la pluralité des identités francophones et l’école...

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La pluralité des identités francophones et l’école en milieu minoritaire en Colombie-Britannique : des identités individuelles à l’identité collective par Trâm LAI-TRAN Certificat en enseignement, Simon Fraser University, 2008 Diplôme d’Études Approfondies DEA, Strasbourg, France, 1989 Thèse présentée dans le cadre du programme de doctorat en éducation pour l’obtention du grade de Docteur en Éducation dans le programme en Leadership éducationnel Faculté d’éducation © Trâm LAI-TRAN 2019 SIMON FRASER UNIVERSITY Spring 2019 Tous droits résérvés. Toutefois, conformément à la Loi sur le droit d’auteur, cette oeuvre peut être reproduite en partie, sans autorisation. L’utilisation équitable de l’oeuvre aux fins d’étude privée ou de recherche, de critique ou de compte rendu, ou pour la communication des nouvelles ne constitue pas une violation du droit d’auteur à la condition que soit mentionnée la source.

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La pluralité des identités francophones et l’école en

milieu minoritaire en Colombie-Britannique : des

identités individuelles à l’identité collective

par

Trâm LAI-TRAN

Certificat en enseignement, Simon Fraser University, 2008

Diplôme d’Études Approfondies – DEA, Strasbourg, France, 1989

Thèse présentée dans le cadre du programme de doctorat en éducation pour l’obtention du grade de

Docteur en Éducation

dans le programme en Leadership éducationnel

Faculté d’éducation

© Trâm LAI-TRAN 2019

SIMON FRASER UNIVERSITY

Spring 2019

Tous droits résérvés. Toutefois, conformément à la Loi sur le droit d’auteur, cette oeuvre peut être reproduite en partie, sans autorisation. L’utilisation équitable de l’oeuvre aux fins d’étude

privée ou de recherche, de critique ou de compte rendu, ou pour la communication des nouvelles ne constitue pas une violation du droit d’auteur à la condition que soit mentionnée la source.

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The Plurality of Francophone Identities and

Francophone Schools in British Columbia. From

Individual Identity to Collective Identity

by

Trâm LAI-TRAN

Certificat en enseignement, Simon Fraser University, 2008

Diplôme d’Études Approfondies – DEA, Strasbourg, France, 1989

Thesis Submitted in Partial Fulfillment of the Requirements for the Degree of

Doctor of Education

in the

Educational Leadership program

Faculty of Education

© Trâm LAI-TRAN 2019

SIMON FRASER UNIVERSITY

Spring 2019

Copyright in this work rests with the author. Please ensure that any reproduction or re-use is done in accordance with the relevant national copyright legislation.

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ii

Approval

Name: Trâm LAI-TRAN

Degree: Doctor of Education

Title: La pluralité des identités francophones et l’école en milieu minoritaire en Colombie-Britannique : des identités individuelles à l’identité collective

Examining Committee: Chair: Geneviève Brisson Assistant Professor

Danièle Moore Senior Supervisor Professor

Cécile Sabatier Supervisor Associate Professor

Claudine Brohy Supervisor University of Fribourg

Diane Dagenais Internal Examiner Professor

Monique Bournot-Trites External Examiner Associate Professor Language & Literacy Education University of British Columbia

Date Defended/Approved: April 8, 2019

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iii

Ethics Statement

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iv

Résumé

La mobilité de la population francophone de la province entraine dans son sillage

une mouvance de l’identité francophone en Colombie-Britannique (CB). Elle conditionne

et façonne, au gré des migrations et des fluctuations économiques, les conditions

d’appartenance à cette communauté en même temps que celle-ci se construit et se définit.

Dès lors, la communauté francophone de la CB se caractérise par sa diversité culturelle

et linguistique, ainsi que par son taux élevé de bi/plurilinguisme. Dans un contexte où

l’école est considérée comme le principal moyen de lutte contre l’assimilation linguistique

et comme outil privilégié de transmission identitaire, il est nécessaire de définir et

d’analyser, voire de redéfinir le rôle de l’école de la minorité ainsi que ses acteurs éducatifs

dans un environnement pluriethnique, plurilingue et multiculturel.

De nature qualitative, cette étude de cas repose sur une série d’entretiens

compréhensifs de groupes et individuels, avec des élèves de 17 à 19 ans, des

enseignants, des conseillers, des aides pédagogiques, des services spécialisés et des

administrateurs de trois écoles secondaires francophones en CB. L’objectif de cette

recherche a été de comprendre la complexité des liens entre les usages linguistiques et

culturels des élèves et la construction identitaire en contexte minoritaire francophone

d’aujourd’hui. Notre exploration se place dans la perspective de prendre en compte la

pluralité de l'identité francophone des élèves comme un atout pour les apprentissages

scolaires, un renforcement de la vitalité, et une construction de l'identité collective de la

communauté francophone minoritaire.

Cette recherche a ainsi montré que si l’école a le souci d’assurer une plus grande

inclusion des élèves bi/plurilingues et anglophones, elle est davantage préoccupée par la

diversité culturelle qui change le visage de la communauté francophone de la CB. L’école

francophone de la CB en est à interroger la notion de francophone afin de changer ses

représentations traditionnelles d’une communauté francophone imaginée encore très

présentes dans l’imaginaire, au profit d’une identité pleinement civique fondée sur la

langue.

Keywords: École francophone minoritaire ; construction identitaire ; représentations

sociales ; leadership éducationnel ; francophonie(s) canadienne(s) ;

communautés francophones.

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v

Dédicace

À Tiêu, Uyên, Thi, Khôi,

Enfants plurilingues aux identités multiples, mais toujours uniques.

À Bô, qui m’avait promis qu’il serait là pour ma soutenance.

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vi

Remerciements

Mes remerciements vont à la direction du conseil scolaire francophone de la

Colombie-Britannique qui a accepté que je mène mes recherches au sein de trois écoles

et facilité mon étude de terrain. Merci aux directions et aux enseignants qui m’ont

accueillie dans leur école et dans leurs classes. Leur collaboration a été essentielle au

bon déroulement de la recherche.

Merci à l’ensemble des élèves qui ont participé à la recherche. Je les remercie de

m’avoir fait confiance et de m’avoir parlé honnêtement, ouvertement et avec beaucoup

d’humour. Par mes rencontres avec eux, j’ai ainsi apprivoisé mes identités. Je souhaite

remercier aussi tous mes collègues, qui ont accepté de répondre à mes nombreuses

questions, qui ont partagé avec moi leurs connaissances de leurs classes, leurs

expériences et leurs réflexions et ont ainsi participé à construire ce parcours avec tant de

bonne humeur, de complicité et de dynamisme.

Je remercie tous les professeurs du cours qui ont contribué à ma formation

doctorale et qui m’ont offert leur soutien, chacun à leur manière : Cécile Sabatier, Diane

Dagenais, Rémi Léger, Frédérique Fovet. Je salue tous les étudiants que j’ai côtoyés au

cours du doctorat, nos échanges et nos collaborations ont contribué directement à ma

formation, en plus de m’avoir procuré des encouragements extraordinaires. Merci tout

spécial à vous : Alice Prophète, Sissy Martin, Liane Roy, Isabelle Côté et David Pajot.

Merci à ma famille, en particulier Má, Phong et Hanh, votre compréhension, vos

encouragements et votre optimisme ont été de grandes sources de motivation et de

réconfort.

Je souhaiterais réserver une pensée spéciale à Claudine Brohy et Cécile Sabatier

sans qui mes recherches n’auraient pu aboutir. Vos regards croisés et acérés sur les

versions préliminaires du travail et vos commentaires constructifs m’ont permis de

produire cette thèse.

Enfin, mes remerciements très sincères et très chaleureux vont à ma directrice de

thèse Danièle Moore, qui, depuis le début, a guidé mes pas de chercheur, et m’a

accompagnée tout au long de cette aventure. Son engagement reste une source

d’inspiration constante.

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vii

Table des matières

Approval ............................................................................................................................... ii

Ethics Statement ................................................................................................................. iii

Résumé ............................................................................................................................... iv

Dédicace ..............................................................................................................................v

Remerciements ................................................................................................................... vi

Table des matières ............................................................................................................ vii

Liste des tableaux ............................................................................................................... ix

Abréviations .........................................................................................................................x

INTRODUCTION ................................................................................................................ 1

Chapter 1. Mise en contextes ....................................................................................... 4

1.1. Le milieu minoritaire francophone au Canada ......................................................... 4

1.2. L’implantation des Francophones en Colombie-Britannique ................................... 5

1.3. La gouvernance communautaire francophone ........................................................ 8

1.4. La gouvernance de l’éducation dans les langues officielles .................................. 11

1.5. Société civile et gouvernance : l’exemple des communautés francophones et francophiles de Colombie-Britannique ............................................................................. 12

1.6. Mandat de l’école francophone en Colombie-Britannique ..................................... 14

1.7. Organisation de la thèse ......................................................................................... 16

PARTIE 1 : POINTS D'ANCRAGES THÉORIQUES ET CONCEPTUELS .................... 18

Chapter 2. Représentations sociales ........................................................................ 21

2.1. Les représentations, un acte social ........................................................................ 21

2.2. Les mises en discours des représentations sociales ............................................. 25

Chapter 3. Représentations d’identité(s) .................................................................. 28

3.1. La notion d’identité .................................................................................................. 28

3.2. Identités multiples ................................................................................................... 33

3.3. Identités bi/plurilingues : choix de langues ou « actes d’identités » ...................... 36

3.4. Identité professionnelle ........................................................................................... 41

Chapter 4. Représentations de la francophonie canadienne ................................. 46

4.1. La notion de frontière .............................................................................................. 46

4.2. La notion de communauté imaginée ...................................................................... 50

4.3. L’immigration ou la migration .................................................................................. 52

4.4. Minorité et minorisation........................................................................................... 56

PARTIE 2 : CONSIDÉRATIONS MÉTHODOLOGIQUES............................................... 69

Chapter 5. Problématique et questions de recherche ............................................. 70

5.1. Problématique ......................................................................................................... 70

5.2. Questions de recherche.......................................................................................... 72

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viii

5.3. Posture du chercheur ............................................................................................. 73

5.4. Préoccupations éthiques ........................................................................................ 76

Chapter 6. Méthodologie ............................................................................................. 79

6.1. La recherche qualitative.......................................................................................... 80

6.2. L’étude de cas ......................................................................................................... 85

6.3. Le sondage ............................................................................................................. 88

6.4. L’entretien compréhensif ........................................................................................ 89

6.5. Déroulement des entretiens ................................................................................... 93

6.6. Sélection des participants ....................................................................................... 96

6.7. Analyse des données ........................................................................................... 101

6.8. Critères de rigueur ................................................................................................ 102

6.9. Diffusion des résultats .......................................................................................... 103

PARTIE 3 : À LA RECHERCHE D’UNE IDENTITÉ COLLECTIVE.............................. 105

Chapter 7. Les jeunes, acteurs participant à la construction de leurs identités 106

7.1. Francophones bi/plurilingues aux cultures multiples ........................................... 106

7.2. Bi/plurilinguisme et mobilité identitaire ................................................................. 114

7.3. Engagement identitaire francophone des jeunes ................................................. 127

Chapter 8. Le personnel éducateur face aux défis de l’enseignement francophone en milieu minoritaire ................................................................... 137

8.1. Trajectoires personnelles et professionnelles ...................................................... 138

8.2. « Nos réalités » ..................................................................................................... 148

8.3. Le personnel éducateur : des acteurs et médiateurs culturels ............................ 156

Chapter 9. L’école, un espace de droit ? Une fierté culturelle ? .......................... 164

9.1. L’école francophone : un espace de droit ............................................................ 165

9.2. L’école francophone minoritaire face aux identités plurielles des élèves d’aujourd’hui .................................................................................................................... 178

9.3. L’école francophone : un espace d’unification ..................................................... 186

Chapter 10. Conclusion générale ........................................................................... 193

10.1. Multiplicité des positionnements identitaires ................................................... 194

10.2. Savoirs et savoir-faire de l’enseignement des cultures francophones et de la langue française .............................................................................................................. 196

10.3. Vers une redéfinition de la mission initiale de l’école francophone minoritaire .... .......................................................................................................................... 197

10.4. Principales recommandations .......................................................................... 199

10.5. Enjeux et questions laissés en suspens .......................................................... 202

Bibliographie ................................................................................................................. 205

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ix

Liste des tableaux

Description du profil des participants-élèves p. 107

Description du profil des participants-éducateurs p. 108

Les conventions de transcription utilisées p. 110

Les réseaux linguistiques des élèves p. 118

Identités des élèves intervenants p. 123

Les langues officielles parlées en Colombie-Britannique p. 182

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x

Abréviations

APÉ

BAFF

Association des parents d’élèves

Bureau des affaires francophones et francophiles

CB

CPF

CSF

FFCB

Colombie-Britannique

Canadian Parents for French

Conseil scolaire francophone

Fédération des francophones de la Colombie-Britannique

FCFA

FNCSF

FFHQ

PLO

Fédération des communautés francophones et acadiennes

Fédération nationale des conseils scolaires francophones

Fédération des francophones hors Québec

Programme des langues officielles

SFU Simon Fraser University

TÉFIÉ

Travailleuses et travailleurs en Établissement des Familles Immigrantes dans les Écoles

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1

INTRODUCTION

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2

Relever les défis que pose la diversité croissante du public scolaire ne constitue

pas un sujet de réflexion tout à fait nouveau. Le thème du pluralisme n’est pas un thème

nouveau en soi, mais dans un contexte où l’école est considérée comme le principal

moyen de lutte contre l’assimilation linguistique et comme outil privilégié de transmission

identitaire (Gérin-Lajoie, 2004 ; Heller, 2011 ; Magnan & Pilote, 2007 ; Pilote, 2004), il est

pertinent de définir et d’analyser, voire de redéfinir le rôle de l’école de la minorité ainsi

que les acteurs éducatifs dans des contextes pluriethniques, plurilingues et multiculturels.

Car, l’école francophone de la minorité est définitivement marquée par une hétérogénéité

structurelle croissante. Celle-ci se retrouve sur les plans culturel, linguistique, social et

identitaire.

Ainsi, la thèse vise à explorer les discours et les représentations identitaires

d’élèves ayants-droit inscrits dans les écoles secondaires francophones d’un Conseil

scolaire francophone de la Colombie-Britannique. Elle se penche également sur les récits

de vie recueillis à travers des entrevues avec tout le personnel éducatif francophones

(enseignants, aides pédagogiques, conseillers, éducateurs spécialisés et administrateurs)

nouvellement ou anciennement installés en Colombie-Britannique. La décision de donner

la parole aux élèves et au personnel éducatif se justifie d’une part par le peu de recherches

sur ce sujet, et d’autre part, par la volonté d’examiner les points de vue des divers acteurs

intervenant dans la construction d’une identité francophone collective, de ce que l’on

entend par « être francophone » en Colombie-Britannique. De plus, comme l’étude se

situe dans une dynamique majorité-minorité, nous entrevoyons des retombées au-delà de

la seule communauté minoritaire francophone de la Colombie-Britannique. Car à travers

notre étude de ce cas, c’est peut-être aussi une vision de la construction identitaire des

francophonies canadiennes qui se trouve interrogée.

Aussi, les propos recueillis mettent-ils en scène des expériences de vie liées à

l’immigration, aux efforts d’intégration, aux langues, aux cultures et aux identités. Les

interactions sociales et verbales sont au cœur de l’entreprise de socialisation et vont

constituer un cadre propice à la construction de représentations à même d’aider à la

compréhension et à l’intégration au nouvel environnement. La présente recherche s’inscrit

dans un questionnement sur la nature du langage et son rapport avec la société. L’étude

de cas cherche à décrire et à interpréter les utilisations des langues comme expressions

d’affiliations à différents groupes comme elles tissent les structures sociales dans

lesquelles nous évoluons. Pour Moore et Brohy (2013), les langues reflètent les identités

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3

des locuteurs qui les utilisent, se les approprient, les renient ou les mélangent pour

affirmer leurs identités, ou au contraire, pour « résister à celles qu’on cherche à leur

attribuer » (p. 289). Si les langues font partie intégrante de nos identités, alors par

réciprocité, nos identités impactent également nos choix langagiers. Partant de l’analyse

qualitative, reposant sur du biographique des discours, la recherche tente également de

comprendre les traversées de frontières géographiques, linguistiques et culturelles que

les médiations identitaires mettent en place pour négocier un sens d’appartenance à la

ou aux communauté(s) francophone(s) dans un environnement sociolinguistique

multiculturel. Comme l’a montré Sabatier (2011) « Fruits d’un processus de référenciation

dynamique entre des mécanismes psychologiques et des facteurs sociaux constamment

en mouvement et en interaction, les identités se construisent dans une polarité qui lie, par

l’entremise des discours et de la notion de frontières, identité et altérité » (p. 4).

Dire et reconnaître que la société et l’école sont marquées par la pluralité culturelle

et linguistique, c’est faire un simple constat qui ne permet pas de régler les problèmes.

Notre étude veut se donner une portée appliquée à la recherche. En effet, mieux connaître

la réalité des élèves et du personnel éducatif serait la première étape vers une application

dans le domaine de l’éducation, de plus l’objectif poursuivi par ce projet doctoral est de

contribuer aux débats, aux discussions, ainsi qu’à la formation des intervenants scolaires

et des acteurs des milieux francophones minoritaires en vue de tenir compte du « lien

entre l’école et le hors-école » (Moore & Brohy, 2013, p. 310) des élèves plurilingues aux

identités multiples qui sont présents dans les salles de classes.

Mais, avant de commencer, une mise en contextes fournira les clés pour mieux

appréhender la situation de notre étude et plus largement le contexte global de l’éducation

en milieu minoritaire au Canada. Il s’élabore autour de l’histoire de l’éducation récente en

français au Canada et notamment dans la province de CB, une histoire riche et fragile à

la fois car toujours sous fonds de lutte.

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4

Chapter 1. Mise en contextes

1.1. Le milieu minoritaire francophone au Canada

Au Canada, la reconnaissance et le statut du français varient considérablement

selon la province et le territoire (Deveau, Allard & Landry, 2008). Le français est la seule

langue officielle au Québec. Le Nouveau-Brunswick est la seule province du Canada à

reconnaître l’égalité de statut du français et de l’anglais. Les Territoires du Nord-Ouest, le

Yukon et le Nunavut, territoires fédéraux, reconnaissent un statut officiel au français, à

l’anglais et à des langues autochtones. L’Ontario (1986), l’Île-du-Prince-Édouard (1999)

et la Nouvelle-Écosse (2004) ont adopté des lois garantissant certains services

provinciaux en français. Les autres provinces ont adopté diverses politiques relatives à la

protection des droits des francophones.

De plus, il faut noter que la reconnaissance des droits linguistiques peut varier d’une région à l’autre à l’intérieur de chaque province et territoire, cette reconnaissance étant souvent fonction du poids démographique et de la concentration territoriale de la minorité de langue officielle. Les minorités francophones du Canada ne jouissent donc pas toutes des mêmes droits linguistiques (Ibid., p. 94)

Il importe ici de définir ce à quoi nous nous référons, lorsque nous employons les

termes de milieu majoritaire et milieu minoritaire. On peut distinguer le milieu majoritaire

francophone au Québec et le milieu majoritaire anglophone dans le reste du Canada.

Dans le premier cas, il s’agit d’un milieu dans lequel on retrouve une majorité francophone

provinciale, minoritaire sur le plan fédéral, tandis que, dans le second cas, il s’agit d’une

majorité anglophone à l’échelle canadienne, à l’exception du Québec. Dans ce contexte,

la minorité de langue française hors Québec, ou encore les francophonies minoritaires du

Canada, incluent les divers milieux de la francophonie canadienne à l’extérieur du

Québec, lesquelles ne jouissent pas d’un territoire distinct de celui de la majorité. Le milieu

minoritaire francophone au Canada représente alors les milieux de la francophonie

canadienne à l’extérieur du Québec (Thériault, 1999).

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5

D’après les données du dernier recensement de 2016, le Canada est un pays de

plus en plus multiethnique, multilingue et multiconfessionnel (Statistique Canada, 2016)1.

En effet, en 2016, plus de 250 origines ont été recensées et 41,1 % de la population

canadienne a déclaré plus d’une origine. 32,5 % de la population canadienne a déclaré

au moins une origine des îles Britanniques, et 13,6 % au moins une origine française.

C’est l’origine canadienne qui occupe le premier rang, 11,1 millions de personnes ayant

déclaré cette ascendance, seule ou combinée à d’autres origines, ce qui représente

environ le tiers (32,3 %) de la population du pays.

Au début du XXe siècle, la langue maternelle de la plupart des Canadiens était

soit le français, soit l’anglais. Au cours des 115 années qui ont suivi, le profil linguistique

du Canada s’est considérablement diversifié2. La proportion de Canadiens dont la langue

maternelle est le français s’est amenuisée au sein de la population, tandis que la

proportion de Canadiens dont la langue maternelle est une langue autre que le français

ou l’anglais s’est accrue au rythme des diverses vagues d’immigration au fil du temps. En

1941, 29,3% de la population du Canada était de langue maternelle française (Statistique

Canada, 2018). C’est le pourcentage enregistré le plus élevé depuis 1901. En 2016, ce

pourcentage passait à 21%, ce qui représente une baisse de plus de huit points de

pourcentage en 75 ans. En 1901, la minorité de langue française au Canada hors Québec

représentait 8,2% de la population totale contre 3,8% en 2016. Il s’agit d’une réduction de

moitié en 115 ans.

1.2. L’implantation des Francophones en Colombie-Britannique

La description linguistique de la communauté francophone de la CB passe

nécessairement par un résumé de son histoire et de son rôle dans la colonisation de cette

province (Guilbault, 2007). Les premiers lieux d’implantation des francophones sur la côte

1 Voir Statistique Canada. (Date de diffusion : 25 octobre 2017). Les origines ethniques et culturelles des Canadiens, le portrait d’un riche héritage. En ligne : http://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2016/as-sa/98-200-x/2016016/98-200-x2016016-fra.cfm

2 Voir Statistique Canada. (2018). L’évolution des populations de langue maternelle au Canada, de 1901 à 2016. Mégatendances canadiennes.

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6

Pacifique de l’Amérique du nord se situent en CB (Canada) et en Oregon (États-Unis). Il

s’agit d’abord de Fort Georges, situé au nord de la CB, au bord du fleuve Fraser et de la

rivière Nechako, devenu aujourd’hui la ville de Prince George et surnommé la capitale

nordique de la CB. Puis, Fort Langley, construit sur la rive sud du fleuve Fraser afin

d’assurer la sécurité et la présence britannique le long du fleuve Fraser au cas où les

Américains prendraient possession du Fort Vancouver qui a été bâti sur l’actuelle ville de

Portland en Oregon, aux États Unis. L’occupation de ces nouveaux territoires était

notamment motivée par l’exploration et le commerce des fourrures. La communauté

originellement d’environ 300 personnes en 1812, s’agrandit jusqu’à atteindre, en 1838,

plus de 4000 francophones sur les 6900 personnes qui forment la population sur le

territoire de la CB du côté canadien, et du côté américain de l’État de Washington et de

l’Oregon. Le développement de Victoria (l’actuelle île de Vancouver, en territoire

autochtone, à cheval sur le Canada et les États-Unis) a débuté avec la construction du

Fort Victoria, dont la vocation était alors celle de poste de traite pour la Compagnie de la

Baie d’Hudson. Pour Guilbault (2007), il est facile de constater que les francophones,

alors quatre fois plus nombreux que les anglophones, ont joué un rôle clé dans

l’établissement de la capitale provinciale.

Le développement de la communauté francophone en CB sera marqué au XXe

par l’établissement de Maillardville (1909). Cette nouvelle municipalité se voit établie à la

suite d’une seconde vague de pionniers francophones menée, celle-ci, non pas par

l’industrie de la fourrure, mais par l’industrie du bois. La Canadian Western Lumber Co.

recrute quelques centaines de Québécois qui s’installent en majorité autour de la

municipalité de Coquitlam (Guilbault, 2007). Les années 1930 sont marquées par une

troisième vague d’immigrants francophones des plaines et d’un certain nombre de

militaires envoyés dans le nouveau centre d’entrainement de la côte Ouest.

Déjà en 1942, les francophones sont conscients de leur dispersion sur le territoire

et du risque de perdre leur langue et leur culture ; les membres des fédérations locales

tentent un premier regroupement des associations dans le but d’augmenter les contacts

et la force de leur regroupement. Cette première tentative échouera, mais elle sera tentée

à nouveau dès 1945 et aboutira, après un certain nombre de transformations, à la création

de la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique, en 1992, qui a la

responsabilité de représenter tous les francophones de la province.

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Aujourd’hui la situation des francophones en CB a considérablement changé. Les

différentes vagues d’immigration et les pressions de l’anglicisation ont considérablement

modifié la constitution de cette communauté et les habitudes des locuteurs de langue

française.

La CB forme la quatrième plus grande communauté francophone au Canada, avec près de 300 000 personnes. Cette communauté est organisée et en pleine croissance. Elle a créé une solide infrastructure sociale et économique qui offre des services et des activités en français, en réponse aux besoins particuliers de cette population et de cette région du Canada3.

Ainsi, la mobilité de la population francophone de la province entraine dans son

sillage une mouvance de l’identité francophone en CB. Elle conditionne et façonne, au gré

des migrations et des fluctuations économiques, les conditions d’appartenance à cette

communauté en même temps que celle-ci se construit et se définit. Désormais, on ne peut

plus parler d’une identité francophone mais de plusieurs qui sont reliées entre elles par la

langue, laquelle est devenue :

un instrument de communication et non un véhicule de significations, d’idées, de façons de penser et de concevoir la société et l’univers. Elle est une composante du capital culturel de l’individu et non du capital culturel de la collectivité (Breton, 1994, p.62).

En Colombie-Britannique, comme ailleurs au Canada, la francophonie connaît une

croissance rapide due à la conjonction des efforts de lobbying du milieu communautaire,

à l’arrivée de nouveaux immigrants francophones et à l’investissement fédéral et

provincial dans les projets éducatifs. Après l’avènement du CSF en 1995, la création du

BAFF au sein d’une université anglophone, l’Université Simon Fraser, marque l’ère de la

réforme de l’éducation à un niveau local pour permettre l’implantation de programmes en

français à l’université. Ainsi, l’effort déployé par la communauté francophone et

francophile (dont l’organisme porte-parole est la Fédération des Francophones de

Colombie-Britannique (FFCB), et son membre de soutien le Canadian parents for French

(CPF)) se voit récompensé et met au jour une transformation de rôles plus profonde : de

simple acteur de la société civile, elle devient désormais un partenaire visible et légitime.

Par conséquent, l’éducation en français en CB doit son développement à l’action d’une

3 La Fédération des francophones de la Colombie-Britannique. Portrait. Consulté en août 2018 : https://www.ffcb.ca/la-francophonie/la-francophonie/

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société civile émergeant dans un contexte linguistique minoritaire. La société civile et ses

multiples composantes s’imposent désormais comme un interlocuteur de choix dans la

cour des affaires publiques. En effet, la FFCB et la CPF peuvent être définis comme un

tiers-secteur, à savoir un type d’organisation ne relevant ni du secteur public, ni du secteur

privé et dont l’objectif est la revendication, la négociation ou le plaidoyer, et la défense

des intérêts de ses membres. Le contrat social est constitué d’une volonté

interventionniste afin de peser sur les pouvoirs décisionnels dans le contexte éducatif.

Ainsi, les acteurs s’appuient pour leur action sur une démarche lobbyiste, à la fois au

niveau provincial et fédéral, axée sur la défense du fait français en milieu minoritaire.

En effet, comme l’a analysé Behiels (2003), c’est pour le droit à l’éducation dans

la langue de la minorité, une lutte qui a duré plus de cent ans. Selon Behiels, c’est en

s’appuyant sur la Charte canadienne des droits et libertés que les minorités francophones

ont gagné la pleine reconnaissance de leurs droits sur la gestion scolaire. Il serait

opportun de brosser un résumé de l’historique de cette longue lutte pour mieux

appréhender la problématique de l’enseignement en français en milieu minoritaire et

essayer de voir quels enjeux en ressortent pour notre étude.

1.3. La gouvernance communautaire francophone

Le terme gouvernance aurait fait son apparition dès le XIIe ou XIIIe siècle, mais

ce sont des changements sociaux, économiques et politiques des décennies 1970-1990

des sociétés occidentales qui sont à l’origine de la renaissance de ce terme avec son

concept large et multiforme tel que nous connaissons aujourd’hui. Principalement ce sont

des économistes et politologues anglo-saxons et certaines institutions internationales, qui

dans les années 1990, ont repris le mot anglais « governance » pour désigner « l’art ou

la manière de gouverner » sans le gouvernement en tant qu’institution, et avec la

participation de la société civile à tous les niveaux (Lacroix & St-Arnaud, 2012, p. 21).

Lacroix et Arnaud, s’appuyant sur quelques éléments clés tels que : règles, processus,

intérêts, acteurs, pouvoir, participation, négociation, décision et mise en œuvre, proposent

la formulation suivante :

La gouvernance est l’ensemble des règles et des processus collectifs, formalisés ou non, par lequel les acteurs concernés participent à la

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décision et à la mise en œuvre des actions publiques. Ces règles et ces processus, comme les décisions qui en découlent, sont le résultat d’une négociation constante entre les multiples acteurs impliqués. Cette négociation, en plus d’orienter les décisions et les actions, facilite le partage de la responsabilité entre l’ensemble des acteurs impliqués, possédant chacun une certaine forme de pouvoir (Ibid. p. 26).

La notion de gouvernance permet dès lors d’appréhender les différents types de

régulation à l’extérieur de la simple action étatique et permet d’accorder une certaine

responsabilité aux acteurs de la société civile qui visent à répondre aux besoins et

motivations à l’agir politique partagé au moment précis. Ainsi la gouvernance naîtrait non

seulement de la complexité sociale croissante, mais également du fait qu’elle apparaît

comme une solution aux limites bureaucratiques et financières de l’État dans la prise en

charge des besoins sociaux ; elle remplacerait le modèle d’intervention de l’État qui

cherche à exercer seul la conduite des affaires publiques.

L’État n’est plus seul maître à bord ; il est contraint (…) de tenir compte de l’existence d’autres acteurs, qui sont amenés à participer, d’une manière ou d’une autre, dans un cadre formel ou de façon informelle, à la prise des décisions (Forgues, 2003, p. 2).

Pour comprendre la gouvernance communautaire francophone il faut

préalablement comprendre son contexte d’apparition. Selon Léger (2015), le

« phénomène de la gouvernance communautaire francophone est le résultat de la fin du

dualisme canadien ainsi que de la mise en place de la nouvelle gouvernance des langues

officielles » (p. 27).

En effet, en 1982, le rapatriement de la Constitution canadienne et l’adoption de

la Charte canadienne des droits et libertés (Charte) consacrent la dualité linguistique

officielle, protègent les droits individuels de chaque Canadien, et les droits collectifs des

différentes communautés minoritaires, par la même occasion, mettent fin au « rêve

dualiste » (Laforest, 1992).

Le dualisme concevait la fédération canadienne comme reposant sur une entente

entre deux « peuples fondateurs » ou « deux société distinctes » occupant des espaces

de pouvoir significatifs dans les institutions canadiennes (Léger, 2015, p. 27).

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Ainsi, la Constitution canadienne et la Charte (1982) installent un nouveau

contexte politique qui aura des retombées sans précédent sur les Francophones hors

Québec. L’élément le plus innovateur de la Charte, l’article 23, garantit les droits à

l’instruction aux minorités de chacune des deux langues officielles du Canada. Cet article

donnait un nouvel espoir aux minorités francophones, prévoyant que leurs enfants

pourraient être instruits en français et que les ayants droits pourraient gérer leurs écoles.

Mais cette disposition était assortie d’une condition : le nombre d’enfants sur un territoire

donné devait justifier l’application de ce droit. C’est donc une nouvelle étape qui s’ouvre,

avec les campagnes politiques et judiciaires, dans la lutte acharnée des communautés

francophones minoritaires pour la reconnaissance de leurs droits sur la gestion scolaire.

Nous n’en traçons pas ici l’histoire ni l’évolution, mais proposons plutôt une synthèse de

ce qu’est la gouvernance communautaire francophone.

À partir des années 1990, la fonction publique canadienne a été transformée avec

une plus grande participation de la société civile à l’élaboration des politiques publiques

et aux services gouvernementaux (Léger, 2015). Dans le domaine des langues officielles,

les interventions de la société civile dans les prestations des services au public ont donné

naissance à ce qu’il convient d’appeler « la nouvelle gouvernance des langues

officielles » (Léger, 2013). C’est dans le sillage de ces transformations que le phénomène

de la gouvernance communautaire francophone s’est établi et a continué d’évoluer. Léger

(2015), définit ainsi la gouvernance communautaire :

rend compte de l’ensemble des mécanismes et des pratiques de concertation et de collaboration dont se sont dotés les organismes communautaires francophones en vue d’exercer et de répartir le pouvoir d’action que leur délèguent ces programmes de soutien gouvernemental (p. 26).

Léger affirme également que :

le phénomène de la gouvernance communautaire francophone est le résultat de la fin du dualisme canadien ainsi que de la mise en place de la nouvelle gouvernance des langues officielles (Ibid. p. 27).

Il est clair que l’obtention de la gouvernance scolaire n’a jamais été une fin en soi.

Dès le départ, les communautés, organisations et dirigeants de la minorité francophone

ont vu les écoles et les conseils scolaires linguistiques homogènes comme des agents

essentiels pour assurer leur survivance culturelle, obtenir de la majorité un traitement plus

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équitable et se redéfinir en tant que collectivités provinciales capables de jouer un rôle

mineur mais efficace sur la scène nationale.

1.4. La gouvernance de l’éducation dans les langues officielles

Les communautés minoritaires francophones, par des actions et interventions

continues, ont su démontrer que leur conception du Canada était la vision bilingue et

multiculturelle nourrie par le gouvernement fédéral de Trudeau. Le gouvernement

Trudeau a effectivement pour premier objectif d’accroître le sens de la citoyenneté

pancanadienne en se fondant sur un ensemble de valeurs communes clairement définies

dans la Charte (1982). « La Charte est au cœur de la conception libérale de la citoyenneté

défendue par Trudeau, qui s’inscrit dans le contexte d’un monde de plus en plus

multilingue et multiculturel » (Behiels, 2005, p.64). Dès lors, la Charte a permis la

constitutionnalisation de l’égalité du français et de l’anglais au Canada, elle a influencé

aussi la formulation des politiques publiques, et a rendu nécessaire l’adoption d’une

nouvelle loi sur les langues officielles en 1988. Comme nous le rappellent encore Cardinal

et Léger que :

l’intervention gouvernementale dans le domaine des langues au Canada est importante (…) tous les gouvernements ont un rôle à jouer en faveur de l’égalité linguistique (Cardinal & Léger, 2017, p.4).

Hayday, pour sa part défend le rôle crucial du programme d’éducation des langues

officielles dans la construction de l’unité nationale canadienne :

There is thus reason to believe that the ongoing objective of continually renewing and reinforcing Canadian national unity, a clear goal of the Official Languages in Education Program, was enhanced by this imaginative, if somewhat complicated, program (Hayday, 2005, p.185).

Le contrôle du PLO (1970) par le palier fédéral prend sa légitimité du fait qu’il s’agit

d’un programme d’aménagement linguistique, qui a été conçu dans une perspective

d’unité nationale et en réponse aux défis posés par la Révolution tranquille au Québec.

First, the government wanted to craft policies that would respond to a pan-Canadian linguistic duality, offering government services and educational

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programs to English and French speakers across the country, where viable communities existed. Second, it sought to respond to the challenges posed by Quebec’s Quiet Revolution in a manner that would make the federal government relevant to French Canadians, while staving off the possibility that Quebec might separate from the rest of Canada (Hayday, 2005, pp. 5-6).

La gouvernance des langues officielles désigne l’ensemble des dispositions

fédérales en matière de langues officielles et, la gouvernance des minorités de langues

officielles est une de sa composante qui renvoie aux dispositions relatives aux

communautés minoritaires de langues officielles. En effet, les obligations stipulées dans

les articles 41 et 42 de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles (1969) exigent que

le ministère du Patrimoine canadien « suscite et encourage la coordination de la mise en

œuvre par les institutions fédérales » d’engager des mesures positives visant à « favoriser

l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer

leur développement ».

L’argument de Léger (2013, p. 431) est que « la Loi ne prescrit ni le format, ni le

contenu » des ententes de collaboration entre le ministère du Patrimoine canadien et les

communautés de langue officielle en situation minoritaire. Cette précision

permet de voir que les exigences de la Loi auraient bien pu se traduire en une gouvernance des langues officielles qui mise sur la gouvernance communautaire en ce qui a trait à l’engagement de favoriser l’épanouissement et d’appuyer le développement des minorités francophones au Canada. (…) sur le développement des capacités d’actions des organismes et des institutions communautaires, ainsi qu’une autogestion des ressources financières consenties dans le cadre des ententes signées avec le ministère Patrimoine canadien. (Ibid.).

1.5. Société civile et gouvernance : l’exemple des communautés francophones et francophiles de Colombie-Britannique

Les communautés minoritaires francophones, par des actions et interventions

continues, ont su démontrer que leur conception du Canada était la vision bilingue et

multiculturelle nourrie par le gouvernement fédéral de Trudeau. Le gouvernement

Trudeau a effectivement pour premier objectif d’accroître le sens de la citoyenneté

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pancanadienne en se fondant sur un ensemble de valeurs communes clairement définies

dans la Charte (1982). « La Charte est au cœur de la conception libérale de la citoyenneté

défendue par Trudeau, qui s’inscrit dans le contexte d’un monde de plus en plus

multilingue et multiculturel » (Behiels, 2005, p. 64). Dès lors, la Charte a permis la

constitutionnalisation de l’égalité du français et de l’anglais au Canada, elle a influencé

aussi la formulation des politiques publiques, et a rendu nécessaire l’adoption d’une

nouvelle loi sur les langues officielles en 1988. Comme nous le rappellent encore Cardinal

et Léger que :

l’intervention gouvernementale dans le domaine des langues au Canada est importante (…) tous les gouvernements ont un rôle à jouer en faveur de l’égalité linguistique (Cardinal & Léger, 2017, p.4).

Hayday, pour sa part défend le rôle crucial du programme d’éducation des langues

officielles dans la construction de l’unité nationale canadienne :

There is thus reason to believe that the ongoing objective of continually renewing and reinforcing Canadian national unity, a clear goal of the Official Languages in Education Program, was enhanced by this imaginative, if somewhat complicated, program (Hayday, 2005, p. 185).

Le contrôle du PLO (1970) par le palier fédéral prend sa légitimité du fait qu’il s’agit

d’un programme d’aménagement linguistique, qui a été conçu dans une perspective

d’unité nationale et en réponse aux défis posés par la Révolution tranquille au Québec.

First, the government wanted to craft policies that would respond to a pan-Canadian linguistic duality, offering government services and educational programs to English and French speakers across the country, where viable communities existed. Second, it sought to respond to the challenges posed by Quebec’s Quiet Revolution in a manner that would make the federal government relevant to French Canadians, while staving off the possibility that Quebec might separate from the rest of Canada (Hayday, 2005, pp. 5-6).

La gouvernance des langues officielles désigne l’ensemble des dispositions

fédérales en matière de langues officielles et, la gouvernance des minorités de langues

officielles est une de sa composante qui renvoie aux dispositions relatives aux

communautés minoritaires de langues officielles. En effet, les obligations stipulées dans

les articles 41 et 42 de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles (1969) exigent que

le ministère du Patrimoine canadien « suscite et encourage la coordination de la mise en

œuvre par les institutions fédérales » d’engager des mesures positives visant à « favoriser

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l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer

leur développement ».

L’argument de Léger (2013, p. 431) est que « la Loi ne prescrit ni le format, ni le

contenu » des ententes de collaboration entre le ministère du Patrimoine canadien et les

communautés de langue officielle en situation minoritaire. Cette précision

permet de voir que les exigences de la Loi auraient bien pu se traduire en une gouvernance des langues officielles qui mise sur la gouvernance communautaire en ce qui a trait à l’engagement de favoriser l’épanouissement et d’appuyer le développement des minorités francophones au Canada. (…) sur le développement des capacités d’actions des organismes et des institutions communautaires, ainsi qu’une autogestion des ressources financières consenties dans le cadre des ententes signées avec le ministère Patrimoine canadien. (Ibid.).

1.6. Mandat de l’école francophone en Colombie-Britannique

C’est en 1977, près de cent ans après avoir établi un système d’éducation

publique, que le gouvernement de la CB accorde aux francophones le droit à l’instruction

en français. Les principes gouvernant l’enseignement en français sont établis dans un

programme portant le nom de « programme cadre de français ». Deux ans après, le

programme cadre débute avec 232 élèves répartis dans 9 programmes sous la juridiction

des districts scolaires anglophones. En 1982 l’adoption de la Charte canadienne des

droits et libertés, et son article 23 donnent le droit aux minorités de langues officielles à

l’éducation pour leurs enfants, dans leur langue maternelle, et cela où le nombre le justifie.

Ainsi a été ouverte la première école francophone publique et homogène de CB.

De 1988 à 1999 s’ensuit une longue bataille juridique entre l’Association des

parents du Programme cadre de français et la province. Finalement, victoire des parents

en juillet 1999, un Conseil scolaire francophone (CSF) obtient la juridiction sur le

programme d’éducation francophone à travers toute la province. Aujourd’hui, la

Fédération des parents francophones de Colombie-Britannique compte 45 membres, soit

des associations de parents relevant des secteurs scolaire et préscolaire qui continuent à

représenter et promouvoir les droits et les intérêts des parents francophones en CB. En

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2018, le CSF, le seul conseil scolaire pour l’ensemble de la province, compte, sur toute la

province, 42 écoles et près de 6000 élèves, de la maternelle à la 12è année, sont inscrits

dans ses écoles.

Ce Conseil scolaire, le seul francophone en Colombie-Britannique, est établi

conformément à la Loi scolaire de la Colombie-Britannique Section 166-12 et BC

Regulation 213/994. Le CSF a, selon les dispositions de la Loi Scolaire de la Colombie-

Britannique, le droit exclusif de livrer un programme éducatif francophone à

tous les élèves admissibles résidant sur le territoire sous sa juridiction sans limitation culturelle ou linguistique. Le programme offert n’inclut pas un programme de langue française qui ferait partie du programme anglais ou du programme d’immersion (Ibid.).

La spécificité du mandat de ce conseil est :

• fournir une éducation de langue française aux élèves qui la fréquentent ;

• protéger, valoriser et transmettre la langue française ;

• promouvoir le développement d’un sentiment d’appartenance aux cultures francophones (Ibid.).

En conséquence, dans un contexte d’éducation en français en milieu minoritaire,

les écoles francophones ont pour mandat non seulement d’offrir une éducation de qualité

afin d’assurer la réussite scolaire des apprenants, mais également de « valoriser et de

promouvoir la culture francophone en lien avec les communautés qu’elles desservent »5.

C’est ainsi que l’école francophone doit s’affirmer comme : « l’habitat d’une culture vivante

qui s’appuie sur des éléments culturels des francophonies régionale, canadienne et

internationale ». Aussi dans un contexte de diversité culturelle et linguistique fort variée

« le visage changeant de la francophonie » (Ibid. p. 4), l’école francophone vise à «

favoriser la réussite identitaire des apprenantes et apprenants en leur fournissant un

espace francophone qui reflète le pluralisme de la communauté franco-colombienne »

(Ibid.).

4 Voir Politique P-101 Mission, vision et langue du CSF. Version révisée 2017.

5 Politique H-800-1 culturelle et communautaire du CSF. (2010). p. 3

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1.7. Organisation de la thèse

Notre propos dans le présent travail consiste donc à tenter à saisir les

représentations sociales que construisent les élèves, et le personnel éducatif

(enseignants, aides pédagogiques, conseiller, éducateurs spécialisés et administrateurs),

lorsqu’ils définissent leurs identités francophones individuelles et l’identité francophone

collective dans les écoles francophones de la CB. Notre objectif est de comprendre

comment les identités francophones individuelles se construisent et évoluent au gré des

expériences de vie des participants interviewés et des interactions engagées à la fois à

l’intérieur et à l’extérieur de l’école pour participer à la trans/formation d’une identité

francophone collective de la CB. La question centrale du leadership éducationnel en

milieu minoritaire invite à une réflexion sur l’intégration des identités culturelles multiples

et du bi/plurilinguisme dans un contexte de mondialisation où les flux migratoires en

provenance de la francophonie internationale ont connu un net essor.

À cet effet, la première partie de notre travail présentera les points d’ancrages

théoriques et conceptuels (Chapitres 1 à 3) de notre étude. Le Chapitre 1 est une mise

en contextes du contexte global de l’éducation en milieu minoritaire au Canada, pour

mieux appréhender la situation de notre étude. Chapitre 2 explicite le concept de

représentations pour arriver à comprendre leurs formations et transformations au fil du

temps dans un cadre sociohistorique donné. Le Chapitre 3 portera sur les représentations

d’identités et les facteurs qui entrent dans les modalités de la construction d’un sentiment

d’appartenance à la francophonie canadienne. Enfin, puisque notre étude met en jeu la

communauté francophone, le Chapitre 4 examinera les représentations de la minorité

francophone canadienne, ses définitions de frontière, sa position sur l’immigration

francophone, et son questionnement du phénomène de minorisation des minorités.

La deuxième partie (Chapitres 4 à 5) de notre travail sera entièrement dévolue à

la présentation de la méthodologie de l’étude. Ainsi le Chapitre 5 présentera la

problématique, l’intérêt de l’étude, les questions de notre recherche, la posture

d’enseignant-chercheur et les questions d’éthique. Le Chapitre 6 précisera tour à tour la

méthode de collecte de données, la sélection des participants, les outils d’analyse et

d’interprétation de données.

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Enfin, la troisième partie (Chapitres 7 à 9) exposera les résultats de notre analyse

des discours qui mettent en lumière une identité francophone collective évanescente et

en constante évolution. À cet effet, le Chapitre 7 donnera à entendre les voix des acteurs

élèves pour mieux comprendre, selon leur point de vue, comment ils construisent leurs

identités francophones, qui est souvent culturellement multiple et linguistiquement

plurielle. Puis, le Chapitre 8 se penchera sur le rôle de passeur/médiateur culturel de

l’enseignant francophone en CB ainsi que l’impact de son ce rôle sur son identité

professionnelle. Face à sa mission de construction identitaire des élèves, l’enseignant est

souvent démuni et livré à lui-même. Cependant, à travers sa propre transformation

professionnelle, l’enseignant francophone minoritaire devient, bon gré mal gré, un acteur

engagé qui contribue grandement à l’évolution de l’identité francophone collective de

l’école et de la communauté francophone en CB. Enfin, le Chapitre 9 de cette étude lèvera

le voile sur l’espace francophone que constitue l’école. À travers les discours des

administrateurs, nous analyserons les défis auxquels l’école doit faire face quand elle est

confrontée à la diversité culturelle et linguistique des élèves, de la communauté éducative

et plus largement de la communauté francophone en CB.

La conclusion présentera les résultats de notre réflexion et nos recommandations

pour l’exercice du leadership en éducation dans les milieux francophones en situation

minoritaire. Nous verrons enfin dans quelle mesure l’école compose avec la pluralité des

identités francophones et le bi/plurilinguisme de sa communauté afin de répondre aux

nouveaux besoins de ses élèves et promouvoir l’identité francophone collective de la CB.

Et donc comment l’école est un instrument ou pas au service de la gouvernance

communautaire de la communauté…

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18

PARTIE 1 : POINTS D'ANCRAGES THÉORIQUES ET CONCEPTUELS

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Dès que l’on cherche à décrire les liens entre langue et identité, particulièrement

les motifs et intérêts qui sous-tendent les pratiques linguistiques liées aux choix des

identités, on pourrait se laisser tenter par la question des idéologies linguistiques

(Rousseau & Bonardi, 2001). Les idéologies sont des constructions sociales, donc

collectives, qui englobent des représentations (des croyances, des opinions, des idées)

que l’on a par rapport à un phénomène : sur sa nature, ses origines, ses caractéristiques,

son importance, sa raison d’être, etc. (Heller, 2002). Parce qu’elles ne sont pas le propre

d’acteurs en particuliers, mais plutôt traversent le tissu social des sociétés ou des

communautés desquelles elles sont issues (Blommaert, 2005), les idéologies ont une

certaine stabilité qui fait en sorte qu’elles existent sans que soient constamment remis en

question leurs fondements et indépendamment des changements d’opinions des

individus. Elles sont donc reproduites dans la société comme étant « vraies »,

apparaissant comme un système logique et cohérent, masquant les processus de

construction sociale qui les sous-tendent (Boudreau, 2009). Or, nous nous intéressons,

dans notre étude, aux situations sociales vécues par des locuteurs bi/plurilingues afin de

comprendre comment ils se construisent et se représentent leurs univers

sociolinguistiques. Notre étude ne s’attache pas, dans l’étude des idées, à l’examen

linéaire de leur détermination ou indépendance sociale, mais « à la dialectique entre

production par le social et construction du social » (Jodelet, 1991, p.11). Notre choix

d’examiner notre problématique par les représentations sociales permet d’examiner des

« logiques d’acteurs » à travers leurs mises en discours et leurs transformations dans et

par les discours (Matthey, 2000 ; Moore & Py, 2008). Nous adoptons, dès lors, une

approche sociolinguistique des bi/plurilinguismes individuels pour cerner, comprendre et

expliquer les phénomènes et processus en jeu dans la construction des identités

francophones bi/plurilingues. Ce faisant, les ancrages théoriques et conceptuels mobilisés

empruntent à différents paradigmes épistémologiques (ceux de la sociologie, de la

sociolinguistique, de l’anthropologie linguistique ou de l’ethnolinguistique, entre autres),

mais sont partie prenante des études qui portent leur regard sur les locuteurs et sur le

positionnement et le choix des langues en usage en situations complexes (Lüdi, 1995 ;

Lüdi & Py, 1995 ; Lamarre et Dagenais, 2004 ; Moore, 2006 ; Moore & Py, 2008 ; Sabatier,

2010 ; Moore & Brohy, 2013).

Parce que notre recherche se situe dans un cadre scolaire qui est en pleine

évolution, et que notre travail consiste à examiner les dynamiques de formation et de

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transformation des identités francophones que les élèves et les enseignants dans les

écoles francophones en CB, construisent au fil de leurs discours, il nous semble pertinent,

pour échafauder notre cadre conceptuel, de préciser les points d’ancrages théoriques.

Trois concepts principaux soutiennent notre questionnement de recherche : qu’est-ce

qu’une représentation sociale ? Que recouvre la notion d’identité(s) en lien avec le

bilinguisme canadien ? Qu’est-ce que la notion de communauté francophone en milieu

minoritaire ? Nous les présentons dans trois sections.

Ces trois espaces conceptuels, centraux à la compréhension de notre réflexion,

explicitent et soutiennent le cadre théorique choisi. Nous commencerons par une

recension des écrits sur les concepts de représentations (sociales) de l’identité tout en

essayant de voir comment ces représentations se forment et se transforment, comment

elles conditionnent les rapports sociaux et influent à la fois sur les positionnements

identitaires de soi et de l’autre en lien avec le contexte dans lequel elles se développent.

Tout comme le concept de représentations qui s'est transformé au fil du temps dans

différents domaines d'application, le concept d'identité a lui aussi évolué. Cette idée qui

voit l'être humain disposant d'appartenances multiples, parfois contradictoires entre elles,

mais fondues en une seule identité apparaît, à une plus grande échelle, comme une

réflexion contemporaine des identités des communautés francophones au Canada.

Désormais l’identité n’est plus compréhensible au singulier, unique, mais selon une

interprétation socioconstructiviste avec des paramètres contextuels changeants. Des

représentations d’identités, il nous semble important de compléter notre réflexion et la

cohérence du cadre conceptuel par la notion de communauté francophone, ce que l’on

entend par être francophone, les paramètres à tenir compte dans la définition de son

identité collective en contexte de diversité culturelle et linguistique. Nous nous

intéresserons avant tout aux discours officiels et aux décisions prises par un Conseil

Scolaire Francophone en termes de projets pédagogiques, de gestion de la diversité, de

soutien linguistique et d’adaptation culturelle des élèves, de soutien aux enseignants dans

les écoles pour répondre aux besoins diversitaires de la communauté d’enseignants,

d’apprenants et de parents qui en construit le tissu.

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Chapter 2. Représentations sociales

2.1. Les représentations, un acte social

Selon Durkheim (1968), la représentation collective est une représentation

homogène, fixe et partagée par tous les membres d’une société. La représentation

collective perdure dans le temps. C’est une forme mentale qui se définit par la « stabilité

de la transmission et de la reproduction » (Moscovici, in Jodelet, 1989, p.82). Reprenant

les travaux de Durkheim, Moscovici (1989) a fait des représentations un objet de la

psychologie sociale et ses travaux ont exploré les rapports entre la dimension sociale et

la dimension psychique, ce qui a amené à utiliser le terme de représentations sociales

(désormais RS). Pour Moscovici (1989), les RS ont une certaine diversité d’origine et c’est

dans la communication qu'elles se forment, se déplacent, se négocient. C’est la

communication qui « permet aux sentiments et aux individus de converger, de sorte que

quelque chose d’individuel peut devenir social ou vice versa » (Moscovici, in Jodelet,

1989, p. 99).

Ainsi les RS sont caractérisées par une certaine idée de reconstruction du réel

dans la mesure où le réel qui se donne à voir est reconstruit par l’individu pour se

l'approprier, leur attribuant ainsi une utilité sociale qui constitue une des caractéristiques

des RS. Bonardi et Roussiau précisent que « une représentation reste un ensemble de

contenus, de savoirs qui nous sont propres mais que nous partageons aussi avec d’autres

(2014, p. 7).

Dès lors, le concept de représentation sociale tel qu’il est proposé dès l’origine par

Moscovici présuppose :

un système de valeurs, de notions et de pratiques ayant une double vocation. Tout d’abord, instaurer un ordre qui donne aux individus la possibilité de s’orienter dans l’environnement social, matériel et de le dominer. Ensuite d’assurer la communication entre les membres d’une communauté (2005, pp. 10-11).

Pour Abric (1994, pp.15-18), les représentations sociales jouent un rôle

fondamental dans la dynamique des relations sociales et dans les pratiques parce qu’elles

permettent de remplir quatre fonctions centrales : a) des fonctions de savoir, en

permettant de comprendre et d’expliquer la réalité ; des fonctions identitaires, parce

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qu’elles servent à définir l’identité et la spécificité des groupes ; c) des fonctions

d’orientation, parce qu’elles guident les comportements et les pratiques ; d) des fonctions

justificatrices, parce qu’elles permettent de justifier les prises de position et les

comportements.

L'interactionnisme devient ainsi une dimension centrale des RS que ce soit dans

leur élaboration ou leur diffusion. De plus, les RS sont à la fois propres à chaque individu

et partagées avec autrui, d'où cette tension entre le moi en tant qu'individu et le moi

appartenant à un groupe, le collectif. Sabatier définit les RS comme étant des

formes de connaissances socialement élaborées, partagées, synthétiques et efficaces, dont les fonctions interprétatives et la lisibilité prennent corps (notamment) dans les discours, eux-mêmes socio-historiquement ancrés (2010, pp. 125-161).

Ainsi les représentations sociales des uns ne sont pas celles des autres : elles reflètent

un positionnement social (idéologique), inscrit dans une histoire (elles en sont le produit

en même temps qu’elles participent à celle-ci).

Les RS permettent dès lors de créer des cadres de références partagés

spécifiques à un groupe, une culture ou une classe sociale qui les utilisent comme des

grilles de lecture pour interpréter et donner sens au monde qui les entoure, et pour s’y

positionner. Ce sont ces valeurs sociales, largement diffusées et très souvent porteuses

de normes prescriptives, qui structurent et organisent un univers de référence et

d’appartenance pour le locuteur. Dire des représentations qu’elles sont sociales, c’est

aussi reconnaître les modalités de leur construction, de leur diffusion, de leur réglage et

de leurs changements. Ces modalités sont collectives en ce sens que tout se fait par des

interactions entre individus appartenant à un même groupe. Moliner et Guimelli (2015)

constatent que l'émergence d'une RS coïncide toujours avec l’apparition d'une situation

innovante, inconnue au groupe. Cet objet, en raison de la menace, de l’intérêt ou des

conflits potentiels qui en découleraient, sera soumis à une communication collective où le

partage des connaissances contribuerait à la formation de RS. Celles-ci se construisent

selon « un processus de catégorisation d’objets, de personnes, d’assignation,

d’inférences et d’attributions causales, etc. » (Moliner & Guimelli, 2015, pp. 22-23),

largement partagé par les membres du groupe à travers deux autres processus : l’ancrage

et l’objectivation. Le premier consiste à ancrer l’objet dans un cadre de références

familières et spécifiques à l’espace et au temps du groupe ; le second, à le concrétiser de

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manière à le rendre plus tangible et donc à le percevoir comme un élément de la réalité

mais non plus comme la réalité elle-même. Ces opérations sociocognitives se font bien

entendu dans le cadre d’interactions sociales. Moscovici (1989) décrit en ces termes les

trois dimensions constituantes des RS : a) la dimension cognitive ou le processus

d'objectivation et d'ancrage qui permet d'analyser le processus d'émergence d'une

représentation sociale chez un individu ; b) la dimension affective : le domaine de l'affecte,

des échos avec les sentiments tels que l'appartenance identitaire, sentiments de menace,

etc. ; c) la dimension sociale : puisque les représentations sociales sont à l'interface de

l'individu et du collectif.

