le capitalisme : mais c'est la vie

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R.-L. BRUCKBERGER

LE CAPITALISME: MAIS C'EST LA VIE !

PLON 8, rue Garancière

PARIS

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La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa premier de l'article 40).

Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, consti- tuerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

© Librairie Plon, 1983 ISBN 2-259-001000-8

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Aux jeunes Français, qui ont eu de seize à vingt-cinq ans en 1968, pour qu'ils se rappellent qu'ils ont rêvé une fois de rompre les rangs.

R.-L. B.

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L'unité d'une nation, quant à l'action, est réalisée quand qui pense est d'accord avec qui sent, qui prévoit avec qui voit, qui dépense avec qui paie, et celui qui se fait tuer avec celui qui le lui commande.

Le rapprochement se fait toujours quand il y a compression des circons- tances.

Paul VALÉRY, (Cahiers 2 - Pléiade, p. 1473)

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PREMIERE PARTIE

LA LIBÉRATION DU LANGAGE

J'aimerais qu'une nation eût la poli- tique de son avenir probable, et non celle de son passé.

Paul VALÉRY, (Cahiers 2 - Pléiade, p. 1478)

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CHAPITRE PREMIER

LA FIN DE L'AGE BOURGEOIS

Confucius avait coutume de dire que, s'il était empe- reur de Chine, le premier décret qu'il prendrait serait pour définir le sens des mots : telle est en effet la priorité des priorités en tous domaines, même en politique. Que dire du domaine religieux, où les grands Conciles des premiers siècles du christianisme ne sont éternellement grands que parce qu'ils ont pour toujours défini le sens des mots cardinaux de la religion nouvelle ? C'est à par- tir d'un accord collectif sur le sens précis des mots que peut se faire ou se refaire la paix civile. Inversement et aujourd'hui, en France, il est évident que nous sommes en guerre civile larvée, qui ne demande qu'à évoluer en guerre civile déclarée. Au sein de la même nation, par- lant apparemment une seule langue, nous n'avons pas, de mots usuels et considérés par tous comme cardinaux, la même définition. Comme tout un chacun, je sais que les définitions de mots sont relativement libres : raison de plus, et impérieuse, pour qu'on les définisse en effet. Encore vaut-il mieux pour un écrivain, afin qu'il se fasse comprendre, accepter le sens général en usage commun dont témoignent les dictionnaires. D'où ma vénération pour le petit Larousse, que, dans mon enfance, je prenais

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pour un personnage mythique, comme un des nains de Blanche-Neige. Je ne suis pas entièrement débarrassé de cette rêverie : je crois toujours qu'un bon dictionnaire peut faire des miracles, de petits miracles quotidiens qui passent inaperçus et qui rendent la vie facile.

Au seuil d'un livre, qu'il considère comme un service public, l'écrivain n'est pas dispensé pour autant de sou- ligner et de préciser ce sens général donné par le diction- naire. Parfois il lui faut redresser ce sens, développer ses virtualités, les épanouir. Il lui arrive de refaire à un mot une virginité. C'est exactement ce que je voudrais faire avec les mots CAPITAL, CAPITALISER, CAPITALISME. « Vaste programme, monsieur ! » comme eût dit de Gaulle.

Le mot capitalisme est un mot que j'ai longtemps méprisé et même haï : j'étais jeune et j'étais entraîné dans les conformismes de mon pays et de mon temps. Les intellectuels français étaient tous anticapitalistes, et ceux des Français qui étaient capitalistes avaient déjà honte de l'être. Il n'y a pas de mission plus haute et plus pressante pour un artiste, particulièrement pour un écri- vain, que de démasquer, de dénoncer et de pourfendre les conformismes. Le danger du conformisme est qu'il est une maladie de l'esprit comme la folie : celui qui en est victime ne sait pas qu'il est malade. Les « histoires de fous » tournent toutes autour de cette inconscience. De même le conformiste ignore qu'il est conformiste. La tâche de l'écrivain, celui qui marque son temps, est de faire prendre conscience au conformiste de son confor- misme. A partir seulement de cette prise de conscience, il est en situation de pouvoir guérir. C'est aussi long et difficile qu'une cure psychanalytique.

