l’affaire caÏus - blogs en classe · 2020. 4. 20. · rufus, lui, resta debout, les larmes aux...

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  • RESUME

    Caïusestunâne.

    LaphraseinscriteparRufussursatabletteremporteungrandsuccèsenclasse.maisCaïusrougitdecolère.CommentRufusose-t-il l'insulter, lui, le filsd'unrichissimesénateur?Pourtant, le lendemain,pluspersonnen'aenviederire.LamêmephraseesttracéeenlettresrougessurlafaçadedutempledeMinerve.Or,danslaRomeimpériale,lesacrilègeestterrible.

  • HenryWinterfeld

    L’AFFAIRECAÏUS

    ImagesdeJoséJover

  • 1

    Le profond silence qui régnait depuis unmoment dans la classe fut soudain troublé par des riresétouffés.SeulMucius,lemeilleurélèvedel’école,neselaissapasdistrairedanssontravailetcontinuaàécrire sur sa tablettede cire.Mais lorsque son voisinAntoine lui eut poussé le coude à deux ou troisreprises,ilfinitpars’interromprepourjeteruncoupd’œilautourdeluietvoircequiprovoquaitl’hilaritédiscrètedesautresélèves.Ils’aperçutalorsquesonamiRufusvenaitderéussiruntourpeuordinaire:ilavait subrepticementquitté saplace et, parun savantmouvement tournant, étaitparvenuà se glisserderrière lemaître qui, plongédans sa lecture, n’avait rien remarqué.Puis il avait accroché aumur satablettequiportaitl’inscriptionsuivante,tracéeengrandesmajusculesvisiblesdeloin:

    CAÏUSESTUNÂNE[1]

    Lesécolierspouffaientderire,àl’exceptiondecegrosbenêtdeCaïusquicontenaitdifficilementsafureur.Toutfierdusuccèsremportéparsoninitiative,Rufuss’inclinadeuxoutroisfoisversl’assistance,commeunacteurqui salue lepublic,puis il étendit lebraspourdécrocher sa tablette.MaisaumêmeinstantXantippe,lemaîtred’école,relevaitlatêteenfronçantsesgrossourcilsbroussailleux.

    «Unpeudesilence!»gronda-t-il.

    Les rires cessèrent comme par enchantement. Rufus se figea dans une immobilité complète etattenditunmomentplus favorablepourregagnersaplace.Lesautresélèvesbaissèrent lenezsur leurtravail. Quelquesminutes auparavant, lemaître leur avait fait ânonner en chœur une longue liste demotsgrecs,puisleuravaitordonnédelesnoterdemémoire.Ilsfirentdoncsemblantdegriffonnersurleurstablettes,mais,àladérobée,continuèrentàlancerdesregardsmoqueursàCaïusrougedecolère.

    «Rufusestfou!chuchotaMuciusàl’oreilled’Antoine.Qu’est-cequiluiapris?

    —C’estparcequeCaïus l’empêchaitde travailler,répliqua l’autreengloussantderire. Ilnecessaitpasdeluipiquerledosavecsonstylet.

    —J’avaispourtantditàCaïusdelaissersescamaradestranquilles!grommelaMuciusavechumeur.Maislui,avecsesblaguesstupides…»

    En sa qualité de meilleur élève, Mucius avait été désigné comme moniteur de la classe, toutspécialementchargédefairerégnerladisciplineetderéglerlesdifférendsentreélèves.Engénéral,sescamaradesluiobéissaientsansdifficulté.Seul,Caïusserebellaitcontresonautoritéetnetenaitaucuncomptedesesobservations.Filsd’unsénateurextrêmementriche,lejeuneCaïussejugeaitsupérieurauxautres et prétendait n’en faire qu’à sa tête. C’était le cancre de la classe. Pas méchant garçon audemeurant,maislentd’esprit,parfoisbrutaldanslesjeuxetadoranttaquinersescamaradesouleurfairedesfarcesassezpeuspirituelles.

    Parmalheur,ilétaitégalementd’uncaractèreplutôtemporté.Commelesautresélèvescontinuaientàriresouscapeenleregardant,ilfutincapabledesemaîtriserpluslongtemps.D’unbond,ilsedressaàsaplace,tendantlepoingversRufus.

    «Sijesuisunâne,cria-t-il,toi,tueslefilsd’unlâche!»

    Lemaîtresursautaetrelevalatête.Ilcrutquel’invectivelevisait.

    «Quoi?Quoi?fit-ilavecstupeur.Jesuislefilsd’unlâche,moi?Qu’est-cequeçasignifie?

    —Je…»,commençaCaïus.

    Iln’eutpasletempsdes’expliquer,cardéjàRufusbondissaitverslui.

    L’insulteavait touché le jeunegarçonàsonpoint leplussensible. Il était le filsdugénéralMarcusPraetonius,soldatdegrandevaleur,maisquivenaitd’êtrebattuparlesGaulois.Rufus,quiadoraitsonpère,avaitétéprofondémentpeinéethumiliéparlanouvelledecettedéfaite.Aussiseprécipita-t-ilversCaïus,sanssesoucierdesconséquencesdesonacte.

    «Salementeur!hurla-t-ilavecrage.Tuvasmepayerça!»

    Etiltombasurluiàbrasraccourcis.Surprisparlarapiditédel’attaque,Caïusfitlaculbuteenentraînantson banc. Les deux adversaires se retrouvèrent sur le sol où ils continuèrent à se battre avecacharnement.Aumilieud’untumultegrandissant,lesautresélèvesquittèrentleurplacepourformeruncercleautourdesdeuxcombattantsetlesencouragerdelavoixetdugeste.Onauraitcruassisteràun

  • combatdegladiateursdanslecirque.

    Xantippe,lemaître,quin’avaitjamaisvupareilspectacledanssonécole,avaitététropstupéfaitpoursonger immédiatement à intervenir. Il finit par se ressaisir, bondit de sa place, vint séparer lesadversairesetlesremitsurpied.Lesdeuxgaminsreprenaientpéniblementleursouffleetsejetaientdesregardsfurieux.Leurstuniques,auparavantd’unblancimmaculé,étaientmaintenantenuntristeétat.

    «Ah!c’estdujoli!grondalemaîtreenfoudroyantlescoupablesduregard.C’estdujoli!»

    Puissetournantverslechefdeclasse:

    «Fais-moitonrapport,ordonna-t-ilàMucius.Ques’est-ilpassé?Quiacommencé?Allons!Parle!»

    Muciussetrouvaplongédansuncruelembarras.Illuirépugnaiteneffetdedénoncersescamarades,maisilétaitbienobligé,lui,lemoniteur,dedonneruneexplicationsatisfaisanteàXantippequiétaitunmaîtrefortsévèreetneplaisantaitpassurlesquestionsdediscipline.

    LemaîtreétaitunGrecquis’appelaitenréalitéXanthos.Lesgaminsl’avaientsurnomméXantippe,ensouvenirdefeuXantippe,l’épousedufameuxphilosopheSocrate,femmeacariâtre,racontait-on,quiétait toujoursdemauvaisehumeuret avaitmené la viedureà son infortunémari.Xanthos, lui aussi,étaittoujoursdemauvaisehumeuretmenaitlaviedureàsespauvresélèves.Ilexigeaitbeaucoupd’eux,enparticulierunedisciplineexemplaire.Maisilnelesbattaitjamais,carilconnaissaitd’autresméthodespoursefairerespecter.

    Il pouvait d’ailleurs se permettre d’être sévère, et même parfois tyrannique. Son savoir étaitimmense:s’ilenseignaitavectalentlelatin,legrec,l’histoireetlagéographie,ilavaitsurtoutacquisunegranderéputationcommemathématicienenpubliantdenombreuxouvragessurlescercles,lestriangles,lesparallélogrammesetautresquestionsvraimentcaptivantes.Aussil’ÉcoleXanthos,qu’ilavaitfondéeàRome, était-elle l’une des plus chères et des plus recherchées de la capitale. Seuls, les très richespatriciens pouvaient se permettre d’y envoyer leurs fils. Les élèves y étaient toujours en fort petitnombre,etpourl’instantilsn’étaientmêmequesept:Mucius,Rufus,Caïus,Jules,Flavien,PubliusetAntoine.Parhasard,ilsetrouvaitqu’ilshabitaienttoussurlemontEsquilin,dansunquartierdevillasaristocratiques,etilssuivaientdonclemêmecheminpourserendreàl’école.

    CommeMucius ne lui donnait toujours aucune explication sur les causes de la bagarre, Xantippeentraenfureur.

    «Alors,quoi?cria-t-il.Tuasperdutalangue?Réponds!Ques’est-ilpassé?

    —Jen’airienvu,réponditMuciusd’unevoixhésitante.J’écrivaismesmotsgrecssansm’occuperdesautres…»

    Antoinevintalorsàsonsecours:

    «Non,personnen’arienvu,dit-il.Nousétionstousentraindetravailler,biensagement…»

    Cesderniersmotsportèrentl’exaspérationdumaîtreàsoncomble.

    « Bien sagement ! rugit-il. Vous vous battez pendant le cours, et vous appelez ça “travailler biensagement”!Quiacommencé?»

    CaïusetRufusrestèrentmuets.

    «Ah!ah!repritXantippe.Vousvoulezjouerlesfortestêtes?Ehbien,jevaisêtreobligédesévir!»

    IlpointaledoigtversRufus.

    «Pourquoias-tuquittétaplace?Etqu’allais-tufairederrièremoipendantlecours?Réponds,jetel’ordonne!»

    MaisRufusneréponditrien.Ilrestaitlà,figé,leslèvresserrées,contemplantfixementsonmaître.

    Xantippeseretournapourjeterunregardsurlemur.Soudain,ilaperçutl’inscription:

    CAÏUSESTUNÂNE.

    Alorsilexplosalittéralement.

    «Ah!cria-t-il.Regardez-moiça!Ehbien,attendsunpeu,monpetit!Tuvasvoirdequelboisjemechauffe!Aulieudetravailler,tuascommisunefautegrave!Tuastroublél’ordreetladisciplinedelaclasse!Prendsimmédiatementtesaffairesetfile!L’ÉcoleXanthosn’estpasunterraindejeuxpourdejeunesRomains indisciplinés.Demain, j’irai voir tamèreet luidemanderaide te retirerde l’école.Taplacen’estplusici!Tuneméritespasquetesparentsdépensenttantd’argentpourtoi.Allez!Dehors!»

    Puisilordonnaauxautresélèvesderetourneràleurplaceetdeseremettreautravail.Maisiln’avaitpasoubliéCaïus.

    «Quantàtoi,reprit-il,tumecopierasdixfois,pourdemainlalistedemotsgrecs.Encalligraphie,s’ilteplaît!Etmalheuràtoisij’ytrouveuneseulefaute!»

  • Justiceétaitfaite.Aprèsavoirlancéauxcoupablesunregardglacial,Xantipperetournaàsonpupitreetrepritsalectureaumilieud’unsilencedemort.

    Caïusallaserasseoirenfaisantgrisemine.Rufus,lui,restadebout,leslarmesauxyeux,nepouvantse décider à quitter la classe. Ses camarades l’observaient à la dérobée, avec compassion.Rufus avaittoujoursétéparticulièrement fierd’appartenirà l’ÉcoleXanthos.Sesparents,qui fondaientdegrandsespoirssurlui,avaienttenuàcequ’ilfréquentâtlameilleureécoledeRome,maiscelareprésentaitunelourde charge pour eux, car ils n’étaient pas très riches. Le père du jeune homme avait dû en effetconsacrerlaplusgrandepartiedesafortuneàl’armementdeseslégions.

    Brusquement,Rufuss’élançaversXantippeetluiditd’unevoixbriséeparl’émotion:

    «Maître,jet’ensupplie!Nevapastrouvermamère!Donne-moiplutôtunepunition!…»

    Xantippel’écartad’ungesteirrité.

    «Tesremordsviennenttroptard!gronda-t-il,sansmêmeleverlesyeuxdesonlivre.Sorsd’ici!»

    Lentement,Rufusretournaàsaplaceetcommençaàramassersesaffairesquiétaient tombéesparterreaucoursde labagarre.Cefaisant, ilcommitunepetiteméprise,peuimportanteensoi,maisquidevaitpourtantjouerungrandrôleparlasuite.Ilsetrompadelanterneet,aulieudelasiennequiavaitroulésoussonbanc;ilpritcelledeMucius.C’étaitunejoliepetitelanternedebronzesurlaquelleétaitgravélenomdesonpropriétaire:MuciusMariusDomitius.Muciuss’enaperçut,maisiln’osaéleverlavoixpourfaireremarquersonerreuràsoncamarade,etilsepromitdeprocéderàl’échangequandillereverrait.

    Après avoir rangé ses affaires de classe,Rufus, espérant peut-être queXantippe reviendrait sur sadécision,mitencoreun longmomentàsedraperdanssonmanteau.C’étaitunegrossepiècede laine,tisséeàlamaison,quiétaitunpeutropcourtepourlui.Mucius,quinecessaitd’observersoncamarade,remarquaquecemanteauportaitsurl’épaulegaucheunelonguedéchiruresoigneusementraccommodéeavec de la laine plus foncée. Comme on le verra par la suite, ce détail devait également avoir sonimportance.

    Enfinprêt,Rufusjetaundernierregardimplorantaumaître.Maiscelui-cinebronchantpas,lejeunegarçondutsedécideràquitterlaclasse.

