l’établissement et le contrôle des comptes du ce · qu’au président qui peuvent demander à...

3
Les Cahiers Lamy du CE n° 111 - Janvier 2012 26 Tribune par Gérard Lejeune, Expert-comptable, Membre de la Commission « Secteur non marchand /CE » de l’Ordre des experts-comptables région Paris Ile-de-France par Francis Marquant, Expert-comptable, Membre de la Commission « Secteur non marchand /CE » de l’Ordre des experts-comptables région Paris Ile-de-France Si le CE n’est pas légalement obligé de tenir une comptabi- lité, dans la pratique, il doit le faire. Ne serait-ce que, par exemple, si jamais il se retrouve en cessation de paiements, le défaut de comptabilité à l’occasion d’une procédure collective pouvant constituer une infraction pénale. Voyons comment il doit l’organiser. PAS DE PLAN COMPTABLE OBLIGATOIRE POUR LE CE MAIS DES OBLIGATIONS Le principal article du Code du travail qui fixe le cadre juri- dique des CE, en matière de tenue comptable, est l’article R. 2323-37 qui prévoit les dispositions suivantes : « À la fin de chaque année, le comité d’entreprise fait un compte rendu détaillé de sa gestion financière. Ce compte rendu est porté à la connaissance des salariés par voie d’affichage sur les tableaux réservés aux commu- nications syndicales. Ce compte rendu indique, notamment : 1° Le montant des ressources du comité 2° Le montant des dépenses, soit pour son propre fonctionne- ment, soit pour celui des activités sociales et culturelles dépen- dant de lui ou des comités interentreprises auxquels il participe. Chacune des institutions sociales fait l’objet d’un budget particulier. Le bilan établi par le comité est approuvé par le commissaire aux comptes mentionné à l’article L. 2323-8 ». Le Code du travail mentionne donc bien la nécessité d’établir un compte rendu détaillé de gestion du CE et un bilan annuel. Il est évident que ce bilan de gestion ne peut s’appuyer que sur une comptabilité. L’établissement et le contrôle des comptes du CE

Upload: others

Post on 23-Mar-2020

2 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: L’établissement et le contrôle des comptes du CE · qu’au président qui peuvent demander à examiner les documents comptables et archivés du comité. Ces demandes doivent

Les Cahiers Lamy du CEn° 111 - Janvier 201226

Trib

une

par

Gérard Lejeune,Expert-comptable, Membre de la Commission « Secteur non marchand /CE » de l’Ordre des experts-comptables région Paris Ile-de-France

par

Francis Marquant,Expert-comptable, Membre de la Commission « Secteur non marchand /CE » de l’Ordre des experts-comptables région Paris Ile-de-France

Si le CE n’est pas légalement obligé de tenir une comptabi-lité, dans la pratique, il doit le faire. Ne serait-ce que, par exemple, si jamais il se retrouve en cessation de paiements, le défaut de comptabilité à l’occasion d’une procédure collective pouvant constituer une infraction pénale. Voyons comment il doit l’organiser.

PAS DE PLAN COMPTABLE OBLIGATOIRE POUR LE CE MAIS DES OBLIGATIONSLe principal article du Code du travail qui fi xe le cadre juri-dique des CE, en matière de tenue comptable, est l’article R. 2323-37 qui prévoit les dispositions suivantes :« À la fi n de chaque année, le comité d’entreprise fait un compte rendu détaillé de sa gestion fi nancière.Ce compte rendu est porté à la connaissance des salariés par voie d’affi chage sur les tableaux réservés aux commu-nications syndicales.Ce compte rendu indique, notamment :1° Le montant des ressources du comité2° Le montant des dépenses, soit pour son propre fonctionne-ment, soit pour celui des activités sociales et culturelles dépen-dant de lui ou des comités interentreprises auxquels il participe.Chacune des institutions sociales fait l’objet d’un budget particulier.Le bilan établi par le comité est approuvé par le commissaire aux comptes mentionné à l’article L. 2323-8 ».

