barrès, maurice. le culte du moi

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Le culte du moi (Nouv. éd.) par Maurice Barrès,... Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

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  • Le culte du moi (Nouv.d.) par Maurice

    Barrs,...

    Source gallica.bnf.fr / Bibliothque nationale de France

  • Barrs, Maurice (1862-1923). Le culte du moi (Nouv. d.) par Maurice Barrs,.... 1910-1912.

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  • ~Y11

    MAURICE BARRSDE L'ACADEMtE FRA~AtSE

    UN

    HOMME LIBRE

    NOUVELLE D!T!0~

    PARISMtLH-PAUL, EDITEURS

    iOO, RUE DU FAUBOUttG-SAtNT-HONOR, i00BEAUVAU

    t912

  • OEUVRES DH MAnUGH BARRES

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    LE CULTE DU MOI

    StUS L

  • F
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    'LESDKRACtNS. Ivot.~'L'APPZL AU SOLDAT *LEURSF)[GURES

    LES BASTIONS DE L'EST

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    tvotL'ENNEMI ~ESLOtS.DU SANG, DE LA VOLUPT ET DE LA MORTAMOR! ET DOLOMSACRUM.LMAMtTUtSFRANAJSES.LE VOYAGE DE SPARTEGMLCO OM LE SECRET DE TOLDEUN DISCOURS A METZ (15 aot 1911). Une brochure in-18. Prix 1 fr.ADUSU A MOREAS. Une brochurein-18. Prix 1 fr.

  • LE CULTE DU MOp

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    MAURICE BARRESDE L'ACADMtE FRANAISE

    NOUVELLE DITION

    PARISMILE-PAUL, DITEURS

    100, RUS DU FAUBOUHG-SAINT-HONOR,100PLACE BEAUVAU

    i9i2

  • JUSTiFICATION DU TIRAGE

  • PREFACE

    DE L'EDITtO~ DE d9(M

    Ceux qui ne co/

  • F/~rncc dans la ~(~A~M~ (lu .S~/tH/ el ~M~M~petit ~~
  • 7~/c~ cf~6o/~ des ludes prliminaires ouD/UM/
  • les Dupuy, qui a beaucoup de bonhomie Sarcey, /!
  • ment, ci' s'il avait /7~ son chant pathtiqueles ra~ soit surveillant intrieur, ilaurait dconcert.

    M~ Anatole France et Jules Le/~a~rc,//

  • jouet et il est /U
  • ~crtro; on se surprend les uot/' dj vcus,quand on se demande si on les approuve. C'estpar plnitude, par ncessit et de la manire laplus irrflchie que se produisent les germesqui, bien soigns, deviendront de grandesMfr~ droites. ~a~u
  • ou prince des hommes. Ils c~M~ua/
  • rire quand je pense que cette quipe /~r~'o~'
  • fno/n~e libre venait de distinguer et d'accepterson dterminisme.

    Il y a, dons la prface du Disciple, unepage de grand effet. Bourget s'adresse auxjeunes gens de ~~9 pour les inviter se~/My du nihiliste s~M~/e/br/t/~r cynique etvolontiers ~UM~ ? et du nihiliste cM

  • laideur, les vices et les vertus lui paraissentdes objets de simple curiosit. L'me humainetout entire est, pour lui, un mcanisme savantet dont. le dmontage Pintresse comme unobjet e~ca~o~r/e~ce. Pour lui, rien ~cs< 'ra~,rien n'est faux, rien n'est moral, rien n'estimmoral. C~
  • Je ne permets ~M~ des catholiques les dia-tribes contre l'got isme. Si vous n'eues pas uncroyo/!
  • n'acquire point ? J'eus mes victoires et mesco/t~M~~s en Espagne et en /
  • quand on a dit que findt~dua~~CM~~OMOa~.Le Franais est individualiste, voil un fait.Et, de quelque manire qu'on le qualifie, ce faitsubsiste. Toutes les ~br~M critiques quenous accumulons contre la Dclaration desDroits de ~Ao/K~tc ~~n~cA~< point que ceco~cAM~c de l'individualisme a ~b~~u~dans notre /)< Dans notre pays et non a~-/cu~/ Et ce joA~no/ncnc (qu'aucun historienjusqu' cette heure ~a rendu comprhensible)marque en traits de jeu combien notre nationest DredMposee find~tdMO/tsnte. La j
  • rhumilier. Une de mes thses favorites est derclamer que l'ducation ne soit pas dpartieaux
  • porains ne /~
  • sophique de leur activit. Nos soucis ~~Hy~~tout naturellement celui qui ne les partage pas.Z
  • DEDICACE

    A QUELQUES COL~EG/ENSDE PARIS ET DE LA PROVINCE

    J'OFFRE CE LI VRE

    J~C/'M pour les enfants et les tout jeunesgens. Si je contentais les grandes personnes,j'en aurais de la vanit, mais il n'est gureutile ~M"c//

  • le sy~we qui nous porccM convenable. Aucollge, ils sont soumis une discipline qu'ilsn'ont pas choisie cela est abominable. J'airelev avec pit, depuis six sept ans, lesnoms des enfants qui se sont suicids. C'estune /07~MC /t~C que je ~OS'P pas publier.J'aurais aim ddier leur /7~y/t0ire ce jDe
  • Parce qu'il dtaille ces principes et les illus-tre de petits e.c
  • souci du but Nous chapperons ainsi aumalaise habituel des enfants honorables, quiest dans la disproportion entre l'objet qu'ilsrvaient e/ celui qu'ils a~tcy~.

    J~rd~e Pa

  • mois trouver le bonheur, vous pensez /~o~enfin conquis c~cs< quand vous le c~~e~ sifort que vous ~ai"~ le plus approch rccow-/M
  • i~t~E~PREMlER

    EN TAT DE GRACE

  • UN HOMME LIBRE

    1'LI~RE PREMIER

    7

    \1,

    ENTETAT DE GRACE

    CHAPITRE PREMIER

    LA JOURNE DE JERSEY

    Je suis all Jersey avec mon ami Simon.Je l'ai connu bb, quand je l'tais moi-

    mme, dans le sable de sa grand'mre, odj nous btissions des chteaux. Mais nousne fmes intimes qu' notre majorit. Je merappelle le' soir o, place de l'Opra, versneuf heures, tous deux en frac de soire,nous nous trouvmes je m'aperus, avec unfrisson de joie contenue, que nous avions encommun des prjugs, un vocabulaire et desddains.

  • Nous nous sommes inscrits l'cole deM. Boutmy, rue Saint-Guillaume. Maisyoyais-je Simon trois mois par anne? IJ

    r tait mondain Londres et Paris, puis serefaisait la campagne, Il passe pour excen-trique, parce qu'il a de limprvu dans sesdterminations et des gestes heurts. C'est ungaron trs nerveux et systmatique, d'aspectglacial. Mrime, me disait-il, est estimable cause des gens qui le dtestent, mais bienhassable cause de ceux qu'il satisfait.

    Simon, qui ne tient pas plaire, aimetoutefois paratre, et cela blesse gnrale-ment. Trs jeune, il tait faiseur; aujour-d'hui encore, il se met dans des embarrasd'argent. C'est un travers bien profond, puis-que moi-mme, pour l'en confesser, je prendsdes prcautions; pourtant notre dlice, lesecret de notre liaison, est de nous analyseravec minutie, et si nous tenons trs hautnotre intelligence, nous flattons peu notrecaractre.

    Sa dpense et son souci de la bonne tenuele rduisent de longs sjours dans la pro-prit de sa famille sur la Loire. La cuisine

  • y est intelligente, ses parents l'affectionnent;mais, faute de femmes et de secousses intel-lectuelles, il s'y ennuie par les chaudes aprs-midi. Je note pourtant qu'il me disait unjour J'adore la terre, les vastes champsd'un seul tenant et dont je serais propri-taire craser du talon une motte en lanantun petit jet de salive, les deux mains fonddans les poches, voil une sensation saine etorgueilleuse.

    L'observation me parut admirable, car jene souponnais gure cette sorte de sensibi-lit. Voil huit ans que, pour tre moi, j'aibesoin d'une socit exceptionnelle, d'exalta-tion continue et de mille petites amertumes.Tout ce qui est facile, les rires, la bonnehonorabilit, les conversations oiseuses mefont jaunir et biller. Je suis entr dans lemonde du Palais, de la littrature et de lapolitique sans certitudes, mais avec des mo-tions violentes, ayant lu Stendhal et trsclairvoyant de naissance. Je puis dire, qu'ensix mois, je fis un long chemin. J'observaismal l'hygine, je me dgotai, je partis puisje revins, ayant bu du quinquina et adorant

  • Renan. Je dus encore m'absenter les lar-moiements idalistes cdrent aux petits faitsde Sainte-Beuve. En 86, je pris du bromure;je ne pensais plus qu' moi-mme. Dyspep-sique, un peu hypocondriaque, j'appris avecplaisir que Simon souffrait de coliques n-phrtiques. De plus, il n estime au mondeque M. Cokson, qui a trois yachts, et, dansles lettres, il n'admet que Chateaubriand aucongrs de Vrone ce qui plait mon dgotuniversel. Enfin Paris, quand nous djeu-nons ensemble, il a le courage de me direvers les deux heures Je vous quitte puis, s'il fume immodrment, du moinsblme-t-il les excs de tabac. Ces deux pointsm'agrent spcialement, car moi, je demeuresans dfense contre des jeunes gens rsolusqui m'accaparent et m'imposent leur gros-sire hygine.

    C'est dans quelques promenades de sant,coupes de fraiches ptisseries au rond-pointde l'Etoile, que je touchai les penses intimesde Simon, et que je dcouvris en lui cettesensibilit, peu pousse mais trs complte,qui me ravit, bien qu'elle manque d'pret.

  • Nous dcidmes de passer ensemble lesmois d't Jersey.

    Cette villgiature est mprisable mauvaiscigares, fadeur des pturages suisses, mdio-crits du bonheur.

    Nous emes la faiblesse d'emmener avecnous nos matresses. Et leur vulgarit nousdonnait un malaise dans les petits wagonsjersiais bonds de gentilles misses.

    A Paris, nos amies faisaient un appareil-lage trs distingu belles femmes, jolisteints; ici, rapidement engraisses: elles secongestionnrent. Elles riaient avec bruit etmarchaient sottement, ayant les pieds meur-tris. Dans notre monotone chalet, au bordde la grve, le soir, elles protestaient avecune sorte de piti contre nos analyses etdductions, qu'elles dclaraient des niaiseries( cause que nous avons l'habitude de remon-ter jusqu' un principe vident) et inconve-nantes (parce que nous rivalisons de sincritfroide).

    Ah 1 ces homards de digestion si lente,dont nous souffrlmes, Simon et moi, durant

  • les longues aprs-midi de soleil, en face del'Ocan qui fait mal aux yeux1 Ah ce thdont nous abusmes par engouement1

    Un soir, au casino, nous rencontrmescinq camarades qui avaient bien dne et quiriaient comme de grossiers enfants. Ils serjouissaient citer le nom familial de telcommerant de la localit, et patoisaient lajersiaise. Ils invitrent le capitaine du bti-ment de Granville-Jersey boire de l'alcool,puis ils parlrent de la territoriale.

    Ils furent cordiaux nos femmes leur plu-rent Simon n'ouvrit pas la bouche. Moi,par urbanit, je tchais de rire chaque foisqu'ils riaient.

    Avant de nous coucher, mon ami et moi,seuls sur le petit chemin, prs de la plage ose reutait l'immense fentre brutalementclaire de notre salon, dans la vaste rumeurdes flots noirs, nous cotmes une rellesatisfaction piloguer sur la vulgarit desgens, ou du moins sur notre impuissance les supporter.

    0 ~t0t, disions-nous l'un et l'autre, Afot,

  • cher enfant que je cre chaque jour, par-donne-nous ces frquentations misrablesdont nous ne savons t'pargner l'nerve-ment.

