histoire du capitalisme

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Histoire du capitalisme 1 Histoire du capitalisme La question du commencement de l’histoire du capitalisme, de ses origines, a t source de dbats sociologiques, conomiques et historiques depuis le XIX e sicle. Pour Karl Marx, ce systme de production, symbole du triomphe de la bourgeoisie sur la noblesse, ne serait qu’une tape dans l’histoire de l’humanit, caractrise par la lutte des classes, et serait condamn tre renvers par le proltariat. Les sociologues allemands du dbut du XX e sicle ont quant eux mis en avant des explications culturelles et religieuses pour expliquer son mergence, Werner Sombart l’associant la mentalit juive, Max Weber l’thique protestante. Plus rcemment des historiens, tel Fernand Braudel, se sont intresss l’volution dans le temps long de cette civilisation , en faisant remonter ses racines au Moyen ge. L’histoire du capitalisme soulve de nombreuses polmiques, sujets de confrontation entre les grands courants politiques et conomiques : imprialisme, colonialisme, ingalits, crises conomiques, exploitation, mais aussi dmocratie, libert, dveloppement, richesse et abondance sont autant de termes et concepts manis par les auteurs qui ont tudi le sujet. Les origines d’une civilisation Le capitalisme mdival Le Grand Canal Venise, par Turner (v.1835) Pour Fernand Braudel (la Dynamique du capitalisme, 1985), le capitalisme est une civilisation aux racines anciennes, qui a dj connu des heures prestigieuses attestes par le rayonnement des grandes cits-tats marchandes : Venise, Anvers, Gnes, Amsterdam, etc. mais dont les activits restent minoritaires jusqu’au XVIII e sicle. Werner Sombart (Le Capitalisme moderne, 1902) date quant lui l’mergence de la civilisation bourgeoise et de l’esprit d’entreprise du XIV e sicle, Florence. Commerce mdival Comme le montre Braudel, on trouve ds le Moyen ge des premires manifestations du capitalisme commercial en Italie et aux Pays-Bas. Le commerce maritime avec l’Orient, suite aux croisades, a enrichi les cits italiennes, tandis que les Pays-Bas, l’embouchure du Rhin, font le lien entre l’Italie et l’Europe du Nord domine par la ligue hansatique. Dans les grandes cits, les marchands de draps et de soieries adoptent des mthodes de gestion capitalistes. Ils effectuent des ventes en gros, tablissent des comptoirs et vendent leurs produits dans l’ensemble des grandes foires europennes. Ils se fournissent en matires premires aussi bien en Europe qu’au Levant. Dans cette poque trouble du Moyen ge, ils rglent leurs paiements par lettres de change, moins dangereuses que le transport de mtaux prcieux. C’est donc logiquement que se dveloppent, en parallle du capitalisme commercial, les premires activits bancaires du capitalisme financier : dpts, prts sur gage, lettre de change, assurance pour les navires.

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  • Histoire du capitalisme 1

    Histoire du capitalismeLa question du commencement de l'histoire du capitalisme, de ses origines, a t source de dbats sociologiques,

    conomiques et historiques depuis le XIXesicle. Pour Karl Marx, ce systme de production, symbole du triomphe

    de la bourgeoisie sur la noblesse, ne serait qu'une tape dans l'histoire de l'humanit, caractrise par la lutte des

    classes, et serait condamn tre renvers par le proltariat. Les sociologues allemands du dbut du XXesicle ont

    quant eux mis en avant des explications culturelles et religieuses pour expliquer son mergence, Werner Sombart

    l'associant la mentalit juive, Max Weber l'thique protestante. Plus rcemment des historiens, tel Fernand

    Braudel, se sont intresss l'volution dans le temps long de cette civilisation , en faisant remonter ses racines au

    Moyen ge.

    L'histoire du capitalisme soulve de nombreuses polmiques, sujets de confrontation entre les grands courants

    politiques et conomiques : imprialisme, colonialisme, ingalits, crises conomiques, exploitation, mais aussi

    dmocratie, libert, dveloppement, richesse et abondance sont autant de termes et concepts manis par les auteurs

    qui ont tudi le sujet.

    Les origines d'une civilisation

    Le capitalisme mdival

    Le Grand Canal Venise, par Turner (v.1835)

    Pour Fernand Braudel (la Dynamique du

    capitalisme, 1985), le capitalisme est une

    civilisation aux racines anciennes, qui a

    dj connu des heures prestigieuses attestes

    par le rayonnement des grandes cits-tats

    marchandes : Venise, Anvers, Gnes,

    Amsterdam, etc. mais dont les activits

    restent minoritaires jusqu'au XVIIIesicle.

    Werner Sombart (Le Capitalisme moderne,

    1902) date quant lui l'mergence de la

    civilisation bourgeoise et de l'esprit

    d'entreprise du XIVesicle, Florence.

    Commerce mdival

    Comme le montre Braudel, on trouve ds le

    Moyen ge des premires manifestations du capitalisme commercial en Italie et aux Pays-Bas. Le commerce

    maritime avec l'Orient, suite aux croisades, a enrichi les cits italiennes, tandis que les Pays-Bas, l'embouchure du

    Rhin, font le lien entre l'Italie et l'Europe du Nord domine par la ligue hansatique. Dans les grandes cits, les

    marchands de draps et de soieries adoptent des mthodes de gestion capitalistes. Ils effectuent des ventes en gros,

    tablissent des comptoirs et vendent leurs produits dans l'ensemble des grandes foires europennes. Ils se fournissent

    en matires premires aussi bien en Europe qu'au Levant. Dans cette poque trouble du Moyen ge, ils rglent

    leurs paiements par lettres de change, moins dangereuses que le transport de mtaux prcieux. C'est donc

    logiquement que se dveloppent, en parallle du capitalisme commercial, les premires activits bancaires du

    capitalisme financier : dpts, prts sur gage, lettre de change, assurance pour les navires.

  • Histoire du capitalisme 2

    Venise, centre d'une conomie-monde la fin du Moyen ge

    Ces capitalistes s'enrichissent si bien

    qu'ils tendent leur emprise

    conomique sur l'ensemble de

    l'Occident chrtien, crant ainsi ce que

    Braudel appelle une

    conomie-monde . Dans son analyse,

    Braudel distingue l' conomie de

    march du capitalisme, ce dernier

    constituant une sorte de

    contre-march . Selon lui, l'conomie

    de march (cest--dire l'conomie

    locale cette poque) est domine par

    les rgles et les changes loyaux, parce que soumise la concurrence et une relative transparence, le capitalisme

    tente de la fuir dans le commerce lointain afin de s'affranchir des rgles et de dvelopper des changes ingaux

    comme nouvelles sources d'enrichissement.

    On peut remarquer que ds l'Antiquit, des systmes identiques avaient ts mis en place par les Phniciens, les

    Grecs, les Carthaginois, les Romains. Ces systmes taient toutefois davantage marqus par l'imprialisme et

    l'esclavagisme que par le capitalisme. travers le monde, d'autres formes de capitalisme commercial se dveloppent

    de manire prcoce l'poque fodale (sous la dynastie Ming en Chine par exemple).

    Vie urbaine

    Dans les grandes villes spcialises d'Europe, l'artisanat, tourn essentiellement vers l'exportation, est domin par les

    grands ngociants et drapiers, si bien que les rapports conomiques entre artisans et marchands s'apparentent du

    salariat. Les ngociants contrlent la fois l'apport de matires premires en amont et la vente des produits finis en

    aval.

    La population urbaine se diffrencie dj en plusieurs classes conomiques distinctes, riches pour certaines, pauvres

    pour d'autres. La ville de Florence en est le parfait exemple : on y trouve trs tt des banquiers qui dveloppent des

    succursales travers l'Europe et asservissent l'industrie leur recherche du profit. Parmi eux de grandes familles,

    telle celle des Mdicis, crent les premiers rapports privilgis entre le monde des affaires et le monde politique.

    Apparition des bourses la fin du Moyen ge

    Selon Fernand Braudel, l'apparition des premires bourses remonte au XIVe sicle dans ces cits italiennes o le

    commerce est permanent (contrairement aux foires mdivales se droulant sur des priodes restreintes) et o se

    concentrent l'essentiel des activits financires.

    C'est toutefois la cration en 1409 de la bourse de Bruges, un htel ddi l'change de marchandises, lettres de

    change et effets de commerce, qui marque un tournant dans le dveloppement des activits financires. La place

    s'impose rapidement grce l'ouverture de son port, la renomme de ses foires commerciales et au climat de

    tolrance et de libert dont profitent marchands et investisseurs de toutes origines. Ce sont ces mmes atouts qui

    permettront ensuite la place d'Anvers (cre en 1460) de se dvelopper au dbut de la Renaissance. On pouvait lire

    son fronton : Ad usum mercatorum cujusque gentis ac linguae ( l'usage des marchands de tous les pays et de

    toutes les langues ).

  • Histoire du capitalisme 3

    Renaissance et Rforme

    L'thique protestante

    Max Weber (dans l'thique protestante et l'esprit du capitalisme en 1905) considre que l'mergence du capitalisme

    moderne date de la Rforme. Sur la base d'un constat sociologique, il lie l'esprit du capitalisme moderne la

    mentalit protestante et le voit donc comme le rsultat d'une volution lente issue de la Rforme, et plus

    gnralement de l'volution religieuse se faisant dans le sens d'un dsenchantement du monde . On remarque

    d'ailleurs que des formes sporadiques de capitalisme financier avaient t dveloppes depuis bien longtemps par les

    Lombards et les juifs, non soumis aux contraintes religieuses du catholicisme. C'est d'ailleurs ces derniers que

    Werner Sombart (le Capitalisme moderne) attribuera la gense du capitalisme moderne.

    Selon Weber, le capitalisme occidental correspond l'apparition d'un esprit nouveau, d'une rvolution culturelle.

    Weber emploi alors le terme capitalisme moderne pour caractriser la recherche rationnelle et systmatique du

    profit par l'exercice d'une profession. Plus que la richesse, dont le dsir n'est pas nouveau, c'est l'esprit

    d'accumulation qui s'impose comme vecteur d'ascension sociale.

    Cette nouvelle thique se diffuse grce l'mergence de nouvelles valeurs : l'pargne, la discipline, la conscience

    professionnelle. Cette dernire permet par exemple l'apparition d'une lite ouvrire qui, au-del du salaire, se soucie

    de la qualit de son uvre. Le travail devient une fin en soi. En parallle merge un personnage emblmatique,

    l'entrepreneur, qui recherche une russite professionnelle profitable la socit dans son ensemble.