De ce fait, les représentations sociales permettent d'accomplir certaines actions

par leurs différentes fonctions : fonction de savoir (connaissance naïve) ; fonction

d'orientation (connaître le mot, s'approprier le mot) ; fonction identitaire (les RS permettent

de catégoriser, d'identifier, de mettre une étiquette sur autrui, sur moi) ; fonction de

justification (les conduites, les attitudes, tout ce qui va permettre à l'individu de s'orienter,

de justifier son attitude par rapport à son action) ; fonction d'action (c'est au nom de telle

ou telle représentation que je vais effectuer tel ou tel acte). C’est alors que les contacts

de l’individu avec ses réseaux sociaux agissent sur ses représentations individuelles de

manière consciente ou inconsciente, le conduit à reformuler celles-ci pour les stabiliser en

RS afin d’aboutir à une vision consensuelle de la réalité. Les représentations peuvent dès

lors se qualifier de dynamiques, évolutives, diversifiées, fragmentaires, et limitées parce

qu’elles se modifient, se transmettent et se confrontent à d’autres RS dans les discours,

sont diffusées et circulent dans des groupes sociaux, et doivent se justifier pour être

acceptées ou rejetées par l’individu (Py, 2003). D’après Matthey, « les représentations

sociales se conçoivent comme perception de la réalité pour les individus et qu’elles

représentent des modalités de connaissance » (2000, p. 17).

Les RS opèrent chez l’individu qui agit dans un cadre de vie collective et sociale,

elles procèdent dès lors avec ses identités en les exprimant, les renforçant, les protégeant

ou encore les légitimant (Jodelet, 1989).

La représentation sociale est avec son objet dans un rapport de « symbolisation », elle en tient lieu, et d’« interprétation », elle lui confère des significations. Ces significations résultent d’une activité qui fait de la représentation une « construction » et une « expression » du sujet. (…) Mais la particularité de l’étude des représentations sociales est d’intégrer

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dans l’analyse de ces processus l’appartenance et la participation sociales ou culturelle du sujet (Ibid., p. 61).

L’étude des phénomènes liés aux RS, dans le cadre d’une prise de décision dans

le champ de l’éducation permet de chercher, d’après Moliner et Guimelli (2015), à

comprendre la manière et les raisons qu’ont les individus ou les groupes de créer leur

propre vision du monde. Elle permet aussi d’opérer des changements de comportement

chez l’individu par rapport à son environnement social (Ibid.), le choix des curricula ou des

contenus de cours ayant un impact évident sur les représentations de l’individu. De plus,

l’étude des RS favorise la compréhension des interactions en salle de classe d’un groupe

d’élèves issus de groupes socioculturels variés mais aussi aux styles et besoins

d'apprentissage divers afin de créer la cohésion du groupe, et de créer un environnement

d’apprentissage propice. Ainsi comprendre le sens d'un projet éducatif revient à identifier

les RS dans leurs contextes culturels, historiques, économiques et politiques.

Comme toute interaction sociale a un caractère symbolique, elle conduit les

individus, les groupes à se définir les uns par rapport aux autres, et elle participe à la

définition de l'identité de chacun. C'est pourquoi elle doit s'organiser selon des règles

communes aux membres d'un groupe donné. En fournissant des « points de référence »

partagés par rapport auxquels les individus et les groupes pourront prendre position, les

RS constituent ces règles (Doise, 2015, p. 30). Les RS organisent, par conséquent, les

processus symboliques qui sous-tendent l'interaction sociale. Le modèle sociodynamique

de Doise assigne aux RS une double fonction : d'une part elles sont définies comme «

des principes générateurs de prises de position ». D'autre part, elles sont aussi « des

principes organisateurs des différences individuelles » (Ibid.). Les RS fournissent

autrement dit aux individus des points de références communs, mais dans le même

mouvement, ces points de référence deviennent des enjeux à propos desquels se nouent

les divergences individuelles. Ce modèle sociodynamique, avec sa théorie des principes

organisateurs tient une place importante dans les relations intergroupes en essayant de

montrer comment les différentes appartenances sociales peuvent déterminer l'importance

accordée à différents principes. Il s'agit ainsi d'étudier l'ancrage des RS dans les réalités

collectives.

De plus, « on reconnait généralement que les représentations sociales, en tant

que système d’interprétation régissant notre relation au monde et aux autres, orientent et

organisent les conduites et les communications sociales » (Jodelet, 1989, p. 36). Portées

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par les discours, les RS « nous guident dans la façon de nommer et de définir ensemble

les différents aspects de notre réalité de tous les jours, dans la façon de les interpréter,

statuer sur eux et, le cas échéant, prendre une position à leur égard et la défendre » (Ibid.,

p. 47).

Dès lors, la particularité de l’étude des RS tient à l’effort d’intégrer dans l’analyse

les appartenances et la participation sociale et culturelle, et les effets du contexte dans

leur détermination. Jodelet (1989, p. 60) résume cet effort d’intégration sous la forme

d’une formule en trois questions : « Qui sait et d’où ? Que et comment sait-on ? Sur quoi

et avec quel effet ? »

2.2. Les mises en discours des représentations sociales

Windisch (1989) nous rappelle que la sociolinguistique et les méthodes d’analyse

des discours montrent les liens forts entre les formes de la pensée et les formes du

langage qui servent au locuteur à les exprimer. Pour Windisch, insister sur le fait que les

représentations sociales se construisent dans l’interaction en souligne les dimensions

fondamentalement dynamiques, le caractère mouvant, variable et changeant, et les effets

de reconstruction permanente de la réalité sociale dans les discours quotidiens (p. 195),

tout en se rapprochant des comportements effectifs et réels des « acteurs » eux-mêmes

(p. 197), « constructeurs et transformateurs de réalité » (p.200).

L’intérêt de l’étude des RS réside ainsi dans le fait qu’elle en appelle

inévitablement à l’étude du discours dans les interactions conversationnelles. Au cours de

ces interactions, le langage engage un processus d’interprétations en continu : le discours

permet de dégager au niveau des RS un sens social reposant sur des normes partagées

mais constamment négocié par les interlocuteurs. Dès lors, loin d’être des croyances

abstraites, les RS sont de véritables objets de discours en ce qu’elles se construisent par

et à travers les discours. Pour Moore et Py (2008),

Une représentation sociale existe dans et par un discours. C’est dans et par le discours que les représentations se construisent, se modifient et se transmettent, C’est aussi dans et par le discours qu’une représentation sociale est diffusée et circule dans un groupe social. (…) La représentation

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assure en ce sens un lieu de connivence initiale entre les membres d’un groupe (…) (p. 276).

Moore et Py considèrent que la circulation et la diffusion d’une RS n’impliquent pas

nécessairement l’adhésion de tous les membres d’un même groupe social à cette RS. En

revanche, elles permettent « la coordination des actes et des paroles, voire les conflits et

les désaccords dans la mesure où ils supposent que chacun parvienne alors non certes

pas à adhérer, mais au moins à donner un sens à ce que fait ou dit autrui » (Moore & Py,

2008, p. 18). En effet en tant que partie intégrante d’une culture, les RS sont des interfaces

entre les individus appartenant à un groupe et le groupe lui-même, donc entre l’individuel

et le collectif. L’individu garde sa liberté par la possibilité dont il jouit de reconnaître une

croyance sans y adhérer. La représentation peut se limiter à une simple connaissance

d’un état de fait culturel. En revanche l’adhésion éventuelle à ce fait culturel fait de

l’individu un membre affiché du groupe. La distinction entre connaissance et adhésion

ouvre ainsi un espace à la liberté individuelle.

Notre appréhension du monde se construit avec nos interactions sociales ; en effet

nous construisons et déconstruisons notre univers selon nos besoins, nos rencontres, nos

déplacements. Ainsi, le discours identitaire se définit en fonction des représentations,

selon Roy,

ces dernières [les représentations] étant le résultat de la trajectoire particulière de chaque individu. Donc, si les représentations font état de la trajectoire personnelle d’un individu, chaque individu aura son propre discours et ce dernier dépendra de ce que l’individu aura vécu, subi et entretenu dans sa mémoire (2006, p. 182).

On peut en conclure que la construction et la déconstruction de ces univers de sens que

sont les représentations, interrogent continuellement l’individu sur la nature des réseaux

qu’il tisse avec son environnement et sur le rôle social autant que le positionnement

identitaire qu’il y inscrit, à nouveau entre le statique et le dynamique, comme l’écrit

Castellotti :

c’est précisément le lien dialectique entre du matériau « pré-construit » (ce qui n’implique pas nécessairement du statisme) et des éléments « en construction » qu’il paraît pertinent d’interroger (2009, p. 9).

Toutes ces questions et les enjeux qui en ressortent font du contexte de notre

étude un terrain instable et un objet d’étude multifacette et changeant souscrivant aux

impératifs d’une approche s’appuyant sur la notion de complexité. Cette perspective nous

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permet d’envisager la possibilité que les représentations sociales puissent être fortement

conditionnées par les perceptions qu’auront aussi bien les élèves que le personnel

éducatif des projets identitaires à l’œuvre dans leur école ou leur communauté. Il s’agira

alors d’examiner dans les discours comment les différents points de vue des acteurs

concernés entrent en écho ou non pour éclairer les modalités d’interaction et déterminer

la nature des modalités d’appartenance.

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Chapter 3. Représentations d’identité(s)

Les questions d’identités sont au cœur des préoccupations actuelles sur les effets

de la mondialisation et focalisent sur différents aspects de la construction identitaire

personnelle, sociale, collective et professionnelle. Nous abordons ici un des éléments

centraux de notre tour d’horizon conceptuel pour examiner en quoi et comment les

représentations sociales sont en relation avec la construction identitaire des individus ou

des groupes qui les produisent. Pour un groupe comme celui que nous étudions : élèves,

enseignants, aides pédagogiques, conseiller, éducateurs spécialisés et administrateurs,

il est important de se questionner sur l’identité que l’école francophone minoritaire cherche

à s’approprier dans un contexte hautement plurilingue et pluriculturel. Nous penchant sur

l’étude de l’identité francophone minoritaire au Canada, il reste donc pertinent, pour une

meilleure compréhension des enjeux que soulève notre sujet, de nous intéresser aussi

aux identités multiples, aux identités plurilingues et aux identités professionnelles telles

que nous les livrent en entretien les participants ; il s’agira ainsi d’examiner leur

émergence à travers les systèmes représentationnels qui se dégagent de leurs discours.

3.1. La notion d’identité

Située à la croisée de nombreuses disciplines, la notion d’identité suscite un intérêt

interdisciplinaire et relève cependant principalement du domaine de la sociologie. Afin de

mieux comprendre la place de la notion d’identité en sociologie aujourd’hui, il paraît

important de nous arrêter sur quelques étapes importantes de la mise en circulation et de

l’évolution de la question de l’identité dans cette discipline.

C’est Durkheim (1898) qui fut le premier à proposer que l’identité des individus soit

définie par rapport à l’identité des groupes auxquels ils appartiennent. Selon lui, l’identité

se développe à la croisée de l’individuel et du social. C’est à Erikson que l’on doit ensuite

d’avoir introduit, autour des années 1950, une réflexion systématique sur l’identité

personnelle et ethnoculturelle. Pour Tap (1979), l’identité personnelle concerne les

caractéristiques temporelles de la conscience de soi. Mais on peut aussi (…) l’assimiler à un système de sentiments et de représentations de soi, c’est-à-dire à l’ensemble des caractéristiques physiques, psychologiques,

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morales, juridiques, sociales et culturelles à partir desquelles la personne peut se définir, se présenter, se connaître et se faire connaître, ou à partir desquelles autrui peut la définir, la situer ou la reconnaître (p. 8).

Avec le courant de l’interactionnisme symbolique, la notion d’identité a beaucoup

évolué depuis quelques décennies. La large utilisation du terme « identité » est d'origine

récente et de provenance localisée (Brubaker, 2001). En effet c'est aux États-Unis, dans

les années 1960, que le terme « identité » a été introduit dans l'analyse sociale et qu'il a

commencé à se diffuser dans les sciences sociales et le discours public. Au milieu des

années 1970, déjà, Mackenzie parlait de l’identité comme d’un mot « atteint de folie à

force d’avoir été utilisé » (Mackenzie, 1978). Hall définit l’« identité » comme « une idée

que l'on ne peut plus penser à la manière ancienne, mais sans laquelle certaines

questions essentielles ne peuvent pas être pensées du tout » (cité dans Brubaker &

Junqua, 2001, p. 73). Brubaker et Junqua définissent de leur côté l’identité comme un

aspect central de l’« individualité » (particulière ou collective) ou comme une condition

fondamentale de l'être social, l'« identité » est invoquée pour désigner quelque chose de

supposément profond, fondamental, constant ou fondateur. Elle se distingue « d'aspects

ou d’attributs du « moi » plus superficiels, accidentels, passagers ou contingents et est

entendue comme une chose à valoriser, cultiver, encourager, reconnaître et préserver »

(Ibid. p. 72).

Comme l’explique Ferreol, l’identité est à la fois relative et relationnelle. L’identité

connaît aussi « des variantes, recompositions et réversibilités » (1992, p. 12). Pour

Boudreau et Nielsen, « [l’identité] surtout lorsqu’elle est précédée d’un article défini qui

suggère faussement une unicité inébranlable et toujours désirable en soi, est dans notre

vécu une entité de plus en plus complexe, certains diront « mythique », d’autres,

« éclatée » ou encore simplement « postmoderne »» (1994, p. 4).

Construite sur la base des structures mentales et des processus psychiques

individuels, l’identité est un processus dynamique tout au long de l’existence de chacun,

conjuguant singularité, appartenance collective et groupale. Tendant vers une

stabilisation de la conscience de soi, le sentiment d’identité n’est pas figé. Il évolue selon

les âges, en fonction des événements de la vie et des traumatismes (séparation, deuil,

rencontre, maladie, conjoncture professionnelle…), en fonction des mouvements sociaux.

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Dès lors, c’est le sens que nous donnons à nos actes et les relations que nous

(re)construisons qui déterminent notre identité par rapport à un contexte social et

historique donné. Nous procédons ainsi à de continuels « réglages identitaires » pour

« forger une identité fluide, adaptée à un parcours multidimensionnel et nomade » (Zarate,

Lévy & Kramsch, 2008, p. 177). Nous construisons alors des représentations situées, des

grilles de lectures ou des cadres de référence partagés (Moore & Py, 2008) afin de

comprendre, d’attribuer des significations à un monde en perpétuel changement et d’être

en mesure de « s’y ajuster, s’y conduire, le maîtriser physiquement et intellectuellement,

identifier et résoudre les problèmes qu’il pose » (Jodelet, 1989, p. 47).

Pour Brohy (2012), le terme d’identité est une notion « transverse des sciences

sociales » (p. 2). Brohy écrit que le terme identité lui-même comprend une contradiction :

rester idem même dans des conditions linguistiques et culturelles changeantes d’un

même « indivisible » individu. Cependant, elle souligne :

Malgré cela, l’identité est de plus en plus perçue comme étant une caractéristique hybride et bricolée qu’il s’agit de faire accepter, qu’il faut adapter, négocier, construire en interaction avec son entourage proche ou lointain (Ibid.).

C’est le philosophe canadien Charles Taylor (1991) qui a attiré notre attention sur

le développement de l’éthique de l’authenticité dans la quête de soi de la culture moderne.

Au-delà de l’exigence d’autonomie qui demande au sujet de se déterminer par lui-même

et d’assumer ses actes, l’exigence d’authenticité l’appelle à être lui-même et à pleinement

réaliser les potentialités qui le singularisent. C’est cette conception d’authenticité qui

constitue une étape cruciale de la construction identitaire et un critère clé de la définition

de soi. Nouvelle montée de l’individualisme, mais n’entendons pas ce terme en un sens

négatif, comme un synonyme d’égoïsme et de retrait, mais en un sens positif, moral,

comme souci de s’autodéfinir : « Être sincère envers moi-même signifie être fidèle à ma

propre originalité, et c’est ce que je suis seul à pouvoir dire et découvrir. En le faisant, je

me définis du même coup. Je réalise une potentialité qui est proprement mienne. Tel est

le fondement de l’idéal d’authenticité » (Prairat, 2009, p. 120). En questionnant nos

identités, nos valeurs éthiques, ne sommes-nous pas nous-mêmes dans le processus de

changement, d’évolution appelé empowerment d’authenticité individuelle du savoir être

de la culture moderne (Ibid.) ?

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Hall (1996) replace cette définition de soi dans un contexte postmoderne dominé

par la crise des identités et en particulier des identités nationales. Celles-ci ont pris place

dans un processus plus large de changement qui a disloqué les structures de base et

les processus de formation des sociétés modernes.

(…) the old identities which stabilized the social world for so long are in decline, giving rise to new identities and fragmenting the modern individual as a unified subject. This so-called “crisis of identity” is seen as part of a wider process of change which dislocating the central structures and processes of modern societies and undermining the frameworks which gave individuals stable anchorage in the social world (Hall, 1996, p. 596).

Ce processus remet en cause les cadres de références qui ont, jusque-là, fourni aux

individus un ancrage stable dans la société pour aboutir à un processus d’adaptation,

voire de compromis, au cours desquels les identités sont soumises aux jeux et aux

fluctuations de l’histoire, de la politique, des représentations et des différences à l’ère de

la mondialisation. Les individus vivent de ce fait un double décentrement : de leur espace

socioculturel et d’eux-mêmes. Paradoxalement, cette mondialisation donne lieu aussi à

un regain d’intérêt pour la relocalisation, un recentrement sur des identifications

différenciées et un renforcement des identités locales et donc aussi communautaires.

L’identité personnelle, individuelle ou encore « la quête de soi » selon Halpern

(2016), est en incessante construction et ne peut se faire qu’à travers l’interaction sociale.

D’après Kaufmann (2004), il s’agit d’une « invention de soi ». Partant des faits, Kaufmann

construit la théorie sociologique s’inscrivant en cela dans une théorie ancrée (grounded

theory). Il affirme qu’il est indispensable de sortir d’une approche substantialiste, où

l’identité est définie comme une entité, faite de stabilité et de totalité, vision résultant d’une

part de ses origines administratives et étatiques – la carte d’identité de papier censée

résumer à elle seule tout l’individu, alors qu’elle n’est en réalité qu’un ensemble

d’identifiants. Cette « quête de soi » dès lors ne se réalise pas dans un cocon coupé de

l’environnement social, et l’analyse de l’intégration individuelle dans des groupes sociaux

dévoile toute sa pertinence. Elle est d’autant plus intéressante que l’affirmation du « je »

a pris le pas sur l’identité du « nous » à travers la modernisation à l’œuvre. L’appartenance

à des groupes sociaux devient ainsi primordiale pour l’individu en « quête de soi » car est

associée à sa capacité à choisir l’orientation qu’il donne à sa vie. Ainsi peut-il s’identifier

aux groupes auxquels il appartient tout en affirmant son identité individuelle, deux

processus essentiels dans la « quête de soi » moderne. L’identité passe nécessairement

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par de multiples identifications. Dans la même lignée, pour Taylor, cette conception d’un

moi autonome, coupé du monde, préexistant en quelque sorte à la société est une «

illusion ». Le moi individuel est toujours enraciné et situé à l’intérieur d’un groupe (Taylor,

1998).

Dans sa thèse, Laghzaoui (2011) écrit que la notion d’identité peut être envisagée

de deux points de vue : essentialiste et non-essentialiste. Le premier suggère que l’identité

est un tout unifié et uniforme dans lequel « soi et l’identité culturelle forment un noyau

stable » (p. 85). Le second considère au contraire la notion d’identité comme un

construit multiple, dynamique et hybride en ce qu’elle est marquée par la complexité et la pluralité et s’inscrit dans une dynamique de changement : l’identité est le fruit d’une négociation permanente avec notre environnement et notre histoire (Laghzaoui, 2011, p. 71).

Le sociologue américain Brubaker voit, lui, dans l'identité une catégorie pratique

et une catégorie d'analyse. Pour lui, une catégorie pratique comprend les expériences

vécues par les individus au jour le jour, alors que dans la catégorie de l'analyse, le

chercheur tient son objet d'étude à distance. Ainsi Brubaker (2001) attribut à l'identité une

fonction, une visée utilitariste :

Elle est aussi utilisée par les leaders politiques pour persuader les gens de se comprendre, eux, leurs intérêts et leurs difficultés, d'une certaine manière, pour persuader (en vue de certaines fins) certaines personnes qu'elles sont « identiques » entre elles en même temps que différentes d'autres personnes, et pour canaliser, tout en la justifiant, l'action collective dans une certaine direction (p. 69).

Comment se construit l’identité de chacun ? Comment se fait l’intégration d’un

individu au sein d’un groupe, d’une communauté ou d’une société ? L'identité se construit

en effet à partir des activités quotidiennes qui définissent les rapports sociaux. La notion

d'identité ne peut donc pas être décrite en dehors du contexte social dans lequel elle

évolue, étant donné que c'est ce contexte qui lui donne un sens. Tap dans son entretien

avec Lecomte souligne le danger de limiter l’identité à la catégorisation « d’être(s) », et de

ne pas suffisamment prendre en compte la « dynamique » des identités multiples dans le

déroulement des conduites individuelles et collectives :

La personne en devenir ne se limite pas à ses identités et celles-ci varient dans ses actes, dans ses phases de vie. D’où la nécessaire prise en compte du processus que j’ai proposé d’appeler « identisation » et de comprendre son fonctionnement. L’identité met surtout l’accent sur la

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permanence, l’équilibre des représentations. L’identisation introduit au contraire une dynamique paradoxale entre processus susceptibles de s’harmoniser ou d’entrer en conflit (crise identitaire, repli, violence). Elle implique la différenciation, l’affirmation, la valorisation dans les conduites par rapport aux autres (auto-promotion), en même temps que la construction d’une intériorité (sens, valeur des autres, auto -identification) (Tap in Halpern, 2016, p. 50).

Partant de l’analyse qualitative reposant sur des récits biographiques à partir du

discours des membres de la communauté africaine francophone à Vancouver, Sabatier

met en lumière aussi bien les traversées de frontières géographiques, linguistiques et

culturelles que les médiations identitaires qui prennent place pour négocier un sens

d’appartenance à une communauté dans un environnement sociolinguistique

multiculturel. L’auteure conclut :

Le concept d’identité est donc désormais apparenté à un processus situé, qui se construit et se déconstruit en lien avec les contextes, selon une dynamique qui oscille entre auto-catégorisation et catégorisation par autrui (Sabatier, 2011, p. 66).

3.2. Identités multiples

Aujourd'hui l'identité n'est donc plus compréhensible de façon « unidimensionnelle

mais selon une lecture (socio)constructiviste, elle se transforme sous l'effet des

paramètres contextuels changeants » (Sabatier, 2011, p. 189). Ainsi devrait-on davantage

parler d'appartenances multiples ou d’identités multiples « afin de mieux rendre compte

de l'ensemble de « je » successifs manifestations d'un seul et même individu, que ce

dernier donne (ou non) à voir » (Sabatier, 2011, p. 189).

Selon Breton, le pluralisme implique également que l’individu peut se trouver dans

des contextes différents aux diverses étapes de sa vie personnelle, familiale et

professionnelle, « le pluralisme culturel permet et même exige des appartenances et des

identifications multiples et changeantes » (1994, p. 60). Dans son essai Les Identités

meurtrières (1998), Maalouf souligne l'unicité de l'identité malgré la pluralité des éléments

qui la composent. Elle est une pour tout un chacun mais composée d'éléments différents

"dosés" de manière particulière et diverse chez tout individu.

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L'identité ne se compartimente pas, elle ne se répartit ni par moitiés, ni par tiers, ni par plages cloisonnées. Je n'ai pas plusieurs identités, j'en ai une seule, faite de tous les éléments qui l'ont façonnée, selon un « dosage » particulier qui n'est jamais le même d'une personne à l'autre. (Maalouf, 1998, p. 8).

Cette idée qui voit l'être humain disposant d'appartenances multiples, qui peuvent aussi

être contradictoires entre elles, mais fondues en une seule identité apparaît, à une plus

grande échelle, comme une réflexion contemporaine de/des identité(s) des communautés

francophones (Heller, 2007 ; 2009 ; 2014 ; Thériault, 1995 ; Thériault, Gilbert & Cardinal,

2008 ; Traisnel, Violette & Gallant, 2013). En effet, avec l'essor migratoire, la diversité et

l'hétérogénéité linguistique et culturelle qui composent la communauté francophone en

Colombie-Britannique, aujourd'hui on s'interroge sur la définition même de ce que l'on

entend par « être francophone » (Jacquet, Moore & Sabatier, 2008 ; Laghzaoui, 2011 ;

Sabatier, 2011, 2015).

Dès lors la question de la prééminence de la reconceptualisation du « je » et la

déconstruction de la notion d’identité se pose :

(...) Identity becomes a «moveable feast»: formed and transformed continuously in relations to the ways we are represented and addressed in the cultural systems which surround us. It is historically, not biologically, defined. The subject assumes different identities at different times, identities which are not unified around a coherent «self». Within us are contradictory identities, pulling in different directions, so that our identifications are continuously shifted about. If we feel we have an unified identity from birth to death, it is only because we construct a comforting story or «narrative of the self» about ourselves. The fully unified, completed, secure and coherent identity is a fantasy. Instead, as the systems of meaning and cultural representation multiply, we are confronted by a bewildering, fleeting multiplicity of possible identities, any one of which we could identify with – at least (Hall, 1992, p. 277).

Ainsi, l’identité n’est pas biologique mais elle est définie par le contexte historique.

Dans les sociétés d’accueil pluralistes et multiculturelles comme la CB, les immigrants

construisent plusieurs formes d’identification (Bemporad & Moore, 2013 ; Gohier, 2006 ;

Moore & Simon, 2002 ; Moore, Marshall & Zhu, 2015 ; Pilote, 2006 ; Sabatier, 2006, 2011,

2015).

Brubaker affirme que l'identité collective n'existerait pas, car elle supposerait une

frontière délimitée entre ce groupe et son environnement, c'est aussi voir dans ce groupe,

une homogénéité entre ses membres. À la notion d’identité qui est floue puisque «

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infiniment élastique qu'il en devient inapte à accomplir un travail analytique sérieux »

(Brubaker, 2001, p. 74), il propose donc celle d’identification qui suppose qu’il existe un

agent d’identification mais ne prédit pas le résultat final de cette identification. Il établ it

également une différence entre « les modes d’identification relationnels et catégoriels ».

Autant les modes relationnels font référence à l’identification dans un réseau

professionnel (comme par exemple, élève-enseignant) familial ou amical, autant les

modes catégoriels, comme le nom l’indique, s’adressent à des cas où l’identification se

fait par rapport à des catégories comme l’appartenance ou la langue comme ce qui nous

intéresse dans cette étude.

Pour Wieviorka, les identités individuelles et identités collectives sont compatibles

et se nourrissent.

La subjectivité personnelle alimente les identités collectives, elle active considérablement leur production. Et sauf sectarisation ou fermeture complète du groupe sur lui-même, le désir de subjectivation ne s'éteint pas du jour où l'on rentre dans une identité collective ou une autre : les gens s'engagent, mais aussi se dégagent des identités (2016, p. 306).

Gallant, s’inscrivant dans le courant de la psychologie sociale, dans la même

lignée que Tajfel, conçoit l’identité comme « constituée, d’une part, de l’autodéfinition et,

d’autre part, de l’importance affective accordée à cette autodéfinition » (2008, p. 40).

Dans le prolongement de cette approche, le concept d’identité individuelle peut

être défini dès lors comme un construit subjectif réunissant les appartenances dont

l’individu lui-même considère qu’elles le caractérisent le mieux. Ainsi, les diverses

appartenances d’un individu n’ont pas toutes la même valeur à ses yeux. C’est la valeur

que celui-ci leur accorde qui leur donnera un caractère identitaire ; les appartenances qui

forment son identité sont celles qu’il considère à la fois comme les plus centrales ou

importantes et les plus caractéristiques de sa personne. « Certes, l’identité est constituée

de diverses appartenances, mais cela ne signifie pas pour autant que toutes les

appartenances de l’individu soient identitaires à ses yeux » (ibid.).

Contrairement à l’approche postmoderniste qui considère l’identité comme un

« processus », Gallant défend l’idée que l’identité elle-même est le résultat de ce

processus, « même s’il ne s’agit pas d’un résultat fixe et immuable, elle est néanmoins le

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produit d’un processus, ce dernier étant la construction de l’identité, plutôt que l’identité

elle-même » (ibid.).

Dans ce contexte, l’identité se doit d’être comprise comme étant le résultat d’une

construction sociale, plutôt que comme un attribut prescrit qui aurait été acquis au moment

de la naissance. Le rapport à l’identité évolue ainsi selon les expériences de vie des

individus. D’après Sabatier, « L'identité est désormais envisagée comme un ensemble

divisible, combinatoire, multidimensionnel et hétéroclite tout en étant vécu de façon

cohérente et continue » (2011, p. 189).

De plus les identités se construisent dans le cadre du discours et entrent dans un

rapport de réciprocité avec les représentations de soi et de l’autre et disent à la fois l’être

et le devenir ; les identités s’inscrivent de ce fait dans un processus représentat ionnel

complexe en raison des mobilités des individus et des frontières géographiques,

historiques, politiques, sociales, ethniques et religieuses qui caractérisent notre époque.

L’individu est dans un effort constant de repositionnements de soi et de l’autre dans

l’espace et le temps tout en les conjuguant avec son action et son histoire (Lévy in Zarate,

Lévy & Kramsch, 2008). L’identité sociale ou collective et l’identité individuelle sont donc

en constante négociation et font souvent émerger des conflits et des résistances propres

à réinterroger la place de chacun. Lüdi (in Lüdi & Py, 1995) définit l’identité sociale comme

l’appartenance (linguistique, sociale, ethnique, etc.) à un groupe plus large. Elle se

compose « d’une part d’autocatégorisation (comment l’individu se perçoit lui-même), mais

aussi et surtout une part d’hétérocatégorisation (comment il est perçu par les autres). Les

deux ne sont pas forcément congruentes » (ibid., p. 209). Pour Lüdi, l’identité sert aussi à

singulariser une personne comme individu, « à garantir que les « je » successifs, que les

différentes apparitions comme acteur dans des situations sociales sont bien des

manifestations d’un seul et même individu » (ibid.).

3.3. Identités bi/plurilingues : choix de langues ou « actes d’identités »

Mobilités et migrations ont reconfiguré le paysage linguistique et culturel du

Canada, tout comme celui de la province de CB. Le recensement de 2016 montre que

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1 267 460 personnes, soit 36%6 de la population de la province, rapportent parler le plus

souvent une langue d’immigration dans le contexte familial à Vancouver et son

agglomération. Dans ce contexte très diversifié sur le plan des langues et des cultures de

contact, la place du langage et des langues est au cœur du processus de

construction/déconstruction/reconstruction identitaire des adolescents inscrits dans les

écoles francophones de la CB. Comme l’expliquent Moore et Brohy, ce ne sont pas les

identités qui sont plurilingues et pluriculturelles :

mais les locuteurs qui utilisent les langues et les formes culturelles de leur répertoire, les affichent, les cachent ou les mélangent, pour exprimer et affirmer leurs identités, ou résister à celles qu’on cherche à leur attribuer (…) La manière dont nous exprimons est, symboliquement, aussi important que ce que nous disons. Nos utilisations de la ou des langue(s) expriment et rendent visibles nos affiliations à différents groupes et nos solidarités, comme elles tissent les structures sociales dans lesquelles nous évoluons. Les langues (les dialectes, les accents, les variétés, les parlers bilingues, etc.) servent ainsi de marqueurs emblématiques des identités, une notion plurielle qui condense, une série de significations et combine et imbrique construction de soi, sentiments d’appartenance et reconnaissance, impliquant donc des facteurs tant individuels que sociétaux (2013, p.289).

Les identités plurilingues sont dès lors constituées de « tensions », et « d’espoir »

des différentes populations et communautés, « tout y trouve écho et tout y est rejoué par

un constant et imprévisible frottement des langues et de l’autre dans le Moi » (Dahlet,

2008, p. 4). Selon Dahlet, les identités plurilingues se construisent en fonction d’enjeux

globaux : pragmatiques (les langues sont des outils), économiques (elles sont des valeurs

marchandes), « nous sentir différents, à nous connaître et à reconnaître l’autre, c’est pour

nous amener à « outrepasser les frontières » sans les abolir » (2008, p. 15). Les identités

plurilingues sont politiques (elles contribuent à l’émergence d’identités collectives),

écologiques (elles établissent un lien entre bio et linguistico-diversité), épistémologiques

(les mots sont comme l’origine du monde) et éthiques (les langues sont un appel à

l’altérité) (Ibid.).

Ainsi, les travaux sociolinguistiques, sur les liens entre langues et identités dans

les contextes de contact et les dynamiques de leur négociation interactive en contexte,

montrent qu’à travers leurs discours, les locuteurs affirment leur identité personnelle, leurs

affiliations à certains groupes et leurs aspirations à certains rôles sociaux. Par

6 Statistique Canada. Recensement de 2016. Publié le 8 février 2017

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conséquent, les choix de langues deviennent des « actes d’identités » (Le Page &

Tabouret Keller, 1985 ; Moore & Brohy, 2013, p. 296).

Les langues s’affichent ainsi comme des signes d’identité : elles reçoivent en effet une fonction symbolique d’identification sociale, par lesquelles s’expriment les liens de (dé)solidarité. (…) Les affiliations linguistiques restent, à ce titre, investies d’idéologie ; elles révèlent la négociation de normes et de références multiples dans des espaces de tensions identitaire, la solidarité à des idéaux et à des valeurs sociales, l’adhésion à un dispositif représentationnel légitime ou illégitime ; elles sont ainsi, aussi, largement imaginées (Ibid. p. 297).

Lorsqu'il s'agit d'individus plurilingues, entendus comme des personnes pratiquant deux

ou plusieurs langues à des niveaux de compétence différents en fonction des contextes

sociaux et des communautés avec lesquelles ils interagissent (Lüdi & Py 2003, Moore &

Brohy, 2013), la problématique liée aux questions identitaires devient très complexe.

Moore et Brohy (2013) ont proposé de définir ces identités multiples, plurilingues et

pluriculturelles, propres à l'individu plurilingue, de la manière suivante :

Les identités plurilingues et pluriculturelles sont une catégorie de l'identité (individuelle et/ou collective). Elles s'expriment au travers de l'usage que fait un locuteur de ses langues et de ses cultures, et au travers de ses discours sur celles-ci. Elles sont marquées par l'instabilité et l'ambivalence. Elles se révèlent de manière différente selon les choix des locuteurs à l'intérieur d'un ensemble de possibles, choix qui dépendent, entre autres, des trajectoires de vie individuelle, des catégories sociales et linguistiques à disposition et des interprétations que donne l'individu aux circonstances locales dans lesquelles il est amené à négocier la différence et à signaler ses affiliations (p. 297).

Brohy (2012) qualifie le rôle de la langue d’« habit identitaire ». En effet, les langues

véhiculent des valeurs et des cultures variées dans lesquelles non seulement les identités

très souvent composites sont négociées mais aussi le statut des langues, et donc aussi

leur image en tant petites ou grandes langues, avec toutes les connotations afférentes,

ainsi que la subjectivité et relativité des concepts :

Le langage, la langue et la parole (…) sont largement associés à cette élaboration identitaire, et le choix d’une langue, d’une variété ou d’un registre est un acte identitaire – souvent inconscient – qui inclut autant qu’il peut exclure (p. 2).

Parce que l'identité dont il est question ici est l'identité francophone en milieu minoritaire

au Canada, la question de la langue dans l'élaboration de cette identité se pose

simultanément. En effet,

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l'interdépendance du linguistique et d'appartenance conduit à porter attention à la construction et à la négociation du processus d'identification qui se met en place et s'opère dans la constitution des identités sociales (Sabatier, 2011, p. 190).

Gérin-Lajoie (2001, 2006) souligne, pour sa part, que l’identité bilingue des jeunes

en milieu francophone minoritaire constitue un phénomène complexe et dynamique.

Cette complexité provient de plusieurs facteurs, tels les rapports sociaux qui impliquent

non seulement de parler la langue, mais aussi l’appartenance des jeunes à leur milieu

social, linguistique et culturel respectifs. L’identité bilingue qui prévaut est caractérisée par

un va-et-vient continuel entre les frontières linguistiques (anglais, français ou autres) des

jeunes ; ce que Gérin-Lajoie appelle « une mouvance perpétuelle ». Il est indiqué

également que bien qu’issu de contextes sociaux et linguistiques divers, le discours

bilingue des jeunes est le même quant à leur positionnement identitaire. De plus ce

rapport à la langue et à la culture évolue suivant le milieu et contexte sociaux ou les

circonstances dans lesquels se trouvent les jeunes. Dans leurs pratiques langagières, ils

changent de langues par rapport au contexte social dans lequel ils s'engagent. Ils

s’adaptent donc continuellement aux contextes sociaux et linguistiques dans lesquels ils

évoluent. Gérin-Lajoie soutient l’importance du milieu familial qui, par la valorisation et la

reproduction à la fois de la langue et de la culture francophone, détermine le sentiment

d’appartenance francophone des jeunes ; alors que dans les lieux publics et avec leurs

amis, les jeunes s’adaptent suivant le contexte linguistique et tendent à adhérer aux

valeurs de la majorité dominante. Le discours des jeunes touche également l’importance

et l’utilité de la langue française dépassant une simple fonction de communication dans

les rapports sociaux. L’identité des jeunes, en l’occurrence, leur identité bilingue, est

étroitement liée au contexte social et linguistique dans lequel elle se construit et évolue. Il

n’existe cependant pas ou peu d’études en CB sur l’identité des jeunes.

Le bilinguisme pour ces jeunes peut bien être une adoption complète de la culture

et la langue majoritaires et un « rejet total » de leur propre culture et de leur langue (Gérin-

Lajoie, 2001 ; Pilote, 2004 ; 2006 ; Pilote & Magnan, 2008) ; mais ceci doit être compris

tout en tenant compte de la complexité des pratiques sociales et notamment, des rapports

de force (le pouvoir de la langue majoritaire) dans lesquels ils évoluent.

Dans un contexte minoritaire, l’identité culturelle construite et l’autodéfinition

produite par la personne peuvent varier selon les aspects considérés. Une personne peut

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se définir différemment sur les plans ethnique, linguistique et culturel (Gérin-Lajoie, 2001 ;

Pilote, 2004 ; 2006 ; Pilote & Magnan, 2008). Les membres de la communauté

francophone pourront se définir comme francophones, bilingues linguistiquement et

anglophones culturellement. Il est possible aussi que des personnes d’origines variées

s’identifient linguistiquement à la communauté francophone ou à la communauté

anglophone, tout en maintenant une identité distincte. Le fait qu’il existe deux

communautés de langue officielle au Canada et une politique de multiculturalisme officiel

favorise cette attitude.

Par ailleurs, que veut dire « francophone » ? Comment se définit l’identité

francophone ? Le terme francophone(s) est une invention relativement récente. Il reflète

les

mutations identitaires de la collectivité de langue française qui a utilisé, depuis le dix-septième siècle, diverses expressions pour se définir et se projeter dans l’avenir. En même temps, l’Autre, qu’il soit Amérindien, de langue anglaise ou provenant d’ailleurs dans le monde, a également utilisé différents termes pour définir la collectivité de langue française (Martel, 2011, p. 6)

L’identité francophone est un aspect de l’identité sociale. L’identité sociale se

définit par rapport aux groupes ou catégories sociales auxquelles la personne se dit

appartenir. Ainsi on peut avoir plusieurs identités sociales, même si elles ne sont pas

d’une importance égale. L’identité personnelle et l’identité sociale ne sont pas facilement

dissociables du point de vue du contenu et du processus. Les personnes cherchent à

réunir et à réconcilier leurs appartenances et leurs caractéristiques en un moi intégré et

la personne ne distingue pas nécessairement toujours les appartenances qui la marquent

des traits ou des caractéristiques qui la définissent (Erikson, 1968). D’ailleurs,

l’appartenance à un groupe peut fonder des caractéristiques qui définissent l’identité

personnelle ou le concept de soi (ibid.). Pour Deveau, Allard et Landry (2008) le concept

d’identité culturelle se rapproche de « l’identité ethnolinguistique francophone comme

phénomène ethnolangagier individuel » car elle permet

de décrire le processus de construction identitaire et de formuler des hypothèses sur la façon dont cette identité peut influer sur l’identité collective du groupe ou de la communauté. (…) l’identité ethnolinguistique que les personnes s’attribuent et le degré d’engagement qu’elles manifestent envers leur communauté ethnolinguistique sont largement le produit de leur socialisation ethnolangagière. Toutefois, cette identité est

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aussi le produit d’une construction autonome et personnelle lorsque les aspects du vécu ethnolangagier appuient cette autodétermination (pp. 74-75).

L’identité francophone est dès lors à la fois personnelle et collective dont certains

aspects peuvent s’influencer mutuellement. L’impact de ces caractéristiques

d’appartenance francophone agit certainement sur la pratique enseignante et marque

l’identité professionnelle des enseignants à qui revient la construction identitaire des

élèves, dans les écoles francophones en milieu minoritaire. Comme le souligne

Cummins :

the ways in which identities are negotiated will affect the long-term outcomes of the learning/teaching process and, by the same token, the effectiveness of instruction in enabling students to generate knowledge will affect the academic and personal identities that students develop (2000, p. 254).

3.4. Identité professionnelle

L’école francophone minoritaire est toujours une place prépondérante de

transmission de langue et de culture francophones. Son personnel éducatif, au-delà de

son rôle de transmettre des connaissances, sont investis de la mission de la construction

identitaire de leurs élèves. Le rôle de construction et la transmission des identités s’étend

également à tout le personnel éducatif en tant qu’acteurs dans la gouvernance

communautaire. Ce rôle a des répercussions sur l’ensemble des dimensions identitaires,

y compris les dimensions professionnelles.

Bien que la question d’identité intéresse de nombreuses disciplines, les

recherches sur l’identité professionnelle s’inspirent principalement du domaine de la

sociologie. C’est le sociologue français Sainsaulieu (1977) qui s’est penché sur la

construction identitaire au travail en menant des enquêtes auprès d’ouvriers, d’employés,

de techniciens et de cadres sur les rapports humains dans le milieu du travail. Ses

recherches ont révélé la fonction socialisatrice des organisations et le rôle de l’identité

sociale et individuelle dans l’évolution de la vie professionnelle. Son postulat est que le

travail organisé influence grandement les schèmes mentaux et les habitudes collectives

des acteurs. Sainsaulieu définit l’identité professionnelle comme la façon dont les

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différents groupes d’acteurs au travail s’identifient à leurs collègues, aux chefs et aux

autres groupes. Il distingue l’identité du « soi » de celle « pour autrui ». L’identité du

« soi » se définit comme un ensemble de représentations permettant aux individus de

trouver une cohérence, une continuité entre leurs expériences présentes et celles du

passé. Quant à l’identité « pour autrui », il la définit comme un système de repères menant

à la découverte que l’on est proche de certains et différents des autres. Cette identité,

évolutive et dynamique, se construit au fil du temps.

Au Canada la recherche sur l’identité professionnelle des enseignants relève

d’approches ancrées dans le courant de la sociologie des professions (Gohier & al., 2001;

Larouche & Legault, 2003). Ces travaux tentent de répondre aux questions suivantes :

Qui sont les enseignants en tant que groupe professionnel ? Quel sens donnent-ils à leur

travail ? Comment vivent-ils leur travail ? Quel est le propre de leur expertise ? Quels

savoirs sont quotidiennement mobilisés ? À quels défis sont-ils confrontés ? Donc, le

concept d’identité professionnelle et l’idée de conception de leur rôle de passeur des

identités collectives renvoient au sens donné par un enseignant à l’action et aux situations

dans lesquelles celle-ci est exercée. Il se situe à la conjonction de trois ordres de données

que sont : ce que la personne fait, la manière dont elle le fait et le sens qu’elle donne à ce

qu’elle fait ; ce que l’environnement de travail s’attend à ce que la personne fasse au

regard des effets recherchés ; et ce que les systèmes sociaux définissent comme critères

d’efficacité et de légitimité. Dans un contexte canadien qui valorise le bilinguisme dans les

deux langues officielles, la question de la langue dans la formation de l’identité

professionnelle est à prendre en considération, car elle fait intervenir les enjeux de pouvoir

qui sont directement liés aux relations entre les différents groupes sociaux. En effet, la

mission de l’enseignant dépend du milieu (majoritaire/minoritaire) dans lequel il travaille.

De par son rôle à l’interface du collectif et du particulier, l’enseignant est le passeur

entre les identités individuelles et les identités collectives. Ainsi, pour comprendre ce

passage, cette médiation de l’enseignant, il devient important de comprendre et saisir son

identité professionnelle car elle est révélatrice. Pour Sabatier (2011), l’identité

professionnelle est ainsi faite d’interactions et d’intersections entre le social et l’individuel,

mais aussi de tensions entre le collectif et le particulier. En effet,

Le tissage des expériences individuelles et sociales rend ainsi possible celui des expériences professionnelles à partir desquelles de nouveaux espaces de dialogues se dessinent pour poser, construire et développer

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les fondements d’une identité professionnelle enseignante affirmée qui mobilise l’ensemble des ressources (individuelles et sociétales) à disposition pour gérer, la diversité linguistique et culturelle et plus largement l’hétérogénéité, des publics scolaires (p. 4).

La construction d’une identité professionnelle est un long processus de socialisation

orienté par le regard sur soi et sur les relations avec autrui. Elle apparait donc comme un

processus dynamique continuellement en reconstruction, marqué par de nombreux

événements et formé de plusieurs composantes dépendant des contextes dans lesquels

les enseignants exercent leur profession. C’est une recherche d’intégration continuelle à

la fois au collectif (la communauté de pratiques) et à son individualité (Anadón, & al.,

2001 ; Gohier, 2008 ; Sabatier, 2006, 2011). Dubar (1998) décrit la nature dynamique et

polymorphe de l’identité de la façon suivante :

L’identité humaine n’est pas donnée, une fois pour toutes, à la naissance : elle se construit dans l’enfance et, désormais, doit se reconstruire tout au long de la vie. L’individu ne la construit jamais seul : elle dépend autant des jugements d’autrui, que de ses propres orientations et définitions de soi. L’identité est un produit des socialisations successives (p. 5).

Pour Gohier et al. (2001), l’introspection est un moment essentiel de l’analyse et

de la connaissance de soi, sans lequel le rapport à l’autre (tout autre, individu aussi bien

que société) est impossible.

On peut considérer le processus de constitution et de transformation de l’identité professionnelle de l’enseignant comme un processus dynamique et interactif de construction de représentation de soi en tant qu’enseignant, mû par des phases de remise en question, générées par des situations de conflit (interne ou externe à l’individu) et sous-entendu par le processus d’identisation et d’identification. Il est facilité par des liens de contigüité avec l’autre et vise l’affirmation des sentiments de congruence, de compétence, d’estime de soi et de direction de soi. Ce processus, qui débute dès la formation du futur-maître, mène à la construction et, virtuellement, à la transformation de la représentation que la personne a d’elle-même comme enseignant tout au long de sa carrière (Ibid., p. 9).

Liée à l’histoire de l’enseignant, à ses multiples trajectoires (familiales, professionnelles),

à son/ses appartenance(s) passées et présentes à d’autres groupes sociaux, l’identité

professionnelle « relève donc tout à la fois d’un processus biographique, d’un processus

représentationnel, d’un processus réflexif et d’un processus relationnel » (Sabatier, 2011,

p. 11).

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Ainsi, dans le contexte canadien qui valorise le bilinguisme dans les deux langues

officielles, en milieu minoritaire, le rapport à la langue s'effectue, comme le souligne

Sabatier « parallèlement avec les (en)jeux de pouvoir qui sont attachés aux relations entre

les différents groupes sociaux » (Ibid.). La question identitaire s'inscrit donc dans les

enjeux de pouvoir, de rapport de force entre les différents groupes sociaux, et les

communautés francophones minoritaires ont forcément un rôle politique à assumer.

Comme il s’agit de l’identité professionnelle francophone en milieu minoritaire au

Canada, une autre dimension identitaire, celle de langue fait intrinsèquement partie de

l’ensemble des identités définissant le personnel éducatif. Comment l’identité

francophone individuelle influe-t-elle l’identité professionnelle ? Comment peut-elle

contribuer à l’identité collective du groupe et à sa vitalité communautaire ? Deveau, Allard

et Landry (2008) ont défini « l'engagement identitaire francophone » comme un facteur

indispensable à la vitalité des communautés francophones minoritaires. En effet,

l'affirmation par le sujet d'identités sociales ou l'autodéfinition ethnolinguistique devient

« la traduction de la mise en actes (concrets ou discursifs) de choix de positionnement et

d'appartenance » (Ibid. p. 73).

L’identité collective des communautés francophones est intrinsèquement reliée à l’identité des individus membres de ces communautés. L’identité ethnolinguistique, le rapport à la langue et à la culture ainsi que l’engagement des individus sont au cœur des enjeux et de la problématique actuelle de la francophonie vivant en situation minoritaire au Canada (Ibid., p. 74)

Pour mieux comprendre les facteurs sociaux et psychologiques qui façonnent

l’identité ethnolinguistique, les auteurs proposent un modèle macroscopique qui permet

de concevoir les facteurs interreliés, et d’appréhender en même temps, dans sa globalité

et sa complexité, l’ensemble des facteurs du vécu francophone minoritaire dans lequel

s’inscrit le développement identitaire. Se dégagent de cette analyse que l’engagement

identitaire fait partie de l’identité francophone, que l’autodéfinition bilingue n’est pas

nécessairement incompatible avec l’engagement identitaire francophone, que les

communautés francophones devraient continuer à se donner la « complétude

institutionnelle » (Ibid.) nécessaire pour permettre la socialisation en français favorisant

ainsi une identité forte et engagée chez les francophones minoritaires qui participent à la

vie communautaire afin de contribuer à la revitalisation de la langue française et donc à

la vitalité de l’espace francophone.

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En tentant d’aborder les représentations sociales en lien avec les identités, nous

retenons ainsi que tout comme les représentations, nos conceptions identitaires évoluent

continuellement en fonction des expériences vécues et des interactions avec autrui.

L’identité revêt donc un caractère complexe qui ne peut être examiné hors du système

social dans lequel l’individu est immergé. Ainsi nous gardons à l’esprit que les identités

se développent contextuellement : elles évoluent historiquement, socialement,

culturellement et professionnellement, et que si on distingue souvent des identités

collectives et des identités personnelles, il n’en reste pas moins qu’elles se forgent

mutuellement et ont des dynamiques singulières mais interdépendantes. De plus, les

langues influent notre/nos identité(s) (et vice-versa), les choix de langues sont dès lors

des actes identitaires. Ainsi, en situation minoritaire, l’identité francophone est au centre

même des relations de pouvoir dans la question de vitalité communautaire, elle reflète

l’affirmation par le sujet d’identités sociales et linguistiques et la mise en actes de choix

de positionnement et d’appartenance par rapport aux autres structures sociales.

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Chapter 4. Représentations de la francophonie canadienne

La question des identités est au fondement de la constitution des communautés

francophones canadiennes en même temps qu’elle ouvre la polémique sur la question de

savoir qui est francophone et qui ne l’est pas. Le discours idéologique dans lequel

l’expression auto-déterminante très répandue du « nous autres » semble définir

l’appartenance à la francophonie canadienne, y compris en milieu minoritaire (Fourot,

2016 ; Gallant, 2008 ; 2010 ; Gallant & Belkhodja, 2005 ; Madibbo, 2010). Cette

expression suppose l’effacement du « je » au profit d’un « nous » supérieur, non

numériquement mais symboliquement, qui correspondrait à une forme d’appartenance à

une nation. En même temps ce « nous » se place comme autre, différent et singulier. On

constate, à travers cet exemple, tout le dilemme de la construction identitaire par et dans

le discours et le positionnement par rapport au changement et à l’altérité dans un contexte

de mondialisation. Dans le cas des minorités francophones, ce changement est bien

présent (Heller, 2002) et fait écho à la dynamique des changements représentationnels

au sein des communautés francophones cela nous amène à nous pencher sur les

représentations de la francophonie canadienne, ses frontières et ses critères d’inclusion

ou d’exclusion.

4.1. La notion de frontière

La notion de frontière, telle que nous la mobilisons ici, a peu de rapport avec des

frontières géographiques. Elle fait appel à un rapport au monde qui établit un ordre

politique créant des espaces qui incluent ou excluent des individus au nom des valeurs

symboliques, affectives, linguistiques et culturelles reposées sur des imaginaires

collectifs. Sabatier définit la notion de frontière ainsi :

Construit social et discursif, par essence instrument de pouvoir, la frontière participe d’abord à appréhender le monde en traduisant la réal ité des relations dialectiques qui s’y donnent à voir et à circonscrire des entités délimitées et posées initialement comme closes. Elle induit cependant également l’idée de traversées ou de passages qui font émerger dans ces espaces préalablement bornés des éléments qui participent à (re)mettre

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en question, voire redéfinir, les limites précédemment établies (2005, p.191).

Les minorités linguistiques, dont celle du Canada français, se sont

traditionnellement construites en se basant sur l’idée de la nation comme entité

juridiquement, socialement, culturellement et linguistiquement homogène, légitimée par

son authenticité, son passé unitaire et son lien avec un certain territoire. Cependant les

changements économiques en cours depuis la fin des années 1980 représentent des

entraves à la reproduction de cette idéologie de la nation : les marchés nationaux,

fonctionnels à l’époque de l’économie industrialisée, ne sont plus adéquats dans la

période actuelle d’expansion du capitalisme. La nouvelle économie mondialisée est axée

sur l’impartition (« outsourcing » ou « délocalisation »), pour ce qui est de l’accès aux

ressources naturelles et humaines, ou sur la valeur ajoutée symbolique en ce qui a trait à

la production et à la distribution des ressources, autant matérielles que symboliques

(services, information) (Heller, Lamarre & McLaughlin, 2009).

Aussi l’espace francophone s’est constitutionalisé, au fil des temps, autour de

réalités provinciales dans lesquelles chaque communauté francophone s’organisait et

revendiquait ses droits, ses lois et des services en français. Il y a 40 ans, bien des

francophones se considéraient toujours « sans pays »7. Selon Thériault (1995), les

francophones semblent vivre plutôt une crise identitaire intense provoquée en partie par

la crise du Canada français et par les débats sur la place du Québec au sein de la

Fédération canadienne. Thériault souligne dans son introduction, d’ores et déjà l’impact

« des règles techniques du marché » dans l’existence des francophonies :

L'existence même de colonies françaises, en Amérique du Nord au XVIIe siècle, est conséquence d'un des premiers grands projets liés à la modernité naissante : le colonialisme et l'extension à l'échelle du monde des règles techniques du marché et de la civilisation européenne. Le capitalisme marchand, dans sa forme moderne, est donc inséparable du développement de ces communautés, et ceci, depuis leur première insertion dans le commerce des pêches, de la fourrure et du bois. Enfin, ces communautés sont insérées, depuis la fin du XVIIIe, pour les Canadiens français, ancêtres des francophones minoritaires du Canada, et depuis le milieu du XIXe siècle, pour les Acadiens, dans une démocratie libérale fondée sur les principes modernes de la représentation. En

7 Pour paraphraser le titre du manifeste publié par la Fédération des francophones hors Québec en 1979, Pour ne pas être sans … sans pays (FFHQ, 1979).

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quelque sorte, la modernité est ancienne au sein de ces communautés. À l'échelle de l'Occident, ce sont de vieux modernes (1995, Introduction).

Cependant, nées de la logique coloniale, économiquement insérées dans l’univers

économique et politique de la société la plus intégrée, à l’époque à la modernité (l’univers

anglo-saxon), inscrites très tôt dans le déploiement d’un État libéral démocratique, ces

sociétés qui culturellement, au milieu du XIXe siècle, semblent vouloir tourner le dos à la

modernité.

Voilà des sociétés, qui pendant un siècle, vivront dans un univers défini par les règles techniques de la modernité, mais qui opteront pour une représentation de leur identité résolument tournée vers le passé. Ce paradoxe est lié à la situation minoritaire particulière de ces communautés, il est aussi le paradoxe même de la modernité (Ibid.).

Heller, pour qui la francité en Amérique du Nord serait symbolisée historiquement

par « l’habitant et le coureur des bois » (2014), met l’accent sur la mobilité de la

francophonie canadienne. En effet, l’habitant représente dans le discours sur la nation

francophone en Amérique du Nord comme témoin de l’ancrage territorial et de la capacité

de reproduction de cette nation.

Même transformé par la modernité, l’idéal francophone affiché demeure celui d’une collectivité autonome et uniforme et il met l’accent sur la sédentarité aux dépens de la mobilité, qui caractérise pourtant tout autant les francophones au Canada (ibid. p. 79).

Même si l’on est loin du temps des coureurs des bois, Heller insiste sur la question de la

mobilité laquelle est essentielle pour penser la francophonie canadienne. Cependant elle

pose problème aux instances associatives et gouvernementales chargées de

l’institutionnalisation de la francophonie canadienne d’aujourd’hui. Pourtant, selon Heller,

la mobilité des francophones est effacée

au nom d’une certaine conception sociopolitique de la francophonie : celle d’une collectivité ancrée dans son territoire, composée de francophones qui choisissent de lutter pour la survie de la langue française en Amérique (ibid.).

Heller explique que les États-nations ont favorisé la construction de nations enracinées,

à la fois linguistiquement, culturellement et historiquement homogènes, et jouissant de

niveaux de vie mesurables (taux de mortalité ou taux de scolarisation par exemple). La

mise en place du nationalisme canadien a dès lors conduit dans ce contexte les

Francophones canadiens à mener des luttes pour assurer leur participation au processus

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décisionnel canadien tout en maintenant leur spécificité culturelle : la gouvernance franco-

canadienne s’est alors appropriée le concept de nation pour mesurer la « vitalité » des

collectivités francophones. Cette notion de vitalité a conduit à développer des techniques

de gestion qui mettent l’accent sur la stabilité de la population, son homogénéité

linguistique et culturelle et le sentiment d’appartenance de ses membres.

