laurent gutierrez – jean-yves seguy histoire de l...

85
www.cned.fr HISTOIRE DE L’ÉDUCATION INSTITUTIONS ET PRATIQUES Laurent Gutierrez – Jean-Yves Seguy Master 1 de sciences de l’éducation COURS 8 6035 TG WB 00 13

Upload: votuyen

Post on 14-Sep-2018

215 views

Category:

Documents


1 download

TRANSCRIPT

www.cned.fr

HISTOIRE DE L’ÉDUCATION INSTITUTIONS ET PRATIQUES

Laurent Gutierrez – Jean-Yves Seguy

Master 1 de sciences de l’éducation

COURS

8 6035 TG WB 00 13

8 6035 TG WB 00 Page 2

Sommaire

Présentation du cours .......................................................................................................4

Objectif principal de ce cours .........................................................................................4

Consignes de travail ........................................................................................................5Bibliographie ......................................................................................................................6

PARTIE 1

NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

Introduction .........................................................................................................................7

Chapitre 1 : L’École de la République questionnée sur son principe d’égalité

1. Les lois scolaires : principes et enjeux républicains ...........................................9

2. Un projet ambitieux : le combat des Compagnons de l’Université nouvelle ............................................................................................12

3. Le modèle d’école unique : résistances et réalisations ...................................14

Chapitre 2 : Le contexte des réformes scolaires à la fin des années 1930

1. Jean Zay et le ministère de l’Éducation nationale ............................................21

2. Le programme et les instructions de 1938 ..........................................................23

3. Le Congrès du Havre ..................................................................................................26

Chapitre 3 : Les classes d’orientation : l’expérimentation pédagogique au service de la réforme ?

1. Les buts poursuivis .....................................................................................................32

2. La mise en œuvre effective ......................................................................................35

3. Les premiers résultats obtenus ...............................................................................38

Conclusion ..........................................................................................................................41

PARTIE 2

DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

Introduction .......................................................................................................................42

Chapitre 1 : La reconstruction de la France par son école (1941-1959)

1. Penser l’école sous l’Occupation ............................................................................45

2. Réformer l’enseignement à la Libération ............................................................49

8 6035 TG WB 00 Page 3

3. Une période favorable à l’expérimentation pédagogique ? .........................53

Chapitre 2 : La mise en système de l’Ecole française (années 1950-1960)

1. Des nécessités économiques aux impératifs démographiques ....................57

2. Les limites du modèle scolaire traditionnel ........................................................60

3. L’essor de nouveaux supports d’enseignement ................................................64

Chapitre 3 : Le collège unique1. René Haby et sa réforme du collège .....................................................................70

2. Principes et organisation générale de la réforme Haby .....................................................................................................72

3. Des écoles alternatives au modèle unique .........................................................76

Conclusion .........................................................................................................................81

AnnexeChronologie de l’histoire de l’institution scolaire (1881-1975) ..........................83

8 6035 TG WB 00 Page 4

Histoire de l’éducation. Institutions et pratiques

Présentation du coursCe cours est d’abord le fruit d’une rencontre entre deux chercheurs en histoire de l’éducation : Jean-Yves Seguy, d’une part, chargé de cours à l’Université de Lyon II et Laurent Gutierrez, d’autre part, maître de conférences à l’Université de Rouen. Leur intérêt commun pour les ques-tions de réforme de l’enseignement les a amenés à collaborer à plusieurs reprises à des journées d’études et autres colloques. La perspective de rédiger ensemble ce cours s’inscrit donc dans une réelle volonté de présenter l’état actuel des connaissances en la matière. Une approche exhaus-tive ne pouvant être retenue quand bien même celle-ci serait possible, le point de vue adopté ici est celui d’un éclairage historique sur la question de la démocratisation de l’enseignement au cours du XXe siècle. Le cours a ainsi été pensé sous la forme de deux parties subdivisées chacune en trois chapitres. Chaque chapitre comprend, à son tour, trois sous parties qui abordent succes-sivement le cadre général dans lequel s’intègre l’objet étudié avant d’être analysé au regard des ambitions qu’il poursuit. Confrontées aux réalités scolaires de son époque, ces propositions sont, enfin, discutées sur la base des alternatives pédagogiques existantes dans l’espace éducatif.

Objectif principal de ce coursL’école est à appréhender comme un système dont les logiques restent complexes. L’étude de son organisation, de ses contenus et de ses techniques est attachée à celle de ses objectifs. Il est donc impossible de porter un jugement échappant aux suggestions d’abstractions discutables et de faire, par conséquent, les distinctions qui s’imposent sans connaître la genèse et les vicissitudes des aspects modernes de l’école.

« Si nous voulons exprimer une appréciation objective et avertie, il nous faut étudier la naissance, la formation et l’évolution de l’humanisme scolaire, nous demander à quelle époque et pour quelles raisons il se constitue en discipline pédagogique, à quels besoins successifs et souvent très différents il a prétendu répondre, à quelles influences sont dues les modifications et les adap-tations qui lui ont permis de traverser les siècles. Bref, le passé seul est susceptible de nous dire qu’elle peut être encore sa pertinence actuelle »1.

Sans revenir sur la généalogie des faits scolaires2 qui pourrait nous éclairer utilement sur la place et l’importance de certaines disciplines dans le paysage scolaire actuel, l’objectif de ce cours est d’aborder, sur la période retenue, les principaux éléments qui vous permettront, à terme, de mieux cerner les logiques en présence dans le champ de l’histoire de l’éducation tant sur le plan de ses institutions que sur celui de ses pratiques pédagogiques.

Comme vous serez amenés à le constater le nombre d’acteurs cité est particulièrement impor-tant. Il atteste que l’histoire des idées mais aussi celle des institutions sont avant tout une affaire d’hommes et de femmes convaincus de la portée de leur action. Dans le cadre de ce cours, ces acteurs ont foi en la démocratisation de l’enseignement qui, selon eux, est l’un des facteurs qui peut assurer la justice et la paix sociale du pays. Ce projet deviendra un combat partagé par de nombreux enseignants du premier puis du second degré au cours du XXe siècle.

1. Arnold Clausse, Introduction à l’histoire de l’éducation, Bruxelles A. De Boeck, 1951, p. 9.

2. Vous trouverez en annexe, une frise chronologique vous permettant de situer dans le temps quelques uns des éléments abordés dans ce cours.

8 6035 TG WB 00 Page 5

Histoire de l’éducation. Institutions et pratiques

Avant d’aborder les consignes liées à la manière dont il convient d’aborder ce cours, les auteurs attirent l’attention des étudiants qui se destinent, pour la plupart, au concours de professeurs des écoles, sur l’importance que revêt une solide culture en sciences humaines et notamment en histoire de l’éducation. Nous pensons que ce bagage est une étape incontournable pour le futur éducateur : « Tout progrès suppose une tradition, car il a un point de départ, et ce point de départ est néces-sairement dans le passé. La pédagogie actuelle s’est constituée lentement des idées, des expé-riences, des systèmes, qui ont paru, à travers les siècles et chez les différentes nations civilisées (…). Elle est donc intimement liée à l’histoire de l’éducation »3.

Consignes de travail Les consignes de travail exposées ici valent très certainement pour les autres cours de votre forma-tion à distance. Nous pensons toutefois qu’il n’est pas inutile de les rappeler. Les aspects métho-dologiques sur lesquels nous insistons sont de trois ordres :

Le premier est en rapport avec le temps dont vous disposez. Si le support d’acquisition des connaissances en lien avec la thématique traitée reste le cours, rien ne vous empêche de mener des recherches complémentaires en parallèle. Les exercices intégrés tout au long de ce cours ont été pensés dans cette perspective. Le temps que vous devez y consacrer reste toutefois minime au regard de celui dédié à l’intégration des données de cet enseignement. Nous croyons néanmoins que la démarche d’investigation est un excellent moyen pour faire des liens entre les informations et ainsi vous permettre de mieux fixer les informations présentées par les auteurs.

Le deuxième concerne l’exploitation des éléments présentés dans ce cours. Nous vous invitons, ici, à adopter une démarche systématique concernant 1° La signification des mots que vous ne com-prenez pas ou dont vous ignorez le sens précis en tenant un glossaire ; 2° La recherche d’éléments biographiques sur les acteurs cités (vous remarquerez que plusieurs exercices vous demandent de faire des recherches de cette nature) ; 3° La mise en perspective temporelle des éléments présen-tés en réalisant pour chacune des parties, des chronologies / frises illustrées avec les événements évoqués (lois, décrets, circulaires mais aussi naissance de revues/d’écoles/etc., dates de colloque et/ou de commissions de réforme, etc.).

Le troisième aspect méthodologique en vue de l’intégration des données de ce cours est lié aux synthèses que nous vous invitions à rédiger après plusieurs lectures de chaque chapitre. Il vous appartient donc à la fin de chaque sous partie d’essayer d’écrire un résumé à partir des éléments qui vous semblent essentiels. Les questions à choix multiples (QCM), présents à la fin de chaque partie, visent à vous aider à repérer ces informations importantes en plus de constituer un support à la mémorisation de ces faits historiques.

Le temps que vous devez consacrer à l’étude de ce cours est difficile à évaluer car il dépend des connaissances initiales de chacune et chacun d’entre vous. Outre le temps dédié à la lecture (chaque chapitre doit être lu plusieurs fois), vous devez consacrer un temps tout aussi important aux exercices basés sur de la recherche d’informations complémentaires. Pensez à consacrer des plages horaires suffisantes (minimum 1h à 2h) afin de pouvoir traiter un chapitre à la fois.

3. Louis Riboulet, Histoire de la pédagogie, Paris, De Vitte, 1935, p. 2.

8 6035 TG WB 00 Page 6

Histoire de l’éducation. Institutions et pratiques

Bibliographie Les neuf ouvrages indiqués ci-dessous sont largement suffisants pour compléter les éléments abor-dés dans ce cours. Les références données à la fin de chaque chapitre correspondent aux sources (archives et/ou ouvrages de la période étudiée) et à la bibliographie (ouvrages contemporains – post périodes) utilisés dans le cadre de la rédaction du cours par les auteurs.

GUTIERREZ Laurent, BESSE Laurent et PROST Antoine, « L’éducation nouvelle au service d’une nation à réformer : entre espoirs et réalités », Grenoble, PUG, 2012.

GUTIERREZ Laurent et KOUNELIS Catherine (dir.), Paul Langevin et la réforme de l’enseignement, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, 2010.

KAHN Pierre et D’ENFERT Renaud, En attendant la réforme, Grenoble, PUG, 2010.

KAHN Pierre et D’ENFERT Renaud, Le temps des réformes, Grenoble, PUG, 2011.

LELIÈVRE (Cl.) et NIQUE (Ch.), Bâtisseurs d’Ecole. Histoire biographique de l’enseignement en France, Paris, Nathan, 1994.

MAYEUR Françoise, Histoire de l’enseignement et de l’éducation III. 1789-1930, Paris, Perrin, 2004. Collection « Tempus ».

PROST Antoine, Histoire de l’enseignement et de l’éducation IV. Depuis 1930, Paris, Perrin, 2004. Collection « Tempus ».

PROST Antoine, Education, société et politiques. Une histoire de l’enseignement en France de 1945 à nos jours, Paris, Seuil, 1992.

ROBERT André, L’école en France de 1945 à nos jours, Grenoble, PUG, 2010.

8 6035 TG WB 00 Page 7

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

L’École de la République questionnée sur son principe d’égalité

Chapitre 1

PARTIE 1Jean-Yves SEGUY

NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

u Objectifs1. Identifier l’ancrage idéologique des promoteurs de l’école républicaine.2. Cerner les enjeux autour de la création d’une école unique selon le vœu des

Compagnons de l’Université nouvelle.3. Saisir les logiques ministérielles autour de la réforme des programmes scolaires de 1938.4. Comprendre les logiques qui ont préfiguré à la mise en place de l’expérimentation des

classes d’orientation avant la Seconde Guerre mondiale.

u Contenus 1. Rappeler le contexte autour du vote des lois scolaires.2. Présenter le projet d’école unique des Compagnons de l’Université nouvelle.3. Exposer les logiques ministérielles en matière de politique scolaire durant l’entre deux

guerres.4. Livrer les aspects innovants de la réforme des programmes scolaires de 1938.5. Présenter l’expérimentation pédagogique des classes d’orientation.

IntroductionLa IIIe République qui naît le 4 septembre 1870, qui vote ses lois constitutionnelles en 1875, qui demeure fragile jusqu’en 1879, puis qui, enfin, s’affirme dans toute sa puissance, avant d’être détruite par le gouvernement de Vichy en 1940, est confrontée tout au long de son histoire à plusieurs questions fondamentales concernant l’école et les institutions scolaires. Il importait, en premier lieu, de résoudre la question de l’appartenance. À qui appartient l’école : à l’Eglise, comme ce fut le cas pendant très longtemps, aux familles… ou à l’État ? La question n’est pas nou-velle et n’a pas été seulement posée aux hommes de la IIIe République. Dès avant la Révolution, quelques penseurs tels Louis René de Caradeuc de La Chalotais ou Jean-Baptiste Crevier avaient déjà affirmé la nécessité de constitution d’une éducation nationale, une éducation faite par l’État et pour l’État, « parce que toute nation a un droit inaliénable et imprescriptible d’instruire ses membres ; parce que les enfants de l’État doivent être élevés par des membres de l’État » (propos de La Chalotais cités par Lelièvre, 2002, p. 10). La IIIe République, héritière des Lumières et de la Révolution, ne pouvait que s’inscrire dans cette perspective, affirmant la place d’un État éduca-teur se démarquant du pouvoir de l’Eglise et des familles. Les grandes lois scolaires de Jules Ferry, en déclarant l’école publique gratuite, laïque et obligatoire, constituent un outil puissant d’affir-mation de cette indépendance en cours de construction.

Une deuxième question, indéniablement liée à la première et tout aussi fondamentale se pose aux réformateurs de la IIIe République. Comment faire en sorte que l’école soit l’affaire de tous, qu’elle permette de se dégager des pesanteurs sociales et autorise les élèves à s’émanciper des

8 6035 TG WB 00 Page 8

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

L’École de la République questionnée sur son principe d’égalité

Chapitre 1

déterminismes familiaux ? L’école de Jules Ferry offre une première réponse en donnant accès à tous les enfants de 6 à 13 ans à l’école primaire. Reste la question de l’accès à l’enseignement secondaire, qui sera à la base de nombreux projets de réformes dans l’entre-deux-guerres. Des classes amalgamées mise en œuvre par le ministre Edouard Herriot en 1926, aux classes d’orien-tation instaurées par le ministre Jean Zay en 1937, il s’agit d’imaginer des dispositifs permettant à des élèves issus de différents milieux sociaux de se retrouver et de concourir pour la détermi-nation des places scolaires puis des places dans la société au regard du seul mérite des aptitudes individuelles et non plus des classes sociales d’origine. L’arrivée de la guerre ne permettra pas à ces projets d’être menés à leur terme, et il faudra attendre les années soixante et soixante dix pour qu’une réponse soit donnée à ces préoccupations, tout en les dépassant pour mettre en avant les limites d’un modèle de la méritocratie individuelle.

8 6035 TG WB 00 Page 9

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

L’École de la République questionnée sur son principe d’égalité

Chapitre 1

Chapitre 1

L’École de la République questionnée sur son principe d’égalité

La fin du XIXe siècle est marquée par l’importance des grandes lois scolaires défendues par Jules Ferry. En instaurant la gratuité en 1881, puis l’obligation et la laïcité, il s’agit d’ouvrir l’école à tous et de former les futurs citoyens de la IIIe République naissante. Dans ce contexte, l’école doit devenir le creuset de l’unité nationale. Les instituteurs, comme le rappelle Jean-Michel Gaillard, jouent un rôle essentiel dans cette entreprise de construction nationale en apparaissant comme « les meilleurs garants de l’ordre républicain et de la démocratie politique et sociale » (Gaillard, 2000, p. 35). Une analyse rapide des écrits de Jules Ferry pourrait laisser entendre que le ministre de l’instruction publique et des beaux arts était un fervent défenseur de l’idée d’égalité sociale et scolaire. Le titre de son fameux discours à la Salle Molière le 10 avril 1870 – L’égalité d’éducation- semble plaider en faveur de cette idée (voir plus bas). Son point de vue est en fait plus complexe, comme le précise Claude Lelièvre. Il ne s’agit pas en effet de promouvoir l’idée d’un

« nivellement absolu des conditions sociales, qui supprimerait dans la société les rapports de commandement et d’obéissance ; il s’agit de ne plus apercevoir dans le maître et le serviteur que deux contractants ayant chacun leurs droits précis, limités et prévus ; chacun leurs devoirs, et, par conséquent leur dignité » (Lelièvre, 1999, p. 23).

Théodore Zeldin, cité par Claude Lelièvre, précise encore le propos, permettant de comprendre pleinement la portée et les limites de la pensée « démocratrice » de Jules Ferry.

« Ferry ne s’intéressait pas particulièrement – à la différence de Gambetta – à la mobilité sociale […]. Ferry voulait rendre les hommes égaux dans leurs droits et dans leur dignité. Le respect mutuel devait remplacer l’animosité et le mépris. Des contrats qui donnaient des droits et des obligations devaient remplacer l’oppression des castes. Le changement, pour lui, était beaucoup plus moral qu’économique. » (Lelièvre, 1999, p. 23).

C’est surtout au XXe siècle que cette question de la poursuite d’une volonté de démocratisation conduisant à l’idée de redistribution des cartes sociales au sein de l’institution scolaire, se pose véritablement. C’est avec le projet d’école unique, proposant de remettre en cause l’existence de mondes scolaires séparés et de les fondre en un seul système, que se construit une nouvelle manière de considérer les rapports entre l’école et la société. Ce chapitre se propos de mettre en évidence l’émergence progressive de cette idée et des oppositions qui ont alimenté les débats tout au long du XXe siècle.

1. Les lois scolaires : principes et enjeux républicainsJules Ferry (1832-1893) est ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts du 4 février 1879 au 13 novembre 1881, puis du 30 janvier au 6 août 1882 et, enfin, du 21 février eu 20 novembre 18834. Il est d’usage d’associer à juste titre Jules Ferry aux grandes lois scolaires de 1881 et 1882. Il convient toutefois de noter qu’il a, d’une part, développé une réflexion importante sur les questions d’instruction, bien avant ces lois, et que, d’autre part, il a défen-du d’autres lois moins connues mais également très importantes dans le contexte de cette

4. Voir le site www.inrp.she, pour connaître la liste chronologique complète de tous les ministres de l’instruction publique puis de l’éducation nationale, de 1802 à nos jours.

8 6035 TG WB 00 Page 10

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

L’École de la République questionnée sur son principe d’égalité

Chapitre 1

IIIe république naissante. Le 10 avril 1870, Jules Ferry prononce un fameux discours à la Salle Molière sur le thème : « L’égalité d’éducation ». Il s’agit dans ce discours de poursuivre la volonté d’abolition des privilèges de la Révolution française, et de lutter contre ce qui lui semble être la dernière des inégalités provenant de la naissance : l’inégalité d’éducation.

« Avec l’inégalité d’éducation, je vous défie d’avoir jamais l’égalité des droits, non l’égalité théo-rique, mais l’égalité réelle, et l’égalité des droits est pourtant le fond même de la démocratie ».

C’est par l’éducation du peuple que pourra s’établir une nouvelle relation entre les hommes, fon-dée sur l’idée de contrat.

« Ce que j’appelle le commandement démocratique ne consiste donc plus dans la distinction de l’inférieur et du supérieur ; il n’y a plus ni inférieur ni supérieur : il y a deux hommes égaux qui contractent ensemble, et alors, dans le maître et le serviteur, vous n’apercevrez plus que deux contractants ayant chacun leurs droits précis, limités et prévus ; chacun leur devoir, et, par consé-quent, chacun leur dignité ».

Même si l’exercice du pouvoir ne permet pas toujours de défendre certaines idées et de mener à bien les projets ambitieux, on peut considérer que pour une bonne part, les lois scolaires de la IIIe République se fondent sur ces principe explicitement formulés dans le discours de la salle Molière, quelques mois avant l’avènement de la République.

Les grandes Lois scolaires

Loi du 9 août 1879 (Loi Paul Bert) faisant obligation aux départements de disposer d’une école normale d’institutrices, comme d’une école normale d’instituteurs.

Loi du 16 juin 1881 établissant la gratuité absolue dans l’enseignement primaire, puis en 1886, lorsqu’il sera réorganisé, dans l’enseignement primaire supérieur.

Loi du 28 mars 1882 : obligation et laïcité de l’instruction primaire. Tous les enfants âgés de 6 à 13 ans doivent recevoir un enseignement soit dans les écoles publiques, soit dans les écoles pri-vées soit dans leurs familles. Les enfants qui obtiennent à 11 ans le certificat d’études primaires sont dispensés du temps de scolarité obligatoire qui leur reste à accomplir.

Loi organique du 30 octobre 1886 (Loi René Goblet) définissant l’organisation de l’instruction primaire et obligeant la laïcité du personnel enseignant dans l’enseignement primaire public (la laïcité des programmes avait été établie par la loi de 1882).

Si ces lois constituent des avancées indéniables, permettant de aux enfants de bénéficier en plus grand nombre de l’instruction, le projet comporte des limites à l’expansion de la diffusion des savoirs. En effet, si l’enseignement primaire doit pouvoir être offert à tous, il n’en va pas de même d’un enseignement secondaire qui doit demeurer un enseignement d’élite pour une élite.

« Je dis, messieurs, fixant avec quelques précisions, je crois, les principes qui doivent nous servir à résoudre le problème : «le devoir de l’État en matière d’enseignement primaire est absolu, il le doit à tous» […] Mais quand on arrive à l’enseignement secondaire, il n’y a pas la même nécessité et la prétention ne serait plus admissible si l’on disait : « Tout le monde a droit à l’enseignement secondaire ». Non : ceux-là seuls y ont droit qui sont capables de le recevoir, et qui, en le recevant, peuvent rendre services à la société ». (Discours de Jules Ferry à la Chambre, le 13 juillet 1880 – Extrait de Lelièvre, 1999, p. 61).

C’est ainsi qu’au début du XXe siècle, l’organisation de l’enseignement est fondée sur une nette partition entre deux réseaux : l’enseignement primaire, prolongé par l’enseignement primaire supérieur, et l’enseignement secondaire, qui disposait de classes élémentaires. Antoine Prost résume cet état de fait dans la formule : « le secondaire a son primaire et le primaire son secon-daire » (Prost, 1968, p. 405). Les classes de l’enseignement primaire étaient gratuites, celles de l’enseignement secondaire, payantes. La population scolaire française était ainsi divisée en fonc-tion des classes sociales d’appartenance. Les possibilités de passage d’un système à l’autre étaient extrêmement limitées. Le système des bourses permettait à une si infime minorité d’élèves du

8 6035 TG WB 00 Page 11

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

L’École de la République questionnée sur son principe d’égalité

Chapitre 1

primaire d’accéder à l’enseignement secondaire que Ferdinand Buisson qualifiait d’« exceptions consolantes » pour caractériser la situation. Ces deux ordres d’enseignement sont indépendants, relevant d’administrations différentes, avec des enseignants et des établissements distincts.

L’enseignement primaire. Il est supposé accueillir tous les élèves âgés de 6 à 13 ans. Les disposi-tions de la loi organique de 1886 précisaient que l’enseignement primaire comprenait non seule-ment les écoles élémentaires, mais aussi, les écoles maternelles, les classes enfantines, les écoles primaires supérieures, les cours complémentaires et les écoles manuelles d’apprentissage (Léon et Roche, 2003). Cette école gratuite permet ainsi aux élèves ayant un niveau scolaire jugé suffisant, de poursuivre leurs études après l’école élémentaire, dans l’enseignement primaire supérieur. Cet enseignement comprend deux types d’établissement : les écoles primaires supérieures (EPS) et les cours complémentaires (CC). Il débouche sur les emplois de la petite bourgeoisie d’exécution : percepteurs, postiers, chefs de gare, instituteurs, etc.

L’enseignement secondaire. Il est assuré dans les lycées et les collèges5. Jusque dans les années trente, l’enseignement y est payant. Il débouche sur le baccalauréat et forme une élite restreinte. De 1880 à 1930, 3 à 4 % seulement des élèves de 10 à 17 ans sont scolarisés dans ce réseau (voir Terrail, 1997, p. 22). Le lycée dispose de classes élémentaires préparant à l’entrée en 6e et par conséquent désignées selon la même logique : 11e, 10e, 9e, etc. Ces classes sont aussi payantes. Au sein de l’enseignement secondaire même, existe une subdivision importante entre enseignement classique et enseignement moderne. Le premier, historiquement le plus ancien (le seul à exister pendant longtemps), propose un enseignement fondé sur la culture classique des humanités, com-prenant en particulier ces deux matières jugées essentielles, que sont le latin et le grec. Le second dispense ses élèves de l’apprentissage des langues anciennes.

L’histoire de l’enseignement moderne est celle de la conquête progressive d’une reconnaissance et de la recherche d’une équivalence avec l’enseignement classique. Alors que l’enseignement classique trouve ses sources dans les plus anciens établissements de l’Ancien Régime, l’enseigne-ment moderne est créé en 1865 par Victor Duruy, sous le nom d’« enseignement spécial ». Il ne comprenait à l’origine que quatre années d’études. En 1881, la durée des études s’accroît d’un an et d’un an encore en 1886. C’est en 1891, sous l’impulsion de Léon Bourgeois, que le baccalauréat de cette filière cesse de s’appeler « spécial » pour devenir « moderne ». Il faut toutefois attendre la réforme de 1902 pour que le baccalauréat moderne perde son infériorité juridique vis-à-vis du baccalauréat classique et offre, au moins en théorie, les mêmes perspectives de poursuites d’études (Isambert-Jamati, 1995).

Cette séparation nette et absolue entre enseignement primaire et enseignement secondaire a généré de fortes critiques dès la fin du XIXe siècle. Tout au long du XXe siècle, elle a suscité des débats extrêmement vifs au sein du monde scolaire et de la société. C’est ainsi qu’a été déve-loppée l’idée de construire ce qui a été rapidement appelé « école unique ». Il s’agissait ainsi de concevoir un système dans lequel les élèves, quel que soit leur milieu social d’origine, auraient la possibilité d’évoluer dans l’enseignement primaire puis dans un enseignement secondaire poten-tiellement ouvert à tous.

5. Les lycées relèvent de la compétence de l’Etat, les collèges, au moins en partie, des municipalités (les collèges dépendent des mairies, l’Etat accorde des subventions et nomme le personnel enseignant). L’un et l’autre proposent une scolarité allant des petites classes au baccalauréat. Il ne faut donc pas se référer pour comprendre la logique de distinction de ces établissements, à la distinction actuelle entre collèges et lycées.

8 6035 TG WB 00 Page 12

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

L’École de la République questionnée sur son principe d’égalité

Chapitre 1

Exercice n° 1

Les lois scolaires sur la gratuité, l’obligation et la laïcité ont suscité de nombreux débats. Vous essaierez, tout d’abord, d’imaginer les termes de ces controverses. Puis, vous mènerez une recherche personnelle vous permettant de présenter les arguments avancés dans le cadre de ces controverses. Pour mener ce travail, vous pourrez vous appuyer sur les élé-ments proposés en bibliographie ainsi que sur le site internet du Sénat : http://www.senat.fr/evenement/archives/D42/

2. Un projet ambitieux : le combat des Compagnons de l’Université nouvelle

Le manifeste des Compagnons de l’Université nouvelle occupe une place tout à fait particulière dans l’histoire de l’école unique. La forte valeur symbolique attachée à ce texte, dont le début de la rédaction commence avant la fin de la première guerre mondiale, explique certainement pour partie le crédit immense dont il a bénéficié dans l’entre-deux-guerres et après.

En 1917 à Compiègne un groupe d’officiers, enseignants avant la guerre, échangent longuement sur la société et l’école qu’ils aimeraient voir émerger après le conflit. C’est ainsi qu’ils publient en février 1918 le fruit de leurs réflexions dans le journal L’Opinion. Quelques semaines plus tard, leurs écrits sont rassemblés dans deux ouvrages intitulés « l’Université nouvelle ». Ils signent « Les Compagnons ». Ce n’est qu’en 1919 que leur identité sera révélée (Robert et Terral, 2000 ; Garnier, 2008). Très rapidement, ils rallient à leur cause un certain nombre de personnages impor-tants de l’époque : Ferdinand Buisson, Edmond Goblot, Georges Duhamel, Edouard Herriot. Les Compagnons souhaitent engager une réforme générale de la France, et plus particulièrement, de son enseignement. Ils appuient leur volonté de changement sur un réquisitoire sans concession contre la société française et l’école d’avant guerre. Leurs critiques ne portent pas sur les hommes, mais sur les institutions. Ils saluent ainsi, avec des accents patriotiques qui pourraient faire sourire aujourd’hui, le travail des enseignants français, qu’ils interviennent dans le primaire, le secondaire ou le supérieur.

Source : Couvertures des deux tomes du Manifeste des Compagnons de l’Université nouvelle (Tome 1 : 1918 ; Tome 2 : 1919)

Sur la base de ce constat, ils formulent un certain nombre de propositions de réforme parmi lesquelles le principe de constitution d’une école unique constitue assurément la partie la plus novatrice. Même si d’autres auteurs et militants avaient à plusieurs reprises évoqué l’idée d’école unique avant la guerre (Mole, 2010), les Compagnons, auréolés de leur prestige de combattants,

8 6035 TG WB 00 Page 13

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

L’École de la République questionnée sur son principe d’égalité

Chapitre 1

ont le mérite de synthétiser un certain nombre de propositions et de les présenter avec force et clarté. Ils sont les auteurs d’une fameuse formule à haute valeur symbolique : « Les pères ont veillé dans les mêmes tranchées ; partout où cela est réalisable, les fils peuvent bien s’asseoir sur les mêmes bancs » (L’Université nouvelle, I, p. 26).

Ils développent leur propos en s’appuyant sur deux notions complémentaires : celle de « démo-cratie » et celle d’« enseignement démocratique ». Pour les Compagnons, la démocratie se définit par la référence à l’idée fondamentale d’intérêt général. Cet intérêt général suppose que chacun contribue au fonctionnement de la société en fonction de ses forces et de ses aptitudes, et non en fonction de ses origines sociales. Dans ce cadre, la seule hiérarchie qui doit être établie est celle du « mérite et de l’utilité ».

Source : Dessin de Lucien Métivet paru dans la revue pédagogique L’Ecole et la Vie (1917) dans lequel il reprend la maxime des Compagnons de l’Université nouvelle.

L’enseignement démocratique est donc « celui qui permet de tirer de tout homme le meilleur rendement » (L’Université nouvelle, I, p. 21). C’est l’intérêt premier du pays qui est mis en avant. « La patrie a le droit d’exploiter toutes les richesses spirituelles qu’elle possède » (L’Université nouvelle, I, p. 21). On voit qu’apparaît de manière implicite une notion fondamentale liée à celle d’école unique : la sélection. Et c’est bien par ce biais que l’idée d’orientation scolaire sera appelée à se développer.

« Un pays qui veut des intelligences et des énergies doit leur permettre à toutes de se révéler. Il faut que tous produisent, mais il faut que les meilleurs gouvernent dans l’intérêt de tous. Et c’est ainsi que l’enseignement démocratique sera en même temps un procédé de sélection. Le maître a pour premier devoir de discerner les vocations, d’en encourager les éclosions, d’en gui-der l’épanouissement. L’université nouvelle recrutera la nouvelle élite » (L’Université nouvelle, I, p. 21-22).

L’ensemble du point de vue est résumé par la formule : « L’école unique résout simultané-ment deux questions : elle est l’enseignement démocratique et elle est la sélection par le mérite » (L’Université nouvelle, I, p. 26). La notion de sélection, que l’on peut lier à celle d’orien-tation au regard de la référence à la « vocation », apparaît bien dans le texte. Elle n’est toutefois pas présentée ici sous la forme d’un processus rationnel scientifiquement construit. C’est dans le prolongement des travaux des Compagnons, entre 1919 et 1930, qu’un étayage scientifique sera donné à la doctrine, avec en particulier la création de l’Institut national d’orientation profession-nelle (INOP) en 1928, où seront menées des études sur les différents modes d’évaluation permet-tant la sélection rationnelle de l’élite, ainsi que sur la docimologie (Martin, 2002).

Les Compagnons ne se contentent pas d’avancer des idées générales sur l’école unique. Ils tentent de développer des propositions concrètes de réorganisation de l’enseignement. En premier lieu, ils veulent changer l’objectif même de l’école primaire. Celle-ci était régie par les principes défi-nis par les lois scolaires de Jules Ferry. Elle devait avant tout préparer à la vie courante. Pour les Compagnons, l’école doit désormais assurer une fonction propédeutique : préparation à d’autres études, à d’autres apprentissages. Dans le langage imagé qu’ils affectionnent, ils insistent sur le fait que l’école primaire doit être un « embarcadère […] ce n’est pas un « tout » qui n’est qu’un pis-aller ; c’est une préparation, une introduction au reste » (L’Université nouvelle, I, p. 23-24). Dans ce contexte, il n’est plus possible de laisser subsister parallèlement des écoles primaires communales, et les petites classes de lycée, ce qui conduit à l’idée de suppression des classes élé-mentaires des lycées.

« L’école unique, c’est l’école primaire pour tous, fils de bourgeois, d’ouvriers ou de paysans, c’est l’école primaire publique et gratuite devenue la base obligatoire de tout enseignement » (L’Université nouvelle, I, p. 24).

