l’autonomie des patients réduite, synonyme d’une liberté ... · 3 mandela, nelson. un long...

BECKER Benjamin Travail de fin d’études remis en décembre 2014 UE 5.6 S6 Analyse de la qualité et traitement des données scientifiques et professionnelles IFSI de Rueil-Malmaison Promotion « Poussins » : 2012-2015 06-26-93-85-27 [email protected] Sous L a D irection d e M esdames O ukessou e t K ara « J’ai l’intime conviction que la relation aux autres êtres – nos compagnons de voyage est l’élément à la fois le plus mystérieux et le plus significatif de notre vie personnelle et en définitive, de l’évolution cosmique. » Hubert Reeves L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté déchue ?

Upload: vanxuyen

Post on 14-Sep-2018

214 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

BECKER Benjamin Travail de fin d’études remis en décembre 2014 UE 5.6 – S6 – Analyse de la qualité et traitement des données scientifiques et professionnelles IFSI de Rueil-Malmaison Promotion « Poussins » : 2012-2015 06-26-93-85-27 [email protected]

Sous La Direction de Mesdames Oukessou et Kara

« J’ai l’intime conviction que la relation aux autres êtres – nos compagnons de voyage – est

l’élément à la fois le plus mystérieux et le plus significatif de notre vie personnelle et en

définitive, de l’évolution cosmique. »

Hubert Reeves

L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté déchue ?

Page 2: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

Il s’agit d’un travail personnel et il ne peut faire l’objet d’une publication

en tout ou partie sans l’accord de son auteur.

Toutes les abréviations utilisées dans ce mémoire sont annotées d’un

astérisque * et figurées dans un glossaire, à la page 51 du susnommé.

Benjamin BECKER

Page 3: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

Je tiens à remercier très chaleureusement Mesdames Fabienne Oukessou et Leila Kara, mes

directeurs de mémoire et le Docteur en médecine générale Bernard Romefort pour leur accompagnement sans faille, qui ont su traduire mes besoins en faisant émerger des propositions

constructives qui m’ont permis de mener à bien ce travail ;

Je remercie également l’ensemble de l’équipe pédagogique de l’IFSI de Rueil-Malmaison, pour m’avoir permis d’être l’étudiant que je fus et fait grandir, pour m’avoir donné les ressources, les

connaissances et les outils qui me permettront de devenir l’infirmier que j’ai toujours souhaité être ;

Madame Kaddouri qui, par la validation de mes choix, m’a guidé et conduit sur un parcours de

stage aussi riche que diversifié ;

Un grand Merci à Mesdames Conduché, Selmani, Coulange et Benaï du CHCNP pour leur soutien solide et la confiance qu’elles m’ont témoignée dans ce formidable projet étudiant ;

Je remercie également ma famille, mais surtout mes parents qui m’ont toujours encouragé à

poursuivre dans la voie que j’avais choisie, pour les valeurs qu’ils m’ont inculquées et le courage qu’ils ont su m’insuffler dans ces études lorsqu’il venait à me manquer, ainsi que ce Goût de

l’Humain qu’ils ont toujours prôné ;

A Florent Duhamel et Pierre Lecompte je dédie ce travail, pour leur amitié, leur amour et les mains qu’ils ont su me tendre depuis toujours lorsque, sur mon chemin, le besoin s’en faisait

ressentir ;

A tous ces patients que j’ai rencontrés dans ma jeune carrière et qui ont fait de moi le soignant que je suis aujourd’hui, qui m’ont fait couler des larmes de joie, mais aussi de douleur, et qui

m’ont appris à aimer cet Autre, quel qu’il fût ;

A tous mes merveilleux collègues aux côtés desquels j’ai eu la chance de travailler, qui m’ont tant apporté et ont témoigné de cette conviction que cette fabuleuse profession était faite pour

Moi ; Pour ces étroites collaborations et solidarité face à l’adversité, pour ces innombrables fous rires

et ces “coups de gueule” incalculables qui m’ont fait avancer, pour ce Respect du Patient dont ils ont toujours fait preuve, et pour ce choix aussi ubuesque que probe mais non moins élogieux de

cet Art de soigner ;

Enfin, je te dédie ce mémoire, Frédérique Lautard, ma Sœur de galères, Toi qui a su m’écouter tout au long de ces trois ans, et qui a ensoleillé chaque jour davantage cette incroyable aventure

humaine qui nous a menés jusqu’au diplôme, que nous n’aurons pas volé... !

A vous Tous et aux autres… …Merci.

Benjamin

Page 4: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté
Page 5: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

1

Sommaire Introduction………………...…………………………………………………………….p. 2 Situation d’appel………………………….…………………….……………………….p. 5 Cadre conceptuel…………………………………….…………..……………………...p. 8

I) L’éthique, genèse et garante d’une prise en charge infirmière

philanthropique et humaine…………………………………………………p. 12

II) La déontologie, règles et principes créateurs de professionnels de santé probes et vertueux…………………………………………...……………...p. 16

III) L’encadrement législatif du « prendre soin », repérage nécessaire dans de

nombreuses circonstances………………………………………...……….p. 19

IV) L’Autonomie, principe soignant immuable et incontournable à redéfinir inlassablement……………………………………..………………………...p. 24

Conclusion du cadre de référence…………..……..……………………………….p. 28 Analyse des enquêtes exploratoires : Enquête exploratoire : présentation de l’outil utilisé et de la population sondée……………………………………………………………………………….…...p. 29 Analyse des réponses aux questions posées……………………………...………...p. 33 Conclusion et hypothèse de recherche………………….…...……………………p. 49 Glossaire…………………………………………………………………………………p. 51 Bibliographie……………………………………………….………..………………….p. 51 Annexe I : Réflexion personnelle sur la notion de “Bioéthique”….……..………….p. 55 Annexe II : Lettre de demande d’autorisation d’enquêter adressée aux Directeurs des Soins et Cadres des services concernés par l’étude…….……………………..p. 58 Annexe III : Grilles des entretiens exploratoires (dont originale)...…...……………p. 59 Résumé/Abstract………………………………….……………………...……………p. 75

Page 6: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

2

« Nous ne sommes sûrement pas Tout le monde, mais tout le monde est

Quelqu’un. Nos vies sont de petits cours d’eau se réunissant en une grande rivière ; le

courant nous entraîne vers la chute qui sous sa brume nous offre le paradis. »1

Faxian, moine bouddhiste du 4ème siècle de notre ère.

C’est à l’image de cette pensée, comme gravée dans le marbre et figée

dans le temps par la puissance des mots qui nous interpellent et nous enrobent d’un voile de

coton, que nous avons voulu construire ce mémoire de fin d’études. Accoucher d’un ouvrage

avant tout personnel auquel nous pourrons au besoin nous référer et dans lequel nous pourrons

nous retrouver. Comme une réflexion centrée sur nous-même, sur notre pratique soignante au

quotidien qui fera demain l’infirmier que nous souhaiterons être. Une pratique que nous

devrons sans cesse réévaluer, et constamment resituer autour et sur le patient. Afin, peut-être,

de ne pas perdre de vue l’essentiel de notre exercice professionnel, son cœur même et les

choix qui nous ont conduits dans cette voie : prendre soin de l’autre.

Mais surtout, tenter de ne jamais nous éloigner de cette idée faite nôtre que la richesse, la

puissance et la force de notre métier tiennent avant tout dans ces formidables liens aussi

complexes qu’étroits qui nous rapprochent du patient toujours un peu plus, et de manière

inexorable ; nous entendons par là bien sûr les rapports humains, qu’ils soient physiques ou

spirituels. Car chacune des relations humaines qui nous lient aux autres peut devenir un

souvenir unique, fragile et précieux, à la condition toutefois d’y insuffler une volonté ferme et

arrêtée de considérer cet autre comme un réel compagnon de route, un alter égo, un autre

“Soi-même”. Et ceci évoluant dans une relation qui se devra d’être maintenue à l’équilibre le

plus idéal possible. Le cas échéant pourrait biaiser le « prendre soin » qui donne à chaque

relation soignante la valeur inestimable des trésors les plus convoités. Mais, ces interactions

humaines devront malgré tout répondre à des codes explicites ou non, qu’il faudra alors

s’évertuer de comprendre et de déchiffrer, témoignant de facto cette volonté précédemment

exprimée.

Et cette complexité même du rapport humain, le rôle que chacun peut y jouer et la place

qu’il doit y tenir constituera le questionnement fondamental de ce travail, sa trame directrice

mais également sa source d’énergie. Et précisément, sur cette obligation d’équité qui sous-

entend l’importance d’y prioriser la Liberté et l’Egalité des chances de chacun d’entre nous

1 GAGNIERE, Claude. 1000 mots d’esprit. Paris : Points, 2008. Consulté le 26 janvier 2014 au domicile, p.59.

Page 7: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

3

face à l’accès au soin, patients comme soignants (chacun des soignants que nous sommes

étant susceptible de devenir patient à son tour…), comme deux obligeances constitutionnelles

garantes de la qualité de nos prises en soin infirmières et soignantes.

Et de renchérir que cette Liberté dont nous tous voudrions pouvoir nous targuer de jouir en

tant qu’Êtres Humains nous semble devoir se situer à la base même des droits de l’Homme, et

son respect dans notre système de soins une conduite déontologique qu’on ne saurait abroger.

Dès lors, nous pourrions nous demander ce que nous mettons derrière cette notion de Liberté,

lorsque nous sommes infirmiers ? Serait-ce de laisser vacante la possibilité pour le patient de

prendre ses propres décisions, d’assumer ses propres choix ? Nul doute, assurément. Le

dictionnaire Larousse propose au mot “Liberté” une pléthore de définitions, toutes tributaires

d’un sens qui lui est propre : « Caractère de ce qui relève de l’initiative privée », « Etat de

quelqu’un qui n’est pas retenu prisonnier », « Etat de quelqu’un qui n’est pas soumis à un

maître »2 … pourtant avec pour chacune d’entre elles, le sentiment d’une capacité à pouvoir

prendre des décisions pour soi-même, à se gérer et à juger ce qui paraît être bon pour soi.

Ainsi, exister à part entière finalement, s’affirmer en tant que personne vivante et unique,

pouvant revendiquer des droits et des devoirs communs à tous et pourtant propres à chacun, et

que l’état de santé ou de maladie/handicap ne saurait réduire à néant.

Pour autant, l’adage populaire de préciser que « La liberté des uns s’arrête où celle des

autres commence. » On peut alors penser que la possibilité pour les patients de jouir d’une

toute liberté empiéterait sur celle des soignants qui ont fait envers eux vœu de protection,

d’aide et de soins ?! L’Histoire de France, mais pas seulement, nous prouve de surcroît

l’importance que ce principe tient dans le cœur des Hommes, rappelant qu’il est la base de

tout fondement sociétal, de tout rapport humain et de toutes les constitutions

gouvernementales que l’histoire mondiale a vues se construire. Elle est la fondation la plus

ancrée de notre Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, son préambule et son cri

d’espoir : « Les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ». En cela, il

semblerait être le principe éthique soignant le plus inaliénable, et le plus respectable. Nelson

Mandela clamera un jour « Je ne suis pas vraiment libre si je prive quelqu’un de sa liberté.

L’opprimé et l’oppresseur en sont alors tous deux dépossédés de leur humanité. »3

2 LAROUSSE. Dictionnaires de français. Consulté le 26 janvier 2014 à 23h45. Disponible à l’adresse :

http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/libert%C3%A9/46994. 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la liberté. Paris : Livre de Poche, 2010. Consulté au domicile, p.38.

Page 8: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

4

Et de renchérir, Jacques Ruffié écrivait qu’ « Il n’y a d’éthique que lorsqu’il y a liberté. »4

Une Liberté donc assurée et affirmée par la Déclaration des Droits de l’Homme et du

Citoyen et constitutive de la base même de nos rapports humains qui, dès lors, devrait

permettre de maintenir symétrique toute relation soignant/soigné : laisser l’autre décider pour

lui-même, établir ses propres jugements, exprimer ses conditions et sa volonté. L’élever au

rang de vertu permettrait peut-être à chaque soignant de mettre à mal n’importe quel

déséquilibre ou asymétrie naissant(e) dans cette relation de soin, qui se traduirait par le

pouvoir de l’un sur l’autre.

On l’a vu, la Liberté première dont peut bénéficier les patients serait peut-être et avant tout,

la possibilité de pouvoir penser librement ce qui semble bon pour lui, et d’en tirer les résultats

et les actions itératives consciemment et délibérément. Mais bien au-delà des valeurs

présentement introduites, notons qu’un certain nombre de principes et de mouvements

encadrent au quotidien les relations “soignant/soigné”. Ces relations que la demande de soin

produite par le patient et l’offre de prise en soin, de soutien et d’accompagnement qui émane

des soignants (et notamment des infirmiers puisqu’il s’agit de cela) mettent en place, sans que

l’on s’en rende réellement compte, comme un processus humain naturel, logique et inévitable.

Finalement, les relations humaines constitutives d’un métier que l’on a certes choisi

d’exercer, mais qui nous conduit parfois dans des situations imposées qui nous demandent

réflexion, questionnement, maturité, ouverture d’esprit, patience et remise en question...

Pour conclure cette introduction, arrêtons-nous quelques instants sur l’une des pensées

d’Eric-Emanuel Schmitt, extraite de son recueil de nouvelles Concerto à la mémoire d’un

ange et qui traduira, espérons-le l’image de cette profession infirmière de laquelle nous

tâcherons de ne jamais nous éloigner : « Tout homme est responsable de tout homme, de son

frère et des autres. Tuer, c’est l’oublier. Être violent, c’est l’oublier. »5 Cette violence dont

on parle étant parfois la forme que prennent nos prises en soin infirmières qui peuvent bafouer

certains droits auxquels les patients devraient pourtant pouvoir prétendre, sans que ce choix

ne soit opéré par nous, en tous les cas, d’une manière consciente et volontaire…

…Bon Voyage.

4 RUFFIE, Jacques. De la biologie à la culture. Paris : Flammarion, 2003. Consulté au domicile, p.45.

5 SCHMITT, Eric-Emmanuel. Concerto à la mémoire d’un ange. Paris : Livre de Poche, 2008. Consulté le 03 mai

2014 au domicile, p.111.

Page 9: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

5

Situation d’appel

La situation professionnelle qui m’a conduit à ce processus de

questionnements et de recherche que je détaillerai plus tard, et donc à ce cheminement avant

tout personnel, a été le sujet d’une de mes analyses de pratique professionnelle, sur lesquelles

j’ai travaillé. Pour mémoire… Rappelons-nous…

Madame M., âgée de 83 ans et hospitalisée dans un service de Médecine Interne d’un

hôpital militaire fait l’objet d’une prescription médicale destinée à doser le taux de cortisol

présent dans ses urines. Mais pour ce faire, un recueil urinaire est donc indispensable. Or,

Madame M. étant incontinente, cet examen a nécessité la pose d’une sonde vésicale à

demeure. Ainsi, après une information et des explications qui me paraissent être claires et

loyales, je tente et parviens à obtenir le consentement oral de la patiente avant de réaliser ce

soin.

A ceci près que son comportement et l’agitation dont elle a fait preuve tout au long du soin

ne concordaient pas avec ses propos, avec son consentement préalable ; consentement que j’ai

évidemment cherché à réitérer en amont du soin. Elle remuait dans son lit constamment,

m’empêchant ainsi de réaliser un soin avec sérénité et calme.

L’infirmière responsable de mon apprentissage ce jour-là est alors venue me prêter main-

forte afin de “contenir” Madame M., et notamment de lui maintenir les jambes et les mains et

d’orienter la discussion vers des sujets qui l’intéressaient, ce qui m’a permis de poser la

sonde. Ainsi, le comportement qu’elle a adopté durant cet acte était en inadéquation totale

avec sa pensée ; pensée altérée par ailleurs de par son âge avancé et sa démence affublée d’un

syndrome confusionnel des plus marqués. Je me suis surpris alors à penser qu’en jouissant de

toutes ses capacités mentales, Madame M. aurait peut-être in fine refusé un tel examen, le

jugeant inutile au regard de ses expériences, de ses croyances et de ses choix personnels, ce

qui a mis à mal certains de mes idéaux quant à ma pratique professionnelle que je souhaiterais

parfois hédoniste.

Ainsi, prendre pour acquis qu’elle accepterait tout ce que le corps infirmier aurait jugé

opportun pour elle était peut-être bafouer toujours un peu plus un certain nombre de lois et de

valeurs morales qui reposent avant tout sur le “Respect” et le “Goût de l’Autre”. Mais surtout,

ce soin “forcé” m’a posé un réel souci d’éthique, et a percuté avec force certaines de mes

valeurs de soignant. Et après une réflexion qui m’a paru appropriée, je me suis aperçu que les

Page 10: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

6

difficultés éthiques qui peuvent être soulevées par le consentement du patient aux soins

infirmiers prodigués seraient peut-être itératives dans notre quotidien soignant.

Bien sûr, notifions dès à présent que chacune de ces situations est tant spécifique, qu’il

paraît bien impossible de trouver une réponse unique, inébranlable et identique à toutes,

comme une espèce de ligne de conduite, de chemin à suivre qui endoctrinerait et rendrait

impossible toute réflexion éthique constructive.

Et de préciser qu’après cette première démarche de réflexion, voici la première question

inhérente à ce travail qui en a surgi et sur laquelle j’ai eu envie de m’attarder, d’y chercher des

éléments de réponses (ce « terme de “réponse” ne doit pas être compris ici comme une

nécessaire recherche de solution, ou une manière de clôturer la question, mais au contraire

comme une attitude d’ouverture qui invite chacun à la responsabilité »6), ou du moins des

hypothèses permettant d’élaborer un semblant de solution, ou de relancer mon propre

questionnement éthique : Est-ce seulement la Victoire inespérée mais non moins acharnée

d’une vie sauvée qui marquera vraiment notre quotidien soignant dans l’appréhension de la

personne soignée ? Victoire parfois synonyme de “soignant vainqueur”, omettant

délibérément d’entendre d’abord, puis d’écouter et enfin de respecter le choix du Patient ? Ou

l’importance de mettre en œuvre toutes les armes dont nous disposons et toutes les

compétences et qualités humaines requises à la profession d’infirmière, et qui permettront

alors de resituer promptement la Personne Soignée… Au cœur de notre système de soins !

Fort de ce constat, un ensemble de questions s’est imposé à mon regard d’étudiant comme

une évidence incontournable sur laquelle il me fallait réfléchir, une manière, quelque part, de

rechercher les raisons qui font que notre “Agir” n’est pas toujours fidèle à nos engagements

premiers. Afin peut-être de parvenir à élaborer des axes de réflexion orientés sur nos pratiques

infirmières au quotidien.

Et ceci afin de parvenir à mettre dans notre devoir infirmier toute l’“Humanitude” et tout le

respect qu’il se doit lorsque nous sommes confrontés à ce genre de situations : Les lois

françaises sont-elles toujours adaptées à notre système de soin ? ; Est-il possible d’éviter la

confrontation entre les règles à respecter imposées par le système et nos valeurs soignantes ? ;

Qu’est-ce réellement que cette notion d’autonomie du patient ? Où s’arrête-t-elle ? ; Comment

la volonté du patient peut-elle trouver sa place dans une démarche de soin ou éthique issue

d’une décision collégiale arrêtée et immuable ? ; Ce consentement du patient, que l’on 6 BOLLY, C. et GRANDJEAN, V. L’éthique en chemin. Paris : L’Harmattan, 2004. Consulté en janvier 2014 au

CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, p.13.

Page 11: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

7

qualifie de “libre et éclairé” n’est-il, finalement, pas plus une métaphore ou un symbole

qu’une réalité ? ; Est-ce finalement, tout un système qui est à réformer, sinon à moderniser ? ;

La prise de décision concernant un patient peut-elle être valable lorsqu’elle n’est pas prise en

équipe ? ; Quelle est la place à accorder aux personnes de confiance et aux directives

anticipées dans une démarche décisionnelle ? ; L’infirmier doit-il savoir et faire en toute

circonstance abstraction de ses propres valeurs morales ?

Toutes ces questions m’ont conduit à élaborer une problématique tournée sur le

consentement du patient aux soins (ou son éventuel refus) et le respect des droits dont il peut

jouir. Ce qui permettrait notamment de resituer au cœur même de nos prises en soin

infirmières l’importance du respect de son autonomie, c’est-à-dire de cette capacité affirmée

et revendiquée par le patient de pouvoir arrêter ses propres choix et décisions. La personne

soignée sera alors replacée dans une condition d’Homme libre capable de sentiments et de

ressentis, de penser, d’aimer et d’agir !

Aussi, j’ai retenu la problématique suivante : certains des patients que nous, professionnels

de santé, sommes amenés à rencontrer dans notre pratique soignante au quotidien, tous

services et toutes spécialités confondus, sont atteints de démence ou de Maladie d’Alzheimer

avancée, parfois de troubles psychiatriques et/ou neuro-dégénératifs esseulés ou surajoutés, ou

d’un quelconque déséquilibre ou handicap psychique et/ou mental. Parfois encore, ils sont

comateux ou à l’aube de leur mort. Dès lors, ils deviennent ainsi par les aléas de la Vie qui se

joue de ces Êtres Humains et l’espièglerie de certains processus physiopathologiques ou

destins malchanceux, incapables d’exprimer leur volonté et ainsi d’apporter leur

consentement à nos soins infirmiers, celui que la Loi française considère comme devant être

“libre et éclairé”. Ces soins que nous nous devons de leur prodiguer, dans le plus solennel et

profond respect de l’Autre, afin d’assurer à chacun le Droit de vivre avec Dignité, déférence

et égard jusqu’à la fin, tout simplement…

D’où ma question de départ suivante : Dans une conjoncture de perte fût-elle partielle de

leurs capacités intellectuelles et/ou cognitives, notre « prendre soin » infirmier est-il témoin

d’une corrélation entre une perte d’autonomie des patients et celle de leurs droits ?

