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Vieillir

L’essentiel pour une bougie n’est pasl’endroit où elle est posée, c’est la lu-mière qu’elle irradie jusqu’au bout.

Marie de Hennezel

Quand j’ai franchi la ligne symbolique de mes60 ans, j’ai traversé une crise à laquelle je nem’attendais pas du tout. Cet été-là, je travaillaissur la question du vieillir. C’était éprouvant derencontrer le vécu de toutes ces personnes quisouffraient de solitude, d’exclusion. Ces per-sonnes que l’on ne regardait plus : elles étaientdevenues transparentes ; certaines avaient étéemmenées de force dans une maison de retraite,où elles périssaient d’ennui. Ces personnes quiavaient honte d’être vieilles et qui se cachaient.Mes lectures, je l’avoue, m’ont donné le cafard.Elles montraient le côté noir de la vieillesse,celui qui nous fait peur, que nous refusons detoutes nos forces. Mon corps a symbolisé ce

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refus par une capsulite rétractile. C’est unerétraction de la capsule de l’épaule qui entraîneune tendinite extrêmement douloureuse. Celasignifie des nuits sans sommeil pendant les-quelles je finissais par me dire : « Vraiment,vieillir, c’est épouvantable ! » Je me souvienstrès bien d’un week-end pendant lequel je lisaisdes articles sur tout ce que les seniors dans lemonde entier inventent pour essayer de maîtri-ser leur mort à venir. « Vivons le mieux possi-ble jusqu’au moment où les cloches de la vraievieillesse sonneront. Puis dégageons car mieuxvaut mourir que mal vieillir ! » Je lisais desdocuments sur la fameuse pilule euthanasianteque les Hollandais seraient, semble-t-il, prêts àfabriquer, sur l’expérience faite en Australie parun groupe de seniors qui fabriquent dans leurpropre laboratoire leur pilule euthanasiante.

Voilà l’état d’esprit dans lequel j’étais. Jepense que j’ai traversé ce type de dépressiondont beaucoup de seniors sont atteints. Ellepasse parfois inaperçue, mais elle est réelle. Onperd sa joie de vivre, on broie du noir, tout vousfatigue !

En fait, j’en suis sortie grâce à un événementque j’ai déjà raconté 1 et si je relate à nouveaucette histoire, c’est parce qu’elle m’a livré uneclé fondamentale pour la suite.

1. La chaleur du cœur empêche nos corps de rouiller, RobertLaffont, 2008.

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J’étais partie avec ma petite-fille en Camar-gue. Nous sommes allées faire une promenade àcheval dans le marais. Une matinée magnifique.Ma petite-fille caracole sur sa monture avec leguide, devant moi. Nos chevaux entrent au pasdans l’eau grise du marais. Des gerbes étincel-lent. Soudain, mon cheval s’immobilise. Noussommes tombés lui et moi dans un trou et sespattes sont enfoncées dans la boue jusqu’au ven-tre. J’appelle notre guide qui est surpris. Il nesavait pas qu’il y avait un trou à cet endroit dansle marais. Après avoir conduit Marie sur lerivage, il revient vers moi. Il comprend vite qu’ilne peut rien faire, il s’enfoncerait à son tour.Nous envisageons toutes les solutions. Le che-val, dit-il, s’en sortira toujours. Mais moi ? Je nepeux pas descendre, je ne peux pas nager, car iln’y a pas assez d’eau. Je pourrais tout justem’allonger et me laisser tirer par une corde qu’ilme lancerait depuis la rive. Je réfléchis, toujoursassise sur mon cheval embourbé, qui reprendson souffle doucement. Et si je laissais faire moncheval ? Oui, dit mon guide, tu peux essayermais il faut que tu t’accroches fort à la selle,parce que, lorsqu’il va sortir de son trou, cela vaêtre violent. Je décide d’essayer. Deux coups detalons vigoureux, et mon cheval a compris. Iltente un premier bond en avant, puis undeuxième, puis un troisième. Les bonds sontsaccadés, mais je m’accroche et nous voilà enfin

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sur la rive, le cœur battant, couverts de boue,mais heureux d’en être sortis.