    A djeuner, le lendemain, Simon, qui esttrs dpensier, mais que les gaspillages d'au-trui dsobligent, fit remarquer son amiequ'elle mangeait gloutonnement. Dj lemme dfaut de tenue m'avait choqu chezma matresse, et je pris texte de l'occasionpour faire une courte morale. Elles s'empor-trent, et tous deux, par des clignementsd'yeux, nous nous signalions leur grossi-ret.

    Vers deux heures, tandis qu'elles allaientdans les magasins, une voiture nous condui-sit jusqu' la baie de Saint-Ouen.

    Nous emes d'abord la sensation joyeusede voir, pour la premire fois, cette plagetroite et furieuse, et nous nous asstmesauprs de l'cume des lames brises. Puisune tasse de th nous raffermit l'estomac.Nous tions bien servis, par un temps tide,

  • sur la faade nette d'un htel trs neuf,parmi cinq ou six groupes lgants et mod-rs. Je surveillais le visage de Simon latroisime gorge je vis sa gravit se dtendre.Moi-mme je me sentais dispos.

    N'est-ce pas, lui dis-je, la premireminute agrable que nous trouvons Jersey ?PIl n'tait pourtant pas difficile de nous orga-niser ainsi. Quoi en enet? un joli temps(c'est la saison), de l'inconnu (le monde enest plein), une tasse de th qui encouragenotre cerveau (i fr. 50).

    Tu oublies, me dit-il, deux autres plai-sirs l'analyse que nous fmes, hier soir, denotre ennui, et l'clair de ce matin, table,quand nous nous sommes surpris souffrir,l'un et l'autre, de l'impudeur de leurs apptits.

    Arrte m'crial-je, car j'entrevois unepiste de pense.

    Et, riant de la joie d'avoir un thme mditer, nous courmes nous installer surun rocher en face de l'Ocan sal. Au boutd'une heure, nous avions abouti aux principessuivants, que je copiai le soir mme avantde m'endormir

  • PREMIER PRINCIPE Nous ne sommes jamaissi heureux que dans l'exaltation

    DEUXIME PRINCIPE Ce qui augmente beau-coup le plaisir de ~c~t~a~o/t, c'est de ~a~a-lyser.

    La plus faible sensation atteint nousfournir une joie considrable, si nous enexposons le dtail quelqu'un qui nous com-prend demi-mot. Et les motions humi-liantes elles-mmes, ainsi transformes enmatire de pense, peuvent devenir volup-tueuses.

    CONSQUENCE Il faut sentir le plus possibleen analysant le plus possible.

    Je remarque que, pour analyser avec cons-cience et avec joie mes sensations, il mefaut l'ordinaire un compagnon.

    Je me rappelle les dtails et toute la phy-sionomie de cette longue sance que nouslimes, couchs dans la brise purifiante etvirile de l'Ocan. Nos intelligences taientlucides, tonines par le bel air, soutenues parle th. J'ajouterai mme que Simon s'loignaun instant sous les roches fraches, ce dont

  • je le flicitai, en l'enviant, car la nourritureet l'air des plages entravaient fort la rgularitde nos digestions, o nous nous montrmestoujours capricieux.

    Le mme soir, vers onze heures, runisauprs de r os femmes dans le petit salon denotre frle villa, je disais Simon, avec lafranchise un peu choquante des heures denuit

    Je t'avouerai que souvent je songeai entrer en religion pour avoir une vie traceet aucune responsabilit de moi sur moi.Enferm dans ma cellule, rsign l'irrpa-rable,je cultiverais et pousserais au paroxysmecertains dons d'enthousiasme et d'amertumeque je possde et qui sont mes dlices. Jefus dtourn de ce cher projet par la ncessitd'tre extrmement nergique pour l'excuter.Mme je me suis arrt de souhaiter franche-ment cette vie, car j'ai. souponn qu'elledeviendrait vite une habitude et remplie demesquineries rires de sminaristes, contactsde compagnons que je n'aurais pas choisis etparmi lesquels je serais la minorit.

  • Nos femmes, en m'entendant, se mirent blasphmer, par esprit d'opposition, et sefrapper le front, pour signifier que je drai-sonnais.

    C'est trange, rpondit Simon, que jene t'aie pas connu ce got pendant des an-nes. Je pensais il est aimable, actif, chan-geant, toutes les vertus de Paris, mais il nesent rien hors de cette ville. Moi, c'est lacampagne, des chiens, une pipe et les notionsabondantes et froides de Spencer dbrouillerpendant six mois.

    Erreur 1 lui dis-je, tu t'y ennuyais. Nousavons l'un et l'autre vtu un personnage.J'affectai en tous lieux, d'tre pareil auxautres, et je ne m'interrompis jamais de lesddaigner secrtement. Ce me fut toujoursune torture d'avoir la physionomie mobile etles yeux expressifs. Si tu me vis, sous l'ildes barbares, me prter vingt groupesbruyants et divers, c'tait pour qu'on me lais-st le rpit de me construire une vision per-sonnelle de l'univers, quelque rve mataille, o me rfugier, moi, homme libre.

  • Ainsi revenions-nous nos principes del'aprs-midi, et convenir que nous avonst crs pour analyser ros sensations, etpour en ressentir le plus grand nombre pos-sible qui soient exaltes et subtiles. J'entraidans la vie avec ce double besoin. Notrevertu la moins contestable, c'est d'tre clair-voyants, et nous sommes en mme tempsardents avec dlire. Chez nous, l'apaise-ment n'est que dbilit il a toute la tris-tesse du malade qui tourne la tte contre lemur.

    Nous possdons la un don bien rare denoter les modifications de notre moi, avantque les frissons se soient euacs sur notrepiderme. Quand on a l'honneur d'tre, unpareil degr, passionn etrnchi. il faut soi-gner en soi une particularit aussi piquante.Raffinons soigneusement de sensibilit et d'a-nalyse. La besogne sera aise, car nos besoins, mesure que nous les satisfaisons, croissenten exigences et en dlicatesses, et seule, cettemthode saura nous faire toucher le bon-heur.

  • G est ainsi que Simon et moi, par emballe-ment, par oisivet, nous dcidmes de tenterl'exprience,

    Courons la solitude Soyons des nouveau-ns Dpouills de nos attitudes, oublieux denos vanits et de tout ce qui n'est pas notreme, vritables librs, nous crerons uneatmosphre neuve, o nous embellir par desagaces exprimentations.

    Ds lors, nous vcmes dans le lende-main et chacune de nos rflexions accrois-sait notre enivrement. Dsormais nousaurons un cur ardent et satisfait , nousaffirmions-nou,s l'un l'autre sur la plage,car nous avions sagement dcid de pro-cder par affirmation. Cette sole est trsfrache. votre matresse, dlicieuse. medisait jadis un compagnon d'ailleurs mdio-cre, et grce son ton premptoire la saucepassait lgre, je jouissais des biens de lavie.

    Dans la liste qu'une agence nous fit tenir,nous choismes, pour la louer, une maison

  • de matre, avec vaste jardin plant en bois eten vignes, sise dans un canton dlaiss, cinq kilomtres de la voie ferre, sur les con-fins des dpartements de Meurthe-et-Moselleet des Vosges. Originaires nous-mmes deces pays, nous comptions n'y tre distraitsni par le ciel, ni par les plaisirs, ni par lesmurs. Puis nous n'y connaissions personne,dont la gentillesse pt nous dtourner denotre gnreux gotisme.

    C'est alors que, corrects une suprme foisenvers nos tristes amies, qui furent tour tour ironiques et mues, nous passmes Paris liquider nos appartements et notre situa-tion sociale. Nous sortmes de la grande villeavec la joie un peu nerveuse du portefaix quivient de dlivrer ses paules d'une chargetrs lourde. Nous nous tions dbarrasss dusicle.

    Dans le train qui nous emporta. vers notreretraite de Saint-Germain, ;ar Bayon (Meur-thc-et-MoselIe), nous mditions le chapitre xxdu livre 1er de l'Imitation, qui traite De.l'amour de la solitude et du silence . Etpour nous dlasser de la prodigieuse sensibilit

  • de ce vieux moine, nous tablissions notrebudget ( 1~.000 francs de rente). Malgr quel'odeur de la houille et les visages des voya-geurs, toujours, me bouleversent l'estomac,l'avenir me paraissait dsirable.

  • CHAPITRE II

    MDITATION SUR LA JOURNE DE JERSEY

    Cette journe de Jersey fut purile en plusd'un instant, et pas trs nette pour moi-mme. Comment accommoder cette hainemystique du monde et cet amour de l'agi-tation qui me possdent galement 1 C'est Jersey pourtant, nerveux qui chicanions aubord de l'Ocan, que j'approchai le plus d'untat hroque. Je tendais me dgager demoi-mme. L'amour de Dieu soulevait mapoitrine.

    Je dis Dieu, car de l'closion confuse quise fit alors en mon imagination, rien n'ap-proche autantque l'ardeur d'une jeune femme,

  • chercheuse et comble, lasse du monde qu'ellene saurait quitter et qui, dvote, s'agenouilleen vous invoquant, Marie Vierge et ChristDieu r Ces cratures-la, puisqu'elles noustroublent, ne sont pas parfaites, mais lacivilisation ne produit rien de plus int-ressant. Les vieux mots qui leur sont familiersembelliront notre malaise, dont ils donnent enmme temps une figure assez exacte.

    Hlas les contrarits d'o sortit mon tatde grce, je vois trop nettement leur mdio-crit pour que mon rve de Jersey n'ait trsvite perdu mes yeux ce caractre religieuxque lui conservent mes vocables. Jamais rienne survint en mon me qui ne ft embarrassde mesquineries. Amertume contre ce qui est,curiosit dgote de ce que j'ignore, voilpeut-tre les tiges fltries de mes plus bellesexaltations r

  • Avant cette journe dcisive, dj la grucem'avait visit. J'avais dj entrevu mon Dieuintrieur, mais aussitt son mouvante images'emplissait d'ombre. Ces flirts avec le divinme ternissaient le sicle, sans qu'ils modi-fiassent srieusement mon ignominie. C'estpar le ddain qu'enfin j'atteignis l'amour.Certes, je comprenais que seul le dgotprventif l'gard de la vie nous garantit detoute dception, et que se livrer aux chosesqui meurent est toujours une diminutionmais il fallut la rvlation de Jersey, pourque je prisse le courage de me conformer ces vrits souponnes, et de conqurir parla culture de mes inquitudes l'embellissementde l'univers. C'est en m'aimant infiniment,c'est en m'embrassant, que j'embrasserai leschoses et les redresserai selon mon rve.

    Oui, dj j'avais t travers de ce dlired'animer toutes les minutes de ma vie. Sur

  • les petits carnets o je note les pointes de messensations pour la curiosit de les prouver nouveau, quand le temps tes aura mousses,je retrouve une matine de juillet que, malade,vraiment puis, tant mon corps tait rompuet mon esprit lucide d'insomnie, je m'taisfait conduire la bibliothque de Nancy,pour lire les Exercices ~t/Mc~ d'Ignace deLoyola. Livre de scheresse, mais infinimentfcond, dont la mcanique fut toujours pourmoi la plus troublante des lectures; livre dedilettante et de fanatique. 11 dilate

    .mon scep-ticisme et mon mpris; il dmonte tout cequ'on respecte, en mme temps qu'il rcon-forte mon dsir d'enthousiasme il sauraitme faire homme libre, tout-puissant sur moi-mme.