Page 12: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

8

Cadre conceptuel

J’étayerai donc mon cadre conceptuel et ma démarche de recherche

autour de 4 concepts principaux qui me permettront d’endiguer mon travail : l’Ethique

notamment grâce aux trois ouvrages du Traité de bioéthique co-écrits par une cohorte

d’auteurs spécialisés ou non, géniteurs ou pas d’un souffle nouveau et moderne sur le sujet,

mais tous à parts égales passionnés et profondément investis par et dans cette discipline. Sous

la direction d’Emmanuel Hirsch, ils recueillent un ensemble d’articles et écrits qui me

permettront de confronter plusieurs courants de pensée, mais également d’appréhender le

paysage éthique français d’aujourd’hui, et la place qu’elle occupe réellement au cœur du soin.

J’utiliserai également Philippe Svandra et son Comment développer la démarche éthique

en unité de soins afin de comprendre plus aisément le lien étroit tissé et entretenu depuis

toujours entre cette notion d’Ethique et les services hospitaliers du XXIème siècle.

Mais également, j’utiliserai beaucoup les écrits de Jean Leonetti dans cette partie, et pas

uniquement du simple lien de ces derniers d’avec le sujet traité. Car derrière ce grand nom

Leonetti, il y a non seulement le médecin humaniste, en phase avec son époque et au clair

avec sa pratique, mais également et surtout l’homme politique qui a su, par son génie et son

expérience, faire de ses combats des avancées prodigieuses dans ce grand domaine complexe

qu’est l’éthique (en fin de vie, notamment). L’ensemble de son œuvre admirable a su

pertinemment lier les situations les plus complexes avec cette notion de Dignité humaine, de

respect du Patient et de sa famille et de philosophie médicale évoluée, vitrine de cette loi du

22 avril 2005, qui porte dorénavant son nom. Des écrits qui m’ont beaucoup apporté tant sur

le plan intellectuel et de ma réflexion personnelle que sur celui de ma pratique quotidienne, et

qui m’ont permis d’opérer des choix pertinents dans ma prise en charge soignante.

Enfin, je chercherai des éléments de réponse et des pistes de réflexion auprès de L’éthique

en chemin de C. Bolly et V. Grandjean, et des ouvrages du philosophe en sciences humaines

Eric-Emanuel Schmitt.

Par ailleurs, j’aborderai la notion de Déontologie. Pour ce faire, j’utiliserai de nouveau

l’ouvrage de Philippe Svandra, ancien infirmier en soins généraux et spécialisé en déontologie

infirmière. Je ferai référence à cet auteur de nombreuses fois dans mon travail de recherche

car je trouve que son expérience du terrain et l’hétérogénéité des compétences qu’il a sues

développer dans son quotidien soignant lui valent un sens et un regard clinique très aiguisés.

Page 13: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

9

Par ailleurs, d’abord universel, j’ai le sentiment quant à sa pratique professionnelle et au

travers de ses écrits, d’un environnement de soin maitrisé et décrit avec précision et passion,

faisant appel à des définitions, des métaphores et des valeurs que je partage, voire que je

prône. Ces valeurs dans lesquelles je me retrouve et que je m’évertue de développer au

quotidien, tant dans mes études en soins infirmiers qu’à travers l’aide-soignant que j’ai été, et

que je suis encore.

De plus, je manierai le Code de Déontologie Infirmière afin de corroborer les différentes

composantes et données qui se réfèrent à ce concept. Ainsi, ce travail me permettra de dresser

un modeste bilan de la situation en France concernant cette obligeance déontologique, mais

aussi de comprendre et de déchiffrer l’intérêt et le contenu d’un tel code, et l’utilité d’une

prédominance de son respect par le corps infirmier dans leur quotidien soignant.

Quant au concept de Droit du patient (la législation) qu’il serait indécent de dissocier des

deux précédents, j’utiliserai pour son étude les lois de Bernard Kouchner et Jean Leonetti,

respectivement relatives à la Qualité du Système de Santé français et des droits des patients en

fin de vie. Cela me paraît aussi évident qu’inévitable. Et pour ce faire, j’utiliserai

principalement les textes, articles et amendements des deux lois précédemment citées et

fédérées par le site internet gouvernemental http://www.sante.gouv.fr.

De surcroît, je m’appuierai dans cette partie de la Charte de la personne hospitalisée

annexée à la circulaire ministérielle du 02 mars 2006 relative aux droits des personnes

hospitalisées, ainsi que de l’ouvrage Droits de l’homme et pratiques soignantes (textes de

référence : 1948-1998). Pensé en 1998, il a été élaboré en hommage du 50ème anniversaire de

l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'Homme par l'Espace éthique de

l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris.

Cette démarche fera ressortir un plan et une structuration de travail, auxquels se rajoutera

une réflexion tournée autour de la notion d’Autonomie du patient, et notamment de son

respect par le corps infirmier. Nous décrirons concrètement les formes qu’elle peut prendre, et

notamment son lien d’avec certaines valeurs soignantes, grâce à un article écrit par Albert de

PONTINIAC parue dans La revue de LAENNAC de printemps 1984 qui nous en offre une

définition humaniste et on ne peut plus d’actualité, puisqu’elle loue cette importance moderne

de prendre en charge la “Douleur Globale” du patient.

J’utiliserai également le compte-rendu d’une Commission éthique du Centre Médico-

Psycho-Pédagogique (CMPP*) de Paris-Nord qui avait pour titre Alzheimer : respect de

Page 14: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

10

l’autonomie tenue en Janvier 2011 à Paris V, et organisée par l’“Espace National de Réflexion

Ethique sur la maladie d’Alzheimer (MA*)”. Nous étudierons ainsi pour exemple la place

accordée à l’autonomie par les soignants chez les patients atteints de la MA.

Et afin de compléter mon étude, j’utiliserai à plusieurs reprises des définitions empruntées

au Dictionnaire humaniste infirmier car, construit par une infirmière de carrière Christine

Paillard, il définit différents termes et notions que l’on retrouve dans cette profession et les

affuble d’un reflet qui me semble être particulièrement proche de mes propres conceptions.

De plus, subtilement attelé à ce que nous appelons « Cœur de métier », ce dictionnaire n’omet

aucunement de recentrer ses définitions et ses approches sur le Patient primo, et sur ce lien

humain qui s’établit d’avec l’équipe soignante, nonobstant une technicité du vocable qui, au

total dénature complètement l’aspect “relationnel” de nos propos ; voire l’exclue totalement.

J’aimerais beaucoup en parallèle par ce mémoire prôner cette valeur de Respect qui, dans

nos métiers, devrait être indéfectible, et qu’il conviendrait certainement de développer

toujours davantage afin de pallier à l’excroissance d’une éventuelle asymétrie dans nos

relations de soin. Enfin, j’aimerais travailler avec ce vocable de l’Amour, de cet Amour

tourné vers l’Autre, ce goût de l’Humain qui devrait animer chacune des blouses blanches qui

composent notre système de soins et des cœurs qu’elles abritent, permettant ainsi comme

l’écrivit le Docteur en Santé Publique Walter Hesbeen en son temps, de « mettre du Soin dans

les soins »7. Cet Amour donc pour un mémoire que je souhaite tuméfié et galvanisé de ce goût

de l’Autre, à l’image de notre métier infirmier.

En dernière partie de ce travail, je construirai et mènerai plusieurs entretiens oraux semi-

directifs avec des infirmières diplômées d’état de services de réanimation, de médecine

gériatrique aiguë et de psychiatrie qui me permettront, en sus du travail de recherche et

d’étude mené en aval, de tenter de répondre à la problématique posée et, avec toute la

modestie et tout le recul qui prévalent ici, d’élaborer des propositions de réponses, des

hypothèses, des suggestions. En somme, je tenterai de confirmer ou d’infirmer la véracité des

éléments constitutifs de mon cadre de référence fournis par mes lectures en vertu de l’activité

de soin, et de jauger de la possibilité de leur réalisation tout au long de notre quotidien

soignant.

Par ailleurs, je tâcherai d’évaluer par ces entretiens la place que tiennent les différents

concepts étudiés dans le cœur des infirmières interrogées et, puisqu’elles en sont le témoin 7 HESBEEN, Walter. La pratique soignante : une rencontre et un accompagnement. Issy-les-Moulineaux :

Masson, 1998. Consulté en août 2013 au domicile, p.32.

Page 15: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

11

principal et l’assise indispensable aux côtés des patients, de facto dans notre Système de Santé

français. Et pour ce faire, je leur demanderai de m’en donner leurs propres définitions ainsi

que de tenter de peindre la vision de ce rôle qu’elles ont au quotidien auprès des patients

quant à honorer ces concepts, que je choisis dorénavant de qualifier de “qualités”.

J’œuvrerai d’obtenir ces péroraisons par la description d’une situation marquante vécue par

chacune d’entre elles.

Nous essayerons également d’analyser ce que les services de soin mettent en place afin de

magnifier ces prérogatives et de décliner les priorités de soin de notre système par l’analyse

de leur organisation au quotidien, de leur modernité ou, au contraire, de leur vétusté.

Hypothèses terminales que je tenterai de reformuler en une ultime question de recherche.

Page 16: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

12

I) L’éthique, genèse et garante d’une prise en charge infirmière

philanthropique et humaine

« Lorsque nos intentions sont égoïstes, le fait que nos actes puissent

paraître bons ne garantit pas qu’ils soient positifs ou éthiques ! »8

Sa Sainteté le Dalaï Lama

Le Dictionnaire humaniste infirmier de Christine Paillard définit

l’éthique comme étant la « science de la morale. Empruntée au latin impérial éthica et

signifiant “morale”, lui-même pris du grec ethikôn désignant les “mœurs”. »9 Une définition

qui soulève le sens commun même d’un concept général que d’aucuns pourraient considérer

comme une norme de conduite, répondant aux exigences et règles sociales en vigueur dans

une société, une culture, un microcosme donné. Philippe Svandra, ancien infirmier en soins

généraux, aujourd’hui Cadre de Santé en région Ile-de-France et auteur de l’ouvrage

Comment développer la démarche éthique en unité de soins définit quant à lui l’éthique d’une

relation de soin comme une prise en charge, voire une ultime décision « devant tendre vers le

meilleur pour le patient »10. Pour appuyer sa définition, il utilise la vision de Paul Ricœur,

illustre philosophe français des sciences humaines du XXe siècle, qui considère l’éthique

comme une « distinction entre le mal et le pire. » En somme, dans cette conception plus

désuète de la définition, le moindre mal peut alors ici faire figure de bien, mais surtout doit

être vu, perçu et entendu comme tel par les protagonistes concernés. Ce qui n’est pas toujours

chose aisée.

Finalement, la réflexion éthique permettrait de trouver une réponse à un problème

soulevé, à une difficulté rencontrée, mais qui ne devra jamais être considérée comme ferme et

définitive. Car non seulement elle évoluera en fonction des individus, des valeurs et des

histoires de vie de chacun, mais surtout elle pourra être modifiée sitôt que l’on s’accorderait le

temps d’y réfléchir de nouveau, ou que l’on y intégrerait des paramètres ou des biais

supplémentaires, comme l’expérience ou le savoir-être propre à chacun.

8 Sa Sainteté le Dalaï Lama. L’art de la compassion. Paris : Livre de poche, 2007. Consulté au domicile, p.21.

9 PAILLARD, Christine. Dictionnaire humaniste infirmier – Approche et concepts de la relation soignant-soigné.

Noisy-le-Grand : SETES, 2013. Consulté en février 2014 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, p.120. 10

SVANDRA, Philippe. Comment développer la démarche éthique en unité de soins. Paris : Estem, 2005. Consulté le 26 septembre 2013 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, p.09.

Page 17: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

13

D’ailleurs, « Les questions les plus intéressantes restent des questions. Elles enveloppent

un mystère. A chaque réponse, on doit joindre un “peut-être”. Il n’y a que les questions sans

intérêt qui ont une réponse définitive. […] Je veux dire qu’à “Vie”, il y a plusieurs solutions

donc pas de solution »11, écrira l’écrivain et docteur en philosophie Eric-Emmanuel Schmitt

dans son livre Oscar et la dame rose. Et d’ajouter « Telle est l’intimité essentielle de la

condition humaine : vivre avec davantage de questions que de réponses »12 affirmera-t-il dans

son recueil de nouvelles Concerto à la mémoire d’un ange. Déjà cité précédemment (voir note

7), il paraissait inadapté de construire un travail orienté sur les relations et sciences humaines

sans analyser les ouvrages que cet auteur qui a beaucoup étudié les soubassements des

rapports sociaux, a écrits. Etudes dont les visions sont incroyablement contemporaines et

progressistes.

En reprenant donc ces auteurs, nous comprenons l’intérêt d’une telle démarche dans une

profession comme la nôtre ou la tangente “Humain” occupe une place centrale. Car les soins

que nous offrons aux patients, et qui reposent avant tout sur une communication qu’il nous

siéra d’adapter à chacun d’eux, devront être les meilleurs possibles ; en laissant ouverts

toutefois le champ des possibilités dans nos prises de décision les concernant et l’accueil du

point de vue et de la pensée de l’autre, collègue comme patient.

Quant au médecin cardiologue Jean Leonetti, maire d’Antibes et député européen depuis

2002, il introduira sa conférence sur la fin de vie du 13 décembre 2005 à Rouen par

l’affirmation suivante : « Si la morale édicte des règles, l’éthique elle s’interroge ! »13

Véronique Grandjean, médecin en soins palliatifs, dans son livre L’éthique en chemin co-

écrit avec l’infirmière Cécile Bolly, précise à la page 103 que « Jamais l’éthique ne nous dit

une fois pour toutes ce qu’il faut faire… Et c’est heureux ! »14, rappelant ainsi l’importance

peut-être déontologique, de réévaluer chaque situation à caractère éthique difficile afin de

trouver un consensus, une réponse qui paraisse la mieux adaptée. En quelque sorte, d’un point

de vue éthique, les réflexions qui encadrent nos conduites infirmières devront se référer aux

théories morales tournées sur des principes inviolables tels que l’autonomie, la justice ou la

bienfaisance (qui sont également les trois principes fondamentaux du néologisme 11

SCHMITT, Eric-Emmanuel. Oscar et le dame rose. Paris : Albin Michel, 2002. Consulté en février 2013 au domicile, p.91. 12

SCHMITT, Eric-Emmanuel. Concerto à la mémoire d’un ange. Paris : Livre de Poche, 2008. Consulté le 03 mai 2014 au domicile, p.201. 13

LEONETTI, Jean. Traité de bioéthique : I- Fondements, principes, repères, sous la direction d’Emmanuel Hirsch. Toulouse : Erès, 2010. Consulté le 07 février 2014 au domicile, p.21. 14

BOLLY, C. et GRANDJEAN, V. L’éthique en chemin. Paris : L’Harmattan, 2004. Consulté en janvier 2014 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, p.103.

Page 18: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

14

“bioéthique”, l’éthique du vivant), et les conséquences des actes engagés en regard que l’on

souhaiterait hédonistes. Ce qui signifie que, bien qu’elle repose sur des valeurs basilaires

soignantes incontournables, l’éthique infirmière dans une pratique au quotidien ne devra

jamais rester figée, ou se reléguer sur des situations antérieures déjà vécues. Chaque nouvelle

situation à caractère éthique, c’est-à-dire une situation singulière, l’étude d’un cas particulier

humainement complexe dans notre futur infirmier devra être intelligemment et collégialement

réévaluée et réfléchie. Un conflit de valeurs ou de consciences dont l’aspect aporétique devra

malgré tout être levé, pour l’avenir du patient.

Et puisque nous y sommes, rappelons qu’il convient de ne pas mélanger ces deux termes

“éthique”/“bioéthique” qui, même s’ils sont intimement liés, sont pourtant subtilement

différents. Et, bien que nous choisissions de ne pas développer ce sujet ici, nous souhaitions

malgré tout redéfinir cette notion de “bioéthique”, qui débouchera plus tard sur des lois que

l’on regroupera sous la terminologie des “lois de bioéthique” du 06 août 2004.

De surcroît, une pléthore d’auteurs ayant écrit sur le sujet s’accordent à penser que l’on ne

peut décemment parler d’éthique, qu’elle fût médicale ou paramédicale, sans aborder cette

notion de “bioéthique”. Et, ce travail de réflexion portant sur ce sujet (bioéthique) a su mettre

en lumière toute l’importance qui lui prévalait dans une époque aussi moderne et évoluée que

la nôtre. Voire, de la qualifier d’“incontournable” lorsque l’on travaille avec l’Humain, car cet

Humain devient très vite dans ces deux domaines d’intervention un Être Humain, puis un

individu de chairs et d’os, et finalement, un “simple” être vivant en tant qu’entité biologique

et physiologique. L’on comprend dès lors la primauté et l’opiniâtreté du lien qui tient unies

ces deux notions d’Ethique/Bioéthique.

Le Lecteur, s’il est intéressé, retrouvera ce travail de réflexion personnelle en annexe I,

page 55 de ce mémoire.

En introduction du Traité de bioéthique : I- Fondements, principes, repères dont il aura la

direction, co-écrit par plusieurs professionnels de santé, Jean Leonetti précise que les «

[…] avancées scientifiques de ces dernières années nous obligent à apporter des réponses à

des situations auxquelles l’humanité et les hommes n’avaient jamais été confrontés. »15 Il

définit la bioéthique plus loin comme devant permettre de « Faire émerger une pensée

moderne destinée à favoriser et à accompagner la recherche scientifique, tout en respectant

la dignité humaine. » 15

LEONETTI, Jean. Traité de bioéthique : I- Fondements, principes, repères, sous la direction d’Emmanuel Hirsch. Toulouse : Erès, 2010. Consulté le 07 février 2014 au domicile, p.20.

Page 19: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

15

Philippe Svandra quant à lui, définit ce néologisme comme « l’ensemble de problèmes

posés à la biologie et à la médecine. »16 Wilhelm Reich en propose la définition

suivante : « c’est l’étude systématique de la conduite humaine dans les sciences de la vie et de

la santé quand une telle conduite vient à être examinée à la lumière des valeurs et principes

moraux. »17

Pour Christian Hervé, Directeur du laboratoire d’Ethique Médicale et Médecine Légale à

l’Université Paris Descartes, dans Ethique médicale ou bioéthique ?, « Aucune réflexion

éthique si bien menée soit-elle, n’exempte pas l’individu de son propre choix, de sa propre

décision »18, traduisant là un lien incontestable avec cette définition d’Autonomie du Patient

que nous tenterons d’élaborer, un ultime concept que nous essayerons de dépeindre en

dernière partie de ce cadre de référence.

Nous l’aurons compris, l’Ethique soignante que chaque « blouse blanche » devrait

s’appliquer à développer constitue donc le facteur indispensable et primordial d’une prise en

charge des patients à la hauteur des valeurs humaines qu’elle engage et suppose. Apparaît

désormais l’importance de développer toujours un peu plus dans nos services de soins une

éthique infirmière, permettant de réaffirmer cette volonté de couronner en principe-Roi

l’“Humanitude” qui donne et donnera à notre métier toute la noblesse, la magnanimité et

l’éclat que l’on pourrait lui souhaiter. A la condition toutefois que l’on accepte d’accorder un

peu de notre temps dans notre pratique quotidienne à la réflexion, au questionnement et à

l’écoute de l’Autre, par ces milliers de façons qui nous permettent d’entendre cet Autre. Le

défunt écrivain Michel Random dira un jour dans une interview radiodiffusée que « L’écoute

entend l’autre dans son propre silence »19.

Une Ethique donc qui permettrait de maintenir une profession infirmière probe, dans ce

sens où d’aucuns ne considèrent comme meilleures ses opinions, son histoire ou son

expérience. Une démarche qui conduira à une solution qui ne devra pas non plus ressembler à

une logique molle, un choix par défaut, et finalement une pensée unique aliénante. Mais une

16

SVANDRA, Philippe. Comment développer la démarche éthique en unité de soins. Paris : Estem, 2005.

Consulté le 26 septembre 2013 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, p.18. 17

BOLLY, C. et GRANDJEAN, V. L’éthique en chemin. Paris : L’Harmattan, 2004. Consulté en janvier 2014 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, pp.18 et 19. 18

HERVE, Christian. Ethique médicale ou bioéthique ? Paris : L’Harmattan, 2006. Consulté en août 2014 au

domicile, p.03. 19 Science + culture. « Colloque de l’Unesco de 1995 à Tokyo », 1h avec Michel Random. Paris VII, le

31/10/2011. Paris : Organisation des Nations Unies pour l’Education de la Science et la Culture (Unesco) et Ilke Angela Marechal, 2011. Ecouté le 02 février 2014.

Page 20: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

16

éthique malgré tout encadrée et contenue par un certain nombre de valeurs et de règles strictes

indispensables à sa plénitude, ce qui la liera de manière incontournable et indéfectible à une

déontologie morale et professionnelle. Cette dernière constitutive d’un lien non-négociable

entre les règles établies au sein de notre profession, et une philosophie infirmière que l’on

souhaiterait kantienne : « Le bien est ce vers quoi tout être tend, et le bonheur est le bien de

l’homme ! ».

II) La déontologie, règles et principes créateurs de professionnels de

santé probes et vertueux

Philippe Svandra donne la définition suivante du terme “déontologie” :

« Par Déontologie, il faut comprendre “ce qu’il faut faire”, devenant ainsi l’étude ou le

discours sur les normes »20, liant de manière indubitable l’éthique d’une profession infirmière

déférente aux règles qui la régissent. Le bioéthicien Jean-Yves Goffi dans son livre Penser

l’euthanasie paru en 2004 précise que « les actions justes sont, en elles-mêmes, porteuses de

leur caractère normatif, indépendamment de leurs conséquences heureuses ou

malheureuses. »21 Ceci traduisant la présence indispensable et nécessaire de normes sociales

et philosophiques à la base de toute action soignante, et qui ne doit pas tenir compte des

hypothétiques conséquences qui pourraient en être inhérentes. En fait, qu’importe les résultats

de ces actions, elles devront répondre à des valeurs soignantes claires, pérennes dans le temps,

délimitées et admises par l’ensemble de l’équipe soignante pluridisciplinaire.