Le concept de vitalité a même été adopté en 1988 par le gouvernement fédéral du

Canada pour formuler ses politiques à l’égard des collectivités de langue officielle du pays

et mesurer les résultats de leur mise en œuvre. L’objectif de l’exercice est de savoir dans

quelle mesure la francophonie canadienne se porte bien en dehors du Québec,

comprenons que « bien se porter » signifie, selon les logiques de l’État canadien et son

point de vue statistique, une population sédentaire, bien ancrée dans un territoire, dont

les effectifs se maintiennent et qui a des pratiques langagières unilingues, ou du moins

bien séparées des autres langues du milieu, notamment de l’anglais (Heller, 2014).

L’organisme porte-parole de la francophonie canadienne en milieu minoritaire, la

FCFA, dans une réflexion amorcée sur la définition de la communauté francophone

canadienne, met l’accent sur la langue qui est un critère d’unité et d’unification, comme

l’explique la présidente de la FCFA, Jean Johnson :

C’est comment la langue française que nous partageons nous permet de se parler de nos différences, de reconnaître ce qu’on a en commun et de bâtir une francophonie plurielle et ouverte. C’est pour cette raison que la thématique de la Semaine 2017 est Une langue, mille accents 8.

Entre approches « ancrée » et « mobilité », entre le fixisme et son évolutionnisme,

dans un contexte d’immigration, de mondialisation, les changements représentationnels

au sein des communautés francophones s’imposent :

nous voyons émerger une nouvelle façon d’imaginer la francophonie, une façon qui met davantage l’accent sur la valeur économique de la langue et moins sur sa signification identitaire (Heller, 2002, p. 18).

Le discours étant à l’intersection du réel et du symbolique, il constitue l’interface

dans laquelle prennent corps, existent, se transforment et meurent les représentations

(Moore & Py, 2008). Ainsi, par et dans le discours, nous constatons toute la pertinence de

8 Information disponible sur le site web de la FCFA à l’adresse suivante : http://fcfa.ca/immigration-francophone/

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la construction identitaire et le positionnement par rapport à l’altérité dans un contexte de

diversité culturelle et linguistique. En tant que moyen d’actualisation des représentations,

l’étude des discours permet de mettre au jour toute l’ambiguïté dans la définition de la

communauté francophone, et de définir qui est francophone et qui ne l’est pas. De toute

évidence, il y a une remise en question des frontières de la communauté et des conditions

de son existence ; le virage actuel nous éloigne d’une conceptualisation dans laquelle

l’organisation sociale serait stable, fixe avec des frontières et des critères d’inclusion et

d’exclusion clairs. Il nous amène vers des tentatives de composer avec la fluidité, la

mobilité, la multiplicité et l’ambiguïté, par conséquent nous rapproche d’une nouvelle

notion : celle d’une communauté imaginée.

4.2. La notion de communauté imaginée

La notion de communauté imaginée a été définie puis popularisée par les écrits

d’Anderson. Anderson (2006) propose de concevoir la nation comme une communauté

politique imaginée, puisqu’elle regroupe des membres qui se pensent unis et semblables,

bien qu’ils ne se connaissent pas. Il ajoute que ce concept de communauté imaginée peut

s’appliquer à des échelles plus petites et que, de fait, toute communauté serait d’abord

imaginée. L’idée de former un tout homogène qui lie les individus entre eux pour devenir

membres d’une certaine communauté serait, selon lui, un geste d’imagination et de

création sociale. Les formes que prennent ces communautés et la façon dont elles se

créent varient selon les contextes et les périodes historiques, mais elles sont toutes le

résultat d’une construction collective imaginaire, partagée et reconnue de ses membres.

Un aspect essentiel du concept de communauté imaginée est celui de limite, de

frontière. Une communauté s’imagine toujours de façon discrète, avec des frontières

déterminées, qui permettent de distinguer une communauté d’une autre. Ces frontières

permettent également aux membres d’une communauté de s’imaginer en tant que groupe

solidaire qui partagerait les mêmes expériences et les mêmes valeurs, Anderson (2006)

montre, par ses travaux sur les communautés imaginées en contexte éducatif, que les

discours et les idéologies linguistiques sont des facteurs qui influencent l’établissement et

le maintien des frontières sociales. Les idéologies, les discours et les pratiques

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langagières agissent en effet sur la possibilité pour un individu de se reconnaitre ou de se

faire reconnaitre comme un membre légitime d’une certaine communauté imaginée.

Pour Heller, « langue », « communauté » et « identité » sont des concepts centraux

de la sociolinguistique qui découlent du discours du nationalisme franco-canadien, et qui

y sont profondément imbriqués. En effet, ces concepts ont grandement contribué à la

constitution de l’idée du Canada français, ou de certains de ses éléments, comme une «

nation », construisant et mesurant les frontières de la « communauté » (voire de la «

collectivité ») et de « sa langue ». Or la mondialisation, le néolibéralisme et la nouvelle

économie changent déjà la donne (Heller, 2007).

Dans le cadre d’un mouvement très généralisé, la centralité de l’État-nation comme unité structurante des marchés est menacée par son incapacité à gérer facilement les mouvements transnationaux des personnes et des biens, ainsi que l’expansion des marchés eux-mêmes à l’échelle planétaire (…) On peut lire « le déclin démographique » comme une incapacité de nos outils démolinguistiques actuels à tenir compte d’une fluidité de catégorisation qui a peut-être toujours existé mais que l’on ne peut plus cacher, puisque les conditions économiques et politiques qui le permettaient ne sont plus présentes (Heller, p. 46-47) (…) Aujourd’hui, le néo-libéralisme effectue un changement de discours légitimant : la langue et l’identité doivent faire partie du développement économique (Heller, p. 49).

On retient une certaine évolution de l’espace francophone qui est sous tension. On

constate un passage de « communauté francophone » à « espace francophone » pour

arriver « aux communautés francophones » (Sabatier, 2017).

L’expression espace francophone émerge des années 2000 (Thériault, 1999 ; 2008), désigne une entité fondée sur une caractéristique commune (ici, la langue française perçue comme une valeur fondamentale de l’identité canadienne), et ancrée sur un territoire qui ne nécessite pas nécessairement de frontières définies mais qui s’organise autour de réseaux de relations et d’objectifs spécifiques (en matière d’économie, de santé, d’éducation, etc.)9

C’est donc un imaginaire collectif et une action politique entre un discours

traditionnaliste et un discours mondialisant (Heller & Labrie, 2003, 2005). L’espace

francophone est angoissé par la question de son avenir et de la représentation de soi :

9 Sabatier, 2017, Conférence au printemps de la francophonie à Tours.

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Les communautés francophones minoritaires hors Québec ne sont-elles finalement que

des communautés ethniques parmi d’autres ? (Ibid.).

La construction d’un marché francophone, qui a facilité la mobilité

socioéconomique d’une proportion importante de francophones, a en effet créé un espace

où l’on a envisagé la reproduction de cette francophonie, en fournissant des emplois pour

une population qui est par ailleurs mobile. En adoptant l’image dominante d’une nation

stable et enracinée pour revendiquer l’amélioration de leurs conditions de vie, les

francophones du Canada ont ainsi contribué à la dévalorisation de la mobilité, qui est

pourtant l’un des éléments constitutifs de leur identité (Heller, 2007). La mobilité actuelle

est le prolongement de processus enclenchés dès les débuts de l’histoire coloniale de

l’Amérique du Nord.

Il s’agit donc de changer de point de vue, pour trouver un cadre qui englobe et

explique à la fois la reproduction du concept de vitalité et sa lutte permanente face à la

mobilité. Dans cette perspective, l’utilisation de la notion de vitalité peut être comprise

comme un instrument de gouvernance destiné à construire une certaine idée de la francité

nord-américaine :

il y a plein d’activités qui se déroulent en français, et plein de monde qui pratiquent cette langue. Ce n’est seulement pas toujours les gens attendus, de la manière attendue, dans les espaces attendus. Du point de vue dominant, il s’agit d’un galop vers l’assimilation, Vu autrement, il s’agit d’une transformation de ce que signifie être francophone (Heller, 2008, p. 55).

4.3. L’immigration ou la migration

Le développement de l’immigration au sein des communautés francophones

minoritaires au Canada constitue aujourd’hui une question importante des débats qui

traitent des transformations sociales des milieux francophones. L’évolution de la question

s’articule à partir de deux logiques argumentaires. Elle repose d’abord sur l’enjeu que

présente le faible poids démographique des communautés francophones (3,8% de la

population) et l’apport essentiel de l’immigration pour accroître la population francophone.

Ainsi il s’agit d’un phénomène de croissance, notamment dans les métropoles, et qui fait

appel à une plus grande diversification culturelle et ethnique francophone au Canada.

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L’immigration constitue dès lors une réponse au faible poids démographique de la

population et une condition nécessaire au renouvellement des communautés. L’argument

démographique répond à la logique utilitaire. Ainsi en mars 2002, le ministère de

Citoyenneté et immigration Canada (CIC) a mis en place un Comité directeur Citoyenneté

et Immigration Canada – Communautés francophones en situation minoritaire, visant la

mise en place de conditions (recrutement, sélection, accueil, intégration, régionalisation)

favorisant l’immigration francophone au sein des communautés francophones en milieu

minoritaire. Aujourd’hui encore, l’immigration francophone est « une priorité pour nos

communauté » affiche la Fédération des communautés francophones et acadienne du

Canada (FCFA)10. L’objectif fixé conjointement par le gouvernement du Canada et les

communautés, pour 2023, en matière d’immigrants d’expression française à l’extérieur du

Québec est de 4,4%. En 2006, les gouvernements provinciaux et territoriaux ont adopté

leur propre cible, soit 5%. Pour l’instant, la proportion annuelle des immigrants

s’établissant au sein des communautés francophones en situation minoritaire ne dépasse

pas 2%11.

À l’occasion de la 5è Semaine nationale de l’immigration francophone, le 30

octobre 2017, le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Ahmed

Hussen, a déclaré :

Augmenter l’immigration francophone hors Québec est une priorité pour le gouvernement (…) C’est grâce à l’immigration que nous pourrons continuer d’insuffler du dynamisme à nos collectivités francophones et de maintenir notre riche patrimoine de bilinguisme12.

Dès lors, pour les communautés francophones minoritaires au Canada, la langue

représente un élément identitaire individuel et collectif important car c’est la sauvegarde

de leur identité francophone. On voit émerger ici l’interdépendance entre l’identité

linguistique et l’identité culturelle dans un projet de vie commun : la vitalité de la langue et

des cultures francophones. L’identité est ainsi considérée comme un « facteur de

cohésion du groupe et de stabilité dans les pratiques du groupe » (Legault, 2008, p. 2).

10 Fédération des francophones et acadienne du Canada (FCFA). http://fcfa.ca/immigration-francophone/. Page consultée le 26 août 2018.

11 Ibid.

12 Information disponible sur le site web de la FCFA à l’adresse suivante : http://fcfa.ca/immigration-francophone/

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54

Or, les milieux francophones minoritaires, avec le temps et par la force des choses,

sont des milieux protectionnistes (Heller, 2001, 2008 ; Levasseur, 2017 ; Madibbo, 2010).

Ce sont des milieux qui se définissent à partir de frontières linguistiques et culturelles. La

problématique de l’identité (qui sommes-nous ?) et de son rapport à l’altérité (qu’est-ce

qui nous distingue des autres ?) est primordiale en contexte minoritaire. Cette

problématique entraine le « rejet » et le refoulement d’une population qu’on cherche à

attirer, d’une population différente de « nous » au départ, et donc en dehors du « nous ».

La question qui se pose ici a trait aux frontières à maintenir et à définir. Par conséquent,

la volonté d’attirer et de retenir de nouvelles populations ne peut se concrétiser sans une

réflexion sur l’identité.

Les recherches menées sur les associations francophones par Gallant et

Belkhodja (2005) illustrent bien les représentations problématiques de l’identité observées

dans le contexte francophone minoritaire. Ces auteurs précisent que la diversité culturelle

a un effet déstabilisant, compte tenu des luttes historiques menées dans la revendication

de droits linguistiques en contexte minoritaire. Aussi, malgré la volonté d’ouverture

exprimée par les organismes, il leur est difficile de concevoir l’immigration en dehors du

rapport à l’altérité (Ibid.). Les auteurs souhaitent engager la discussion sur l’idée du

pluralisme comme valeur partagée au sein des francophonies minoritaires. Ils concluent

de leur analyse du discours des organismes francophones sur l’immigration :

En somme, tout se passe comme si l’inclusion dans la société d’accueil demeurait tributaire de l’assimilation plutôt que de l’adoption par ces communautés de la diversité en tant que valeur (Ibid., p. 52).

Il importe alors de concevoir l’intégration dans le contexte d’un projet de société

qui soit inclusif.

L’intégration ne devrait pas se limiter à un processus unidirectionnel. Au contraire, il serait important de considérer l’intégration dans le contexte d’une société à construire et de donner ainsi une place à l’autre dans la définition d’un projet de société pluraliste et inclusif (ibid. p. 53).

Des tensions entre l’argument utilitaire et l’argument identitaire se transposent au

niveau de l’organisation sociale des collectivités et dans le développement de l’identité.

Par la même occasion, la problématique de l’identité a l’effet de repousser ou de chasser

une population qu’on cherche à attirer.

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Où nos communautés ont-elles les meilleures chances de se déployer de manière viable ? Voilà une question qui se pose compte tenu du déclin démographique actuel. En gros deux positions s’affrontent à cet égard : les communautés souches (sic) la francophonie urbaine et cosmopolite (FCFA13, 2007, p. 18).

Les communautés souches et la francophonie urbaine sont des cas de figures adressés

dans un rapport à l’altérité. Il s’agirait dès lors avant tout de la question du déplacement

de la population vers des lieux où l’espace francophone est plus fragmentaire sinon

inexistant. Des trajectoires individuelles qui échappent au contrôle des communautés

illustrent ainsi la mobilité de la francophonie d’aujourd’hui. Dans le cadre de notre étude,

où les francophones de la CB sont issus de plusieurs vagues de migrants, nous nous

questionnons sur la signification du terme « souches », désignerait-il les Québécois ? Qui

d’autres ?

Le questionnement sur les frontières identitaires vient compliquer celui du rapport

à l’altérité dans le contexte de l’immigration francophone. La FCFA formule ainsi les

enjeux liés aux changements démographiques :

La transformation actuelle de nos communautés, sous l’effet des apports migrants, et surtout, d’une nouvelle vision pluraliste et cosmopolite de cette francophonie, vient complexifier encore plus la question de son identité. On a jadis pensé que l’histoire, la langue, la culture et la religion fondaient une unité commune. Qu’en est-il aujourd’hui, alors que la francophone s’ouvre à de nouveaux arrivants qui ne partagent plus que la langue avec les communautés pionnières ? (2007, p. 23).

La préoccupation de la préservation du groupe et de son unité témoigne dès alors

combien il est difficile d’entrevoir, dans la diversité, des éléments qui viennent nourrir la

cohésion du groupe, des éléments qui « nous rassemblent ».

Ainsi, en dépit d’un contexte politique canadien unique, les francophonies

canadiennes tendent à se dissocier les unes des autres et à produire des réflexions

identitaires distinctes : l’immigration francophone, elle-même hétérogène, ne touche pas

de la même manière chaque communauté et n’influence pas non plus de la même manière

les réponses identitaires apportées par chaque communauté quant à l’intégration des

nouveaux francophones. Cette immigration, porteuse de diversité culturelle, questionne

donc directement le processus de construction identitaire propre à chacune des

13 Fédération des Communautés Francophones et Acadienne du Canada (FCFA)

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communautés francophones du Canada (Deveau, Allard & Landry, 2008 ; Farmer, 2008,

2010 ; Gilbert & Lefebvre, 2008, Belkhodja, 2008 ; Cardinal, 2008 ; Jacquet, Moore &

Sabatier, 2008 ; Gallant, 2010, 2013 ; Madibbo, 2010 ; Laghzaoui, 2015 ; Fourot, 2016).

La vision essentialiste s’opposant à celle non essentialiste sur la question des

identités est centrale pour les francophonies canadiennes, et en même temps ouvre la

polémique sur la question à savoir qui est francophone/francophile et qui ne l’est pas

posant ainsi le débat sur la légitimité et la légitimisation, sur les minorités dans la minorité

(Heller, 2007 ; Madibbo, 2010 ; Martel, 2011).

4.4. Minorité et minorisation

Le concept de minorité, défini par Guillaumin (1972) et repris par Garneau (2010),

est avant tout sociologique et politique. En effet, le statut de minorité ne se réduit pas à

une simple différence, ni à une question statistique ou démographique. Il repose plutôt sur

une relation sociale qui met en scène un dominant et un dominé :

Tous ont en commun leur forme de rapport à la majorité, l’oppression. Oppression économique d’abord, oppression légale (ou coutumière) ensuite. Les formes de ce rapport d’oppression économique et sociale sont différentes selon les groupes mais constantes : ces groupes se définissent par leur état de dépendance au groupe majoritaire. Ils sont, au sens propre du terme, en état de minorité. Minorité : être moins. (Guillaumin, 1972, p. 86)

D’après Garneau (2010), si les analyses des femmes en tant que minorité au sein

des minorités francophones canadiennes voient le jour, ce sont les féministes qui, de

manière générale, investissent les premières études de la pluralité des processus de

domination en francophonies minoritaires en croisant les catégories minorisées « identité

linguistique », « genre », « classe sociale » et « ethnicité ». Les théorisations pionnières

de Guillaumin avaient ouvert la voie du groupement « femme » et « ethnicité

», plaçant la pensée féministe au fondement des analyses « des minorités dans la minorité

» ou des minorisations francophones canadiennes. Ainsi, c’est par le biais des travaux

féministes qui visent à sortir les femmes francophones de leur invisibilisation multiple, de

la domination par les hommes francophones, de la subordination linguistique par la

majorité anglophone, de la marginalisation sur la base d’une identité nationale

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canadienne-française par rapport à la légitimité québécoise, que les recherches en

sciences sociales sur les rapports complexes et articulés de domination ont fait leur entrée

en contexte francophone minoritaire canadien (Juteau-Lee & Roberts, 1981).

Les cadres politico-juridiques structurant le discours identitaire des francophonies

minoritaires que sont la Loi sur les langues officielles (1969) et la Politique sur le

multiculturalisme (1971) renvoient à l’histoire de la colonisation du pays. Le Canada

français existait sans référence aux territoires provinciaux. D’après Thériault, les

francophonies minoritaires étaient, et sont encore, des regroupements nationalitaires. Ni

nation, ni groupe ethnique issu de l’immigration, elles sont « des communautés de destin

qui ont un niveau d’historicité plus fort que l’ethnie, mais plus faible que la nation »

(Thériault, 1994, p. 22). Par niveau d’historicité, Thériault entend le « déploiement au sein

d’une collectivité d’une conscience et d’une capacité de faire son histoire » (Ibid. p. 20).

Les regroupements nationalitaires possèdent la plupart des caractéristiques des nations

(langue, références culturelles communes), mais n’ont pas de frontières étatiques.

Avec la modernisation et la laïcisation de l’État au cours des années 1960, cette

« intention vitale » du Canada français, c’est-à-dire « ce principe instituant autour duquel

un groupement humain, en l’occurrence ici le Canada français, constitue une pluralité

d’hommes et de femmes en fait social global» (Thériault & Meunier, 2008, p. 224) s’est

évanouie. À travers le prisme de l’État provincial qui devient alors le cadre privilégié

d’action dans plusieurs domaines, les communautés francophones hors Québec perdent

leur statut de communauté politique, pour se transformer en minorités (Thériault, 1994).

Le discours officiel fera désormais la promotion de l’idéologie pluraliste : le fondement

caractéristique et distinctif de l’identité canadienne devient celui de la diversité culturelle

dans un contexte bilingue. La loi et la politique seront ensuite toutes deux enchâssées

dans la Constitution via la Charte canadienne des droits et libertés en 1982. L’adoption

de la Charte a donné lieu à la naissance d’une nouvelle nation canadienne dorénavant

fondée explicitement sur le pluralisme identitaire.

Cependant certains auteurs refusent de voir les communautés francophones

« réduites » au rang de « communautés ethniques ». Pour Thériault, « ce n’est pas parce

que les nations canadienne-française et acadienne se sont provincialisées que leurs

velléités nationales ont complètement disparu » (1994, p. 26). Selon lui, l’originalité des

communautés francophones minoritaires réside dans le fait qu’elles se situent « entre la

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nation et l’ethnie », qu’elles « ne peuvent choisir parce que leur réalité se situe entre les

deux » et qu’elles constituent à ce titre des « regroupements nationalitaires » (Ibid.).

Fourot (2014), faisant le portrait des communautés francophones du Manitoba et

de la Colombie-Britannique, insiste sur la composante internationale de la francophonie

canadienne qui selon elle tend toujours à être passée sous silence. Cette différenciation

interne va toutefois être progressivement mise au jour en même temps que progresse la

réflexion sur le concept de « minorités », et Fourot de constater que :

(…) cette réflexion sur l’ethnicité, l’identité et la nation s’attache à comprendre les spécificités du « Nous » par rapport à l’« Autre » (le Québec, la majorité anglophone, ou les groupes ethniques), mais ne s’intéresse pas vraiment à « l’Autre » qui est à l’intérieur de « Nous » (2014, p. 14).

Fourot (2014) souligne que dans le contexte actuel, des plans spécifiques

d’attraction et de rétention des immigrants francophones ont été mis en place depuis les

années 2000, faisant qu’aujourd’hui une proportion plus importante de la population au

sein des communautés francophones en milieu minoritaire est immigrante, et créant ainsi

de nouveaux espaces francophones, plurilingues et multiculturels14 (Fourot, 2016). De

plus, la nouvelle Feuille de route pour les langues officielles du Canada 2013-2018

identifie l’immigration comme un secteur d’action prioritaire invitant dans la foulée les

milieux universitaire, communautaire et gouvernemental à la réflexion sur les priorités à

donner à la recherche sur l’immigration francophone en milieu minoritaire (Ibid.).

Les principes de la dualité linguistique assurent dès lors aux immigrants le droit et

la possibilité de vivre leur identité dans la langue officielle de leur choix, à savoir le français

ou l’anglais. Ceci suppose que la multiplicité des identités, la liberté de choix identitaires

et l’intolérance envers la discrimination et les préjuges raciaux sont pris pour acquis dans

14 En 2011, les immigrants d’expression française (ayant le français et l’anglais comme double première

langue officielle) constituaient 15% de la population totale de langue française à l’extérieur du Québec. Les

proportions varient selon les provinces : s’ils constituent 25% de la population francophone de la Colombie-

Britannique et 17,5% de celle de l’Alberta, ils ne représentent que 1,5% de la population du Nouveau-

Brunswick. En 2011, ils étaient concentrés à 70% en Ontario et dans les grandes agglomérations urbaines

comme Toronto, Ottawa et Vancouver. Parmi les immigrants de PLOP français, plus de la moitié (55%) sont

identifiés comme faisant partie des minorités « visibles » (Houle et al., 2014).

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le contexte canadien. Cependant, des études empiriques soulignent l’existence d’une

certaine minorisation ou racialisation dans la société canadienne (Madibbo, 2009-2010).

De manière générale, la racialisation peut être définie comme un processus de catégorisation et de hiérarchisation sociale ayant comme résultat la construction d’« un autre » – le marginalisé – et le situant dans une position d’infériorité, celui-ci se retrouvant par ailleurs en opposition à un «nous» – le groupe majoritaire dominant – perçu dans l’imaginaire populaire comme supérieur au groupe marginalisé (…) Ce qui signifie qu’on peut être racialisé en fonction de sa couleur de peau, de son ethnicité et de sa nationalité, et aussi de son accent ou même d’une combinaison de ces facteurs (Ibid., p. 176).

De ce fait, si la racialisation se réfère à la discrimination raciale, on peut également

considérer que la discrimination linguistique en est une autre forme, du fait de la langue,

voire de l’accent. De plus, comme le mentionne Madibbo, l’exclusion et la racialisation

sont des composantes d’un même processus de domination et sont étroitement liées l’une

à l’autre. Comme tout système de hiérarchie sociale, celle-ci peut avoir un impact

fondamental sur l’identification en termes d’inclusion ou d’exclusion de certaines

personnes ou certains groupes dans les espaces physiques et idéologiques de

l’appartenance. Ainsi, on peut préciser qu’au Canada la racialisation se manifeste, entre

autres, sous forme d’une double discrimination : linguistique envers la communauté

francophone, et raciale envers les minorités visibles.

Si cette discrimination linguistique nuit au droit et à la possibilité des immigrés de

s’identifier comme francophones, une certaine minorisation pratiquée par la communauté

canadienne-française dite « de souche » freine le sentiment d’appartenance à la

Francophonie, précise Madibbo. Il écrit ainsi :

Bien qu’ils tiennent à y appartenir, car « être francophone » signifie pour eux également « faire partie intégrante de la communauté francophone », ils sentent qu’ils ne sont pas acceptés comme les égaux des Blancs de langue française. Ce sentiment d’exclusion identitaire est surtout généré par le manque de traitement approprié de l’inclusion de la diversité ethnique et raciale et de la représentativité équitable des immigrés dans les instances de la francophonie comme au sein du système scolaire (Madibbo, 2009-2010, p. 181).

Dans un tel contexte, les immigrés ont toujours l’impression d’être perçus comme

« l’autre », lequel n’est pas vu comme un citoyen à part entière. Ils s’aperçoivent que les

valeurs de respect de la diversité, de la liberté et de l’égalité des chances, des notions

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précédemment indiquées comme des aspects qui les amènent à vouloir s’identifier avec

le Canada, ne sont pas équitablement assurées pour tous les citoyens canadiens.

Cette racialisation aboutit à la construction du Blanc anglophone comme étant la norme de l’identité canadienne et du Blanc francophone comme son pâle reflet. Il s’agit d’une construction identitaire qui exclut, entre autres, les groupes racialisés qui sont socialement perçus comme « autres », celles et ceux dont la légitimité identitaire est douteuse dans la compétition pour l’accès aux ressources publiques. (…) Cette racialisation donne lieu sous certains aspects à de multiples formes de rejet identitaire de plusieurs espaces sociaux. Tandis que les immigrés manifestent une volonté d’appartenance à la société d’accueil, la discrimination linguistique et raciale fait naître un sentiment d’exclusion de la construction identitaire dominante de ce qu’est un « Canadien » ou un « Francophone » (Madibbo, 2009-2010, p.184).

Bélanger (2007), soulève que sur le terrain, les enseignants attribuent souvent les

difficultés d’apprentissage de la langue enseignée des élèves issus de l’immigration, y

compris ceux en provenance d’Afrique francophone, à leur langue première comme s’il

ne leur venait pas à l’idée que le français appris dans le pays d’origine puisse avoir sa

légitimité.

l’école de langue française, du fait de sa situation en milieu minoritaire, est amenée à défendre une conception monolingue et homogénéisante, qui la rend de fait élitiste et la conduit à minorer les faits liés à la diversité (Bélanger, 2007, p. 53).

Pour paraphraser Bilge (2009), les mesures linguistiques visant à promouvoir la

justice intergroupe — l’égalité entre les minorités francophones et la majorité anglophone

— nécessitent d’être accompagnées par des mesures cherchant à favoriser la justice

intragroupe, sur la base du genre, de l’orientation sexuelle, de la foi religieuse ou de

l’appartenance ethnique. Les apports théoriques de l’intersectionnalité devraient

permettre la prise en compte des situations réelles en donnant une voix à ces personnes

qui se trouvent au confluent d’identités et d’inégalités multiples en contextes francophones

minoritaires, et surtout permettre aux personnes qui se trouvent à l’intersection de

plusieurs identités minorisées, potentiellement en tension, d’éviter d’avoir à choisir entre

une identité linguistique ou d’autres identités en les rendant visibles, en leur donnant une

voix.

Est-ce que la reconnaissance sociale et identitaire d’un groupe situé au confluent

d’une pluralité de rapports sociaux de différenciation ne risque pas de fragmenter à l’infini

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les minorités francophones ? Probablement que les communautés francophones en

situation minoritaire sont effectivement sujettes à la fragmentation, si on se résout à lire la

réalité à travers une logique identitaire. Elles le sont sans doute moins, cependant, si on

passe, comme le suggèrent Fassin et Fassin (2006), d’une politique identitaire à ce qu’ils

appellent une politique minoritaire :

En effet, qu’est-ce qu’une minorité ? C’est une catégorie naturalisée par la discrimination. Si les communautés ont en partage une culture, ce qui définit les minorités, c’est l’assujettissement d’un rapport de pouvoir. Il ne s’agit certes pas de les opposer, mais de les distinguer : la minorité, à la différence de la communauté, n’implique pas nécessairement l’appartenance à un groupe et l’identité d’une culture ; elle requiert en revanche l’expérience partagée de la discrimination (Fassin & Fassin, 2006, p. 251).

Étudiant les minorités francophones canadiennes face à l’immigration, Traisnel,

Violette et Gallant s’intéressent à la manière dont les discours identitaires produits par les

militants du milieu associatif sont articulés autour de la notion de « diversité culturelle »,

et plus particulièrement de l’immigration. Ils examinent comment les conditions

sociodémographiques issues de la mondialisation des marchés économiques et culturels

« façonnent la mise en mots du « nous » communautaire à travers un processus

complémentaire de particularisation et de dissociation » (Traisnel, Violette & Gallant,

2013, p. 10). Les auteurs affirment que c’est un

défi de taille pour ces communautés francophones qui, tout en revendiquant une reconnaissance politique au sein de l’État canadien sur les bases d’une légitimité historique ethnonationale, doivent désormais faire elles-mêmes la démonstration d’une ouverture et d’accompagnements à l’égard de leurs propres « minorités » et de la diversité qui s’y exprime (Ibid.).

L’idée implicite est que les immigrants de langue française en milieu minoritaire

francophone sont à concevoir comme les minorités de la minorité (Madibbo 2004 ; Gallant

2007b et 2011 ; Violette, 2010). La recherche de Madibbo (2004) sur les Noirs

francophones (sic) de la communauté franco-ontarienne constitue l’une des illustrations

les plus abouties des rapports de pouvoir institutionnalisés qu’implique cette notion de

minorité dans la minorité. Directement lié à l’obligation légale pour le gouvernement

fédéral de protéger les minorités de langue officielle, le réseau associatif et institutionnel

francophone entretient toutefois une relation ambiguë à l’État canadien, par rapport

auquel il se trouve à la fois garde-fou des droits linguistiques et bénéficiaire de ressources

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matérielles par l’octroi de fonds et de subventions, dans une double logique de protection

du minoritaire contre le risque d’assimilation et de pacification de la société contre les

risques de conflits linguistiques (Traisnel, 2012a et b). La prise en charge du dossier de

l’immigration par les associations de représentation nationale et provinciales telles que la

Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, la Société de

l’Acadie du Nouveau-Brunswick et l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario témoigne

de cette posture : tout en réclamant des ressources et des structures en matière d’accueil

et d’intégration en français au nom du principe de la dualité linguistique, ces acteurs

institutionnels sont amenés à reconfigurer leur discours identitaire autour d’une adhésion

volontaire et participative afin de remplir les exigences politiques multiculturalistes

associées à l’idée d’une citoyenneté canadienne vécue en français. En d’autres mots, ce

milieu associatif renvoie à des espaces discursifs dominants et fortement institutionnalisés

qui renseignent sur qui compte comme « francophone » à l’heure actuelle, notamment en

assurant une part importante de l’image publique par laquelle la communauté

francophone est représentée et rendue visible. Il s’agit donc d’un site d’enquête primordial

pour questionner l’intégration symbolique des immigrants francophones, c’est-à-dire leur

inclusion dans les discours et dans les représentations à titre de membres à part entière

de la collectivité.

Gallant (2010) explore les liens entre représentations sociales et représentation

politique des minorités en examinant d’une part les représentations de l’immigrant

véhiculées dans le discours officiel des principaux organismes des communautés

francophones minoritaires au Canada et, d’autre part, la présence d’immigrants au sein

de ces organismes. L’auteure s’est penchée sur deux axes ; les représentations de la

nature du groupe lui-même, c’est-à-dire la façon dont est définie l’appartenance au groupe

et les représentations des rapports entre les groupes ethnoculturels dans la société ou la

communauté. Allant d’une conception ethnique du groupe (fondée sur l’hérédité et

associée à des caractéristiques acquises à la naissance ou en bas âge, comme la langue

maternelle ou la culture) jusqu’à une conception dite civique (fondée sur un choix

volontaire et associée à des caractéristiques qui s’acquièrent, que ce soit la citoyenneté,

le lieu de résidence, la connaissance de la langue commune ou l’adhésion à certaines

valeurs politiques), l’étude montre :

Un groupe défini de manière ethnique peut difficilement recevoir de nouveaux arrivants, alors qu’un groupe défini de manière civique est plus

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inclusif, dans la mesure où il peut être pluriethnique ou pluriculturel ; la façon dont les leaders francophones définissent « qui ils sont » décidera donc de l’inclusion identitaire des immigrants. En l’absence de territoire propre, sur lequel il pourrait suffire de s’établir pour devenir « citoyen acadien » ou « citoyen fransaskois », il leur faut déterminer s’ils constituent une minorité linguistique (donc potentiellement inclusive et pluriculturelle ou pluriethnique) ou bien ethnoculturelle (donc exclusive parce que plus héréditaire) (Gallant, 2010, p. 186).

Dans le second axe, Gallant distingue trois principales représentations des

rapports entre les groupes culturels ou ethniques dans la société. D’abord, la

représentation reposée sur une logique de « séparation » des groupes – un pluralisme

constitué, qui ne propose pas d’espace commun ou partagé ; il n’y a pas de société

d’accueil au sein de laquelle les immigrants s’intégreraient. En catégorisant les individus

dans des groupes qui demeurent distincts, l’idée de dialogue entre les communautés

maintient donc les immigrants dans leur différence. Ce modèle juxtapose les

francophones « de souche » et les immigrants, et ne permet pas de concevoir la

francophonie comme une communauté d’accueil et d’intégration. Puis, la représentation

qui, au contraire, voit la société d’accueil comme un espace commun au sein duquel les

entités immigrantes ont une place. Cette nouvelle approche de respect de la diversité

fondée sur quelques valeurs communes est proche de l’interculturalisme qui tente de

retrouver un équilibre entre la reconnaissance de l’importance des différences

ethnoculturelles et la création d’un espace commun avec un socle de références

partagées. Ce modèle supposerait que les communautés issues de l’immigration puissent

devenir une composante particulière, mais au sein de la communauté francophone

minoritaire et non plus simplement en dialogue avec elle. Finalement, la représentation

de la place des immigrants dans la société qui formerait ensemble une entité commune

(un « nous ») – le pluralisme intégré. L’objectif n’est pas de gommer la diversité au nom

d’une conception monoculturelle de la société, dans une approche assimilationniste

radicale ; le pluralisme intégré est égalitaire et favorable à la diversité. Ce modèle tente

de faire des communautés francophones en situation minoritaire un second espace

commun, partagé par les nouveaux arrivants francophones et les « locaux »

francophones. « L’existence au Canada de deux entités pouvant chacune servir de

société d’accueil pour les immigrants et être ainsi deux terroirs d’intégration ou d’inclusion

des immigrants conduirait à son paroxysme l’idée de dualité canadienne » (Gallant, 2010,

p.188).

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Les organismes communautaires francophones ne sont pas des gouvernements

et ne s’y apparentent ni dans leur structure ni dans leur comportement. Sur le plan

structurel, ils sont comme des groupes de pression ordinaires, c’est-à-dire avec des

membres inscrits (plutôt que des « citoyens ») et des élections limitées aux membres

inscrits, tenues lors d’une assemblée générale localisée dans l’espace et réunissant

parfois à peine plus d’une centaine de personnes (Ibid.). Sur le plan du comportement,

également, ils s’apparentent à des groupes de pression, dont la logique consiste en la

réalisation d’« actions discrètes derrière les portes de la bureaucratie ». Néanmoins, les

associations représentant la francophonie s’apparentent au gouvernement sur un point.

Bien que les organismes communautaires ne prennent pas des décisions qui s’appliquent

à l’ensemble comme le font les gouvernements, il n’en demeure pas moins qu’ils disent

parler au nom de la minorité francophone (au-delà des membres formellement inscrits).

Toutefois, puisque les organismes se créent eux-mêmes et décident eux-mêmes

qui ils sont, ils peuvent choisir à leur guise qui ils représentent. Gallant souligne que les

représentations de soi et la représentation politique sont reliées : « le jeu semble

complexe entre, d’une part, les représentations populaires et, d’autre part, les

représentations de soi et la représentation politique au sein des organismes qui se disent

représentatifs de cette population ou qui souhaitent être les représentants de cette

population » (Gallant, 2010, p. 201).

Piquemal et Labrèche (2018), partant d’un constat de faits sociaux encore trop

souvent marqués par l’injustice, la marginalisation et l’exclusion des minorités en contexte

canadien et nord-américain, proposent une réflexion critique sur les concepts de multi-,

inter-, et trans-culturalisme et plus particulièrement sur les enjeux éthiques liés à la

diversité culturelle en contexte canadien. Les auteurs font appel à la philosophie morale

de Levinas ainsi qu’à l’anthropologie et aux disciplines connexes pour mettre l’accent sur

la responsabilité individuelle et sociale en vue d’arrimer les perspectives en matière de

diversité culturelle à un axe d’éthique de la relation à autrui.

Si le multiculturalisme fait référence à un contexte politique dans lequel des lois

sont formulées en vue de la gestion de la diversité culturelle, l’interculturalisme, quant à

lui, fait référence à l’interaction entre cultures et communautés, et comporte des enjeux

qui relèvent souvent de la préservation, voire de la résistance culturelle (Piquemal &

Labrèche, 2018). Par ailleurs, ce n’est pas parce que nous vivons dans une société

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multiculturelle, c’est-à-dire marquée par des politiques qui soutiennent et valorisent le

pluralisme culturel, que les échanges interculturels harmonieux s’ensuivent.

Ainsi, en contexte canadien, la société dominante de souche anglo-saxonne dans laquelle s’affrontent des forces de maintien (conservatrices) et des forces de changement (progressistes), la pluralité culturelle existe et sera célébrée mais sans qu’il y ait pour autant de dialogue interculturel véritable (Piquemal & Labrèche, 2018, p. 172).

Le Canada porte comme l’un de ses marqueurs identitaires le multiculturalisme, et

pourtant l’interculturalité comme véritable inclusion culturelle dans les rapports humains

reste souvent du domaine de l’utopie. Les représentations sociales de l’autre sont souvent

noyées de « stéréotypes parce que l’autre est représenté en l’absence d’un véritable

dialogue et d’une relation équitable (ibid. p. 173) », et par conséquent, conduisent à une

« méconnaissance de l’autre, tant dans le sens de ‘mal connaître’ que dans le sens de

‘ne pas connaître’, de laquelle s’ensuit un processus inéluctable de marginalisation,

d’exclusion et de discrimination (Ibid.) ». Citant la non-connaissance ou méconnaissance

des nations autochtones dans la société canadienne, les auteurs porte un regard critique

sur le modèle québécois d’interculturalisme qui « ne traite pas des relations avec celles-

ci [les nations autochtones] sous prétexte que ces relations relèvent (…) de l’État qui doit

négocier de nation à nation avec les peuples autochtones (Ibid.) ».

Piquemal et Labrèche affirment que la dynamique du moi et de l’autre ne se limite

plus seulement à l’interaction dualiste qui est souvent conflictuelle, entre cultures

distinctes. Ils suggèrent que le désir de se construire par-delà les conflits et frontières

prédéterminées donne naissance à une mouvance transculturelle :

L’individu s’identifie alors à plusieurs groupes sociaux ou culturels, résultant potentiellement en un syncrétisme culturel où la frontière entre l’identité et l’altérité devient floue. (…) On y voit la possibilité de passer d’une culture à l’autre au-delà des enfermements conventionnels, mais, dans la pensée transculturelle, ce passage d’une culture à l’autre se fait sans essentialisme, s’accompagne aussi d’une transformation vers le commun de l’humanité, et se constitue ainsi comme un projet d’émancipation. Ainsi, un individu ou un groupe de même ascendance culturelle ou sociale peut se construire une nouvelle identité culturelle qui transcende son origine (Piquemal & Labrèche, 2018, p.174).

La transculturalité se rapproche de l’interculturalisme d’Abdallah-Pretceille (2005)

qui est une invitation à construire un « Humanisme du divers » en faisant référence à

l’éthique :

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L’éthique est justement cette rencontre de l’Autre comme Autre. Elle s’appuie sur une exigence de la liberté d’autrui et donc sur le respect de sa complexité, de sa non-transparence, de ses contradictions. L’éthique de la diversité a comme lieu propre la relation entre des sujets et non pas l’action sur l’Autre, même si cette action est généreuse, juste, voire charitable (Ibid., 2005, p. 39).

Parce qu’en situation de diversité et de diversification culturelles, l’enjeu ne peut

être de connaître les cultures mais de comprendre l’expérience humaine dans ses

singularités mais aussi dans sa totale universalité, alors :

L’objectif est d’apprendre à interpréter et à comprendre les informations culturelles qui sont ambigües car elles sont manipulées par les acteurs et les locuteurs. En termes de formation, il s’agit d’apprendre à passer du stade descriptif à la compréhension des processus en s’appuyant sur des savoirs mêlés (…) c’est-à-dire sur l’imaginaire d’une identité-relation et non sur l’imaginaire d’une identité-racine. Plus que le métissage des cultures, c’est une culture du métissage qui reste à construire (Ibid. p. 38).

Ainsi, le minoritaire ne doit pas être postulé a priori, comme s’il s’agissait d’un état ou d’un

statut. Il résulte plutôt d’une relation qui est transformable historiquement, voire

changeante selon les contextes et les termes de la relation — le pouvoir, dit Foucault

(1976), n’est pas un attribut, il est situationnel et relationnel. Garneau souligne que :

c’est faire fausse route que de hiérarchiser les identités collectives, y compris selon leur niveau d’historicité, parce que les réalités sociales observées sont d’une complexité trop grande et mouvante pour s’y laisser réduire. Il n’y a pas lieu de choisir entre deux identités — voire plus — en tension parce que ceux qui sont pris dans cette tension récusent eux-mêmes la plupart du temps cette obligation de choix. (…) en contextualisant les phénomènes sociaux étudiés, on se donne les moyens de contrer les forces idéologiques, qu’elles soient universalistes ou pluralistes, en dévoilant la multiplicité des rapports sociaux de domination en jeu à un moment et en un lieu donnés (2010, p. 49).

La nouvelle francophonie est ainsi caractérisée par sa mobilité et sa multiforme.

Heller précise qu’il s’agit d’un débat « non résolu » dans les visions d’avenir des

communautés francophones minoritaires. Dans la même lignée que Belkhodja (2005),

Farmer insiste de nouveau sur l’importance des considérations éthiques et sociales dans

cette notion du « vivre ensemble », entre l’identité et la démographie (Farmer, 2008). Pour

leur part, Pilote et Magnan (2008) soulignent que le projet collectif de l’école de la minorité

francophone doit en quelque sorte se laisser forger par les identités multiples afin d’éviter

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sa disparition, voire son effondrement, le tour de force consiste vraiment à articuler un

projet universaliste dans ses objectifs avec des réalités empiriques concrètes.

Devant la transformation des communautés francophones, sous l’effet des

mouvements migratoires et de la mondialisation, et surtout d’une nouvelle vision

cosmopolite de ces communautés, la question de l’identité francophone de ces

communautés devient très complexe. L’ouverture de ces communautés aux nouveaux

arrivants, qui ne partagent plus que la langue, soulève la préoccupation de ces

communautés quant à la préservation du groupe et de son identité collective. Comment

entrevoir, dans la diversité, des éléments qui viennent nourrir la cohésion du groupe. Les

travaux d’Abdellah-Pretceille sur les relations interculturelles fournissent un éclairage

intéressant à cet égard. L’auteure précise combien il est difficile de repenser le rapport à

l’altérité et de remettre en question les clivages qui se présentent comme automatismes.

Elle explique :

Alors que la perception des différences relève d’une activité facile, intuitive et immédiate, la perception des ressemblances exige une plus grande capacité de conceptualisation, elle présuppose la saisie de toute une série de faits pour en extraire ce qu’ils ont de semblable (Abdellah-Pretceille, 1999, p.109).

Pour résumer, les implications de la problématique choisie montrent que le travail

sur les identités francophones en milieu minoritaires révèle d’une part la nécessité de

créer des « espaces où les individus s’inventent et se réinventent, dans le je et le jeu des

identités plurielles …» (Jacquet, Moore & Sabatier, 2008, p. 92), et d’autre part la

nécessité de re/définir cet espace francophone pluriel qui tiendrait compte de la diversité

de sa communauté. Il n’induit en aucun cas la recherche d’une vérité factuelle mais

essentiellement des interprétations de la réalité du terrain, si tant est qu’elle est partagée

par les participants. Sur le plan des institutions et des individus, cette réflexion amène une

série de redéfinitions qui place notre recherche sur un terrain mouvant : redéfinitions de

la francophonie, du francophone, des identités personnelles et professionnelles, voire

même de la notion de représentations, d’idéologie et de discours. Pour les institutions

éducatives, cette problématique présente au moins l’intérêt de faire réfléchir sur l’image

renvoyée et sur la manière dont elle est perçue par les membres participant à ces

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entretiens, et de (ré)examiner les processus de construction identitaire plurielle dans des

contextes diversifiés.

Dans ce chapitre, nous avons retracé les éléments conceptuels qui ont été retenus

dans le but d’analyser la construction de l’identité francophone collective des élèves

inscrits dans les écoles francophones en CB. L’étude des représentations sociales chez

les élèves, les éducateurs et les administrateurs des écoles francophones en CB va

interpeller notre attention sur les modalités de transformation des identités. Dans le

contexte minoritaire canadien, la langue représente un élément identitaire individuel et

collectif important, l’interdépendance entre l’identité linguistique et l’identité culturelle doit

être considérée lors de l’analyse. Ce qui revient à souligner que le choix de langue, ou

être bi/plurilingue, reflète un positionnement et représente également un choix d’identité.

L’identité professionnelle est un concept qui nous permettra d’étudier la façon dont les

acteurs éducatifs francophones en CB se représentent leur travail et qui se réalisent dans

un contexte d’enseignement francophone minoritaire. Enfin, les représentations de

communauté francophone, en re/construction avec de nouveaux composants (mobilité,

immigration, mondialisation …), vont nous aider à nous pencher sur l’identité collective

francophone afin de saisir le sens de ce qu’être francophone en CB.

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PARTIE 2 : CONSIDÉRATIONS MÉTHODOLOGIQUES

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Chapter 5. Problématique et questions de recherche

5.1. Problématique

La francophonie canadienne est loin d’une représentation commune, cohérente et

homogène. En effet pour Gilbert et Lefebvre (2008) la communauté francophone

minoritaire « reflète le mouvement et la métamorphose. Elle se définit en faisant appel

aux figures complémentaires de l’itinérance et du rassemblement, et propose à travers

une conscience généralisée de la diversité une compréhension du communautaire qui va

au-delà des mémoires des lieux singuliers » (p. 64). C’est effectivement dans la mobilité

que les membres des communautés francophones investissent les lieux de leur quotidien,

mobilité entre anglophobie et francophonie, entre l’identité plurilingue et l’identité

personnelle. Les francophones en milieu minoritaire habitent un espace « pris » entre les

lieux de vie française et ceux de la majorité, mais qui leur appartient autant, un espace

« imaginé ». C’est l’engagement identitaire qui va permettre aux francophones

minoritaires d’investir de leur nouvel espace (Ibid.), non pas dans le sens de le fréquenter

mais de le créer avec de nouvelles expériences humaines aussi diverses qu’est la

composition de sa communauté, et d’écrire une nouvelle histoire qui soit plus ajustée à

leur réalité.

Notre intérêt de recherche s'oriente sur le rôle de l'école dans la construction

identitaire en milieu francophone minoritaire en CB, un milieu devenu de plus en plus

diversifié tant sur le plan linguistique que culturel. Partant de la composition des élèves, à

la fois plurilingues et multiculturels, nous interrogeons la mission de l'école, examinons la

communauté éducative, elle-même largement hétérogène, et son rôle dans la

construction des identités francophones en tant qu'acteur participant à la vitalité de

l'espace francophone en milieu minoritaire. Parce que les identités dont il est question ici

sont des identités francophones, dans le contexte de dualité linguistique canadienne où

le français est une des deux langues officielles, la question de la langue dans l'élaboration

d'une identité collective se pose immédiatement. L'enseignement du français en contexte

minoritaire, dès lors, est beaucoup plus qu'un défi éducatif, il représente un défi politique

et linguistique. Dans le contexte de diversité et d'hétérogénéité linguistique et culturelle

qui compose la communauté francophone en Colombie-Britannique, nous nous

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questionnons, dans notre recherche, sur la définition même de ce que l'on entend par être

francophone, et nous interrogeons la construction identitaire qui se met en place dans les

écoles francophones. Notre intérêt de recherche s'oriente plus particulièrement sur la

manière dont les instances éducatives s'y prennent pour articuler la pluralité des identités

individuelles des élèves inscrits dans les écoles francophones à l'identité collective de la

communauté francophone en CB.

Notre recherche vise ainsi à comprendre la complexité des liens entre les usages

linguistiques et culturels des élèves des écoles francophones de la CB et la construction

identitaire en contexte minoritaire francophone d'aujourd'hui. Nous cherchons à cerner

aussi bien la mission de l'école que le rôle du personnel éducatif engagé dans ce

processus, dans un contexte francophone minoritaire diversifié, en y dégageant les

différents points de vue des acteurs concernés. Notre exploration se place ainsi dans la

perspective de prendre en compte la pluralité de l'identité francophone des élèves comme

un atout pour les apprentissages scolaires, un renforcement de la vitalité, et une

construction de l'identité collective de la communauté francophone minoritaire en CB.

La présente recherche s'inscrit dans les travaux effectués sur la complexité du

processus de construction identitaire ou la multiplicité des voies/voix dans la négociation

identitaire chez les jeunes francophones (Gérin-Lajoie, 2001 ; Gohier, 2001, 2006 ; Pilote,

2006 ; Sabatier, 2006, 2011, 2015 ; Gallant, 2008, 2010, 2013 ; Magnan, 2013), la

construction des identités plurilingues en milieu scolaire (Martinez, Moore & Spaëth,

2008 ; Leconte & Mortamet, 2005, 2007, 2008 ; Moore & Brohy, 2013), les multiplicités

identitaires des adolescents qui fréquentent les écoles francophones (Jacquet, Moore,

Sabatier & Masinda, 2011 ; Farmer & Prasad, 2014) et dans ceux qui approfondissent le

rôle de l'école et des enseignants en tant qu'acteurs engagés dans ce processus, dans

un contexte francophone minoritaire multiethnique (Lüdi & Py, 2003 ; Gérin-Lajoie, 2006

; Moore, 2007 ; Jacquet, 2007; Pilote & Magnan, 2008 ; Dagenais & Moore, 2008 ; Landry,

2008 ; Moore & Castellotti, 2011 ; Moore & Macdonald, 2011 ; Sabatier, 2011, 2015 ;

Laghzaoui, 2015).

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5.2. Questions de recherche

L'intérêt de cette problématique réside d’une part dans le fait de (re)mettre en

question la définition de l’identité collective francophone d'une communauté à travers

seulement sa langue, d’autre part, de revisiter la mission de l'école francophone, en tant

qu'agent de socialisation et lieu de négociation et d’ajustement des identités individuelles

des élèves dans la construction d’une identité collective dans l'espace francophone

partagé. Cette étude s’intéresse d’abord à l’expérience des élèves des écoles

francophones de la région du Grand Vancouver dans le but de mieux comprendre le

processus de la construction de leur identité francophone. Notre recherche porte

principalement sur la construction de l’identité francophone en contexte minoritaire des

élèves issus du multiculturalisme et du plurilinguisme. La collecte des données nous

permettra également de répondre aux trois sous questions suivantes :

• Quels sont les choix de langues et d’identités des élèves francophones de la CB?

• Comment se construit l’identité professionnelle du personnel éducateur qui sont des médiateurs entre les identités individuelles et l’identité collective francophone en situation minoritaire?

• Quel rôle joue l’école dans ce processus de construction identitaire francophone collective?

La question centrale du leadership éducationnel en milieu minoritaire invite d’ores

et déjà à une réflexion sur l’intégration des trajectoires identitaires des adolescents dans

une perspective didactique. Comment donner aux élèves des écoles francophones l’envie

de s’approprier les cultures et la langue de l’école, comment susciter leur engagement à

faire vivre leur communauté francophone sans pour autant qu’élèves et enseignants aient

l’impression de renier leurs identités, tels sont les défis actuellement lancés à l’école

francophone en milieu minoritaire. Comment transformer l’école en un lieu de rencontre

positif entre « les je(s) » et « le je » collectif pour que les souffrances identitaires des uns

et des autres, n’aillent plus de pair avec le repli sur soi mais puissent se transformer en

compétences et créativité.

Le but de la recherche vise autrement dit à comprendre la complexité du

processus de construction identitaire, et la multiplicité des voies/voix possibles dans la

négociation identitaire chez les élèves dans les écoles francophones de la Colombie-

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Britannique ; elle vise également à comprendre le rôle de l'école, du personnel éducateur

et de la communauté engagés dans ce processus dans un contexte francophone

minoritaire multiethnique. La recherche tentera de répondre aux zones de

questionnements telles que : qui sont les élèves qu'accueillent aujourd'hui les écoles

francophones de la CB ? Comment ces jeunes francophones se définissent-ils et se

reconnaissent-ils au sein de la communauté francophone de la CB et dans les institutions

scolaires francophones ? Leurs identités sont-elles des défis et des obstacles dans leur

parcours pour réussir à l’école francophone ? Comment les partenaires scolaires et

communautaires tiennent-ils compte de l'identité plurielle des élèves francophones ?

Quelles sont les décisions prises par le Conseil Scolaire Francophone en termes de projet

pédagogique, de gestion de la diversité, de soutien linguistique et d’adaptation culturelle

des élèves, de soutien aux enseignants dans les écoles pour répondre à ces nouveaux

besoins de sa communauté ? Autant de questions qui in fine interrogent la question de la

vitalité de la communauté francophone en CB et celle de sa gouvernance.

5.3. Posture du chercheur

Paillé définit le chercheur comme à la fois « chercheur/investigateur, observateur,

expérimentateur, décideur, communicateur, et entrepreneur » (Paillé, nd). Chacune de

ces qualités exige du chercheur qu'il soit actif et engagé dans sa recherche. Le chercheur

en éducation est un acteur social et politique dont la finalité du travail répond à un double

objectif d'abord d'ordre personnel, de satisfaire à un besoin de compréhension, puis de

contribuer à produire de nouvelles connaissances à la collectivité. D’après Karsenti et

Savoie-Zajc (2011)

L’enseignant-chercheur est d’abord un être en recherche, soucieux d’améliorer sa pratique. (…) l’enseignant-chercheur, surtout s’il est motivé à mieux connaître son environnement et s’il désire capter des façons de l’améliorer, est naturellement intéressé par les travaux de recherche qui le concernent (pp. 6-7).

Paillé insiste également sur la rigueur « cherchez comment vous pouvez vous améliorer

(...) Et n’oubliez pas de vous observez ... » (Paillé, nd), et ceci renvoie à Karsenti et

Savoie-Zajc (2011) pour qui la « démarche rigoureuse de la recherche, implique que le

processus de la recherche s'effectue selon une procédure systématique et explicite » (p.

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5). Dans notre cas, c’est surtout la métaphore du « matelot et son bateau » utilisée par

Davidson pour faire allusion au « chercheur-voyageur » et son projet de recherche qui a

retenu notre attention et auquel nous nous identifions le plus dans cette aventure qu’est

la recherche :

Imaginons que ce matelot connaît son point d’embarquement, et approximativement, celui de son débarquement. Imaginons encore qu’en cours de route, le trajet se modifie selon les conditions climatiques ou selon la géographie, mais que ce matelot, convaincu de l’importance d’arriver à destination, n’hésite jamais à modifier et à rénover son bateau, de sorte que, tout comme lui, le voyage l’oblige à faire peau neuve. Ils arrivent à destination, tous deux transformés par le voyage (2007, p. 237).

Effectivement, m’inscrire au doctorat c’est commencer une sorte de voyage-

initiatique à la fois pour l’enseignante et la personne que je suis en tant que femme, mère

et immigrante. C’est chercher à penser ma pratique enseignante, à lui donner un nouveau

souffle en tenant compte de l’évolution aussi bien du cadre spatio-temporel que

sociologique. Pendant mes études doctorales, je ressentais une sensibilité plus aigüe du

milieu très diversifié dans lequel j’évolue, une remise en cause des questions que j’avais

à traiter, dans la salle de classe, dans l’école, dans la communauté francophone

minoritaire dont je fais partie ; une remise en cause de l’action à poser et des doutes. Les

études doctorales m’ont permise ainsi de poser un nouveau regard et d’ajouter plus de

doute à mon action. Entreprendre cette aventure ne se fait pas sans heurts, sans douleur,

sans questionnements, sans renoncements, sans excitation et sans espoir. En revenant

aux études et dans le domaine de l’éducation, j’ai peut-être réappris à douter.

Karsenti et Savoie-Zajc (2011) expliquent ainsi la transformation de la recherche

en éducation, tant sur le plan des finalités que sur des manières d’aborder le phénomène

éducatif.

