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LA TERREUR

INVISIBLE

SÉRIE « SF Jimmy GUIEU »

Déjà parus

Ne 1 - Au-delà de l'infini N° 2 - Les monstres du néant N° 3 - L'invasion de la Terre Ne 4 - Les Êtres de feu N° 5 - Hantise sur le monde N° 6 - Convulsions solaires N° 7 - L'univers vivant N° 8 - Réseau dinosaure N° 9 - La Dimension X N° 10 - Chasseurs d'hommes N° 11 - La spirale du temps N° 12 - Nous les Martiens N° 13 - Le monde oublié N° 14 - Mission « T » N° 15 - L'homme de l'espace N° 16 - L'Ere des Biocybs N° 17 - Opération Aphrodite N° 18 - Expérimental X-35 N° 19 - Commandos de l'espace N° 20 - Planète en péril Ne 21 - L'Agonie du verre N° 22 - Univers Parallèles N° 23 - La Grande Epouvante N° 24 - Nos Ancêtres de l'Avenir N° 25 - L'Invisible Alliance Ne 26 - Prisonniers du Passé

Ne 27 - Piège dans l'Espace N° 28 - Les Portes de Thulé N° 29 - Le Secret des Tshengz N° 30 - Refuge Cosmique N° 31 - Demain l'apocalypse N° 32 - Les Destructeurs N° 33 - Les Forbans de l'Espace N° 34 - La mort de la Vie N° 35 - Joklun-N'Ghar la maudite N° 36 - Le Règne des Mutants Ne 37 - Traquenard sur Kenndor N° 38 - Cité Noé N° 39 - Le Grand Mythe Ne 40 - Les Orgues de Satan N° 41 - Expédition cosmique Ne 42 - Les Cristaux de Capella Ne 43 - Les Maîtres de la Galaxie N° 44 - Opération Ozma N° 45 - Les Rescapés du néant N° 46 - L'Exilé de Xantar Ne 47 - L'Age noir de la Terre N° 48 - Le Retour des dieux Ne 49 - Les pièges de Koondra N° 50 - Les sept sceaux du cos- mos N° 51 - Les Fugitifs de Zwolna

science fiction

J I M M Y G U I E U Grand Prix du Roman Science-Fiction 1954

Prix du Roman Esotérique 1969 Grand Prix du Roman S.F. Claude Auvray 1973

LA T E R R E U R

INVISIBLE

Plon

Remanié par l'Auteur, ce roman est la vivante adaptation de l'ouvrage paru sous le même titre, en 1968 dans la Collection « Anticipation » des Editions Fleuve Noir.

Illustration de couver ture : Dominique-Pieri Lacombe

La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'Article 41, d'une part, que les copies ou reproductions strictement réservés à l' usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d 'illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alinéa 1 de l'Article 4 0 ) .

Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, oonstituerait donc une oontrefaçon sanctionnée par les Articles 425 et suivants du Code pénal.

© Éditions Fleuve Noir, 1968 © Plon - GECEP - Fleuve Noir 1986 pour la présente édition

ISBN 2-259-01390-2

ISSN 0-242-3715

A Éric CHARDEN et STONE, passionnés de Science-Fiction, d'étrange et de fantastique;

En souvenir d'une nuit hantée par les Banshees, les goules et les vampires...

En toute amitié.

JG

AVERTISSEMENT

L'auteur tient à préciser qu'en dépit de certaines références à des événements réels, les personnages et la trame de ce roman relèvent de la seule fiction.

JG.

CHAPITRE PREMIER

Fréquenté par la gent féminine de la haute société, l'Institut de Bioesthétique et de Capillicul- ture Fernandez, rue de la Paix, offrait à sa clientèle choisie une ambiance de luxe et de relaxation particulièrement appréciée. Outre le « génie » de son maître coiffeur, la qualité de ses manucures et autres esthéticiennes, l'épouse d'un ministre ou d'un diplomate savait pouvoir y côtoyer les vedettes en renom sans encourir le risque de se commettre avec une dame de petite vertu.

Ouverte par le portier à l'uniforme chamarré, la porte en verre incrustée de motifs stylisés livra passage à une jeune femme brune, très élégante dans un tailleur tabac. Remerciant le cerbère d'un sourire machinal, elle se débarrassa du fourre-tout en cuir suspendu à son épaule et le tendit à la jeune fille en blouse blanche venue l'accueillir :

- Mon nom est Régine Véran; j'avais rendez-vous à seize heures, mais je suis un peu en retard... et pressée à la fois.