Car rappelons ici l’importance de la collégialité dans la prise des décisions concernant les

patients, et de cette solidarité et ce partage des compétences qui font au quotidien la force et

l’attractivité de notre milieu professionnel.

Aujourd’hui, qu’importe le métier dans lequel nous évoluons, il apparaît clairement que ce

terme de déontologie fait référence aux normes et procédures qui l’encadrent. C’est

20

SVANDRA, Philippe. Comment développer la démarche éthique en unité de soins. Paris : Estem, 2005.

Consulté le 26 septembre 2013 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, p.11. 21

GOFFI, Jean-Yves. Penser l’euthanasie. Paris : PUF, 2004. Consulté le 01 mars 2014 au domicile, p.54.

Page 21: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

17

« l’ensemble de règles qui régissent une profession et la conduite de ceux qui l’exercent »22,

précise plus loin Philippe Svandra.

En somme, il tente d’expliquer que les règles sont indispensables dans notre pratique

infirmière, comme une ligne de conduite à tenir et à respecter afin d’arrêter tout d’abord un

comportement déférent universel à tous les infirmiers. Ce qui, d’une part renforcera les liens

de ces derniers entre eux ; mais également cette déontologie offre une proposition de normes

professionnelles, mais non dénuées de liens avec ces autres morales, imposées par la Société.

Afin de maintenir notre profession sociologiquement convenable aux yeux des patients, en

genèse, et à ceux des soignants, irrémédiablement.

Pour Thierry Desbonnets, psychomotricien Cadre de Santé, la déontologie « D’une part,

s’agit d’un discours, d’une mise en mot, selon un ordonnancement logique, de ce qui lie un

agir à sa moralité, sa justesse ou son idéalité ; d’autre part, c’est le corpus de règles et

devoirs qui fait sens au sein d’une profession et de son exercice par les membres qui la

composent. […] Elle statue sur ce qu’une profession se fixe comme règles de vie au sein

d’une société. C’est une inscription dans l’ordre de la loi, garantissant un exercice

professionnel, […] devenant opposable à l’ensemble des membres d’une profession. »23

Cette définition se rapprochant finalement du point de vue plus général dressé par Philippe

Svandra, mais précisant plus nettement les abords et les orées du concept. Une définition qui

tient enchâssés règles, valeurs et idéaltypes d’un exercice professionnel et les individus qui

s’y prêtent.

Concernant cette obligeance déontologique dont on parle, Aristote écrivait un jour qu’ «

elle existe assurément ; il y a des choses qu’il “faut faire”. Il ne faut les faire que parce

qu’elles sont requises pour atteindre une certaine fin. »24 Les règles morales qui régissent nos

professions soignantes sont basées sur des principes hippocratiques fondamentaux, au-devant

desquels celui de « rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments

»25. S’y réfère le principe plus moderne du Code de Déontologie Infirmière de « porter

secours à celui dont la vie est en péril, personnellement ou en obtenant du secours, en lui

22 SVANDRA, Philippe. Comment développer la démarche éthique en unité de soins. Paris : Estem, 2005. Consulté le 26 septembre 2013 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, p.11. 23

THIERRY DESBONNETS. La cadrature de la déontologie. Consulté le 08 mai 2014 à 13h37. Disponible à l’adresse : http://www.cadredesante.com/spip/IMG/pdf/cadrature_de_la_deontologie.pdf. 24

ORTOLANG. Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales. Consulté le 18 décembre 2013 à 10h45. Disponible à l’adresse : http://www.cnrtl.fr. 25

ORDRE NATIONAL DES MEDECINS. Le serment d’Hippocrate. Consulté le 18 décembre 2013 à 11h50. Disponible à l’adresse : www.conseil-national.medecin.fr/le-serment-d-hippocrate-1311.

Page 22: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

18

apportant l’aide nécessaire et/ou immédiate. »26 Compte tenu de ces injonctions, il semblerait

être un devoir déontologique que de mettre en œuvre tout ce qui semble techniquement,

scientifiquement et médicalement envisageable pour sauver la vie des patients, malgré leur

éventuelle volonté contraire affirmée, dans le but de perpétuer et de préserver leur état de

santé. Ceci traduisant que les infirmiers dans leur pratique de tous les jours devront “sauver la

vie” des patients dont ils ont la responsabilité, comme une obligation professionnelle non-

négociable.

Mais, ce même code de préciser qu’« aucun acte infirmier ne peut être pratiqué sans le

consentement libre et éclairé de la personne »27, ce qui introduit un biais supplémentaire dans

la prise de décision, notamment parce que cet article numéro 16 déstabilise le bien-fondé de

l’affirmation précédente. Ce qui introduit parallèlement la notion d’Autonomie que nous

étudierons plus tard, et qui a trait de près à ce consentement libre que la Loi française

considère comme indispensable à tout acte paramédical infirmier.

Cette dualité présente au cœur d’un même code déontologique souligne une fois encore la

difficulté et la complexité d’arrêter un consensus dans une démarche éthique. Et de penser que

nulle ne pourrait se targuer d’être tributaire dans une telle démarche de la meilleure solution

possible. Ce consensus devra conduire à l’élaboration d’un nouveau projet de soins afin

d’équilibrer et d’optimiser au mieux ce que Karl Rogers dénomma en son temps le “Care and

Cure” ; balancier entre le “prendre soin” du patient et la thérapeutique plus terre-à-terre qui lie

de manière exiguë ledit patient aux soignants qui évoluent à ses côtés.

Le Dictionnaire humaniste infirmier précise à la page 86 que « Le conseil international des

infirmières caractérise la déontologie par les infirmières ayant “quatre responsabilités

essentielles : promouvoir la santé, prévenir la maladie, restaurer la santé et soulager la

souffrance. Les besoins en soins infirmiers sont universels.” »28 Il précise ainsi que ce code de

déontologie infirmière retrace en quatre points principaux seulement les objectifs

professionnels infirmiers, qu’il transforme finalement en obligations. Chaque infirmier devra

donc s’approprier ces pivots et les honorer, mais sans oublier de les adapter à chaque patient

rencontré, à la situation d’exercice, et à ce que in fine, les collègues, les patients et leur

famille, et la Société attendent de lui.

26

Ordre National des infirmiers consulté le 18 décembre 2013 au domicile. 27

Ibidem note 23. 28

PAILLARD, Christine. Dictionnaire humaniste infirmier – Approche et concepts de la relation soignant-soigné. Noisy-le-Grand : SETES, 2013. Consulté en février 2014 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, p.86.

Page 23: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

19

Cet ensemble de règles professionnelles, de normes et de principes fait donc de la

déontologie une prérogative à la profession infirmière, mettant au jour une intrication

inévitable d’avec la législation française, permettant au total de poser les limites de la

recherche infirmière et de la prise en soin des patients explicitées en première partie de ce

travail. Cela permettra donc aux différents acteurs du système de Santé français de dessiner

des objectifs bien précis dans le respect de valeurs morales immuables, garantes d’une image

du Soin perçue par la population française de manière très chaleureuse. In fine, une Morale

dont le but ultime sera de maintenir impossible la naissance de toute déliquescence de notre

Société infirmière.

D’ailleurs, Jean Leonetti pose la question suivante dans son traité de bioéthique : « La

médecine est-elle destinée à créer un mieux-être ou doit-elle se limiter à la correction des

“mal-être” ? »29 De fait, il surgit la nécessité de fixer les limites des domaines d’intervention

de la médecine qui, avec nos moyens et nos techniques actuels, pourrait très rapidement

dépasser le “Ce” pourquoi elle est destinée. Doit-elle rester un outil fonctionnel ou devenir un

produit esthétique honteusement avili de superflus et de gaspillages financiers, à l’image des

conditions de vie confortables dont nous jouissons aujourd’hui dans nos sociétés modernes

occidentales ?

Au total, qui dit “règles” dit cadre législatif, lois et décrets qui permettent d’encadrer

chaque code de déontologie, et par ce biais finalement, chaque profession ; comme une

manière travestie d’obédience étatique de dicter une bonne fois pour toute ce qui paraît

déontologiquement convenable et philosophiquement conforme à notre pays de Droits.

III) L’encadrement législatif du « prendre soin », repérage nécessaire

dans de nombreuses circonstances

On l’a vu dans les items précédemment traités, notre système de soins

français qui compte parmi les plus performants au monde (sinon, le plus performant !) repose

29 LEONETTI, Jean. Traité de bioéthique : I- Fondements, principes, repères, sous la direction d’Emmanuel

Hirsch. Toulouse : Erès, 2010. Consulté le 07 février 2014 au domicile, p.23.

Page 24: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

20

avant tout sur un système législatif aussi encadré que complexe, à la base même de sa

réussite. Car les lois françaises, bien qu’elles puissent paraitre aux yeux de certains citoyens

outrancièrement drastiques et exagérément aliénantes, auront toutefois le mérite d’encadrer

une pratique infirmière qui n’en deviendra que plus recentrée sur le Patient et dont le

dévoiement serait, a priori inenvisageable. Mais, qu’entendons-nous vraiment par “loi” et

“législation” ?

Le Dictionnaire humaniste infirmier donne à la page 173 la définition suivante du terme

Législation : « Ensemble des lois régissant tel ou tel domaine, qui s’exprime dans un pays,

une communauté (internationale…) pour fonder des règles sociales ayant pour valeur de

limiter les excès, anticiper et protéger les individus et leur environnement »30.

La Loi quant à elle étant définie par le dictionnaire Larousse comme une « Prescription

établie par l’autorité souveraine de l’Etat, applicable à tous et définissant les droits et les

devoirs de chacun ; c’est également un principe général jugé comme déterminant les choses,

les hommes, le fonctionnement d’un ensemble »31. Et pour qu’elles restent en phase avec leur

époque et leur assise sociale, rappelons l’importance d’arrêter un ensemble de lois

péremptoires clairement défini mais qui sache évoluer corrélativement aux technologies et

aux avancées biologiques et médicales de notre siècle ; notamment afin que lesdites lois

soient en mesure de répondre aux attentes de notre Société. Nous entendons par là cette

obligation philanthropique de psalmodier le Soin (qui prend ici le sens de “faire attention à

quelqu’un”, in situ le Patient) au rythme de cette douce mélodie que produit le souffle de la

Liberté (celle pour le patient de pouvoir tout simplement dire « Non !, je ne souhaite pas »).

Un ensemble de lois donc qui, dans une pratique infirmière quotidienne devra être le garant

d’un équilibre entre le patient et l’infirmier, chacun bénéficiaire de droits qui doivent être

respectés par l’autre. Elles devront permettre de protéger le patient affaibli par sa maladie, son

handicap, et le maintenir au cœur du Système, comme un citoyen de Droits. Ainsi, notre

objectif dans cette partie est avant tout de comprendre l’importance que peuvent prendre

l’existence et la dénomination de lois lorsque les soignants sont confrontés à des situations

extrêmes, et non d’en dresser leur liste exhaustive.

Et afin d’établir un lien avec la déontologie dont on vient de parler, rappelons que la

profession infirmière est régie par le Code de Santé Publique (CSP*) français, créé en 1953 et 30 PAILLARD, Christine. Dictionnaire humaniste infirmier – Approche et concepts de la relation soignant-soigné.

Noisy-le-Grand : SETES, 2013. Consulté en avril 2014 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, p.173. 31

LAROUSSE. Dictionnaires de français. Consulté le 02 mai 2014 à 12h56. Disponible à l’adresse : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/loi/47700.

Page 25: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

21

refondu par ordonnance en 2000. Conjointement aux Codes de déontologies médicale et

infirmière (entre autres) redéfinis en 2004, il revêt à travers ses lois la Liberté du Patient et

l’importance de replacer ce dernier dans sa posture de Citoyen français doté de droits et de

devoirs ; mais avant tout doué d’une capacité établie de discernement. Une Liberté prônée et

revendiquée par la Charte de la personne hospitalisée de 1995, notamment par son article

numéro 1 : « Toute personne est libre de choisir l’établissement de santé qui la prendra en

charge » et numéro 7: « La personne hospitalisée peut, à tout moment, quitter

l’établissement »32.

Et, il n’est pas superfétatoire de préciser que, concernant notre pays qui a vu naître la

“Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen” hélas toujours enviée par un nombre

indéfinissable de peuples et d’ethnies au XXIème siècle, il est rassurant de voir s’inverser une

vieille tendance ; renversement qui permet d’éviter aujourd’hui le raccourci un peu trop rapide

qui pouvait parfois relier un patient quelconque à sa « simple » pathologie, à un traitement

particulier ou à un examen médical. A présent, la « pancréatite de la 18 » devient « le Patient

de la chambre 18, Monsieur X. » grâce à la Loi Kouchner du 04 mars 2002 relative aux

Droits des Patients et à la “Qualité du Système de Santé français”. Ainsi, d’après l’article 3 de

ladite loi, « La personne malade a le droit au respect de sa dignité », « Toute personne a […]

le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont

l'efficacité est reconnue […] ». Enfin, « Toute personne a le droit de recevoir des soins visant

à soulager sa douleur » et « le droit à recevoir une information claire, loyale et appropriée sur

son état de santé »33, ce qui permettra au patient de prendre les décisions qu’il jugera

nécessaires en regard de l’information reçue. Ceci sous-tendant donc la nécessité d’un

consentement aux soins par le patient, prévu par l’article 36 du CSP.

Et de préciser que la Charte précédemment citée rappelle également qu’« Un acte médical

ne peut être pratiqué qu’avec le consentement libre et éclairé du patient »34. Dans le cas d’une

incapacité pour le patient de répondre de cet amendement, la Loi Kouchner prévoit également

la désignation d’une personne de confiance (parent, proche ou médecin traitant) consultée au

cas où le patient serait hors d’état d’exprimer sa volonté, et valable pour la durée de

l’hospitalisation. Ceci lui permettra en quelque sorte de “déléguer” ses décisions, ses choix en 32 CIRCULAIRE N° DHOS/E1/DGS/SD1B/SD1C/SD4A/2006/90 du 2 mars 2006 relative aux droits des personnes

hospitalisées et comportant une charte de la personne hospitalisée. Articles 1 et 7. 33 LOI BERNARD KOUCHNER. Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du

système de santé. Consulté le 26 mai 2014 à 23h42. Disponible à l’adresse :

http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000227015. 34

Ibidem note 32, Article 4.

Page 26: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

22

une personne choisie et retenue par confiance, par liens interpersonnels étroits ou amitié

solide à qui il aurait confié ses désirs, ses envies. Cette personne pour laquelle il est certain

que ce jour s’il vient, elle prendra les décisions les plus judicieuses, réfléchies et opportunes

pour lui. Une façon de rester maître de sa Destiné jusqu’au bout, et Libre donc. Et n’importe

quel infirmier ou personnel relevant des corps médical et paramédical se devra de respecter

les dictées et instructions de cette personne, si la situation le nécessite.

En somme, une loi qui permet de resituer le malade dans sa condition d’Homme libre, mais

également, qui se fera garante d’une égalité entre les patients par l’amendement « Aucune

personne ne peut faire l'objet de discriminations dans l'accès à la prévention ou aux soins »35,

et qui renforcera la probité de nos actions infirmières.

Et afin de renforcer cette analyse et de conforter ce point de vue, reprenons également cette

Loi Leonetti du 22 avril 2004 précédemment nommée qui rappelle l’importance et

l’obligeance sociologiques et quasi républicaines du respect de la Dignité qui prévaut à toute

fin de vie, par l’arrêt des thérapeutiques jugées inutiles par le patient, sa personne de

confiance ou à défaut, sa famille, et l’équipe pluridisciplinaire ; respect qui ne sera intègre que

par la prise en charge organisée de la douleur. La prohibition de cette “obstination

déraisonnable” prend figure de continuité des droits de la personne plébiscités par la loi

Kouchner. De plus, cette loi prévoit la possibilité pour le patient de réaliser des directives

anticipées concernant son devenir, les actions à entreprendre par les équipes soignantes et ses

souhaits à honorer, dans le cas où ce dernier tomberait dans l’incapacité d’exprimer sa

volonté. Ainsi, les articles L. 1111-13 et R. 1111-17 du CSP précisent que « Toute personne

majeure peut, si elle le souhaite, faire une déclaration écrite, appelée “directives anticipées”,

afin de préciser ses souhaits quant à sa fin de vie, prévoyant ainsi l’hypothèse où elle ne serait

pas, à ce moment-là, en capacité d’exprimer sa volonté. »36

Valables si réalisées dans les trois ans qui précèdent cette incapacité, elles sont révocables

à tout moment par le patient et traduisent ainsi l’importance accordée aux volontés du patient,

à son aptitude à se positionner en tant qu’Être Humain au sein d’un système. Et cela même

dans la maladie, jusque dans sa phase terminale, et donc dans ces situations extrêmes les plus

délicates de fin de Vie. Ainsi, le patient paraît pouvoir rester indépendant jusqu’à son décès, 35

LOI BERNARD KOUCHNER. Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Consulté le 26 mai 2014 à 23h42. Disponible à l’adresse :

http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000227015. 36 FERLENDER, P. ; HIRSCH, E. L’Espace éthique de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris. Droits de

l’homme et pratiques soignantes (textes de référence : 1948-1998). Paris : Les dossiers de l’AP-HP, 1998. Consulté le 29 mai 2014 au domicile, p.56.

Page 27: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

23

et même après sa mort, outre les circonstances. Un défunt qui finalement reste un Homme de

Droits même au-delà des limites de sa Vie, et dont la dernière exigence compréhensible serait

un trépas accompagné et confortable. L’ensemble des lois le permettant est ré-explicité dans

l’ouvrage Droits de l’homme et pratiques soignantes (textes de référence : 1948-1998) qui a

été élaboré en hommage au 50ème anniversaire de l'adoption de la Déclaration universelle des

droits de l'Homme par l'Espace éthique de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris. Aussi, il

nous propose par ce livre un recueil de textes élaborés par la communauté internationale à la

suite de cette Déclaration dans ce but de façonner toujours davantage un paysage de soin

public à l’image de nos revendications françaises, même de celles les plus ancrées dans

l’histoire.

Et par ces deux lois, plusieurs de ces revendications historiques ont trouvé une finitude, un

corps, une âme et un canal d’expression incroyablement moderne. Et elles sont parvenues au

gré des années à s’ancrer dans le cœur des soignants, et notamment des infirmiers, à se hisser

loin à l’extrémité d’un mât, d’un tuteur qui permet de cultiver dans nos services de soins et au

centre même de cette institution française une manière de faire, une science du “Prendre Soin”

quasi parfaite et enluminée de cet Amour de l’Autre.

Au total, lorsque l’on établit aujourd’hui un tour de la situation législative en France de par

ces deux lois, nous nous apercevons bien vite qu’il en ressort trois prérogatives législatives et

institutionnelles primaires et indiscutables concernant les patients, qui transpirent la Liberté :

une prise en considération de leur consentement (à la suite d’ une information qui doit être

claire, loyale et appropriée) ; le soulagement de leur douleur, comme prérogative

incontournable d’une prise en charge soignante vertueuse et le respect de leur Dignité,

qu’importe la situation de soin vécue. Il appartiendra alors à chaque infirmier de prendre

conscience de ces lois et de les respecter ; le cas échéant se faisant témoin de faute pénale. Car

de comprendre, il ne s’agissait pas ici d’alléguer des textes de loi sans objectifs prédéfinis.

Mais chacun pourra y rajouter un ensemble de valeurs soignantes et sociales et l’inonder de

ce goût louable de l’Autre, qui fera de la prise en soin infirmière non pas une obligation

juridictionnelle légale, mais avant tout un accompagnement suave, intègre et enveloppant du

patient. Et lorsque nous prêtons à cette exhaustivité une oreille on ne peut plus attentive, nous

mettons fatalement au jour ce lien étroit que constituent tous ces apanages entre eux. Et par ce

Page 28: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

24

lien que nulle ne saurait détruire, ils se reflètent indéniablement dans ce grand principe

infirmier basilaire, ils le défendent et l’entretiennent : l’Autonomie du patient.

IV) L’Autonomie, principe soignant immuable et incontournable à

redéfinir inlassablement

Parmi les valeurs professionnelles que requiert la profession infirmière,

le syndicat national infirmier a placé en genèse d’entre toutes l’“Autonomie” du patient, qu’il

a associée à la “Dignité de la Personne”. Arrivent ensuite la “Justice” et l’“Equité” dans les

soins37. Un principe certes ouvert en termes de définition, mais avant tout rattaché à un chœur

de valeurs soignantes, qui en traduisent toute la primauté et l’éclat. Une autonomie qu’il nous

serait gré de maintenir la plus solide possible, mais qui dans certaines situations, et nonobstant

la législation française potentiellement garante de toutes dérives, peut être amputée et

conduire à une prise en soin soignante bariolée et séquellaire.

Prenons pour exemple un patient atteint de la maladie d’Alzheimer au stade IV, dans

l’impossibilité pour lui de reconnaitre le plus infime détail d’une vie arrivée à son crépuscule ;

ou cet autre patient plongé dans un coma irréversible dont il ne sortira plus ; ou encore ce

patient-là atteint d’une quelconque psychose qui lui dénature tout lien logique avec la réalité

de son quotidien… Comment peut-on dans ces situations si différentes définir mêmement et

décrire en des mots identiques cette Autonomie, qui sera finalement propre à chaque patient, à

chaque situation ou soin rencontré ?! Une adversité qui demandera alors à chaque infirmier

une évaluation ad lucem aussi illustre que délicate du cadre, et cette capacité certaine de faire

appel aux valeurs les plus ancrées et les plus immuables de leur escarcelle, mais aussi à leurs

qualités humaines les plus notoires. Car chacune de ces situations délicates dans lesquelles le

patient se trouvera physiquement, psychologiquement ou socialement “affaibli”, ou tout au

plus animé par cette idée, par ce sentiment, ce ressentiment… ? se fera également écho d’un

certain degré d’autonomie pour le patient conservé si nous nous voulons optimistes, perdu si

le pessimisme remporte la partie !