Le soir, en repensant à cet épisode étrange, jeme suis demandé pourquoi pareille histoirem’était arrivée. J’ai compris que la vie venait deme donner une fameuse leçon.

Le cheval apparaît souvent dans les rêvescomme un symbole de force et de vitalité. Lors-qu’il est blanc, c’est l’énergie de l’esprit qu’il sym-bolise. Les analystes jungiens y voient une figurede l’intentionnalité vitale, du « conatus » deSpinoza. Je croyais être enfoncée dans les eauxboueuses de ma peur de vieillir, incapable d’avan-cer, déjà vieille, et voilà que l’événement de cematin me montre qu’en faisant confiance à mondynamisme intérieur, en faisant confiance à la viequi me porte, je peux sortir de la boue de madépression.

En effet, j’ai senti mon élan vital revenir, et j’aisu qu’il fallait tourner la page de ma jeunesseperdue et regarder devant moi.

Ce que vieillir veut dire

Sentir que la vie nous porte à travers les âgesest la force sur laquelle s’appuient tous ceux quiont une expérience heureuse du vieillissement etque j’ai rencontrés par la suite. Le gériatreOlivier de Ladoucette dit la chose à sa façon.Des centaines de personnes en mal de vieillir

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viennent le voir. Elles sont atteintes de cettedépression masquée caractéristique des seniorsdes pays riches qui ont une vision désastreuse dela vieillesse. « Les gens ont l’impression quele grand âge, c’est un âge où finalement il n’y aplus rien : on décline, on s’embête, la vie ne vautplus le coup d’être vécue. Ils ont un tableau très,très noir. Je leur dis : “Mais vous vous trom-pez ! Vous ne vous rendez pas compte que, enfait, votre psychisme va changer.” » Lorsque, à55 ans, on regarde une personne de 90 ans, onn’imagine pas que les années qui nous séparentde cet âge sont des années où nous allons noustransformer.

C’est une notion très importante sur laquellenous allons revenir tout au long de ces pages :notre psychisme va évoluer, nous allons nousadapter et découvrir des choses nouvelles. C’estce qu’on appelle mûrir. Mais avant que nousn’abordions les étapes de cette maturité, je vou-drais montrer par quelques exemples qu’avoirune expérience heureuse du vieillissement n’estpas une utopie.

Regardons du côté de ces vieux qui nous don-nent envie de vieillir comme eux.

Dans les séminaires que j’anime et dans les-quels nous réfléchissons au « bien vieillir », jedemande aux participants de nous présenter cesvieux qui ne sont pas vieux. Quels que soientl’histoire de vie, le milieu social, la profession,on voit tout de même des constantes se dégager

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de tous ces portraits : les « jeunes » de 90 ans nese plaignent jamais de leurs maux ou de leursituation. Ils prennent la vie du bon côté, etvivent au présent, même s’ils continuent d’avoirdes projets. Ils sont tournés vers les autres, qu’ilsobservent avec bienveillance, sans jugement, fai-sant preuve d’une curiosité inouïe. Ils s’intéres-sent au monde, aux plus jeunes qu’ils écoutent,non pour leur faire la leçon ni tenter de leur fairepart de leur expérience, mais pour les encoura-ger dans ce qu’ils font. Ils restent créatifs, pas-sionnés. Ils sont gais, joyeux, capables d’émer-veillement. Ils ne s’ennuient pas, même etsurtout lorsqu’ils ne font rien, car on a le senti-ment que le seul fait d’être, de respirer, decontempler, de savourer le moment présent suf-fit à remplir leur existence. Bref, ce sont des per-sonnes auxquelles on a envie de ressembler dansle grand âge. On se dit : comme j’aimerais êtrecomme lui, comme elle ! On se dit surtout quevieillir sans être vieux, ce n’est pas une utopie.