Le Code du travail mentionne donc bien la nécessité d’établir un compte rendu détaillé de gestion du CE et un bilan annuel. Il est évident que ce bilan de gestion ne peut s’appuyer que sur une comptabilité.

L’établissement et le contrôle des comptes du CE

Page 2: L’établissement et le contrôle des comptes du CE · qu’au président qui peuvent demander à examiner les documents comptables et archivés du comité. Ces demandes doivent

27Les Cahiers Lamy du CEn° 111 - Janvier 2012

Le problème réside aujourd’hui dans le fait qu’en l’état actuel des textes il n’existe pas de cadre comptable strictement défi ni pour les CE. La loi comptable du 30 avril 1983 a institué des obligations comptables intégrées dans le Code du Commerce et le plan comptable est devenu la référence applicable, y compris au monde associatif depuis le 1er janvier 2000, et au monde syndical depuis la loi du 20 août 2008. Il est fort probable qu’il soit à terme généralisé aux CE mais pour l’instant, cela n’est pas le cas…

En attendant, le CE n’est pas exempt d’obligations en la matière comme le démontre l’article précité du Code du travail. Il doit ainsi tenir une comptabilité satisfaisant obligatoirement aux exigences de ce dernier et donc qui doit être scindée en deux :– l’une est affectée aux activités sociales et culturelles (ASC) ;– l’autre est réservée au fonctionnement économique du comité.Une circulaire ministérielle du 26 juillet 1985 a précisé les règles applicables concernant la dualité des budgets du CE et la nature des dépenses qui sont du domaine des activités sociales et du domaine du fonctionnement.

Il peut ainsi établir une comptabilité comprenant :– un compte de résultat de la section « fonctionnement » ;– un compte de résultat de la section « ASC » ;– un bilan simplifi é permettant de déterminer les actifs dis-ponibles pour le CE (immobilisations et comptes bancaires) et les réserves qu’il a constituées.Le support qu’il utilisera dépendra essentiellement des vo-lumes d’activités qu’il traite et des compétences dont il dis-pose en interne en matière comptable. Il n’est pas possible de concevoir un système unique pouvant être commun à un comité d’entreprise gérant les ASC de 50 salariés et un autre gérant les ASC de 3 000 salariés. Le CE a néanmoins intérêt à disposer d’un logiciel comptable.

Le CE doit également archiver toutes les pièces comptables et les garder disponibles en les conservant pendant 6 ans minimum.

La comptabilité devient donc un outil de classifi cation et de justifi -cation des dépenses engagées, permettant aux secrétaires et aux trésoriers des CE de mieux rendre compte de leur mission, aux salariés (tous les ans) mais aussi aux autres membres du CE ainsi qu’au président qui peuvent demander à examiner les documents comptables et archivés du comité. Ces demandes doivent être motivées par une cause légitime ; en cas de désaccord ou de confl it sur ce point, seule une décision de justice peut obliger le CE à accepter un audit ou une expertise sur les comptes du CE.

LES COMPTES DU CE DOIVENT-ILS ÊTRE APPROUVÉS OU CERTIFIÉS ?

À l’occasion de la recodifi cation, à droit constant, en mai 2008, du Code du travail, l’article R. 432-14 devenu R. 2323-37 a subi

une modifi cation rédactionnelle, dans son dernier alinéa : « Le bilan établi par le comité est approuvé “éventuellement” par le commissaire aux comptes mentionné à l’article L. 2323-8 ».Le mot « éventuellement » rajouté entre guillemets ci-dessus, ne fi gure plus dans la nouvelle rédaction. Pour autant, en regard de la recodifi cation à droit constant il serait hasardeux de conclure que le commissaire aux comptes de la société doit contrôler les comptes du CE. Les mots « commissaire aux comptes » doivent en fait selon nous être remplacés par « expert-comptable » puisque le texte primitif de l’ordonnance de 1945 donnait le droit au CE de proposer la désignation d’un des commissaires aux comptes de la société (…). C’est pourquoi le décret ren-voyait au commissaire « désigné ». En 1946, cette désignation a été remplacée par celle d’un expert-comptable pour assister le comité (voir M. Cohen, RPDS n° 762, p. 335).

