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005 INTRODUCTION M ARTIN LUTHER KING DISAIT aux gens : “Je fais un rêve”. C’est la même chose pour nous. Nous voulons juste porter nos rêves dans la réalité. » Dans ces propos d’Aung San Suu Kyi, se retrouvent l’ensemble des « sages » rassemblés dans cet ouvrage. De Nelson Mandela à Stéphane Hessel, en passant par Wangari Mathai, Joan Baez, Václav Havel, Barack Obama, Raoni et Muhammad Yunus, leurs rêves portent une même devise : Liberté et Justice. La liberté affirmée par les rédacteurs de la Déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique de 1776 – premier manifeste de décolonisation, comme un droit inaliénable des hommes « créés tous égaux ». La liberté promise à tous par Abraham Lincoln, cent ans avant le discours de Martin Luther King, dans la Proclamation d’émancipation abolissant l’esclavage. La liberté indissociable de la justice et du respect des droits de l’homme – les mêmes pour tous. Sous la bannière Liberté et Justice, toutes ces femmes et tous ces hommes, « éclaireurs d’avenir » se sont efforcés « Nous nous trouvons bien souvent dans l’obligation de reconnaître que nos rêves ne se réalisent pas. Mais il est bon que ce désir nous habite. Il est bon d’essayer ! » Martin Luther King, « Rêves irréalisés », in Minuit, quelqu’un frappe à la porte , 1968 Bonil, Équateur «

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InTroDuCTIon

M ARTIN LuTHER KING DISAIT aux gens : “Je fais un rêve”. C’est la même chose pour nous. Nous

voulons juste porter nos rêves dans la réalité. » Dans ces propos d’Aung San Suu Kyi, se retrouvent l’ensemble des « sages » rassemblés dans cet ouvrage. De Nelson Mandela à Stéphane Hessel, en passant par Wangari Mathai, Joan Baez, Václav Havel, Barack Obama, Raoni et Muhammad Yunus, leurs rêves portent une même devise : Liberté et Justice.

La liberté affirmée par les rédacteurs de la Déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique de 1776 – premier manifeste de décolonisation, comme un droit inaliénable des hommes « créés tous égaux ». La liberté promise à tous par Abraham Lincoln, cent ans avant le discours de Martin Luther King, dans la Proclamation d’émancipation abolissant l’esclavage. La liberté indissociable de la justice et du respect des droits de l’homme – les mêmes pour tous.

Sous la bannière Liberté et Justice, toutes ces femmes et tous ces hommes, « éclaireurs d’avenir » se sont efforcés

« nous nous trouvons bien souvent dans l’obligation de reconnaî tre que nos rêves ne se réalisent pas.

mais il est bon que ce désir nous habite. Il est bon d’essayer ! »martin Luther K ing , « rêves irréalisés », in minuit , quelqu’un frappe à la por te, 1968

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– avec des exigences et des moyens variés, et dans des contextes propres à leur temps et leur société – de les incarner, de les transmettre, de leur donner forme concrète.

De la Désobéissance

Le premier combat de Martin Luther King, comme celui de Nelson Mandela en Afrique du Sud, concerne la ségrégation raciale. Il débute avec le refus d’une femme noire de céder sa place à un blanc dans un bus de Montgomery, en 1955. Le boycott des autobus de la ville aboutit à une décision de la Cour Suprême des États-unis déclarant anticonstitutionnelles les lois de ségrégation raciale dans les bus en Alabama. D’autres actions de refus mobilisent des dizaines de milliers de protestataires non-violents à travers tous les États-unis, qui font reculer la ségrégation.

Ce sont des actes de désobéissance civile – héritée de la position de Thoreau1 et d’Emerson au xixe siècle, que Martin Luther King exprime ainsi : « Chacun a la responsabilité morale de désobéir aux lois injustes ». La désobéissance civile est une forme d’action politique constitutive de la démocratie2. « Les enseignements de

1. Henry David Thoreau, La Désobéissance civile , 1849.

2 . albert ogien et sandra Laugier, Pourquoi désobéir en démocratie ?, 2011, p. 199. Kap,

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Thoreau ont revécu dans notre mouvement des droits civiques ; en fait ils sont plus vivants que jamais. Qu’ils soient exprimés par un sit-in dans un restaurant, un bus de la liberté dans le Mississippi, une manifestation pacifique à Albany (Georgie) un boycott des bus à Montgomery (Alabama), tous ceux-ci sont la récolte de l’insistance de Thoreau que l’on doit résister au mal et qu’aucun homme moral ne peut patiemment se conformer à l’injustice. »

Le refus populaire de ce qu’exigent lois et gouvernements s’impose dès lors que les contraintes et le sentiment d’injustice parviennent au niveau de l’insupportable, comme face aux dictatures d’Europe de l’Est (Václav Havel) ou d’Asie du Sud-est (Aung San Suu Kyi). Aux États-unis, Joan Baez refuse de payer la part de ses impôts qui doivent aller à la guerre du Vietnam. En France, Stéphane Hessel, en chantre de l’insurrection pacifique, légitime, en certains cas où les principes démocratiques fondamentaux se trouvent bafoués, la désobéissance, dès lors qu’elle donne lieu à une action civique.