Pour ce qui me concerne, un séjour de huit ans aux Etats-Unis, dans les années 50, ne m'a pas convaincu que le mot capitalisme soit tout à fait légitime. Je cons- tatais seulement que les Américains y étaient profondé- ment attachés, qu'il était impossible de le leur faire abandonner. A partir de cet obstacle, je me suis mis à réfléchir, c'est-à-dire à me mettre moi-même en question,

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à me demander sérieusement si ce n'était pas moi qui avais tort : peut-être que mon mépris du mot capitalisme n'était pas tellement justifié après tout. Ce qui a provoqué mes hésitations, puis mes scrupules, puis mon examen de conscience fut le fait que le peuple américain lui-même — non pas les élites intellectuelles — restait attaché à ce mot. Les intellectuels américains préféraient générale- ment le mot ambigu de liberalism, qui serait très mal traduit par son jumeau français et qui, dans le jargon local, signifiait plutôt « socialisme » et même « gau- chisme ». Ainsi sont les mots, comme des brouettes, qui servent à transporter n'importe quoi, aussi bien du fumier que des lingots d'or. C'est d'ailleurs pourquoi il est si important de les définir soigneusement et de ne pas confondre le moyen de transport avec la chose transportée. Pour cette tâche de définition, comme pour beaucoup d'autres, je préférerai toujours m'en remettre à l'usage populaire qu'aux prétentions des intellectuels. Un langage appartient d'abord au peuple qui l'emploie et le fait vivre, dont il est le moyen courant et quotidien de communi- cation.

Il faut aussi remarquer que les mots sont de solides gaillards, qu'ils ont aussi bon dos que des portefaix, ils restent eux-mêmes à travers cent travestis dont on les affuble parfois. Si les mots devaient être méprisés, haïs, abandonnés, à cause des crimes commis en leur nom, je crois qu'il faudrait cesser de parler. Devraient être en tous les cas abandonnés jusqu'aux mots « Dieu » et « Liberté ». Que dire du mot « socialisme » qui, par le nombre des victimes qu'il a faites, par le « Goulag » qu'il a créé, par l'asservissement de tant de peuples qu'il a réalisé, par les famines qu'il a provoquées, par les men- songes qu'il a couverts et qu'il couvre toujours, devrait inspirer encore plus d'horreur que le mot « nazisme » ? D'ailleurs — et il convient de ne pas l'oublier — le mot « nazisme » n'est que la contraction de national-sozia- lismus. Or presque personne n'ose se réclamer encore du nazisme. Mais les socialistes affichés et autosatisfaits ne

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se comptent pas. Du moins pour le moment : cela peut changer très vite. Dans le langage, il y a des mutations brusques.

Dans nos sociétés européennes occidentales, le « capi- talisme » reste soupçonné des pires vilenies, tandis que le « socialisme » rayonne encore d'espérance. Ce rayonne- ment s'étend plus loin que l'Europe. La dernière guerre mondiale a été gagnée, plus encore par l'Amérique capi- taliste que par la Russie socialiste : cependant, dans l'âme des peuples, à qui cette victoire a-t-elle le plus profité ? — Définitivement au socialisme : d'où le nombre impres- sionnant de régimes nouveaux, nés de la guerre et de la décolonisation, et sur toute la surface de la terre, qui se sont voulus « socialistes ». Il est vrai qu'il y a quelques exceptions, qui non seulement ont adopté le capitalisme mais qui l'ont adapté à leurs traditions et à leur génie national. Leur réussite éblouit tous les regards : le Japon, la Corée du Sud, Hong Kong, Formose, Singapour, etc. Par on ne sait quelle diablerie, ces exceptions, tout éblouissantes qu'elles soient, ne nous paraissent pas exem- plaires pour nous. Nous en aurions plutôt peur comme de spectres fatidiques. Sans que personne ne nous expli- que jamais ni pourquoi ni comment, nous avons décidé une fois pour toutes que, malgré leurs succès indéniables, ces sociétés ne peuvent être que vouées à l'exploitation de l'homme par l'homme, c'est-à-dire atteintes d'une lèpre incurable. Cela, même si tous ceux qui connaissent bien ces sociétés, qui y ont vécu, nous affirment et nous prouvent qu'elles sont au contraire basées sur la solidarité de tous, je dirai même sur une communion libre et consentie à tous les niveaux, sur la fidélité mutuelle à tous les échelons de l'entreprise, dans l'effort et la pro- duction.

Que dans nos pays européens, une histoire récente ait donné au mot « capitalisme » un mauvais renom et même franchement une mauvaise odeur, cette aventure est arrivée à bien des mots qui ne la méritaient pas. Au temps des derniers grands empereurs de Rome — les Antonins — dans la haute société romaine, le mot « chris-

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tianisme » avait une sinistre réputation, nous en avons bien des témoignages. C'est que cette société ne connais- sait pas le christianisme pour ce qu'il est, elle ne se souciait même pas de le connaître. Le conformisme de cette société était antichrétien : il a fallu un effort d'in- telligence et d'héroïcité qui a duré trois siècles pour ren- verser ce conformisme. A la fin, cette société romaine a disparu, le christianisme a survécu, il a même conquis l'Empire qui l'avait persécuté.

