le culte du moi 1 sous l'oeil des barbares by barrès, maurice, 1862-1923

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  • 8/14/2019 Le culte du moi 1 Sous l'oeil des barbares by Barrs, Maurice, 1862-1923

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    LE CULTE DU MOI I

    LE CULTE DU MOI I 1

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    Oraison

    EXAMEN DES TROIS ROMANS IDOLOGIQUES

    A M. PAUL BOURGET

    MON CHER AMI,

    Ce volume, Sous l'oeil des Barbares, mis en vente depuis six semaines, tait ignor du public, et la plupart desprofessionnels le jugeaient incomprhensible et choquant, quand vous lui apporttes votre autorit et voireamiti fraternelle. Vous m'en avez continu le bnfice jusqu' ce jour. Vous m'avez abrg de quelquesannes le temps fort pnible o un crivain se cherche un public. Peut-tre aussi mon travail m'est-il devenu

    plus agrable moi-mme, grce cette courtoise et affectueuse comprhension par o vous ngligez lesimperfections de ces pages pour y souligner ce qu'elles comportent de tentatives intressantes.

    Ah! les chres journes entre autres que nous avons passes Hyres! Comme vous criviez Un coeur de

    femme, nous n'avions souci que du viveur Casal, de Poyanne, de la pliante madame de Tillire, puis aussi dela jeune Brnice et de cet idiot de Charles Martin qui faisaient alors ma complaisance. Ils nous amusaient

    parfaitement. J'ajoute que vous avez un art incomparable pour organiser la vie dans ses moindres dtails,c'est--dire donner de l'intelligence aux hteliers et de la timidit aux importuns; ce point que pas une fois,en me mettant table, dans ce temps-l, il ne me vint l'esprit une rflexion qui m'attriste en voyage, savoirqu'tant donn le grand nombre de btes qu'on rencontre travers le monde, il est bien pnible que seuls, ou peu prs, le veau, le boeuf et le mouton soient comestibles.

    Et c'est ainsi, mon cher Bourget, que vous m'avez procur le plaisir le plus doux pour un jeune esprit, qui estd'aimer celui qu'il admire.

    Si j'ajoute que vous tes le penseur de ce temps ayant la vue la plus nette des mthodes convenables chaqueespce d'esprit et le got le plus vif pour en discuter, on s'expliquera surabondamment que je prenne la libertde vous adresser ce petit travail, ou je me suis propos d'examiner quelques questions que soulve cettethorie de la culture du Moi dveloppe dans Sous l'oeil des Barbares, Un homme libre etle Jardin deBrnice.

    EXAMEN

    Oui, il m'a sembl, en lisant mes critiques les plus bienveillants, que ces trois volumes, publis de largesintervalles (de 1888 91) n'avaient pas su dire tout leur sens. On s'est attach louer ou contester desdtails; c'est la suite, l'ensemble logique, le systme qui seuls importent. Voici donc un examen de l'ouvrage

    en rponse aux critiques les plus frquentes qu'on en fait. Toutefois, de crainte d'offenser aucun de ceux quime font la gracieuset de me suivre, je procderai par exposition, non par discussion.

    Que peut-on demander ces trois livres?

    N'y cherchez pas de psychologie, du moins ce ne sera pas celle de MM. Taine ou Bourget. Ceux-ci procdentselon la mthode des botanistes qui nous font voir comment la feuille est nourrie par la plante, par ses racines,par le sol o elle se dveloppe, par l'air qui l'entoure. Ces vritables psychologues prtendent remonter la sriedes causes de tout frisson humain; en outre, des cas particuliers et des anecdotes qu'ils nous narrent, ils tirentdes lois gnrales. Tout l'encontre, ces ouvrages-ci ont t crits par quelqu'un qui trouve l'Imitation de

    Jsus-Christou la Vita nuova du Dante infiniment satisfaisantes, et dont la proccupation d'analyse s'arrte

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    TABLE 3

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    donner une description minutieuse, mouvante et contagieuse des tats d'me qu'il s'est proposs.

    Le principal dfaut de cette manire, c'est qu'elle laisse inintelligibles, pour qui ne les partage pas, lessentiments qu'elle dcrit. Expliquer que tel caractre exceptionnel d'un personnage fut prpar par leshabitudes de ses anctres et par les excitations du milieu o il ragit, c'est le pont aux nes de la psychologie,et c'est par l que les lecteurs les moins prpars parviennent pntrer dans les domaines trs particuliers o

    les invite leur auteur. Si un bon psychologue en effet ne nous faisait le pont par quelque commentaire, quecomprendrions-nous tel livre, l'Imitation, par exemple, dont nous ne partageons ni les ardeurs ni leslassitudes? Encore la cellule d'un pieux moine n'est-elle pas, pour les lecteurs ns catholiques, le lieu le plussecret du monde: le moins mystique de nous croit avoir des lueurs sur les sentiments qu'elle comporte; mais lavie et les sentiments d'un pur lettr, orgueilleux, raffin et dsarm, jet vingt ans dans la rude concurrenceparisienne, comment un honnte homme en aurait-il quelque lueur? Et comment, pour tout dire, un Anglais,un Norvgien, un Russe se pourront-ils reconnatre dans le livre que voici, o j'ai tent la monographie descinq ou six annes d'apprentissage d'un jeune Franais intellectuel?

    On le voit, je ne me dissimule pas les difficults de la mthode que j'ai adopte. Cette obscurit qu'on mereprocha durant quelques annes n'est nullement embarras de style, insuffisance de l'ide, c'est manqued'explications psychologiques. Mais quand j'crivais, tout men par mon motion, je ne savais que dtermineret dcrire les conditions des phnomnes qui se passaient en moi. Comment les euss-je expliqus?

    Et d'ailleurs, s'il y faut des commentaires, ne peuvent-ils tre fournis par les articles de journaux, par laconversation? Il m'est bien permis de noter qu'on n'est plus arrt aujourd'hui par ce qu'on dclaraitincomprhensible l'apparition de ces volumes. Enfin ce livre,et voici le fond de ma pense,je n'y mlaiaucune part didactique, parce que, dans mon esprit, je le recommande uniquement ceux qui gotent lasincrit sans plus et qui se passionnent pour les crises de l'me, fussent-elles d'ailleurs singulires.

    Ces idologies, au reste, sont exprimes avec une motion communicative; ceux qui partagent le vieux gotfranais pour les dissertations psychiques trouveront l un intrt dramatique. J'ai fait de l'idologiepassionne. On a vu le roman historique, le roman des moeurs parisiennes; pourquoi une gnration dgote

    de beaucoup de choses, de tout peut-tre, hors de jouer avec des ides, n'essayerait-elle pas le roman de lamtaphysique?

    Voici des mmoires spirituels, des jaculations aussi, comme ces livres de discussions scolastiques quecoupent d'ardentes prires.

    Ces monographies prsentent un triple intrt:

    1 Elles proposent plusieurs les formules prcises de sentiments qu'ils prouvent eux aussi, mais dont ils neprennent eux seuls qu'une conscience imparfaite;

    2 Elles sont un renseignementsur un type de jeune homme dj frquent et qui, je le pressens, va devenirplus nombreux encore parmi ceux qui sont aujourd'hui au lyce. Ces livres, s'ils ne sont pas trop dlays ettrop forcs par les imitateurs, seront consults dans la suite comme documents;

    3 Mais voici un troisime point qui fait l'objet de ma sollicitude toute spciale: ces monographies sont unenseignement. Quel que soit le danger d'avouer des buts trop hauts, je laisserais le lecteur s'garer infinimentsi je ne l'avouais. Jamais je ne me suis soustrait l'ambition qu'a exprime un pote tranger: Toute grande

    posie est un enseignement, je veux que l'on me considre comme un matre ou rien.

    Et, par l, j'appelle la discussion sur la thorie qui remplit ces volumes, sur le culte du Moi. J'aurai ensuite m'expliquer de mon Scepticisme, comme ils disent.

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    EXAMEN 4

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    ICULTE DU MOI

    a.JUSTIFICATION DU CULTE DU MOI

    M'tant propos de mettre en roman la conception que peuvent se faire de l'univers les gens de notre poquedcids penser par eux-mmes et non pas rpter des formules prises au cabinet de lecture, j'ai cru devoircommencer par une tude du Moi. Mes raisons, je les ai exposes dans une confrence de dcembre 1890, authtre d'application, et quoique cette dissertation n'ait pas t publie, il me parat superflu de la reprendre icidans son dtail. Notre morale, notre religion, notre sentiment des nationalits sont choses croules,constatais-je, auxquelles nous ne pouvons emprunter de rgles de vie, et, en attendant que nos matres nousaient refait des certitudes, il convient que nous nous en tenions la seule ralit, au Moi. C'est la conclusiondu premier chapitre (assez insuffisant, d'ailleurs) de Sous l'oeil des Barbares.

    On pourra dire que cette affirmation n'a rien de bien fcond, vu qu'on la trouve partout. A cela, s'il fautrpondre, je rponds qu'une ide prend toute son importance et sa signification de l'ordre o nous la plaonsdans l'appareil de notre logique. Et le culte du Moi a reu un caractre prpondrant dans l'exposition de mes

    ides, en mme temps que j'essayais de lui donner une valeur dramatique dans mon oeuvre.

    gosme, gotisme, Moi avec une majuscule, ont d'ailleurs fait leur chemin. Tandis qu'un grand nombre dejeunes esprits, dans leur dsarroi moral, accueillaient d'enthousiasme cette chaloupe, il s'leva desrcriminations, les sempiternelles dclamations contre l'gosme. Cette clameur fait sourire. Il est fcheuxqu'on soit encore oblig d'en revenir des notions qui, une fois pour toutes, devraient tre acquises aux espritsun peu dfrichs. Les moralistes, disait avec une haute clairvoyance Saint-Simon en 1807, se mettent encontradiction quand ils dfendent l'homme l'gosme et approuvent le patriotisme, car le patriotisme n'estpas autre chose que l'gosme national, et cet gosme fait commettre de nation nation les mmes injusticesque l'gosme personnel entre les individus. En ralit, avec Saint-Simon, tous les penseurs l'ont bien vu, laconservation des corps organiss tient l'gosme. Le mieux o l'on peut prtendre, c'est combiner les

    intrts des hommes de telle faon que l'intrt particulier et l'intrt gnral soient dans une communedirection. Et de mme que la premire gnration de l'humanit est celle o il y eut le plus d'gosmepersonnel, puisque les individus ne combinaient pas leurs intrts, de mme des jeunes gens sincres, netrouvant pas, leur entre dans la vie, un matre, axiome, religion ou prince des hommes, qui s'impose aeux, doivent tout d'abord servir les besoins de leur Moi. Le premier point, c'est d'exister. Quand ils se sentirontassez forts et possesseurs de leur me, qu'ils regardent alors l'humanit et cherchent une voie commune os'harmoniser. C'est le souci qui nous mouvait aux jours d'amour du Jardin de Brnice.