De la non-violence à l’insurrection pacifique

Ces actions de résistance, selon Martin Luther King, sont toujours non-violentes. Elles ont pour but non pas d’abattre un adversaire mais de le convaincre, dans un objectif de réconciliation. Mais quand Martin Luther King, dit « non-violence », Malcolm X (assassiné en

Plantu, France

1965) et les Black Panthers (formées en 1966) rétorquent « autodéfense ». Quand une charge de dynamite ravage l’église baptiste de la 16e rue de Birmingham, tuant quatre fillettes noires, certains décident que la non-violence a atteint ses limites.

De l’Amazonie à l’Afrique du Sud et à la Tchécoslovaquie, tous les acteurs du rêve de la liberté et de la justice n’écartent pas le recours à la révolte…

« Martin Luther King a lutté dans des conditions totalement différentes ; les États-unis étaient une démocratie, avec des garanties constitutionnelles et l’égalité des droits qui protégeaient les manifestations non violentes (même s’il y avait encore des préjugés contre les Noirs) ; l’Afrique du Sud était un État policier avec une constitution fondée sur l’inégalité et une armée qui répondait à la non-violence par la force3. »

…Mais toujours sans ressentiment. Martin Luther King, Nelson Mandela, Aung San Suu Kyi, ont en commun de n’éprouver ni haine ni rancune envers ceux qui les ont opprimés. « En prison, ma colère envers les Blancs s’était apaisée mais ma haine envers le système s’était accrue », déclare Mandela.

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1. nelson mandela , un long chemin vers la liberté, 1995 , pp. 626-627.

De la Dignité De tous

Pour Martin Luther King, le préalable à l’acquisition des droits civiques, c’est le respect, par autrui et par soi-même, de la dignité de la personne. Cela ne peut se concevoir dans la pauvreté. Le 31 mars 1968, moins d’une semaine avant son assassinat, il indiquait l’essentiel : « On a libéré les Noirs, mais on ne leur a pas donné de quoi se payer le car jusqu’à la maison. » Martin Luther King se préparait à lancer un Mouvement des pauvres gens. La terre promise qu’il désignait dans son dernier discours, c’était la justice sociale, et son propos apparut comme une critique radicale de l’économie capitaliste, une remise en cause structurelle de la société américaine : « Amérique, il faut que tu naisses de nouveau ».

Sa Charte des droits économiques, comme, plus tard, la Charte de la liberté de Nelson Mandela, prévoyait des programmes d’emplois pour une construction de logements sociaux dispersés dans les villes, amélioration des transports, augmentation des budgets scolaires, revenu annuel minimum garanti, développement des services sanitaires et sociaux…

Martin Luther King voulait réunir « une armée multiraciale de pauvres ». Cela ne lui fut pas pardonné.

Défendre les pauvres et les opprimés, s’indigner de la coexistence d’une extrême pauvreté et d’une richesse arrogante, refuser les féodalités économiques et les

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déséquilibres : encore un dénominateur commun à ces combattants des Droits de l’Homme et de la dignité.

De la Démocratie

Martin Luther King est né dans une vieille démocratie, qui s’est proclamée pays de la liberté, de l’égalité et du droit au bonheur. Nelson Mandela a vécu dans un État policier, fondé sur la discrimination raciale et la restriction des droits des Noirs. Wangari Maathai a évolué dans un pays soumis à la colonisation puis à la dictature. Aung San Suu Kyi porte l’espoir de l’avènement de la démocratie dans une dictature militaire. Quant à Václav Havel, il a construit une démocratie nouvelle, et appelle nous autres, citoyens de vieilles démocraties, à prendre garde. Car quand bien même les pouvoirs de l’État ne peuvent porter atteinte aux droits des citoyens, les manquements à la Constitution sont possibles : « Nous, nous découvrons la démocratie ; la dictature est derrière nous. Vous, pays de vieille démocratie, prenez garde à ce que la dictature ne soit pas devant vous, et la démocratie en train de se déliter. Les systèmes totalitaires sont l’avant-garde de la crise globale de cette civilisation européenne à l’origine, puis euro-américaine et enfin planétaire. »

Chacun nous enseigne que la démocratie ne peut se résumer dans des élections périodiques où les peuples délèguent tous leurs pouvoirs, sans conserver celui de retirer leur confiance en cours de mandat. Pla

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une « nouvelle frontière » à Dépasser

Si le combat pour les droits civiques est évident pour l’homme pris dans les tourments du racisme et de la ségrégation, la dimension environnementale, en revanche, lui est étrangère. Le rêve de Martin Luther King dénote plutôt une conception de l’homme maître et dompteur de la nature.

La prise de conscience écologique n’émergera dans le débat public qu’après sa disparition, sous l’influence des communautés hippies, d’ouvrages comme Le Printemps silencieux de Rachel Carson, le rapport du Club de Rome Les limites à la croissance, ou encore d’organisations internationales comme Greenpeace, Les Amis de la Terre, le WWF.