Je crois qu'il en est de même aujourd'hui du mot « capitalisme » : il sent mauvais. On n'en connaît pas la signification, on ne se soucie même pas de la connaî- tre, encore moins de la définir. D'emblée et définitive- ment, on juge mal le capitalisme parce que les rôles qu'il a joués dans le monde moderne n'ont pas été toujours à son honneur, c'est le moins qu'on puisse dire. Mais dans de tels rôles, il s'est trahi lui-même. Cela peut arri- ver partout, toujours et pour n'importe quoi : la religion n'est-elle jamais trahie par ceux qui la représentent ?

Comme il y a des pays occupés par une armée enne- mie ou par un régime ennemi, — comme aujourd'hui la Pologne, comme hier la France — il y a ainsi des mots dont on peut dire qu'ils sont occupés et qui atten- dent leur libération. Le plus grand bonheur pour un écrivain me paraît être d'entreprendre et de réaliser la libération de ces mots pris en otages. C'est la tâche que, dans ce livre, je me suis assigné pour le mot « capita- lisme ». Dans cette œuvre de libération, tous les alliés sont bienvenus. Ils sont parfois complètement inattendus. Ce n'est pas de la philosophie moderne que j'espère quelque secours, elle est elle-même captive et victime des pires conformismes. Mais dans la circonstance, la science moderne, et particulièrement la biologie moléculaire, apporte dans le débat, non seulement un concours décisif, mais positivement l'arme absolue, celle qui impose le silence à toutes les autres. C'est elle qui a régénéré le mot « capitalisme », comme ça, en passant, sans le clamer sur les toits, sans même avoir l'air de s'en apercevoir. Quand elle a parlé de « capital génétique », c'est la bio-

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logie qui rendait aux mots « capital » et « capitalisme » ce que j'appelle une virginité inviolable. A notre époque, à moins d'être un ignorant ou un imbécile, le sens biolo- gique d'un mot constitue une signification-mère, une signification fondamentale et qui ne peut être récusée.

M'en tenant à l'historique du mot, qu'est donc le capitalisme en son essence ? Le mot CAPITALISME est synonyme de thésaurisation, d'accumulation, mais avec cette connotation, à mes yeux tout à fait essentielle, en vue d'une production, ce qui implique un exercice de l'intelligence, la disposition de moyens à l'égard d'une fin, un déploiement de travail et le passage à l'acte, un projet d'utilisation des choses et des êtres, en pleine connaissance de la nature de ces choses et de ces êtres et de leurs virtualités, et aussi bien cela implique le res- pect de la nature de ces choses et de ces êtres. Je ne vois là rien que d'honorable. Il n'en est pas toujours ainsi, d'où les malentendus. Essayons du moins de comprendre le processus essentiel du capitalisme.

Quand on réfléchit, comme j'essaie de le faire ici, sur la signification des mots « capital », « capitaliser », « capitalisme », on ne peut qu'être frappé de leur richesse, des immenses champs de leur utilisation possible, et en même temps de l'appauvrissement prodigieux dont ils ont été les victimes dans l'époque moderne : on éprouve le même sentiment quand on découvre que certaines régions du Sahara septentrional ont été jadis des jardins. Il y a ainsi des mots-jardins qui deviennent aussi stériles que de la caillasse. C'est beau, non ? d'en refaire des jardins. Restreindre la signification d'un mot est une mutilation dramatique, une amputation criminelle, peut- être une décapitation, qui sont des actes purement priva- tifs et négatifs. Aujourd'hui donc, les biologistes nous parlent le plus naturellement du monde — le plus fort est que tout le monde comprend d'emblée — du « capital génétique », qui constitue les données immédiates d'un être vivant, et cela dès la conception de cet être vivant. Nous en avons déjà beaucoup appris sur le « capital » : il est lié à la vie. Dans le monde minéral, à strictement

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parler, il n'y a de « capital » que métaphoriquement et abusivement ; ce monde minéral serait-il celui de l'or et des pierres précieuses.

Il est non moins remarquable que le capital génétique d'un être vivant soit programmé en vue d'une re-produc- tion d'un autre être vivant ayant les mêmes caractères spécifiques. Nous voyons apparaître un autre terme essen- tiel à une définition complète du « capitalisme », c'est le mot de « production ». Les biologistes parlent encore d' « alphabet génétique » organisé et utilisé d'une telle façon qu'il définisse les « caractères » spécifiques de l'être vivant donné. « Alphabet », « caractères », comme l'organisation de la vie est intelligente : bien avant nous, elle avait découvert et mis en œuvre une « imprimerie » biologique. De là naît tout un système de significations. Un troisième terme convient à l'essence du capitalisme, c'est celui d'une spécificité et d'une signification : l'être vivant s'insère dans l'univers en se définissant strictement.