    Mais, par un examen attentif des seuls titres de ces trois petites suites, nous allons toucher, srement et sanstraner, leur essentiel et leur ordonnance.

    b.THSE DE SOUS L'OEIL DES BARBARES

    Grave erreur de prter ce mot de barbares la signification de philistins ou de bourgeois. Quelques-unss'y mprirent tout d'abord. Une telle synonymie pourtant est fort oppose nos proccupations. Par quellegrossire obsession professionnelle sparerais-je l'humanit en artistes, fabricants d'oeuvres d'art et ennon-artistes? Si Philippe se plaint de vivre sous l'oeil des barbares, ce n'est pas qu'il se sente opprim pardes hommes sans culture ou par des ngociants; son chagrin c'est de vivre parmi des tres qui de la viepossdent un rve oppos celui qu'il s'en compose. Fussent-ils par ailleurs de fins lettrs, ils sont pour lui destrangers et des adversaires.

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    ICULTE DU MOI 5

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    Dans le mme sens les Grecs ne voyaient que barbares hors de la patrie grecque. Au contact des trangers, etquel que ft d'ailleurs le degr de civilisation de ceux-ci, ce peuple jaloux de sa propre culture prouvait unfroissement analogue celui que ressent un jeune homme contraint par la vie frquenter des tres qui ne sontpas de sa patrie psychique.

    Ah! que m'importe la qualit d'me de qui contredit une sensibilit! Ces trangers qui entravent ou dvoient le

    dveloppement de tel Moi dlicat, hsitant et qui se cherche, ces barbares sous la pression de qui un jeunehomme faillira sa destine et ne trouvera pas sa joie de vivre, je les has.

    Ainsi, quand on les oppose, prennent leur pleine intelligence ces deux termes Barbares et Moi. Notre Moi,c'est la manire dont notre organisme ragit aux excitations du milieu et sous la contradiction des Barbares.

    Par une innovation qui, peut-tre, ne demeurera pas infconde, j'ai tenu compte de cette opposition dansl'agencement du livre. Les concordances sont le rit des faits tels qu'ils peuvent tre relevs du dehors, puis,dans une contre-partie, je donne le mme fait, tel qu'il est senti au dedans. Ici, la vision que les Barbares sefont d'un tat de notre me, l le mme tat tel que nous en prenons conscience. Et tout le livre, c'est la lutte dePhilippe pour se maintenir au milieu des Barbares qui veulent le plier leur image.

    Notre Moi, en effet, n'est pas immuable; il nous faut le dfendre chaque jour et chaque jour le crer. Voil ladouble vrit sur quoi sont btis ces ouvrages. Le culte du Moi n'est pas de s'accepter tout entier. Cettethique, o nous avons mis notre ardente et notre unique complaisance, rclame de ses servants un constanteffort. C'est une culture qui se fait par laguements et par accroissements: nous avons d'abord purer notreMoi de toutes les parcelles trangres que la vie continuellement y introduit, et puis lui ajouter. Quoi donc?Tout ce qui lui est identique, assimilable; parlons net: tout ce qui se colle lui quand il se livre sans ractionaux forces de son instinct.

    Moi, disait Proudhon, se souvenant de son enfance, c'tait tout ce que je pouvais toucher de la main,atteindre du regard et qui m'tait bon quelque chose; non-moi tait tout ce qui pouvait nuire ou rsister moi. Pour tout tre passionn qu'emporte son jeune instinct, c'est bien avec cette simplicit que le monde sedessine. Proudhon, petit villageois qui se roulait dans les herbages de Bourgogne, ne jouissait pas plus dusoleil et du bon air que nous n'avons joui de Balzac et de Fichte dans nos chambres troites, ouvertes sur legrand Paris, nous autres jeunes bourgeois plis, affams de tous les bonheurs. Appliquez l'aspect spiritueldes choses ce qu'il dit de l'ordre physique, vous avez l'tat de Philippe dans Sous l'oeil des Barbares. LesBarbares, voil le non-moi, c'est--dire tout ce qui peut nuire ou rsister au Moi.

    Cette dfinition, qui s'illuminera dans l'Homme libre et le Jardin de Brnice, est bien trouble encore au coursde ce premier volume. C'est que la naissance de notre Moi, comme toutes les questions d'origine, se drobe notre clairvoyance; et le souvenir confus que nous en conservons ne pouvait s'exprimer que dans la formeambigu du symbole. Ces premiers chapitres des Barbares, le Bonhomme Systme, ducation dsolequ'avant toute exprience nous remes de nos matres, Premires Tendresses, qui ne sont qu'un baiser sur un

    miroir, puis Athn, assaillie dans une faon de tour d'ivoire par les Barbares, sont la description sincre descouches profondes de ma sensibilit.... Attendez! voici qu' Milan, devant le sourire du Vinci, le Moi fait sahaute ducation; voici que les Barbares, vus avec une plus large comprhension, deviennent l'adversaire, celuiqui contredit, qui divise. Ce sera l'Homme libre, ce sera Brnice. Quant ce premier volume, je le rpte,point de dpart et assise de la srie, il se limite dcrire l'veil d'un jeune homme la vie consciente, aumilieu de ses livres d'abord, puis parmi les premires brutalits de Paris.

    Je le vrifiai leurs sympathies, ils sont nombreux ceux de vingt ans qui s'acharnent conqurir et protgerleur Moi, sous toute l'cume dont l'ducation l'a recouvert et qu'y rejette la vie chaque heure. Je les vis plusnombreux encore quand, non contents de clbrer la sensibilit qu'ils ont d'eux-mmes, je leur proposai de lacultiver, d'tre des hommes libres, des hommes se possdant en main.

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    b.THSE DE SOUS L'OEIL DES BARBARES 6

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    c.THSE D' UN HOMME LIBRE

    Ce Moi, qui tout l'heure ne savait mme pas s'il pouvait exister, voici qu'il se perfectionne et s'augmente. Cesecond volume est le dtail des expriences que Philippe institua et de la religion qu'il pratiqua pour seconformer a la loi qu'il se posait d'tre ardent et clairvoyant.

    Pour parvenir dlibrment l'enthousiasme, je me flicite d'avoir restaur la puissante mthode de Loyola.Ah! que cette mcanique morale, complte par une bonne connaissance des rapports du physique et du moral(o j'ai suivi Cabanis, quelqu'autre demain utilisera nos hypnotiseurs), saurait rendre de services un amateurdes mouvements de l'me! Livre tout de volont et d'aspect dessch comme un recueil de formules, mais sirellement noble! J'y fortifie d'une mthode rflchie un dessein que j'avais form d'instinct, et en mmetemps je l'lve. A Milan, devant le Vinci, Philippe pure sa conception des Barbares; en Lorraine, saconception du Moi.

    Ce ne sont pas des hors-d'oeuvre, ces chapitres sur la Lorraine que tout d'abord le public accueillit avecindulgence, ni ce double chapitre sur Venise, qui m'est peut-tre le plus prcieux du volume. Ils dcrivent les

    moments o Philippe se comprit comme un instant d'une chose immortelle. Avec une pit sincre, ilretrouvait ses origines et il entrevoyait ses possibilits futures. A interroger son Moi dans son accord avec desgroupes, Philippe en prit le vrai sens. Il l'aperut comme l'effort de l'instinct pour se raliser. Il comprit aussiqu'il souffrait de s'agiter, sans tradition dans le pass et tout consacr une oeuvre viagre.

    Ainsi, force de s'tendre, le Moi va se fondre dans l'Inconscient. Non pas y disparatre, mais s'agrandir desforces inpuisables de l'humanit, de la vie universelle. De l ce troisime volume, le Jardin de Brnice, unethorie de l'amour, o les producteurs franais qui tapageaient contre Schopenhauer et ne savaient pasreconnatre en lui l'esprit de notre dix-huitime sicle, pourront varier leurs dveloppements, s'ils distinguentqu'ici l'on a mis Hartmann en action.

    d.THSE DU JARDIN DE BRNICEMais peut-tre n'est-il pas superflu d'indiquer que la logique de l'intrigue est aussi serre que la succession desides....

    A la fin de Sous l'oeil des Barbares, Philippe, dcourag du contact avec les hommes, aspirait trouver unami qui le guidt. Il faut toujours en rabattre de nos rves: du moins trouva-t-il un camarade qui partagea sesrflexions et ses sensations dans une retraite mthodique et fconde. C'est Simon, ce fameux Simon (deSaint-Germain). Lass pourtant de cette solitude, de ce dilettantisme contemplatif et de tant d'expriencesmenues, aux dernires pages d'Un Homme libre, Philippe est prt pour l'action. Le Jardin de Brnice raconteune campagne lectorale.

    Ce que Philippe apprend, et du peuple et de Brnice qui ne font qu'un, je n'ai pas le reproduire ici, car je mepropose de souligner l'esprit de suite que j'ai mis dans ces trois volumes, mais non pas de suivre leursdveloppements. Une vive allure et d'lgants raccourcis toujours me plurent trop pour que je les gte decommentaires superflus. Qu'il me suffise de renvoyer une phrase des Barbares, fort essentielle,quelques-uns qui se troublent, disant: Brnice est-elle une petite-fille, ou l'me populaire, ou l'Inconscient?

    Aux premiers feuillets, leur rpondais-je, on voit une jeune femme autour d'un jeune homme. N'est-ce pasplutt l'histoire d'une me avec ses deux lments, fminin et mle? Ou encore, ct du Moi qui se garde,veut se connatre et s'affirmer, la fantaisie, le got du plaisir, le vagabondage, si vif chez un tre jeune etsensible? Que ne peut-on y voir? Je sais seulement que mes troubles m'offrirent cette complexit o je ne

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    c.THSE D' UN HOMME LIBRE 7

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    trouvais alors rien d'obscur. Ce n'est pas ici une enqute logique sur la transformation de la sensibilit; jerestitue sans retouche des visions ou des motions profondment ressenties. Ainsi, dans le plus touchant despomes, dans la Vita nuova, la Batrice est-elle une amoureuse, l'glise ou la Thologie? Dante, qui necherchait point cette confusion, y aboutit, parce qu' des mes, aux plus sensitives, le vocabulaire commundevient insuffisant. Il vivait dans une surexcitation nerveuse qu'il nommait, selon les heures, dsir de savoir,dsir d'aimer, dsir sans nom,et qu'il rendit immortelle par des procds heureux.

    A-t-on remarqu que la femme est la mme travers ces trois volumes, accommode simplement au milieu?L'ombre lgante et trs raisonneuse des premiers chapitres des Barbares, c'est dj celle qui sera Brnice;elle est vraiment dsigne avec exactitude au chapitre Aventures d'amour, dans l'Homme libre, quand Philippel'appelle l'Objet. Voil bien le nom qui lui convient dans tous ses aspects, au cours de ces trois volumes.Elle est, en effet, objective, la part sentimentale qu'il y a dans un jeune homme de ce temps.... Et vraimentn'tait-il pas temps qu'un conteur accueillt ce principe, admis par tous les analystes et vrifi par chacun denous jusqu'au plus profond dsenchantement, savoir que l'amour consiste vtir la premire venue qui s'yprte un peu des qualits que nous recherchons cette saison-l?

    C'est nous qui crons l'univers, telle est la vrit qui imprgne chaque page de cette petite oeuvre. De lleurs conclusions: le Moi dcouvre une harmonie universelle mesure qu'il prend du monde une conscienceplus large et plus sincre. Cela se conoit, il cre conformment lui-mme; il suffit qu'il existe rellement,qu'il ne soit pas devenu un reflet des Barbares, et dans un univers qui n'est que l'ensemble de ses pensesrgnera la belle ordonnance selon laquelle s'adaptent ncessairement les unes aux autres les conceptions d'uncerveau lucide.

