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Page 1: LE BILINGUISME ET L'APPRENTISSAGE D'UNE · PDF file29 avril 1973 et intitulé «Melina Mercouri», donc l'anglais utilisé était d'une nature assez générale et non pas technique

L E B I L I N G U I S M E E T L ' A P P R E N T I S S A G E D ' U N E L A N G U E É T R A N G È R E

J E F F B R I D G F O R D (*)

Je tiens à expr imer m a profonde reconnaissance à tous ceux qui on t bien voulu m'aider dans ce travail, et part iculièrement M m e Haegeli, M M . Tardy , Esnol et Landr ic et à mes anciens collègues et étudiants du Dépar tement d 'Etudes Anglaises et Nord-América ines de Strasbourg.

A l'étranger on ignore souvent l ' importance du patrimoine culturel de l'Alsace et, en arrivant à Strasbourg pour la première fois, je fus frappé par l'existence d 'une diversité culturelle, non pas seulement dans les bibliothèques et les musées, mais dans l'Alsace de tous les jours. En tant qu'étudiant et professeur de langue, j ' a i été surtout impressionné par la richesse linguistique de la région ; quel bon­heur que d'habiter une région où l'on a la possibilité d 'apprendre dès son enfance deux langues différentes sans l'effort que l'on associe normalement à l 'appren­tissage d 'une deuxième langue. Ce n'est qu'en enseignant l'anglais en Alsace que j 'a i commencé à réfléchir sur les liens qui pourraient exister entre l 'arrière-plan socio-culturel et l 'apprentissage d 'une langue étrangère ; et plus précisément dans ce contexte, après avoir maîtrisé les complexités des structures phonétiques syntaxiques et sémantiques de deux langues, le bilingue alsacien-français est-il plus à même de le faire avec une langue étrangère ?

Introduction

Il n'est plus nouveau de faire remarquer que de nombreux facteurs sociaux et culturels jouent un rôle déterminant et primordial dans l'évolution et le comporte­ment de l'individu. C'est surtout le célèbre sociologue français, Emile Durkheim, qui a donné à cette constatation une valeur théorique : il a démontré qu 'une «contrainte du social» 0) agit psychologiquement sur les membres des groupes sociaux, conditionnant, de ce fait, dans une grande mesure les possibilités de déve­loppement de l'individu. Cependant, à l'exception des recherches entreprises par plusieurs ethnolinguistes tel que E. Sapir ( 2), il aura fallu un certain temps avant que des chercheurs pensent à établir le lien entre l'origine socio-culturelle et la langue. Ceci ne signifie pas que les linguistes ne faisaient pas de recherches, mais

(*) Newcastle upon Tyne, Polytechnic, Grande-Bretagne. (1) DURKHEIM, E., Règles de la Méthode Sociologique, Alcan, Paris, 1938. (2) SAPIR, R., Language : an Introduction to Study of Speech, Harcourt, New York, 1921.

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ils se contentaient pour la plupart d'étudier la langue en soi sans étendre leurs champs d'action à d'autres domaines.

Pourtant, la langue est un moyen important de socialisation et la plus grande partie de la culture de l'enfant est transmise par la langue - c'est surtout oralement qu 'on lui indique ce qui est permis et ce qui ne l'est pas. Ceux qui ont constam­ment recours à la langue parlée, dans leur vie quotidienne, élèvent leurs enfants différemment de ceux qui vivent dans un monde non-verbal.

Vers la fin des années 50 et le début des années 60, on commença à voir apparaître les premiers résultats des recherches qui associent, d 'une façon sérieuse et scientifique, les deux disciplines de la sociologie et de la linguistique. Ces études ont été faites plus ou moins simultanément des deux côtés de l 'Atlantique par deux chercheurs, devenus sociolinguistes éminents, Basil Bernstein à Londres et Will iam Labov à N e w York.