Chez l'homme, tout cela devient conscient. En fait, les notions de capital, de production, de sens et de spéci- ficité sont substantiellement liées, caractéristiques de la vie elle-même.

Ces notions fondamentales, qui définissent le capita- lisme en son essence, ne sont pas liées nécessairement à l'argent, plus généralement à la monnaie. Quelle que soit son importance aujourd'hui dans nos sociétés, confondre la puissance de l'argent avec le capitalisme est une erreur mortelle, fatale à la civilisation, et en plus biologique- ment une stupidité. Dans l'exercice du capital génétique, il y a des échanges, des métabolismes, des équilibres qui se font et qui risquent de se défaire, mais il n'y a ni argent ni valeur monétaire. Et pourtant jamais « capi- tal » n'a mieux justifié son nom, sa signification et ses vertus que lorsqu'il s'agit de notre capital fondamental, notre capital génétique. Ce n'est que tout récemment que la biologie a commencé de parler de « capital géné- tique » : mais dès qu'elle en a parlé, elle a d'un coup rendu caduques toutes les manières antérieures de parler du « capital ». C'est ce que j'appelle une libération du

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langage. On ne vit plus, on ne respire plus dans la libé- ration, comme sous l'occupation. Peut-être que, petit à petit, la jeunesse de notre pays finira par s'en apercevoir.

Le capitalisme n'est donc pas sur le même plan que l'argent et sa nature est tout à fait autre. L'argent et plus généralement la monnaie sont une invention récente, autour du premier millénaire avant Jésus-Christ. Aupa- ravant. c'est-à-dire entre deux et quatre millions d'an- nées, l'homme a vécu sans argent, sans monnaie : il n'en était pas moins capitaliste pour autant. L'homme naît capitaliste et ne cesse de l'être qu'en mourant. Quand il sort du ventre maternel il est sans le sou, et quand il meurt il n'a plus besoin d'argent. La prépondérance de la monnaie dans l'économie moderne est un parasitisme du capitalisme qui peut d'ailleurs lui devenir mortel, comme il arrive que le lierre tue l'arbre, mais le lierre n'est pas l'arbre. La monnaie n'est pas essentielle au capitalisme. Pendant des milliers de siècles, l'homme a peu à peu accumulé des réserves, des techniques, des connaissances, des apprentissages, un outillage, des armes, en vue d'une production de richesses et de sécurité, de biens utiles à sa survie. Depuis toujours, l'homme est né capitaliste, chargé de la production de son propre destin, et de cet enrichissement de son destin, il transmettait le « patrimoine ». Les biologistes parlent encore de « patri- moine génétique ». Le capitalisme connaturel à l'homme n'a cessé d'enrichir et d'élargir, sur le plan spirituel encore plus que sur le plan matériel, cette notion même de patrimoine. L'argent et la monnaie n'avaient rien à voir en cela, puisqu'ils n'existaient pas encore. L'argent n'est donc pas essentiellement et universellement lié au capitalisme : cela est un point d'une telle importance que, dès qu'on l'a compris, on est bien près de résoudre les principaux problèmes qui se posent à une société moderne.

Une accumulation de richesses qui ne serait plus orientée vers une production n'est plus un « capital », ce n'est plus une réalité vivante. Un sol, aussi fertile qu'il soit, qui n'est pas cultivé en vue d'une production n'est

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pas un capital, et il n'est pas véritablement une « pro- priété ». La propriété implique l'usage et un usage vivant et fécond. La production est une manière de vivifier la matière, de lui donner vie, de lui conférer la dignité de la fécondité, de l'insérer dans le circuit de l'utilité et de la jouissance humaines. Pour parler très strictement, la notion de capital ajoute à la thésaurisation et à l'accu- mulation une finalité essentielle qui est la production et la fécondité. C'est cet ajout qui élève la thésaurisation à la dignité de propriété légitime.

Pour donner des exemples concrets, qu'était le sol de l'Amérique du Nord avant l'arrivée des colons euro- péens ? Des populations nomades y vivaient en liberté de la cueillette et de la chasse, mais elles n'étaient pas généralement parvenues au stade de l'agriculture, encore moins au stade où l'on extrait du sol des minerais en vue d'une production industrielle. Les Indiens occupaient ce sol. Je crois que ce serait commettre un abus de langage que de dire qu'ils en étaient « propriétaires », au plein sens et dans la légitimité entière du mot « propriété » qui implique travail, production, fécondité.

De même. les populations nomades d'Arabie occupent depuis toujours un sol où se trouvent d'énormes réserves de pétrole. Ce ne sont pas elles qui ont découvert les vertus énergétiques du pétrole, ce ne sont pas elles qui ont exploité d'abord les gisements qui étaient sous le pas de leurs chameaux. Le fait qu'elles soient aujourd'hui consi- dérées comme « propriétaires » de ces gisements est une sorte de calembour historique et politique qui ne change les choses que très superficiellement, et sans doute très provisoirement.