    L’ÉcoleXanthosétaitsituéedanslaRueLarge,àproximitéduForum,cegrandlieudepassageetderéunionsqui,avecsesinnombrablestemplesetmonumentspublics,étaitcélèbredanslemondeentier,etconsidérécommelecentredel’Empire.LaRueLargeétaitl’unedesplusbellesartèresduquartierdesaffaires.Xantippel’ayantjugéedigned’accueillirsonécole,ilyavaitlouéàprixd’orunepetitemaison.Lasalledeclasseétaitaurez-de-chausséeetdonnaitsurlarue,sibienquelesécoliersétaientpourainsidireàl’étalage.Maisilsyétaientdepuislongtempshabitués,etlespassantsnefaisaientd’ailleursguèreattentionàeux.Lavued’écoliersentraindetravaillerétaitfamilièreauxRomains,certainesécolesbonmarchéétantmêmeinstalléessouslepéristyledebâtimentspublics.

    Lorsque Rufus eut franchi le seuil, Mucius se pencha légèrement sur son banc pour suivre soncamaradedesyeux.Il levit fairequelquespasdansladirectionduForum,puiss’arrêterbrusquementcommes’ilétaitfrappéd’indécision.Là-dessus,ilfitdemi-tour,revintlentementversl’école,etfinitpars’asseoirsurletonneaufixéparunechaîneaumurdel’aubergevoisine.Muciussedemandapourquoiilrestaitlà.Avait-ildéjàoubliésessoucis?Onauraitpulecroireenl’observant,carRufus,tranquillementassissursontonneau,lesmainsauxgenoux,paraissaitcontempleravecamusementl’intensecirculationdelarue.

    Lesoleils’étaitcouchéderrièreleJanicule,lesoirvenait.Aucielsansnuagesbrillaientdéjàquelquesétoiles.LaRueLarges’étaitemplied’unefouledegensqui,pourlaplupart,revenaientdesthermesduChamp de Mars tout proches. D’innombrables sandales claquaient sur le pavé, des lambeaux deconversationsetdesriresdominaientdetempsàautrelarumeurdesvoix.Desmendiantsagenouillésaubord de la chaussée demandaient l’aumône aux passants indifférents ; des marchands ambulantss’égosillaientpourliquiderlesfigues,olivesougâteauxquileurrestaientencoreencetteheuretardive.Puis on vit défiler un détachement de prétoriens sous la conduite d’un jeune officier à la cuirasseétincelante.Unpeuplus tard, une charrettedemaraîcher, tiréepardeuxmulets, dut s’arrêter devantl’école,car,ensensinverse,arrivaitunelitièreportéeparhuitNègresà la livréerougeetor.Laruesetrouvaembouteillée.Encriant :«PlacepourSonExcellence !», leguidede la litièredonnaquelquescoupsdebâtonàdroiteetàgauchepourécarterlesbadauds;pendantcetemps,lemaraîcherserangeaitsurlecôtépourdégagerlepassage.

    Dans la litière était assis un gros homme complètement chauve qui lisait un livre et agitaitnonchalammentungrandéventail.Ilportaitlatogedesénateur,àdeuxbandesrouges,etavaitunesuiteparticulièrement importante d’esclaves et d’admirateurs. Les passants l’acclamaient ; certains,même,tentaientdes’approcherpourluibaiserlamain,maisilsétaientécartéssansménagementsparleguide.Soudain le groshomme releva la tête, etMucius le reconnut alors à la longue cicatricequi courait entravers de sa calvitie : c’était l’ex-consul Tellus, qui, bien des années auparavant, avait remporté debrillants succèsmilitaires enOrient. Retiré de la politique, ilmenaitmaintenant une vie somptueusegrâceàl’énormefortuneamasséeaucoursdesescampagnes.

  • Lorsque la voie fut libre, les porteurs se remirent enmarche. Tellus salua la foule en agitant sonéventail,puisilsortitduchampvisueldeMucius.LacharretterepartitdesoncôtédansladirectionduForum.

    Bientôtlaruesevidarapidement.Onn’aperçutplusquequelquesattardésquisehâtaientderentrerchez euxavant la tombéede lanuit.Lesmendiants et lesmarchandsambulants sedispersèrent.Puisdeuxveilleursdenuitfirentleurapparitionetpassèrentlentementdeboutiqueenboutiquepourvérifiersilesvoletsétaientbienfermés.

    Rufusétaittoujoursassissursontonneauetparaissaitplongédansuneprofonderêverie.Detempsàautre Mucius se penchait pour l’observer, et se demandait pourquoi il restait là. Espérait-il revoirXantippeaprèslafindelaclassepourimplorersonpardon?Oubienattendait-ilsesamisetlesesclavesqui n’allaient pas tarder à venir les chercher ?Mucius se posait unenouvelle fois la question lorsquesoudain Rufus sauta sur ses pieds, traversa en courant la chaussée et s’engagea dans une ruelletransversalequi,longeantleChampdeMars,menaitaugrandpontsurleTibre.

    Mucius en fut très surpris, et cela l’inquiéta même un peu. Pour rentrer chez lui, Rufus devaittraverserleForum.Pourquelleraisons’engageait-ildoncdansladirectioninverse?Lanuitvenait,etiln’étaitguèreprudentdesepromenerseuldanslesruellesobscuresquiaboutissaientaufleuve.

    «Ilveutprobablementfaireunlongdétouravantderentrerchezlui,sedit-ilàlaréflexion.Aprèscequiluiestarrivé,cepauvreRufusnedoitpasêtretrèspresséderetrouversamère!»

    Rassuréparcettepensée,ilentrepritalorsdeterminersontravail.

  • 2

    Le lendemainà l’aube, lorsqu’ils arrivèrent à l’école, les jeunesgarçons furent étonnésdenepas ytrouverleurmaître.D’habitude,celui-ciétaitdéjàinstalléàsonpupitre,etiltravaillaitàlalueurtroubled’une lampe àhuile. En se disant qu’il allait surgir d’un instant à l’autre, les élèves se débarrassèrentsilencieusementdeleursaffairesetprirentplacesurlesbancs.

    Cematin-là, ilsn’étaientquecinq.L’absencedeRufusétait facilementexplicablepuisqu’ilavaitétémisàlaporte,maiscelledeCaïusl’étaitmoins.Peut-êtreavait-iljugébondefairel’écolebuissonnièrepour n’avoir pas à remettre son long pensum ? Si c’était le cas, il avait fait un mauvais calcul, carXantippeétaitdouéd’uneprodigieusemémoire,enparticulierlorsqu’ils’agissaitdepunitions.

    Auboutd’unmoment,lesélèvescommencèrentàs’agiter.Certes,ilsnebrûlaientpasd’enviedevoirapparaître leur maître, mais ils étaient mécontents de s’être levés si tôt pour rien. Ils en avaient déjàassezdecontemplerlesmurs,etregrettaientleurlitbienchaud.Leurslanternesqu’ilsavaientposéesàcôtéd’euxsurlesbancsnejetaientqu’uneclartévacillanteetempestaientl’huilebrûlée.

    Dehors,danslepetitjourgrisâtre,larueétaitencorelugubreetsansvie.

    Antoine et Flavien grignotaient les galettes qu’ils avaient achetées chez le boulanger voisin, car ilsn’avaientpaseuletempsdeprendreleurpetitdéjeuneràlamaison.

    Delonguesminutess’écoulèrent,etlesjeunesgarçonscommencèrentàs’inquiéter.Xantippelogeaitdanslapiècevoisine,quin’étaitséparéedelasalledeclassequeparunrideau.Silemaîtreavaitétélevé,lesélèvesauraientdûl’entendre.Or,derrièrelerideau,riennebougeait.

    «Ildoitfairelagrassematinée!ditPubliusavecunpetitriremoqueur.

    —Penses-tu!répliquaJules.Mêmelesjoursdefêteilestlevéavantl’aube.C’estlui-mêmequimel’adit!

    —Bah!fitPubliusenhaussantlesépaules.Situcroistoutcequ’onteraconte!…»

    Flavienémitalorsl’idéequeXantippeétaitpeut-êtreallévoirlamèredeRufus.MaisMuciusgrogna:

    «C’estabsurde!Onnerendpasdevisitesavantleleverdusoleil.Éteinsdonctalanterne!Ellenousenfumecomplètement!»

    Obéissant,Flaviensoufflasa lanterne.Là-dessusAntoine,quiétaitcurieuxdenature, se levadesaplaceetcommençaàfureterdanslasalle.Soudainils’aperçutquel’escabeaudeXantippeétaitrenversé,etillefitremarquerauxautres.Celanemanquapasdelessurprendre,carlemaîtreétaitextrêmementordonnéetrangeaitchaquesoirlaclasseaprèsledépartdesélèves.

    «Ilestpeut-êtremalade?suggéraJules.

    — Je ne vois pas le rapport avec l’escabeau renversé ! dit Publius, qui était l’esprit critique de labande.

    —Mais si ! Il doit être tombémalade, etn’apas eu la forcede remettrede l’ordre.Nousdevrionspasserdanssachambrepourvoirsitoutvabien.»

    Muciuss’yopposa.

    «S’ilétaitmalade,dit-il,ilnousauraitcertainementappelés.Attendons!

    —Oui,attendons!répétaPublius.Etprofitons-enpourprendreunpeuderepos!»

    Ilbâillabruyamment,puisils’allongeasursonbancetfitsemblantderonfler.Lesautressemirentàrire.MaissoudainAntoines’écriad’unevoixétranglée:

    «Etsionl’avaitassassiné?…»

    LepetitFlavienquin’étaitguèrecourageuxselevaàdemidesonbancetlançaunregardanxieuxverslerideau.

    «Allons!allons!fitMuciussuruntondésapprobateur.Nedispasdebêtises!QuidoncauraitbienpuassassinerXantippe?

    —Lukos!»soufflaAntoine.

    Antoineredoutaittoujourslepire.Ilnerêvaitquedefantômesetd’assassins.Chaquesoir,avantdesecoucher,ilregardaitsoussonlitpourvoirs’iln’yavaitpasquelquebanditcaché–etilétaitunpeudéçuden’enpointtrouver.Sesamisconnaissaientsonimaginationdébordanteetilsenriaient.Cettefoisilsfurenttoutdemêmeimpressionnés,carlenomdeLukoslesfaisaitfrissonner.

  • Lukosétaituncélèbreastrologueetvoyant,quiseprétendaitoriginaired’Alexandrieets’étaitinstalléàRomedeuxansauparavant.Desbruitsextraordinairescouraientsursoncompte.Onledisaitdouédepouvoirs surnaturels, car il avait su prévoir d’importants événements politiques. Certains affirmaientmêmequ’ilpratiquaitlamagieetpouvaitjeterdessorts.

    LesjeunesgarçonsparlaientsouventdecemystérieuxLukosdontlamaisonétaitsituéejusteenfacedel’école.C’étaitunehautebâtissesévère,sansfenêtres,quidominaitlespetitesboutiquesavoisinantes.Ungrandpanneauétaitfixéaumur,àdroitedelaported’entrée,etl’onylisaitcesmotstracésenlettresrougesang:

    LUKOS

    Astrologuediplômé,

    Membredel’Académied’Alexandrie,

    Ex-devinparticulierduRoidePerse.

    Consultations:touslessoirsaprèslecoucherdusoleil.

    Entréeinterditeauxmendiantsetauxcolporteurs.

    (Dangerdemort!)

    Lesjeunesgarçonsavaientlud’innombrablesfoiscepanneau,maisillesimpressionnaittoujours.Enparticulierce«Dangerdemort!»àl’adressedesimportuns.

    AntoineprétendaitqueLukosavaitenterrédanssacavelescadavresd’unebonnedemi-douzainedemendiants ou de colporteurs. Les autres élèves riaient de cette affirmation hasardeuse, tout en étantincapablesdeluiprouverqu’ilsetrompait.Chosecurieuse:ceLukosdontilsparlaienttantsemblaitnejamaisquittersondomicile,etaucund’euxnepouvaitencoresevanterdel’avoiraperçu.

    Unjour,pendantlarécréationdemidi,Antoineavaitdéclaréqueledevinnesortaitpasdechezluiparcequ’ilétaitcul-de-jatte!MaisPublius,cecontradicteur-né,luiavaitrépliqué:

    «Sic’étaitlecas,ilseferaittransporterparsesesclaves.

    —Lukosn’apasd’esclaves,avaitditAntoine,trèssûrdelui.

    —Allonsdonc!s’étaitalorsécriéPubliusimpatienté.Lukosestimmensémentriche.Unconsul,quiestvenul’autrejourcheznous,aracontéàmonpèrequeLukosgagnaitdesmillionsdesesterces.Tousleshommespolitiquesvontleconsulterpourconnaîtrel’avenir,etilslepaienttrèscher!Onditmêmequ’ildevinelesplanslesplussecretsdel’empereur;celui-cin’ensaitrien,biensûr,maislesconsulsetlessénateurssontaussitôtmisaucourant.EttuvoudraismefairecroirequeLukosn’apasd’esclaves,alorsquechaquemillionnaireenaaumoinsunecentaine.Nous-mêmes,nousenavonsdeuxcents!

    —Peuh!avaitfaitAntoinesanss’émouvoir.Nousenavonsbienplusqueça!Monpèrevientmêmed’enacheterdeuxautres,rienquepours’occuperdespoissonsrouges!MaisLukosn’apasd’esclaves;c’estmonpèrequil’adit,etilestmieuxrenseignéquetonconsul.As-tujamaisvuunesclavesortirdechezLukos?

    —Ehbien,non.C’estcurieux!»avaitdûreconnaîtrePublius.

    Flavienavaitalorsdemandé:

    «Etquiluiapporteàmanger?

    —Personne!avaitrépliquéAntoine.QuandLukosafaim,ilfaituntourdemagie,etilaaussitôtunbeaurôtisursatable.»