Venant à sa rencontre dans un nuage de parfum, le cheveu gomminé, pommadé, la paupière papillo-

tante, le señor Fernandez - l'esthète en capillicul- ture - s'inclina, la bouche en « oviducte » et le petit doigt en l'air :

- Qué c'est touzour oune plaisir, madémoiselle Vérann', dè vous récévoir cé moi. Zé vous prends dans oune minoute. Véillez accepter en attendant oune raffraîcissément, des gâteaux secs. Lé temps d'achéver madama la comtesse dé la Tour Padroy et zé souis à vous.

- Achevez-la, mon cher, mais ne la faites pas souffrir! sourit la jeune femme en se laissant choir dans l'un des fauteuils, profonds et confortables, du salon d'attente.

L'esthète - qui avait acueilli la boutade avec un gloussement de dindon - s'inclina derechef et s'en fut, en ondulant mignardement des hanches.

Régine Véran secoua doucement la tête, amusée par l'allure équivoque de Fernandez. Une hôtesse roula vers elle un petit bar avec, sur un plateau d'argent, une pyramide de gâteaux secs. Régine opta pour un Old Parr; tandis que la blonde hôtesse ajoutait de la glace au whisky, la journaliste laissa errer son regard, à travers la porte vitrée du salon, sur la rangée de clientes qui, sous le casque, pre- naient leur « cuisson » en patience, lisant ou écoutant la radio grâce à des écouteurs intra-auriculaires.

- J'ai lu votre dernier article sur les punks de Paris, mademoiselle Véran. J'ai apprécié... L'Arti- cle, sourit l'hôtesse, pas le mode de vie de ces hurluberlus, naturellement.

La voyant consulter son bracelet-montre, elle la rassura :

- M. Fernandez n'en a que pour quelques minu- tes.

- Merci. Je partage tout à fait votre opinion sur le côté farfelu et généralement crasseux de ces jeunes dont certains, hélas, sont des épaves droguées. Et je ne suis pas fâchée, après cette enquête chez les punks, de changer complètement de sujet; ce soir, je vais en effet à une réception donnée à l'Elysée.

- Un peu de musique? proposa l'hôtesse en avan- çant l'index vers la touche d'un magnétophone.

- Volontiers... Pour le cas où les « quelques minu- tes » de M. Fernandez devraient se poursuivre pen- dant un quart d'heure.

- Préférez-vous le classique ou le moderne? - Le moderne, soupira-t-elle en se demandant si,

finalement, ces « quelques minutes » ne s'étaleraient pas sur une demi-heure...

Confortablement installée dans le fauteuil moel- leux, son whisky à portée de la main, Régine se laissa bercer par la musique.

L'hôtesse s'absenta, revint avec une cliente - une dame respectable et assurément respectée, avec ses cent quatre-vingts livres, fards non compris - qui, les présentations faites, se jeta sur les gâteaux secs.

Entre deux bouchées - doubles, s'entend - la nouvelle venue articula d'un ton précieux :

- Ce que j'apprécie, ma chère, chez Fernandez, c'est le bon goût de son accueil, la quiétude, le relax que je vais trouver dans son Institut et surtout, surtout, la qualité de sa clientèle.

Elle avala coup sur coup deux petits fours - choisis parmi les plus gros - redéglutit et enchaîna :

- Ce havre de paix, de détente et de douceur, agrémenté de musique est pour moi...

Un fracas épouvantable et des plus incongrus venait de retentir dans le salon voisin, duquel provenaient à présent des cris et des hurlements.

Stupéfaite, Régine Véran s'était levée pour courir vers la porte de séparation. Le spectacle la cloua sur place. Trois dames en bigoudis avaient quitté leur fauteuil, renversé le casque et s'étaient jetées sur les autres clientes, sagement assises sous le séchoir.

L'une des trois furies avait soulevé l'un des casques avec son lourd pied de métal et l'avait abattu sur un crâne hérissé de bigoudis : la malheu- reuse victime gisait sur le carrelage, dans une mare de sang.

Les employées, le portier s'étaient précipités, cherchant à maîtriser les énergumènes en jupon.