    Le contexte favorable cette volution des valeurs est celui de la Rforme. Pour Max Weber, l'thique du mtier

    vient du luthranisme qui encourage chaque croyant suivre sa vocation, et qui fait de la russite professionnelle un

    signe d'lection divine. En effet, les croyants ordinaires, sachant qu'ils n'ont pas la matrise de leur salut (logique de

    la prdestination), tentent ardemment de trouver dans leur vie prive des signes de cette prdestination, telle la

    russite professionnelle, afin d'attnuer leur angoisse vis--vis de la mort et du jugement qui la suit. Par ailleurs le

    rapport direct Dieu prn par la religion protestante acclre le processus de dsenchantement du monde (en

    supprimant nombre de pratiques religieuses par exemple), ce qui concourt l'mergence de la rationalit. Dj, Karl

    Marx avait remarqu un processus de dmystification en crivant :

    La bourgeoisie (...) a noy les frissons sacrs de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la

    sentimentalit quatre sous dans les eaux glaces du calcul goste.

    (Manifeste du Parti Communiste, 1848).

    Cette rationalisation permet l'apparition de nouveaux dogmes qui fondent l'esprit du capitalisme :

    La rpugnance au travail est le symptme de l'absence de grce. ,

    Le temps est prcieux, infiniment car chaque heure perdue est soustraite au travail qui concourt la gloire de

    Dieu.

    (Max Weber, l'thique protestante et l'esprit du capitalisme).

    Max Weber illustre ses propos d'un texte de Benjamin Franklin, rvlateur selon lui des nouvelles mentalits :

    Celui qui perd cinq shillings perd non seulement cette somme, mais aussi tout ce qu'il aurait pu gagner en

    l'utilisant dans les affaires, ce qui constituera une somme d'argent considrable, au fur et mesure que

    l'homme jeune prendra de l'ge.

    Advice to a young tradesman, 1748

    Les thses de Weber ont t trs critiques. Le lien entre le dogme de la prdestination et l'esprit du capitalisme est

    trs paradoxal, vu qu'il revient pour un fidle a rechercher des signes d'lection tandis que le dogme affirme la

    prdestination comme de toute manire impntrable. Des historiens infirment quant eux la concomitance des deux

    phnomnes (Braudel par exemple, qui date le capitalisme d'une priode antrieure la Rforme).

  • Histoire du capitalisme 4

    L'esprit d'innovation

    La Bible de Gutenberg (14501454), l'une des premires productions

    standardises de grande srie

    D'aprs Lewis Mumford (Techniques et civilisations,

    1950), le systme technique de la Renaissance annonce

    le futur conomique du monde occidental.

    Le XVesicle vit par exemple la mise au point de

    l'imprimerie caractres mobiles (la typographie )

    par Gutenberg. Soucieux de prserver autant qu'il se

    peut les secrets de ses recherches, contraints des

    emprunts montaires importants, il est en quelque sorte

    l'archtype des futurs capitalistes. Son objectif est de

    rpondre une demande insatisfaite : la demande de

    culture des esprits de moins en moins analphabtes de

    la Renaissance. Au besoin de publications grande

    chelle de livres majeurs va rapidement suivre la

    demande d'une production plus diversifie. La diffusion de Bibles usage personnel contribue l'essor de la

    Rforme, tandis que celle-ci accrot en retour la demande. En partie permise par les progrs de la mtallurgie, la

    typographie lui fournit en retour des dbouchs. Intrt pour la mcanique, prmices de standardisation ,

    productions de grandes sries, soucis de la productivit et esprit d'innovation S'il faudra bien attendre des

    avances similaires dans l'industrie textile pour connatre le dcollage industriel, l'imprimerie montre bien que le

    terreau du capitalisme est plus ancien. Au sujet de l'imprimerie, Max Weber fait remarquer qu'elle existait depuis

    bien longtemps en Chine et srement en Inde, mais comme de nombreuses techniques, hrites parfois de l'Antiquit

    (la force de la vapeur tait par exemple connue dans l'gypte antique), elle a d attendre de pouvoir s'insrer dans un

    ensemble de techniques cohrentes et complmentaires pour pouvoir s'imposer. Elle ne le fit d'ailleurs pas sans

    rencontrer d'opposition, notamment de la part des copistes mdivaux.

    Une presse imprimer

    Vers un nouveau systme technique

    Le nouveau systme technique qui se met en place

    la Renaissance permet l'mergence de certains

    principes du capitalisme moderne comme

    l'amlioration de la productivit, l'conomie de main

    d'uvre, l'augmentation de la production en volume

    et sa diversification ou encore l'investissement. Il

    s'appuie sur quelques innovations de rupture comme

    le haut fourneau, l'imprimerie ou le systme

    bielle-manivelle, la monte en puissance des grands

    secteurs industriels (mtallurgie, exploitation

    minire) et l'utilisation courante d'une source

    d'nergie (hydraulique). Ce systme, qui persistera

    jusqu'au milieu du XVIIIesicle, entranera

    l'adoption d'un systme social correspondant pour

    tre au final le terreau d'un capitalisme naissant et le

    tombeau du rgime fodal qui n'aura pas su s'inscrire

    dans cette mutation en profondeur.

  • Histoire du capitalisme 5

    Le mercantilisme

    partir du XVIesicle, la pense conomique n'est plus domine par les thologiens, mais par des penseurs lacs qui

    se soucient en premier lieu de la puissance de l'tat : les mercantilistes. Afin d'assurer l'expansion de la richesse du

    Prince, les valeurs religieuses sont oublies. Peu importe que l'usure soit un pch ou non, les gouvernants ne se

    soucient plus que telle ou telle politique commerciale ne soit pas chrtienne : seule compte la raison d'tat. Cette

    pense n'est pas celle du capitalisme, vu qu'elle ne se soucie que de l'importance de la puissance de l'tat et non du

    dveloppement de la richesse prive. Toutefois, d'abord parce qu'elle contribue liminer les valeurs religieuses,

    ensuite parce qu'elle peut trouver intrt au dveloppement des affaires prives, elle prpare les volutions futures.

    Souvent la cration de monopoles par l'tat constituait un compromis entre l'enrichissement des marchands et la

    mainmise de la puissance publique sur les activits les plus lucratives. Ce fut par exemple le cas des diffrentes

    Compagnies des Indes.

    volutions juridiques et montaires

    Une obligation de la Compagnie hollandaise des

    Indes orientales, mise en 1623

    Au XVIIesicle, la Hollande acquiert d'importants comptoirs en

    Inde et dveloppe le commerce des pices, du poivre en particulier

    ; elle s'est tabli au Japon et commerce avec la Chine. Elle devient

    le nouveau centre de l' conomie-monde selon Braudel. En

    1602, elle fonde la premire Compagnie des Indes orientales : c'est

    la premire grande socit par actions . Ses dividendes

    s'levaient souvent 15, voir 25%. De 3100 florins, les actions

    montrent 17000 florins la fin du sicle. Elles taient soumises

    d'incessantes spculations, alimentes par les rumeurs les plus

    infondes, voire des campagnes de dsinformation organises. La

    Compagnie met aussi des obligations. La Compagnie anglaise des

    Indes orientales prend le relais et le modle inspire la cration de

    compagnies dans l'industrie mtallurgique, textile, papier...

    Dpart des voiliers de la Compagnie des Indes orientales, par Hendrick Cornelisz

    (v.16301640)

    En parallle, l'afflux d'or depuis les colonies

    d'Amrique permet partir du XVIesicle

    une stimulation des changes, un

    perfectionnement des mthodes de paiement

    et des techniques montaires. Les monnaies

    fiduciaires connaissent une importante

    expansion, les premiers billets apparaissent.

    Dans le reste du monde, les changes restent

    limits par l'usage de monnaies

    mtalliques dans l'enfance .

    La Hollande connat aussi la premire bulle

    spculative de l'Histoire, c'est la

    Tulipomanie. Dans les annes 1630, le prix des tulipes connat une forte envole, l'oignon atteignant parfois le prix

    d'une maison bourgeoise. Lorsque celui-ci devint manifestement irrationnel, le premier krach de l'Histoire se

    produisit.

  • Histoire du capitalisme 6

    L'mergence du capitalisme

    Le Syndic des drapiers, par Rembrandt (1662). uvre de commande, elle

    symbolise la russite de la bourgeoisie ainsi que la puissance d'Amsterdam

    Toutefois, l'mergence du capitalisme est plus

    souvent associe aux prmices de la rvolution

    industrielle, et en particulier au XVIIIesicle.

    Les formes de proprit prive des moyens de

    production et de salariat se dveloppent durant

    cette priode.

    volution des rapports sociaux

    Dans le domaine artisanal, le capitalisme connat

    des formes antrieures l'usine ou la

    manufacture. L'agriculture induit des priodes de

    faible activit (la morte saison surtout) et les

    manufacturiers des villes s'intressent

    rapidement cette main d'uvre rgulirement

    oisive. Le travail domicile, ou domestic system , va se dvelopper. Il permet aux artisans et manufacturiers de

    sous-traiter une partie de leur production aux familles paysannes. Dans le cadre plus spcifique du putting-out

    system , les entrepreneurs fournissent aux travailleurs ruraux (et toujours domicile) des matires premires, voire

    des outils, puis viennent rcuprer en change d'un salaire le produit transform, qui sera parfois achev dans les

    ateliers urbains. Ce systme a, par exemple, un intrt majeur dans le cadre de la production textile. Si on ne peut

    qualifier de telles mthodes de capitalistes, elles sont bien annonciatrices des futurs rapports sociaux entre

    employeurs et salaris.

    Signes de dclin de l'artisanat

    La spinning-jenny de James Hargreaves, invente en

    1765, dcuplait la productivit du fileur ; 20000 furent

    vendues avant 1790

    Les innovations des dbuts de la rvolution industrielle restent

    accessibles aux petits artisans (cf. image de la

    spinning-jenny ci-contre) et ne requirent pas encore la

    concentration du capitalisme industriel. On assiste pourtant

    de premires grandes concentrations sporadiques, sans lien

    avec le machinisme mais lies des productions particulires,

    comme par exemple l'impression sur toile. Cette dernire

    ncessite des terrains tendus afin de blanchir les toiles, des

    pices immenses o les scher. Elle requiert un outillage

    diversifi et complexe, et entrane des stocks importants de

    toiles et de colorants. Enfin, elle ncessite le regroupement

    d'ouvriers spcialistes dans des tches distinctes. Finalement,

    de nombreuses formes de productions, pas encore mcanises,

    entranent les premires grandes concentrations de capitaux et

    de la main-d'uvre.

    La question de l'accessibilit du capital aux plus humbles est essentielle dans l'analyse marxiste. En effet, Marx

    distingue deux formes diffrentes de proprit prive : celle du travailleur qui possde les moyens de la production

    qu'il met en uvre et celle de la bourgeoisie qui emploie la force de travail des proltaires. La premire forme

    historique correspond au dveloppement de l'artisanat et de la petite agriculture, elle permet le dveloppement des

    qualifications. Puis la seconde forme, lie l'appropriation des moyens de production (voir l'Inclosure Act par

    exemple) par la bourgeoisie (ou la noblesse), permet l'apparition de la grande industrie, des grandes proprits

  • Histoire du capitalisme 7

    agricoles, du salariat et donc de l'ensemble des mcanismes qui fondent le mode de production capitaliste.