Deux points d’ancrage guident cette évolution : le premier d’ordre social, fait référence aux demandes sociales qui, au cours de chaque période, ont contribué à orienter et à réorienter la recherche, et qui ont provoqué les changements observés actuellement dans ce champ d’investigation. Le second d’ordre épistémologique, concerne les modèles, les conceptions, les paradigmes et les approches de recherche qui traversent les sciences sociales et humaines, et plus particulièrement les sciences de l’éducation (Ibid. p. 13).

De par le choix de mon sujet de recherche, de par mes relations avec mon terrain

qui est lui-même le milieu, l’environnement auquel j’appartiens, je pourrai porter mon

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attention sur des domaines avec lesquels j’entretiens des affinités. J’ai dû alors faire

preuve de distanciation pour que mes valeurs et mon engagement personnel ne viennent

pas perturber l’analyse des données que j’ai récolté. Ainsi, l’impact de ma subjectivité a

été une préoccupation constante en ce qu’elle réinterroge continuellement mes propres

représentations, mes filtres d’interprétations, m’oblige à des décentrations, des remises

en question et me plonge dans l’expérience de la complexité.

Cardinal (1997) soulève la question complexe de la neutralité du chercheur en

affirmant que le chercheur en milieu minoritaire, ou majoritaire, n’est jamais neutre

soulignant ainsi la nature double du chercheur : scientifique et membre de la collectivité

dont il fait intrinsèquement partie. De ce fait, le chercheur est à la fois « l’acteur individuel

avec son engagement dans les affaires de la communauté (…) et l’acteur collectif avec

sa capacité de mobiliser les membres de la communauté dans des projets donnés, dans

le temps et dans l’espace » (Gilbert & al., 2008, p. 28).

Dans le cas d’un milieu minoritaire, au double engagement ou positionnement du

chercheur, viennent s’ajouter ses relations avec la société majoritaire « à laquelle il

participe indubitablement » (Ibid. p. 29). Menant constamment un travail de réflexivité sur

lui-même et sur son propre travail, le chercheur pourra alors faire de ses engagements

multiples une force et non une faiblesse dans sa démarche scientifique.

En ce qui nous concerne, la complexité trouve son origine dans un dilemme auquel

tout chercheur fait face. En effet, elle vient de la trop grande proximité entre nos valeurs

propres, nos perceptions et les faits que nous voulons aborder dans la problématique. Le

travail sur la problématique, tel que décrit par Bouchard (2011), induit

une incursion dans le champ subjectif du chercheur.(…) Or, à ce moment de la recherche plus qu’à aucun autre, la subjectivité du chercheur occupe une place cruciale. De fait, la mise en place des parties de la problématique s’effectue dans un monde de perceptions. Seul le chercheur qui formule son projet peut justifier la pertinence des éléments à inclure dans sa problématique. Rien ne va de soi, sauf ce qui a du sens pour lui (Ibid., pp. 69-70)

Puisqu’« une recherche n’est jamais le fruit du hasard » (Ibid., p. 65), il convient

ici de préciser que le choix de ma problématique résulte d’une longue réflexion sur mes

propres expériences d’un processus de minorisation multiple comme immigrante,

immigrante francophone, immigrante francophone femme et considérée comme minorité

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visible, mais également d’une observation d’un fait sociétal qui se développe de plus en

plus avec les mouvements migratoires de la population mondiale. Cette longue

expérience de mes appartenances multiples, mais souvent habitée par le sentiment

d’exclusion, m’ont ainsi rendue plus sensible à la composition de ma salle de classe et à

l’inclusion (ou non) de mon environnement. C’est pourquoi ma crainte que le reflet de mes

expériences ne compromette la recevabilité des résultats, de la conception à l’analyse

des données. Il faut absolument éviter de « prendre mes préférences pour des

certitudes » (Ibid. p. 71). Ainsi, par souci de « partialité », d’éviter l’influence de mon propre

parcours, mais surtout par respect pour les participants, qui sont considérés comme des

sujets agissants et parlants et nullement comme des objets de ma recherche, je me suis

effacée et n’ai pas participé aux discussions de groupes (avec les élèves) afin de laisser

aux participants la possibilité de donner libre cours aux récits de vie. De la même manière,

ma « visibilité » en tant que minorité constitue ma deuxième inquiétude, et je me suis

demandé quel impact allait-elle avoir dans mes entretiens avec les participants.

Finalement, certains des participants se trouvent parmi mes connaissances de longue

date sur le plan professionnel, et nous avons une idée de nos expériences respectives, il

a été difficile, de ma part, de ne pas vouloir interagir librement sur certaines questions.

Ainsi, d’un point de vue technique, j’ai choisi d’examiner un savoir en co-construction qui

m’a exclue, mais dont l’intérêt réside toujours dans l’examen des interactions entre les

participants et leur institution et les représentations qui en émergent. Somme toute, je dois

viser « l’articulation d’un point de vue du dedans avec un regard du dehors » (Pires, 1997,

p. 34), la convergence d’une diversité de point de vue. Ces exigences me paraissent

capitales pour bien conduire cette étude et m’ont menée à opter pour une recherche

qualitative.

5.4. Préoccupations éthiques

Gohier (2004) rappelle que la recherche ne doit pas se faire aux dépens des

participants et de la communauté ; elle doit les inclure, veiller à les respecter et s’assurer

d’avoir des retombées pour eux. Il s’agit de faire de la recherche avec plutôt que sur les

participants. Notre cas, parce qu’il se situe dans un milieu minoritaire, est plus sensible.

Aussi devons-nous être particulièrement attentive et veiller à la confidentialité des

informations et à la protection de la vie privée des participants.

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Même si nous travaillons au conseil scolaire francophone et sommes impliquée

dans la communauté, comme chercheure nous avons à adopter aussi la position

d’outsider. Outsider, ne signifiant pas avoir un regard froid sur notre objet d’étude ou être

à l’écart de la communauté francophone et le conseil scolaire. Au contraire, cela veut dire

que nous sommes consciente, que comme enseignante, nous sommes aussi influencée

par notre communauté francophone. Cela veut dire que nous devons nous rappeler de

garder notre liberté de livrer les résultats de nos recherches tels que nous les avons

découverts. Car après tout, pour nous, le travail de l’enseignante-chercheur se veut avant

tout empreint d’utilité sociale.

Une demande éthique a été faite conformément aux exigences de l’université en

matière d’anonymat et de sécurité physique des participants. Il a été essentiel de tenir

compte du risque qu’une telle recherche leur ferait encourir parce que la petite taille et

l’unicité de la communauté éducative francophone de CB pouvait rendre la traçabilité plus

facile et compromettre leur chance d’« intégration » ou d’« inclusion » s’ils participaient.

Cette appréhension que nous avons eue au début de notre étude de terrain ne s’est pas

vérifiée car tous les participants ont montré un réel intérêt et une disposition inattendue à

partager leurs expériences. La profondeur des entretiens en atteste.

Parler d’un vécu pouvait être douloureux ou professionnellement compromettant

(l’immigration, le sentiment d’appartenance ...) et allait certainement exiger la plus grande

prudence quant à des répercussions sociales et psychologiques que nous ne maîtrisons

pas. Nous avons alors laissé la décision aux participants d’intervenir ou non dans

l’entretien de groupe car il favorise parfois la participation et permet à d’autres moments

le silence. Dans le cas des entretiens individuels, nous n’avons pas eu à faire face à ces

silences car ils présentaient l’avantage de la confidence sans témoin hormis le chercheur

mais, en même temps, ces silences s’il en était, pouvaient être matière à analyse aussi.

Ainsi, les élèves ont préféré le format d’entretien de groupe et le personnel éducateur

(enseignants, aides pédagogiques, conseiller, éducateurs spécialisés et administrateurs)

celui d’entretien individuel.

Rappelons que le critère déterminant des entretiens individuels ou de groupes a

été la proximité du lieu de travail car les entretiens se sont déroulés pendant des heures

de cours avec les élèves. Les participants-éducateurs ont également choisi de nous

rencontrer sur leur lieu de travail, soit dans une salle non occupée, dans leur salle de

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classe, ou dans les salles réservées aux rencontres. Les entretiens avaient lieu pendant

leur temps de préparation, pendant l’heure du déjeuner, ou après l’école, se déroulant au

cours des périodes variant de quarante minutes à une heure et demie. En règle générale,

les participants étaient à l’aise, quoique certains d’entre eux semblaient parfois quelque

peu nerveux. Au début de chaque entretien, nous avons expliqué tous les détails relatifs

à l’utilisation et à la conservation des données. Nous avons particulièrement insisté que

l’anonymat des participants sera respecté. Tous les participants ont accepté que

l’entretien soit enregistré. Un formulaire de consentement a été signé par chaque

participant lequel sera conservé par nous-même selon les formalités exigées par le Office

of Research Ethics de l’université Simon Fraser.

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Chapter 6. Méthodologie

La notion de « méthodologie » renvoie à un ensemble de pratiques dans la manière de poser le problème de recherche, dans les stratégies de collecte et d’analyse des données, dans les types d’interprétation effectués et, finalement, dans le choix des critères de rigueur qui permettent d’évaluer le caractère d’exactitude et de crédibilité des recherches (Karsenti & Savoie-Zajc, 2011, p. 13).

Pour élaborer la méthodologie de notre recherche importait pour nous la cohérence entre

la problématique, les questions de recherche et la méthodologie. La méthodologie

découlant avant tout des questions de recherche, c’est donc en nous basant sur ces

dernières que nous avons bâti notre méthodologie. Étant entendu que cette construction

sera faite en va et vient en fonction des aléas du terrain. Le choix de la méthodologie se

fonde aussi sur le statut épistémique du chercheur ; c’est pourquoi nous clarifierons notre

positionnement par rapport à cette recherche avant d’évoquer notre choix méthodologique

de recherche.

La recherche se situe autour de deux axes de questionnement qui ont émergé

durant l’analyse des représentations d’identités – multiples, bi/plurilingue, professionnelle

- et des représentations de communauté francophone. D’abord, nous avons choisi

d’examiner la dimension sociologique des identités et de cultures francophones, laquelle

dans le contexte canadien, est constituée non seulement du Québec mais aussi des

communautés francophones minoritaires hors Québec. L’étude des francophonies

canadiennes nous amène à observer la vitalité très diversifiée de ces communautés

francophones qui entretiennent souvent un rapport ambigu avec la majorité anglophone.

L’axe sociologique nous permet ainsi de nous pencher sur la mobilité internationale,

l’immigration qu’accueille le Canada et par là de mettre en lumière le phénomène «

mouvant » des identités aussi bien que la métamorphose de la composition des

communautés francophones canadiennes, devenues de plus en plus pluriethniques,

plurilingues et multiculturelles, et cela plus particulièrement dans les écoles francophones.

Puisque l’angle sociologique nous amène à explorer notre problématique dans le cadre

juridique, plus particulièrement la Charte canadienne des droits et libertés (1982), la Loi

sur les langues officielles (1969), la Loi sur le multiculturalisme (1971), nous examinerons

alors des données, des discours institutionnels politiques et communautaires auprès des

organismes représentant les francophonies canadiennes au niveau fédéral et provincial.

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Ce faisant, nous pourrons d’abord, approfondir l’aspect politique et historique de la

question identitaire francophone et minorité/minorisation francophone, ensuite, apprendre

davantage sur le positionnement des instances gouvernementales responsables de

politiques des communautés francophones minoritaires et les perspectives des

organismes impliqués dans la sauvegarde de la vitalité de ces communautés, et

finalement situer notre problématique dans le cadre du projet national de vivre-ensemble

avec nos diversités.

Partant de l’axe sociologique sur la question des identités, nous aboutissons à la

dimension didactique de notre réflexion. Comment prendre en compte ces changements,

cette métamorphose dans la composition de nos élèves, comment « redessiner les

espaces francophones » (Fourot, 2016), comment intégrer le mandat des écoles de

langue française à l’égard de la promotion de la langue et de la culture françaises tout en

valorisant la langue parlée à la maison et les pratiques culturelles des apprenants ?

Comment prendre en compte ces identités multiples, plurilingues dans la construction

d’une identité collective francophone afin d’intégrer les apprenants allophones

culturellement et linguistiquement différents, qui parfois ont deux ou même trois statuts

minoritaires différents au sein de la minorité francophone officielle du Canada. L’axe

didactique ou pratique enseignante devra s’analyser en s’appuyant sur les opinions et les

pratiques des enseignants ainsi que sur le discours officiel, des dispositifs en place ou

non dans les écoles francophones.

Dès lors nous pourrons aborder notre problématique de différents points de vue,

tant celui des élèves, des enseignants, du personnel éducatif que des administrateurs qui

représentent la politique officielle de l’institution éducative. Nous espérons pouvoir ainsi

recueillir des données suffisamment variées afin de refléter une réalité complète du

terrain.

6.1. La recherche qualitative

Comme notre étude porte sur la pluralité des identités francophones et écoles

francophones en milieu minoritaire, nous avons fait le choix de donner la parole aux

acteurs. Dans ce sens, le choix de la recherche qualitative de cette étude est fait en

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fonction de notre problématique et des points d'ancrage théoriques et conceptuels

encadrant notre recherche. Parce qu’elle n’est pas concernée par la recherche d’une

vérité, mais d’un fragment de vérité, des vérités, ici et maintenant, la recherche qualitative

sied mieux à notre recherche. Parce que le champ de la recherche en éducation est à la

fois riche, diversifié et complexe :

on abandonne la conception de la réalité simple et unique pour adopter celle des réalités complexes, plurielles, diverses et interactives (Karsenti & Savoie Zajc, 2011, p. 23).

Nous empruntons alors l'explication donnée par Paillé pour justifier notre choix :

Car la recherche en sciences humaines et sociales curieuse des expériences humaines et des interactions sociales se conduit tout naturellement de manière qualitative, c'est-à-dire en s'approchant des personnes et des groupes concernés, en enquêtant, en interviewant, en expérimentant avec eux, et en analysant avec des mots, les leurs et les nôtres (ceux des chercheurs), leurs expériences, leurs conduites et leurs échanges (2006, p. 5).

Ce choix méthodologique s’appuie aussi sur Anadón (2006) pour qui la recherche

qualitative est le véhicule approprié pour capter le sens que les individus donnent à leurs

actions, sens qui tient compte de leur subjectivité et qui inclut les interactions sociales

dans leur point de vue.

La recherche qualitative/interprétative est celle par laquelle les chercheurs se sont intéressés à comprendre les significations que les individus donnent à leur propre vie et à leurs expériences. Le point de vue, le sens que les acteurs donnent à leurs conduites ou à leur vie est matière d’observation et de recherche. Ici on met en valeur la subjectivité dans la compréhension et l’interprétation des conduites humaines et sociales. Mais ces significations et ces interprétations sont élaborées par et dans les interactions sociales où les aspects politiques et sociaux affectent les points de vue des acteurs (Anadón, 2006, p. 15).

Ainsi, la recherche qualitative présente, à nos yeux, plusieurs intérêts en éducation : elle

rend accessible les résultats et les connaissances produites par la recherche et met en

avant le principe d’interactivité. D’un côté, la recherche qualitative se veut avec et pour

les participants dans la mesure où elle étudie un vécu en prise directe avec la pratique

professionnelle :

C'est une démarche heuristique qui poursuit souvent des buts pragmatiques et utilitaires, c'est-à-dire qui peuvent déboucher sur des

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applications pratiques des résultats obtenus (Karsenti & Savoie-Zajc, 2011, p. 125).

De l’autre, sa pertinence réside dans le fait qu’elle tient compte « des interactions que les

individus établissent entre eux et avec leur environnement » pour aider à mieux

comprendre, de l’intérieur, la nature et la complexité des interactions d’un environnement spécifique, et orienter sa collecte de données en tenant compte de la dynamique interactive du site de recherche (Ibid. pp. 125-126).

Karsenti et Savoie-Zajc (2011) soutiennent également que dans un paradigme

interprétatif, la réalité

est construite par les acteurs d'une situation ; elle est globale, car c'est la dynamique du phénomène étudié que le chercheur veut arriver à comprendre (Ibid. p. 115).

La présente recherche, de nature qualitative, est fondée sur des entretiens compréhensifs

(Kaufmann, 1996) et explore, en tant que telle, le sens que les individus donnent à leur

expérience (Karsenti & Savoie-Zajc, 2011). L'objet de notre étude est le traitement

discursif des représentations sociales, par conséquent le discours nous parait le lieu par

excellence où se manifestent

les traces des opérations cognitives mises en oeuvre par les acteurs, tant par rapport aux objets de discours mobilisés que par rapport à la situation d'interaction (Matthey, 2000, p. 23).

Dans une approche qualitative, le sens attribué à la réalité est issu d’une

construction commune entre le chercheur, les participants et les utilisateurs des résultats.

La recherche de type qualitatif épouse donc assez bien une approche des représentations

sociales sous l’angle de la complexité. Denzin et Lincoln considèrent

Qualitative research is a situated activity that locates the observer in the world. Qualitative research consists of a set of interpretative, material practices that make the world visible. These practices transform the world (...) qualitative research involves an interpretative, naturalistic approach to the world. This means that researchers study things in their natural settings, attempting to make sense of or interpret phenomena in terms of the meaning people bring to them (2011, p. 3).

En optant pour la recherche qualitative, nous nous inscrivons en conséquence dans un

paradigme compréhensif (Mucchielli, 2004). Ce qui signifie, selon lui, que le chercheur

peut faire surgir des significations à travers des interactions des acteurs.

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L’approche compréhensive postule ensuite la possibilité qu’a tout homme de pénétrer le monde des significations d’un autre acteur humain. Le vécu et le ressenti d’un autre homme ne sont pas hermétiques et hors d’atteinte (principe de l’intercompréhension humaine) (Mucchielli, 2004, p. 30).

Notre recherche s'appuie ainsi sur une épistémologie interprétative, car elle

s'intéresse à la façon dont les élèves, les enseignants, le personnel éducateur et l'école

se représentent leur rôle et leurs identités individuelles dans la construction d'une identité

francophone collective, dans un contexte minoritaire. Ce choix méthodologique a été dicté

par les caractéristiques propres aux représentations sociales qui sont véhiculées dans la

communication. En effet, Jodelet affirme :

l'observation des représentations sociales est, en effet, chose aisée en de multiples occasions. Elles circulent dans les discours, sont portées par les mots, véhiculées dans les messages et images médiatiques, cristallisées dans les conduites et les agencements matériels ou spatiaux (1989, p. 48).

Du fait que notre recherche se situe dans l’optique que la réalité sociale se construit, que

les savoirs que chaque individu utilise pour mieux saisir le phénomène en construction

sont, eux aussi, le résultat de constructions antérieures, individuelles ou sociales, et que

chacun essaie d’en saisir le sens pour lui-même, l’étude impose dès lors d’adopter une

perspective interprétative. Cette disposition se manifeste d’abord chez le participant qui

essaie de comprendre l’autre à l’instant même des propos énoncés. Et ensuite, chez la

chercheure qui essaie, par une analyse approfondie des entretiens, de comprendre l’objet

d’étude afin de dégager les résultats en fonction de ses réflexions et de sa subjectivité

autant que des données elles-mêmes. Le travail d’interprétation nous situe donc dans une

perspective herméneutique. Enfin, la combinaison de données empiriques, de données

secondaires et d’expérience professionnelle que nous apportons à la recherche pour

traiter une problématique justifie le positionnement critique de l’étude. Voici comment

Denzin et Lincoln (2011) décrivent le chercheur qui adopte une posture critique :

They (les chercheurs) seek strategies of empirical inquiry that will allow them to make connections between lived experience, social injustices, larger social and cultural structures, and the here and now. These connections will be forged out of the interpretations and empirical materials that are generated in any given inquiry (p. 375).

L'interprétation constitue la plus grande partie des actes posés dans l'enquête qualitative.

Paillé citant Denzin souligne : « In the social sciences there is only interpretation. Nothing

speaks for itself » (Paillé, 2006, p. 101). Mais « qui suis-je pour interpréter ? » (Ibid.). En

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effet la méthodologie qualitative soulève toujours de vifs débats à propos de la posture,

ou plus largement la question de « l'objectivation du sujet objectivant » selon l'expression

de Bourdieu (Ibid. p. 86). En d'autres termes, comment les chercheurs font-ils preuve

d'objectivité afin de produire de la connaissance objective sur la base de la connaissance

pratique qu'ils ont combinée à celle qui a surgi des informations recueillies de vives voix

dans le cadre de l'enquête menée sur le terrain ? Dans le domaine de la recherche en

éducation qu'est le nôtre, parce que nous sommes des enseignants-chercheurs, parce

que notre recherche sera faite avec des acteurs, parce que l'objet et le sujet de la

recherche sont tous deux des êtres humains, nous devons nous attendre à ce que

diverses formes de biais et de valeurs s'emmêlent et remettent en cause la validité du

résultat. Ainsi la question de la posture de insider/outsider du chercheur est une

préoccupation omniprésente, pour Paillé :

Le « je » de « suis-je » suggère une individualité mais, là aussi, les frontières de ce que l'on désigne comme individu sont confuses et changeantes, et là où l'on croit cerner l'individu, on retrouve, derrière, le poids de la tradition disciplinaire ou, devant, la contrainte forte du discours, des acteurs (2006, p. 102).

La question de l’objectivité de la recherche et de la neutralité des chercheurs est

un sujet qui soulève bien des passions. En 1979, Bourdieu écrivait que :

la connaissance pratique du monde social […] met en œuvre des schèmes classificatoires […] schèmes historiques de perception et d’appréciation qui sont le produit de la division objective en classe (Bourdieu in Moliner & Guimelli, 2015, p. 32).

Pour Moliner et Guimelli, nos représentations sociales du monde seraient donc

« largement déterminées par nos appartenances sociales » (Ibid.). Il est donc nécessaire

dans la mise en œuvre de l’élaboration d’un objet scientifique de « rompre avec le sens

commun » (Bourdieu, 1992, p. 207). L’enseignant-chercheur est un acteur du terrain, qui

va interagir avec d'autres acteurs sociaux dans l'objectif de contribuer à l'édifice d'une

société meilleure. La posture du chercheur n'est pas neutre, et « l'analyse engagée se

caractérise par un partie pris conscient de la part de la personne effectuant la recherche

» (Gingras & Côté, 2016, p. 125).

Nous cherchons un instrument de collecte de données qui permettrait aux

participants de faire la narration de leur expérience de vie et de partager le sens qu’ils en

donnent. L’acteur étant celui qui peut le mieux révéler ses identités multiples et expliquer

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ses sentiments d’appartenance à la communauté francophone de la CB, son discours

devrait être aussi spontané que possible pour nous permettre de saisir ses perceptions et

ses croyances autour de l’objet d’étude. Nous cherchons à pénétrer les systèmes de

valeurs des participants pour accéder à leur savoir commun, pour ensuite, les interpréter

et les expliquer (Kaufmann, 2008). Kaufmann nous rappelle que l’individu fait partie de

structures sociales, à la fois produit d’une socialisation et producteur social. Au fil de ses

expériences, il élargit ses connaissances et élabore des récits et des descriptions à partir

d’un bagage cognitif qui lui est propre. Craignant que la réalité sociale des participants ne

se laisse pas facilement appréhender, nous privilégierons une méthode d’enquête qui

offre un encadrement à l’intérieur duquel nous pourrions introduire des déclencheurs et

nous retirer de manière à céder la place aux interactions que les participants vont eux-

mêmes initier et discuter et un encadrement où des occasions pour élucider leurs

croyances pourraient exister. Dès lors, l’entretien de groupe ou individuel serait la

méthode d’enquête de notre choix, par sa nature même qui est constituée d’actes de

paroles produits dans des situations interactives, initiées par les stimuli protocolaires

préparés au préalable et que les participants s’approprieraient pour entamer la discussion.

Dans une perspective constructiviste qui reconnaît que chaque individu, à travers ses

expériences et sa maturité, construit différemment la réalité sociale, l’entretien de groupe

permet donc de situer les participants dans un contexte pour partager leur expérience de

vie et leur savoir particulier relatif à la problématique de notre étude. Denzin et Lincoln

s’accordent à dire que de telles données empiriques, du fait qu’elles abondent de

connaissances communes, enrichissent une recherche qualitative :

Knowledge is always local, situated in a local culture, and embedded in organizational and interactional sites. Everyday stereotypes and ideologies, [...], are enacted in these sites (2011, p. 381).

6.2. L’étude de cas

Il est important de préciser, au préalable, pourquoi le cas étudié se prête à l’étude

de cas. Autrement dit, pourquoi notre cas est intéressant. Notre cas, unique en raison du

caractère largement minoritaire des francophones en CB, est aussi et avant tout un

archétype des changements qui touchent toutes les communautés francophones en

situation minoritaire. En effet, l’immigration affecte différemment les francophonies

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canadiennes plus largement et questionne la construction identitaire de ces communautés

qui sont dès lors prises entre l’argument utilitaire et l’argument identitaire.

Partant du principe que l'identité s'acquiert et constitue une construction sociale,

qu'elle n'est donc pas quelque chose d'inné (Breton, 1994; Juteau, 1994 ; Gérin-Lajoie,

2001), nous étudierons la problématique de l’articulation de l’individu aux groupes et à la

société, plus notamment la façon dont l'école et ses partenaires éducatifs s'y prennent

pour articuler la notion d'identités individuelles chez les adolescents à l'identité collective

francophone de la communauté en milieu minoritaire. Un des grands avantages de l'étude

de cas est, selon Mucchielli (1996), de fournir une situation où l'on peut observer

l'interaction d'un grand nombre de facteurs, ce qui permet de saisir la complexité et la

richesse des situations sociales. « L'étude de cas est une technique particulière de

collecte, de mise en forme et de traitement de l'information qui vise à rendre compte du

caractère évolutif et complexe des phénomènes à un système social empreint de ses

propres dynamiques » (cité dans Karsenti & Savoie-Zajc, 2004, p. 230).

Merriam (1998) qui définit l'étude de cas surtout dans le contexte de la recherche

qualitative en éducation, affirme qu'en mettant l'accent sur la découverte et la

compréhension du cas de l'étude, « cette approche est la plus prometteuse pour

l'avancement de la pratique éducative » (cité dans Karsenti & Savoie-Zajc, 2004, p. 232).

Enfin, l'étude de cas définie par Anadón (2006) est la suivante :

L’étude de cas est une approche et une technique de cueillette et de traitement de l’information qui se caractérise par une description en profondeur d’un phénomène et par une analyse qui tente de mettre en relation l’individuel et le social (Ibid. p. 22).

Cette définition appelle trois commentaires : (a) l’étude de cas est donc une approche

hybride, c’est-à-dire qu’elle est à la fois une approche méthodologique et une stratégie de

recherche ; (b) elle est féconde pour les descriptions en profondeur et ; (c) c’est un outil

de médiation entre le particulier et le général, entre l’individu et son milieu. Outil d’analyse

en puissance, on le voit, l’étude de cas permet de disséquer un phénomène en lien avec

son milieu.

Quel qu’en soit les définitions et les chercheurs, il y a une constance, celle du

contexte et la nécessité de délimiter l’étude. Pour Roy (2010) à la suite de Yin (2009), un

cas qui n’est pas délimité n’est pas un cas à étudier et cette limite théorique du cas

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découle du nombre de personnes participant à l’étude. Pour Yin, si le nombre de

personnes à questionner est illimité, c’est que le cas lui-même n’a pas été bien délimité.

Notre recherche vise effectivement à produire un savoir enraciné dans une culture, dans

un contexte et une époque particuliers. De manière générale, la recherche

qualitative/interprétative, comme le précisent Karsenti et Savoie-Zajc :

est une forme de recherche qui exprime des positions ontologiques (relatives à la vision de la réalité) et épistémologiques (associées aux conditions de production du savoir) particulières dans la mesure où le sens attribué à la réalité est vu comme étant construit entre le chercheur, les participants à l'étude et même les utilisateurs des résultats de la recherche (2011, p. 130).

Nous pourrons être critiqué en raison de notre subjectivité car nous pouvons être

considéré, à la fois, comme acteur et « partie prenante ». À cela, nous pensons que les

avantages de notre connaissance du terrain surpassent nos biais personnels. Pour

certains auteurs, les résultats obtenus à partir de l’étude de cas souffrent de rigueur. Cette

critique peut être adressée à toutes les recherches dites qualitatives, même quantitatives.

C’est un complexe que le chercheur doit dépasser. Une dernière critique a trait au soi-

disant caractère non-généralisable des résultats de l’étude de cas. On ne peut généraliser

à partir d'un seul cas, surtout s'il n'est pas sélectionné au hasard dira-t-on. L'étude de cas

fait que l'on ne peut vraiment l'utiliser pour vérifier des hypothèses sur un ensemble plus

large. Cependant, de façon presque unanime, les chercheurs reconnaissent la valeur de

l'étude de cas pour les recherches de type exploratoire, et conviennent avec Merriam

(1988) et Anadón (2006) que l’étude de cas est appropriée pour l’analyse des

phénomènes dans les contextes de complexité comme le milieu de l’éducation, car elle

est particulariste, descriptive, heuristique et inductive. Pour toutes ces caractéristiques et

en dépit de ses limites, nous la retenons comme méthode de recherche pour notre

problématique.

Vu la rareté des références bibliographiques exclusivement liées à notre sujet en

CB (Arcand, 2000 ; Lamarre & Dagenais, 2003 ; Levasseur, 2017 et Brisson, 2017), la

recherche envisagée est de nature exploratoire et adopte une perspective constructiviste

interprétative. Selon Savoie-Zajc,

une telle posture épistémologique vise une compréhension riche d'un phénomène, ancrée dans le point de vue et le sens que les acteurs sociaux donnent à leur réalité. Une dynamique de co-construction de sens s'établit

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donc entre les interlocuteurs : chercheur et participants, les uns apprenant des autres (2011, p. 339).

6.3. Le sondage

Nous avons eu recours au début de notre recherche à un autre outil de collecte

des données que les entretiens compréhensifs, puisque nous avons réalisé un sondage

qui a permis, dans un premier temps d’obtenir des informations factuelles sur les

habitudes linguistiques des élèves dans leurs activités quotidiennes, et les informations

biographiques sur les élèves afin de dresser un profil de la population à l’étude. Durand

et Blais (2016) définissent le « sondage comme un instrument de collecte et de mise en

forme de l’information, fondé sur l’observation de réponses à un ensemble de questions

posées à un échantillon d’une population » (p. 454). Le principe même du sondage et des

techniques qu’il engage (dont celle de l’échantillonnage) se trouve ainsi présenté : nous

recueillons de l’information sur une fraction (échantillon) de l’ensemble (des élèves des

écoles francophones de la CB) que nous voulons étudier, puis nous généralisons à cet

ensemble ce que nous avons mesuré sur le sous-ensemble. Ce qui est recherché dans

la pratique de cet outil de l’échantillonnage c’est la représentativité. Plus la population est

homogène, moins l’échantillon aura besoin d’être de taille importante, l’échantillon devra

être représentatif de cette dernière. Ce que nous apprenons concernant l’échantillon, nous

devrons pouvoir le généraliser à l’ensemble des élèves. En effet, la diversité linguistique

et culturelle des élèves est le dominateur commun de la population d’élèves des écoles

francophones de la CB, l’homogénéité pourrait dès lors s’expliquer par leur hétérogénéité.

Par une technique non probabiliste, les élèves de cinq classes de deux écoles

secondaires francophones en CB (11e et 12e année, le choix des élèves participants était

fait de façon aléatoire) pouvaient participer au sondage. Tous les participants élèves,

éducateurs et administrateurs proviennent des mêmes écoles. Il est important de préciser

que nous ne travaillons pas dans ces écoles et n’enseignons pas ces élèves participants.

Cela a permis d’obtenir un échantillonnage auprès de 71 élèves (âgés de 17 à 19 ans), à

l’aide du questionnaire suivant :

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Questionnaire 1. Langue(s) parlée(s) à la maison : ___________________ 2. Langue(s) parlée(s) des parents : ___________________ 3. Langue(s) que tu parles avec tes amis : ____________________ 4. Langue(s) que tu écris : _____________________ 5. Comment définis-tu ton/tes identité(s) :

Francophone

Francophone et________________

Francophone ou ________________

Dans tes propres mots _______________ 6. Être francophone est-il un atout :

dans ton quotidien

pour tes études

dans la préparation de ton avenir

pour trouver un emploi

pour vivre au Canada 7. Te sens-tu appartenir à la communauté francophone de la BC ? ____________ 8. Envisages-tu de continuer tes études en français à l’université ? ____________

Pour que la procédure de collecte d’information au moyen d’un questionnaire de

sondage soit valide, quatre conditions doivent être satisfaites : 1) la disponibilité des

informateurs ; 2) la capacité de répondre ; 3) la transmission fidèle de l’information ; 4)

l’enregistrement fidèle de l’information (Durand & Blais, 2016, p. 459). Respectant la

procédure, nous avons alors présenté le sujet et l’objectif de nos recherches devant les

élèves, pendant les heures de cours, en salle de classe ; puis distribué le questionnaire

et offert le choix aux élèves de participer ou pas au sondage, en notre présence pour

répondre aux éventuelles questions. Par conséquent, les participants à l’échantillon

étaient totalement anonymes, disponibles, coopératifs et en mesure de répondre aux

questions. Le questionnaire a été ensuite ramassé et consigné dans nos dossiers.

6.4. L’entretien compréhensif

Selon Roy (2016), la collecte de données constitue un moment fort pour l'étude de

cas compte tenu du rôle actif que jouera le chercheur sur le terrain. Une des stratégies

clés consiste à multiplier ses méthodes ou ses sources de mesure. Elle permettra de

limiter les biais causés par les erreurs de mesure. Anadón (2006) souligne que l’étude de

cas mobilise des instruments comme les entrevues semi-dirigées, l’observation directe et

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participante, les questionnaires, les ressources documentaires pour la collecte des

données. Nos données proviendront de deux sources, d'abord, les entrevues semi-

dirigées (en focus groupe seulement avec les élèves et individuelles avec les autres

participants : enseignants, personnel de soutien, et les administrateurs) que nous aurons

effectuées auprès des acteurs éducatifs. Ensuite, notre deuxième source de données sera

les documents officiels du conseil scolaire francophone de la province, des documents

d’archives, des journaux communautaires, de Radio-Canada, de documents écrits

(rapports d’activités, procès-verbaux de réunions, correspondances, communiqués,

organigrammes) qui nous permettront une compréhension globale du contexte

sociohistorique de la communauté éducative francophone en CB, mais l’analyse

documentaire viendra également enrichir et nourrir les résultats des entrevues semi-

dirigées.

C'est l'entretien compréhensif qui sera adopté dans ce travail car il semble le mieux

adapté à la notion de construction sociale de la réalité et, de ce fait, à l'étude des

représentations sociales et des identités.

La démarche compréhensive s’appuie sur la conviction que les hommes ne sont pas de simples agents porteurs de structures mais des producteurs actifs du social, donc des dépositaires d’un savoir important qu’il s’agit de saisir de l’intérieur, par le biais du système de valeurs des individus ; elle commence donc par l’intropathie. Le travail sociologique toutefois ne se limite pas à cette phase. Il consiste au contraire à être capable d’interpréter et d’expliquer à partir des données recueillies. La compréhension de la personne n’est qu’un instrument, le but du sociologue est l’explication compréhensive du social (Kaufmann, 2008, p. 26).

L'entretien semi-dirigé qui peut être défini comme l'entretien compréhensif

emprunte principalement « aux techniques ethnologiques de travail avec les

informateurs » (Kaufman, cité dans Ramos, 2015, p. 8), sera l'outil de choix pour notre

cueillette de données principales à cause de sa fonction exploratoire, sa caractéristique

sociale et notre expérience avec cet outil. Le langage étant un indicateur privilégié de

l'expérience humaine qui va faire émerger les représentations qui façonnent les

sentiments d'appartenance et d'identités des différents acteurs sociaux de la communauté

éducative francophone.

L'enquête par entretiens compréhensifs est caractérisée par deux dimensions :

celle de l'analyse par théorisation ancrée (Paillé, 1994) et celle de la primauté du sens

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des acteurs. En d'autres termes, la recherche s'articule dans un ancrage réciproque des

deux aspects théorique et empirique. Cet ancrage s'établir par la construction de l'objet,

et c'est autant la théorie qui s'ancre sur le terrain que les discours des interviewés qui

s'ancrent dans les propositions du chercheur.

Ce double ancrage est un mécanisme de recherche de cohérence entre ces deux aspects : le contenu définit le contenant et le contenant s'adapte au contenu (...) Cette construction simultanée et mutuelle de l'objet et de ses analyses fait la rigueur du compréhensif (Ramos, 2015, p. 162).

D’ailleurs, Kaufmann souligne que l’entretien compréhensif a l’ambition de « proposer une

combinaison intime entre travail de terrain et fabrication concrète de la théorie »

(2008, p. 27).

Afin d’enclencher les discussions et de saisir le plus d’information possible des

entretiens compréhensifs, nous avons demandé aux participants, d’apporter des artéfacts

(photos, objets, …) ou de fabriquer un visuel (collage, dessins, carte conceptuelle, …) qui

représentent leurs identités. Pour employer une formule de Moore et Castellotti :

Parce que le dessin est ici entrevu à la fois comme visible et dicible (plutôt que lisible), il se perçoit et se construit comme un texte visuel, il appartient à un « texture du discours » dont les valeurs et le sens sont construits et négociés dans leur déroulement discursif, entre pairs et entre participants et chercheurs. Le dessin induit aussi des effets de prise de distance qui permettent des formes de transaction ou méditation métaphoriques entre les contextes, et l'innovation au niveau du sens (2011, p. 3).

En effet, analysant des dessins d’enfants et des verbalisations qui les accompagnent ainsi

que la manière dont ces dessins et ces verbalisations, co-construits en interaction,

constitue une négociation conduisant à faire émerger une interprétation conjointe,

Castellotti et Moore écrivent :

Le fait de dessiner permet de représenter, dans son double sens d’imaginer et de donner à voir, sans pour autant se livrer totalement ; le dessin permet de montrer tout en choisissant de cacher, de symboliser, de détourner ou de mettre en lumière, avec une acuité à la fois plus évidente et plus incertaine que le discours. Il permet aussi de se projeter dans l’irréel, le virtuel, l’imaginaire, d’explorer les possibles sans crainte d’être jugé, grâce à ce clair-obscur qui maintient le flou et l’incertitude ; mais il peut être aussi un révélateur du réel, une représentation des univers de référence, plus ou moins stéréotypés, une manière de dire sa perception des relations sociales, de partager ses réussites et ses frustrations, de confier ses peurs et ses bonheurs (2009, p. 45).

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De plus, les chercheures soulignent qu’

une image visuelle reflète toujours plus ou moins les conceptions, les croyances et les valeurs de celui qui l’a produite. De même qu’elle reflète aussi les conceptions, les croyances et les valeurs de ceux à qui elle est destinée (2009, p.51).

Différents champs d’étude, notamment la psychologie, la psychologie cognitive, la

sociologie et l’anthropologie recourent aux dessins pour comprendre comment les acteurs

comprennent leur monde. Plus généralement, plusieurs domaines des sciences humaines

se sont intéressés à différentes époques au dessin ou à d’autres environnements

graphiques susceptibles de construire des outils de recherche plus diversifiés et de

favoriser et l’enrichir la compréhension de ceux qui les produisaient. Castellotti et Moore

font référence également aux travaux de Chapoulie (2001) et les sociologues de l’école

de Chicago qui avaient déjà ainsi recours, dans les années 30, à la confection de cartes

et d’élaborations graphiques pour « densifier les références et enrichir les dynamiques

interactives de leurs recherches » (Ibid., p. 46).

Quant aux travaux de Butler-Kisber et Poldma, ils suggèrent d’autres moyens

techniques pour enrichir la recherche :

It has become increasingly clear since the latter half of the 20th century that knowledge or understanding is not always reducible to language… Thus not only does knowledge come in different forms, the forms of its creation differ. The idea of ineffable knowledge is not an oxymoron (Butler-Kisber & Poldma, 2010, page non indiquée).

Certains travaux contemporains (Davis, 2008a, 2008b) mobilisent également,

outre la photographie et les films souvent cités, des dessins ou d’autres supports

graphiques. Mais ceux-ci ne sont le plus souvent conçus que comme des « techniques »

permettant d’enrichir le regard, d’apporter « un plus », un complément sans modifier le

cœur de la signification, généralement supposée préexistante au dessin ou à l’acte

graphique.

Le dessin et, plus largement, les productions plastiques, graphiques et visuelles contribuent à construire autrement les recherches, en y insufflant le sensible et l'imaginaire, et en les reliant plus directement à une perspective d'appropriation. La projection dans l'imaginaire invite en effet soit à prolonger l'existant, à le renouveler, soit à tenter de rompre avec lui pour construire du nouveau (...) l'imaginaire est donc aussi ancré dans l'expérience, opéré au moyen des différents détours, qui permet à l'imaginaire de prendre son essor (Moore & Castellotti, 2011, p. 131).

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93

Pour une approche qualitative, le sens attribué à la réalité est issu d’une

construction commune entre le chercheur, les participants et les utilisateurs éventuels des

résultats. La recherche de type qualitatif épouse donc assez bien une approche des

représentations sociales sous l’angle de la complexité, ainsi l’utilisation des visuels

comme outil de recherche, contribue à enrichir la compréhension des réalités tel que le

soulignent Butler-Kisber et Poldma :

Qualitative research approaches, more specifically visual modes of inquiry are predicated on a constructivist epistemology that posits that there are multiple realities and ways of doing and understanding. These are co-constructed in human interactions and activities and are contextually dependent, eliciting “multiple participant meanings”. Visual inquiry is used to yield insights and reconstruct data to understand phenomena. Visual inquiry approaches, such as collage making and concept mapping, are a means for formulating ideas and articulating relationships among these to help understand phenomena in their formative stages, work through emergent concepts, or to help represent them to others (Ibid.).

6.5. Déroulement des entretiens

Quelques participants élèves ont apporté un artéfact qui, pour eux, représentait

leurs identités, ou qui leur rappelait un lien fort avec la francophonie : une bague achetée

lors d’un voyage scolaire en France, à la fin de la 12è année, une lampe, souvenir du

Maroc faisant référence aux origines linguistiques francophones, une montre, cadeau

d’une grand-mère québécoise, ou encore une vieille photo qui rappelle une enfance

passée à Montréal. Les entretiens de groupe avec les élèves ont débuté avec la

présentation de ces artéfacts qui jouaient un rôle de déclencheur des discussions. Aucun

participant éducateur n’a présenté d’artéfact, les entretiens individuels ont été entamés

directement à partir du protocole d’entretien.

Au moment de la sélection, les participants ont eu le choix d’intervenir seuls ou en

groupe. Tous les élèves, pour des contraintes d’horaire, ont préféré des entretiens de

groupe. Nous avons ainsi laissé aux élèves le choix de former leur propre groupe (de 3-5

élèves). Ainsi, le lieu des entretiens était l’école qu’ils fréquentaient, mais la composition

des groupes et l’heure des entretiens étaient à la convenance des élèves. La proximité

géographique de leurs lieux de travail et la disponibilité des participants éducateurs ont

fait que tous ont préféré des entretiens individuels.

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Les questions choisies étant très ouvertes, nous n’avons pas jugé uti le de

confectionner un protocole d’entretien détaillé ; nous avons préféré un guide thématique

relatif à l’identité culturelle ou l’identité professionnelle, de la caractérisation à la formation

de cette identité. Ces thèmes visaient à susciter chez les participants une réflexion sur

leur(s) identité(s) à partir d’expériences vécues au cours de leur trajectoire biographique

en relation avec les groupes auxquels ils estiment appartenir. Aussi, la formulation des

questions et leur ordre, loin d’être fixes, s’est davantage concentrée sur le vécu

professionnel/scolaire et personnel des participants. Voici les questions qui ont servi de

point de départ des entrevues :

Participants-élèves

1. Depuis quand es-tu inscrit à l’école ? 2. Peux-tu nous raconter pourquoi tu as choisi cette photo (ou cet objet/artéfact) et ce qu’elle/il

représente pour toi ? En quoi représente-t-elle/il ton identité francophone ? 3. Quelle(s) langue(s) parles-tu avec tes parents ? 4. Parler plusieurs langues est un atout à l’école ? dans ton apprentissage ? 5. Peux-tu nous parler de ton identité francophone ? comment la définis-tu ? 6. Te sens-tu francophone quand tu es à l’école ?

Participants-éducateurs (enseignants, aides-pédagogiques, services éducatifs)

1. Depuis quand travaillez-vous à la commission scolaire ? 2. Vous considérez-vous comme francophone ? francophone et … ? 3. Selon vous, quelle est la mission de l’école francophone en milieu minoritaire en général et en

Colombie-Britannique en particulier ? 4. Quel est le rôle de l’enseignant dans les écoles francophones en milieu minoritaire ? 5. Comment l’école répond-elle à la diversité de son personnel ? de ses élèves ? 6. Avez-vous accès à des ressources pour vous aider à accomplir cette tâche ? 7. Quels imprévus, défis et opportunités rencontrez-vous ? 8. La communauté francophone en BC se diversifie, comment définissez-vous l’identité francophone

en BC ?

Participants-éducateurs (administrateurs)

1. Depuis quand occupez-vous une position d’administrateur ? 2. Comment étiez-vous préparé pour vos responsabilités d’administrateur ? 3. Comment définissez-vous la mission de l’école francophone en milieu minoritaire en général et en

Colombie-Britannique en particulier ? 4. Comment l’école répond-elle à la diversité de son personnel ? de ses élèves ? 5. Quels imprévus, défis et opportunités rencontrez-vous ? 6. La communauté francophone en BC se diversifie, comment définissez-vous l’identité francophone

en BC ?

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Au gré des entretiens, ces formulations se sont modifiées de manière spontanée

pour s’adapter aux déambulations de la parole, respectant à la fois les choix

d’interventions et la propitiation des réactions des participants, tout en préservant du

mieux possible l’expression de la subjectivité dans un cadre convivial, voire sécurisant.

En effet, l’avantage majeur des entrevues semi-dirigées, et par extensions des entretiens

compréhensifs, est leur grande souplesse dans l’approche des thèmes s’expriment ainsi

que l’aménagement d’espaces d’interaction imprévus entre les participants et le

chercheur. Il s’agit, grâce à l’entrevue, de permettre au chercheur de recueillir des

réponses à des questions qui ouvrent un accès sur l’expérience du participant : « they [les

chercheurs] seek questions that stress how social experience is created and given

meaning » (Denzin & Lincoln, 2011, p. 11).

Nos entretiens abordent cependant tous les thèmes du positionnement identitaire,

la place du français dans le quotidien des participants, le rôle de l’école en milieu

minoritaire dans la construction identitaire, la diversité culturelle à l’école francophone, la

communauté francophone, la définition de ce que l’on entend par être francophone, le

plurilinguisme et le multiculturalisme comme un atout d’apprentissage, la composition de

l’identité francophone collective de la CB… Cette liste n’était évidemment pas exhaustive

et pouvait toujours s’enrichir de thèmes supplémentaires directement liés aux

développements discursifs des participants.

Ainsi, au cours de l’enregistrement, les participants ont été invités à prendre la

parole librement et à s’engager dans une dynamique conversationnelle (avec les autres

participants dans le cas d’entrevue de groupe) propice à l’émergence du sentiment

d’appartenance francophone de la communauté. Nous avons évité, dans la mesure du

possible, toute interruption ou redirection des participants vers le thème discuté car il nous

semblait, là aussi, important de ménager un terrain favorable à l’émergence d’indices et

de co-occurrences (Bardin, 2013), mais également d’inférences.

Nos interventions, bien que notre position d’insider nous permet de partager

certaines expériences, se sont surtout manifestées par de l’empathie dans un climat

d’amitié et de compréhension mutuelle que nous n’avons pas eu à simuler. Très souvent,

nous avons acquiescé, confirmé, encouragé, reformulé, conforté, demandé plus

d’explications… Si tous les participants étaient volontaires à prendre part dans nos

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96

recherches, ils étaient cependant soumis aux contraintes d’horaire notamment dans une

période d’examen de fin d’année.

6.6. Sélection des participants

Kaufman (2008) reconnaît l'importance de bien choisir les participants car la

richesse d'un matériau dépend de ce choix. Les critères pour définir la population de

l'enquête sont à définir en fonction de l'objet de la recherche : saisir les représentations

des identités individuelles pour comprendre l'identité collective de la communauté

francophone en CB. Nous avons conduit la recherche auprès de la communauté

francophone éducative de Colombie-Britannique en Vancouver Métropolitain. Notre étude

concerne d’abord les élèves inscrits au niveau secondaire, dans les écoles francophones

de différentes origines ethniques. Ensuite les enseignants, le personnel de soutien des

écoles francophones de la communauté francophone en CB. Finalement des

administrateurs et le personnel des services éducatifs du conseil scolaire francophone de

la CB.

Dans un souci de garder une diversité parmi les participants-élèves, nous avons

constitué des critères répondant à la plus grande hétérogénéité possible (provenance

géographique, le sexe, la langue française (maternelle, première, seconde, étrangère)...).

De plus, pour les participants-enseignants, nous avons tenté de recruter ceux qui ont des

parcours professionnels distincts, notamment au niveau du nombre d’années enseignées,

de leur âge et du lieu des écoles où ils ont œuvré. Si nous avions prévu effectuer des

entretiens au sein de quatre écoles, nous avions dû modifier notre approche, en

établissant une stratégie de recrutement visant à obtenir un nombre suffisant d’entretiens

au sein de trois établissements seulement. Dès lors, nous avons accepté la participation

des élèves de 11è et de 12è années, et toutes les demandes de participation.

Au total, nous avons réalisé un questionnaire auprès de 71 élèves (âgés de 17 à

19 ans), et conduit 23 entretiens biographiques semi-dirigés auprès de 17 élèves (7

garçons et 10 filles) âgés de 17 à 19 ans, 3 administrateurs, 10 enseignants, 2 aides

pédagogiques, 2 personnel des services éducatifs.

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L’appartenance à la communauté francophone et à l’enseignement en français en

CB ont conditionné la sélection des participants car ce sont des caractéristiques

indispensables au traitement de la problématique et constituent la base de comparaison

commune. Par rapport au statut de la langue française, nous ne chercherons pas

préalablement à savoir si les participants sont qualifiés de francophones ou non, mais il

suffit qu’ils soient inscrits, enseignent ou travaillent en français dans une école

francophone.

Le questionnaire a été réalisé au titre qu’enquête préliminaire auprès de quatre

classes de 11è et 12è années des deux écoles secondaires. Il a été conçu comme un

outil pour recueillir des informations sur un échantillonnage des élèves de cette tranche

d’âge et leur entourage.

Des entretiens de groupe (3 à 5 participants-élèves) ont été réalisés avec les

élèves dont les pseudonymes commencent par G1. Six entretiens au total, de 40 à 60

minutes chacun, ont été menés auprès de dix-sept élèves de deux écoles secondaires.

Si tous sont élèves, leur hétérogénéité est assez représentative de l’ensemble des élèves

inscrits dans des écoles francophones de la CB : bilingues ou plurilingues, nés en CB ou

nouveaux arrivants depuis 2 ans. Voici, sous forme de tableau, un descriptif des profils.

Les informations qui y figurent correspondent à celles qui ont été recueillies au moment

des entrevues en juin 2018 :

1. Tableau : Description du profil des participants-élèves

Participants Lieu de naissance

Durée au CSF Durée en CB

Langues parlées

G1 Ontario 13 ans 13 ans 2

G2 France 3 ans 3 ans 2

G3 Vancouver 11 ans 16 ans 2 G4 Vancouver 11 ans 16 ans 2

G5 Congo 11 ans 16 ans 2

G6 Congo 11 ans 12 ans 3

G7 Québec 2 ans 2 ans 2

G8 Maroc 7 ans 9 ans 3

G9 Colombie 2 ans 2 ans 3 G10 Belgique 10 ans 10 ans 3

G11 Colombie 3 ans 3 ans 3

G12 Colombie 2 ans 2 ans 3

G13 Vancouver 13 ans 13 ans 2

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G14 Ontario 10 ans 10 ans 4

G15 Montréal 7ans 7 ans 2 G16 Québec 2 ans 2 ans 2

G17 Ontario 13 ans 13 ans 2

Des entretiens individuels ont été menés auprès du personnel éducateur

(participants-éducateurs) dont les pseudonymes commencent par A1. Dix-sept entretiens

au total, de 40 à 60 minutes chacun, ont été menés auprès de dix-sept membres du

personnel éducateurs (enseignants, aides pédagogiques, conseiller, éducateurs

spécialisés et administrateurs). Si tous les participants-éducateurs sont migrants ou

immigrants, le panel n’est toutefois pas représentatif de l’ensemble du personnel

éducateurs francophones au sein des écoles francophones de la CB, selon que l’on se

trouve en région ou dans le Vancouver Métropolitain. Il est tout de même hétérogène :

hommes et femmes d’âges variés ; éducateurs au primaire et au secondaire ;

administrateurs, enseignants ou aides pédagogiques, personnel des services éducatifs ;

bilingues ou plurilingues ; milieux socio-culturels différents ; formation universitaire

variée ; et présence en CB s’étalant de 2 à 26 ans. Le tableau ci-après décrit les profils.

Il faut préciser ici, que pour des raisons de confidentialité autour de l’identité du

participant, et tel que nous nous y sommes engagée dans la demande éthique, les

différentes nationalités sont passées sous silence. Mais nous pouvons y référer selon la

terminologie adoptée par Statistique Canada (quoique celle-ci soit contestable à nos yeux)

et dire que la plupart des participants sont d’origine caucasienne et que certains sont

membres de minorités visibles. La variété et l’hétérogénéité dans la sélection des

participants assure à la fois l’intégrité du projet et son aspect dynamique dans les multiples

réponses qui peuvent être faites en vertu d’individus et de contextes différents. Est-ce

pour autant un « échantillon représentatif » ? La question ne se pose pas vraiment dans

une approche qualitative (Denzin & Lincoln, 2011 ; Karsenti & Savoie-Zajc, 2011). On peut

y répondre cependant en rappelant que notre étude cherche moins à examiner les

identités francophones plurielles qu’elle ne s’attache à laisser émerger les expériences de

vie des participants pour pouvoir étudier l’identité collective francophone, sa formation et

sa fugacité.

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Enfin, le fait d’avoir à la fois des entretiens de groupe et individuels ajoute

certainement aux possibilités de triangulation et ouvre des perspectives adjacentes à

l’analyse.

2. Tableau : Description du profil des participants-éducateurs

Participants Lieu de naissance Durée au CSF Durée en CB Langues parlées

A1 Québec 2 ans 2 ans 2

A2 Québec 10 ans 10 ans 2 A3 France 10 ans 16 ans 2

A4 Maroc 11 ans 20 ans 4

A5 Belgique 11 ans 12 ans 3

A6 Québec 18 ans 24 ans 2

A7 Iran 7 ans 9 ans 3

A8 Québec 8 ans 20 ans 2 A9 Québec 20 ans 25 ans 2

A10 France 11 ans 26 ans 2

A11 États-Unis 4 ans 10 ans 3

A12 Québec 13 ans 20 ans 2

A13 France 18 ans 22 ans 2 A14 Québec 21 ans 27 ans 2

A15 Québec 18 ans 18 ans 2

A16 Québec 12 ans 12 ans 2

A17 Nouveau Brunswick 11 ans 11 ans 2

D’abord, les entretiens avec les élèves se sont déroulés dans deux écoles situées

toutes les deux dans la région du Grand Vancouver, elles sont de même taille, mais

n’accueillent pas les mêmes niveaux classes. Dans l’une les classes vont de la maternelle

à la 12è année, dans l’autre, les classes vont de la 7e à la 12e, c’est l’unique école

secondaire homogène du CSF. Puis, les entrevues avec les enseignants ont eu lieu

principalement à la troisième école située sur la côte sud de la CB, et qui accueille des

élèves de la maternelle à la 9è année. Ensuite, les conversations avec les administrateurs

ont été tenues dans les trois établissements dont chacun est en charge.

Un cas qui n’est pas délimité, n’est pas un cas à étudier (Roy, 2016). Le nombre

de participants ne peut être indéfini dans une étude comme la nôtre. En effet, notre cas,

dans lequel prend part un nombre limité de personnes, se limite dans une province

donnée, pendant une période donnée, dans un milieu donné.

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100

À la suite de chacune des entrevues et des groupes de discussion, nous avons

consigné dans un journal de bord des informations portant sur le déroulement des

rencontres, les sentiments exprimés par les participants et la dynamique des rencontres

elles-mêmes. Cet outil nous a permis de retracer le contexte psychologique au moment

de la collecte de données, ce qui a servi dans l’interprétation lors de l’analyse. Le journal

de bord a également servi la prise en notes de nos propres réflexions et questions que

nous nous posions au cours de la recherche et qui se sont avérées utiles lors de l’analyse

et de l’interprétation des données. En ce sens, le journal de bord a été utilisé comme

moyen pour consigner des renseignements et des réflexions liés à la collecte et à l’analyse

de données, et non comme outil d’analyse ou d’interprétation dûment identifié dans la

recherche. Il a plutôt servi d’aide-mémoire au cours de la recherche et a permis de noter

et ensuite de retracer certains éléments comme le comportement ou l’expression faciale

des participants.

L’ensemble des entrevues contient près de vingt heures d’entretiens. Il a été

transcrit sans l’aide de logiciel de mise en forme, donc les lignes ne sont pas numérotées.

3. Les conventions de transcription utilisées

? intonation montante

MAJUSCULE insistance, emphase, appui

[ ] chevauchement

. pause légère

.. pause moyenne

... pause forte

ex-pre-ssion (tirets) quand les syllabes du mot ont été volontairement séparées

Aucun signe de ponctuation n’a été utilisé ni de corrections grammaticales ou

lexicales apportées et la transcription s’est voulue aussi fidèle que possible aux

documents audio.