    Mucius,plusraisonnablequesescamarades,enavaiteuassezdecetteridiculediscussion,etilyavaitmisfinendisant:

    «Vousêtesstupides!Pardestoursdemagie,iln’estpaspossibledeproduireunrôti.Non!laseuleexplicationestqueLukosdoitsortirpendantlanuitpourallerchercherquelquechoseàmanger.

    —Commentpeut-ilmarchersansjambes?»avaitalorsdemandéCaïusstupéfait.

    Etcelalesavaitfaitbienrire.

    Mais cette discussion s’était déroulée plusieurs semaines auparavant. Pour l’instant, les jeunesgarçonsn’avaientguèreenviedeplaisanter.Ilscommençaientàtrouverbizarrel’absencedeleurmaître,etlesproposd’Antoinen’étaientpasfaitspourlesrassurer.

    «Etpourquelleraisoncrois-tuqueLukosauraitpuletuer?luidemandasèchementMucius.

    — Oh ! pour une raison bien simple, répondit Antoine. C’est parce que le bruit de l’école dérangeLukospendantsesconsultations.

    —Lemobileducrimemesembleinsuffisant!»objectaJulesenprenantlavoixdesonpère,unjugeréputé.

  • Antoinehaussalesépaules.

    «Ehbien,ilnel’apastué,dit-il.Ill’amétamorphoséencochon,cequirevientaumême.»

    Malgréleurinquiétude,lesélèvesnepurents’empêcherderire.MaisJulesinsista.

    «SiXantippeétaittransforméencochon,dit-il,nousl’entendrionsgrogneràcôté!

    —Pasforcément,ditAntoine.Lukosapulemétamorphoserencochonmuet.

    —Çan’existepas!»

    Ils se disputèrent alors pour savoir s’il y avait ou non des cochons muets. Publius allait intervenirdansladiscussionlorsquesesyeuxtombèrentsurlemur,derrièrelepupitredeXantippe,etils’écria:

    «Tiens!latabletteadisparu!»

    Sescamaradesnecomprirentpastoutdesuitecequ’ilvoulaitdire,puisilssesouvinrentdelatablettede cire sur laquelle Rufus avait écrit : « Caïus est un âne. » Elle avait effectivement disparu, et ils sedemandèrentoùellepouvaitbienêtre.

    MuciusestimaqueXantippeavaitdûlajeter.

    « Non, dit Jules. Je pense plutôt qu’il l’a mise de côté pour la montrer à la mère de Rufus et luiprouverainsiquesonfilsestresponsabledelabagarreavecCaïus.

    — C’est probable, admit Antoine. Un grand mathématicien comme Xantippe n’avance rien sanspreuvesàl’appui.

    —PauvreRufus!»ditFlavienensoupirant.

    Etilyeutuntrèslongsilence.Dehors,lejourvenaitlentement,maislesoleiln’étaitpasencorelevé.LaRueLargeétaittoujoursdéserte.

    «Rentronscheznous!grondasubitementPublius.J’enaiassezdeperdremontempsici!

    —Tais-toi!luiordonnaMuciusensedressantàdemi.Jecroisavoirentenduquelquechoseàcôté…»

    Touslesélèvesseretournèrentverslaporteetprêtèrentl’oreille.

    «Vousentendez?»chuchotaMucius.

    UnrâleétouffévenaitdelachambredeXantippe.

  • 3

    «Allonsvoircequec’est!»proposaJulesàmi-voix.

    Flavienprotestaaveceffroi.

    «Oh!non,gémit-il.Nousferionsmieuxd’appelerlagarde!»

    LesautresregardèrentMuciusetattendirentsadécision.Surlapointedespieds,celui-cisedirigeaalorsverslaporte,s’arrêtadevantlerideauetprêtadenouveaul’oreille.Silence.

    «Cedevaitêtrelevent,dit-il.

    —Jen’aiencore jamaisentendu levent râler,murmuraPublius.D’ailleurs, iln’yapas lemoindreventcematin!»

    MuciusseretournaversAntoine.

    «Apporte-moitalanterne,luidit-il.Jevaisvoircequisepasse.»

    Antoineobéit.Muciusécartalerideau,puistoutaussitôtpoussauncridestupeuretrestaclouésurplace.Lesautresseprécipitèrentpourregarderpar-dessussonépaule.

    La chambre de Xantippe n’était que maigrement éclairée par une étroite fenêtre, mais les jeunesgarçons purent voir qu’il s’y était passé quelque chose de grave. Presque tous les meubles étaientrenversés.Lesolétaitjonchéderouleauxdepapyrus,decartes,detablettesetdevêtements.Seuls,lelitet une grosse armoire étaient restés debout. Pas de Xantippe. Son lit était vide, le drap déchiré enplusieursmorceaux.

    Les gamins étaient si ahuris par ce spectacle qu’ils avaient complètement oublié le bruit suspect.Muciussefrayaunpassagedansledésordre,s’arrêtaaumilieudelapiècedévastée,etregardaautourdeluienhochantlatête.

    «C’estinsensé!»murmura-t-il.

    Sescamaradesserapprochèrentlentementdelui.SeulFlavien,prêtàprendrelafuite,étaitrestésurleseuil,etildemandad’unevoixtremblante:

    «OùestXantippe?»

    Antoineallapromenersalanternedanslerecoinquiservaitdecuisine,puisilregardasouslelit.

    «Iln’estpaslà!annonça-t-il.

    —Ehbien,c’estqu’ilafilé!ditPublius.

    —Oui,c’estça!s’écriaAntoine.IlestreparticettenuitpourlaGrèceparcequenousl’avionsmisencolèrehiersoir.Derage,ilatoutdémoli!»

    Publiuseutunriremoqueur.

    «Tiens!fit-il.TudisaisqueLukosl’avaitchangéencochon!

    —Non!répliquavivementAntoine,iln’apasétémétamorphoséencochon.CettenuitilestallévoirLukospoursefaireprédirel’avenir.IlvoulaitsavoirsilepèredeRufus,legénéral,seraitfurieuxlorsqu’ilapprendrait que son fils avait été renvoyé de l’école. Un général joue facilement du glaive, s’est ditXantippe.Lukos luiaannoncéquesavieétaitendanger,et il luiaconseilléderetournerauplusvitedanssonpays.Legénéraln’irapasjusqu’enGrècepourtuerXantippe;çanevaudraittoutdemêmepaslevoyage!Jecroisque…»

    Antoines’interrompit,carsoudainonentendaitdenouveaulerâle.Cettefoisilétaitplusfortetdurapluslongtemps.Sanserreurpossible,ilprovenaitdel’armoireàvêtements.

    Lesjeunesgarçonsrestèrentfigésdefrayeur.

    «C’estlà-dedans!murmuraMucius.

    —Unesprit!chuchotaAntoine.

    —Sauvons-nous!»gémitFlavien.

    Maislesautresregardaientfixementl’armoire,commehypnotisés.Lerâleretentitencore,etfutsuivid’unesortedecroassement.

    «Quelqu’unestenfermélà-dedans!ditMuciusensedirigeantversl’armoire.

    —N’ouvrepas!hurlaFlavien.

  • —Biensûrquesi!Ilvaétouffer.

    —Cen’estpasunhomme,c’estunesprit!ditAntoine.Etunespritnerisquepasd’étouffer!

    —Tais-toi!grondaMucius.Iln’yapasd’espritsdanslesarmoires.Jevaisouvrir.Éclairez-moi!»

    Antoinedirigealerayondesalanternesurlaportedel’armoire,maissamaintremblaittellementquelafaiblelueurdansaitcommeunfeufolletsurlemur.

    Onentenditunnouveaucroassement.Muciustournahardimentlaclef,ouvritd’unseulcouplaporteetreculaaveceffroi.

    Xantippeétaitassisdanslefonddumeuble,ficelédespiedsàlatêtecommeunballotdevêtements.Ilavaitlesmainsligotéesdansledos;sonvisageétaitmasquépardesbandesd’étoffe,etl’onnevoyaitquesesyeuxetsescheveuxhirsutes.Enapercevantlesenfants,ilpoussauncroassementcoléreuxderrièresonbâillon.

    «Pourquois’est-ilmislà?»demandaFlaviencomplètementéberlué.

    Uncroassementplusénergiqueluirépondit.

    «Ilveutpeut-êtresortir?»ditAntoine.

    Muciusfinitparseressaisir.

    «Allons!cria-t-ilauxautres.Nerestezpasplantéscommedespiquets !Aidez-moi !Sortons-ledelà!»

    Enunissantleursforces,ilstirèrentlemaîtredel’armoireetlelaissèrentlourdementretombersurlesol.Xantippepoussaunfurieuxgrognement.Muciusluiarrachasonbâillon,puissepenchasurlui.

    «Commenttesens-tu?»demanda-t-ilavecsollicitude.

    Xantippeneréponditpas;ilfermalesyeux,eutunprofondsoupir.

    «Çayest!Ilmeurt!»ditAntoine.

    MaisXantipperouvritlesyeuxets’écriaavecrage:

    « Par Jupiter et par tous les dieux du ciel ! Qu’est-ce que vous attendiez ? J’ai failli étouffer !Dépêchez-vousdem’enlevercesliens!Mesbrasetmesjambessontpresquemorts.Allezvitechercheruncouteaudecuisine!»

    AntoineetPubliuscommençaientdéjààdénouer lescordelettesquientouraient les jambesde leurmaître.AveclegrandcouteauàpainqueFlavienétaitalléchercher,Muciustranchalesbandesdetoilequiligotaientsespoignets.Prudemment,Xantippeétenditlesbrasetfitjouersesarticulations.

    «Soutenez-moi!gémit-il.Jenepeuxpasremuer!»

    Les gamins le soulevèrent et le conduisirent jusqu’à son lit sur lequel il s’effondra, complètementépuisé.Auboutd’unmomentiltâtasachevillegaucheetfitunegrimacededouleur.

    «Aïe!majambe!gémit-il.Ondiraitbienquej’ai lachevillefoulée,elleestdéjàtoutenflée…Oh!Aïe!Jenevaispluspouvoirmarcher!»

    Puisilsetouchalatête.

    «Aïe!fit-ilencore.Quellebosseénorme!»

    Il décrocha le petit miroir métallique pendu au-dessus de son lit et tenta d’examiner la bosse quiornaitsoncrâne.Commeilparaissaitavoircomplètementoubliélaprésencedesélèves,Muciusfinitpartoussoteretluidemanda:

    «Maiscommentsefait-ilquetutesoistrouvédanscettearmoire?»

    Xantippeluilançaunregardindigné.

    «Alors,quoi?gronda-t-il.Vousn’avezpasencorecomprisquej’aiétévictimed’uneagression?»

  • 4

    Ilyeutunmomentdestupeur,puislesquestionss’entrecroisèrent:

    «Quidonct’aattaqué?

    —Onavoulutetuer?

    —As-tureconnul’agresseur?

    —Unpeudesilence!jevousenprie!croassaXantippedontlavoixétaitencorerauque.Voicicequis’estpassé:aumilieudelanuit,j’aiétéréveilléparunbruitdepasdanslasalledeclasse.J’aicrié:“Quivalà?”etcommejenerecevaispasderéponse,jemesuislevépourallervoir.C’étaitévidemmenttrèsimprudentdemapart,etj’auraistoutd’aborddûfairedelalumière,carjemetrouvaisdansl’obscuritécomplète.Soudain,jemesuissentiempoignépardeuxbrasrobustes;j’aitentédesaisirmonagresseuràlagorge,maisilétaitnettementplusgrandetplusfortquemoi.J’airouléàterre,puisj’aireçusurlatêteuncoupterriblequim’afaitperdreconnaissance.

    —Passionnant!»s’écriaAntoineaucombledel’excitation.

    Xantippeluijetaunregardchargéderéprobation,puisilpoursuivit:

    « Quand je revins à moi, j’étais ligoté et bâillonné dans cette armoire. J’entendis mon agresseurfouiller longuementdans toutesmesaffaires,commes’ilcherchaitquelquechose.Puis il s’enalla.Lesheuresmeparurent interminables, jusqu’aumomentoù jevousentendisenfinarriverdans lasalledeclasse. Mais il m’était impossible de vous appeler. Si vous aviez tardé à me délivrer, je serais mortétouffé.»

    Iltâtadenouveausabosseavecinquiétude.

    «Cetteaffaireestinexplicable,reprit-il.Quemevoulaitcethomme?

    —C’étaitpeut-êtreunvoleur?»suggéraJules.

    Xantipperelevalesyeux,toutsurpris.

    «Unvoleur?répéta-t-il.Iln’yarienàvolerchezmoi!Lepeuquejepossèdeestdéposéàlabanque.Maisaprèstout,onnesaitjamais…c’étaitpeut-êtreunvoleur.Allons!Rangez-moicettepièce,etnousverronsbiens’ilmanquequelquechose.»

    Les jeunes garçons semirent aussitôt au travail. Ils redressèrent lesmeubles, et, en soufflant, lestraînèrentjusqu’àleurplacehabituelle.

    Desonlit,Xantippedirigeaitlesopérations.Ilfitprocéderàl’inventairedeslivres,cartesetimages,et, àmesure qu’on les rangeait, il prit des notes sur une tablette. Finalement, les élèves ramassèrenttouteslestablettesdisperséessurlesol,etlesjetèrentdansuncoffrequelecambrioleuravaitvidé.

    Quandtoutfutterminé,Xantippeexaminasesnotes,ets’aperçutavecétonnementqu’onneluiavaitvoléquequelqueslivresdemathématiquesetdeuxoutroisimagessanslamoindrevaleur.