Il faut donc lire le texte précité en ce sens que, éventuelle-ment, le CE pourrait faire approuver ses comptes par son expert-comptable, s’il en a choisi un pour l’assister dans ses attributions économiques. Cette mission de l’expert-comptable serait alors un prolongement de sa mission principale. Dans la pratique, elle est devenue une mission bien distincte de la mission légale de l’expert-comptale sur les comptes de l’entreprise. En effet, ils doivent dans ce cas obligatoirement établir une lettre de mission pour la présentation ou l’examen des comptes du comité (Code de déontologie des profes-sionnels de l’expertise-comptable, JO 28 sept. 2007), et cette mission contractuelle avec le CE doit alors être rémunérée par le comité sur son budget de fonctionnement.

Mais le CE peut choisir librement et volontairement de nommer un commissaire aux comptes, et c’est d’ailleurs largement conseillé pour les grands CE. Dans ce cas, la CNCC (Com-pagnie Nationale des Commissaires aux comptes) a rappelé que l’ensemble des dispositions relatives au commissariat aux comptes prévu au Titre 2 du Livre 8 du Code de commerce s’applique, y compris, le cas échéant, les vérifi cations spéci-fi ques, le signalement des irrégularités et inexactitudes, et la révélation des faits délictueux. Dans ce cas le CE doit donc établir sa comptabilité selon le Plan Comptable Général, tel qu’il résulte du Code de commerce.

Le H3C (Haut Conseil du Commissariat aux comptes) vient de confi rmer le 8 juin 2011, l’analyse produite par la CNCC (communiqué du 4 mars 2009) en précisant qu’il fallait déterminer la nature des diligences à mettre en œuvre pour « approuver » le bilan du CE. Il a relevé que la situation d’approbation du bilan était porteuse de confl its d’intérêts compte tenu du fait, qu’en application des textes du Code du travail liés à la comptabilité du CE (C. trav., art. L. 2323-8 et R. 2323-37), il s’agit du même commissaire aux comptes qui est en charge, à la fois de certifi er les comptes de l’entreprise et d’« approuver » le bilan du CE ! Il est donc nécessaire, pour le H3C de pour-suivre la réfl exion avec les pouvoirs publics afi n ●●●

Page 3: L’établissement et le contrôle des comptes du CE · qu’au président qui peuvent demander à examiner les documents comptables et archivés du comité. Ces demandes doivent

Les Cahiers Lamy du CEn° 111 - Janvier 2012

Tribune

28

L’établissement et le contrôle des comptes du CE

« d’examiner l’opportunité de clarifi er les textes pour leur bonne application par les professionnels ». Et bien entendu par les CE.

En tout cas le CE, doté de la personnalité civile, ne peut se voir imposer au regard de toute l’architecture légale du commissa-riat aux comptes (C. com., art. L. 823-1), un commissaire aux comptes qu’il n’aurait pas choisi à savoir celui de la société. Cela représenterait justement une atteinte à sa personnalité civile. Rien ne l’empêche de décider volontairement de s’en doter d’un mais c’est alors à lui de le choisir. Sinon, il peut se faire assister par un expert-comptable, dans le cadre d’une mission de présentation des comptes du comité d’entreprise.

DIX CONSEILS POUR BIEN GÉRER SA COMPTABILITÉ

Tenir une comptabilité adaptée

Comme nous l’avons vu, la seule obligation qu’a le comité d’entreprise est de tenir une comptabilité séparée pour les ASC et le fonctionnement. La comptabilité peut être tenue selon différents moyens : pour les TPCE (tout petit comités d’entreprise), un outil Excel peut s’avérer suffi sant à un bon enregistrement régulier de la comptabilité. Votre expert-comptable pourra utilement vous conseiller en la matière.