    Alors que j'tais ainsi mordu par ce cherengrenage, des militaires passrent sur lesdix heures, revenant de la promenade mati-nale, avec de la poussire, des trompettesretentissantes et des gamins admirateurs. Etnous, ceux de la bibliothque, un prtre, unpetit vieux, trois tudiants, nous nous pen-chmes des fentres de notre palais sur ces

  • hommes actifs. Et l'orgueil chantait ~dans matcte Tu es un soldat, toi aussi tu esmille soldats, toute une arme. Que leurstrompettes leves vers le ciel sonnent unhallaH 1 Tiens en main toutes les forces quetu as, afin que tu puisses, par des comman-dements rapides, prendre soudain toutes lesfigures en face des circonstances. Et, fr-missant jusqu' serrer les poings du dsir dedominer la vie, je me replongeai dans l'tudedes moyens pour possder les ressorts de monme comme un capitaine possde sa com-pagnie. Quelque jour, un statisticiendressera la thorie des motions, afin quel'homme volont les cre toutes en lui ettoutes en un mme moment.

    Et puis ce fut la vie, car il fallut agir etje me rappelle cette douloureuse matine oje vis un de ma race, mais ayant toujoursrsist l'apptit de se dtruire, qui me disaitdans un accs d'orgueil Ma tte est unemerveilleuse machine penses et phrasesjamais elle ne s'arrte de produire avecaisance des mots savoureux, des images pr-cises et des ides Imprieuses c'est mon

  • royaume, un empire que je gouverne. Etmoi, tandis qu'il marchait dans l'appartement,j'tais assombri et congel par le bromure,au point que je n'avais pas la force de luirpondre, et je me raidissais, avec un' eflorttrop visible, pour sourire et pour paratrealerte. Et je revins midi, seul, par la longuerue Richelieu (une de ces rues troites quime donnent un malaise), plus accabl et plusinconscient, mais convaincu, au fond de mondcouragement, que le paradis c'est d'treclairvoyant et fivreux.

  • Je m'carte parmi ces souvenirs. C'est quej'y apprends connatre mon tempramment,ses hauts et ses bas. Voil les soucis, lesnuances o je reviens, sitt que j'ai quelquesloisirs. Je veux accueillir tous les frissons del'univers je m'amuserai de tous mes nerfs.Ces anecdotes qui vous paraissent peu dechose, je les ai choisies scrupuleusement dansle petit bagage d'motions qui est tout monmoi. A certains jours, elles m'intressentbeaucoup plus que la nomenclature desempires qui s'effondrent. Elles me sontHlne, Cloptre, la Juliette sur son balconet Mlle de Lespinasse, pour qui jamais ne selasse la tendre curiosit des jeunes gens.

    Belle paix froide de Saint-Germain 1 C'estl que mon cur chauff sans trve retrou-vera et s'assurera la possession de ces frissonsobscursqui, parfois, m'ont travers pour m'in-diquer ce que je devais tre!1 Ma faiblesse

  • jusqu' cette heure n'a pu forcer se ralisercet esprit mystrieux qui se dissimule en moi.Maisj~ le saisirai, et je dpartirai sa beaut l'univers, qui me fut jusqu'alors mdiocrecomme mon me.

    Mais, dira-t-on, Simon, qu'intressent lavie (amour des forts et du confort) et laprcision scientifique (philosophie anglaise),comment s'associait-il vos aspirations ?

    Je pense qu'tant fort nerveux et compr-hensif, il vibrait avec mes nergies quellesqu'elles fussent. Puis il billait de sa vie Mmxargent ni ambition.

    Mais pourquoi m'inquiterais-jed'expliquercette me qui n'est pas la mienne ?P Il suffitque je vous le fasse voir, aux instants o, mecomparant lui, vous y gagnerez de memieux connattre.

  • LIVRE DEUXIME

    L'GLISE MILITANTE

  • LIVRE DEUXIMEL'GLISE MILITANTE

    CHAPITRE HI

    INSTALLATION

    Le lendemain de notre arrive, vers lesneuf heures, quand le paysage, dans la fran-chise de son rveil, n'a pas encore vtu lasplendeur du midi ou ces mollesses du cou-chant qui troublent l'observateur, nous tu-dimes la proprit, et sa saine banalit nousagra.

    Btie sur un vieux monastre dont lesruines l'enclosent et l'ennoblissent, elle occupele sommet et les pentes peles d'une cte vol-canique. Et cette lgende de volcan, dans nos

  • promenades du soir, nous invitait des rve-veries gologiques, toujours teintes de m-lancolie pour de jeunes esprits plus richesd'Imagination que de science. Nos fentresdominaient une vaste cuvette de terres labou-res, sans eau, et dont la courbe solennellemenait jusqu' l'horizon des fentres silen-cieuses. Dens la transparence du soleil cou-chant, parfois, les Vosges minuscules et tristesapparaissaient tasses dans le lointain. Sur unautre ballon trs proche, le village dployaitsa rue morne et l'glise au milieu destombes dominait le pays.

    Cette mise en scne, si compltement pri-ve de jeunesse, devait mieux servir nossvres analyses que n'eussent fait les somp-tuosits nergiques de la grande nature, lamollesse belltre du littoral mditerranen,ou mme ces plaines d'tangs et de roseauxdont j'ai tant aim la rsignation grelottante.Les vieilles choses qui n'ont ni gloire, nidouceur, par leur seul aspect, savent mettretoutes nos penses leur place.

  • Installation matrielle

    En une semaine nous f.mes organiss.Un gars du village, ancien ordonnance

    d'un capitaine, suffit notre service.Quand il s'agit de choisir les chambres de

    sommeil et de mditation, Simon, que je croisun peu apoplectique, voulut avoir de grandsespaces sous les yeux. Pour moi, uniquementcurieux de surveiller mes sensations, et quidsire m'anmier, tant j'ai le got des fris-sons dlicats, je considrai qu'une branched'arbre trs maigre, frlant ma fentre et queje connatrais, me sumrait.

    La salle manger nous parut parfaite, dsqu'un excellent pole y fut install. Dans labibliothque o nous agitmes des problmespar les nuits d'hiver, on mit un grand bureaudouble o nous nous faisions vis--vis, avecchacun notre lampe et notre fauteuil Voltaire,

  • pour faire nos recherches ou rdiger, puis,au coin de, ta chemine, deux ganaches pourla mtaphysique des problmes.

    La pice voisine tait tapisse de livres,mls et contradictoires comme toutes cesfivres dont la bigarrure fait mon me. SeulBalzac en fu!~ exclu, car ce passionn met envaleur les luttes et l'amertume de la viesociale; et, malgr tout, romanesques et defort apptit, nous trouverions dans son uvre, certains jours, la nostalgie de ce que nousavons renonc.

    Je m'opposai avec la mme nergie cequ'aucune chaise pntrt dans la maisonces petits meubles ne peuvent qu'incliner auxbasses conceptions l'honnte homme qu'ilsfatiguent. Je ne crois pas qu'un penseur aitjamais rien combin d'estimable hors d'unfauteuil.

    Tous nos murs furent blanchis la chaux.J'aime le mutisme des grands panneaux nuset mon me, raconte sur les murs par ledtail des bibelots, me deviendrait insuppor-table. Une ide que j'ai exprime, dsormais,n'aura plus mes intimes tendresses. C'est par

  • une incessante hypocrisie, par des manquesfrquents de sincrit dans la conversation,que j'arrive possder encore en moi unpetit groupe de sentiments qui m'intressent.Peut-tre qu'ayant tout avou dans ces pages,il me faudra tenter une volution de mon me,pour que je prenne encore du got moi-mme.

    Nous fmes des visites aux notables et quel-ques aumnes aux indigents. Et pour acqurirla considration, chose si ncessaire, nousrpandmes le bruit que, frres de lits diff-rents, nous tions ns d'un officier suprieuren retraite.

    Enfin, sur l'initiative de Simon, nous cau-smes des femmes. La femme, qui, toutesles poques, eut la vertu fcheuse de rendrebavards les imbciles, renferme de bons l-ments qu'un dlicat parfois utilise pour sefaire soi-mme une belle illusion. Toute-fois, elle fait un divertissement qui peut nuire notre concentration et compromettre lesexpriences que nous voulons tenter. Simon,ayant rflchi, ajouta

    Le malheur 1 c'est que nous avons perdul'habitude de la chastet 1

  • Avec son tact de femme, Catherine deSienne, lui dis-je, a trs bien vu, commenous, que tous nos sens, notre vue, notreoue et le reste s'unissent en quelque sorteavec les objets, de sorte que, si les objets nesont pas pt;rs,la virginit de nos sens se gte.Mais les objets sont ce que nous les faisons.Or, puisqu'il n'est pas dans notre programmede nous difier une grande passion, nevoyons dans la femme rien de troublant nide mystrieux dpouillons-la de tout celyrisme que nous jetons comme de longsvoiles sur nos troubles qu'elle soit pour nousvraiment nature. Cette' combinaison nouslaissera tout le calme de la chastet.

    Simon voulut bien m'approuver.C'est pourquoi nous sommes alls la

    messe. Et entre les jeunes personnes, nousavons distingu une fille pour sa frachesant et pour son imprsonnalit. Ses gesteslents et son regard incolore, quoique mali-cieux, sont bien de ce pays et de cetterace qui ne peut en rien nous distrairedu dveloppement de notre tre. Nous fimesdonc un arrangement avec la famille de

  • cette jeune fille, et nous en emes de lasatisfaction.

    Au soir de cette premire semaine, dansnotre cadre d'une simplicit de bon got,assis et souriant en face du paysage svreque dsolent la brume et le silence, nous r-solmes de couper. tout fil avec le monde etde brler les lettres qui nous arriveraient.

  • /~
  • tates et la discipline satisfont notre veined'asctisme et d'nervement. Il est bas, tristeet couvert de tuiles moussues. Une jolie suited'arceaux trilobs l'entourent,

    sous chacundesquels avait t sculpt un petit bas-relief.Quoique le temps les et dgrads, je voulusy distinguer la reine de Saba en face du roiSalomon. Une ceinture de cuir serre la taillede la reine; sa robe entr'ouverte sur sa gorgelaisse deviner une ligne de chair, et cela meparut troublant dans une si vieille chose.

    Elle appuie contre sa figure les plis de saplerine, et je me dsolai frquemmentavecelle, pensant avec complaisance qu'elle nefut pas plus fausse ni coquette avec ceroi, que je ne le suis envers moi-mmequand je donne ma vie une rgle mona-cale.

    C'est l qu'au matin nous descendions,tandis qu'on prparait nos chambres; et cem tait un plaisir parfait d'y saluer Simon,d'un geste poli, sans plus, car nous prati-quions la rgle du silence jusqu'au repas dusoir pris en commun.

    L'aprs-midi, o je n'ai jamais pu m'appli-t

  • quer, tant il est dUncile de tromper la m-chancet dca digestions, c'tait apros le djeu-ner, une fumerie (en plein air, quand il n'ya pas do vent), une promenade jusqu'deux heures, une partie de volant dans leclotre, comme faisaient, pour se dlasser,Jansniua et M. de Saint-Cyran,

    du reposdans un fauteuil balanc, puis un nouveaucigare,

    ~une mditation l'glise, suivie

    d une petite promenade, '- quatre heures,la rentre en cellule. (On notera que Simon,en dpit, d'une lgre tendance l'apoplexie,faisait la sieste jusqu' deux heures).

    Et cette grande varit de mouvement dansun si bref espace de temps nous portait, sanstrop d'ennui travers les heures crasantesdu milieu du jour

    A sept heures, dner en commun et fortavant dans la nuit, noua analysions nos sen-sations de la journe

    C'est dans l'une de ces confrences du soirque j'appelai ~attentionde Simon sur la n-cessit de nous enfermer,J. comme dans uncorser dans ~~ rgle plus troite encore,

  • dans un systme qui maintiendrait et fortt-fierait notre volont.

    Il ne suffit pas, lui disais-je, de fixerles heurea o nous mditerons; il faut fournirnotre cerveau d'images convenables. J'ai unsentiment d'inutilit, aucun ressort. Je crainsdemain saurait le vivincrP L'nergie fuitde moi comme trois gouttes d'essence sur lamain.