37

LE SYNDICAT NATIONAL DES INFIRMIERS. Valeurs professionnelles. Consulté le 04 mai 2014 à 23h32. Disponible à l’adresse : www.syndicat-infirmier.com.

Page 29: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

25

Une Autonomie que chaque infirmier se devra d’entretenir, voire de tenter de restaurer,

puisque, bien sûr, elle a indéniablement à voir avec la Liberté.

L’auteure anglaise Virginia Woolf atteinte de troubles de la personnalité de type bipolarité

dans son sublime roman Mrs Dalloway, emprunté par le réalisateur Stephen Daldry en 2002

pour son film {The} Hours d’une beauté cinématographique époustouflante, fait tenir à son

héroïne le discours suivant : « Toute patiente, si humble soit-elle, doit avoir la liberté de dire

ce qu’elle pense être bon pour elle ; c’est même ce qui lui confère son humanité. »38 Ainsi,

tout au long du récit, Madame Dalloway souffrant d’une psychose avec délires chroniques

parvient, à de rares et précieux instants T., à exprimer ses désirs les plus profonds comme les

plus démentiels. Une manière pour l’auteure de redonner à son héroïne malade la possibilité

d’être elle-même, de penser librement et d’opérer des choix consciemment et délibérément. Et

ces moments de lucidité offerts à Madame Dalloway rappellent au lecteur qu’elle est Femme

avant tout, Humaine et en cela Unique. Un roman, l’histoire d’une vie, comme une Ode à la

tolérance qui situe l’esprit malade et/ou sain de l’Homme quel qu’il fût, à un niveau de

prestige identique.

Et de renchérir, Walter Hesbeen écrit à la page 56 d’Un métier au cœur du soin que « La

reconnaissance de l’esprit de l’autre conduit à reconnaître qu’il est capable de faire quelque

chose de sa vie, quels que soient sa situation ou son état »39.

Aussi, l’on comprend l’importance sine qua non du développement d’abord, puis de

l’expression de certaines valeurs chez les soignants qui, finalement sont les éléments

indispensables à la finitude et à l’épanouissement de cette Autonomie. Et certainement, au-

devant desquelles le Respect inéluctable de la Dignité du patient, que l’on pourrait définir

comme un accompagnement. Cet « accompagnement qui passe par l’écoute ; le malade saura

[ainsi] qu’il est digne de respect, qu’il continue d’exister aux yeux des autres […], qu’il est le

sujet d’une rencontre et non seulement objet de soins. Il s’agit […] d’être une présence

vivante à l’écoute de celui qui souffre ou présente une douleur. »40 Et par douleur, on parle

évidemment de ce “Total Pain” décrit en 1967 par l’infirmière puis le médecin Cicely

Saunders, c’est-à-dire de cette souffrance sous toutes les formes qu’elle peut adopter. Ce qu’il

faut probablement comprendre ici, c’est qu’écouter les souffrances des patients et accepter de

38

WOOLF, Virginia. Mrs Dalloway. Paris : Folio Classique, 2008. Consulté en mai 2014 au domicile, P. 214. 39

HESBEEN, Walter. Un métier au cœur du soin. Issy-les-Moulineaux : Masson, 1998. Consulté en février 2013 au domicile, p.47. 40

PONTINIAC (de), Albert. La relation avec celui qui meurt. La revue LAENNEC. Printemps 1984. P.18. Consulté au domicile le 24 mai 2014.

Page 30: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

26

les recevoir et de les considérer, c’est quelque part laisser la possibilité au patient de

s’exprimer pleinement et de se sentir vivant et libre jusqu’au bout. Ceci pouvant être pour les

soignants une manière de respecter cette Autonomie.

Car la considération de l’Autre, mais avant toute autre chose le respect de sa Dignité, de

ses désirs ou de ses croyances vaut peut-être bien mieux que ces quelques mille solutions

trouvées pour prolonger une Vie pour laquelle tout un chacun aura déjà perdu la valeur, le

sens et la signification. Et ce respect passera avant tout par une bientraitance que les

infirmiers doivent engager et primer au quotidien comme une valeur-Maîtresse.

Ces valeurs que chacun d’entre nous acquière grâce à son histoire, à ses expériences, à son

caractère, et aux rapports sociaux qu’il décide d’entretenir. Eric-Emanuel Schmitt dans

Concerto à la mémoire d’un ange raconte à la page 124 qu’ « Adolescents, nous sommes en

grande partie fabriqués par notre éducation, notre milieu, nos parents ; adultes, nous nous

fabriquons par nos choix. Le fatras de tout ceci enfantera nos valeurs et idéaux, et ce de

manière irréversible. »41

Mais « Qu’en est-il de la liberté, de la dignité, du respect, de l’autonomie dans les

circonstances où la chronicité, la douleur, la dépendance, l’échéance rapprochée d’une fin de

vie semblent atténuer le sens de la vie, ou alors, fort paradoxalement les exacerber ? »42,

s’interrogera Emmanuel Hirsch dans ce traité que nous connaissons bien à présent.

Et afin de prolonger cette idée, analysons le compte-rendu de l’« Espace Nationale de

Réflexion éthique sur la maladie d’Alzheimer (MA) » tenu en janvier 2011 pour la

Commission étique d’Ile-de-France et qui a réuni Fabrice Gzil, philosophe en sciences

humaines et Florence Latour, gériatre au sein d’un groupe hospitalier de Paris. Cette rencontre

a permis de redéfinir cette notion d’autonomie chez une personne atteinte de la MA et la

création d’un sens commun permettant de la respecter. Ainsi, il existe pour ces deux

auteurs « deux manières traditionnelles de répondre à ces questions [de la finitude de

l’Autonomie]. La première consiste à s’en tenir aux préférences et aux valeurs qui étaient

celles de la personne lorsque celle-ci était encore capable d’autonomie. On peut alors se

référer aux directives anticipées ou recourir à des histoires de vie. […] La seconde consiste à

essayer de se représenter l’expérience subjective de la personne, à se demander ce qu’est une

41

SCHMITT, Eric-Emmanuel. Concerto à la mémoire d’un ange. Paris : Livre de Poche, 2008. Consulté le 03 mai 2014 au domicile, p.124. 42

HIRSCH, Emmanuel. Traité de bioéthique : I- Fondements, principes, repères, sous la direction d’Emmanuel Hirsch. Toulouse : Erès, 2010. Consulté le 18 février 2014 au domicile, p.33.

Page 31: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

27

vie bonne dans une situation qui est la sienne [celle du patient] »43. Et pour ce faire, les

infirmiers qui évoluent au quotidien avec ces patients devraient considérer que la MA n’est

pas synonyme d’incompétence et que les patients qui en sont atteints conservent assez

longtemps une capacité de décider de certaines choses. Et bien que l’un des principes de la

Loi Leonetti soit réaffirmé ici, il semble que cette législation française ne puisse pas toujours

et en toute circonstance répondre aux dilemmes éthiques qui s’imposent parfois à notre

pratique infirmière. D’où l’importance inégalée de ces Commissions paritaires dans notre

quotidien.

Aussi, et afin de mieux les résoudre, il convient probablement à chaque soignant d’établir

la distinction entre la capacité décisionnelle (à donner un consentement libre et éclairé) et la

capacité pour l’autonomie qui, visiblement, est conservée longtemps. Et peut-être, parfois

jusqu’au bout de la vie, par instinct de survie, tout simplement !

Et à aucun moment de son exercice professionnel, un infirmier ne devra faire abstraction

des droits des patients, mais plutôt devra s’évertuer à leur redonner ou à leur laisser la plus

grande autonomie possible et en cela, la plus grande Liberté, et de connoter la plus grande

Indépendance. « Il n’y a ni éthique ni justice fondées si l’homme n’est pas libre, auteur de ses

actes, donc responsable »44 écrira Eric-Emmanuel Schmitt. Car, bien au-delà de ce système

juridictionnel frigide, la Liberté se définit peut-être et avant tout comme le droit de faire tout

ce qui ne nuit pas à autrui. Et en “prenant soin” de l’autre de manière consciencieuse, à coup

sûr, jamais nous ne nuirons…

« Nous avons le sentiment de la liberté quand nous délibérons, hésitons, choisissons. »45

Eric-Emmanuel Schmitt

« Je jure, Cher Maître, d’adorer toujours les deux déesses, Muse et Liberté. »46

Arthur Rimbaud

43

ESPACE NATIONAL DE REFLEXION ETHIQUE SUR LA MALADIE D’ALZHEIMER. Alzheimer : respect de l’autonomie. Commission éthique du CMPP. Janvier 2011. Paris V. P.6 44

SCHMITT, Eric-Emmanuel. Concerto à la mémoire d’un ange. Paris : Livre de Poche, 2008. Consulté le 03 mai 2014 au domicile, p.200. 45

Ibidem note 42, p. 203. 46

RIMBAUD, Arthur. Poésies complètes. Paris : Livre de Poche, 199. Consulté en juillet 2014 au domicile, p.86.

Page 32: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

28

Au total, et en conclusion de ce cadre de référence, pour tous ces

patients amputés de leur capacité intellectuelle, de discernement ou d’expression de leur

volonté, la possibilité de continuer à mener une vie autonome jusqu’au bout sera sûrement

permise par l’aide apportée à la traduction de leurs valeurs propres dans des actes, leurs actes

du quotidien. Une aide qui finalement, représente le rôle propre d’un infirmier, son cœur de

métier et sa mission première. Un travail de longue haleine, qui nécessitera patience, vertu,

écoute, accompagnement, courage… et des ressources en la famille et en l’entourage du

patient.

Et afin de développer un savoir-être professionnel et une “manière de faire” toujours plus

probes, chaque infirmier devra trouver l’équilibre nécessaire entre toutes ces notions

abordées, et accorder à chacun de ces concepts dans sa pratique toute l’importance qui lui

prévaut. Voire, s’en faisant témoin, il devra s’évertuer à maintenir la plus juste et loyale

relation de soin possible avec la personne soignée, en recourant au besoin à toutes les valeurs

morales, déontologiques et humaines drainées par cette superbe profession. Dans l’obtention

de cet objectif et afin d’atteindre cette plénitude, il pourra trouver du soutien et une aide

auprès de l’équipe pluridisciplinaire dans laquelle il évolue, mais surtout auprès du patient lui-

même, parfois géniteur de formidables leçons de Vie…

Page 33: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

29

~ Enquêtes de terrain ~

Présentation de l’outil utilisé et de la population sondée

Concernant donc ce concept professionnel multifactoriel

d’Autonomie que nous venons de tenter de dépeindre par l’étude de ce cadre de

référence, nous constatons donc qu’il nécessite au quotidien pour son respect

immuable par les infirmiers d’outils, de valeurs et de bases solides entre autres

littéraires et législatives, qui l’escorteront jusqu’à sa plénitude. Et, bien au-delà du

carcan administratif imposé à notre profession, et si l’on en croit cette myriade

d’auteurs étudiés, la probité de nos actions infirmières est possible, rendant par la

même au “Prendre Soin” de notre art infirmier toutes les lettres de Noblesse qu’une

évolution technologique et des mœurs rapide de notre XXème siècle et un affûtage

paroxystique des sciences médicales ont entaché. Etait-il devenu si caduque qu’il

nécessita irrémédiablement un souffle nouveau de modernisation ?

Un cadre pour autant indispensable à chaque situation à caractère éthique rencontrée.

Par exemple, un peintre qui n’en n’aurait pas pour peindre ne pourrait s’adonner à

son art. Mais parfois, pour l’étoffer, lui donner du corps ou du mordant, il est obligé de

sortir de ce cadre qu’il s’impose, laissant son imagination à l’évasion, faisant ainsi

évoluer sa vision artistique, son œuvre, sa folie créatrice… De la même manière, il

nous est parfois indispensable de sortir de ce cadre administratif imposé par le système

pour débloquer une situation et l’extirper d’une fange dans laquelle elle est

embourbée. Il appartient alors à chacun de ne pas dépasser certaines limites

humainement souhaitables lorsqu’il s’agit de l’Homme.

Et à en croire ce que j’ai lu, il nous est désormais possible de “bien faire” et de

développer toujours davantage une attitude professionnelle qui soit en adéquation avec

l’image que cette profession revêt au sein de la Société tout entière, et finalement aux

yeux des Patients et de leur famille. Une posture déférente qu’ils attendent de nous que

nous développions : je veux parler bien sûr de cet altruisme à toute épreuve, et la

volonté de faire du patient non seulement l’“objet” de nos soins, mais surtout de le

rendre le témoin incommensurable d’un éternel respect de l’espèce Humaine.

Page 34: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

30

Ainsi, cette prise en soin infirmière décrite par les ouvrages comme devant être

hédoniste et tendre vers le meilleur nous est indiquée comme priorité soignante et

véritable vertu professionnelle. Une espèce de “démarche qualité” de chaque instant

qui devrait donc transpirer dans les soins et animer le cœur de chacun des

professionnels du corps infirmier. Et c’est cela que je me suis évertué d’évaluer par

mes enquêtes de terrain. Evaluer LA place que tient chacun de ces concepts abordés et

défendus par la littérature dans le cœur des infirmières interrogées et, puisqu’elles en

sont le témoin principal et l’assise indispensable aux côtés des patients, de facto dans

notre Système de Santé français. Conjointement, j’ai également souhaité analyser ce

que les différents services de soin mettaient en place pour honorer ces prérogatives.

Et pour ce faire, je me suis rapproché de collègues travaillant dans des services dont

les spécialités ont été citées dans mon cadre de référence. Ceci m’a permis d’établir un

lien plus aisé avec ce dernier, et de me “cantonner” à une analyse spécifique m’évitant

ainsi des élucubrations qui peuvent être rapides et se mettre en place insidieusement

dans nos discours sitôt que l’on traite de ce sujet aussi complexe que passionnant

d’éthique.

J’ai donc fourni par courrier électronique à la Direction des établissements dans

lesquels je souhaitais enquêter la grille d’enquête exploratoire que j’avais construite

(et que le lecteur retrouvera en annexe III page 59), et dont la faisabilité et la

pertinence avaient été évaluées par des collègues infirmières et amies, et par mon

Directeur de Mémoire. Puis, je suis allé sur le terrain après une double autorisation

(Directeur des Soins et Cadre de Santé des services) afin d’effectuer ces entretiens

avec deux infirmières de réanimation de chirurgie cardio-vasculaire (CCV*), deux

infirmières de médecine gériatrique aiguë et une infirmière en psychiatrie. Il s’est agi

d’entretiens oraux semi-directifs laissant libre le champ des possibles quant aux

réponses des sondées, mais permettant malgré tout d’endiguer adroitement ces

dernières dans le sujet traité, afin de laisser intact ce lien question-réponse. Ainsi, j’ai

voulu laisser la possibilité aux infirmières interrogées de se confier librement quant

aux différents thèmes abordés, et celle d’ouvrir toujours davantage ce sujet de

mémoire, vers des horizons jusqu’alors inexplorés… Et cet objectif a pu être atteint

grâce à la guidance mise en place au cours de ces entretiens. Quant aux services

retenus, ils l’ont été de prime abord pour maintenir un lien avec l’étude fournie par

Page 35: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

31

mon cadre de référence. Mais également pour la spécificité très particulière qui les

anime chacun, et qui nécessite un accompagnement du patient et une prise en soin

divergents, voire opposés en de nombreux points. Ainsi, la technicité requise en

réanimation ne constituera pas la priorité soignante d’un service de gériatrie ou de

psychiatrie par exemple, qui nécessitera davantage de patience, de calme, de douceur,

de temps… Et la comparaison que j’ai pu y observer a cru il me semble l’intérêt que

nous pouvions accorder à cette analyse du terrain.

Et, à ce propos, je tiens à remercier dès à présent et très chaleureusement ces 5

collègues qui, malgré leur remarquable charge de travail et les responsabilités qui leur

incombaient, ont pris le temps de répondre à mes questions, et de réfléchir avec moi

sur ces notions aussi importantes et précises que, finalement, extrêmement ouvertes et

à jamais amovibles. Elles m’ont permis d’avancer dans ma réflexion et leur expérience

professionnelle de terrain m’a permis de tarir certaines de mes interrogations

antérieures à ce mémoire, et nées de ce travail. Egalement, je leur présente mes

sincères salutations pour cette honnêteté dont elles se sont faites représentantes.

A toutes, un grand Merci !

Je commencerai donc cette analyse d’enquête par la présentation tabulée des

professionnelles avec lesquelles j’ai travaillé, car cette dernière me paraît être la plus

simple, la plus claire et la plus appropriée à une éventuelle comparaison de population.

Les formations suivies apparaissant en gras dans ce tableau ont été réalisées à la

demande de l’agent. Les autres ont été jugées “obligatoires” par la structure dans

laquelle ces infirmières exercent, et leur ont donc été imposées.

Infir

mièr

e

Age

du

diplô

me

Service et

spécialité

de travail

actuels

Service(s) et

spécialité(s)

de travail

antérieurs

Formations suivies Situati

on

familial

e

Devenir

A. 12 ans Réanimatio

n CCV

SSR*,

diabétologie

“Incendie”, “DU*

douleur”, “Les

gestes et soins

d’urgence”,

Mariée,

deux

enfants

Incertain

pour l’heure

Page 36: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

32

“L’hygiène

hospitalière : mission

mains propres”, “Les

infections induites

par les soins en

réanimation”

C. 3 ans Réanimatio

n CCV

Premier

poste

“Incendie”, “Les

infections induites

par les soins en

réanimation”,

“Manutention des

patients”,

“Ventilations

artificielles”

Célibat

aire, un

enfant

Aimerait se

spécialiser

en

infirmière

anesthésist

e

S. 22 ans Médecine

gériatrique

aiguë

Gériatrie de

nuit

“L’hygiène

hospitalière”,

“Accompagnement

en fin de Vie”,

“L’éthique à

l’hôpital”, “Respect

des cultes religieux

dans les soins”

Mariée,

3

enfants

Souhaiterait

un poste en

hôpital de

jour

A.-

C.

1 an et

demi

Médecine

gériatrique

aiguë

Premier

poste

“Incendie” Célibat

aire,

sans

enfant

Souhaiterait

dans

l’avenir un

poste en

médecine

polyvalente

ou

spécialisée

L. 25 ans Psychiatrie

: UCD*

(pédopsych

iatrie)

Une carrière

en

psychiatrie,

car infirmière

spécialisée

en

psychiatrie

“La contention en

psychiatrie infantile”,

“La chambre

d’isolement”, “La

bonne utilisation du

« Packing »”, “Parler

de ses souffrances”,

“Maladie et

Remari

ée, 5

enfants

En retraite

dans trois

ans

Page 37: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

33

sexualité chez

l’adolescent”,

“Iatrogénie

médicamenteuse en

psychiatrie”

Analyse des réponses aux questions posées

Pouvez-vous me définir l’éthique infirmière ? Qu’y mettez-vous ?

Il m’a paru opportun et approprié de commencer mon enquête par cette question car,

bien qu’elle puisse paraitre difficile de réponse et extrêmement ouverte, j’ai craint que

la suite de l’enquête et les questions à venir ne modifiassent dûment l’image que les

infirmières avaient de cette notion, et qu’elles en viennent à en biaiser la réponse.

Ainsi, mon objectif par cette question était d’appréhender le cadre éthique dans lequel

l’infirmière évoluait, et ce qu’elle-même ou l’établissement concerné mettait en place

afin de définir l’éthique, mais surtout d’utiliser cet outil au quotidien.

Et le premier constat flagrant qui en a surgi est le suivant : sur les cinq infirmières

interrogées, une seule affirme avoir suivi une formation ayant trait au sujet. Je

m’aperçois également que les jeunes infirmières nouvellement diplômées en donnent

des définitions plus « scolaires », c’est-à-dire tournées vers des généralités

professionnelles, des évidences qui sont également des principes et des objectifs de

soin : « Bien faire », « Faire en accord avec nos convictions », « Respecter ses

valeurs »… Les infirmières de diplôme mais aussi d’âge plus avancés orientent et

recentrent cette définition davantage sur le patient : « Respecter les valeurs de la

personne soignée », « Faire le meilleur pour le patient », « Peser le pour et le

contre »… Ce qui prouve peut-être que définir l’éthique, c’est avant tout exercer et

travailler au quotidien avec les patients et ses collègues, dans une interdisciplinarité

professionnelle dans laquelle chacun trouvera sa place. Et je constate inéluctablement

que cette définition et cette vision de l’éthique évoluent avec l’expérience du terrain,

avec les difficultés rencontrées et probablement les formations suivies. En effet, seule

l’infirmière S. de médecine gériatrique qui a suivi une formation dans ce domaine

Page 38: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

34

m’en a donné une définition qui se rapprochait le plus de celles explicitées par les

auteurs étudiés dans mon cadre de référence.

Avec toutefois et pour toutes cette idée de “faire le bien”, d’être en accord avec

certaines valeurs soignantes. Et je ne saurais expliquer si cette image de l’éthique

provient d’une formation initiale en soins infirmiers claire et adéquate, ou si elle

s’échappe plutôt du cœur même de ces soignantes, comme une intuition, une volonté

immuable de faire le bien et de “prendre soin”, et qui traduit dès lors les raisons et la

vocation qui les ont conduites dans cette voie professionnelle. Ceci nous rappelant par

la même les origines religieuses d’une profession des plus anciennes en termes de

probité.