    Appropriation des terres

    Un acte d'enclosure datant de 1793

    Dans le domaine agricole, le systme fodal perdure longtemps (le

    servage n'est aboli qu'en 1861 en Russie, ce qui en fait un cas

    exceptionnel). En 1727, l'Enclosure Act permet aux lords

    britanniques de s'approprier et de clturer les champs. Auparavant,

    la proprit revenait aux communes, et les champs taient

    exploits par l'ensemble des paysans locaux qui profitaient

    ensemble des rcoltes. Toutefois les premires vagues d'enclosures

    sont plus anciennes et datent du XVesicle. Les bouleversements

    qu'elles provoquent marquent dj les esprits de l'poque : Thomas

    More dnonce dj dans Utopia (1516) les consquences sociales

    des balbutiements du capitalisme naissant et dcrit un monde

    alternatif, un nulle part imaginaire marqu par un style de vie

    s'apparentant au communisme. Le long processus des enclosures et

    l'imposition des droits de proprit sur les champs vont crer une

    distinction nette entre le propritaire et le salari (les anciens petits

    exploitants devenant les salaris des landlords). La France connat

    dans ce domaine un phnomne diffrent au dbut du XIXesicle :

    le Code Napolon, qui disperse les terres entre les hritiers au

    moment du dcs, freine le dveloppement des grandes proprits

    du capitalisme agricole.

    En pleine transition dmographique, cette appropriation est le fait d'un intrt nouveau pour le monde agraire de la

    part des lites britanniques, qui souhaitent dvelopper une agriculture haut rendement, et donc lucrative, sur le

    modle de la Hollande et des Flandres. Cette appropriation entranera immdiatement une activit et des

    investissements importants, du fait mme de l'installation des cltures. Sur le modle des les britanniques, la

    proprit prive des terres s'tend travers l'Europe et les Amriques, non sans rencontrer des oppositions,

    notamment morales :

    Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de dire : ceci est moi, et trouva des gens assez simples pour

    le croire, fut le vrai fondateur de la socit civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misres et

    d'horreurs n'et point pargns au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le foss, et cri

    ses semblables : Gardez-vous d'couter cet imposteur ; vous tes perdus si vous oubliez que les fruits sont

    tous, et que la terre n'est personne !

    Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine de l'ingalit, 1755

    La lgitimit historique du capitalisme agraire se trouve essentiellement dans son effet direct : la Rvolution

    agricole. Comme l'a montr Max Weber, l'introduction de l'ide de profit individuel a permis l'mergence du

    rationalisme dans la production, source principale de la productivit :

    Lorsque les fruits sont tous et que la terre n'est personne, la terre ne produit que des bruyres et des forts.

    Jean-Baptiste Say

    Les progrs de l'agriculture capitaliste ont t ncessaires pour alimenter une population dont la croissance

    exponentielle (elle passe en Grande-Bretagne de 6 18millions entre 1750 et 1850) faisait craindre aux plus

    pessimistes (Thomas Malthus en particulier) une fin dsastreuse.

  • Histoire du capitalisme 8

    L'avnement politique du capitalisme

    Selon Braudel, le capitalisme ne peut s'tablir profondment que l o les lois le lui permettent et assurent son

    panouissement :

    Il y a des conditions sociales la pousse et la russite du capitalisme. Celui-ci exige une certaine

    tranquillit de l'ordre social, ainsi qu'une certaine neutralit, ou faiblesse, ou complaisance de l'tat.

    La Dynamique du Capitalisme

    La constitution des conomies capitalistes telles que nous les connaissons a donc suppos d'importants changements

    lgislatifs instaurant la proprit prive du capital et un march du travail. Pour Karl Marx, ces changements ne sont

    que la manifestation de la prise de pouvoir au sein de l'tat de la bourgeoisie, une des tapes essentielles de la lutte

    des classes.

    Proprit prive des moyens de production

    En Grande-Bretagne, le vote de l'Enclosure Act marque l'avnement de la proprit prive du capital, il est suivi au

    XIXesicle de la libralisation de l'actionnariat. En 1825, le Bubble Act, qui limitait la taille des entreprises, est

    abrog. En 1856, la cration de socits anonymes est libre de toute contrainte. C'est le dbut de la domination des

    thories du laissez-faire, souhaitant limiter l'intervention de l'tat dans l'conomie : idologie rpandue en

    Grande-Bretagne par les auteurs de l'cole classique anglaise [1] .

    L'article XVII de la Dclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen

    En France, suite aux mouvements

    rvolutionnaires de la capitale, les chteaux

    des campagnes sont assaillis la fin juillet

    1789 par les paysans qui contestent la

    proprit seigneuriale. Dans la nuit du 4

    aot 1789, les privilges de la noblesse sont

    abolis et la proprit foncire est ds lors

    ouverte la bourgeoisie, tandis que la disparition de nombreux impts d'Ancien Rgime permet de (re)lancer

    l'investissement. Le 26 aot, la proprit prive est, sous les auspices de l'tre suprme , reconnue dans la

    Dclaration des droits de l'homme et du citoyen comme un droit inalinable.

    Aux tats-Unis, depuis la colonisation, la proprit prive des terres a t la rgle. Toutefois, la lgislation

    amricaine a pu se montrer trs favorable envers les moins riches et a su, grce l'immensit du territoire, faire de la

    proprit prive de la terre une notion fondamentale dfendue par les plus humbles (non esclaves). Une loi de 1862

    accorde en effet la proprit prive de 160arpents aux pionniers. Le Homestead Act, en offrant un jardin cultiver

    aux Europens dmunis, stimule les flux migratoires vers les tats-Unis.

    March du travail

    En Grande-Bretagne, les conomistes classiques de la fin du XVIIIesicle et du dbut XIXesicle vont concentrer

    leurs critiques sur les lois tablies afin de permettre l'mergence de lois favorisant le march. Hrites du

    XVIIesicle, les poor laws britanniques offraient via les paroisses une assistance aux indigents en leur attribuant un

    travail dans des workhouses, voire leur faisaient la charit de quelques denres ncessaires leur survie. Les grands

    classiques de l'conomie (Adam Smith, Thomas Malthus et David Ricardo) s'acharnent contre ce systme qui

    empcherait la mobilit des travailleurs. En 1834, la quasi-abrogation de ces lois contraint les pauvres se rendre en

    ville afin d'viter la famine, en trouvant par la vente de leur force de travail les ressources ncessaires leur survie.

    Cette rforme intervient cependant une poque o le Royaume-Uni a dj lanc sa rvolution agricole puis

    industrielle et doubl sa population au cours du XVIIIme sicle, grce notamment au succs des usines de coton,

    prenant une norme avance sur le reste du monde, qu'il perd peu peu partir de 1850.

  • Histoire du capitalisme 9

    En France, la constitution du march du travail et la libert des capitaux est permise en juin 1791 par la Loi Le

    Chapelier, qui interdit toute libert d'association : corporations, associations et coalitions (c'est--dire syndicats et

    grves).

    Aux tats-Unis, c'est le 13e amendement de la Constitution qui abolit l'esclavage le 18 dcembre 1865, qui conclut la

    libralisation du travail dans l'ensemble des secteurs d'activit.

    Histoire du capitalisme moderne

    Introduction

    La machine vapeur, exemple-type de la ncessaire concentration des capitaux

    Alors que la lgislation favorise la

    bourgeoisie, la rvolution industrielle

    s'emballe au dbut du XIXe sicle. Les

    productions de plus en plus importantes en

    volume, et les produits de plus en plus

    complexes, ncessitent des investissements

    de plus en plus grands. C'est le cas dans

    l'industrie naissante, mais aussi dans

    l'agriculture o de grosses machines (les

    moissonneuses batteuses ds 1834) font leur

    apparition. L'cart croissant entre le cot de

    ces machines et les salaires, ainsi que la

    limitation des biens communs et la duret du

    travail, contribuent segmenter la socit en

    deux groupes bien distincts : les

    propritaires du capital, et ceux que Marx

    appellera plus tard les proltaires . Les usines se dveloppent, les paysans sont emmens de leurs campagnes pour

    rejoindre les villes et vendre leur force de travail dans l'industrie.

    En un sicle, le triomphe du capitalisme industriel a transform une socit traditionnelle, rurale et agricole, en une

    socit urbaine et industrielle. L'exode rural, combin l'explosion dmographique, a dpeupl les campagnes (il est

    toutefois intressant de noter qu'en 1881, plus de 62 % des Franais sont encore des ruraux) et les ouvriers sont

    venus s'entasser dans les banlieues des grandes cits industrielles. Cette concentration humaine, associe la misre

    ouvrire et au chmage de masse (l' arme de rserve dcrite par Marx), contribue l'mergence de la conscience

    de classe au sein du proltariat. Auparavant une misre agricole au moins gale, peut-tre souvent pire n'entranait

    pas de tels problmes sociaux du fait de l'absence de concentration. Les paysages sont profondment transforms, les

    villes champignons se multiplient, les grands centres conomiques sont rebtis (Paris par Haussmann), les

    rgions charbonnires sont dfigures...

    Toujours au plan social, le capitalisme managrial (Alfred Chandler, la Main visible des managers) mergeant au

    tournant des deux sicles provoque de nouvelles distinctions entre propritaires , entrepreneurs , ouvriers et

    gestionnaires . Ds lors, les profits des propritaires sont de moins en moins lgitimes et s'apparentent une rente,

    car il n'est plus seulement question de la rmunration de leur talent d'entrepreneur. Toutefois, les riches familles de

    rentiers sont dpasses par les entrepreneurs de gnie ds la fin du XIXe (Siemens, Edison, Ford et plus

    rcemment Bill Gates), comme le fut en son temps la noblesse.

    Aprs la Seconde Guerre mondiale, une priode de forte croissance conomique, les Trente Glorieuses (Jean

    Fourasti) en France, amne de nombreuses conomies du Nord la socit de consommation, tandis que s'impose

    une classe moyenne et que les niveaux de vie ont tendance s'uniformiser.

  • Histoire du capitalisme 10

    Le dernier quart du XXesicle est marqu par l'ouverture croissante des marchs financiers et par le nivellement des

    niveaux de vie. Les petits actionnaires se multiplient, l'actionnariat salari se dveloppe, ainsi que les fonds de

    pensions dans les pays anglo-saxons. Il semble que dans ses dernires volutions, le capitalisme veuille se montrer

    comme bnficiant un plus grand nombre qu'auparavant. Mais surtout, la fin du XXe sicle est marque par la

    chute du systme conomique alternatif exerc dans les pays du bloc communiste (dont certains estiment qu'ils

    constituaient en vrit une forme tatique du capitalisme[2] ) ayant dsormais des conomies de transition. Le

    capitalisme est alors dominant sous sa forme librale, mais des secteurs avec des modes de fonctionnement diffrents

    coexistent (conomie sociale, conomie publique, professions librales), celles-ci reprsentent 50 60% du PIB

    dans les pays dvelopps, ce qui rend relatif le poids de l'conomie capitaliste dans ces socits.