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101

6.7. Analyse des données

Partie capitale de la recherche, l'analyse de contenu et de discours réside outre

ses fonctions heuristiques et vérificatives « dans la contrainte qu'elle impose d'allonger le

temps de latence entre les intuitions ou hypothèses de départ et les interprétations

définitives » (Bardin, 2013, pp. 13-14). Car les données restent inertes tant que le

chercheur ne les fait pas parler, ne leur donne pas une vie, ou comme le souligne Ramos :

l'entretien est davantage un donné à voir de la situation étudiée : le chercheur accède à l'expérience que la personne a de la situation étudiée, expérience qui lui est rapportée dans l'interaction avec lui, lui-même étant coiffé de ses lunettes filtres (sa question de recherche ou sa problématique) (2015, p. 73).

Nous opterons pour l'analyse de contenu par l'analyse thématique car par définition nous

nous basons essentiellement sur les discours que nous aurons préalablement transcrits

et mis en catégories en fonction de notre question de recherche. Une analyse thématique

s'établit donc à partir de la retranscription de l'intégrité de l'entretien.

L'analyse thématique est à la fois un exercice de déconstruction du matériau et un exercice de reconstruction à partir d'autres critères. Faire des « boîtes » par thème signifie qu'on regroupe des pièces (Ibid., p. 101).

L'analyse thématique vise ainsi à obtenir une analyse exhaustive de l'entretien.

Nous adopterons dès lors la stratégie de triangulation, définie comme une stratégie de

recherche au cours de laquelle le chercheur superpose et combine plusieurs perspectives,

qu'elles soient d'ordre théorique ou qu'elles relèvent des méthodes et des personnes. La

triangulation poursuit en fait deux objectifs.

Le premier est de permettre au chercheur d'explorer le plus de facettes possibles du problème étudié en recueillant des données qui feront ressortir des perspectives diverses. Cette exploration permettra de parvenir à une compréhension riche du phénomène analysé. Le second vise à mettre la triangulation au coeur du processus de co-construction des connaissances et à favoriser l'objectivation du sens produit pendant la recherche (Karsenti & Savoie-Zajc, 2004, p. 143).

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102

6.8. Critères de rigueur

Pour valider une recherche, on doit principalement déterminer si les données

recueillies par le chercheur correspondent réellement au phénomène étudié. Plusieurs

auteurs s’accordent à dire que la validité des résultats passe par la cohérence entre la

production des données et leur interprétation. Il s’agit en fait de vérifier que la description

et l’explication du phénomène représentent bien la réalité observée. Une méthode

courante, pratique et pertinente pour remédier aux biais de validité consiste à recourir à

la triangulation. Dans le cas particulier de l’étude de cas, la triangulation est, selon

Merriam (1998), la stratégie la plus efficace pour assurer la validité des résultats. En effet,

la triangulation méthodologique peut jumeler des méthodes différentes comme des

entrevues, des observations et des artéfacts dans l’étude d’un même phénomène créant

ainsi une convergence des sources ou des données (Yin, 2003 ; Karsenti & Savoie-Zajc,

2011). Ainsi le lecteur est assuré que le chercheur a vérifié l’intégrité du fait observé. Selon

Denzin, le succès de cette procédure de validation repose sur l’articulation

complémentaire et compensatoire des différentes méthodes de collecte de données. Un

chercheur doit aussi évaluer la rigueur de la recherche entreprise. Les critères de rigueur,

sortes de règles d'évaluation, proviennent pour ainsi dire d'un consensus dans une

communauté scientifique qui partage une même épistémologie.

Comme nous adoptons la voie de la recherche qualitative, les critères de

scientificité de notre étude seront remplacés par des critères de rigueur (Anadón, 2006).

Reprises à son compte par Anadón (2006), les 13 stratégies évoquées par Savoie-Zajc

(2003) pour satisfaire les critères de rigueur d’une recherche qualitative nous ont donc été

utiles. Il s’agit de :

1) la localisation du chercheur ;

2) les stratégies d’écriture ;

3) les descriptions riches ;

4) les clarifications des biais théoriques et idéologiques ;

5) l’utilisation de plusieurs paliers d’interprétation ;

6) le retour aux participants ;

7) la réflexivité du chercheur ;

8) la qualité des interactions chercheur/participants ;

9) la durée de l’étude ;

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103

10) la place de la subjectivité dans l’interprétation ;

11) le journal de bord ;

12) la confirmation par la procédure de l’audit ; et enfin,

13) l’échantillonnage contrasté (2006, p.15).

Pour Paillé, le chercheur qualitatif est redevable des opérations de collecte,

d'analyse et d'interprétation de sa recherche.

Il est redevable, donc il est et doit être responsable. Il y a là un engagement de la personne, intellectuel, et éthique, et une dimension humaine forte (2010, p. 119).

C'est pourquoi, sur le plan scientifique, la question de la fiabilité et de la validité de

l'enquête qualitative ne doit pas être examinée avec les mêmes grilles que les enquêtes

statistiques et les plans expérimentaux car comme le fait remarquer Paillé en citant Cefaï :

il s'agit avant tout du témoignage de l'enquêteur et (il) met en jeu la véridicité de son récit et de sa propre crédibilité, en tant que personne « digne de foi », dotée de compétences professionnelles et capable d'impartialité éthique et politique (Ibid.).

6.9. Diffusion des résultats

D’après De Ketele et Roegiers (2015), il est important que le chercheur qui

présente une information expose celle-ci en toute transparence, c’est-à-dire qu’il donne

au lecteur de manière très claire, les clés qui lui permettent d’identifier avec précision le

statut de cette information. Quelques questions peuvent orienter cette transparence dans

la présentation :

dans quelle mesure l’information est-elle objectivée ? En quoi le chercheur a-t-il traduit une information qui lui a été livrée ? Quel est le type de source de l’information ? (De Ketele & Roegiers, 2015, p. 182).

Ainsi comme une validation, et une « objectivation » des informations recueillies,

nous retournerons aux participants avec les résultats recueillis pour nous assurer qu’ils

correspondent bien à leur perception de notre problématique étudiée. Stake y voit une

« excellente façon de trianguler les résultats d’une recherche » (Karsenti & Savoie-Zajc,

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104

2011, p. 243). Quant aux formes de diffusion des résultats, elles peuvent varier selon le

destinataire et de la situation de communication. Si en recherche, l’enseignant-chercheur

produit lui-même son message, c’est le public cible qui oriente en partie la manière de

l’énoncer. Nous prévoyons ainsi revenir aux participants afin de présenter l’avancement

de nos recherches et les résultats de nos analyses dans le but de vérifier et valider nos

interprétations. Le format pourrait être varié selon le public : présentation power point,

article écrit résumant les analyses, enregistrement posté sur internet …

Les résultats de la recherche ne reflètent qu’une partie de la réalité d’un lieu, d’un

moment et d’un groupe de participants, ils constituent en quelque sorte un arrêt sur image

d’une réalité. Ce chapitre a permis de rendre visible les choix et les décisions d’ordre

méthodologique, technique, scientifique et déontologique, qui ont été pris avant, pendant

et après l’enquête de terrain en vue de rédiger cette thèse. La prochaine partie présentera

les résultats de recherche. Elle mettra en lumière les positionnements et les défis des

différents acteurs qui participent à la recherche d’une identité francophone collective

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PARTIE 3 : À LA RECHERCHE D’UNE IDENTITÉ COLLECTIVE

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106

Chapter 7. Les jeunes, acteurs participant à la construction de leurs identités

Ce chapitre concerne la manière dont les élèves se voient, se définissent et

finalement, dans quelle mesure, par leurs idées, identités et actes, ils participent à la

construction de leur propre identité mais également à l’identité collective de la

communauté francophone en CB. Puisque les processus à l’œuvre dans la construction

sociale de la réalité peuvent être saisis à partir de l’expérience sociale des individus

considérés comme des acteurs, et que l’identité n’est pas définie comme une attribution

mais comme un « travail » de l’acteur qui oriente son action et cherche à construire une

unité à partir des différents éléments de sa vie sociale, nous nous sommes intéressée aux

récits de vie, qui ont émergé des entretiens, des élèves de 11e et 12e année de deux

écoles secondaires francophones, à Vancouver et dans la région du Grand Vancouver. Il

nous apparaît important de nous intéresser à leur processus de positionnement identitaire

afin de mieux rendre compte de leurs perceptions de ce qui signifie, pour eux, d’être

francophone en Colombie-Britannique.

7.1. Francophones bi/plurilingues aux cultures multiples

Au cours des vingt dernières années, la population urbaine de la CB s’est

beaucoup diversifiée, devenue de plus en plus plurilingue et multiculturelle. Selon Moore

et Sabatier (2012), Vancouver, la métropole de la CB, figure parmi « les premières

métropoles canadiennes pour la diversité linguistique et culturelle » (p. 11). En CB, les

jeunes inscrits dans les écoles francophones vivent dans des milieux qui sont souvent

multiculturels et plurilingues, et où l’anglais et les cultures anglophones sont très influents.

Les écoles du conseil scolaire francophone accueillent des élèves en provenance de plus

de 70 pays, et « plus de cinquante-deux langues autochtones et de migration » (Litalien,

Moore & Sabatier 2012, p. 194) y ont été répertoriées. Les élèves de 11e année d’une

école secondaire francophone située à Vancouver évoquent ainsi la composition de leur

école :

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107

G6 : c’est très divers mais c’est surtout québécois . .. parce que nos professeurs viennent tous du Québec mais je trouve que qu’avec les

étudiants ya différents français qui est parlé / G3 : les élèves . .. on en a de PARTOUT autour du monde . .. à chaque année il ya toujours

quelqu’un qui vient de quelque part d’autre ya bien TOUJOURS

quelqu’un qui parle le français avec un accent différent . .. t’sais le français c’est comme de PARTOUT t’sais / G4 : ouais tu sais comme le

français mondial . .. tout le monde . .. on a tous développé un accent

particulier comme personne n’a un accent québécois après quelques années comme on est euh … et comme on a . .. tout le monde a le

même style de français . .. le style de français qui est comme / quelque chose qui est québécois c’est vrai . .. et quelque chose comme un

mélange de tout et au hasard / c’est vrai (rires)

Nous pouvons constater dans cet extrait une certaine insistance sur « le français

de PARTOUT », « le français mondial » qui se répète encore dans « on a tous développé

un accent particulier ». À travers leurs rires, les jeunes montrent qu’ils sont conscients

que leur français leur est propre, c’est le français d’ici, des écoles francophones de la CB

qui est « quelque chose comme un mélange de tout et au hasard ».

G1, élève de 12è année, dont les parents sont nés en Ontario mais aux origines

québécoises, est venu en CB il y a 13 ans ; il décrit la communauté francophone de la CB

telle qu’il la voit : hétérogène et diverse, empreinte d’une francophonie mondiale :

G1 : . .. c’est une francophonie mondiale beaucoup plus que dans d’autres lieux où c’est vrai que au Québec il ya beaucoup de haïtiens et

beaucoup de belges et de français MAIS c’est pas la même chose parce que EUX ils sont toujours une toute petite minorité un point d’ statistique

par contre ici quand on parle de francophonie qui vient de partout dans

le monde t’sais on arrive à 20 . .. 20 ou 30% ou même plus . .. pis le reste c’est des canadiens français de souche donc là on peut voir que

C’EST une francophonie qui est beaucoup plus diversifiée . .. au BC ce

qui nous relie c’est vraiment la LANGUE oui donc là on a vraiment une espèce de mosaïque d’accents de dialectes de cultures ici au BC c’est

vraiment ce qu’il y a à savoir parce que c’est une espèce de microcosm de la francophonie MONDIALE ici dans notre province et pis on est relié

par notre langue et pis ya rien d’autre qui nous relie.

De nouveau nous voyons l’aspect mondial, « on a vraiment une espèce de

mosaïque d’accents de dialectes de cultures ici au BC », « une espèce de microcosm de

la francophonie MONDIALE ici dans notre province », l’élève dépeint la communauté

francophone de la CB, et souligne l’importance de la langue française. Les commentaires

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108

de G1 confirment l’étude de Heller quand elle écrit comme postulat de son livre (2002)

« Le Canada français n’existe pas en soi, ni, à la limite, forcément pour soi » (p.7). En

effet, du Québec, on glisse vers des communautés francophones minoritaires au Canada,

qui ont des identités similaires sur certains points mais différentes sur d’autres, un espace

francophone qui va désormais s’inscrire dans l’espace physique ou parfois symbolique.

Le mouvement migratoire oblige le passage de l’idée de « francisation » à l’idée de

« francophonisation » (Ibid.), l’espace francophone minoritaire au Canada est ainsi de

composition diverse historiquement, démographiquement et culturellement mais qui

partage un même capital symbolique qu’est la langue française.

Les observations d’un administrateur (A14) d’une école secondaire francophone à

Vancouver vont dans le même sens que G1. Selon lui, comparée à celles plus

« anciennes » au nord de l’Alberta, par exemple, la communauté francophone de la CB

n’est pas aussi « homogène », et la langue ne véhicule pas forcément une identité

culturelle ou un sentiment d’appartenance, elle n’est qu’un outil de préparation de l’avenir

des jeunes « pour faire le commerce quand on va retourner dans notre pays » :

A14 : c’est sûr que le conseil scolaire est assez hétérogène car la

communauté . .. il ya encore de grands défis que si c’était une communauté comme par exemple le nord de l’Alberta où ces gens qui

sont là depuis longtemps des anciennes communautés qui continuent le français avec leur enfant c’est homogène . .. ils ont manqué de perdre

leur français donc ils veulent le garder … ICI il ya certaines parents qui

disent ben nous c’est notre troisième langue donc on veut que notre enfant apprenne le français pour le parler ASSEZ pour faire le commerce

quand on va retourner dans notre pays . .. ok ! et ben là c’est différent

là ! . .. et c’est dire que c’est la langue et la culture et tout cela ça

marche plus du tout là !

A13, un administrateur, d’une école de 620 élèves allant de la maternelle à la 12è

année, située dans le Grand Vancouver, souligne « le multiculturalisme » de son école

qui est surtout « ÉNORMÉMENT » diversifié culturellement, linguistiquement et

socialement. Cette insistance sur le multiculturalisme semble exprimer à la fois

l’enthousiasme et les défis auxquels l’école a à faire face pour répondre au changement

de sa population :

A13 : le visage de l’école c’est un visage multiculturel il ya des

francophones de partout d’la planète ici il yen a qui viennent d’Afrique yen a qui viennent d’Asie yen a qui viennent d’Europe yen a qui viennent

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109

d’Amérique du sud du nord . .. je crois qu’on avait fait un sondage une fois et il ya 40 pays qui étaient représentés dans notre école c’est

ÉNORMÉMENT diversifié

Connaissant la population scolaire des écoles francophones de la CB qui est

« ÉNORMÉMENT diversifié » culturellement et linguistiquement, nous avons également

cherché à comprendre les réseaux linguistiques des élèves avec un sondage, sur un

échantillon de 71 élèves de 11è et 12è années dans deux écoles secondaires. Voici les

résultats que nous avons obtenus :

4. Tableau : Réseaux linguistiques des élèves

Quelles langues parles-tu ? Langues parlées à la maison

Langues parlées des parents

Langues parlées avec les amis

Langue que tu écris

Anglais 16 6 22 9

Français 9 5 3 5

Anglais et français 26 31 38 46

Anglais et une autre langue 4 5 0 0

Français et une autre langue 6 5 1 0

Anglais, français et autres langues 6 11 7 11

Autres, ni anglais, ni français 4 8 0 0

Les résultats du sondage montrent que la majorité des jeunes répondants sont

locuteurs de l’anglais et du français et/ou une ou des autres langues, ils confirment ainsi

le statut du bi/plurilinguisme des élèves. L’anglais et le français sont les deux langues les

plus parlées et écrites pour la majorité des élèves et des parents. Ce bilinguisme, bien

indicatif d’une communauté francophone minoritaire, pourrait s’expliquer par l’importance

de la présence des familles exogames au sein de la communauté (pour 31 élèves, les

parents sont bilingues) mais aussi la présence des familles d’immigrants, indiquée par les

langues parlées des parents qui sont plurilingues (anglais, français et autres langues) qui

s’élève à 11. Il a été intéressant de remarquer également que seulement 5 élèves ont

leurs deux parents francophones par rapport à 16 élèves pour qui l’anglais est la seule

langue parlée à la maison.

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110

D’après les statistiques du Commissariat des langues officielles15, les

francophones de la province sont nés : 12% en CB, 59% ailleurs au Canada et 28% à

l’étranger. Ces chiffres expliquent la diversité linguistique et le « visage multiculturel » de

l’école francophone.

Selon les données de l’Enquête sur la vitalité des minorités de langue officielle

(EVMLO), 49% des enfants dont au moins l’un des parents est de langue française

fréquentent une école primaire ou secondaire de langue française en milieu minoritaire.16

D’après l’analyse de la fréquentation des écoles de langue française selon le niveau

scolaire, la proportion des enfants de langue maternelle française selon le niveau scolaire

qui sont inscrits dans des écoles de langue française au niveau primaire (53%) est plus

élevée que celle des jeunes fréquentant des écoles secondaires de langue française

(44%) en milieu minoritaire.17 Ces données nous éclairent sur les bi/plurilinguisme un

grand nombre d’élèves inscrits dans les écoles francophones en CB qui sont issus des

familles exogames. Ces résultats, confirment également la tendance des élèves à quitter

le système francophone pour aller dans les écoles secondaires anglophones.

Le portrait statistique général de la minorité de la langue officielle au Canada a été

publié en décembre 2015, en s’appuyant sur les données de l’Enquête sur la vitalité des

minorités de langue officielle au Canada menée en 2006. Selon cette étude, les pratiques

linguistiques des enfants issus de familles francophones vivant dans un environnement

linguistique minoritaire montrent que peu importe l’âge des enfants, ces derniers utilisent

davantage l’anglais que le français dans leurs activités personnelles, parascolaires ou de

loisir. L’étude concorde avec les résultats de notre sondage où la langue parlée avec les

amis est plutôt l’anglais pour 22 élèves, et les deux langues, l’anglais et le français, pour

38 élèves.

15 Commissariat aux langues officielles. Infographie : Le fait français en Colombie-Britannique. 20 août 2018 : http://www.clo-ocol.gc.ca/fr/statistiques/infographiques/presence-francophone-colombie-britannique

16 Statistique Canada, Enquête sur la vitalité des communautés minoritaires de langue officielle. http://www.statcan.gc.ca/pub/91-548-x/91-548-x2007001-fra.htm>, 11 décembre 2015.

17 Ibid.

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111

La diversité chez les élèves se situe non seulement au niveau des langues, mais

aussi au niveau culturel comme le commentaire de l’enseignante A15. Bien que le

multiculturalisme des élèves soit considéré comme une « normalité ici », l’enseignante

A15 souligne qu’il n’est pas perçu avec préjugés ou sentiments négatifs à leur encontre :

A15 : le multiculturalisme on . .. on le voit dans le couloir on le voit dans

la façon de s’habiller des élèves on l’entend dans leur . .. pas juste leur accent mais leurs expressions populaires quand ils se parlent entre eux

. .. mais on ne sent pas . .. il n’ya pas de jugement il ya beaucoup

D’ACCEPTATION ! les élèves sont tellement habitués de VIVRE . .. ce genre de différentes cultures dans leur classe que ça fait pas de

différence que quelqu’un vient de l’Afrique de l’Europe ou du Québec...

ils sont comme habitués à ça c’est comme la normalité ici

C’est l’enthousiasme qui ressort dans cet extrait où l’enseignant témoigne

« l’ACCEPTATION » des élèves des différences des autres « il n’ya pas de jugement »,

« ils sont comme habitués à ça c’est comme la normalité ici ». Pour des élèves plus

familiers au milieu majoritaire francophone (du Québec par exemple), se retrouvant

devant un panaché de langues et de cultures de la Colombie-Britannique, sont d’abord

surpris, puis, trouvent l’expérience de la diversité de leur école les prépare à une ouverture

d’esprit, à une meilleure connaissance de l’autre :

G7 : par contre je trouve qu’ici vue que la francophonie est beaucoup

plus multiculturelle que . .. ben ya beaucoup d’immigrants en fait de différentes places et que même si quand j’étais arrivée ici mon anglais

n’était pas si bon et que . .. les gens sont comme . .. c’est sûr qu’il y a des exceptions . .. mais en général les gens essaient vraiment de

comprendre même si tu te débrouilles pas si bien en anglais . .. s’ils

voient que tu fais un effort comme . .. je trouve que c’était quand même d’un équilibre tandis qu’au Québec personnellement je viens du Québec

et je parle français FACILE FACILE pour moi mais je sais que comme des fois ya des anglophones qui vont au Québec là s’ils ne parlent pas le

français ils ne sont pas aussi bien accueillis parce que dans le fond les

francophones du Québec tiennent à rester en français et offrir des services en français c’est comme un DÉBAT continuel . .. l’affichage en

français sur les magasins ou en anglais vla vla . .. c’est un débat

beaucoup plus compliqué ce q’fait que . .. je trouve qu’il ya des

avantages à toute chose là.

G10 : pour moi je découvre aussi que plusieurs personnes des autres cultures parlent le français et j’ai vraiment été surprise et alors plus je

parlais avec eux plus je comprenais de où venait leur français . .. au

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112

début je ne voyais pas de lien et puis après je commence à voir que même dans d’autres pays ça parle encore le français … la diversité

francophone ça aide aussi à accepter tous les gens . .. ici parce que c’est

déjà tellement multiculturel et qu’on est à l’aise avec ça

Alors qu’en est-il du fait français en CB ? En 10 ans il y a eu une augmentation

de :

• 9% parmi les personnes qui ont le français comme langue maternelle (64 213 personnes)

• 21% parmi les personnes qui parlent le français le plus souvent à la maison (21 219 personnes)

• le français est la première langue officielle de 1,4% de la population (64 325 personnes)

• 7% de la population (314 925 personnes) peut parler le français et l’anglais18

Le multiculturalisme certes constitue une richesse pour la communauté

francophone de la CB, cependant les francophones venus d’ailleurs ne comprennent pas

toujours la constante préoccupation de promouvoir la langue et la culture francophones,

ou encore le rapport de pouvoir avec la majorité, de la situation particulière des minorités

francophones au Canada. L’espace francophone demeure un espace « sous tension »

(Gilbert & Lefebvre, 2008) dont la vitalité linguistique et culturelle se retrouve souvent

remise en question. G1 distingue clairement la différence parmi les francophones de son

école, ceux qui ont toujours vécu dans un milieu majoritaire francophone et qui ne

comprennent pas « la chicane » des francophones en milieux minoritaires au Canada :

G1 : je ne veux pas dire de mal sur la francophonie mondiale que je viens juste de dire tellement de belles choses sur comment on voit que

Vancouver c’est une ville qui est tellement diversifiée et que cosmopolite

et qu’on a des francophones de partout mais les enseignants ici qui font la promotion de la langue et de la culture francophone c’est la langue et

la culture du français québécois parce que EUX AUTRES ils ont toujours

vécu dans un milieu minoritaire comme j’ai dit et donc pour EUX AUTRES ET POUR moi qui sommes francophones minoritaires on a toujours en

18 Commissariat aux langues officielles. Infographie : Le fait français en Colombie-Britannique. Consulté le 20 août 2018 : http://www.clo-ocol.gc.ca/fr/statistiques/infographiques/presence-francophone-colombie-britannique.

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113

tête cette idée de faire la promotion et de protéger la langue et la culture québécois mais pour les autres francophones qui viennent d’ailleurs

d’Europe de France et du monde ils ne comprennent pas cette peur de se faire assimiler par la majorité parce que EUX ils vivent dans un milieu

majoritaire où tout le monde parle français . .. fait quand ils viennent ici

et pis euhm . .. on leur dit ou certains parents leur disent continuer de parler français et de faire la promotion de la culture certains ne

comprennent pas parce qu’ils ne connaissent pas c’est quoi la CHICANE

… donc je fais attention je ne veux pas fâcher les francophones qui

viennent d’autres parties du monde

Les élèves francophones, nés au Canada, sont souvent conscients de la situation

minoritaire, de la « CHICANE » socio-historique dans laquelle ils sont et reconnaissent

l’importance de « faire la promotion de la culture », car être francophone au Canada,

même au Québec, c’est être minoritaire et c’est pourquoi « pour EUX AUTRES [les

enseignants québécois] ET POUR moi qui sommes francophones minoritaires on a

toujours en tête cette idée de faire la promotion et de protéger la langue et la culture

québécois mais pour les autres francophones qui viennent d’ailleurs d’Europe de France

et du monde ils ne comprennent pas cette peur de se faire assimiler par la majorité parce

que EUX ils vivent dans un milieu majoritaire où tout le monde parle français ». Cette

« peur » de l’assimilation par la majorité anglophone est omniprésente, ce rapport de force

qui constitue une caractéristique « canadienne », les nouveaux arrivants francophones

découvriront peut-être cette « peur » avec la communauté francophone en CB. C’est ce

qui fait encore la différence entre « EUX AUTRES moi », c’est-à-dire les francophones

« d’ici » et « les autres », les francophones « qui viennent d’autres parties du monde ».

Par conséquent, nous pouvons observer ici une auto-catégorisation très forte chez

G1 de son appartenance francophone, à l’histoire des minorités francophones . Il passe

ainsi du « moi » singulier, individuel, au « sommes » plus collectif « pour moi qui sommes

francophones minoritaires » inscrivant ainsi son identité francophone individuelle dans

l’histoire collective des francophonies canadiennes, exprimant son engagement

communautaire. Telle qu’explique Sabatier (2015) :

la relation identitaire à la langue et à une partie de son identité sociale met à jour une dynamique qui inscrit le participant (« je suis francophone ») dans une histoire collective (« on est francophone ») partagée avec le reste des membres de la communauté francophone au sens large du terme (p. 10).

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114

Landry, Deveau et Allard (2006b ; 2007a) affirment que la construction identitaire

est davantage liée à des vécus langagiers relevant du domaine privé (famille, amis, autres

élèves à l’école) qu’à des vécus langagiers relevant du domaine public (institutions et

paysage linguistique public). Ces derniers vécus seraient surtout fortement liés à la vitalité

subjective des jeunes, c’est-à-dire à leurs perceptions du statut et de l’importance de la

langue française dans la région. En somme, l’identité et la vitalité subjective en viennent

à se conjuguer pour influer sur le désir des jeunes d’intégrer les communautés

linguistiques qu’ils côtoient.

7.2. Bi/plurilinguisme et mobilité identitaire

Étant donné que le bi/plurilinguisme et le multiculturalisme font partie de la culture

de l’école dans laquelle les élèves évoluent, nous nous interrogeons sur leur perception

identitaire. La question suivante a été posée aux élèves afin de sonder leurs perceptions

de leurs identités, comment ils se définissent linguistiquement et/ou culturellement.

Comment définis-tu ton/tes identité(s) : • Francophone • Francophone et________________ • Francophone ou ________________ • Dans tes propres mots _______________

Voici les résultats que nous avons obtenus :

5. Tableau : Identités des élèves intervenants

Comment définis-tu ton/tes identités ?

Francophone uniquement

Francophone et/ou Canadien

Bilingue / Plurilingue

8 12 51

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115

Avec seulement 8 élèves sur 71 qui se considèrent uniquement francophones, 12

élèves se définissent francophones et/ou Canadiens et 51 élèves bi/plurilingues, nous

constatons que les élèves se définissent largement comme des locuteurs bi/plurilingues

aux identités plurielles. Pour certains élèves la dualité linguistique et le multiculturalisme

canadiens définissent l’identité canadienne ; cependant, pour d’autres, nous avons pu

observer que parler deux langues officielles du Canada n’implique pas forcément qu’ils

sont Canadiens, tout comme ne pas savoir parler l’anglais et le français ne veut pas

obligatoirement dire qu’ils ne sont pas Canadiens.

G10 : le Canada est réparti en plusieurs parties right ? au Québec c’est pas la même chose qu’au Colombie Britannique donc pour définir être

Canadien je pense . .. c’est tellement difficile à dire parce qu’il ya

beaucoup de différentes cultures dans chaque province et territoires . .. euhm mais je dirais comme être Canadien en premier c’est parler

français anglais

G8 : je dirais comme avec le Canada le concept de côte à côte d’est vers

l’ouest et vice versa yeah je dirais que les langues et les cultures aussi

de chaque province comme c’est c’est déjà incroyable d’imaginer la Colombie Britannique et l’Alberta . .. maintenant d’imaginer la Colombie

Britannique avec les autres avec le reste du Canada . .. oui . .. avant même de parler du multiculturalisme je dirais juste les peuples

autochtones et puis les français et les anglais et puis en plus on ajoute

le multiculturalism mais par contre c’est très grande le multiculturalisme parce ya beaucoup de concentration dans différentes places donc c’est

pas toujours toute la même chose . .. il ya une grosse diversité ICI et

puis il y peut-être une plus petite dans une AUTRE région

S’approprier la nouvelle identité canadienne veut dire pour certains élèves vivre

sur un territoire géographiquement défini comme très grand « le Canada le concept de

côte à côte d’est vers l’ouest et vice versa yeah », où l’anglais et le français sont deux

langues officielles, et à l’image de la CB, où le multiculturalisme est protégé par la loi, c’est

« déjà incroyable d’imaginer ».

Face à la rupture que représente la migration, le déplacement et la reconfiguration

des référents identitaires, les élèves deviennent des auteurs d’une « invention de soi »

qui « donne un sens à l’ensemble des expériences de la vie individuelle » comme

l’explique Sabatier (2015) :

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l’expérience de la migration participe à esquisser de nouveaux territoires symboliques, de nouvelles frontières, investis d’identités passées et nouvelles, au sein desquels vont se déployer des histoires de vie qui, pensées dans une sociologie de l’action, vont à leur tour mettre à jour des stratégies, des tactiques, des catégorisations et des conduites pour comprendre et cerner le nouvel espace (à la fois physique et idéel) dans lequel les sujets évoluent (p. 3).

Tel est le cas de l’élève G9, arrivée en jeune âge à Montréal où elle a appris la

langue et la culture françaises qui ont ainsi redéfini ses identités. Aujourd’hui, G9 réajuste

ses identités et donne un sens à ses expériences de vie :

G9 : je viens de la Colombie mais je me définis beaucoup plus appartenir

à la francophonie que colombienne parce que je n’ai pas beaucoup vécu

là-bas et comme culture j’ai plutôt la culture francophone canadienne que la culture colombienne et même quand je retourne là-bas on peut

voir que c’est difficile avec les choses que j’ai apprises ici la culture c’est assez différent c’est pour ça que je me définis un peu plus comme

francophone

De plus, les déclarations de G9 illustrent la négociation de ses positionnements

identitaires (colombienne ou franco canadienne et sous entendue anglophone) qui sont à

la fois fluides et multiples. Beacco et Byram (2007) mentionnent que les langues du

répertoire du locuteur plurilingue peuvent « servir de matériau pour exprimer son

appartenance à un groupe » (p. 20). Dans un contexte spécifique, les locuteurs

plurilingues peuvent donc mobiliser leurs ressources linguistiques de façon originale et

adopter ainsi différentes facettes de leur identité.

Le modèle du métissage identitaire bilingue de Landry, Allard et Deveau

(2013, p. 61), met l’accent à la fois sur l’autodéfinition bilingue et sur le processus de

métissage identitaire associé à des contextes sociolangagiers bilingues. Comme l’illustre

la figure 1, le modèle suppose une forte relation entre la vitalité linguistique et la

socialisation langagière bilingue (Landry, Allard & Deveau, 2007b, 2008 ; Landry, Allard,

Deveau et Bourgeois, 2005). Un groupe linguistique minoritaire peut vivre localement

différents contextes de vitalité linguistique et ses membres, selon ces contextes, pourront

vivre différentes formes de socialisation langagière bilingue. Sur le continuum de vitalité

linguistique, moins le groupe minoritaire se trouve concentré et isolé géographiquement,

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plus les contacts seront fréquents avec la langue dominante et plus la socialisation

langagière dans cette langue sera forte. Les variations dans cette socialisation langagière

bilingue pourront mener à des degrés et à des formes variées de métissage identitaire.

Dans la présente étude, nous concentrons notre attention sur cette étendue mitoyenne du

continuum dans laquelle différents degrés et formes de métissage identitaire sont prévus

par le modèle Landry, Allard et Deveau (2013, p. 61).

Rappelons-nous ici que les communautés francophones en CB sont très éloignées

les unes des autres, que les francophones ne sont pas concentrés mais plutôt isolés

géographiquement, et que la présence de l’anglais, langue de socialisation dominante,

est très forte, par conséquent la vitalité linguistique (du français) est faible comme

l’exprime l’élève G17 :

G17 : étant donné qu’on est une forte petite minorité on n’a pas

l’impression qu’on est du même monde que les gens anglophones autour

de nous . .. on est peut-être même un peu ISOLÉ mais yeah

Dans ce contexte de faible vitalité du français, l’élève G1 explique son

bilinguisme de résistance :

G1 : si j’étais pas obligé de parler en anglais je pense pas que je

parlerais anglais parce moi vivre ma vie en français c’est ben plus important . .. pis pour relier ça à ton point de globalisation oui le fait de

parler aussi l’anglais et d’un point de vue canadien . .. vont me préparer à vivre cette globalisation où tous les humains ne vont pas tous

s’entendre . .. en même temps plus je me sens plus rapproché de la

partie de mon identité francophone que mon identité anglophone que là moi de parler anglais ça a un impact sur le monde maintenant que le

monde est globalisé

En effet, l’élève G1 se donne une identité bilingue comme moyen de sauvegarder

son identité francophone dans un contexte où la langue anglaise domine nettement la

socialisation langagière. De plus, cette identité bilingue est davantage fondée sur des

sentiments d’appartenance que sur des sentiments de compétence. Son identité est liée

à une augmentation des attributs identitaires francophones, contrairement à la situation

du bilinguisme de métissage des élèves G14 et G8 d’après les extraits suivants :

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G14 : je me définis comme Canadien Rwandaise et BILINGUE

G8 : je crois que je m’identifierai comme un Canadien Marocain et bien sûr le lien entre le Maroc et le Canada serait plutôt linguistique ce serait

le français

Pour G14 et G8, il s’agit de la condition du bilinguisme de métissage ou même

d’attraction. L’identité francophone ainsi que l’identité anglophone tendront à être

modérées. Les motivations à l’égard de l’apprentissage et de l’usage des deux langues

pourront être à la fois instrumentales et identitaires. Une identité bilingue forte pourra être

associée aussi bien à des sentiments de compétence qu’à des sentiments

d’appartenance.

G17 : je dis que je suis francophone mais ma francophonie est plutôt like un outil que j’utilise pour rencontrer des nouvelles personnes mais

je ne sais pas like si je me sens vraiment francophone

G14 : ma francophonie vient seulement de l’école seulement de l’école ma mère ne parle pas le français oui c’est un choix . .. ma mère a voulu

cette opportunité pour mon frère et pour moi pour plus tard trouver du travail mais elle ne parle pas le français . .. yeah . .. je dirais pas que je

suis francophone mais plus bilingue j’crois

G17 illustrent ici d’un bilinguisme de métissage. Hésitant, ou par manque de

confiance dans la maîtrise de la langue française, il n’arrive pas à se définir, cet élève

semble être animé d’une identité bilingue plutôt forte. Cette identité bilingue trouve son

assise principale dans des sentiments ayant trait à la compétence bilingue, d’après le

modèle ci-dessus, l’identité francophone serait faible et l’identité anglophone serait forte.

Quant à G14, au fil des discours, il s’est déplacé sur le continuum et a donc révélé

des identités mouvantes et contextuelles. La motivation à l’égard de l’apprentissage et de

l’usage du français trouverait sa source dans des raisons instrumentales.

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Les jeunes dès lors naviguent souvent entre plusieurs registres d’appartenance

pour se définir et ils formulent des catégories permettant de refléter une cohérence

identitaire (Pilote, 2007 ; Pilote & Magnan, 2012), en particulier l’identité bilingue (Landry

& al., 2006 ; Gérin-Lajoie, 2003). De plus dans le cas qui est le nôtre ici, nous voyons qu’à

la maison et dans leur communauté, certains élèves et leurs familles utilisent

régulièrement une langue autre que l’anglais ou le français. Selon Moore (2006), des

relations complexes se nouent entre les langues des locuteurs plurilingues et la

construction de leurs identités, c’est en interaction qu’un locuteur plurilingue s’engage

« dans la construction et la négociation des multiples composantes d’une identité

complexe » (2006, p. 32). L’utilisation que les élèves font des langues de leur répertoire

linguistique est dès lors étroitement liée à leur développement identitaire.

Moore (2006) a montré que le concept de plurilinguisme offre une vision

dynamique des répertoires linguistiques permettant d'inclure des compétences diverses

dans plusieurs langues. Le locuteur plurilingue est défini comme un acteur social qui, sur

le plan individuel, développe et utilise un répertoire composé d’un éventail de ressources

linguistiques (Marshall & Moore, 2013). Le locuteur plurilingue est capable d’activer une

ou plusieurs des ressources linguistiques de son répertoire, selon son interprétation de la

situation, de ses interlocuteurs, de ses objectifs de communication et de la valeur

accordée aux différentes langues. Selon Moore (2006), ses choix linguistiques sont

influencés par les discours locaux et les positionnements identitaires que ces discours

permettent d’adopter, tel que l’a montré l’élève G10 dans l’extrait suivant :

G10 : je parle cantonnais à la maison avec ma mère et anglais avec mon

père et avec mes amis quelques-uns je parle seulement en français par

exemple (noms) parce qu’elles ne parlent pas anglais quand elles sont venues ici il y a 2 ans et elles sont plus à l’aise à parler français et donc

ceci m’a obligé à parler français aussi

Les recherches de Deveau, Landry et Allard (2005) et Landry, Deveau et Allard

(2006a) ont montré qu’il ne suffit pas qu’ils soient inscrits dans une école de langue

française ou qu’ils soient des enfants d’ayants droit en vertu de l’article 23 de la Charte

pour que les jeunes se considèrent comme pleinement francophones. L’identité culturelle

francophone, ou ethnolinguistique pour utiliser le terme de Deveau, Landry et Allard, des

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membres des communautés francophones est multiple et la force de chacune de ces

identités peut varier de forte à faible, comme les propos suivants l’illustrent.

G12 : je dirais que je suis Colombienne mais j’ai aussi appris le français

parce que j’ai habité des années au Québec je pense que c’est comme

ça que je le dirais … c’est vrai que j’ai passé plus de temps ici qu’en Colombie mais parce que ma mère me parle tout le temps de la

Colombie et en espagnol et des colombiens aux alentours je pense que

je suis canadienne et colombienne et que j’ai appris le français

G15 : je pense que je suis majoritairement Canadien . .. mais je trouve

que principalement je suis anglophone parce que c’est une langue oui c’est ma langue mother tongue / maternelle ? / yeah mais que j’ai des

liens très forts avec la francophonie

Par « majoritairement Canadien », G15 s’identifie à la communauté anglophone tout en

éprouvant un attachement à l’égard de la communauté francophone. L’hybridité (Gérin-

Lajoie, 2001) ou le bi/plurilinguisme ne signifie pas forcément chez tous les élèves que

leur francité est « diluée ». Aussi serait-il imprudent de conclure hâtivement qu’une identité

bi/plurilingue n’est aucunement reliée à la francité des jeunes francophones (Gérin-Lajoie,

2003 ; Pilote, 2004, 2006 : Landry, Deveau & Allard, 2006a) :

G13 : je ne savais pas parler en français avant l’âge de 5 ou 6 ans alors c’est l’école qui m’a appris le français et apprendre une langue c’est

donner un nouvel étage à mon identité

G11 : je ne peux vraiment dire que je me sens Canadien . .. ou

francophone . .. je me sens plus colombien mais j’imagine qu’à la fin

d’ici quelques années avec mes habitudes ma façon de penser d’ici de vivre les traditions d’ici je finirai par dire par changer et dire que je suis

Canadien ouais

De façon plus précise, nous retenons une perspective centrée sur l'expérience sociale

des élèves. Pour G11 et G13 la construction de leur identité est conçue comme un

amalgame de dimensions complémentaires (linguistiques, culturelles, territoriales, etc.)

qui sont pleinement actualisées au cours de la vie quotidienne et qui évoluent tout au long

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du parcours biographique. Ces élèves sont conscients que leurs identités ne sont pas

figées et que leur construction dépend de leur évolution dans leur vie sociale ou leur

réalité. Ces réalités de plus en plus complexes obligent la prise en compte des

appartenances multiples exprimées par les élèves et du caractère situationnel de leurs

manifestations.

Nous avons noté durant nos entretiens avec les élèves que la façon dont ils

composent avec la diversité qui les entoure les amène, chez un grand nombre d’élèves,

avec une préférence certaine, à se définir ou se décrire linguistiquement et culturellement

bi/plurilingues plutôt que francophones ou anglophones. Les jeunes insistent sur leur

bi/plurilinguisme pour se décrire et se distinguer. Les recherches de Gérin-Lajoie (2003,

2004), de Pilote (2004, 2006) et de Landry, Deveau et Allard (2006a) expriment le même

constat selon lequel l’autodéfinition bilingue est en moyenne plus forte que les

autodéfinitions de canadiens-français et de franco-colombiens ou une autre francophonie.

Nous remarquons que les élèves intervenants, peu importe leur langue maternelle, se

considèrent en moyenne fortement bi/plurilingues, même si la force moyenne de leurs

identités francophone et anglophone et autres varie grandement selon leurs

connaissances linguistiques.

G13 : depuis que je suis à l’école on m’a dit que j’ai une identité francophone mais je n’étais pas vraiment conscient de cela mais cette

année avec le voyage international j’ai fait un voyage en France où j’ai

acheté cette bague et que j’ai participé à des événements organisé par le CSF et j’ai pu rencontrer des gens alors j’ai peut-être pas développé

mon identité francophone mais je sens comme je L’AI et une des plus grandes activités auquel j’ai participé c’était le voyage en France en

mars de cette année et c’est symbolisé dans cette bague que j’ai achetée

en France

Nous voyons dans les affirmations de G13 que son identité francophone « dormante » car

« je n’étais pas conscient de cela » a été r/éveillée par son voyage en France. Sabatier

(2015) explique que la dimension ethnique s’ajoute à la dimension linguistique et, renvoie

à une ethnicisation du rapport à la langue et à l’identité francophone. Par-delà le

regroupement culturel nécessaire pour faire face et faciliter l’intégration dans de nouvelles

frontières,

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l’ethnicisation du rapport à la langue traduit un malaise et rappelle qu’une partie de cette identité linguistique et sociale s’ancre aussi dans une histoire collective qui a instrumentalisé la différence pour catégoriser certains groupes sociaux (Sabatier, 2015, p. 10).

L’ethnicisation de Sabatier peut être rapprochée avec l’Identité visée de Pilote (2006) qui

ouvre particulièrement sur des reconstructions identitaires qui sont :

le fruit de ruptures ou de continuités de la trajectoire biographique, de même qu’une prise de distance face à l’environnement social. C’est la logique de la subjectivité qui est à l’œuvre dans ce pôle et qui se manifeste par une quête d’authenticité (Pilote, p.42).

En effet, pour certains élèves comme G14, parfois la langue seule ne suffit pas pour

légitimer son appartenance à la communauté francophone, elle qui n’a pas « des ancêtres

ou de la famille » qui viennent des pays francophones, ou qui ne partage pas une histoire

collective avec un pays francophone « nous ne sommes même pas colonisés par les

Français ». G14 pense que son identité est « plus relâchée plus loin que les autres parce

que j’ai aucune relation avec les français canadiens ou français européens » ; elle se voit

déjà une minorité dans la minorité francophone. L’extrait suivant évoque le rapport à

l’histoire et le lien à la langue, le français, qui rapproche les membres des communautés

africaines créant ainsi des communautés de langues (Sabatier, 2015).

G14 : je suppose que je PARLE seulement le français mais je ne suis pas

québécoise ou française et c’est vraiment différent parce que comme tu peux apprendre l’espagnol le punjabi mais comme tu ne viens pas de

ces pays-là c’est vraiment différents des gens qui viennent vraiment de là ou qui ont des ancêtres de là ou des familles alors je pense que mon

identité est plus relâchée plus loin que les autres parce que j’ai aucune

relation avec les français Canadiens ou français européens … ni même ma mère mon frère ou personne de ma famille vient de là . .. nous ne

sommes mêmes pas colonisés par les français alors c’est un peu

différent pour moi de m’identifier comme français ou comme Canadien francophone comme je sais que maintenant je me sens AFRICAIN

canadien si j’ajoute un autre mot c’est un peu comme ça

Les élèves expliquent leur gêne de parler français dans les couloirs de l’école avec

leurs amis, ou parfois même à la maison avec leurs parents. Ils craignent le

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« jugement » de leurs pairs, d’être vus comme « extra ». La pression de la langue

majoritaire est donc omniprésente :

G5 : C’est parfois comme dans l’école . .. si tu parles français en dehors

des heures de cours hors des cours c’est un peu comme . .. tu es vu

comme . .. jen sais pas comme extra ou comme . .. j’aimerais que ce soit juste comme un truc normal parce que c’est juste une langue qu’on

parle et ce serait juste cool qu’on puisse la parler plus souvent et sans avoir juste comme un JUGEMENT des autres dans l’école / G3 : un

jugement c’est jusque que tu sais que si tu parles à un ami en français

il va te répondre en anglais . .. c’est juste une habitude à la maison on ne parle français les parents ne parlent pas français on habite à

Vancouver les gens ne parlent pas français et beaucoup de chose se

PASSENT en anglais comme tous les choses sur internet je ne sais quoi . .. beaucoup de livres qu’on lit sont en anglais donc on va parler en

anglais et pas en français et c’est juste comme le français est une langue beaucoup plus difficile que l’anglais aussi c’est comme plus complexe so

donc les étudiants vont comme parler l’anglais au lieu du français

L’identité bilingue des jeunes en milieu francophone minoritaire constitue un

phénomène complexe et dynamique. Cette complexité de la notion de l’identité bilingue

provient de plusieurs facteurs, tels les rapports sociaux qui impliquent non seulement de

parler la langue, mais aussi l’appartenance des jeunes à leur milieu social, linguistique et

culturel respectifs. Elle suggère que bien qu’issu de divers contextes sociaux et

linguistiques, le discours bi/plurilingue des jeunes est le même quant à leur

positionnement identitaire.

De plus, ce rapport à la langue et à la culture évolue suivant le milieu social, le

contexte social ou les circonstances dans lesquels se trouvent les jeunes. Dans leurs

pratiques langagières, ils changent de langues et de comportements par rapport au

contexte social dans lequel ils s'engagent. Ils s’adaptent donc continuellement aux

contextes sociaux et linguistiques dans lesquels ils évoluent. Gérin-Lajoie (2001, 2004)

soutient l’importance du milieu familial qui, par la valorisation et la reproduction à la fois

de la langue et de la culture francophone, détermine le sentiment d’appartenance

francophone des jeunes ; alors que dans les lieux publics et avec leurs amis, les jeunes

s’adaptent suivant le contexte linguistique et tendent à adhérer aux valeurs de la majorité

dominante. Le discours des jeunes touche également l’importance et l’utilité de la langue

française dépassant une simple fonction de communication dans les rapports sociaux.

L’identité des jeunes, en l’occurrence, leur identité bilingue, est étroitement liée au

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contexte social et linguistique dans lequel elle se construit et évolue. Or, d’après les

résultats de notre sondage, les langues parlées à la maison sont plus qu’une seule

langue : français seulement pour 9 élèves ; français et anglais pour 26 élèves ; français,

anglais et autres pour 11 élèves. Les langues parlées des parents sont également une

indication intéressante : français seulement pour 5 élèves ; bilingues pour 31 élèves ;

plurilingues pour 11 élèves.

Même si les frontières linguistiques sont mouvantes et perméables, Gérin-Lajoie

(Ibid.) reste cependant optimiste en ce qui a trait à l’assimilation à la langue majoritaire

qui n’est pas automatique. Le bilinguisme pour ces jeunes peut bien être une adoption

complète de la culture et la langue majoritaires et un « rejet total » de leur propre culture

et de leur langue ; mais ceci doit être compris tout en tenant compte de la complexité des

pratiques sociales et notamment, des rapports de force (le pouvoir de la langue

majoritaire) dans lesquels ils évoluent.

Pour expliquer la présence imposante de l’anglais à l’école, G3 rappelle que la

communauté francophone de la province s’est construite autour de la langue française,

l’unique lien qui relie ses membres, mais la culture francophone « locale » est inexistante.

La composition culturelle de la communauté est d’origine « mondiale » très diversifiée,

cette particularité de la communauté francophone de la CB fait d’elle une catégorie de

francophone à part :

G3 : la francophonie de l’école mis à part ce fait qu’on parle tout le temps l’anglais dans le couloir euhm . .. on a des francophones de

partout on a des francophones D’AFRIQUE des francophones D’ASIE on a des francophones du CANADA D’EUROPE euhm . .. de partout dans le

monde euhm . .. et notre partage c’est cette langue . .. on n’a pas les

mêmes avantages que les Franco Manitobains ou les Acadiens ou les Québécois NOUS AUTRES on n’a PAS vraiment de CULTURE FRANCO

COLOMBIENNE parce que n’est pas vraiment enraciné ici sauf les vieilles personnes de Maillardville qu’il va falloir (XXX) il ny a pas d’s’sens là

d’identité franco colombienne ça mais notre force est faite par notre

LANGUE donc là nos interactions à l’école s’il y en a qui a un accent africain il y a un autre qui a un accent québécois qu’ils . .. s’arrangent

quand même il y a cette cette CETTE IDENTITÉ LÀ qui s’impose chez les

élèves de l’école à cause de leur LANGUE la langue qu’ils CHOISISSENT

d’étudier

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G3 souligne dans cet extrait un lien très étroit entre la langue et l’identité « CETTE

IDENTITÉ LÀ qui s’impose chez les élèves de l’école à cause de leur LANGUE la langue

qu’ils CHOISISSENT ». Le choix d’étudier en français impose dès lors l’identité

francophone en CB.

Quelques-uns ont insisté sur l'importance de la culture, lorsqu'on en vient à parler

du sens d'appartenance. La notion de culture revient souvent mais la notion reste bien

ouverte, sans référence, alors certains font appel à leurs enseignants pour servir de

modèle :

G1 : on prend notre langue et nos cultures respectives pour acquis on aimerait dire qu’on n’a pas besoin du culturel de nos profs mais on en a

besoin . .. et on veut pas se faire assimiler dans la culture dominante

canadienne anglaise whatever euhm. ..

La communauté francophone de la CB apparait dès lors comme imaginée puisque

« NOUS AUTRES on n’a PAS vraiment de CULTURE FRANCO COLOMBIENNE parce

que n’est pas vraiment enraciné ici ». La notion de frontière, dans la perspective

sociolinguistique de la construction des identités en contextes de migration, représente

dès lors une limite imaginaire où se rencontrent les différentes langues et cultures, elle

constitue ainsi des marqueurs de territoires qui renvoient aux communautés linguistiques

et culturels en présence (Sabatier, 2015). Face à la rupture que représente la migration,

le déplacement et la reconfiguration des référents identitaires permettent aux jeunes de

se redéfinir par leurs actions en fonction des contextes dans lesquels ils sont engagés,

ces contextes étant eux-mêmes évolutifs et changeants.

Identités plurielles et non pas hybrides, composites, contextuelles et imbriquées dans des espaces qui sont multiformes, elles permettent d‘orchestrer un passage de frontières identitaires selon les situations de communication (Sabatier, 2011, p. 82)

La diversité culturelle de la francophonie en CB qualifiée de « mondiale » par les

jeunes permet de saisir la construction identitaire canadienne des acteurs composants de

la communauté francophone à Vancouver par le biais de la langue. La langue devient un

moyen de re/constructions identitaires qui sont marquées de ruptures. L'appropriation de

la langue peut conduire à la reconnaissance par les autres, et au développement du

sentiment d'appartenance aux différents groupes sociaux.

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L’expérience de l’immigration vécue par G12 et G13, élèves de 12e année, venus

de la Colombie est d’une autre nature. G12 et G13 ont d’abord habité 9 ans au Québec

où ils ont appris le français, puis arrivés en CB il y a 3 ans où ils sont inscrits à la même

école francophone. Le fait qu’ils ont toujours vécu dans des milieux majoritaires

linguistiquement et culturellement (espagnol/Colombie ou français/Québec) ces élèves se

réfèrent encore à l’espagnol comme leur langue maternelle, parce qu’elle a été apprise

en premier et au sein de la famille, selon eux, elle détermine leur identité :

G12 : nous nous définissons comme des gens qui sont arrivés dans un lieu où on parle le français depuis qu’on est jeune alors on a appris le

français là c’est qu’on a appris le français ici . .. c’est pas comme leur

vraie identité ou comme la première langue qu’on a parlé les premier expériences . .. moi je suis arrivée petite au Québec alors j’ai appris le

français mais c’est pas comme si j’étais francophone je me sens toujours

espagnole / G13 : oui moi aussi vue que mes parents ont toujours vécu en Colombie et qu’ils me parlent toujours toujours en espagnol et vue

que quand j’étais petit j’étais tout le temps à la maison et parlais QUE l’espagnol donc je ne peux pas VRAIMENT m’identifier francophone mais

PLUS comme colombien

L’aspect dynamique et multifacette de l’identité aussi bien individuelle que

collective englobe également la dimension spatio-temporelle qui vient ainsi s’ajouter à la

complexité de la représentation sociale de l’identité des jeunes francophones en milieu

minoritaire. Nous constatons que la catégorisation identitaire francophone comprend, elle

aussi, des autodéfinitions multiples, qui composent la trame de l’espace francophone. Il

est sans doute impératif de tenir compte de l’autodéfinition dans toute sa complexité, mais

une conception de l’identité culturelle et linguistique qui prendrait uniquement en compte

celle-ci serait incomplète et se révèlerait insuffisant pour cerner le rapport qu’entretient la

personne avec ses identités, le sens que comporte cette autodéfinition et son importance

pour elle. Une personne peut aisément reconnaître et dire qu’elle est francophone, tout

en sentant qu’elle a peu en commun avec les autres francophones, que cette affiliation ne

contribue pas positivement à l’épanouissement de son moi et qu’elle se sent étrangère au

projet collectif de la communauté francophone (Deveau, Allard & Landry, 2008). Par

conséquent on ne peut pas inférer la valeur et la signification qu’une personne attribue à

son identité en se limitant à l’autodéfinition. C’est par l’engagement identitaire qu’il sera

possible de faire apparaître la signification profonde que la personne accorde à son

identité.

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Ainsi, à travers le récit de soi, les jeunes confèrent une unité à leurs multiples

facettes. Pour les jeunes, il n’y a aucun mal à traverser la frontière linguistique de la

communauté anglophone ; ils sont tous à la fois francophones, anglophones, bilingues,

plurilingues, Colombiens, Rwandais, etc. Leur sentiment identitaire est fluide, perméable.

Le contexte de mondialisation ne fait que multiplier les choix identitaires s’offrant aux

jeunes qui traversent quotidiennement les frontières qui marquent les identités collectives

(Pilote, 2007). Ce va-et-vient constant, pour reprendre les termes de Gérin-Lajoie (2006),

contribue à transformer leur sentiment d’appartenance ainsi que leur rapport à l’identité

francophone.

7.3. Engagement identitaire francophone des jeunes

Les résultats de notre sondage préliminaire nous ont permis de constater que tous

les élèves participants (71 élèves) sont d’accord pour affirmer qu’être francophone est un

atout dans leur quotidien, pour leurs études, pour préparer leur avenir, pour trouver un

emploi et pour vivre au Canada. Quant à la question s’ils se sentent appartenir à la

communauté francophone de la CB, 7 sont catégoriques pour dire non, 4 disent qu’à part

le temps à l’école, ils ne se sentent pas vraiment appartenir à la communauté francophone

et 60 élèves sont affirmatifs. Pour parler de leur avenir à savoir s’ils envisagent de

continuer leurs études en français à l’université, les réponses sont beaucoup plus

divisées : 27 non ; 19 peut-être ; et 25 oui.

Les élèves de 11e d’une école secondaire à Vancouver trouvent que leur école est

« spéciale parce que tu trouves presque pas d’école comme ça comme nulle part d’autre

où il y a une autre langue qui est parlée toute la journée » (G2). Elle est d’autant plus

spéciale qu’elle est petite, c’est presque comme une famille où les élèves et les

enseignants se connaissent tous depuis de longues années, surtout ceux qui y sont

inscrits depuis leur maternelle « l’école c’est juste un peu plus spéciale pour nous et le

développement des amitiés spéciale et fort pour nous et c’est pour la vie » (G15) :

G3 : c’est bien que la photo de la francophonie de l’école vient de partout pas juste d’un seul endroit . .. parce sinon ça nous limite / G4 :

comme le français c’est ce qui nous rapproche car c’est que tout le

monde peut faire / G2 je pense que tout le monde dans l’école l’est comme on est fière d’être capable de parler français mais c’est pas

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toujours exprimé mais c’est bien on sait que tout le monde peut le parler de partout c’est juste intéressant . .. parfois je suis en classe et je

n’écoute plus le prof et je pense que si n’importe quel autre élève qui viendrait à notre école le trouverait bizarre comme tous nos affiches

sont en français nos profs nous parlent en français et c’est vraiment

spéciale parce que tu trouves presque pas d’école comme ça comme

nulle part d’autre où il ya une autre langue qui parle toute la journée

G17 : même si je n’étais pas né dans la francophonie mais j’ai appris le français ici à l’école je me sens comme ACCUEILLI je connais tous les

parents tous les profs en tout cas oui . .. c’est comme ma deuxième

famille c’est vraiment c’est génial / G15 : yeah on connait des gens des profs depuis la maternelle et on a alors des relations très développées

avec des amis qu’on est ensemble depuis presque toute notre vie yeah c’est très intéressant parce que pas tous gens ont vécu cette expérience

avec leur école alors l’école c’est juste un peu plus spéciale pour nous

et le développement des amitiés spéciale et fort pour nous et c’est pour la vie . .. et comme on l’a dit on est en milieu minoritaire c’est comme

une famille pour nous et on sait comment s’aider entre nous comment

s’entr’aider yeah

Les liens que ces élèves entretiennent avec leur école sont profonds ; pour

certains cela fait depuis 13 ans qu’ils sont à la même école « je connais tous les parents

tous les profs en tout cas oui . .. c’est comme ma deuxième famille c’est vraiment c’est

génial »(G15). Ces élèves viennent confirmer ici les particularités de l’école francophone

minoritaire, d’une part, sa composition des niveaux de classe – de la maternelle à la 12e

année, d’autre part, malgré la pluralité identitaire et linguistique du milieu, l’école demeure

l’espace francophone privilégié que les élèves fréquentent et à travers lequel ils

construisent leur identité francophone. Selon Pilote (2006), la négociation identitaire

s’effectue par l’individu entre trois pôles identitaires (identité attribuée, revendiquée et

visée) et se déploie sur un axe relationnel (interactions sociales) et sur un axe temporel

(trajectoires historiques et biographiques).