    « Bizarre ! fit-il en hochant la tête. Tout cela n’a aucun intérêt pour un profane, bien que celareprésente pour moi une lourde perte. Mon bon vieux Pythagore a disparu, ainsi, que le deuxièmerouleaudesœuvresd’Euclide,etmongrandouvragesurlestrianglesrectangles.C’estvraimentbizarre!

    — Il s’agit probablement d’un voleur qui étudie les mathématiques, lui dit Antoine en guise deconsolation. Comme il n’a sans doute pas les moyens de s’acheter des livres, il est entré ici, il t’aassommé…»

    MaisPubliusl’interrompitenlançantmoqueusement:

    «Situtefiguresquelesbanditss’amusentàétudierlesmaths!

    —Nevaudrait-ilpasmieuxappelerlagarde?»demandaalorsFlaviend’unepetitevoixtimide.

    Xantippes’yopposa.

    «Non,dit-il.Silagardemetsonnezici,j’auraiencoreplusd’ennuis.Jedevraisubird’interminablesinterrogatoires, la fouille de toutes mes affaires. On trouvera toutes sortes de traces… sauf celles duvoleur!

    —Ça, c’est vrai ! approuvaAntoine. Ils ne sont pasmalins. L’autre jour, j’ai vu un garde en arrêtdevantlegrandcadransolaireduForum.Ilétaittrèsintriguéparcequ’ilnepouvaitplusylirel’heure.Cepauvrehommenes’étaitmêmepasaperçuquelesoleilétaitcachépardesnuages!

    — Tu parles pour ne rien dire ! gronda Xantippe. Un beau jour, ta langue t’attirera une vilaine

  • histoire!»

    Puisilsetournaverslesautresélèves.

    «Vouspouvezpartir,reprit-il.Etmerciencoredem’avoirsauvélavie.

    —Nousn’avonsfaitquenotredevoir»,réponditmodestementMucius.

    MaisAntoine,oubliantdéjàqu’ildevaitseméfierdesalanguetropbienpendue,s’écriagaiement:

    «Nousnel’avonspasfaitexprès,voyons!Nousétionspersuadésquetuavaisétémétamorphoséencochon.Ulysse,luiaussi,aététransforméencochonparlamagicienneCircé…

    —Allons!Filez!ditXantippeimpatienté.

    — Retournez à vos places et révisez vos leçons ! » ordonna Mucius en tentant de pousser sescamaradesdanslapiècevoisine.

    Xantippelesrappela:

    «Vouspouvezrentrerchezvous.Jevousdonnequelques joursdecongé,car jevaisêtreobligéderesteralitépoursoignermajambe.Jevousferaisavoirquandl’écolereprendra.»

    Heureusement surpris par ces vacances inespérées, les élèves allaient se précipiter vers la portelorsqueMuciuslesretintetdemandaaumaître:

    «Alors,tunepourraspasallerchezlamèredeRufusaujourd’hui?

    —Chezqui?fitdistraitementXantippe.

    —ChezlamèredeRufus.Tudevaisallerlavoirpourluidirequesonfilsétaitrenvoyédel’école.

    —Ah!oui»,ditlemaître.

    Ils’étenditcommodémentdanssonlit,serecouvritetpoussaunsoupirdesatisfaction.

    Pendantunmomentilcaressapensivementsabarbichegrise,puisiltournalesyeuxverslesélèves.

    « À vrai dire, reprit-il, je n’ai jamais eu l’intention d’aller voir lamère de ce jeune chenapan. J’aiseulementvoululuidonnerunebonneleçon.J’espèrequesapeurluiaurafaitsincèrementregrettersonacte.

    —Ilpourradoncreveniràl’école?demandaMucius.

    —Oui,jel’yautorise.Aprèstout,cen’estpasunmauvaisélève,etjeneveuxpasfairesonmalheurpour cette unique faute. En tout cas, prenez garde, vous tous ! Si jamais il y a un nouvel acted’indisciplineaussirévoltantqueceluid’hiersoir,jevousmetstousàlaporte.C’estcompris?Bon!Etmaintenant,filez!»

    Lorsqu’ilsseretrouvèrentdanslarue,lesjeunesgarçonsdécidèrentd’organiserunjeupourcélébrercetheureuxévénement.MaisMuciusintervint:

    «Nousdevonsd’abordallervoirRufuspourluiannoncerquetoutestarrangé.IlsefigureencorequeXantippe va venir voir samère, etnousnepouvonspas lui laisserpasserune journée entièredans lacrainte.Ceneseraitpaschicdenotrepart.

    —Trèsjuste!ditJules.Etnousl’emmèneronsavecnous.»

    Ils descendirent laRueLarge jusqu’auCapitole, en longeant le Forum.Le soleil n’était pas encorelevé,maisquelquespetitsnuagesseteintaientdéjàderose,etleciels’éclaircissaitàl’est.LeForum,qui,pendantlajournée,grouillaitdemonde,étaitpourl’instantpresquecomplètementdésert.Onapercevaitseulementquelquesesclavesqui,unpanieràlamain,sedirigeaientverslesmarchéstoutprochesouenrevenaientlourdementchargés.

  • LesenfantstraversèrentleForum,obliquèrentdansuneétroiteruelle,puisgravirentunescaliertrèsabrupt qui conduisait au sommet dumont Esquilin. Un peu essoufflés, ils débouchèrent enfin sur laplacedeMinerve.LademeuredeRufusn’étaitplustrèsloindelà.

    LaplacedeMinerveétaitunepetiteplacecalmeetendormie,àlalisièred’ungrandboisdepins.Aucentre se dressait le temple deMinerve, unmonument simple, dont les seuls ornements étaient unecolonnade devant l’entrée et trois larges degrés de marbre. Mais ce petit temple était l’objet d’unevénération touteparticulière, car il était consacréà l’empereur.En facede lui,dansunparcplantédehautscyprès,setrouvaitlasplendidevilladusénateurVinicius,lepèredeCaïus.

    «JevoudraisbiensavoirpourquoiCaïusn’estpasvenuàl’école,ditFlavienenregardantlavilla.

    —Bah!fitPublius.Iladûsefaireportermalade!

    —Faut-illuidirequenoussommesenvacances?demandaJules.

    —Ah!non,répliquaMucius.Ilattendra!Laissons-letravailleràsonpensum,çaneluiferapasdemal.Allons!Suivez-moi!»

    Etilslongèrentrapidementlavilla.Quandilsarrivèrentauprèsdutemple,lesoleilvenaitdeseleveretbaignaitlepetitmonumentdesalumièredorée.

    SoudainPubliuss’arrêtanet.

    «Grandsdieux!»s’écria-t-ilavecfrayeur,enmontrantdudoigtletemple.

    Etlesélèvespurentliresurlemurblanccesmotstracésàlapeinturerougesang:

    CAÏUSESTUNÂNE.

  • 5

    «Ça,c’estl’œuvredeRufus!»déclaraJulessanshésiter.

    Publiuspoussaunprofondsoupir.

    «Iladûavoiruncoupdefolie!dit-il.QuandlepèredeCaïuss’enapercevra,çaferaduvilain!»

    Lesjeunesgarçonstournèrentcraintivementlesyeuxverslavilladusénateur.Viniciusétaiteneffetun homme très pieux, qui vénérait son empereur. Et nul n’ignorait qu’il avait à l’époque versé dessommesconsidérablespourlaconstructiondutempledeMinerve.

    «Est-cegravedetracerdesinscriptionssuruntemple?demandainnocemmentFlavien.

    —Etcomment!répliquaPublius.C’estuncrime!»

    Antoines’étaitapprochédumur,etilavaitposéledoigtsurleCdeCaïus.

    «Bellepeinture!dit-il.Çatient!»

    Muciusl’écartapouressayerd’effacerl’inscriptionavecuncoindesatoge.Maislapeintureétaitdéjàsèche.

    «Quellehistoirestupide!gronda-t-il.Ilfautabsolumentfairedisparaîtrecetteinscription!

    —Essayonsdelagratteravecnosstylets!»proposaAntoine.

    Il était trop tard ! Deux hommes approchaient du temple. Instantanément, Flavien ramassa sesaffairesdeclasse,traversaencourantlaplacedeMinerveetallasecacheràl’oréedubois,derrièreunehaiedelauriers-roses.Touslesautressuivirentsonexemple.

    «Pourquoias-tufilé?luidemandaAntoineencorehaletant.

    —Parcequ’onvacroirequec’estnouslescoupables.

    —Silence!soufflaMucius.Ilspourraientnousentendre!»

    À travers les rameaux, ils virent leshommes contourner le temple etpasserdu côtéoù se trouvaitl’inscription.Puisilsladécouvrirent,etl’und’euxs’écriaenriant:

    «Regardeça,Clodius!Onaécrit:“Caïusestunâne”surletemple!»

    L’autres’indigna.

    «C’estunehonte!gronda-t-il.C’estuncrimeabominable!Jenecomprendsvraimentpascommenttupeuxenrire!

    —Allons!allons!net’énervepas!dit lepremierententantdel’apaiser.Onvoitbienquec’estunenfantquiaécritça.C’estunefarcequinetirepasàconséquence.Nousavonsété jeunes,nousaussi,moncherClodius!

    —Cen’estpasuneexcuse!protestaviolemmentledénomméClodius.Mêmequandj’étaisjeune,ilnemeseraitjamaisvenuàl’idéedeprofaneruntemple!»

    Les deux hommes avaient maintenant contourné l’édifice et se dirigeaient vers l’escalier quiconduisait à l’étroite ruelle. C’étaient deux citoyens d’un certain âge, vêtus de toges d’une blancheurimmaculée.L’unétaitgrandetgros,l’autrepetitetmaigre.Toutenparlant,legrosagitaitfurieusementlesbras.Soudainils’arrêta,saisitsoncompagnonparuncoindesatogeetcria:

    «Moi,jetedisquecen’estpasunefarcedegamin!Cetempleestconsacréàl’empereur,etils’agitlàd’uncrimedelèse-divinité.Ilfaudraitcouperlesdeuxmainsàceluiquiaécritça.Lesdeuxmains!Etc’estencoreunchâtimenttropdoux!»

    Visiblementtroublé,lemaigrereculad’unpas,puisditsuruntonconciliant:

    «Ehbien,oui!Là!Tuasraison.Maiscelanenousregardepas.Allonsplutôtànotretravail.Nousavonsbeaucoupàfaireaujourd’hui.»

    Ilsseremirentenmarcheets’engagèrentdansl’escalierquidescendaitversleForum.

    Onvitdisparaîtresuccessivement leurs jambes, leursbustes, leurstêtes.Uninstantencore lecrânechauvedugroshommebrillasouslesoleilmatinal,puisildisparutluiaussi.

    Lesjeunesgarçonsseredressèrentlentementetseregardèrentavecconsternation.

    «Quellebrute!ditAntoine.Vousl’avezentendu?Ilveutquel’oncoupelesdeuxmainsàRufus!

    —Mesamis,lançaPubliusd’unairimportant,jevousavaisbienditquelachoseétaitgrave!

  • —Bah!personnenesauraquec’estRufuslecoupable!objectaFlavien.

    —Peuimporte,ditMucius.Ilfauteffacercetteinscription.»

    EtilallaitretournerversletemplelorsqueAntoineleretint.

    «Attention!Quelqu’unvient!»souffla-t-ilenmontrantlamaisondeVinicius.

    Eneffet,lapetiteportepercéedanslemurdujardinvenaitdes’ouvrir.Unefillettesefaufiladehors.

    «Tiens!C’estClaudia!ditMuciusavecsurprise.Quevient-ellefaire?»

    Claudia était la sœur cadette de Caïus. Une fille douce, aimable et pasmaniérée. Les garçons quil’aimaientbienl’avaientsouventacceptéedansleursjeuxjusqu’àprésent.Maisellevenaitd’avoironzeans,etonluiavaitmaintenantdonnédeuxgouvernantesgrecquesquiveillaientsursonéducation, luifaisaientlaclasse,etneluipermettaientplusdesortirseuledelamaison.

    La fillette traversa en courant la petite place et se dirigea vers les lauriers-roses derrière lesquelsétaientcachéslesécoliers.

    «Attendez-moi!leurcria-t-elle.Ilfautquejevousparle!»

    Elleseglissalestementàtraverslesbranchagesetsetrouvadevantsesjeunesamis.

    «Jevousavaisvusparlafenêtre,leurdit-elle,encorehaletante.Ilestarrivéunechoseterrible!…OùestRufus?

    —Chezlui,réponditMucius.

    —Ah!tantmieux!Ilnefautsurtoutpasqu’ilsemontre!Monpèresaittout!»

    Elleparaissaitsurexcitée;sesyeuxbleusbrillaientd’émotion.

    D’habitude,elleétaitélégammentvêtueetcoifféeavecsoin,maiscettefoisellen’avaitpasséqu’unesimpletuniqueets’étaitcontentéedenoueravecunrubanses longuesbouclesbrunes.Auxpieds,elleportaitdessandalesbeaucouptropgrandes,quiappartenaientvraisemblablementàsamère.

    «Explique-toi!luiditMucius.Quesaittonpère?

    —Jevaistoutvousraconter,réponditClaudia.Maiséloignons-nous!J’aipeurqu’onnemevoie…jesuissortieencachette!»

    Muciuslapritparlamainetl’entraînadansleboisdepinsjusqu’àunepetiteclairière.Claudias’assitsurunrocherquiémergeaitdesherbes,etlesjeunesgarçonsfirentcercleautourd’elle.

    «Tonpèresait-ilqueRufusaécritçasurletemple?luidemandaJules.