Ces travaux de pionnier, bien qu'imparfaits dans une certaine mesure, ont néanmoins fourni des bases pour une discipline qui est devenue de plus en plus rigoureuse - la sociolinguistique ( 3). D'ailleurs, ces deux études ont inspiré un grand nombre de chercheurs en Europe et outre-Atlantique. Ceux-ci se sont con­centrés essentiellement sur les facteurs de l'origine socio-culturelle qui pourraient influer sur l 'apprentissage et l'utilisation de la langue maternelle.

Cependant, l 'enseignement et l 'apprentissage des langues étrangères occupent une place de plus en plus importante dans les systèmes d'éducation, et, bien que l'apprentissage d'une langue étrangère soit un processus extrêmement complexe et difficilement analysable, il semblerait raisonnable de suggérer que l'origine socio­culturelle de l 'apprenant joue un rôle significatif dans sa capacité de maîtriser des aspects différents de l'apprentissage d 'une langue étrangère. Toujours est-il que les chercheurs ont négligé cette partie de la discipline. Il y a certes quelques rares exceptions, J. B. Pride consacre un chapitre de son livre, «The Social Meaning of Language» (4) au «Second-Language Learning», mais ses écrits ne font que souli­gner par leur forme et leur contenu, l 'absence totale d'informations à ce sujet.

Par contre, Claire Burstall et al. ( 5) font néanmoins remarquer , même si ce n'est que brièvement, dans leur étude qu'il existe un lien entre l'origine sociale et la réussite relative en ce qui concerne l'apprentissage d 'une langue étrangère, à savoir le français.

C'est donc à une absence presque totale de données ou d'études que se heurte toute recherche sur les facteurs socio-culturels qui influent sur l 'apprentissage d 'une langue étrangère.

(3) Voir BERNSTEIN, B. , Class Codes and Control Volume I - Theoretical Studies towards a sociology of language - Routledge and Kegan Paul, London, 1 9 7 1 .

LABOV, W., 771e Social Stratification of English in New York City - Center for Applied Linguistics, Washington 1 9 6 6 .

(4) PRIDE, J. B., The Social Meaning of Language, Oxford University Press, Oxford 1 9 7 1 . (5 ) BURSTAL Claire et al. - Primary French in the Balance, National Foundation for Educational

Research, Slough, 1 9 7 4 .

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L'objet de cette étude est de proposer, à une échelle forte modeste, quelques éléments permettant d'éclaircir le rapport entre le milieu socioculturel et l 'appren­tissage d 'une langue étrangère. Plus précisément dans ce même contexte, il serait intéressant d 'examiner si le fait d'avoir maîtrisé la complexité des structures de deux langues aiderait le bilingue alsacien-français à maîtriser celle d 'une langue étrangère proprement dite, à savoir, de l'anglais.

L'étude se décompose de la manière suivante :

- méthodologie des enquêtes socio-culturelles et linguistiques - résultats des enquêtes socio-culturelles et linguistiques - résultats des corrélations des deux enquêtes - conclusion

Méthodologie

Cette étude ne porte pas sur un échantillon choisi à cause de sa représentativité socio-culturelle, mais sur un échantillon pris au hasard, du moins en ce qui concerne sa représentativité socio-culturelle. Il porte donc sur une population relativement spécialisée puisqu'il s'agit de 95 étudiants régulièrement inscrits en deuxième année du Diplôme Universitaire d'Etudes Générales, option anglais, organisé sous l'égide de l 'U.E.R. de Langues Vivantes de l 'Université des Sciences Humaines de Strasbourg, dont 60 ont participé aux deux enquêtes, socio-cul­turelles et linguistiques. Pour obtenir les informations sur l'arrière plan socio-cul­turel, dans le cadre de cette étude, nous avons décidé d'utiliser une enquête par questionnaire écrit. U n questionnaire écrit offre plusieurs avantages. Il est plus pratique d'abord, et d'autre part il n 'y a pas d'interférence de la part du chercheur - toutes les questions sont semblables pour tous les étudiants. Avant de distribuer les questionnaires officiellement, nous avons discuté la rédaction des questions avec plusieurs collègues francophones et dialectophones et nous leur avons aussi demandé de remplir les questionnaires afin de réduire la possibilité de malenten­dus et de confusions dûs au caractère imprécis de la formulation des questions.