Le témoignage de Sœur Emmanuelle que jesuis allée interviewer lorsqu’elle était proche deses 100 ans en est un bon exemple. À la fin desa vie, elle était impotente, dans son fauteuil,reliée à une bonbonne d’oxygène. Elle étaitmanifestement très vieille, elle en avait tous lessignes et en même temps, elle possédait unrayonnement, une jeunesse intérieure, une vita-lité extraordinaires. Elle m’a parlé évidemmentde cette expérience : « C’est la plus belle période

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de ma vie ! » Et quand je lui ai demandé quelétait le message qu’elle voulait transmettre à meslecteurs à travers son interview, elle m’a donnécette réponse : « Dites-leur que la mission de lapersonne âgée est d’aimer. Car voyez, moi dansmon fauteuil, je ne peux plus rien faire mais jepeux toujours sourire. Je peux toujours écouter.Je peux toujours diffuser ma présence aimante.Je peux toujours avoir cet élan du cœur. » Oui,le cœur ne vieillit pas !

On m’a dit : « Sœur Emmanuelle c’est quel-qu’un d’exceptionnel ! Vous nous donnez là unexemple auquel on ne peut pas s’identifier ! Etpuis, c’est quelqu’un de très croyant. » Est-ceque cela veut dire que seule la foi religieuse peutpermettre d’arriver à un tel rayonnement et àune telle sérénité ? Je suis donc allée voir unepersonne presque aussi âgée qu’elle mais quin’avait pas de foi religieuse, quelqu’un de moinscélèbre qu’elle mais que certains d’entre nousconnaissent par son combat pour les droitsde l’homme. Il s’agit de Stéphane Hessel, un demes amis, ancien ambassadeur, un homme degauche, très impliqué dans des actions humani-taires, auprès des sans-papiers. Réchappé d’uncamp d’extermination en Allemagne, lorsqu’ilétait tout jeune homme, grâce à une évasion, ila toujours gardé une immense gratitude enversla vie. Un devoir de bonheur l’habite. Commeil le raconte joliment, sa mère lui disait tousles matins, lorsqu’il était enfant : « Faisons vœu

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d’être heureux ! » Voilà donc un homme quiarrive à la fin de sa vie, empli de gratitude et debonheur. Et cela se voit. Dès qu’il entre dansune pièce, quelque chose change tellement il estlumineux. Quelque chose irradie de lui, à tra-vers son regard, à travers son sourire, à travers saprésence. Un de ses charmes est de réciter despoèmes qu’il continue à apprendre. Autant direque sa mémoire n’a pas vieilli d’un pouce. Ilnous livre là une des clés pour conserver unebonne mémoire : apprendre chaque semaine unpoème que l’on aime. Outre la mémoire qui semaintient ainsi, le fait de se réciter des poèmesqui font du bien à l’âme est aussi une façond’entretenir son rayonnement intérieur.

Stéphane Hessel n’a pas peur de la mort. Aucontraire, il la désire. Mais pas d’une façondésespérée et morbide, non : « Je désire mourircomme je désire vivre. » Vivre et mourir sontpour lui une seule et même chose. Et s’il n’estpas croyant au sens religieux du terme, il croit,comme Rilke qu’il cite souvent, à l’Invisible. Lamission de l’être humain serait pour lui de« butiner l’or du visible pour en faire de l’invisi-ble. Nous sommes les abeilles de la vie. Nousbutinons l’or du visible, le miel du visible pouren faire de l’invisible. » Autrement dit, si nousvivons notre vie pleinement – butiner le visi-ble –, si nous sommes pleinement vivants, nousconstruisons notre être invisible. Quelque choseen nous ne meurt pas.

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Nous savons donc qu’il n’est pas utopiqued’envisager le vieillissement, non pas comme unnaufrage, mais comme une avancée de lumière.Le philosophe Robert Misrahi dirait mêmecomme une entreprise de renaissance.

Voilà donc un fameux défi à relever pourcette génération à laquelle on promet une longé-vité inédite et qui a peur de vieillir. Pour la pre-mière fois dans l’histoire, la génération d’après-guerre, les papy-boomers, se trouve devant lapossibilité de vivre dix, vingt, trente et peut-êtremême quarante ans encore.