Tous les élèves intervenants, comme le montrent les affirmations ci-dessous, sont

conscients de la richesse du milieu particulier de leur école sur le plan linguistique et

culturel. La mobilité, à la fois linguistique, culturelle et spatiale, des participants illustre

différents chemins empruntés pour construire l’identité et qui mènent à différents modes

d’appartenance à des collectivités particulières et générales. Puisque chaque expérience

renvoie à un moment de la trajectoire individuelle caractérisée par une situation

particulière, les identités des individus ne sont pas définies de manière figée. Les jeunes

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sont dès lors amenés à se redéfinir constamment en empruntant l’un des chemins qui

s’offrent à eux à un moment spécifique. L’élève G15 souligne, dans l’extrait ci-dessous, le

lien qui cimente les jeunes à l’école n’est ni la culture, ni l’accent mais c’est vraiment la

langue. D’ailleurs les élèves G15 et G1 se moquent un peu de leur propre accent canadien

des « redneck canadiens de souche », sont ouverts à la francophonie « MONDIALE » et

à « diverses cultures ».

G15 : je me faite souvent dire par mes amis européens que j’ai un . ..

mon accent est dégueulasse (rires) et que . .. l’accent français québécois c’est l’équivalent de l’accent (XXX) mais en français (rires) . .. je ne suis

pas en position de dire à qui que ce soit que leur accent . .. leur façon de parler . .. leur culture francophone est invalide . .. il n’y a personne

selon moi qui est en position de dire ça donc MOI vivre cette

francophonie là MONDIALE je suis ben content parce qu’on me parle en

français

G1 : j’ai vécu en campagne j’ai vécu en ville et pis moi t’dire que quand on vit dans une ville un lieu urbain comme Vancouver qui est un centre

culturel du monde bien plus que la culture francophone dont on parle

mais de la culture francophone également . .. mais là on est exposé à plus de choses euhm plus de conscience de différences et plus de

personnes différentes . .. parce que lors qu’on vit dans la campagne on est exposé à ce qu’on connait et pis euhm . .. aux gens qui nous

entourent . .. fait l’idée c’est que la diversité au BC et pis . .. dans la

communauté francophone surtout à Vancouver c’est sûr que ça nous a exposés nous . .. euhm les redneck canadiens français de souche à

diverses cultures et à . .. divers you know l’esprit de conscience et de

L’IDENTITE qu’on n’aurait pas eu si on vivait à la campagne

Si le jeune est acteur de sa construction identitaire, cette action participe aussi au

processus de construction (et de maintien) des frontières culturelles entre les groupes.

Dans ce sens, l’identité culturelle renvoie au sentiment d'appartenance à des collectivités

construites symboliquement et qui se fondent sur la perception de similarités et de

différences culturelles entre les groupes. Ainsi, les individus se regroupent au sein d'une

collectivité en vertu de caractéristiques ou d’expériences qu'ils partagent, alors qu'ils se

démarquent des autres collectivités à partir de ce qui les distingue. Par ailleurs, les

frontières symboliques qui distinguent les groupes ne sont jamais définies objectivement

et de manière définitive. Les jeunes francophones de la CB affirment que ce qui les réunit

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c’est la langue française, alors comment les jeunes manifestent-ils leur sentiment

d’appartenance francophone ?

G10 : il n’y a pas que l’école il ya aussi le CSF . .. je crois que la

francophonie est bien représentée dans des activités comme les jeux

francophones ou monu ou il va y avoir comme d’autres plus tard et tous ces événements se passent en français et c’est avec comme un groupe

de jeunes qui parlent français / G7 : oui vraiment je trouve . .. pour ajouter à c’que tu viens de dire je trouve que c’bien tout c’qui est comme

ces activités francophones qui permettent aux jeunes francophones de

différentes écoles de se rencontrer . .. e‘fin ça donne comme plus comme un esprit de communauté parce qu’on connait les gens même si

on est loin là mais au moins on se voit d’année en année d’activité en

activité ‘fin je trouve que ça renforce les liens francophones entre eux

en générale peu importe de où ils viennent

L’adolescence constitue une étape marquante dans la construction de l’identité

des jeunes qui seront bientôt appelés à exercer officiellement leurs devoirs de citoyen.

Elle marque aussi une période où ils doivent prendre des décisions importantes ayant des

incidences sur leurs identités, notamment le choix de continuer des études post

secondaires en anglais ou en français. Il en va de même pour la participation sociale qui

s’élargit à différents espaces que ce soit à travers l’exercice d’un emploi ou par la pratique

de loisirs. Ils sont alors exposés de façon plus directe « aux frontières entre le Nous

(francophone) et aux Autres (anglophone) » (Pilote, 2006, p. 41).

Nous avons constaté par ailleurs que certains de ces jeunes prennent une position

plutôt claire en ce qui a trait à leur appartenance à la francophonie, qu'elle soit canadienne

ou franco-colombienne :

G8 : je pense que être francophone en Colombie Britannique c’est très

différent qu’être francophone au Québec . .. c’est pas juste la langue

c’est aussi une question politique

Nous constatons ici que la lutte qui constitue l’histoire à l’origine de la dualité

linguistique du pays est encore bien présente chez certains élèves. Pour ceux-ci, le fait

d'être francophone représente beaucoup plus qu'une simple commodité comme le

confirme l’élève G1 : « je ne peux vraiment dire que je suis FIER d’être francophone sans

dire que je suis FIER d’être francophone dans un milieu minoritaire ».

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Certains élèves n’hésitent pas à s’engager à protéger leur francophonie dont ils

voient la menace de l’assimilation si on n’est pas assez vigilant. L’élève G1 est conscient

que la vitalité des communautés francophones est la première préoccupation, pas

seulement en CB mais de manière plus générale, des francophonies canadiennes en

situation minoritaire, c’est une question politique importante touchant directement à

l’identité canadienne :

G1 : en termes d’engagement dans la communauté tsé moi j’ai participé

aux événements du conseil de jeunesse j’ai organisé un événement du conseil de jeunesse euhm . .. en termes de participation et pis de

promotion de la langue je pense que je suis assez engagé et pis je veux continuer cet engagement là euhm en situation minoritaire que ce soit

en BC ou n’importe où d’autre je trouve ça vraiment important

Cela se traduit, pour certains d'entre eux, par une participation active à des

activités qui se déroulent entièrement en français, que ce soit dans le domaine des arts,

des activités sportives organisées par le Conseil Jeunesse Francophone qui a pour

mandat de sensibiliser les jeunes au fait français, dans des associations des parents

d’élèves, ou même au sein des Services des Travailleuses et travailleurs en

Établissement des Familles Immigrantes dans des Écoles (Téfié).

Nous témoignons, par les extraits suivants, de l’engagement identitaire

francophone des élèves, c’est-à-dire de la valeur et de la signification affective attachées

à leur appartenance francophone. Pour Deveau, Landry et Allard, (2005) ils sont tous en

lien avec la valeur et la signification qu’une personne accorde à son identité culturelle et

linguistique de même qu’avec sa disposition à penser et à agir en fonction d’un « nous »

plutôt que d’un « je ».

G2 : je dirais que n’importe quel francophonie au canada est en milieu

minoritaire . .. que ce soit au fin fonds du Québec ou qu’ici en ville de

Vancouver c’est vraiment . .. n’y a pas de différence les français des francophones au Canada on est vraiment en situation minoritaire même

si on vit dans des communautés francophones même tsé au Boniface à Winnipeg c’est des francophones qui vivent dans des quartiers

majoritairement francophones mais c’est quand même des

francophones qui vivent en milieu minoritaire

L’élève G2, généralise la situation minoritaire francophone en incluant le Québec.

Il fait allusion ici à la population francophone au Canada qui représente 21,4% de la

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population totale19. Les francophones représentent la majorité au Québec (79,1%) et le

tiers de la population au Nouveau-Brunswick (32,4%). Dans les autres provinces, ils ne

dépassent pas 4%. Dans ce contexte, la menace d’assimilation par l’exogroupe

majoritaire anglophone est omniprésente dans les communautés francophones.

G1 : moi protéger et promouvoir la langue française c’est quelque chose

qui est vraiment important euhm . .. je trouve ça vraiment tough parce que euhm . .. ya vraiment beaucoup de gens qui vivent ici et pis qui

vont à l’école (nom de l’école) notamment et qui prennent ça pour

acquis et que . .. euhm ça va être une réalité dans leur vie de tous les jours et qu’ils n’sont pas obligés de pratiquer mais ça da se faire tout le

temps là . .. parce que ce qu’ils ne réalisent pas c’est qu’ils ne seront pas tout le temps dans une institution qui va promouvoir le français

POUR eux euhm . .. et éventuellement ils vont devoir le faire par eux-

mêmes et pour eux-mêmes . .. moi j’ai ben peur qu’il va yavoir ben des élèves ici qui vont perdre leur français . .. ben là j’essaie tout le temps

tsé de leur dire tsé il y en a qui me posent une question en anglais et je

leur répond en français euh . .. c’est vraiment difficile parce que je suis BILINGUE et que je suis autant HABILE en français qu’en anglais donc

c’est DIFFICILE de s’dire à ton cerveau qu’il faut que je parle en français

tout le temps tout le temps euhm . ..

Les élèves G1, G2, G7 et G8 sont pleinement conscients que la langue et les

cultures francophones font partie de l’histoire et de l’identité canadiennes qu’il faut

sauvegarder. Ils avouent cependant que parfois c’est beaucoup plus simple pour eux,

même à l’école francophone, de juste parler en anglais. Ils reconnaissent que s’affirmer

francophone et parler français c’est adopter une position politique car c’est aussi un

engagement identitaire.

G8 : je pense que être francophone en Colombie Britannique c’est très

différent qu’être francophone au Québec . .. c’est pas juste la langue

c’est aussi une question politique

G7 : le Canada c’est bilingue mais c’est très en grande majorité

anglophone … et je trouve que même là l’histoire c’est pas la même histoire qu’au Québec mais . .. c’est sûr que ça fait partie de la même

histoire mais au Québec on apprend L’HISTOIRE du QUÉBEC pas vraiment L’HISTOIRE du CANADA parce la culture du Québec les français

du Québec se sont toujours battu pour conserver le français . .. fait que

19 Source : Statistique Canada, Recensement de la population de 2016. En ligne à http://www.bdso.gouv.qc.ca/docs-ken/multimedia/PB01662FR_TSC2018M02F00.pdf

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ouais c’est sûr que je ne m’identifie pas au Canada anglophone par contre j’aime aussi participer à toutes les activités par rapport à la

francophonie où j’ai rencontré d’autres jeunes francophones qui parlent français même s’ils ne viennent pas du Québec ça me permet de faire

des rencontres

L’élève G7 se réfère à l’histoire du Québec qui n’est « pas vraiment L’HISTOIRE

du CANADA », elle semble même dire que la langue, le français, la rapprocherait plus

facilement aux autres « jeunes francophones qui parlement français même s’ils ne

viennent pas du Québec », car elle ne s’« identifie pas au Canada anglophone ». La

langue joue un rôle essentiel dans le processus de construction et de représentation

identitaires des individus. Pour G7, l’identité francophone prime ainsi sur son identité

canadienne bilingue.

« Être bilingue ou être francophone » en CB ou au Canada quelle est la

signification profonde de cette autodéfinition ? Certains élèves chercheraient-ils à

négocier une double ou multi appartenance communautaire pour se distancier de l’identité

francophone traditionnelle, celle-ci n’étant plus représentative de leur vécu culturel et

linguistique ? Ou encore, leur identité bi/plurilingue refléterait-elle une évolution identitaire

de la communauté elle-même, qui se transformerait graduellement en communauté

plurilingue ? S’agirait-il autrement dit d’un nouvel état identitaire pluriel, qui peut être

relativement stable, traduisant tout simplement la réalité du contexte de vie des personnes

engagées dans des réseaux linguistiques et culturels multiples (Gérin-Lajoie, 2003) ?

G1 : culturels au pluriel parce qu’on n’est pas jamais dans une société monoculturelle . .. si j’avais un souhait pour continuer à promouvoir la

langue française euhm . .. on est un pays bilingue donc services publics

français anglais pis avoir des services en français partout au Canada ça serait mon souhait pas des services avec le gouvernement fédéral mais

pour pouvoir aller en cour provinciale en français ça serait un souhait

pour pouvoir obtenir des services en santé en français ça serait mon souhait euh . .. tsé des affiches dans les stations d’autobus en anglais

et en français ça serai un souhait parce que si le Canada assis sur son high wave veut proclamer au monde nous sommes un pays diversifié un

pays bilingue . .. et pis je comprends tsé que la province est anglophone

nous autres on n’est même pas 1% de leur population mais par contre . .. pis je sais que c’est vraiment pas réaliste que . .. que il y a tellement

de nouveaux arrivants de d’Asie que de francophones ici mais là parce qu’on est dans un pays bilingue anglais français et pis là le fait que on

peut obtenir des services de santé en chinois mais pas en français là ça

me blesse un peu parce que on fait partie d’un pays bilingue français

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anglais et pis le 40% du pays qui parle en français se fait ignorer mais dans son propre pays donc que ce soit en Alberta ou au Nunavut ce

serait naïf de vouloir continuer à avoir des services public en français parce que au fédéral c’est un droit c’est un droit dans la constitution

aussi

On peut observer une certaine frustration dans les déclarations de l’élève G1 qui

compare certains services sociaux, à Vancouver, lesquels peuvent être obtenus en

chinois mais pas en français. C’est que le Canada, qui a deux langues officielles, n’a pas

de culture officielle. La Loi sur le multiculturalisme canadien (1988) qui reconnaît la

diversité culturelle du Canada, a pour objectif d’encourager l’intégration des personnes de

diverses origines et de diverses langues dans la société canadienne, tout en respectant

leurs valeurs privées et en appuyant financièrement des manifestations et des projets qui

favorisent le maintien de leur culture. Aucune reconnaissance officielle n’est accordée aux

langues autres que le français et l’anglais et l’appui de l’État à l’enseignement de ces

langues reste très limité (Deveau, Allard & Landry, 2008).

Si les droits conférés aux francophones par la Charte ont des incidences certaines

sur le développement des communautés francophones, l’identité culturelle développée

chez les jeunes se décline de plusieurs façons. En effet, dans le discours des jeunes, se

positionner comme bi/plurilingues prend différentes significations et ne représentent pas

nécessairement un rejet catégorique de la langue française et de l’appartenance à la

francophonie (Gérin-Lajoie, 2001). Les expériences quotidiennes des jeunes et le

discours qu’ils tiennent sur la question de l’identité nous font constater que leurs parcours

identitaires sont variés, l’éventail allant des francophones convaincus aux canadiens

bi/plurilingues. Pour plusieurs, le français est souvent vu comme un moyen d’accéder à

de meilleurs emplois. Le bilinguisme (français/anglais) comme objet utilitaire, de

commodité pour ainsi dire est une notion très présente dans le discours de ces jeunes.

Cette constatation ne devrait cependant pas surprendre, tant donné le contexte de

mondialisation dans lequel nous évoluons comme société et son influence sur les modes

de pensée actuels.

De même, ces derniers veulent être reconnus comme distincts par rapport à la

majorité anglophone sur le plan de la langue et de la culture tout en participant au même

titre que tous les citoyens à la vie collective d’ensemble. Influencés par les rapports de

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pouvoir entre les groupes linguistiques minoritaire, « nous autres », et « leur population »

majoritaire, les jeunes se considèrent comme des acteurs sociaux qui participent

activement à la construction de leurs identités. Certains de ces jeunes prennent une

position plutôt ferme en ce qui a trait à leur appartenance à la francophonie qu’elle soit

canadienne ou internationale. Pour ceux-ci, le fait d’être francophone représente

beaucoup plus qu’une simple commodité. Quelques-uns d’entre eux ont insisté sur

l’importance d’une participation active à des activités qui se déroulent entièrement en

français, que ce soit dans le domaine des arts, des débats au parlement ou des activités

sportives, organisées par le Conseil de Jeunesse Francophone de la CB.

Finalement, dans ce chapitre nous avons posé plusieurs questions relatives aux

choix de langues et d’identités des élèves francophones du conseil scolaire francophone

de la CB, un environnement très diversifié culturellement et linguistiquement. Nous avons

vu qu’on ne saurait tenir pour acquis que les élèves qui se trouvent au sein des écoles

francophones s’identifient fortement à la communauté francophone. S’il est vrai de

constater que la langue française constitue le ciment reliant tous les élèves en un groupe

linguistique bien distinct de la majorité anglophone de la province, la question de la / des

cultures francophones reste encore à déterminer. Une francophonie mondiale certes mais

avec des particularités propres à la communauté de la CB, qui sont, entre autres : le

bi/plurilinguisme des élèves, leurs identités culturelles multiples très variées, où la

question de « vivre-ensemble » n’est pas une question, mais fait partie intégrante de leur

mode de vie. Les différences sont partagées et vécues comme des richesses.

Notre étude auprès des élèves montre également que la majorité des jeunes sont

pleinement conscients qu’être francophone en CB est un mélange de la francophonie

mondiale, et que l’engagement identitaire fait partie de l’identité francophone et que cette

composante de l’identité est étroitement liée au choix de langue. Nous avons vu qu’un

nombre important d’élèves expriment leur appartenance à la francophonie par leur

bi/plurilinguisme, mais aussi que l’autodéfinition bi/plurilingue, n’est pas nécessairement

incompatible avec l’engagement identitaire francophone. Les jeunes nous semblent

chercher une identité qui colle à la réalité de leur vie ; ils cherchent un sens cohérent de

qui ils sont. L’identité francophone constitue une partie du soi. Il s’agit d’une identité

complexe et variée. Elle comporte des composantes qui varient chacune en fonction du

vécu de la personne et du contexte, ou de la situation concrète dans laquelle l’élève se

trouve. Dans notre prochain chapitre nous nous interrogerons plus précisément sur le rôle

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136

de l’enseignant dans cette construction identitaire francophone. Comment l’engagement

francophone des enseignants, qui se donne à voir par la manière dont

professionnellement ces derniers se positionnent vis-à-vis de la mission de l’École

francophone en contexte minoritaire, contribue-t-elle à l’identité collective et à la

construction identitaire des jeunes ?

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137

Chapter 8. Le personnel éducateur face aux défis de l’enseignement francophone en milieu minoritaire

Si les divers acteurs engagés dans l’éducation en milieu minoritaire accordent de

nombreuses responsabilités à l’école, force est de reconnaître que ce sont principalement

les enseignants à qui on donne le rôle de transmission de la culture et de la langue

françaises. Ces enseignants sont ainsi dotés d’une mission importante en ce qui a trait au

devenir de la francophonie en milieu minoritaire. Selon Gilbert et al., ces derniers sont

plus précisément appelés à agir comme « agentes et agents de conscientisation des

élèves à la réalité du vécu minoritaire et à leurs droits linguistiques » (2004, p. 18). De son

côté, Roy perçoit le rôle du personnel enseignant en milieu minoritaire comme

« promotrices et promoteurs de la langue française » (2006, p.184), tandis que les

enseignants représentent, pour Gérin-Lajoie « des agents de reproduction, voire même

de production, linguistique et culturelle » (2006, p. 16). Pour cette dernière, les

enseignants en milieu minoritaire seraient donc responsables de trois processus

importants : 1 – la transmission des connaissances ; 2 – la socialisation des élèves ; 3 –

la reproduction de la langue et de la culture (Gérin-Lajoie, 2003).

Dans ce chapitre nous nous pencherons d’abord sur la mobilité du personnel

éducateur francophone, plus spécifiquement des enseignants, leurs trajectoires

personnelles et professionnelles, afin de mieux saisir les changements qu’ils sont amenés

à effectuer dans leur pratique professionnelle pour s’ajuster aux besoins de la

communauté minoritaire. Dès lors, leurs identités individuelles sont appelées à être

transformées et influent directement sur leurs identités professionnelles. Les entretiens

que nous avons menés auprès du personnel éducateur ont été amorcés autour du thème

central du parcours des interviewés, en abordant leur histoire familiale, les parcours

académiques et professionnels déterminants sur le plan de leur identité professionnelle.

Ensuite, nous nous intéresserons aux réalités dans lesquelles le personnel éducateur

évolue au quotidien. Le personnel éducateur passe ainsi à travers différentes étapes

d’une formation et reformation identitaire professionnelle pour arriver à une double prise

de conscience : d’abord, des enjeux de la communauté francophone de la CB, puis, de

leur rôle dans la construction identitaire des élèves. Ces deux rôles se révèlent souvent

imbriqués l’un dans l’autre dans cette métamorphose du personnel éducateur

francophone minoritaire. Finalement, ceci nous a amenée à comprendre comment le

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personnel éducateur construit une « certaine idée » de l’identité francophone, en fonction

de ses propres valeurs, croyances et cadres de référence. Autrement dit, ce dernier

moment nous conduira à voir la manière dont le personnel éducateur est un maillon clé

de la dynamique de la construction des identités tant individuelles que collectives au sein

d’une communauté francophone plurielle.

8.1. Trajectoires personnelles et professionnelles

Les écoles de langue française à l’extérieur du Québec se dotent ainsi d’un projet

éducatif dans le cadre duquel elles doivent assurer, à la fois, la transmission des

connaissances, des habiletés, du savoir-faire et des valeurs, ainsi que la construction

identitaire des élèves et ce, dans un contexte caractérisé par l’hétérogénéité grandissante

de la clientèle scolaire. Or, ces écoles sont appelées à favoriser l’inclusion d’élèves issus

de minorités ethnoculturelles variées (Gérin-Lajoie et Jacquet, 2008), alors qu’elles sont

édifiées en fonction d’un projet collectif qui s’est longuement adressé uniquement aux

élèves de souche canadienne-française (Pilote et Magnan, 2008). Alors que la

préoccupation principale de ces écoles en milieu minoritaire était auparavant la question

linguistique, à savoir comment favoriser l’inclusion d’élèves aux compétences variées en

français, une nouvelle dynamique se présente en raison de l’arrivée d’une clientèle

diversifiée à la fois aux plans linguistiques et ethniques.

L’acte d’enseigner fait appel forcément aux pratiques réflexives, aux choix

qu’effectue l’enseignant par rapport à sa pratique, aux représentations de soi-même

comprenant ses connaissances, croyances, attitudes, valeurs, habiletés ... Dès lors, c’est

l’interaction des dimensions psychologiques et sociales, ainsi que le vécu de l’individu qui

participent à construire et à reconstruire une identité en tant que membre du groupe des

enseignants (Gohier, 2001). Ainsi, l’intérêt d’observer les parcours de mobilité chez le

personnel éducateur dans les écoles francophones de la CB s’explique en raison de

l’ampleur des mouvements migratoires observés dans la province. Il s’explique aussi par

la grande diversité de langues qui coexistent, notamment dans les écoles où notre étude

a été menée et, par la diversification de la population étudiante au sein des établissements

francophones. Au plan conceptuel, Kaufmann (2005) évoque l’idée d’un capital de mobilité

et du potentiel de mobilité des acteurs sociaux pour expliquer que suivant le capital dont

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139

ils sont dotés, les individus n’évoluent pas dans les mêmes espaces et n’ont pas les

mêmes univers de choix.

Ainsi, pour bien voir comment le personnel éducateur comprend, incarne ou pas

et aide à la passation des discours collectifs autour de la communauté il nous a semblé

pertinent de tenir compte de leurs trajectoires personnelles et professionnelles. Car c’est

dans cet espace plus large que la conception de leur travail peut prendre place. Roy

indique que le discours identitaire « est en fonction des représentations, ces dernières

étant le résultat de la trajectoire personnelle de l’individu » (2006, p. 182). Aussi nous

observons, sans exception, que tous les éducateurs intervenants ne sont pas nés en CB,

mais sont originaires principalement du Québec ou de France. Comment leurs propres

parcours identitaires viennent‐ils influencer leur travail auprès des élèves ? Et aussi la

manière dont ils s’y prennent pour construire leur identité collective ?

A14 est une enseignante Québécoise ; après avoir obtenu son diplôme en

éducation au Québec, elle a travaillé pendant quatre ans en tant que suppléante dans

différentes écoles au Québec, puis elle est venue en CB à la recherche d’un poste

d’enseignant plus stable. Elle constate immédiatement que l’ensemble du personnel

enseignant de son école vient de l’extérieur de la province et qu’il y a « une diversité mais

elle est moins variée que celle des élèves » :

A14 : le recrutement se fait plus au Québec et en France mais sinon on

a des enseignants francophones d’Alberta s’q’fait qu’elles ont déjà un

accent plus anglophone dans certains mots et à l’étage en bas on a quelqu’un qui vient d’un pays musulman l’Iran ou l’Irak j’ché plus

quelqu’un d’Algérie … oui il ya une diversité mais elle est moins variée

que celle des élèves

Les propos de l’enseignante A15, comme ceux de A14, montrent que la

composition des enseignants au CSF est majoritairement québécoise ou française. Cela

crée le sentiment « communautaire » au sein de l’école car les enseignants partagent une

partie de leur histoire collective « des blagues communes des histoires communes »

(A15). Cependant, au contact d’un nouvel environnement, à vivre la même expérience de

migrante ou d’immigrante, A15 est amenée à s’ajuster, à adopter un nouveau « référentiel

culturel » :

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A15 : quand j’étais au Québec c’était ma famille qui était mon référentiel culturel parce que je déménageais tous les ans et j’avais pas le temps

de me faire des amitiés quand je suis venu ici il ya 20 ans mes collègues étaient devenus mes amis ma famille et aussi mon référentiel culturel

on a des blagues communes des histoires communes parce qu’on a

presque le même âge on a grandi presqu’à la même place mais ça reste que c’est ici qu’on construit ces amitiés là mais moi je trouve que ces

amitiés ici sont presque plus fortes que celles que j’avais au Québec

alors quand il yen a qui partent ça laisse un gros trou dans ma vie

La mobilité des membres du personnel éducatif francophone les a amenés à

s’ajuster aux différents contextes interactionnels qu’ils rencontrent dans leur vie

quotidienne. Dès lors, leur identité est en constante formation et reformation par le biais

des interactions sociales, tel que Planchenault (2013) l’a écrit :

(...) la performance identitaire est une œuvre collaborative qui est nécessairement située. Le soi produit est alors le résultat des différents constituants de cette situation. Il y a une négociation de l’identité qui se fait par le biais d’ajustements des interlocuteurs en fonction des besoins de l’interaction (p. 74).

Quant à A5, venue au Canada avec ses parents il y 12 ans, elle a fait toute sa

scolaire secondaire dans les écoles francophones d’abord en Alberta puis en CB. A5

travaille aux services TÉFIÉ (Travailleuses et travailleurs en Établissement des Familles

Immigrantes dans les Écoles) du conseil scolaire francophone ; elle confie qu’elle doit

l’obtention de son premier poste, sans aucune qualif ication universitaire, surtout à son

français :

A5 : c’est un peu compliqué j’ai un peu bougé mais je suis née en Belgique à Bruxelles de deux parents maghrébins mon père il est né en

Algérie et ma mère au Maroc mais ils ont grandi en Europe donc ils sont partis vers 2 ans 3 ans et quand j’ai eu 10 ans on est parti en Alberta

on y a vécu pendant 2 ans à Edmonton et ‘fin le froid nous a chassés et

on est parti ici on a vécu à Surrey et à Richmond et j’ai gradué en 2014 du CSF et c’était un peu le voyage après j’ai été à Montréal j’ai voyagé

je suis revenue à Vancouver et je suis repartie et puis je suis revenue

et cela fait exactement un an que je suis de retour à Vancouver

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A13 est Français, amoureux de la nature, il avait planifié, il y a 28 ans, de faire le

tour de la CB en camping. Il s’était arrêté « quelques semaines » à Vancouver, et depuis

s’est établi dans la province. Avant de travailler au conseil scolaire francophone, A13 a

commencé à enseigner en immersion. Il est maintenant administrateur d’une école

secondaire francophone située dans le Grand Vancouver.

De formation sportive de haut niveau, A9 s’est reconverti dans l’éducation. Parti

du Québec à la recherche d’un emploi stable dans l’ouest, il raconte son long parcours

professionnel, d’abord enseignant, puis administrateur pour revenir finalement à la salle

de classe en tant qu’enseignant d’éducation physique :

A9 : j’ai grandi dans la région de Montréal lorsque j’ai gradué du programme d’enseignement au Québec en éducation physique les

emplois stables n’existaient pas . .. c’était très difficile de trouver un poste solide et permanent euh dans le système scolaire québecois . ..

en 1988 j’ai décroché un poste à mon goût en éducation physique en

Colombie Britannique . .. et je me suis retrouvé dans le nord de la Colombie Britannique dans un conseil scolaire anglophone dans une

assez grosse école secondaire dans un village dans le nord . .. j’ai

vraiment poli mon anglais à ce moment-là j’avais pas le choix

On le voit avec les propos ci-dessus, Être « francophone », d’après Heller (2015),

a longtemps signifié, au Canada, faire partie d’une main-d’œuvre mobile, saisonnière et

temporaire. Ainsi, les conditions économiques de l’existence de cette catégorie sociale «

francophone canadien » impliquent une mobilité tout à la fois géographique/spatiale que

professionnelle potentielle de ces travailleurs dès l’origine. De nos jours, l’expansion vers

l’ouest de l’économie canadienne amène toujours plus de Francophones dans la région,

et la question de mobilité reste, selon Heller, essentielle pour penser la francophonie

canadienne. Pourtant, Heller affirme qu’elle pose problème aux politiques relatives à la

francophonie canadienne et aux pratiques de gouvernance qui y sont associées. En effet,

Heller explique que selon les logiques du gouvernement fédéral du Canada, une

communauté francophone minoritaire qui se « porte bien » signifie une population

sédentaire, bien ancrée dans un territoire, dont les effectifs se maintiennent et qui a des

pratiques langagières unilingues (Heller, 2014). On préfère ainsi une histoire

d’implantation à une histoire de mouvement. En effet, les études sur la francophonie, et

les politiques qui en découlent, effacent la mobilité ou l’abordent comme problème, car

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elle fait peser sur la population la menace de s’éparpiller et de disparaître. Heller écrit

que :

« la mobilité des francophones est effacée au nom d’une collectivité ancrée dans son territoire, composée de francophones qui choisissent de lutter pour la survie de la langue française en Amérique » (Ibid. p. 80).

La forte mobilité de la population éducative pose ainsi un problème évident pour le conseil

scolaire francophone car il doit assurer la continuité malgré le roulement constant de son

personnel (Daragahi, 2018). À la rentrée de septembre 2018, le conseil scolaire

francophone de la CB devait faire face aux mêmes défis récurrents d’année en année : le

besoin de personnel et le manque d’infrastructure.

Pourtant, le CSF a fait des pieds et des mains pour recruter enseignants, secrétaires et personnel de soutien, y compris à l’extérieur de la province et même en Europe. Des partenariats ont été conclus avec des universités et le conseil travaille avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada pour aider les candidats dans leurs démarches (La source, vol. 19, n° 4. p. 6).

Dès lors, il est pertinent de souligner que le personnel éducateur est pour la plupart issu

d’un milieu majoritairement francophone « et » en milieu rural, dans la grande région de

Montréal, choisit d’aller enseigner en milieu minoritaire francophone ; d’où la difficulté pour

certains d’entre eux de comprendre les enjeux liés au statut minoritaire. D’ailleurs, un des

enseignants québécois fait la remarque suivante :

A6 : .. ils (les élèves) ne sont pas francophones ils sont BILINGUES ils sont TRILINGUES c’est pas une identité de francophone comme moi je

suis francophone parce j’ai grandi dans une communauté francophone

quand j’allais au cinéma c’était en français quand j’allais manger au Mac Donald’s c’était en français quand j’allais m’acheter des jeans c’est en

français donc toute ma vie est en français mais EUX ils ne peuvent PAS avoir une vie francophone parce qu’aussitôt qu’ils dépassent la porte de

l’école ok il yen a qui parlent peut être à la maison là mais sinon le reste

s’ils vont au dépanneur s’acheter une saucisse c’est en anglais quand ils vont aller au cinéma avec des amis c’est en anglais s’q’fait ils ne sont

pas francophones ils sont BILINGUES j’pense c’est plus ça leur identité

Comparant le Québec, un milieu majoritaire francophone, avec la situation minoritaire du

français de la CB, l’enseignant met l’accent ici sur l’aspect plurilinguisme des élèves

francophones en CB, « EUX ils ne peuvent pas avoir une vie francophone », ils sont

forcément « BILINGUES » ou même « TRILINGUES ». L’enseignant souligne ainsi un

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des traits caractéristiques de l’identité des jeunes dans les écoles francophones de la

province. A6 ne reconnaît pas la francophonie de ces élèves au nom du bilinguisme.

A8 est, elle, une enseignante qui a grandi au Québec ; elle a fait toute sa scolarité

dans cette province. Elle a obtenu son diplôme en enseignement des sciences également

au Québec. Comme enseignante, A8 a d’abord travaillé à temps partiel, dans différentes

écoles situées en milieu rural, dans la grande région de Montréal. Ses contrats étaient

toujours temporaires et elle a dû déménager chaque année pour ne pas être trop loin de

ses lieux de travail. Elle est venue en CB où elle a été embauchée par le conseil scolaire

francophone, à un poste continu. Depuis 20 ans, A8 enseigne les sciences au secondaire

à la même école. Elle se considère francophone, cependant sur le plan culturel, elle avoue

avoir changé depuis qu’elle est en CB. En effet en venant s’installer et enseigner en CB,

elle porte aujourd’hui un nouveau regard sur le Québec, la ville qu’elle a quittée depuis

plus de 20 ans. Contrairement à sa famille qui y vit encore, elle a moins de « jugements

... de préjugés . .. des idées xénophobiques » et adopte une attitude plus ouverte vis-à-

vis de « toutes les races ». Ainsi, au contact de la diversité de la francophonie en CB, A8

est amenée à percevoir son environnement d’une nouvelle manière, ses identités

individuelles ont changé, entrainant dans leur sillage une transformation de son identité

d’enseignante :

A8 : .. ça fait déjà plus de 20 ans que je suis plus au Québec mais je parle encore à mes parents à ma sœur et ils ont des fois des jugements

. .. des préjugés . .. des idées xénophobiques or je la vois moins cette

xénophobie ici là toutes les races sont acceptées mais autant à l’intérieur

de l’école qu’à l’extérieur de l’école

En parlant spécifiquement de son rôle d’agent de reproduction linguistique (terminologie

utilisée par Gérin-Lajoie, 2006), A8 avoue qu’il est difficile de faire la promotion du français

étant donné qu’elle n’enseigne pas cette matière. Elle ajoute cependant que la langue

française est un réel handicap pour beaucoup d’élèves qui « ne sont pas capables

d’exprimer leurs émotions » et ils doivent retourner « à leur langue maternelle »

l’anglais :

A8 : . ..dans les cours le vocabulaire qu’on leur donne c’est pour

exprimer les idées académiques exprimer les idées de sciences ou de sciences humaines ou de mathématiques ils n’ont pas mots du langage

émotif ils ne sont pas capables d’exprimer leurs émotions ils ne sont pas

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capables d’exprimer comment ils se sentent aus’tôt qu’ils vont vont être heureux ils vont être tristes ils vont être excités ils vont avoir une fin de

semaine à raconter qu’ils ont une date ils retournent à leur langue maternelle parce que c’est là qu’ils ont le langage émotionnel c’est avec

ça qu’ils ont appris à exprimer leurs émotions

La mobilité a rendu A8 plus sensible à la réalité de sa salle de classe. Elle tient compte

de la situation minoritaire des élèves et elle utilise des adaptations linguistiques dans ses

cours de sciences :

. .. il faut corriger au son faut pas s’attendre à ce que les élèves soient

capables d’écrire avec une orthographe parfaite donc moi il faut que je corrige les sciences l’idée qui est à l’arrière du mot même si le mot est

mal orthographié . .. il faut que je fasse attention à ça

Dans le discours de quasi tous les enseignants, l’école est le lieu par excellence qui offre

un milieu de vie francophone aux élèves. Pour les enseignants, la diversité linguistique

des élèves en CB constitue certes une richesse, mais également un défi pédagogique car

le niveau des compétences en français des élèves est très varié. En effet, c’est la question

de la langue qui revient régulièrement dans les entretiens, elle représente une forte

préoccupation par rapport aux compétences langagières inégales des élèves.

A7 : dans l’ÉCOLE on essaie de mettre l’emphase sur le français nos

affiches c’est nous parlons français les annonces au micro sont en

français j’veux dire on veut que ce soit en français tout le temps mais la réalité est que aus’tôt que la cloche sonne et qu’ils sortent de la salle de

classe ils oublient qu’ils sont en français et ils vont parler en anglais ou en espagnol à leur casier ou dans les salles de bains ou sur l’heure du

lunch à l’extérieur ou aus’tôt qu’ils sortent de la porte de la classe le

français est oublié et pis il est là le défis c’est comme oh on aimerait que ce ne soit pas la porte de la classe mais la porte de l’école mais c’est

difficile

D’un autre côté, les attentes supposées des parents insistent sur la redevabilité du

personnel enseignant face à la réussite de ses élèves :

A3 : le défis de l’école parce que l’argent et le temps est mis dans les

cours parce que c’est ça que les parents veulent voir ils veulent voir un bulletin avec une note et un commentaire ils veulent que l’élève gradue

avec un diplôme qui va leur ouvrir des portes

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Le fait d’avoir vécu dans un milieu majoritairement francophone, permet à la

plupart du personnel éducateur de prendre conscience peu à peu des difficultés

d’apprentissage de la langue des élèves des écoles francophones en CB et une meilleure

appréhension du milieu minoritaire. L’enseignant, l’administrateur, les aides

pédagogiques ainsi que les conseillers arrivent à une meilleure compréhension de leur

rôle professionnel dans l’école francophone minoritaire. Planchenault (2013) argumente

que l’individu, la personne est construite par et en fonction de l’interaction sociale :

la recherche en psychologie, et plus particulièrement le courant essentialiste d’une part qui s’appuie sur un modèle principalement biologique, et le courant constructionniste d’autre part qui se base sur l’expérience socioculturel, ont omis, à tort, le concept même de la personne. À partir de ce constat, (...) il est désormais nécessaire de reprendre contact avec l’agent se situant derrière les choix et les actes émergents, donc avec le vécu de l’individu qui précède l’interaction sociale (p. 75).

Par conséquent, il est important de prendre en compte les trajectoires personnelles et

professionnels des enseignants afin de mieux saisir d’abord leur propre construction

identitaire francophone, puis la façon dont ils participent à celle des élèves.

La notion de culture véhiculée dans le discours des participants-éducateurs fait

souvent allusion à l’importance de célébrer les traditions, les coutumes, etc.

A13 : pendant la semaine de la francophonie on a des parents qui viennent montrer une danse de leur pays ou faire un mets de leur pays

il ya un tire qui est organisé par les franco canadiens il ya une vente de

sirop d’érable à l’école il ya des choses comme ça qu’on fait qui sont québécois mais il ya aussi des trucs . .. on fait aussi la chandeleur où il

va y avoir des crêpes ou d’autres trucs qui sont représentés . ..

Pour certains, le concept de culture francophone est demeuré flou tout au long des

échanges, même si tous les enseignants sont conscients de leur rôle dans la transmission

non seulement des savoirs mais également des langues et cultures francophones, « c’est

quoi la culture francophone d’ici ? ouais ? mais c’est difficile de se définir ».

A2 : je trouve pas que IMPOSER ma culture québécoise ou que monsieur IMPOSE sa culture française ou monsieur IMPOSE sa culture du Congo

c’est la culture de CES PAYS LÀ c’est pas notre culture d’ici c’est quoi la

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culture francophone d’ici ? ouais ? mais c’est difficile de se définir c’est c’est . .. si j’avais la même conversation avec un anglais je dirais c’est

quoi la culture d’un canadien anglais ? qu’est-ce qui te différencie toi d’un canadien anglais d’un américain ? c’est juste que t’as pas de fusil

dans ta maison ? c’est la seul différence entre toi et lui ? parce que vous

écoutez les mêmes films vous écoutez la même musique vous avez les mêmes référents vous êtes ‘fin c’est quoi la différence entre un canadien

anglophone d’une américain anglophone ? c’est quoi qui différencie d’un

francophone de l’école d’un anglophone hors de l’école ? c’est la MÊME

référence CULTURELLE c’est là que je le trouve difficile là

Nous remarquons dans cet extrait, d’une part la difficulté de définir de quelle culture

francophone de la CB, sans doute parce qu’elle est plurielle et que l’on ne sait pas trop

comment l’aborder. D’autre part, le multiculturalisme suggère qu’il y a cohabitation de

différentes cultures francophones dans la même école, sans pour autant qu’il y ait

appropriation vraiment d’une d’entre elles « c’est la culture de CES PAYS LÀ ce n’est pas

notre culture d’ici ». On rappelle également ici le rôle important de l’école dans la

construction de l’identité francophone qui différencie les élèves qui eux, possèdent « la

MÊME référence CULTURELLE » que des anglophones majoritaires.

A1, enseignante qui a grandi au Québec, dans la région de Saguenais Lac Saint

Jean où elle a obtenu son baccalauréat pour devenir enseignante. Elle a déménagé en

CB tout de suite après ses études post secondaires, il y a 3 ans. A1 a été embauchée par

le CSF, d’abord en tant que remplaçante pendant un an, puis avec un contrat continu

depuis 2 ans. C’est sa première expérience en milieu minoritaire francophone.

A1 : c’est ma première expérience en milieu minoritaire francophone oui

. .. au début j’ai trouvé le français des élèves comme j’étais là oh ok ! c’est vraiment différent et juste d’entendre beaucoup d’anglais dans

l’école fait que c’était nouveau pour MOI j’avais jamais vécu ça de ma

vie donc je trouvais ça IMPRESSIONANT puis qu’est-ce qui m’a frappée le plus c’est vraiment que les élèves étaient plus à l’aise entre eux en

ANGLAIS

A14, un administrateur d’une école secondaire à Vancouver, était lui, le premier

employé du CSF, à sa création au début des années 1997, il a ainsi participé à

l’implantation de toute la structure du conseil scolaire, « nous étions de fabuleux

improvisateurs ! » :

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A14 : ça fait 27 ans que je suis en CB j’ai commencé avec les anglophones à l’immersion française et lorsque le CSF a été créé en

1997 j’ai commencé déjà à travailler pour le conseil scolaire je suis leur premier employé à embaucher . .. donc au début de ma carrière j’ai

débuté comme administrateur à Chilliwack à 27 ans je ne savais pas

trop dans quoi je m’embarquais et c’est vraiment drôle parce que tu deviens directeur d’une école qui appartient à une autre conseil scolaire

un autre syndicat d’un autre conseil qui n’était pas formé encore . ..

lorsqu’un parent me demandait une question sur la politique ben je répondais simplement pas (rires) . .. donc nous étions de fabuleux

improvisateurs ! (rires) on a eu beaucoup de plaisir . ..

À la différence de la plupart des enseignants, A17 a grandi dans un milieu

francophone minoritaire ; elle a suivi toute sa scolarité et ses études universitaires en

français, toujours en milieu minoritaire. C’est une enseignante dans la trentaine, originaire

du Nouveau-Brunswick. Elle a commencé sa carrière d'enseignante en Alberta, au niveau

élémentaire, dans une commission scolaire francophone, pendant une année. Installée à

Vancouver avec son mari depuis 11 ans, elle enseigne à la même école, au même conseil

scolaire, à différents niveaux à l'élémentaire.

A17 : J'pense que le plus important c'est de ne pas nier premièrement le fait qu'on est en minoritaire DÉJÀ c'est un grand pas pour aider les

enfants à comprendre leur situation. Alors er (...) j'en parle toujours avec eux je leur explique c'est quoi mon opinion ou comment j'm'suis

sentie aussi quand lorsque j'étais jeune dans un milieu MINORITAIRE on

n'en parlait PAS tant et on essayait de conserver la langue FRANÇAISE et c'était une PRESSION sur nos DOS d'après ce que moi j'ai vécu. Alors

j'trouvais je voulais pas faire vivre à mes élèves cette même situation

j'veux plutôt qu'on en PARLE qu'on en DISCUTE

En commençant par « le plus important c'est de ne pas nier premièrement le fait

qu'on est en minoritaire », la participante situe de prime abord le cadre contextuel

minoritaire dans lequel elle pratique son enseignement, et affirme par la même occasion

son identité sociale avec l'identification francophone et l'autodéfinition comme membre de

la communauté minoritaire. En définissant son identité ethnolinguistique, chaque

personne interprète ses croyances reliées aux expériences à l’histoire et à la position

sociale de son groupe » (Deveau, Allard & Landry, 2008, p. 76). L’identité francophone de

l’école est déterminante pour comprendre la position minoritaire et par conséquent

conditionne la construction identitaire des élèves, A17 l’annonce clairement à ses élèves

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dès le début. C'est autrement dit à l'enseignant qu'il revient de conscientiser les élèves du

rapport de force entre un endogroupe minoritaire francophone et un exogroupe majoritaire

anglophone, et de définir l'espace francophone qui est lui-même composite avec « des

différents ACCENTS ... c'est correcte d'avoir différents accents alors cette OUVERTURE

là j'trouve c'est vraiment IMPORTANT ».

A17 : er (...) c'est ça qu'on parle des différents ACCENTS c'est pourquoi

c'est correcte d'avoir différents accents alors cette OUVERTURE là j'trouve c'est vraiment IMPORTANT mais aussi en même temps de ne

pas leur faire sentir comme si ils doivent changer le monde c'est un p'tit

peu plus vivre avec vivre avec nos réalités qu'est ce qu'on peut aussi

ajouter dans notre vie pour être un p'tit peu plus FRANCISÉ.

Le fait « qu'on n'en parlait pas tant et on essayait de conserver la langue

FRANÇAISE et c'était une PRESSION sur nos DOS d'après ce que moi j'ai vécu » rappelle

l'origine acadienne de la participante pour qui l'expérience minoritaire semble être

univoque et imposée par « on » qui représente l'enseignant, l'école, la communauté

minoritaire francophone, l'endogroupe francophone. Elle a donc préféré épargner à ses

élèves de vivre « cette même situation », et opter pour « vivre nos réalités qu'est ce qu'on

peut aussi ajouter dans notre vie pour être un p'tit peu plus FRANCISÉ ».

Nous empruntons les mots de Planchenault (2013) pour souligner que « la

construction identitaire est un exercice qui se situe au croisement de la mémoire (le passé)

et de l’imagination (projection dans le futur) » (p. 76). Ainsi, dans cette partie nous avons

demandé au personnel éducateur de partager le souvenir de leurs parcours. Le faisant ils

ont mobilisé les motifs, les explications afin de donner un sens à leurs trajectoires, leurs

histoires individuelles auxquelles ils s’identifient. Par conséquent, la mobilité du personnel

éducateur nous offre un cadre de penser la pluralité des identités et de les voir ou pas

comme des francophones.

8.2. « Nos réalités »

Avec la diversification de la population des écoles de langue française, où un

nombre grandissant d’élèves sont d’origines diverses, tant sur le plan des langues et des

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cultures d’origines. L’école doit composer avec une situation parfois difficile, où les

identités linguistiques, culturelles sont de plus en plus variées et même « fragmentées »

(Gohier, 2006, p.150), où « identités qui s’entrechoquent et qui sont en perpétuelle

mouvance » (Gérin-Lajoie, 2010, p. 359). Dans ce contexte, devant ces « réalités »,

comment les enseignants conçoivent-ils leur travail ? Que doivent-ils reproduire au juste

en termes de langue et de culture ? En ce qui concerne la langue, est-ce d’amener les

élèves à parler en français ? Et qu’en est-il de la culture ? Concept toujours présent dans

le discours officiel, mais qui demeure flou (Gérin-Lajoie, 2006), malgré le fait que la culture

ait toujours été imbriquée dans les propos tenus sur l’école francophone minoritaire.

En interviewant dix membres du personnel enseignant, trois membres de direction,

deux aides pédagogiques et deux membres du personnel des services éducatifs, nous

constatons qu’ils étaient tous très conscients de l’importance de la promotion de la langue

et des cultures francophones. Un administrateur (A14) admet cependant que les jeunes

enseignants venant d’un milieu majoritaire ne réalisent pas tout de suite leur rôle qui

consiste également à « rehausser la francité des jeunes » :

A14 : le problème c’est lorsqu’on embauche les jeunes enseignants qui

viennent d’un milieu majoritaire ils ont une autre attitude disons ça leur prend quelques années à réaliser leur rôle qui est de remplacer tout ce

qui est culturel ou sportif sauf que c’est pas dans la convention collective ça . .. je pense que pour le CSF c’est son plus grand défi parce que

depuis 2010 on a abandonné l’initiative qui n’était pas parfaite là mais

au moins on faisait l’initiative pour rehausser la francité des jeunes . .. en ce moment il n’ya pas grand-chose qui se passe sauf ce conseil de

jeunesse . .. mais c’est une des plus grandes controverses pour nous

c’est la mission et la vision du CSF oui c’est mis sur le dos des écoles mais s’il n’y a pas d’argent qui vient ben on se débrouille comme on

peut !

A14 déplore dans cet extrait « une des plus grandes controverses » du conseil scolaire

francophone qui, malgré sa mission et sa vision de « rehausser la francité des jeunes »,

ne donne pas priorité à la/les culture(s) francophones : « en ce moment il n’ya pas grand-

chose qui se passe sauf ce conseil de jeunesse20 ». Selon A14, la mission « culturelle »

20 Créé depuis 1989, le Conseil de jeunesse francophone de la Colombie-Britannique (CJFCB) est « un organisme géré par et pour les jeunes. Il a pour mission de promouvoir, développer et représenter les intérêts des jeunes d’expression française de la CB par le développement de la

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150

est « mis(e) sur le dos des écoles » qui doivent « se débrouiller » comme ils peuvent,

c’est-à-dire qu’à leur tour, les écoles vont reléguer cette mission aux enseignants. Cela

est une autre « réalité » à laquelle les enseignants doivent faire face quotidiennement :

assumer le rôle de production (et de reproduction) linguistique et culturelle.

Comme certains enseignants, A17 a vécu en milieu minoritaire ; son expérience

l'a amenée à quitter peu à peu cette notion de « faire français » désignant un espace

francophone qui est construit autour d'un retour à l'histoire commune, un retour au

Québec, pour s'orienter vers la pluralité. Compte tenu de la diversité de sa composition,

l’espace francophone s’écrit désormais au pluriel et s’inscrit dans la complexité. De nos

jours, on ne peut plus parler d'une francophonie homogène sur le plan de la langue et de

la culture ; la francophonie canadienne doit se redéfinir à partir des membres qui la

composent et à partir des rapports de pouvoir dans lesquels elle évolue. Le rapport à la

langue et à la culture se complexifie et le sens d'appartenance au groupe francophone se

négocie constamment à travers les pratiques sociales des individus. Dans ce contexte,

l'identité se doit d'être comprise comme étant « le résultat d'une construction sociale,

plutôt que comme un attribut prescrit qui aurait été acquis au moment de la naissance »

(Gérin-Lajoie, 2006, p. 61).

Marquée par sa catégorisation de francophone acadienne, A17 ne « nie » pas son

appartenance ; elle réclame cependant une certaine « ouverture », une nouvelle attitude

par rapport au fait d'être francophone en CB ?. Ici l’enseignante fait référence sans doute

à une certaine idée passéiste d’une communauté francophone homogène construite

autour d’une même histoire, et partageant les mêmes repères culturels, et fait appel à une

« ouverture », un changement pour mieux s’adapter à « nos réalités », à la réalité de nos

salles de classe, à la réalité des communautés francophones au Canada qui sont en

ébullition face à la mondialisation et aux mouvements migratoires. Quant à elle,

l'enseignante est disposée à adopter de nouveaux comportements afin de mieux répondre

aux besoins de « nos réalités » qui sont aussi les besoins des élèves dont la composition

est devenue de plus en plus diversifiée. Ce faisant, la participante redéfinit le sens

d'appartenance à la communauté francophone, et transforme ses propres représentations

sociales de l'identité francophone, celle qu'« on » lui a « imposée » comme une « pression

sur nos dos ». La participante vivant dans un contexte où son groupe est minoritaire,

langue française et de la francophone ainsi que par la tenue d’événements jeunesse d’envergure provinciale ». Information sur le site : https://cjfcb.com/ton-conseil-jeunesse/

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151

comprend que l'identité francophone qu'elle construit et l'autodéfinition qu'elle produit peut

varier selon les aspects considérés, ce faisant elle ne demande pas à ses élèves « de

changer le monde », mais simplement de reconnaître les aspects « francisés » qui font

partie de leur vie. L'enseignante encourage ainsi ses élèves à l'« ouverture » aux

différents «accents», et tout simplement aux différences afin de les préparer à

appréhender la diversité qui existe en eux mais également autour d'eux. Une étude de

Deveau, Allard & Landry (2008, p. 77) souligne que « les membres de la communauté

francophone pourront se définir comme francophones ethniquement, comme bilingues

linguistiquement et comme anglophones culturellement ».

Les élèves francophones de la Colombie Britannique vivent dans un

environnement anglo-dominant qui influence grandement leurs pratiques sociales

linguistiques. La diversité en matière de compétences langagières en français fait partie

des réalités quotidiennes des salles de classe. En effet, certains élèves parlent

couramment le français, alors que d'autres parlent peu et parfois même pas du tout cette

langue au moment même où ils arrivent à l'école. Même les élèves qui parlent le français

couramment préfèrent souvent l'anglais au français. Cette hétérogénéité linguistique peut

s'expliquer entre autres par un grand nombre d'élèves qui vivent dans des familles

exogames ; cependant on remarque que même dans les familles où les deux parents sont

locuteurs du français, on choisit parfois de parler anglais à la maison, et finalement on ne

peut pas omettre la présence dans les écoles d'élèves d'origines culturelles diverses, ce

qui rend la situation encore plus complexe.

À la question du rôle de l’école dans la construction identitaire des élèves, A13

répond que la réalité francophone de son école est « complexe » ou même parfois « un

dur combat ». Pour A13, l’école a « plutôt un rôle de facilitateur de leur montrer (…) la

belle tradition que les gens de la francophonie ont à travers le monde pour qu’ils puissent

apprécier ce qu’ils ont » :

A13 : c’est assez complexe étant donné . .. on est dans un milieu minoritaire et puis quand on regarde le pourcentage là de nos élèves

qui continuent en français je dirais que c’est 2 ou 3% de nos élèves qui

vont continuer en français donc vraiment PAS beaucoup d’élèves qui vont continuer en français tout ça parce que l’anglais est tellement plus

facile et qu’on est dans une province anglaise alors … non pour moi le

rôle de l’école . .. des enseignants c’est plutôt un rôle de facilitateur de leur montrer j’allais dire le beau côté mais oui la la belle tradition que

les gens de la francophonie ont à travers le monde pour qu’ils puissent

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apprécier ce qu’ils ont . .. de là est ce qu’ils la vivent ça c’est une autre question ohlà c’est très dur le combat le combat depuis que je suis ici

c’est de les faire parler français dans les couloirs c’est déjà dur de les faire parler en classe alors euh . .. (rires) et puis en 18 ans j’ai vu tous

les systèmes passer et il n’ya vraiment rien c’est un combat qui est . ..

ça devrait pas être un combat parce normalement ils sont FRANCOPHONES alors donc la réalité n’est pas là là c’est pas notre

réalité

Nous notons ici des hésitations, traduites par des pauses, et des rires qui

admettent une capitulation devant le « très dur combat » contre la fait que les élèves

parlent anglais entre eux et dans les couloirs de l’école, « l’anglais est tellement plus

facile ». D’un ton plutôt désabusé, comme si l’école avait échoué dans sa mission, A13

insiste sur « PAS beaucoup d’élèves qui vont continuer en français » et « ça devrait pas

être un combat parce que normalement ils sont FRANCOPHONES alors donc la réalité

n’est pas là ».