L’écologie, Raoni ou Wangari Maathai en ont fait le combat de leur vie, partant de l’évidence que l’environnement naturel, la biodiversité, le climat, la forêt, les écosystèmes conditionnent la vie sur Terre.

Pour le grand résistant au nazisme de la Seconde guerre mondiale Stéphane Hessel, père du mouvement des Indignés devenu symbole de l’insurrection pacifique à 92 ans passés, « l’engagement pour l’écologie est aussi fort que l’était pour nous l’engagement dans la Résistance ».

Vaclav Havel comme Aung San Suu Kyi rejoignent cette perspective, et font part de leurs inquiétudes quant aux réactions politiques et citoyennes. Joan Baez envisage

Willis from Tunis, Tunisie

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même que « les changements [environnementaux] sont si rapides et si effrayants qu’il est peut-être déjà trop tard pour faire quoi que ce soit. Si cela continue à ce rythme, bientôt on ne pourra même plus parler d’autres causes à défendre. »

que vive le « mouvement Des engagés »

À l’image de ces femmes et de ces hommes qui ont marqué notre histoire récente, et dont la voix et les combats continuent de porter, la capacité des populations à réagir pour se prendre en main et s’engager dans l’adversité et face aux difficultés – sociales, environnementales, économiques, éthiques – est déterminante. Les réflexions et actions de mouvements tels le Forum Social Mondial ou le Droit au logement, en passant par l’inattendu mouvement des Indignés, indépendant et autonome, ouvrent la voie à de nouvelles formes d’activisme qui, au-delà de la contestation, veulent incarner des projets alternatifs.

Nombreux sont les « aventuriers du quotidien » – individus, associatifs, entrepreneurs, collectifs, etc. – qui, en marge des structures et des mouvements ou même en leur sein, parfois dans l’ombre, prennent l’initiative, et proposent des éléments de réponses. Aujourd’hui, ils peuvent se révéler dans la consommation collaborative, l’économie circulaire, l’économie sociale et solidaire, l’écologie industrielle, les élans de solidarités favorisés par les réseaux sociaux…

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Et si au-delà des clivages, mais dans une détermination commune à faire évoluer les aspects du monde qui ne nous conviennent pas et indignent une part croissance d’entre nous, nous cherchions ensemble les solutions ? Et si de l’adage de Martin Luther King – « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots » – nous tirions la nécessité d’agir face à l’évidence des déséquilibres et des dangers économiques, sociaux, environnementaux ?

À ceux qui, obnubilés par la face la plus dramatique de l’activité humaine, pourraient propager la peur et l’immobilisme, répondons par l’exemple de ceux qui, contre le fatalisme et le désespoir, font face aux difficultés et prennent l’initiative.

À ceux qui pensent que la tâche, conséquente, impressionnante, est illusoire ou perdue, opposons la réalité et le pragmatisme de ces femmes et de ces hommes qui, dans la lignée de Martin Luther King, « ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ».

Dans leur sillage, portons l’espoir !

Michel et Gilles Vanderpooten

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« n o us t r a v a i l le r ons ensemble pour sou t en i r le cour age là o ù i l y a la peur, pour encour ager la négoc ia t ion là où i l y a le con f l i t , e t donner l ’espo i r là où r ègne le désespo i r. »

n e lson m ande la

« L’espo i r es t con t ag ieu x , comme le r i r e . »

Joan Bae z

« L’audace de l ’espo i r. v o i là le mei l leu r de l ’espr i t amér ica in ; a v o i r l ’audace de c r o i r e , ma lg r é t ou t es les in d ica t ions con t r a i r es , que nous pou v ions r es t aur er un sens d e la communau t é au se in d ’une na t ion déch i r ée ; l ’audace d e c r o i r e que malg r é des r e v er s per sonne ls , la per t e d ’un emplo i , un malade dans la f ami l le ou une f ami l le empê t r ée da ns la pau v r e t é , nous a v ions que lque empr ise - e t pa r co nséquen t une r esponsab i l i t é su r no t r e p r opr e des t in . »

Bar ack obama

« P lan t ons des a r b r es e t les r ac ines de no t r e a v en i r s ’en f oncer on t dans le so l e t une canopée de l ’espo i r s ’é lè v er a v er s le c ie l . »

W angar i m u t a m aa t ha i

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« L’ e spo i r es t un é t a t d ’espr i t […] C ’es t une o r ien t a t ion de l ’espr i t e t du c œ ur […] C e n’es t pas la con v ic t ion qu ’une chose aur a une issue f a v or ab le , ma is la ce r t i t ude que ce t t e chose a un sens , quo i qu ’ i l ad v ienne . »

v ác la v Ha v e l

« L e message de Gandh i , de m ande la , de m ar t in L u t her K ing […] C ’es t un message d ’espo i r dans la capac i t é des soc ié t és moder nes à dépasser les con f l i t s pa r une compr éhens ion mu t ue l le e t une pa t ience v ig i lan t e . »

s t éphane Hesse l

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