    Institution de l'conomie de march

    Selon Karl Polanyi (La Grande Transformation, Aux origines de notre temps, 1944), l'Occident a connu depuis la fin

    du XVesicle, une gnralisation des relations de march. Il note toutefois que la prpondrance de celles-ci sur les

    relations traditionnelles, bases par exemple sur le don, le servage, le travail collectif ne devient effective qu'au

    XIXesicle. C'est en effet durant cette priode que se met en place en Occident une civilisation dont l'conomie

    repose sur le march autorgulateur, l'tat libral, l'talon-or comme systme montaire international, et l'quilibre

    des puissances depuis la fin des guerres napoloniennes.

    Pour dcrire cette transformation, K. Polanyi reprend l'exemple de l'avnement du march du travail en

    Grande-Bretagne. Le systme traditionnel encadrait le travail par d'importantes restrictions juridiques. Les

    corporations imposaient des rgles, davantage bases sur la coutume que sur les lois du march, concernant aussi

    bien les rapports entre matres, compagnons et apprentis, que les conditions de travail ou les salaires. Ces derniers

    taient par exemple annuellement valus par des fonctionnaires.

    Encore en 1795, des juges de Speenhamland, un village de Grande-Bretagne, avaient dcid d'accorder des

    complments de salaires, voire un revenu minimum aux indigents. Cette dcision inspira la Grande-Bretagne entire

    et l'instauration d'un march du travail, bas sur l'ide librale que seul le travail doit tre source de revenu, se

    heurtait l'ide charitable que quiconque a un droit de vivre . Cet obstacle, critiqu par les classiques de

    l'conomie et certaines philosophes utilitaristes fut finalement lev en 1834 avec la disparition des poor laws (cf.

    supra).

    Le dogme du march autorgul s'impose alors la Grande-Bretagne (et par la suite au Royaume-Uni), et est

    complt par de nouvelles mesures qui vont former un systme cohrent propice l'expansion du grand capitalisme.

    Afin de garantir la rgulation du march, on indexe l'mission montaire sur l'encaisse-or en 1844. Cette discipline

    montaire, adopte par la plupart des nations dans la seconde moiti du XIXe permet la stabilisation, ou

    l'autorgulation, des balances des paiements, suivant le principe des points d'entre et de sortie d'or. Cette rigueur

    montaire induit une dflation continue au XIXe qui ncessite une baisse proportionnelle des salaires nominaux (afin

    de garantir les profits), que seules les dures lois du march peuvent imposer aux travailleurs. De mme, afin de

    garantir une stabilit du pouvoir d'achat des travailleurs, malgr la baisse des salaires nominaux, le libre-change

    s'impose comme moyen d'alimenter la baisse des prix par l'importation de produits trangers moindres cots, d'o

    l'abolition des corn laws (lois protectionnistes sur le bl) en 1846 (cf infra).

    XIXeXXe sicle : histoire de l' entreprise

    Le capitalisme reste au XIXe sicle essentiellement familial ( l'exception de quelques grandes socits dj

    voques). Les noms des grandes familles industrielles et financires les plus connues de nos jours voquent toujours

    cette priode : Rothschild, Schneider, Siemens, Agnelli, C'est dans une optique familiale que se dveloppe le

    grand capitalisme : on s'accorde pour viter la dispersion de l'entreprise entre les hritiers, tandis que les fusions

    de l'poque se font par l'entremise d'alliances matrimoniales.

  • Histoire du capitalisme 11

    Dans la seconde partie du sicle, une nouvelle bourgeoisie s'impose, non celle des propritaires mais celle des

    diplms. En France par exemple, les Grandes coles fournissent l'essentiel des nouveaux entrepreneurs (Armand

    Peugeot, Andr Citron, etc.). Mais l'arrive de ces diplms la tte des grandes entreprises ne brise pourtant pas la

    tradition familiale :

    Dans un cas de figure repris souvent dans les romans, l'ingnieur brillant pouvait succder au patron aprs

    avoir pous sa fille.

    (Patrick Verley)

    Dessin d'une usine automobile de la Peerless Motor Car Company Cleveland

    (USA) au dbut du XXe

    Le dveloppement de la lgislation sur les

    socits anonymes (libralisation totale en

    1856 au Royaume-Uni, 1867 en France et

    1870 en Prusse), permet progressivement

    des capitaux anonymes de se joindre ceux

    des grandes dynasties industrielles.

    Dans Capitalisme, socialisme et dmocratie

    (1942), Joseph Schumpeter prvoit que ces

    volutions juridiques feront terme

    disparatre la fonction

    d'entrepreneur-innovateur et qu' au

    romantisme des aventures commerciales

    d'antan succde[ra] le prosasme . La

    disparition de l'entrepreneur, entendu au

    sens du XIXe sicle, mne selon Schumpeter

    la disparition de l'initiative capitaliste. L'

    vaporation de la substance de la proprit nuit la vitalit de l'conomie, et de par ses succs mmes, l'volution

    capitaliste, en substituant un simple paquet d'actions aux murs et aux machines d'une usine, dvitalise la notion de

    progrs . Finalement, Joseph Schumpeter craint l'poque que le capitalisme disparaisse au profit du socialisme.

    Au XXesicle, les volutions des productions, la taille des entreprises et la complexit de leur gestion poussent de

    nombreux conomistes annoncer la fin du pouvoir des propritaires du capital au profit des gestionnaires

    (managers). John Kenneth Galbraith prvoit que le pouvoir au sein de l'entreprise passe de faon invitable et

    irrvocable, de l'individu au groupe, car le groupe est seul possder les informations ncessaires la dcision. Bien

    que les statuts de la socit anonyme placent le pouvoir entre les mains de ses propritaires, les impratifs de la

    technologie et de la planification les en dpouillent pour les transmettre la technostructure. On assiste une

    rvolution managriale (corporate revolution), o le manager prend le relais de l'entrepreneur. Les quilibres entre

    les diffrents caractres du capitalisme en sont subtilement transforms : l'objectif essentiel est dsormais moins le

    profit (qui proccupait l'entrepreneur propritaire) et les dividendes (soucis de l'actionnaire) que l'agrandissement de

    l'entreprise et de sa prosprit, dont dpendent la rmunration et le prestige des managers. L'accumulation du

    capital devient la nouvelle priorit.

    Les volutions les plus rcentes de l'entreprise traduisent toutefois un retour en force des propritaires. L'actionnaire

    redevient la finalit de l'entreprise. Il ne s'agit gnralement plus d'un individu, mais souvent de fonds de placement

    ou de fonds de pensions, ou de banques charges de faire fructifier l'pargne des dposants, exigeants qu'ils soient

    petits ou grands. La logique de la rentabilit financire reprend l'avantage sur celle de la rentabilit conomique.

    Les plus mme de remplir ces nouveaux objectifs restent les managers qui, bien qu'ayant perdu leur pouvoir

    d'orientation au profit de ce qu'on appelle dsormais la gouvernance d'entreprise (corporate governance),

    obtiennent des salaires toujours plus importants.

  • Histoire du capitalisme 12

    Certains conomistes contestent cette nouvelle puissance des actionnaires au sein de l'entreprise. Pour Joseph Stiglitz

    (Quand le capitalisme perd la tte, 2004) les entreprises sont toujours aux mains des managers et des comptables qui

    ne fournissent pas aux actionnaires des donnes relles sur la sant des entreprises et n'hsitent pas voler ces

    derniers via des manuvres financires incomprises, en particulier la distribution de stock-option.

    XIXeXXe sicle : capitalisme et salariat

    La machine contre l'ouvrier ?

    Une usine de verre de l'Indiana, en 1856, o travaillent entre autres des enfants

    Cette problmatique s'illustre ds les dbuts

    de la premire rvolution industrielle. Les

    modifications du travail et de son

    organisation engendres par l'arrive de

    machines entranent pour les travailleurs une

    source de chmage, mais surtout de

    dqualification. Adam Smith (Recherche sur

    la nature et les causes de la richesse des

    nations, 1776) reconnat que le

    dveloppement du machinisme et la division

    du travail abrutissent les hommes et

    amnent les considrer comme de simples

    machines devant raliser un mme geste

    simple toute la journe. En 1811, les

    ouvriers du Nottinghamshire se rvoltent,

    inspirs par la lgende du clbre Robin des Bois, sous la direction d'un mythique Ned Ludd, pour dtruire les

    machines, devenues leurs ennemies. Il en fut de mme en 1831, lors de la rvolte des Canuts (ouvriers de la soie

    Lyonnais).

    De fait, pour les capitalistes, la machine a longtemps prim sur l'Homme. C'est ce dernier qu'on adapte. Lorsqu'un

    accident le prive d'un bras, on change l'Homme sans s'inquiter de l'adquation de la machine. Lorsque la machine et

    certains de ses composants sont d'accs difficiles, on emploie les enfants, dont la taille permet d'aller dans des

    endroits peu accessibles.

    D'un point de vue gnral, les tudes sur longues priodes ont montr que le rsultat de l'introduction des machines

    est plus complexe que l'unique concurrence envers le travailleur, puisqu'elle amne aussi crer de nouveaux postes

    plus qualifis (apparition des ingnieurs) en parallle des anciens postes d'ouvriers. Plus tardivement, les machines

    ont aussi pu rduire la pnibilit et la dure du travail lorsque leur conception prenait en compte cette approche. Elles

    ont aussi permis aux hommes d'accder une socit o les biens sont plus abondants grce l'augmentation de la

    productivit. Certains auteurs, enthousiastes face la forte productivit des secteurs primaire et secondaire, confiants

    en la robotisation, n'hsitent pas prophtiser la fin du travail (Jeremy Rifkin, 1996), et encouragent l'avnement

    d'une conomie essentiellement tourne vers les services la personne ( la production de l'homme par l'homme

    selon Robert Boyer).

  • Histoire du capitalisme 13

    Les droits sociaux

    Dsesprs, rduits l'alternative de mourir de faim ou d'arracher leur matre par la terreur la plus prompte

    condescendance leur demande.

    Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776

    Sous la pression du dveloppement du mouvement ouvrier et de la question sociale, le lgislateur va devoir ragir

    pour amliorer les conditions de vie des travailleurs. Des lois vont progressivement amliorer le temps de travail, les

    conditions de travail, le premier ge du travail, l'accs aux soins, la retraite , etc. Ds 1833 au Royaume-Uni

    avec le Factory Act, mais de faon trs progressive puisque la loi de 1833 ne fait que limiter 9 h par jour le travail

    des enfants de moins de 13 ans. Ces progrs humains ne se font donc que lentement, et dans le cadre d'un rapport de

    forces permanent.

    Cette priode voit aussi se dvelopper de nouvelles formes de solidarit entre travailleurs qui s'auto-organisent pour

    faire face un dur quotidien. Les formes modernes de l'conomie sociale se dveloppent en opposition au

    capitalisme et proposent des services aux salaris. Dans un premier temps, les premires mutuelles servent financer

    les enterrements, puis elles tendent leur champ d'action au financement des jours de grves, puis aux congs

    maladie et la retraite.