    Pour qu'il comprit cette anmie de monme, je lui rappelai un caf qui nous taitfamilier. Que de fois je suis sorti de la versles dix heures du aoir, dgot de fumer etavec des gens qui disaient des niaiseries Lesfeuilles des arbres taient lgrement clairesen dessous par le ga~ la pluie luisait sur lestrottoirs. Nous n'avions pas de but; j'taismcontent de moi, amoindridevant les autres,et je n'avala paa l'nergie de rompre l.Simon connaissait la sensation que je vou~lais dire, et il m'en donna dea exemples per-sonnels.

    Par contre lui dis~je, des niaiseriesmefirent dei soira suMionea. Une nui~ prs deendort je fu~app~ par c~ ide, qui

  • vous paratra fort ordinaire, que le Don, fleuvede Russie, tait l'antique Tanas des lgendeclassiques. Et cette notion prit en moi un'telle intensit, une beaut si mystrieuse qu'je dus, ayant allum, chercher dans la bibliothque une carte o je suivis ce fleuve ds s:sortie du lac, tout au travers du pays deCosaques. Grandi par tant de sicles interpo.ss, Orphe m'apparut errant
  • "'9'ttent dans nos mes, pour y veiller leurstypes.

    Les plus petits dtails, certains jours, re-.entissent infiniment en moi. Ces sensibilitsrop rares ne sont pas l'effet du hasard. Cher-cher pour les appliquer les lois de l'enthou-iiasme, c'est le rve entrevu dans notre cot-.age de Jersey.

  • P~t~e~'o~roMMp

    Combien je serais une machine admirablesi je savais mon secretI

    Nous n'avons chaque jour qu'une certainesomme de force nerveuse dpenser nous pro-fiteronsdes moments de lucidit de nos organes,et nous ne forcerons jamais notre machine,quand son tat de rmission invite au repos.

    Peut-tre mme surprendrons-nous ces r-gles fixes des mouvements de notre sang quiamnent ou cartent les priodes o notresensibilit est vif. Cabanis pense que parl'observation on arriverait changer, di-riger ces mouvements quand l'ordre n'en se-rait pas conforme nos besoins. Par des har-diesses d'hyginiste ou de pharmacien, nouspourrions nous mettre en situation de fournirtrs rapidement les tats les plus rares de l'mehumaine.

  • Enfin, si nous savions varier Avec minutieles circonstances o nous plaons nos facults,nous verrions aussittnos dsirs(qui ne sont queles besoins de nos facults) changer au pointque notre me en paraltra transforme. Etpour nous crer ces milieux, il ne s'agit pasd'user de raisonnements, mais d'une mthodemcanique nous nous envelopperons d'ima-ges appropries et d'un effet puissant, nous lesinterposerons entre notre me et le mondeextrieur si nfaste. Bientt, srs de notreprocde, nous pousserons avec clairvoyancenos motions d'excs en excs; nous conna-trons toutes les convictions, toutes les passionset jusqu'aux plus hautes exaltations qu'il soitdonn d'aborder l'esprit humain, dont noussommes, ds aujourd'hui, une des plus l~.gantes rductions que je sache.

    Les ordres religieux ont cr une hyginede l'me qui se propose d'aimer parfaitementDieu une hygine analogue nous avanceradans l'adoration du Moi. C'est ici, Saint-Germain, un institut pour le dveloppementet la possession de toutes nos facults de

  • sentir; c'est ici un laboratoire de l'enthou-siasme. Et non moins nergiquement quetirent les grands saints du christianisme, pros-crivons le pch, le pch qui est la tideur,le gris, le manque de fivre, le pch, c'est--dire tout ce qui contrarie l'amour.

    L'homme idal rsumerait en soi l'univers;c'est un programme d'amour que je veux ra-liser. Je convoque tous les violents mouve-ments dont peuvent tre nervs les hommes;je paratrai devant moi-mme commela sommesans cesse croissante des sensations. Afin queje sois distrait de ma strilit et flatt dansmon orgueil, nulle fivre ne me demeurerainconnue, et nulle ne me fixera.

    C'est alors, Simon, que, nous tenant enmain comme un partisan tient son cheval etson fusil, nous dirons avec orgueil Je suisun homme libre.

  • CHAPITRE IV

    EXAMENS DE CONSCIENCE

    J'ai ferm la porte de ma cellule~ et moncoeur, encore troubl des nauses que luidonnait le sicle, cherche avec agitation.

    Connatre l'esprit de l'univers, entasser''motion de tant de sciences, tre secou par'e qu'il y a d'immortel dans les choses, cettepassion m'enfivre, tandis que sonnent lesheures de nuit. Je me couchai avec le dses-poir de couper mon ardeur je me suis levce matin avec un bourdonnementde joie dansle cerveau, parce que je vois des jours detranquillit tendus devant moi. Ma poitrine,

  • mes sens sont largement ouverts celui quej'aime l'Enthousiasme.

    Il ne s'agit pas qu'ayant accumul des no-tions, je devienne pareil un dictionnaire;mon bonheur sera de me contempler agit detous les frissons, et d en tre insatiable. Seuleflicit digne de moi, ces instants o j'adoreun Dieu, que grce ma clairvoyance crois-sante, je perfectionne chaque jour 1

    Pour ne pas succomber sous l'me univer-selle que nous allons essayer de dgager ennous, commenons par connatre les forces etles faiblesses de notre esprit et de notre corps.Il importe au plus haut point que nous tenionsen main ce double instrument, pour avoir uneconscience nette de l'motion perue, et pourpouvoir la faire apparatre a volont.

    Tel fut l'objet de nos confrences d'octobre.

  • ~.M~M ~A)~~Nous inspectmes d'abord nos organes de

    leur disposition rsulte notre force et notreclairvoyance.

    Un mdecin comptent que nous fmesvenir de la ville nous mit tout nus et nousexamina. Ce praticien, soigneusement, del'oreille et des doigts runis, nous auscultait,tandis que nous comptions d'une voix fortejusqu' trente; ainsi l'avait-il ordonn.

    Vous tes dlicats, mais sains.Telle fut son opinion, qui nous plut. Nous

    serions impressionns par une difformitaussipniblement que par un manque de tenue.C'est encore du lyrisme que d'tre boiteux oumanchot; il y a du panache dans une bosse.Toute affectation nous choque. Avoir lapituite ou une gibbosite!1 disait Simon, mais

  • j'aimerais autant qu'on me trouvt le tourd'esprit de Victor Hugo. Simon a bien dugot de rpugner aux tres excessifs cesmonstres ne peuvent juger sainement la vieni les passions. Un esprit agile dans un corpssimplifi, tel est notre rve pour assister la vie.

    Tandis qu'H se rhabillait, Simon se rappelaavoir bu diverses pharmacies et qu'il manquad'esprit de suite. Pour moi, ayant dbut dansl'existence par l'huile de foie de morue, j'al-ternai vigoureusement les fers et les quinqui-nas mais toujours me rpugna le grand airqui seul m'et tonifi sans m'chauner.

    Maigres l'un et l'autre, mais lui plus mus-culeux, nous naquimes dans des familles ner-veuses, la sienne apoplectique du ct deshommes et bizarre par les femmes. Ses sen-sations se poussent avec une violente vivacitdans des sens divers. Ses mouvements sontbrusques, et prteraient parfois au ridiculesans sa parfaite ducation. Il est bilieux.

    A la campagne, me dit-il, fumant mapipe en plein air, fouaillant mes chiens et

  • criant aprs eux, ds les six heures du matin,je jouis, je respire l'aise.

    Cabanis observe, en effet, que l'abondancede bile met une chaleur cre dans tous lecorps, en sorte que le bilieux trouve le bien-tre seulement dans de grands mouvementsqui emploient toutes ses forces. Ce mdecinphilosophe ajoute que, chez les hommes de cetemprament, l'ac~t'~ ~M coeHr est excessiveet exigeante.

    J'entends bien, me rpond en souriantSimon mes journes ne sont heureuses qu'enprovince, mes nuits ne sont agrables qu'Paris. Cette ville toutefois diminue ma forcemusculaire. Des occupations sdentaires,l'exercice exclusifdes organes internes entra-nent des dsordres hypocondriaques et ner-veux. Oh!1 la fcheuse contraction de monsystme pigastrique Ma circulation s'alan-guit jusqu' faire hsiter ma vie. Je perdscette conscience de ma force que donnent tou-jours une chaleur active et un mouvementrgulier du cerveau, et qui est si ncessairepour venir bout des obstacles de la vieactive. C'est ainsi que tu me vis indiffrent

  • aux ambitions, que tu poursuivais tout aumoins par saccade.

    Eh lui dis-je, crois-tu que je ne les aipas connues, au milieu de mes plus bellesnergies, ces hsitations et ces rserves 1 Toi,Simon, bilio-neveux, tu mles une incerti-tude Apre cette multiple nergie crbralequi nalt de ton .at nerveux. Cette complexitest le point extrme o tu atteins sous l'actionde Paris, mais elle fut ma premire tape. Jesuis n tel que cette ville te fait. Chez moi,d'une activit musculaire toujours nulle, lesystme crbral et nerveux a tout accapar.Dans ce dfaut d'quilibre, les organes in-galement vivifis se sont altrs, la sensibilitalla se dnaturant. C'est l'estomac qui partitle premier. J'offre un phnomne bien connudes philosophes de la mdecine et des direc-teurs de conscience je passe par des alterna-tives incessantes de langueur et d'exaltation.C'est ainsi que je fus pouss cette sried'expriences, o je veux me crer une exal-tation continue et proscrire jamais les abat-tements. Dans ma dfaillance que rendextrme l'impuissance de mes muscles, parfois

  • une excitation passagre me traverse en cesinstants, je sens d'une manire heureuse etvive; la multiplicit et la promptitude de mesides sont incomparables elles m'enchantentet me tourmentent. Ah1 que ne puis-je lesfixer jamaisSi l'aube, elles se retirent,me laissant dans l'accablement, c'est que jen'ai pas su les canaliser; si, au soir, je lesattends en vain, c'est que je n'ai pas surprisle secret de les voquer. Je te marque lquelle sera notre tche de Saint-Germain.

    Nous sommes l'un et l'autre des mlanco-liques. Mais faut-il nous en plaindre? Admi-rable complication qu'a note le savant 1 Lesapptits du mlancolique prennent plutt lecaractre de la passion que celui du besoin.Nous anoblissons si bien chacun de nos be-soins que le but devient secondaire c'est dansnotre apptit mme que nous nous complai-sons, et il devient une ardeur sans objet, carrien ne saurait le satisfaire. Ainsi sommes-nous essentiellement des idalistes.

    De cet tat, disent les mdecins, sortentdes passions tristes, minutieuses, personnelles,des ides petites, troites et portant sur les

  • objets des plus lgres sensations. Et la vies'coule, pour ces sujets, dans une successionde petites joies et de petits chagrins qui don-nent a toute leur manire d'tre un caractrede purilit, d'autant plus frappant qu'on l'ob-serve souvent chez des hommes d'un espritd'ailleurs fort distingue

    N'en doutons pas, voil comment nous jugele docteur qui, tout a l'heure, nous auscultait.Passions tristes, dit-il; -mais garder de l'unievers une vision ardente et mlancolique, sepeut-il rien imaginerde mieux? Minutieuses etpersonnelles; c'est que nous savons, fairetepir l'infini dans une secondede nous-mmes.Nos raisonnements tortueux demeurentincom-plets, c'est que l'motion nous a saisis audtour d'une dduction, et ds lors a rendutoute logique superflue. Il ne faut pas deman-~der ici des raisonnements quilibrs. Je n'a;souci que d'tre mu,

    Et flicitons-nous, Simon toi, d'tredevenu mlancolique; et moi, d'avoir t an-mi par les veilles et les dyspepsies. Flici-tons-nous d'tre dbilits, car toi, bilieux, tuaurais t satisfait par l'activit du gentils

  • homme campagnard, et moi, nerveux dlicat,je serais simplement distingu. Mais parce quel'activit de notre circulation tait affaiblie,notre systme veineux engorg, tous nos actesaccompagnsde gne et de travail, nous avonsmis l'ge mr dans la jeunesse. Nous n'avonsjamais connu rirrucxion des adolescents,leurs gambades ni leurs dportements. La vietoujours chez nous rencontra des obstacles.Nous n'avons pas eu le sentiment de la force,cette nergievitale qui pousse le jeune hommehors de lui-mme. Je ne me crus jamais invin-cible. Et en mme temps, j'ai eu peu de con-fiance dans les autres. Notre existence, quipeut paratre triste et inquite, fut du moinsclairvoyante et circonspecte. Ce sentiment denos forces mousses nous engage vivement ne ngliger aucune de celles qui nous restent, en augmenter l'effetpar un meilleur usage, lesfortifier de toutes les ressourcesde l'exprience.