Mais, dans cette analyse, j’ai également pu noter la subsistance d’une distinction

d’entre l’éthique de “réanimation” et celle de “gériatrie”. En effet, la première est, à

l’image du service finalement, plus technique, davantage délimitée et volontiers plus

hiérarchisée : « C’est par exemple de ne pas maintenir en vie pour s’acharner »,

« C’est tenir compte aussi de l’avis de la famille dans nos décisions »… L’éthique en

“gériatrie” pour sa part étant davantage tournée sur un aspect relationnel plus marqué,

sur une relation soignant/soigné remise au premier rang d’un ensemble de priorités

soignantes : « C’est considérer la personne âgée comme n’importe quel autre

patient », « Tenter de respecter les choix du patient même s’il est dément », « C’est se

rappeler que nous sommes tous des Êtres-Humains »…

Et toutes ces affirmations extraites de ces entretiens ne me conduisent nullement à

penser l’existence d’une espèce d’éthique à double vitesse, ou qui serait différente

d’un service à l’autre, d’une spécialité à l’autre, d’un soignant à l’autre. Mais, je pense

toutefois au regard de cela que, malgré tout, l’éthique de chacun tente de s’adapter au

milieu dans lequel elle évolue, compte tenu des outils que nous souhaitons lui léguer,

et de l’importance que les services de soin souhaitent lui accorder. Il ne s’agit non pas

certes, de mettre de l’éthique partout et tout le temps, ce qui aboutirait à dénaturer sa

vraie fonction, et le ce pourquoi elle est destinée. Mais plutôt de l’utiliser à bon

escient, et de l’adapter à la situation rencontrée. Car finalement, comme l’a très

justement souligné S. de médecine gériatrique, « l’éthique est partout, sitôt que l’on

accepte de baisser les yeux pour la trouver à ses pieds ». Il s’agirait alors de l’étendre

Page 39: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

35

à son paroxysme, si tant est qu’il soit possible de lui définir une fin ?! D’ailleurs, et à

bien y songer, l’éthique n’est-elle pas fondamentalement une fin en soi ?

De surcroît, le discours tenu par l’infirmière S. m’emmène à penser que les

formations et les conférences sur ce sujet devraient peut-être s’étendre dans notre

système de soin et au sein des services, et son tabou se désacraliser afin d’offrir aux

soignants les outils les mieux adaptés et les plus divers à l’épanouissement de leur

éthique professionnelle, mais peut-être avant tout personnelle.

Car, en conclusion de cette question, et afin d’apporter le regard le plus optimiste

possible sur la situation en France aujourd’hui, j’ai compris par cette enquête que ce

concept d’éthique est indiciblement enfoui et bien ancré là dans le cœur des

infirmières, et même dispose d’une importance sans équivoque. Mais ce qui manque

parfois à certaines d’entre elles, c’est la possibilité de pouvoir l’exprimer par les mots

d’une part, mais également par les actions du quotidien et la prise en considération de

leurs points de vue, l’écoute et le respect par les autres de leurs valeurs propres et

professionnelles, et la possibilité de s’affirmer en tant que soignante dotée d’une

capacité de prendre parti ou défense d’une décision arrêtée ; dût-elle l’être devenue de

manière collégiale et protocolaire.

Comment peut-elle s’exprimer au sein de votre service et de votre spécialité ?

Là encore, les réponses fournies m’ont étonné, dans ce sens qu’elles ne coïncidaient

pas toujours avec ce que j’avais imaginé.

Pour l’infirmière A.-C. de médecine gériatrique, il s’agit assurément de « Faire en

sorte de respecter les choix des patients, même s’ils sont déments. C’est aux soignants

de s’adapter à eux, et non l’inverse. » Ce qui traduit bien là une volonté affirmée

d’organiser les soins et le quotidien en fonction des volontés et de l’état général des

patients. A.-C. ne précise pas pour autant si cette intention est partagée par le reste de

l’équipe, et si elle est toujours réalisable à chaque instant, compte tenu du joug imposé

par la rigidité horaire hospitalière que l’on connaît. Cependant, d’être rassuré qu’une

infirmière nouvellement diplômée puisse se faire témoin de pensées semblables,

finalement à l’image de ce que nous avons retenu du cadre de référence construit en

amont de cette analyse. Sa collègue S. du même service (qui a bénéficié d’une

Page 40: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

36

formation en éthique) tient à peu près un discours similaire : « C’est garder à l’esprit

à chaque seconde que les personnes âgées sont dotées d’une histoire comme tout

Homme, et que la perte de leurs repères ne doit pas les déposséder de ce droit au

Respect. Pour Moi, c’est CA exercer l’éthique. » Et, de renchérir qu’il est fort à parier

que ce souffle de service, ces opinions d’une probité avérée ne soient pas sans lien

d’avec cette formation reçue.

Cependant, A.-C. complète ses propos par la phrase suivante : « Parfois, cette

adaptation est rendue difficile par l’aspect aigu, la crise de la pathologie du patient.

C’est alors à nous [soignants] de créer ou de trouver de nouveaux outils pour les

comprendre », ce qui traduit encore une fois cette volonté de bien faire, de considérer

le patient aussi dément et âgé qu’il puisse être comme une “Perle dans un écrin”. Ceci

nous conduit donc à penser que, finalement, un réel effort est peut-être fait au sein des

services hospitaliers afin de rendre l’exercice infirmier le plus luxuriant possible, et le

plus flamboyant.

Pour L., infirmière en psychiatrie, l’éthique au quotidien dans son service s’exprime

d’une manière bien différente : « Nous, on dira d’une prise en charge dans notre

fondation qu’elle est éthique lorsqu’elle arrive à conduire le gamin sur un vrai projet

de Vie, à lui donner un avenir et un semblant d’espoir pour sa vie sociale future. » Ici,

cette éthique infirmière est intimement liée à l’“après”, au devenir, au futur. Mais

alors, à bien y réfléchir, cela signifierait qu’un avenir un peu moins sûr ou moins

lumineux pour cet adolescent Lambda serait le résultat d’une prise en charge

infirmière qui aurait manqué de déférence et de réflexion éthique quant aux décisions

prises à son sujet ? Nul doute, assurément Non ! J’ai donc relancé L. afin qu’elle

précise ce qu’elle tentait de me faire comprendre par cette réponse. Et elle m’a

répondu ceci : « On essaye toujours d’être les mieux possibles pour les enfants, d’être

les plus justes et de leur offrir les soins les plus appropriés. Pourtant parfois, parce

que l’on a moins de temps, ou bien parce qu’on y accorde moins de temps

consciemment, les projets sont moins construits, moins ancrés pour certains. Et je

mentirais en disant que nos prises en charge sont égalitaires pour tous, car parfois

pour certains gosses, on baisse les bras. »

Pour l’infirmière A. de réanimation, elle a répondu à cette question de la manière

suivante : « En réanimation, lorsque l’on a le temps, on fait parfois des “réunions

Page 41: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

37

éthiques” pour réfléchir sur nos pratiques. Mais souvent, elles concernent la prise de

décisions pour des patients qui, je pense, parfois sont arrêtées un peu rapidement.

Enfin, je pense que le temps n’est pas toujours suffisant à nos réflexions

personnelles. » Ce que j’ai trouvé intéressant de relever ici est cette notion du Temps,

que l’on a jusqu’alors jamais abordée. Car, en effet, il faut bien se l’avouer, faire

preuve d’une véritable démarche ou d’un processus éthique de qualité, c’est accepter

de prendre le temps de réfléchir, de se détacher quelque peu de sa pratique et de son

quotidien soignant, pour parfois se recentrer sur soi-même, et sur ce que l’on désire

réellement et sincèrement faire pour l’Autre. Seul(e), avant toute chose, et à plusieurs

ensuite, au sein d’une équipe. Finalement, c’est quelque part accepter de s’accorder du

temps à soi-même, et aux autres.

Et l’on comprend par les propos de ces infirmières que l’organisation de leur travail

et sa charge notamment alourdie par une composante administrative de plus en plus

conséquente sont telles qu’il est parfois mal aisé à l’équipe pluridisciplinaire en place

d’offrir à la réflexion éthique, ou pour d’éventuelles formations sur le sujet le temps

requis pour cela. Et bien qu’elles s’acharnent à défendre ces valeurs soignantes à

chaque instant, il n’en demeure pas moins que les priorités soignantes induites par

notre Système de Santé toujours plus tourné vers le profit financier et l’économie en

sont de facto bouleversées, et l’appât du gain nous conduit peut-être à confondre

“Rapidité” et “Précipitation”. De surcroît, mon expérience aide-soignante et mes

stages infirmiers témoignent réellement d’une nécessité de faire vite et bien dans une

tarification à l’acte introduite en 2009 où chaque centime compte, reléguant au second

rang d’une prise en soin l’écoute, la démarche éthique et l’accompagnement. Et cette

organisation du soin infirmier que je qualifierai de « moderne » demande alors aux

infirmières des qualités nouvelles d’adaptation toujours plus accrues ; voire de

caractériser de véritable prouesse professionnelle la capacité d’inclure dans leur

pratique de chaque instant l’éthique soignante la plus affûtée possible.

Page 42: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

38

Avez-vous déjà participé à une réunion, comité ou débat éthique ?

Il me paraît bien futile de préciser que je me suis appuyé des réponses données ici

afin d’analyser plus aisément les deux questions précédemment étudiées.

Ainsi, hormis l’infirmière S. de médecine gériatrique, aucune des sondées n’a réalisé

de formation en éthique, qu’elle fit suite à une demande issue de leur propre initiative

ou imposée par leur hiérarchie. Cependant, les deux infirmières de réanimation

assurent avoir participé à des concertations pluridisciplinaires éthiques appelées

“Réunion de Concertation Pluridisciplinaire” (RCP*) quant au devenir d’un patient X.

A.-C. de médecine gériatrique pour sa part me confie n’avoir « jamais assisté à un

groupe ou réunion ayant un lien avec un quelconque sujet éthique. Mais, j’essaye de

moi-même de mettre de l’éthique dans tout ce que je dis ou fais. »

Pour L. de psychiatrie, des « réunions éthiques, on en fait tous les jours. Maintenant,

jamais l’une d’entre elles n’a redéfini clairement ce qu’était réellement l’éthique. Le

côté pratique, c’est que finalement, on peut y mettre un peu ce que l’on veut. »

Et à l’analyse de ces réponses, une question surgit indubitablement et de raison

indicible : on comprend ici que l’éthique, en tout cas cette éthique “littéraire” dont on

parle, n’est peut-être pas une priorité dans la politique de prise en charge des patients

dans notre Système de Soin. Et bien que l’on en parle régulièrement et que les

infirmières interrogées assurent y être confrontées au quotidien, nous pouvons

constater un manque de formation sur le sujet, qui permettrait peut-être de redéfinir

clairement ce concept, et puisqu’il n’y a pas une seule définition possible de l’éthique

finalement, au moins d’en arrêter les objectifs et d’élaborer les outils nécessaires à sa

floraison dans notre pratique infirmière.

Est-ce donc aux services et Directions de Soins de mettre en place les financements

et la condition nécessaires à de tels formations et/ou réunions, Comités ? Ou plutôt,

est-ce l’organisation générale de notre Système de Soin français qui est à repenser afin

de transformer cette nécessité gouvernementale indispensable d’économie financière

dont on nous afflige la responsabilité d’honorer, en une nécessité intarissable d’offrir

aux patients qui font notre quotidien la possibilité de leur digne considération de

chaque instant ?

Page 43: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

39

Quoiqu’il en soit, un problème subsiste dont je n’aurais nullement la suffisance

d’affirmer que j’en connais les origines ou en détiens les solutions d’y remédier. Pour

autant, il est évident que les infirmières souhaiteraient que l’on fasse de l’éthique un

combat et une prérogative du quotidien, et qu’il leur soit fournie la possibilité de s’y

épanouir afin d’embellir toujours plus leurs prises en soin, dût-elle passer par une

réorganisation environnementale et institutionnelle sans précédent.

Qu’est-ce pour vous un consensus éthique ?

Les réponses à cette question confirment le constat établi par la première analyse. A

savoir que bien que ces définitions diffèrent en fonction de l’âge de l’infirmière

interrogée et de son expérience professionnelle, le concept d’éthique reste une notion

relativement bien déterminée, prônée par elles et chère à leur cœur. En tous les cas,

dont l’utilisation au quotidien et le ce pourquoi elle est destinée est su de chacune, et la

place qui lui est alors allouée dans le soin est revendiquée avec ferveur.

Et ce consensus dont on parle est défini par les infirmières comme un genre

d’équilibre, de balance entre toutes les solutions et propositions avancées pour chacun

des cas présentés qui demandent réflexion. Mais ce qui est tout à fait étonnant, c’est

que bien qu’elles aient attribué à cet équilibre à trouver les noms différents de

solution, proposition, résultat…, toutes les infirmières leur ont attribué la qualité de

“meilleur(e) possible”. L’infirmière S. répond toutefois de manière plus précise qu’il

s’agit de « trouver un accord, une entente qui satisfasse tout le monde, mais qui

privilégie surtout le patient », rappelant de nouveau l’importance prouvée des

formations quant à l’utilisation appropriée des outils dont nous disposons dans notre

quotidien, si tant est que nous puissions réduire cette éthique à un simple outil.

Pensez-vous être suffisamment informé(e) sur le droit du patient ? Pourquoi ?

Comment ?

Les réponses ici sont sans équivoque : il s’agit d’un « Oui » général. Certaines (les

infirmières A., A.-C. et S.) énoncent la Charte du Patient hospitalisé affichée dans

Page 44: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

40

chaque service de soin. L. de psychiatrie quant à elle se réfère au règlement intérieur

de son établissement en lien très étroit avec les Droits des enfants hospitalisés : « Il

suffit de lire le règlement intérieur de la Fondation pour comprendre que des Droits

accordés aux enfants, il y en a une liste longue jusqu’à demain. »

Quant aux deux infirmières de réanimation, elles me précisent toutes deux que les

lois notamment Kouchner, Leonetti et à l’information sont régulièrement évoquées et

réhabilitées à chaque RCP. De plus, C. m’indique que le Cadre de Santé du service

tient informé régulièrement l’ensemble de l’équipe quant aux modifications à venir de

ces lois. Ce qui m’a paru intéressant dans leur réponse, c’est qu’elles m’ont semblé

concernées par le sujet. Ainsi, elles recherchent l’information manquante en regard,

pour « ne pas se mettre en difficulté face à la loi et ne pas outrager un Droit

quelconque du patient. C’est aussi une question de respect et de sauvegarde de cette

confiance que les patients mettent en nous ! », me précisera A. de réanimation.

Seule L. précise l’existence d’une personne ressource au sein de l’établissement à qui

il est aisé de se référer au besoin. « C’est un juriste de formation, et il est très utile

surtout en cas de désaccord survenant entre un enfant et ses parents. Car, il est faux

de croire que les parents décident de tout pour leur gosse et que les gamins ne peuvent

pas prendre de décision(s) pour eux-mêmes. Ils ont ce droit-là par exemple. Des fois,

on est un peu perdu alors il nous éclaire. »

A l’analyse de cette question, même si les infirmières paraissent relativement bien

informées sur le Droit (parfois parce qu’elles font l’effort de s’y intéresser ou de

rechercher les éléments utiles à leur prise en soin), je suis conduit à penser que

l’existence d’une personne ressource telle qu’elle existe dans la structure de soins de

l’infirmière L. pourrait encore améliorer l’organisation et la sécurité des soins, mais

également des professionnels en exercice, notamment face à une population soignée

de plus en plus procédurière.

Qu’est-ce pour vous l’autonomie du patient ? Comment se reflète-t-elle dans votre

service compte-tenu de sa spécificité ?

A cette question, les réponses ont été aussi diverses que surprenantes. A ce point-tel

que cette hétérogénéité pourrait finalement bien refléter la diversité des définitions

Page 45: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

41

possibles de ce concept, et établir des liens entre toutes relèverait d’une prouesse

finalement davantage extrapolative et imaginative que logique et véridique. Mais après

réflexion et à l’analyse de ces réponses, je m’aperçois, hélas, que la deuxième partie

de la question : « Comment se reflète-t-elle dans votre service compte-tenu de sa

spécificité » serait peut-être à l’origine d’une aussi flagrante pluralité de points de vue.

A la seule définition de l’autonomie, les réponses fournies auraient sans doute été plus

convergentes ; particularité qui, finalement, aurait été bien moins intéressante à ce

travail.

Pour A.-C. de médecine gériatrique, elle s’exprime par la capacité pour l’infirmière

« de laisser le patient faire le maximum de choses pendant la toilette ou pour manger

par exemple, et travailler avec lui à préserver cette autonomie. Donner les outils, mais

ne pas faire à la place. » Ici, A.-C. ne me parle pas de ces capacité et possibilité pour

le patient à prendre des décisions, à opérer ses propres choix.

L. décrit cette autonomie par degrés, et « en fonction des ados, on leur laisse des

heures libres où ils ont l’autorisation de sortir seuls de la Fondation. Si les règles

notamment d’horaire retour ne sont pas respectées, alors ces temps durant lesquels ils

sont seuls sont de moins en moins longs ou finissent tout simplement par être

supprimés. » Mais « à l’intérieur de la Fondation, à cause de l’interaction les uns

avec les autres, cette autonomie n’est pas vraiment envisageable », précise-t-elle. Pour

autant, et bien que l’on en ait pas toujours conscience, je crois pourtant en une réelle

autonomie développée dans ces services de psychiatrie. Si l’on tient compte du fait par

exemple que les enfants font leur lit le matin, mettent le couvert, aident au

débarrassage, proposent et animent parfois eux-mêmes leurs propres jeux… ne s’agit-

il pas là de formidables preuves d’autonomie qui permettent à ces enfants en

difficultés de grandir et d’acquérir des responsabilités ? Celles-là mêmes qui nous

construisent et nous guident progressivement sur le chemin de la vie adulte !

Pour C. de réanimation, « lorsque vous êtes confrontés à des patients dans le coma,

parler d’autonomie est une tâche difficile. Les patients sont dépendants parfois à

300% de nous. Comment pouvons-nous dans ces conditions leur laisser une

autonomie du quotidien ? […] Dans ces cas-là, on la reporte sur les familles qui

prennent le relais et soin de leur proche hospitalisé, et ce partage de compétences et

d’autonomie finalement leur fournit un sentiment de renaissance, celui d’être

Page 46: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

42

vraiment utile. » Apparaît dès lors avec C. une donnée nouvelle : celle du partage.

Partage d’une connaissance, d’un savoir, d’un savoir-faire, d’un art… d’avec une

famille, un proche ou des collègues. Une donnée qui, à mon sens, est extrêmement

intéressante et prend au cœur de ce mémoire tout son sens. Car finalement, lorsque

nous parlons d’éthique, de consensus, de législation… n’est-ce pas de partage et de

solidarité dont il s’agit d’un abord premier ? Le partage d’idées, de droits et de devoirs

communs, d’expériences, de propositions qui font grandir et avancer d’aucuns dans

leurs voies professionnelle et personnelle, et notamment par l’attelage à la résolution

de ces difficultés éthiques du quotidien concernant les patients.

Au total, c’est peut-être CA l’autonomie, à l’instar et en sus de ce que les auteurs lus

et moi avons développé dans notre cadre de référence. Partager avec l’Autre tout ce

qui peut l’être (existe-t-il seulement particule qui ne le soit pas ?), et notamment ce qui

lui sera utile afin de rester Digne et Libre… En somme, Homme jusqu’à la fin…

In fine, une autonomie qui, pour être respectée, peut parfois demander la

performance d’une imagination et d’une adaptation à toute épreuve. Jean-Jacques

Rousseau écrira un jour que « C’est l’imagination qui étend pour nous la mesure des

possibles […], et nourrit les désirs dans l’espoir de les satisfaire. »47

Que pensez-vous mettre en œuvre pour la respecter ?

Par la question précédente, les infirmières rencontrées avaient déjà partiellement

répondu à celle-ci d’un même jet. Seulement, j’aimerais préciser toutefois qu’A. de

réanimation a établi elle-même un lien avec la législation qu’il m’a paru opportun

d’analyser : « Le mieux pour ne pas commettre de bourde, c’est de se référer à la

législation en vigueur. Ainsi, nous on sait qu’un patient qui a toutes ses capacités doit

décider de ce qu’on lui fait. Et par exemple, il nous arrive de ne pas administrer de

traitement lorsque l’on essuie un refus d’untel ou d’untel. Chose que l’on ne faisait

pas forcément 10 ans en arrière lorsque j’ai débuté. On précise les risques en cas de

refus, on tente de négocier, on pèse la balance bénéfice-risque. Mais jamais on ne

s’acharne. C’est une philosophie de service. » La première interrogation venue à 47

ROUSSEAU, Jean-Jacques. Les Confessions. Paris : Folio Classique, 2004. Consulté en août 2014 au domicile, p.30.

Page 47: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

43

l’encontre de cette réponse a été de comprendre pourquoi ce point de vue législatif

n’est pas parvenu plus tôt au cours de l’entretien ?

Ainsi, par cette confidence, A. m’offre le lien rêvé entre deux notions ; mieux, le

prouve : l’autonomie et sa revendication par le corps infirmier et la législation qui

permet finalement de bien faire et de respecter les codes de conduites sociales et

déontologiques. Mais elle souligne également une évolution dans les pratiques, une

manière de faire qui apparemment, et si l’on en croit les auteurs étudiés, a su s’adapter

aux lois en cours, se modifier parallèlement aux mœurs, aux états d’âmes et priorités

de notre Système de Santé français. Et bien qu’il serait non avenu de généraliser les

propos d’A. à l’ensemble de la communauté infirmière, elle témoigne clairement

d’une modification de ses pratiques corrélée finalement à la volonté que cette Loi

Kouchner a souhaitée transmettre à l’ensemble des soignants : considérer le Patient

comme un citoyen de Droits que l’on devrait systématiquement positionner à une

équidistance du citoyen “sain” et du soignant en terme de déférence.

S. de médecine gériatrique quant à elle rajoute un élément très intéressant :

« L’autonomie de la personne âgée, c’est une obligation que l’on doit préserver pour

qu’une fois hospitalisée, elle ne se “grabatairise” pas trop rapidement, et qu’elle

conserve l’espoir un jour de rentrer chez elle. » L’autonomie est donc mise ici au

service d’un devenir, d’un futur pour la personne âgée que l’on souhaite le meilleur

possible. Une manière, quelque part, de faire du respect de l’autonomie du patient une

obligation toujours centrée sur lui, recélant ainsi une certaine probité dans les

sentiments des infirmières nourris d’encouragement et d’espérance. L’espoir de

maintenir la personne âgée telle qu’elle fut, le plus longtemps possible… Les

infirmières prennent alors un rôle de mère nourricière et protectrice, faisant ainsi

honneur à leurs racines religieuses. L’on comprend de facto et clairement le raccourci

opéré par Walter Hesbeen : “prendre en Charge” devenant alors et dorénavant

“prendre en Soin”.