    Certains grands patrons ne seront pas insensibles la misre du monde ouvrier, et s'illustreront par leur paternalisme,

    par leur philanthropie et leurs mthodes de travail tout aussi avant-gardistes que comptitives. Robert Owen

    commena ainsi poser les bases du mouvement coopratif dans son usine de New Lanark, en proposant ses

    ouvriers aussi bien des cours du soir, que des jardins pour leurs enfants. En France, au Creusot, Schneider offre aussi

    divers services ses salaris, sans ngliger toutefois de faire implanter une caserne.

    Les salaires

    Henry Ford

    Plus tard, Henry Ford comprendra que l'insatisfaction de l'ouvrier, engendre par les

    mthodes de travail tayloristes, se fait au dtriment de la productivit, et proposera

    des salaires bien au-dessus du march afin de limiter la rotation du personnel et de

    fidliser une main-d'uvre devenue difficile recruter sur des postes peu valorisants

    de travail la chane en une priode sans chmage. Cette pense se gnralisera et

    aboutira au compromis fordiste des annes 1945-1970, priode sur laquelle la

    part des salaires dans la valeur ajoute va progresser au dtriment de la part relative

    du profit. Toutefois, la productivit toujours accrue des salaris satisfaits de leurs

    salaires permet aux profits de s'accrotre dans l'absolu : c'est ici qu'apparat l'ide de

    compromis. La fin du compromis fordiste, depuis les annes 1970 ou 1980 selon les

    pays, va cependant entraner un mouvement inverse toujours en cours, dans lequel la

    part du profit progresse rapidement au dtriment des salaires.

    Des modles d'organisation du travail plus rcents, tel le toyotisme , invitent le salari faire part de ses

    rflexions sur le processus de production, lui permettant ds lors de reprendre un ascendant sur la machine, ou du

    moins d'en avoir l'illusion.

  • Histoire du capitalisme 14

    XIXeXXe sicle : volution des enjeux politiques du capitalisme

    Capitalisme agricole contre capitalisme industriel

    La Guerre de Scession est souvent interprte comme le conflit d'une socit

    tradionnelle et agricole s'opposant la marche vers le capitalisme industriel

    (Bataille de Fredericksburg, 13 dcembre 1862)

    L'opposition entre les grands capitalistes

    agricoles et d'autres parties de la population

    ne va malgr la rvolution agricole pas

    tarder se manifester. Ds 1776, Adam

    Smith crit :

    Les propritaires, comme tous les

    autres hommes, aiment recueillir l

    o ils n'ont pas sem.

    Le capitalisme agricole, qui cherche

    alimenter la hausse des prix par le

    protectionnisme (via les Corn Laws), va

    alors s'opposer au capitalisme industriel. En

    1810, l'conomiste et parlementaire David

    Ricardo (Essai sur l'influence du bas prix du

    bl) pense que l'ouverture du pays aux

    importations agricoles permettra, grce la

    faiblesse du prix des subsistances, de rduire les salaires et donc de favoriser l'industrie. De fait, c'est bien un lobby

    d'industriels du textile (l'Anti Corn Laws League) qui, au terme d'une bataille politique incertaine contre les grands

    propritaires fonciers, fera abroger les Corn Laws en 1846. Le capitalisme libral remporta alors l'un de ses premiers

    triomphes.

    l'inverse, aux tats-Unis, le Sud, qui repose sur une agriculture esclavagiste, est libre-changiste, tandis que le

    Nord, qui dveloppe un capitalisme industriel, est protectionniste. Durant les dcennies prcdant la Guerre de

    Scession, des propritaires du Sud prtextaient d'ailleurs que la condition de l'ouvrier du Nord n'tait que rarement

    enviable celle de l'esclave du Sud. Ils dnonaient donc souvent l'apptit que les capitalistes dissimulaient derrire

    les discours abolitionnistes. L'imposition du capitalisme industriel l'issue de la guerre se traduisit donc par un

    ancrage profond de l'conomie dans le protectionnisme qui a permis un essor rapide de nouveaux secteurs

    industriels.

    Capitalisme et dmocratie

    Selon Raymond Aron (Dix-huit leons sur la socit industrielle, 1962), le capitalisme a besoin dans son volution

    d'accrotre la qualification de la main-d'uvre afin de garantir la prennit de la croissance conomique. Cette

    qualification accrue provoque l'mergence des aspirations galitaires. La socit capitaliste conduit selon lui

    naturellement la dmocratie parce qu'elle est fonde non pas sur des ingalits de statut, sur l'hrdit ou sur la

    naissance, mais sur la fonction remplie par chacun . La dmocratisation rend sensible la population au plein

    emploi, la diminution du temps de travail, la rduction des ingalits de revenus, ce qui aboutit finalement une

    intervention croissante de l'tat et l'apparition de nombreuses formes de contre-pouvoirs.

    Pour Joseph Schumpeter (Capitalisme, socialisme et dmocratie, 1942), c'est l'apparition du capitalisme et

    l'mergence d'une lite bourgeoise qui a permis le succs de la dmocratie en lui fournissant des hommes capables de

    mettre en place une structure bureaucratique efficace. Si le socialisme peut selon lui aussi tre dmocratique, il en est

    toutefois moins apte que le capitalisme :

    Une classe dont les intrts sont le mieux servis par une politique de non-intervention met plus facilement en

    pratique la discrtion dmocratique que ne sauraient le faire des classes qui tendent vivre aux crochets de

    l'Etat.

  • Histoire du capitalisme 15

    (ibid.)

    Toutefois, pour des raisons similaires celles exposes plus tard par Raymond Aron, la dmocratisation mne

    souvent une socialisation de la dmocratie et un recul du capitalisme.

    Rosa Luxemburg considre que dans la socit capitaliste les institutions formellement dmocratiques ne sont,

    quant leur contenu, que des instruments des intrts de la classe dominante .[3] Selon elle, la dmocratie serait

    empche par le fonctionnement du capitalisme, qui place une seule classe sociale la direction de la socit.

    Capitalisme et patriotisme

    Selon Michel Aglietta (Rgulation et crises du capitalisme, 1976), le succs du capitalisme aux tats-Unis est li au

    mythe de la Frontire . L'ide originale de l'amnagement d'un espace gographique gigantesque se serait

    transforme en une idologie favorable au capitalisme : celle exprimant la capacit de la nation amricaine

    polariser les activits industrielles dans un sens de progrs. L'assimilation de l'avantage de la grande industrie la

    construction de la nation dans la conscience populaire aurait permis de justifier l'ensemble des dgradations du

    processus de production (taylorisme puis fordisme) ncessaires la ralisation des profits des capitalistes.

    C'est pourquoi la bourgeoisie industrielle a pu faire avaliser ultrieurement par l'ensemble de la nation les

    transformations technologiques induites par la plus-value relative en les prsentant comme l'dification d'une

    nouvelle frontire .

    (ibid.)

    Dans l'Histoire, le patriotisme serait donc un outil permettant de justifier les sacrifices des travailleurs au profit du

    grand capitalisme : c'est par exemple la conclusion que tireront certains poilus revenant des tranches de la Premire

    Guerre mondiale et constatant l'enrichissement nouveau de nombreux industriels. Voir la phrase d'Anatole France :

    On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels .

    Confrontation des pouvoirs politiques et des pouvoirs privs

    Un des soucis majeurs de l'accumulation du capital matriel a t l'accumulation de pouvoir qu'elle signifiait. Les

    grandes manufactures ont donc longtemps t troitement contrles par l'tat (on pense aux manufactures de

    Colbert) afin de limiter la constitution de formes de pouvoir priv. La cration de socits sans l'aval du Parlement

    n'est accorde par exemple qu'en 1825 en Grande-Bretagne (abrogation du Bubble Act). La libralisation complte de

    la cration de socits par actions n'est acheve qu'en 1856 au Royaume-Uni.

    Avant mme la rvolution Russe, c'est aux tats-Unis que se manifestent les premires oppositions entre le pouvoir

    politique et les grandes firmes capitalistes. Le capitalisme sous la forme du libralisme conomique apparat et prne

    la concurrence par une nouvelle organisation du march comme gage d'efficacit, tandis que les prcdentes formes

    de capitalisme avaient une tendance la concentration et l'entente. Dans cette optique librale, la cration de

    monopoles est donc contrarie par des lois antitrust. Elles seront mises en pratique pendant l re progressiste par

    Theodore Roosevelt qui s'opposera particulirement Rockefeller et J.P. Morgan. Plus tt, les tats du Sud avaient

    provoqu la guerre de Scession en proclamant leur indpendance, craignant de se voir imposer le modle du nord

    (oppos leur systme esclavagiste) par le gouvernement fdral rpublicain d'Abraham Lincoln.

    Collaboration des pouvoirs politiques et des pouvoirs privs

    Dans l'histoire rcente, les tentatives de nationalisations des biens matriels des grandes firmes transnationales ont

    provoqu la chute de certains gouvernements comme celui de Salvador Allende en 1973 au Chili. En 1956, la

    nationalisation du Canal de Suez par le gouvernement gyptien de Nasser, provoque l'entre en guerre de la France,

    du Royaume-Uni et d'Isral. l'oppos, de nos jours, les privatisations des entreprises s'accompagnent presque

    systmatiquement de mouvements sociaux et de protestations. La question du capitalisme, de par sa nature juridique,

    est source de pressions et de dsquilibres politiques.

    Pour John Kenneth Galbraith :

  • Histoire du capitalisme 16

    Le systme industriel est inextricablement li l'tat. Il n'chappe personne que, de bien des faons,

    la grande entreprise moderne est un bras de l'tat, et celui-ci, dans les circonstances importantes, est

    lui-mme un instrument du systme industriel.

    Le Nouvel tat industriel, 1967

    Selon Galbraith, les grandes firmes amricaines de la seconde moiti du XXesicle s'approprient un pouvoir excessif

    afin de mettre en place leur profit une conomie planifie. Le danger de guerres ayant pour seul objet de fournir des

    dbouchs l'industrie de l'armement est notamment voqu. Quelques annes plus tt, le prsident amricain avait

    d'ailleurs dclar :

    Nous ne devons jamais permettre que le complexe militaro-industriel ne menace nos liberts ou le

    processus dmocratique.

    Dwight David Eisenhower, Dernier discours la nation du prsident des tats-Unis, le 29 janvier 1961

    Le libralisme et ses thories les plus fondamentales sont par ailleurs remises en cause par le capitalisme industriel.

    Selon sa thorie dite de la filire inverse , c'est par exemple la consommation qui s'adapte la production grce

    au harclement et aux besoins crs par la publicit. Il insiste donc sur la ncessit de l'existence de pouvoirs

    compensateurs , et sur le rle essentiel de l'ducation dans l'mancipation de l'individu.

    Les liens entre le monde politique et les grandes entreprises font rgulirement l'objet de polmiques. On pense par

    exemple celles lies la guerre en Irak, ou aux critiques faites au mode de financement des campagnes lectorales

    aux tats-Unis.

    Le capitalisme face aux vellits de rgulation de l'tat au XXe sicle

    Tout au long du XXe sicle, l'panouissement du capitalisme a t remis en cause par les crises conomiques et

    l'mergence de modles conomiques alternatifs : les guerres mondiales, le bloc communiste, le nazisme en

    Allemagne et surtout la crise conomique des annes 1930.