Le contexte social qui sous-tend le vécu langagier francophone minoritaire dont

parle A13 est souvent de nature diglossique. La diglossie est une forme de

compartimentation sociale entre les langues d’une société. Dans une situation typique de

diglossie, la langue majoritaire, l'anglais, est une « langue haute » (Deveau, Allard &

Landry, 2008), et la langue minoritaire, le français, une « langue basse ». La langue haute,

l'anglais, est réservée à la sphère publique, aux contacts formels (le gouvernement,

l’économie, l’éducation, l’affichage public) et aux contacts intergroupes. La langue basse,

le français, est souvent confinée à la sphère privée intergroupe, c’est une langue partagée

dans les milieux intimes de la famille et des réseaux sociaux informels. Deveau, Allard et

Landry ont montré, en 2008, d'une part que ce sont principalement les contacts de

« solidarité » qui sont les plus fortement associés à l'identité, d'autre part que les contacts

intimes avec la langue contribuent à l'attachement au groupe et à des sentiments

d'appartenance. Ils ont également souligné que la francité de la dynamique langagière au

sein de la famille et de l'école est d'une importance capitale pour le développement

identitaire francophone, et que cette « francité familioscolaire » peut même neutraliser

l'effet de l'exogamie et atténuer considérablement l'effet de la vitalité ethnolinguistique sur

l'identité. « L'autodéfinition francophone est plus tributaire de la francité du vécu

enculturant privé que de la francité du vécu enculturant public » (Deveau, Allard & Landry,

2008, p. 101).

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153

Qu'il soit conscient ou non, l'enseignant participe de façon active au processus

identitaire des élèves, c'est à dire qu'il tente de développer chez eux un sens

d'appartenance à la francophonie. Alors comment se construit l'intégration de la diversité

linguistique et culturelle à l'école ? Comment l'enseignant, dans sa classe, peut-il

s'appuyer sur la diversité des expériences des enfants et de leurs parents pour construire

une identité francophone ? Dans certains cas, l’enseignant fait appel aux parents afin de

rappeler ou d’affirmer l’identité francophone des élèves « pour expliquer pourquoi ils sont

ici » :

A17 : Ouais pi c'est ça c'est un partage comme ça avec les parents on a la discussion on on a aussi cette discussion avec certains parents des

fois qui au début de l'année de POURQUOI leurs enfants sont ici à l'école

? et j'ai OSÉ leur poser cette question et leur demander d'écrire une lettre aux enfants pour expliquer pourquoi ils sont ici. Je ne le fais pas

à chaque année mais il ya des classes où bon ya des moments où l'on ressent à certain niveau à certain regroupement que que la FIERTÉ

francophone est peut être moins là donc À CE MOMENT LÀ je demande

aux parents de- d'écrire une lettre à leur enfant pour qu'il y ait une plus grande signification pourquoi ils sont ici pourquoi ils apprennent le

français à l'école.

Cet extrait du corpus révèle l'engagement francophone individuel de la participante qui

est reflété dans son agir d'enseignant, qui « ose » rappeler aux parents la raison d'être de

l'école francophone en milieu minoritaire, la « grande signification pourquoi ils sont ici

pourquoi ils apprennent le français à l'école ». Les contenus discursifs de la participante

laissent voir qu'elle est pleinement consciente de la complexité des rapports de force, de

l'impact de la réalité anglo-dominante sur son milieu de travail, et du rôle « politique »

particulier de l'école dans le maintien de la langue et de la culture francophones. Même si

la participante voit l'importance pour ses élèves d'être bi-plurilingues, elle n'hésite pas à

les sensibiliser à leur appartenance francophone. Le discours de la participante s'en tient

encore une fois à l'importance du réseau famille-école-communauté dans la reproduction

(et même dans certains cas la production) de la langue et de la culture minoritaires (Gérin-

Lajoie, 2006).

Bien que certains enseignants interviewés accordent beaucoup d’importance à la

transmission de la matière et semblent se référer davantage à la langue comme un moyen

de communication, la majorité des enseignants reconnaît leur rôle de transmission de la

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langue et de la culture qu’ils devraient, en principe, assumer, en vertu de l’énoncé de la

mission de l’école francophone en CB. De plus ce rôle que l’enseignant découvre sur le

terrain, à aucun moment il ne leur a été clairement annoncé, comme A1 le précise lorsqu’il

raconte le déroulement de son entretien d’embauche :

A1 : j’ai passé un test d’embauche à l’écrit à l’entrée mais j’ai pas vu

rien comme de préciser comme mandat ou mission culturelle qu’un enseignant devrait accomplir c’était une production écrite puis corriger

les fautes de français mais rien d’autre

La sensibilisation au fait minoritaire se traduit sur le plan des pratiques du

personnel enseignant. Les enseignants se voient investis du rôle de l’enseignement des

matières scolaires. Néanmoins, à travers leurs propos, il ne semble pas y avoir de

désaccord sur le fait que les enseignants jouent un rôle qui dépasse la salle de classe,

puisque les enseignants assument volontiers, chacun à sa manière, leur rôle dans la

transmission de la langue et de la culture :

A9 : tout le monde travaille pour que les élèves parlent français il yen a

qui le prennent plus à cœur que d’autres qui vont l’imposer plus fort dans leur classe que d’autres il yen a du genre vivre et laisser vivre oui

mais tout le monde veut travailler pour ça

A1 : puis au début j’étais toujours TRÈS sévère pour les obliger à parler

en français en français en français parce que j’étais comme c’est un conseil scolaire francophone là on doit tous parler en français c’est la

MISSION et tout ça et finalement je me rend compte que peut être ça

faisait juste partie D’EUX et que au début j’étais presque OBSÉDÉE mais voyons donc ils faut qu’ils parlent en français il faut qu’ils parlent en

français et puis dans la cour d’école quand je surveillais et tout ça il faut

il faut mais en parlant avec les autres enseignants ils me disent ici tu

dois laisser aller c’est normal c’est correct

Néanmoins la volonté seule ne semble pas suffire pour avoir raison sur une réalité

devenue de plus en plus complexe. L’administrateur A13 fait état du décalage

académique et du décalage culturel comme des obstacles importants à l’intégration des

jeunes dans la communauté francophone :

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A13 : les élèves qui arrivent des camps d’Afrique avec le service Téfié qui s’implique aussi au niveau de la famille au niveau de l’enfant de son

progrès et son acheminement et puis quand ils arrivent ils n’ont pas le même niveau d’éducation que leurs pairs qui ont le même âge et

souvent quand ils arrivent ils ne savent même pas parler français alors

qu’ils étaient dans un camp francophone ils ont 14 ans et ils sont dans la même classe qu’avec les autres alors c’est un choc culturel pour eux

. .. je me rappelle il yen avait . .. que certains n’avaient jamais vu un

ordinateur ou même la lumière et c’est ça qui est extraordinairement surprenant (rires) . .. on a de tout nous on n’est pas seulement

multiculturel on est nous aussi MULTI au niveau socialement WHAOH ! on a des élèves qui ont tout tout là haut et les autres . .. on a de tout

nous c’est ça qui fait NOTRE particularité je pense . .. un milieu très

riche culturellement parlant mais qui peut être aussi difficile pour nous . .. quand je regarde les résultats académiques c’est (soupires) dur

d’arriver à motiver toutes ces personnes-là à atteindre un niveau assez élevé parce qu’il yen a qui ne veulent pas l’éducation comme d’autres

qui voient l’éducation comme différentes stades pour les familles . ..

SURVIVRE ça c’est le mot d’ordre l’éducation c’est quelque chose en plus qu’ils font c’est obligatoire mais c’est la SURVIE c’est ça qui est

important

L’administrateur A13 brosse le portrait social de la réalité avec laquelle son école doit

composer quotidiennement et qui constitue « NOTRE particularité ». Derrière le «

multiculturel on est nous aussi MULTI au niveau social » où l’école serait un refuge où les

enfants sont en sécurité car pour certaines familles « c’est la SURVIE c’est ça qui est

important ».

Jacquet, Moore, Sabatier et Masinda (2008) ont souligné la « complexité des défis

auxquels sont confrontés l’ensemble des partenaires éducatifs » (p. 3) face notamment à

l’intégration scolaire et sociale des élèves issus de l’Afrique francophone sub-saharienne

en milieu francophone minoritaire. Dès lors, la présence des élèves africains

francophones dans les écoles du CSF interroge la capacité de ces mêmes écoles à

s’adapter à la diversité, et à interpelle les enseignants à tenir compte, dans leur agir

enseignant, des besoins de ces élèves dans une perspective d’inclusion et d’équité.

Ainsi, quelle compréhension ont les enseignants des enjeux identitaires liés à la

francophonie ? Comment se construit l’identité enseignante francophone en situation

minoritaire ?

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8.3. Le personnel éducateur : des acteurs et médiateurs culturels21

Gohier (2006) parle « d’identités éclatées, fragmentées » (p.150) pour faire

allusion aux identités multiples des jeunes inscrits dans les écoles francophones

minoritaires.

Cette fragmentation identitaire prend plusieurs formes selon les contextes et les individus : identités doubles, métissées, voire multiples, selon les différentes sphères d’appartenance culturelle des personnes (langue, famille, religion...)

L’identité ne peut par ailleurs se constituer en dehors de la culture puisque la

personne est un être de langage et qu’avec ses semblables elle contribue à créer la

société elle-même par ses œuvres autant que par son mode de vie (Ibid.).

(...) la culture au sens anthropologique aussi bien que patrimonial, faisant référence à l’héritage collective, intellectuel et spirituel légué par un groupe (...) est-elle le liant, ce qui relie aux autres personnes, qui font partie de la culture de chacun, selon son groupe d’appartenance ethno-culturel et, plus largement, de la culture de l’humanité (...) langages analytique et imagé sont les deux modes discursifs qui, utilisés conjointement, permettent à la personne de se sentir touchée, donc concernée et liée (Ibid., p. 154).

Ces nouvelles formes de rapport à l’identité, à la langue et à la culture ont un

impact social indéniable. Quel est le rôle de l’école face à cette francophonie « aux

multiples identités » ? Gohier soutient que l’enseignant « devient alors passeur, médiateur

culturel mais aussi lieur du sensé et du senti » (Ibid., p. 154). Le personnel enseignant lui-

même est composé de migrants ou d’immigrants, partageant ainsi la même expérience

d’adaptation à un nouveau milieu de beaucoup d’élèves. Un intervenant administrateur

(A13) voit dans la diversité des enseignants francophones un atout permettant aux élèves

de « s’y retrouver » eux-mêmes :

A13 : parmi nos enseignants on a des enseignants d’Europe on a des enseignants d’Afrique ils sont de partout de toute la francophonie de la

planète aussi donc de par nos enseignants on est déjà multiculturels

donc ce qui est bien pour nos élèves c’est que s’ils n’arrivent pas à s’adapter à un certain STYLE de francophonie ils peuvent toujours s’y

retrouver un autre

21 Terminologie empruntée à Gohier, C. (2006).

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Pour Sabatier (2011), c’est le tissage des expériences individuelles et sociales qui

rend possible celui des expériences professionnelles. En effet, c’est à partir de ces

expériences propres à chaque enseignant que se construisent et se développent les

fondements de son identité professionnelle. D’autant plus que l’identité professionne lle

dont il est question est celle des enseignants francophones en situation minoritaire, le

rapport à la langue et aux cultures francophones occupe une place primordiale dans la

négociation, la construction et le développement de l’identité francophone ainsi que dans

la constitution de leurs identités sociales. A1 et A2, des enseignantes pour qui l’expérience

francophone en CB a permis de « découvrir la francophonie canadienne » témoignent en

ces termes :

A2 : j’ai tellement grandi dans un milieu majoritaire c’est québécois on est au Saguenais c’est QUE des québécois et que au début ici on trouve

parmi les profs il y a des français des belges des iraniens c’qui fait qu’au début j’étais comme . .. heu ? OK ! mais c’est ça la francophonie j’ai

DÉCOUVERT en venant ici c’est quoi la francophonie parce que c’était

pas vraiment ça au Québec c’est juste une culture où tous on parlait français ici on a tous des accents différents tous une manière de parler

une manière de faire et on est toute dans la francophonie c’est pareil oui j’ai eu des surprise au début mais maintenant on dirait que ça fait

partie de l’école de la culture de l’école c’est enrichissant ça c’est sûr

A1 : l’image que MOI j’ai de la francophonie canadienne c’est vraiment québécoise c’est les fêtes les expressions québécoises c’est tout cela ‘fin

dans ma TÊTE c’est ÇA la culture francophone canadienne mais là en déménageant ici je vois que c’est différent c’est plusieurs communautés

qui font la francophonie canadienne c’est pas juste la poutine et puis la

cabane à sucre là c’est (rires) …

Le contact avec les élèves dans des écoles francophones, surprend d’abord, puis,

déclenche, chez les enseignants nouvellement arrivés dans la province, une prise de

conscience de la réalité de la francophonie d’ici. Les enseignants qui ont vécu dans un

milieu majoritaire « c’est québécois on est au Saguenais c’est QUE des Québécois » sont

immergés dans la francophonie mondiale, d’abord au niveau du personnel éducateur de

l’école « ici on a tous des accents différents tous une manière de parler une manière de

faire et on est toute dans la francophonie », puis au niveau des élèves eux-mêmes « qui

parlent anglais entre eux ». Les rires souvent exprimés au cours des conversations pour

parler de leur « au début », montrent un certain changement dans leur acheminement

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professionnel et personnel par rapport à la diversité, à l’hétérogénéité de l’école, « c’est

plusieurs communautés qui font la francophonie canadienne c’est pas juste la poutine et

puis la cabane à sucre là ».

A1 : dans ma tête l’école francophone c’est . .. c’est un peu stupide

maintenant de penser ça mais dans ma tête une école francophone c’est

comme au Québec ben c’est une école francophone selon la loi je n’sais quoi ils doivent avoir un parent qui parle français s’ils viennent ici donc

inéluctablement ils doivent bien parler FRANÇAIS (rires) je ne dirais pas que leur français est dilué c’est juste différent parce que dilué est négatif

mais c’est juste qu’ils n’ont pas grandi dans un milieu majoritaire et

alors c’est normal qu’ils ne sont pas pareils que dans une école normale

en France au Québec ou je ne sais où on parle français

A1 revoit ainsi sa réaction du début « une école francophone c’est comme au Québec (…)

s’ils viennent ici donc inéluctablement ils doivent bien parler FRANÇAIS », en découvrant

la réalité des écoles francophones minoritaires de la CB, c’est-à-dire le bi/plurilinguisme

des élèves et un milieu culturellement pluriel, avec un sourire « c’est un peu stupide

maintenant de penser ça ». Elle découvre également les enjeux de la communauté

minoritaire. A1 comprend mieux aujourd’hui le monde dans lequel elle enseigne, elle va

pouvoir donner un sens à sa pratique d’enseignement. Cependant, la problématique de

l’identité francophone de l’école, de la communauté reste entière :

A1 : à quelle communauté francophone appartient-on ? parce qu’on est comme . .. dans plusieurs en même temps on sait qu’il y a la langue qui

nous relie mais quelle est la culture de cette communauté ? c’est une culture francophone mais comment est ce qu’on l’enseigne ? comment

est ce qu’on l’entretient ? la diversité de l’école est tellement grande que

ça devient MULTI aussi . .. la diversité des prof permet aux élèves de se

voir de voir leur propre diversité

A6, un conseiller, fait partie de la « 12è génération de Français qui sont arrivés en

la Nouvelle-France », qui a grandi « unilingue » dans la région de Montréal mais dans un

quartier qui était de majorité anglophone. Il ne parlait que « québécois », venu en CB au

début des années 80 car « il n’y avait pas d’emplois au Québec » mais a rejoint le conseil

scolaire francophone seulement en 1998, et y travaille jusqu’à aujourd’hui. Son choix de

travailler dans un milieu francophone a été motivé par « la richesse et une saveur bien

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particulière au milieu de travail comparativement à l’immersion », pour lui, la culture

francophone de l’école :

A6 : la culture de l’école elle est RICHE elle est diversifiée c’est toutes

ces différences-là qui font qu’elle est riche c’est là que tu te rends

compte que c’est partout à travers le monde la francophonie et puis

dans une petite école comme ça on est des petits bouts de chaque pays

De toutes les conversations que nous avons eues avec les enseignants, il ressort

un sentiment de responsabilité et une volonté très forte de traduire dans la pratique ce

rôle de « médiateur culturel » défini comme, cependant faute de formation et par manque

de ressources, les enseignants se retrouvent souvent face à un flou quasi-total pour

mener à bien « cette mission non mentionnée » tel que l’enseignante A1 l’exprime ici :

A1 : je pense qu’on a aussi la mission pour la culture c’est quoi la culture

francophone et pis c’est pas juste une chose la culture francophone . .. c’est difficile à faire moi j’trouve c’est facile de respecter le curriculum

on doit faire ci on doit faire ça ça ça mais je crois qu’on a une mission

en plus qu’on doit transmettre cette culture là c’est quoi la francophonie et pis t’sais quand ils rentrent en maternelle les jeunes ils pensent que

c’est ça l’école et ils pensent que tous leurs amis parlent sont pareils

t’sais ils ont 5 ans et c’est ce qu’ils pensent mais nous il faut qu’on leur dise non nous c’est une école francophone et tous leurs amis vont à

l’école anglophone et pis oui . .. je n’sais pas comment je n’sais pas comment mais essayer tout de suite de conscientiser l’enfant de la

situation minoritaire qu’on est dans une situation spéciale oui et pis c’est

pas c’est du tout négatif mais c’est super enrichissant aussi mais c’est spécial ici on parle en français et il n’y a pas tout le monde les autres

écoles c’est en anglais et nous c’est en français ici et puis c’est important comme il faut qu’ils comprennent ça ! je pense qu’on ne le fait peut être

pas ASSEZ parce que pour nous c’est normal

A8 : mais moi je n’PENSE PAS qu’on soit bien outillé pour cela je n’pense PAS il n’y a pas de formation c’est à nous de trouver un peu mais des

fois MOI j’ai découvert cette mission non mentionnée nulle part c’est quand j’étais dans mon cours à SFU avec les autres qu’on discutait et

puis on se rend compte qu’il faut qu’en enseigne cette question-là cette

culture-là c’est là que j’ai fait AH ! c’est vrai ! et c’est TOTALEMENT vrai ils sont ici mais il y a ce sphère-là qui est super important et qu’on passe

à côté et pis c’est PAS parce qu’on veut PAS le faire et que juste on ne sait pas et pour nous il y les connaissances qu’on doit enseigner le

curriculum et je crois que pour beaucoup d’enseignants c’est juste

normal NORMAL ce qu’on enseigne et on ne met pas l’emphase sur cette

question

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160

Souvent les enseignants se sentent également livrés à eux-mêmes dans cette mission

difficile « si l’administration pouvait nous aider aussi ce serait plus facile » :

A8 : je pense que tout le monde est un acteur pour faire avancer cette

question mais c’est sûr que c’est de bas en haut mais si l’administration

pouvait nous aider aussi ce serait plus facile

A7 : dans le maintien de la culture francophone pour les élèves en

quelque sorte l’école a un rôle important parce que souvent c’est seulement ici qu’ils parlent français oui travailler le français c’est aussi

un autre mandat qu’on a en plus de tout ce qu’on a à leur transmettre c’est une double tâche un peu . .. moi je pense qu’on devrait ajouter la

culture francophone dans le CURRICULUM oui je pense que oui on n’est

pas dans une école anglophone de la Colombie-Britannique où tout le monde est dans leur majoritaire nous il faudrait ajouter un petit quelque

chose pour la culture et puis parce que là j’enseigne les sciences

humaines du curriculum de la Colombie-Britannique en français c’est exactement les mêmes affaires que dans les écoles anglophones c’est

juste une traduction et donc zéro mention qu’on est dans un milieu minoritaire . .. c’est un peu TRISTE parce que c’est un gros conseil

scolaire francophone de toute la Colombie-Britannique donc il devrait y

avoir un petit quelque chose c’est pas juste qu’on traduit et puis c’est la même chose on a un contexte différent. .. il FAUT que les ENSEIGNANTS

le sachent et il faut que les ÉLÈVES le sachent aussi

En étant conscients de l’importance de la langue et des cultures francophones

dans la survie et la raison d’être de l’école minoritaire et plus largement encore de la

communauté francophone en BC, les enseignants réalisent leur rôle de médiateur culturel,

et plus important encore leur position en tant qu’acteur des changements sociaux. En

mentionnant le « CURRICULUM », l’enseignante A7 établit le rapport à la langue avec les

enjeux de pouvoir qui sont attachés entre les groupes majoritaire anglophone et

minoritaire francophone, la situation est « TRISTE ». Elle affirme ainsi ses identités

sociales, professionnelles et linguistiques « là j’enseigne les sciences humaines du

curriculum de la Colombie-Britannique en français c’est exactement les mêmes affaires

que dans les écoles anglophones c’est juste une traduction et donc zéro mention qu’on

est dans un milieu minoritaire ». Elle demande à pouvoir mettre en acte concret (par les

ressources, curriculum, etc.) son choix de positionnement et d’appartenance. Cette

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161

volonté de s’affirmer peut être associée à l’idée d’émancipation (Sabatier, 2011) car elle

renvoie à la détermination de ne pas seulement participer mais de contribuer à opérer un

changement visible dans les relations de pouvoir « il FAUT que les ENSEIGNANTS le

sachent et il faut que les ÉLÈVES le sachent aussi ». Sabatier décrit cette notion

d’appropriation de son pouvoir, l’empowerment ou « montée en puissance » du potentiel

de l’agir enseignant, en ces termes:

la notion renvoie à la façon par laquelle l’individu accroît ses habiletés favorisant l’estime de soi, la confiance en soi, l’initiative et le contrôle pour parvenir à développer un sentiment de compétence personnelle et de motivation à l’action sociale, parties prenants d’un processus social de reconnaissance (2011, p. 12).

Les extraits, enfin, font apparaître les attentes sociales vis-à-vis de l’éducation en milieu

minoritaire de l’enseignant-acteur du changement. Les représentations de l’enseignement

francophone au Canada, enrichies par les trajectoires personnelles et l’expérience

minoritaire ont contribué ainsi à la transformation de l’identité professionnelle des

enseignants francophones en CB.

A1 : je pense que j’ai une identité différente maintenant que je suis ici

juste d’être dans une communauté francophone de la Colombie-

Britannique je réalise que je ne suis PAS JUSTE QUÉBÉCOISE oui je le suis mais mon identité change j’crois que ton identité change toute ta

vie non ? elle ne va pas rester stable non ? j’étais québécoise québécoise pendant longtemps quand je suis ici je suis francophone CANADIENNE

je dirais j’n’sais pas on a quand même plusieurs identités pis en même

temps je parle beaucoup plus anglais maintenant que je suis ici mon copain il ne parle juste qu’en anglais. .. mon identité ben oh je veux pas

dire que je suis une anglophone mais je ne suis pas juste une québécoise

de là d’où je suis je fais plus de choses anglophones d’être avec la famille de mon copain eux qui est juste anglophone qui font des choses comme

thanksgivings ma culture change aussi donc je suis francophone

canadienne d’origine québécoise c’est quand même mes racines

D’une intervention à l’autre se donnent, en conséquence, à voir la francophonie

canadienne dans les écoles francophones en CB, les rapports de pouvoirs propres au

milieu minoritaire, une francophonie plurielle linguistiquement et culturellement, aussi bien

chez les élèves que chez les enseignants. De ses interactions à l’intérieur mais également

à l’extérieur de l’école, des prises de contacts avec le nouvel environnement (francophone

minoritaire et hétérogène), l’enseignant est ainsi amené à dé/re/construire ses

représentations identitaires afin de trans/former de nouvelles identités francophones :

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« j’étais québécoise québécoise pendant longtemps quand je suis ici je suis francophone

CANADIENNE je dirais j’n’sais pas on a quand même plusieurs identités pis en même

temps je parle beaucoup plus anglais », comme l’a déclaré l’enseignante A1.

Ce chapitre sur l’évolution de l’identité professionnelle des enseignants se conclut

sur deux constats : 1) le personnel enseignant possède souvent une connaissance assez

limitée de la réalité des minorités francophones ainsi que du rôle de l’école dans le

maintien et le développement de la langue et de la culture minoritaires ; et 2) le personnel

enseignant possède aussi parfois une connaissance limitée de l’histoire traditionnelle et

contemporaine des minorités francophones. Dans ces conditions, peut-être faudrait-il

s’assurer que le Ministère de l’éducation de la province de la CB puisse inclure dans son

curriculum l’histoire des minorités francophones, et que le conseil scolaire francophone

puisse mettre à la disposition du personnel enseignant qui travaille dans ses écoles des

ressources et des formations appropriées pour enseigner les éléments d’histoire nationale

et locale susceptibles d’encourager les élèves à prendre conscience de la réalité des

minorités francophones au Canada et à développer leur sens d’appartenance à la

communauté.

Partant de cette perspective de leadership éducationnel, nos constatations nous

amènent ensuite au domaine de la formation des enseignants. Trop souvent axée

essentiellement sur une formation disciplinaire académique, sur la didactique et la

pédagogie, la formation des enseignants se heurte à une complexification de plus en plus

forte du tissu social des communautés francophones minoritaires. Chercher à répondre

par plus de didactique, plus de pédagogie présente le risque d’engager la formation dans

un processus d’accumulation qui ne permettra pas de répondre aux exigences du

polymorphisme culturel actuel des écoles francophones en CB. On oublie souvent que

l’enseignant est aussi un acteur social et qu’il est, ou devrait être, engagé dans un temps

et un lieu qu’il comprend et maîtrise, au moins intellectuellement. En effet, formé à n’être

qu’un technicien du savoir et de la pédagogie, l’enseignant reste dans l’incapacité

d’assumer véritablement sa fonction si son travail s’ancre dans un monde qu’il ne

comprend plus.

Dans le cadre de notre étude et à travers les discours des enseignants,

éducateurs, aides pédagogiques et administrateurs, nous comprenons qu’il s’agit de

prendre en compte non seulement l’élève, le curriculum, l’enseignant, mais aussi l’individu

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engagé dans un acte social d’enseignement et d’éducation. L’émergence puis la

reconnaissance de la pluralité culturelle et linguistique fait rebondir la trans/formation des

enseignants sur la question de la prise en compte de leurs identités personnelles et

sociales, au-delà de leur identité strictement professionnelle ; cela est particulièrement

pertinent dans le cas des enseignants francophones en milieu minoritaire.

Voici que la réflexion sur les identités multiples des élèves bi/plurilingues, le rôle

de passeur, médiateur culturel des enseignants en milieu francophone minoritaire, la

construction d’une identité francophone collective nous amène sur le terrain de l’école. La

question à laquelle il nous faut maintenant répondre est désormais la suivante : l’école

francophone en CB se constitue-t-elle en un espace de droit ? ou en une communauté

linguistique et culturelle ?

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Chapter 9. L’école, un espace de droit ? Une fierté culturelle ?

Le chapitre précédent révèle que les changements démographiques majeurs (un

plus grand nombre de familles exogames et l’accroissement d’élèves issus de

l’immigration) ont eu un impact sur la définition même de ce qu’être francophone en CB

signifie. Comme le français est peu parlé à la maison, la famille n’est plus un/le lieu de

socialisation en français et les enfants apprennent moins cette langue à la maison. À cette

réalité s’ajoute celle de l’augmentation du nombre des élèves allophones, c’est-à-dire

ceux qui n’ont ni le français ni l’anglais comme langue première, dans les écoles

francophones. Comme elle fait partie intégrante de cette réalité, l’école francophone ne

peut plus être considérée comme une école homogène sur les plans linguistique, culturel

et identitaire.

Parce que l’éducation en français est un droit et que le français est lié

intrinsèquement à l’identité canadienne, nous nous interrogeons donc dans ce chapitre

dans quelle mesure l’école francophone en CB constitue-t-elle un espace francophone de

droit, d’ayants droit, tel que défini par l’article 23 de la Charte, ou une communauté de

fierté culturelle telle qu’inscrite dans l’histoire collective de la francophonie canadienne ?

À travers les discours, principalement des administrateurs des écoles, nous tenterons de

saisir le rôle de l’école de la minorité francophone face aux identités plurielles qui

caractérisent les élèves d’aujourd’hui. Parce que l’école est investie d’une mission

collective en ce qui a trait à la langue et à la culture d’expression française, l’école a dès

lors la responsabilité non seulement d’assurer l’épanouissement des individus à travers

son action éducative, mais aussi de socialiser toute une génération bénéficiaire du projet

collectif de la communauté minoritaire fondé sur la dualité linguistique. Comment l’école

parviendra-t-elle à composer avec des besoins des individus et collectifs qui ne sont pas

toujours compatibles à première vue ? Quel espace francophone collectif l’école offre-t-

elle aux élèves qui articulent constamment une identité complexe et plurielle ?

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9.1. L’école francophone : un espace de droit

Historiquement, l’éducation a joué un rôle politique important dans la vie des

francophones. Les attentes ont toujours été grandes face à cette institution. C’est souvent

par son intermédiaire que les communautés ont revendiqué et obtenu des droits

fondamentaux, telle l’instruction garantie dans la langue de la minorité officielle dans les

provinces et territoires, et le droit à la gestion scolaire. Aujourd’hui encore, les attentes

sont tout aussi grandes. On s’attend à ce que l’école contribue à la survie de la langue et

de la culture francophones. L’école francophone a longtemps été « un cheval de bataille

privilégié » (Pilote et Magnan, 2008, p. 275) par les francophones hors Québec qui y

voient les conditions de leur avenir. En effet, l’école francophone demeure « le moyen le

plus puissant pour assurer la reproduction de l’identité culturelle » (Ibid. p. 275) des

jeunes ; elle contribue également au développement socioculturel de la collectivité.

Cependant, étant donné le caractère de plus en plus hétérogène de la population

des écoles francophones, ce rôle devient encore plus complexe. Dans un contexte de

mondialisation où des flux migratoires se font ressentir de plus en plus dans la province

touchant également l’espace francophone de la CB, l’école est dès lors appelée non

seulement à gérer cette diversité mais également à s’ouvrir aux multiples cultures du

monde. La diversification de la population dans les écoles francophones en CB provoque

en conséquence des questionnements, au sein du milieu éducatif tant sur la question de

l’identité linguistique que sur le lien familles-écoles.

À la rentrée 2018, les écoles francophones font face aux mêmes défis, récurrents

d’une année à l’autre : besoins de personnel et manque d’infrastructures. « Ce sera un

automne assez mouvementé et palpitant pour la communauté francophone en Colombie-

Britannique »22 a déclaré Josée Asselin, directrice générale de la Fédération des parents

francophones de Colombie-Britannique. En effet, le manque d’enseignants sévit encore.

À une semaine de la rentrée des classes, une cinquantaine de postes restent à pourvoir.

Pourtant le CSF n’a cessé de poursuivre ses actions pour recruter enseignants,

secrétaires et personnels de soutien à l’extérieur de la province et même en Europe. Des

partenariats ont été conclus avec des universités et le conseil travaille avec Immigration,

22 La Source. 2018. Vol. 19 (4), p. 1. Voir le site officiel du journal bilingue et forum de la diversité de la CB : http://thelasource.com/fr/

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Réfugiés et Citoyenneté Canada pour aider les candidats dans leurs démarches. « Avec

une augmentation annuelle de 2% du nombre d’inscrits, le CSF est victime de son succès

et a besoin de plus d’employés », a écrit La Source (Ibid.) en septembre 2018.

L’enseignement francophone en CB traverse ainsi une « crise » car il y a plus de

demande que d’offre, plus de classes que d’enseignants disponibles et désireux

d’enseigner le français ou en français. Mais à quoi est dûe cette situation ? Plusieurs

facteurs rentrent évidemment en jeu : « le coût de la vie, les professeurs à déserter

certains quartiers ou villes devenus inabordables. Ce phénomène touche bien sûr toutes

les professions mais, le vivier d’enseignants bilingues qualifiés étant déjà limité, cela a

des conséquences immédiates sur le nombre de postes vacants » (ibid., p. 6).

Ainsi, nous pouvons constater une croissance importante de l’école francophone

de la province qui dessert désormais une clientèle francophone comprenant maintenant

des élèves franco-dominants, anglo-dominants et plurilingues. Ces derniers, qui

proviennent de cultures différentes, parlent des langues différentes et ont parfois vécu des

expériences scolaires et sociales des plus difficiles dans leur pays d’origine (Farmer, 2008

; Gérin-Lajoie & Jacquet, 2008 ; Jacquet, Moore, Sabatier & Masinda ; 2008 ; Pilote, 2006).

Cette nouvelle donne démographique apporte un nouveau souffle et un enrichissement à

l’espace francophone de la CB tout en soulevant de nouveaux défis en ce qui a trait à

l’accueil et à l’intégration d’élèves provenant de divers horizons et ayant un bagage

linguistique et culturel très diversifié. De tels constats ne sont pas sans imposer aux écoles

francophones de la CB certaines exigences.

De plus, la taille réduite en nombre et en proportion de la population francophone,

ajoutée à sa grande mobilité et à sa pluralité d’origines, conditionnent le sentiment

d’appartenance de cette communauté francophone dans la province. Immergée dans un

milieu anglophone, pluraliste et mondialisé, l’école de la minorité francophone en CB fait

maintenant face à une crise identitaire, voire à un double défi : bénéficier de l’apport de

nouveaux groupes (immigrants, Québécois, anglophones, bilingues …) tout en ne perdant

pas de vue son premier objectif : maintenir et promouvoir la langue et la culture françaises

(Berger & Heller, 2001). A12, a pu constater un grand changement dans la composition

de la communauté, d’abord majoritairement Québécois puis se glissant aujourd‘hui de

plus en plus vers une francophonie mondiale :

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A12 : une francophonie très diverse et très diversifiée chez les élèves c’est ça que je trouve superbe ! en fait ça a beaucoup évolué aussi

depuis mon arrivée au CSF la francophonie s’est VRAIMENT élargie aux francophones et aux francophiles aussi ceux qui se retrouvent entre les

2 là dans alors au tout début du CSF quand je suis arrivé c’était quelque

chose comme du 70% du québécois à peu près et je me souviens à Kitsilano on disait que 85% de nos familles étaient exogames un parent

du Québec un parent d’ici plein de monde qui étaient venus vivre dans

l’Ouest de planter des arbres . .. de voyager . .. ils se trouvaient un conjoint fondait une famille et ils voulaient quand même conserver le

français c’était à peu près ça maintenant c’est plus ça là quand on regarde c’est vraiment la francophonie au sens LARGE t’sais avec

l’Europe avec l’Asie avec le Québec oui mais aussi des communautés

comme des îles Maurice regarde ! c’est très LARGE et c’est SUPERBE et le défi c’est de trouver des points qui arriment tous ces gens-là pour

VRAIMENT faire grandir la communauté parce que c’est vraiment la

francophonie MONDIALE j’adore ça en fait c’est très bien

Cet extrait met l’emphase sur la population francophone de la CB qui a

« VRAIMENT » profondément changé dans sa composition, qui est devenue « LARGE »

pour exprimer l’aspect « MONDIALE» comprenant d’une part les migrations de l’intérieur

du Canada, et d’autre part l’immigration en provenance d’autres continents tels que

l’Europe et l’Asie.

La communauté francophone de la Colombie Britannique étant majoritairement

composée de migrants et d'immigrants, le tiers de sa population est d'origine étrangère ;

le recensement de 2016 (Statistique Canada) montre que 41 020 personnes sur une

population totale de 4 841078 de la province déclarent le français leur langue maternelle.

De ce fait, en CB ce que l'on nomme la communauté francophone est diverse de par son

profil démographique et linguistique ; ce qui en conséquence place l'école francophone

au cœur des enjeux identitaires. L’école francophone devient alors un élément essentiel

de la vitalité ethnolinguistique des minorités francophones au Canada (Heller, 2003 ;

2006 ; 2011 ; Allard et Landry, 1999 ; Landry, 2008 ; Gérin-Lajoie, 1996, 2001, 2004,

2008, 2010 ; Pilote et Magnan, 2008), car c’est parfois la seule institution qui assure la

survie des minorités francophones. La communauté éducative de CB est en conséquence

en passe de redéfinir son identité francophone collective lorsqu'elle est confrontée, à la

diversité et aux évolutions culturelles et linguistiques qui en résultent. La politique

culturelle et communautaire du conseil scolaire francophone (CSF) exprime, à travers le

poète Edouard Glissant, le défi qu’elle doit relever :

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Dans le panorama actuel du monde, une grande question est celle-ci, comment être soi sans se fermer à l’autre et comment s’ouvrir à l’autre sans se perdre soi-même ? (Voir Politique P-101 Mission, vision et langue du CSF. Version révisée 2017. p. 5).

L’école francophone est comprise comme un espace social appartenant à la

communauté linguistique imaginée des Francophones de la région de Vancouver. À

l’intérieur de cet espace, les acteurs (personnel scolaire, parents, élèves, etc.) y partagent

des représentations et des discours à propos de l’identité francophone et des

caractéristiques propres à cette communauté. Ces discours et représentations contribuent

à l’établissement de frontières symboliques entre la communauté imaginée francophone

et les communautés imaginées non francophones. Ces discours s’incarnent ensuite par

des pratiques linguistiques et sociales qui agissent sur l’inclusion et l’exclusion des

membres de la communauté scolaire.

En ce qui a trait aux compétences langagières, nous devons nous rappeler que

les élèves qui sont admissibles à l’école francophone minoritaire selon l’article 23 peuvent

posséder des niveaux de connaissance du français diversifiés. En effet, les compétences

en français de l’élève ne constituent pas un critère d’admissibilité en soi. Il n’en reste pas

moins que des variations parfois importantes au plan des compétences langagières

contribuent à une population scolaire hétérogène ayant des besoins différenciés

d’apprentissage et de perfectionnement des langues, ce qui constitue un autre défi de

taille pour le personnel des écoles, en particulier pour les enseignants.

Les compétences langagières au sein de l’école sont donc variées. Ainsi, les

ayants droits peuvent être soit des élèves qui maîtrisent bien leur français lors de leur

arrivée à l’école, soit des élèves dont les compétences en français sont limitées, voire

inexistantes. Par ailleurs, les élèves qui ne sont pas des ayants droits et qui ont été admis

après une évaluation par un comité peuvent être soit des anglophones canadiens dont la

langue maternelle des parents n’est pas le français, soit des élèves dont les parents ont

immigré au Canada. Pour les enfants d’immigrants, le français peut être leur première,

leur deuxième ou leur troisième langue.

Par conséquent, dans un contexte majoritairement anglophone et mondialisé où il

n’existe presque aucun ancrage historique ou culturel de la francophonie canadienne, la

communauté francophone récente de la CB puise sa vitalité dans la diversité et

l’immigration. L’identité francophone en CB est dès lors variée et évolutive ; elle n’est plus

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forcément composée des identités de francophones québécois mais des individus qui ne

cessent de se réinventer et de se reconstruire des identités de francophones pluriels

(Jacquet, Moore & Sabatier, 2008, 2011 ; Sabatier, 2015 ; Fourot, 2016). Tel que Pilote

et Magnan l’ont écrit, aujourd’hui on qualifie la francophonie canadienne plutôt de

« francophonie multiples, de virage identitaire » (2008, p. 274). En effet, la francophonie

minoritaire de la province ne constitue pas un fait social global, cohérent, homogène et

uniforme ; mais il est question de francophonie plurielle, mondiale. A14, un administrateur

d’une école secondaire homogène, c’est-à-dire une école allant de la 7e à la 12e sans les

niveaux élémentaires, à Vancouver voit dans la « population » du conseil scolaire

d’aujourd’hui une grande diversité. Il fait le constat que le temps « d’une communauté très

homogène » composée principalement « des canadiens français de souche de l’est du

Canada » est révolu :

A14 : j’ai vu la naissance du CSF . .. oh la population du CSF a

EXTRÊMEMENT changé . .. euh le fait immigration a beaucoup

BEAUCOUP amélioré je crois . .. la DIVERSITÉ moi je l’adore J’ADORE le multiculturalisme j’adore les couleurs j’adore vous voyez on a ce soir un

spectacle grandiose où les jeunes qui apportent leur mentalité leur culture dans leur musique c’est tellement beau et on mélange ça

ensemble ça fait un BEAU DESSERT une belle salade de fruit intéressant

. .. ça a ÉNORMÉMENT changé au départ on avait à Chilliwack ces C-a-n-a-d-i-e-n-s français de souche de l’est du Canada parce que la moitié

de la population était militaire et souvent à Prince George aussi c’était très homogène comme communauté mais lorsque je suis arrivé aux

(nom de l’école) il y avait 26 langues parlées et autres que le français

et l’anglais et LÀ j’ai VRAIMENT eu du plaisir j’adore apprendre des jeunes des familles et ici c’est un peu similaire aussi et c’est c’qui est

intéressant

D’origine québécoise, cet administrateur se rappelle la démographie « au départ » de la

communauté francophone, à son arrivée dans la province, « (…) on avait à Chilliwack des

C-a-n-a-d-i-e-n-s français de souche de l’est du Canada parce que la moitié de la

population était militaire », d’un ton un peu moqueur pour qualifier les francophones

québécois « très homogène ». Il est ravi de voir la communauté se diversifier avec

l’Immigration « le fait immigration a beaucoup BEAUCOUP amélioré », apportant ainsi à

la communauté francophone de la CB beaucoup de richesse culturelle et linguistique.

A14 a cité l’exemple de sa fille qui vient de terminer ses études secondaires dans

une école francophone de la CB. Elle a grandi et s’est imprégnée de cette pluralité

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culturelle francophone, adopte aujourd’hui naturellement une identité linguistiquement

francophone et bilingue aux cultures multiples :

A14 : au début on parlait presque toujours de francophonie hors Québec

. .. il ya 30 ans mais aujourd’hui c’est tellement beau parce que c’est la

francophonie mondiale . .. en t’cas MOI j’ai beaucoup de réjouissance j’aime voir dans la classe de ma petite fille qui a gradué l’année passée

là PERSONNE presque venait du Québec . .. et ce qui est encore plus beau c’est que la couleur de la peau ou de la culture les enfants ne la

voyaient pas c’est ce que j’ai trouvé de plus beau là dans . .. mettons

qu’on faisait une parté dans la famille et juste en les écoutant parler avec la pizzeria ok toi tu ne manges pas de porc toi tà tà tà . .. et ça va

respecter tous les religions les coutumes les traditions les . .. et là on

commandait en 30 secondes la pizza selon les cultures les traditions de ses amis sans poser de questions ou quoi que ce soit c’était vraiment

beau et c’est une analogie de pizza mais c’est quand même ça c’est incroyable … et ils vont rester amis encore en bout de temps et ce qui

les relie c’est pas leur culture c’est leur LANGUE c’est le FRANÇAIS . ..

en anglais on dit that’s what glues us together c’est la colle qui se tient ensemble C’EST LA LANGUE c’est vraiment le fun c’est ce que j’essaie

d’instaurer à l’école parce que l’anglais c’est très très très très très présent c’est l’une des écoles où c’est le plus marqué de toutes les écoles

où j’ai travaillé

A14 réaffirme dans cet extrait la primauté de la langue « ce qui les relie c’est pas leur

culture c’est leur LANGUE c’est le FRANÇAIS », c’est la langue aussi qui permet un

développement authentique du multiculturalisme chez les élèves dans les écoles

francophones qui s’approprient de leur diversité. Dès lors, le paysage culturel pluraliste

des écoles francophones en CB a réussi à favoriser des expériences interculturelles

inclusives empreintes d’une compréhension et d’une connaissance réciproque du moi et

d’autrui (Piquemal & Labrèche, 2018).

Étudiant le milieu associatif francophone de la CB, Traisnel, Violette et Gallant

(2013) concluent que le thème de la diversité culturelle a été abordé plus spontanément

en CB que dans les autres francophonies canadiennes. Cela semble largement tributaire

de la densité de l’immigration dans la province, mais également de l’origine régionale des

francophones de la communauté d’accueil.

En Colombie-Britannique, la diversité est inhérente à la communauté, composée de migrants. Le rapport à une identité communautaire de référence y est très ténu et il semble que, à l’instar du contexte de cette province qui se définit beaucoup à travers le multiculturalisme qui la caractérise, la communauté francophone considère le multiculturalisme, ou le « cosmopolitisme », comme une des caractéristiques principales de la communauté. Il semble d’ailleurs s’y opérer une dissociation entre langue

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et culture, le français n’étant plus construit comme le véhicule d’une culture unique. La communauté francophone ressemble alors à une « Babel » moderne (Ibid. p. 23).

La diversité culturelle et linguistique marquée dans les écoles francophones reflète

bien celle de la communauté francophone de la CB qui dès lors est amené à se définir

« à travers le multiculturalisme qui la caractérise ». A13, administrateur d’une école dans

le Grand Vancouver décrit comment il voit l’identité francophone de son école où « il n’y

a pas UNE identité francophone forte chacun amène sa petite identité » :

A13 : l’identité francophone de l’école elle n’est PAS si forte que ça en fait parce que quand on regarde le pourcentage des élèves qui parlent

français à la maison on parle de 20% là de nos élèves à peu près heum

qui parlent français à la maison beaucoup de parents francophones ont peur de parler français à leurs enfants parce qu’on est dans une province

anglaise et que les enfants ne vont pas comprendre l’anglais (rires) mais

oui donc l’identité francophone elle est . .. et puis comme on vient un peu de PARTOUT il n’ya pas UNE identité francophone forte chacun

amène sa petite identité mais finalement quand on met tout ça ensemble étant donné qu’on est tous et bien qu’on soit francophone on

a tous une culture différente que des gens qui viennent d’Afrique là des

camp de réfugiés ceux qui viennent de France ceux qui viennent d’Asie ils amènent TOUS une francophonie différente là et pour la plupart le

français n’est pas leur 1ere langue pour certains c’est même pas leur 2e langue mais le français c’est leur 3e ou 4e langue là là ils parlent 4 ou 5

langues déjà et le français est une des langues ils sont ici avec nous

parce que c’est un DROIT pour eux d’être ici mais c’est là où ça s’arrête

Le sentiment d’appartenance à « UNE » identité francophone collective est plutôt

« ténu » s’explique, selon A13, par la pluralité culturelle « on a tous une culture différente

(…) ils amènent TOUS une francophonie différente », et le plurilinguisme des élèves « le

français c’est leur 3e ou 4e langue ».

A13 explique que son établissement est la seule école francophone d’une grande

région, les familles sont loin pour venir à l’école. Les élèves ont parfois jusqu’à trois heures

de bus pour aller à l’école et retourner à la maison tous les jours. Pour A13, ce qui

rassemble les élèves à l’école francophone « ils sont ici avec nous parce que c’est un

DROIT pour eux d’être ici mais c’est là où ça s’arrête », ce n’est ni la fierté de la culture

(d’ailleurs laquelle !), ni l’amour pour la langue française. Le « DROIT » dont

l’administrateur fait allusion ici, ce sont les avantages que l’école francophone en CB offre

à ses élèves, parmi lesquelles on peut énumérer : la mise à la disposition de chaque élève

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172

un Ipad (M à 6e), un MacBook Air (7e à 12e), le service de bus scolaire gratuit, des voyages

nationaux et internationaux, des camps, des sorties … subventionnés quasiment

entièrement, un programme du Baccalauréat International (IB) au niveau secondaire

gratuit …

A13 : l’attrait de l’école francophone dans ce milieu majoritairement

anglophone ? malheureusement ce qui nous blesse le plus tellement c’est que les parents qui sont francophones ils sont dans notre école

parce c’est un DROIT c’est pas parce qu’ils veulent que leurs enfants

soient là mais c’est parce que c’est le DROIT qu’ils ont et donc avec ce droit vient un transport gratuit et avec ce droit viennent beaucoup de

privilèges parce qu’on est quand même une minorité

Ce même droit de l’article 23 de la Charte donne aux familles francophones « un

ATOUT MAJEUR » pour inscrire leurs enfants à l’école et pour bénéficier des « privilèges

incroyables », c’est le même droit qui lie l’école à son obligation de garder certains élèves

à l’école « même si c’est des gros cas de discipline où on aimerait se DÉBARASSER mais

on ne peut même pas parce que c’est un système de DROIT qu’ils ont et on leur a dit ce

DROIT là leur permet de rester ici » :

A13 : quand je fais des réunions avec les parents du secondaire il ya

très très peu de parents au secondaire que je vois très très peu les

parents des enfants que j’aimerais voir je n’les vois jamais . .. les parents ne sont pas impliqués dans l’éducation de leurs enfants ils

pensent que l’éducation c’est l’école qui font l’éducation et puis ça

n’marche pas comme ça . .. et ils pensent que c’est un DROIT et c’est un ATOUT MAJEUR pour les parents il va mettre son enfant à 6 heures

et demie dans le bus et puis là il va pouvoir partir au travail là et ne pas avoir à payer un système de garde avant l’école ou après l’école parce

que le bus va mettre 1 heure et demie pour rentrer chez lui et à 5 heures

lui il va rentrer du travail et alors parce que c’est un DROIT on ne peut pas les refuser à l’école même si c’est des gros cas de discipline où on

aimerait se DÉBARASSER mais on ne peut même pas parce que c’est un système de DROIT qu’ils ont et on leur a dit ce DROIT là leur permet de

rester ici . .. on n’a pas les mêmes capacités que les grosses écoles qui

ont 4000 élèves et qui ont toute sorte de programmes et toute sorte d’options pour les élèves qui ne sont pas ACADÉMIQUES alors c’est pour

ça on est en train de voir si on ne peut pas leur offrir un programme de MÉTIER pour les élèves qui ne sont pas académiques parce que là ils

sont là quand même dans les salles de classe mais il n’y a rien qui se

passe là parce que les parents ne soutiennent pas du tout l’éducation de leur enfant alors l’enfant lui ne fait rien ici c’est malheureux à dire

mais l’enfant perd son temps et les parents eux ils attendent qu’il gradue

mais il va graduer de toute façon parce que là il n’y a plus d’examens

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173

on va lui donner un SG standard graduate et puis là il va partir et puis

après il se débrouillera

L’insistance de A13 sur ce « DROIT » suggère que celui-ci restreint l’école

francophone à user de son plein droit en tant qu’institution scolaire dans la gestion de

certains cas particuliers, soit de discipline soit d’orientation professionnelle « on n’a pas

les mêmes capacités que les grosses écoles qui ont 4000 élèves et qui ont toute sorte de

programmes et toute sorte d’options pour les élèves qui ne sont pas ACADÉMIQUES ».

C’est une obligation que l’école a envers tous les « ayants droits » qui ne manifestent pas

toujours des liens d’appartenance, ou ne contribuent pas leur part d’engagement à l’école

ou à la collectivité francophone comme le souhaiteraient les administrateurs. Ainsi, nous

notons dans ces interventions d’une part, l’importance de la langue, seul lien qui

rassemble toute la communauté éducative, et d’autre part, c’est la même langue qui

émane le « DROIT », donne la raison d’être de l’école francophone minoritaire la

transformant en un espace de droit.

A13 : on a la chance on a l’APÉ (Association des parents d’élèves) qui

est l’association des parents mais même à l’APÉ maintenant il y a 6 parents on a 650 élèves et il ya 6 parents qui viennent s’impliquer à

l’école c’est une blague c’est pour vous montrer à quel point les parents

ils sont (pff) ils s’en fichent ou ils nous disent moi je n’peux rien faire je n’peux pas aider . .. ok qu’est ce que vous voulez qu’on fasse de votre

enfant là ? (rires) c’est incroyable ce qui se passe mais voilà c’est un DROIT c’est un DROIT qu’ils ont alors ça ils connaissent leur DROIT ça

c’est sûr !

ils ont des privilèges incroyables pour 500 dollars ils ont un billet pour partir en France ou au Guatemala pour deux semaines en 12è année en

6è années ils font des camps ils ont tout le temps des événements

organisés soit au niveau du CSF soit au niveau de l’école ou avec l’association francophone et l’APÉ . .. mais les jeunes s’engagent et se

désengagent du coup on se retrouve sur le terrain et on n’est que 5 et on ne peut jouer le jeu et où sont les autres ? ben les autres ne viennent

pas . .. et ils ne préviennent pas ! ils savent tous que tout leur est DÛ

ils ont tellement de choix que qu’on prend et puis on ne veut plus (pff)

on laisse tomber !

Dès lors, dans ce contexte de pluralité, l’école est comprise ici en tant que lieu

d’interaction où convergent les trajectoires multiples d’enfants et de jeunes, de familles de

même que d’enseignants, issus de milieux très diversifiés culturellement, socialement et

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géographiquement. En raison des changements et des défis démographiques auxquels

elle est désormais confrontée, la mission éducative de l’école s’est vue du même coup

transformée. Cette double mission qui comprend la réussite éducative et la construction

identitaire (ou la socialisation culturelle au sens plus large) est promulguée par le conseil

scolaire francophone.

Par ailleurs, depuis l’an 2000, l’immigration et la diversité sont des priorités

nationales pour les communautés francophones et acadiennes. La FCFA, qui assume un

rôle de premier plan au niveau national dans le dossier d’immigration, a traité de la

question d’identité et de la diversité avec une certaine priorité :

Les individus qui composent les communautés francophones et acadienne sont de mentalités et d’origines toujours plus diversifiées. Migrants à l’intérieur du Canada, immigrants, jeunes ou même francophiles, leur identité individuelle ne se limite pas à leur appartenance à une communauté francophone, mais s’attache aussi à une diversité de réalités générationnelles, linguistiques, ethnoculturelles, professionnelles, socioéconomiques, etc. (FCFA, 2007, p.3).

Si les chiffres officiels de la langue maternelle soulèvent des questions

importantes, la situation de la répartition sur le territoire est nettement plus claire.

Contrairement aux provinces des Plaines où certaines villes ont encore une concentration

notable de francophones, les locuteurs de langue française de la côte Ouest sont

dispersés sur une bonne partie du territoire. La majorité est située dans la grande région

de Vancouver (Vancouver, Surrey, Burnaby, North Vancouver, West Vancouver et

Coquitlam) et de Victoria.

D’après le recensement de 2016 de Statistique Canada23, le Commissariat des langues

officielles a annoncé :

23 Ibid.

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175

6. Tableau : Les langues officielles parlées en Colombie-Britannique

Données détaillées (Nombre)

Données détaillées (Pourcentage)

Total 4 598 415 100%

Population selon la connaissance des langues officielles - français seulement

1810 0,0%

Population selon la connaissance des langues officielles - français et de l’anglais

314 925 6,8%

Population selon la connaissance des langues officielles - l’anglais seulement

4 127 770 89,8%

Population selon la première langue officielle parlée - français seulement

55 325 1,2%

Population selon la première langue officielle parlée - français et anglais

18 000 0,4%

Population selon la première langue officielle parlée – anglais seulement

4 373 330 95,1%

Population selon la langue maternelle (réponse unique, langues officielles) – français

57 425 1,2%

Population selon la langue maternelle (réponse unique, langues officielles) – anglais

3 170 110 68,9%

Population selon la langue maternelle (réponses multiples) - français et anglais

10 065 0,2%

Population selon la langue maternelle français et langues non officielles (réponses multiples)

2 100 0,0%

Population selon la langue parlée le plus souvent à la maison (réponses uniques) - français

16 795 0,4%

Population selon la langue parlée le plus souvent à la maison (réponses uniques) - anglais

3 631 700 79%

Population selon la langue parlée le plus souvent à la maison (réponses multiples) - français et anglais

6 155 0,1%

Population selon la langue parlée régulièrement à la maison (réponses uniques, langues officielles) - anglais

274 535 6,0%

Population selon la langue parlée régulièrement à la maison (réponses uniques, langues officielles) - français

41 020 0,9%

Population selon la langue parlée régulièrement à la maison (réponses multiples, langues officielles) – français et anglais

1 195 0,0%

Les statistiques présentées indiquent notamment la répartition de la population qui

affirme connaître les langues officielles au Canada. On peut voir que 1810 personnes

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176

(0%) des locuteurs en CB affirment ne connaître que le français, alors que 6,8% des

locuteurs disent connaître les deux langues officielles. Le nombre de locuteurs qui

connaissent les deux langues officielles dépasse largement le taux de locuteurs

francophones de langue maternelle de 5,6%. La différence doit naturellement être

attribuée aux locuteurs du français langue seconde qui, selon ces statistiques, sont en

grand nombre en CB. L’explication voulant qu’une bonne partie des nouveaux locuteurs

du français soit anglophone semble confirmée, le taux de bilinguisme dans les langues

officielles pour les anglophones, francophones et allophones. Nous pouvons remarquer

que 57 425 des 300 000 francophones sur le territoire de la CB qui ont déclaré n’avoir que

le français comme langue maternelle, et non pas les deux langues officielles, comme l’on

aurait pu s’y attendre si leurs parents étaient en voie de s’assimiler et parlaient le plus

souvent à la maison. Il est à rappeler ici que la notion de « langue maternelle » d’un

individu peut mener à des réponses différentes. Le grand nombre d’immigrants récents

(12% seulement de francophones sont nés dans la province), qui sont bi/plurilingues

francophones serait à l’origine du phénomène, et serait l’argument selon laquelle la

grande majorité des francophones de langue maternelle en CB serait nouvellement

arrivée.

Il nous a semblé intéressant dès lors de noter que la communauté francophone

s’est modifiée et inclut maintenant un nombre plus élevé d’allophones ; ceci est dû

principalement aux facteurs suivants : d’abord, le succès du programme d’immersion, qui

rassemble 53 206 élèves en 2016-17 et qui a fait les manchettes de la plupart des

quotidiens, en relatant un accroissement des élèves allophones. L’inscription aux

programmes d’immersion en français a augmenté de près de 30% au cours des 10

dernières années. Ensuite, le tiers des élèves de la province (173 013) des écoles

publiques suivent des cours de français de base (2016-17)24. Puis, l’université Simon

Fraser offre une éducation postsecondaire en français. Enfin, le Conseil Scolaire

Francophone de la Colombie-Britannique, compte maintenant 42 écoles et près de 6 000

élèves. Sa popularité croissante a sans doute contribué à la popularisation de

l’enseignement en français.