    —Oui,ditClaudia.Nosesclavesontdécouvertl’inscriptioncematindetrèsbonneheure,enrevenantdumarché.Ilsl’ontditànotreintendantquiestimmédiatementvenuavertirmonpère.Ducoup,monpèreaabandonnésonpetitdéjeuneretilestpassédanslagrandesallepourregarderparlafenêtre.“Quiafaitcela?”a-t-ilcrié.Etcommel’intendantn’ensavaitrien,monpères’estmisdansunecolèreterribleetahurlé:“Jetefaismettreauxferssitunerépondspasimmédiatement!”L’intendants’estjetéàsespiedsendisant:“Pitié,seigneur!TonfilsCaïusdoitconnaîtrelecoupablequiestcertainementundesescamaradesdeclasse.”Oh!j’étaisfollederagequ’ilaitjetélessoupçonssurvous!

    —Votreintendantn’estqu’uncrétin!lançaAntoine.

    —Oui,ditClaudia,c’estcertain!MonpèreaensuiteappelélevieilHérode,leprécepteurdeCaïus,etluiaordonnéd’allerchercherCaïusàl’école.MaisHérodeaeul’airtoutsurpris.“Ilestici,maître,a-t-ilrépondu.Cematin,quandjel’airéveillé,ilm’aditqu’iln’yavaitpasd’écoleaujourd’huicarleurmaîtreétaitpartienvoyage.”

    —Oh!lementeur!rugitFlavien.Etqu’afaittonpère?

    —IlestalléchercherCaïusdanssachambreetl’aamenédanslagrandesalle.Caïusétaitencoreenchemisedenuitetn’avaitpasl’airtrèsrassuré.Monpèreluiamontréletemplepar lafenêtreet luiademandé : “Qui a écrit ça ?” Caïus a d’abord paru tout ahuri, puis il a crié : “C’est Rufus, le fils dePraetonius!”

    —Lecafard!s’exclamèrentlesgarçonsindignés.

    —Nousluiferonspayerça!grondaMucius.Caïusseramisenquarantaine.Nousnejoueronsplusavecluietnousneluiadresseronspluslaparole.

    —Pourmoi,affirmaAntoine,c’estcommes’ilétaitmort.

    —Jeneluiparleraipasnonplus,ditClaudiaquiparaissaittrèspeinéeparl’attitudedesonfrère.Jesuissûrequec’estunmensonge.Rufusestuntrèsgentilgarçon,etilnes’amuseraitpasàbarbouilleruntempleàlapeinturerouge.Pourmonanniversaire,ilm’aoffertunemagnifiquepoupéed’ivoire.Elleadûcoûtertrèscher,etpourtantsesparentsnesontpastellementriches!

    —C’estquandmêmeluiquiafaitlecoup!»soupiraMucius.

    Et commeClaudia le regardaitavecdegrandsyeuxeffrayés,Mucius lui racontaalors cequi s’étaitpassélaveilleàl’école.Puisils’empressadelarassurer,carilsavaitqu’elleaimaitbeaucoupRufus:

  • «Ças’estarrangé.Xantippeluiapardonné.»

    Maislafilletterestaitinquiète.

    «Malheureusement,toutn’estpasfini!reprit-elle.Monpèreestmaintenantdanstoussesétats.EtilfaudraitavertirRufus…»

    Elles’interrompit,détournalesyeux.

    «L’avertirdequoi?demandaMucius.

    —Ehbien,voilà!repritlafillette.Monpèren’apascruCaïusetilaenvoyéchercherlesdeuxvigilesquisurveillentlequartierpendantlanuit.Illeuramontrél’inscriptionetleurademandés’ilsn’avaientrien remarqué au cours de leurs rondes. Les deux hommes ont affirmé qu’ils n’avaient rien vu. Justeavantlacinquièmeheuredelanuitilss’étaientassisdevantletemplepourmangerunmorceau.Ilfaisaitclairdelune,etilsdisentque,sil’inscriptionavaitdéjàététracéesurlemur,ilsauraientdûlavoir.Puisils ont demandé à mon père s’ils devaient faire un rapport à leurs supérieurs et les informer de laprofanationdutemple.Monpèreleuraditden’enrienfaire,carilcomptaits’occuperlui-mêmedetoutecettehistoire.

    —Oh!malheur!s’écriaFlavien.

    —Oui,ditMucius,soucieux.Celaprometdesennuis!

    —Peut-êtretonpèreveut-ilpunirlui-mêmeRufus?»suggéraJules.

    Claudiasecouatristementlatêteendisant:

    «Non,ilneveutpaslepunirlui-même.Aprèsledépartdesveilleursdenuit,ilademandéàCaïus:“Comment sais-tu que c’est Rufus le coupable ?” Mon frère lui a répondu qu’ils s’étaient disputés àl’école, mais mon père a dit que ce n’était pas une preuve suffisante. Alors Caïus a affirmé qu’ilreconnaissaitl’écrituredeRufus.Cettefoismonpèreaétéconvaincu,etiladitqu’iliraitvoirlepréfetdelaVillepourdénoncerRufus.»

    Consternés,lesjeunesgarçonsrestèrentunlongmomentsilencieux.

    LepréfetdelaVilleétaitunhommetrèsredouté,laterreurdesmalfaiteurs.Généralement,c’étaitlui-mêmequijugeaitlesaffaires,etsessentencesétaientimpitoyables.

    «Croyez-vousquelepréfetpunirasévèrementRufus?demandaClaudiaaveccrainte.

    —Hélas!oui,ditsombrementPublius.Illuiestmêmearrivédecondamnerdesgensàmort,rienqueparcequ’ilsavaientrienregardantpasserl’empereur!

    —MaisRufusn’estqu’unenfant!s’écriaClaudiabouleversée.Lepréfetnevatoutdemêmepasfaireexécuterunenfant!

    —Etpourquoipas?lançaAntoine.Ças’estvu!Onm’aracontéqu’onavaitjetéunefoistroisenfantsdansleTibre,pourlespunirdejenesaistropquoi.»

    Claudialeregardaavecépouvante,puiselleserelevad’unbond,cria:«Salementeur!»ets’enfuit.Elle traversa en courant la place deMinerve, perdit en chemin ses deux sandales, se baissa pour lesramasser,maisellenepritpas le tempsde lesremettreetpoursuivitsacoursepiedsnus.Laportedujardinserefermaderrièreelle.

    «Qu’est-cequiluiprend?demandaPublius.Elleestbienpressée,toutd’uncoup!»

    MuciuslançaunregardfurieuxàAntoine.

    «Tun’auraispasdûluiracontercettehistoirestupide!luidit-il.

    —Ilparaîtquec’estvrai!protestal’autre.

    —Tun’ensaisrien!Detoutefaçon,cen’étaitpaslapeinedeluiraconterça.»

    Unlongmoment,lesgarçonsrestèrentsongeurs.Lesoleilmatinalpassaitàtraverslesarbres,lecielétaitd’unbleupur,leventchantaitdanslespins.Dubasdelacollinemontaitlarumeurdelavillequis’éveillait.

    «Rufusdoitfuir,déclarasoudainMucius.Nousallonstoutd’abordlecacherdanslagrottequinoussertdelieuderéunions.Puiscesoir,nousluiapporteronsdesvêtementsd’esclaveetnousleconduironsjusqu’aufleuve.Jeconnaisunendroitoùilpourraletraverseràlanagesansêtrevuparlesveilleursdesponts. Il lui faudramarcherpendant lanuit et se cacher le jourpour arriver jusqu’ànotremaisondecampagne. Je lui donnerai une lettre pour Sallus, notre régisseur, et demanderai à ce dernier de leprendrecommeesclave–rienqu’enapparence,biensûr !Sallusaccepterade le fairepourmoi,car ilm’aimebien.Onn’irajamaischercherRufuslà-bas,etilpourrayresterjusqu’àcequetoutsoitoublié.

    —C’estuneexcellenteidée»,ditJules.

    LesautresnonplusneménagèrentpasleurslouangesàMucius.Maiscelui-cilesinterrompit.

    «Allons!venez!leurdit-il.IlnousfautimmédiatementallertrouverRufus.»

    Ils traversèrent le bois, arrivèrent devant un escarpement rocheux qu’ils escaladèrent, puis ils

  • suivirentunelonguealléecalmeetombragée.Enfinilss’arrêtèrentdevantlavilladugénéralPraetonius,unevastemaisonvieillotte,auxminusculesfenêtres.

    Laporteleurfutouverteparunesclaveàlabarbeblanchequiparuttoutsurprisdelesvoir.

    «Tiens!vousn’êtesdoncpasàl’école?leurdemanda-t-ilgentiment.

    —Noussommesencongé,réponditMucius.Notremaîtres’estfoulélacheville.

    —Unaccidentquinefaitpaslemalheurdetoutlemonde,pasvrai?ditlevieilhommeenpouffantderire.Etquedésirez-vous?

    —NousvoudrionsvoirRufus.

    —Jecroisqu’ilestmalade,réponditlevieillard,jenel’aipasencoreaperçucematin.Maisallezvoirvous-mêmes.Vousconnaissezbienlechemin!

    —Ilestmalade?»répétaMuciusavecinquiétude.

    L’esclavehaussalesépaules.

    «Jen’ensaistroprien,dit-il.Entoutcas,iln’estpasalléàl’écolecematin;sinon,jel’auraisvu.»

    Lesgarçonsentrèrentdanslevestibule,retirèrentleurssandales,puispénétrèrentdanslavastesallecommune, plongée dans la pénombre et pauvrement meublée. Ils y avaient passé bien des heuresagréables,carLivia,lamèredeRufus,étaittrèshospitalièreetinvitaitvolontierslesamisdesonfils.

    LachambredeRufusétaitunetoutepetitepiècesansfenêtre,quin’étaitéclairéequeparuneimposteau-dessusdelaporte.Muciusécartalerideau.

    Enapercevantsesamis,Rufusseredressad’unbonddanssonlit.

    «Quesepasse-t-il?»demanda-t-ild’unevoixinquiète.

    Machinalement, il attira la couverture pour recouvrir son buste nu. Chose curieuse, ses cheveuxétaientmouilléscommes’ils’étaitplongélatêtedansunbaquetd’eau.

    «Iltefautfilerauplusvite»,luiditMucius.

    Rufuspâlit.

    «Filer?Mais…pourquoi?…

    —Allons!tulesaistrèsbien,grognaPubliussuruntonpeuaimable.

    —Jetejurequejenesaisrien!»protestafaiblementRufus.

    Antoinesepenchasurluietchuchota:

    «Tuesendangerdemort,àcausedecequetuasécritsurletemple!»

    Rufusouvritdegrandsyeux.

    «J’aiécritquelquechosesuruntemple?Moi?Vousêtescomplètementfous!

    —Nemenspas!luiditsévèrementJules.Tuasécrit:“Caïusestunâne”surletempledeMinerve.Nesavais-tupasqu’ilétaitconsacréàl’empereur?»

    Décontenancé,Rufusregardasesamisàlaronde,puisileutunpetitrirebref.

    «Ah!jevois!dit-il.Vousvoulezmefairemarcher?Ehbien,çaneprendpas.

    —Nousnesommespasvenusicipourplaisanter,répliquasèchementMucius.Lachoseestbientropgrave.Dépêche-toidet’habiller,etsuis-nous!»

    Cettefois,Rufuss’emporta.

    «Laissez-moitranquille!hurla-t-il.Jevousjurequejen’aijamaisrienécritsuruntemple.Cedoitêtrequelqu’und’autre.Etjeveuxbienmouriràl’instantsijemens!»

  • 6

    Les jeunes garçons furent impressionnés par l’accent de sincérité de Rufus. Jusqu’à présent, ilsavaient eu la convictionque leuramiétait l’auteurde l’inscription, et l’idéeque cepût êtrequelqu’und’autrenelesavaitmêmepaseffleurés.

    «Jure-le!ordonnaMucius.

    —Jelejure!»ditRufusd’unevoixfermeetenlevantlamaindroite.

    Muciusseretournaalorsetconsidérasescompagnonsd’unœilsoupçonneux.

    «Neserait-cepasl’undevous?demanda-t-ilsuruntonmenaçant.

    —Entoutcas,cen’estpasmoi!répliquaPubliusenprenantunairoffensé.

    —Moi,repritRufus,j’aisisouventrépétéàCaïusqu’ilétaitunâne,quejen’éprouvepaslebesoindel’écrireencoresurlesmurs.

    —Peut-être est-ce un esclave deVinicius qui a fait le coup ? suggéraAntoine. Caïus lui aura jouéquelquevilaintour,et,poursevenger,l’esclaveauraécrit:“Caïusestunâne”surletemple.

    —AucunesclavedeRomen’oseraitprofanerunsanctuaire!»objectaJules.

    MaisAntoinen’endémorditpasaussifacilement.

    «L’esclavenesavaitpasqu’ils’agissaitd’untemple,reprit-il.C’estunnouveauvenu,unGermainparexemple. Or, les Germains n’ont pas de temples ; ils font des sacrifices à leurs dieux sous de grandsarbres,auclairdelune,endansant,enchantantetenbuvantdansdescornesdebuffles.

    —Sic’estunnouveauvenu,commentconnaîtrait-il le latin?»demandaPubliusavecunpetitriremoqueur.

    Embarrassé,Antoinenesutquerépondre.

    «Àquoibondiscuter?dittranquillementJules.ClaudianousaditqueCaïusavaitreconnul’écrituredeRufus.

    —C’estunmensonge!protestacelui-ci,aucombledel’indignation.

    —Caïusaffirmepourtantqu’ilconnaîttrèsbientonécriture,ditàsontourMucius.