    Cette harmonie, cette scurit, c'est la rvlation qu'on trouve au Jardin de Brnice, et en vrit y a-t-ilcontradiction entre cette dernire tape et l'inquitude du dpart Sous l'oeil des Barbares? Nullement, c'taitacheminement. Avant que le Moi crt l'univers, il lui fallait exister: ses durets, ses ngations, c'tait effortpour briser la coquille, pour tre.

    II.PRTENDU SCEPTICISMEEt maintenant au lecteur inform de reviser ce jugement de scepticisme qu'on porta sur notre oeuvre.

    Nul plus que nous ne fut affirmatif. Parmi tant de contradictions que, notre entre dans la vie, nousrecueillons, nous, jeunes gens informs de toutes les faons de sentir, je ne voulus rien admettre que je nel'eusse prouv en moi-mme. L'opinion publique fltrit bon droit l'hypocrisie. Celle-ci pourtant n'est qu'uneconcession l'opinion elle-mme, et parfois, quand elle est l'habilet d'un Spinoza ou d'un Renan sacrifiantpour leur scurit aux dieux de l'empire, bien qu'elle demeure une dfaillance du caractre, elle devientexcusable pour les qualits de clairvoyance qui la dcidrent. Mais de ce point de vue intellectuel mme,comment excuser des dguiss sans le savoir, qui marchent vtus de faons de sentir qui ne furent jamais lesleurs? Ils introduisent le plus grand dsordre dans l'humanit; ils contredisent l'inconscient, en se drobant

    jouer le personnage pour lequel de toute ternit ils furent faonns.

    coeur de cette mascarade et de ces mlanges impurs, nous avons eu la passion d'tre sincre et conforme nos instincts. Nous servons en sectaire la part essentielle de nous-mme qui compose notre Moi, noushassons ces trangers, ces Barbares, qui l'eussent corrod. Et cet acte de foi, dont reurent la formule, par messoins, tant de lvres qui ne savaient plus que railler, il me vaudrait qu'on me dt sceptique! J'entrevois uneconfusion. Des lecteurs superficiels se seront mpris sur l'ironie, procd littraire qui nous est familier.

    Vraiment je ne l'employai qu'envers ceux qui vivent, comme dans un mardi-gras perptuel, sous des formulesloues chez le costumier la mode. Leurs convictions, tous leurs sentiments, ce sont manteaux de cour qui

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    d.THSE DU JARDIN DE BRNICE 8

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    pendent avilis et flasques, non pas sur des reins maladroits, sur des mollets de bureaucrates, mais, disgrceplus grave, sur des mes indignes. Combien en ai-je vu de ces nobles postures qui trs certainement n'taientpas hrditaires!... Ah! laissez-m'en sourire, tout au moins une fois par semaine, car tel est notre manqued'hrosme que nous voulons bien nous accommoder des conventions de la vie de socit et mme accepterl'trange dictionnaire o vous avez dfini, selon votre intrt, le juste et l'injuste, les devoirs et les mrites;mais un sourire, c'est le geste qu'il nous faut pour avaler tant de crapauds. Soldats, magistrats, moralistes,

    ducateurs, pour distraire les simples de l'pouvante o vous les mettez, laissez qu'on leur dmasque sous vosdurs raisonnements l'imbcillit de la plupart d'entre vous et le remords du surplus. Si nous sommesimpuissants dgager notre vie du courant qui nous emporte avec vous, n'attendez pourtant pas, dtestablescompagnons, que nous prenions au srieux ces devoirs que vous affichez et ces mille sentiments qui ne vousont pas cot une larme.

    Ai-je eu en revanche la moindre ironie pour Athn dans son Srapis, pour ma tendre Brnice humilie, pourles pauvres animaux? Nul ne peut me reprocher le rire de Gundry sur le passage de Jsus portant sa croix, cerire qui nous glace dans Parsifal. Seulement, Gundry non plus je ne jetterai pas la rprobation, parce que, sinerveuse, elle-mme est bien faite pour souffrir. Toujours je fus l'ami de ceux qui taient misrables enquelque chose, et si je n'ai pas l'espoir d'aller jusqu'aux pauvres et aux dshrits, je crois que je plairai tousceux qui se trouvent dans un tat fcheux au milieu de l'ordre du monde, tous ceux qui se sentent faiblesdevant la vie.

    Je leur dis, et d'un ton fort assur: Il n'y a qu'une chose que nous connaissions et qui existe rellement parmitoutes les fausses religions qu'on te propose, parmi tous ces cris du coeur avec lesquels on prtend te rebtirl'ide de patrie, te communiquer le souci social et t'indiquer une direction morale. Cette seule ralit tangible,c'est le Moi, et l'univers n'est qu'une fresque qu'il fait belle ou laide.

    Attachons-nous notre Moi, protgeons-le contre les trangers, contre les Barbares.

    Mais ce n'est pas assez qu'il existe; comme il est vivant, il faut le cultiver, agir sur lui mcaniquement (tude,curiosit, voyages).

    S'il a faim encore, donne-lui l'action (recherche de la gloire, politique, industrie, finances).

    Et s'il sent trop de scheresse, rentre dans l'instinct, aime les humbles, les misrables, ceux qui font effortpour crotre. Au soleil inclin d'automne qui nous fait sentir l'isolement aux bras mme de notre matresse,courons contempler les beaux yeux des phoques et nous dsoler de la mystrieuse angoisse que tmoignentdans leur vasque ces btes au coeur si doux, les frres des chiens et les ntres.

    Un tel repliement sur soi-mme est desschant, m'a-t-on dit. Nul d'entre vous, mes chers amis, qui ne souriede cette objection, s'il se conforme la mthode que j'expose. Ce que l'on dit de l'homme de gnie, qu'ils'amliore par son oeuvre, est galement vrai de tout analyste du Moi. C'est de manquer d'nergie et de ne

    savoir o s'intresser que souffre le jeune homme moderne, si prodigieusement renseign sur toutes les faonsde sentir. Eh bien! qu'il apprenne se connatre, il distinguera o sont ses curiosits sincres, la direction deson instinct, sa vrit. Au sortir de cette tude obstine de son Moi, laquelle il ne retournera pas plus qu'onne retourne sa vingtime anne, je lui vois une admirable force de sentir, plus d'nergie, de la jeunesse enfinet moins de puissance de souffrir. Incomparables bnfices! Il les doit la science du mcanisme de son Moiqui lui permet de varier sa volont le jeu, assez restreint d'ailleurs, qui compose la vie d'un Occidentalsensible.

    J'entends que l'on va me parler de solidarit. Le premier point c'tait d'exister. Que si maintenant vous voussentez libres des Barbares et vritablement possesseurs de votre me, regardez l'humanit et cherchez une voiecommune o vous harmoniser.

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    II.PRTENDU SCEPTICISME 9

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    Prenez d'ailleurs le Moi pour un terrain d'attente sur lequel vous devez vous tenir jusqu' ce qu'une personnenergique vous ait reconstruit une religion. Sur ce terrain btir, nous camperons, non pas tels qu'on puissenous qualifier de religieux, car aucun doctrinaire n'a su nous proposer d'argument valable, sceptiques nonplus, puisque nous avons conscience d'un problme srieux,mais tout la fois religieux et sceptiques.

    En effet, nous serions enchant que quelqu'un survnt qui nous fournt des convictions.... Et, d'autre part, nous

    ne mprisons pas le scepticisme, nous ne ddaignons pas l'ironie.... Pour les personnes d'une vie intrieure unpeu intense, qui parfois sont tentes d'accueillir des solutions mal vrifies, le sens de l'ironie est une fortegarantie de libert.

    Au terme de cet examen, o j'ai resserr l'ide qui anime ces petits traits, mais d'une main si dure qu'ils m'enparaissent maintenant tout froisss, je crains que le ton dmonstratif de ce commentaire ne donne le changesur nos proccupations d'art. En vrit, si notre oeuvre n'avait que l'intrt prcis que nous expliquons ici etn'y joignait pas des qualits moins saisissables, plus nuageuses et qui ouvrent le rve, je me tiendrais pourmalheureux. Mais ces livres sont de telle naissance qu'on y peut trouver plusieurs sens. Une besogne purementdidactique et toute de clart n'a rien pour nous tenter. S'il m'y fallait plier, je rougirais d'ailleurs de me limiterdans une froide thorie parcellaire et voudrais me jouer dans l'abondante rudition du dictionnaire des

    sciences philosophiques. Aurais-je admis que ma contribution doublt telle page des manuels crits par desmatres de confrences sur l'ordinaire de qui j'eusse paru empiter! Nul qui s'y mprenne: dans cesvolumes-ci, il s'agissait moins de composer une chose logique que de donner en tableaux mouvants unedescription sincre de certaines faons de sentir. Ne voici pas de la scolastique, mais de la vie.

    De mme qu' la salle d'armes nous prfrons le jeu utile de l'pe aux finesses du fleuret, de mme, si nousaimons la philosophie, c'est pour les services que nous en attendons. Nous lui demandons de prter de laprofondeur aux circonstances diverses de notre existence. Celles-ci, en effet, elles seules, n'veillent que lebillement. Je ne m'intresse mes actes que s'ils sont mls d'idologie, en sorte qu'ils prennent devant monimagination quelque chose de brillant et de passionn. Des penses pures, des actes sans plus, sont galementinsuffisants. J'envoyai chacun de mes rves brouter de la ralit dans le champ illimit du monde, en sortequ'ils devinssent des btes vivantes, non plus d'insaisissables chimres, mais des tres qui dsirent et quisouffrent. Ces ides o du sang circule, je les livre non mes ans, non ceux qui viendront plus tard, mais plusieurs de mes contemporains. Ce sont des livres et c'est la vie ardente, subtile et clairvoyante o noussommes quelques-uns nous plaire.

    En suivant ainsi mon instinct, je me conformais l'esthtique o excellent les Goethe, les Byron, les Heinequi, proccups d'intellectualisme, ne manquent jamais cependant de transformer en matire artistique lachose dmontrer.

    Or, si j'y avais russi en quelque mesure, il m'en faudrait reporter tout l'honneur l'Italie, o je compris lesformes.

    Rflchissant parfois ce que j'avais le plus aim au monde, j'ai pens que ce n'tait pas mme un homme quime flatte, pas mme une femme qui pleure, mais Venise; et quoique ses canaux me soient malsains, la fivreque j'y prenais m'tait trs chre, car elle largit la clairvoyance au point que ma vie inconsciente la plusprofonde et ma vie psychique se mlaient pour m'tre un immense rservoir de jouissance. Et je suivais avecune telle acuit mes sentiments encore les plus confus que j'y lisais l'avenir en train de se former. C'est aVenise que j'ai dcid toute ma vie, c'est de Venise galement que je pourrais dater ces ouvrages. Sur cetterive lumineuse, je crois m'tre fait une ide assez exacte de ces dlires lucides que les anciens prouvaient auxbords de certains tangs.