Régine, après une brève hésitation, se rua vers le bureau de la caissière où elle avait laissé, en entrant, son fourre-tout. Elle en retira son appareil, y adapta fébrilement le flash électronique, après l'avoir mis en charge, et cadra la scène dramatique. La faible ampoule-témoin s'alluma. Elle appuya alors sur le déclencheur au moment où l'une des furies projetait son fauteuil sur le corps d'une adolescente déjà à demi assommée.

La journaliste prit ainsi une huitaine de clichés, sous divers angles, remit l'appareil dans le fourre- tout puis, se souvenant alors qu'elle avait fait du judo, elle s'élança.

En proie à cette étrange crise de folie subite, l'une des trois clientes déchaînée se rua sur elle, toutes griffes dehors.

Régine Véran la laissa foncer, sembla ne déplacer son corps que de quelques centimètres sur le côté,

saisit le bras droit de la furie qui, en une seconde, voltigea littéralement pour retomber sur le dos, au milieu du carrelage. Elle se releva péniblement, se mit à quatre pattes, les cheveux pendant de chaque côté de son visage et voulut agripper une cheville de la journaliste. Celle-ci fit une sorte d'entrechat et lui administra une manchette qui l'étendit pour le compte.

L'une des deux autres énergumènes avait pu être maîtrisée par les employées, mais la troisième, écumant d'une rage singulière, raflait les flaconna- ges sur les étagères et en bombardait l'assistance.

Quant à Fernandez, dont le courage n'était assu- rément pas au nombre de ses qualités, il avait eu juste le temps d'appeler police secours avant de défaillir - non sans prudence - derrière un paravent chinois dont les idéogrammes, dorés sur laque noire, signifiaient : Que la paix règne sous ton toit!

Se baissant en hâte pour éviter la trajectoire d'un énorme flacon d'eau de toilette, Régine plongea et fit choir sur le sol l'opulente blonde qui la prenait pour cible. Une masseuse et une esthéticienne vin- rent lui prêter main-forte pour l'immobiliser solide- ment. C'est alors qu'une réaction inattendue suc- céda à la crise de folie meurtrière chez cette femme : elle battit des paupières, roula autour d'elle des regards effrayés, puis indignés en constatant que ces trois jeunes femmes unissaient leurs efforts pour la clouer au sol.

- Mais... Mais vous êtes folles! Voulez-vous me lâcher! Fernandez! Fernandez! geignit-elle, désem- parée.

La seconde cliente, maîtrisée par d'autres

employées, ne paraissait pas moins effarée de se voir à terre et fermement immobilisée.

- C'est scandaleux! clamait-elle en cherchant à échapper à son inconfortable position. Traiter ainsi une cliente aussi fidèle! Fernandez je vous ordonne de chasser immédiatement ces... ces infâmes mégè- res!

Rendue perplexe par cette inexplicable réaction, Régine relâcha le bras de l'obèse cliente qu'elle avait jetée au sol. D'un signe, elle fit comprendre aux employées de l'imiter. Les deux dames respectables se remirent debout, leur robe déchirée, leur coiffure en désordre mais sans plus manifester, cette fois, le moindre signe de folie.

Etaient-elles, seulement, conscientes d'avoir som- bré un bref moment dans une crise de démence meurtrière?

Laissant les manucures, coiffeuses et esthéticien- nes s'expliquer avec leurs clientes, Régine s'enferma dans le bureau de Fernandez et composa nerveuse- ment un numéro de téléphone. Elle obtint presque immédiatement la communication :

- M. Gilles Novak, s'il vous plaît... Elle eut le temps d'allumer une MS, tout en

constatant, dans un miroir, que le col de son tailleur était décousu : rien de surprenant, après une telle bagarre!

- Allô, Gilles? Régine Véran à l'appareil. Ne perds pas une minute et viens me rejoindre à l'Institut de beauté Fernandez, rue de la Paix. Mais non, je ne suis pas en panne de voiture et je sais qu'il existe des taxis, à Paris! Il faut absolument que tu viennes. Laisse tout tomber et rejoins-moi. La police

va arriver d'une minute à l'autre et... Quoi?... Mais non, idiot, je n'ai pas fait de bêtise! Viens, je t'expliquerai. Tu as là un papier sensationnel pour ta revue L.E.M. OK, je t'attends, à moins que la police ne m'emmène, en qualité de témoin... Ce sera à toi de jouer, dans ce cas.

