -

les songes pieux comme autant de pensées pleines.

Page 11: Le Rêve nuptial

   

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N’oublie pas

non,

attends

moi

attends !

Et je rirai,

de toutes mes bouches belles

u m’as dit

pour moi

mange !

mange la peau et les cheveux

tout juste arrachés,

mange !

Page 12: Le Rêve nuptial

   

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Et j’ai fait comme tu voulais,

autour de tes mains grandes.

Autour d’elles

j’ai dessiné

deux oiseaux décapités qu’une enfant tiendrait dans sa main,

morte d’avoir tant cru

ou alors fatiguée,

par toute l’espérance

u m’as dit

viens contre moi,

contre moi tout contre,

viens, donc,

viens !

Page 13: Le Rêve nuptial

   

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me cracher au visage,

viens, peut-être,

me couper les oreilles

ou leur souffler dessus pour les voir s’envoler,

telles des crapauds tristes.

Et je t’ai dit

que je savais,

que je savais, oui,

les soirs de grands orages rouges qui tonnent dans la poitrine,

aussi une envie de soleil

pris au piège d’un grand filet

u m’as dit

arrache-toi les pieds,

Page 14: Le Rêve nuptial

   

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menus,

d’un coup bref et tendre

arrache !

puis viens,

les déposer sur mon sexe.

Pour toi, alors,

me suis déchaussée

de mes pieds exsangues

qui perlaient joliment.

Caressés ils penseront

qu’il fallait bien prétendre exister et moi,

douce endormie,

je tremblerai de te connaître encore

Page 15: Le Rêve nuptial

   

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u m’as dit

les yeux,

pose-les sur ma bouche,

et je n’ai pas craint,

que tu veuilles avaler

deux yeux pers gouttant

doucement

sur l’autel profane de ta peau d’en haut,

idolâtre

et rêche comme ton coeur putride

u m’as dit

tes mains,

Page 16: Le Rêve nuptial

   

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dans les miennes rugueuses !

molles et mortes

tout juste teintées du sang,

vivant,

je les veux, entières !

avec les ongles aussi.

Et je te les ai offertes,

tranchées

comme un quartier de lune que le boucher aurait aimé

u m’as dit

aussi

le coeur

laisse-le donc en partant sur la table

Page 17: Le Rêve nuptial

   

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dans un papier de soie, béni.

- Et si légers, les souvenirs célestes -

Mais il m’a bien fallu te dire

que je n’avais plus rien

rien, plus,

avec quoi le couper.

Ou alors un rire,

amer,

pour le débiter et te vendre

les morceaux tendus et dévorés,

avec bien trop d’avidité

dans l’aube effleurée à peine

Page 18: Le Rêve nuptial

   

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u m’as dit

avec moi

rouler,

sur les braises soyeuses et sur le verre,

avec moi rouler,

jusqu’à l’océan ondoyant

sous la brume puis sous le vent, si rude.

Ou l’avons rêvé peut-être,

comme une vie suspendue

au vide des béances idoines,

dans cet éclat de vérité, nue.

Page 19: Le Rêve nuptial

   

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t ma tête, donc

me faudra-t-il aussi l’ôter ?!

Poussière d’étoile dans tes yeux dévêtus,

il te faudra prendre garde aux anges.

t les clous ne sont pas tombés

et les larmes n’ont pas rouillé.

Alors que ton coeur se convulse,

longtemps encore,

sous le dernier baiser de mes lèvres empoisonnées,

et que la malédiction de tous tes crucifiés

vienne hanter ton âme, laide,

dans toutes ces vies que tu oseras rêver !

Page 20: Le Rêve nuptial

   

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uis je m’en irai et ta main

désespérée

cherchera Dieu,

dans tous les orifices.

© Edith Soonckindt, juin 1994, Roosendaal.