le republicanisme de bodin

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Le républicanisme de Bodin Né en 1530, Jean Bodin est l’un des fondateurs de la pensée politique moderne avec Machiavel. Son principal apport est constitué par sa théorisation de la souveraineté, qu’il définit comme une et absolue. Son comportement singulier lui a fait prendre un parti minoritaire alors que la France était divisée par les guerres de religion. Bodin se rattache au parti des "politiques", le seul qui défend l'Etat royal. En 1576- 1577, il est un représentant du Tiers-état aux Etats Généraux de Blois où il préconisera la reconnaissance des 2 religions et l'inaliénabilité des biens de la couronne dont le roi n'est que le dépositaire. Dans les Six Livres de la République (en langue vulgaire), Bodin tente de restaurer la théorie monarchique contre le pragmatisme philosophique (Etat fondé sur la force) et les Monarchomaques (adversaires du pouvoir royal qui prônent le droit de résistance, de tyrannicide, voire de régicide : Théodore de Bèze, Hotman). Bodin est l’inventeur de la notion de souveraineté au sens moderne, tel que nous l’entendons encore. Son ouvrage nous présente une théorie de celle-ci à travers celle de la république qui, comme nous le verrons, ne se limite pas à une justification de la souveraineté absolue, de la monarchie absolue. On peut penser une république démocratique en respectant les idées qu’il y exprime. Si dans un sens il prépare une justification de l’absolutisme comme celle de Hobbes, mais en usant de méthodes différentes, certains républicains voient en lui l’un des fondateurs du 1

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Le Republicanisme de Bodin

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Page 1: Le Republicanisme de Bodin

Le républicanisme de Bodin

Né en 1530, Jean Bodin est l’un des fondateurs de la pensée politique moderne avec

Machiavel. Son principal apport est constitué par sa théorisation de la souveraineté, qu’il

définit comme une et absolue. Son comportement singulier lui a fait prendre un parti

minoritaire alors que la France était divisée par les guerres de religion. Bodin se rattache au

parti des "politiques", le seul qui défend l'Etat royal. En 1576-1577, il est un représentant du

Tiers-état aux Etats Généraux de Blois où il préconisera la reconnaissance des 2 religions et

l'inaliénabilité des biens de la couronne dont le roi n'est que le dépositaire. Dans les Six Livres

de la République (en langue vulgaire), Bodin tente de restaurer la théorie monarchique contre

le pragmatisme philosophique (Etat fondé sur la force) et les Monarchomaques (adversaires

du pouvoir royal qui prônent le droit de résistance, de tyrannicide, voire de régicide :

Théodore de Bèze, Hotman). Bodin est l’inventeur de la notion de souveraineté au sens

moderne, tel que nous l’entendons encore. Son ouvrage nous présente une théorie de celle-ci à

travers celle de la république qui, comme nous le verrons, ne se limite pas à une justification

de la souveraineté absolue, de la monarchie absolue. On peut penser une république

démocratique en respectant les idées qu’il y exprime. Si dans un sens il prépare une

justification de l’absolutisme comme celle de Hobbes, mais en usant de méthodes différentes,

certains républicains voient en lui l’un des fondateurs du républicanisme moderne, à l’instar

de Quentin Skinner et Jean Fabien Spitz. Cet ouvrage étant volumineux je m’attarderai

seulement sur certains de ses aspects, surtout de ses premiers livres, qui donnent un aperçu de

sa pensée républicaine et de ses potentialités. Il s’agira d’abord d’étudier dans une première

partie ce qui définit la république comme « droit gouvernement », pour dans une deuxième

partie voir quels sont les attributs de toute souveraineté, qui peut prendre plusieurs formes

dont une seule est préférable, la monarchie.