    Tel est notre corps, nous disions-nous l'un l'autre, et c'est un des plus satisfaisantsqu'on puisse trouver pour le jeu des grandesexpriences.

  • ~MM~~f)~/

    Nous contir umes notre examen et lais-sant notre corps, nous cherchions clairernotre conscience.

    Silencieux et retirs, d'pres un plan m-thodique, nous avons passe n revue nospchs, nos manques d'amour. A ce trs longlabeur je trouvai infinimentd'intrt.Et Simon,au dner du dernier jour, une heure avant laconfession solennelle, me disait

    -i

    Aujourd'hui, comme le malade arrive connattre la plaie dc~t il sounre et qu'il ins-pecte a toute minute, je suis obsd de lalaideur qu'a prise mon me au contact deshommes.

    Nous avions dcide de passer nos fracs, cra-vates noires, souliers vernis, de boi~e du then gotant des sucreries, et de nous coucher

  • seulement l'aube, afin de marquer cettegrande journe de quelques traits singuliersparmi l'ordinaire monotonie de notre retraite(car il faut considrer qu'un dcor trop fami-lier rapetisse les plus vives sensations).

    Quand nous fmes assis dans les deux ga-naches de la chemine, toutes lampes allumeset le feu trs clair, Simon, qui sans douteattachait une grande importance ces pre-mires dmarches de notre rgnration, taitmu, au point que, d'nervement presquedouloureux ml d'hilarit, il fit, avec sesdoigts crisps en l'air, le geste d'un pitep-tique.

    Je notai cela comme un excellent signe, etje sentis bien les avantages d'tre deux, carpar contagion je gotai, avant mme les pre-miers mots, une chaleur, un entrain un peugrossier, mais trs curieux.

    Et d'abord parcourons, lui dis-je, les lieuxo nous avons demeur.f DANS LE OROUM! M LA ~AMtLLt! (c'CSt-a-dire au milieu de ces relations que je ne mesuis pas faites moi-mme), j'ai pch

  • Par pense (les pchs par pense sont lesplus graves, car la pense est l'homme mme)c'est ainsi que je m'abaissai jusqu' avoir desprjugs sur les situations sociales et que jerespectai malgr tout celui qui avait russi.Oui, parfois j'eus cette honte de m'enfermerdans les catgories.

    Par parole (les pchs par parole sontdangereux, car par ses paroles on arrive s'influencer soi-mme); c'est ainsi que j'ai dit,pour ne point paratre diffrent millephrases mdiocres qui m'ont fait Fam plusmdiocre.

    Par ceMt~ (les pchs par uvre, c'est--dire les actions, n'ont pas grande importance,si la pense proteste) toutefois il y a des casainsi, le tort que je me fis en me refusant unfauteuil oreillettes o j'aurais mdit plusnoblement.

    2~ DANS LA VIE ACTIVE (c'est--dire au milieude ceux que j'ai connus par ma propre initia-tive), j'ai pch

    Par pense m'tre proccup de l'opinion.Je fus tent de trouver les gens moins ignoblesquand ils me ressemblaient.

  • Par parole avoir reni mon me, jolievolupt de rire intrieur, mais qui demande

    un tact infini, car l'me ne demeure intensequ' s'affirmer et s'exagrer toujours.

    Par ceM~rc n'avoir pas su garder mon iso-lement. Trop souvent je me plus inventerdes hommes suprieurs, pour le plaisir de leslouer et de m'humilier. C'est une fausse d-marche on ne profite qu'avec soi-mme,mditant et s'exasprant.

    Quand j'achevai cette confession, Simonme dit

    Il est un point o vous glissez qui im-porte, car nous saurions en tirer d'utiles ren-seignementspour telle manuvre importante

    vous avez eu un mtier.C'est juste, lui dis-je. Un mtier, quel

    qu'il soit, fait notre personnalit un fonde-ment solide; c'est toute une rserve de con-naissances et d'motions. J'avais pour mtierd'tre ambitieux et de voir clair. Je connaisparfaitement quelques cts de l'intrigue pari-sienne.

    Voulez-vous me donner des dtails sur

  • les hommes suprieurs que vous remarquiez ?Vou$ en parlez, ce semble, avec chaleur. Cesliaisons inteUectueUes expliquent quelquefoisnos attitudes de la vingtime anne.

    A dix-huit ans, mon me tait mpri-sante, timide et rvolte. Je vis un sceptiquecaressant et dune doneo~ innnio; en ratitil ne se laissa!! pas aborder,0 mon ami, de qui je tais le nom, auprsde votre dlicatessej'tais m~adroitet conf~aussi n'avez-vous pas compris combien je vouscomprenais; peut-tre vona n'avez paa jouides sductions qu'exerait sur mon esprit avidel'abondance de vos Dcnes~ Vou$ m

  • paule des paroles flatteuses dnues d'-pro-pos.

    Celui que je rencontrai ensuite tait ameret ddaigneux, mais son esprit, ardent et d-sintress, Je le vis orgueilleux de son vraimoi jusque s'humilier devant tous, pour quedu moins il no fut jamais trait en gaL Jel'adorais, mais, malades l'un et l'autre, nousne pmes nous supporter, car chacun de noussouSrait avec acuit d'avoir dans l'autre untmoin. Aussi avons-nous prfre du moinstel fut mon sentiment, car je ne veux mmeplus imaginer ce qu'il pensait

    oublier quenous noua connaissions et si, rusant avec lavie, je fis parfois des concessions, je n'avaisplus a m en impatienter que devant moi-mme.

    0 solitude, toi seule ne m'as pas avili tume feras des loisirs pour que j'avance dans lavoie des parfaits, et tu m'enseignerasle secretde vtir a volont des convicfiona diverses,pour que je sois l'image la plus compltepos-sible de l'univers. Solitude, ton sein vigou-reux morne~ ~'ai pu l'adofejn ma~j'~imanqua de d~cipUne, et ton ot~mte m'ava~

  • gris. Ne veux-tu pas m'enseigner prier m-thodiquement ?P

    Simon nia dit dans la suite que j'agisexcellemment parl. Mon motion l'enleva.Nous connmes, ce soir-l, une ardente bontenvers mille indices de beaut qui soupirenten nous et que la grossiret de la vie nelaisse pas aboutir. J'aspirais souffrir et frapper mon corps, parce que son paisse in-dolence opprime mes jolies dlicatesses.Comme je me connais impressionnable, jem'en abstins, et pourtant je n'eusse ressentiaucune douleur, mais seulement l'pre plaisirde la vengeance.Tout cela j'hsite le trans-crire ce ne sont pas des raisonnementsqu'ilfaudrait vous donner, mais l'motion mon-tante de cette scne laquelle je ne sais paslaisser son vague mystrieux. Qu'ils s'essayent repasser par les phases que j'ai dites, ceuxqui souponnent la sincrit de ma descrip-tion 1 Si mes habitudes d'homme rflchin'avaient retenu mon bras, j'eusse t ais-ment sublime, et frappant mon corps, j'auraisdit

    Souffre, misrable gmis, car tu es

  • s et aans i

    Infme de ne connatre que des instants d'mo-tion, rapides comme des pointes de feu.Souffre, et profondment, pour que ton Moi, cet veil brutal, enfin te soit connu. Tun'es qu'un infirme, somnolent sous la pluiede la vie. Depuis huit annes que tes sens sontbaigns de sensations, quell~ ardeur peux-tume montrer dont tu brles, quand il faudraitque tu fusses consum de toutes la fois etsans trve1 Mais comment supporterais-tucette belle ivresse, toi qui n'as pas mme unrel dsir d'tre ivre, encore que tu enfles tavoix pour injurier ta mdiocrit 1 Souffre donc,homme insuffisant, car tous sont meilleursque toi. Et si tu te vantes que leur sup-riorit t'est indiffrente, je ne t'autorisepas tirer mrite de ce renoncement iln'est beau d'tre misrable et d'aimer samisre qu'aprs s'tre dpouill volontaire-ment. ))

    Ah Simon, quel ennui! Que d'annes ex-cellentes perdues pour le dveloppement dema sensibilit t J'entrevois la beaut de moume, et ne sais pas la dgager 1 C'est un granddpit d'tre enferm dans un corps et dans un

  • sicle, quand on se sent les loisirs et le gotde vivre tant de vies 1

    Simon restait assis auprs du feu, cherchantle calme dam une raideur de nerfs, evidem-mM~ fort douloureuse. J'interrompis ma pro-menade, et n 'asseyant ses ctes :Faisonsla c~~MM~ion de /~n, lui dis-je.

    C'est aux exercices spirituels d'Ignace deLoyola, au plus surprenant des psychologues,que nous empruntons cette mthode, dont jeme suis toujours bien trouv.

    La vie est insupportable qui n'a pas tout heure aous la main un enthousiasme.Que si la grce noua est donne de ressentirune motion profonde, assurons-nous de laretrouver au premier appel. Et pour ce, rat-tachons-la, ft-elle de l'ordre mtaphysiquele plus haut, quelque objet matriel quenous puissions toucher jusque dans nos piresdnueanenta. Rduisons l'abstrait en imagesaensiblea. C'est ainsi que l'apprenti mcani-cien trace sur le tableau noir des signes con-ventionneit, pour &Mf la figure idale qu'ilc~ulc et qui toujoura est prs de lui chapper.

  • J'imaginerai un guidc-ane et toute unemncmotechnic, qui me permettront de re-trouver mon caprice les plus subtilesmotions que j'aurai l'honneur de me donner.Le monde sentimental, catalogu et condensen rbus suggestifs, tiendra sur les murs demon vaste palais intrieur, et m'enfermantdans chacune de ses chambres, en quelquesminutes de contemplation, je retrouverai lebeau frisson du premier jour. Surtout jeparviendrai fixer mon esprit. L'attentionramasse toute sur un mme point y augmenteinfiniment la sensibilit. Une douleur lgre,quand on la mdite, s'accroit et envahit toutl'tre. Si vous essayez de songer cettephrase abstraite J'ai manqu d'amourdans mes mditations, c'est pourquoi j'ai thumili , votre esprit dissip n'arrive pas l'motion. Mais allumez un cigare vers lesdix heures du soir, seul dans votre chambreo rien ne vous distrait, et dites

    CompO

  • poir et par impuissance, car il souffre delancinations sans trve que la morphine nematrise plus. Il sait sa mort assure, doulou-reuse et lente. Il gt loin de ses pairs, parmides hommes grossiers qui ont l'habitude derire avec bruit mme il en est arriv rougirde soi-mme, et pour plaire ces gens il avoulu paratre leur semblable.