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    II.PRTENDU SCEPTICISME 10

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    Du moins ai-je dcrit sans malice d'art, en bonne lumire et sobrement. Je me suis dcid manquerd'loquence littraire; je n'avais pas l'onction, ni l'autorit des ecclsiastiques qui parlrent en termesfortifiants des humiliations de la conscience. Annaliste d'une ducation, je fis le tour de mon sujet en poussantdevant moi des mots amoraux et des phrases conciliantes. C'est ici une faon assez rare de cataloguesentimental.

    Mais pourquoi si lents et si froids, les petits traits d'analyse! Pourquoi les mots, cette prcision grossire et quimaltraite nos complications!

    Au premier feuillet on voit une jeune femme autour d'un jeune homme. N'est-ce pas plutt l'histoire d'une meavec ses deux lments, fminin et mle? ou encore, ct du Moi qui se garde, veut se connatre ets'affirmer, la fantaisie, le got du plaisir, le vagabondage, si vif chez un tre jeune et sensible? Que ne peut-ony voir? Je sais seulement que mes troubles m'offrirent cette complexit o je ne trouvais alors rien d'obscur.Ce n'est pas ici une enqute logique sur la transformation de la sensibilit; je restitue sans retouche des visionsou motions, profondment ressenties. Ainsi, dans le plus touchant des pomes, dans la Vita nuova, laBatrice est-elle une amoureuse, l'glise ou la Thologie? Dante qui ne cherchait point cette confusion yaboutit, parce qu' des mes, aux plus sensitives, le vocabulaire commun devient insuffisant. Il vivait dans une

    excitation nerveuse qu'il nommait, selon les heures, dsir de savoir, dsir d'aimer, dsir sans nomet qu'ilrendit immortelle par des procds heureux.

    Avec sa scheresse, cette monographie, crite malgr tout deux pas de l'den o je flnai tant de soirs, estaussi une partie d'un livre de mmoires.

    On pourra juger que ma probit de copiste va parfois jusqu' la candeur. J'avoue que de simples femmes,agrables et gaies, mais soumises la vision coutumire de l'univers qu'elles relvent d'une ironie facile, mefirent plus d'un soir renier part moi mes poupes de derrire la tte. Mais quoi! de la fatigue, une dception,de la musique, et je revenais mes nuances.

    Saint Bonaventure, avec un grand sens littraire, crit qu'il faut lire en aimant. Ceux qui feuillettent cebrviaire d'gotisme y trouveront moins railler la sensibilit de l'auteur s'ils veulent bien rflchir sureux-mmes. Car chacun de nous, quel qu'il soit, se fait sa lgende. Nous servons notre me comme notreidole; les ides assimiles, les hommes pntrs, toutes nos expriences nous servent l'embellir et noustromper. C'est en coutant les lgendes des autres que nous commenons limiter notre me; noussouponnons qu'elle n'occupe pas la place que nous croyons dans l'univers.

    Dans ses pires surexcitations, celui que je peins gardait quelque lueur de ne s'mouvoir que d'une fiction. Horscette fiction, trop souvent sans douceur, rien ne lui tait. Ainsi le voulut une sensibilit trs jeune unie uneintelligence assez mre.

    Dsireux de respecter cette tenue en partie double de son imagination, j'ai rdig des concordances, o je

    marque la clairvoyance qu'il conservait sur soi-mme dans ses troubles les plus indociles. J'y ai joint lesbesognes que, pendant ses crises sentimentales, il menait dans le monde extrieur. Je souhaite avoir compltainsi l'atmosphre o ce Moi se dveloppait sans s'apaiser et qu'on ne trouve pas de lacunes entre ces diversesheures vraiment siennes, heures du soir le plus souvent, o, aprs des semaines de vision banale, soudainrveill la vie personnelle par quelque froissement, il ramassait la chane de ses motions et disait sonpass, reni parfois aux instants gais et de bonne sant: Petit garon, si timide, tu n'avais pas tort.

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    SOUS L'OEIL DES BARBARES 12

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    LIVRE I

    AVEC SES LIVRES

    A Stanislas de Guaita.

    CHAPITRE PREMIER

    CONCORDANCE

    Il naquit dans l'Est de la France et dans un milieu o, il n'y avait rien de mridional. Quand il eut dix ans, onle mit au collge o, dans une grande misre physique (sommeils courts, froids et humidit des rcrations,nourriture grossire), il dut vivre parmi les enfants de son ge, fcheux milieu, car dix ans ce sont

    prcisment les futurs goujats qui dominent par leur hblerie et leur vigueur, mais celui qui sera plus tard ungalant homme ou un esprit fin, dix ans est encore dans les brouillards.

    Il fut initi au rudiment par M.F., le professeur le plus fort qu'on pt voir; d'une seule main ce pdagoguearrachait l'oreille d'un lve qui de plus en devenait ridicule.

    Comme son tour d'esprit portait notre sujet gnraliser, il commena ds lors ne penser des hommes riende bon.

    tant mal nourri, par manque de globules sanguins il devint timide, et son agitation faite d'orgueil et demalaise dplut.

    Bientt, pour relever ses humiliations quotidiennes, il eut des lectures qui lui donnrent sur les choses des

    certitudes htives et pleines d'cret.

    Le roi Rhamss II est blm par les conservateurs du Louvre, ayant usurp un sphinx sur ses prdcesseurs.Le jeune homme de qui je parle inscrivit de mme son nom sur des troupes de sphinx qui lgitimementappartenaient des littrateurs franais. Il s'enorgueillit d'tranges douleurs qu'il n'avait pas inventes.

    On serait tent de croire qu'il se donna, comme tous les jeunes esprits curieux, aux posies de Heine, auThomas Graindorge de Taine, la Tentation de saint Antoine, aux Fleurs du Mal; il lut cela en effet et biend'autres littratures, des pires et des meilleures, mais surtout dans les bibliothques de quartier du lyce, ilse passionnait pour les doctrines audacieuses qui sont mieux exposes que rfutes par la ligne classique quiva du charmant Jouffroy M. Caro. L est le grand secret de l'ducation d'un jeune homme; il s'attache auxauteurs qu'on prtendait ne lui faire connatre que pour les accabler ses yeux. A dix-huit ans, il tait gorgdes plus audacieux paradoxes de la pense humaine; il en et mal dvelopp l'armature, c'est possible, mais ils'en faisait de la substance sentimentale. Et le tout aboutit aux visions suivantes auxquelles on a gard leurdessin de songe augment peut-tre par le recul.

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    LIVRE I 13

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    DPART INQUIET

    Il rencontra le bonhommeSystme sur la bourriquePessimisme.

    Le jeune homme et la toute jeune femme dont l'heureuse parure et les charmes embaument cette aurorefleurie, la main dans la main s'acheminent et le soleil les conduit.

    Prenez garde, ami, n'tes-vous pas sur le point de vous ennuyer?

    Sur ses lvres, son me exquise souriait au jeune homme, et les jonquilles s'inclinaient son souffle lger.

    N'esprons plus, dit-il avec lassitude, que ma pleur soit la caresse livide du petit jour; je me trouble de cedpart. Jadis, en d'autres poitrines, mon coeur puisa cette nergie dont le suprme parfum, qui m'enfivrevers des buts inconnus, s'vapora dans la brume de ces sentiers incertains.

    De ses doigts blancs, sur la tige verte d'un nnuphar, la jeune fille saisit une libellule dont l'mail vibre, et,jetant vers le soleil l'insecte qui miroite et se brise de caprice en caprice, ingnument elle souriait.Mais luicontemple sa pense qui frissonne en son me chagrine.Elle reprit avec honntet:

    Pourquoi vous isoler de l'univers? Les nuages, les fleurs sous la rose et parfois mes chansons, nevoulez-vous pas connatre leur douceur?

    Ah! prs des matres qui concentrent la sagesse des derniers soirs, que ne puis-je apprendre la certitude! Etque mon rve matinal possde ce qu'il soupire!

    Qu'importe, reprit-elle, plus tendre et se penchant sur lui, votre sagesse n'est-elle pas en vous? Et si je voussuis affectionne tel que vous m'apparaissez, ne vous plat-il pas de persister?

    Il dcroisa les mains de la jeune fille, et foulant aux pieds les fleurs heureuses, il errait parmi la frivolit deslibellules.

    Cependant elle le suivait de loin, dlicate et de hanches merveilleuses.

    Sur l'herbe, au long d'une rivire jonche de palmes, de palmipdes et d'enfants trousss et vifs, prs de samaison solitaire o frachit la brise dans les stores, le matre, adoss un osier mort, contemple la fuite del'eau sous la tristesse des saules. Son lourd vtement, sa face blme aux larges paupires, son attitudeprofessorale et retranche, en aucun lieu ne trouveraient leur atmosphre.

    Le jeune homme s'arrte, et son coeur battait d'approcher la vrit.

    Le miroir bleutre frissonna du plongeon des canards hupps de vert, aux becs jaunes et claquant; parmi lalumire clatante jaillissait le rhythme lourd des lavandires. Lentement et sans dcouvrir ses yeux, le matrelui parla:

    Contempler distrait de vivre. Chaque matin, je viens ici; deux cents mtres bornent mon activit. Combiend'esprits naissent au bout du chemin; et leur sentier tait termin qu'ils marchaient encore en lisire.

    Les canards balancs, les gamins avec des gestes, cancanaient sur la grve.

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    DPART INQUIET 14

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    Monsieur, reprit-il avec solennit, des jeunes hommes pour l'ordinaire m'entourent, qui se font habiller Londres par des tailleurs dont ils parlent la langue. Ils suivent mes promenades o me porte un non quim'conomise une perte de chaleur prjudiciable l'activit crbrale. Voulez-vous m'accompagneraujourd'hui?

    Parmi les fleurs, au pturage, une bourrique selle se leva, et cependant que de ses longs yeux, doucement

    voils de cils, elle inspectait le jeune homme mu, sa plainte serpentait vers les cieux. Une belle nessed'outre-Rhin, et, pour son moral, je vous le garantis. C'est en ces termes qu'un vtrinaire lui proposa cetteacquisition. Un moral garanti! Jadis on dut beaucoup te battre. Que ne peux-tu entendre le matre, tandis qu'ildtaille tes qualits et ton humour, juch sur ton dos et te caressant le gras du col, toi si modeste sous ta selleneuve, le poil aimable, les oreilles droites et circonspectes! Des gens courbs sur leurs champs se redressent;ils abritent leurs yeux de la main, et les plus ordinaires ricanent. Cependant le matre murmure:

    Tout est l; rpandre les fleurs prfres sous les quarante ans de vie moyenne qu' notre majorit nousentreprmes. Satisfaisons nos apptits, de quelque nom que les glorifie ou les invective le vulgaire. Je vous ledirai en confidence, mon ami, je n'aime plus gure cette heure que les viandes grilles vivement cuites et lesdclamations un peu courtes. Heureux le monde, s'il ne savait de passions plus envahissantes!... Un hommed'esprit se fait toujours quelque satisfaction, ft-ce tre trs malheureux. La rflexion est une bonnegymnastique, de celles qui lassent le plus tard. Tter le pouls nos motions, c'est un digne et suffisant emploide la vie; du moins faut-il que rien de l'extrieur ne vienne troubler cet apaisement: Ayez de l'argent et soyezconsidr.