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Page 2: Le Republicanisme de Bodin

I. QU’EST-CE QU’UN DROIT GOUVERNEMENT   ?

Comment définit-il la république ? « République est un droit gouvernement de

plusieurs ménages et de ce qui leur est commun, avec puissance souveraine ». Je vais d’abord

expliciter cette définition, qui inscrit la finalité, par le terme de « droit gouvernement », au

cœur de la république. C’est un gouvernement juste, une « république bien ordonnée ». Nul

acte public n’est concevable sans considération de la justice : « Elle est le phare de toute

société politique parce qu’elle condense en son concept la finalité que les lois de nature ont

inscrite en toute communauté. » Il y a un lien entre gouvernement droit et justice, ce qui nous

rappelle la formule thomiste « jus quod justum est », le droit est ce qui est juste. On peut

préciser à ce stade qu’une vie heureuse des membres de la communauté n’est pas nécessaire à

une république, on y oublierait la vertu par exemple. Trois points sont caractéristiques de la

République : « la famille, la souveraineté et ce qui est commun en une république ». Pour

concevoir la république, il faut « mettre la mire au plus haut ». Sa démarche se trouve entre

un idéalisme platonicien et un trop limité empirisme. Il y a pour Bodin une coïncidence entre

le bien commun et celui d’un individu. Il est dans la droite lignée de Aristote. Le Souverain

Bien et le Bien particulier vont de concert. Il y a un lien entre éthique et politique.

La vie des hommes est pour lui soumise à la loi de la nature (jusnaturalisme). Un

peuple jouit du Souverain Bien quand il a pour but de « s’exercer en la contemplation des

choses naturelles humaines et divines, en rapportant la louange du Tout au grand Prince de

nature ». Dans cette optique jusnaturaliste, la justice se fait à deux niveaux : d’abord en liant

action et contemplation, ensuite en la rattachant elle et ses structures à la loi naturelle.

1. Les ménages, autrement dit la famille

Pour Bodin, c’est « la vraie source et origine de toute république, et membre principal

d’icelle. » La maison / famille fait partie de la république comme la partie au tout. Bodin

pressent le rejet du naturalisme, l’effacement des perspectives englobantes qu’implique la

compréhension téléologique du monde, l’accent mis sur l’élémentaire, l’individu, le triomphe

de l’abstraction rationaliste.

Il cherche à mettre en place une forme de réalisme. Pour lui, conformément à la

nature, il faut trois ménages pour faire une république, ce n’est pas le nombre d’individus qui

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Page 3: Le Republicanisme de Bodin

compte. Cela nous rappelle la future distinction rousseauiste entre association et agrégation.

La république comme la famille nécessitent l’autorité d’un chef.

La « ménagerie » qui est « le droit gouvernement de la famille et de la puissance que

le chef de famille a sur les siens et de l’obéissance qui leur est due » donne la vraie image de

la république.

2. Ce qui est commun

Il ne voit dans l’individu ni un principe ni une fin. Mais dans le pater familias non

plus. Il faut « quelque chose de commun et de public : comme le domaine public, le trésor

public, le pourpris de la cité, les rues, les murailles, les temples, les marchés, les usages, les

lois, les coutumes, la justice, les peines et autres choses semblables. » La république implique

l’idée de communauté, mais refuse le communisme de Platon : si tout est à tout le monde,

alors rien n’est à personne. De même que si tout le monde est roi, il n’y a plus de roi. Le

communisme platonicien est le meurtre de l’harmonie de la république. L’idée de

communauté implique une division des biens particuliers et des biens communs, une

théorisation juridique du concept de communauté comme alliance du privé et du public.

Bodin refuse par là même le dualisme romain dominium (droit privé) et imperium (droit

public). Accepter le dualisme, c’est reconnaître que Dieu a voulu la cassure du monde. Il y a

aussi une impossibilité fondamentale : pour être valide, la théorie de la communauté doit

répercuter la signification fondamentale de la loi du monde qui entrelace et équilibre les

exigences de la société politique et celles des ménages et des particuliers qu’elle englobe. Les

séparer revient à dépolitiser le politique.

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Page 4: Le Republicanisme de Bodin

II. LA FORME D’UNE REPUBLIQUE   : BODIN, THEORICIEN DE

LA SOUVERAINETE

Il emprunte le concept de droit romain imperium, pouvoir et autorité suprême dans la

cité. Notion utilisée dans le Saint Empire. Il s’appuie sur la notion de merum imperium, ainsi

que sur l’évolution du pouvoir royal en France (absolutisation sans contrepoids). Le merum

imperium était le droit du glaive, le jus gladii qui appartenait à la cité, à la magistrature

suprême. On le distinguait du mixtum imperium, la juridiction civile. Mais cette distinction

s’est effacée à la fin de l’antiquité.