Respecter la séparation des budgetsPour respecter la séparation de ces budgets, il est conseillé au CE de disposer de deux comptes bancaires.Ainsi, les élus paieront distinctement, en fonction des règles d’affectation, les dépenses de fonctionnement et les dé-penses relatives aux ASC.La confusion de la gestion des budgets peut avoir des consé-quences juridiques préjudiciables pour le comité d’entreprise et pour les élus.L’une des questions qui revient régulièrement est celle de l’utilisation des excédents cumulés au fi l des années dans chaque section, ASC et fonctionnement.Nous rappelons qu’un CE peut tout à fait décider de puiser dans ses réserves et donc de clôturer un exercice par un défi cit, dés lors qu’il ne met pas en péril la trésorerie et les réserves.En tout cas le CE ne peut pas utiliser un excédent de budget ASC pour fi nancer une activité relevant de son fonctionne-ment et inversement.Quant aux intérêts éventuels de placement de certaines sommes, par exemple un excédent de budget de fonctionnement, ils ne peuvent pas être affectés au budget des ASC, et inversement.

Élaborer un budget par activitéGérer, c’est prévoir. Il faut donc, en fonction d’une hypothèse de subvention, pour l’exercice à venir, que les élus élaborent un budget par activité. Ce budget correspondra à l’allocation des ressources que les élus décident collectivement pour gérer telle ou telle activité au bénéfi ce des salariés.

Organiser les différentes fonctions au sein du CELe CE a intérêt à insérer dans son règlement intérieur des règles de contrôle interne de la comptabilité du CE (qui signe les chèques, qui valide les dépenses, qui passe les commandes… etc.).

Rendre compte de l’utilisation des fonds confi ésLes élus sont, en quelque sorte, les mandataires des sala-riés pour gérer de l’argent collectif. Ils doivent donc rendre compte, de manière synthétique, en permettant l’accès des salariés à tout le détail des dépenses, de l’utilisation des fonds qui leur sont confi és en établissant chaque année un compte rendu fi nancier sous la forme de compte de résultat et de bilan (C. trav., art. R. 2323-37 préc.).

Respecter la législation sociale et fi scaleLe CE est une personne morale de droit privé à but non lucratif mais son action s’inscrit dans le respect des lois françaises et il doit, pour sa gestion, respecter les réglementations sociales et fi scales dans l’attribution des ressources aux salariés ou dans le recours aux prestataires auxquels il peut éventuellement faire appel pour le développement de ses activités.

Justifi er de chaque dépenseChaque dépense doit être justifi ée en fonction d’une décision préalable du comité prise collectivement au regard de sa conformité au budget voté par le CE. Un bon de commande doit être émis et il faut disposer d’une facture ou de toute autre pièce comptable justifi cative établie en bonne et due forme.Dans le cas où les élus ont des frais de représentation ou des frais de mission, les noms des personnes invitées doivent fi gurer sur les notes de restaurant.

Référencer et classer les documentsLe CE doit organiser méticuleusement le classement des documents et le référencement des différentes pièces comp-tables. Une classifi cation annuelle ainsi qu’un archivage est indispensable.

Rechercher dans la transparence le meilleur rapport qualité/prixLe CE va être confronté à des prestataires qui exercent leur activité sur le marché. À chaque fois qu’il est nécessaire de faire appel à un prestataire, il faut que le comité organise un mini-appel d’offres en recherchant le meilleur rapport qualité/prix dans la gestion des activités qu’il entend mettre en œuvre.

Faire contrôler et valider les comptes par un expert-comptableLe contrôle des comptes par un expert-comptable permet un regard extérieur et des conseils aux élus du CE. Le coût de leur mission sera fonction du temps de travail qu’ils consacreront aux missions qui leur sont confi és (conseils, accompagne-ment régulier, contrôle périodique, révision annuelle). ■

●●●

Pour en savoir plus :

Ordre des experts-comptables région Paris Ile-de-Francewww.oec-paris.fr / espace non marchand, Tél. 01 55 04 31 27