Page 48: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

44

Avez-vous déjà été confronté(e) à une prise en soin, une situation impliquant un

patient qui vous a posé un problème éthique ? Quelle était-elle ? Pourquoi ce

problème ?

Pour analyser cette question, je fais le choix de deux réponses seulement, qui me

paraissent les plus parlantes.

Ainsi, j’ai gardé l’exemple d’A.-C. qui m’a touché, et pas uniquement par la

“naïveté” de réponse due au noviciat de son diplôme ; mais également parce qu’il me

paraît refléter une réalité de terrain qui peut nous concerner, nous tous professionnels

de santé. Et par ce “nous” dans lequel je m’inclue bien évidemment, je trouvais

intéressant de réfléchir sur ce que je, sur ce que nous aurions pu mettre en place ou

répondre à la patiente, si nous avions vécu la situation en lieu et place d’A.-

C. : « Encore tout récemment, nous avions une patiente qui refusait tous ses bilans et

traitements, et pour laquelle, compte-tenu de son état de santé général, nous savions

pertinemment qu’elle ne rentrerait jamais à son domicile, bien qu’elle le réclamait

tous les jours. Et pour qu’elle accepte sa prise de sang du jour, j’ai fait croire à la

patiente qu’elle lui permettrait de rentrer chez elle plus rapidement. Sur le moment, je

me suis sentie obligée de lui mentir pour qu’elle accepte mon soin. Aujourd’hui, je

regrette vraiment ce que j’ai fait car ça n’était pas déontologique du tout. Je sais que

je lui ai menti, et je m’en veux terriblement ! Ce n’était pas du tout éthique. » Je suis

tout d’abord ému par cette honnêteté sans faille qui traduit bien ici un réel problème.

Mais au-delà de ce problème éthique effectivement soulevé, d’autres questionnements

bien plus profonds encore m’interpellent, comme la nécessité qu’A.-C. a ressentie de

« mentir » à la patiente, outrepassant ainsi un respect de cette conjonction éthique

qu’elle a promise à sa pratique professionnelle. Quel est donc l’élément dont il faille

tenir compte qui l’a conduite à réagir ainsi ? Est-ce le stress imposé par le système lui-

même, l’oppression d’une collaboration interdisciplinaire quelque peu subversive ?

L’importance inégalée d’une investigation-Patronne dans les soins ?

Notre rôle à tous ici n’étant, non pas, certes, d’incriminer A.-C. ou d’éventuelles

actions qu’elle prétendrait, voire autoproclamerait comme indécentes à cette vision

éthique du “prendre soin”. Mais plutôt, il aurait été intéressant de discuter de manière

collégiale et inter et pluridisciplinaire de cette réaction née d’une interaction

soignant/soigné biaisée par des paramètres extérieurs qu’il ne nous est pas toujours

Page 49: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

45

aisé à nous, Soignants, d’intégrer à cette relation (stress, fatigue, famille, surcharge de

travail, “burn-out”….). D’où, peut-être, cette caractéristique que les Soignants

expriment parfois à se faire la cause d’une réalité travestie ou d’une quelconque

omission de vérité dans l’objectif clair ou pas, de sauvegarder le patient, ou de lui

épargner toute souffrance psychique ?

Peut-être aurait-t-il fallu à A.-C. une meilleure connaissance de la patiente et de son

histoire de vie, ce qui lui aurait permis de trouver les éléments, les arguments auprès

d’elle, la conduisant ainsi à accepter ce bilan sanguin ?! Ce cas clinique se rapprochant

de ma situation d’appel retenue, elle m’a particulièrement interpellé parce que je saisis

aujourd’hui et à l’écriture de ces lignes le chemin parcouru depuis le début de ce

mémoire, les réponses à mes interrogations qu’il m’aura permis d’apporter, ou en tout

cas l’éclaircissement d’une pensée qui était ternie par cet acte soignant que j’avais

réalisé. Cet acte qui, de soignant justement, devint “poignant” par cet inexorable

manque d’éthique et de vertu qu’il a revêtu à mes yeux. Et cet exemple prouve encore

une fois l’importance pour les infirmiers et les professionnels du soin de partager sur

les situations qui posent un quelconque problème éthique. Afin peut-être de soulager

une conscience soignante de prime abord, mais peut-être également d’apprendre des

Autres, d’échanger des points de vue, des idées, des conseils… qui par

l’enrichissement humain qu’ils sous-tendent, enrichira plus luxueusement encore notre

pratique soignante par voie de fait.

Le deuxième entretien retenu pour cette réponse a été celui mené auprès d’A., de

réanimation : « Pour moi, le plus gros problème éthique de tous les temps en réa, c’est

le manque de respect concernant la pudeur des patients. Comme si, sous le prétexte

que les patients soient comateux ou aréactifs, on juge que de voir “leurs fesses” est

moins indécent que s’ils pouvaient s’en plaindre. Je me bats contre ça depuis

toujours. » J’ai été extrêmement surpris par cette réponse, je m’en explique.

Concernant cet éthique dont on parle depuis la genèse de ce travail, il paraissait que

le plus problématique d’entre tous (et notamment dans les services de réanimation ou

de soins palliatifs), ou du moins le plus emblématique, le plus médiatisé mais

également légiféré était l’euthanasie. Et sans vouloir aborder un débat intarissable ici,

je m’attendais à ce qu’A. me parle d’un sujet tel que celui-ci. Et bien que mon

Page 50: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

46

expérience aide-soignante en service de réanimation me rapproche de ses idées et

propos quant à un manque de pudeur probablement et indiciblement davantage

omniprésent qu’ailleurs, j’ai conclu de cela qu’il existait peut-être aujourd’hui, et

notamment grâce à un cadrage législatif et des discussions passionnées sur le sujet,

une maîtrise de cette éthique-là, celle qui accompagne en fin de vie jusqu’à la mort.

J’ai donc retenu cette idée de pudeur qui était chère à A., et évaluerai éventuellement

ce thème sur le terrain de mon propre chef, puisque je suis attendu en service de

réanimation en banlieue parisienne pour mon prochain stage.

Dans une prise en soin qui vous pose un problème éthique, que privilégiez-vous

dans vos actions infirmières : la prescription médicale ou votre questionnement

personnel en regard ? Pourquoi ?

A cette question, le constat général est le suivant : bien qu’elles ne se dispensent

jamais d’un questionnement personnel dans leur pratique, il n’en reste pas moins que

la prescription médicale tient les brides de la pratique infirmière au quotidien, la dicte

et l’organise. Car, à bien y réfléchir, mis à part les soins relevant du rôle propre

infirmier (déjà très nombreux et faisant appel à une maîtrise et un savoir-faire bien

particuliers), l’ensemble des actes notamment dits “techniques” infirmiers sont soumis

à une prescription médicale. Et, ladite prescription pose parfois problème aux

infirmières interrogées, voire sont elles-mêmes à l’origine de problème(s) éthique(s) ;

dans ce sens qu’elles peuvent sembler en inadéquation avec la pratique infirmière, en

tout cas de ce que l’on attend d’elle : un accompagnement suave et digne du patient.

Ainsi, S. de médecine gériatrique indique que « Parfois, certaines prescriptions

médicales sont aberrantes. On nous demande de “bilanter” des personnes âgées en

fin de vie et reconnues comme tel, alors qu’il faut pleurer pour voir prescrit de la

morphine et des réhydratations. Face à certains médecins, vous avez beau vous poser

toutes les questions du monde, s’ils ont décidé de ne pas vous écouter, c’est peine

perdue dès le départ. »

Même constat pour C. de réanimation : « Au lit du patient, c’est toujours l’avis

médical qui tranche, même si nos questionnements et observations nous paraissent

pertinents. Parfois, plusieurs infirmiers sont d’accord avec une idée, que le médecin

réfute complètement. […] Alors face à un problème, il est permis d’avoir son propre

Page 51: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

47

questionnement bien sûr, mais de là à pouvoir l’exprimer… Heureusement que les

RCP sont là pour tenir compte de l’avis de tous, ce qui nous permet de nous faire

entendre ». Ceci rappelant ce qui avait été signalé lors de la réponse à la question

concernant les réunions éthiques. Aussi, l’on comprendrait ici que le questionnement

et la réflexion personnels quant aux difficultés rencontrées dans leur quotidien

infirmier leur permet d’avancer dans leur propre pratique. Cependant, il apparaît

clairement que le mode d’expression de leur(s) point(s) de vue semble insuffisant et

leur écoute par l’ensemble de la communauté médicale bien en deçà de cette preuve

d’une collaboration sans ombrage. Et il serait intéressant ici de rechercher les raisons

de ce résultat : provient-il d’un manque de communication interprofessionnelle ?,

d’une considération trop imparfaite des infirmiers par le corps médical ?, d’un manque

de formation pour les infirmières qui leur permettrait une meilleure aisance dans la

soutenance de leurs idées ?

Quoiqu’il en soit, la réflexion est là, bien présente à l’esprit des collègues infirmiers,

et qui ne demande parfois qu’un soupçon supplémentaire d’estime et d’égard par

Tous, afin d’améliorer d’autant plus ce regard éthique du métier infirmier. Mais

surtout, d’étendre et de partager la cohorte de ses sentiments qui, même empreints

d’une technicité et d’un savoir moindres, devraient trouver une place de choix dans la

prise en soin des patients. Et peut-être, déjà, parce qu’ils naissent de l’Humain qui a

choisi de faire de sa Vie et de son quotidien un merveilleux voyage tourné vers

l’Autre, vers sa protection, son bien-être et son épaulement dans la souffrance, la

douleur, la peine et la maladie.

Croyez-vous possible cet équilibre entre la législation française en vigueur au sein

de notre système de soin et l’éthique garante de nos prises en soin ? Comment ?

Pour l’ensemble des infirmières interrogées, il apparaît une intrication indiscutable

entre la législation, c’est-à-dire le Droit du patient, et l’aspect éthique de nos actions

infirmières. S. de médecine gériatrique nous rappelle qu’« Elle [la législation] nous

permet de maintenir notre quotidien dans le droit chemin et de ne pas tomber dans des

débordements qui seraient contraires aux normes de la société. » A.-C. du même

Page 52: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

48

service nous précise que « Si l’éthique finalement c’est de bien faire, alors les lois sont

là pour nous rappeler à l’ordre et nous souffler ce que l’on a droit de faire ou pas

pour les patients. »

C. de réanimation stipule quant à elle qu’« A chaque nouvelle RCP, les lois sont

rappelées et affichées dans les salles de réunions et de concertations. Cela rappelle à

chacun ce que l’on peut faire et ça montre aux nouveaux arrivants que le service se

fait un devoir de respecter le Droit du patient en toutes circonstances. »

A ces réponses, il semble évident qu’un lien indiscutable se met en place entre la

législation française et l’éthique infirmière au sein de nos services de soin. Et sans

pour autant parler d’équilibre parfait entre ces deux notions dans nos pratiques

infirmières, il apparaît clairement que ce lien a été reçu par ces collègues comme une

ligne de conduite, une évidence qui permet cette probité certaine de notre art infirmier.

Ces lois et réglementations en vigueur finalement imposées à notre milieu

professionnel et dictées par nos élus, représentants du peuple. Elles témoignent donc

d’une volonté de construire un système de soin qui soit à l’image d’un Etat-Nation,

d’une Patrie qui s’est faite Mère de la Déclaration des Droits de l’Homme et du

Citoyen, et qui se veut fervente défenseuse de la Liberté. Cette Liberté peut-être et

avant tout représentée par cette reconnaissance sine qua non qu’il ne peut y avoir

Ethique que si le respect de son expression dans les soins prédomine, nonobstant la

condition physique ou mentale de l’Homme pensant dans toute sa Splendeur.

Page 53: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

49

Par ce travail de fin d’études, ce chemin parcouru et l’œuvre que

le Lecteur, les auteurs étudiés, les infirmières interrogées et moi-même en avons fait, il

semblerait que nous puissions conclure de notre “prendre en soin” infirmier qu’il

s’évertue à chaque instant à ne jamais adjoindre une perte d’autonomie du Patient dans

son quotidien à la déchéance de sa Liberté. Celle-ci même qu’un certain nombre de

droits, visiblement bien adaptés à notre Système de Santé, doivent préserver et

défendre en toute circonstance. Et bien que les concepts étudiés semblent devoir se

constituer les racines mêmes de cette profession infirmière, il surpasse à cela des

valeurs insoupçonnées et partagées par beaucoup, et un goût affûté et assumé de

l’Autre que mes différentes enquêtes de terrain ont permis de révéler au grand jour et

d’enluminer. Ce goût de l’Humain dont il fallait absolument que je parvinsse à

prouver toute l’étendue en les cœurs de mes collègues infirmiers.

Il surgit alors de tout ceci un puissant Respect de nos semblables, et cet Inconnu que

l’on choisit de prendre en soin et pour lequel la Dignité devient très vite un trésor

inestimable à sauvegarder à tout prix, se transforme enfin en véritable compagnon de

route. Aussi, le partage qui naît de cette union et l’Histoire qui s’y construit

permettront alors de mener cette relation de soin jusqu’au sommet de la Montagne.

Et, à bien y réfléchir, à l’issue de ladite relation, l’on comprend que ses véritables

réussite et primauté ne résideront pas dans cette victoire de l’avoir atteint, mais plutôt

en la manière de la gravir ; cette Montagne qui s’appellera dorénavant “Prendre Soin

de l’Autre”.

Mais ce “Prendre Soin” qui, pourtant, requiert du temps et du personnel

soignant se peut-il menacé par ce déficit financier abyssal que connaît

aujourd’hui notre Système de Santé français et qui restreint ainsi nos moyens

humains et matériels ?

Page 54: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

50

Avant de refermer ce mémoire (qui, finalement ne le sera

jamais…), nous souhaiterions partager ce poème que nous nous permettons

d’emprunter à Primo Levi et qui introduit son livre Si c’est un homme, comme une

ultime pensée tournée vers l’Autre, un dernier et ardent désir de considérer cet Être,

cet Inconnu, ce Compagnon de voyage qu’est le Patient avec toute l’affection et la

douceur qui lui sont dues ; voyage qui, gageons-le, nous conduira ensemble jusqu’au

bout du Prendre Soin. Et puisse ce travail de fin d’études se faire la preuve la plus

rayonnante de cette volonté acharnée :

« […] Considérez si c’est un homme

Que celui qui peine dans la boue,

Qui ne connait pas de repos,

Qui se bat pour un quignon de pain,

Qui meurt pour un oui pour un non,

Considérez si c’est une femme

Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux

Et jusqu’à la force de se souvenir,

Les yeux vides et le sein froid

Comme une grenouille en hiver.

N’oubliez pas que cela fut,

Non, ne l’oubliez pas :

Gravez ces mots dans votre cœur… »48

Primo Levi

48 LEVI, Primo. Si c’est un homme. Paris : Pocket, 1987. Consulté en 2013 au domicile, p.9.

Page 55: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

51

Glossaire

AS : Aide-soignant CCV : Chirurgie Cardio-Vasculaire CMPP : Centre Médico-Psycho-Pédagogique CSP : Code de Santé Publique DU : Diplôme Universitaire MA : Maladie d’Alzheimer RASS : Richmond Agitation Sedation Scale RCP : Réunion de Concertation Pluridisciplinaire SSR : Soins de Suite et de Réadaptation UCD : Unité de Court Séjour

Bibliographie BOLLY, C. et GRANDJEAN, V. L’éthique en chemin. Paris : L’Harmattan, 2004. Consulté en janvier 2014 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, pp.13, 103. FERLENDER, P. ; HIRSCH, E. L’Espace éthique de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris. Droits de l’homme et pratiques soignantes (textes de référence : 1948-1998). Paris : Les dossiers de l’AP-HP, 1998. Consulté le 29 mai 2014 au domicile, p.56. GAGNIERE, Claude. 1000 mots d’esprit. Paris : Points, 2008. Consulté le 26 janvier 2014 au domicile, p.59. GOFFI, Jean-Yves. Penser l’euthanasie. Paris : PUF, 2004. Consulté le 01 mars 2014 au domicile, p.54. HERVE, Christian. Ethique médicale ou bioéthique ? Paris : L’Harmattan, 2006. Consulté en août 2014 au domicile, p.03. HESBEEN, Walter. La pratique soignante : une rencontre et un accompagnement. Issy-les-Moulineaux : Masson, 1998. Consulté en août 2013 au domicile, p.32. HESBEEN, Walter. Un métier au cœur du soin. Issy-les-Moulineaux : Masson, 1998. Consulté en février 2013 au domicile, p.47. HIRSCH, Emmanuel. Traité de bioéthique : I- Fondements, principes, repères, sous la direction d’Emmanuel Hirsch. Toulouse : Erès, 2010. Consulté le 16 février 2014 au domicile, pp.30, 31 (référence de l’annexe numéro 1), 33. HUGO, Victor. L’Homme qui rit. Paris : Le Livre de Poche Intégrale, 2006. Consulté au domicile, p.396 (référence de l’annexe numéro 1).

Page 56: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

52

LEONETTI, Jean. Traité de bioéthique : I- Fondements, principes, repères, sous la direction d’Emmanuel Hirsch. Toulouse : Erès, 2010. Consulté le 07 février 2014 au domicile, pp.19 (référence de l’annexe numéro 1), 20, 21, 23. LEVI, Primo. Si c’est un homme. Paris : Pocket, 1987. Consulté en 2013 au domicile, p.09. MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la liberté. Paris : Livre de Poche, 2010. Consulté au domicile, p.38. MARX, K. ; ENGELS, F.. Manifeste du parti communiste. Paris : GF Flammarion, 2001. Consulté en 2005 au domicile, p.79 (référence de l’annexe numéro 1). PAILLARD, Christine. Dictionnaire humaniste infirmier – Approche et concepts de la relation soignant-soigné. Noisy-le-Grand : SETES, 2013. Consulté en février 2014 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, pp.120, 173. RIMBAUD, Arthur. Poésies complètes. Paris : Livre de Poche, 1998. Consulté en juillet 2014 au domicile, p.86 ROUSSEAU, Jean-Jacques. Les Confessions. Paris : Folio Classique, 2004. Consulté en août 2014 au domicile, p.30. RUFFIE, Jacques. De la biologie à la culture. Paris : Flammarion, 2003. Consulté au domicile, p.45. Sa Sainteté le Dalaï Lama. L’art de la compassion. Paris : Livre de poche, 2007. Consulté au domicile, p.21. SCHMITT, Eric-Emmanuel. Concerto à la mémoire d’un ange. Paris : Livre de Poche, 2008. Consulté le 03 mai 2014 au domicile, pp.111, 124, 200, 201, 203. SCHMITT, Eric-Emmanuel. Oscar et le dame rose. Paris : Albin Michel, 2002. Consulté en février 2013 au domicile, p.91. SVANDRA, Philippe. Comment développer la démarche éthique en unité de soins. Paris : Estem, 2005. Consulté le 26 septembre 2013 au CDI de l’IFSI de Rueil-Malmaison, pp.09, 11, 18, 19. WOOLF, Virginia. Mrs Dalloway. Paris : Folio Classique, 2008. Consulté en mai 2014 au domicile, P.214.

Textes législatifs CIRCULAIRE N° DHOS/E1/DGS/SD1B/SD1C/SD4A/2006/90 du 2 mars 2006 relative aux droits des personnes hospitalisées et comportant une charte de la personne hospitalisée. Articles 1, 4 et 7.

Page 57: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

53

ESPACE NATIONAL DE REFLEXION ETHIQUE SUR LA MALADIE D’ALZHEIMER.

Alzheimer : respect de l’autonomie. Commission éthique du CMPP (Centre mémoire de ressource et de recherche). Janvier 2011. Paris V. P.6 ORDRE NATIONAL DES INFIRMIERS. Consulté le 18 décembre 2013 au domicile.

Articles PONTINIAC (de), Albert. La relation avec celui qui meurt. La revue LAENNEC. Printemps 1984. P.18. Consulté à domicile le 24 mai 2014.

Webographie LAROUSSE. Dictionnaires de français. Consulté le 26 janvier 2014 à 23h45. Disponible à l’adresse : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/libert%C3%A9/46994 LAROUSSE. Dictionnaires de français. Consulté le 02 mai 2014 à 12h56. Disponible à l’adresse : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/loi/47700. LE SYNDICAT NATIONAL DES INFIRMIERS. Valeurs professionnelles. Consulté le 04 mai 2014 à 23h32. Disponible à l’adresse : www.syndicat-infirmier.com. LOI BERNARD KOUCHNER. Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Consulté le 26 mai 2014 à 23h42. Disponible à l’adresse : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000227015 ORDRE NATIONAL DES MEDECINS. Le serment d’Hippocrate. Consulté le 18 décembre 2013 à 11h50. Disponible à l’adresse : www.conseil-national.medecin.fr/le-serment-d-hippocrate-1311. ORTOLANG. Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales. Consulté le 18 décembre 2013 à 10h45. Disponible à l’adresse : http://www.cnrtl.fr. THIERRY DESBONNETS. La cadrature de la déontologie. Consulté le 08 mai 2014 à 13h37. Disponible à l’adresse : http://www.cadredesante.com/spip/IMG/pdf/cadrature_de_la_deontologie.pdf.

Podcast Science + culture. « Colloque de l’Unesco de 1995 à Tokyo », 1h avec Michel Random. Paris VII, le 31/10/2011. Paris : Organisation des Nations Unies pour l’Education de la Science et

la Culture (Unesco) et Ilke Angela Marechal, 2011. Ecouté le 02 février 2014.