Dans le Methodus, il définissait la république par « l’autorité suprême en quoi réside

le principe de la république ». Les divers termes abordés par Les six livres de la République

tournent autour de cette idée : le prince, les citoyens, les magistratures, les divers régimes, les

révolutions, les structures institutionnelles, la résistance au pouvoir. Ce qui fait la république,

c’est « l’union d’un peuple sous une seigneurie souveraine » (I, II). Il emploie dans la préface

l’image du vaisseau République : « Tout ainsi que le navire n’est plus que bois, sans forme de

vaisseau, quand la quille qui soutient les côtés, le proue, la poupe et le tillac sont ôtés : aussi

la République sans puissance souveraine, qui unit tous les membres et parties d’icelle, et tous

les ménages et collèges en un corps, n’est plus République. »

La souveraineté doit avoir trois attributs : être la puissance de commandement, être

perpétuelle, être absolue.

*La puissance de commandement doit être publique. Le commandement public « gît au

souverain qui donne la loi ou en la personne des magistrats qui ploient sous la loi, et

commandant aux autres magistrats et aux particuliers ». La puissance politique se distingue

des puissances domestiques, elle leur est supérieure. Exercée par le principat, elle est le

principe premier de la res publica qui ne peut se manifester que par la plenitudo potestatis. Le

prince souverain est celui qui commande aux citoyens sujets, le pilote du navire.

*Perpétuelle : n’est souveraine que si non limitée dans le temps : même un dictateur romain

n’a pas la puissance souveraine. C’est le principe de continuité de l’Etat. En France : « le roi

est mort, vive le roi ! ». La perpétuité de la couronne transcende la personne des princes.

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*Absolue : sur le plan international, cela signifie l’indépendance de l’Etat. Sur le plan

intérieur il est libre, même à l’égard des lois qu’il fait. Pour Raymond Polin, c’est « avant la

lettre un droit inaliénable ».

ATTENTION : LA SOUVERAINETE EST ABSOLUE MAIS PAS ARBITRAIRE

Le prince ne peut déroger aux coutumes de son pays. Il est maître, mais après Dieu : il

peut commettre un « crime de lèse-majesté divine ». Il est soumis à la loi de nature. Il est

aussi « tenu aux justes conventions et promesses qu’il a faites », accompagnées ou non de

serments. Cela relève en effet de la bona fides, d’une loi morale et non d’une loi juridique.

Seul un contrat peut obliger le souverain vis-à-vis de ses sujets.

Dans le Methodus, Bodin donnait cinq attributs à la souveraineté :

*nommer et attribuer des fonctions aux magistrats

*promulguer / abroger les lois

*déclarer la guerre et conclure la paix

*juger en dernier ressort au dessus des magistrats

*droit de vie et de mort aux endroits mêmes ou la loi ne prête pas à la clémence.

La Rep. met en premier l’attribut législateur, qui est l’essence même de la république

et de la souveraineté, fons juris. Les compétences de la souveraineté sont ici plus

nombreuses : (I, X) « Sous cette même puissance de donner et casser la loi sont compris tous

les autres droits et marques de souveraineté : de sorte qu’à parler proprement, on peut dire

qu’il n’y a que cette seule marque de souveraineté, attendu que tous les autres droits sont

compris en celui-là : comme déclarer la guerre ou faire la paix ; connaître en dernier ressort

des jugements de tous magistrats ; instituer ou destituer les plus grands officiers ; imposer ou

exempter de charges et subsides ; octroyer grâces et dispenses contre la rigueur des lois ;

hausser ou baisser le titre, valeur et pied des monnaies ; faire jurer les sujets et hommes liges

de garder fidélité sans exception à celui auquel est dû le serment. » Le législateur souverain

est jurislateur en l’Etat. La loi ne tire sa légitimité et sa force que du décret du souverain  : la

puissance législatrice est dévolue à l’autorité souveraine en tant qu’elle est l’essence de la

république. Ce n’est pas une prérogative attachée à la personne privée du prince : le prince

médiatise la souveraineté et la loi. Bodin distingue donc «  les deux corps du roi ». Légiférant,

il exprime la volonté publique et sa volonté propre : il reste sujet de Dieu

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Page 6: Le Republicanisme de Bodin

III. LES TROIS FORMES DE REPUBLIQUE

Bodin fait une distinction fondamentale entre les formes de république et les formes de

gouvernement. L’essence de toute république : la souveraineté absolue. La souveraineté est un

concept, et il faut la distinguer de son incarnation, qui peut se faire soit dans le prince, soit

dans une assemblée, soit dans le peuple. La souveraineté est en effet la puissance de faire la

loi, et non l’acte lui-même. Le passage de la puissance souveraine à l’exercice de cette

puissance implique la mise en place d’organes à vocation fonctionnelle et dont les attributions

sont strictement exécutrices. L’ensemble de ces organes constitue le gouvernement dont

Bodin pressent, comme le dira Rousseau, qu’il est le « ministre du souverain ».