8 6035 TG WB 00 Page 14

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

L’École de la République questionnée sur son principe d’égalité

Chapitre 1

Un autre combat, lié au précédent, apparaît essentiel : reculer l’âge limite de la scolarité obli-gatoire. Les Compagnons insistent ainsi sur l’idée d’une « école primaire prolongée » jusqu’à 14 ans (L’Université nouvelle, II, p. 48) Cette école prolongée doit être réorganisée. Dans le tome II consacré aux applications de la doctrine, les Compagnons proposent ainsi d’envisager deux stades :

– le premier jusqu’à 11 ans serait consacré à l’étude de ce qu’ils appellent les « élé-ments » : éducation physique, éducation morale, travaux manuels, éducation nationale (consistant à « enseigner la patrie »), éducation intellectuelle ;

– le deuxième de 11 à 13 ou 14 ans permettrait une première forme de spécialisation et de formation professionnelle. « L’école devra déjà incliner les enfants vers leur pro-fession future » (L’Université nouvelle, II, p. 64). L’idée d’orientation professionnelle, même si elle n’apparaît pas ici comme devant être confiée à des spécialistes, se dégage ainsi clairement du texte.

Après l’école primaire obligatoire, les élèves doivent pouvoir suivre un enseignement des huma-nités en lycée ou un enseignement professionnel. Les Compagnons n’établissent pas de hiérarchie entre ces deux types de formation :

– ils prônent l’idée d’un enseignement professionnel gratuit et obligatoire pour tous les élèves de 14 à 18 ans envisageant de préparer directement un métier ;

– l’enseignement des humanités au lycée doit commencer à 13 ans et durer cinq ans. On note une entorse au principe de l’école unique puisque les élèves se destinant à une formation professionnelle quittent l’école primaire à 14 ans, alors que les futurs élèves de lycée l’abandonnent un an plus tôt pour pouvoir rejoindre le lycée.

Les idées des Compagnons sont indéniablement novatrices et ont connu une évolution notable après la guerre (Garnier, 2008). La richesse du manifeste réside certainement, au-delà de la per-tinence de l’analyse, dans la force des propositions concrètes présentées. C’est une véritable réorganisation du système scolaire qui est exposée. Cette conception est sans doute arrivée au bon moment, car elle a rencontré des sensibilités proches dans le monde politique, dont certains membres, tels Edouard Herriot par exemple, devaient assez rapidement tenir les rênes du pou-voir. On allait ainsi pouvoir dépasser le stade des idées pour tenter de mettre en œuvre au moins partiellement l’école unique.

3. Le modèle d’école unique : résistances et réalisationsL’entre-deux-guerres est marqué à la fois par des débats très vifs opposant partisans et adver-saires de l’Ecole unique, par la mise en place d’instance de réflexion préparatoires aux décisions politiques, et par quelques réformes marquant les premiers pas de cette école unique dans la réalité. Les opposants à l’école unique sont nombreux. La volonté de justice sociale n’est pas du goût de tous. La droite maurassienne par exemple attaque violemment l’idée d’école unique, sur la base de terribles slogans : « l’inégalité des biens est un bien » (Maurras cité par Barreau, Garcia et Legrand, 1998) ou « L’Aristocratie, c’est le pouvoir exercé par les meilleurs, par en haut. La Démocratie, c’est le pouvoir exercé par en bas » (Maréchal Lyautey cité par Barreau, Garcia et Legrand, 1998). Une partie du monde catholique est également opposée à l’école unique, celle-ci apparaissant comme susceptible de remettre en cause un ordre hiérarchique naturel et divin. S’exprime également la crainte d’une disparition de l’enseignement privé, du fait d’une école unique aux éventuelles prétentions hégémoniques. Il convient de mentionner le fait que les débats ne se contentent pas d’opposer partisans et adversaires de l’unification de l’enseignement. Au sein même du groupe des défenseurs d’une réforme de l’école, comme le mentionne Antoine Prost, on voit s’affronter trois positions : le « camp primaire » estime que tout l’enseignement obligatoire doit être unique. Il doit être allongé jusqu’à 13 ou 14 ans. Dans ce cas de figure,

8 6035 TG WB 00 Page 15

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

L’École de la République questionnée sur son principe d’égalité

Chapitre 1

l’enseignement secondaire perd deux ans. La seconde tendance propose l’organisation d’« écoles moyennes ». La distinction de deux cycles secondaires permet un rapprochement avec les ensei-gnements de même niveau : écoles primaires supérieures (EPS) et Ecoles pratiques de commerce et d’industrie (EPCI). Paul Lapie, sociologue, directeur de l’enseignement primaire, est l’un des initia-teurs de ce principe. Enfin, un troisième groupe qu’Antoine Prost qualifie de « faux amis de l’Ecole unique » se contente de prôner une coordination entre les différents ordres d’enseignement, avec comme seule préconisation concrète, l’établissement de la gratuité de l’enseignement secondaire.

Exercice n° 2

Rédiger une biographie de Paul Lapie en 1 page maximum afin de mieux cerner l’influence qu’il a pu avoir dans les années dans le contexte scolaire français.

Quand le Cartel des gauches parvient au pouvoir en mai 1924, c’est Edouard Herriot, dirigeant du parti radical, qui devient Président du Conseil. Or, Herriot s’est montré très rapidement favorable à l’idée d’Ecole unique. Il est un des seuls hommes politiques à trouver grâce aux yeux des Compagnons de l’Université nouvelle, et l’idée d’école unique figure en bonne place dans le programme du parti. Il s’agira d’une part de mettre en place des lieux de réflexion, d’autre part de prendre des déci-sions, certes modestes, mais marquant les premières avancées symboliques de l’école unique. La « Commission de l’Ecole Unique » est un des lieux importants d’expression des réflexions sur l’école unique. Cette commission est créée par le ministre de l’Instruction publique, François Albert, en 1924. Elle compte parmi ses membres des personnalités institutionnellement reconnues : Paul Lapie, Paul Langevin, Francisque Vial, Ferdinand Buisson, pour ne citer que quelques exemples. La commis-sion défend le principe d’une éducation de base offerte à tous et obligatoire jusqu’à l’âge de 14 ans. L’enseignement devait être identique jusqu’à cet âge. Pour les élèves dont le niveau ne permettait pas l’accès à l’enseignement secondaire, la commission prévoyait un « temps partiel réservé à l’édu-cation jusqu’à l’âge de 16 ans » (Garcia, 1993). Le certificat d’études primaires devait dorénavant être requis pour entrer dans le second degré. On perçoit par cette mesure le souci de coordonner les deux ordres d’enseignement et de construire une logique de passage de l’un à l’autre. Il convient d’évoquer, ici, deux autres lieux de réflexion importants, bien qu’ils n’aient pas été mis en place par le gouvernement du Cartel des gauches :

L’association des « Compagnons de l’Université nouvelle » (Garnier, 2008) se crée dans le prolonge-ment de la dynamique impulsée par les « compagnons historiques ». Henri Laugier et Paul Langevin se succèderont à la présidence de l’association. Elle édite une revue, L’Université Nouvelle, qui constitue un lieu d’échange, de réflexion et d’influence à l’égard du monde politique.

Le « Comité d’Etude et d’action pour l’École Unique » est créé à la fin de l’année 1925, à l’ini-tiative du Groupe fraternel de l’enseignement. Il est composé de personnalités venues des mou-vements pédagogiques et de diverses institutions politiques et sociales. Il se donne pour objectif de coordonner réflexion théorique et pratique à propos de l’École unique, et de promouvoir ses idées. Jean-François Garcia (1993), citant un travail de recherche mené par W.H. Porter en 1938, fait remarquer que la liste des groupes constituant le comité (Parti Républicain Radical, Radical socialiste, socialiste, communiste, Fédération Nationale de la Libre Pensée, Grand Orient de France, etc.) ressemble à l’énumération des sections du Rassemblement populaire, qui constitue-ront ensuite la base du gouvernement du Front populaire en 1936. L’école unique semble ainsi avoir été d’une certaine façon, l’un des creusets unificateurs du Front populaire… dès 1927. Un tel rapprochement montre bien les rapports de filiation existant entre les différentes tentatives de mise en œuvre de l’École unique dans l’entre-deux-guerres voire après.

Quelques réalisations concrètes posant les bases d’une certaine forme d’école unique sont mises en place dans les premières années de l’entre-deux-guerres. Pour un certain nombre d’auteurs (Barreau, Garcia et Legrand, 1998, par exemple), ces réalisations du Cartel des gauches sont rela-

8 6035 TG WB 00 Page 16

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

L’École de la République questionnée sur son principe d’égalité

Chapitre 1

tivement modestes, eu égard aux fortes ambitions affichées dans les déclarations initiales des radicaux, le rapport sur l’Instruction publique d’août 1924 devant la Chambre et les travaux de la commission de l’Ecole unique. Pour d’autres au contraire, et en particulier pour les acteurs poli-tiques de cette période tel Edouard Herriot, le bilan est beaucoup plus positif. Dans un texte de 1948, ce dernier résume les mesures prises en quatre points en précisant qu’elles devaient toutes concourir au rapprochement des deux ordres d’enseignement : primaire et secondaire :

1. sous notre gouvernement de 1924-1925, les élèves des écoles publiques purent être admis, à titre gratuit et jusqu’à limite des places disponibles ;

2. le décret du 9 janvier 1925 unifiait le concours des bourses ; désormais, le même examen ouvrait également soit l’école primaire supérieure, soit le lycée ou le collège ;

3. par le décret du 12 septembre 1925, le personnel enseignant dans les classes primaires du secondaire et dans les écoles primaires publiques était unifié à son tour ; le professorat spé-cial des classes élémentaires était supprimé. L’ancien personnel était remplacé, à mesure que des vacances se produisaient, par des instituteurs ;

4. enfin, les programmes d’enseignement étaient unifiés ».6

Herriot ne cite pas deux autres mesures qui apparaissent moins liées à la question de l’Ecole unique, mais qui semblent pourtant tout à fait importantes à cet égard :

Par le décret du 9 août 1924, le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts, François Albert rétablit l’enseignement moderne dès la 6e. Cette décision met fin à la réforme instituée par Léon Bérard en 1923 qui, imposant la pratique du latin dans toutes les classes de 6e, avait de fait supprimé la section moderne (décret du 3 mai 1923) ;

Par le décret du 13 mai 1925, le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts, Anatole de Monzie, établit le principe de l’amalgame entre les classes de l’enseignement secondaire classique et moderne.

Le texte de 1924 remet en cause un dispositif qui excluait les élèves qui ne souhaitaient pas axer leur scolarité sur les humanités classiques. Il permet ainsi de limiter la forme d’élitisme que sem-blait vouloir prôner Léon Bérard. Ces textes peuvent être considérés comme marquant une étape importante d’une démarche générale de rapprochement des différents types d’enseignement, qui se poursuivra avec la signature du décret-loi du 1er octobre 1926 qui établit le principe des « classes amalgamées ».

Ces réalisations s’inscrivent parmi celles que le gouvernement d’Union nationale de Raymond Poincaré encouragera. Homme politique de droite, Raymond Poincaré rêve de faire revivre l’« union sacrée» qui s’était emparée de la société française au début de la première guerre mon-diale. Jean-Jacques Becker et Serge Berstein (1990) présentent le personnage arrivant au pouvoir en 1926 de la manière suivante. C’est

« l’ancien chef de l’État, inventeur de l’union sacrée, le thaumaturge des finances, le vainqueur du « Verdun financier » de 1924. Au demeurant, reprenant la thématique de l’union sacrée, la seule dont il se réclame depuis son retour à la vie politique en 1920, il se propose de réaliser un gouver-nement d’union nationale allant de la droite aux socialistes ».

Les socialistes n’acceptent pas de participer au gouvernement. Les radicaux en revanche tentent l’aventure. C’est ainsi qu’Edouard Herriot devient ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts. Une telle configuration apparaît paradoxalement à la fois fragile (confrontation d’adversaires politiques dans l’exercice du pouvoir) et forte (Poincaré, tenant à la réussite de son gouvernement d’union nationale, semble soutenir assez largement les positions d’Herriot).

6. Edouard Herriot ne donne pas la date de ce dernier texte. Il s’agit de l’arrêté du 12 février 1926.

8 6035 TG WB 00 Page 17

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

L’École de la République questionnée sur son principe d’égalité

Chapitre 1

Le gouvernement Poincaré est solide, dans la mesure où il durera plus de deux ans, ce qui est exceptionnel pendant la IIIè République : 47 gouvernements se succèdent entre 1920 et 1940 ! (Rémond, 2002). C’est, en fait, en raison du départ des radicaux qu’il sera contraint à démis-sionner (un nouveau gouvernement Poincaré se mettant alors en place sans les radicaux). Pour Edouard Herriot, la situation est politiquement délicate. Il raconte ainsi dans ses mémoires en 1948 les conditions difficiles dans lesquelles il accepte de participer à ce gouvernement :

« J’acceptai, sachant tout ce que j’allais provoquer de colères et de rancunes, de la part de ceux peut-être qui étaient restés sur la rive quand je me débattais dans le courant ».

Et, de fait, il est vivement contesté dans son camp politique, ce qui le contraint à abandonner la présidence du parti radical (Berstein, 2004). En outre, un contexte financier difficile conduit Poincaré à rechercher la stabilisation des finances à travers trois axes d’intervention : augmen-tation des impôts directs et indirects, « rationalisation» de l’administration, redressement de la monnaie. C’est dans ce contexte politique et économique qu’est publié le décret-loi du 1er octobre 1926 qui demande que dans les établissements secondaires où se trouve annexée une EPS ou une EPCI (et inversement), certains cours soient donnés en commun. Lors d’une conférence donnée à Paris en décembre 1945, à l’invitation de Paul Langevin, dans le cadre de l’Union française uni-versitaire, Edouard Herriot raconte la manière dont le texte a été conçu. Il relate ainsi les termes d’un échange avec Raymond Poincaré et de la réflexion qui a suivi.

« Un jour il me disait : « Il faut faire des économies, des économies féroces… Vous allez me sup-primer les collèges […]. J’étais très malheureux. […]. Alors j’ai rusé avec la difficulté. C’est à ce moment là que j’ai, comme Ministre de l’Instruction publique, imaginé ce qu’on a, pour me punir, gratifié d’un bien vilain nom, du nom de « jumelage». Ne voulant pas supprimer les collèges, je les ai jumelés avec les écoles techniques et les écoles primaires supérieures. C’était la seule façon que j’avais de les sauver et en même temps je faisais ce rapprochement des trois ordres d’enseignement auquel j’ai été toujours et je suis toujours attaché ».

On voit bien, ici, le triple objectif poursuivi par Edouard Herriot : objectif économique, de défense des collèges, et de contribution à la mise en œuvre de l’école unique. C’est sans doute la confrontation de fins diverses et non contradictoires qui conduit à la réalisation effective des projets. Même si la tentative reste limitée, même si elle est considérée comme un échec par la plupart des historiens de l’éducation, il n’en demeure pas moins que cette expérience révèle une évolution sensible des mentalités permettant d’accepter (au moins pour certains acteurs du monde politique et scolaire), ce qui était encore impensable quelques années auparavant : à savoir le regroupement dans les mêmes classes d’élèves issus des différents ordres d’enseigne-ment. Cette expérience apparaît également comme essentielle en ce qu’elle prépare l’avène-ment de la gratuité de l’enseignement secondaire. La gratuité de l’enseignement secondaire est en effet progressivement établie en considérant les injustices qu’il y avait à demander à certaines familles de payer la scolarité de leurs enfants de 6e alors que d’autres enfants, inscrits dans la même classe en cours préparatoire de l’enseignement primaire supérieur, bénéficiaient de la gratuité de l’enseignement.

Exercice n° 3

« L’école unique résout simultanément deux questions : elle est l’enseignement démocra-tique et elle est la sélection par le mérite ».

Au regard de cet extrait du Manifeste des Compagnons de l’Université nouvelle, en quoi l’idée de sélection apparaît-elle ici comme relevant d’une logique progressiste, selon vous ?

8 6035 TG WB 00 Page 18

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

L’École de la République questionnée sur son principe d’égalité

Chapitre 1

Sources et bibliographieSi les sources ne constituent pas des éléments à partir desquels il vous est demandé de travail-ler, les références bibliographiques utilisées dans le cadre de l’écriture de ce cours peuvent, au contraire, être consultées afin de vous permettre une compréhension plus large des objets abor-dés dans cette partie.

SourcesHERRIOT Edouard, L’Ecole unique et la troisième République, Conférence donnée à l’invitation de l’Union française universitaire, 1945.

HERRIOT Edouard, Jadis, Paris, Flammarion, 1948.

Compagnons (Les), L’Université nouvelle, Tome 1, Paris, Fischbacher, 1918.

Compagnons (Les). L’Université nouvelle, Tome 2, Paris, Fischbacher, 1919.

BibliographieBARREAU Jean-Michel, GARCIA Jean-François et LEGRAND Louis, L’école unique (de 1914 à nos jours), Paris, PUF, 1998.

BECKER Jean-Jacques et BERSTEIN Serge, Victoire et frustrations, 1914-1929, Paris Seuil, 1990.

BERSTEIN Serge, « Les radicaux ». In J.-J. BECKER, G. CANDAR, Histoire des gauches en France, Paris, La Découverte, 2004.

GAILLARD Jean-Michel, Un siècle d’école républicaine, Paris, Seuil, Points, 2000.

GARCIA Jean-François, L’école unique en France (1916-1975) ; approche historique et sémantique, Thèse de Doctorat d’État, Université de Strasbourg, Atelier national de reproduction des thèses, 1993.

GARNIER Bruno, Les combattants de l’école unique, Lyon, INRP, 2008.

HULIN Nicole, L’enseignement et les sciences ; l’exemple français au début du XXe siècle, Paris, Vuibert, 2005.

ISAMBERT JAMATI Viviane, Les savoirs scolaires : enjeux sociaux des contenus d’enseignement et de leur réforme, Paris, L’Harmattan, 1995.

LELIÈVRE Claude, Jules Ferry ; la République éducatrice, Paris, Nathan, 1999.

LELIÈVRE Claude, Histoire des institutions scolaires (depuis 1789), Paris, Nathan, 2002.

LELIÈVRE Claude et NIQUE Christian, Bâtisseurs d’école – histoire biographique de l’enseignement en France, Paris, Nathan 1994.

LÉON Antoine et ROCHE, Pierre, Histoire de l’enseignement en France, Paris, Puf, Que-sais-je ?, 2003.

MARTIN Jérôme, « Aux origines des examens », Histoire de l’éducation, n° spécial L’examen, 2002, p. 177-199.

MOLE Frédéric, L’école laïque pour une République sociale ; controverses pédagogiques et poli-tiques, (1900-1914), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.

PROST Antoine, Histoire de l’enseignement en France, Paris, Colin 1968.

8 6035 TG WB 00 Page 19

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

L’École de la République questionnée sur son principe d’égalité

Chapitre 1

RÉMOND René, La république souveraine ; la vie politique en France, 1879-1939, Paris Fayard, 2002.

ROBERT André et TERRAL Hervé, Les IUFM et la formation des enseignants aujourd’hui, Paris, Puf, 2000.

TALBOTT John E, The politics of educationnal reform in France, 1918-1940, Princeton, Princeton University Press, 1969.

TERRAL Hervé, Paul Lapie ; Ecole et société, Paris, L’Harmattan, 2003.

TERRAIL Jean-Pierre, « L’essor des scolarités et ses limites », in J.P. Terrail, La scolarisation de la France, Paris, La Dispute, 1997, p. 21-36.

8 6035 TG WB 00 Page 20

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

Le contexte des réformes scolaires à la fin des années 1930

Chapitre 2

Chapitre 2

Le contexte des réformes scolaires à la fin des années 1930

« Voici l’immense bâtiment du second degré ; une foule grandissante d’enfants l’assaille d’année en année. Mais par suite de circonstances diverses, cette foule désorientée envahit et encombre une aile du bâtiment. Cette aile communique mal avec les autres. D’abord assurons les commu-nications ; puis aidons chaque enfant à trouver sa place, c’est-à-dire sa classe ». Gustave Monod, discours prononcé à « L’union pour la vérité » le 19 février 1936.

« Les exclus ont les mêmes droits que les élus. Leur fermer la porte est une manière d’abdication ». Jean Zay, document non daté.

La victoire de la gauche aux élections législatives du 26 avril et du 3 mai 1936 porte le Front populaire au pouvoir à partir du mois de juin (investiture du gouvernement Blum, le 6 juin 1936). Le Front populaire se présente comme le rassemblement des forces de gauche. Le gou-vernement, dirigé par Léon Blum est composé de représentants de la SFIO (Section française de l’internationale ouvrière) et du parti radical. Le parti communiste quant à lui, s’il ne participe pas au gouvernement, apporte son soutien actif à l’équipe qui tient les rênes du pays en 1936. Après ce que Léon Blum a lui-même appelé une « embellie », caractérisée par des réformes attendues depuis longtemps (congés payés, semaine de 40 heures, nationalisation des usines d’armement, grands travaux, etc.) le gouvernement est confronté à de rudes difficultés inté-rieures (en particulier économiques) et extérieures (positionnement difficile par rapport à la guerre d’Espagne).

Léon Blum démissionne le 21 juin 1937 et est remplacé dès le lendemain par le radical Camille Chautemps. Quelques mois plus tard en mars 1938, Léon Blum revient au pouvoir de manière éphémère puisqu’il doit démissionner le 8 avril de la même année. Il est remplacé par le radical Edouard Daladier, qui constitue un gouvernement comportant des personnalités du centre droit. Ce contexte politique ne pouvait que constituer un terreau favorable à la mise en œuvre de réformes importantes des institutions scolaires. Ces réformes et projets de réformes seront portés par un homme politique exceptionnel à plus d’un titre : Jean Zay.

Léon Blum (à gauche) et Jean Zay (à droite)

8 6035 TG WB 00 Page 21

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

Le contexte des réformes scolaires à la fin des années 1930

Chapitre 2

1. Jean Zay et le ministère de l’Éducation nationaleDans une période où les ministères duraient rarement longtemps, Jean Zay a accompli le tour de force de demeurer ministre de l’éducation nationale du 4 juin 1936 au 10 septembre 1939. Si son nom est clairement attaché à l’expérience du Front populaire, on constate que son maintien à la tête de ce ministère complexe a largement dépassé la borne marquant la disparition du Front populaire stricto sensu. Il est en effet d’usage de considérer que le Front populaire disparaît avec la chute du second gouvernement Blum le 12 avril 1938.

Avocat, député radical du Loiret, Jean Zay fut le plus jeune ministre de la Troisième République puis qu’il a 31 ans lorsqu’il occupe la fonction. Politiquement, il fait partie de ce que l’on a appelé les « Jeunes Turcs » ou « Jeunes Radicaux ». Au côté de Pierre Mendès-France et Pierre Cot, il milite avant 1936 contre les influences centristes et modérées du Parti Radical et pour un rappro-chement avec la SFIO. Ministre particulièrement brillant, il sait s’entourer de spécialistes recon-nus du monde éducatif, tels Albert Châtelet, Gustave Monod ou Marcel Abraham. Il mène au ministère une politique ambitieuse. Mais devant les oppositions réelles ou anticipées auxquelles il doit faire face, il est conduit à procéder par voie réglementaire pour accélérer le mouvement de réforme qu’il souhaite impulser. Du fait de la guerre, certains de ses projets (création de l’ENA, réforme d’ensemble de l’enseignement secondaire…), jamais examinés au Parlement, sont de fait abandonnés. Jean Zay est poursuivi et emprisonné par le gouvernement de Vichy. Il est assassiné par les miliciens à Moles, le 21 juin 19447.

Trois personnages clés aux côtés de Jean Zay : Albert Châtelet, Gustave Monod et Albert Abraham

Albert Châtelet (1883-1960) est nommé directeur de l’enseignement du Second degré en 1937. Ce fils d’instituteur, agrégé de mathématiques, universitaire, devient recteur de l’académie de Lille en 1924. Il occupe cette fonction pendant 13 ans avant sa nomination par Jean Zay au ministère. Il demeure à ce poste jusqu’à ce que le régime de Vichy le renvoie. A la libération, il retourne à la carrière universitaire et devient doyen de la faculté des sciences de Paris de 1949 à 1954. Il prend sa retraite professionnelle en 1954. Il s’engage alors dans de nouveaux combats à la présidence de l’Union rationaliste, en faveur de la paix, contre la guerre d’Algérie. Il se présente aux élections présidentielles de 1958 contre de Gaulle pour le compte de l’Union des forces démocratiques. Albert Châtelet, ce personnage aux carrières multiples aux facettes nom-breuses d’une vie riche, a occupé une place fondamentale dans la mise en œuvre des réformes de Jean Zay, et en particulier des classes d’orientation.

Source : Jean-François Condette. Condette, J.F., Albert Châtelet, la République par l’école (1883-1960), Arras, Artois Presses Université, 2009.

Gustave Monod (1885-1968) réussit l’agrégation de philosophie de 1913. Après la guerre (pendant laquelle il est amputé de la jambe droite) il enseigne la philosophie dans plusieurs lycées (Toulon, Avignon, Reims, Tours, Marseille). Parallèlement à ses activités d’enseigne-ment, Gustave Monod manifeste plusieurs engagements militants, en particulier auprès des Compagnons de l’université nouvelle, ou en faveur des actions de la Société des Nations. Il est nommé directeur de cabinet d’Anatole de Monzie en 1933, retourne enseigner en lycée (Louis-le-Grand, Condorcet puis Versailles) avant d’être nommé Inspecteur d’académie en résidence à Paris en juin 1936, à l’appel de Jean Zay. Il est nommé adjoint du directeur de

7. Sur la vie et l’œuvre de Jean Zay, il est possible de consulter le très beau livre qui été tiré de ses écrits alors qu’il était emprisonné dans les geôles du régime de Vichy (Jean Zay, Souvenirs et solitude, Paris, Belin, 2010). Plusieurs ouvrages lui ont, par ailleurs, été consacrés. Parmi ceux-ci, Chavardès (1965), Prost (2003), Ruby (1994), et très récemment, un ouvrage très complet d’Olivier Loubes (2012).

8 6035 TG WB 00 Page 22

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

Le contexte des réformes scolaires à la fin des années 1930

Chapitre 2

l’Enseignement du Second degré à titre temporaire. Chargé de mission auprès du recteur de l’académie de Paris et du directeur de l’enseignement du second degré en 1937, il a rang et prérogatives d’inspecteur général, et peut être considéré à cet égard comme un des principaux acteurs aux côtés d’Albert Châtelet, de l’expérience des classes d’orientation.

A la libération, il est nommé directeur de l’enseignement du Second degré et met en place dans ce cadre l’expérience des « classes nouvelles ». Il prend sa retraite en 1951 et continue jusqu’à la fin de sa vie à encourager les projets d’éducation nouvelle.

Source : T. Lecoq et A. Lederlé, Gustave Monod, une certaine idée de l’école, Sèvres, Centre international d’études pédagogiques, 2008 et J. Cambon, R. Delchet, L. Lefèvre,

Anthologie des pédagogues français contemporains, Paris, PUF, 1974.

Marcel Abraham (1898-1955) est le directeur de cabinet du ministre Jean Zay. Il réussit l’agréga-tion de lettres en 1923, puis enseigne aux lycées de Charleville, d’Orléans, puis au lycée Carnot. A partir de 1932, il entre au ministère de l’Education nationale qu’il ne quitte quasiment plus jusqu’à sa mort. Il fut chef de cabinet de trois ministres : Anatole de Monzie (1932-1934), Jean Zay (1936-1939) et Pierre-Olivier Lapie (1950-1951).

Source : Fonds Marcel Abraham, 312 AP – Archives nationales

Exercice n° 4

En vous appuyant sur l’ouvrage en ligne de T. Lecocq et A Lederlé http://www.ciep.fr/presen-tationciep/docs/Monod.pdf, présentez en une page l’action pédagogique de Gustave Monod.

Les mesures générales mises en œuvre par le ministre Jean Zay s’inscrivent dans un ensemble d’actions qu’il convient d’étudier afin d’en saisir toute la portée. Comme le rappelle Marcel Ruby (1994), Jean Zay inscrit clairement ses réformes dans une double perspective : politique d’une part, pédagogique d’autre part. La première idée fondamentale – d’essence politique – consiste à contribuer au processus de démocratisation de l’enseignement présent dans l’esprit des forces progressistes depuis le début du XXe siècle. La seconde idée – d’essence pédagogique – est celle de l’orientation, intimement liée à la première, puisqu’il s’agit ainsi de dépasser le cadre des classes sociales d’origine pour revoir le positionnement dans le système d’enseignement sur la base des seules aptitudes. Parmi les réformes essentielles menées par Jean Zay, on peut tout particulière-ment retenir les suivantes, révélatrices du souci de construction d’une école unique.

Son action sur l’organisation du ministère de l’Éducation nationale sera essentielle. Par le décret du 1er juin 1937, Jean Zay crée trois directions de degrés. Les classes élémentaires des collèges et lycées sont rattachées au premier degré, alors que les écoles primaires supérieures sont désormais liées au deuxième degré (elles étaient considérées jusqu’alors comme relevant de l’enseignement primaire). Dans le même temps, le ministre réalise le vœu exprimé depuis longtemps par les défenseurs de l’Ecole unique, prolongeant à 14 ans l’obligation scolaire avec la loi du 9 août 1936. Il convient de noter le fait que cette année supplémentaire, au-delà de la valeur symbolique attachée à l’idée de prolongation de l’obligation de scolarité (l’école était obligatoire jusqu’à 13 ans depuis la loi Ferry de 1882), doit être l’occasion d’une réflexion et d’une action sur les liens entre monde scolaire et monde professionnel. Comme le mentionnent Claude Lelièvre et Christian Nique (1994), cette année supplémentaire doit être une préparation directe à la vie. Les instructions de 1938 précisent qu’il ne s’agit pas d’une année de plus prolongeant simplement les mêmes études, mais qu’elle doit être ouverte aux réalités locales et à des préoccupations d’orientation professionnelle.

Sur le plan de la coordination des enseignements, le décret du 21 mai 1937 précise que les pro-grammes des classes de 6e, 5e, 4e et 3e et ceux des cours préparatoires et des trois années d’études des écoles primaires supérieures doivent être aménagés de manière à permettre éventuellement

8 6035 TG WB 00 Page 23

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

Le contexte des réformes scolaires à la fin des années 1930

Chapitre 2

en cours d’études le passage de l’une à l’autre. Deux arrêtés du 11 avril 1938 complètent ce texte en identifiant totalement les programmes du premier cycle de l’enseignement secondaire et des quatre années d’école primaire supérieure. On peut analyser cette mesure comme un prolonge-ment de la logique qui avait conduit aux rapprochements propres aux diverses expériences des classes amalgamées.

Mentionnons, enfin, une mesure rarement citée car n’étant sans doute pas chargée de la même valeur symbolique, mais qui doit éclairer certains aspects du contexte dans lequel se constituent et se développent les classes d’orientation : le décret-loi du 24 mai 1938 relatif à l’organisation de l’orientation et de la formation professionnelle dans le commerce et l’industrie. Il ne s’agit pas directement d’un texte de Jean Zay, mais d’un de ses proches, Alfred Jules Julien, Sous-secrétaire d’État de l’Enseignement technique du 24 janvier 1936 au 9 avril 1938. Ce dernier, avocat et membre du Parti Radical comme Jean Zay, présente un projet de loi le 9 décembre 1937 à l’occa-sion du vote du budget. Le texte fera finalement partie des « décrets-lois » votés par le parlement le 13 avril 1938 dans le cadre de la procédure d’urgence. Ce décret-loi rend obligatoire la consul-tation d’un centre d’orientation professionnelle pour tous les jeunes de moins de 17 ans employés dans une entreprise industrielle ou commerciale. Il atteste d’une préoccupation générale pour la question de l’orientation, qu’elle ait une vocation scolaire et/ou professionnelle, cette préoccu-pation s’inscrivant dans des projets extrêmement ambitieux de réforme de l’enseignement et des ses relations avec la société et le monde professionnel.

2. Le programme et les instructions de 1938Ces programmes sont révélateurs des conceptions de Jean Zay et de ses conseillers. Ils apparaissent comme une forme d’aboutissement des réflexions menées dans les années trente, ces idées étant mises en valeur lors du Congrès du Havre. Dans l’analyse qu’il fait des instructions de 1938, dont il attribue pour partie la rédaction effective à Jean Zay, Antoine Prost montre que ce texte est la

« résultante d’une mobilisation collective, la synthèse – provisoire – d’une dynamique réformatrice dont le mérite incombe incontestablement au ministre libéral qui l’a suscitée et accompagnée » (Prost, 2003, p. 195).

Pour Antoine Prost, ces textes sont traversés par une vision humaniste fermement revendiquée. « Son rôle (enseignement du second degré) est moins de les pourvoir d’un bagage de connais-sances utiles que de favoriser le libre et complet développement de leurs facultés et d’en faire des hommes, en cultivant chez eux tout ce qui fait l’excellence de l’homme : l’intelligence, le cœur, le caractère, le sens moral, le goût du beau. C’est par cet objet et non pas uniquement par son contenu que doit se définir un enseignement humaniste » (Programmes – horaires – instructions 1937-1938, p. 6)

Il s’agit de former un homme complet et de se départir d’une vision encyclopédiste. L’accent est mis sur le développement des facultés, expression sans doute plus noble et moins référencée à la psychologie que la notion d’aptitude.