Pour assurer que les résultats du questionnaire soient les plus significatifs et les plus exploitables, nous avons préparé un grand nombre de questions à choix multiples. Cependant, toujours conscients des contraintes de cette approche, nous avons également introduit quelques questions ouvertes. Parce que nous ne vou­lions pas donner aux étudiants l 'impression que nous nous mêlions indiscrètement de leur vie privée, nous avons quelque peu dissimulé l'objectif de l 'étude, en commençant le questionnaire par une vingtaine de questions sur les connaissances linguistiques et ainsi en posant ces questions de manière assez désinvolte. Le questionnaire fournit des informations sur l'arrière plan socio-culturel et socio-économique à la fois ; ainsi nous pouvons mieux analyser l'existence du facteur du bilinguisme et aussi isoler son influence d'une façon plus scientifique.

Pour obtenir le max imum de réponses dans le but d'étendre la portée de l'étude, le test linguistique avait été présenté comme faisant partie intégrante de l 'examen de fin d 'année de l'unité de valeur, langue orale. E n réfléchissant, nous avons

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m ê m e préféré cette approche pour des raisons scientifiques, puisque le test n'était pas isolé, mais se plaçait dans la ligne de la pédagogie de toute une année universitaire. D'ailleurs le test avait une valeur réelle pour les étudiants en ce sens qu'ils désiraient réussir pour avoir une bonne note à la fin de l 'année ; cela évitait donc que ce test soit considéré comme un exercice purement gratuit.

Le test était basé sur un texte écrit tiré du Sunday Times Colour Supplément du 29 avril 1973 et intitulé «Melina Mercouri», donc l'anglais utilisé était d 'une nature assez générale et non pas technique ou archaïque. Le texte avait été en­registré auparavant par un anglophone pour assurer l 'authenticité de l'anglais. Ainsi, il était possible de le transmettre dans chaque cabine du laboratoire de langues en étant sûr que les conditions d'écoute étaient bonnes et les mêmes pour tous les étudiants.

Le test comprenait quatre parties :

1) Compréhension I 2) Compréhension II 3) Transcription Orthographique 4) Transcription Phonétique (6).

Résultats

Quoique les réponses au questionnaire offrent une grande diversité de rensei­gnements sur l 'arrière-plan socio-culturel et socio-économique de l'étudiant, cette partie de l'étude se concentre sur les réponses qui mettent en valeur leurs connais­sances linguistiques et plus précisément leur attachement culturel à l'Alsace.

L'Institut d 'Etudes Anglaises et Nord-Américaines a une dimension internatio­nale importante, puisque 13 des étudiants sont nés en outre-mer, mais surtout aussi une vocation régionale, puisque 17 des étudiants sont nés à Strasbourg, 13 autres ailleurs dans le Bas-Rhin, et 11 dans les départements limitrophes.

Il importe de constater que la plupart des étudiants (36) citaient le français c o m m e langue maternelle ; en revanche, et surtout si on ignore la situation culturelle en Alsace, on peut s'étonner que le pourcentage ne soit pas plus élevé. L'autre langue souvent citée, bien que moins souvent, était l'alsacien. D'ailleurs, il est intéressant de voir que 11 étudiants considéraient qu'ils ont deux langues

(6) 1. Compréhension I Il s'agissait d'écouter et transcrire 11 questions basées sur le texte et puis écrire les réponses.

2. Compréhension II Il s'agissait d'écouter 30 déclarations, juger leur véracité et ensuite cocher la case appro­priée, juste, faux, ou sans réponse, sur une feuille spéciale.