Elle retourna ensuite dans le salon, sur la pointe des pieds pour éviter les innombrables éclats de verre et alla se pencher sur l'adolescente qui gisait, la tête et le visage inondés de sang. Plusieurs des blessées avaient perdu connaissance. L'une d'elles, le corsage déchiré, portait à la poitrine une plaie ouverte, sans doute provoquée par le casque lancé avec violence par la volumineuse blonde.

Cette dernière, très pâle, les yeux agrandis par l'incrédulité, les lèvres tremblantes, avait écouté le récit de l'esthéticienne.

- Ce n'est pas... pas possible! balbutiait-elle, horrifiée, en regardant ce corps ensanglanté à ses pieds.

- Hélas! oui, Madame, fit Régine, en s'appro- chant. Avec deux autres clientes, vous avez été prise d'un accès de fureur inexplicable et c'est bien vous qui avez blessé cette jeune fille.

- Elle est... morte? acheva-t-elle avec un sanglot dans la voix.

- Non. Côtes fracturées, sans doute, mais elle est mal en point. Quant à cette dame, fit la journaliste en désignant une autre victime, inerte, elle souffre, je le crains, d'une fracture du crâne.

L'attroupement des badauds qui s'était formé devant l'Institut de beauté se disloqua lorsque les sirènes de police secours se firent entendre.

Fernandez se tordait les mains de désespoir et se tamponnait le front et les joues, avec un fin mou- choir brodé de dentelle tandis que ses employées achevaient de débarrasser le carrelage des débris de verre et des flaques de parfum. L'ambulance avait évacué les blessées et l'OPJ 1 venu enquêter sur cet incident aussi dramatique qu'inexplicable avait quitté la place après avoir relevé l'identité des témoins.

Le véhicule de police secours, enfin, était reparti, emmenant les trois clientes effondrées et néanmoins responsables de cet acte criminel dont les mobiles demeuraient mystérieux.

Régine Véran et son confrère et ami Gilles Novak, rédacteur en chef de LE.M. (l'Étrange et le Mys- térieux dans le monde... et ailleurs, publié sous l'égide de l'IMSA : l'Institut Mondial des Sciences Avancées), s'entretenaient à présent avec M. Fer- nandez.

Vêtu d'un costume de bonne coupe, élégant et racé, le teint bronzé, le journaliste promenait un doigt perplexe sur sa fine moustache noire. Il se baissa, ramassa l'un des casques-séchoirs, cabossé, duquel pendaient les écouteurs intra-auriculaires qui permettaient aux clientes d'écouter la radio pendant la mise en plis.

- Et ces trois dames, qui jusque-là écoutaient tranquillement la radio, ont brusquement rejeté leur

1. Officier de police judiciaire.

c a s q u e pour. . . « a t t a q u e r » les a u t r e s c l i en tes a v a n t d e s a c c a g e r vo t re sa lon d e c o i f f u r e ?

- C ' e s t b ien ce qu ' e l l e s on t fa i t , m o n s i e u r N o v a k , r épond i t F e r n a n d e z e n oub l i an t , sous le c o u p d e l ' émot ion , l ' a c c e n t e spagno l a v e c leque l il a m u s a i t - sans qu ' e l l e s ' en d o u t â t ! - sa c l i en tè le h u p p é e .

» Elles on t r enversé les séchoi rs e t les on t p ro je t é s s u r mes a u t r e s c l ien tes! Des ha rp ies , m o n s i e u r N o v a k , des ha rp ie s s a u v a g e s e t s a d i q u e s fus t igées p a r j e ne sais que l a igu i l lon m a l é f i q u e et. . .

- Bon, le coupa- t - i l p o u r e n d i g u e r son lyr i sme. C e s trois c l i en tes é c o u t a i e n t la r ad io e t les a u t r e s

l isaient o u b a v a r d a i e n t a v e c vos e m p l o y é e s ? C ' e s t b ien c e l a ?

- C ' e s t t r è s e x a c t e m e n t ce la , m o n s i e u r N o v a k .

J ' a i dé j à exp l i qué la f açon d o n t le d r a m e s ' e s t dé rou lé , t a n t à l 'o f f ic ie r d e pol ice q u ' à vos co l l ègues journa l i s tes .