« Vieillir sans être vieux », telle est l’aventurequi nous est offerte. Accepter de vieillir tout enrestant intérieurement jeunes. Les « seniors »que nous sommes ne se considèrent pas commevieux. Nous avons devant nous un âge d’or, unebonne vingtaine d’années en forme, car nousvieillirons différemment de nos parents. Pour-quoi ? Parce que nous n’avons pas connu lesguerres, leurs privations. Nous avons été mieuxalimentés. Nous avons fait du sport. Ma mère,par exemple, à 87 ans, ne sait pas nager, n’a pasfait de sport dans sa vie. Nous sommes aussi lagénération de la psychanalyse, celle qui a décou-vert le travail sur soi, et qui a appris à se connaî-tre. La génération de nos parents, sauf exceptionévidemment, ne s’intéressait absolument pas àcette intériorisation. Nous sommes donc unegénération qui a appris à faire du ménage dans

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sa vie. Ce n’est pas du tout le cas des générationsau-dessus, et l’on verra pourquoi c’est impor-tant.

Nous sommes enfin une génération qui donnede l’importance au fait de chercher le bien-êtreet le plaisir. Nos parents valorisaient le sacrificede soi et la notion même de plaisir était entachéede culpabilité. Nous savons, nous, combien il estimportant de prendre soin de soi pour prendresoin de l’autre. Il faut commencer par être bienavec soi-même. Et le plaisir fait partie de cebien. Nous n’avons pas du tout les mêmes cartesdans les mains que les générations qui nous ontprécédés et c’est pourquoi nous vieillirons diffé-remment.

Le défi qui nous est proposé est donc d’accep-ter le processus du vieillissement, d’accepter lespertes et les deuils qui lui sont associés, mais sans« être vieux », c’est-à-dire sans être tristes etdésespérés, en restant ouverts à tout ce que la viepeut encore apporter.

Vieillir sans être vieux ne signifie pas qu’ilfaille s’accrocher à notre jeunesse, jouer au jeunehomme ou à la jeune fille attardée, s’habillercomme nos enfants, se conduire comme desadolescents. On voit autour de nous quelques-uns de ces seniors qui refusent de vieillir ets’engouffrent dans leur « âge d’or » en rêvant derester éternellement jeunes. Leur retraite leurouvre un univers nouveau, du temps, des loisirs.

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Ils voyagent, s’inscrivent dans des clubs debridge, font de l’aquagym, partent faire des trek-kings au Népal, s’ils en ont les moyens. Pour-quoi pas ? Mais en vivant cette seconde adoles-cence sur un mode insouciant et égoïste, lesseniors courent deux risques. D’abord, celui dese couper des générations plus jeunes qui nevoient pas toujours d’un très bon œil cetteexplosion de vitalité. Ils ont parfois des vies dif-ficiles, ont du mal à trouver du travail. Ils saventqu’ils paient les retraites de leurs parents maisne sont pas sûrs d’en avoir une plus tard. Je suisfrappée par la jalousie parfois extrêmementcruelle des jeunes vis-à-vis des seniors. Je mesouviens d’une conversation à une table dejeunes qui étaient outrés, agacés par une table deseniors qui étalaient leur bien-être.

L’autre risque, c’est de s’éclater et de vivresans la conscience du temps qui passe. Le jouroù l’on se casse le col du fémur, le jour où l’onfait une chute, quand arrivent les premierssignes de la vraie vieillesse, on est perdu. On serend compte qu’on est devenu vieux, et on ne s’yest pas préparé. On bascule alors dans ce quej’appelle la mauvaise vieillesse, l’aigreur, ledésespoir. C’est le naufrage, et c’est sans douteaussi trop tard pour transformer les choses.C’est pour cela que nous voyons des personnesqui dérivent. À l’échelle d’un grand nombre,cela peut être une véritable catastrophe.