    —Quoi?fitRufusavecunrirecontraint.CepauvreCaïusestbientropbêtepourça!C’esttoutjustes’ilsaitlire!»

    Il fut le seulà riredesaplaisanterie.Sescamaradescontinuaientà le considéreravecdéfiance. Ilshésitaienttoujoursàlecroire.Rufusserenfrogna,réfléchituninstant,puissoudaineutuneidée:

    «Ehbien,dit-il, jevaisvousprouvermoninnocence.Jevaisécriresurunetablette:“Caïusestunâne”etvouspourrezbienvoirquecen’estpaslamêmeécriturequesurletemple.»

    Tousfurentd’accord.OndonnaàRufusunetabletteetunstylet,etilsemitàécrireavecapplication.Lorsqu’ileutachevésonœuvre,illatenditàMuciusenluidisant:

    «Voilà!Comparez!»

    Les avis furent très partagés. Antoine prétendit que l’écriture était identique à celle du temple ;Flaviensoutenait lecontraire.Lesautresn’osaient tropseprononcer.Finalement,Antoinemit finà ladiscussionenproposantdecourirjusqu’autempleetdecomparerlesdeuxécritures.Etilfila,suiviparPubliusqui,méfiantdenature,voulaitjugerdesespropresyeux.

    Après leur départ, il y eut dans la pièce un long silence embarrassé. Rufus évitait de regarder sescamarades,et ilcontemplaitd’unairabsentsesorteilsquiémergeaientde lacouverture.Auboutd’unmoment,ilfinitpardemander:

    «Àpropos,pourquoin’êtes-vouspasàl’école?

    —Tonnerre!s’écriaMucius.NousavonsfaillioublierdetedirequeXantippet’avaitpardonné!»

    Rufusrelevalesyeux.

    «Quoi?fit-ilavecstupeur.Ilm’apardonné?Alors,ilneviendrapasvoirmamère?

    —Non,ditJules.Ilaseulementvoulutefairepeur.»

    Rufussemblaitparalyséd’étonnement.

    «Ah!sij’avaissu!…»murmura-t-il.

  • Maislesautresneprirentpasgardeàsaréflexion.EtMuciusreprit:

    «Aprèslesvacances,tupourrasreveniràl’école.

    —Carnoussommesenvacances!lançajoyeusementJules,quientrepritalorsderaconterl’agressiondontXantippeavaitétévictime.

    —Etparquia-t-ilétéattaqué?demandaRufusaucombledelasurprise.

    —C’est trèsmystérieux,ditMucius.Onne lui a voléquequelques livresdemathématiques etdesimages.Riend’autre.»

    Là-dessus il parla à Rufus de leur rencontre avec Claudia, et il le mit au courant des menacesproféréesparlesénateur.Lepauvregarçonfutépouvantéenapprenantquecelui-civoulaitledénonceraupréfetdelaVille.

    «Maisjesuisinnocent!gémit-il.Jevousjurequejesuisinnocent!…»

    À ce moment-là, ils entendirent les pas de leurs camarades qui revenaient. Antoine pénétra encourantdanslapièceetbranditlatablette.

    «J’avaisraison!cria-t-il.C’estlamêmeécriture!

    —Exact!»approuvaPublius.

    MuciussetournaversRufus.

    «Tunousasdoncmenti!gronda-t-il.

    —Maispuisquejevousdisquecen’estpasmoi!»hurlal’autre.

    Puissoudainsesyeuxs’agrandirent,commesiuneidéesurprenantevenaitdeluipasserparl’esprit.

    «Maintenantjecomprends!murmura-t-ild’unevoixsourde.Onaimitémonécriture!

    —Etpourquoiaurait-onfaitça?demandaFlavien.

    —Ehbien,pourfaireretomberlessoupçonssurmoi!

    —Peuvraisemblable,ditJules.Quidoncauraitfaitlecoup?

    —Commentvoulez-vousquejelesache!»

    Muciusfinitpars’impatienter.

    «Allons!assezdebavardages!déclara-t-il.Tudoisfuirauplustôt.Nousavonstrouvéunendroitoùtupourrastecacher.

    —Non,jenefuiraipas!répliquaRufus.Sijefuyais,touslesgenscroiraientquejesuiscoupable.»

    Cette fois, Mucius fut incapable de maîtriser son irritation, et il apostropha violemment soncamarade.

    «Tuescomplètementfou!cria-t-il.Tuveuxpeut-êtrequ’ontetranchelesdeuxmains?Ouqu’ontejettedansleTibre?»

    Sansrépondre,Rufussetournavers lemur,rabattit lacouverturesursatête,et les jeunesgarçonsn’entendirentplusquesessanglotsétouffés.

    «Nousnedemandonsqu’àtecroire,ditalorsJulesavecdouceur.Maisilfaudraitquelefaussaire–àsupposerqu’ilyenaiteuun–aitpuétudiertonécriture.Commentaurait-ilfait?»

    Rufusseredressad’unbonddanssonlit.

    « La tablette ! cria-t-il. La tablette sur laquelle j’avais écrit : “Caïus est un âne”, et que j’avaisaccrochéeaumurdelaclasse!…peut-êtrequelqu’unl’a-t-ilvoléepouravoirunmodèledemonécriture!

    —Onn’avoléàXantippequedeslivresetdesimages»,ditJules.

    LevisagedeRufusserembrunit,maisaumêmeinstantAntoines’écriait:

    «Latabletteavaitdisparucematin!Rappelez-vous!Ellen’étaitplusaumurdelaclasse!»

  • Cettebonnenouvelle,quisemblaitenfaveurdeRufus,réjouittouslesélèves.

    «Retournons immédiatementà l’école,proposaMucius.Si l’onavolé la tablette,c’estqueRufusaraison.Celaprouveraqu’unfaussaireaimitésonécriture.»

    Puis,s’adressantàRufus:

    «Habille-toivite,luidit-il,etsuis-nous.»

    Rufusnebougeapas.

    «C’estquejenepeuxpas!balbutia-t-il.J’ai…j’aiattrapéungrosrhume…»

    Etilfutprisaumêmeinstantd’uneviolentequintedetoux.

    «Aufond,ditJules,il-estpeut-êtreplusprudentqu’ilnesemontrepas.

    —C’estvrai,reconnutMucius.Restelà.Nousnetarderonspasàrevenir.»

    Puislesjeunesgarçonsentassèrentdansuncoinleursaffairesdeclasseetquittèrentlachambre.

    Dèsqu’ilssefurentéloignés,Rufussepenchapourregardersoussonlit,puisils’allongeadenouveauenpoussantunsoupirdesoulagement.

    *

    **

    Xantippe parut surpris de voir revenir ses élèves. Il était couché et lisait. Sa jambe droite étaitentourée de compresses.Dans laminuscule cuisine, une grosse Éthiopienne préparait le déjeuner dumaître.Lorsqu’elleentenditlesenfants,ellepassalatêteàl’angledumuretleurfitunlargesourire.

    «Professeurmalade,pasd’école!dit-elleengloussantderire.PauvreMissié,luibeaucoupmalàsajambe!»

  • Elle roula plusieurs fois des yeux blancs pour exprimer sa compassion, puis elle retourna à sescasseroles.

    «Quemevoulez-vous?»grognaXantippe,mécontentd’êtredérangédanssalecture.

    MuciuslepriadebienvouloirleurremettrelatablettedeRufus.Etcommelemaîtreneparaissaitpascomprendredequoiils’agissait,lejeunegarçonprécisa:

    «NousvoudrionslatablettesurlaquelleRufusavaitécrit:“Caïusestunâne.”

    —Etquevoulez-vousenfaire?demandaXantippesuruntonsoupçonneux.

    —Rufusvoudraitlarécupérerpourladétruire,réponditMucius,enmentanteffrontément.Ilahontedecequ’ilafait.»

    Encoursderoute,lesélèvesavaientdécidédenepasparleràXantippedelaprofanationdutemple,carilscraignaientquecelaneranimâtlacolèredumaîtrecontreRufus.

    «Ah ! ah ! fit Xantippe tout réjoui. Il a honte, ce garnement ? Eh bien, ce n’est pas trop tôt ! Satablettedoitsetrouverdanscebahut,là-bas.

    —N’est-elleplusaumurdelaclasse?»demandaJulesd’unpetitairinnocent.IlvoulaitseulementsavoirpourquelleraisonXantippel’avaitenlevée.

    «Non,ditlemaître.Detellesstupiditésn’ontrienàfairesurlesmursdemonécole.Jel’aijetéehiersoir dans ce bahut, et vous l’y avez remise avec les autres, tout à l’heure, quand vous avez rangé lapièce.»

    Les élèves se précipitèrent sur le bahut, le fouillèrent de fond en comble, mais sans retrouver latablette.

    «Elleadisparu!annonçaMuciusquijubilaitintérieurement.

    —C’estquevousavezdûlarangerailleurs!grondaXantippe.Celanem’étonnepasdevous:pasdediscipline,pasd’ordre!»

    Lesjeunesgarçonscherchèrentencorelatablettependantunbonmoment,sansplusdesuccès.

    «Levoleuradûlaprendre,ditalorsMucius.

    —Drôledevoleur!fitlemaîtreavecsurprise.Ilnetirerapasunsoudecettetablette!Décidément,toutecetteaffaireestbienbizarre!»

    Etilrepritsalecture,sansplussesoucierdesélèves.Ceux-ciallaientquitterlapiècelorsqueMuciusaperçut quelque chose de brillant sous l’armoire. Il se baissa et ramassa une courte chaîne d’or, trèsépaisse,quiportaituneplaquetted’oràuneextrémité,etàl’autreuncrochetdistordu.IlallalaprésenteràXantippe.

    «Est-ceàtoi?luidemanda-t-il.

    —Non»,ditlemaître,quiexaminalachaîneenréfléchissant.Puisileutsoudainunpetitriresec,etilajouta:«Maisjecroisdevineràquicettechaîneappartient.

    —Àquidonc?

    —Elleappartientauvoleur!»

  • 7

    «Maintenant,jemesouviens,repritXantippe.Quandj’aivoulusaisirmonagresseuràlagorge,j’aiattrapéquelque chosededurqui a claqué sousmesdoigts.Cedevait être cette chaînequi, ensuite, aglissésousl’armoire.»

    Ilobservaattentivementlachaîne,puispoursuivit:

    «Onporteceschaînes-làaucold’unmanteaudepluiepourlefermerautourducou.Regardez!Elleétaitcousueaucolparcettepetiteplaque,caronaperçoitencoredesbrinsdelainedanslestrous.Ildoityavoirsurlemanteauuneautreplaquettequiporteunanneau.Quandj’aitirésurlachaîne,lecrochetacédéetilestsortidel’anneau.

    —Etquesignifientcesdrôlesdesignes?demandaAntoineentouchantdudoigtlaplaquetted’or.

    —Cesontdeshyéroglyphes,réponditlemaître,l’écrituredel’ancienneÉgypte.

    —Nousn’avonsqu’àdécouvriràquiappartient la chaîne, etnousaurons trouvé levoleur ! s’écriaMucius.

    —Ridicule!ditXantippe.Romecompteundemi-milliond’habitants,etilestimpossiblederetrouverlemanteausurlequelétaitcousuelachaîne.Garde-la,jet’enfaiscadeau.»

    Tout heureux de l’aubaine,Mucius fourra la chaîne dans sa poche. Là-dessus, la Négresse fit sonapparitionenapportantdeslingesmouilléspourrenouvelerlescompressesautourdelajambedublessé,etXantipperenvoyaalorslesécoliers.

    Surlecheminduretour,lorsqu’ilspassèrentauprèsdugrandcadransolaireduForum,ilsvirentquelatroisièmeheuredujouravaitdéjàcommencé.

    «Dépêchons-nous!ditJules.Rufusdoitterriblements’inquiéter.

    —Ilattendra,répliquaMucius.Auparavant,ilnousfautallervoirVinicius.»

    Etcommelesautresneparaissaientguèreenthousiasmésparcetteidée,ilajouta:

    «Lapremièrechoseà faire,c’estde l’empêcherd’aller trouver lepréfetde laVille.Nous luidironsqu’unfaussaireaimitél’écrituredeRufusetquenotrecamaradeestinnocent.

    —Nousn’avonsaucunepreuve!»objectaPublius.

    MaisMuciusavaitdéjàréfléchiàlaquestion.

    «Viniciusaétéjugedansletemps,expliqua-t-ilàsesamis.Nousluiapporteronslasecondetablettesur laquelleRufusaécrit : “Caïusestunâne”etnous luidemanderonsdecomparersonécritureaveccelledel’inscription.Ilpourraainsiconstaterqu’ils’agitd’unfaux.»

    Cetteidéeleurparutexcellenteàtous.MuciuschargeaPublius,quiétaituntrèsboncoureur,d’allerchercherlatablettedeRufus,etluidonnarendez-vousdevantlavilladeVinicius.Trèsflattéd’avoirétépriéd’assumercetteimportantemission,Publiusfilacommeuneflèche.

    Entre-temps, leForum s’était animé. Il s’en élevait une rumeur semblable à celle qui emplissait leGrand Cirque les jours de courses de chars. Partout, on apercevait des groupes de citoyens quidiscutaient.Leurslonguestogessegonflaientauvent.

    Près du lourd bâtiment des archives municipales, un groupe plus important s’était rassemblé. Lacuriosité des gamins futmise en éveil, et ils fendirent la foule pour passer au premier rang.Mais ilsfurentdéçus,cariln’yavaitriend’autreàvoirquelejournalmuraldumatin.Surdegrandspanneaux,on venait d’afficher les dernières nouvelles, et les gens accouraient de tous côtés pour en prendreconnaissance.