    C'est en effet au cours de cette dcennie que le capitalisme dut faire face aux dfis les plus importants depuis son

    avnement au XVIIIesicle. La crise amena une remise en question du capitalisme sauvage et du libralisme. Par

    exemple, la thorie conomique alors dominante (keynsienne) prconisait l'intervention publique (John Maynard

    Keynes, Thorie gnrale de l'emploi de l'intrt et de la monnaie, 1936) pour rguler les dysfonctionnements d'un

    systme conomique qu'elle qualifiait d'imparfait et de fondamentalement instable.

    Aprs la Seconde Guerre mondiale, le dveloppement des tats providence s'accompagna d'une prise de contrle par

    l'tat des plus grandes socits industrielles, commerciales et bancaires dans de nombreux pays. Les systmes

    d'assurance prive furent quant eux remplacs par une prise en charge collective des risques l'chelle tatique. On

    mit alors en place des conomies mixtes, o le capitalisme devait dsormais non plus dominer, mais coexister avec

    des systmes conomiques alternatifs.

    Toutefois, suite au choc ptrolier et la crise conomique des annes 1970, les fondements thoriques de

    l'intervention publique et de la rgulation du capitalisme furent bouleverss. Le retour des politiques librales et la

    privatisation de pans entiers de l'conomie marqua le retour en force du capitalisme priv comme systme dominant

    des conomies de march. Par ailleurs, les annes 1990 furent marques par la disparition progressive des systmes

    alternatifs dans les pays de l'ancien bloc communiste et dans de nombreux pays en voie de dveloppement.

  • Histoire du capitalisme 17

    L'expansion du capitalisme : des capitalismes nationaux au capitalismemondialisL'essor du capitalisme a t encourag par le nationalisme conomique et le mercantilisme[rf.ncessaire] (voir plus

    haut). Au dbut des annes 1950, Charles Erwin Wilson, PDG de General Motors, dclarait ce qui est bon pour

    General Motors est bon pour les tats-Unis et rciproquement . Un sicle plus tt, Karl Marx expliquait que le

    capitalisme requiert un march protg o couler ses produits, le nationalisme tait dans un premier temps la

    meilleure manire de se le garantir :

    Le march est la premire cole o la bourgeoisie apprend le nationalisme .

    Depuis, la convergence des intrts nationaux et de ceux du capitalisme est de plus en plus conteste, et il semble

    que le capitalisme cherche s'affranchir des contraintes nationales en se faisant le moteur de la mondialisation

    conomique.

    Les capitalismes nationaux

    L'histoire conomique des diffrentes nations depuis le XIXesicle a men le capitalisme prendre des formes

    diffrentes d'un pays l'autre.

    Le capitalisme britannique

    La croissance du capitalisme britannique au XIXesicle a t fortement marque par un libre-changisme ml la

    tradition du mercantilisme commercial. Cette volution contre-nature a men la constitution d'un empire colonial

    important et une insertion trs prcoce du pays dans la division internationale du travail (la part de la population

    agricole est devenue largement minoritaire au Royaume-Uni ds le XIXe sicle). Important depuis ses colonies les

    matires premires, le Royaume-Uni est devenu au XIXe sicle l' atelier du monde . Hraut du libralisme travers

    un monde protectionniste, le Royaume-Uni a toutefois connu une parenthse marque par l'mergence d'un

    tat-providence important la suite de la Seconde Guerre mondiale, avant de redevenir partir des annes 1980 un

    des exemples du capitalisme libral anglo-saxon.

    Le capitalisme amricain

    Si capitalisme amricain et capitalisme britannique sont dsormais runis sous l'tiquette capitalisme anglo-saxon

    , leurs histoires respectives sont pourtant diffrentes. Le capitalisme amricain a t jusqu' la fin de la Seconde

    Guerre mondiale marqu par un protectionnisme important. la fin du XIXe sicle, le capitalisme amricain a connu

    une concentration importante dans la plupart des branches de l'conomie, la constitution des trusts. Ainsi

    fusionnaient (ou s'alliaient) de leurs cts les banques, de leurs cts les compagnies ptrolires, et ainsi de suite.

    Bien qu'on considre le modle amricain contemporain comme proche de celui du Royaume-Uni, l'tat un rle

    important dans le soutien de ses entreprises comme le montrent les interventions protectionnistes rcentes, les

    commandes importantes certaines industries ce qui pousse certains conomistes qualifier les tats-Unis de

    pays mercantiliste.

    Le capitalisme rhnan

    Le modle de l'Allemagne est plus rcent, du fait mme de la constitution plus tardive de cet tat (1870). Il est

    depuis cette origine marqu par une forte prise en charge sociale (depuis Bismarck), une forte intervention de l'tat

    dans les activits conomiques, et une concentration importante des entreprises, qui deviennent ainsi des konzern.

    Cette concentration s'est faite dans une logique totalement diffrente de celle de la concentration amricaine, vu

    qu'elle a consist dans le rapprochement de secteurs d'activit diffrents et complmentaires, comme par exemple

    une forte implication du secteur bancaire dans l'ensemble des grandes branches de l'conomie. Depuis la fin de la

    Seconde Guerre mondiale, avec l'essor de la social-dmocratie, l'Allemagne a aussi russi dvelopper un systme

    syndical efficace o la collaboration entre entrepreneurs et reprsentants du personnel assure une relative stabilit, et

  • Histoire du capitalisme 18

    un faible taux de grves contrastant avec le taux de syndicalisation lev.

    Le capitalisme nippon

    Au Japon, les origines du capitalisme se trouvent dans l'intervention vigoureuse de l'tat. C'est, en effet, l'tat qui,

    centralisant les anciens revenus des grandes familles fodales, va dvelopper l'industrie sous l're Meiji ( partir de

    1868) avant de la confier ces dernires. Les principes du capitalisme nippon sont semblables ceux du capitalisme

    allemand dans la faon dont sont concentres les entreprises. L'tat joue toujours un rle important dans l'conomie,

    notamment via l'intervention du MITI. Au plan social, les grandes firmes entretiennent avec leurs salaris des

    rapports privilgis bass sur la scurit de l'emploi et en retour le dvouement l'entreprise de la part du salari.

    volution rcente des deux grands modles

    Dans son ouvrage de 1991, Capitalisme contre capitalisme, Michel Albert a analys les volutions des deux grands

    modles, le modle no-amricain (ou anglo-saxon) et le modle rhnan (Allemagne, mais aussi pays

    scandinaves, Autriche, Suisse, et partiellement le Japon).

    Pour Michel Albert, les performances conomiques amricaines depuis l'arrive au pouvoir de Ronald Reagan en

    1981 sont relativiser. La forte croissance du capitalisme amricain est selon lui le fait d'acquis des annes

    antrieures la libralisation de l'conomie opre par ce prsident. Cette croissance a aussi t marque par une

    accentuation du dualisme social et des ingalits[rf.ncessaire], tandis que l'conomie connat des dsquilibres

    dangereux (dficits budgtaires, extrieurs...) : ils se jettent corps perdu dans l'endettement pour la

    consommation, la jouissance immdiate . Par ailleurs, selon lui, l'conomie est menace par la prpondrance des

    marchs financiers et de leurs exigences.

    Au contraire le modle rhnan accorde une part moins importante l'conomie de march via l'intervention de divers

    organismes. Les salaires sont par exemple fixs par les conventions collectives, l'anciennet Les grandes

    entreprises ne sont pas considres comme des biens marchands mais comme une communaut

    industrialio-financire o les banques prennent une responsabilit de long terme. L'conomie sociale de march

    allemande incarne par ailleurs une synthse entre le capitalisme et le socialisme. Ce systme est moins gnrateur

    d'ingalits sociales et fond sur des quilibres conomiques solides (on pense la rigueur montaire allemande).

    Capitalisme, colonialisme, imprialisme et guerre

    L'imprialisme

    L'mergence du capitalisme au XVesicle concide avec les premires grandes vagues de colonisations. Corts,

    lucide conqurant des Amriques, dclara nous autres Espagnols souffrons d'un mal que seul l'or peut gurir .

    L'influence de l'conomie sur les rapports de puissance des tats, souligns par les penseurs mercantilistes, poussera

    plusieurs sicles plus tard certains lier capitalisme et imprialisme. Dj au XVIIIesicle, Voltaire, plutt

    enthousiasm, soulignait que les marchands taient plus utiles la puissance de leur pays que les nobles :

    Le commerce, qui a enrichi les citoyens en Angleterre, a contribu les rendre libres, et cette libert a

    tendu le commerce son tour ; de l s'est forme la grandeur de l'tat. C'est le commerce qui a tabli

    peu peu les forces navales par qui les Anglais sont les matres des mers. Ils ont a prsent prs de deux

    cents vaisseaux de guerre. La postrit apprendra peut-tre avec surprise qu'une petite le qui n'a de

    soi-mme qu'un peu de plomb, de l'tain, de la terre foulon et de la laine grossire, est devenue par son

    commerce assez puissante pour envoyer, en 1723 [4] , trois flottes la fois en trois extrmits du

    monde

    Lettres anglaises

  • Histoire du capitalisme 19

    Caricature politique montrant le partage de la Chine entre

    puissances europennes, fin des annes 1890

    De fait, le Royaume-Uni impose violemment son commerce

    au monde au XIXe sicle. Par exemple, celui de l'opium la

    Chine (guerre de l'opium, 18381842)

    Au dbut du XXe sicle, des penseurs, marxistes pour la

    plupart, ont associ le phnomne de la multinationalisation

    des firmes et du colonialisme au dveloppement du

    capitalisme, faisant de l'imprialisme son stade suprme.

    En 1913, Rosa Luxemburg explique dans l'Accumulation du

    capital, que la reproduction du systme capitaliste ncessite

    l'ouverture continuelle de nouveaux dbouchs et son

    implantation dans les rgions gographiques dont il est encore

    absent. Ainsi selon Rosa Luxemburg, l'imprialisme mne

    invitablement la guerre.

    Illustrant l'importance conomique des colonies, o plutt

    refltant l'importance qu'on leur attribuait l'poque peut-tre

    tort, Jules Ferry dclara la Chambre que la politique

    coloniale est fille de la politique industrielle . En effet, au fur

    et mesure de son dveloppement et de l'mergence

    conomique de nouveaux pays, l'accs au march et le partage

    des dbouchs deviennent de plus en plus problmatiques.

    Mais la constitution de marchs coloniaux exclusifs est

    limite par la taille finie de la plante. Le temps du monde fini commence (selon l'expression du pote Paul Valry[5]

    ) et les antagonismes entre les grandes puissances conomiques ne peuvent s'en trouver qu'exacerbes.

    De fait, des crises et des conflits opposent plusieurs reprises le Royaume-Uni la France (crise de Fachoda en

    1898), les britanniques des colons nerlandais (Premire Guerre des Boers de 1880 1881, Seconde Guerre des

    Boers de 1899 1902), la France l'Allemagne (au Maroc en 19051906 puis en 1911) Jean Jaurs, opposant la

    premire guerre mondiale, dclara que le capitalisme porte la guerre comme la nue porte l'orage .