3. Transcription Orthographique Il s'agissait d'écouter 5 phrases du texte et compléter par écrit les trous sur une feuille spéciale.

4. Transcription Phonétique Il s'agissait d'écouter six phrases du texte et les transcrire phonétiquement sur une feuille spéciale.

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maternelles, surtout parce qu 'une telle réponse n'avait pas été prévue dans le questionnaire.

Il est évident que la grande majorité des étudiants considéraient qu'ils com­prennent et produisent «bien» et «très bien» le français parlé et écrit. On pourrait s 'étonner de la modestie de quelques-uns. Leur propre évaluation de leurs apti­tudes linguistiques diminue selon l'exercise proposé, no tamment elle varie entre la compréhension de la langue parlé et de la langue écrite, et entre la production de la langue parlée et de la langue écrite.

Les neuf étudiants qui ont cité l'alsacien comme langue maternelle se sentaient capables de le comprendre «très bien» ; ce qui est plus intéressant peut-être, c'est qu 'une dizaine d'autres étudiants estimaient qu'ils le comprennent «bien», six «assez bien» et six «passablement». D'autre part, cinq seulement d'entre eux se sentaient capables de «très bien» produire l'alsacien et 13 «bien» ou «assez bien», alors que 26 étudiants ne s'en estimaient pas du tout capables. Etant donné la situation géographique de Strasbourg, il n'est pas étonnant de remarquer qu 'une proportion élevé des étudiants comprennent «très bien», «bien» ou «assez bien» l 'allemand parlé et écrit. Cependant, aucun étudiant ne se sentait capable de très bien le produire, ni parlé ni écrit (y compris les germanophones !). Néanmoins , une bonne trentaine d'étudiants se considéraient capables de produire «bien» ou «assez bien» l 'allemand parlé ; encore une fois, le pourcentage était moins élevé pour la production de la langue écrite.

Quatre des étudiants avaient une «très bonne» compréhension de l'anglais parlé, 28 «bonne» et 21 «assez bonne», c'est-à-dire 53 sur 60. La proportion était presque identique pour la compréhension de l'anglais écrit. En ce qui concerne la production de l'anglais, le pourcentage des «très bien» et des «bien» se voit diminuer en faveur des «assez bien».

Mais nous avons aussi recensé l ' importance de la pratique du dialecte. Nos études démontrent que la moitié des mères et des pères comprennent et parlent l'alsacien, soit dans la famille, surtout pour les mères, soit dans le métier, soit, et surtout pour les pères des étudiants, dans les deux situations.

Dix-sept des étudiants parlent parfois l'alsacien à la maison, alors que 8 d'entre eux le parlent toujours. Ces chiffres manifestent une forte diminution de la pratique de l'alsacien, et encore plus si on les compare aux statistiques fournies il y a plusieurs années par le journal local, «Les Dernières Nouvelles d'Alsace». (Voir Table).

Mais il ne faut pas se leurrer avec cette comparaison, puisqu 'un coup d'œil à la rubrique «Profession du chef de famille» montre un échantillon différent. Dans notre groupe les étudiants dont le chef de famille est agriculteur ou ouvrier sont sous-représentés, par rapport à la moyenne régionale et donc on ne peut s'attendre à ce que le pourcentage soit absolument similaire.

Trois des étudiants ont appris le dialecte et le français en même temps (ce qui n'avait pas été prévu dans le questionnaire), 6 ont appris le français à l'âge de 3 ans, 5 à l'âge de 4 ans, 1 à l'âge de 5 ans, 4 à l'âge de 6 ans (et un à l'âge de 10 ans).

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Finalement il est intéressant, mais ironique dans le cadre de cette étude, de constater que seulement 6 étudiants, 1 0 % , dialectophones ou non dialectophones pensaient qu 'une connaissance de l'alsacien pourrait être utile pour l 'apprentissage de l'anglais.