    Danslestoutpremiersrangs,ilyavaituncertainnombred’esclavesfortbienvêtus,lescopistesdesrichespatriciens,quinotaientlesnouvellessurdesplaquettesdecirepourlesrapporteràleursmaîtres.

    Lesjeunesgarçonsallaients’éloignerlorsqueMuciussefigeasurplaceetcontemplafixementl’undespanneaux.

    «Regardez!souffla-t-ilauxautres.IlestquestiondutempledeMinerve!

    —Oùdonc?demandaFlavien.

    —Chut!passifort!fitMuciusentresesdents.Là.Aumilieudesautresnouvelles,surletroisièmepanneau!»

    Commelesinformationsétaientécritesencaractèresassezpetits,lestroisécoliersmirentunmoment

  • avantdedécouvrirlanouvelle.Puis,aveceffroi,ilslurentleslignessuivantes:

    Cettenuit,uneinsolentemainenfantineaprofanéletempledeMinerveconsacréànotreempereur.Surlemurorientaldusanctuaire,onainscrit,àlapeinturerouge:«Caïusestunâne.»Cetacteimpiene peutmanquer de susciter la plus vive indignation parmi tous nos honorables concitoyens. Il estgrand temps que les autorités responsables prennent d’énergiques mesures pour combattre lalamentablementalitédelajeunessed’aujourd’hui.Commecetempleestsituéjusteenfacedelavilladurespectable sénateur Vinicius, nous ne pensons pas nous tromper en supposant que l’inscriptioninjurieuse est dirigée contre son fils Caïus. Le jeune Vinicius étant un élève de l’École Xanthos, nefaudrait-ilpaschercherlecoupableparmisescondisciples?Neseserait-ilpasdisputétoutrécemmentavecl’und’eux?Nousespéronsquelesénateurobtiendrasanstarderdesonjeunefilsdesindicationsquiluipermettrontdedémasquerlecoupableetdelivrercelui-ciàlajustice.L’opinionpubliqueneserasatisfaitequelorsquecejeunecriminelaurasubiunjustechâtiment.

    UNFERVENTADMIRATEURDEL’EMPEREUR.

  • 8

    Les jeunes garçons regardèrent craintivement autour d’eux, mais, par bonheur, les gens neremarquèrentpasquedesélèvesdel’ÉcoleXanthossetrouvaientdansleursrangs.

    «S’ilsnousreconnaissent,ilsvontnousmettreenpièces!»murmuraAntoined’unevoixétranglée.

    Flavienpâlitetsefitlepluspetitpossible.

    «Suivez-moi!»chuchotaMucius.

    Puis,toutensifflotantd’unairinnocent,ilsedirigeaversl’escalierdemarbre,gravitlesmarchesetpénétra sous le péristyle. Les autres firent de même. Dès qu’ils furent à l’abri, ils filèrent comme deslièvres jusqu’à l’autreextrémitéde lacolonnade,descendirent lesmarchesquatreàquatreet firentungranddétourpouréviterlecentreduForum.Cefutseulementlorsqu’ilsarrivèrentdanslaruelledelaSuburequ’ilssesentirentquelquepeurassurésetralentirentleurallure.

    «Avez-vousvulesesclavesquicopiaientlesnouvelles?demandaAntoineavecunpetitrire.BientôtlavilleentièresauraqueCaïusestunâne!

    —IldevaityavoirparmieuxlescopistesdeVinicius,ditFlavien,trèsinquiet.

    —Maistrèscertainement!réponditMucius.Ilfautlesdevancer.Allons!Vite!»

    Etilseremitàcourir.

    PubliuslesattendaitdevantlavilladeVinicius.

    «Maparole!s’écriaMucius.TuesunvraicoureurdeMarathon!

    —Peuh!jenemesuispourtantpaspressé!réponditPubliusquireprenaitpéniblementsonsouffle.

    —Qu’aditRufuslorsqu’ilasucequenouscomptionsfaire?

    —Ildormait.J’aiprislatabletteetsuisvenuimmédiatementici.»

    Muciustiral’anneaudebronzefixésurlaported’entrée,etunrobusteportiervintleurouvrir.Ilavaitl’allured’unanciengladiateur.

    «Quevoulez-vous?demanda-t-il.

    —Nousdésironsparlerausénateur,réponditMucius.

    —Alors,quoi?grognal’homme.Vousvousfigurezqu’ilreçoitn’importequi?Quiêtes-vous?

    —Desélèvesdel’ÉcoleXanthos.»

    Celan’impressionnaguèreleportier.

    «Oh!oh!fit-il.Ça,c’estformidable!Notremaîtreseracertainementtrèsflatté.Est-cequevousavezrendez-vousaveclui?

    —C’estinutile,ilnousconnaît,répliquaMucius.NousvenonsàcausedeRufus.

    —Tiens!tiens!EtquiestdoncceRufus?

    —Rufusestnotreami.C’estlefilsdugénéralPraetonius»,réponditfièrementlejeunegarçon.

    Leportiersegrattalatête,parutréfléchir.

    «MarcusPraetonius?répéta-t-il.Ah!ah…N’est-cepascegénéralquivientdesefairebattreparlesGaulois?

    —Onnepeutpaslereprocheràsonfils!protestaMucius,blessé.

    —Voulez-vousfiler,bandedegalopins!»crial’hommeententantderepousserlaporte.

    Mais, par chance, au même instant, Claudia apparaissait avec l’une de ses gouvernantes dans levestibuled’entrée.

    «Claudia!appelaMucius.Viensànotreaide!Ilneveutpasnouslaisserentrer!»

    Claudiaaccourutaussitôtetordonnaauportierdelivrerpassageauxjeunesgarçons.

    «Cesontmesamis»,ajouta-t-elle.

    Leportiersefittoutaimable.Ilouvritlargementlaporteencriant:

    «Lepieddroitd’abord,s’ilvousplaît!»

    Onpensaiteneffetquecelaportaitmalheurdepénétrerdupiedgauchedansunemaison.

  • Claudia était fort élégante. Elle avait revêtu une tunique rose flamant garnie de broderiesmulticolores,etsespiedsétaientchaussésdejoliessandalesdesoie.

    «Nousnevenonspaspourjouer,luiditgravementMucius.Nousvoudrionsvoirtonpère,carnousavonsmaintenantlapreuvequeRufusestinnocent.

    —Oh!tantmieux!s’écrialafilletteravieenbattantdesmains.Enlevezvossandalesetsuivez-moi.»

    Lesjeunesgarçonsôtèrentrapidementleurssandales,puis,aprèsavoirlancéunregardtriomphantaucerbère,ilspénétrèrentaveclafillettedansunvasteatrium.Claudialesylaissapendantqu’elleallaitprévenirsonpèredeleurvisite.

    Dèsqu’elleeutdisparu,lesenfantsremirentenordrelesplisdeleurstogesets’observèrentlesunslesautresd’unœilcritiqueafindevoirsileurtenueétaitassezconvenablepourrendrevisiteàunsénateur.

    Flavien s’approcha du jet d’eau qui dansait dans une vasque au milieu de l’atrium, il mouilla sesmainsetselespassasurlescheveux.Lesautressuivirentsonexemple.

    «Bonjour!»criasoudainunevoixderrièreeux.

    IlsseretournèrentetaperçurententredeuxcolonnesCaïusquileursouriaitd’unairembarrassé.

    «Quefaites-vouslà?»repritCaïussuruntond’enjouementquisonnaitfaux.

    Lesgaminssecontentèrentdeluilancerdesregardshostiles.

    «Alors,quoi?Vousêtesmuets?»insistaCaïus.

    Nul ne lui répondit. Alors Caïus rougit de colère, haussa les épaules et, en grommelant : « Banded’idiots!»,iltournalestalonsetdisparut.

    «Iladûcomprendrequenousétionsfâchésaveclui,déclaraFlavien,trèssatisfait.

    —Etcen’estpasfini!grondaMucius.Nousavonsuncompteàrégler!

    —Nousdevrionsl’attirerdansnotrecaverneetl’yenfermer»,suggéraAntoine.

    Justeàcemoment,Claudiaécartalespansd’unrideauetlesappela:

    «Venezvite!Monpèrevousattend!»

    Les jeunes garçons accoururent, et Claudia les fit entrer dans une vaste salle magnifiquementaménagée.Lesolétaitrecouvertd’épaistapis,etdetouscôtésl’onvoyaitdelargeslitstendusdesoie.Lesmursétaientornésdefresquesauxvivescouleurs.

    Claudialeurmontrauneporteencadréepardeuxstatuesdemarbre.

    «Monpèreestlà,dit-elle.Entrez!

    —Dequellehumeurest-il?demandaprudemmentAntoine.

    —Jen’en sais trop rien, reconnut la fillette. Jene lui ai parléqu’à travers laporte, et il avait l’airplutôtgrognon.Auriez-vouspeurdelui?

    —Biensûrquenon!»protestaMucius,vexé.

    Cequinel’empêchapasderegarderducôtédelaporteavecunpeud’inquiétude.

    «Alors,entrez!ditClaudia.Ilnevousmangerapas.»

    Muciuspoussalaporteetentra.

    Le sénateur était étendu sur une table de marbre et se faisait masser le dos par deux esclaves. Ilsoulevalatêteetdemandarudement:

    «Ehbien,quemevoulez-vous?»

    Sescheveuxblancdeneigeetsesgrossourcilscharbonneuxfaisaientuncurieuxcontraste.Sanssesoucier des nouveaux venus, les esclaves continuaient à marteler son dos adipeux du tranchant de lamain.

    «NousvenonstevoiràcausedeRufus»,ditMucius.

    Lesénateurluilançaunregardmenaçant.

    « Si vous avez l’intention de me raconter des mensonges, dit-il, je vous conseille de filer au plusvite!»

    Bienqu’ilfûtfâcheusementimpressionnéparcemauvaisdébut,Muciusrepritd’unevoixferme:

    «NoussommeslesamisdeRufus,etnousfréquentonscommeluil’ÉcoleXanthos…

    —Ça,jelesais!interrompitlesénateur.EtpourquoiRufusn’est-ilpasvenuavecvous?

    —Ilestmalade.

    — Allons donc ! grogna Vinicius. Dites plutôt qu’il se cache parce qu’il n’a pas la consciencetranquille!

    —Rufusestinnocent!affirmaMucius.Nousenmettrionsnotremainaufeu.»

  • Lesénateurseredressa.Ilécartad’ungestelesdeuxesclaves.

    «Jeunesgens,dit-il,libreàvousdevousbrûlerlesdoigtsdanscetteaffaire.Maissivousessayezdetrouverdesexcusesàvotreami,vousperdezvotretempsauprèsdemoi!»

    Là-dessus, il se fitdonnerunetunique, l’endossa,puis,malgrésacorpulence, il sautaagilementaubasde la table. Il sebaissa, ramassasur le solunpaquetde tablettesdecireet lesmit sous lenezdeMucius.

    « Voilà le journal, dit-il. Mon copiste vient de me l’apporter. Toute la ville est au courant de laprofanationdutemple.Onattenddemoiquejedémasquelecoupableetquejelelivreauxautorités.Dece pas, je me rends chez le préfet de la Ville pour dénoncer Rufus. Il a grandement offensé notreempereurbien-aimé,etildoitexpiersafaute.Jenepuisagirautrement,bienquePraetoniussoitmonami.

    —Rufusnousajuréqu’ilétaitinnocent!protestaMucius.

    —Ehbien,c’estunparjure.Caïusm’aaffirméqu’ilreconnaissaitsonécriture,etmonfilsn’estpasunmenteur.

    —Onaimitésonécriture!ditMucius.Nousenavonslapreuve!»

    EtilparlaausénateurduvoldelatablettechezXantippe.Àsontour,Antoineintervint,etilprésentaàViniciuslatablettequePubliusétaitalléchercherchezleurami.

    Lesénateurlacontemplaavecstupéfaction.

    «Comment!s’écria-t-il.Cegarnementaencoreécrit là-dessus :“Caïusestunâne.”Maisc’estuneobsession!

    —Nous luiavonsditde le faire, sehâtad’expliquerMucius.Celanouspermettradecomparersonécritureaveccelledel’inscription.

    —Bon,bon,grommelaVinicius.Etquidonc,d’aprèsvous,auraitimitésonécriture?

    —Nousn’ensavonsrien.Maiscommetuasétéjugedansletemps,nousavonspenséquetupourraiscomparerlesdeuxécrituresetvoirs’ils’agitd’unfaux.»

    Lesénateur restaun longmomentsilencieux. Il s’étaitattenduà toutessortesdemensonges,maiscette idéed’unfaussaire imitant l’écrituredeRufusétaitsisurprenantequ’ilnecroyaitpas lesenfantscapablesdel’avoirlancéeauhasard.Ils’approchadelafenêtreetcontemplaalternativementlatablettedecireetletemple.

    «Jetrouvepourtantquecesdeuxécrituresseressemblentfortement!dit-ilenfin.

    —C’estasseznormal,répliquaPubliusavecunpetitrire.Puisquel’uneestlacopiedel’autre!»

    Vinicius fit demi-tour, se plaça devant les jeunes garçons et les observa avec sympathie. Il étaitimpressionné par le fait qu’ils eussent pris aussi virilement la défense de leur camarade. Et leursargumentsméritaienttoutdemêmequ’onlesexaminât.

    «Bon!dit-il.Jevaisvousdonnerunechance.»

    Ilsetournaversunesclavequipendanttoutecetteconversationétaitrestédeboutaufonddelapièce.

    « Sulpicius, dit-il, tu vas faire un saut jusque chez Scribonus et tu lui demanderas de venirimmédiatement ici. S’il était déjà à la Bibliothèque d’Apollon, tu prendrais une litière et tu leramènerais.»