    La chaleur frmissait, monotone, dans le ciel bleu; par la prairie rousse le jeune homme au coeur bondissantvoyait la parole de son matre vaciller l'horizon connu; et des fleurs que lui donna la jeune fille, il chassaitles mouches avides de cette frissonnante bourrique.

    Vous ftes sage, bourrique, cette heure. Un foss vous prsentait son herbe drue et son eau clatante quefendillent les gents. Vous arrttes leurs discours et votre marche; vous saviez les habitudes, la halteombreuse, le pain tir de la poche et qu'on se partage. Des paroles, mme excellentes, ne troublaient point

    votre judiciaire, et les yeux discrtement ferms, avec la longue figure d'un contemplateur qui ddaignejusqu'aux mditations, vous demeuriez entre eux deux, remchant votre goter, et vos longues oreilles d'argentdresses comme une symbolique bannire par-dessus leurs ttes inquites, cependant que votre matre et lemien reprenait son enseignement:

    Je n'insisterai pas sur ces menus principes d'une enfantine simplicit et trs vieux. Vous voil install dansl'argent et la considration; vous estimez honteux et le trait d'un barbare de brider votre naturel, hormis parfoispar raffinement; vous assouvissez vos apptits, vos vices et vos vertus les plus exasprs, et le dernier de voscaprices se dtache de son objet comme la sangsue des chairs qui la gorgent et qui la tuent; alors, si vous negisez point dans la voiture des ramollis ou le cabanon des fous, alors, mon excellent ami, comme s'exhale desroses un parfum, un suffisant dgot des hommes et des femmes en vous se lvera.

    Des hommes d'abord, car prs d'eux votre exprience s'instruisit de plus loin: vous etes leur sottise pourcompagne, alors que vous grandissiez sous la brutalit des camarades et l'imbcillit des matres; vousmpristes de suite la grossiret de leur fantaisie et la lourdeur de leurs bats; vous rpugniez leurs plaisirset au serrement de leurs mains gluantes; mais le hasard lut quelques-uns vos amis.Hlas! outre qu'un si belouvrage, chacun tirant soi, se dchire toujours par quelque endroit, dans une vie amie que puiser, sinon lespetitesses et les tracas qui dominent au fond de tous? Certes, il est quelque agrment consoler et confesserautrui: s'pancher aprs que l'on a bu. Mais pour ces fins rgals d'analyste, faut-il tant d'appareil! Et lepremier venu, cette bourrique, ne seraient-ils pas de suffisants prtextes dguster l'expansion, cette tisane dunoctambule?

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    Ce qui est doux, mystrieux et regrettable dans l'apptit d'amiti, c'est les premiers moments qu'elle s'veille,alors que les parties se connaissent peu et se prisent fort, qu'elles sont encore polies et ne se piquent point defranchise.Toutefois, considrez ceci: deux chiens se rencontrent; ils s'abordent, se flicitent, s'inspectent, et,quand ils odorent leur gr, les jeux commencent: aimables indcences, manger qu'on partage et qu'on sevole, toutes les mulations; puis, lasss, ils s'loignent vers leurs chenils ou des liaisons nouvelles. Jecomprends que, parmi les hommes, la socit est un peu mle pour ce mode de vivre; toutefois, avec du tact

    et quelque judiciaire, un galant homme saura tirer profit, je pense, de cette facile observation.

    Mais que sert de raisonner, monsieur! Les fades sensibilits, qui soupirent depuis des sicles au fond desconsciences humaines, ne se lassent pas sous les arguments que nous leur jetons comme des pierres auxgrenouilles crpusculaires coassant dans la campagne. A l'heure o la lune s'allume, o les btes froces jadisassaillaient nos lointains aeux, o nagure s'embuscadaient nos pres paraphant des alliances dans la chairdes assassins, cette heure toile qui frissonne du gmissement des fivreux et du perptuel soupir desamantes, une langueur nous pntre, un effroi de la solitude, une lvation mystique et des dsirs assezvifs,et s'avance pour triompher la femme.

    Celle-l nous tient plus longtemps que l'homme. Moins franchement personnelle, plus reposante, ellesatisfait mieux notre gotisme. Et puis, trs jeunes parlent les sens. Cela ne dure gure. Les sports, quels qu'ilssoient, ne proposent aux intellectuels que l'occupation d'une heure oisive, qu'un spcifique aux billements etaux nourritures chauffantes. Mais la reposante btise, l'esprit tout extrieur (la finesse d'un sourire attirant, ladouceur d'une voix inutile et qui caresse, l'alanguissement souple et tide d'un corps qui se confie), c'est cequ'ignore le jeune mle et que ne peut oublier l'honnte homme affin et fatigu.

    Hlas! quand il atteint cette maturit de savoir choisir ses baisers, elles sont parties les petites jeunes etfraches, dont le caprice est dlicieux, car, la navet et toute la virginit de coeur des amours pures, elles

    joignent des sciences et des coquetteries dont la complaisance enchante l'homme sain, le sage. Roses closesdu matin (prfrables au bouton orgueilleux et intact, comme la fleur parfume d'essence, soutenue d'acier etmalgr tout dcourage), les jeunes amantes ont de l'apptit, une me amusante fleur de peau, une pleur quileur donne un caractre de passion; et leur corps est frais. tant gourmandes de sottises, elles s'attachent la

    jeunesse. Quelque Mridional bientt les entranera, ravies et bondissantes, vers des locauxtumultueux.Trs vite l'homme chauve se lassera des caprices changeants, cause des rveils tropfroids et des soires dues, cause aussi de la cuisine d'amour jamais humiliante et pareille, cause desnuques perces de la lance et des jambes qui cotonnent. Nu d'amour et d'amiti, il s'enfoncera plus avant dansla vie intellectuelle.

    Trs sec, opulent et considr, il connat alors la douceur de tendre son esprit vers la froide science qui griseet de contracter d'gostes jouissances son coeur et sa cervelle. Heures exquises et rapides o, fort bieninstall, l'on rve de Baruch de Spinoza qui, lass de mditation, sourit aux araignes dvorant des mouches,et ne ddaigne pas d'aider la ncessit de souffrir,o l'on assiste Hypathie, la servante de Platon etd'Homre, trs vieille et trs pdante,o l'on s'attendrit jusqu'aux pleurs et sur soi-mme devant

    l'immortel trsor des bibliothques.

    Peu peu, jour sombre, on se l'avoue: tout est dit, redit: aucune ide qu'il ne soit honteux d'exprimer. Ensorte que cette constatation mme n'est qu'un lieu commun et cet enseignement une vieillerie suranne, et querien ne vaut que par la forme du dire.

    Et cette forme, si belle que les plus parfaits des vritables dandies ont frissonn, jusqu' la nvrosthnie, del'amour des phrases, cette forme qui consolerait de vivre, qui sait des alanguissements comme des caressespour les douleurs, des chuchotements et des nostalgies pour les tendresses et des sursauts d'hosannah pour nostriomphes rares, cette beaut du verbe, plastique et idale et dont il est dlicieux de se tourmenter,onl'explique, on la dmonte; elle se fait d'pithtes, de cadences que les sots apprennent presque, dont ils

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    jonglent et qu'ils avilissent; et tout cela coeure la longue, comme une liqueur trop douce, comme lacomdie d'amiti, comme encore les baisers que probablement vous dsirez....

    (Une motion ridicule tenait la gorge le pauvre homme, et son compagnon connut l'orgueil d'tre amer.)

    Il se tut. La brume tombait avec sa fracheur. Ils se levrent; et tirant rudement la bourrique qui sommeillait, il

    cria, son bras tendu vers l'inconnu:

    Qu'importe! ceux-l ont souffert que je raconte, mais ils firent chanter leur indpendance les chansonsqu'ils prfraient; toute heure ils pouvaient s'isoler dans leur orgueil ou dans le nant: leur vie fut telle qu'ilsdaignrent. Et je ne crois pas qu'un homme raisonnable hsite jamais mener les mmes expriences.

    Dans l'ombre plus paisse ils se htaient en silence. Lui flattait le garrot de la bourrique et mme, s'tantpench, il l'embrassa. La bte approuvait de ses longues oreilles amicales et tous trois ils marchaient sous lalune apaisante.

    La vieille domestique (admirable de bon sens, tout fait dans la tradition), debout sur le chemin, guettait le

    retour de son matre; elle dit simplement: Vous n'tes gure raisonnables, messieurs, mais l'inquitudefaisait trembler sa voix. Et peu aprs, ils l'entendirent injurier la bourrique: Bte d'Allemagne, sac tristesse, et des jurons, je crois. Le matre s'interrompit pour sourire, il haussa lgrement les paules, enlevant le bras. Non, vraiment, vieille judicieuse, ces messieurs n'taient gure raisonnable.

    Et soulevant ses paupires, il regarda le jeune homme qui s'tait laiss glisser terre. Peut-tre tant delassitude l'effraya; peut-tre dans ces yeux vit-il l'aube des jours nouveaux! il lui frappa l'paule petits coups:Qui sait!cela du moins nous fit passer une journe.D'ailleurs, nos ides influent-elles surnos actes?Et quand nous savons si peu connatre nos actes, pouvons-nous apprcier nosides?Attachons-nous l'unique ralit, au Moi.Et moi, alors que j'aurais tort et qu'il seraitquelqu'un capable de gurir tous mes mpris, pourquoi l'accueillerai-je? J'en sais qui aiment leurs tortures et

    leur deuil, qui n'ont que faire des charits de leurs frres et de la paix des religions; leur orgueil se rjouit dereconnatre un monde sans couleurs, sans parfums, sans formes dans les idoles du vulgaire, de repoussercomme vaines toutes les dilections qui sduisent les enthousiastes et les faibles; car ils ont la magnificence deleur me, ce vaste charnier de l'univers.

    C'tait une belle attitude, dans le couchant du premier jour de cet adolescent qu'un homme chauve et trsrenseign, d'une voix grandie, lui attestant par la poussire des traditions la dtresse d'tre, et reniant le passet l'avenir et la Chimre elle-mme, cause de ses ailes dcevantes.Le jeune homme entrevit lesluttes, les hauts et les bas qui vacillent, le troupeau des inconsquences; une grande fatigue l'affaissait audpart, devant la prairie des foules. Et son me demeura parmi tant de dbris, solitaire au foss de son premierchemin.

    Quand la jeune fille lui apparut-elle? Dans sa chevelure fleurissait toute une claire journe de prairie; latendresse de la lune nimbait l'clat de ses charmes; ses paroles sonnaient comme une eau frache sur un frontbrlant.

    Pourquoi daignez-vous, mon ami, ternir vos yeux des ides qui planent et qui s'en vont? Nous autresdames, nous allons plus vite et plus loin que vous; o vous raisonnez, nous pntrons d'un trait de notre coeur,nous pensons si fin que des nuances familires nos mes chappent vos formules, peut-tre mme nossoupirs.

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    DPART INQUIET 17

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    Ah! dit-il, l'interrompant et le coeur mu, est-ce que vous existez donc, vous, mon amie! et ilsanglotait sur le sable.