Chaque forme de la république peut être exercée selon trois modalités. La monarchie

peut être exercée de manière royale, seigneuriale ou despotique. L’aristocratie peut être

gouvernée de manière légitime, seigneuriale ou factieuse. La démocratie de manière légitime,

seigneuriale ou turbulente. Deux critères permettent cette classification : la constitutionnalité

et l’éthicité. On voit ici que loin de rappeler la typologie traditionnelle des régimes politiques

telle que Aristote et Platon l’avaient établie, Bodin choisit une nouvelle méthode, sachant

qu’une monarchie peut être gérée de façon monarchique, aristocratique ou démocratique, et

vice-versa. Ce qui importe est ici le caractère plus ou moins public que prend une forme de

république. Les configurations concrètes des républiques résultent du nécessaire

« entremêlement » des trois formes constitutionnelles fondamentales avec les trois types

d’organes institutionnels qui assurent le gouvernement de l’Etat. Il est un contresens de

confondre personne publique et personne privée du prince. Dans une monarchie, le roi est

détenteur de la puissance souveraine et il la met au service de l’intérêt général.

Dans le livre II, Bodin établit cette typologie en examinant les avantages et

inconvénients de chaque régime. Il accorde cependant une place privilégiée à la monarchie

« légitime et royale ». Elle est pour lui la seule véritable république en ce que le monarque,

obéissant à la loi de Dieu et de nature, y gouverne ses sujets et y guide ses actions à la lumière

de la justice naturelle. Il y a dans toutes les formes dans la nature une hiérarchie qui s’établit

avec à sa tête un élément du tout supérieur aux autres, qui le guide. Il établit un parallèle

entre le microcosme humain et le macrocosme. La nature, par son organisation, nous guide

vers la monarchie. (VI, IV) « Soit que nous regardions ce petit monde qui n’a qu’un corps et

pour tous les membres un seul chef duquel dépendent la volonté, le mouvement et le

sentiment ; soit que nous prenions ce grand monde qui n’a qu’un Dieu souverain ; soit que

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nous dressions les yeux au ciel où nous ne verrons qu’un soleil. » La valeur de la monarchie

royale repose donc sur ses fondements naturels. Dans ce contexte il défend la monarchie

héréditaire plutôt que l’élective : la perpétuation dynastique par voie naturelle permet une

forte stabilité. Un monarque élu est comme un arbre haut avec des racines faiblement

enfoncées dans le sol. Le républicanisme de Bodin se situe dans une démarche de recherche

du meilleur régime politique. Si conceptuellement ses théories permettent de théoriser

plusieurs types de républiques, le meilleur régime n’en demeure pas moins pour lui une

monarchie qui est légitimée par la nature. Son propos sera de fonder ce discours

philosophiquement. On peut dire que c’est par ses racines naturelles, par la vertu dynastique

des princes, par les institutions qui régissent ce régime, par le rapport de l’Un au Multiple qui

s’établit, que la monarchie royale réalise la loi de Dieu. C’est la justice naturelle qui sépare le

bon roi du tyran. (II, III) :

« Le roi se conforme aux lois de nature ; et le tyran les foule aux pieds : l’un entretient la

piété, la justice et la foi ; l’autre n’a ni Dieu, ni foi, ni loi. »

« La justice naturelle se voit et se fait connaître aussi claire et luisante que la splendeur du

soleil. » Elle est l’étoile du berger du roi.