Je crois qu'il y a le même calembour sinistre à la base de la querelle actuelle entre la nation israélienne et l'Organisation de Libération de la Palestine. Bon ! Israël revendique très légitimement un titre antérieur et historique sur ce sol et le mandat explicite consigné par Dieu dans la Bible. Mais la question de fond est qu'Israël, en quelques années, a fait de ce sol un jardin, que, pour la première fois dans l'histoire récente, il a donné à ce

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sol la dignité d'une terre pleinement productive. C'est là un titre évident de propriété.

Au contraire, quand il s'agit des immenses domaines d'Amérique du Sud, qu'on appelle latifundia et que leurs propriétaires laissent en friche alors que des populations entières meurent de faim, on doit se demander alors si le titre de propriété est fondé en droit.

Quand les biologistes modernes parlent tout naturelle- ment de « capital génétique », ils emploient un langage très juste et que tout le monde comprend, c'est-à-dire que tout le monde en admet la légitimité. Les biologistes désignent ainsi une somme d'éléments essentiels de telle espèce vivante, mais additionnés, organisés, solidaires les uns des autres, comme les lettres incluses dans un mot sont solidaires entre elles en vue d'un sens défini, hiérar- chisés même et ordonnés pour la survie non seulement de l'individu mais de l'espèce, c'est-à-dire en vue d'une re-production. Le mot « production » est lâché. La finalité du capital génétique, c'est la re-production. On ne pour- rait parler de « capital » génétique s'il n'impliquait cette finalité essentielle de la production. Hors d'une telle finalité, il n'y a pas à proprement parler de capital.

L'homme est aussi un animal, et ce qui vaut pour l'animal vaut pour lui. En tant qu'être vivant, et dès sa conception, l'homme est propriétaire d'un capital géné- tique orienté vers le maintien de l'espèce et sa propre reproduction. L'homme est cependant quelque chose de plus qu'un animal, ou plutôt, il est quelqu'un, et là, les biologistes sont pris de court : pour définir ce « quelque chose de plus » et cette étrange singularité d'être quel- qu'un, les biologistes, c'est bien le cas de le dire, marchent sur des œufs. Le professeur François Jacob, prix Nobel, refuse de parler de la spiritualité de l'homme, irréduc- tible au règne animal. Mais il a une trouvaille qui m'en- thousiasme : « L'homme, dit-il, est programmé pour comprendre. » Tout m'enchante en effet dans cette for-

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mule, et plus encore son imprudence que sa prudence. D'abord le pour qui exprime une finalité impérieuse. Mais surtout ce qui définit et exprime cette finalité impé- rieuse : comprendre. Comprendre quoi ? Et là tous les programmes craquent de toutes parts de l'intérieur, car il n'y a pas de bornes possibles à comprendre.

L'homme est programmé pour comprendre, cela veut dire quand même quelque chose de précis. Il n'y a pas de limites à ce « comprendre ». Quelque chose en lui pousse l'homme à explorer l'inconnu, et ce quelque chose, dans son cas, a la force d'un instinct biologique impé- rieux, peut-être plus impérieux que l'instinct sexuel qui le pousse à se reproduire. En plus de l'instinct vital de la bête, l'homme a un deuxième instinct tout aussi vital orienté vers l'exploration et la connaissance. Bien entendu, chez l'homme, ces deux instincts également fondamen- taux peuvent s'associer, se conforter, ils peuvent aussi s'affronter, se combattre et alors c'est dramatique, l'homme est le seul animal capable de drame. Cela aussi reste humain, l'homme est le seul animal tragique. C'est par l'un ou l'autre de ces deux instincts enchevêtrés que l'homme fait alternativement l'ange ou la bête, alors que, étant le seul animal doué de ces instincts conjoints, il n'est réellement ni ange ni bête. Son malheur banal, des plus banals, est que qui veut faire l'ange fait la bête, et qui veut faire la bête y réussit du premier coup.

L'homme est programmé pour comprendre. Com- prendre quoi ? Tout et n'importe quoi ? Tout, y compris le Tout-Autre éventuellement ? Tout, y compris le Trans- cendant, ce qui ne peut se comprendre de plain-pied ? Et il y a aussi la manière de comprendre. Je ne comprends pas très bien ce que je suis moi-même, à l'expérience je finis par comprendre ce que je ne suis pas. S'il en était de même de la Transcendance, qu'on comprenne un tout petit peu ce qu'elle n'est pas, mais pas du tout ce qu'elle est ? A ce sujet, saint Augustin a une formule admi- rable :« Si tu comprends, dit-il, ce n'est pas Dieu ! » Cela n'implique évidemment pas que tout ce qu'on ne comprend pas soit Dieu. Mais on ne peut écarter la possi-

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bilité que l'appréhension même relative de Dieu fasse partie du capital génétique humain. Les saints nous donnent cette impression d'avoir capitalisé Dieu.