8 6035 TG WB 00 Page 24

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

Le contexte des réformes scolaires à la fin des années 1930

Chapitre 2

Les programmes et les instructions de 1938. Version éditée par la fédération générale des pupilles de l’École publique

Quel que soit le concept utilisé, il importe de considérer l’individu indépendamment de ses caracté-ristiques sociales et de mettre en jeu un enseignement lui permettant de se développer au mieux. Ce souci ne doit pas être conçu comme une forme de nivellement par le bas puisque l’idée de la recherche de l’excellence est affirmée, cette excellence ne recouvrant pas que les aspects intellec-tuels puisqu’on place sur le même plan l’éducation morale, du caractère, ainsi que l’éducation esthé-tique. Les disciplines, leurs contenus et les méthodes pédagogiques mises en jeu sont strictement déterminés par ce cadre de référence. Du fait du souci de coordination des programmes, les élèves de l’enseignement secondaire et de l’enseignement primaire supérieur sont supposés bénéficier d’un enseignement régi par les mêmes principes généraux. Les auteurs des programmes privilégient en fait ce qui rapproche les sections plutôt que ce qui les distingue. L’essentiel du propos porte sur les instructions communes. Les instructions spécifiques sont données au détour d’un paragraphe. On évoque ainsi la possibilité de recourir à l’« explication par le latin ».

« Dans les classes où les élèves apprennent le latin, il peut être commode de recourir à cette langue pour leur faire découvrir le sens des mots français » (Programmes – horaires – instructions 1937-1938, p. 63)

C’est sur la liste des auteurs à étudier que le principe de l’articulation est le plus intéressant à étudier. Il existe un certain nombre d’œuvres communes à toutes les sections. Elles correspondent, comme le rappellent les rédacteurs des instructions aux œuvres qui étaient antérieurement déjà étudiées de part et d’autre dans les anciens programmes. On précise donc que pour ces œuvres, rien ne change pour les professeurs. Il existe par ailleurs des œuvres spécifiques aux sections modernes et d’EPS d’autre part. Il s’agit par exemple d’étudier en 6e et en classe préparatoire d’EPS, les « Contes et légendes des littératures étrangères, mis en français ». Par ailleurs, on semble avoir importé pour les auteurs communs des œuvres qui étaient dans les anciens pro-grammes réservés à l’enseignement secondaire. Là encore, le souci de maintenir un haut niveau d’exigence dans tout l’enseignement du second degré semble prévaloir. Tout se passe comme si les concepteurs de cette réforme avaient décidé d’importer le « meilleur » de chaque ordre d’enseignement : les œuvres littéraires exigeantes importées de l’enseignement secondaire, les savoirs techniques liés au travail manuel importés de l’enseignement primaire supérieur. Parmi ces œuvres des anciens programmes de l’enseignement secondaire, on compte les « morceaux choisis de prose et de vers » et les fables tirées des trois premiers livres de La Fontaine, les « Contes et récits extraits des prosateurs et des poètes du Moyen âge », et le « Télémaque » de Fénelon.

8 6035 TG WB 00 Page 25

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

Le contexte des réformes scolaires à la fin des années 1930

Chapitre 2

Plus intéressant pour la question de la coordination des programmes, mentionnons l’étude des « Contes et récits tirés des auteurs de l’antiquité mis en français ». Ces œuvres sont présentées sur la base de l’argumentation suivante.

« Il importait en effet de faciliter dans cette classe liminaire du second degré, la coordination des enseignements. Aussi a-t-on fait figurer au programme de français des textes dont la lecture accompagnera et illustrera l’étude de l’histoire ancienne » (Programmes – horaires – instructions 1937-1938, p. 72-73)

Il s’agit ainsi de faire découvrir à des élèves non latinistes les grandes œuvres antiques qu’ils n’au-ront vraisemblablement pas l’occasion de lire dans la langue originale. Le recours à cette œuvre est-il lié à la volonté de permettre une réorientation possible des non latinistes vers la section classique, ou plus modestement (et sans doute plus probablement) s’agit-il de leur donner l’occa-sion de construire une culture classique se référant à l’antiquité, visant une limitation de l’écart culturel entre les différentes sections.

La langue vivante est l’autre discipline dans laquelle il existe une différence d’horaires selon des sections. Les élèves de 6e A (section avec latin) ont 3 h de langue vivante, contre 5 h pour les 6e B (section sans latin) et 4 h pour les classes préparatoires à l’EPS. Le programme est clairement commun à toutes les classes. La seule différence est de l’ordre de la nuance, de l’infléchissement de l’acte pédagogique. Ce principe est ainsi utilisé pour la grammaire.

« Le maître dosera sa part, comme celle des explications abstraites données en français, selon les circonstances : devant les élèves de la section A, il pourra, par exemple, consacrer moins de temps à l’étude de la valeur et du sens des cas : alors que, en section B, il sera utile d’expliquer assez longuement ce mécanisme de la déclinaison, dont le français ne garde que de faibles traces » (Programmes – horaires – instructions 1937-1938, p. 179)

On assiste ainsi à une véritable volonté de rapprochement entre les enseignements des différents ordres. Même si la fusion n’est pas encore réalisée, on peut considérer que c’est l’idée d’enseigne-ment commun qui prédomine. Environ la moitié des matières sont ainsi totalement communes (même nombre d’heures, identité des programmes). Pour les disciplines aux horaires différents (français et langue vivante) les programmes sont quasiment identiques. A charge pour l’ensei-gnant d’infléchir son enseignement de manière à l’adapter à son public. Une réforme importante est en marche, mais on cherche à la promouvoir en montrant d’une part qu’on laisse l’initiative aux enseignants de gérer au mieux la situation pédagogique rencontrée, et d’autre part en mini-misant les modifications apportées. Antoine Prost résume ainsi les caractéristiques de l’exercice parfois périlleux de rédaction d’instructions officielles.

On « tend à placer généralement l’innovation sous le signe de la tradition ; les instructions pré-sentent le changement comme la continuation de pratiques anciennes » (Prost, 2003, p. 193)

Exercice 5

Tenter de résumer l’esprit des programmes officiels de 1938 sur la base des éléments du cours complétés par ceux retrouvés par des historiens de l’éducation sur internet. Exemple : le commentaire d’Antoine Prost sur le site Cairn.info :

http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=SCPO_PROST_2003_01_0193

8 6035 TG WB 00 Page 26

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

Le contexte des réformes scolaires à la fin des années 1930

Chapitre 2

3. Le Congrès du HavreComme mentionné ci-dessus, les instructions de 1938 sont conçues dans un contexte de rénova-tion pédagogique dont le Congrès du Havre organisé deux ans plus tôt, du 31 mai au 4 juin 1936 marque assurément le point d’orgue. Ce congrès apparaît comme l’aboutissement, la matéria-lisation des idées novatrices développées dans les années vingt et trente, mais aussi comme un point de départ essentiel de la réflexion qui doit déboucher sur la mise en œuvre des innovations institutionnelles et pédagogiques des années suivantes. Ce congrès « pour l’étude des questions relatives à l’organisation de l’Enseignement du second degré » a été conçu à l’initiative de la revue « L’enseignement scientifique » (Condette et Savoye, 2011). Cette revue, qui se propose de promouvoir l’enseignement scientifique, ses méthodes et ses fins, dépasse ici largement le cadre des missions qu’elle s’est donnée. Dans le propos qui introduit l’ouvrage édité pour rendre compte des travaux du congrès, on lit que la Revue scientifique

« espérait ainsi grouper tous ceux qu’intéressent les questions de pédagogie active et qui s’ef-forcent de donner un meilleur rendement aux méthodes et procédés en usage dans l’enseigne-ment. Elle s’adressait à tous les membres de toutes disciplines, littéraires et scientifiques, des ensei-gnements du second degré : secondaire, primaire supérieur, technique, ou aux usagers, à un titre quelconque de l’enseignement » (Congrès pour l’étude des questions relatives à l’organisation de l’enseignement du second degré, Paris, Hénon, 1936)

La connaissance de l’identité des organisateurs et participants de ce congrès permet de com-prendre les cadres de référence et enjeux de cette manifestation. Ce congrès est tout d’abord le lieu de rencontre de deux univers : celui de la haute administration de l’Education nationale, et celui des praticiens de l’éducation, connus ou non, militants ou non. La manifestation est placée sous la tutelle de Messieurs Charléty (Recteur de l’Académie de Paris), Cavalier (Directeur de l’Enseignement Supérieur), Vial (Directeur de l’Enseignement Secondaire), Rosset (Directeur de l’Enseignement Primaire), Luc (Directeur de l’Enseignement Technique), Le Chatelier (membre de l’Institut). La présidence effective du Congrès est assurée par Albert Châtelet (Recteur de l’Acadé-mie de Lille)8, assisté de messieurs Langevin, Bauer, Lemoine, Fournel, Hunziker, Abry. Il s’agit de hautes personnalités, universitaires, inspecteurs généraux, proviseurs ou président d’honneur des associations de parents d’élèves des lycées et collèges.

Exercice 6

Sur la base des quelques informations livrées ci-dessus, tentez d’en savoir davantage sur l’action menée par chacun d’eux durant les années 1930.

Le comité de patronage quant à lui comprend les directeurs des différentes Ecoles Normales Supérieures, ainsi que de nombreux Inspecteurs Généraux et le Directeur de la Chambre de Commerce de Paris. Le Comité d’organisation comprend dix-sept membres. Six sont des profes-seurs (dont Gustave Monod, encore à ce moment professeur au lycée Louis Legrand), un est pro-viseur et trois autres sont issus du monde professionnel (Secrétaire Général de l’Ecole des Travaux Publics de Paris, libraire au Havre et négociante au Havre). Sur les six professeurs, trois enseignent au lycée du Havre : Marcel Ginat, Alfred Weiler et Roger Gal.

Les organisateurs du congrès ont enregistré l’inscription de 500 participants et ont recueilli 120 propositions de communication. Albert Châtelet insiste dans son allocution d’ouverture sur la diversité des origines des congressistes.

8. À ce moment, Albert Châtelet est encore Recteur. Il ne deviendra Directeur de l’Enseignement du Second degré qu’au début de l’année 1937 (décret du 9 janvier 1937).

8 6035 TG WB 00 Page 27

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

Le contexte des réformes scolaires à la fin des années 1930

Chapitre 2

« Tous les enseignements sont représentés dans cette salle, mais le second degré surtout, c’est-à-dire tout ce qui prend l’enfance au sortir de l’école primaire, soit pour lui faire prolonger des études jusqu’aux universités, soit pour l’aiguiller plus directement vers la vie » (Allocution rappor-tée par H. Parigot dans le journal Le Temps, du 2 juin 1936, relatée dans L’Enseignement scienti-fique, 1936, p. 279)

Cette impression est confirmée quand on consulte la liste des participants. On y trouve de nom-breux professeurs du secondaire de toutes disciplines (l’organisation du congrès par une revue se proposant de promouvoir l’enseignement des sciences n’a pas découragé les littéraires), des ensei-gnants d’écoles primaires supérieures et de l’enseignement technique, des instituteurs et institu-trices, des chefs d’établissement (du secondaire ou du primaire supérieur), des membres des corps d’inspection, mais aussi des représentants des chambres consulaires (en particulier de la chambre de commerce). Même si un certain nombre de participants viennent du Havre ou de la région, le congrès recrute au-delà des frontières hexagonales. Tous les ingrédients sont réunis pour faire de ce Congrès un moment important de l’histoire des institutions scolaires et de l’innovation péda-gogique. Cinq grands thèmes sont retenus, chacun étant subdivisé en questions plus précises. Sans entrer dans le détail, notons les questions que les organisateurs projetaient de traiter. Celles-ci sont révélatrices de l’état d’esprit et des questionnements importants des années 1930.

Les thèmes du Congrès du Havre (1936)

Thème I. Organisation générale de l’enseignement – But et efficacité de l’Enseignement – Efficacité de l’Enseignement – Expériences faites en France et à l’étranger – Organisation du travail des élèves (en classe, à la maison, séances de direction de travail) – Détermination du rendement du travail des élèves – Organisation du travail des professeurs – Organisation des salles et du matériel scolaire – Questions diverses

Thème II. Organisation de l’Enseignement expérimental – Laboratoires, salles de cours, salles de travaux pratiques – Matériel d’enseignement et de travaux pratiques – Organisation des exercices pratiques – Interrogations et examens portant sur les sciences expérimentales

Thème III. Organisation de l’Enseignement technique – La formation professionnelle par l’Ecole : carrières industrielles, carrières commerciales – Organisation de l’Enseignement du Dessin – Organisation de l’Enseignement à l’Atelier – Organisation des exercices pratiques dans l’Enseignement commercial – Coordination entre les disciplines d’Enseignement théorique et l’apprentissage pro-

prement dit

Thème IV. Organisation de l’Education morale – Opportunité d’un enseignement théorique de la morale – Développement de la personnalité et du sentiment de responsabilité chez l’enfant – Organisation de la vie collective dans les établissements – Sanctions disciplinaires – Décentralisation et personnalité des établissements d’enseignement

8 6035 TG WB 00 Page 28

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

Le contexte des réformes scolaires à la fin des années 1930

Chapitre 2

Thème V. Coordination et liaison – Expériences diverses de coordination entre disciplines et de coordination à l’intérieur

d’une même discipline (conseils de classe, conseils d’enseignement) – Contrôle administratif de cette coordination – Liaison entre les parents d’élèves et les professeurs – Coordination entre les divers enseignements du second degré.

Cette hétérogénéité de thèmes est révélatrice des tensions entre les acteurs potentiels d’une question posée à un moment donné. Que valorise-t-on ? Qu’encourage-t-on ? Quels réseaux sont activés ? Quand on consulte les comptes rendus et le classement analytique des communications effectivement présentées, on peut repérer trois grandes questions imbriquées emblématiques des préoccupations de la période et de la manière dont les problématiques sont articulées.

1° La question politique renvoyant à la construction de l’école unique et au rapprochement des différents ordres d’enseignement apparaît explicitement dans le thème V (coordination et liai-son) en particulier dans le sous-thème « coordination entre les divers enseignements du second degré». Le thème I, qui pourrait aussi être concerné au vu de son titre, n’aborde en fait pas du tout la question.

2° La question pédagogique est omniprésente dans la quasi-totalité des thèmes et sous-thèmes traités. Sous le titre un peu vague « Organisation générale de l’enseignement », se posent des questions d’amélioration des pratiques pédagogiques. Pour ce thème, le classement analytique des communications fait ainsi apparaître les sous-thèmes suivants : rénovation des méthodes (méthodes actives), éducation du sens de l’observation, conditions préalables à l’application des méthodes actives, l’éducation physique… On notera que ce sont moins des considérations de justice sociale que des préoccupations à caractère économique qui président à l’élaboration du programme. On parle ainsi de « but et efficacité de l’enseignement », de « rendement du travail des élèves ». Le thème II, dont il n’était pas possible de faire l’économie du fait de la tutelle de la revue L’enseignement scientifique aborde bien entendu les questions de pédagogie et les place de fait dans le champ des méthodes actives puisqu’il s’agit de considérer l’articulation entre les manipulations dans les disciplines scientifiques et l’acquisition des savoirs. Le thème III s’inscrit dans la même logique puisqu’on y parle d’enseignement du dessin et de la technologie, ou qu’on y présente des « appareils d’enseignement » (pour enseigner la géométrie ou la chimie). Le thème IV sur l’organisation de l’éducation morale, qu’on pourrait percevoir en décalage avec les autres thèmes, est en fait tout à fait à sa place. Il y est question de l’articulation entre la théorie et la pratique de la morale, de l’organisation de la vie collective ou de la mise en place d’un nouveau système disciplinaire.

3° La question psychologique a plus de difficulté à trouver sa place. Elle apparaissait dans le projet dans le cadre du thème I à propos du chapitre consacré à la détermination du rendement du travail des élèves. On sollicite ainsi des communications sur le thème de la méthode des exa-mens et la méthode des tests. Dans les faits, cette question n’a pas été abordée. Dans la table de classement analytique des communications, on repère un thème « les instruments de travail et de classement », qui regroupe des questions aussi diverses que les locaux, les manuels, les notes, les examens, les tests et l’orientation. Sur les neufs communications relevant de cette catégorie, on trouve trois articles de Ginat (« projet d’organisation de salles de classe », « sanctions et nota-tions », « manuels scolaires »), un article de Weiler co-signé avec Ginat (« fiches d’appréciation pour l’enseignement du second degré »). Les autres communications portent sur des questions d’organisation de locaux et de matériel pédagogique. Ainsi, seul l’article sur les sanctions et notations et l’article sur les fiches d’appréciation pourraient relever de cette préoccupation pour la méthode des tests. On constate cependant que ces deux communications sont assurées par des enseignants et non par des psychologues. La communication de Weiler et Ginat n’est même pas

8 6035 TG WB 00 Page 29

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

Le contexte des réformes scolaires à la fin des années 1930

Chapitre 2

reproduite dans l’ouvrage bilan. Quant à l’article sur les sanctions et notations, s’il présente des interrogations sur l’intérêt des examens et sur les conditions d’une amélioration de ceux-ci (en particulier du système de notation), il ne cite à aucun moment les travaux de docimologie déve-loppés par Henri Piéron et de ses collaborateurs de l’INOP (Institut national d’orientation profes-sionnelle) à cette époque. Si la dimension psychologique est bien parfois prise en compte, que ce soit dans certaines communications abordant la nécessité de mieux connaître l’enfant, il n’est pas pour autant question de se référer à des outils scientifiques d’approche de cette connaissance. La fonction psychologique est présente, mais médiatisée par un cadre d’analyse pédagogique.

Lors de l’assemblée de clôture, sept vœux ont été adoptés à l’unanimité. Parmi ceux-ci, deux sont tout à fait emblématiques des préoccupations de réforme de cette période.

Vœu II. Le Congrès désire la création d’Ecole d’expériences, tant pour la coordination de l’ensei-gnement que pour les essais des méthodes pédagogiques.

Vœu V. Le Congrès souhaite que les programmes, l’organisation des services, l’unification des terminologies, tout tende à favoriser la coordination des spécialités et à rendre possible la consti-tution de centres d’intérêts.

Ces vœux montrent bien les deux plans sur lesquels il s’agissait de se positionner en 1936 : le plan de la réforme de l’enseignement visant à un rapprochement des différents ordres d’ensei-gnement, et le plan de la pédagogie et de l’amélioration de ses méthodes. Un principe général semble traverser nombres de débats et communications du congrès. Il s’agit d’établir des liens, des passerelles, entre les différents ordres d’enseignement, entre les enseignants, entre les ensei-gnants et les parents, entre les disciplines, entre les parties constitutives des disciplines. C’est sans doute une des originalités de ce congrès, que celui d’avoir posé les bases de ces rapprochements.

Que ce soit à travers les idées développées ou à travers les hommes qui les portent, le congrès du Havre marque tout à la fois un aboutissement et un point de départ. Comme nous l’avons montré dans ce chapitre, la volonté de réunir ces femmes et ces hommes naît du souci de mettre à jour les idées novatrices qui s’expriment depuis plusieurs années. En confrontant ces idées, ces expériences, on entre dans un processus de reconnaissance et de validation, base des expériences futures. En outre, la confrontation entre des univers différents, celui des praticiens et celui des décideurs, celui des enseignants de terrain et celui de la haute administration de l’Éducation nationale, on tente de jouer la carte de la coopération. On mobilise l’enthousiasme militant pour changer les structures et pratiques du monde de l’enseignement.

Mentionnons, enfin, au terme de ce congrès, la naissance en janvier 1937 d’une nouvelle revue : L’information pédagogique : Revue de l’organisation de l’enseignement du second degré. Celle-ci a pour but de prolonger les réflexions du congrès (L’information pédagogique, « Notre Programme », n° 1, janvier-février 1937, p. 1-2). Elle rassemble aussi bien des représentants de l’administration de l’Éducation nationale (Albert Châtelet encore recteur est directeur de la publication, Georges Condevaux, inspecteur primaire et Gustave Monod désormais inspecteur de l’académie de Paris sont membres du comité de rédaction), que des enseignants (Ginat et Weiler sont respectivement secrétaire général et secrétaire, Hélène Guénot (professeur au lycée annexé de l’Ecole Normale Supérieure de jeunes filles de Sèvres) fait partie du comité de rédaction) ou des militants « officiels » de l’éducation nouvelle (Roger Cousinet et Emilie Flayol sont membres du comité de rédaction). Dans l’analyse que propose Antoine Savoye (2007), les membres du comité de rédaction sont consi-dérés au regard des trois pôles que met en valeur cet auteur (pôle politico-administratif/pôle des militants pédagogiques et des syndicats enseignants/pôle de la science de l’éducation).

« Placée sous l’autorité du recteur Châtelet, cette revue a un comité de rédaction qui reflète exactement l’interpénétration des trois pôles. On y trouve des représentants de la haute adminis-tration (Monod, Fournel, Vannier, Lalande) et de son Conseil supérieur de l’instruction publique (Perrotin, Sance), des militants pédagogiques, soit des chefs de file de l’Education nouvelle

8 6035 TG WB 00 Page 30

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

Le contexte des réformes scolaires à la fin des années 1930

Chapitre 2

(Cousinet, Flayol, Roubakine), soit des enseignants réformateurs (Guénot, Weiler, Ginat, Nathan) ou encore un représentant des associations de parents d’élèves (Hunzicker), enfin, des spécialistes habilités de la science de l’éducation (Bouchet, Bloch). Seuls les syndicats d’enseignants et les par-tis politiques ne sont pas représentés (du moins explicitement) » (Savoye, 2007).

La création de cette revue est à cet égard tout à fait emblématique de cette porosité mise en évi-dence par A. D. Robert (2006), entre culture de l’institution scolaire d’État et culture du courant de l’éducation nouvelle. Le rédacteur du texte de présentation du congrès conclut son propos introductif avec une formule qui résume bien les conclusions du congrès.

« Le congrès a travaillé pour l’avenir, mais le bilan qu’il a établi du passé a montré que la voie vers cet avenir était déjà largement ouverte »(Congrès pour l’étude des questions relatives à l’organisation de l’enseignement du second degré, Paris, Hénon, 1936, Assises du Congrès – introduction, p. 17)

Les classes d’orientation s’inscrivent totalement dans cette histoire. Elles existaient dans l’esprit de certains avant le congrès du Havre. Le congrès a montré qu’il existait des forces puissantes pour les mettre en œuvre.

Comité de rédaction de L’Information Pédagogique (janvier 1937)

8 6035 TG WB 00 Page 31

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

Le contexte des réformes scolaires à la fin des années 1930

Chapitre 2

Sources et bibliographieSi les sources ne constituent pas des éléments à partir desquels il vous est demandé de travail-ler, les références bibliographiques utilisées dans le cadre de l’écriture de ce cours peuvent, au contraire, être consultées afin de vous permettre une compréhension plus large des objets abor-dés dans cette partie.

SourcesArchives nationales – Papiers personnels de Marcel Abraham, 312 AP.

Programmes – horaires – instructions 1937-1938, édités par la Fédération Générale des Pupilles de L’Ecole publique, Paris, Editions Bourrelier, 1938.

Congrès pour l’étude des questions relatives à l’organisation de l’enseignement du second degré, Paris, Hénon, 1936.

L’information pédagogique, « Notre Programme », n° 1, janvier-février 1937, p. 1-2.

BibliographieCAMBON J., DELCHET R. et LEFÈVRE L., Anthologie des pédagogues français contemporains, Paris, PUF, 1974.

CHAVARDÈS Maurice, Un ministre éducateur, Jean Zay, Paris, IPN, 1965.

CONDETTE Jean-François, Albert Châtelet, la République par l’école (1883-1960), Arras, Artois Presses Université, 2009 ?

CONDETTE Jean-François et SAVOYE Antoine, « Le congrès du Havre (31 mai-4 juin 1936) : Albert Châtelet et la réforme de l’enseignement du second degré », Carrefours de l’éducation, 2011/1 (n° 31), pp. 61-88.

LECOQ Tristan et LEDERLÉ Annick, Gustave Monod, une certaine idée de l’école, Sèvres, Centre international d’études pédagogiques, 2008.

LELIÈVRE Claude et NIQUE Christian, Bâtisseurs d’école – histoire biographique de l’enseignement en France, Paris, Nathan 1994.

LOUBES Olivier, Jean Zay, Paris, Colin, 2012.

PROST, A., « Les instructions de 1938 », in A. Prost, Jean Zay et la gauche du radicalisme, Paris, Presses de Sciences Po, 2003.

RÉMOND René, La république souveraine ; la vie politique en France, 1879-1939, Paris Fayard, 2002.

ROBERT André. D, « Une culture contre l’autre : les idées de l’éducation nouvelle solubles dans l’institution scolaire d’État ? Autour de la démocratisation de l’accès au savoir », Paedagogica Historica, Vol. 42, n° 1-2, 2006, pp. 249-261.

RUBY Marcel, Jean Zay, député à 27 ans, ministre à 31 ans, prisonnier politique à 36 ans, assassiné à 39 ans, Orléans, Editions du Corsaire, 1994.

SAVOYE Antoine, « Les sciences de l’éducation face à la réforme des lycées (France, 1920-1939) », Communication au symposium « Sciences de l’éducation et République face à face. Théorisations contrastées d’une discipline indisciplinée (fin du 19e-20e siècle) », AREF, Strasbourg, 2007.

ZAY Jean, Souvenirs et solitude, Paris, Belin, 2010.

8 6035 TG WB 00 Page 32

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

Les classes d’orientation : l’expérimentation pédagogique au service de la réforme ?

Chapitre 3

Chapitre 3

Les classes d’orientation : l’expérimentation pédagogique au service de la réforme ?

Le 5 mars 1937, Jean Zay dépose sur le bureau de la Chambre des députés un texte qui a pour but de réformer en profondeur les enseignements du premier et du second degré. Il est composé d’un exposé des motifs et du projet de loi proprement dit. Ce texte ne sera jamais présenté au Parlement en particulier du fait de l’opposition de personnages influents au tout premier rang desquels on compte le radical Hippolyte Ducos, président de la commission de l’Education natio-nale à l’Assemblée. Ce texte est toutefois essentiel car fondateur de projets importants d’après-guerre. Il connaîtra quelques formes d’application grâce à la politique réglementaire menée par Jean Zay. Les classes d’orientation, qui se mettent en place à titre expérimental en octobre 1937, constituent la marque la plus novatrice des cette politique réglementaire. Ces classes doivent accueillir des élèves qui devaient initialement entrer dans l’enseignement secondaire ou dans l’enseignement primaire supérieur. Le processus rationnel d’orientation scolaire fondé sur la détection des aptitudes individuelles des élèves doit conduire au terme de l’année à conseiller aux élèves et familles une orientation vers la voie classique, vers la voie moderne ou vers la voie technique. Les classes d’orientation se mettent en place à la rentrée de l’année scolaire 1937-1938. L’expérience sera poursuivie pendant l’année scolaire 1938-1939, sans pouvoir aller plus loin du fait de l’entrée de la France dans le conflit mondial le 3 septembre 1939. Deux années riches en enseignements, en initiatives, en réflexions, en rénovations de pratiques. Le cadre et les objectifs de l’expérience sont définis à travers une série de textes particulièrement denses, soumis à une rigueur et une habileté rhétoriques exceptionnelles.

1. Les buts poursuivis9

La réforme générale de l’enseignement envisagée doit s’appuyer en particulier sur l’idée d’une orientation scolaire susceptible de déterminer de manière rationnelle les positions futures dans la société, en fondant les prises de décisions sur la mise en valeur des aptitudes individuelles des élèves. Les textes se centrent sur l’outil qui apparaît fondamental pour mettre en œuvre cette réforme : la classe d’orientation.

9. Les données présentées dans ce chapitre sont essentiellement tirées de Seguy (2010).

8 6035 TG WB 00 Page 33

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

Les classes d’orientation : l’expérimentation pédagogique au service de la réforme ?

Chapitre 3

Brochure du ministère de l’Éducation nationale sur Les Classes d’orientation (1937)

Les classes d’orientation sont présentées comme devant résoudre les dysfonctionnements du processus d’entrée dans l’enseignement du second degré. Dans l’exposé des motifs de l’arrêté du 22 mai 1937, le problème est d’emblée posé en faisant référence à l’afflux de candidats dans l’enseignement du second degré. La sélection à l’entrée en 6e mise en place en 1933 apparaît insuffisante. Deux raisons sont avancées pour rendre compte de cette insuffisance : l’absence de coordination entre le premier et le second degré d’une part, le jeu du hasard déterminant la répartition des élèves dans le second degré d’autre part. Jean Zay pose ainsi les fondements de ce qui définit le passage de la sélection à l’orientation. Il n’est pas opposé à la sélection, loin s’en faut. Il voit ce principe comme absolument nécessaire pour faire face à l’afflux d’élèves. Elle apparaît cependant insuffisante, non parce que l’opération conduit à une trop forte ou trop faible sélection, mais parce que celle-ci se fait de manière totalement irrationnelle au gré du hasard des circonstances. Dès lors, ces classes doivent permettre de repérer les aptitudes pour « mettre l’homme qui convient à la place qui lui convient » (Arrêté du 22 mai 1937). Cette formule consti-tue sans doute un des axes forts de la vision de Jean Zay en matière d’éducation, cette idée étant supposée répondre à une triple préoccupation :

1° Bonheur individuel ;

2° Garantie d’équilibre pour la société ;

3° Réponse à l’exigence de justice sociale.

Le principe de la classe d’orientation découle logiquement de ce principe. Il s’agit ainsi de rece-voir « indistinctement tous les élèves candidats au 2e degré » (Arrêté du 22 mai 1937). L’adverbe utilisé est important. Il montre que l’on ne veut plus établir de distinction au préalable. La classe est définie comme

« une classe d’exercices permettant de discerner les aptitudes, de mesurer l’élan au travail, d’ap-précier l’intérêt que chaque élève porte à tel ou tel ordre d’études » (Arrêté du 22 mai 1937).

La question des aptitudes est ainsi concrètement abordée. Il ne s’agit plus seulement de trans-mettre des savoirs, mais aussi de repérer des indices dans les comportements des élèves, permet-tant de dégager des aptitudes. Cette orientation doit être progressive et ne peut être imposée aux

8 6035 TG WB 00 Page 34

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

Les classes d’orientation : l’expérimentation pédagogique au service de la réforme ?

Chapitre 3

parents. Il importe d’apporter un conseil éclairé par le diagnostic et le pronostic, pour permettre aux familles de faire leur choix de manière rationnelle et non pas sur la base d’une référence à la tradition familiale.

« Ainsi se dégageront peu à peu certains diagnostics et pronostics qui mettront les maîtres en mesure d’apporter aux familles tous renseignements et conseils capables de guider leur choix » (Arrêté du 22 mai 1937).

Ce qui apparaît de manière extrêmement forte, tant cette question est rappelée sous différentes formes à de multiples reprises : c’est la conception éducative, pédagogique qui doit présider à l’instauration des classes d’orientation. « La fonction d’orientation appartient à tout le corps enseignant ». C’est par cette formule qu’Albert Châtelet présente dans la circulaire du 7 juin 1937 la place et le rôle des enseignants dans les classes d’orientation. On affirme dans cette circulaire la place essentielle de l’enseignant et on y disqualifie le principe de l’intervention d’une expertise psychologique.

« Il ne s’agit ni d’instituer des recherches de psychologie expérimentale ni même d’aboutir à une classification des esprits correspondant aux trois options prévues. Il s’agit plus simplement d’obser-ver des enfants, de noter leurs réactions à l’égard des exercices qui leur sont proposés et d’en tirer des conclusions utiles. Cette tâche n’exige des éducateurs aucun effort que leur expérience péda-gogique et leur sagacité ne leur permette d’accomplir ». (Circulaire du 7 juin 1937)

Albert Châtelet ne se contente pas de conférer aux enseignants le beau rôle. Il expose le principe de prudence qui doit présider à toutes leurs propositions de conseil. Il établit alors une forme de typologie qui mérite d’être évoquée ici, la courbe de Gauss précédemment chassée de ses réfé-rences, s’invitant implicitement dans le propos. La circulaire du 7 juin 1937 mentionne ainsi trois catégories d’élèves :

« ceux qui révèleront très vite des aptitudes nettement marquées », « quelques autres révèleront des inaptitudes également nettes », et « la masse des indifférents qui réclament l’attention vigi-lante des éducateurs » (Circulaire du 7 juin 1937).

Il semble que c’est surtout pour cette « masse » que la classe d’orientation est appelée à être utile. C’est avec eux qu’il importera de développer cette attitude attentive qui permettra à ces élèves « qui se livrent peu ou mal » de révéler leurs aptitudes et goûts. La prudence apparaît de rigueur à travers le conseil qui est donné.

« Si, malgré leurs efforts, les maîtres n’arrivent pas pour certains à formuler une conclusion posi-tive, ils pourront délivrer un laissez-passer indiquant qu’il n’y a pas opposition entre les capacités de l’enfant et les études qu’il entreprend » (Circulaire du 7 juin 1937).

Les textes définissant les classes d’orientation mentionnent implicitement le recours aux méthodes actives. La circulaire du 7 juin 1937 fait ainsi apparaître l’importance de l’activité de l’élève dans le processus d’orientation. Les élèves doivent être associés à l’action pédagogique commune. On retrouve une idée forte des théories de l’éducation nouvelle : mettre en place un environnement facilitant l’émergence d’un élève acteur de ses apprentissages. Dans le cadre de l’orientation, la dimension éducative est une nouvelle fois mise en avant puisqu’il s’agit moins de demander aux maîtres de déterminer de manière extérieure les goûts et aptitudes, que d’appeler les élèves à découvrir eux-mêmes leurs propres ressources. Le professeur ne peut de ce fait se prévaloir de la fonction d’expert en orientation.

Exercice 7

Quelles ressemblances et quelles différences faites-vous entre la conception de l’orienta-tion scolaire de 1937 et celle de 2013 ?