Page 58: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

54

Annexes

Page 59: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

55

Annexe I :

Réflexion personnelle sur la notion de “Bioéthique”

Ce travail de réflexion nous a paru indispensable d’être réalisé car il

devait beaucoup apporter à ce travail de fin d’études d’une part, mais également à l’intégralité

de cette formation en soins infirmiers, afin de nous permettre de faire évoluer toujours

davantage ce questionnement, et prendre en considération toute la Noblesse de cette

formidable part humaine, lorsque l’on exerce la profession infirmière. De plus, il nous a

permis d’étoffer ces connaissances et ces apports sur le sujet et de tarir cette curiosité toujours

plus aiguisée et proliférante qui n’a de cesse de croître, sitôt que l’on s’intéresse à ce concept

aussi passionnant que sibyllin : l’Homme, dans toute sa splendeur. Mais surtout, il nous aura

permis de nous saisir des bases holistiques de l’éthique et d’appréhender l’importance

considérable, voire incontournable qu’elle prend dans notre métier infirmier tourné vers les

autres, et, osons l’affirmer et l’espérer secrètement pour chacun, doué d’une qualité

indiscutable d’altruisme.

La Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’Homme de l’UNESCO

de 2005 débute ainsi : « [ladite déclaration] est consciente de la capacité propre aux êtres

humains de réfléchir à leur existence et à leur environnement, de ressentir l’injustice, d’éviter

le danger, d’assumer des responsabilités, de rechercher la coopération et de faire montre

d’un sens moral qui donne expression à des principes éthiques »49.

Ainsi, les avancées scientifiques et technologiques et l’évolution des techniques

médicales et investigatrices chaque jour plus pointues, précises et invasives (intrusives ?) de

ces dernières années nous permettent dorénavant de pousser toujours un peu plus les

découvertes et la recherche biologiques et médicales et, par voie de fait, la curiosité humaine

et naturelle quant à la connaissance détaillée et pointilleuse du corps humain, et de son

fonctionnement. Les rayons X, IRM et autres scanners par exemple, nous permettent

aujourd’hui de voir au-delà du visible, de ce qui est délimité, vraisemblable et saisissable

(raisonnable ?) ; bien plus loin que la “simple” barrière physique, que l’enveloppe corporelle

et charnelle de l’Homme qui dessine ses contours et délimite le volume, la place, le charme et

la beauté de chacun d’entre nous. Cette enveloppe qui nous permet de nous distinguer des

49

HIRSCH, Emmanuel. Traité de bioéthique : I- Fondements, principes, repères, sous la direction d’Emmanuel Hirsch. Toulouse : Erès, 2010. Consulté le 07 février 2014 au domicile, p.29.

Page 60: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

56

autres, d’être “Soi” à part entière, comme une « entité unique et bien distincte du reste de

l’humanité », dira Walter Hesbeen. Cette possibilité dorénavant immuable mais fort

heureusement endiguée de voir au-delà du visible, nous rendant de facto presque “invisibles”,

tels un rien, un vide, un néant… Une capacité à présent bien réelle de « transformer l’homme

au-delà de sa condition humaine, s’engageant dès lors en territoires à la fois fascinants et

terrifiants »50, écrira Emmanuel Hirsch, en introduction du Traité de bioéthique : I-

Fondements, principes, repères dont il aura la direction, co-écrit par plusieurs professionnels

de santé.

Et pourtant, loin d’être des interrogations modernes, la Convention d’Oviedo

(Asturies, Espagne) pour le Conseil de l’Europe précisait déjà le 04 avril 1997 que « L’intérêt

et le bien de l’être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt de la société ou de la science

»51. Comme une volonté internationale acharnée de poser les fondations d’une bioéthique qui

soit la plus eudémonique et hédoniste possible, fidèle au respect du genre humain et

nonobstant les frontières. A l’image, peut-être, d’un immense cordage qui rassemblerait les

peuples unis tel un seul homme et égaux face au respect de leur dignité, mais aussi liant et

mélangeant leurs cultures et leurs différences. Car, « C’est qu’au fond, il n’existe qu’une seule

race, l’Humanité »52, a écrit Victor Hugo.

Des avancées considérables qui auraient donc pu donner naissance à un quelconque

vice de manipulation ou de supériorité de certains détenteurs de la connaissance, et donc à des

malfaçons, des tares, des usages impropres, inconsidérés et dévoyés de ces deux biologie et

médecine, qui auraient laissé dans l’histoire un arrière-goût amer, encensé de remords et/ou de

regrets. Et de penser que cette évolution technologique, couplée à celle des mœurs et des

valeurs, aurait pu conduire à des impondérables, à des débordements portant atteinte au

respect empirique de la race humaine. Jean Leonetti écrira dans un article extrait du Traité

précédemment nommé, « Dans le domaine de la médecine, tout ce qui est techniquement

possible n’est pas [toujours] humainement souhaitable. »53

Ces débordements qui auraient pu mettre à mal en un instant seulement, les fondations

mêmes des principes et des règles à la base de nos convenances et exigences sociales,

philosophiques et/ou biologiques et au-devant desquelles celles infirmières ; de surcroît si les

50

Ibidem note 42, p.30. 51

Ibidem note 42, p.31. 52

HUGO, Victor. L’Homme qui rit. Paris : Le Livre de Poche Intégrale, 2006. Consulté au domicile, p.396. 53

LEONETTI, Jean. Traité de bioéthique : I- Fondements, principes, repères, sous la direction d’Emmanuel Hirsch. Toulouse : Erès, 2010. Consulté le 07 février 2014 au domicile, p.19.

Page 61: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

57

pratiques qui en découlent n’avaient été encadrées et accompagnées d’un certain nombre de

lois, jugées par les élus et représentants du peuple, et par la nation toute entière aussi

inévitables qu’indispensables.

Lesdites lois de “bioéthique” plus modernes, pouvant faire écho aux Code et Procès de

Nuremberg et ses 10 principes (et notamment celui de l’absolue nécessité du consentement

volontaire du sujet humain qui se prête à l’expérience, renforçant la condition “Liberté” louée

en introduction) qui jugeaient et condamnaient en 1947 un colloque de 16 médecins

allemands Nazis, pour s’être adonnés à des expériences médicales illicites dans des conditions

atroces, toutes plus inhumaines les unes que les autres, philosophiquement inconvenantes,

éthiquement inconcevables, et pour l’histoire future, tout simplement inimaginables. Pour

autant, n’étant nullement le point de départ de la réflexion éthique et juridique sur le sujet des

expériences sur personne humaine vivante, il n’en reste pas moins que ce Code récapitule des

principes reconnus et acceptés très antérieurement. Code repris, étoffé et officialisé quelques

années plus tard (1964) par la déclaration d’Helsinki ; comme un ardent désir de graver dans

les mémoires toute l’horreur et toute la folie paroxystique qui peuvent conduire les Hommes

aux pires cruautés, au simple nom d’une idéologie des plus ubuesques.

« Celui qui ne connait pas l’histoire est condamné à la revivre ! »54, écrivait Karl

Marx au XIXème siècle, dans son Manifeste du parti communiste. Gageons que cette

abomination dont l’histoire du monde ne peut se targuer d’être fière, soit tarie à jamais.

54

MARX, K. ; ENGELS, F.. Manifeste du parti communiste. Paris : GF Flammarion, 2001. Consulté en 2005 au domicile, p. 79.

Page 62: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

58

BECKER Benjamin A Colombes, ce 27 juin 2014

66, rue Colbert

3ème

étage G.

92700 Colombes

06-26-93-85-27

[email protected]

Objet : Demande d’autorisation de mener une enquête au sein d’un service

hospitalier – Travail de fin d’études en soins infirmiers.

Madame La Directrice des Soins Infirmiers,

Actuellement étudiant en soins infirmiers (semestre 5), je réalise mon mémoire de fin d’études sur le Droit du Patient que j’ai orienté autour de 4 concepts principaux : l’éthique, la

législation, la déontologie et l’autonomie des patients. Et afin de corroborer les informations et éléments fournis par mes lectures et répondre à la question de recherche suivante que j’ai arrêtée : « Dans une conjoncture de perte fût-elle

partielle de leurs capacités intellectuelles et/ou cognitives, notre “prendre soin” infirmier

est-il témoin d’une corrélation entre une perte d’autonomie des patients et celle de leurs droits ? », il me serait extrêmement utile que vous m’accordiez l’autorisation d’interroger

deux infirmières diplômées d’état, que je vous laisse le bon soin de choisir en regard du sujet traité. La seule prérogative pour laquelle je vous demanderai obligeance et l’extrême amabilité de tenir compte sera de maintenir secret le sujet des sus-enquêtes que je souhaiterais mener, ce qui permettra d’éviter la mise en place de biais dans mon étude, ou un quelconque dévoiement du sujet. Dans l’attente de cette autorisation, je vous remercie Madame pour toute l’attention que vous

porterez à ma requête, pour votre concours ainsi que pour ladite potentielle citée.

Veuillez agréer, Madame, l’expression de mes salutations distinguées,

Monsieur BECKER Benjamin

Page 63: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

59

Guide d’entretien TFE :

1) Pouvez-vous me définir l’éthique infirmière ? Qu’y mettez-vous ? …………………………………………………………………………………………………

…………………………………………………………………………………………………

…………………………………………………………………...……………………………. 2) Comment peut-elle s’exprimer au sein de votre service et de votre spécialité ? …………………………………………………………………………………………………

…………………………………………………………………………………………………

……………………………………………………………………...…………………………. 3) Avez-vous déjà participé à une réunion, comité ou débat éthique ? …………………………………………………………………………………………………

…….…………………………………………………………………………………………… 4) Qu’est-ce pour vous un consensus éthique ? …………………………………………………………………………………………………

…………………………………………………………………………………………………

………………………………………………………………….……………………………... 5) Pensez-vous être suffisamment informé(e) sur le droit du patient ? Pourquoi ? Comment ? …………………………………………………………………………………………………

…………………………………………………………………………………………………

……………………………………………………………………………….………………... 6) Qu’est-ce pour vous l’autonomie du patient ? Comment se reflète-t-elle dans votre service compte-tenu de sa spécificité ? …………………………………………………………………………………………………

…………………………………………………………………………………………………

…………………………………………………………………………………………………

………..……………………………………………………………………………….……….

Page 64: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

60

7) Que pensez-vous mettre en œuvre pour la respecter ? …………………………………………………………………………………………………

…………………………………………………………………………………………………

…………………………………………………………………………………………………

……………………………………………………………………………………….………... 8) Avez-vous déjà été confronté(e) à une prise en charge, une situation impliquant un patient qui vous a posé un problème éthique ? Quelle était-elle ? Pourquoi ce problème ? …………………………………………………………………………………………………

…………………………………………………………………………………………………

…………………………………………………………………………………………………

……………………………………………………………..…………………………………. 9) Dans une prise en charge qui vous pose un problème éthique, que privilégiez-vous dans vos actions infirmières : la prescription médicale ou votre questionnement personnel en regard ? Pourquoi ? ..………………………………………………………………………………………………….………………………………………………………………………………………………….............................................................................................................................................. 10) Croyez-vous possible cet équilibre entre la législation française en vigueur au sein de notre système de soin et l’éthique garante de nos prises en charge ? Comment ? …………………………………………………………………………………………………

…………………………………………………………………………………………………

….................................................................................................................................... Je vous remercie infiniment pour le temps et l’attention que vous m’avez accordés. Sachez

que l’analyse que je ferai de vos réponses vous sera accessible sur une simple demande écrite.

Benjamin BECKER

Page 65: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

61

Guide d’entretien TFE : A. de réanimation

1) Pouvez-vous me définir l’éthique infirmière ? Qu’y mettez-vous ? Je pense de l’éthique que c’est avant tout “faire en accord avec nos convictions”. C’est par exemple de ne pas maintenir en vie pour s’acharner ou de tenir compte aussi de l’avis de la famille dans nos décisions. L’éthique ne veut pas forcément dire d’accepter les idées et décisions des autres ; c’est une espèce d’équilibre qu’il faut trouver. 2) Comment peut-elle s’exprimer au sein de votre service et de votre spécialité ? En réanimation, lorsque l’on a le temps, on fait parfois des “réunions éthiques” pour réfléchir sur nos pratiques. Mais souvent, elles concernent la prise de décisions pour des patients qui, je pense, parfois sont arrêtées un peu rapidement. Enfin, je pense que le temps n’est pas toujours suffisant à nos réflexions personnelles. Cela n’empêche pas que l’on fasse du bon travail et que l’on soit bon soignant. Mais je pense malgré tout que l’on devrait tenir ce genre de réunions ou de rencontres plus souvent, pour nous et pour les patients. 3) Avez-vous déjà participé à une réunion, comité ou débat éthique ? Oui. On participe régulièrement à ce que l’on appelle des “Réunions de Concertation Pluridisciplinaire” lorsque l’on a des décisions importantes à prendre concernant des patients. On avait mis en place des réunions éthiques tous les jeudis avant, et puis ça a été retiré par manque de temps. Maintenant, on se penche vraiment sur le cas de patients dont les décisions à leur encontre nous posent de réels problèmes à nous ou aux médecins. J’essaye d’y être présente à chaque fois, parce que je les trouve très intéressantes et que l’on en apprend toujours plus sur la pathologie du patient et sa situation familiale. C’est utile dans notre prise en charge. 4) Qu’est-ce pour vous un consensus éthique ? Je dirais un avis partagé, une décision qui paraisse la mieux adaptée à la situation étudiée. Un mélange quelque part de toutes les solutions proposées… Non ? 5) Pensez-vous être suffisamment informé(e) sur le droit du patient ? Pourquoi ? Comment ? Ce serait difficile de passer à côté, vu que des Chartes sont affichées à peu près partout dans l’hôpital (rires). En plus, on les étudie à l’école et avec internet maintenant, y a intérêt de rester informé(e) sur le sujet car les familles et les patients en savent encore plus que nous. Je n’ai pas envie de manger des oranges jusqu’à la retraite (rires). Non, mais c’est important d’y jeter un coup d’œil de temps en temps pour ne pas se mettre en difficulté face à la loi et ne pas outrager un Droit quelconque du patient. C’est aussi une question de respect et de sauvegarde de cette confiance que les patients mettent en nous ! Enfin, je pense…

Page 66: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

62

6) Qu’est-ce pour vous l’autonomie du patient ? Comment se reflète-t-elle dans votre service compte-tenu de sa spécificité ? En réanimation, il existe deux types d’autonomie. Je veux dire que l’on emploie ce mot-là dans deux situations différentes. Par exemple, on considère qu’un patient est susceptible de redevenir autonome à partir du moment où on l’extube, ce qui lui permet de retrouver ainsi une autonomie respiratoire. Mais il y a aussi cette autonomie face aux soins, et la stimulation du patient à retrouver les fonctions vitales de Virginia Henderson. Et là, je pense que c’est avant tout laisser le patient faire le maximum de choses, le laisser décider de ce qu’il préfère et répondre à ses demandes. Surtout, c’est le stimuler à retrouver ses habitudes de vie et ses capacités à se débrouiller seul pour qu’il puisse très vite quitter le service [de réanimation] car les durées de séjour sont incroyablement élevées en termes de coût. Relance : En somme, vous essayez de me dire que plus le patient est en capacité de se débrouiller, plus il est autonome ? Oui, c’est un peu ça l’idée. Disons que son évaluation est indispensable pour juger de la poursuite de son hospitalisation en réanimation. 7) Que pensez-vous mettre en œuvre pour la respecter ? Le mieux pour ne pas commettre de bourde, c’est de se référer à la législation en vigueur. Ainsi, nous on sait qu’un patient qui a toutes ses capacités doit décider de ce qu’on lui fait. Et par exemple, il nous arrive de ne pas administrer de traitement lorsque l’on essuie un refus d’untel ou d’untel. Chose que l’on ne faisait pas forcément 10 ans en arrière lorsque j’ai débuté. On précise les risques en cas de refus, on tente de négocier, on pèse la balance bénéfice-risque. Mais jamais on ne s’acharne. C’est une philosophie de service. 8) Avez-vous déjà été confronté(e) à une prise en soin, une situation impliquant un patient qui vous a posé un problème éthique ? Quelle était-elle ? Pourquoi ce problème ? Pour moi, le plus gros problème éthique de tous les temps en réa, c’est le manque de respect concernant la pudeur des patients. Comme si, sous le prétexte que les patients soient comateux ou aréactifs, on juge que de voir “leurs fesses” est moins indécent que s’ils pouvaient s’en plaindre. Je me bats contre ça depuis toujours. Tu comprendras ce que je veux dire si tu passes en stage un jour en réa… 9) Dans une prise en soin qui vous pose un problème éthique, que privilégiez-vous dans vos actions infirmières : la prescription médicale ou votre questionnement personnel en regard ? Pourquoi ? Les deux mon Capitaine (rires). Non, mais sérieusement, des fois on tombe sur des prescriptions aberrantes qui n’ont aucun sens. Moi, je demande toujours dans ces cas-là aux

Page 67: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

63

médecins que l’on m’en explique l’intérêt, si intérêt il y a. Un jour, j’avais une prescription de 5mg de morphine pour un patient ayant un RASS* (Richmond Agitation Sedation Scale) à -2 ou en dessous. Mon patient était en RASS 1 et je lui ai quand même administré parce qu’il me paraissait très douloureux et inconfortable. Je me suis faite incendiée par le senior. Depuis, j’applique stricto sensu mes pres., même si parfois je crise parce qu’elles ne veulent rien dire. Après tout, « nous n’avons pas les connaissances des médecins » m’avait répondu le toubib de l’époque. 10) Croyez-vous possible cet équilibre entre la législation française en vigueur au sein de notre système de soin et l’éthique garante de nos prises en soin ? Comment ? Bien sûr, « Impossible n’est pas français » paraît-il… Mais je pense toutefois que cet équilibre, bien qu’il soit possible soit difficile à trouver. On le voit bien dans notre pratique aujourd’hui, la législation a pris une part extrêmement importante dans nos prises en charge. Et pas uniquement parce que l’on a peur du procès ou de mal faire. Et même si je crois qu’il n’y a pas d’éthique convenable sans droits, je crois que notre système de soin comme tu dis n’est pas adapté pour faire de l’éthique. Trop de pression, une charge de travail trop importante et plus assez de temps auprès des patients pour réellement parler d’une prise en charge efficace, en tout cas éthique.

Page 68: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

64

Guide d’entretien TFE : C. de réanimation 1) Pouvez-vous me définir l’éthique infirmière ? Qu’y mettez-vous ? Ha, ça n’est pas simple comme question Ca. Car, si je ramasse une canette vide de cola sur la route par exemple, c’est éco-citoyen mais c’est également éthique quelque part. Je pense que c’est avant tout respecter ses propres valeurs, en tout cas, ne pas aller à leur encontre. 2) Comment peut-elle s’exprimer au sein de votre service et de votre spécialité ? Moi, qu’importe le service dans lequel on travaille, j’ai toujours pensé que la base de l’éthique, c’est déjà d’avoir la capacité de se remettre en question en tant que professionnel de santé, et surtout accepter que l’on puisse avoir tort. En réa, lorsque l’on parle vraiment d’éthique, c’est lors de réunions précises qui ne sont pas forcément arrêtées à l’avance, mais que l’on décide d’organiser lorsque l’état d’un patient ou son devenir en tout cas pause problème. Enfin « On »… Ce sont les médecins à la demande des infirmiers… Je trouve que nous sommes [les infirmiers] bien plus impliqués dans ce domaine. Enfin ça, c’est mon point de vue. 3) Avez-vous déjà participé à une réunion, comité ou débat éthique ? Ben oui, ces réunions dont je vous parlais à l’instant. On appelle ça des Réunions de Concertation Pluridisciplinaire (RCP). Maintenant, l’éthique en réanimation n’est visiblement pas une priorité… 4) Qu’est-ce pour vous un consensus éthique ? Je dirais une espèce d’ « entente ». J’espère au moins qu’elle est cordiale… (rires). 5) Pensez-vous être suffisamment informé(e) sur le droit du patient ? Pourquoi ? Comment ? Oh que Oui ! J’irais même jusqu’à dire que l’on parle beaucoup plus de droit du patient que d’éthique en réanimation. Peut-être parce qu’on a le plus fort taux de procès par an. Vous cassez deux dents à un patient qui est en train de mourir pour l’intuber et il se retrouve avec deux « chicots » ; il porte plainte pour désagrément esthétique, et il gagne son procès. Il gagne 500 balles et il est heureux avec ça. C’est du grand n’importe quoi. Pour ça, la Cadre du service est géniale. Elle est à fond là-dedans et nous tient informés régulièrement des lois qui sortent et des décrets applicables à la réa. Du coup, on n’est pas trop complètement à côté la plaque je pense.

Page 69: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

65

6) Qu’est-ce pour vous l’autonomie du patient ? Comment se reflète-t-elle dans votre service compte-tenu de sa spécificité ? Heu, là encore, c’est compliqué comme question. Ben je pense que lorsque l’on est confronté à des patients dans le coma, parler d’autonomie est une tâche difficile. Les patients sont dépendants parfois à 300% de nous. Comment pouvons-nous dans ces conditions leur laisser une autonomie du quotidien ? Le patient qui se réveille et qui arrive à tenir de nouveau sa fourchette, pour nous c’est déjà une immense victoire sur son autonomie personnelle. Surtout après un AVC qui demande des efforts colossaux en termes de rééducation du patient. Le retour à cette autonomie, tout le monde doit y participer, en commençant par le patient. Dans ces cas-là, on la reporte sur les familles qui prennent le relais et soin de leur proche hospitalisé, et ce partage de compétences et d’autonomie finalement leur fournit un sentiment de renaissance, celui d’être vraiment utile et de servir à quelque chose. 7) Que pensez-vous mettre en œuvre pour la respecter ? On s’adapte à chaque instant. On essaye d’aller dans le sens du patient et de répondre à ses demandes. L’accompagnement est primordial en réanimation quand vous avez perdu tous vos repères, et parfois vos souvenirs dans un terrible accident. Il faut toujours garder à l’esprit que chaque patient avance à son rythme dans ce retour à l’autonomie. Par respect pour lui, on n’a pas le droit de bousculer les choses. Relance : Donc pour vous, l’Autonomie serait intimement liée au processus d’accompagnement, de guide pour le patient ? Oui, très certainement. Même si ça paraît paradoxal, je sais qu’une Autonomie perdue est difficile à retrouver seul. Et finalement, c’est là que notre vrai rôle intervient. 8) Avez-vous déjà été confronté(e) à une prise en soin, une situation impliquant un patient qui vous a posé un problème éthique ? Quelle était-elle ? Pourquoi ce problème ? Bien sûr. Et je mentirais en disant qu’elles se font rares. Tiens, ce matin encore, j’étais en pleine toilette d’un patient sédaté/intubé avec ma collègue. C’était pendant le tour des médecins et grands pontes de l’établissement. Ils sont tous rentrés dans le box, externes compris alors que le patient était totalement nu dans son lit ; et en laissant la porte ouverte bien sûr, ça ne les a pas dérangés ! On a essayé de couvrir le patient comme on a pu avec K., mais s’il s’était agi de mon père, j’aurais gueulé sec, je peux vous le dire… Mais dans ce genre de situation où l’éthique fait cruellement défaut, les médecins n’ont que peu d’oreille pour vous. Et c’est bien dommage ! Relance : Vous liez donc ces deux “pudeur” et “éthique” ensemble ? Ca ne me paraît pas totalement dénué de sens.