L'homme est programmé pour comprendre, pour rete- nir ce qu'il a compris, c'est-à-dire pour le capitaliser. Quand le bébé apprend peu à peu à utiliser son corps et ses sens, il capitalise ses expériences, il capitalise de plus en plus. Et chaque jour davantage. Quand, par mimétisme, il apprend sa langue maternelle, il capitalise ce langage qui va l'aider à comprendre et à être compris. Si nous savions la voir telle qu'elle se déploie, nous comprendrions à quel point la petite enfance est essentiellement chez l'homme l'âge d'un capitalisme hâtif et vorace, prodigieu- sement actif et travailleur, en vue de sa propre production comme être humain réalisé dans sa stature adulte, capable de comprendre le mieux possible, le plus largement pos- sible et dans toutes les dimensions, capable d'assurer le mieux possible et sur tous les plans la survie de l'espèce.

Hélas ! la sortie de l'enfance gâche souvent ce prodi- gieux capitalisme conquérant qui caractérise le premier âge de la vie humaine, et qui au fond fait son enchante- ment, la fascination qu'il exerce sur les plus durs et les plus obtus d'entre nous. C'est quand nous étions vraiment des enfants, authentiquement des capitalistes, que nous étions vraiment nous-mêmes, en pleine expansion de notre personnalité. L'enfance est par excellence l'âge de la capitalisation des richesses produites, porteuses d'avenir. Parce qu'elle est essentiellement la période « capitaliste » de son existence, l'enfance est de beaucoup l'âge de l'homme le plus heureux et celui qui nous impose une révérence comme sacrée.

Ainsi l'homme est un animal qui a cette distinction, irréductible au règne animal pur, qu'il est « programmé pour comprendre » : prendre conscience de lui-même et de l'univers, sans qu'on puisse assigner quelque limite, en quelque dimension que ce soit — et même en des dimensions qui nous seraient encore inconnues — à cette compréhension possible de l'univers ou des univers qu'il est en effet programmé pour explorer. Cet autre instinct

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biologique, l'instinct d'exploration, fait de l'homme — déjà comme tout animal programmé pour sa re-production — un être aussi bien programmé pour une connaissance, et une co-naissance à une création qui lui est propre, à une « production » originale. L'homme prend ainsi conscience de sa distinction par rapport à l'univers où il est immergé, il fait la distinction d'un être par rapport à l'autre, il prend conscience de son éminence propre par rapport à tous les autres êtres qui l'environnent. Comme le disait Pascal, même si l'univers l'écrase, il reste supé- rieur à l'univers : il sait qu'il est écrasé, l'univers ne sait pas qu'il écrase ni ce qu'il écrase. L'homme discerne l'utilité ou la nocivité de tout être par rapport à lui-même, il nomme les choses qui l'entourent, leur donnant ainsi désignation et assignation dans son langage à lui : il arrive que les autres êtres vivants répondent et obéissent aux noms qu'il prononce.

Prenant conscience de sa distinction propre et de sa domination relative sur la nature environnante, l'homme devient de ce fait capitaliste, c'est-à-dire accumulateur et thésaurisateur en vue d'une production : il organise son environnement en vue de sa subsistance, de son confort, ou de son plaisir, pour son perfectionnement et son accom- plissement personnels.

Il prend également conscience de son instinct animal biologique de reproduction de l'espèce, mais là encore il agit de manière bien originale et en homme. Il explore, expérimente, capitalise, ne s'en remet pas seulement au hasard, il choisit son partenaire, il contrôle, il organise sa fécondité. Il fonde une famille, c'est-à-dire qu'il orga- nise consciemment sa propre reproduction physiologique. Mais il ne s'arrête pas là : il fait en sorte de faire profiter sa progéniture de l'expérience et des biens qu'il a acquis, de tout ce dont il a lui-même hérité, de son langage, de son capital de civilisation. C'est ce qu'on appelle une « éducation », inséparable pour l'homme de la reproduc- tion. Cette éducation est une transmission qui porte et apporte, non pas les données de programmation biolo- gique livrées naturellement et dès la conception, mais les

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données, non moins essentielles pour l'homme, de ce qu'il a compris, de ce qu'il a lui-même appris, de ce qu'il a lui-même exploré. Il transmet aussi à ses enfants, et ce n'est pas la moins vénérable part de son patrimoine, ses doutes et ses ignorances, ses interrogations. Pour l'homme, l'éducation consiste à introduire son petit dans l'univers infini de l'exploration, à former dans son petit l'instinct d'exploration que tout homme porte en lui en naissant puisqu 'au départ il est « programmé pour com- prendre ».