8 6035 TG WB 00 Page 35

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

Les classes d’orientation : l’expérimentation pédagogique au service de la réforme ?

Chapitre 3

2. La mise en œuvre effectiveLes classes d’orientation sont créées à titre expérimental dans 45 établissements en octobre 1937 et dans 36 établissements en 1938. L’entrée en guerre met fin à une expérience qui était appelée à s’étendre à la rentrée 1939. Voyons comment ces classes se mettent effectivement en place la première année. La répartition dans les 45 centres est la suivante : 15 pour les filles, 26 pour les garçons, 3 mixtes. Un centre (Bordeaux) disposait d’un local indépendant accueillant une classe de filles et une classe de garçons. 172 classes et 4186 élèves furent concernés. La moyenne d’élèves par classe s’élevait à 24.

Comme le mentionne Yves La Lay, qui réalise un bilan de l’expérience pour le Conseil supérieur de l’instruction publique, le choix des centres n’a pas été établi au hasard. S’agissant d’une expé-rience, il importait de rechercher des situations variées. Il fallait en outre que l’expérience puisse avoir de bonnes chances de réussite. On a de ce fait cherché des situations dans lesquelles il exis-tait localement une offre de formation complète, avec des établissements d’enseignement secon-daire, des écoles primaires supérieurs et des écoles techniques. Bien entendu, de telles conditions n’ont pu être réunies dans tous les centres.

Sur les 4 186 élèves inscrits dans les classes d’orientation, 3 327 viennent de l’enseignement pri-maire (79,47 %). 2844 ont le certificat d’études primaires (68 %). 671 viennent de la classe de sep-tième (16 %). 188 élèves sont issus de l’enseignement privé (5 %). Si l’on compare ces données aux statistiques nationales, on constate que la répartition de l’origine des élèves est très différente. Les tableaux établis par le ministère à partir des données des différentes académies montrent qu’en France10, lors de la rentrée 1937, 16 251 élèves viennent de l’enseignement primaire public (52,25 %), 671 d’une classe de septième (40,66 %) et 2205 de l’enseignement privé (7,09 %). La proportion nettement plus élevée en classe d’orientation d’élèves issus de l’enseignement pri-maire public (79,48 % contre 52,25 %) est sans doute le fait de deux facteurs non exclusifs dont il est difficile de repérer la part respective. En premier lieu, il est clair que les données ne sont pas totalement comparables puisque les chiffres nationaux concernent des élèves qui entrent claire-ment en 6e, alors que les élèves de classes d’orientation sont pour partie des élèves qui s’ils ils n’avaient pas été soumis à cette expérience particulière seraient entrés dans l’enseignement pri-maire supérieur (ces élèves étant plus fréquemment issus de l’enseignement primaire). En second lieu, cet écart peut aussi être l’indice d’une « fuite » des élèves de septième et de l’enseignement primaire privé vers l’enseignement secondaire privé ou vers des établissements plus éloignés du domicile. On peut penser qu’une forme d’auto-sélection préalable a pu jouer et qu’elle a conduit à biaiser l’échantillon. Les familles dont les enfants sont effectivement entrés en classes d’orien-tation sont celles qui n’ont pas jugé utile de développer une stratégie d’évitement les incitant à inscrire leurs enfants dans un autre établissement.

1 268 élèves ont plus de 13 ans (30 %), 1966 ont de 12 à 13 ans (47 %), 630 de 11 à 12 ans (15 %) et 223 ont moins de 11 ans (5,3 %). Si Yves Le Lay ne pose aucun commentaire sur cette répar-tition qui montre que la proportion d’élèves âgés de plus de 13 ans n’est pas négligeable (avec des conséquences prévisibles sur les conseils d’orientation), il pointe essentiellement le fait que la situation d’enseignement est rendue difficile par l’hétérogénéité des classes. A cet égard, on peut s’interroger sur l’argument souvent avancé par les défenseurs des classes d’orientation qui considèrent que la réforme doit permettre de disposer de classes plus homogènes. Le projet d’un examen général commun à tous les élèves (certificat d’études primaires) doit effectivement contri-buer à cette évolution. Toutefois, l’expérimentation, telle qu’elle se met en place, ici, avec des élèves issus d’ordres d’enseignement différents, ne peut que contribuer à une hétérogénéité des

10. Archives nationales F17/13952.

8 6035 TG WB 00 Page 36

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

Les classes d’orientation : l’expérimentation pédagogique au service de la réforme ?

Chapitre 3

âges peu compatible avec le projet général. Il est vrai que ce processus d’homogénéisation doit surtout opérer après la classe d’orientation, au niveau de la classe de 5e. On constate cependant de nouveau que la situation d’expérimentation n’est pas totalement conforme à la situation qui devrait se mettre en place ultérieurement du fait de la réforme.

Yves Le Lay se montre très prudent sur ces données, celles-ci ayant été difficiles à recueillir. Il est établi que sur 391 professeurs employés, 125 appartenaient à l’enseignement secondaire, 40 à l’enseignement primaire supérieur, 10 à l’enseignement technique, 106 sont des instituteurs et 110 des maîtres d’enseignement spéciaux11. On peut noter que la proportion d’enseignants du secondaire représente au moins le tiers des enseignants concernés. Ce pourcentage n’est pas négligeable, montrant que les enseignants du secondaire ont réellement participé à l’expérience. Cela montre également qu’une proportion importante (qu’il est difficile de déterminer préci-sément) des enseignants intervenant dans ces classes d’orientation n’est pas issue du corps des professeurs de l’enseignement secondaire, alors même que la classe d’orientation est assimilée à une 6e. La formulation utilisée par Yves Le Lay est d’ailleurs révélatrice d’un changement d’état d’esprit important puisqu’il parle des « 391 professeurs employés ». Parmi ces « professeurs », il compte 106 instituteurs. On assiste peut-être ici à une forme de préfiguration de l’idée d’un corps unifié d’enseignants du primaire et du secondaire. La volonté de mise en place de la classe d’orien-tation constitue sans doute une forme modeste et concrète de réforme des catégorisations ensei-gnantes. Précisons, enfin, que le rapport fait état du désir des « professeurs de l’enseignement primaire » de participer en plus grand nombre à l’enseignement dans les classes d’orientation. On perçoit, ici, les enjeux catégoriels qui animent les prises de position des enseignants confrontés à cette réforme des classes d’orientation. Comme le rappelle Yves Le Lay, pour que l’expérience soit conforme aux principes qui la fondent, il était nécessaire que les élèves ne soient pas regrou-pés en fonction des souhaits d’orientation exprimés dès le départ par les familles. Le rapporteur se réjouit du fait que ce principe ait été globalement respecté conduisant à une répartition des élèves indépendantes des anticipations d’orientation des parents. Il mentionne toutefois le fait que sept centres « ont cru bon de séparer dès le début les élèves selon la destination indiquée par les familles ».

Quant aux méthodes pédagogiques, elles se réfèrent à une double obligation définie lors du stage pédagogique organisé en octobre 1937 pour former les enseignants des classes d’orientation : enseigner comme d’ordinaire pour que les enfants acquièrent des connaissances, et observer les élèves pour découvrir leurs aptitudes. Les méthodes mises en œuvre pour répondre à ce double objectif ont été, du point de vue du rapporteur, particulièrement novatrices, à tel point que la com-mission de travail sur les classes d’orientation du Conseil supérieur de l’instruction publique, a invité plusieurs acteurs de l’expérience pour mettre en évidence les innovations menées. Yves Le Lay cite d’ailleurs la formule employée par Gustave Monod lorsqu’il parle de « révélation pédagogique ».

Quelques expériences et points de vue sont cités en particulier. C’est le cas de l’expérience du centre de Morlaix rapportée par le principal du collège. Les effectifs limités (inférieurs à 25 élèves par classe) sont mis en avant pour insister sur l’idée qu’il a ainsi été possible de mieux connaître personnellement chaque élève. En outre, la présence continuelle des enseignants lors de la réali-sation des exercices a permis d’établir entre le maître et l’élève une forme de confiance mutuelle.

11. L’appellation « maîtres d’enseignement spéciaux » pose question. Yves Le Lay lui-même se montre hésitant quant à l’interprétation des caractéristiques de cette catégorie. « Mais on ne saurait préciser d’après les renseignements fournis ce qu’il faut entendre exactement par professeurs d’enseignement spéciaux, ni dire dans quelle catégorie ils ont été choisis ». On comprend qu’il s’agit en fait d’enseignants spécialement affectés par le chef d’établissement aux classes d’orientation pour assurer des enseignements non habituellement préparés dans l’établissement d’accueil (enseignement de travail manuel pour les collèges et lycées, enseignement de latin dans les écoles primaires supérieures).

8 6035 TG WB 00 Page 37

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

Les classes d’orientation : l’expérimentation pédagogique au service de la réforme ?

Chapitre 3

Le principal du collège insiste par ailleurs sur les méthodes actives utilisées. « Le cours dicté, même parlé, est inconnu. Constamment, c’est l’observation qui est éveillée, la curiosité sollicitée, la réflexion stimulée ». Quand à l’action des enseignants, elle est de fait coordonnée grâce à la réunion hebdomadaire qui permet d’échanger sur les situations des élèves.

On note même dans les propos du principal du collège de Morlaix l’évocation de situations dans lesquelles les maîtres assistent au cours de leurs collègues (dans des disciplines jugées voisines telles les mathématiques et le travail manuel, les sciences d’observation et le dessin, etc.) pour harmoniser leurs méthodes. Il s’agit de contribuer à abaisser les barrières qui sont généralement érigées entre les disciplines scolaires.

D’autres expériences menées à Sèvres par Julienne Farenc ou à Sens par Roger Gal sont également rapidement évoquées pour montrer en particulier les modalités de mises à l’épreuve des aptitudes des élèves. Le cadre nécessairement limité du rapport ne permet pas de présenter en détail ces pratiques. Un propos de Roger Gal est toutefois cité pour montrer l’esprit dans lequel l’approche des aptitudes est envisagée.

« J’ai l’impression que cette investigation peut être utile pour dépasser le stade de la connais-sance vague et générale auquel nous parvenons d’habitude. Car il y a loin par exemple de dire (que) tel élève a une bonne ou une mauvaise mémoire jusqu’à essayer de connaître la structure de sa mémoire, savoir si elle est concrète ou abstraite, réfléchie ou verbale » (extrait du rapport d’Yves Le Lay).

En conclusion de son propos sur les méthodes pédagogiques, Yves Le Lay souligne tous les bien-faits que l’on pourra tirer de l’expérience :

« N’eût-elle eu que ce résultat de conduire à une révision de nos méthodes pédago-giques, de rapprocher des enfants des maîtres avec qui ils vivent, cette expérience aurait valu la peine d’être faite. Elle est un enseignement riche en aperçus nouveaux » (extrait du rapport d’Yves Le Lay).

Un outil d’approche des aptitudes : Le livret d’observation (Fontègne)

Le livret « Fontègne » devait aider les enseignants impliqués dans l’expérience à approcher les aptitudes de leurs élèves. Le caractère très détaillé des aptitudes était supposé faciliter le travail des maîtres. Il n’en fut rien semble-t-il. Le livret a fait l’objet de fortes critiques essentiellement liées au fait qu’il était trop compliqué d’utilisation. Le rapport cite à titre d’illustration de ce rejet, les propos du proviseur du lycée de Besançon. Celui-ci considère que ce livret est quasiment inutilisable malgré toute la bonne volonté des professeurs concernés. Il n’a été possible de répondre qu’à un petit nombre de questions, ce qui n’a permis de n’utiliser que des données jugées fragmentaires. C’est la raison pour laquelle, à Besançon, comme dans nombre d’autres centres, on a eu recours à une fiche simplifiée. Yves Le Lay se livre à un plaidoyer en faveur du livret Fontègne. Il met en avant le fait que les fiches prétendument simplifiées compliquent contre toute attente le travail car elles sont suffisamment imprécises pour empêcher tout conseil avisé en matière d’orientation. Comment tirer une quelconque conclusion de l’observation relevée sur l’une de ces fiches indiquant « mémoire bonne » ou « mémoire passable ». Pour résoudre les difficultés posées par l’utilisa-tion du livret Fontègne, Yves Le Lay propose de recourir à l’usage des tests et de souscrire aux deux suggestions formulées par le proviseur du lycée de Besançon. Celui-ci ne souhaite pas en effet rejeter définitivement l’outil proposé par l’Inspecteur général Fontègne. Il propose ainsi paradoxalement en apparence de compléter le livret par l’adjonction d’un commentaire sur les meilleures méthodes d’observation des enfants d’une part, par l’adjonction d’une série d’exercices types pouvant servir de modèles aux professeurs.

8 6035 TG WB 00 Page 38

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

Les classes d’orientation : l’expérimentation pédagogique au service de la réforme ?

Chapitre 3

Est ainsi posée la question de la formation des professeurs intervenant dans la classe d’orien-tation. Le stage pédagogique de quatre jours est clairement insuffisant. La classe d’orientation suscite indéniablement une révolution des méthodes pédagogiques. Certains acteurs et obser-vateurs se rendent compte que la mise en œuvre de l’expérience a peut-être été trop ambitieuse au vu des forces pédagogiques en présence.

3. Les premiers résultats obtenusJean Zay insiste dès le début de l’expérience sur la nécessité des bilans très détaillés des résultats obtenus. Des bilans très riches sont effectivement produits, en particulier dans le cadre des tra-vaux du Conseil supérieur de l’instruction publique. Deux types de résultats sont particulièrement attendus : ceux portant sur la réussite des élèves de classes d’orientation et ceux portant sur le processus d’orientation12.

La question du niveau des élèves va être au cœur des discussions. Elle sera fréquemment avancée par les opposants à la classe d’orientation. L’organisation pédagogique de cette classe ne risque-t-elle pas de retarder les acquisitions des élèves et partant de nuire au niveau général des élèves ? Le rapport demeure prudent quant aux conclusions qu’il convient de tirer de cette première année d’expérience, préférant attendre la deuxième année pour tirer des conclusions plus claires et plus fermes. Il relève toutefois les propos d’un enseignant de Bordeaux qui, intervenant à la fois dans une classe d’orientation et dans une 6e non impliquée dans l’expérience, note qu’il n’y a pas d’infériorité des premiers vis-à-vis des seconds, qu’ils dépassaient même sur certains points. S’appuyant sur les retours d’enquête auprès des établissements, on remarque que sur 44 centres ayant répondu à cette question du niveau des connaissances, 22 affirment qu’il n’y a pas eu de ralentissement, 10 estiment que « si la quantité est un peu inférieure, la qualité est pas contre nettement supérieure », 6 pensent qu’il y a eu un ralentissement, et 6 ne se prononcent pas.

La question délicate de la quantité et de la qualité constitue un axe fort d’argumentation des défenseurs de la classe d’orientation. Le rapport cite ainsi les propos de Julienne Farenc du lycée de jeunes filles de Sèvres, qui présente l’exemple de l’enseignement de l’anglais. Au lieu d’ap-prendre aux enfants 1000 mots d’anglais comme cela se faisait habituellement en 6e, les élèves des classes d’orientation n’apprennent que 5 ou 600 mots. Il y a donc bien baisse de la quantité. Mais ces 5 ou 600 mots sont présentés par Julienne Farenc comme « véritablement assimilés par les enfants qui les font passer pour ainsi dire dans leur vie, dans leur usage quotidien ».

Outre cet argument, Yves Le Lay avance celui consistant à noter que même s’il y a effectivement un retard, celui-ci sera largement comblé ensuite du fait d’un enseignement plus homogène, conséquence du processus d’orientation qui regroupe les élèves en fonction des aptitudes repé-rées. Il s’agit là d’analyser dans quelle mesure les classes d’orientation permettent de redistribuer les cartes et de favoriser égalité et justice sociale ? Trois ordres de faits permettent de répondre à cette délicate question.

En premier lieu, les avis des enseignants ont été souvent suivis. En second lieu, on note que les conseils prodigués sont différents selon les intentions initiales des élèves. On pointe enfin un effet offre de formation assez marqué.

On constate, tout d’abord, que les intentions initiales des enseignants portent pratiquement dans les mêmes proportions sur l’option classique et sur l’option moderne (respectivement 42,9 % et 41,7 %), l’option technique étant la moins fréquemment envisagée par les familles (15,3 %). La

12. Sauf indications contraires, toutes les citations présentées dans cette partie sont extraites du rapport d’Yves Le Lay de 1939.

8 6035 TG WB 00 Page 39

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

Les classes d’orientation : l’expérimentation pédagogique au service de la réforme ?

Chapitre 3

plupart du temps, il y a accord entre les intentions initiales et les propositions faites par les ensei-gnants. Cet accord se manifeste dans 69,4 % des cas. Les souhaits initiaux sont modifiés sur les conseils des professeurs dans 16,8 % des cas. Les familles ne suivent pas les conseils dans 13,8 % des situations. Il y a dans ces chiffres de quoi satisfaire les partisans et les adversaires des classes d’orientation qui auraient pu mettre l’accent sur tel ou tel chiffre pour appuyer leurs arguments.

Les adversaires de l’expérience pourraient faire remarquer que dans près de sept cas sur dix, la classe d’orientation n’a pas été fondamentalement utile puisqu’elle s’est contentée d’entériner les décisions initiales. Si l’on ajoute à ces chiffres les 13,8 % de désaccords traduisant le fait que la famille n’a pas souhaité suivre les conseils, on peut considérer que la classe d’orientation n’a rien apporté dans plus de huit cas sur dix.

Les partisans de l’expérience seraient en droit de répondre que la traduction statistique de l’accord peut être en fait le résultat de négociations menées tout au long du premier trimestre, conformément à la vocation d’échange avec les familles de la classe d’orientation.

Ils peuvent en outre mettre en avant que les 16,8 % d’élèves ayant modifié leurs intentions ini-tiales sur la base des conseils donnés auraient risqué sans l’expérience d’être confrontés à une erreur d’orientation. Enfin, le fait que 13,8 % des familles refusent les conseils constitue l’écla-tante démonstration que souhaitait apporter les promoteurs de la classe d’orientation pour affir-mer qu’il n’était en aucun cas question d’imposer les choix aux familles.

On pourrait également mentionner les cas des élèves qui s’affichaient sans intention en début d’année et qui, de fait ont bien dû établir des choix, sans doute plus raisonnés que leurs cama-rades entrant dans une 6e ordinaire.

Ensuite, les données dont nous disposons nous permettent de repérer le détail des conseils for-mulés par les équipes d’enseignants. Ces conseils sont différents selon les intentions initiales des élèves relativisant, de fait, des situations d’auto-sélection.

Ces données peuvent être synthétisées dans le tableau suivant :

Effectifs Pourcentages

Conseil Moderne 203 74,9 %

Intention Classique 915 Conseil Technique 39 14,4 %

Conseil Premier degré 29 10,7 %

271 100,0 %

Conseil Classique 158 55,2 %

Intention Moderne 889 Conseil Technique 105 36,7 %

Conseil Premier degré 23 8,0 %

286 100,0 %

Conseil Classique 16 16,5 %

Intention Technique 327 Conseil Moderne 55 56,7 %

Conseil Premier degré 26 26,8 %

90 100,0 %

Lire ainsi. Sur les 915 élèves qui avaient manifesté leur intention de suivre l’option classique, 271 se sont vus conseiller une autre option. On a proposé l’option moderne à 203 d’entre eux, l’option technique à 39 d’entre eux et le retour dans l’enseignement primaire à 29 d’entre eux.

8 6035 TG WB 00 Page 40

PARTIE 1 NAISSANCE ET PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA VOLONTÉ DE DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT

Les classes d’orientation : l’expérimentation pédagogique au service de la réforme ?

Chapitre 3

Les attitudes des professeurs sont différentes selon les intentions initiales des élèves. Précisions, qu’en établissant ce lien, il ne s’agit pas seulement de déterminer une relation entre une inten-tion initiale et un type de conseil. Il est clair que derrière chaque intention d’orientation il y a des facteurs liés à l’âge, à la situation scolaire d’origine, et sans doute à l’origine sociale.

Lorsqu’on conseille une option à un élève qui envisageait à l’origine une voie classique, on l’incite dans les trois-quarts des cas à rejoindre l’option moderne. On ne conseille en revanche l’option classique qu’à un peu plus de la moitié des élèves qui envisageaient une option moderne. Ce pourcentage, bien que plus faible, n’est toutefois pas négligeable. Dans le système hiérarchisé de l’entre-deux-guerres, il existe une volonté de dépasser les cadres socialement fixés pour inciter des élèves à rejoindre ce qui demeure encore, bien que l’on s’en défende, la voie royale de l’enseigne-ment du second degré. La situation qui consistait pour un enseignant à « pousser » un élève vers l’enseignement classique n’est pas nouvelle.

Mais ces situations sont bien entendu des exceptions qui ne doivent ces belles réussites qu’à la perspicacité pédagogique et à la volonté de promotion individuelle de maîtres eux-mêmes exceptionnels. L’intérêt du dispositif de la classe d’orientation, c’est qu’il institutionnalise ce qui ne resterait sans cela que de l’ordre de l’initiative personnelle déjouant, au moins partiellement, certains mécanismes d’auto-sélection des élèves et des familles. Il incite à regarder différemment les élèves et à se poser des questions que l’on ne se serait pas posées spontanément du fait de la soumission à la force des habitudes. On peut d’ailleurs ajouter à ces données, même si l’effectif reste modeste, les 16,5 % d’élèves qui pensaient faire une formation technique et auxquels on conseille de rejoindre l’enseignement classique.

Notons, enfin, que selon le type d’établissement, les intentions et conseils d’orientation sont assez nettement différents. Si on établit une comparaison entre les centres disposant exclusivement d’un établissement d’enseignement secondaire (lycée ou collège) et les centres seulement consti-tués d’établissements relevant de l’enseignement primaire supérieur, on constate des différences marquées. Ainsi, dans le premier cas 63,8 % des élèves ont une intention d’orientation vers la voie classique, contre 31,9 % pour la voie moderne et 4,3 % vers la voie technique. Dans le deuxième cas, ces pourcentages sont respectivement de 24,1 %, de 70,9 % et de 5,0 %.

Il y a lieu de se demander si, au-delà de ces positionnements initiaux, les conseils des enseignants parviennent à infléchir ces tendances fortes. Il n’en est rien. L’effet des structures locales influe sur les attentes initiales des familles comme sur les propositions de l’institution scolaire. Ainsi, dans les centres ne disposant que de structures de l’enseignement secondaire (collège, lycée), la voie technique n’est jamais proposée. Dans les centres constitués exclusivement d’établissement primaires supérieurs, quand des conseils de changement d’orientation dans le second degré sont formulés, l’option tech-nique n’est jamais proposée aux élèves envisageant une option classique, et n’est conseillée que dans 20,3 % des cas aux élèves souhaitant initialement entrer dans une option moderne.

Exercice 8

Monsieur Naudy de Charles Péguy et Monsieur Germain d’Albert Camus. Choisissez l’une de ces deux situations et montrez comment ces deux enseignants parviennent à remettre en cause les déterminismes sociaux auxquels ces deux brillants élèves auraient pu être définitivement soumis.

Ces éléments montrent l’intérêt et les limites des classes d’orientation. Si on peut noter un nombre non négligeable de situations dans lesquelles des élèves ont pu bénéficier d’un processus leur permettant de modifier leurs choix initiaux, cette possibilité demeure limitée du fait même de la diversité des établissements concernés. Il est clair qu’il s’agit d’une première étape, qu’il n’était pas possible de plus réorganiser la première année de l’enseignement du second degré. L’institution

8 6035 TG WB 00 Page 41

scolaire dispose toutefois d’un premier modèle de fonctionnement qui rendra possible l’idée d’un enseignement commun organisé dans une structure homogénéisée dont on trouvera un aboutis-sement avec les Collèges d’Enseignement Secondaire (CES) et surtout le « collège unique ».

Sources et bibliographieSi les sources ne constituent pas des éléments à partir desquels il vous est demandé de travail-ler, les références bibliographiques utilisées dans le cadre de l’écriture de ce cours peuvent, au contraire, être consultées afin de vous permettre une compréhension plus large des objets abor-dés dans cette partie.

SourcesArchives nationales F17/13952/

Arrêté ministériel du 22 mai 1937 instituant à titre d’expérience pour l’année 1937-1938, les classes d’orientation.

FONTEGNE Julien, Livret d’observation. Document en ligne :http://www.unicaen.fr/recherche/mrsh/sites/all/modules/ereNouvelle/pdf/1937-132.pdf

Bibliographie LELIÈVRE (Cl.) et NIQUE (Ch.), Bâtisseurs d’Ecole. Histoire biographique de l’enseignement en France, Paris, Nathan, 1994.

PROST Antoine, Histoire de l’enseignement et de l’éducation IV. Depuis 1930, Paris, Perrin, 2004. Collection « Tempus ».

SEGUY Jean-Yves, Les politiques de démocratisation de l’enseignement secondaire dans l’entre-deux-guerres. Des classes amalgamées aux classes d’orientation, réformes et réactions aux réformes dans le monde politique et éducatif français, Thèse en Sciences de l’éducation (Dir. : ROBERT A.-D). Université Lumière Lyon II.

ConclusionLes classes d’orientation marquent l’aboutissement d’un mouvement de pensée qui traverse tout le début du XXe siècle. Ce mouvement vise à établir les fondements d’une école unique qui rassemblerait en son sein l’ensemble des élèves, quelque soit leur milieu social d’origine. Il s’agit alors de mettre au service de ce projet ambitieux une nouvelle notion, celle d’orientation, qui poursuit en la complexifiant, l’idée de sélection portée par l’idéal démocratique des Compagnons de l’Université nouvelle. Cette expérience des classes d’orientation n’est pas qu’un aboutissement. C’est aussi un point de départ, La terrible parenthèse de la guerre n’empêche pas ensuite certains acteurs des classes d’orientation de construire de nouveaux projets qui, même s’ils connaîtront de vives oppositions, auront plus de temps pour permettre l’analyse et fonder les projets ultérieurs. L’expérience des classes nouvelles à la Libération, défendue par Gustave Monod ou Roger Gal, déjà acteurs essentiels des classes d’orientation, montre bien qu’un mouvement essentiel s’est amorcé avant guerre, et qu’il ne pourra s’éteindre qu’en atteignant, au moins en partie ses objec-tifs. Le collège unique de la réforme Haby, avec ses promesses et ses imperfections, constitue sans aucun doute un lointain descendant des principes qui avaient été à la base des classes d’orienta-tions comme va le démontrer la seconde partie de ce cours.

8 6035 TG WB 00 Page 42

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La reconstruction de la France par son école (1941-1959)

Chapitre 1

PARTIE 2Laurent GUTIERREZ

DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

u Objectifs1. Comprendre les éléments de contexte qui ont favorisé l’expérimentation pédagogique

à la Libération.2. Cerner les enjeux autour de la mise en système de l’École française.3. Apprécier les principes de la réforme du « collège unique » au regard des ambitions

initiales portées par le ministre Haby.

u Contenus1. Présentation des réformes et des projets de réformes de l’enseignement sous l’Occu-

pation qui ont alimenté les réflexions de la Commission Langevin-Wallon et la mise en œuvre de l’expérimentation des classes nouvelles à la Libération.

2. Analyse des débats autour de l’évolution socio-économique du pays et de leurs incidences sur l’orientation à donner au système scolaire français dans les années 1950-1960.

3. Étude de loi Haby avec comme réaction à ce qui est perçu comme un modèle unique d’enseignement, le développement des écoles « différentes » dans les années 1970.

IntroductionEn cette seconde moitié du XXe siècle, l’éducation devient l’un des thèmes majeurs de la réflexion politique nationale. Elle est l’objet, tout à la fois, d’articles dans la presse quotidienne, d’études dans des périodiques scientifiques, de face à face passionnés entre experts, de colloques, de séminaires, de sollicitudes gouvernementales sans omettre les recommandations émanant des organismes internationaux les plus prestigieux. Les investissements en matière d’éducation com-mencent désormais à préoccuper les pays en voie de développement qui y voient les promesses d’un essor économique futur.

Sur le plan de la recherche, les spécialistes des problèmes d’éducation se recrutent dans des disciplines de plus en plus nombreuses. De fait, ce champ d’étude n’est plus réservé aux seuls philosophes et autres psychologues. Les théories des pédagogues sont elles-mêmes mises à mal par les économistes qui se penchent sur le coût et le rendement de l’éducation. Les sociologues apportent, à leurs tours, sur des bases théoriques nouvelles, leurs contributions à ce débat au sein duquel les planificateurs et les administrateurs discutent des perspectives de mise en œuvre des réformes à venir. N’oublions pas, enfin, les parents d’élèves et les élèves eux-mêmes (les événe-ments de mai 68 l’attesteront) qui vont bousculer les habitudes de cette institution centralisée, héritière d’un État jacobin depuis la Révolution française.

8 6035 TG WB 00 Page 43

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La reconstruction de la France par son école (1941-1959)

Chapitre 1

Tels sont les acteurs en présence dans le débat public sur l’école en France après la Seconde Guerre mondiale. Pour en avoir délaissés certains voire pour en avoir écartés d’autres, les ministres suc-cessifs de l’Éducation nationale vont apprendre à leurs dépends qu’aucune réforme globale du système éducatif ne peut se faire sans eux. Sur le plan structurel, les années 1960 marque l’avène-ment de l’enseignement de masse. Cette mutation ne se fera pas sans mal. Si le système éducatif a su faire face à la massification de ses effectifs, il n’est cependant pas parvenu à surmonter le défi de la démocratisation de l’enseignement qui reste, encore de nos jours, un enjeu social majeur pour notre société.

Dans le cadre de cette seconde partie dédiée à la démocratisation de l’enseignement dans le contexte des trente glorieuses, nous aborderons, dans un premier chapitre, la place et le rôle qu’a joué l’école à la Libération dans la reconstruction du pays. Alimenté par les différents projets de réforme de l’enseignement pensés durant l’Occupation, le plan Langevin-Walon va redessiner les contours d’une école démocratique. Dans un contexte où les préoccupations sont davantage tournées vers la restructuration des institutions et la relance de l’activité économique, ce projet ne verra pas le jour malgré le soutien des mouvements pédagogiques qui y voyaient pourtant une occasion de rénover les méthodes pédagogiques.

Puis, dans un deuxième chapitre, nous verrons comment la mise en système de l’école française a été pensée au regard des impératifs – notamment démographiques – qui se présentaient à elle. La question de la scolarisation des nouvelles générations étant inclue dans les plans d’investis-sement liés à la relance du pays, l’enjeu de la démocratisation de l’enseignement allait se poser avec d’autant plus d’acuité. Repenser les méthodes pédagogiques devenait, par ailleurs, un enjeu crucial pour susciter l’intérêt des enfants issus du baby-boom pour les savoirs scolaires qui, dans le même temps, se voyaient proposer de nouveaux accès à la culture (télévision notamment). Cette offre potentiellement concurrentielle à l’accès au savoir allait, toutefois, être dénoncée comme l’une des causes de l’échec scolaire de masse qui faisait alors son apparition. Dans ce contexte, repenser la place et le statut de chacun dans un système qui exclut faute de pouvoir convenir à tous, allait poser, sous une forme nouvelle, la question de pouvoir penser l’école en dehors d’elle. Enfin, dans un troisième chapitre, nous analyserons le projet de « collège unique » du ministre de l’Éducation nationale, René Haby. Aboutissement des actions menées par ses prédécesseurs depuis le début des années 1960, la question posée revenait à savoir si ce nouveau modèle allait permettre la réussite de tous par une orientation repoussée en fin de collège. Les problématiques sociales et économiques allaient venir contrarier ce projet relançant, dans le même temps, le débat autour des possibilités d’accès à la culture par les publics les plus défavorisés. Dans ce cli-mat parfois tendu, un modèle d’enseignement fonctionnant sur celui de la soumission allait faire l’objet d’une réelle remise en question jusqu’à susciter des essais d’écoles « différentes ». Portée par une minorité militante, ces entreprises de rénovation pédagogique s’inscriront en complé-ment d’une forme scolaire dominante.

8 6035 TG WB 00 Page 44

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La reconstruction de la France par son école (1941-1959)

Chapitre 1

Chapitre 1

La reconstruction de la France par son école (1941-1959)

Avant la Seconde Guerre mondiale et malgré ses divers projets de réforme pour une école plus démocratique, l’École française se caractérise par la juxtaposition de son enseignement primaire et secondaire. Ces deux « voies » co-existent alors dans une sorte de concurrence structurelle. Celle-ci en a toutefois que le nom puisque les élèves intègrent majoritairement ces structures en fonction de leurs origines sociales et donc de leurs pouvoirs économiques. Pour les élèves fréquen-tant l’enseignement primaire (gratuit depuis la loi de 1881), ils passent après ces cinq années, leur certificat d’études primaires. A l’issue de cet enseignement élémentaire, les moins bons sont orientés dans des classes de fin d’études. Suivis par un maître unique durant ces deux années, ces élèves y achèvent leur scolarité obligatoire jusqu’à 13 ans afin d’y décrocher leur certificat de fin d’études. Les meilleurs élèves de l’enseignement primaire (titulaire de leur certificat d’études primaires) sont orientés soit vers les écoles primaires supérieures (EPS), soit vers des Cours com-plémentaires (CC).