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Page 8: Le Republicanisme de Bodin

Conclusion   : une souveraineté absolue mais contrôlable

Si Bodin affirme que la souveraineté doit être absolue et est indivisible, celle-ci n’en

est pas moins contrôlable du point de vue institutionnel. Si cette idée n’est pas affirmée avec

trop de force dans Les six livres de la République, c’est qu’il a beaucoup évolué par rapport au

Methodus, publié en 1566. Jean Fabien Spitz va d’ailleurs dans ce sens dans son interprétation

de Bodin comme penseur permettant de penser une forme mixte de gouvernement : il prend

en compte sa première œuvre. Je finirai cet exposé en présentant cette interprétation de

l’auteur. Dès le texte de 1566, Bodin distingue entre la manière dont la souveraineté est

détenue, ce qui définit la forme de l’Etat, et celle dont elle est exercée, ce qui définit la forme

du gouvernement. Il reconnaît pour ce point la possibilité d’une forme mixte. Il analyse le

mode de détention de l’autorité d’une manière telle que l’indivisibilité du pouvoir souverain

n’entraîne pas nécessairement une absence de contrôle institutionnel. Bodin distingue deux

types de rois, ceux qui sont limités par la loi et ceux qui ne le sont pas. Il y a eu contrôle

possible des rois du moment où les lois sous la forme du droit ont apparu. Comme nous

l’avons vu précédemment, il n’en est pas tenu en tant que tel mais seulement parce qu’il en

fait la promesse à ses sujets, ceci relevant de la bona fides. Rien ne justifie alors, aux yeux de

Bodin, le fait que le roi ne puisse pas être lié à ses propres lois comme l’étaient les édiles

romains. Une telle limitation est elle-même limitée puisqu’à tout moment il peut abroger cette

loi au motif qu’elle va à l’encontre du bien commun.

Il en va tout autrement dans les états démocratiques, qu’il mentionne lors d’une

analyse dans le premier livre de La république : il y distingue les états où le souverain et le

législateur sont une seule et même personne, et ceux où ils sont deux personnes ou ensembles

distincts :

« Le monarque est divisé du peuple ; et en l’Etat aristocratique, les seigneurs sont

aussi divisés du menu peuple ; de sorte qu’en l’une et l’autre république, il y a deux parties, à

savoir celui où ceux qui tiennent la souveraineté d’une part, et le peuple de l’autre, qui cause

les difficultés qui sont entre eux pour les droits de la souveraineté, et qui cessent en l’état

populaire ; car si le prince ou les seigneurs qui tiennent l’Etat sont obligés de garder les lois,

comme plusieurs pensent, et qu’ils ne peuvent faire loi qui ne soit accordée du peuple ou du

sénat, elle ne pourra aussi être cassée sans le consentement de l’un ou de l’autre, en termes

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Page 9: Le Republicanisme de Bodin

de droit ; ce qui ne peut avoir lieu en l’Etat populaire, vu que le peuple ne fait qu’un corps, et

ne se peut s’obliger à soi-même. » (I, 8).

Le souverain, une fois accordé ce principe de consentement mutuel, ne peut plus s’en

délier, et cela relève du droit et non plus de la bona fides. Tant que l’accord des deux parties

ne rompt pas le contrat, le souverain est réellement obligé par ses propres lois, et il ne peut les

abroger ou les modifier sans le consentement de la communauté. Bodin rejette même dans le

Methodus toute idée d’arbitraire, qu’il juge honteuse, condamnant par là même le modèle des

empereurs romains. Il défend même cette définition limitée des pouvoirs du souverains :

« Aristote se trompe quand il écrit que les rois qui sont liés par des lois ne sont plus des

rois. » C’est ici toute la difficulté quand on cherche à faire de Bodin un républicain. Certes il

a tenu les propos que nous venons de voir, mais ce fut pour ensuite les renier et les déclarer

illogiques dix ans plus tard :

« Encore est-il plus étrange que plusieurs pensent que le prince est sujet à ses lois,

c’est-à-dire sujet à sa volonté, de laquelle dépendent les lois civiles qu’il fait, chose du tout

impossible par nature. Et sous ce voile et opinion mal digérée, ils font un mélange et

confusion des lois civiles avec les lois de nature et des deux ensembles avec la loi de Dieu. En

sorte qu’ils pensent quand le prince défend de tuer ou dérober, ou paillarder, c’est la loi du

prince. » (VI, 4) Certes il y a finalement dans sa pensée une limitation du souverain, mais elle

relève de la loi de nature et non de la loi des hommes. L’apparition de la loi de la nature est

d’ailleurs la nouveauté à l’origine de toute la réinterprétation que fait Bodin de la notion de

souveraineté en dix ans.

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