    Cela dpend, reprit l'enfant avec tranquillit, mais tout d'abord, puisque vous avez pntr lesapparences et les convenances, courez les oublier avec nous qui savons tre ignorantes. Nous respectons desvoiles lgers, qui n'entravent gure nos caprices; nous ngligeons le triomphe ingnu de supprimer des

    ombres. Que des mes un peu paisses se dbattent avec le reflet de leur vulgarit; vivons des enchantementsqui n'existent pas. Viens nous enivrer parmi des fleurs inconnues; dans mes bras te sourient des songes. Et s'iltait vrai que toutes choses eussent perdu leur ralit pour ta clairvoyance, garde-toi de renoncer ou d'institueren ton rve le mal et la laideur, mais daigne dsirer pour qu'elles naissent, les choses belles et les chosesbonnes.

    Quoi, dit-il, relevant son visage lass, aspirer quelque but! n'est-ce pas oublier la sagesse?

    Assez cont de btises, aujourd'hui! fit-elle ingnument en se pendant au cou du jeune homme; tun'auras rien perdu si je t'apprends sourire. Pour tes dsirs, mon cher enfant, nous y veillerons plus tard, etpuisqu'il faut absolument ta faiblesse un matre, daigne te guider dsormais sur mon inaltrable futilit.

    Et la main dans la main, le jeune homme et la jeune femme s'acheminent vers l'horizon fuyant des montagnesbleues, sous un ciel sombre constell de ptales de roses.

    CHAPITRE DEUXIME

    CONCORDANCE

    Par luxure assurment et par dsir de paratre, il fit le geste de l'amour quelquefois; autant que leurs sourceset son hygine s'y prtaient.

    Ces personnes dfaut d'urbanit de coeur n'offraient pas mme ces lenteurs de la politesse qui seulesadoucissent les sparations.

    Frquemment donc il se chagrina.

    Et les soirs suivants, jusqu' l'aube, s'chauffant l'imagination, il ennoblissait son aventure de symbolismesvagues et pntrants, en sorte qu'elle devint digne de son dsir de se dsoler et de la niaiserie invitable deson ge.

    TENDRESSE

    Combien je t'aurais aim si je nesavais qu'il n'y a qu'un Dieu.

    L'AROPAGITE.

    C'est un baiser sur un miroir.

    Au soir, une douce tideur emplit l'air violet o se turent enfin les oiseaux; et parmi les saules, au bord destangs, le jeune homme et la jeune femme s'illuminaient du soleil alangui sur l'horizon.

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    CHAPITRE DEUXIME 18

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    Elle avait de longs cils, des cheveux dnous, des draperies flottantes et tous les charmes qui attirent lescaresses. Et cependant que de sa baguette, coups lgers, elle soulevait en perles l'eau dormante, son finvisage demi tourn souriait au jeune homme. Et lui, couch parmi les rares fleurs, il suivait avecnonchalance le reflet de son image balance sur les tangs.

    Alors, sans crainte de froisser les petites branches de lavande, elle s'agenouilla devant lui et le baisa

    doucement au front pour murmurer:

    Est-ce moi, mon ami, ou sont-ce vos penses que vous voulez accueillir cette heure? Daignezcomprendre ce qui me plat parmi ces saules. Voulez-vous donc que je rougisse?

    Mais elle s'interrompit de sourire, inquite de ce jeune homme si las, devinant peut-tre qu'il contemplaitl-bas, plus loin que tout dsir, le temple de la Sagesse ternelle vers qui les plus nobles s'exaltent. Elle posasa main dlicate sur les yeux du jeune homme.

    Ah! dit-elle, ne sais-tu pas que je suis faite pour qu'on m'aime? Et pourquoi faut-il donc que tum'cartes, pourquoi te peiner, de mon sourire? J'ai toujours vu que les hommes s'y complaisaient.

    Mais lui rpondit cette amoureuse, avec une lgre fatigue:

    Ne connais-tu pas aussi ceux-l qui ddaignent vos frissons et n'ont pas souci de vos petites prunellessous leurs paupires lourdes!

    Et comme elle ne rpondait point et qu'il craignait toute tristesse, il leva les yeux de sa vague image balancesur l'eau, pour regarder la jeune femme. Debout dans la lucidit de ce soir or et ros,un oiseaucomme une flche dans le ciel entrait,d'un geste pur, elle entr'ouvrit son manteau et rvla son corpsdont la ligne tait franche, la chair jeune et mate.

    Sa nudit et assailli tout autre; ses fortes hanches de vierge exaltaient sur sa taille une gorge frache etrougissante. Mais le jeune homme se souleva pour atteindre les pans de la draperie envole dans la brise et,l'ayant avec grce baise, la ramena sur les charmes de la jeune femme. Il souriait et il disait:

    J'aime les lentes tristesses, mon amie; passez-moi ce lger travers, comme je vous pardonne vosyeux, votre taille qui flchirait et toutes ces grces peut-tre inoubliables. Je sais que la petite ligne du souriredes femmes trouble la pense des sages et, pour nous, la nuance des nuages mme. Dans vos prunelles monimage serait plus agite qu'au miroir de ces tangs rafrachis par la brise.

    Elle se laissa glisser sur la grve et, cachant contre lui son visage, elle gmissait:

    Ah! tu sais trop de choses avant les initiations. Je pense que tu coutas ce qui monte du pass, et les

    morts t'auront mang le coeur. Veux-tu donc tre ma soeur, toi qui pourrais me commander? Mais peut-tret'inquites-tu par ignorance. Sache que mon corps est beau et que je dfie toutes les femmes.

    Et lui souriant de cette rvolte ingnue:

    Les femmes, amie! crains plutt ce dsir d'amour o je me pme malgr mon me. Sais-tu si nosbaisers satisferaient cette agitation? Veuille ne pas jouer ainsi de mon repos; prends garde que ton haleinen'veille mon coeur que nous ignorons. Mais vois donc que je suis las, las avant l'effort et que j'ai peur....Bercez, calmez mes caprices, amie, et souffrez que je ne m'chappe pas moi-mme.

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    TENDRESSE 19

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    Hlas! cette musique plaintive mit une joie qui me gte sa tendresse aux lvres si fines et dans les cils trslongs de la jeune fille. Son oreille contre la poitrine du jeune homme guettait les battements de ce coeur.Crature charmante, pouvait-elle savoir que c'est au front que bat la vie chez les lus. Parce que le sein du

    jeune homme palpitait, elle bondit debout et, frappant ses mains, tandis que s'en volaient ses cheveux pars,elle parpilla dans l'ombre son rire joyeux.

    Ils atteignirent lentement au sommet de la colline, sous un ciel de lune rougissant. Ce profond paysage d'oaffleuraient des branches raides et la plainte monotone des campagnes noyes dans la nuit, fut-il si enchanteur,ou leurs mes avaient-elles atteint ces quilibres furtifs que parfois ralisent deux illusions entrelaces;brlaient-elles de cette ardeur intime qui vaporise toute inquitude? Qu'importe le mot de leur fivredvorante! Parmi cette tendresse du soir, sur les gazons onctueux, dans le silence pntrant et la fracheurfconde, la mme allgresse, en leurs poitrines allges d'un mme poids, rhythmait leurs penses et leur sang;et c'est ainsi qu'tendus cte cte, sans se mouvoir, sans un soupir, yeux perdus dans la nuit d'argent quetoujours on regrettera sous la pluie dore de midi, ils ne furent plus qu'un frissonnement du bonheurimpersonnel.Nuances des musiques trs lointaines qui fondez les plus tnues subtilits! limites onotre vie qui va s'affaisser dj ne se connat plus! seules peut-tre effleurez-vous la douceur mystique detoutes ces choses oublies.

    Et lui, le premier, murmura: Ai-je raison de me croire heureux?

    La jeune femme se souleva, ses seins peut-tre haletaient faiblement. Un rais de lune caressait le jeune hommeet deux fleurs fanes se penchaient comme des yeux mi-clos sur son visage. Elle n'avait jamais vu tant denoblesse qu'en cette lassitude prcoce. A cette minute il semble qu'elle se troubla de cette pleur et de ceslignes inquites. Absente, elle pronona ce mot, si vulgaire: Que vous tes joli, mon amour!

    Alors soudain il eut au coeur une flure lgre, la premire flure d'amour, par o s'enfuit le parfum de saflicit, et se relevant, il froissa les deux fleurs.

    Ah! combien je le prvoyais! vous daignez goter quelques formes o j'habite, et jamais vousn'atteindrez m'aimer moi-mme, car votre caprice peut-tre ne souponne mme pas sous mes apparencesmon me. Ah! mon incertaine beaut qui n'est qu'un reflet de votre jeunesse! ma parole, ce masque que nepeut rejeter ma pense! mes incertitudes, o trbuche mon lan! tous ces sentiers que je pitine! tout cevestiaire, c'est donc vers cela que tu soupirais, pauvre me?

    Et une rougeur avivait son teint dlicat. Pouvait-elle comprendre! Elle attira doucement la tte du jeunehomme sur son sein; elle posa sa main un peu tide sur les yeux de l'adolescent, et doucement elle le berait;en sorte qu'il cessa de se plaindre comme un enfant qui se rchauffe et qui s'endort.... Puis il entrevit peut-trece temple de la sagesse qui fait la nostalgie des fronts les plus nobles sous les baisers.... La jeune femme,ayant cueilli les fleurs qu'il avait brises, les plaa dans sa chevelure; et ces frles mortes faisaient la plustouchante parure qu'une amoureuse et jamais pour se faire aimer. Tel tait son charme, et si pur l'ovale de sa

    figure parmi ses cheveux drouls et fleuris, si fine la ligne de sa bouche, si subtile la caresse des cils sur sesyeux, que le jeune homme ne sut plus que penser elle. Mais un malaise, un regret informe de la solitudeflottait en son me tandis qu'ils descendaient vers la valle. Et comme il tait mu il jugea bon de se rvler ason amie.

    Mon me, disait-il, ces lgendes o notre mmoire rsume la vie des plus passionns, ce sentimentqui m'entrane vers toi, et mme l'inexprimable douceur de tes attitudes, toutes ces dlicatesses, les plusraffines que nous puissions connatre, ne sont que frivoles papillons dont use l'Ide pour dpister lespoursuites vulgaires. Ma lassitude, qui t'tonna, se complat sourire de ces furtives apparences et tressaillirdu frlement de l'Inconnu. J'aime aspirer vers Celui que je ne connais pas. Il ne me tentera plus le sourire

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    fleuri des sentiers qui s'enfuient, du jour qu'au travers du chemin mon dsir aura ramass son objet. Et puisquemon plaisir est d'aimer uniquement l'irrel, ne puis-je dire, mon amie, que je possde l'immuable et l'absolu,moi qui rduisis tout mon tre l'espoir d'une chose qui jamais ne sera.