TABLE

«Dernières Nouvelles d'Alsace», Edition spéciale, octobre 1971.

«En général, est-ce que vous parlez plutôt alsacien ou plutôt français ?» :

Alsaciens Français Ne se prononcent pas

. en famille 57% 42% 1%

. avec des amis 52% 45% 3%

. au travail 29% 39% 32%

Proportion de personnes qui parlent plutôt ALSACIEN EN FAMILLE :

AGE HABITAT

20 a 34 ans 35 a 49 ans 50 a 64 ans 65 ans et plus

47% 58% 60% 70%

Communes rurales : 79% Villes de moins de 100 000 H : 57% Strasbourg : 45%

PROFESSION DU CHEF DE FAMILLE

Cadres supérieurs, professions libérales, industriels et commerçants : 43 % Employés, cadres moyens 36% Ouvriers 65% Inactifs 66 % Agriculteurs 86%

Proportion de personnes qui parlent plutôt ALSACIEN AU TRAVAIL :

PROFESSION CHEF DE FAMILLE

Cadres supérieurs, professions libérales (') 20% Industriels et commerçants (') 40 % Employés, cadres moyens 12% Ouvriers 37% Agriculteurs 86%

(1) chiffres donnés à titre indicatif en raison de la faiblesse des effectifs.

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Conscients de l 'élément de subjectivité qui peut s'infiltrer dans les corrections des épreuves linguistiques, nous avons décidé tout d'abord de baser notre test sur le 2 e exercice (Compréhension II) dont les réponses conditionnées par la structure Q C M sont les plus objectivement classables.

Cependant, conscients du problème de fonder une étude sur un seul élément d 'un test et ainsi de courir le risque d'avoir des résultats non représentatifs, nous avons décidé d'obtenir une série de résultats basés sur la totalité des notes ; pour minimiser le problème de subjectivité et pour assurer la cohérence dans la correction des épreuves les correcteurs s'étaient réunis avant l 'examen, entre l 'examen et la correction et après la correction ; ainsi, ils avaient choisi la méthode la plus équitable pour corriger les épreuves et pour attribuer les notes.

Lors de la réunion de mise au point après l 'examen, les correcteurs ont constaté plusieurs confusions possibles de la part des étudiants, dues à un manque possible de clarté dans la formulation de la question et, pour cette raison, ils ont décidé d'éliminer un certain nombre des réponses.

Les résultats numériques sont les suivants :

Compréhension/ moyenne 11,68/20 Compréhension H moyenne 13,95/20 Transcription Orthographique moyenne 3,35/5 Transcription Phonétique moyenne 5,03/15

TOTAL-. moyenne 11,36/20

R É S U L T A T S D E S C O R R É L A T I O N S D E S E N Q U Ê T E S S O C I O C U L T U R E L L E S E T L I N G U I S T I Q U E S

Nous avons été très stricts avec le facteur alsacien pour essayer de trouver deux groupes bien distincts. D 'une part, nous avons choisi tous les étudiants pour lesquels l'alsacien est la langue maternelle mais nous voulions nous assurer que ce n'était qu 'un facteur historique et c'est pour cela que nous avons combiné le premier facteur avec celui de l'usage courant et continuel : Donc ce groupe com­prend les étudiants dont la langue maternelle est l'alsacien (même en combinaison) et qui parlent et comprennent «bien» ou «très bien» l'alsacien, qui viennent de familles dialectophones et qui parlent l'alsacien parfois ou souvent à la maison, ce qui constitue un groupe de 11. Dans l 'autre groupe, il y a une quinzaine d'étu­diants dont la langue maternelle est uniquement le français et qui ne sont absolu­ment pas capables de parler, ni de comprendre l'alsacien. Il s'agit donc d'un grou­pe totalement bilingue et d'un groupe totalement monolingue.