- Excusez -moi d e vous avo i r posé t o u t e s ces ques t ions , m o n s i e u r F e r n a n d e z , m a i s q u a n d j e suis ar r ivé , m e s co l lègues e t la pol ice r e p a r t a i e n t . J ' é t a i s à l ' au t r e b o u t d e P a r i s lo r sque M l l e V é r a n m ' a t é léphoné .

- N e vous e x c u s e z pas , c h e r M o n s i e u r , c i r c u l e r d a n s Par i s t i en t d u ca lva i r e ou d e la folie, soupira- t - i l en l issant son sourc i l d ro i t d ' u n i ndex dé l i ca t .

Gi l les e x a m i n a s u c c e s s i v e m e n t les c a s q u e s sous lesquels, i n e x p l i c a b l e m e n t , t rois d a m e s d e la h a u t e socié té ava i en t é t é f r a p p é e s d e folie fu r ieuse . Il d é g a g e a le pe t i t r é c e p t e u r à t r ans i s to r s logé d a n s l 'un des casques , n o t a la s t a t i on s u r l aque l le l 'ai- gui l le é t a i t p l acée e t p r o c é d a a u x m ê m e s vér i f ica- t ions s u r les d e u x a u t r e s r é c e p t e u r s .

- Les trois a p p a r e i l s son t r ég lés s u r E u r o p e Un , cons ta ta - t - i l ?

- Se lon toi, il p o u r r a i t y avo i r là un lien d e c a u s e à e f fe t , G i l l e s? s ' é t o n n a la j e u n e f e m m e .

- M m m , p a s n é c e s s a i r e m e n t . Il f a u t t o u t d e m ê m e la p r e n d r e p a r un bou t , c e t t e a f f a i r e s ingul iè - re. A u t a n t c o m m e n c e r p a r c e t t e piste . . . Q u i d ' a i l - leurs n ' en es t p e u t - ê t r e pas une . Pu is - je d o n n e r u n c o u p d e fil, m o n s i e u r F e r n a n d e z ?

Il ob t i n t la voix s u c r é e d ' u n e s t a n d a r d i s t e qu i lui passa la régie pu is le r éa l i s a t eu r . A p r è s p l u s i e u r s m i n u t e s d e p a l a b r e s , d ' e x p l i c a t i o n s d o n n é e s e t r eçues , il r e m e r c i a le r é a l i s a t e u r e t r a c c r o c h a .

- Voilà, fit-il. A se ize h e u r e s t r e n t e - d e u x , h e u r e à

laquel le d é b u t a le d r a m e - p réc i s ion q u e R é g i n e no ta m a c h i n a l e m e n t - E u r o p e U n v e n a i t d e d i f f u s e r une p u b s u r u n e m a r q u e d e c o n s e r v e s a l i m e n t a i r e s . Le d i sque o f f e r t a u x a u d i t e u r s p a r c e t t e f i r m e é t a i t le t u b e d e la s e m a i n e c h a n t é p a r la nouve l l e idole des j e u n e s : W a z y Lomo.

- U n b lond é p h è b e ple in d e t a l e n t m a l g r é ses m a n i è r e s b r u t a l e s e t la t e s s i t u r e a s sez r é d u i t e d e son

o rgane , a p p r é c i a M. F e r n a n d e z . L 'op in ion d e R é g i n e fu t s e n s i b l e m e n t d i f f é r en -

t e :

- Les h u r l e m e n t s syncopés d e c e t t e c h è v r e en r u t aura ien t - i l s p u d é c l e n c h e r u n e c r i se d e fol ie f u r i e u s e c h e z ces t rois c l i en tes co i f fées d u c a s q u e ?

- J e n 'ai pas d i t ce la , R é g i n e , fit-il, a m u s é p a r la j u s t e c o m p a r a i s o n d o n t s ' é t a i t se rv ie la j e u n e f e m - me. J e c o n s t a t e s i m p l e m e n t q u e les a u t r e s c l i en tes , l isant ou b a v a r d a n t , n ' o n t p a s m a n i f e s t é la m o i n d r e cr ise d e d é m e n c e lors m ê m e q u e les t rois a u t r e s ,

écoutant la radio, se sont jetées sur elles comme des furies.

» Simple coïncidence ou bien s'agit-il... d'autre chose?