En tout cela et dès l'origine, tout homme est capi- taliste, apte à produire, à découvrir, à inventer, à se sou- venir, à transmettre. Tout homme devient un capitaliste conscient et organisé. Tout homme est devenu proprié- taire au moins de ce qu'il est, pour assurer la continuité de sa reproduction et de sa production, aussi élémentaire que celle-ci ait pu être au commencement. Cette faculté de capitalisation est connaturelle à l'homme : il n'y a que les fous qui ne capitalisent pas. Et une bonne défini- tion de la folie serait même l'impossibilité de capitaliser sur le plan intellectuel et spirituel.

Dès l'origine aussi l'homme fut un animal religieux. Il a adoré et béni l'Origine de la vie. Il a adoré et béni l'Origine de cette faculté native qui lui est propre et qui est le fait d'être « programmé pour comprendre ». Com- prendre veut dire aussi apprendre. Dès le départ, l'homme a eu conscience de son ignorance par rapport à son origine première et à sa destination ultime : « D'où venons-nous ? — Où sommes-nous ? — Où allons-nous ? — Qui som- mes-nous ? » Ce sont là des questions permanentes et inéluctables, auxquelles aucun système scientifique ou politique, aucun établissement temporel, aucune idéologie ne peuvent répondre et qu'ils ne peuvent pas non plus effacer de la conscience humaine. Je pense que la nature essentiellement religieuse de l'humanité est faite de ces questions et de l'impuissance où elle est d'y répondre. D'instinct l'homme sait que la part distinctive de lui- même dépasse le contrôle qu'il a de lui-même. La religion authentique de l'homme a toujours pris la forme d'une

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interrogation. Celui qui meurt en croyant parfaitement savoir la réponse à ces questions fondamentales est sûre- ment un idolâtre.

Pour définir le sens des mots, condition première de tout langage et de toute communication entre hommes, Aristote insistait beaucoup sur l'histoire de ce mot et sur ses origines expérimentales, car toute la connaissance de l'homme s'origine nécessairement aux sens : nous n'avons pas d'idées innées, toutes nos idées nous viennent de l'ex- périence. Pour la définition des mots, nous avons sur Aristote une grande supériorité qu'il serait absurde de négliger. La science moderne a tellement fouillé, analysé, critiqué et systématisé notre connaissance sensible du monde que pour la définition des mots, elle nous est d'un concours primordial. La recherche contemporaine retrouve d'instinct, analyse, approfondit et consacre définitivement le sens des mots qu'elle emploie : pour nous, il est incon- cevable de ne pas accepter et utiliser le sens de certains mots que définit et consacre la science moderne. Le mot « capitalisme » est de ceux-là : en parlant de capital et de patrimoine génétiques, la biologie constitue ces mots dans un sens précis que nous ne pouvons plus rejeter. Nous tenons désormais pour sûr que le capitalisme est un trait fondamental et distinctif de la nature humaine, qu'il est consubstantiel à l'homme, à tout homme, qu'il est connaturel à l'homme, à tout homme, d'être un « capi- taliste » et que cesser de l'être est sortir purement et sim- plement de la nature et de la dignité humaines. Cela est définitivement acquis grâce à la biologie moderne. Toute théorie, en quelque domaine que ce soit, qui serait par principe anticapitaliste se dénoncerait elle-même comme contraire à la nature humaine. J'aime autant dire, au seuil de ce livre, que dès qu'on a compris une chose aussi élémentaire, on se retrouve avec l'esprit étonnam- ment libre et libéré. Mon expérience des grandes libéra- tions que j'ai vécues dans ma vie m'incline à affirmer qu'il faut savoir en jouir dans toute leur étendue.

C'est dans l' instinct biologique explorateur, par lequel l'homme se distingue irréductiblement de l'animal, que

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gisent le capitalisme et la liberté humaine. L'animal aussi explore, mais le champ de son exploration se limite à sa survie et à sa reproduction. Comme l'animal, l'homme choisit entre ce qui lui est utile et nuisible. Mais il étend indéfiniment le champ du nuisible et de l'utile, parce qu'il prolonge ses finalités jusqu'à l'infini : il étend ses choix à des buts désintéressés, il choisit entre ce qui lui paraît le vrai et le faux, le beau et le laid, le bien et le mal sans même qu'il soit nécessairement impliqué personnellement dans ces distinctions. C'est là une sin- gularité prodigieuse par rapport à l'animal. Son critère de l'utile et du nocif peut se situer bien au-delà de lui- même et du temps. L'homme peut mentir, l'animal ruse, mais il ne ment pas. L'homme peut choisir ses interroga- tions et le niveau de ses interrogations. Il peut décider que désormais il ne pensera plus qu'à un niveau très bas. Cela arrive. Mais les grands sages de l'humanité nous ont enseigné qu'on peut s'établir au niveau des plus hautes préoccupations et qu'il suffit d'être homme pour cela : la sagesse n'a pas de clan.