Les premières sont des établissements distincts jouissant de locaux spécifiques et d’une autonomie administrative. L’enseignement y est délivré par un corps enseignant particulier qui a pour but de former l’élite des élèves de l’école élémentaire. Le statut de ces instituteurs d’EPS leur permet par ailleurs, le cas échéant, d’exercer dans les écoles normales d’instituteurs. Les quatre années que comporte la scolarité dans les Cours complémentaires, permettent aux élèves de poursuivre leur instruction jusqu’à 15 ans. Les maîtres qui y exercent n’ont pas de spécialisation particulière. Cette polyvalence les amène à assurer toutes les matières pour une voire deux années d’études. Rattachés à une école primaire, ces CC sont créés ou supprimés par l’inspecteur d’académie en fonction des demandes locales qui lui parvient. L’enseignement secondaire [entendu, ici, comme une structure et non pas seulement comme un niveau de scolarité à l’image de notre système scolaire actuel] possède également ses propres classes primaires. Confiées à un corps spécial de professeurs (et non à des instituteurs), ces « petites classes de lycées » sont payantes tout comme la suite de cette scolarité dans cet enseignement secondaire.

Cette dualité scolaire, héritée du XIXe siècle, qui correspond davantage à un clivage social entre élèves13, connaît un épisode singulier au milieu des années 1920. La chute de la natalité durant la Première Guerre mondiale entraîne une baisse importante des effectifs de l’ensei-gnement secondaire. Les collèges et lycées étaient, en général, des établissements accueillants moins de 500 élèves avec leurs petites classes. Afin de ne pas voir fermer leurs classes, on assiste à une baisse des exigences de ces structures qui recrutent désormais des élèves issus de l’enseignement primaire avec, parfois, des moyennes très faibles au certificat d’études pri-maires14. Afin de contrer cette baisse des effectifs, certains lycées adoptent une autre stratégie qui consiste, durant cette période, à s’adjoindre une EPS. Ce « rapprochement stratégique »

13. Ce clivage est perceptible au sein de la société française avec, d’un côté, les notables, les aristocrates et les bourgeois et, de l’autre, le peuple citadin ou rural

14. A la suite de Briand, Chapoulie, Peretz (1979), A. Prost (1992) relate le cas de l’académie de Caen où des élèves intègrent une sixième de lycée avec 07/20 de moyenne voire de 06/20 dans cette seconde moitié des années 1920.

8 6035 TG WB 00 Page 45

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La reconstruction de la France par son école (1941-1959)

Chapitre 1

sera dénoncé par les professeurs de lycée (agrégés dans deux cas sur trois) au nom de la concurrence déloyale des instituteurs qui intègrent la structure lycée tout en conservant les meilleurs élèves dans ces EPS.Cette situation deviendra néanmoins marginale à partir de 1930 avec la gratuité faite aux élèves de milieux populaires de rejoindre l’enseignement secondaire. Très critiquée par les élites conser-vatrices, ce « mariage » assurera, toutefois, la croissance des établissements secondaires dont les effectifs passeront de 101 000 élèves en 1929 à 200 000 en 1939. La vague démographique d’après guerre permettra, par la suite, aux EPS de voir ses effectifs gonfler mais dans une moindre mesure que ceux de l’enseignement secondaire (de 76 000 à 105 000 sur la même période). La croissance la plus spectaculaire durant ces dix années est observée dans les Cours Complémentaires (CC) qui passent de 61 600 à 124 400. Cela s’explique au regard des attentes qu’ont les familles, à cette époque, vis-à-vis de l’enseignement primaire supérieur. Plus concrets et plus proches des familles (la très grande majorité des instituteurs qui y enseigne est issue des milieux populaires), les débouchés et les métiers15 qu’offre cette scolarité à moyen terme, les rassurent. La scolarité dans les EPS est ainsi une garantie voire une promesse d’avenir pour les familles modestes à la veille de la Seconde Guerre mondiale. L’espoir en cet avenir meilleur via l’école sera débattu, à nouveaux frais, durant l’Occupation.

1. Penser l’école sous l’OccupationL’armistice signé (22 juin 1940), la France va devoir se mettre à la disposition de l’Allemagne. Parmi les responsables de la défaite, les instituteurs sont montrés du doigt. Sidérée par l’am-pleur de la défaite, l’opinion publique cherche à comprendre. La presse va, alors, pointer sans vergogne ces

« maîtres qui auraient dû prêcher l’exemple [et qui] ont été au premier rang des paniquards. Ils n’en sont pas encore revenus. Au point que le gouvernement a dû, tout récemment, pondre une nouvelle circulaire (…) pour rappeler à ces gens leur devoir (…) » (Martin, 1982, p. 389).

Si le moral de la nation a été défaillant selon ces lignes du journal Paris-Soir, la responsabilité en incombe à ces instituteurs laïques, propagandistes d’idéaux égalitaires dont, selon le quo-tidien chrétien La Croix, « l’enseignement corrompait le cœur et l’esprit des enfants » (Martin, 1982, p. 389). Ces accusations diffamantes s’expliquent au regard de la place importante pour ne pas dire incontournable qu’occupait ce lobbying corporatiste avant la guerre. Avec près de 80% de ses membres syndiqués au Syndicat national des instituteurs (100 000 adhérents sur les 132 000 que compte le corps des instituteurs de l’enseignement public), ses représentants ont directement participé à la mise en place des thèses du Front populaire à partir de 196. Soutenant l’action du ministre de l’Education nationale et des Beaux-Arts, Jean Zay, dont les mesures consistèrent à rapprocher le primaire et le secondaire alors concurrents, les institu-teurs deviennent, durant les premières heures sombres de l’Occupation, les responsables de la déroute du pays. Pour le Maréchal Philippe Pétain, promoteur d’une « Révolution nationale » qu’il appelle de ses vœux :

« avant de se jouer sur un champ de bataille, les destinées d’un peuple s’élaborent sur les bancs de la classe et de l’amphithéâtre. L’instituteur, le professeur, l’officier participent à la même tâche, ont à s’inspirer des mêmes traditions et des mêmes vertus » (Maréchal Pétain, 1934).

15. Des emplois intermédiaires aussi bien dans le commerce que dans l’industrie.

8 6035 TG WB 00 Page 46

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La reconstruction de la France par son école (1941-1959)

Chapitre 1

Cette conception qui inscrit la caserne dans la continuité de l’école dans un plan d’ensemble qui prépare le futur citoyen à servir sa patrie en toutes circonstances, rejoint les aspirations des pre-miers ministres en charge des questions d’éducation et d’instruction des jeunes français sous le gouvernement Vichyste (voir tableau ci-dessous).

Les ministres de l’Éducation nationale et assimilés entre juin 1940 et août 1944

RIVAUD Albert 16 juin 1940 12 juillet 1940 Ministre de l’Éducation nationale

MIREAUX Émile 12 juillet 1940 6 septembre 1940

Secrétaire d’État de l’Instruction publique et des Beaux-arts

RIPERT Georges 6 septembre 1940 13 décembre 1940

Secrétaire d’État de l’Instruction publique et de la Jeunesse

CHEVALIER Jacques 14 décembre 1940 24 février 1941 Ministre de l’Éducation nationale

CARCOPINO Jérôme 25 février 1941 18 avril 1942 Ministre – Secrétaire d’État de l’Instruction nationale et de la Jeunesse

BONNARD Abel 18 avril 1942 20 août 1944 Ministre-secrétaire d’État de l’Éducation nationale et de la Jeunesse

Seront, ainsi, successivement, prononcées, l’abrogation des lois de 1901 et 1904 sur l’interdiction d’enseigner aux congrégations (3 septembre 1940), la suppression des Ecoles normales (18 sep-tembre 1940), la dissolution du Syndicat national des instituteurs (15 octobre 1940), la restaura-tion dans les programmes des « devoirs envers Dieu » (5 décembre 1940) suivie de l’octroie de subventions aux écoles catholiques (2 novembre 1941).

C’est dans ce contexte peu propice à la démocratisation de l’enseignement que nous allons assis-ter à une évolution structurelle majeure du système éducatif. En effet, la réforme Carcopino de 1941 va marquer un tournant décisif dans l’histoire de l’enseignement en France dans le sens où elle va produire les effets inverses de ce qu’elle se proposait de combattre. En transformant les Écoles Primaires Supérieures (EPS) en Collèges Modernes et en les intégrant à l’enseignement secondaire, le nouveau ministre pensait adopter une solution radicale face à la concurrence déloyale à laquelle se livrait les EPS à l’égard des classes équivalentes des lycées. L’intégration des EPS à l’enseignement secondaire posait toutefois le problème des langues vivantes dont deux étaient alors obligatoires pour poursuivre en seconde, nouvellement qualifiée de « moderne ». Cette barrière conduisit les élèves à se diriger vers les Cours complémentaires qui, plus proches des familles, plus faciles à créer et moins onéreuses, allaient connaître un afflux considérable.

En aval, des instructions relatives au nouveau plan d’études des écoles primaires élémentaires furent votées le 5 mars 1942. Recteur de l’académie de Paris, Jérôme Carcopino est un défenseur convaincu des humanités classiques et, par conséquent, du latin.

Exercice 1

Rédiger une biographie de Jérôme Carcopino en 1 page maximum afin de mieux cerner le sens des idées promues dans sa réforme de 1941.

S’inspirant des leçons qui se dégageaient des malheurs de la France, Jérôme Carcopino rédigea, à la suite des travaux d’une commission de révision des programmes qui tenue ses travaux à l’Hôtel Plaza de Vichy, entre septembre 1941 et mars 1942, un nouveau plan d’études qui se proposait de répondre aux besoins du pays :

« En accord avec les traditions les plus sûres de la pédagogie française et sans oublier les conseils donnés par les instructions antérieures, il [le nouveau plan d’études] oriente nos élèves vers les réalités de la vie pratique et accentue le caractère national de notre éducation. Tout en simplifiant les programmes, il fortifie l’étude des connaissances élémentaires indispensables à tout homme. Il

8 6035 TG WB 00 Page 47

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La reconstruction de la France par son école (1941-1959)

Chapitre 1

restaure le sens de l’effort et remet en honneur la pratique des grandes vertus. Adapté aux besoins des autres ordres d’enseignement, auxquels il assure, par une des ses dispositions essentielles, un recrutement d’élite, il place les éducateurs devant les tâches nouvelles qui s’imposent à la France et il fait appel, pour les bien remplir, à leur esprit d’initiative et à leur dévouement » (Instructions officielles. Nouveau plan d’études des écoles primaires élémentaires, 5 mars 1942).

Si sur le plan des idées, Carcopino comme ses prédécesseurs s’accordent sur la nécessité d’instituer une « éducation intégrale », sur le plan des structures, leurs successeurs vont devoir créer de nou-velles sections afin de permettre à ceux qui en avaient le potentiel d’accéder aux classes de lycée et, par conséquent, au baccalauréat.

« La réforme de 1941, conçue pour débarrasser le secondaire de la concurrence du primaire supé-rieur, a donc eu pour résultat paradoxal d’amener le secondaire à organiser l’accueil, dans son second cycle, des élèves formés par son rival. En désenclavant le primaire supérieur, elle a puissam-ment œuvré à son développement » (A. Prost, 1992, p. 74).

Cette intégration des EPS à l’enseignement secondaire se traduit ainsi par une démocratisation du recrutement :

« Les classes de sixième comptaient avant guerre moins de 3 % d’enfants d’ouvriers, elles en comptent 12% environ au sortir du conflit » (A. Prost, 1992, p. 74).

Mais, l’accès de ces élèves à la classe de 6e de collège ne garantie pas nécessairement leur réussite. Si le mérite scolaire pèse toujours moins que l’origine sociale, le niveau d’aspiration des familles dépend majoritairement des débouchés professionnels à court terme. Ainsi, nombreux sont les élèves de milieux populaires qui abandonnent leur scolarité. Il s’agit là d’un point essentiel qui permet de comprendre les logiques qui ont sous-tendu les de nombreux projets de réforme de l’en-seignement et qui ont conduit à leur échec relatif pendant la première moitié du siècle. Favoriser l’entrée en 6e en fonction du mérite et non plus au regard de l’origine sociale des élèves est une ambition démocratique louable mais elle ne suffit pas à rassurer les familles surtout rurales.

Exercice 2 :

Selon vous, pourquoi est-il si difficile de rassurer les familles « surtout rurales » à cette époque ?

Sur le plan structurel, la solution préconisée pour atteindre cet objectif de démocratisation de l’enseignement consistait à aménager la transition entre l’école primaire et le lycée en transfor-mant la première voire les deux premières années du secondaire (6ème – 5ème) en une période com-mune pendant laquelle on observerait les enfants pour déterminer le type d’enseignement qui leur conviendrait le mieux pour la suite de leurs études. Cette observation des élèves menée dans le cadre d’un tronc commun à la suite de laquelle une orientation se fait vers diverses branches/filières (classique/moderne/technique) va être expérimentée, en 1937 avec la mise en place des classes d’orientation. On assiste alors à d’intéressantes mesures d’accompagnement des élèves (bilans périodiques, évaluation) et de formation des professeurs16. Cependant, créer une classe ou un cycle d’observation n’a de sens que si les programmes sont communs à toutes les classes. Or le latin est obligatoire, dès la 6e, dans l’enseignement secondaire. Les partisans du tronc commun suggèrent alors d’en reporter le début en 5e voire en 4e. Mesure inenvisageable pour les défen-seurs de la culture classique fondée sur les humanités dont le latin en est le symbole.

En succédant à Jérôme Carcopino, Abel Bonnard se retrouve dans une situation peu confortable. Amorcée par son prédécesseur, la réforme doit désormais être appliquée. Il lui convient donc de se démarquer et de défendre un projet allant dans le sens de cette Révolution nationale souhaitée par le Maréchal Pétain. Pour ce faire, il doit s’appuyer sur les premiers artisans de cette action

16. Vous reporter à la première partie de ce cours.

8 6035 TG WB 00 Page 48

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La reconstruction de la France par son école (1941-1959)

Chapitre 1

réformatrice, les instituteurs. Cela explique notamment les raisons pour lesquelles, le nouveau ministre va tenter de les fédérer à sa cause. Dans cette optique, des articles paraissent dans un Bulletin national de l’enseignement primaire qui souligne les injustices dont ils ont été les victimes :

« Depuis trois ans, les maîtres de notre jeunesse (…) souffrent de se sentir tenus en suspicion, considérés comme incapables, sinon comme indignes de former les générations du redressement, de voir confier à des pédagogues improvisés les plus précieux espoirs du pays. (…). Ainsi, s’aggrave en se prolongeant un malentendu grandement préjudiciable aux intérêts supérieurs de la Patrie. Le moment est venu de comprendre enfin que le jugement sommaire porté par d’aucuns contre l’ensemble du corps enseignant, et notamment contre les instituteurs, est à la fois une injustice et une maladresse » (Le Cours-Grandmaison, 1943, p. 4).

Ce soutien lui est nécessaire pour mener à bien une politique qui s’appuie sur une grande part sur l’enseignement primaire et, plus spécifiquement encore, sur ce niveau intermédiaire constitué des Cours complémentaires. C’est là son ambition :

« En s’efforçant de s’adapter aux besoins de la vie locale, de répondre aux demandes des pro-fessions, cet enseignement a évité tous les égarements où l’on risque de se perdre, quand on veut instruire des enfants hors de toute fin déterminée. Au moment où tant de familles, cédant à un préjugé aussi funeste que suranné, poussent vers l’enseignement classique des enfants qui n’ont aucune disposition à le recevoir parce qu’elles croient que seul ce genre d’instruction fait des hommes vraiment qualifiés, le Ministre leur signale instamment les Cours complémentaires comme un enseignement de la meilleure espèce, qui instruit sans déraciner, et qui, n’ayant en soi rien d’oiseux, formant les esprits et les âmes tout près des choses, doit faire de ceux qui l’auront reçu, à la fois des hommes capables de gagner leur vie, et de vrais hommes qui sauront bien vivre » (Bonnard, avril 1943, p. 6).

Dans un discours qu’il prononce à Paris, le 8 juin 1943, Abel Bonnard rappelle l’importance du rôle de l’école dans un pays qui cherche à s’affirmer dans un contexte peu favorable à cette ambition :

« (…) si les difficultés de toute sorte nous pressent et nous oppressent, nous mettent dans l’impos-sibilité de réaliser dès à présent toutes les réformes qui marqueront notre renaissance, du moins, doit-on en dégager l’esprit sans perdre un instant, de façon qu’elles soient comprises dès qu’elles seront appliquées » (Bonnard, mai 1943, p. 1).

Il poursuit en soulignant la nécessité de réformer cette école française au sein de laquelle les maîtres auront une place décisive :

« Si toutes les fonctions doivent retrouver leur noblesse, il faut que tous les enseignements retrouvent leur valeur. A une société nouvelle doit correspondre un enseignement nouveau. L’école est le lieu désigné pour manifester à la Nation l’esprit qui va la pénétrer tout entière. C’est là que notre avenir doit avoir ses premiers moments de présent et les maîtres qui professent aujourd’hui en quelque lieu que ce soit de notre pays, n’ont pas compris toute l’importance de leur rôle s’ils ne se regardent pas comme des initiateurs. Il faut que cette France encore assom-brie ait pour premiers points lumineux ses innombrables écoles qui doivent toutes, primaires, ou secondaires, ou techniques, briller également, puisque dans toutes on se proposera désormais non pas seulement de préparer des enfants à gagner leur vie, mais de les préparer à vivre en vrais hommes » (Bonnard, mai 1943, p. 1-2).

Dans ce discours, le projet du ministre est clairement de pointer les risques d’une instruction trop livresque, coupée de la vie, et d’encourager le développement de l’enseignement professionnel et technique :

« Comme l’enseignement classique est celui qui vise le plus haut, il est aussi celui qui peut tourner le plus mal. Comme il se propose de porter les élèves au-dessus de la vie, il peut aussi les séparer d’elle. Qui prétend ne vivre que dans les idées est exposé à ne vivre que dans les mots. Il suffit à cet enseignement de tomber quelque peu au-dessous de soi pour n’être qu’une excitation au verbiage et, sur ce point, l’esprit français, leste et prompt, est toujours menacé de donner dans certains défauts, en raison même de ses qualités. L’esprit français aime à aller vite : cela l’expose à voyager sans bagages. (…). La solidité d’un bon enseignement professionnel et technique [est] celui-là [qui] reste enraciné dans les choses ou sur elles (…). C’est un enseignement de perpétuelle vérification où la tête et la main s’instruisent l’une par l’autre. (…). L’artisan qui s’y est mal pris aperçoit aussitôt l’imperfection de son ouvrage et en saurait déguiser son erreur. (…). C’est pour-

8 6035 TG WB 00 Page 49

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La reconstruction de la France par son école (1941-1959)

Chapitre 1

quoi, il n’est guère de bons ouvriers qui ne soient des hommes sages, tandis que nous voyons tant de faux penseurs dont la prétendue intelligence, n’est qu’une sottise plus armée que les autres » (Bonnard, mai 1943, p. 2).

Pour comprendre la mystique régénératrice que représente l’utopie de l’homme nouveau et de la société nouvelle sous Vichy, il est nécessaire, comme le fait remarquer Limore Yagil, de penser Vichy au pluriel, de ne pas le prendre comme un bloc mais insister sur ses variantes et ses avatars. Cette volonté de former un homme nouveau à partir de cette jeunesse va placer la question de l’éducation physique et des sports en plein air au centre des préoccupations. Telle est, par exemple, la volonté de Carcopino quand il introduit l’Éducation physique comme matière faculta-tive au baccalauréat. Si cette mesure n’est pas sans nous rappeler les actions menées dans ce sens sous le Front populaire, elle recouvre toutefois des visées bien différentes comme le souligne fort justement Jean-François Murraciole :

« Certains projets que l’on pourrait croire tout droit sortis des cartons de 1936 ont, en fait, changé de significations après la défaite de 1940. Ainsi, en va-t-on de la politique de la jeunesse : à la volonté d’organiser les loisirs se substitue le souci de forger un nouveau sentiment national. Le descendance des projets résistants révèle des logiques tout aussi singulières » (Murraciole, 2009, p. 216).

Sans pouvoir, ici, les aborder, il convient de rappeler qu’ils ont contribué à poser les bases d’une réflexion qui allait aboutir à la création d’une commission de réforme de l’enseignement, deve-nue célèbre depuis, mieux connue sous le titre de « Plan Langevin-Wallon ».

2. Réformer l’enseignement à la LibérationLa période de l’Occupation fut propice aux projets de réforme des institutions du pays. L’École ne fut pas oubliée. Bien au contraire. Retranché à Alger, le Général de Gaulle et ses Généraux préparent la libération de la France.

« Dans tous les domaines, la libération de la France devra s’accompagner du renouvellement de ses institutions. De profondes transformations devront s’accomplir dans l’ordre politique, dans l’ordre économique, dans l’ordre social. C’est une illusion de croire que la libération puisse entraî-ner le retour pur et simple à l’état de chose antérieur à la guerre. Il n’est pas d’idée que le Général de Gaulle ait exprimée avec plus de force et d’insistance. Il n’est pas de thème que la résistance française ait repris avec plus de conviction. Il n’est pas de principe qui inspire davantage l’action de la France Combattantes » (Capitant, 1944, p. 1).

Plusieurs plans de réforme furent ainsi élaborés et vinrent inspirer les travaux d’une Commission dédiée à celle de l’enseignement. Créée le 21 janvier 1944 par René Capitant, Commissaire à l’Édu-cation nationale et à la jeunesse, les motifs et les tendances de cet avant-projet sont explicites :

« (…) les aspirations à un rajeunissement vigoureux n’ont rien de vague. La France sait ce qui lui manquait avant la guerre et qui lui manque plus que jamais. Un plan de réforme avait été conçu en 1937, 1938, 1939, et la cure avait été entreprise, de façon mesquine et hésitante, il est vrai, mais enfin la voie était tracée. Il faut renouer le fil des réformes Jean Zay et reprendre avec hardiesse le cure interrompue, en y employant à dose massive des remèdes énergiques. Depuis cinq ans, nous nous sommes enrichis des cruelles leçons de l’expérience. C’est à la lumière de la défaite et de la trahison, à la lumière aussi de la lutte et de la résistance que nous pouvons juger nos institutions scolaires et leur valeur formatrice » (Durry, 1944).

Rétablie par l’ordonnance du 8 août 1944, la légalité républicaine allait constater la nullité de la plupart des mesures prises durant l’Occupation. René Capitant, devenu premier ministre de l’Édu-cation nationale de la France libérée, initie alors une réflexion d’ampleur sur le modèle éducatif français. Une commission de réforme de l’enseignement est ainsi créée et confiée au célèbre phy-sicien français, Paul Langevin (Gutierrez, 2010).

8 6035 TG WB 00 Page 50

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La reconstruction de la France par son école (1941-1959)

Chapitre 1

Exercice 3

Rédiger une biographie de Paul Langevin en 1 page maximum afin de mieux comprendre quelles étaient ses aspirations en matière de réforme de l’enseignement.

Dans ses directives, la Commission est guidée par quatre principes essentiels. Le premier est de s’appuyer sur le principe de justice sociale selon lequel chaque enfant doit avoir la possibilité d’atteindre son développement maximum selon sa personnalité et dans les seules limites de ses aptitudes. Les barrières économiques et sociales ne doivent pas constituer une entrave à ce déve-loppement maximum. Le deuxième principe est ce que la Commission nomma le « reclassement des valeurs réelles » d’après lequel toutes les activités sociales doivent être mises sur le même plan qu’elles soient manuelles, techniques, artistiques ou intellectuelles. Le troisième est un prin-cipe d’orientation générale qui doit permettre à l’école de suivre les élèves dans une perspective d’orientation professionnelle adaptée aux aptitudes de chacun d’eux. Enfin, le quatrième prin-cipe convoqué est de reconnaître le besoin légitime d’une éducation générale qui a pour rôle de faire progresser les hommes et les unir.

La Commission préconise également une réorganisation profonde de tout le système scolaire. L’éducation gratuite et obligatoire doit s’étendre de six à dix-huit ans. Au niveau du 1er degré, l’instruction est divisée en trois étapes successives ou cycles. Précédée d’une période préscolaire qui peut commencer dès l’âge de trois ans, la première étape conduit l’enfant jusqu’ à l’âge de sept ans, la seconde jusqu’à onze ans, la troisième jusqu’à dix-huit ans. Chaque étape répond à un but spécial. Pendant la première, l’enfant acquiert les techniques de base et les connaissances qui « le rendront capable de comprendre et d’être compris ». La deuxième étape est essentielle-ment une période d’orientation, qui bien qu’elle continue à développer les cultures générales et techniques est « consacrée à une observation systématique de l’enfant dans le but de découvrir ses aptitudes et de faciliter son orientation ». Au cours de la troisième étape, l’éducation devient diversifiée et spécialisée. Les étudiants, de tendance académique seront rompus aux études théo-riques essentielles à leur formation universitaire. Pour les autres, au-delà de leur culture générale, ils recevront une formation spécialisée les conduisant aux carrières de l’agriculture, du commerce ou de l’industrie17.

17. La Commission insiste d’une façon tout à fait significative pour que le travail de cette troisième étape soit particulièrement souple et présente « une grande diversité afin d’offrir des combinaisons d’études et des groupements de disciplines adaptés aux diverses catégories d’esprits ».

8 6035 TG WB 00 Page 51

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La reconstruction de la France par son école (1941-1959)

Chapitre 1

L’Éducation nationale (supplément du n° 32 du 4 juillet 1946)

Reconnaissant que la réforme proposée est dépourvue de signification et vouée à un échec certain si elle n’apporte pas la preuve de son opérationnalité, Gustave Monod, directeur de l’enseigne-ment du second degré, entreprend, dès la rentrée scolaire d’octobre 1945, d’ouvrir près de 180 classes de sixième dites « nouvelles ». Mises en place conjointement aux travaux de la Commission de réforme de l’enseignement, ces classes expérimentales visent un double impératif :

« 1. Satisfaire mieux que par le passé à la fonction d’orientation scolaire qui s’impose de plus en plus à l’enseignement au fur et à mesure que croît le nombre des élèves qui, aspirant à une for-mation plus poussée que la simple formation primaire, viennent s’inscrire dans les établissements du second degré ; 2. Fournir aux maîtres des conditions de travail meilleures afin qu’ils puissent accomplir leur tâche d’une manière plus conforme aux exigences de vie et de la culture modernes » (Ministère de l’Éducation nationale, Les classes nouvelles, Paris : imprimerie nationale, 1950, p. 5).

Pour atteindre ces objectifs et permettre à tous les enfants de 11 à 14 ans de recevoir un ensei-gnement « capable de solliciter toutes les ressources de l’être individuel et de donner à ces res-sources le développement qui leur convient » (Circulaire du 20 août 1945 émanant du Cabinet du Directeur du Second degré, Gustave Monod), une nouvelle organisation procédant d’une conception pédagogique basée sur les « méthodes actives » est mise en œuvre. L’effectif de ces classes nouvelles est ainsi réduit à 25 élèves ; chacune d’entre elles est confiée à une équipe de trois professeurs (deux pour les lettres et un pour les sciences)18 à laquelle viennent s’ajouter,

18. Cette équipe de professeurs volontaires réunit en « conseil de classe », une fois par semaine, vise à coordonner les enseignements et à confronter les observations faites sur chacun des élèves.

8 6035 TG WB 00 Page 52

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La reconstruction de la France par son école (1941-1959)

Chapitre 1

parfois, des maîtres pour les enseignements « spéciaux » (activités artistiques, éducation physique et sportive, travaux manuels, dessin, éducation musicale) ; l’emploi du temps journalier est divisé en deux parties : enseignements généraux (français, mathématiques, instruction morale, langues vivantes, etc.), le matin ; enseignements spéciaux, l’après-midi). Un système d’options permet aussi aux élèves de découvrir par eux-mêmes, durant un semestre, leurs goûts et leurs aptitudes19. Il est à noter, enfin, que l’enseignement par « l’étude du milieu » est officialisé à raison de 24 heures par trimestre afin d’amener l’enfant à mieux connaître l’environnement dans lequel il vit et lui permettre, à terme, de « trouver dans la vie sociale, la fonction à laquelle il est le mieux adapté » (Ministère de l’Éducation nationale, Les classes nouvelles, Paris : imprimerie nationale, 1950, p. 5). Ces mesures en vue de l’application des idées prônées par les partisans de l’éducation nouvelle depuis la fin du XIXe siècle vont trouver un écho dans la sphère publique donnant, ainsi, la possibilité à ce mouvement d’éducation d’accroître sa notoriété en diffusant plus largement ses convictions dans la presse pédagogique.

Emploi du temps des classes nouvelles (Enseignement du second degré. Horaires et programmes, 1946-1947, Paris, Librairie Vuibert, 1946).

19. Le latin fait partie de ces options au même titre que l’éducation musicale et de l’éducation plastique, par exemple.

8 6035 TG WB 00 Page 53

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La reconstruction de la France par son école (1941-1959)

Chapitre 1

3. Une période favorable à l’expérimentation pédagogique ?

L’un des faits les plus marquants à la libération dans le champ de l’éducation est l’incroyable écho que vont trouver les questions de pédagogie. Les « causeries radiophoniques », diffusées sur le thème des « méthodes nouvelles d’éducation » en 1946, témoignent de cet engouement. Dans le même temps, le discours médical et, tout particulièrement, celui de la psychologie de l’enfant est posé comme justification aux méthodes d’éducation appliquées aux enfants selon leur tempéra-ment. Dans un numéro de L’Information pédagogique de janvier-février 1948, on peut ainsi lire : « Depuis la Libération, nous assistons à un renouveau pédagogique jamais connu jusqu’alors. (…). Partout on étudie avec fièvre : l’enfant, sa vie, son évolution, son caractère, son comportement ; on ressent presque une impatience » (Hasle, 1948, p. 28).

L’importance de ces questions de réforme de l’enseignement est telle que les organisations inter-nationales ne manquent pas de les encourager à l’instar de L’Annuaire international de l’éducation et de l’enseignement, publié par le Bureau international de l’éducation qui, après six années de silence, reparaît avec pour thème : Les réformes scolaires d’après guerre. Ce n’est pas anodin, non plus, si une exposition est organisée à Paris par l’UNESCO dans les locaux du Musée pédagogique aux mois de novembre et de décembre 1947 où de nombreux mouvements d’éducation nouvelle sont présents parmi lesquels le Groupe français d’éducation nouvelle (GFEN), les Centres d’entraî-nements aux méthodes d’éducation active (CEMEA), l’Institut coopératif de l’École moderne (ICEM).

Dans le champ de l’édition pédagogique, plusieurs périodiques sont créés répondant ainsi à la demande des familles. Parmi ces publications, soulignons l’importance de revues comme Les Dossiers pédagogiques (ancêtre des Cahiers pédagogiques), L’École nouvelle française (revue de l’association du même nom), Pédagogie et Éducateurs (revues d’obédience catholique), Vers l’éducation nouvelle (revue des CEMEA), Les Cahiers de Peuple et Culture Enfance (revue de psy-chologie de l’enfant), Rééducation (revue dédiée aux problèmes d’enfants inadaptés)20 ou encore Méthodes Actives. Cette dernière revue mérite tout particulièrement que l’on si attarde car elle est emblématique des espoirs de toute une communauté d’inspecteurs primaire et d’instituteurs, de voir un jour être ce type de méthodes adopté comme procédé d’apprentissage officiel dans l’enseignement public (Gutierrez, 2012). Elle présente aussi l’originalité d’avoir été pensée par des membres de l’enseignement primaire et non par des artisans de cette éducation dite « nouvelle » exerçant, ordinairement, dans des établissements privés qui leur assurent une marge de liberté suffisante pour mener à bien leurs expériences pédagogiques. L’ambition de ce mensuel est, par ailleurs, très claire. Elle est déclinée en trois objectifs distincts bien que complémentaires dans son premier numéro de février 1946 (Méthodes actives, 1946, p. 5).

Destiné aux instituteurs, ce périodique vise, dans un premier temps, à les renseigner sur les tech-niques nouvelles. Afin de ne pas être accusée de servir les intérêts d’une association pédagogique en particulier, la revue s’empresse de préciser à ses lecteurs qu’« accueillant avec sympathie les efforts de tous les groupes d’éducation nouvelle, mais n’étant l’expression d’aucune tendance, (elle) exposera tous les systèmes ». Dans un deuxième temps, une fois ce travail d’information réalisé, ce périodique va chercher à guider les essais dans la pratique des méthodes actives afin « d’éviter (aux instituteurs) les premières difficultés (et) les erreurs (du) début ». Cet accompagne-ment pédagogique cherche, en définitive, à « faire connaître, comprendre et aimer les méthodes actives, donner à chacun le désir, puis les moyens de les employer avec succès ». Enfin, et cela semble être le but ultime de cette revue, il s’agit, sur la foi acquise en la valeur de l’expérimenta-tion, de créer « une communauté active entre tous ceux qui cherchent à mieux faire (…), il faut

20. Cette dernière revue résulte de la fusion de L’Education surveillée et de Sauvons l’Enfance.

8 6035 TG WB 00 Page 54

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La reconstruction de la France par son école (1941-1959)

Chapitre 1

rompre avec la routine et la facilité, apprendre à considérer l’enfant d’un œil nouveau, créer dans la classe un climat différent, employer des techniques nouvelles. C’est une révolution scolaire et, dans l’école de demain, il n’y aura plus de place pour ceux qui ne sauront pas adapter leur ensei-gnement aux besoins profondément divers de l’enfant ».