— Voyons, monsieur Novak, objecta Fernandez, même si l'on n'aime pas ce garçon, même si l'on déteste ses chansons, il est invraisemblable d'admet- tre qu'à l'entendre on puisse devenir fou!

- Invraisemblable, en effet, reconnut Gilles. Ce n 'est donc pas lui que l'on peut mettre en cause, même si le drame qui s'est déroulé chez vous était concomitant à son passage sur l'antenne. D'une manière o u d'une autre, la radio peut-elle être incriminée? C'est là une hypothèse de travail, la première d 'une série qui nous ménagera certaine- ment bien des surprises.

Régine Véran consulta son bracelet-montre et s'exclama :

- Dix-huit heures quinze! Et ma réception qui débute à dix-neuf heures! Monsieur Fernandez, soyez gentil, donnez-moi un petit coup de peigne.

— Tout de suite, mademoiselle Véran, et si vous ôtez la veste de ce ravissant tailleur, l'une de mes collaboratrices pourra recoudre votre col qui menace de choisir la liberté!... Mademoiselle Daisy! appela- t-il. Veuillez accompagner Mlle Véran dans l'une des cabines de sudation; elle passera une blouse et, pendant ce temps, vous recoudrez ce col.

Gilles prit congé de sa collègue avec un baiser amical :

— C 'est chic à toi d 'avoir pensé à me prévenir, Régine. Je te revaudrai ça.

- Pas comme aux Saintes-Maries-de-la-Mer, j'es-

père 1 ! Je ne suis pas prête d'oublier notre mésaven- ture... Ah! J'allais oublier: rebobine le film qui est dans mon appareil et emporte-le, fit-elle en montrant le fourre-tout posé sur un fauteuil. Tu le développe- ras; ces clichés nous intéressent l'un et l'autre. Mon canard les publiera demain et tu pourras conserver ceux que je n'aurai pas utilisés. Ta revue sortant dans un mois, j'aurai malgré tout la primeur de l'événement.

- OK et merci. Je te ramènerai des agrandisse- ments en treize dix-huit ce soir, au Grand Pub.

- A l'Étoile? Entendu, j'y serai vers vingt et une heures, mais je n'aurai pas dîné.

- Précision superflue. J'avais bien l'intention de t'inviter!

Ganté de caoutchouc, Gilles Novak retira du bain fixateur la série d'épreuves qu'il venait de tirer et les plaça dans la cuve de lavage avant de les disposer sur le tambour de la glaceuse.

En songeant à sa jeune collègue, il esquissa un sourire. Décidément, celle-ci avait le don pour se trouver in extremis au bon endroit afin de prendre des clichés sensationnels. Et ceux-ci méritaient bien ce qualificatif, saisissant en plein mouvement une opulente dame au chef orné de bigoudis qui bran- dissait, menaçante, un casque-séchoir qu'elle allait abattre sur une cliente, hurlant, le visage défiguré par la terreur...

1. Lire : Le retour des Dieux, SF Jimmy Guieu.

Telle autre photo montrait une autre cliente en furie, frappant sauvagement une jeune femme, éten- due à terre, avec un énorme flacon d'eau de toilet- te...

Scènes cruelles, certes et dignes d'un mauvais film de violence, mais tragiquement réelles, hélas!

Après un interminable soupir, M. Fernandez cessa de s'apitoyer sur les dégâts infligés à ses luxueuses installations et songea à l'avenir avec amertume. Quelle fâcheuse réputation ce drame affreux lui vaudrait-il auprès de sa clientèle! Sans nul doute, ces dames de la haute société iraient confier à d'autres mains expertes le soin d'entretenir leur grâce et leur beauté. Un rude coup pour le standing de son institut.

- Au revoir, monsieur Fernandez, à demain. Il répondit distraitement aux dernières employées

qui rentraient chez elles et entendit, vers le salon de bioesthétique, la jeune Raymonde Blanchard, l'es- théticienne, ranger ses flacons de fards. Dans une minute, elle aurait achevé et sortirait à son tour; il pourrait alors fermer la boutique...

Il cilla, choqué par ce mot vulgaire venu à son esprit pour désigner son Institut de Capilliculture et de Bioesthétique. Boutique! Quel mot affreusement trivial pour un temple dédié à la beauté!

La faire souffrir... La boutique? Pourquoi, faire souffrir la boutique?

Quelle idée stupide et saugrenue! se dit-il en haus- sant les épaules.