    L’esclavesortitdelasalle.Viniciuss’assitetinvitalesjeunesgarçonsàfairedemême.

    «Scribonus,leurexpliqua-t-il,estledirecteurdelaBibliothèqued’Apollon.C’estlemeilleurexpertenécrituredeRome.S’ilditqu’ils’agitd’unfaux,nouspourronslecroire.Maiss’ilditlecontraire…

    —C’estunfaux!»affirmaMucius.

    Lesénateureutunlégersourire.

    «Attendons,dit-il.Nousverronsbien.»

    Lesélèvessesentaientmaintenantrassurés.Vimciuslesinterrogeasurleursparents,leurécole;puisil leur demanda ce qu’ils comptaient faire plus tard, et il conversa familièrement avec eux jusqu’àl’arrivéedeScribonus.

    C’était un petit homme âgé qui portait une longue barbe grise. Vêtu d’une tunique crasseuse quin’avaitpasdûalleraublanchissagedepuisbienlongtemps,ilavaitl’aird’unmendiant,maislesénateurlesaluapourtantavectouteslesmarquesd’unprofondrespect.

    «Jeteremercied’avoirbienvouluvenir»,luidit-il.

    Etilentrepritdeluiexpliquercequ’ilattendaitdelui.Scribonussefitremettrelatablette,l’approchadesesyeuxetdemandasuruntongrognon:

    «Caïusestunâne?QuidoncestceCaïus?

  • —C’estmonfils!grondalesénateurdontlamines’assombrit.

    —C’estbiencequejepensais»,répliquatranquillementScribonus.

    Ilexaminaencorelatablette,puisdéclara:

    «Cesmotsontétéécritsparunjeunegarçond’unedouzained’années.Écritureencoregauche,maisdéjàbiencaractérisée.Oùdoncsetrouvelefauxenquestion?

    —Là-bas,surlemurdutemple»,ditViniciusenfaisantungesteverslafenêtre.

    Scribonuss’approchadelafenêtre,maisilfitaussitôtdemi-tour.

    «C’estbeaucouptroploinpourmoi,grogna-t-il.Jesuismyope.Allonsvoircelasurplace.»

    Et il quitta lapièce, suiviparVinicius et les jeunesgarçons.Lorsqu’ilspassèrentdans le vestibule,Claudia se joignitàeux.Quelques instantsplus tard, ils se trouvaient tous réunisdevant le templedeMinerve.Scribonusétudiaunenouvellefoislatablette,puisils’approchadumur,aupointquesonnezletouchaitpresque,etilexaminalonguement,sansmotdire,lesgrosseslettrespeintesenrouge.

    « La partie supérieure des deux A est emplie de peinture, constata-t-il. Mais cela ne peut metromper.»

    Lesécoliersretenaientleursouffleenattendantlasentencedel’expert.

    Scribonus prit son temps. Il tira de sa poche un grand mouchoir à carreaux et se mouchalonguement ; encore une fois il regarda la tablette de cire, puis le mur ; enfin, après avoir toussoté àplusieursreprisesd’unairimportant,ildéclara:

    «Ilnes’agitnullementd’unfaux.C’estlamêmeécriture.»

  • 9

    Indigné,Viniciusseretournaverslesjeunesgarçonsetleurcriad’unevoixmenaçante:

    «Amenez-moiimmédiatementvotreRufus!j’aideuxmotsàluidire!»

    PuisilremerciaScribonusdes’êtredérangé,pritsafilleparlamainetrentraavecelledanslamaison.

    Scribonus glissa la tablette dans lamain de Jules et s’éloigna. Les gamins le suivirent d’un regardvengeur.

    «Ilnemanquaitplusqueça!soupiraPublius.

    —Oui,murmuraMucius.Rufusnousadoncmenti!J’auraispourtantjuréqu’ilnousdisaitlavérité!

    —Àquoibondiscuter?ditàsontourJules.Lesortenestjeté.Scribonusnousaportélecoupmortel.Jevoisl’avenirdecepauvreRufussousunjourbiensombre!

    —Peut-êtreaura-t-illetempsdefuir?ditFlavien.

    —Troptard!réponditMucius.D’ailleursilneveutpasfuir.Ilnenousresteplusqu’àallerlechercherpourl’amenerausénateur.»

    Cettefois,ilsétaientbeaucoupmoinspressés,etilsmarchaientsilentementqu’illeurfallutunlongquart d’heure pour arriver devant la maison de Praetonius. Le vieil esclave qui leur ouvrit avaitmaintenantlevisagepâleetdéfait.

    «Je suisheureuxquevous soyez revenus, leurdit-ild’unevoix tremblante.Mamaîtressevoudraitvousvoir.Entrezvite!Unterriblemalheurestarrivé…»

    Lesécolierséprouvèrentunesensationdésagréableaucreuxdel’estomac.Ilsétaientsitroublésqu’ilsenoublièrentderetirerleurssandales,commel’exigeaitl’usage.Unefoisdanslagrandesallecommune,ilsrestèrentindécis,groupésauprèsdelaporte.

    Parl’ouverturedutoit, lesrayonsdusoleilmatinaltombaientsurunpetitauteldomestique,dressédansuncoindelapièce,etornédefleursprintanières.Unchatdormaitsurunlit.Toutceladonnaitunetelle impression de paix que les enfants furent sur le point de croire que le vieillard avait vouluplaisanter.

    Mais ils aperçurent alors Livia, la mère de leur ami. Assise dans un fauteuil, elle pleuraitsilencieusement,etplusieursesclavessetenaientàcôtéd’elleavecdesvisagesconsternés.LorsqueLiviavitlesjeunesgarçons,elleseleva,séchaseslarmesavecunpetitmouchoiretvintàleurrencontre.

    «Onvientd’arrêterRufus!»murmura-t-elled’unevoixbrisée.

    Atterrésparcettenouvelle,lesécoliersnesurentquedire.

    «Onprétendqu’ilaprofanéuntemple!repritLivia.Ilyaunmoment,unofficieretdeuxsoldatssontvenusl’arrêterpourleconduireenprison.Rufusétaitdanssachambre,maisquandilaentenduquel’onparlaitdelui,ilestrentrédanscettepièce,enroulédanssacouverture.“Quesepasse-t-il,mère?”m’a-t-ildemandé.L’officierluiaposélamainsurl’épauleendisant:“Tuasgravementoffensénotreempereur.Jetemetsenétatd’arrestation!”Rufuss’estdégagé,ilacouruversmoiencriant:“Jetejurequecen’estpasmoi!”Maisl’officierabrandisonglaiveetluiaordonnédesetaire.Puislesdeuxsoldatssesontjetéssurluietl’ontemmené,sansmêmeluipermettredepassersesvêtements.Maisilestinnocent,n’est-cepas?Jesuissûrequ’ilestinnocent!…»

    Très embarrassés, les écoliers détournèrent les yeux, et ne répondirent pas. Finalement, Muciusmurmura:

    «Nousl’avonscruinnocent,nousaussi…»

    Livialuilançaunregardreconnaissant.

    «J’aiapprisquevousétiezdéjàvenusicicematin,poursuivit-elle.Maispourquoin’étiez-vouspasàl’école?Quesignifietoutcela?»

    Muciusentrepritalorsdeluifairelerécitdesévénementsquis’étaientdéroulésdepuislaveille.Livial’écoutaavecétonnement,puisdit:

    «IlestcertainqueRufuss’esttrèsmalconduitàl’école,maisCaïusn’auraitpasdûl’offenser.IlsaitqueRufusadoresonpèreetqu’ilaétébouleverséparladéfaitequ’ilasubieenGaule.JecomprendstrèsbienquemonfilssoitentrédansunetellecolèrecontreCaïus.Cen’estpaspourcelaqu’ilauraitsongéàprofanerun temple !S’il avaitvoulu tracerune inscriptionsur laplacedeMinerve, il aurait choisiunautremur!

  • —Moi,ditAntoine,j’auraisécritçajusteenface:surlavilladeVinicius!

    — Il y a une chose que je ne comprends pas, reprit Livia. Vous venez deme dire que le sénateurdésiraitparleràRufus.S’est-ildéjàrenduchezlepréfetdelaVille?

    —Non,réponditfièrementMucius.Nousl’enavonsempêché.

    —Alorscommentsefait-ilqueRufusaitétéarrêté?»

    Les écoliers furent frappés par la justesse de cette remarque. Livia avait raison ! Il fallait quequelqu’und’autreeûtdénoncéRufus.Maisqui?

    «C’estpeut-êtreCaïus,suggéraPublius.Ilauraeuunmouvementdecolère…

    —Impossible !dit Jules.Caïus savaitque sonpère comptait ledénoncer lui-même.Quepouvait-ilsouhaiterdemieux,commevengeance,quedevoirsonpère,lecélèbresénateur,serendreenpersonnechezlepréfet?D’ailleurslepréfetnelanceraitpasunmandatd’arrêtsurunedénonciationvenantd’ungamin.

    — Peut-être est-ce l’intendant de Vinicius, ou bien le précepteur de Caïus ? proposa à son tourFlavien.Ilssavaienteuxaussiquel’onsoupçonnaitRufus.»

    MaisJulesavaitréponseàtout:

    «C’estégalementimpossible,carcesontdesesclaves,etlesesclavesn’ontpasledroitdetémoignercontreuncitoyenromain.Ilsn’auraientd’ailleurspasosédevancerleurmaître.

    —Ilfautpourtantquecesoitquelqu’un!»s’écriaMucius.

    Publiushaussalesépaules.

    «Laréponseestbiensimple,dit-iltranquillement.Onl’avufaire.

    —Qu’a-t-onvufaire?»demandaJules,toutenlançantàPubliusdesclinsd’œildésespéréspourqu’iltîntsalangue.

    MaisPubliusnecompritpas,etilreprit:

    «Quelqu’unadûvoirRufusentraind’écrire:“Caïusestunâne”surletemple.»

    Liviatressaillitetluijetaunregardeffrayé.

    «VouscroyezdoncqueRufusestcoupable?»demanda-t-elled’unevoixanxieuse.

    Embarrassé,Publiusn’osapasrépondre.

    «Ehbien,vousvoustrompez!affirmaLivia.Monfilsm’ajuréqu’ilétaitinnocent,etilnem’ajamaismenti !D’ailleurs,quandaurait-ilpu tracercette inscription?Vousm’avezditque le templeavaitétéprofanéverslacinquièmeheuredelanuit.Est-ceexact?

    —Oui,ditJules.Lesveilleursdenuitontaffirméqu’ilsn’avaientrienvuavantlacinquièmeheure,maisquandnousavonsdécouvertl’inscription,aumatin,lapeintureétaitdéjàsèche.Elleadoncdûêtretracéeentrelacinquièmeetlasixièmeheure.

    —Ah!vousvoyezbien!s’écriaLivia.IlestabsolumentimpossiblequeRufussoitsortiaucoursdelanuit:laported’entréeestsurveilléeparungardien,etiln’auraitpupasserparlesfenêtresquisonttropétroites,nifranchirlemurdujardin.

    —Peut-êtresonprécepteurRompusl’a-t-illaissésortirencachette?suggéraJules.

    —Non, dit Livia avecdécision. J’ai toute confiance enRompus. Il nous est entièrementdévoué etnousnepouvonssouhaiterdemeilleurprécepteurpournotrefils.Malheureusement,iln’estpaslàpourl’instant, car j’aidû l’envoyer chercherdesherbesmédicinales chezunmédecinquihabiteau-delàduTibre.Maisjel’interrogeraidèssonretour.»

    PuisLiviasetut.Elleparaissaitàboutdeforces,etlesjeunesgarçonscomprirentqu’ilsdevaientseretirer.

    «Pouvons-nousallerreprendrenosaffairesdeclassedanslachambredeRufus?»demandaJules.

    Liviaacquiesçad’unsignedetête,etlesécolierspassèrentdanslachambredeleurami.IlsallaientsortirlorsqueMuciussesouvintdesalanternequeRufusavaitemportéeparmégarde.Illacherchaduregard.

    LachambredeRufusétaitaménagéeavecunesimplicitétoutespartiate.Au-dessusdesonlit,placécontre lemur, ilavaitaccrochéleportraitdesonpèreenuniformedegénéral.Contre l’autremur, ilyavaitunepetitetable,unescabeauetunrayonpoursesaffairesdeclasseetsesjouets.Pasd’armoire.Sesvêtementsétaientsuspendusàdesclous.

    «Quecherches-tu?demandaJules.

    —Malanterne,réponditMucius.Hiersoir,Rufusl’aprisepourlasienne.C’estunejolielanterne,etmonnomestgravédessus.Jemeferaiattraperàlamaisonsil’ons’aperçoitquejenel’aiplus.

    —Jevaistelatrouver»,ditAntoinequisemitàfureterdanslescoins.

  • Àcemoment,Liviasoulevalerideaudelaporte.

    «Tiens!fit-elle.Vousêtesencorelà?

    —Jevoudraismalanterne,ditMucius.Je…jel’avaisprêtéeàRufusetjevoudraislareprendre.

    —Elledoitêtresurlerayon,danssesaffaires.»

    Muciusexaminalerayon,maisiln’ytrouvaqueleslivresdeRufus,sestablettes,unetoupie,quelquessoldatsdeboisetunetirelire.

    Publiuspritlatirelireetlasecoua.

    «Elleestvide!dit-ilavecsurprise.Ilmedisaitpourtant,hier,qu’ilavaitdeséconomies.»

    Pendant ce temps, Antoine s’était glissé sous le lit, et on le vit ressortir en tirant un ballot