Page 70: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

66

9) Dans une prise en soin qui vous pose un problème éthique, que privilégiez-vous dans vos actions infirmières : la prescription médicale ou votre questionnement personnel en regard ? Pourquoi ? Au lit du patient, c’est toujours l’avis médical qui tranche, même si nos questionnements et observations nous paraissent pertinents. Parfois, plusieurs infirmiers sont d’accord avec une idée, que le médecin réfute complètement. Ça ne veut pas dire que les médecins ne respectent pas le travail des infirmiers et n’ont aucune considération pour nous… Au contraire même. Seulement, peut-être à cause de la différence d’années d’études et de connaissances, nos points de vue parfois leur importent peu. Alors face à un problème, il est permis d’avoir son propre questionnement bien sûr, mais de là à pouvoir l’exprimer… Heureusement que les RCP sont là pour tenir compte de l’avis de tous, ce qui nous permet de nous faire entendre. 10) Croyez-vous possible cet équilibre entre la législation française en vigueur au sein de notre système de soin et l’éthique garante de nos prises en soin ? Comment ? A chaque nouvelle RCP, les lois sont rappelées et affichées dans les salles de réunions et de concertations. Cela rappelle à chacun ce que l’on peut faire et ça montre aux nouveaux arrivants que le service se fait un devoir de respecter le Droit du patient en toutes circonstances. Je ne dis pas que l’équilibre y est parfait, mais quand même, on y travaille.

Page 71: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

67

Guide d’entretien TFE : S. de médecine gériatrique aiguë 1) Pouvez-vous me définir l’éthique infirmière ? Qu’y mettez-vous ? L’éthique, je pense en premier lieu que c’est faire le meilleur pour le patient. Enfin, du moins, c’est ce que m’a enseigné la formation que j’ai faite là-dessus. Mais dans la spécialité gériatrique, il y a des paramètres qui se surajoutent dont il faut tenir compte. Par exemple, les patients qui refusent les soins parce qu’ils sont déments ou confus. Je fais ou je ne fais pas ? C’est une interrogation du quotidien. Et puis il y a l’éthique en fin de Vie aussi avec la Loi Leonetti. On en parle beaucoup ici. Moi, je pense qu’une bonne éthique infirmière en gériatrie, c’est avant tout tenter de respecter les choix du patient même s’il est dément ; à la condition toutefois que ses décisions ne le mettent pas en danger. L’éthique est partout, sitôt que l’on accepte de baisser les yeux pour la trouver à ses pieds 2) Comment peut-elle s’exprimer au sein de votre service et de votre spécialité ? Ben exercer l’éthique, je pense que c’est garder à l’esprit à chaque seconde que les Personnes Agées sont dotées d’une histoire parfois chaotique, et que la perte de leurs repères ne doit pas les déposséder de ce droit au Respect. Pour Moi, c’est CA exercer l’éthique. On ne doit pas être privé de respect et de dignité sous le prétexte bon ou mauvais que l’on est « vieux ». Les Personnes Agées ont un tas de choses à vous enseigner, sitôt que vous prenez deux minutes pour vous assoir et écouter ce qu’elles ont à vous raconter. Tiens, ben c’est peut-être ça aussi l’éthique… Savoir écouter même certains silences qui parfois en disent long… 3) Avez-vous déjà participé à une réunion, comité ou débat éthique ? Oui, j’ai suivi une formation en éthique que je mets à jour régulièrement. On n’organise pas vraiment de réunion éthique au sein du service, mais parfois le comité éthique organise des rencontres qui nous permettent de nous maintenir informé(e)s ou de discuter de situations qui ont posé problème. 4) Qu’est-ce pour vous un consensus éthique ? C’est trouver un accord, une entente qui satisfasse tout le monde, mais qui privilégie surtout le patient ! Non ? 5) Pensez-vous être suffisamment informé(e) sur le droit du patient ? Pourquoi ? Comment ? Oui ! A tel point que l’on croirait presque que c’est devenu une priorité de soin, une obligation de service. A l’époque, on avait beaucoup moins de procès qu’aujourd’hui, et je ne suis pas certaine que l’on travaillait mieux… Bien au contraire même.

Page 72: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

68

6) Qu’est-ce pour vous l’autonomie du patient ? Comment se reflète-t-elle dans votre service compte-tenu de sa spécificité ? Nous, en médecine gériatrique, notre objectif, c’est de traiter la phase aiguë et que le patient retourne chez lui ou en SSR le plus rapidement possible. Alors, on met en place toutes les aides nécessaires avec les kinés, les ergos… pour que les patients se rétablissent vite et bien. Sans précipiter les choses non plus, on évalue régulièrement leur capacité dans les actes du quotidien grâce à des échelles que l’on a construites exprès. Parce que quand on peut se débrouiller seul, on redevient libre quelque part. C’est ce que l’on souhaite pour nos patients. 7) Que pensez-vous mettre en œuvre pour la respecter ? C’est un peu ce que je viens de vous expliquer. L’autonomie de la personne âgée, c’est une obligation que l’on doit préserver pour qu’une fois hospitalisée, elle ne se “grabatairise” pas trop rapidement, et qu’elle conserve l’espoir un jour de rentrer chez elle. 8) Avez-vous déjà été confronté(e) à une prise en soin, une situation impliquant un patient qui vous a posé un problème éthique ? Quelle était-elle ? Pourquoi ce problème ? Bien sûr ! On en rencontre tous les jours. Et l’infirmière qui vous dira le contraire est une menteuse (rires). Mais la maturité et l’expérience vous aident à les reconnaître et à agir avec conscience et valeurs. Ce qui ne veut pas dire que les jeunes diplômé(e)s n’en ont pas… (rires). 9) Dans une prise en soin qui vous pose un problème éthique, que privilégiez-vous dans vos actions infirmières : la prescription médicale ou votre questionnement personnel en regard ? Pourquoi ? Ben par exemple, parfois, certaines prescriptions médicales sont dingues. On nous demande de “bilanter” des personnes âgées en fin de vie et reconnues comme tel, alors qu’il faut pleurer pour voir prescrit de la morphine et des réhydratations. Face à certains médecins, vous avez beau vous poser toutes les questions du monde, s’ils ont décidé de ne pas vous écouter, c’est peine perdue dès le départ. 10) Croyez-vous possible cet équilibre entre la législation française en vigueur au sein de notre système de soin et l’éthique garante de nos prises en charge ? Comment ? Elle [la législation] nous permet de maintenir notre quotidien dans le droit chemin et de ne pas tomber dans des débordements qui seraient contraires aux normes de la société. Alors c’est vrai qu’elles nous font bien râler ces règles à respecter. Mais si elles n’existaient pas, ce serait un joli capharnaüm… Mais c’est très français de râler pour çi ou ça… Donc, râlons !, ça fait gagner des années de vie paraît-il… (rires).

Page 73: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

69

Guide d’entretien TFE : A.-C. de médecine gériatrique aiguë

1) Pouvez-vous me définir l’éthique infirmière ? Qu’y mettez-vous ? Depuis que je travaille ici, et c’est mon premier poste, je pense que l’éthique, c’est considérer la personne âgée comme n’importe quel autre patient d’abord. On est tous pareil, et moi, j’aimerais bien avoir la même considération quand je serai âgée. Nous sommes tous des Êtres-Humains… Il faut s’en rappeler. 2) Comment peut-elle s’exprimer au sein de votre service et de votre spécialité ? Ben en faisant en sorte par exemple de respecter les choix des patients, même s’ils sont déments. C’est aux soignants de s’adapter à eux, et non l’inverse. Parfois, cette adaptation est rendue difficile par l’aspect aigu, la crise de la pathologie du patient. C’est alors à nous [soignants] de créer ou de trouver de nouveaux outils pour les comprendre. 3) Avez-vous déjà participé à une réunion, comité ou débat éthique ? Moi, non ! Je n’ai jamais assisté à un groupe ou réunion ayant un lien avec un quelconque sujet éthique. Mais, j’essaye de moi-même de mettre de l’éthique dans tout ce que je dis ou fais. 4) Qu’est-ce pour vous un consensus éthique ? Ben toujours faire le meilleur pour le patient. Etre la plus humaine possible. Enfin, je crois. 5) Pensez-vous être suffisamment informé(e) sur le droit du patient ? Pourquoi ? Comment ? Oui, je crois. Enfin suffisamment pour travailler correctement. J’espère (rires). 6) Qu’est-ce pour vous l’autonomie du patient ? Comment se reflète-t-elle dans votre service compte-tenu de sa spécificité ? Pour moi, l’Autonomie serait de laisser le patient faire le maximum de choses pendant la toilette ou pour manger par exemple, et travailler avec lui à préserver cette autonomie. Donner les outils, mais ne pas faire à la place ! On le rabâche dans ce service, mais je crois vraiment que c’est primordial.

Page 74: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

70

7) Que pensez-vous mettre en œuvre pour la respecter ? J’écoute beaucoup mes patients, et j’essaye tous les matins d’évaluer rapidement ce qu’ils sont capables de faire. Les AS (aides-soignantes)* sont très fortes pour cela. Parfois, elles connaissent les patients encore mieux que nous. Quand les patients refusent certains soins comme la toilette par exemple, on essaye de négocier. Enfin, d’apporter des arguments valables pour le patient. Mais on ne force jamais. C’est un état d’esprit ici. Et je suis sincèrement heureuse de le partager. Relance : Et s’il refuse des soins ou thérapeutiques indispensables à sa survie,

qu’entreprenez-vous ? Dans ce cas, on en discute en équipe, avec la personne de confiance et quelqu’un de sa famille. Si le patient est lucide et cohérent, on essaye de trouver des parades, des solutions avec lui. Et là, je peux vous dire que la patience est de mise. Relance : Donc finalement, vous y participez bien à ces réunions éthiques… ? Oui, je n’avais pas vu ça comme ça finalement ! J’entendais par réunion des moments prévus pour cela, je veux dire prévus à l’avance et à laquelle il fallait s’inscrire. Comme n’importe quelle formation finalement proposée par l’hôpital. 8) Avez-vous déjà été confronté(e) à une prise en soin, une situation impliquant un patient qui vous a posé un problème éthique ? Quelle était-elle ? Pourquoi ce problème ? Ben, encore tout récemment, nous avions une patiente qui refusait tous ses bilans et traitements, et pour laquelle, compte-tenu de son état de santé général, nous savions pertinemment qu’elle ne rentrerait jamais à son domicile, bien qu’elle le réclamait tous les jours. Et pour qu’elle accepte sa prise de sang du jour, j’ai fait croire à la patiente qu’elle lui permettrait de rentrer chez elle plus rapidement. Sur le moment, je me suis sentie obligée de lui mentir pour qu’elle accepte mon soin. Aujourd’hui, je regrette vraiment ce que j’ai fait car ça n’était pas déontologique du tout. Je sais que je lui ai menti, et je m’en veux terriblement ! Ce n’était pas du tout éthique. 9) Dans une prise en soin qui vous pose un problème éthique, que privilégiez-vous dans vos actions infirmières : la prescription médicale ou votre questionnement personnel en regard ? Pourquoi ? J’essaye toujours de me poser les bonnes questions, de me servir de ce que j’ai appris à l’école. J’essaye de ne pas appliquer bêtement les prescriptions des médecins quoi. Mais avec ceux du service, il y a intérêt d’avoir des arguments en béton.

Page 75: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

71

10) Croyez-vous possible cet équilibre entre la législation française en vigueur au sein de notre système de soin et l’éthique garante de nos prises en soin ? Comment ? Je pense qu’il y a encore du travail car elle est trop contraignante. Moi, j’en ai peur dans ma pratique et même si j’essaye de me persuader du contraire, parfois, j’ai l’impression de faire mon maximum dans l’évitement d’erreur par peur des représailles ; à commencer par les conséquences pour le patient. Et je sais qu’il s’agit là d’un travail que je dois faire sur moi-même.

Page 76: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

72

Guide d’entretien TFE : L. de psychiatrie

1) Pouvez-vous me définir l’éthique infirmière ? Qu’y mettez-vous ?

Pour moi, c’est rester bien droit dans ses bottes tu vois ? C’est assumer les choix que l’on fait au quotidien, et chercher à ce qu’ils aillent toujours dans le sens du patient. Pas uniquement celui du soignant.

2) Comment peut-elle s’exprimer au sein de votre service et de votre spécialité ?

Nous, on dira d’une prise en charge dans notre fondation qu’elle est éthique lorsqu’elle arrive à conduire le gamin sur un vrai projet de Vie, à lui donner un avenir et un semblant d’espoir pour sa vie sociale future. Relance : Vous voulez dire ici qu’un avenir un peu moins sûr ou moins lumineux pour un adolescent Lambda serait le résultat d’une prise en charge infirmière manquée ? On essaye toujours d’être les mieux possibles pour les enfants, d’être les plus justes et de leur offrir les soins les plus appropriés. Pourtant parfois, parce que l’on a moins de temps, ou bien parce qu’on y accorde moins de temps consciemment, les projets sont moins construits, moins ancrés pour certains. Et je mentirais en disant que nos prises en charge sont égalitaires pour tous, car parfois pour certains gosses, on baisse les bras.

3) Avez-vous déjà participé à une réunion, comité ou débat éthique ? Pfff ! Des réunions éthiques, on en fait tous les jours. Maintenant, jamais l’une d’entre elle n’a redéfini clairement ce qu’était réellement l’éthique. Le côté pratique, c’est que finalement, on peut y mettre un peu ce que l’on veut. Et puis, il y a une grande différence entre parler d’éthique et la pratiquer. Il faut juste en avoir conscience tu vois ? 4) Qu’est-ce pour vous un consensus éthique ? Un joyeux bordel ou personne n’a raison (rires). En même temps, si personne n’a tort, ça me va aussi (rires). 5) Pensez-vous être suffisamment informé(e) sur le droit du patient ? Pourquoi ? Comment ? Oh que oui l’ami. Il suffit de lire le règlement intérieur de la Fondation pour comprendre que des Droits accordés aux enfants, il y en a une liste longue jusqu’à demain. Nous, nos protocoles sur le sujet, ils sont régulièrement remis à jour par Monsieur T.. C’est un

Page 77: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

73

juriste de formation, et il est très utile surtout en cas de désaccord survenant entre un enfant et ses parents. Car, il est faux de croire que les parents décident de tout pour leur gosse et que les gamins ne peuvent pas prendre de décision(s) pour eux-mêmes. Ils ont ce droit-là par exemple. Des fois, on est un peu perdu alors il nous éclaire. 6) Qu’est-ce pour vous l’autonomie du patient ? Comment se reflète-t-elle dans votre service compte-tenu de sa spécificité ? Oulah ! Elle n’est pas évidente ta question. Ben, disons qu’en fonction des ados, on leur laisse des heures libres où ils ont l’autorisation de sortir seuls de la Fondation. Si les règles notamment d’horaire retour ne sont pas respectées, alors ces temps durant lesquels ils sont seuls sont de moins en moins longs ou finissent tout simplement par être supprimés. Mais si pour Toi être autonome équivaut à être indépendant, ben à l’intérieur de la Fondation, à cause de l’interaction les uns avec les autres, cette autonomie n’est pas vraiment envisageable. Sinon, plus d’une fois ça finirait en pugila. On n’est pas là non plus pour jouer les gardes-chiourmes, mais plutôt pour tenter d’élever ces enfants avec pédagogie. C’est notre rôle premier à la Fondation. 7) Que pensez-vous mettre en œuvre pour la respecter ? On les laisse se cogner dessus, ça défoule (rires). Non, sans blague, on essaye vraiment chaque jour d’accorder la plus grande confiance au patient les moins dangereux pour eux-mêmes ou les autres. Dans le service, en dehors des temps calmes et des repas thérapeutiques que l’on essaye de rendre obligatoires, chacun fait bien ce qu’il veut. Mais il y a des règles thérapeutiques à respecter. On essaye de jongler entre l’autonomie et la gestion. Ce n’est pas toujours simple avec les gamins. 8) Avez-vous déjà été confronté(e) à une prise en soin, une situation impliquant un patient qui vous a posé un problème éthique ? Quelle était-elle ? Pourquoi ce problème ? 25 ans que je suis infirmière en psy mon petit bonhomme, bien sûr que j’en ai rencontrées. Mais j’ai toujours eu cette qualité qui manque à certaine de pouvoir me poser à réfléchir, et non pas foncer tête baissée. Les jeunes de cette nouvelle génération vont trop vite tu vois, ils courent sans cesse. Je ne parle pas pour Toi hein ? Mais écoute la vieille diplômée qui te dit que parfois, écouter et s’arrêter pour réfléchir un peu n’est pas forcément du temps perdu. Tiens, il faudrait aller le raconter aux médecins ça aussi (rires). 9) Dans une prise en soin qui vous pose un problème éthique, que privilégiez-vous dans vos actions infirmières : la prescription médicale ou votre questionnement personnel en regard ? Pourquoi ? Je n’ai jamais remis en question une prescription médicale parce que j’ai toujours pensé que si les psychiatres avaient 12 ans d’études, c’était pour une bonne raison. Maintenant,

Page 78: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

74

je n’ai jamais exécuté parce qu’il fallait exécuter. J’ai toujours été curieuse de tout, et encore aujourd’hui à 58 ans, je n’ai pas honte d’aller voir le médecin pour me faire expliquer certaines choses, et même des étudiants, c’est te dire. Je n’ai honte de pas grand-chose pour être honnête (rires). 10) Croyez-vous possible cet équilibre entre la législation française en vigueur au sein de notre système de soin et l’éthique garante de nos prises en soin ? Comment ? De toute façon, les deux s’emboitent. Maintenant, je pense quand même qu’il y a trop de règlements dans ce pays, tu vois ? Enfin, en général quoi, pas qu’à l’hôpital, mais tu as compris ce que je voulais dire. Et puis, si tu y réfléchis bien, si tu es bon soignant, l’éthique, tu y penses et la pratiques au quotidien. Il ne devrait même pas y avoir de règles pour te dicter ce que tu dois faire.

Page 79: L’Autonomie des patients réduite, synonyme d’une Liberté ... · 3 MANDELA, Nelson. Un long chemin vers la libert ... pouvoir de l’un sur l’autre. On l’a vu, la Liberté

75

Dans une conjoncture de perte fût-elle partielle de leurs capacités intellectuelles et/ou

cognitives, notre « prendre soin » infirmier est-il témoin d’une corrélation entre une

perte d’autonomie des patients et celle de leurs droits ?

In an economic situation when patients lose their intellectual or cognitive capacities

even partially, would there be a correlation between the patients' loss of autonomy and

their rights when bringing them nursing healthcare ?

Résumé : La Liberté ! Ces Droit suprême et Condition humaine irrévocable auxquels chacun peut et doit prétendre. Elle se positionne comme un état de fait, comme une base incontournable à l'éthique soignante, et permet à chaque instant la naissance d'abord, puis le maintien de professionnels de Santé probes et investis par cet art de soigner. Ainsi, son respect qui nécessite pourtant l'existence de lois et de règles se verra garante d'une prise en soin qui fera alors du patient non plus un simple objet de soin, mais surtout un formidable compagnon du quotidien infirmier ; tel la plus belle des parures. Un travail de fin d'études qui a tenté d'allier la beauté du soin et ses auréoles décrites par la littérature moderne aux réalités du terrain parfois tout autres, et qui révèlent indubitablement des qualités humaines insoupçonnées et considérables chez mes collègues infirmières. Lesdites nommées traduisant au sein de nos services de soin la fierté quasi paroxystique qui prévaut à l'exercice de cette profession. Un métier que l'on a certes choisi, mais qui passera chaque jour par le développement et la revendication d'une “humanitude” certaine. Et au bout du chemin, celle-ci permettra de respecter, voire d'aimer cet Autre, grâce à ces millions de façons par lesquelles cet Autre, cet Inconnu puisse être aimé. Mots clés : Ethique – Déontologie – Législation – Autonomie – Respect – Valeurs Abstract : Freedom ! These supreme Right and irrevocable human Condition which each of us can be and is entitled to. It establishes itself as a state of affairs, as an essential basis for healthcare ethics, and allows in the first place the birth at any time, and then the maintaining of health professionals who are honest and invested in this art of healing. Thus, their respect which nevertheless requires the existence of laws and rules will ensure a nursing care which will then no longer make the patient a mere object of care, but above all an incredible companion of the everyday life nursing ; which is the best of finery. An end of studies dissertation which has attempted to combine the beauty of care with its halos described in Modern literature to the realities on the ground which can sometimes be altogether different, and which has undoubtedly revealed unsuspected and considerable human qualities from my nursing colleagues. The aforesaid ones express within our care services the almost paroxysmal pride which prevails in the performance of this profession. A job that has of course been chosen, but which will be performed day after day through the development and the claim for a true “humanitude”. And at the end of the path, this will make it possible to respect, perhaps love this Other, thanks to these millions of ways through which this Other, this Unknown can be loved. Key words : Ethical – Professional conduct – Legislation – Autonomy/Independance – Respect – Valors