Heureusement, voici l'époque où les interrogations les plus fondamentales et les plus hautes assaillent l'esprit de toutes parts. Ces interrogations reviennent par des chemins qui n'étaient plus du tout fréquentés par elles. Elles reviennent, portées sur la plus haute vague de la découverte scientifique, comme la libération du territoire, en 1944, nous est arrivée par la mer et par le ciel. C'est la grande libération du langage par la découverte scienti- fique. Les interrogations fondamentales surgissent, armées de pied en cap, avec des armes que nous ne leur connais- sions pas. Elles sont bien décidées à faire notre siège, le siège de notre esprit. Nous ne pouvons plus les ignorer, pas plus que la citadelle assiégée ne peut ignorer l'assié- geant qui a coupé l'accès aux sources et aux puits. Et cela d'autant plus que, lorsque nous sondons notre cœur, nous le découvrons comme en 1944 complice de cet envahis- seur-libérateur.

Ces questions prétendent entrer chez nous comme chez elles, et elles ont raison : chez nous, elles sont chez

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elles. Elles signifient un congé définitif à l'occupant : les idéologies, les idées toutes faites, les compromis, les accommodements, tout ce qui faisait jusqu'ici notre ron- ron intellectuel confortable, si confortable, qui nous ber- çait et nous rassurait. Voici revenir sur nous la haute vague de la surprise, de la découverte, de l'aventure, de la redéfinition des mots. Bienvenue à tout ce qui nous arrache à des rivages trop familiers et qui nous emporte vers le grand large, vers l'inconnu ! Nous sommes contraints de monter de plus en plus haut l'étiage de nos interrogations. Les problèmes humains qui se posent à nous ne peuvent plus être résolus à leur niveau propre. Pour déchiffrer seulement une seule portée, il nous faut remonter toute la partition d'une octave.

Le professeur Bernard d'Espagnat, physicien français, écrit : « Tant il est vrai que l'authentique renouvellement ne s'obtient pas par un acte de volonté (le nouveau voulu à tout prix ! ) mais bien par la rencontre de données objectives, que l'on ignorait jusqu'alors, et qui incitent à des pensées inédites, mais naturelles. »

Tout est dit en ces quelques mots. Une énorme mois- son de données nouvelles est produite par l'ensemble des sciences modernes, et cela dans tous les domaines. Pour provoquer un renouvellement, une révolution, il suffit de favoriser les confrontations entre ces données nouvelles et nos mots les plus usuels, comme celui de « capitalisme » et tant d'autres mots également dont nous avons une notion terriblement appauvrie. Nous pourrons alors consi- dérer notre époque de manière tout à fait inédite et le plus naturellement du monde.

C'est grâce à son « capital génétique » que l'animal, le vivant en général, est capable de croître et de se repro- duire avant la dégénérescence fatale. Mais en plus de ce capital génétique qu'il possède comme tout vivant, l'homme est « programmé pour comprendre » : il a donc en surplus un capital, génétique lui aussi, mais orienté

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Dès les premières pages, on comprendra que ce livre n'est pas un ouvrage de politique. D'une manière générale, le discours politique m'ennuie. Pourtant, ce livre peut avoir une significa- tion politique par les conclusions éventuelles que chaque lecteur en tirera. On est pour ou contre le capitalisme, mais on ne sait guère ce qu'est le capitalisme. Même le socialisme se définit en contra- diction avec le capitalisme. Mais comme on ignore ce qu'est le capitalisme, on n'en sait pas davantage sur le socialisme. On parle, on parle beaucoup, mais une des plaies de notre époque est qu'on ne sache pas le sens des mots qui reviennent constamment dans la discussion, pour lesquels on en viendrait parfois aux mains, que ce soit au Café du Commerce, au Parle- ment ou même à l'Université. Le Littré donne du mot « Capital » cette toute première défini- tion : « Où il s'agit de la tête ou de la vie». Immédiatement, et par rapport à nos médiocres querelles, on a pris du champ, on respire mieux. Ce livre est une redéfinition, une défense, une illustration du mot « Capitalisme ». J'aurai du moins rendu ce service à mes contemporains d'avoir mis en pleine lumière la riche signification d'un mot, d'un seul mot, dont on s'acharne depuis des siècles à obscurcir le sens originel. Le capitalisme, c'est la générosité de la vie, et un capi- taliste, c'est d'abord une tête chercheuse.

R.-L. BRUCKBERGER

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