    En 1916, Lnine explique dans l'Imprialisme, stade suprme du capitalisme, que la concentration du capital mne

    un stade de l'histoire du capitalisme marqu par les positions de monopoles des grandes firmes industrielles et

    financires. Confrontes la baisse tendancielle du taux de profit (thorie marxiste qui estime que les taux de profits

    du capitalisme tendent baisser naturellement sur le long terme), les grandes firmes tentent d'investir sur les marchs

    trangers afin de retrouver de forts niveaux de profit. Les grandes firmes nationales s'entendent alors pour se partager

    le monde. Lnine prend par exemple le cas d'AEG (Allemagne) et de General Electric (tats-Unis) dans le domaine

    de l'lectricit.

    Ce qui caractrisait l'ancien capitalisme o rgnait la libre concurrence, c'tait l'exportation des

    marchandises. Ce qui caractrise le capitalisme o rgnent les monopoles, c'est l'exportation des

    capitaux.

    (ibid.)

    La nature belliqueuse du capitalisme a t beaucoup discute. Nombre de libraux ont fait remarquer que

    l'imprialisme s'tait aussi rvl comme une tendance rcurrente de l'Union sovitique. Dans les tapes de la

    croissance conomique (1960), Walt Whitman Rostow, pense que la guerre n'est pas proprement lie au capitalisme,

    mais plus simplement au dveloppement conomique. L'mergence d'une nouvelle puissance conomique, qu'elle

    soit capitaliste ou autre, signifie l'apparition d'une adquation entre les quilibres gopolitiques passs et les rapports

    de forces nouveaux. La remise en question par la nation mergente des traits passs mne naturellement la guerre.

  • Histoire du capitalisme 20

    Bilan de la colonisation pour le capitalisme occidental

    Du point de vue de Fernand Braudel, si le capitalisme se fonde dans le commerce lointain, les colonies ont jou un

    rle positif. Toutefois la concomitance du colonialisme et du capitalisme n'est pas si vidente dans les faits. Les

    grands empires coloniaux qu'ont t l'Espagne et le Portugal n'ont par exemple pas connu le dveloppement du

    capitalisme industriel avant le XXe sicle. Au contraire, des nations comme l'Allemagne et le Japon, et surtout les

    tats-Unis, on su dvelopper un capitalisme efficace bien que ne possdant pratiquement pas de colonies.

    Certains historiens ont soulign le rle pervers des colonies dans le dveloppement conomique des mtropoles. Ces

    dernires, constituant des dbouchs faciles , ont jou le rle de marchs captifs, cest--dire qu'elles ont

    dcourag l'investissement matriel sur le territoire national en dtournant d'importants volumes de capitaux vers

    l'extrieur.

    Certains comme l'historien Jacques Marseille estiment que les efforts de conqute, mais surtout d'amnagement des

    territoires occups, ont cot davantage qu'ils n'ont rapport aux conomies capitalistes d'Europe. La thorie de Karl

    Marx du pillage colonial [6] est donc fortement conteste.

    En 1867, Karl Marx expliquait :

    La dcouverte des contres aurifres et argentifres de l'Amrique, la rduction des indignes en esclavage,

    leur enfouissement dans les mines ou leur extermination, les commencements de conqute et de pillage aux

    Indes orientales, la transformation de l'Afrique en une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux

    noires, voil les procds idylliques d'accumulation primitive qui signalent l're capitaliste son aurore. [7]

    Marx voit dans la colonisation l'origine des capitaux ncessaires l'essor du capitalisme. Ils proviendraient :

    de l'expropriation des terres dans les colonies,

    de la cration de monopoles de droits (voir les Compagnies des Indes plus haut),

    de l'exploitation et de la mise en esclavage des population indignes,

    des dbouchs alors fournis aux industries manufacturires d'Europe.

    Dans une thse date de 1984, Empire colonial et capitalisme franais, histoire d'un divorce, Jacques Marseille se

    demande si l'empire colonial a t un frein ou un moteur pour le dveloppement du capitalisme franais. Selon lui,

    l'importance de l'empire pour le capitalisme franais n'a t qu'une apparence statistique. En effet, de grandes

    compagnies ont su profiter de la crdulit des pargnants pour s'attirer des capitaux qui ne prenaient souvent pas de

    formes matrielles dans les colonies. Par ailleurs, les produits imports des colonies n'taient pas des produits rares

    ni des produits dont les prix taient substantiellement infrieurs aux cours mondiaux. partir de la crise des annes

    1930, ce sont les secteurs conomiques en dclin qui se sont accapars les marchs coloniaux, tandis que les secteurs

    sources d'innovation ne s'y sont en ralit que trs rarement intresss. Certains estiment donc que l'empire n'a pas

    t la source du progrs conomique.

    Les motivations la base du colonialisme taient initialement morales, c'est--dire apporter le progrs aux

    sauvages [rf.ncessaire]. Le socialiste Lon Blum crivait en 1925 : nous admettons le droit et mme le devoir des

    races suprieures dattirer elles celles qui ne sont pas parvenues au mme degr de culture et de les appeler aux

    progrs raliss grce aux efforts de la science ou de lindustrie [rf.ncessaire]. La prise de conscience du cot des

    colonies a progressivement renvers l'opinion des lites quant aux bienfaits du colonialisme, tandis que l'opinion

    publique, pourtant rapidement oppose au colonialisme, pour des raisons morales[rf.ncessaire], conservait l'ide que

    celui-ci tait favorable la France. Le problme des marchs captifs a d'abord t identifi comme une source de

    dmotivation l'innovation pour les entreprises nationales, cette dernire n'tant pas ncessaire dans un contexte

    d'absence de concurrence de la part des pays trangers. Le rsultat serait alors de ce point de vue une perte de

    comptitivit face aux autres conomies avances. Seul le rgime de Vichy a un temps prconis le dveloppement

    industriel des colonies, notant que le commerce avec des conomies dveloppes tait plus profitable que celui avec

    des pays sous-dvelopps. la suite de la Seconde Guerre mondiale, les capitalistes ont cd au complexe

    hollandais . En effet, le constat de la croissance exceptionnelle de l'conomie des Pays-Bas suite l'abandon en

  • Histoire du capitalisme 21

    1949 de l'Indonsie troublait la thse couramment admise sur l'influence conomique positive de l'empire.

    Finalement, la thse de Jacques Marseille s'oppose celle de Karl Marx sur le rle du pillage colonial. Selon

    Marseille, il est notable que le dveloppement rcent du capitalisme a demand au contraire un abandon des

    colonies, un divorce par consentement mutuel [8] entre les deux parties : ce ne seraient donc pas des raisons

    conomiques qui expliqueraient selon Marseille l'attachement des mtropoles certaines de leurs colonies, mais

    plutt des raisons politiques et militaires. L'empire aurait en fait constitu un boulet entravant la modernisation du

    capitalisme franais. Si un des divorcs en a largement profit, la mtropole, le cas du second est plus nuanc. Si

    certaines anciennes colonies ont su dvelopper un capitalisme efficace suite leur mancipation, de nombreux pays,

    d'Afrique notamment, ont de nos jours des revenus par habitants infrieurs ceux qu'ils avaient avant leur

    indpendance.

    Dans son ouvrage de 1994, Mythes et paradoxes de l'histoire conomique, Paul Bairoch partage la thse de Jacques

    Marseille :

    A la veille de la premire guerre mondiale, 98% des minerais mtalliques utiliss dans les pays dvelopps

    venaient du monde dvelopp ; le chiffre tait de 80% pour les fibres textiles et, comme nous l'avons vu, de

    plus de 100% pour l'nergie. (ibid.)

    Seuls quelques rares produits entranaient une dpendance vis vis des colonies : le caoutchouc, les phosphates

    naturels... Au contraire, les pays du tiers monde taient trs dpendant des dbouchs de la mtropoles, car bien que

    les mtropoles fussent quasi autosuffisantes, les colonies quant elles exportaient plus de 90% des produits

    primaires.

    Paul Bairoch note toutefois que les consquences de la colonisation furent dsastreuses : Si l'occident n'a gure

    gagn au colonialisme, cela ne signifie pas que le tiers monde n'y ait pas beaucoup perdu . Les territoires coloniss

    ne partagrent pas la prosprit de leur mtropole et, d'aprs Angus Maddison, le PIB de la plupart d'entre eux stagna

    entre 1820 et 1953.

    Faut-il imputer ce bilan au capitalisme ? Pour Karl Marx, la richesse coloniale n'a qu'un seul fondement naturel :

    l'esclavage [9] , mais Paul Bairoch souligne que l'Occident ne fut pas le seul colonisateur, tandis que l'esclavage a

    t aboli bien avant la fin des colonies.

    Le capitalisme mondial

    De l' conomie-monde l'conomie mondiale

    Au sens de Braudel, il faut entendre monde comme un ensemble conomique cohrent. Ds lors, il peut coexister

    plusieurs conomies-monde , qui forment diffrents ensembles conomiques. Ainsi les grandes cits marchandes

    sont-elles les centres d'ensembles conomiques cohrents l'chelle d'un continent, ou d'une mer (la Mditerrane au

    XVIesicle pour les cits italiennes par exemple) :

    un morceau de la plante conomiquement autonome, capable pour l'essentiel de se suffire lui-mme

    et auquel ses liaisons et ses changes intrieurs confrent une certaine unit organique .

    Ce n'est qu'avec la rvolution industrielle la fin du XVIIIe sicle que s'entame un processus qui fera de Londres le

    centre d'une conomie-monde l'chelle mondiale. Elle sera plus tard dpasse par New York, vers 1929.

    L'tude parallle des deux termes n'est pas gratuite, car on tend retrouver les caractristiques des

    conomies-monde de la Renaissance dans l'conomie mondiale actuelle.

    L' conomie-monde est toujours domine par un ple urbain, une ville capitaliste assurant le rle de centre

    dcisionnel et logistique. Cette analyse peut tre rapporte la prpondrance de la Triade (Europe, Japon,

    Amrique du Nord) qui concentre 75% du commerce mondial et de ses grandes mgalopoles (Londres, New

    York, Tokyo), qui concentrent une part similaire des oprations financires de la plante. 94 % des siges sociaux

    de firmes multinationales se localisent dans la Triade.

  • Histoire du capitalisme 22

    Une division en zones successives fortement hirarchises faisant l'objet d'une division internationale du travail.

    On retrouve prs des cits dominantes les activits dcisionnelles et forte valeur ajoute (la Triade), puis

    s'loignant des ples on trouve des conomies de moins en moins avances et subordonnes aux conomies

    dominantes (les pays en voie de dveloppement qui se consacrent aux activits de main-d'uvre), puis la

    priphrie, des pays oublis et isols, hors de l'activit conomique mondiale (les pays les moins avances).

    On peut donc considrer que c'est une longue volution de schmas existant depuis la Renaissance qui a

    progressivement men le capitalisme constituer une conomie mondialise.