    Dans cet abaissement, qu'il allume salampe, qu'il prenne les lettres des rois qui letraitent en amis, qu'il clbre le culte dontl'entoura sa matresse, jeune et de qui lesbeaux yeux furent par lui remplis jusqu'ausoir o elle mourut en le dsirant, qu'il oublieson infirmit et les gestes dont on l'entoure!1Voici que l'amour, celui qu'il aime, l'amourfrre de l'orgueil, rentre en lui, et ses pensesennoblies redeviennent dignes des grands quil'honorent, tendues et ddaigneuses.

    Ainsi s'achevait cette nuit. Silencieux etdsabuss, nous appuyions nos fronts auxvitres fraches. Sur la vaste cuvette des terresendormies, parmi les vapeurs qui s'tirent,l'aube commenait; alors, nous entreprmes,

  • dans le malaise de ce matin glac, l'exercicede la mort.

    Exercice de la mort

    Nous serons un jour (mais qui de nousdeux le premier?) meurtris par notre cercueil.nos mains jointes seront opprimes par desplanches cloues grand bruit; nos visagesd'humoristes n'auront plus que les marquespnibles de cette lutte dernire que chacuns'efforce de taire, mais qui, dans la plupartdes cas, est atroce. Ce sera fini, sans que cemoment suprme prenne la moindre gran-deur tragique, car l'accident ne parait singu-lier qu' l'agonisant lui-mme. Ce seratermin. Tout ce que j'aurai emmagasind'ides, d'motions, et mes conceptions sivaries de l'univers s'effaceront. Il convientdonc qu'au milieu de ces enthousiasmes sidsirs, nous n'oubliions pas d'en faire toutau fond peu de cas, et il convient en mmetemps que nous en jouissions sans trve.Jouissons de tout et htivement, et ne nousdisons jamais Ceci, des milliers d'hommesl'ont fait avant mol )); car, n'excuter que

  • la petite danse que la Providence nous arserve dans le cotillon gnral, nous ferionsune trop longue tapisserie. Jouissons et dan-sons, mais voyons clair. Il faut traiter touteschoses au monde comme les gens d'esprittraitent les jeunes filles. Les jeunes filles. aumoins e.. dsir, se sont prtes tous lesimbciles, et lors mme qu'elles sont viergesde dsir, croyez-vous qu'il n'existe pas unImbcile qui puisse leur plaire 1 Il faut faireun assez petit cas des jeunes mies, mais nousmouvoir les regarder, et nous admirer deressentir pour de si maigres choses un senti-ment aussi agrable.

    ColloqueCette haine du pch et cette ardeur versles choses divines que je viens de traverser, ce

    sont des instants furtifs de mon me, je les aianalyss; j'ai dmont ces sentiments h-roques, je saurais volont les recomposer.Unecentainede petites anecdotesgrossiresins-crites sur mon carnet me donnent srementles rves les plus exquis que l'humanit puisseconcevoir. Elles sont les clochers qui guident

  • le fidle jusqu' la chapelle o il s'agenouille.Mon me mcanise est toute en ma main,prte me fournir les plus rares motions.Ainsi je deviens vraiment un homme libre.

    Pourquoi, mon me, t'humilier, si de toi,pauvre dsoriente, je fais une admirablemcanique? Simon m'a dit, qu'enfant, ilsavait se faire pleurer d'amour pour safamille, en songeant la douleur qu'il cause-rait, s'il se suicidait. Il voyait son corpsabm, l'imprvu (~e cette nouvelle tombant aumilieu du souper, apporte par un parent quipeut peine se contenir, ces grands cris, cessanglots qui coupent toutes les voix pendanttrois jours. Et, prcisant ce tableau matrielavec minutie, il s'levait en pleurant sur soi-mme jusqu' la plus noble motion d'amourfilial le dsespoir de peiner les siens.

    Pourquoi les philosophes s'indigneraient-ils contre ce machinisme de Loyola? Grce des associationsd'ides devenues chez la plu-part des hommes instinctives, ne fait-on pasjcuer volont les ressorts de la mcaniquehumaine? Prononcez tel nom devant les plusignorants, vous verrez chacun d'eux prouver

  • des sensations identiques. A tout ce qui estpars dans le monde, l'opinion a attach unefaon de sentir dtermine, et ne permetgure qu'on la modifie. Nous prouvons dessentiments de respectueuse motion devantune centaine d'anecdotes ou devant de sim-ples mots peut-tre vides de ralit. Voil lamcanique laquelle toute culture soumetl'humanit, qui, la plupart du temps ne seconnat mme point comme dupe. Et moiqui, par une mthode analogue, aussi artifi-cielle, mais que je sais telle, m'ingnie meprocurer des motions perfectionnes, vousviendriez me blmer 1 L'humanit s'meutsouvent son dommage, tant elle y porte unedplorable conviction; quant moi, sachantque je fais un jeu, je m'arrterai presquetoujours avant de me nuire.

  • CHAPITRE V

    LES INTERCESSEURS

    Ayant touch avec lucidit nos organes etnos agitations familires sachons utiliser cetteenqute. Que notre me se redresse et quel'univers ne soit plus dform 1 Notre me etl'univers ne sont en rien distincts l'un del'autre ces deux termes ne signifient qu'unemme chose, la somme des motions possi-bles.

    Hlas 1 devant un immense labeur, monardeur si intense dfaille. Comment, sansm'garer, amasser cette somme des motionspossibles ? Il faut qu'on me secoure, j'appelledes t~crc~cur~.

  • 11 est, Simon, des hommes qui ont runiun plus grand nombre de sensations que lecommun des tres. Echelonns sur la voiedes parfaits, ils approchent des degrs diversdu type le plus complet qu'on puisse conce-voir ils sont voisins de Dieu. Vnrons-lescomme des saints. Appliquons-nous repro-duire leur~ vertus, afin que nous approchionsde la periection dont ils sont des fragmentsde grande valeur.

    Aisment nous nous faonnerons leurimitation, maintenant que nous connaissonsnotre mcanisme.

    D'ailleurs, il ne s'agit que de trouver ennous les vertus qui caractrisent ces parfaitset de les dgager des scories dont la vie lesa recouvertes. Comme une jolie figure, qu'un

    cmatre peignit et que le temps a remplied'ombre, rapparat sous les soins d'unexpert, ainsi, par ma mthode et ma pers-vrance, rapparatront ma vritable personneet mon univers enfouis sous l'injure des bar-bares.

    Courons ds aujourd'hui rendre a cesprinces un hommage rflchi. Je veuxquelques

  • nnnutcs m'asseoir sur leurs trnes, et de ladignit qu'on y trouve je demeurerai embelli.Figures que je chrissais ds mes premiressensibilits, je vous prie en croyant, et parl'ardeur de mes dsirs vos vertus mergeront

    en moi; je vous prie en philosophe, et parl'analyse je reconstituerai mthodiquement enmon esprit votre beaut.

  • Ds lors, nous passmes des heures paisi-bles tourner les feuillets, comme un prtregrne son chapelet. Dans la petite biblio-thque, crase de livres et assombrie par unciel d'hiver, durant de longs jours, nous m-ditmes la biographie de nos saints, et ces bien-veillantsamis touchaient notre me a et l pournous faire voir combien elle est intressante.

    Dans cette tude de l'c~e~ce soM/~ay~c,je fortifiais mon dsir de l'Intelligence ~o/M-joAa/

  • les morts qui m'ont toujours plu. Et je m'at-tachai spcialement quelques-uns qm, audtour d'un feuillet, me bouleversent et meconduisent soudain, par un frisson, descoins nouveaux de mon me.

    Des figures livresques peu peu vcurentpour moi avec une incroyable nergie. Quandune trop heureuse sant ne m'appesantit pas,Benjamin Constant, le Sainte-Beuve de i835,et d'autres me sont prsents, avec une ralitdans le dtail que n'eurent jamais pour moiles vivants, si confus et si furtifs. C'est queces illustres esprits, au moins tels que je lesfrquente, sont des fragments de moi-mme.De l cette ardente sympathie qu'ils m'inspi-rent. Sous leurs masques, c'est moi-mmeque je vois palpiter, c'est mon me que j'ap-prouve, redresse et adore. Leur beaut peusre me fait entendre des fragments de mondialogue intrieur, elle me rend plus prcisecette trange sensation d'angoisse et d'orgueildont nous sommes traverss, quand, letumulte extrieur apais quelques moments,nous assistons au choc de nos divers Mot.

  • L'ennui vous empcherait de me suivre, sij'entrais dans le dtail de tous ceux que j'aiinvoqus. Voici, a titre de spcimen, quelques-une8 dei mditations les plus pousses o nousnoui satisfaisions.

    (Je pense qu'on se reprsente commentnaquirent ces consultations spirituelles. Nousgardions mmoire de nos rflexions singu-lires, et noue nous les communiquions l'un l'autre dans notre confrence du soir. Ellesnous servaient encore fixer le plan de nostudes pour lea jours suivants ce plan semodifiait d'ailleurs sur les variations de notresensibilit.)

  • 1MDITATION SPIRITUELLE SUR BENJAMIN CONSTANT

    C'est par raisonnement que Simon goteBenjamin Constant. Simon est sduit par cerle officiel et par cette allure ddaigneuse quimasquaient un bohmianiame iorcen del'imagination; il flicite Benjamin Constantde ce que toujours il surveilla son attitudedevant soi-mme et devant la socit, parorgueil de sensibilit, et encore do ce qu'ilet peu d'illusions sur soi et sur ses contem-porains.

    Moi, c'est d'instinct que j'adore BenjaminConstant. S'il tait possible et utile de causersans hypocrisie, je me serais entendu, surdivers pointa qui me passionnent, avec cethomme assez distingu pour tre tout la foisdilettante et fanatique.

  • J'aime qu'il cherche avec fureur la solitudeo il ne pourra pas se contenter.

    J'aime, quand M' de Rcamier se refuse,le, dsespoir, la folie lucide de cet homme dedsir qui n'aima jamais que soi, mais que la contrarit rendait fou .

    J'aime Jes saccades de son existence quifut mene par la gnrosit et le scepticisme,par l'exaltation et le calcul. J'aime ses con-victions, qui eurentaux Cent-Jours des dtoursun peu brusques, cause du sourire tropsouhait d'une femme. J'admire de telles fai-blesses comme le plus beau trait de cet amourhroque et rflchi que seuls connaissentles plus grands esprits. Enfin, ses dettespayes par Louis-Philippe et cette humiliationd'une carrire finissante qui jetait encore tantd'clat me remplissent d'une mlancolie ro-manesque, o je me perds longuement.

    J'aime qu'il ait t brave. Quand on gotepeu les hommes les plus considrs, et qu'onse place volontiers en dehors des conventionssociales, il est joli l'occasion de payer de sapersonne. D'ailleurs beaucoup de petites ima-ginations (et les facults Imaginatives, c'est le

  • secret de la peur) sont touuer quand l'meva devant soi, toute prudence perdue J

    Mais j'aime surtout Benjamin Constantparce qu'il vivait dans la poussire dess-chante de ses ides, sans jamais respirer lanature, et qu'il mettait sa volupt surveillerironiquement son me si fine et si misrable.Royer-Collard le msestimait mais nous-mmes, Simon, nous et-il considrs, cethonnte homme premptoire qui, par sarudesse voulue, fit un jour pleurer Jounroyetn'en fut pas dsol?

    ~pp!tca

  • qu'il en prouvt un besoin rel, mais pourmarquer sa place, et parce que, quaranteans, il ne se pardonnerait pas de ne l'avoirpas fait .

    Il dsirait de l'activit plus encore que dugnie. Ce qu'il nous faut, Simon, c'estsortir de l'angoisse o nous nous strilisonsavons-nous dans cette retraite le souci decrer rien de nouveau? Il nous suffit quenotre Moi s'agite nous mcanisons notreme pour qu'elle reproduise toutes les mo-tions connues.