Si cette « révolution scolaire » n’est pas sans nous rappeler le vœu pieu du psychologue suisse Edouard Claparède qui prônait déjà, en 1905, une révolution copernicienne en pédagogie, elle présente, toutefois, le mérite de s’inscrire, ici, au cœur d’une revue destinée aux membres de l’en-seignement public dénonçant, par là même, les insuffisances notoires en matière de formation des maîtres. Ces carences trouvent un écho particulièrement important auprès des pouvoirs publics à la Libération tant elles viennent souscrire à une nécessité alors revendiquée par ses dirigeants et relayée par l’opinion publique. Mais, les temps ne sont pas propices à des investissements non matériels. Cette France qui se reconstruit ne peut se permettre le luxe d’investir dans secteurs dont l’urgence n’est pas immédiatement perceptible. C’est la raison pour laquelle les initiatives menées en faveur de l’Éducation nouvelle vont surtout se développer dans la sphère privée. Ces écoles prônent un modèle éducatif et pédagogique repérable à leur vocation de se préoccuper de la liberté de l’enfant et de ses spontanéités enfantines. À cet effet, il s’agit de :

1. Partir des intérêts des enfants en n’imposant pas à ces derniers des efforts pour un but qui ne les intéressent pas ;

2. Obtenir des enfants des efforts en vue d’un but qui les intéresse (sans récompense autre que l’obtention du résultat poursuivi, sans punition, sans artifices) en instaurant un rapport de confiance avec eux ;

3. Organisation le milieu afin de provoquer les conditions favorables pour que les enfants éprouvent le besoin d’agir, d’observer, d’expérimenter, de se développer corporellement et moralement.

Ces écoles nouvelles sont toutefois multiformes. Certaines sont rattachées à des associations pédagogiques comme L’école nouvelle de La Source (Gutierrez, 2007) fondée en 1946, sous les auspices de l’association pédagogique l’école nouvelle française et dirigée par Françoise Jasson21, L’école nouvelle de Boulogne dirigée par Blanche Harvaux et Marie-Aimée Niox-Château sous l’égide des CEMEA ou encore L’école / atelier d’outillage éducatif du Père Castor qui ouvrit ses portes en 1947 à Paris (131, boulevard Saint-Michel) sous la direction de Germaine Girard. Toutes ces écoles privées vont adopter le statut d’école expérimentale afin de revendiquer une tradition et une volonté de s’inscrire dans l’héritage du mouvement de l’Éducation nouvelle d’avant guerre. Dans le même temps, alors que des établissements comme L’école nouvelle de Bellevue de Suzanne Roubakine ou L’École nouvelle d’Amélie Dubouquet revendiquent une autonomie encore plus importante, d’autres obtiennent le statut d’école publique à l’instar de L’école Decroly à Saint-Mandé à partir de 1948 (Wagnon, 2007).

Certaines d’entre elles vont militer tout spécifiquement pour l’utilisation des méthodes d’éduca-tion nouvelle avec des enfants de la guerre à l’image de l’école nouvelle d’Écully près de Lyon sous la direction de Germaine Parot, de l’école de Beauvallon à Dieulefit (Drôme) dirigée par Marguerite Soubeyran et Catherine Krafft ou du Renouveau basé à Montmorency dirigé par Claude François-Unger pour les enfants de parents fusillés ou déportés durant la Seconde Guerre mondiale. D’autres, enfin, ouvriront leurs portes à un public « inadapté » à une scolarité classique à l’image de l’internat d’enfants délinquants et caractériels de Chanteloup sous la direction de Louise Vincendon et son mari ou du Centre de Gurcy le Chatel (Seine et Marne) qui accueillera et formera près de 400 élèves de 16 à 19 ans au service de l’électricité de France sur le mode de l’autodiscipline, inspiré du self-government des premières écoles nouvelles.

21. En 1962, l’école nouvelle de La Source, de statut privé, connaît des évolutions importantes lorsqu’elle est contrainte de passer sous contrat d’association avec l’État.

8 6035 TG WB 00 Page 55

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La reconstruction de la France par son école (1941-1959)

Chapitre 1

Exercice 4

Après avoir mené des recherches sur internet, présentez sur une page maximum, l’école de La Source (Meudon) et l’école Decroly (Saint-Mandé)

ConclusionÀ la Libération, la reconstruction de la France va également passer par une réflexion sur la place et le rôle que peut y jouer son école. Trois sources vont venir alimenter les projets élaborés dans ce sens. La première correspond aux essais menés avant guerre dans le sens de la réforme de l’enseignement du second degré avec notamment l’expérience des classes d’orientation et l’inté-gration des activités dirigées à l’emploi du temps des élèves. La deuxième source provient de différents projets de réforme de l’école rédigés par des groupes de résistants durant l’Occupation. La troisième et dernière source à laquelle s’alimentera cette volonté de reconstruire le pays par son école est le mouvement de l’Éducation nouvelle qui par ses préconisations vis-à-vis de l’emploi des méthodes actives va orienter bon nombre de décisions en faveur de leur application dans l’enseignement officiel. Reste, dès lors, à organiser cette mise en système de l’école tant sur le plan structurel que pédagogique sur l’ensemble du territoire. Si cette nécessité ne fait pas l’objet de contestations, elle va toutefois rencontrer des difficultés d’un ordre nouveau, comme nous allons le voir à présent, durant les années d’après guerre.

Sources et bibliographieSi les sources ne constituent pas des éléments à partir desquels il vous est demandé de travailler, les références bibliographiques utilisées dans le cadre de l’écriture de ce cours sont, au contraire, à consulter afin de vous permettre une compréhension plus large des objets abordés dans cette partie.

SourcesBONNARD Abel, « L’esprit et l’activité des cours complémentaires », Bulletin national de l’ensei-gnement primaire, n° 4, avril 1943.

BONNARD Abel, « L’esprit et l’activité des cours complémentaires », Bulletin national de l’ensei-gnement primaire, n° 5, mai 1943.

CAPITANT René, « Discours prononcé par M. Capitant à l’occasion de la rentrée solennelle de l’université d’Alger, le 18 décembre 1943 (extraits) », Bulletin officiel du ministère de l’Éducation nationale, Hors-série, jeudi 16 novembre 1944.

CARCOPINO Jérôme, « Discours radiodiffusé du 3 septembre 1941 ». In OZOUF R. et M., Le nou-veau statut des lycées et collèges et du personnel enseignant secondaire, Paris, Nathan, 1942.

DURRY Marcel, « Rapport général sur les travaux de la Commission pour la réforme de l’enseigne-ment. Alger, 7 août 1944 » (46 p.). Archives nationales (F17 17502).

HASLE Jean, « L’activité pédagogique », L’information pédagogique, n° 1, janvier-février 1948.

Instructions officielles. Nouveau plan d’études des écoles primaires élémentaires, 5 mars 1942.

Le COURS-GRANDMAISON, « La vérité sur les instituteurs », Bulletin national de l’enseignement primaire, n° 6, juin 1943.

MARTIN Roger, Les instituteurs de l’entre deux guerres. Idéologie et action syndicale, Lyon, PUL, 1982.

8 6035 TG WB 00 Page 56

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La reconstruction de la France par son école (1941-1959)

Chapitre 1

Méthodes actives, « Nos intentions », Méthodes actives, n° 1, janvier-février 1946.

Ministère de l’Éducation nationale, Les classes nouvelles, Paris : imprimerie nationale, 1950.

PETAIN Philippe, « Ma vision de l’enseignement », La Revue des deux mondes, décembre 1934.

PLANTE Louis, Au 110 rue de Grenelle, Souvenirs, scènes et aspects du Ministère de l’I.-P.-Éduca-tion nationale (1920-1940), Paris, R. Clavreul édition 1967.

BibliographieCORCY-DEBRAY Stéphanie, Jérôme Carcopino, un historien à Vichy, Paris, L’Harmattan, 2001.

GUTIERREZ Laurent, « Méthodes actives » (1946-1950). In BESSE Laurent, GUTIERREZ Laurent et PROST Antoine, « L’éducation nouvelle au service d’une nation à réformer : entre espoirs et réa-lités », Grenoble, PUG, 2012.

Laurent Gutierrez, « Paul Langevin : le don d’ubiquité ». In GUTIERREZ Laurent et KOUNELIS Catherine (dir.), Paul Langevin et la réforme de l’enseignement, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, 2010.

GUTIERREZ Laurent, « ‘‘La Source’’, les raisons d’un succès (1946-1975) », Les Etudes Sociales, n° 145, 1er semestre 2007.

MARTIN Roger, Les instituteurs de l’entre deux guerres. Idéologie et action syndicale, Lyon, PUL, 1982.

MURRACIOLE Jean-François, Les enfants de la défaite. La Résistance, l’éducation et la culture, Paris : Presses de Sciences politiques, 1998.

MURRACIOLE Jean-François, « Les projets éducatifs de la Résistance en France, 1940-1944 ». In CADILHON François, COMBET Michel et FIGEAC-MONTHUS Marguerite (Dir.), Construire l’éduca-tion de l’Ancien Régime à nos jours, Bordeaux, PUB, 2009.

PLANTE Louis, Au 110 rue de Grenelle, Souvenirs, scènes et aspects du Ministère de l’I.-P.-Éduca-tion nationale (1920-1940), Paris, R. Clavreul éd., 1967 (ministère d’Abel Bonnard, pp. 330-343).

PROST Antoine, Éducation, société et politiques. Une histoire de l’enseignement en France de 1945 à nos jours, Paris, Seuil, 1992.

SEGUY Jean-Yves, Les politiques de démocratisation de l’enseignement secondaire dans l’entre-deux-guerres. Des classes amalgamées aux classes d’orientation, réformes et réactions aux réformes dans le monde politique et éducatif français. Thèse en Sciences de l’éducation (Dir. : ROBERT A.-D.). Université de Lyon II.

WAGNON Sylvain, « L’École Decroly de Saint-Mandé ou les vicissitudes de l’Éducation nouvelle publique (1944-1985) », Les Études Sociales, n° 145, 1er semestre 2007.

YAGIL Limore, « L’homme nouveau » et la révolution nationale de Vichy (1940-1944), Paris : PU Septentrion, 1997.

8 6035 TG WB 00 Page 57

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La mise en système de l’Ecole française (années 1950-1960)

Chapitre 2

Chapitre 2

La mise en système de l’Ecole française (années 1950-1960)

Les années 1960 annoncent ce qu’Henri Mendras (1988) a qualifié de « seconde révolution fran-çaise ». La rigidité des institutions est remise en cause. Les réalités institutionnelles sont désormais décryptées sur la base d’études statistiques. C’est aussi l’époque où les recherches en sociologie de l’éducation dénoncent les logiques peu démocratiques qui sous-tendent le fonctionnement de l’école française. C’est aussi et surtout – et il ne faut pas le minimiser – la période au cours de laquelle les médias se font l’écho des réalités scolaires parfois tragiques (incendies de collèges d’enseignement secondaire) qui amènent les législateurs à répondre des choix qu’ils ont fait en amont. Durant cette décennie, on assiste enfin à la multiplication de rapports qui éclairent les liens entre investissement économique et rendement intellectuel. Les questions et les problèmes d’éducation sont pensés au regard de leur coût pour la société. Les changements à opérer sont à justifiés à partir de ces considérations nouvelles. Les investissements sont analysés sur la base des bénéfices escomptés pour la nation. La bonne place de cette dernière sur le plan international est désormais estimée au regard de sa compétitivité.

C’est dans ce contexte que les événements de mai 1968 vont dénoncer l’inertie des institutions et l’arbitraire des décisions prises au titre de l’intérêt général. Sur le plan de la formation des indi-vidus, ces contestations vont, d’une part, remettre en cause la logique des structures rigides et centralisées et, d’autre part, affirmer la nécessaire rénovation pédagogique qui a pour corollaire des changements profonds dans les méthodes et les contenus. N’oublions pas qu’à l’école comme dans la société, l’autorité a généralement était comprise comme le pouvoir de maintenir un ordre par la discipline. Pour autant, dans la mouvance libertaire de la fin des années 1960, la condam-nation de la contrainte n’a pas était unanimement partagée. L’idée que la contrainte n’éduque pas, ne forme pas les caractères, que la coercition nuise à l’épanouissement des enfants et affecte sa personnalité, a failli par son caractère souvent immodéré. Les propositions et les expériences libertaires apparentées à une autonomie libératrice revendiquée vont susciter un grand nombre d’oppositions voire de condamnations. De là, naîtra un grand nombre d’amalgames qui conduira certaines de ces réalisations éducatives alternatives à se replier sur elles-mêmes jusqu’à être consi-dérées, par certains, comme des sectes.

1. Des nécessités économiques aux impératifs démographiques

À partir du milieu des années 1950, dans un contexte général de croissance des pays industriels, l’enseignement devient un objet d’étude économique (M. Segré et L. Tanguy, 1970). La théorie dite du « capital humain » appliquée à l’institution scolaire redessine les contours de ses missions. Les connaissances, toujours plus nombreuses, à transmettre sont désormais l’une des conditions du progrès technique et de la croissance du pays. Dans ce contexte, la France ne peut plus se per-mettre de laisser les élèves mettre un terme à leur scolarité avant qu’ils aient obtenu un niveau de qualification en rapport avec des métiers qui permettent au pays d’élever, à terme, son niveau de compétitivité. Or l’état de la situation des élèves qui poursuivent leurs études au-delà de la scolarité obligatoire à 14 ans en 1955 laisse apparaître le contraire (schéma ci-dessous). Un élève sur deux seulement poursuit ses études après la classe de 3e.

8 6035 TG WB 00 Page 58

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La mise en système de l’Ecole française (années 1950-1960)

Chapitre 2

Le gouvernement va réagir en août 1955, en présentant par l’intermédiaire de son Ministre de l’Éducation nationale, Jean Berthoin22, un projet de loi portant sur la réforme de l’enseigne-ment public qui s’appuie sur les travaux préalables d’un Comité d’étude dirigé par le Recteur Jean Sarrailh entouré de plusieurs industriels (Ph. Bongrand, 2009). Les priorités d’ordre économiques conduisent les logiques de ces propositions de réforme. Les besoins identifiés concernent désormais largement le secteur tertiaire (professions libérales, enseignants, cher-cheurs, carrières commerciales et scientifiques) tout en exigeant un accroissement de qualifica-tion dans le secteur secondaire (agents techniques, techniciens, techniciens supérieurs). Face à ces emplois à pourvoir, il y a nécessité d’un interventionnisme de l’État pour ne plus laisser au hasard l’orientation des élèves.

Plus que jamais, le contexte économique fait émerger des besoins face auxquels le gouvernement ne plus rester indifférent. Des rapports sont diligentés par le gouvernement au Conseil supérieur de la recherche scientifique et du progrès technique. Ce dernier pointe des nécessités impérieuses en matière d’emplois à pourvoir dans les années à venir selon les secteurs d’activités. Une pénurie d’ingénieurs est notamment annoncée. Pour ne pas être tenu pour l’un des responsables de cette situation, le gouvernement va adopter le décret et l’ordonnance du 6 janvier 1959 prolongeant la durée de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans pour les enfants nés après le 1er janvier 195323. Signés par Charles de Gaulle et votés par le dernier gouvernement de la IVe République, ces textes législatifs sont emblématiques de l’interventionnisme de l’État qui va marquer les débuts de la Ve République. Dans l’esprit qui anime cette réforme, il s’agit de combiner une égalité formelle des chances (accès du plus grand nombre d’élèves aux études secondaires) et une sévère sélec-tion ultérieure (par les examens). Cette « réforme Berthoin », du nom du ministre de l’Éducation nationale d’alors, instaure, d’une part, un cycle d’observation de deux ans (6e – 5e) pour tous les élèves et, d’autre part, une nouvelle répartition des élèves vers 5 types d’enseignement à l’issu de ce cycle d’observation24 :

1. Enseignement terminal (2 ans) qui s’adresse aux futurs agriculteurs, artisans, ouvriers.

2. Enseignement technique court (2 ans) en Collège d’enseignement technique (CET) destiné à former des ouvriers qualifiés.

3. Enseignement technique long (3 ans en Lycées techniques) pour des futurs techniciens « breve-tés », techniciens « supérieurs » (du titre des examens) ou des ingénieurs.

4. Enseignement général court (2 ans) en Collèges d’enseignement généraux (CEG) préparant aux nombreux emplois de cadres moyens non/peu techniques et aux Écoles normales d’instituteurs sous la condition d’obtention du brevet d’enseignement général.

5. Enseignement général long (en Lycée) donnant accès à la poursuite d’études et au Baccalauréat (en 2 parties).

Exercice 5

Réaliser un schéma permettant de visualiser les 5 types d’enseignement après le cycle d’observation prévu dans la réforme Berthoin.

22. Ministre de l’Éducation nationale sous deux gouvernements successifs de la Quatrième République, ceux de Pierre Mendès France (19.6.1954-22.1.1955) et d’Edgar Faure (23.1.1955-31.1.1956).

23. Autrement dit, les enfants de cette classe d’âge devront poursuivre leurs études jusqu’en 1969 alors qu’ils auraient pu s’arrêter en 1967 avant l’adoption de cette ordonnance.

24. Cette répartition se fait sur l’avis du conseil d’orientation nouvellement instauré.

8 6035 TG WB 00 Page 59

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La mise en système de l’Ecole française (années 1950-1960)

Chapitre 2

Anticipant la gronde des enseignants du secondaire qui ne souhaitent pas voir arriver des élèves issus des CEG, le ministre va adopter deux mesures qui précisent et limitent les conditions de cette mise en application :

1re mesure : Ces classes d’orientation « font partie intégrante des établissements où elles sont implantées » (article 7) ce qui réduit considérablement les possibilités d’accueil des élèves du pri-maire dans le secondaire. Et ce même si le réformateur a prévu des « classes passerelles » entre les différentes structures.

2e mesure : Dans les faits, la différenciation des contenus de formation est relative aux sections classique et moderne dès le début du second trimestre (article 9). Le cycle d’observation annoncé sur la base de programmes communs se réduit donc au premier semestre de la classe de 6e.

Dans la logique structurelle de la réforme basée sur une meilleure observation des élèves pou-vant les amener à faire l’objet d’une orientation en fonction de leurs mérites scolaires ou de leurs aptitudes, l’échec de la réforme est total. Les élèves ne se redistribuent pas entre les différentes sections de 4e et de 3e. L’idée d’imposer un programme commun de courte durée dans le cadre d’un cycle d’observation était une autre façon de faire reconnaître des niveaux de formation identiques dans des structures différentes. Maintenant, penser que cela suffirait pour que des flux d’élèves puissent avoir lieu d’une structure à une autre était illusoire.

L’autre aspect important de la réforme Berthoin est la création des CEG en remplacement des Cours Complémentaires et la revalorisation du niveau de formation de leurs maîtres. Il est prévu selon l’article 54 du décret du 6 janvier 1959 que les « instituteurs [doivent être] pourvus d’une licence adaptée à leur mission ». Un décret du 21 octobre 1960 va jusqu’à créer un Certificat d’ap-titude particulier pour le professorat en CEG (CAPCEG) et un autre décret du même jour organise dans certaines écoles normales des centres de préparation à ce nouveau certificat (Prost, 1992, p. 83). Sur le plan des structures, des « Groupes d’observation dispersés » (GOD) sont instaurés par une circulaire en date du 9 juin 1960. Il s’agit d’inciter les familles à maintenir leurs enfants à l’école dans ces structures rattachées principalement aux écoles primaires (quelques unes à des CC). Sans être des classes de fin d’études, ces GOD permettent de réunir des élèves que leur niveau scolaire et leur condition d’éloignement des écoles n’invitaient pas à poursuivre leur étude.

Sur le plan des effectifs, le nombre d’élèves de CEG passe de 474 500 en 1959-1960 à 789 300 en 1963-1964, soit une hausse de 66% en quatre ans (Prost, 1992, p. 82). La prolongation de la scola-rité semble également avoir répondu à une demande des familles. Notons, enfin, la place que va prendre, à cette époque, dans les discours liés aux questions d’orientation, la notion d’ « aptitude ». Les instructions officielles vont surexploiter ce terme lui attribuant souvent une connotation déter-ministe au détriment d’un processus dynamique revendiqué, comme cela était le cas, dans le plan Langevin-Wallon. Le débat nature/culture resurgit ainsi insidieusement dans le discours réformateur officiel donnant raison aux partisans de la toute puissance de la nature en matière d’éducation. Cela se traduit par une intervention des enseignants en matière d’orientation scolaire dès les premières années de l’enseignement secondaire (fin de 5e). En fait, tel qu’est organisé le système scolaire, c’est davantage les besoins économiques et sociaux qui commandent la hiérarchisation des aptitudes par une orientation précoce vers les filières qui mènent, à terme, vers des « emplois scolairement identifiés ». En sorte que « la théorie du capital humain légitime économiquement la politique de démocratisation quantitative » (Robert, 2010). Mais, qu’en est-il sur le plan de la démocratisation qualitative ? Quel impact à sur l’économie la démocratisation de l’enseignement ?

C’est à ces questions que se propose de répondre Charles Marital lorsqu’il traite des conséquences économiques de la démocratisation de l’enseignement lors d’une conférence à la Société française de Pédagogie en décembre 1965 (Martial, 1966). Selon ce membre du Conseil économique et social, la première de ces conséquences est le pouvoir multiplicateur considérable que recèlent les investissements intellectuels par leurs répercussions sur la production nationale. Les études statis-

8 6035 TG WB 00 Page 60

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La mise en système de l’Ecole française (années 1950-1960)

Chapitre 2

tiques montrent sur ce point que les investissements intellectuels peuvent multiplier en quelques décennies la production nationale par 3 ou 4 au lieu de 1,5 ou 2 c’est-à-dire doubler le proces-sus de croissance de leur niveau de vie. La deuxième de ces conséquences est de faire prendre conscience que cette puissance multiplicatrice doit bénéficier à toute la nation puisqu’elle sera le fruit de l’ensemble de ses enfants, utilisé dans l’économie du pays quelle que soit la classe sociale d’où ils sont issus. La troisième et dernière de ces conséquences consiste à prendre conscience que ces modifications purement économiques entraîneraient des évolutions sociales qui pourraient constituer un immense progrès vers une société plus juste et plus humaine.

Dès lors, pour obtenir ces effets, une hausse générale des niveaux de qualification est nécessaire. L’innovation étant le facteur le plus important de la croissance, tout ce qui contribue à favoriser le recrutement et la formation des chercheurs est un élément de puissance pour la nation. A l’inverse, comme le démontre une enquête de l’OCDE de 1963 :

« le travail d’une personne sans aucune instruction ne représente que 70% de celui d’une per-sonne ayant fait huit ans d’études et qu’en revanche un travailleur ayant douze ans de scolarité en représente 124% » (Martial, 1966, p. 11).

Même s’il reste difficile d’évaluer précisément l’incidence de l’éducation sur le revenu national, les pays qui ont fait ce pari, ont tous vu leur revenu national augmenter. Dans les années 1960, l’URSS et les États-Unis en sont déjà convaincus25 contrairement à la France où, selon Charles Marital :

« On a l’impression que la démocratisation est encore acceptée par certains comme une concession au sentiment de justice et non comme une nécessité de la compétition économique. (…).Toute poli-tique de démocratisation de l’enseignement doit se doubler d’une politique de l’emploi, et cette politique ne doit pas être à courte vue mais étendre ses prévisions à 10 ou 15 ans, durée nécessaire à la formation d’un homme. En ce domaine, hélas, on en est encore en France à des balbutiements parce qu’on n’a pas voulu entendre à temps des hommes comme M. Poignant et M. Fourastié qui ont depuis longtemps clairement posé le problème et affirmé qu’on peut le résoudre dans une économie moderne à condition de prévoir et de donner les moyens » (Martial, 1966, p. 12-13).

Avec un élève sur cinq qui poursuit sa scolarité dans le cycle long du second degré, la France ne forme pas assez de cadres susceptibles de participer au développement du pays au début des années 1960. On cerne mieux, dès lors, les logiques qui vont préfigurer à l’adoption du décret du 3 août 1963 qui instaure un nouveau cycle de deux années à la suite du cycle d’observation.

2. Les limites du modèle scolaire traditionnelFace aux limites de ce modèle scolaire traditionnel, la réforme Fouchet-Capelle26 va enclencher une dynamique en faveur d’une « école moyenne » en permettant notamment une répartition des élèves de 6e et de 5e dans un nouveau cycle qualifié d’« orientation » regroupant les classes de 4e et de 3e. Dès lors, les collèges d’enseignement secondaire (CES) nouvellement créés, proposent quatre filières :

1. La filière classique proposée uniquement dans les lycées27.

2. La filière moderne long destinée à la poursuite des études en lycée où enseignent des maîtres « de type lycée ».

25. Ils deviendront les deux premières puissances mondiales au début des années 1980 au regard de la nature de ce type d’investissements.

26. Antoine Prost a brillamment exposé la complexité des relations entre les protagonistes de cette réforme dans le chapitre « Décision et non-décision gouvernementale. La politique gaullienne d’éducation de 1962 à 1968 » (p. 98-116) de son ouvrage Éducation, Société et politique dont s’inspire, pour une large part, ce chapitre.

27. Par ce décret, se produit une distinction nette entre le premier (6e, 5e, 4e, 3e) et le second cycle (secondes, premières, terminales) des lycées.

8 6035 TG WB 00 Page 61

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La mise en système de l’Ecole française (années 1950-1960)

Chapitre 2

3. La filière moderne court où enseignent des maîtres « de type CEG ».

4. La filière « 4 » constituée de « classes de transition » (6e-5e) suivies d’un « cycle terminal » dit « pratique » (4e-3e). De leur côté, les CEG qui regroupent, désormais, les classes de fin d’études, intègrent les GOD et finissent d’incorporer les Cours Complémentaires.

L’accueil de cette première génération d’enfants d’après guerre dans ces collèges va nécessiter de nouvelles infrastructures. Une véritable course contre la montre va, dès lors, se mettre en place. Entre 1965 et 1975, ce seront 2 354 collèges qui seront construits soit un par jour ouvrable pendant dix ans ! Entre temps, les CEG et les CES doivent parfois cohabiter dans les mêmes éta-blissements favorisant ainsi un rapprochement que le législateur officialisera par la suite. Mais, ce rapprochement temporaire cache une réalité plus sombre. Les nouveaux établissements conçus à la hâte à des coûts réduits vont connaître de tristes épisodes à l’image des incendies des CES de Nice, Sarcelles, Canteleu et (le plus médiatisé) celui de Pailleron28.

Incendie du Lycée de Pailleron (Cahiers pédagogiques, n° 124, février 1974).

Ces nouvelles constructions vont, toutefois, permettre d’accueillir tous les élèves de l’école élé-mentaire au sein d’une structure spécifiquement dédiée au premier cycle de l’enseignement du second degré. Ces nouveaux établissements vont libérer des capacités d’accueil, d’une part, dans les lycées qui seront aussitôt utilisées pour ouvrir de nouvelles sections de préparation au bacca-lauréat et, d’autre part, dans les écoles primaires avec l’abandon des classes de fin d’études dont les maîtres rejoignent à partir de 1967 les sections des CEG et CES.

Tant et si bien qu’en 1970, les différentes strates du système éducatif français sont désormais à appréhender sur le seul critère de la classe d’âge et non plus, comme cela était le cas auparavant, selon le « statut social des établissements »29. Le rapprochement entre CEG et CES est poursuivi par Edgar Faure (Krakovitch, 2006), ministre de l’Éducation national en 1968, qui reporte en 4e le début du latin. De fait, la section « classique » disparaît et porte désormais à trois, le nombre de sections du cycle d’observation de l’enseignement du second degré.

28. Un numéro des Cahiers pédagogiques (n° 124) sera consacré à l’étude des causes de l’incendie de cet établissement en février 1974.

29. Sur les subtilités administratives qui facilitèrent le passage des CEG en CES, voir A. Prost, 1992, p. 86.

8 6035 TG WB 00 Page 62

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La mise en système de l’Ecole française (années 1950-1960)

Chapitre 2

Le ministre Edgar Faure en 1968.

Dans le même temps, la situation statutaire des professeurs de CEG évolue. Ils acquièrent une autonomie de corps et cessent, de fait, d’appartenir à celui des instituteurs30. Leur formation qui passe de deux à trois ans, leur permet d’intervenir dans une classe de cycle long jusque là réservé aux professeurs certifiés. Cette évolution « en grade » va amener ces anciens instituteurs à aban-donner les méthodes pédagogiques qui caractérisaient la richesse de leur spécificité. Intégrer dans la logique de l’enseignement du second degré qui consiste à se spécialiser en s’identifiant à une seule discipline scolaire, nombreux sont ceux qui vont abandonner leur « bivalence ». Cette évolution du corps enseignant va, par ailleurs, s’accompagner d’une augmentation des retards scolaires que l’inspecteur général Belliot ne peut que déplorer tant sur le plan humain que sur le plan économique :

« (…) les redoublements sont un véritable fléau, notamment dans l’enseignement secondaire. J’ai des statistiques d’établissements secondaires, où en classes terminales, il y a les deux tiers des élèves qui ont redoublé au moins une fois. Est-il possible de calculer le coût de ces redoublements ? et par conséquent, d’évaluer l’économie qu’on ferait en assurant une meilleure pédagogie, laquelle éviterait ces redoublements ? » (Belliot, 1966, p. 16).

Pour Charles Martial qui lui répond, le problème est plus grave encore :« (…) dans l’enseignement élémentaire, le pourcentage des redoublants pour les cinq classes est de 25 % ; c’est-à-dire que sur les 5 ans, il y a une année de redoublement en moyenne. (…). Ces redoublements viennent essentiellement du nombre trop grand d’élèves dans les classes et aussi de la formation des maîtres, qui est insuffisante (…) dans le 4e Plan, on avait déjà prévu cette dimi-nution du redoublement et que, dans le 5e, on le prévoit encore, seulement, je dois vous dire que mes espoirs sont très faibles de voir réaliser ces prévisions du plan. Pourquoi ? Parce que, quand on a fait ces prévisions, on avait travaillé sur une enveloppe financière d’u moins 32 milliards, au plus 43. Et finalement, l’arbitrage du Gouvernement a été de 25,5 » (Marital, 1966, p. 16-17).

Le 5e plan avait pour but de renforcer les « investissements productifs » c’est-à-dire matériel (fabrication de ciment, de l’acier, l’agriculture, etc.). Selon Charles Martial, il faut combattre cette idée car le premier des investissements productifs, c’est l’investissement intellectuel donc l’Éduca-tion nationale. Or,

« quand on se trouve en face de groupes d’intérêts puissants comme on en trouve dans le monde économique, je vous assure qu’un certain nombre de nos raisonnements à nous ne pèse pas beau-coup, hélas » (Marital, 1966, p. 19).

30. Décret du 30 mai 1969.

8 6035 TG WB 00 Page 63

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La mise en système de l’Ecole française (années 1950-1960)

Chapitre 2

Cette situation n’est pas sans interroger les moyens d’application de l’ordonnance du 6 janvier 1959 portant l’âge de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans31. Cette obligation entre, par ailleurs, en conflit avec les représentations des familles les plus modestes pour qui l’accès à un emploi rapide reste le meilleur garant d’une situation sociale, alors même que l’enfant possède les apti-tudes à poursuivre sa formation. En raison du faible nombre de bourses, il n’est donc pas étonnant de constater qu’une corrélation existe entre le milieu social des élèves et leur poursuite d’études comme l’atteste le schéma ci-dessous32 :

L’orientation des élèves selon leurs origines sociales (Cahiers Pédagogiques, n° 48, mai 1964, p. 83).

L’organisation et la fonction sociale même de cette école traditionnelle dont on perçoit les limites vont faire l’objet d’une remise en cause radicale au cours des années 1960. Pour comprendre l’émergence des propositions alternatives à ce modèle, il convient de s’arrêter sur une question fondamentale : À quoi sert l’école ? Les réponses qui vont alors y être apportées varient selon l’idéologie et les tendances des auteurs qui vont se prêter à l’exercice. Schématiquement, deux tendances seront distinguées :

« celles qui sous estiment l’importance de l’école et en font un pur instrument social – aussi nocif que l’organisme social qu’il sert – ; celles, au contraire, qui surestiment l’importance de l’école et qui proposent des solutions tellement révolutionnaire et novatrices qu’elles condamnent du même coup tout ce qui se fait aujourd’hui à l’école et tout ce qu’on pour-rait entreprendre pour la transformer. Les premières qui viennent généralement de marxistes, posent qu’il ne sert à rien de changer l’école si l’on n’en change pas préalablement la société ; elles n’accordent à l’école qu’une faible valeur révolutionnaire. Les secondes, au contraire, dont Illich s’est fait le héraut, accordent à l’école une telle valeur révolutionnaire qu’ils en viennent à rêver de ce qu’elle sera plutôt que d’essayer de le réaliser » (Lobrot, 1972, p. 302).

31. Le coût de l’application de cette loi sera reporté dans les prévisions du 5e plan de financement du pays à (1972-1973).

32. La ligne verticale sépare, dans chaque catégorie sociale, les enfants qui continuent leurs études (à droite) et ceux qui ne les poursuivent pas (à gauche). Ce schéma est extrait de Planification et Enseignement paru dans la collection Mémoires et documents scolaires de l’Institut nationale de recherche pédagogique (1964).

8 6035 TG WB 00 Page 64

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La mise en système de l’Ecole française (années 1950-1960)

Chapitre 2

Exercice 6

Après avoir sommairement présenté l’auteur, vous exposerez quelle est la thèse principale défendue par Ivan Illich.

Pour les sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron (1964), le système scolaire a une valeur « reproductrice » dans la mesure où il se contente de donner aux futurs élites du pays le moyen d’exercer leur domination en leur transmettant le savoir et la compétence qu’il refuse par son inaccessibilité aux autres. Les événements de Mai 1968 vont reprendre, en partie, ces critiques afin d’accélérer les transformations sociales et scolaires dans le pays. La place et le rôle du profes-seur vont être questionnés à nouveaux frais. La question de la légitimité de l’autorité institution-nelle du maître (celle que lui confère son statut) est remise en cause. Pour Pierre Albertini, cette période annonce ce qu’il nomme le « déclin de la société enseignante » (1992).