    Multinationalisation des entreprises

    Les premires multinationales modernes datent du milieu du XIXe sicle. titre d'exemple, Samuel Colt ralise le

    premier investissement amricain au Royaume-Uni en 1852 afin d'y faire produire son revolver. Singer, fabricant

    amricain de machines coudre s'installe en Europe partir de 1867. Ces entreprises, le plus souvent britanniques,

    ouvrent la voix de l'internationalisation de la production. Elles sont suivies dans les annes de la Grande dpression

    (1873-1896) par un premier groupe de grandes firmes nationales : General Electric, AEG, Nestl, Kodak, United

    Fruits, En 1908, Henry Ford ouvre sa premire usine en Europe, Manchester. La stratgie d'installation sur les

    marchs trangers a t par la suite modifie par la drglementation et la modernisation des marchs financiers qui

    ont permis l'change d'actifs financiers l'chelle de la plante. Les grands groupes fusionnent avec des firmes

    trangres (un des plus vieux exemples tant Royal Dutch Shell, compagnie britannico-nerlandaise fonde en

    1908). On peut par exemple noter que les entreprises franaises cotes au CAC 40 sont en moyenne dtenues

    plus de 40% par des investisseurs trangers.

    Pour Robert Reich (l'conomie mondialise, 1991), l'conomie nation tend disparatre au profit d'un rseau

    mondial dans lequel les entreprises abandonnent la production standardise aux pays en dveloppement, ce qui ne

    refltent pas une perte de comptitivit des pays riches (on peut noter par exemple que seul 10% du prix d'un

    ordinateur est li sa production proprement dite), mais conservent le plus souvent les activits de conception. Enfin

    la production est disperse sur la plante afin de profiter des avantages de chaque rgion.

    Du point de vue social, l'effet de cette mutation du capitalisme est un accroissement des ingalits au plan national.

    Les travailleurs les moins qualifis sont mis en concurrence avec ceux des pays du tiers monde, tandis que les

    manipulateurs d'ides profitent de marchs gigantesques o accrotre leur profit. En effet l'ide (logiciel, gestion,

    brevet, ...), produite une fois, se multiplie cot quasi nul une infinit de fois, ce qui entrane pour son concepteur un

    revenu proportionnel la taille du march.

  • Histoire du capitalisme 23

    Vers un capitalisme cognitif ?La perte de valeur du travail non qualifi et mme du capital matriel (de plus en plus dlocalis dans les pays

    pauvres) entrane une prise d'importance toujours croissante du capital immatriel (la proprit intellectuelle) et de la

    connaissance technique et du savoir-faire des travailleurs (le capital humain).

    La proprit intellectuelle

    Le brevet de la Hebern single-rotor machine (machine de

    Hebern), brevet n1510441 dat de 1918

    Au tournant des XIIIe et XIVe sicles, se dgage

    progressivement en Europe un nouveau concept : celui de

    privilge. Les privilges prsentent trois caractristiques :

    existence dune requte argumente;

    apprciation de lintrt public par les autorits;

    concession dun droit exclusif dexploitation limit dans le

    temps et dans lespace.

    Mais c'est Venise qu'apparat le brevet sous sa forme

    moderne.

    Venise est cette poque un milieu cosmopolite, entreprenant

    et toujours en mouvement. Par ailleurs tout ce qui se rapporte

    la gestion de l'eau et autres dispositifs aquatiques est leur

    domaine de prdilection. Cest pourquoi Venise aurait dlivr

    en 1421 un privilge sapparentant rellement un brevet

    dinvention. Le nombre de privilges se multiplia au cours des

    cinquante annes qui suivirent et le systme stendit

    dautres domaines pour devenir lun des principaux moyens de

    transmission du progrs commercial et industriel de la

    Rpublique.

    En 1474 la procdure est suffisamment rode pour que les

    autorits dcident, par un vote du Snat (116 oui contre 10

    non et 3 abstentions), dintgrer lexprience acquise en

    rdigeant une loi. Ce texte historique, connu sous le nom de Parte Veneziana , nonce pour la premire fois les

    quatre principes de base justifiant la cration de toute loi sur les brevets :

    encouragement lactivit inventive;

    compensation des frais encourus par linventeur;

    droit de linventeur sur sa cration; et surtout

    utilit sociale de linvention.

    Pour faire lobjet dun privilge, linvention doit tre :

    nouvelle , cest--dire navoir jamais t ralise auparavant sur le territoire de la Rpublique (nouveaut

    locale);

    ingnieuse (concept de la non-vidence); et

    au point, de manire tre utilise et applique (concept de lutilit).

    Au Royaume-Uni, la premire loi sur les brevets d'invention (statute of monopolies) fut vote par le Parlement

    anglais en 1623. Depuis la Renaissance, de nombreuses cits reconnaissaient des privilges aux inventeurs. En

    France, l'Ancien Rgime leur assure aussi des droits. C'est Beaumarchais qui fera, durant la Rvolution franaise,

    voter des droits d'auteurs . C'est le meilleur exemple du lien substantiel du capitalisme au Droit, car rien d'autre

    que la violence de l'tat ne peut prvenir la copie. Le Royaume-Uni de la rvolution industrielle se garantira

  • Histoire du capitalisme 24

    l'exclusivit de ses innovations en empchant la sortie de toute machine jusqu'en 1843.

    De nos jours, les brevets posent des problmes thiques dans les domaines mdicaux tandis que se pose la question

    de la brevetabilit du vivant (le gnome humain en particulier). Les brevets sur les logiciels, les algorithmes et les

    mthodes d'affaires sont galement de plus en plus critiqus, leurs dtracteurs craignant un effet adverse sur

    l'innovation et par la mme un danger pour le capitalisme (Procs Research In Motion vs Blackberry, Procs

    Microsoft vs Eolas, etc.). L'volution des supports informatiques et des mthodes d'change, tel le pair--pair

    (peer-to-peer), montrent bien que la prennit du capitalisme repose sur la volont et la capacit de l'tat assurer la

    protection de la proprit prive.

    Plus spcifiquement, il s'agit en ralit de pouvoir montiser ce qui jusque l n'avait qu'une valeur floue. Jusqu' une

    poque rcente, la proprit intellectuelle tait assure par le fait que sa violation ncessitait des capitaux importants

    (usines de reproduction de CD, Usine destine produire un produit qui viole un brevet, etc.) et surtout le produit

    fini (issu de la violation) tait un produit physique. De ce fait, mme si la notion de proprit intellectuelle n'tait pas

    bien tablie, un produit physique (dont la proprit n'tait pas ambigu) venait la matrialiser et les contrefacteurs

    potentiels hsitaient investir du capital dans une entreprise qu'ils savaient condamnable (et donc condamne)

    moyen terme. Le cot de reproduction et surtout l'absence de nature 'physique' des biens contrefaits ont aujourd'hui

    fait sauter ces deux barrires. Cette nouvelle situation a cr une ncessit pour le systme capitaliste : celle de

    dfinir clairement les bornes, les rgles et les moyens de protection de la proprit intellectuelle afin de pouvoir la

    montiser de faon fiable. L'chec de ce processus entranerait des modifications profondes dans la structure du

    capitalisme actuel.

    L'mergence du capital humain

    On doit l'analyse la plus connue du capital humain l'conomiste amricain Gary Becker (Human Capital, 1964).

    Il dfinit l'ensemble des aptitudes et comptences accumules par l'individu et susceptibles de jouer un rle dans le

    processus de production. C'est la forme de capital dont la prise en compte est la plus rcente. Il joue un rle croissant

    dans une socit de plus en plus tertiarise et o la recherche et les sciences ont une place cruciale.

    Ce capital est substantiel l'individu et il semble donc improbable qu'on puisse l'en dpossder. Il existe toutefois

    des exceptions notables. Les salaris quittant leur entreprise peuvent par exemple tre soumis une clause de

    non-concurrence, les empchant alors de faire profiter de leur savoir une entreprise concurrente, et ce pour un certain

    temps. Mais le capital humain pose bel et bien de vrai problmes : la fuite des cerveaux par exemple (hauts

    diplms forms aux frais d'un tat et qui profitent un autre). De mme, le risque de perdre leurs salaris

    dcourage les entreprises de leur offrir une formation onreuse. Le capital humain reprsente une forme de capital

    que le capitaliste ne peut pas encore s'approprier.

    Les volutions dcrites dans les deux derniers paragraphes, acclres par le processus de mondialisation, amnent

    certains considrer le passage dans un nouveau type d'conomie ( conomie du savoir ou capitalisme cognitif

    ) dans laquelle les droits de proprit sur le capital seraient plus limits. titre d'exemple le philosophe

    altermondialiste d'inspiration marxienne Antonio Negri estime que :

    le travailleur, aujourdhui, na plus besoin dinstruments de travail (cest--dire de capital fixe) qui

    soient mis sa disposition par le capital. Le capital fixe le plus important, celui qui dtermine les

    diffrentiels de productivit, dsormais se trouve dans le cerveau des gens qui travaillent : cest la

    machine-outil que chacun dentre nous porte en lui. Cest cela la nouveaut absolument essentielle de la

    vie productive aujourdhui . [10]

    On retrouve dans les travaux d'Alvin Toffler l'ide d'un "savoir"; nouvelle puissance absolue de notre temps; il

    succderait ainsi la puissance animale et la puissance montaire. Pour plus d'informations, voir la Thorie des

    vagues de dveloppement

    Ces thses restent minemment contestes.

  • Histoire du capitalisme 25

    Sources Thomas More, Utopia, 1516

    Voltaire, Lettres philosophiques, 1734

    Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'ingalit parmi les hommes, 1755

    Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776

    Thomas Robert Malthus, Essai sur le principe des populations, 1798

    Jean-Baptiste Say, Trait d'conomie politique, 1803

    David Ricardo, Des principes de l'conomie politique et de l'impt, 1817

    Karl Marx, Manifeste du parti communiste, 1848

    Karl Marx, Le Capital, 1867

    Werner Sombart, Le Capitalisme moderne, 1902

    Max Weber, L'thique protestante et l'esprit du capitalisme, (1904-1905, 1920)

    Rosa Luxemburg, L'Accumulation du capital, 1913

    Vladminir Ilytch Ulianov (Lnine), L'Imprialisme, stade suprme du capitalisme, 1916

    John Maynard Keynes, Thorie gnrale de l'emploi, de l'intrt et de la monnaie, 1936

    Joseph Aloys Schumpeter, Capitalisme, socialisme, et dmocratie, 1942

    Walt Whitman Rostow, Les tapes de la croissance conomiques, 1960

    Raymond Aron, Dix-huit leons sur la socit industrielle, 1962

    Gary Becker, Human Capital, 1964

    John Kenneth Galbraith, Le Nouvel tat industriel, 1967

    Michel Aglietta, Rgulation et crises du capitalisme, 1976

    Alfred Chandler, La Main visible des managers, 1977

    Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme franais, histoire d'un divorce, 1984

    Fernand Braudel, La Dynamique du capitalisme, 1985

    Michel Albert, Capitalisme contre Capitalisme, 1991

    Robert Reich, L'cono