    Parmi ses trente-six fivres, Constant gar-dait pourtant une ide sereine des choses Patience, disait-il son amour, son am-bition, son dsir du bonheur, patience,nous arriverbns peut-tre et nous mourronssrement ce sera alors tout comme. Cesentiment ne me quitte gure. Deux ou troisfois il me pressa avec une intensit dont jegarde un souvenir qui ne prira pas.

    Dans une petite ville d'Allemagne, vers lesquatreheures d'une aprs-midi de soleil, mes fe-ntres tantouvertes, par o montaientla bous-culade joyeuse des enfants et le roulementdes

  • tonneaux d'un lointain tonnelier,je travaillaisavec nergie pour chapper une sentimen-talit aigu que l'loignement avait fortifie.Mais forant ma rsistance, dans mon cer-veau lass, sans trve dfilait nouveau lasuite des combinaisons par lesquelles jecherchais encore satisfaire mon sentimentcontrari. Soudain, vaincu par l'obstinationde cette recherche aussi inutile que doulou-reuse, je m'abandonnai mon dcourage-ment je le considrai en face. Ces rvesromanesques de bonheur, auxquels il me fal-lait renoncer, m'intressaient infiniment plus

    que les ides de devoir (le devoir, n'tait-cepas, alors comme toujours, d'treorgueilleux?)o j'essayais de me consoler. Sans doute, medisais-je, j'ai dj connu ces exagrations jesais que dans soixante jours, ces chagrins d-mesurs me deviendront incomprhensibles,mais c'est du bonheur, tout un renouveau demoi-mme, une jeunesse de chaque matin quim'auront chapp. La vie continuera, apaise(mais si dcolore !), jusqu' un nouvel acci-dent, jusqu' ce que je souffre encore devantune flicit, que je ne saurai pas acqurir

  • 1 parce que la flicit en ralit n'existe pasa parce que si elle existait, cela m'humilieraitde la devoir un autre. Puis des jours ternesreprendront, coups de secousses plus rares,pour arriver l'ge des regrets sans objet.Telle tait la seule vision que je pusse meformer du monde. Elle m'tait fort dsa-grable.

    J'ai vu un boa mourir de faim enroul au-tour d'une cloche de verre qui abritait unagneau. Moi aussi, j'ai enroul ma vie autourd'un rve intangible. N'attendant rien de bondu lendemain, j'accueillis un projet sinistredsespr de partir inassouvi, mais envisa-geant qu'alors je ne saurais plus mon inassou-vissement.Je contemplais dans une glace mon visage

    dfait j'tais curieux et enray de moi-mme.Combien je me blmais I Je ne doutais pasun instant que je ne gurisse, mais j'taisanbl de diner et de veiller dans cette villeou rien ne m'aimait, de m'endormir (avecquelle peine!) et puis de me rveiller, aumatin d'une ple journe, avec l'atroce sou-venir debout sur mon cerveau. Quel sacrifice

  • je fis une chre aflection, en me rsignant accepter ces quinze jours d'nervement trspnible 1 Je me rptai la parole de BenjaminConstant Patience nous arriverons peut-tre (a ne plus dsirer, tre d'me morne),et puis nous mourronssrement ce sera alorstout comme.

    Mditation

    Au courant de cette neuvaine que nous fai-

    sons en l'honneur de Benjamin Constant, et propos d'une controverse culinaire un peutrop prolonge que nous emes sur un gibier,

    une remarque m'est venue. J'aime beaucoupSimon pour tout ce que nous mprisons encommun, mais il me blesse par l'ingaleimportance que nous prtons diverses atti-tudes de la vie.

    Certes, je me forme des ides claires demes exaltations, et tout ce cabotinage sup-rieur, je le mprise comme je mprise touteschoses, mais je l'adore. Je me plais avoirun caractre passionn, et manquer de bonsens le plus souvent que je peux.

    Mon ami, sans doute, n'a pas de got pourK

  • le bon sens, sinon pourrais-je le frquenter?Mais les soins dont j'entoure la culture de mabohme morale, c'est sa tenue, son confort, son dandysme extrieur qu'il les prodigue.Vous ne sauriez croire quel orgueil il met trancher dans les questions de vnerie 1H 1 direz-vous, que fait-il alors dans cetteretraite?

    En vrit, je souponne parfoisqu'avec plus de fortune il ne serait pas ici.

    Ces petites rflexions o, pour la premirefois, je me dISrenciais de Simon, jo ne leslui communiquai pas. Pourquoi le dsobliger?

    Benjamin Constant l'a vu avec amertume.Deux tres ne peuvent pas se connattre. Lelangage ayant t fait pour l'usage quotidienne sait exprimer que des tats grossiers toutle vague, tout ce qui est sincre n'a pas demot pour s'exprimer. L'instant approche oje cesserai de lutter contre cette insumsanceje ne me plairai plus prsenter mon memes amis, mme souper.

    J'entrevois la possibilit d'tre las de moi-mme autant que des autres.

    Mais quoi!1 m'abandonner1 je renieraismon service, je dlaisserais le culte que je me

  • dois 1 Il faut que je veuille et que je me tienneen main pour pntrer au jour prochain dansun univers que je vais dlimiter, approprieret illuminer, et qui sera le cirque joyeux oje m'apparattrai, dress en haute cole.

    Cottogue

    Benjamin Constant, mon matre, monami, qui peux me fortifier, ai-je rgl ma vieselon qu'il convenait ?

    Les araires publiques dans un grandcentre, ou la solitude voil les vies conve-nables. Le frottement et les douleurs sans butde la socit sont insupportables.

    Tu le vois, je m'enferme dans la mdi-tation mais on ne m'a pas offert les occupa-tions que tu Indiques, o peut-tre j'eussetrouv une excitation plus agrable.

    ' A dire vrai, dans la solitude je me d-sesprais. Ds que je le pus, je m'criaiServons la bonne cause et servons-nous nous-mme.

    Mais comment se reconnat la bonnecause? et jusque quel point vous tes-vousservi vous-mme ?

  • H me dit-il avec son fin sourire, j'aiservi toutes les causes pour lesquelles je mesentais un mouvement gnreux. Quelquefoiselles n'taient pas parfaites, et souvent ellesme nuisirent. Mais j'y dpensai la passionqu'avait mise en nioi quelque femme.

    Je te comprends, mon matre si tuparus accorder de l'importance deux outrois des accidents de la vie extrieure, c'taitpour dtourner des motions intimes qui tedvastaient et qui, transformes, parpilles,ne t'taient plus qu'une joyeuse activit.

    Oraison

    Ainsi, Benjamin Constant, comme Simonet moi, tu ne demandais l'existence qued'tre perptuellement nouvelle et agite.

    Tu souffris de tout ce qui t'tait refuschoses pourtant qui ne t'importaient gure.Tu te dvorais d'amour et d'ambition maisni la femme ni le pouvoir n'avaient de placedans ton me. C'est le dsir mme que tu re-cherchais quand il avait atteint son but, tute retrouvais strile et dsol. Tu connus cevif sentiment du prcaire qui fait dire par

  • l'amant, le soir, sa matresse Va-t'en,je ne veux pas jouir de ton bonheur cettenuit, puisque tu ne peux pas me prouver quedemain et toujours, jusqu' ce que tu meuresla premire, tu seras galement heureuse dete donner moi.

    Tu n'aimas rien de ce que tu avais enmain, mais tu t'exaspras volontairement dsirer tous les biens de ce monde. Tu trou-vais une volupt douloureuse dans l'amer-tume. Quelques dbauchs connaissent uneardeur analogue. Ils se plaisent abuser deleurs forces, non pour augmenter l'intensitou la quantit de leurs sensations, mais parceque, ns avec des instincts romanesques, ilstrouvent un plaisir vraiment intellectuel, plai-sir d'orgueil, sentir leur vie qui s'puisedans des occupations qu'ils mprisent. Toi-mme, vieillard clbre et mcontent, tu finispar ne plus rsister au plaisir de te dconsi-drer, tu passas tes nuits aux jeux du Palais-Royal, et tu tins des propos sceptiques devantdes doctrinaires.

    Je te salue avec un amour sans gal, grandsaint, l'un des plus illustres de ceux qui, par

  • orgueil de leur vrai Moi qu'ils ne parviennentpas dgager, meurtrissent, souillent et re-nient sans trve ce qu'ils ont de communavec la masse des hommes. Quand ils humi-lient ce qui est en eux de commun avecRoyer-Collard, ce que Royer-Collard portecomme un sccrement, je les comprends et jeles flicite. La dignit des hommes de notresorte est attache exclusivement certainsfrissons, que le monde ne connat ni ne peutvoir, et qu'il nous faut multiplieren nous.

  • IIMDITATION SPIRITUELLE SUR SAINTE-BEUVB

    Les froids et la brume qui salissaient laLorraine rtrcirent encore l'horizon de notrecuriosit. Enferms plus dvotement que ja-mais dans les minuties de notre rgle, nousjouissions des vtements amples et des livresentasss dans nos cellules chaudes.

    Je lus Joseph Delorme, les ConsolationsVolupt et le Livre d'amour, avec les pensesjointes aux Portraits du lundi. cartant lesuvres du critique, je m'en tins au Sa ite-Beuve de la vingtime anne, aux misres decelui qui s'tonnait devant soi-mme et qui,par la vertu de son orgueil studieux, trouvaitdes motions profondes dans un infime dtailde sa sensibilit.

    A cette poque dj, il voulait le succs,car n dans une bonne bourgeoisie, il tenait

  • compte de l'opinion des hommes de poids, etpuis il avait des vices qui veulent quelqueargent. Toutefois, son me inclinait vers lareligion. Ce mysticisme fait des inquitudesd'une jeunesse sans amour et de son impa-tience ambitieuse, n'tait en somme que cevague mcontentement qu'il assoupit plus tardentre les bras vulgaires des petites filles etdans un travail obstin de bouquiniste. Sonmysticisme alla s'atrophiant. Mais vingt-cinq ans son rve tait prcisment de la cel-lule que nous construisons dans l'atmosphrefroide du monotone Saint-Germain.

    Application des sensAu Louvre, dans la salle Chaudet, muse

    des sculptures modernes, parmi les mdail-lons de David, en se dressant sur la pointedes pieds, on peut tudier le Sainte-Beuve dei8a8. Sa vieille figure des dernires annes,trop grasse et d'une intelligence sensuelle, nefait voir que le plus matois des lettrs, tandisqu'il est vraimentnotre ami, ce jeune hommegrave, timide et perspicace qui a senti deuxou trois nuances profondment.

  • il s'tait compos de la vie une vision sen-timentale et domine par un dgot trs fin.Cette intelligence frissonnante fut la plus mi-nutieuse, la plus exalte, la plus rudite, laplus sincre, jusqu'au jour o, envahie deparesse, elle se ngligea soi-mme pour tra-vailler simplement, et ds lors eut du talent,de l'avis de tout le monde, mais comme toutle monde.

    Jeune homme, si dgot que tu cdasdevant les bruyants, ne souillons pas notrepense contester avec les gens de bonsens qui sacrifient ton adolescence ta matu-rit. Il n'est que moi qui puisse te com-prendre, car tu me prsentes, pousss enrelief, quelques-uns de mes caractres.

    A vingt-cinq ans, sous le mme toit queta mre, dans ta chambre, tu travailles. Jevois sur tes tables des potes, tes contempo-rains, des mystiques, tels que l'Imitation etSaint-Martin, des mdecins philosophes, Des-tut de Tracy, Cabanis, puis des journaux, desrevues, car ton esprit toujours inquiet accepteles ides du hasard, en mme temps qu'ilpoursuit un travail systmatique. J'entends ta

  • voix, un peu forte sur certains mots, et quin'achve pas peine tes phrases indiques,tu sembles n'y plus tenir.