    Comprends donc mon effroi. Je ne crains pas que tu me domines: obir, c'est encore la paix; mais peut-trefausseras-tu, me donner trop de bonheur, le dlicat appareil de mon rve! Ta beaut est charmante et

    robuste, pargne mes contemplations. Que j'aie sur tes jeunes seins un tendre oreiller mes lassitudes, undoux sentiment jamais dfleuri, pareil ces affections dj anciennes qui sont plus indulgentes peut-tre quele miel des dbuts et dont la paisible fadeur est touchante comme ces deux fleurs fanes en tes cheveux. Etl'un prs de l'autre, souriant la tristesse, et souriant de notre bonheur mme, fugitifs parmi toutes ces chosesfugitives, nous saurions nous complaire, sans vulgaire abandon ni raideur, contempler la thorie des idesqui passent, froides et blanches et peut-tre illusoires aussi, dans le ciel mort de nos dsirs; et parmi ellesserait l'amour; et si tu veux, mon me, nous aurons un culte plus spcial et des formules familires pourvoquer les illustres amours, celles de l'histoire et celles, plus douces encore, qu'on imagine; en sortequ'aimant l'un et l'autre les plus parfaits des impossibles amants, nous croirons nous aimer nous-mmes.

    La chevelure de la jeune femme, souleve par le vent, vint baiser la bouche du jeune homme, et cette odeur

    continuait si harmonieusement sa pense qu'il se tut, impuissant saisir ses propres subtilits; et seule lafracheur, o soupiraient les fleurs du soir, n'et pas froiss la dlicatesse de son rve.

    L'enfant si belle, n'ayant d'autre guide que la logique de son coeur, se perdait parmi toutes ces choses; etpeut-tre s'tonnait-elle, tant jeune et de bonne sant.

    Ah! ce sable qui gmissait sous leurs pieds dans la valle silencieuse, pourra-t-il jamais l'oublier?

    Dans cette volupt, un gosme presque mchant l'isolait peu peu; jamais sa solitude ne l'avait fait si seul.

    et l, sous les palmes noires, des groupes obscurs s'enlaaient, et il rougit soudain songer que peut-treson sentiment n'tait pas unique au monde.

    Mais la jeune fille l'entranait; lgre parmi ses draperies et ses cheveux indiqus dans le vent, elle courait aubosquet qu'clairent violemment les chansons et le vin. Sous des arbres trs durs, sous des torches noires etrouges vacillantes, dans un cercle de parieurs gesticulants, deux lutteurs s'enlaaient. D'une beaut choquante,ils roulrent enfin parmi le tumulte. Alors les fleurs dlicates de ses cheveux, elle les jeta contre la poitrinepuissante du vainqueur....Au reproche du jeune homme, elle rpondit sans mme le regarder, Dieusait pourquoi: J'adore la gymnastique. D'une grce un peu exagre, elle n'en tait que plus mouvante.

    Il s'loigna, et le souci de paratre indiffrent ne lui laissait pas le loisir de souffrir. Puis la douleur brutalementl'assaillit.

    Comment avait-il os cette chose irrparable, peut-tre briser son bonheur?

    D'o lui venait cette nergie se perdre?Il fut choqu de passer en arguties les premires minutesd'une angoisse inconnue.Mais sa douleur est donc une joie, une curiosit pour une partie delui-mme, qu'il se reproche de l'oublier?En effet, il est fier de devenir une portion d'hommenouveau.Il se perdait ces ddoublements. Sa souffrance pleurait et sa tte se vidait rflchir. Unetristesse dcourage runit enfin et assouvit les diffrentes mes qu'il se sentait. Il comprit qu'il tait sali parcequ'il s'tait abaiss penser autrui.

    Balanant ses bras dans la nuit, sans but, il rva de la douceur d'tre deux.

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    Et, pench sur la plaine, il cherchait la jeune fille. Il l'entrevit debout parmi des hommes. Cette pense lui futune sensation si complte de sa douleur, qu'il atteignit cette sorte de joie du fivreux enfin seul, grelottantsous ses couvertures. Dans l'obscurit, soudain il s'entendit ricaner, et, au bout de quelques minutes, il songeaque les morts, ceux-l mmes qui lui avaient mang le coeur, comme elle disait, riaient en lui de son angoisse.Ah! maudit soit le mouvement d'orgueil qui lui fit le bonheur impossible! Et toute la montagne, les arbres, lesnuages l'enveloppaient, rptant ce mot Jamais qui barrera sa vie.Combien de temps durrent ces

    choses?

    Il crut sentir sur ses joues la caresse des cils trs longs, et il se leva brusquement, le cou serr. Seules deslarmes glissaient sur son visage.

    Et je ne sais s'il s'aperut qu'il gravissait vers le temple de la Sagesse ternelle.

    Le soleil chassait les langueurs de l'horizon quand le jeune homme releva son front, rafrachi par l'ombre dutemple et le frisson des hymnes.

    Ces ternelles sacrifies, les mres et les amoureuses, et les blmes enfants un peu morts, de qui les pres

    escomptrent la vie pour animer une formule, toutes les victimes des gosmes suprieurs, transverberes deces flches glorieuses qui sont les penses des sages, gisaient sur les parvis du lieu que nousrvons.Lui, porteur du signe d'lection, il pntra dans le Temple.

    L, jamais ne s'exalte la vigueur du soleil, ne s'alanguit l'astre sentimental; une froide clart stagnante estpandue sur la foule des sages que roule le fleuve des contradictions; et ce flot immmorial effrite les groupescramponns des convictions diverses; il spare et il joint; il brise ceux-l qui se dchirent pour aider l'Idal, il ballotte les plus nobles qui s'abandonnent et sourient, il jette tous les rivages des systmes, desloquences et des crnes fls; parfois une certitude, comme une furtive cume sur la vague, apparat pourdisparatre. Toutes ces choses sont l'orgueil de l'humanit; une incomparable harmonie s'en dgage pour lesamateurs.

    Et sa douleur reconnut en ces tnbres la brume de son me: ce tumulte n'tait que l'cho grandi de la plaintequi, goutte goutte, murmurait en son coeur.

    Comme des spirales de vapeur qui nous baignent et s'effacent et renaissent, la monotone subtilit de son regrettournoyait en sa tte fivreuse. Qu'ils sont noirs tes cils sur ton visage mat! Comme ta bouche souritdoucement! Qu'il flotte toujours, le rve de ton corps et de ta gorge troite qui me torture! Ah! notre tendressesouille!

    Affaiss dans le couchant de son souvenir, voquant les senteurs affaiblies de ce sable humide qui criait jadissous leurs pas, il revcut les nuances de sa tendresse dans la lamentation sculaire des sages. Tous poussaient grands cris dans le mange des penses domestiques par les anctres, mais son regard ne se plaisait que surles plus suranns qui, ttus de complexits, coquettent avec les mystres et sur ces sages lgers qui pivotentsur leurs talons et, sachant sourire, ignorent parfois la patience de comprendre. L'esprit humain, avec sesattitudes diverses, tout autour de lui moutonnait de telles profondeurs, qu'un vertige et des cercles oiseuxl'incommodrent. Suprme fleur de toutes ces cultures, l'hritier d'une telle sagesse, tendu sur ledos, billait.

    Sa jeunesse comprit les suprmes assoupissements et combien tout est gesticulation. Flottantes images de cebonheur! Nos mots qui sont des empreintes d'efforts voqueraient-ils la furtive flicit de cette me endissolution, heureuse parce qu'elle ne sentait que le moins possible!...

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    Mais le prtexte de notre moi, sa chair, si lasse que son rve fuyait travers elle pour communier au rve detous, se souvint pourtant des souillures de la femme et rentra par des frissons dans la ralit familire. Il nepouvait chasser de lui cette femme fugitive. Lui-mme tenait trop de place en soi pour qu'y pt entrerl'Absolu.

    Est-il parmi le troupeau des contradictions qui l'entourent, le mot qui fera sa vie une?

    Les plus absorbantes douceurs qu'il et connues ne venaient-elles pas de l'amour? Or, son amour, il l'avait faitlui-mme et de sa substance: il aimait de cette faon, parce qu'il tait lui, et tous les caractres de sa tendressevenaient de lui, non de l'objet o il la dispensait.

    Ds lors pourquoi s'en tenir cette femme dont il souffrait parce qu'elle tait changeante? Ne peut-il laremplacer, et d'aprs cette crature borne qui n'avait pas su porter les illusions brillantes dont il la vtait, secrer une image fminine, fine et douce, et qui tressaillerait en lui, et qui serait lui.

    C'est ainsi qu'il vcut dsormais parmi la strile mlope de tous ces sages, extasi en face la bien-aime,aussi belle, mais plus rveuse que son infidle. Elle avait, sous les cils trs longs, l'clatante tendresse de ses

    prunelles, et sa bouche imposait dans l'ovale de sa figure parfois voile de cheveux. Il reposait ses yeux dansles yeux de son amante, et quand, semblable aux vierges impossibles, elle baissait ses paupires bleutres, ilvoyait encore leur douce flamme transparatre.

    Il s'agenouilla devant cette dame bnie et jamais extase ne fut plus affaisse que les murmures de cet amour.

    De son me, comme d'un encensoir la fume, s'chappait le corps diaphane et presque nu de l'amante, sidlicate avec ses hanches exquises, son troite poitrine aigu et sur ses joues l'ombre des cils. Frle apparition!dans ce nimbe de vapeurs lgres, elle semblait un chant trs bas, la monotone litanie des perfections desamours vaines, l'odeur attnue d'une fleur lointaine, le soupir de douleur lgre qui se dissipe en haleine.

    O mon me, enseignez-moi si je souffre ou si je crois souffrir, car aprs tant de rves je ne puis le savoir.Suis-je n ou me suis-je cr? Ah! ces incertitudes qui flottent devant l'oeil pour avoir trop fix! J'oseddaigner la vie et ses apparences qu'elle droule auprs de mes sens. Le pass, je me suis soustrait sestraditions ds mes premiers balbutiements. L'avenir, je me refuse le crer, lui qui, hier encore, palpitait enmoi au souvenir d'une femme. De mes souvenirs et de mes espoirs, je compose des vers incomparables.J'appris de nos pres que les couleurs, les parfums, les vertus, tout ce qui charme n'est qu'un tremblement quefait le petit souffle de nos dsirs; et comme eux turent dj l'tre, je tuai mme le dsir d'tre. L'harmonie o

    j'atteins ne me survivra pas. J'aime parce qu'il me plat d'aimer et c'est moi seul que j'aime, pour le parfumfminin de mon me. Ah! qu'elle vienne aujourd'hui la femme! je dfie ses charmes imparfaits.

    Alors un doux murmure, le bruissement des voiles d'une vierge sur l'admiration des humbles prosterns glissades parvis du temple dont les portes s'cartrent lentement. Et comme la beaut est une sagesse encore, dfie,sur le seuil elle apparut. Son bras lger au-dessus de sa tte s'appuyait avec grce aux colonnades, tandis quele charme de sa jeune gorge s'panouissait. Des arbres rares, un pan du ciel, tout l'univers se rsumait au loin la hauteur de ses petits pieds. Si frle, elle emplissait tout ce paysage, en sorte que les fleuves, les peupliers etles peuples n'taient plus que des lignes menues, et au-dessus d'elle il voyait l'idal l'approuver. Le soirbleutre descendait sur les campagnes.

    Un grand trouble, comme un coup de vent, emporta l'me du jeune homme. Et son coeur se gonfla de larmeset de joie. Il entendit un tumulte de tout le temple devant cette invasion des problmes; et son moi redoublait sentir la terreur de tous, en sorte qu'il n'essaya point de lutter. Les yeux clos et le cou bondissant, comme sisa vie s'puisait vers la bien-aime, il attendit; et ses bras se tendaient vers elle, indcis comme un

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    balbutiement....