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Les résultats numériques sont les suivants :

Dialectophones Francophones

Compréhension I 12.23 11.57 Compréhension II 16.00 13.66 Transcription Orthographique 3.73 3.20 Transcription Phonétique 5.91 4.73

TOTAL : 12.63 11.07

Dans tous les tests le groupe de dialectophones obtient une moyenne nettement plus élevée que celle des francophones.

Ces résultats sont encore d'autant plus intéressants si l'on isole d'autres va­riables. Sur le plan culturel, nous avons pu constater que les dialectophones ne sont pas plus favorisés. Parmi les pères des dialectophones, aucun n 'a atteint le niveau de baccalauréat, ni a fait d'études supérieures, alors que parmi les pères des francophones 5 ont atteint le niveau de baccalauréat et 2 d'entre eux ont poursuivi des études supérieures. Quant aux mères, une seule des dialectophones a atteint le niveau de baccalauréat et aucune n 'a fait d'études supérieures. Parmi les mères des francophones, 2 ont atteint le niveau du baccalauréat et 2 d'entre elles ont fait des études supérieures. Quant à la possession d'une bibliothèque, 6 des parents des étudiants dialectophones possèdent une bibliothèque alors que cela n'est vrai que pour 5 des étudiants francophones.

Nous n 'avons pas constaté non plus que les dialectophones avaient des parents plus ouverts aux choses anglo-saxonnes. Dans le groupe de dialectophones, un seul des parents savait parler et comprendre «assez bien» ou mieux l'anglais et s'intéressait aux choses anglo-saxonnes, alors que dans l 'autre groupe, il y en avait 4. Dans le groupe de dialectophones, un seul parent parlait et comprenai t «un peu» l'anglais, mais quand même s'intéressait aux choses anglo-saxonnes ; dans le groupe de francophones, il y en avait 2.

Dans ces deux groupes, nous avons remarqué que le groupe de dialectophones n'était pas spécialement favorisé sur le plan matériel. Bien au contraire, en fait - en prenant la profession du père comme indice, nous avons trouvé 3 ouvriers, 2 agriculteurs, 3 patrons et 3 cadres moyens. Dans le groupe de francophones il y avait 1 ouvrier, 1 agriculteur, 3 employés, 1 cadre moyen, 4 patrons, 1 profession libérale, 3 cadres supérieurs et 1 divers, ce qui, normalement et même dans le cadre de cette étude aurait rendu le premier groupe moins fort que l'autre.

Quant à l'aspect physique du foyer, nous n 'avons pas trouvé de distinction importante. Dans le groupe de dialectophones, 3 parents étaient locataires de leur appartement, 1 de leur maison et 7 étaient propriétaires de leur propre maison. Dans le groupe de francophones, 7 parents étaient propriétaires de leur propre

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(7) Le manque de précision dans ces réponses est dû à la construction du questionnaire, où une réponse ouverte fut permise.

maison et 3 de leur appartement alors que 5 d'entre eux étaient locataires de leur appartement.

Sur le plan de la motivation dans les études, nous avons remarqué un peu plus de soutien familial pour le groupe de dialectophones. 6 d'entre eux avaient été encouragés à étudier l'anglais, les autres n'avaient été ni encouragés, ni découra­gés. La plupart des étudiants francophones n'avaient été ni encouragés, ni découra­gés dans l'étude de l'anglais ; en fait 4 avaient été encouragés et 2 d'entre eux avaient même été découragés.

Pour les dialectophones, nous n 'avons trouvé qu 'un seul étudiant d 'une famille nombreuse contre 5 pour les francophones. Cependant, parmi les francophones, il y en avait 6 dont un frère ou une sœur avait déjà fait des études supérieures alors que pour les étudiants dialectophones il n 'y en avait qu 'un seul.

Quant à un séjour dans un pays anglophone, il n 'y avait pas beaucoup de différence entre les deux groupes. 2 des dialectophones n'étaient pas allés à un pays anglophone, 4 des francophones étaient dans cette même catégorie.