    Dans cette belle crise d'une sensibilit tropvite dessche, Sainte-Beuve attachait peud'importance au fruit de sa mditation. De lapense, il nE gotait que la chaleur qu'ellenous met au cerveau. Il aimait mieux suivreles voltes de sa propre motion que con-vaincre il ddaignait les sentiments qu'onraconte et qui ds lors ne sont plus qu'unesche notion. De l cette mollesse soutenirson avis, ce bris dans le dveloppement deses ides. Il savait que Dieu seul, pntrantles curs, peut juger la sincrit d'unepnre. Ceux de ma race, eux-mmes, ima-gineront-ils l'ardeur du sentiment d'o sortici cette tide mditation ?

    Afcdt~atMMt

    A considrer longuement Sainte-Beuve, jevois que son extrme politesse et sa compr-hension ne .sont accompagnes d'aucune sym-pathie pour ceux mmesqu'il pntre le plusintimement.Il est l, trs timide et trs jeune,

  • avec une indication de sourire dans une raieau-dessus des yeux et quelque chose de sicomplexe dans l'intelligence qu'on ne le sentqu' demi sincre. Que sa bouche et ses yeuxindiquent de rflexion 1 Est-ce une nuanced'envie, ce mcontentement qui plit sonvisage C'est la fatigue, l'inquitude d'un vo-luptueux las, d'un voluptueux qui ne fournitpas ses sensualits des satisfactions larges,parce qu'il faudrait de la persistance, et que,les crises passes, son intelligence ne s'attardepas.

    Tu n'as pas d'yeux pour vivre sur un dcor,tu ne te satisfais qu'avec des ides, et tu tedvorerais t'interroger si l'on ne te jetaitprcipitamment des systmes et des hommes prouver. C'est ainsi qu'il me faut sans trvedes motions et de l'inconnu, tant j'ai vitepuis, si varis qu'on les imagine, tous lesaspects du plus beau jour du monde.

    Dans la suite, la scheresse t'envahit parceque tu tais trop intelligent. Tu ddaignas deservir plus longtemps de mannequin desmotions que tu jugeais.

    Heureux les pauvres d'esprit1 comme ils ne

  • se forment pas des ides claires sur leursmotions, ils se plaisent et ils s'honorent;mais toi, tu t'irritais contre toi-mme, et tun'tais pas plus satisfait de ta vie intime quedes vnements. Tu savais que tu vivais m-diocrement, sans imaginer comment il fallaitvivre.

    Colloque

    Je t'aime, jeune homme de 1828. Le soir,aprs une journe d'action, j'ai senti, moiaussi, et jusqu' souhaiter que soudain dixannes m'loignassent de ce jour, un tristemcontentement; je me suis dsol d'tre sidiffrent de ce que je pourrais tre, d'avoirpar lgret pein quelqu'un, et encore d'avoirdonn ma physionomie morale une attitudeirrparable.

    Parfois, je suis touch de regrets en consi-drant les hommes forts et simples. Et j'ap-prouve ton Amaury auquel en imposait lecaractre poussant droit de ]\ de Couaen.Parfois, et bien qu'ils nous gnent. il nousarrive de frquenter des sectaires, pour sur-prendre le secret qui les mit toute leur vie

  • l'aise envers eux-mmes et envers les autres.Mais, aussi fermes qu'eux dans les ncessits,nous leur en voulons de ce manque d'imagi-nation qui les empche de supposer un cas oils pourraient ne plus se suffire, et qui lesrend durs envers certaines natures chance-lantes, plus proches de notre cur parcequ'elles connaissent la joie douloureuse de serabaisser.

    Je crois que, dans l'intimit de ton cur,tu hassais, au noble sens et sans mauvaissouhait, Cousin et Hugo. Mais tu as voulupenser et agir selon qu'il tait co/~e~ct~/e; etautant que te le permirent tes mouvementsinstinctifs, tu ctoyas ces natures brutalesdont tu souffris.

    Ainsi, peu peu, tu quittais le service deton me pour te conformer la vision com-mune de l'univers.. C'tait la ncessit, as-tudit, qui te forait abdiquer ta personnalitexcessive c'tait aussi lassitude de tes casuis-tiques o toujours tu voyais tes fautes. Tut'es moins aim tu t'es born ce Sainte-Beuve comprhensif o tu te rfugiais d'abordaux seules heures de lassitude crbrale.

  • Oublieux de toi-mme, tu ne raisonnas plusque sur les autres mes. Et ce n'tait pas,comme je fais, pour comparer leurs sensi-bilits la tienne et l'embellir, c'tait pourqu'elle existt moins. Je te comprends, admi-rable esprit mais comme il serait triste qu'unjour, faute d'une source intarissable d'mo-tions, j'en vinsse imiter ton renoncement 1

    Ce n'est pas la vie publique que tudemandais l'motion. A 1 ge ou BenjaminConstant tait ambitieux et amant, tu fusamoureux et mystique. Si tu n'a pas eu cedon de spiritualit chrtienne qui retrouveDieu et son intention vivante jusque dans lesplus petits dtails et les moindres mouve-ments, du moins tu te l'assimilas. Tu pleuraisde dpit de n'tre pas aim et de ne pasaimer Dieu. Tu as jusqu' l'pithte un peugrasse et sensuelle du prtre qui dsire. Tarverie religieuse tait pleine de jeunesfemmes; tu n'taispas prcisment hypocrite,mais leur prsence t'encourageait blmer lachair. Ds que le sentiment te parut vain, tune t'obstinas pas te faire aimer et vers lemme temps, tu cessas de vouloir croire*

  • C'tait fini de tes merveilleux frissons qui tevalent mon attendrissement tu ne fusdsormais que le plus intelligent des hommes.

    Oraison

    Toi qui as abandonn le bohmianismed'esprit, la libre fantaisie des nerfs, pourdevenir raisonnable, tu tais n cependant,comme je suis n, pour n'aimer que ledsarroi des puissances de l'me. Ta jeunehystrie se plaisait dans la souffrance l'hu-miliation fit ton gnie. Ton erreur fut dechercher l'amour sous forme de bonheur. Ilfallait persvrer le goter sous forme desouffrance, puisque celle-ci est le rservoir detoutes les vertus.

    Et nous-mmes, malheureux Simon, quine trouvons notre motion que dans les frois-sements de la vie, n'installons-nous pas notreinquite pense dans un cadre de bureau-cratie 1 Ah 1 que j'aie uni d'tre froiss, et jen'aurai plus que de l'intelligence, c'est--direrien d'intressant. Mon me, matresse frisson-nante, ne sera plus qu'une caissire, esclave dudoit et avoir, et qui se courbe sur des registres.

  • Nous ftmes d'autres mditations, en grandnombre. Nous nous attachions surtout auxpersonnes fameuses qui eurent de la spiri-tualit.

    Benjamin Constant, pour s'mouvoir, avaitbesoin de dsirer le pouvoir et l'amourSainte-Beuve ne fut lui que par ses disgrcesauprs des jeunes femmes mais d'autresatteignent toucher Dieu par le seul effort deleur sensibilit, pour des motifs abstraits etsans intervention du monde intrieur. Ceux-l sont tout mon cur.

    Chers esprits excessifs, les plus merveilleuxintercesseurs que nous puissions trouver entrenous et notre confus idal, pourquoi confes-serais-je le culte que je vous ai Vous n'existezqu'en moi Quel rapport entre vos mes tellesque je les possde et telles que les dpeignentvos meilleurs amis 1 Il n'est de succs aumonde que pour celui qui offre un point de

  • contact toute une srie d'esprits. Mais cetteconformit que vos vulgaires admirateurs pro-clament me rpugne profondment. Vousn'atteignez me satisfaire qu'aux instants ovous ddaignez de donner aucune image devous-mme aux autres, et quand vous touchezenfin ce but suprme du haut dilettantisme,entrevu par l'un des plus nervs d'entrevous Avant tout, tre un grand homme etun saint pour soi-mme. Pour soi-mmedernier mot de la vraie sincrit, formuleennoblie de la haute culture du Moi qu'Jersey nous nous/proposions.

  • Simon et moi, nous emes le grand sensde ne pas discuter sur les mrites comparsdes saints. Encore qu'ils se contredisentsouvent, je les soigne et je les entretiens tousdans mon me, car je sais que pour Dieu ily a identit de toutes les motions. Mais j'en-trevois que ces couches superposes de maconscience, qui je donne les noms d'hommesfameux, ne sont pas tout mon Moi. Je suisagit parfois de sentiments mal dfinis quin'ont rien de commun avec les BenjaminConstant et les Sainte-Beuve. Peut-tre cesintercesseurs ne valent-ils qu' m'clai-rer les parties les plus rcentes de moi-mme.

    Il est certain que nos dernires mdita-tions avaient t d'une grande scheresse.Nous pressions une partie de nous-mmes

  • vvdj puise. Ce n'taient plus que reditesdans la bibliothque de Saint-Germain. Et, mesure que les livres cessaientde m'mouvoir,de cette glise o j'entrais chaque jour, deces tombes qui l'entourent et de cette lentepopulation peinant sur des labeurs hrdi-taires, des impressions se levaient, trsconfuses mais pntrantes. Je me dcouvraisune sensibilit nouvelle et profonde qui meparut savoureuse.

    C'est qu'aussi bien mon tre sort de cescampagnes. L'action de ce ciel lorrain nepeut si vite mourir. J'ai vu Paris des fillesavec les beaux yeux des marins qui ont long-temps regard la mer. Elles habitaient sim-plement Montmartre, mais ce regard, qu'ellesavaient hrit d'une longue suite d'anctresballotts sur les ilts, me parut admirabledans les villes. Ainsi, quoique jamais je n'aieservi la terre lorraine, j'entrevois au fond demoi des traits singuliers qui me viennent desvieux laboureurs. Dans mon patrimoine demlancolie, il reste quelque parcelle des in-quitudes que mes anctres ont ressentiesdans cet horizon.

  • A suivre comment ils ont bti leur pays,je retrouverai l'ordre suivant lequel furentposes mes propres assises. C'est une bonnemthode pour descendre dans quelques partiesobscures de ma conscience.

  • CHAPITRE VI

    EN LORRAINE

    Notre ermitage de Saint-Germain taitsitu peu prs sur la limite, entre la plaineet la montagne. Le Lorrain de la plaine, quia derrire lui de belles annales et tout unessai de civilisation, ne ressemble gure aumontagnard, au vosgien vigoureuxqui s'veilled'une longue misre incolore. Simon et moiqui sommes depuis des sicles du plateaulorrain, nous n'hsitmes pas tourner ledos au< Vosges. Puisque nous cherchons uni-quement tre clairs sur nos motions, lepittoresque des ballons et des sapins n'a rienpour satisfaire notre manie. Mme nous nous

  • bornerons la rgion que limitent Lunville,Toul, Nancy et notre Saint-Germain c'estl que notre race acquit le meilleur d'elle-mme. L, chaque pierre faonne, les nomsmme des lieux et la physionomie laisse auxpaysans par des efforts sculaires nous aide-ront suivre le dveloppement de la nationqui nous transmis son esprit. En faisantsonner les dalles de ces glises o les vieuxgisants sont mes pres, je rveille des mortsdans ma conscience. Le langage populaire abaptis ce coin le cur de la Lorraine )).Chaque individu possde la puissance devibrer tous les battements dont le cur deses parents fut agit au long des sicles. Danscet troit espace, si nous sommes respectueuxet clairvoyants, nous pouvons connatre- desmotions plus significatives qu'auprs desmaitres analystes qui, hier, m'clairaient surmoi-mme.

  • PREMIRE JOURNE

    NAISSANCE DE LA LORRAINE

    A la station qui prcde immdiatementNancy, au bourg de Saint-Nicolas, noussommes descendus du train, car il convientd'entrer dans l'histoire de Lorraine par unevisite son patron.Dansson glise flamboyante,nous saluons Nicolas, debout prs de sa cuveet des petits enfants. Cette malheureuse loca-lit, qu'illustrent encore cette cathdrale etdes lgendes, fut ruine par des guerresconfuses; elle tait riche et, pour l