    Il frissonnait de cette haleine lgre et de tous les frlements un peu tides oublis. Elle caressait maintenantses seins nus contre ce coeur, vritable petit animal d'amour, ingnue et nerveuse, avec son regard bleu, ensorte qu'il murmura bris: Fais-moi la piti de permettre que je ne t'aime point.

    Et peut-tre et-il prfr qu'elle l'aimt.

    Mais elle le considrait avec curiosit et quoi qu'elle ne comprt gure, son sourire triomphait; puis elle ritdans ce lourd silence, de ce rire incomprhensible qu'elle eut toujours. Alors, soudain, pleine main, ilrepousse les petits seins striles de cette femme. Elle chancelle, presque nue, ses bras ronds et fermes battentl'air; et dans le bruit triomphal de la sagesse sauve, au travers du temple acclamant le hros, sous les brasindigns, rapide et courbe, elle sortit. Jamais elle ne lui fut plus dlicieuse qu' cette heure, vaincue et sousses longs cheveux.

    Et les sages d'un mme sursaut, dlivrs, droulrent l'hymne du renoncement, la banalit des soirs alanguis etl'amertume des lvres qu'on essuie, la houle des baisers, leurs frissons qu'il est malsain mme de maudire,

    leurs fadeurs et toutes nos misres affaires. Puis ils rpandirent comme une rose les merveilles de demain,de ce sicle dlicat et somnolent o des rveurs aux gestes doux, avec bienveillance, subissant une vie peinevivante, s'carteront des rformateurs et autres belles mes, comme de voluptueuses striles qui gesticulentaux carrefours, et dlaissant toutes les hymnes, ignoreront tous les martyrs.

    Il leva doucement le bras puis le laissa retomber. Que lui importait le sort de la caravane, pass l'horizon de savie! Peut-tre s'tait-il convaincu que tant de querelles la passion tournoyent comme une paille dans uneseconde d'motion! Il les quitta.

    Que la strile ordonnance de leurs cantiques se droule ternellement!

    Aux appels de son amant la jeune femme ne se retourna point. Elle disparut sous les feuillages entre les troncsclatants des bouleaux. Elle ne daignait mme pas souponner ces bras suppliants et ces dsirs. Il parut au

    jeune homme que leur distance augmentait; peut-tre seulement son coeur tait-il froiss. Il reconnut l'univers;il sentit une allgresse, mais allait-il encore vivre vis--vis de soi-mme! Une sorte de fivre le releva, il eutun lan vers l'action, l'nergie, il aspirait l'hrosme pour s'affirmer sa volont.

    Vers le soir il atteignit le sable des tangs, et parmi les saules, au bord de ces miroirs, il regarda la nuitdescendre sur la campagne. L-bas apparut cette forme amoureuse, souvenir qui vacille au bord de la mmoireet qui n'a plus de nom; dans un nuage vague elle se fit indistincte, comme un dsir s'apaise.

    Il n'avait tant march que pour revenir cette petite plage o naquit sa tendresse. Son coeur tait bout. Ilsavait que la vie peut tre dlicieuse; il renona rver avec elle au bois des citronniers de l'amour et cela seullui et souri. Ses mditations familires lui faisaient horreur comme une plaine de glace dj raye de sespatins. Il billa lgrement, sourit de soi-mme, puis dsira pleurer.

    Du doigt, il traa sur la grve quelques rapides caractres. La brise qui rafrachissait son me effaa ces traitslgers.

    Cette lgende est vraiment de celles qui sont crites sur le sable.

    Tout de son long tendu, les yeux fatigus par le couchant, seul et lass, il parut regarder en soi....

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    CHAPITRE TROISIME

    CONCORDANCE

    A vingt ans, il sentait comme dix-huit, mais il tait tudiant et sa table d'hte (celle des officiers cent

    francs par mois) mangeait mieux qu'au lyce; en outre il pouvait s'isoler.L'usage de la solitude et une nourriture tonique augmentrent sa force de raction. Les lments divers quitaient en lui: 1 culture d'un lycen qui a pass son baccalaurat en 1880; 2 exprience du dgot quedonnent une me fine la cuistrerie des matres, la grossiret des camarades, l'obscnit des distractions;3 dsir et noblesse idale, aboutirent au rve.

    En frissonnant, il s'enfonait dans cette faon de rve scolaire et sentimental o l'on retrouvera juxtaposesde confuses aspirations idalistes, des tendresses sans emploi et de l'cret.

    En vrit, ceux qui se retournent avec ferveur vers des images d'outre-tombe ne tmoignent-ils pas qu'ils sontmcontents de leurs contemporains, chauffs de quelque sentiment intime, inassouvi?

    DSINTRESSEMENT

    Toujours triste, Amaryllis! les jeunes hommes t'auraient-ils dlaisse, tes fleurs seraient-elles fanes ou tesparfums vanouis? Atys, l'enfant divin, te lasserait-il dj de ses vaines caresses? Amaryllis, souhaite quelqueobjet, un dieu ou un bijou; souhaite tout, hors l'amour, o je suis dsormais impuissant;encore, quene pourrait un sourire de celle que chrit Aphrodite!

    Ainsi Lucius raillait doucement Amaryllis, la trs jeune courtisane, aux yeux et aux cheveux d'une clart d'or,tandis que glissait la barque sur le bleu canal, parmi les nnuphars bruissants. Trs bas sur leurs ttes, lesarbres en berceau se mirent, sans un frisson, dans l'eau profonde. La rive s'enorgueillit de ses molles villas, deses forts d'orangers et de sa quitude. Entre les branches vertes, apparat par instant le marbre vieil ivoire desdieux qui semblent de leurs attitudes immuables ddaigner les discours changeants de la facile Orientale et deson sceptique ami.Au loin, ple ligne rose fondant sous la chaleur, les montagnes, refuges dessolitaires et des btes froces, troublaient seules la rverie de ce ciel.

    Mais dj on approchait de la plage o, mollement couche sous la caresse des flots et des brises, la villetend ses bras sur l'ocan et semble appeler l'univers entier dans sa couche parfume et fivreuse, pour aider l'agonie d'un monde et la formation des sicles nouveaux.

    Avec une grce lasse, Amaryllis reposait sur des coussins de soie blanche. Son lourd manteau d'argent casssemblait voluptueusement blesser son corps souple. Ses bras ronds veins de bleu couronnaient son visage devierge qui trouble les adolescents, et de sa faible voix trs harmonieuse:

    Riez, Lucius, riez. Si quelqu'un des mortels pouvait dissiper mon ennui, c'est toi qu'irait monespoir. Tu as aim, Lucius, on le dit, tu pleuras prs des couches trop pleines. Tu t'es lass du rire de lafemme; comprends donc que je me dsespre du perptuel soupir des hommes. Je suis jeune et je suis belle et

    je m'ennuie, Lucius. Les divines tendresses d'Atys, les inquitants mystres d'Isis et la grandeur de Serapisn'apaisent pas mes longs dsirs; or je sais trop ce qu'est Aphrodite pour daigner me tourner vers elle. C'est parmoi que nat l'amour, et je sais ses souffrances et qu'elles lassent, car gmir mme devient une habitude. Jesuis une Syrienne, la fille d'une affranchie qui prophtisait; tu es un Romain, presque un Hellne, tu saisrailler, Lucius, mais il serait plus doux et plus rare de pouvoir consoler.

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    CHAPITRE TROISIME 25

  • 8/14/2019 Le culte du moi 1 Sous l'oeil des barbares by Barrs, Maurice, 1862-1923

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    Debout contre la rampe du baldaquin pourpre et noir, le Romain jouait avec les glands d'or de sa tunique desoie jaune. L'lgance de ses mouvements rvlait l'usage et la fatigue de vivre pleinement. Il vitait les motssrieux qui sont maussades:

    Amaryllis, disait-il, laisse-moi m'tonner qu'un si petit coeur puisse tant souffrir et qu'il tienne detelles curiosits sous un front gracieux si troit. Tu as de jeunes et riches amants, des philosophes et mme des

    singes qui font rire. Pourquoi dsirer des dieux et des choses innommes!

    Sous la soie bleutre de sa tunique transparaissait le corps tant ador de la jeune femme encadr de brocart.Ses doigts effils jouaient avec la bulle de cristal jauntre, o sa mre jadis enferma les conjurations. Onn'entendait que le bruissement de l'eau contre la barque; de loin en loin sautait un poisson avec le rapide clatd'argent de son ventre. Mais seul un souffle triste agitait le coeur meurtri de l'enfant.

    Quel mime, quel thaumaturge, quel temple visitera aujourd'hui notre chre Amaryllis? Je la conduiraiselon ses dsirs avant de me rendre au Serapeum.

    Athn vous convoque aujourd'hui? interrogea, en se soulevant et d'une voix rveille, la jeune

    femme. Athn! on dit qu'elle sait les choses et des dieux la protgent. Une fois que j'tais couronne de fleurset de jeunes amants, comme on sort d'une fte de nuit, je l'ai vue sur les tours de Serapeum, extasie et en robeblanche. Mes amis l'acclamrent et je ne fus pas jalouse, puisqu'elle est une divinit chaste. Alors survinrentpour la huer ces hommes qui adorent un crucifi et possdent toute certitude. Au-dessus d'elle la lune plissait,plus lointaine chaque insulte; mais eux taient tremps du soleil levant comme du sang de la victoire et jepense que c'est un prsage. Comment subjugue-t-elle les mes? Est-elle donc plus belle que moi? Elle pourraitgurir mon chagrin.

    Tu rves toujours, Amaryllis, et tes rves te gtent ta vie. Daigne sourire, ma chre Lydienne, etcontre ton baiser viendront se briser les faibles et dpouiller leurs dernires illusions les forts. Jouis de l'heurequi passe, des caresses des plus jeunes et de l'amiti de ceux qui sont las, et laissons vivre du pass la viergedu Serapeum.

    Et s'tant inclin, il serrait la main d'Amaryllis entre ses doigts. Mais elle se mit pleurer.

    Au nom de nos plaisirs que tu te rappelles, par l'amour que tu avais de mes petites fossettes, par tahaine des chrtiens qui seuls me rsistent, par mes larmes qui me rendront laide, Lucius, mne-moi chezAthn.

    Le jeune homme la soutint dans ses bras et s'agenouillant devant elle:

    Le sort, lui dit-il, t'avait donn un corps sain et beau. Faut-il y introduire la pense qui dforme tout!

    Mais comme elle ne cessait de gmir et que les pleurs d'une femme attristent les plus belles journes:

    Soit, Amaryllis, souris et donne-moi la main pour que nous allions vers Athn et que je te mnecomme un jeune disciple.

    L'enfant releva la tte. Un sourire joyeux clairait son fin visage tandis qu'elle rparait l'appareil de sa beaut.Les avirons se turent, et contre la rive o circulait tout un peuple, un faible choc secoua la barque.

    Au Serapeum, dit-elle avec orgueil. Dans une litire, l'ombre des colonnades, ils avanaient lentementparmi toutes les races parfumes de cet Orient, que rehaussent les plus curieuses prostitutions de la femme et

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