Affiches et slogans parus durant les événements de mai 1968

Ces débats, parfois violents, qui reviennent sur les logiques sociétales de notre pays vont marquer durablement les esprits. C’est, à la fois, pour s’opposer et combattre cette fonction de repro-duction de l’école que bon nombre de chercheurs et d’éducateurs vont vouloir s’émanciper du modèle scolaire traditionnel. Les plus téméraires iront jusqu’à ouvrir des écoles alternatives alors que d’autres tenteront de modifier l’organisation et les pratiques pédagogiques de l’intérieur.

3. L’essor de nouveaux supports d’enseignementL’essor de nouvelles formes d’enseignement naît d’une critique du système scolaire. La nocivité, à certains égards, du fonctionnement de l’école sur la santé des élèves va être relayée par un nouvel acteur sur la scène éducative : la télévision. Par sa force de persuasion, « images à l’appui », ce média va émouvoir la population et notamment les parents d’élèves. En 1962, un rapport sur « La fatigue des écoliers français dans le système scolaire actuel » est déposé au ministre de l’Éduca-tion national par le professeur Robert Debré et le docteur Daniel Douady. Les recherches menées sur les causes du problème font apparaître des journées trop longues pour les écoliers. Parmi les remèdes possibles, un allégement du temps scolaire et une diversité des méthodes d’apprentis-sage sont proposés.

8 6035 TG WB 00 Page 65

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La mise en système de l’Ecole française (années 1950-1960)

Chapitre 2

Robert Debré et Daniel Douady, La fatigue des écoliers français dans le système scolaire actuel, Paris, ministère de l’Éducation nationale, 1962.

Exercice 7

Après avoir commenté les données présentées dans le tableau ci-dessus, vous exposerez sur une page maximum les conséquences que cela implique sur le plan des rythmes sco-laires dans le cadre d’une semaine de 5 jours pour des élèves âgés de 11 ans.

L’année suivante, l’association « Défense de la jeunesse scolaire » mène une campagne afin d’in-former des conséquences du surmenage scolaire entraînés, entre autres, par les excès de devoirs à la maison33. Les responsables de cette association dénoncent un système scolaire inadapté :

« Notre enseignement ne remplit pas bien sa mission. Il y a manque, non seulement parce que les moyens sont insuffisants mais aussi parce que son organisation et ses méthodes font tort aux enfants et aux adolescents qui lui sont confiés. Il méconnaît leurs besoins. Il contrarie leur matu-ration. Il ne crée pas les conditions favorables au plein développement, même de ceux qui le sup-portent le mieux » (Bataillon, Berge, Walter, 1967, p. 125).

Afin de remédier à cette situation, il est lancé l’expérimentation du « 1/3 temps pédagogique ». L’idée est de découper le temps scolaire en trois parties : La première pour les matières de base, la deuxième pour les disciplines d’application et la troisième pour l’éducation physique. Dans le second degré, Jean Hassenforder et Geneviève Lefort, tous deux enseignants à l’uni-versité de Paris X-Nanterre, participent à la promotion de la « pédagogie de la documenta-tion » relayant les idées déjà connues mais peu appliqués au collège et au lycée de ce type de pratique pédagogique basée sur la recherche des sources (Hassenforder et Lefort, 1972). Après les événements de mai 1968, le terme de « participation » devient l’un des maîtres mots de cette révolution culturelle en marche. Cette volonté de gérer collectivement l’institution édu-cative entraîne une relation pédagogique différente qui renverse les habitudes professorales et pose, sous une forme nouvelle, la question des statuts de chacun. Des expériences péda-gogiques inspirées des théories de la « non directivité » de Carl Rogers font l’objet d’évalua-tions. On cherche ainsi à cerner les effets de ces pratiques centrées sur la personne et mieux comprendre quelles peuvent être les attitudes chez l’adulte qui favorisent le développement de chacun dans la relation éducative. Si, pour la majorité, les termes de « non-directivité » et d’« autogestion » ne sont qu’un effet de mode, pour d’autres, c’est l’occasion de mener de nou-velles expériences à l’instar de Daniel Hameline et Marie-Joëlle Dardelin qui dans leur ouvrage La liberté d’apprendre (1967) proposeront une justification d’un enseignement non directif.

33. Pour rappel, les devoirs à la maison sont interdits en France depuis l’arrêté du 23 novembre 1956.

8 6035 TG WB 00 Page 66

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La mise en système de l’Ecole française (années 1950-1960)

Chapitre 2

Exercice 8

Vous présenterez sommairement ce que Carl Rogers entend par « non directivité ».

Mais, l’aspect le plus significatif de ce « désir d’une autre école » va être la place que va occuper les parents d’élèves dans ces réalisations nouvelles. Ces tentatives s’inscrivent dans un « climat » qu’il est aujourd’hui assez difficile d’appréhender. Plusieurs courants idéologiques contradic-toires se manifestent sur la scène pédagogique durant les années 1960. En 1964, alors que le mouvement autogestionnaire se désolidarise de celui la pédagogie institutionnelle inspirée de la pédagogie Freinet, naissent les Cercles de recherches et d’action pédagogiques (CRAP). C’est aussi l’année au cours de laquelle paraît le premier numéro de la revue Education et Développement dirigée par Louis Raillon et Roger Cousinet. Cette revue avec les CRAP diffusera largement les idées et les pratiques de ces écoles qui reposent sur des logiques éducatives et pédagogiques mili-tantes faiblement institutionnalisées. La naissance du Comité de liaison pour l’éducation nouvelle (CLEN) en 1965, s’il consacre la volonté de plusieurs « écoles nouvelles » de se fédérer, s’oppose à celle d’autonomie et de liberté d’autres écoles qui sont identifiées comme « sauvages ». D’où la difficulté d’établir un chiffre exact des élèves qui fréquentent ces structures parallèles dont l’initiative est essentiellement due à des collectifs de parents et d’enseignants qui estiment que l’organisation scolaire traditionnelle est à l’origine du mal être de leurs enfants.

Ces écoles sont aussi le lieu où l’on remet en question le modèle de l’enseignement tradition-nel et par extension celui du mode de fonctionnement de la société et des valeurs qu’elle veut transmettre. Cette revendication du pouvoir faire autrement constitue le terreau revendicatif à l’origine de ces initiatives hors cadre scolaire. Raison pour laquelle, ces écoles – dans leur majo-rité – refusent de passer des contrats d’association avec l’État. En plus de réduire leur marge d’autonomie, cela les amènerait à ne plus pouvoir inscrire leur action dans une évolution et une recherche pédagogique perpétuelle. On retrouve, ici, les ambitions de plusieurs écoles nouvelles comme celles Antony, « centre de pédagogie active », fondée en 1961 par Marie Rist à la suite de l’école nouvelle du Père Castor ; de l’école de la rue de Vitruve (expérience du XXe arrondissement de Paris) fondée en 1962 par Robert Gloton avec la participation des membres du Groupe français d’Education nouvelle (GFEN) comme Henri Bassis notamment ; l’école du Chapoly (Lyon) fondée en 1964 par Denise Poireux et Françoise Jandin ; l’école de la Prairie (Toulouse) fondée en 1969 par Marie de Vals. Cette nouvelle génération d’écoles nouvelles a des orientations pédagogiques communes, à savoir :

– l’importance accordée aux activités artistiques dans le cadre d’ateliers (pipeau de bam-bou, peinture, etc.) ;

– une organisation des séquences d’apprentissage sur le rythme du « tiers temps péda-gogiques » ;

– partir de l’étude du milieu grâce aux « classes transplantées » (classe de neige, classe de fleurs, classe de bicyclette, classe verte, classe de mer) ;

– la revendication de faire de l’école une « maison des enfants » (Montessori) afin d’assu-rer « la sécurité affective » des enfants.

Afin de préserver cette culture du milieu éducatif propre à faire sens aux apprentissages, ces écoles, dans la majorité des cas, ne souhaitent pas s’agrandir :

« Une école pilote a tout intérêt à rester assez petite pour y maintenir une vie d’équipe suivie et pour que chaque enfant s’y sente appartenir non seulement à sa classe mais à la maison » (Collectif, 1972, p. 3).

À côté de ces écoles, d’autres « structures éducatives », moins conventionnelles soit sur le plan des structures et/ou du rapport des adultes aux enfants ouvrent leurs portes durant cette décennie. C’est le cas des écoles pour les élèves en situation de décrochage scolaire (Fernand Oury), des écoles itinérantes (l’école en bateau fondée par L. Kameneff en 1969, par exemple) ou le lycée de

8 6035 TG WB 00 Page 67

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La mise en système de l’Ecole française (années 1950-1960)

Chapitre 2

Montchapet (Dijon) fondé en 1964 sous la direction du proviseur P. Raoux. Si chacun de ces essais fonctionne selon un style et un esprit différent (la personnalité de leurs responsables y est pour beaucoup), tous revendique le droit de pouvoir former des enfants (souvent les leurs) capables de vivre dans une société qui leur aura laissé le temps de s’épanouir.

ConclusionLa mise en système de l’école française procède de plusieurs mouvements. Le premier est la conséquence des effets démographiques qui amène l’État à s’adapter à de nouvelles réalités struc-turelles. Il faut construire plus d’écoles pour pouvoir accueillir les enfants des générations mon-tantes. Le deuxième mouvement est lié aux stratégies de développement économique du pays. Les investissements liés à la scolarisation et l’augmentation du capital culturel sont liés. Dans une économie globalisée, les perspectives de développement d’une nation passent nécessairement par des dépenses importantes dans l’éducation des jeunes. Le troisième mouvement tient au fait que l’école ne peut maintenir une organisation pédagogique dont les logiques ne sont plus adaptées aux enfants issues du baby-boom. Pour rappel, les années 1960 voient naître les premières « géné-rations télé ». Elles viennent bousculer les repères traditionnels en matière de travail scolaire. Le temps accordé aux devoirs à la maison (même s’il est interdit depuis 1956) est concurrencé par celui passé devant le petit écran34. Dans le même temps, une série de mesures revient sur l’organi-sation même de la scolarité des jeunes français à commencer par la circulaire du 17 juin 1969 qui régularise la question de la mixité des sexes à l’école. L’ambition de rénover l’institution scolaire et ses méthodes en repensant la place et le statut de chacun dans un système qui exclut car ne pouvant convenir à tous, pose, sous une forme nouvelle, la question de pouvoir penser l’école en dehors d’elle. C’est dans ce contexte que va se développer une nouvelle génération d’ « écoles nouvelles » dont l’essor interrogera la pertinence même de ce nouveau système éducatif qui se dirige vers ce que sera le « collège unique » à la fin des années 1970.

Sources et bibliographieSi les sources ne constituent pas des éléments à partir desquels il vous est demandé de travailler, les références bibliographiques utilisées dans le cadre de l’écriture de ce cours sont, au contraire, à consulter afin de vous permettre une compréhension plus large des objets abordés dans cette partie.

SourcesAnonyme, « L’orientation des élèves selon leurs origines sociales », Cahiers Pédagogiques, n° 48, mai 1964, p. 83.

BATAILLON Michel, BERGE André, WALTER F., Rebâtir l’école, Paris, Payot, 1967.

BELLIOT Jean in Charles Marital, « Les conséquences économiques d’une réforme démocratique de l’enseignement », Bulletin de la Société française de Pédagogie, n° 156, avril 1966, p. 16

Collectif, « Vie et recherche à l’école nouvelle d’Antony », Education et développement, n° 78, mai-juin 1972, p. 3.

BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude, Les Héritiers, Paris, Seuil, 1964.

34. En 1979, une enquête menée par la télévision nationale conclut que les enfants âgés de 6 à 16 ans regardent, en moyenne, la télévision 12h15 min par semaine au mois de mai et 16h au mois de décembre.

8 6035 TG WB 00 Page 68

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

La mise en système de l’Ecole française (années 1950-1960)

Chapitre 2

DEBRE Robert et DOUADY Daniel, La fatigue des écoliers français dans le système scolaire actuel, Paris, Ministère de l’Education nationale, 1962.

HAMELINE Daniel et Marie-Joëlle Dardelin, La liberté d’apprendre, Paris, Les éditions ouvrières, 1967.

HASSENFORDER Jean et LEFORT Geneviève, L’innovation dans l’enseignement, Paris, Casterman, 1972.

ILLICH Ivan, Une société sans école, Paris, Seuil, 1971. Se reporter aussi à R.-J. Schmid, Le maître camarade et la pédagogie libertaire, Paris, Maspéro, 1971

LOBROT Michel, « A propos de la pédagogie institutionnelle », Bulletin de la Société Alfred Binet et Théodore Simon, n° 529, 1972, p. 302.

MARTIAL Charles, « Les conséquences économiques d’une réforme démocratique de l’enseigne-ment », Bulletin de la Société française de Pédagogie, n° 156, avril 1966, p. 1-19.

SEGRE M. et TANGUY L., « Une nouvelle idéologie de l’enseignement », 8e congrès mondial de sociologie, Varna, 14-19 septembre 1970, ronéoté.

BibliographieALBERTINI Pierre, L’école en France XIX-XXe siècles : de la maternelle à l’université, Paris, Hachette, 1992.

BONGRAND Philippe, La scolarisation des mœurs. Socio-histoire de deux politiques de scolarisa-tion en France depuis la Libération. Université de Picardie 2009, p. 118-135 (Dir. : Pascale Laborier).

KRAKOVITCH Raymond, Edgar Faure, le virtuose de la politique, Paris, éd. Economica, 2006.

MENDRAS Henri, La seconde révolution française, 1965-1984, Paris, Gallimard, 1988.

PROST Antoine, Éducation, société et politiques. Une histoire de l’enseignement en France de 1945 à nos jours, Paris, Seuil, 1992.

ROBERT André, L’école en France de 1945 à nos jours, Grenoble, PUG, 2010.

8 6035 TG WB 00 Page 69

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

Le collège unique

Chapitre 3

Chapitre 3

Le collège uniqueLa fin des années 1960 est marquée par les retombées des décisions de 1959 portant prolongation de la scolarité obligatoire à 16 ans. Si l’effet de concentration d’élèves est régulé sur le plan des infrastructures, les besoins en enseignants se font urgents. Nombreux sont alors, celles et ceux qui sont recrutés sans formation pour assurer le fonctionnement de cette nouvelle donne scolaire. En témoigne, l’évolution du nombre de classes uniques, bon indice de la ruralité, qui passe de 20 025 en 1970 à 12 193 en 1980. Celle des écoles maternelles, indice d’urbanisation, passe dans le même temps de 9 119 à 15 745. Au niveau de l’enseignement secondaire, le nombre d’élèves passe de 4 à 5 millions (4081 508 à 5 007 505)35.

Sur le plan éducatif, l’orientation dominante est clairement en faveur d’un retour à l’ordre et à l’autorité. Par ses débordements, les événements de mai 68 ont fait resurgir la nécessité de préser-ver un cadre normatif des comportements scolaires. Dans le système traditionnel, l’école se pose alors comme la garante des « bonnes mœurs éducatives ». Dans ce contexte de crise économique (modification de la structure sociale36, nouveaux besoins selon les secteurs de l’emploi37, appari-tion du chômage, création d’ensemble suburbains accompagnant le phénomène de déruralisation du pays, augmentation du travail des femmes hors de leur domicile), les parents veulent être rassurés sur l’avenir de leurs enfants.

Le nouveau ministre de l’éducation, René Haby, l’a bien compris. Dans son bureau, rue de Grenelle, où il ne se charge plus désormais que des questions du premier et du second degré38, il travaille à son projet de réforme. Il sait qu’il convient d’apporter les garanties nécessaires pour que les membres de la communauté éducative puissent de nouveau « croire » en leur école. Les mesures qui seront prises, à cet effet, ne seront ni comprises par l’opinion publique et, encore moins, par les personnels enseignants.

Dans ce contexte, les collèges et lycées expérimentaux vont traverser une période difficile. Après l’effervescence des années 1960 durant lesquelles les expérimentations pédagogiques se sont multipliées, l’heure est – parfois, à juste titre – aux garanties éducatives. A l’image des recomman-dations de la Commission des Sages, il s’agit désormais de se prémunir contre « les dangers de la nouvelle pédagogie et [d’en trouver] les remèdes ». L’action du service de la recherche de l’Institut pédagogique national (IPN) sera un moyen d’inscrire ces essais dans des programmes de recherche de pédagogie appliquée, leur évitant ainsi, en partie, d’être marginalisé.

35. Chiffres cités par Louis Legrand (1981) sur la base de statistiques fournies par le ministère de l’Education nationale en 1980.

36. En 1954, les ouvriers représentent 6,5 millions de personnes soit 34 % de la population active, les agriculteurs, 5,1 millions, les employés et cadres moyens 3,2 et les professions libérales et les cadres supérieurs 0,55 millions. Vingt ans après (1975), ils représentent respectivement 8,2, 2, 6,2 et 1,5 millions. Source : Tableaux de l’économie française publiés par l’INSEE en 1979, p. 32.

37. En 1960, il y avait 2 500 informaticiens. En 1978, il y en avait 220 000 !

38. C’est, en effet, à partir du nouveau gouvernement présidé par Jacques Chirac que sera différencié le ministère de l’éducation d’un secrétariat d’Etat aux Universités (Journal officiel du 29 mai 1974).

8 6035 TG WB 00 Page 70

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

Le collège unique

Chapitre 3

1. René Haby et sa réforme du collègeEntre 1964 et 1971, plusieurs commissions nationales sont instaurées afin de préparer une réforme de l’enseignement qui se fait attendre. Deux types de commission peuvent être repérés.

Les premières sont d’ordre disciplinaire : la commission André Lichnerowicz (1967) pour les mathé-matiques (D’Enfert, 2011), la commission Marcel Rouchette (1967-1969) et la commission Pierre Emmanuelle (1970) pour le français ou encore la commission André Lagarrigue (1971) pour les sciences physiques et la technologie.

Les secondes traitent des finalités et des enjeux de l’organisation structurelle de l’école à l’image de la commission de l’enseignement supérieur dite « des dix-huit » présidée par Marc Zamansky39 (1964), de la commission Jean Capelle (1967) visant à étudier les modalités de la sélection à l’en-trée à l’université ou encore de la commission Louis Joxe dite « des sages » proposant une série de propositions dans le but de changer l’approche de l’enseignement (1972).

Pour compléter ce tableau, il convient de ne pas oublier les travaux et les conclusions de plusieurs colloques comme ceux de Caen (1966), d’Amiens (1968) sons oublier ceux de nombreux mouve-ments pédagogiques comme les CEMEA, les CRAP, le GFEN ou l’ICEM.

Ces commissions et ces colloques aboutissent sensiblement aux mêmes conclusions. Il s’agit de moderniser les contenus d’enseignement pour tenir compte des évolutions scientifiques ; indivi-dualiser au maximum pour mieux démocratiser ; mettre l’accent sur les capacités générales opé-ratoires plutôt que sur les connaissances factuelles ; démocratiser la vie scolaire, tant sur le plan de la méthode que sur celui du fonctionnement même de l’institution. Ces préconisations vont orienter les nouveaux textes officiels. Sur le plan des disciplines scolaires, on assiste alors successi-vement à la transformation des contenus et des méthodes d’enseignement en mathématiques, en français, en sciences, en géographie et en histoire. Le temps scolaire est nouvellement aménagé avec le passage de la journée « sans école » du jeudi au mercredi (1972).

Parmi les causes du malaise de l’école française, le rapport Joxe dénonce le trop grand cloisonne-ment entre un nombre trop important de filières dans lesquels les élèves poursuivent leurs études après 11 ans. Cette hétérogénéité de l’offre de formation en produit une plus problématique encore : celle des enseignants. Dès lors, le rapport préconise

« d’unifier progressivement les corps des enseignants du second degré et d’assurer à tous une for-mation qui en soit, en grande partie, commune. Aucune rénovation pédagogique n’est pensable sans une préparation au métier qui s’inspire, pour tous, des mêmes principes. (…). Toute réforme réelle de l’enseignement (…) ne peut se concevoir comme octroyée d’en haut par des sages, puis imposée à coup de circulaires, mais comme élaborée avec la participation de tous les intéressés (…) afin de ne pas, dès sa naissance, se condamner à mort » (Marquet, 1973, p. 10).

C’est dans ce contexte que la réforme du collège unique, impulsé par Valéry Giscard d’Estaing, est mise en place entre1975 et 1979. Si René Haby reste l’artisan de son vote au Parlement, son succes-seur, Christian Beullac, sera celui qui y mettra la touche finale. Cette transformation d’une école en ordres en une école en degrés constitue, non pas une rupture mais l’achèvement d’un processus qui dura une vingtaine d’années dans le paysage scolaire français. De fait, le « collège unique » reste le symbole d’une volonté de démocratiser l’enseignement. À cette ambition, il convient de rappeler le rôle majeur du ministre qui croyait, par ce biais, mettre l’école au service de la nation.

Instituteur puis professeur certifié avant de passer avec succès l’agrégation en 1954, René Haby (1919-1984), devient docteur ès lettres en 1965. Après, ainsi, avoir enseigné dans les divers ordres de l’enseignement et dirigé différents établissements scolaires, il sert au Ministère de l’Educa-tion national en qualité d’adjoint du Recteur Capelle au début des années 1960. Il participe,

39. Doyen de la Faculté des Sciences de Paris.

8 6035 TG WB 00 Page 71

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

Le collège unique

Chapitre 3

de fait, à la mise en place des CES. En 1966, il devient directeur du cabinet de M. Missoffe, Ministre de la Jeunesse et des sports avant d’être nommé par Joseph Fontanet, en 1966, Recteur de l’académie de Clermont-Ferrand. Ce parcours atypique au sein de l’institution fait de René Haby un ministre particulièrement avisé des rouages de son Ministère. Malgré ce « capi-tal confiance », ses relations avec le monde enseignant (syndicats, parents d’élèves jusqu’aux élèves eux-mêmes) n’ira qu’en s’aggravant. Plusieurs raisons expliquent ce « désamour » de la communauté scolaire à son endroit. La première tient au fait que les différents acteurs de l’école n’ont pas été convoqués à participer à la première phase de cette réforme. Fruit de la réflexion d’un seul homme, le document de 54 pages qui en expose les principales mesures, en février 1975, décrit l’organisation d’un nouveau système d’enseignement qu’il reste à mettre en place.

« L’éducation est (…) un phénomène de civilisation ; elle est impliquée dans la transformation du monde moderne. Nécessairement portée par le changement, mais aussi porteuse de changement : comment pourrait-on concevoir que l’École reste immobile ? Mais sa transformation ne peut se faire que par étapes successives, plus ou moins apparentes selon qu’elle porte sur les structures, les programmes ou les méthodes de l’enseignement. (…). Les modifications de l’organisation sco-laire s’étalent ainsi nécessairement sur une longue durée, donnant tout à la fois aux impatients l’impression d’un retard permanent dans l’adaptation, aux conservateurs, le sentiment d’une irri-tante instabilité » (Haby, 1975, p. 1).

Se sentant mis devant le fait accompli, les représentants des différents corps de l’institution sco-laire vont entrer dans un rapport de force avec le ministre. Tant et si bien que le texte de loi, qui sera soumis au Parlement avant d’être promulgué le 11 juillet 1975, sera l’aboutissement de pour parlers qui auront duré plus d’un an avec les syndicats d’enseignants, les membres des commis-sions de spécialistes, les représentants de parents d’élèves et les délégués d’élèves. Le texte adopté aura, entre temps, été vidé de sa principale substance pour ne présenter que dix huit articles abor-dant des dispositions très générales. Afin de mieux cerner l’écart entre les intentions originelles de cette réforme et son application effective, il convient de mettre en perspective les textes qui ont constitué la base de ces discussions.

Le projet de réforme tel que le concevait René Haby consistait à distinguer trois types d’établisse-ments qui constituaient chacun un degré conduisant aux études supérieures : 1° École ; 2° Collège ; 3° Lycée. Dans l’esprit du ministre, chaque degré possédait sa propre vocation. Ainsi, le début de scolarité obligatoire devenait un enjeu majeur en étant porté à cinq ans. Confortée dans ses méthodes, l’école maternelle devait voir ses équipements augmenter alors qu’une baisse de ses effectifs par classe était, dans le même temps, annoncé. Si l’entrée à l’école élémentaire devait se faire à six ans, il était admis que certains élèves « en avance » sur leur âge biologique pouvaient y entrer dès cinq ans. De même, certains élèves de CP1 pouvaient, après quelques semaines, accéder directement à un CP2. L’école élémentaire comprenait six années :

– cours préparatoire (1re année) : 5-6 ans ; – cours préparatoire (2e année) : 6-7 ans ; – cours élémentaire (1re année) : 7-8 ans ; – cours élémentaire (2e année) : 8-9 ans ; – cours moyen (1re année) : 9-10 ans ; – cours moyen (2e année) : 10-11 ans.

En allongeant les études d’une année, il était ainsi donné aux élèves la possibilité de suivre leurs études à leur propre rythme. Cette proposition dont on pourrait reconnaître la volonté louable pour l’époque dissimule, en fait, un ajustement pour ne pas dire une nécessité face à la réalité des écoles. En effet, au début des années 1970, le taux des enfants ayant un an de retard en fin de CP est de 20,9 %, en fin de CE1, 16,2 %, en fin de CE2, 12,1 % et en fin de CM1, 14,8 %. Cette mesure n’est donc, en réalité, qu’une réponse à une situation où la majorité des élèves prolonge déjà leur scolarité d’un an à l’école élémentaire.

8 6035 TG WB 00 Page 72

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

Le collège unique

Chapitre 3

En unifiant par décrets (28 décembre 1975) le Collège d’enseignement secondaire (CES) et le Collège d’enseignement général (CEG) pour devenir le collège (tel qu’on le connaît sous cette forme encore aujourd’hui), ce degré devenait une sorte d’école moyenne, ouverte à tous les élèves sans distinction de classe ou de niveau. Ce collège apparaissait, dès lors, comme une pro-messe à une démocratisation attendue de l’enseignement. C’était aussi la suppression des filières mises en place par la réforme Fouchet (1963-1966) qui orientait les élèves dès 11 ans entre :

1. un cursus moderne long avec une poursuite d’étude en lycée ;

2. un cursus moderne court avec une poursuite d’étude soit en sections techniques en vue de décrocher en deux ans un Brevet d’Enseignement Professionnel (BEP), soit en Centre de formation d’apprentissage (CFP) en vue d’y apprendre une compétence professionnelle en un an ;

3. un cursus en « classes de transition » (6e – 5e) suivi de « classes terminales pratiques » (4e – 3e) débouchant sur une formation en vue de l’obtention d’un Certificat d’Aptitude Professionnel (CAP) en deux ans.

Exercice 9

Réaliser un schéma permettant de visualiser les 3 cursus vers lesquels les élèves peuvent s’orienter dès 11 ans dans le cadre de cette réforme Fouchet.

Dans une société en mutation, le collège devenait ainsi le lieu où les élèves devaient acquérir le bagage intellectuel minimum. Mission dévolue jusqu’alors à l’école primaire. Afin de permettre ces acquisitions et d’orienter au mieux les élèves selon leurs aptitudes, le collège était divisé en deux cycles. De fait, la fin du collège devient le moment crucial du choix de l’orientation. Conformément aux dispositions de la loi Royer, René Haby rappelle la possibilité qui est offerte aux lycéens qui le souhaitent de quitter le collège avant la fin de la scolarité obligatoire pour commencer dans un lycée professionnel l’apprentissage d’un métier. Au lycée, enfin, il est prévu de supprimer l’enseignement obligatoire de la philosophie en classe de terminale et de mettre en place un baccalauréat en deux parties.

Les élections législatives de mars 1978 approchant, l’opposition va toutefois réagir vigoureuse-ment à ce projet de peur de devoir, en cas de victoire, mettre en œuvre une réforme impopulaire. Délaissé par la majorité au début de l’automne, ce projet connaît un nouveau souffle à partir du 15 mai 1975, date à laquelle le Conseil des ministres examine un avant-projet de réforme remanié par René Haby. Adopté par le gouvernement le 4 juin, ce projet ensuite examiné à partir du 23 juin par le Parlement pour être adopté le 30 du même mois. La rapidité avec laquelle le ministre s’empressa de modifier la première version de son projet de réforme doit être interrogée au regard des éléments qui lui ont été sacrifiés. C’est ce que nous nous proposons d’aborder dans la prochaine partie de ce cours.

2. Principes et organisation générale de la réforme Haby

Pour aboutir au vote de la loi, le ministre Haby remania très largement son texte de loi. De nombreux amendements de l’opposition mais aussi de la majorité l’amenèrent notamment aban-donner certains points d’importance. Au niveau de l’enseignement primaire, la scolarité à deux vitesses fut abandonnée tout comme la scolarité obligatoire à partir de cinq ans. La possibilité d’accomplir le CP en deux ans fut écartée pour laisser la place à un CP en un an accompagné d’un enseignement de soutien pour les élèves qui en auraient besoin. Dès lors, peu de changement et une physionomie de l’école élémentaire quasi identique à celle d’avant la réforme.

8 6035 TG WB 00 Page 73

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

Le collège unique

Chapitre 3

La création du « collège unique » apparaissait ainsi comme le « noyau dur » de la réforme. Dans les collèges, les changements sont plus profonds. La logique des programmes est se tourner vers le concret et le vivant. Le désir du législateur de les ouvrir aux réalités du monde contemporain est indéniable. L’éducation manuelle et technique ainsi que la physique/chimie sont introduites comme nouvelles disciplines obligatoires dès la sixième. L’histoire et la géographie sont élargies et traitent désormais des problèmes économiques et sociaux. Il en va de même pour l’éducation artistique qui peut inclure, outre le dessin et la musique, des sujets d’étude portant sur l’archi-tecture, l’urbanisme, le cinéma, etc. Mais, là encore, des compromis durent être trouvés avec les lobbyings disciplinaires et syndicaux pour que le vote de la loi puisse aboutir. Le caractère commun de la classe de seconde fut maintenu, l’enseignement de la philosophie fut réintroduit en classe de terminale, le caractère de sanction des études secondaires fut conservé avec le rétablissement de l’ancienne formule du baccalauréat en deux parties. L’action des amendements traduisit, ici, le souhait de nombreux parlementaires de la majorité de ne pas nuire aux meilleurs élèves et de dégager des élites, préservant ainsi les privilèges de l’organisation scolaire antérieure vis-à-vis des parents d’élèves des classes aisées.

La réforme Haby, appliquée à partir de la rentrée de 1977, peut être considérée comme l’abou-tissement d’un processus de mise en système de l’Ecole française qui aura duré près de vingt ans (1959-1977). Directeur adjoint du Recteur Capelle en 1963, Haby avait participé à la réforme du 3 août 1963 qui avait créée les CES mais laissé subsister à ses côtés le CEG et les classes de premier cycle des lycées. L’unification des structures de l’école moyenne permis ainsi d’accompagner l’évo-lution démographique des jeunes générations d’après guerre en même temps qu’elle contribuait à scolariser un nombre croissant d’élèves.

Évolution du taux de scolarisation entre 1958-1959 et 1984-1985 en fonction de l’âge des élèves

(A. Prost, Education, Société et politiques, Paris, Seuil, 1992, p. 88)

1958-1959 1984-1985

14 ans 68,40 % 97,70 %

16 ans 43,50 % 86,80 %

17 ans 27,70 % 75,90 %

Les chiffres parlent ici d’eux-mêmes. Entre 1958-1959 et 1984-1985, nous observons une augmen-tation de près de 30% du taux de scolarisation pour les élèves de 14 ans. Au milieu des années 1980, c’est ainsi la quasi-totalité de cette tranche d’âge d’élèves qui est scolarisée. Sur cette même période, le nombre d’élèves scolarisés à 16 ans double alors que celui des élèves 17 ans est presque multiplié par trois. Mais massifier n’est pas démocratiser. À la suite d’Antoine Prost (1992), rele-vons trois aspects négatifs liés à ces réformes successives ayant conduit au « collège unique ».

L’ampleur des échecs scolaires et l’impuissance du collège à y faire face

Le taux de redoublements par niveau d’enseignement est un critère qui permet d’éclairer les paliers au niveau desquels le système souffre particulièrement en matière de prise en charge des élèves qui connaissent des difficultés scolaires. L’analyse de ces redoublements apporte aussi des éléments de compréhension sur les écarts qui existent entre les demandes des familles et les pos-sibilités du système scolaire d’y répondre.

8 6035 TG WB 00 Page 74

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

Le collège unique

Chapitre 3

Évolution du taux de redoublement 1961-1985 en fonction de la classe (A. Prost, Education, Société et politiques, Paris, Seuil, 1992, p. 137).

1961-1962 1975-1976 1980-1981 1985-1986

Sixième 7,6 % 9,5 % 10,7 % 12,5 %

Cinquième 9 % 6,5 % 12,1 % 16,4 %

Quatrième 9,1 % 7 % 8,2 % 9,4 %

Troisième 9,3 % 7,3 % 9,6 % 14,3 %

Seconde 9,3 % 11,4 % 14,1 % 17,8 %

Première 20,4 % 7 % 10,4 % 12,7 %

Terminale 22,2 % 16,3 % 19 % 19,9 %

Exercice 10

Commenter la nature des évolutions en matière de redoublement au regard des chiffres présentées dans ce tableau sur la période 1961-1986.

Louis Legrand s’est montré très critique vis-à-vis de la forme du collège unique mit en place par René Haby. Selon lui, cette scolarisation de masse par un enseignement uniforme conduit à l’échec des élèves disposant de « faibles dispositions » scolaires.