Des étudiants dialectophones recevaient de l'argent de leurs parents : 8 étudiants contre 7 francophones. Etant donné le nombre d'étudiants dans chaque groupe, la différence est encore proportionnellement considérable. Qui plus est, un seul dialectophone travaillait pendant l 'année universitaire alors que 6 étudiants franco­phones y étaient obligés.

E n ce qui concerne le facteur de classe sociale selon l'évaluation subjective de l'étudiant lui-même, il est intéressant de remarquer une assez grande différence entre les groupes. 5 des dialectophones situaient leur famille dans la classe ouvrière, 2 dans la classe moyenne , aucune dans la bourgeoisie et 1 dans la classe aisée ( 7). Par contre, un seul francophone situait sa famille dans la classe ouvrière, 6 dans la classe moyenne, 4 dans la bourgeoisie et 1 dans la classe aisée. Les dialectophones avaient le sentiment d'appartenir à la même classe que leurs parents, ainsi que la plupart des francophones ; cependant, il y en avait deux de moins qui avaient le sentiment d'appartenir à la classe moyenne.

L'image n'est pas tout à fait claire. Les dialectophones de notre échantillon semblaient avoir plus de soutien familial. Ils recevaient de l 'argent de leurs parents et avaient moins besoin de travailler et d'ailleurs leur famille fournissait un certain soutien psychologique important. Cependant d'autre part, selon les facteurs plutôt classiques de l'analyse sociologique, profession et niveau d'enseignement des parents et appartenance à une classe sociale, ils se trouvaient défavorisés. Par contre ce qui est clair, est la réussite relative des dialectophones dans cet ensemble de tests.

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Conclusion

Les résultats de notre enquête offrent une autre perspective au phénomène du bilinguisme. D'autres chercheurs, tels que W . R. Jones (8) au Pays de Galles et A. Tabouret-Keller (9) en Alsace tendent à démontrer que le dialectophone se trouve défavorisé vis-à-vis de son homologue monolingue. Cependant, dans notre étude, l 'aune n'est pas la langue de la capitale, mais une langue étrangère, et il semblerait que les dialectophones pris dans l 'ensemble, montrent sans aucun doute dû à la possible interférence d'autres variables socioculturels qu'ils sont mieux équipés que les francophones pour maîtriser quelques techniques nécessaires pour l'ap­prentissage d'une langue étrangère, à savoir l'anglais, du moins en ce qui concerne la compréhension orale. Nous avions pensé qu 'un tel résultat serait possible du fait que le dialectophone a eu l'occasion d'intérioriser une autre structure linguistique qui s 'approche quelque peu de celle de l'anglais, mais nous sommes quand même étonnés d'observer le caractère définitif de nos résultats.

Cette étude fournit beaucoup de renseignements sur le rapport entre l 'arrière plan socio-culturel d 'un étudiant et sa capacité de maîtriser quelques éléments de l'apprentissage d'une langue étrangère. Cependant il ne faut pas conclure à la légère - il ne s'agit pas de l'apprentissage d'une langue étrangère. Il y a d'autres domaines dont il faut faire des recherches, tels que la compréhension écrite et la production parlée et écrite. D'ailleurs il faut faire ces expériences avec d'autres groupes, non pas seulement des spécialistes, mais aussi des non-spécialistes et surtout avec de jeunes débutants.

Cette étude pourrait constituer, quand même, une direction de recherches à venir pour des professeurs de langue et pour des administrateurs pédagogiques dans l'intérieur du pays et surtout en Alsace.

( 8 ) JONES, W. R., Bilingualism in iVelsh Education, University of Wales Press, Cardiff, 1 9 6 6 . (9) TABOURET-KEI.I.ER, A., Problèmes Psycho-pédagogiques du Bilinguisme, Revue Internationale

de Pédagogie, No. 1, s' Gravenhage 1 9 6 0 .