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Il nous incombe donc une responsabilité. Cellede nous préparer à bien vieillir, le plus légère-ment, le plus intelligemment possible. Nous offri-rons alors quelque chose aux générations quiviennent. Si nous ne pouvons pas alléger le poidsfinancier que nous représenterons pour elles,nous pourrons au moins ne pas alourdir lefardeau par notre malaise psychologique. Carrien n’est plus lourd que de voir ses parents malvieillir.

Robert Misrahi parle de don « d’une maturitéheureuse » à une génération qui nous observe etqui apprendra, en nous regardant vivre, qu’il estpossible de vieillir sans être un poison pour sonentourage.

Nous avons donc le désir de faire de notreavancée en âge une aventure intéressante etenviable. Mais la route est semée d’obstacles. Cesont toutes les peurs qui nous traversent dès quenous y pensons. Dans les groupes avec lesquelsj’explore cet art de bien vieillir, nous commen-çons toujours par nous interroger sur nos peurs.Quelles sont-elles ? Nommer les peurs est im-portant, mais il faut aussi chercher quelles sontles ressources et les forces qui nous permettentde les apprivoiser. Certaines sont moins impor-tantes et tenaces que d’autres, comme la peur deperdre son statut social ou son activité en pre-nant sa retraite. On a peur de ce temps qu’il vafalloir remplir, de cette oisiveté. On va perdre

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ses collègues, son rythme rassurant de travail,changer de rôle. On a peur de devenir inutile.Cela peut être un passage difficile que de plus enplus de gens préparent. Et passé le cap redouté,la plupart découvrent qu’ils sont plus actifsencore que lorsqu’ils travaillaient.

D’autres peurs peuvent être de véritables obs-tacles. J’en ai identifié sept. La première, la peurdu vieillissement physique : le corps s’use, oncraint de devenir laid et repoussant, de ne plusséduire, il faut affronter le regard des autres :« Comme tu as vieilli ! » Deuxième peur, celled’être un poids, un poids pour la société, pourles autres, pour les jeunes. Troisième peur trèsrépandue, la peur de la dépendance. Avoir unjour à confier son corps aux mains des autrespour les besoins les plus intimes, perdre sonautonomie. Quatrième peur, la démence sénile,la maladie d’Alzheimer. Une peur justifiéepuisqu’on nous prédit un véritable tsunami :cent soixante mille nouveaux cas par an. Aucund’entre nous n’est à l’abri. Cinquième peur, celled’être transféré dans une maison de retraite sansson accord ; la peur de vieillir dans une institu-tion où l’on perdrait son identité, son intimité.Sixième peur, celle de la solitude ou plus exacte-ment de l’isolement. Et enfin la dernière peur,mais non la moindre, la peur de mourir et demal mourir car, au fond, vivre et vieillir c’est serapprocher de sa mort.

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Nous allons explorer ces peurs, pas seule-ment pour les nommer, ce qui déjà est impor-tant, mais pour tenter de trouver le chemin quipermet de les affronter et de les dépasser.

La peur de ne plus séduire

L’interdit de vieillir est si violent dans notresociété que les femmes commencent à guetterles signes de vieillissement dès l’âge de 40 ans.Certaines amies de ma fille ont déjà eu recours àla chirurgie esthétique. Cette obsession de gar-der une peau lisse devient une véritable aliéna-tion, entretenue par les médias. Tous les maga-zines féminins s’adressent aux femmes de 30 ansalors qu’ils sont lus en majorité par les quinqua-génaires et les sexagénaires. Ces magazines mar-tèlent l’interdit de vieillir. Les crèmes anti-âge(et non plus antirides !) occupent tout l’espacepublicitaire et il n’est pas question d’ouvrirleurs pages à des articles de fond sur l’expé-rience de vieillir, de mûrir et de s’accomplir.Nous sommes là devant une gigantesque trom-perie. On fait rêver les femmes en leur faisantcroire qu’elles resteront éternellement jeunes etbelles si elles dépensent des fortunes dans la cos-métique et les liftings de toutes sortes. D’un lif-ting à l’autre, leur visage perd toute expression,et finalement toute sa beauté ou son charme.

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