« Sa réforme, actuellement en place, est ambiguë. En un sens, elle prolonge la grande réforme de 1959 et prétend la mener à son terme avec la suppression des filières, la constitution de classes hétérogènes et la définition d’un enseignement de soutien. Cette réforme semble donc donner satisfaction à l’opposition politique en tirant les conclusions pratiques des études sociologiques. Mais, par ailleurs, cette réforme maintient l’exigence d’un « niveau d’entrée en sixième » et sys-tématise le caractère pré professionnel des ex-classes de quatrième et de troisième pratiques en organisant leur articulation avec les entreprises. Par ailleurs, le maintien à l’école élémentaire des élèves non admis en sixième a conduit, en fait, à reconstituer des classes de fin d’études sans le nom, sans les finalités et sans les programmes. Enfin, le fonctionnement des classes hétérogènes pose de redoutables problèmes à des professeurs non préparés à ce type d’enseignement néces-sairement individualisé. Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent, réclamant le retour à la sélection. L’avenir dira ce qu’a été réellement la « réforme Haby ». Pour nous, elle apparaît déjà comme un retour en arrière déguisé, l’hétérogénéité des classes de sixième devant être, à terme, celle d’élèves sélectionnés. En attendant, on triche un peu partout, utilisant toutes les astuces d’une sélection qui n’ose pas dire son nom (divisions constituées à partir de l’âge ou de la langue vivante étudiée) » (Legrand, 1981, p. 65).

Afin de remédier à cette difficulté structurelle, Louis Legrand préconise une diversification des enseignements au collège. La diversité des élèves qui arrive de l’école primaire nécessite une ges-tion des profils des élèves par des pédagogies adaptées.

L’importance de la sélection dans le processus d’orientation

Pratiquement, l’orientation des élèves se fait sur la base de leurs résultats scolaires. Elle est tou-tefois incomplète si elle fait fi des aspirations des élèves et ne tient compte de l’évaluation de leurs aptitudes. De fait, les goûts et les motivations des élèves passent souvent au second plan dans leur projet d’orientation. Dans un sens, l’institution demande aux élèves de faire la preuve qu’ils puissent accéder à la filière de leur choix en obtenant les résultats attendus. Ces décisions d’orientation sont, le plus souvent, de la responsabilité des professeurs qui lors des conseils de classe jouent un rôle crucial dans la carrière scolaire des élèves. Crucial car la hiérarchie des filières est connue de tous et qu’elle correspond, elle-même, à une certaine hiérarchie sociale entre les professions. Pour échapper à une orientation « subie », les élèves sont soumis à une pression constante dès la classe de 6e. Cette forme de scolarité assure pour ceux qui savent y faire face

8 6035 TG WB 00 Page 75

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

Le collège unique

Chapitre 3

les moyens d’accéder aux filières les plus prestigieuses soit en appartenant très tôt aux classes « profilées » (classes à options, classes européennes), soit en jouant sur les procédures d’appel mis à la disposition des parents d’élèves qui souhaitent contester sur le choix d’orientation émit par l’équipe pédagogique.

La réussite toute relative de la démocratisation de l’enseignement

La réussite scolaire des élèves dépend toujours majoritairement du milieu social dont sont issus les élèves. La persistance des déterminismes sociaux40 n’a pas été résolue. Elle s’incarne désormais dans les structures même de l’organisation scolaire avec le jeu ségrégatif des filières. Les classes de transition ne jouent pas leur rôle malgré les ambitions affichées lors de leur création. Elles constituent de « véritables ghettos » (Legrand, 1981, p. 64) d’autant que la formation des maîtres affectés à ces classes ne parvient pas à faire face à la demande41. Tout un arsenal de mesures plus ou moins explicites existe pour assurer une sélection précoce parmi les élèves : stratégies de contournement sur le plan structurel (classes européennes), choix de certaines options afin de constituer des classes « profilées ».

« Contrairement aux intentions qui avaient présidé à sa création, le collège unique n’est pas l’ins-trument d’une démocratisation, mais un filtre efficace qui réserve en fait aux élèves originaires des milieux sociaux favorisés une place privilégiée dans les filières les plus prestigieuses du système scolaire » (Prost, p. 92).

Au-delà de cette remise en cause de la fonction de démocratisation du système éducatif, force est de constater que ce modèle va toutefois permettre, à une part importante des élèves, d’atteindre un niveau de formation plus élevé que ne leur permettait l’école de la décennie antérieure. Ce nouveau collège, divisé en deux cycles, avec un premier niveau (6e-5e) « commun » à tous les élèves et un second « d’orientation » (4e-3e), va proposer de différencier les parcours en repous-sant l’âge d’entrée dans les diverses filières.

La question de l’orientation est particulièrement sensible lors de la mise en place du collège unique. Plusieurs tendances sont repérables dans la presse pédagogique alimentant des débats contradictoires liés aux enjeux sociaux qui traversent la société. Le rapprochement souhaité entre l’école et la vie est, une nouvelle fois, un analyseur pertinent pour repérer les positions conservatrices et progressistes des différents acteurs de l’école dont les positions sont relayées grâce au développement spectaculaire des médias et notamment de celui de la télévision42. Les hommes politiques s’en emparent pour venir expliquer aux français les effets à attendre de leurs réformes.

40. Dénoncés, dès 1971, par les sociologues Baudelot et Establet dans L’école capitaliste en France.

41. En 1973, 60 % de ces classes sont encore tenues par des maîtres non qualifiés.

42. Entre 1960 et 1975, le nombre de téléviseurs par ménage passe de 10 à 80%.

8 6035 TG WB 00 Page 76

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

Le collège unique

Chapitre 3

Schéma du collège unique (1975)

Exercice 11

Retrouver et écouter sur internet des extraits d’interventions du ministre René Haby mais aussi de ceux qui se sont opposés à sa réforme sur le site de l’Institut national de l’audio-visuel (INA).

3. Des écoles alternatives au modèle uniqueDans ce contexte, les alternatives à la scolarisation de l’enfant sont considérées comme des symp-tômes, significatifs de milieux marginalisés et/ou privilégiés. Nombreux sont ces essais d’écoles nouvelles dont l’existence fut précaire ou si spontanée, si informelle qu’il est aujourd’hui difficile de rendre compte de leur évolution. Difficile aussi d’évaluer le mécontentement et le désarroi des lycéens vis-à-vis des institutions qu’ils jugent démodées et inadaptées. Leurs manifestations ne seront pas comprises et donneront lieu à ce que Jean Hassenforder, qualifiera de « désenchan-tement du début des années 1970 ». Cette « reprise en mains » par le ministère de l’Éducation nationale va s’accélère pendant l’année scolaire 1971-1972. Pour Louis Raillon, rédacteur en chef de la revue Éducation et Développement, cette année est une

« année de reflux et de blocages : une circulaire « confidentielle » recommandant la fermeté aux proviseurs ; un projet faussement novateur de formation des maîtres ; une série de mesures prises à l’encontre d’enseignants soucieux d’innovation pédagogique et accusés de « gauchisme » comme si l’innovation, le changement pouvaient être le fait des conservateurs, des traditiona-listes » (Raillon, 1998, p. 86).

C’est aussi l’époque où lorsque les jeunes discutent des questions sociales et parmi elles de l’éduca-tion dans les Maisons de jeunes, certaines municipalités les accusent de « faire de la politique » au lieu de jouer aux fléchettes ou au ping-pong. En février 1972, le congrès des Cercles de recherche

8 6035 TG WB 00 Page 77

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

Le collège unique

Chapitre 3

et d’action pédagogique (CRAP) qui éditent les Cahiers pédagogiques, s’élève contre ce climat de « répression » au sein de l’Éducation nationale. Le ministère répond quelques mois plus tard en supprimant des subventions importantes aux Cahiers. Cependant, des textes prévoient, dans le même temps, la possibilité pour les enseignants qui le souhaitent de créer des « établissements expérimentaux ». Des novateurs se lancent dans l’aventure, certains avec imprudence. Les échecs et les dérives sont dénoncés cantonnant ce type de réalisation à la marge du système. La situation n’est pas paradoxale. En effet, on peut penser qu’en leur permettant d’exister en dehors du sys-tème scolaire, ils ne le perturberaient pas. Le législateur sait, par ailleurs, qu’en permettant à ces structures d’exister, il permet à des familles dont les enfants échouent dans le système tradition-nel, de les placer dans ces établissements. Le bénéfice est double. Se « débarrasser » des novateurs au sein du système et y placer les enfants qui « empêchent » la majorité de réussir dans le système traditionnel d’enseignement.

À la suite d’une grève d’enseignants à la rentrée de 1971, le ministre, Olivier Guichard, crée pour apaiser le climat qui s’est durci et afin d’éviter un nouveau « mai 68 », une commission d’études « sur la condition enseignante dans l’enseignement du second degré ». Cette commission dite « des sages », présidée par Louis Joxe rend ses conclusions en mai 1972 sous la forme de 18 recom-mandations où nous retrouvons des préconisations en faveur d’une rénovation pédagogique (voir encart ci-dessous) dont le cadrage est cependant expressément exigé. Ainsi, après avoir rappelé les risques réels de voir disparaître toute norme, il est précisé sous le titre « les dangers de la nou-velle pédagogie et leurs remèdes », qu’il « est nécessaire de prendre des garanties contre cette évolution possible et de mettre en place des mécanismes autorégulateurs qui rendent impro-bables ou difficiles des pédagogies totalement déviantes ».

Recommandations de la Commission des Sages

N° 1. Aucun établissement secondaire ne peut dépasser un effectif de 700 à 800 élèves.

N° 3. Les établissements organisent librement leurs horaires hebdomadaires dans le cadre d’allo-cations annuelles par discipline.

N° 4. Une autonomie de gestion reposant sur l’allocation d’une enveloppe budgétaire globale est le corollaire de l’initiative pédagogique.

N° 6. Au sein des « unités pédagogiques », les élèves sont pris en charge par des équipes édu-catives pluridisciplinaires.

Pour Jean Hassenforder, ce rapport est remarquable :« ses conclusions vont plus loin que celles du colloque d’Amiens de mars 1968. Elles sont pro-prement révolutionnaires : au double plan des structures (elles préconisent l’autonomie des établissements) et du régime pédagogique (chaque établissement, à partir d’objectifs généraux, doit avoir la liberté de concevoir ses programmes, ses activités et peut-être même la sanction des études). Or ces conclusions émanaient d’un groupe de personnalités, en grande partie membres de l’enseignement, et qu’on ne pouvait suspecter de légèreté ou de gauchisme : on les avait même qualifiées, collectivement de « Commission des Sages », après leur nomination par M. Guichard » (Hassenforder, 1998, p. 91).

Le nouveau ministre Joseph Fontanet va s’inspirer de ce rapport pour lancer deux innovations. La première consiste à laisser à la disposition des établissements secondaires 10% de leur horaire annuel (circulaire du 27 mars 1973 et arrêté du 13 juillet 1973). Cette mesure vise trois objectifs :

1. assouplir l’organisation de l’enseignement ;

2. développer la vie des communautés scolaires ;

3. permettre une participation plus directe des intéressés.

8 6035 TG WB 00 Page 78

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

Le collège unique

Chapitre 3

Les activités culturelles organisées grâce à cette mesure vont rencontrer l’adhésion d’un nombre important d’enseignants. Ce contingent horaire qui n’introduit pas de nouveaux programmes mais qui, au contraire, vise la mise en œuvre au sein de chaque établissement d’ « activités origi-nales en liaison avec l’enseignement » permet de :

« demander aux lycées et aux collèges de « prendre le pouvoir » pour 10% du temps, de s’essayer à la liberté pédagogique, de s’exercer à créer un autre style de travail scolaire, sous leur propre responsabilité. Une telle mesure, dont la portée aurait pu être considérable si elle avait été accom-pagnée et suivie par le Ministère, a suscité pendant les années 1974 et 1975, un grand nombre de réalisations » (Hassenforder, 1998, p. 260).

Le caractère non directif de la circulaire a permis de repérer une typologie des démarches péda-gogiques menées à cette occasion :

1. un enseignement basé sur un thème inhabituel ;

2. un enseignement réalisé sur un autre rythme ;

3. un enseignement mené en coopération avec d’autres enseignants ;

4. la recherche d’une intervention extérieure ;

5. les sorties et les visites à l’extérieur ;

6. un projet à réaliser en commun.

La seconde mesure inspirée du rapport de cette Commission fut la généralisation progressive, selon un plan quinquennal, des Centres de documentation et d’informations (CDI) qui devait per-mettre de favoriser le travail individualisé. L’association « La joie par les livres » et des chercheurs de l’Institut national de recherche pédagogique (INRP) définissent alors les conditions à partir desquelles un CDI peut fonctionner d’une manière efficace et indique l’orientation dans laquelle il est souhaitable de s’engager.

Dans le même temps, plusieurs mouvements pédagogiques parmi lesquels l’association de pédago-gie cybernétique (APC), les Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (CEMEA), la Fédération des Cercles de Recherche et d’Action pédagogiques (CRAP), les Groupes d’éducation thé-rapeutique (GET), le Groupe français d’éducation nouvelle (GFEN), le Groupe pour la rénovation des institutions pédagogiques (GRIP), l’Institut coopératif de l’École moderne (ICEM), L’Institut Parisien de l’École moderne (IPEM) et l’Office central de la Coopération à l’École (OCCE) se regroupent pour exposer la spécificité de leur contribution dans le sens de d’une rénovation pédagogique qu’ils appellent de leurs vœux. Les neuf signataires de cet ouvrage rappellent l’importance des liens entre le ministère de l’Éducation nationale et les mouvements pédagogiques qui, selon les époques, ont débouché sur des avancées importantes notamment en matière de formation des enseignants.

Avant la loi Haby, cet équilibre reste encore fragile et ce malgré l’ouverture, à partir de 1973, de dix collèges expérimentaux publics qui donnent lieu à des recherches pédagogiques sous l’égide de l’INRP. Les orientations prises par le nouveau collège unique vont cristalliser les tensions. La loi ne va pas assez loin. Pis, elle entérine un projet d’homogénéisation redouté par les militants de l’Éducation nouvelle qui y voient une condamnation de pouvoir différencier les formes péda-gogiques. En réaction, les CEMEA, le GFEN et l’ICEM font paraître, en février 1978, un manifeste intitulé « Pour un changement politique qui ouvre sur la transformation profonde de l’éducation et du système scolaire ». Les propositions de ces mouvements d’éducation nouvelle définissent les exigences d’un changement qui repose sur une révision globale de l’organisation de l’école et de la formation des maîtres. À ce titre, ils souhaitent :

– l’institutionnalisation des temps de concertation dans le temps de service ; – la nomination d’enseignants en surnombre ; – la participation responsable des élèves à la cogestion de la classe et de l’établissement ; – la transformation de la pratique et de la notion même de direction d’établissement ;

8 6035 TG WB 00 Page 79

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

Le collège unique

Chapitre 3

– la transformation de la pratique et de la notion même de d’inspection ; – la participation responsable des parents à la cogestion pédagogique et éducative ; – l’intégration du travail en équipes éducatives comme contenu de formation ; – la reconnaissance du droit des mouvements pédagogiques à la tenue de stages sur le

temps scolaire.

Ces propositions reflètent assez bien la nature des revendications des mouvements pédagogiques de l’époque qui désirent faire reconnaître leur expertise en participant directement ou indirecte-ment aux actions éducatives menées dans les établissements aussi bien auprès des élèves que des parents et des enseignants.

ConclusionLe projet de René Haby de concevoir une école unique pour tous s’inscrit dans le prolongement des actions menées par le ministère de l’Éducation nationale depuis le début des années 1960. L’idée initiale et généreuse de son auteur essuya de nombreuses critiques. Les négociations et les compromis afin que cette loi puisse être votée reportaient son application sur la base de décret et de circulaires ultérieures. Au-delà de cette nouvelle organisation générale, la question posée revenait à savoir si ce nouveau modèle allait permettre la réussite de tous par une orientation repoussée en fin de collège. Très vite, on s’aperçut que cela n’allait pas être le cas à une époque où les mutations sociétales étaient rapides. Le climat de violence qui régnait dans certains collèges et lycées trouvait, parfois, son origine dans des difficultés sociales lourdes. Elle émanait aussi d’un modèle d’enseignement qui fonctionnait sur celui de la soumission à laquelle les jeunes avaient de plus en plus de mal à se résigner. Comme le rappelle judicieusement Louis Raillon, « l’agressi-vité est le signe de la frustration de besoins psychologiques profonds qui ne sont pas satisfaits » (Raillon, 1998, p. 307). Durant ces dix années, même si beaucoup en admettaient la nécessité, on ne se décidait pas à changer les méthodes d’enseignement. Malgré les recherches de Louis Legrand à la direction de l’INRP, les applications étaient trop rares et l’innovation pédagogique restait l’apanage d’une minorité militante. Pour certains d’entre eux, l’un des aspects du problème venait aussi du fait que l’inertie de la majorité des enseignants si elle est dénoncée, n’était jamais sanctionnée43.

En contrepoids et pour relativiser ce type d’accusation, B. Bernstein montra dans son rapport Classes et pédagogies visibles et invisibles (1975) que l’éducation nouvelle et la pédagogie infor-melle étaient privilégiées dans les nouvelles classes moyennes alors que les milieux plus populaires attendaient de l’école autorité et discipline. La complexité culturelle de la société est liée à la multiplicité des références idéologies de ses individus. Les « usagers de l’école » ont des attentes différentes selon les niveaux d’enseignement. Que tout le monde s’accorde sur l’importance de savoir lire, écrire et compter, cela semble évident. Le débat commence lorsqu’il s’agit de savoir quelle est la place qu’il convient d’octroyer à ce triptyque scolaire. N’oublions pas que l’intrusion de l’école dans « le système de valeurs qui assure la cohésion et la permanence du groupe fami-lial (entraîne le rejet) » (Percheron, 1978, p. 23). Dès lors, les entreprises de rénovation pédago-giques ne peuvent s’inscrire qu’en complément d’une révision de la forme scolaire dominante. Les réformes structurelles du système scolaire doivent permettre des ajustements locaux sans quoi les « revendications du terrain » viendront inexorablement discuter de la cohérence des décisions d’ensemble.

43. On n’a jamais vu un enseignant sanctionné pour avoir demandé à ses élèves de 5e d’apprendre par cœur une série de 50 verbes irréguliers en anglais pour le lendemain, par exemple.

8 6035 TG WB 00 Page 80

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

Le collège unique

Chapitre 3

Sources et bibliographieSi les sources ne constituent pas des éléments à partir desquels il vous est demandé de travailler, les références bibliographiques utilisées dans le cadre de l’écriture de ce cours sont, au contraire, à consulter afin de vous permettre une compréhension plus large des objets abordés dans cette partie.

SourcesBAUDELOT Roger et ESTABLET Christian, L’école capitaliste en France, Paris, Maspéro, 1971.

BERNSTEIN B., Classes et pédagogies visibles et invisibles, Paris, OCDE, 1975.

Collectif, Les mouvements de rénovation pédagogique par eux-mêmes, Paris, ESF, 1972.

FORTUNEL Jane et DELAIRE Guy, Vivre à l’école aujourd’hui, Paris, La documentation française, 1973.

HABY René, Pour une modernisation du système éducatif, Paris, La documentation française, février 1975.

HASSENFORDER Jean, « Le désenchantement au début des années 70 ». In RAILLON Louis et HASSENFORDER Jean (textes présentés par), Une revue en perspective, Education et Développement, Paris, L’Harmattan, 1998.

LEGRAND Legrand Louis, Pour une politique démocratique de l’éducation, Paris : Puf 1977.

LEGRAND Louis, « Dix ans de pédagogie, 1970-1980 », Les Amis de Sèvres, n° 1, janvier 1981.

MARQUET Pierre-Bernard, « Une vaste réforme », L’Education, n° 173, 26 avril 1973.

PERCHERON A., « Socialisation politique des enfants », Education et Développement, n° 127, 1978, p. 12-23.

Bibliographie Collectif (BENHENDA Asma, DUBET François, MERLE Pierre, etc.), L’école, une utopie à recons-truire, Paris, La découverte, 2013.

D’ENFERT Renaud, « Une réforme ambiguë : l’introduction des « mathématiques modernes » à l’école élémentaire (1960-1970) ». In KAHN Pierre et D’ENFERT Renaud, Le temps des réformes, Grenoble, PUG, 2011, pp. 53-73.

8 6035 TG WB 00 Page 81

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

Le collège unique

Chapitre 3

Conclusion « L’accès de tous les enfants aux mêmes chances par une démocratisation de l’enseignement, c’est la clé de l’émancipation de l’homme ». Pierre Mendès-France

En France, la naissance et les premiers développements en matière de démocratisation de l’ensei-gnement remontent avant la Première Guerre mondiale. Le débat deviendra de plus en plus passionné au fur et à mesure que les perspectives de migrations sociales apparaîtront comme les conséquences de cette évolution. Dans les années 1930, la question de l’orientation scolaire deviendra un réel enjeu pour ceux qui souhaitent recourir à la science pour affirmer la nécessité de ne pas se priver des talents « empêchés » par leur condition sociale. Les classes d’orientation joueront, ici, un rôle de premier plan tout en discutant de la place de ceux qui seront en charge d’évaluer ces potentiels d’élèves.

Après l’épisode de la Seconde Guerre mondiale, la commission pour la réforme de l’enseigne-ment présidée par Paul Langevin réaffirmera cette thèse en encourageant les méthodes actives. L’expérimentation pédagogique garante d’une démarche en prise avec le réel où il s’agit, avant toute chose, de vérifier des hypothèses émises en amont, sera prônée par les réformateurs qui y voient, dans le même temps, la possibilité de faire accéder le plus grand nombre à la science.

À la fin des années 1950, la politique gaullienne d’éducation qui consiste à recruter les élites sur une base démocratique plus large, trouve son origine dans la situation économique du pays. Une nouvelle ère fait son apparition. C’est le temps des choix politiques sur la base des pré-visions statistiques. Les investissements sont pris au regard des besoins de l’économie à court, moyen et long terme. La nature des emplois à pourvoir dans les années à venir oriente les choix structurels et produit les premiers effets en termes de répartition des élèves en fonction des secteurs d’activités.

Cette gestion des flux d’élèves qui inondent successivement les différents degrés de l’enseigne-ment nécessite de penser en amont le moment de cette répartition. Pour Louis Legrand, l’évolu-tion des structures du premier cycle de l’enseignement secondaire (collège) semble révéler une évolution fondamentale des conceptions. Dénonciatrices d’un système qui sélectionne sur les bases d’une idéologie socio-économique, cette approche fut affirmée aux États-Unis dès le début des années 197044. Reprenant à son compte ces idées, Louis Legrand écrit :

« À l’idée d’une démocratisation nécessaire et possible, condition à la fois du progrès économique et du progrès social, succède un nouveau réalisme. D’une part, la démocratisation est jugée impossible compte tenu du déterminisme sociologique mais aussi biologique, celui-ci expliquant celui-là et mieux, le justifiant. Par ailleurs, le développement économique et technique demande une sélection précoce et systématique des plus « doués » qui seuls pourront accéder au niveau de formation élevé nécessaire aux dirigeants de l’ère électronique. Quant à la masse, plutôt que de développer chez elle des attitudes contestatrices et irréalistes liées à une formation générale mal dirigée, il vaut mieux développer en elle les attitudes nécessaires à la bonne marche des entreprises et du corps social en général. De là, l’idée d’une déscolarisation souhaitable pour ceux qui ne sont pas capables de profiter d’un enseignement général de haut niveau »45.

La question qui se pose alors est de savoir à quel niveau il convient d’opérer cette orientation pour éviter les phénomènes de déscolarisation. Des mesures vont être prises dans ce sens à partir des années 1980. Il convient toutefois de nous interroger sur le sens de ces ajustements. La seule diversification des filières de formation suffit-elle à corriger les effets de cette démocratisation à finalité sélective ? Antoine Prost en doute au regard des dispositions adoptées et des résultats obtenus depuis l’instauration du collège unique il y maintenant près de quarante ans.

44. Stanley Aronowitz, « la stratégie de l’inégalité », Le Monde diplomatique, août 1976, pagination ? Voir aussi Maurice Reuchlin, L’éducation en l’an 2000, Paris, Puf.

45. Legrand Louis, « Dix ans de pédagogie, 1970-1980 », Les Amis de Sèvres, no 1, janvier 1981, p. 65.

8 6035 TG WB 00 Page 82

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

Le collège unique

Chapitre 3

« La réforme des collèges n’a pas seulement consolidé la stratification sociale : elle l’a légitimée, puisqu’elle l’a fait reposer sur des critères apparemment scolaires et non plus ouvertement sociaux. Elle a invité ainsi les membres des divers groupes sociaux à intérioriser leurs positions sociales respectives et à les assumer comme une conséquence de leur inégal mérite. Avant la réforme, les victimes de la sélection pouvaient en rendre responsable le système, qui ne leur avait pas donné leur chance. En leur donnant apparemment leur chance, sans pour autant combattre efficace-ment les pesanteurs sociologiques, la réforme des collèges a rendu les élèves responsables de leur échec ou de leur succès. Elle a transformé en mérite ou en incapacité personnelle ce qu’on aurait auparavant imputé aux hasards de la naissance. La charge des inégalités devant l’école n’incombe plus à la société mais aux individus. Le collège achète ainsi par une fragilisation des individus, une consolidation de la société. Avec le temps, la réforme qui se voulait démocratique et progressiste s’est révélée inégalitaire et conservatrice » (A. Prost, 1992, p. 95).

Dès lors, vers quel modèle nous diriger ? Est-il toujours envisageable de créer une institution sco-laire qui ne sélectionnerait pas mais qui, au contraire, permettrait d’orienter puis de former les élèves en fonction de leurs capacités préalablement détectées ? Après toutes ces années d’ajus-tements, n’est-il pas le moment de faire le deuil de cette visée démocratique ? La question est volontairement provocatrice et invite le lecteur à réfléchir sur la fonction des institutions dans notre société de nos jours.

C’est à cette question que nous vous invitons à réfléchir afin d’être en mesure d’évaluer l’état de notre école aujourd’hui. Il ne s’agit pas de lui faire un procès à charge comme aiment à le faire, de manière assez caricaturale d’ailleurs, un certain nombre de ses détracteurs. Il s’agit davan-tage d’être capable de repérer les indices constitutifs de sa possible évolution vers une meilleure prise en charge des besoins d’instruction eux-mêmes souvent sous-tendus à un diagnostique des besoins d’éducation des élèves scolarisés en France.

8 6035 TG WB 00 Page 83

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

Le collège unique

Annexe

Annexe

Chronologie de l’histoire de l’institution scolaire (1881-1975)1881 (16 juin) : Loi instaurant la gratuité de l’enseignement primaire.

1882 (28 mars) : Loi instaurant le caractère obligatoire de l’enseignement primaire pour les enfants des deux sexes de 6 à 13 ans (art. 4) et la laïcisation des programmes des écoles publiques.

1886 (30 octobre) : Loi organique Edmond Goblet concernant la laïcisation des maîtres des écoles primaires publiques. Cette loi parachève la laïcisation de l’école publique en en excluant les congréganistes.

1886 : Création des « Cours complémentaires ». But : prolonger la scolarité primaire pour les enfants du peuple ne pouvant fréquenter le secondaire payant.

1904 (7 juillet) : Loi Combes qui interdit aux congréganistes d’enseigner dans une école publique.

1905 (9 décembre) : Loi sur la séparation de l’Église et de l’État (sont supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes les dépenses relatives à l’exercice des cultes).

1919 (25 juillet) : Loi relative à l’organisation de l’enseignement technique, industriel et commer-cial dite « Loi Astier » qui prévoit des cours professionnels pour les apprentis, sanctionnés au bout de trois ans par le CAP.

1923 (23 février) : Parution des nouveaux programmes de l’enseignement primaire élémentaire.

1924 (25 mars) : Décret identifiant l’enseignement secondaire féminin à l’enseignement secon-daire masculin (programmes et horaires identiques).

1929 (16 avril) : La loi des finances rend gratuites les classes de 6e à la rentrée suivante.

1932 (3 juin) : Le ministère de l’instruction publique est rebaptisé ministère de l’Éducation nationale.

1933 (11 avril) : La gratuité est étendue à la 5e puis à la 4e et, enfin, à toutes les autres classes du secondaire (à l’exception des classes préparatoires aux grandes écoles).

1933 (1er septembre) : Arrêté instituant un examen d’entrée en 6e.

1936 (9 août) : L’obligation scolaire est portée de 13 à 14 ans sur l’initiative de Jean Zay.

1937 : Loi réorganisant les directions du ministère. La direction de l’enseignement primaire prend le nom de « Direction de l’enseignement du 1er degré et de l’éducation postscolaire » (les « degrés » se substituant aux « ordres » de l’enseignement).

1937 (22 mai) : Arrêté rattachant les classes élémentaires des lycées et collèges à la direction du 1er degré. Les EPS et leurs enseignants sont rattachés à l’enseignement du second degré.

1938 (24 mai) : Décret-loi renforçant les principales dispositions de la loi Astier : augmentation de 50 % de la durée minimum des cours et obligation faite aux employeurs de présenter leurs appren-tis aux examens professionnels. Après avoir passé le CAP, les jeunes travailleurs peuvent suivre des cours de perfectionnement et, au bout de deux ans, passer les épreuves du Brevet professionnel.

1940 (3 septembre) : Loi autorisant les congrégations à enseigner. Hostile à l’œuvre scolaire laïque, le régime de Vichy autorise les congréganistes à enseigner. Les lois de 1901 et de 1904 sont abrogées (Par la loi du 18 septembre 1940, les écoles normales sont supprimées ; le 15 octobre, des subven-tions sont désormais allouées par le gouvernement aux élèves des écoles libres) ; le 6 décembre : rétablissement des « devoirs envers Dieu » dans les programmes des écoles primaires).

1941 (6 janvier) : La loi autorise les communes à subventionner les écoles privées.

8 6035 TG WB 00 Page 84

PARTIE 2 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT DANS LE CONTEXTE DES TRENTE GLORIEUSES

Le collège unique

Annexe

1941 (15 août) : Loi Carcopino transformant les EPS en collèges modernes, supprimant la gratuité de secondaire et rétablissant le professorat de classes élémentaires.

1941 (2 novembre) : Le Maréchal Pétain fait voter une loi attribuant 400 millions de francs de subventions aux écoles privées (cette subvention sera portée à 500 millions en 1943).

1941 (28 décembre) : Loi créant le CAEC : Certificat d’aptitude à l’enseignement secondaire.

1944 (juin) : Élaboration d’un plan de réorganisation de l’enseignement à Alger sous la présidence de René Capitant.

1944 (8 novembre) : Début des travaux de la Commission de la réforme de l’enseignement dite « Commission Langevin ».

1945 (28 janvier) : Ordonnance rétablissant la gratuité de l’enseignement secondaire et suppres-sion des classes élémentaires des lycées suivie par l’ordonnance du 28 mars supprimant les sub-ventions aux écoles libres.

1947 (19 juin) : Remise du plan Langevin-Wallon.

1950 (1er avril) : Transformation du CAEC en CAPES comme concours de recrutement des ensei-gnants dans l’enseignement secondaire.

1951 (21 septembre) : Loi André Marie (1897-1974) étendant le bénéfice des bourses d’État aux élèves de l’enseignement privé.

1951 (28 septembre) : Loi Charles Barangé (1897-1985) créant une allocation scolaire pour les enfants de l’école primaire de l’enseignement public ou privé.

1956 (23 novembre) : Projet de réforme René Billères sur le post-élémentaire en vue de créer des « écoles moyennes et autonomes d’orientation et d’observation » dont la durée de scolarité serait des deux ans et où collaboreraient des enseignants du primaire et du secondaire (projet repoussé au Parlement en 1957).

1959 (6 janvier) : Loi Jean Berthoin (1895-1979) avec une ordonnance prolongeant la scolarité obliga-toire jusqu’à 16 ans ; un décret créant le cycle d’observation, les CEG, les CET et les lycées techniques.

1959 (31 décembre) : Loi Michel Debré instaurant un régime de contrats pour les établissements privés.

1960 (21 octobre) : Décret créant le CAPCEG (Certificat d’aptitude au professorat des collèges d’enseignement général)

1962 (3 août) : Création des Collège d’enseignement secondaire (CES).

1964 : Début de l’expérimentation du 1/3 temps pédagogiques.

1965 (10 juin) : Réforme du second cycle du second degré avec les filières et les baccalauréats A, B, C et D.

1966 (7 janvier) : Décret créant les IUT (Institut universitaire de technologie).

1967 (2 février) : Arrêté créant une licence et une maîtrise de sciences de l’éducation.

1969 (17 juin) : Circulaire sur la mixité des sexes qui est officiellement établie à l’école.

1972 (10 mars) : Arrêté créant les classes professionnelles de niveau (CPPN) et les classes prépara-toires à l’apprentissage (CAP).

1972 (12 mai) : Arrêté fixant le congé hebdomadaire au mercredi au lieu du jeudi.

1973 (27 mars) : Circulaire sur les 10% (10% de l’horaire global est laissé à l libre appréciation des enseignants).

1975 (11 juillet) : Loi René Haby (1919-2003) dite du « collège unique ».

Les cours du CNED sont strictement réservés à l’usage privé de leurs destinataires et ne sont pas destinés à une utilisation collective. Les personnes qui s’en serviraient pour d’autres usages, qui en feraient une reproduction intégrale ou partielle, une traduction sans le consentement du CNED, s’exposeraient à des poursuites judiciaires et aux sanctions pénales prévues par le Code de la propriété intellectuelle. Les reproductions par reprographie de livres et de périodiques protégés contenues dans cet ouvrage sont effectuées par le CNED avec l’autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands Augustins, 75006 Paris).

© CNED 2013

CONNECTÉ À VOTRE AVENIR