24 Commissariat aux langues officielles. Infographie : Le fait français en Colombie-Britannique. Consulté le 20 août 2018 : http://www.clo-ocol.gc.ca/fr/statistiques/infographiques/presence-francophone-colombie-britannique

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Selon l’article 23, comme ce sont les parents qui détiennent le droit à l’école de la

minorité, la compétence en français ne constitue pas un critère d’admission à l’école. Par

conséquent, une forte proportion d’élèves issus de foyers exogames ou immigrés qui sont

inscrits à l’école ne possèdent pas la maitrise du français requise pour réussir dans les

programmes et doivent bénéficier de services en francisation (Kamano, 2014). La

francisation se définit comme un « processus qui comprend un ensemble de mesures

prises aux niveaux préscolaire ou scolaire pour aider les élèves dont les habiletés

langagières en français sont très peu développées ou inexistantes » (CMEC, 2002, p. 9).

La double mission qui comprend la réussite éducative et la construction identitaire

(ou la socialisation culturelle au sens plus large) est promulguée par le conseil scolaire

francophone. Cependant, selon un de ces administrateurs qui a vu la « naissance » du

CSF de la province, c’est un conseil scolaire qui se cherche lui-même une identité :

A14 : c’était un bébé du conseil scolaire qui naissait et là maintenant je

crois qu’il est à l’adolescence en ce moment on se cherche un peu

D’IDENTITÉ dans tout ce mondial là aussi mais également au niveau du Canada on n’est pas encore à l’âge d’adulte parce qu’on est encore très

dépendant du gouvernement par exemple quel gouvernement va être élu à Ottawa les conservateurs ils nous ont mené la vie pas mal dure et

les libéraux sont toujours un peu plus ouverts à la francophonie hors du

Québec ça nous aide à côté la politique provinciale donnons-nous un peu plus d’ouverture mais c’était par moment assez difficile . ..

malheureusement pas beaucoup de francophones qui VOTENT c’est ça un peu le problème on a notre trace politique qui est très petite et

dernièrement avec le conseil qui est allé en cour qui a ÉVEILLÉ le FAIT

francophone voyez aux (nom de l’école) on vient de bâtir une nouvelle école ici on parle de bâtir une nouvelle école éventuellement pour Rose

des Vents

La fragilité de l’espace francophone en CB est mise en relief dans cet extrait,

d’abord, marquée par une pluralité dans les formes de socialisation, de culture, de

langage, l’école « se cherche un peu D’IDENTITÉ dans tout ce mondial là ». Puis, l’aspect

politique où « on est encore très dépendant du gouvernement (…) dernièrement on est

allé en cour qui a ÉVEILLÉ le FAIT francophone », qui exige que l’école soit sans cesse

vigilant au respect de ses droits. A14 fait référence ici au rôle de « gardien de la

mémoire » des luttes pour la gestion scolaire de l’école. Avec tous ces mouvements

migratoires, ces changements démographiques et culturels, le « FAIT francophone »

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passe inaperçu aux yeux de la majorité provincial, c’est autour de l’école, ou par le biais

de l’école qu’il faut à tout moment veiller à garder « ÉVEILLÉ » ce « FAIT francophone ».

Le droit, la seule pertinence qui peut se trouver à être contestée, par les

administrateurs, est celle qui justifie la présence des élèves francophones dans les écoles.

Paradoxalement, c’est aussi ce droit qui permet la préservation de la langue et de l’identité

francophone canadienne. Pour les francophonies au Canada, l’école était au cœur des

enjeux politiques et sociaux, elle est désormais aussi au centre des enjeux culturels et

linguistiques. Si la diversité culturelle et linguistique s’impose dans les faits à l’école

francophone, elle reste le lieu d’en comprendre, d’en maîtriser les effets et de la valoriser.

9.2. L’école francophone minoritaire face aux identités plurielles des élèves d’aujourd’hui

L’étude de Traisnel, Violette et Gallant nous apprend qu’en CB, il paraît bien

difficile, au sein de la communauté locale, de repérer une quelconque référence à une

communauté francophone historique, et ce, en dépit des efforts actuellement déployés

par les organismes pour « redécouvrir » l’histoire ancienne de la présence des

francophones dans la province.

En CB la question de l’acceptation ne se pose même pas. Est membre de la communauté francophone quiconque s’exprime en français et souhaite, d’une manière ou d’une autre, vivre totalement ou partiellement en français. Une communauté francophone largement polyglotte, multiculturelle et multiethnique (2013. p. 20).

Ainsi, en Colombie-Britannique, on laisse percevoir une difficulté à parler d’une

identité et/ou appartenance franco-colombienne en raison du caractère récent,

culturellement diverse et en constant renouvellement de la communauté. Certains

avancent toutefois que les « véritables Franco-Colombiens » seront la génération actuelle

d’âge primaire : des enfants qui parlent deux ou trois langues et qui commencent à former

un accent franco-colombien propre à leur communauté (Traisnel, Violette & Gallant,

2013). Ainsi l’aspect très cosmopolite, internationale, mais également polyglotte dont les

membres apparaissent plus comme un ensemble hétéroclite d’ayants droit qui partagent

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179

une même langue, comme l’ont tous souligné aussi bien les élèves que le personnel

éducatif.

Le manque d’ancrage culturel francophone en CB a été souligné par les élèves

comme G1 :

G1 : la francophonie ici au BC est extrêmement hétérogène parce que il

n’y a pas une longue tradition francophone ici au BC tsé . .. au Manitoba ça fait quatre cents ans qu’il ya des francophones qui sont là tsé . .. au

Québec aussi . .. ici c’est une transplantation plus récente et pis pis

parce qu’on vit dans un monde qui est plus globalisé mais là tous les francophones qui arrivent ici ils viennent pas d’un endroit spécifique

c’est pas une migration francophone c’est vraiment un arrivée de francophones de partout dans le monde et pis c’est pour cela que la

Colombie Britannique est particulièrement intéressante à étudier en

termes de linguistique et de francophonie parce que . ..

Mais aussi, remarqué par les administrateurs :

A12 : une chose que j’ai réalisé c’est qu’ici en fait on est la seule province canadienne que qui n’a AUCUNE ville village ou quartier

francophone ! il yen a pas ! ya Maillardville dans le temps mais ça c’est

pratiquement éteint il n’ya plus vraiment de francophones à Maillardville ou alors ils sont dans les foyers et ne sont plus du tout actifs dans la

communauté il n’ya plus d’ancrage historique e’fin il a disparu mais par

exemple dans va en Alberta on va dans les villages plus au nord tout autour d’Edmonton il y a des villages ou villes complètement

francophones tu vas là et pi tu vas au Macdo et c’est écrit en français et tu peux évoluer en français dans le nord . .. les gens qui sont nés dans

le nord près d’Edmonton et tout ça là se considèrent comme

francophones on va en Saskatchewan le coin (XXX) et tout ça c’est des milieux francophones on va à Winnipeg au coin de Saint Boniface c’est

francophone tout le nord de l’Ontario c’est francophone on va au Québec évidemment on s’en va à la péninsule acadienne au Nouveau Brunswick

ou aller à l’île du Prince Édouard . .. avec la Grande Traversée c’est des

milieux francophones alors il ya un bilinguisme de la province qui est reposé sur le fait qu’il y a des régions francophones sur ces provinces là

mais ici yen a PAS ! ici yen a PAS de régions francophone il yen a plus alors on a une francophonie de DROIT et de REVENDICATION on dit

souvent on a droit à nos écoles c’est appuyé sur la Charte c’est basé sur

des lois et on est vraiment là dans ! c’est pas toujours une francophonie

de culture !

Le fait que la CB soit la seule province du Canada où on ne trouve « PAS de région

francophone », où le bilinguisme n’est pas reposé sur le fait qu’il y a des régions

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180

francophones sur la province peut être à l’origine de l’absence d’attachement ou du

sentiment d’appartenance à la francophonie canadienne, « alors on a une francophonie

de DROIT et de REVENDICATION ». L’extrait de A12 converge avec l’explication de A13

« on dit souvent on a droit à nos écoles c’est appuyé sur la Charte c’est basé sur des lois

et on est vraiment là dans ! c’est pas toujours une francophonie de culture ! ».

Le manque d’ancrage historique de la communauté francophone en CB engendre

une communauté francophone de droit dont la présence est représentée par l’école

francophone. L’espace francophone de la CB est défini par la communauté de langue et

de cultures qui l’habite, ainsi l’école francophone devient le symbole de l’espace

francophone et de la communauté des ayant droits francophones. Dans ce contexte quelle

est la vision culturelle francophone du CSF ? quel est le mandat du CSF dans cette

construction identitaire ?

A12 : la mission et la vision sont très claires premièrement il ya tout

l’axe de l’éducation évidemment fournir des services éducatifs en

français à la population d’ayants droits donc c’est très clair c’est ce qu’on doit faire encore une fois c’est des ayants droits donc c’est la loi c’est

des DROITS c’est la CHARTE ! et la deuxième chose et c’est là qu’on a des défis je pense c’est la construction identitaire . .. que des gens d’ici

ne se considèrent pas comme des gens bilingues qui ont DROIT à une

école francophone mais ils se considèrent comme FRANCOPHONES et ça fait partie de la mission et de la vision du CSF et je crois . .. il y a des

bon pas qui ont été faits il ya encore beaucoup de travail à faire là d’sus j’pense et on le voit à l’école dans notre clientèle on a des francophones

FRANCOPHONES et il ya des gens qui sont ici parce que regardez la belle

école tout ce qu’elle a à offrir ! et la francophonie pèse PAS plus dans la balance que le reste de la programmation t’sais on en a des élèves

comme ça pour qui euh . .. on aurait la même école en mandarin et puis

ils viendraient et D’AUTRES non non non pour moi c’est important chez nous on vit en français c’est une langue qui est important quand je

véhicule ma langue et que je la passe à mes enfants je leur passe aussi ma culture je leur passe aussi mes valeurs familiales et c’est ça qui est

important . .. et je crois qu’on a un peu des 2 ici . .. et pour MOI je vais

m’aligner là d’sus je pense puisqu’on est une école francophone c’est la francophonie qu’on doit faire VIVRE avec une FIERTÉ qui j’espère n’est

PAS une fierté de droit et de revendication mais une FIERTÉ

CULTURELLE

A12 admet « qu’on a des défis je pense c’est la construction identitaire ». A12

explique que la mission et la vision du CSF visent à amener les élèves à se « considérer

comme FRANCOPHONES » et non pas « des gens bilingues qui ont DROIT à une école

francophone ». A12 affirme que les deux tendances existent bien au sein de l’école

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francophone. Ce que A12 appelle « une FIERTÉ CULTURELLE (…) tout le monde devrait

être FIER de sa FRANCOPHONIE » c’est l’identité francophone, qu’elle soit une identité

sociale ou collective. Cette identité francophone est définie comme l’appartenance

(linguistique, sociale, ethnique, etc.) au groupe, à la communauté francophone

minoritaire de la CB. Elle se compose d’une part d’autocatégorisation (comment

l’individu se perçoit lui-même), mais aussi et surtout une part d’hétérocatégorisation

(comment il est perçu par les autres) (Lüdi & Py, 1995). Ce que le CSF recherche dans

sa mission et sa vision est une forme de positionnement, d’« actes d’identités »

qu’impose le choix de la langue d’enseignement dans les écoles francophones (Moore

& Brohy, 2013), c’est ce que Landry (2015) qualifie d’ « engagement

ethnolinguistique ». C’est la « FIERTÉ » (A12) des locuteurs du français d’affirmer leur

identité personnelle en tant que « FRANCOPHONES » (A12) ainsi que leurs affiliations

à la communauté francophone de la CB, à l’école francophone « puisqu’on est une école

francophone c’est la francophonie qu’on doit faire VIVRE avec une FIERTÉ qui j’espère

n’est PAS une fierté de droit et de revendication mais une FIERTÉ CULTURELLE ».

L’article 23 de la Charte reconnaît le droit à l’instruction dans la langue de la

minorité, mais ne comporte pas uniquement cette exigence. Il établit que la survivance et

le développement du groupe et de sa culture dépendent d’un milieu de vie francophone

qui se concrétise par un établissement scolaire français géré exclusivement par la

minorité. Dès lors, le cadre juridique garantit bel et bien une éducation de langue

française, mais il est loin d’être certain que cela soit suffisant pour assurer la mise en

œuvre d’un projet cohérent qui transcende les contextes spécifiques comme le

souhaiterait Thériault, pour qui la juridiciarisation des revendications tend à transformer

l’expérience de vie collective à travers la prédominance du discours juridique :

C’est le projet d’évacuer la mobilisation autour des enjeux sociaux, de l’histoire et du sentiment d’appartenance pour y substituer la froide adhésion à la règle de la loi. Dans le langage de la Charte canadienne des droits et libertés c’est le passage, d’une « identité » comme source de solidarité, aux « ayants droits » comme fondement de la revendication du groupe. Bref, c’est la prédominance du pays légal sur le pays réel. (Thériault, 1995, p.152).

La question de l’anglais parlé entre les élèves à l’école francophone, en dehors

des salles de classe, reste une problématique à certaines écoles qui s’explique par la

technologie, les médias sociaux :

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A14 : quand on arrive en 7e. 8e.. 9e c’est pas cool de parler français c’est pas cool de faire ci c’est pas cool de faire ça c’est l’âge c’est pas

cool et puis il y a l’effet de la technologie les média sociaux ne sont qu’en anglais et j’ai trouvé encore comment motiver mes jeunes à faire

l’utilisation du français avec les médias sociaux c’est un défi l’année

prochaine qu’on va se donner avec le conseil étudiant pour trouver une façon non punitive une façon constructive il faut que ce soit un

bilinguisme additif et non pas soustractif aussitôt on tombe le soustractif

pas seulement la langue on perd. .. le jeune perd . .. nous on perd puis en fin de compte si on travaille la musique en français si on travaille le

sport en français si on travaille ces choses-là en français . .. moi je coache beaucoup et dans mon équipe on parle en français ils savent

qu’avec monsieur (nom) on parle français moi j’ai plus besoin de leur

dire ça jamais j’ai chicané un enfant c’est normal monsieur (nom) c’est

en français

Historiquement, des représentations axées sur les particularismes (traits distinctifs

de la religion et de la langue) par rapport au groupe majoritaire ont constitué un levier

important pour préserver l’entité et l’unité du groupe et pour contrer l’assimilation à la

majorité anglophone. Dans cet esprit, l’école ainsi que les associations et les organismes

porte-parole de la francophonie canadienne sont construits comme des lieux-remparts

protégeant la pratique unilingue du français et assurant la vitalité de la communauté,

suivant le lien langue-culture-identité. Les revendications des communautés

francophones canadiennes pour l’obtention d’une plus grande autonomie institutionnelle

en matière d’éducation ont mené à l’établissement d’espaces exclusifs, définis

particulièrement par leur caractère unilingue français (Heller, 2002, 2011). Heller explique

l’importance qui est accordée à l’unilinguisme de l’espace scolaire comme mode de

résistance à la majorité anglophone :

the job of the French-language minority school was thus to provide a homogeneous, unilingual francophone space in which francophone youth could be socialized as Francophones speaking the kind of French ideologized as normal (as a whole, bounded, autonomous system mobilizable for all possible forms of human activity), and thereby, free of Anglophone domination (2011, p. 98).

La création et la reproduction d’un espace unilingue en contexte scolaire ont

toutefois une conséquence importante : la stigmatisation des autres langues et même de

certaines variétés du français (Heller, 2002). Heller explique toutefois que l’idéologie du

peuple authentique qui rend légitime l’existence des écoles [en milieu minoritaire] s’effondre devant la nécessité matérielle et l’idéologie de

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pratiquer l’inclusion ainsi que de s’ouvrir au monde de plus en plus internationalisé (Ibid. p. 17).

Le contenu de l’enseignement offert dans les écoles francophones, si nous

l’observons de près, est une traduction du curriculum (anglophone) de la Colombie-

Britannique. La seule différence avec les autres écoles de la majorité est la langue.

L’anglais conserve sa place de langue vernaculaire de la communauté (même à l’école

francophone, où les enfants parlent en anglais entre eux). Les élèves (au secondaire) ont

le même nombre d’heures de cours de langue et littérature en français qu’en anglais (4

heures par semaine). L’offre d’enseignement à l’école francophone reflète ainsi une

articulation permanente entre une identité francophone et une identité anglophone

britanno-colombienne. La fierté du CSF a toujours été de former les jeunes bilingues. En

effet, à la fin de leurs études secondaires, les jeunes obtiennent deux diplômes : le

Dogwood du ministère de l’éducation de la CB, et le Cornouiller du Québec, et peuvent

s’inscrire aussi bien dans une université anglophone que continuer dans une université

francophone.

La vie culturelle francophone reste très limitée et s’organise autour de la

célébration de diverses traditions principalement québécoises et françaises (cabane à

sucre, chandeleur, …), ou des événements francophones (camps de leadership,

parlement de jeunesse, improvisation, …) visant plus à promouvoir le français en dehors

de la classe. Dans cette optique, les élèves sont constamment rappelés à parler en

français non seulement dans leur salle de classe, mais aussi dans l’espace francophone

qu’est l’école. C’est alors que parler français, la langue marque clairement la transition

entre espaces minoritaire et majoritaire, francophone et anglophone, et favoriserait une

identification francophone non exclusive culturelle et linguistique.

A14 s’exprime sur le manque d’activités culturelles francophones. Selon lui, c’est

un élément important pour la rétention des élèves du secondaire du conseil scolaire. A14

dit que les activités culturelles sont tout aussi importantes que les activités académiques,

et que c’est c’un choix des « décideurs » :

A14 : je crois faire vivre la langue aux enfants dès leur bas âge et on a

mis beaucoup d’argent par exemple on s’en va dans les 4ans ou ces choses-là mais on les DORLOTE jusqu’en 3e année puis on les laisse aller

puis jusqu’en 8è année on les reprend ya un gros trou là donc je pense que il faut aider les écoles il faut que la communauté s’implique ça c’est

une chose que je critique parce que la communauté ne s’implique pas

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comme dans les autres commissions scolaires le conseil de jeunesse a pour moi sauvé la francophonie de plusieurs de mes élèves donc la

mission culturelle de l’école en milieu minoritaire est très importante

presqu’aussi important que l’académique

A12 souligne l’aspect « isolement » des élèves francophones en CB dû au manque

d’ancrage, de points de repère culturel :

A12 : nos élèves vivent un certain isolement parce que c’est la seule

école francophone de leur quartier ou de leur ville et que comment je

vais dire ça . .. disons que moi je viens du Québec je suis francophone je viens travailler ici disons que ma vision de la francophonie elle est

diverse mais elle est appuyée sur ma francophonie du Québec . .. l’élève

qui est né ici comme mes enfants par exemple sa vision de la francophonie c’est une école dans leur milieu puis à l’extérieur tout le

monde parle anglais puis j’ai de la famille ailleurs que je vois de temps en temps ça c’est la francophonie de leur vision je me dis si on veut les

motiver à rester à l’école à être francophone ben il faut leur montrer la

vision large de la francophonie . ..

A12 reste vague et perplexe quant à la question de quelles cultures francophones

l’école veut elle montrer aux élèves. Il constate, une fois de plus la situation particulière

de l’école et surtout de ses élèves pour qui le choix d’étudier en français est déjà un

engagement identitaire même quand cela veut dire être différent de leurs copains. Dû à

son isolement, de sa petite taille, A12 laisse entendre qu’il veut inscrire l’école

francophone de la CB dans les cultures mondiales plus « LARGE », plus diverses, dans

la « FRANCOPHONIE » mondiale où le « FRANÇAIS » reste le lien qui unit la

communauté :

A12 : à partir du moment où on se positionne dans une réalité qui est

plus grande que notre école ben notre sentiment d’appartenance à la francophonie augmente . .. parce que évidemment on est isolé dans

notre quartier il ya nous on pense qu’on est une école privée en tout cas

on ne sait pas trop mais elle est différente des autres et il ya des des écoles de quartier et nos amis avec qui on fait du sport de la musique

ou autres ben ils sont dans des écoles régulières de quartier et nous

comme élèves on est dans l’autre école et de faire cette espèce de séparation là c’est dur pour les élèves c’est dur de vivre et y en a qui

sont incapables de vivre ça . .. si les élèves ont des liens avec la francophonie au point que chaque été qui s’en vont en France ou au

Québec ou qu’ils ont des grand parents comme mes enfants qui ont des

liens à chaque été avec le Québec avec mon père leur grand-père et si je leur disais vous allez à l’école anglaise et me diraient non non non

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mon grand-père est francophone et bon . .. pour eux c’est clair mais pour plusieurs de nos élèves c’est pas clair. .. ils ont des parents qui

parlent français oui mais honnêtement si je reçois des parents dans mon bureau la majorité des parents si je leur donne l’option ils vont parler

en anglais parce que c’est plus facile pour eux donc ça c’est différent du

début là même je parle des deux parents qui viennent il yen a un des deux parents qui est supposé d’avoir répondu à tous les critères

francophones oui mais ils sont quand même beaucoup plus à l’aise en

anglais donc si les parents sont beaucoup plus à l’aise en anglais et que les vacances se passent en Angleterre à Hawaï ou ailleurs ben ce qui

l’ancre l’ancrage de l’école c’est au moins il peut entrer dans un contexte de francophonie nationale mondiale et puis d’avoir un sentiment

d’appartenance à ça ça donne des ancrages beaucoup plus forts que

jusque eh ben c’est moi mon école et mes 6 amis dans l’école ! parce que si ma francophonie est basée sur mes 6/7 bons amis dans l’école

ces amis-là quittent moi j’chuis plus francophone !

L’influence très marquée, linguistiquement et culturellement, de l’anglais isole

l’école de la minorité francophone, et fragilise encore plus la « francophonie » de ses

élèves, mais de par leur présence signifie déjà une certaine volonté de « faire

francophone ». Le sentiment d’appartenance à la communauté francophone est bâti sur

la qualité de la socialisation, des relations à la fois personnelles et professionnelles entre

les membres du personnel éducatif, les élèves et la famille. Ainsi l’école, pour pallier au

manque de véritable ancrage culturel, devient un espace francophone où, unis par la

langue, les membres expriment, à différents degrés, leur choix langue et donc contribuent

à la mouvance de l’identité francophone collective.

Finalement, la réalité francophone en CB est marquée par le changement. Loin

d’être figée ou statique, cette réalité francophone offre un paysage multidimensionnel en

constante évolution, tant dans l’identitaire que dans le culturel. Le visage du milieu scolaire

minoritaire francophone change en raison du processus d’urbanisation et avec l’arrivée

de populations im/migrantes, ce qui demande une redéfinition de la francophonie de la

CB. Nous témoignons ici d’une volonté claire d’ouverture à la diversité à travers un

discours identitaire pratiquant une synthèse plus ou moins implicite entre éléments

culturels, linguistiques et civique de l’appartenance. Cela amène toutefois à nous

interroger sur l’enjeu de la « diversité » de la communauté francophone en CB qui, sans

un véritable ancrage historique, est unie autour de « parlants français » autour de la

langue dont la dimension affective (plutôt qu’instrumentale) est nécessaire au maintien

d’une cohésion sociale propre à la minorité.

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9.3. L’école francophone : un espace d’unification

Cette francophonie minoritaire se redéfinit ainsi, au sein d’un espace

démographique marqué par une identité de migration : les immigrants, parmi lesquels

comptent les francophones d’héritage varié, les francophones d’adoption, les nouveaux

arrivants. Faut-il rappeler que toute réflexion sur la réalité francophone en CB ne saurait

avoir lieu sans le constat préalable d’une dynamique sociale d’assimilation et

d’homogénéisation. La vitalité linguistique de la communauté francophone étant en effet

menacée, le fait migratoire n’en devient que plus désirable pour sa survie. Or, la langue

et la culture étant intimement liées, le phénomène migratoire qui touche particulièrement

les grands centres urbains invite un changement, voire une remise en question de ce que

l’on entend par identité francophone. Cette transformation présente des défis et peut être

vécu comme un enrichissement ou une menace selon le positionnement social et

historique de chacun. L’identité francophone en CB est empreinte de flux migratoire

culturellement et linguistiquement diversifiés. Ces enjeux sont particulièrement saillants

dans les milieux éducatifs. Dans ce chapitre, à travers les interventions d’administrateurs,

nous observons ce changement identitaire francophone opéré au sein de l’école laquelle

assume désormais un rôle de rassembleur des identités francophones plurielles dans son

espace d’unification.

Legault (2008), dans une réflexion sur la définition de l’identité francophone

reconnaît le caractère mouvant de l’identité par la spécificité des parcours de vie, mais

insiste surtout sur le fait que l’identité est d’abord un critère d’unité et d’unification, axé sur

la solidarité. Abordant la question d’identité A12 reconnaît qu’elle « évolue

constamment » car lui-même est amené à une meilleure compréhension de son milieu,

« je vis dans un milieu francophone minoritaire j’suis un peu partout et définitivement le

spectre est beaucoup plus large », de ses élèves « ça m’a pris quelques années avant de

vraiment bien le comprendre la réalité francophone des élèves » et de son personnel

enseignant.

A12 : je dirais que ça m’a pris quelques années avant de vraiment bien le comprendre la réalité francophone des élèves et puis d’où ils viennent

je prétends pas la comprendre à 100% mais elle évolue constamment

mais je suis beaucoup plus sensible à cette réalité là que je ne l’étais

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avant quand t’sais arrivé du Québec « c’était pas normal de parler en anglais » « ben on est dans une école francophone pourquoi tu parles

en anglais ? » « eh ça se passe en français » et même comme direction d’école avant je faisais beaucoup d’interventions « parle pas anglais

parle français » « on est dans un milieu francophone ici pas d’affaire de

parler en anglais » . .. maintenant je suis plus nuancé j’aime pas plus le fait que les élèves parlent anglais dans l’école qu’avant évidemment

mais je suis plus nuancé d’approche parce que l’anglais c’est aussi leur

langue et quand je leur dis ne parle pas anglais finalement je leur dis ne pas parler la langue de ton père ou de ta mère ils ont le même

attachement que moi j’ai en français mais eux ils l’ont en anglais et peut être à une autre langue donc je leur dis plus jamais de ne pas parler

anglais mais je leur dis toujours de parler français parce que ça change

pas grande chose mais c’est pas le même discours quand même t’sais j’suis plus sensible à leur réalité et puis l’anglais c’est très bien c’est

super mais c’est très bien aussi de parler en français et si tu peux parler une autre langue c’est tant mieux ! mais un français qui soit véritable

pas juste un français qui va te permettre de te débrouiller dans la vie

un français que tu pourrais aller travailler en France et que tu t’en sortirais très bien t’sais mais il ya encore du travail à faire . .. c’qui me

manque c’est la perspective internationale j’aimerais bien j’pense que c’est la prochaine étape c’est beaucoup plus large on se positionne dans

une communauté plus large on se sent moins isolé moins vulnérable on

se sent beaucoup moins en danger c’est ce que j’espère pour l’école ici que les élèves sont ici pas juste parce que les parents ont pris la décision

mais que EUX ils disent non non ça fait partie de mon identité ça fait

partie de ma culture c’est pas juste pour avoir 2 diplômes mais parce que ça fait partie de MOI c’est logique que je sois à l’école en français

je pense que c’est ce que le CSF vise aussi il nous reste encore beaucoup

de travail mais c’est ça mon but ultime

Pour A12, il est important que la francophonie de la CB s’inscrive dans « la perspective

internationale (…) beaucoup plus large » afin d’être « moins isolé, moins vulnérable (…)

beaucoup moins en danger ». A12 se réfère aux inscriptions des élèves d’immigrants qui

sont nécessaires pour obtenir des effectifs qui puissent assurer l’avenir des écoles

francophones. A12 reconnaît les compétences langagières des élèves est également un

autre défi « un français qui soit véritable pas juste un français qui va te permettre de te

débrouiller dans la vie un français que tu pourrais aller travailler en France et que tu t’en

sortirais très bien t’sais mais il ya encore du travail à faire ». A12 insiste sur le « EUX »

désignant les élèves, le projet de construction identitaire francophone ne peut pas se

réaliser sans « EUX », sans les élèves.

La perspective de donner plus de vie à l’école par le biais des activités culturelles,

A14 est convaincu que c’est par ce biais que l’école peut contribuer à développer le

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sentiment d’appartenance et l’« amour pour la langue » de ses élèves et donc de les

retenir dans les écoles francophones.

A14 : on est en minoritaire il manque beaucoup d’événements culturels

moi je ne crois pas qu’on aime le français seulement dans les classes de

français moi je crois que les enfants aient un amour pour la langue française en chantant en faisant des choses en français qui sont

AGRÉABLES ludiques . .. malheureusement on a diminué beaucoup l’investissement là dans que ce soit au niveau provincial fédéral ou csf

je pense que c’est quelque chose qu’on doit en tant que francophone on

a mis beaucoup d’accent sur l’académique c’est correct aussi il fallait se justifier comme commission scolaire et comme école mais là il faut

déborder un peu de ça parce que les enfants se TANNENT de l’école et

QUITTENT l’école à un moment donné malheureusement il y a encore beaucoup d’enfants qui quittent l’école francophone l’école anglophone

et ils ne vont pas à l’école anglophone pour le cours d’anglais mais pour avoir plus du culturel plus d’activités sociales le FUN et ça ne va pas au

nombre d’élève par exemple le conseil de jeunesse font des activités

incroyables qui selon moi devraient être doublées d’expérience pour les élèves du secondaire parce que tu vois que les élèves qui participent

beaucoup aux activités du conseil de jeunesse ne quittent pas le csf mais tu vois là en 5 6 7 le conseil de jeunesse n’agit pas ils commencent en

8 et 9 à 14 ans et c’est là qu’on perd nos élèves

des familles me disent c’est ça parce que l’école n’offre pas assez à l’extérieur de la salle de classe pour voir épanouir son enfant ou il y a

un autre phénomène il y en a plusieurs élèves qui quittent en 9e parce

que le français est trop difficile en 10e 11e et 12e leur niveau de français n’a pas atteint . .. ça c’est un problème de la maternelle à la 7e année

quand l’enfant nous arrive ici et il n’est pas capable de s’exprimer en français c’est sûr que pour cet enfant-là . .. et le service de francisation

c’est il y a des école où la population ils sont à 30 40% à franciser est

ce que c’est vraiment une école francophone ? donc moi je fais une critique souvent aux parents ici ou ailleurs vous êtes 2 francophones

vous arrivez à l’école et vous parlez anglais à votre enfant donc qu’est ce que vous montrez ? que le français c’est comme jouer du violon c’est

un atout ah c’est cute c’est pas vrai que des familles qui sont exogames

ou qui sont autre chose qui sont défavorisées je pense qu’ils supportent

encore plus l’école ces gens là que les 2 francophones

C’est justement l’aspect de socialisation en français qui se trouve souvent critiqué

au secondaire des écoles francophones. Pour certains parents francophones, la

transmission de la langue et des traditions francophones, qu’ils ne maintiennent plus à la

maison, mais qui, à leurs yeux, demeure importante à léguer à leurs enfants. Il reste que

la réussite académique (et la réussite sociale et économique qui suivra) est valorisée

davantage, amenant de nombreux parents à envoyer leurs enfants plutôt à des grandes

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écoles anglophones pour le niveau secondaire. Ils considèrent qu’ils ont suffisamment

préparé leurs enfants à maîtriser la langue française pendant la scolarité primaire. Cela

explique le choix de certains « décideurs » de vouloir privilégier l’académique (programme

du baccalauréat international) aux activités culturelles ou sportives en français, afin de

concurrencer avec les écoles anglophones dans la rétention des élèves au secondaire,

surtout aux niveaux charnières que sont les 8e et 9e où il y a un véritable départ massif

des élèves francophones vers les écoles anglophones. Nous voyons dans cet extrait

également que certains parents francophones considèrent la langue plus comme un outil

utilitaire « le français c’est comme jouer du violon, c’est un atout ah c’est cute », tandis

que le sentiment d’engagement envers la communauté francophone peut être plus fort

chez les familles « qui sont exogames ou qui sont autre chose qui sont défavorisés je

pense qu’ils supportent encore plus l’école ces gens-là que les 2 francophones ». De plus,

certains francophones sont peu impliqués dans les événements de la communauté ou de

l’école francophone, même si c’est souvent en leur nom qu’on réclame la création de ces

écoles. L’exemple ici illustre la complexité de ce lien entre « faire » et « être » francophone,

entre les identités de fait et les identités de choix (Maddibo, 2008 ; Landry & Rousselle,

2003).

Il est intéressant de soulever dans cet extrait la remarque, pourtant fréquente dans

les écoles francophones, « il y a des écoles où la population ils sont à 30 40% à franciser

est ce que c’est vraiment une école francophone ? ». Cette population d’élèves bénéficie

des services de francisation, des ateliers de mise à niveau pour les élèves, ayants droit,

qui arrivent à l’école mais ne parlent pas le français, ou la maîtrisent très peu.

A14 souligne également l’importance du rôle des enseignants dans cette

socialisation afin de donner vie à l’école francophone :

A14 : les enseignants malheureusement qui ne font que respecter ce

qu’ils ont à faire dans leur salle de classe manquent le bateau parce que je dis souvent aux enseignants si on fait en français ce que ce font les

anglais euh on passe à côté et les enfants vont commencer à s’en aller

nous il faut garder notre clientèle et on a un grand volet culturel et faire rêver notre langue donc ça veut dire qu’il va falloir faire très fort ça veut

dire quelques fois il faut beaucoup plus ça je sais que le syndicat ne va pas aimer mon commentaire mais tous ce qui leur donnent un p’tit plus

les écoles prennent de l’ampleur les enfants restent et puis ils restent

jusqu’à la 12e année alors lorsqu’on voit les gens partir à 3 heures 05 là ben les enfants ils partent avec eux autres donc c’est important que tout

le monde a son petit grain de sel ou de sable je dirais dans ce beau

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château de sable qu’on veut monter et puis souvent il y a des individus qui ne voient pas cela comme ça ils viennent travailler juste pour

travailler pour garder les enfants ça prend du cœur et pas juste la tête

souvent quand les enfants viennent il faut qu’ils restent à l’école

L’enseignant a un rôle important à jouer dans la socialisation de l’école. Il agit en

quelque sorte comme médiateur entre, d’une part, les identités et les projets individuels

et, d’autre part, le programme institutionnel défini par l’école de la minorité. Si les

pédagogies constructivistes placent l’enfant au cœur de son processus d’apprentissage,

les défis associés à la communauté francophone minoritaire appellent une pédagogie

particulière qui prend en compte le projet collectif (Landry, 2002 ; Landry & Rousselle,

2003 ; Cummins, 2005). Au plan individuel, elle doit viser l’actualisation du potentiel de

chacun. Alors que sur le plan collectif, elle doit se fonder sur un partenariat famille-école-

communauté afin de développer le vécu et l’engagement des élèves à l’égard de la

communauté minoritaire. L’école francophone, à travers l’action pédagogique qualifiée de

transformative (Cummins, 2005), serait un espace permettant d’assurer le changement

social en luttant contre l’influence du milieu majoritaire anglophone. En effet, à travers

l’éducation francophone de l’élève et sa conscientisation aux enjeux collectifs, c’est le

développement de la communauté de langue française qui est visée. C’est pourquoi,

Landry et Roussel plaident pour que la « communauté minoritaire francophone puisse

prendre en charge sa propre mission éducative et son propre curriculum » (2003, p. 119).

Par ailleurs, exercer le leadership dans un milieu minoritaire est très différent « il

faut toujours donner plus que le voisin parce qu’on est dans une situation désavantagée

c’est clair », constate A12 :

A 12 : C’est plus difficile d’enseigner ici c’est plus difficile d’être

administrateur en milieu minoritaire francophone c’est claire on en demande plus parce que non seulement il faut enseigner une langue une

culture mais en même temps euh . .. il faut toujours en donner plus que le voisin parce qu’on est dans une situation désavantagée c’est claire

c’est plus compliqué de gérer un conseil scolaire provincial que gérer un

conseil scolaire sur une zone géographique bien délimitée c’est plus difficile pour nous d’enseigner à des gens bilingues et puis d’avoir

français langue première au même niveau que tout le monde et au ib l’anglais langue première aussi au niveau que tout le monde de faire de

la rétention au secondaire de faire de la francisation à l’élémentaire . ..

on a beaucoup plus de défis ça c’est claire c’est plus difficile par contre ce que j’aime bien c’est que on a une mission qui à mon sens est noble

et puis importante c’est à dire que si je prends un enseignant du côté

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anglophone il s’en va je le remplace par un autre enseignant bon les gens vont s’ennuyer un peu les gens vont s’adapter et la vie continue .

.. ici nos enseignants il yen a pas d’autres ils s’en vont c’est un impact ÉNORME ! t’sais on a 3-4 enseignants au secondaire ils s’en vont notre

secondaire au complet est en danger donc ce que j’aime beaucoup du

côté minoritaire c’est que chaque personne est HYPER IMPORTANTE et a une rôle CLAIR CLAIR à jouer d’autant plus que nos élèves on les a

longtemps donc on les marque profondément donc notre impact comme

pédagogue comme leader ou comme direction pour moi je vois ça vraiment une équipe comme un leadership je ne crois pas qu’un

leadership vient d’une seule personne . .. personne ne peut porter ce fardeau là et ça fonctionne plus le vieux modèle de top down à mon sens

je suis inscrit dans le leadership participatif pour aller chercher le

meilleur de tout le monde plutôt que d’aller imposer aux autres mais l’importance du travail en équipe et puis l’importance individuelle des

gens comme locomotive

A12 insiste sur la dimension relationnelle entre les membres de la communauté

éducative et les élèves, où chaque personne a un impact « ÉNORME » et « HYPER

IMPORTANTE » sur l’action collective et commune qui pourrait même mettre en danger

un programme de l’école. Chaque individu a un rôle « CLAIR » dans la préservation des

enjeux collectifs de cet espace francophone. Dans le même optique, l’Association

canadienne d’éducation de langue française (ACELF) a mis en ligne sur son site internet

une banque d’activités pédagogiques ayant pour but « d’amener les élèves à réfléchir sur

leur identité personnelle et culturelle tout en développant leur sens de la communication,

de l’engagement et du leadership » (ACELF, 2008).

« J’apprends en français » n’est pas forcément synonyme de « je me définis

comme francophone ». Il y a en effet, des identités de fait (par exemple : je suis français)

et des identités de choix (par exemple : je suis francophone). Certes, l’identité

francophone ne se limite ni juste à un fait, ni juste à un choix. L’héritage familial joue un

rôle tout autant marquant que les influences médiatiques sur les jeunes d’aujourd’hui.

L’école, en tant que lieu d’influences et d’affluences, négocie un équilibre nécessaire entre

un espace démocratique (je choisis de vivre en français… ou non) et un espace activiste

(je m’engage à vire en français par solidarité). Le passage du faire à l’être relève

indéniablement d’une dimension selon laquelle l’individu sait non seulement « produire la

francophonie » mais se reconnaît aussi comme francophone. Il s’agit donc de l’identité,

qui repose à la fois sur un héritage et sur un choix. Cependant, le fait identitaire

francophone dans un contexte minoritaire tel que la CB est fragile. Il est fragile non

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seulement du fait de son statut minoritaire dans un paysage où domine l’anglais, mais

aussi du fait des flux migratoires qui mettent le positionnement social en mouvance. Un

paysage migratoire francophone de plus en plus culturellement diversifié impose une

redéfinition de ce que représentent la culture et les valeurs francophones.

Dans quelle mesure l’interaction sociale qui s’opère entre les murs de l’école

conduira-t-elle à la transformation de l’identité collective qui est à la source du projet de

socialisation de l’école de la minorité francophone ? Les récits de vie des intervenants

élèves, enseignants, personnel éducatif et administrateurs permettent de clarifier et de

mieux saisir les représentations sociales de l’identité francophone en CB. Des facteurs

personnels, individuels interagissent avec des contextes sociaux qui sont eux-mêmes en

constant changement créant ainsi des mécanismes complexes de la construction de

l’identité individuelle des acteurs qui, par leur engagement, participent à la vitalité de la

communauté francophone. Dès lors l’autocatégorisation francophone révèle la question

d’identités qu’on perçoit mais aussi celles perçues par autrui, comment nous nous

présentons et comment les autres nous perçoivent et se représentent notre personnalité.

Cette catégorisation est forcément en lien avec les structurations qu’elles reflètent le

rapport au pouvoir mais aussi les rapports de pouvoir entre minorité et majorité, entre les

langues, entre les rapports de force qui viennent de l’histoire. Espace de droit ou espace

de fierté culturel, l‘école reste, à travers la langue, un espace d’unification de la

communauté francophone en CB. Unicité du groupe, de la langue est réinterrogée, de par

la mobilité, la vibration, la mondialisation et cela nous ramène aussi à considérer la langue

comme un capital, non pas symbolique comme Bourdieu (1992) l’a défini, mais comme

Heller (2011) l’a expliqué, un capital économique.

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Chapter 10. Conclusion générale

L’objectif de cette recherche a été de comprendre la complexité des liens entre les

usages linguistiques et culturels des élèves francophones de la Colombie-Britannique et

la construction identitaire en contexte minoritaire francophone d’aujourd’hui. La

communauté francophone de la Colombie-Britannique se caractérise par sa diversité

culturelle et linguistique, ainsi que par son taux élevé de bi/plurilinguisme. Bien que la

présence francophone sur ce territoire remonterait au temps de la colonisation, la

communauté francophone est formée d’une population adulte le plus souvent récemment

arrivée (première génération) en Colombie-Britannique, issue de milieux majoritaires, tels

que le Québec et la France. L’éducation en français en Colombie- Britannique est depuis

les années 1990 sous la responsabilité du Conseil scolaire francophone (CSF), qui dirige

42 écoles dans la province et élabore les programmes et les politiques scolaires. D’abord,

nous avons relevé la manière dont l’école francophone a émergé pour la communauté

francophone de la CB pour ensuite obtenir une reconnaissance sur les plans

institutionnels et juridiques.

Notre exploration se place dans la perspective de prendre en compte la pluralité

de l'identité francophone des élèves comme un atout pour les apprentissages scolaires,

un renforcement de la vitalité, et une construction de l'identité collective de la communauté

francophone minoritaire. Nous avons trouvé, à travers la recherche documentaire, les

entrevues semi-dirigées de groupes et individuelles avec les élèves de 11e et 12e année

de deux écoles secondaires francophones, les enseignants, du personnel éducatif (aides

spécialisées, conseiller, services Téfié) et les administrateurs de trois écoles (deux M à

12 et une secondaire homogène), que l’étude s’inscrivait dans une question plus large,

celle de comprendre le rôle de l’école de la minorité francophone dans les processus de

construction identitaire collective dans des contextes culturels diversifiés et linguistiques

pluriels au Canada. Cette étude amène une série de redéfinition et elle s’inscrit en filigrane

dans les questions de gouvernance : de la francophonie, du francophone, des identités

personnelles et professionnelles.

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10.1. Multiplicité des positionnements identitaires

Ainsi, comme nous l’avons vu, plusieurs territoires linguistiques et identitaires se

côtoient à l’intérieur même de l’école francophone minoritaire : francophones « de

souche », anglophones, bi/plurilingues, immigrants, Québécois, Franco-Manitobains,

Franco-Ontariens, Acadiens, etc., s’y rencontrent quotidiennement et ce, dans un

contexte majoritairement anglophone et mondialisé. Mais comment réagissent les

différents acteurs de la communauté éducative francophone de la CB face à cette

diversité, et particulièrement face à l’im/migration ? D’abord comment les élèves

articulent-ils leurs identités culturelles plurielles et leur bi/plurilinguisme pour s’adapter

quotidiennement à leurs environnements ? Ensuite, comment les identités personnelles

des enseignants influent-elles la prise de conscience des enjeux de l’école de la minorité,

dans la transformation de leurs identités professionnelles ? Puis, comment l’école

s’adapte-t-elle ? Finalement, la question est surtout de savoir dans quelle mesure l’école

francophone de la CB s’affirme-t-elle et se donne-t-elle une orientation claire à tous les

acteurs sur le terrain. Nous demeurons perplexes sur la question. Si l’école a le souci

d’assurer une plus grande inclusion des élèves bi/plurilingues et anglophones, elle est

davantage préoccupée par la diversité culturelle qui change le visage de la communauté

francophone de la CB. L’école francophone de la CB en est à interroger la notion de

francophone afin de changer ses représentations traditionnelles d’une communauté

francophone imaginée (encore très présentes dans l’imaginaire) au profit d’une identité

pleinement civique fondée sur la langue.

Le chapitre 7, a pour but d’explorer les représentations identitaires des élèves tels

qu’exprimés à travers leurs discours et leurs pratiques à l’école. Les élèves savent qu’à

l’école francophone, on ne leur demande pas seulement d’apprendre la langue française,

on leur demande aussi d’apprendre à être francophone. Ce chapitre vise à discuter des

positionnements identitaires adoptés par les élèves, particulièrement leur positionnement

par rapport à la communauté linguistique francophone minoritaire. En choisissant de

donner la parole aux élèves en tant qu’acteurs qui participent à la construction de la vie

sociale, nous avons voulu mieux comprendre le sens qu’ils donnent à leur expérience,

mieux comprendre comment ces jeunes, inscrits à l’école francophone, participent à la

reproduction du « francophone ». Ainsi, nous avons pu observer une jeunesse aux

identités multiples, hybrides (Dallaire & Denis, 2005), ambivalentes (Pilote, 2007),

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flexibles, situationnelles, bi/plurilingues, en mouvance. En bref, tel que les recherches de

Heller (1999), Gérin-Lajoie (2001), Halpern (2004), Pilote (2006), Pilote et Magnan (2008),

Sabatier (2011), Jacquet, Moore et Sabatier (2008), Dagenais et Moore (2008), Jacquet,

Moore, Sabatier et Masinda (2011), Brohy (2012), Moore et Brohy (2013), Moore et

Bemporad (2013), ont montré que l’identité des jeunes se construit de manière complexe

au cours d’interactions sociales. À travers le récit de soi, les jeunes francophones de la

CB confèrent une unité à leur identité à multiples facettes qui se chevauchent, coexistent,

se complètent et celles-ci s’articulent différemment d’un individu à l’autre. Nous

constatons une prépondérance de l’identification bi/plurilingue chez la jeunesse

francophone, des identités se situant entre les pôles de l’identité à saillance francophone

et anglophone, traversant des frontières des milieux francophones et anglophones, et leur

sentiment identitaire s’en trouve fortement teinté par la société anglophone ambiante.

C’est sans doute cette inclusion du bi/plurilinguisme dans la représentation de soi qui

distingue les jeunes générations de celles qui l’ont précédées.

La construction d’identités bi/plurilingue des jeunes révèle leur désire de concilier

leurs origines culturelles multiples, leur francité justifiant leur présence à l’école

francophone et le milieu majoritaire dominant anglophone qui encadre leur expérience et

leurs interactions à l’extérieur du milieu familial et scolaire. L’identification bi/plurilinguisme

permet également aux enfants de couples exogames de reconnaître leur multiple héritage

linguistique et culturel. L’affirmation de cette identité plurielle ne signifie pas que les jeunes

rejettent leurs racines canadienne-françaises, leur francité pour autant (Lamarre &

Dagenais, 2000 ; Gérin-Lajoie, 2001 ; Pilote, 2007 ; Pilote & Magnan, 2008 ; Brisson,

2017 ; Levasseur, 2017). À ne pas conclure trop rapidement à l’assimilation du groupe

majoritaire des jeunes francophones (Landry, Allard & Deveau, 2008, 2010, 2013 ; Gérin-

Lajoie, 2008).

Nous avons observé également une identification canadienne chez plusieurs

jeunes. Ce sentiment identitaire permettrait aux jeunes de bénéficier d’un espace

symbolique qui puisse inclure la diversité de leurs origines. Être Canadiens sans

« marqueurs », par défaut, sous-entend leur performance dans les deux langues officielles

et leur insertion à la fois dans la francophonie et dans la société anglophone. Cette

appartenance au Canada se veut inclusive puisqu’elle rend légitime à leurs yeux la

différence (multiculturalisme canadien) et le bilinguisme (les deux langues officielles).

Ainsi l’identité des jeunes francophones est caractérisée de diverses facettes identitaires

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formant un tout cohérent, en mouvance. Ils sont multiculturels vivant simultanément dans

plusieurs mondes, dans plusieurs langues. Leur sentiment d’appartenance est fluide,

perméable, les choix identitaires, que leur offre de contexte de la mondialisation, sont

multiples. Les rapports identitaires qu’ils entretiennent avec les diverses identités

collectives s’entremêlent et varient d’un individu à l’autre, contribuent dès lors à

transformer leur sentiment d’appartenance ainsi que leur rapport à l’identité francophone.

Mais comment intégrer ces changements identitaires à l’école francophone minoritaire ?

La réponse proposée par plusieurs chercheurs réside dans l’action pédagogique.

10.2. Savoirs et savoir-faire de l’enseignement des cultures francophones et de la langue française

Le personnel éducateur a un rôle important à jouer dans la socialisation de l’école.

Les réflexions sur la question de l’identité professionnelle du personnel éducateur, et plus

spécifiquement celle des enseignants au chapitre 8, ont permis de mieux situer le contexte

social dans lequel le personnel éducateur évolue et de mieux comprendre le rapport à la

langue et la culture françaises et son impact sur le travail de ce dernier. En d’autres mots

l’étude a permis de mieux saisir comment les identités à la fois personnelle et

professionnelle du personnel éducateur influent la perception de son rôle de médiateur

linguistiques et culturels.

Lorsqu’on lit les extraits des entretiens avec le personnel éducateur, deux

remarques peuvent être faites à la suite de nos analyses des données. Premièrement,

d’après les propos tenus par le personnel éducateur, son rôle est complexe, en raison des

nombreux défis qu’il doit relever. Cette complexité résulte en grande partie des

nombreuses attentes des parents. Les résultats indiquent que même dans le cas où le

sens d’appartenance à la francophonie est très fort, l’enseignant conçoit toujours que sa

responsabilité première auprès des élèves est de transmettre des connaissances, et que

la responsabilité de reproduction linguistique et culturelle (fonction qui contribue

spécifiquement au processus de construction identitaire) est souvent relayée aux autres

services éducatifs (moniteur de langue, enseignants de français, conseil de jeunesse,

etc.). La question d’une population scolaire de plus en plus diversifiée sur le plan des

langues, des cultures soulève souvent des inquiétudes en ce qui a trait à la façon de

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répondre aux besoins de tous les élèves. La plupart du temps, c’est la dimension

linguistique qui ressort des discussions avec les enseignants lorsqu’on parle de l’école

comme espace de reproduction linguistique et culturelle. Cependant, le concept de culture

est demeuré flou tout au long des échanges, même si certains ont fait référence au

domaine des arts. À la lumière des extraits présentés, on constate que la transmission

des savoirs représente le domaine de travail qui est le plus familier aux enseignants et ce

qui les préoccupe le plus. Pourquoi en est-il ainsi ? On peut se demander si le cadre de

travail prescriptif dans lequel le personnel enseignant évolue n’y est pas pour quelque

chose. Les récentes politiques et réformes éducatives de la province (majoritaire

anglophone) insistent sur la redevabilité du personnel enseignant face à la réussite de ses

élèves. De plus, cette redevabilité est double pour les enseignants des écoles secondaires

francophones dont la rétention des élèves au secondaire, dans certains cas, est

directement liée à la survie même de l’école. Il faut, de plus, garder en tête que la mission

de l’école de langue française de contribuer à la sauvegarde de la langue et de la culture

minoritaires constitue une responsabilité qu’on ne trouve pas dans le contexte des écoles

majoritaires. C’est donc un défi de plus.

10.3. Vers une redéfinition de la mission initiale de l’école francophone minoritaire

En raison de la diversité que l’on retrouve désormais chez la population des

élèves, et l’immersion dans un milieu anglophone, pluraliste et mondialisé, l’école

francophone de la CB fait maintenant face à une crise identitaire, voire à un double défi :

bénéficier de l’apport de nouveaux groupes (immigrants, migrants, anglophones,

bi/plurilingues, etc.) tout en respectant son objectif premier : maintenir et promouvoir la

langue et la culture française. Quel est le rôle de l’école de la minorité face à la nouvelle

réalité pluraliste de la société francophone de la CB ? Comment tenir compte du contexte

social dans lequel évoluent les élèves ? Comment surmonter des tensions de plus en plus

grandes en vue de maintenir sa cohérence institutionnelle ? À cet égard, les analyses au

chapitre 8 ont fourni quelques pistes de réflexions sur le rôle à la fois symbolique, politique

et d’unificateur de l’école, dans un espace francophone imaginé où seule la langue permet

de rassembler tous les membres. Parce que la langue minoritaire est le français, ayant

égard au projet collectif fondé sur la dualité linguistique canadienne, la nature sensible de

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cette crise, est directement lié à l’identité canadienne, et se traduit par une lourde charge

politique et émotive dans la mission de l’école francophone minoritaire. Parce que

l’identité francophone collective n’est aucunement la somme des identités personnelles,

mais l’identité que le groupe se définit de par ses propres moyens et ressources, elle a un

« visage public » (Thériault, 2007a). C’est l’image que la communauté a d’elle-même

comme groupe historique et légitime, et demeure au cœur du modèle d’autonomie

culturelle selon Landry (2011), elle oblige l’école francophone à réfléchir à la nature de sa

mission, c’est-à-dire sur la définition même de ce que c’est d’être francophone en CB. Le

manque d’ancrage culturel et la diversité linguistique et culturelle composant la

communauté francophone de la CB renforce le rôle de « pierre angulaire » de l’école

francophone, et la transforme en un espace de droit linguistique, au détriment d’une fierté

culturelle relié au contexte historique des francophonies canadiennes. Désormais, c’est la

langue et son droit juridique, l’article 23 de la Charte, qui donnent la raison d’être et qui

régit de cet espace francophone en CB qu’est l’école francophone de la minorité.

L’école francophone favorise certes une identité inclusive et plurielle, toutefois, les

préoccupations demeurent la préservation de la langue, de la culture, et parfois, sa propre

survie face à la majorité anglophone, et la sensibilisation à la question de l’immigration y

est plutôt secondaire. En effet, l’embauche des enseignants et les actions accomplies à

l’école sont principalement axés sur les origines canadiennes-françaises ou françaises.

De plus, un important phénomène, l’exogamie, sous-tend très souvent l’hybridité

identitaire. Une portion importante d’enfants d’ayants droit à l’école de langue française

vit dans des foyers exogames. Ces familles constituent en quelque sorte un

« microcosme » de la dualité canadienne et les rapports de force de la société canadienne

sont reflétés au sein de ces familles. Tout en étant une menace à l’espace francophone

de l’école parce qu’elle constitue une structure familiale dans laquelle se manifeste de

façon prédominante une dynamique langagière favorisant l’emploi de l’anglais, l’exogamie

constitue également un « potentiel caché » les écoles de langue française. Ainsi, la

pluralité linguistique et culturelle invite l’école francophone à viser plus « large » et à

s’ouvrir vers une « francophonie mondiale » afin de mieux refléter la composition de sa

communauté, de mieux cibler les besoins de ses élèves et ainsi d’assurer sa vitalité.

S’il parait juste de dire que l’école francophone en CB doit en quelque sorte se

laisser forger par les identités multiples afin d’éviter sa disparition, le tour de force consiste

vraiment à articuler une vision nostalgique du Canada français avec des réalités

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empiriques concrètes. Cette réflexion nous renvoie plus spécifiquement au débat, très

d’actualité, au sein des communautés francophones à travers le Canada et qui concerne

les fondements mêmes de leur identité collective ainsi que leur capacité à bâtir un projet

inclusif et tourné vers l’avenir dans une société où les parcours de vie sont de plus en plus

individualisés.

L'action pédagogique a été présentée comme une voie privilégiée en vue de

relever les défis de la société contemporaine (Landry & Rousselle, 2003 ; Abdallah-

Pretceille, 2005, 2008 ; Cummins, 2005 ; Cormier, 2005 ; Moore, 2007 ; Jacquet, Moore

& Sabatier, 2008 ; Sabatier, 2011 ; Moore & Brohy, 2013 ; Moore & Bemporad, 2013). Si

les nouvelles approches pédagogiques constructivistes placent l’enfant au cœur de son

processus d’apprentissage, les défis associés à l’école francophone de la minorité

appellent une pédagogie particulière qui prend aussi en compte le projet de dualité

linguistique canadienne. L’éducation, par son action transformative, permettrait d’assurer

le changement social en luttant contre l’influence du milieu majoritaire anglophone. À

travers l’éducation de l’individu et sa conscientisation aux enjeux collectifs, c’est le

développement de la communauté de langue française qui est visée.

Partant de ce constat, et par rapport au questionnement sur le rôle de socialisation

langagière de l’école francophone en CB, il est souhaitable de se pencher sur un certain

nombre de recommandations pour une construction identitaire francophone collective en

milieu minoritaire qui repose sur la diversité linguistique et culturelle située localement.

10.4. Principales recommandations

Malgré une certaine volonté d’ouverture et d’accueillir la diversité dans leur

espace, les résultats de cette recherche suggèrent que les discours, les représentations,

les pratiques et les politiques scolaires actuelles des écoles francophones en CB ne

facilitent pas l’inclusion des élèves bi/plurilingues et leurs identités plurielles à la

communauté francophone imaginée. Les frontières sociales et linguistiques entre les

communautés imaginées sont si étanches qu’ils ne peuvent ni se positionner ni se faire

reconnaître en tant que francophones. Ces représentations identitaires dominantes et

restrictives ne s’appliquent en fin de compte qu’aux familles issues de milieux

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francophones majoritaires qui adoptent une idéologie monolingue à la base de leurs

pratiques langagières. Dès lors que les élèves et leurs familles se caractérisent par un

parcours transnational, des répertoires linguistiques diversifiés ou des pratiques

langagières guidées par une idéologie plurilingue, des doutes sont soulevés sur leur

appartenance à la communauté linguistique imaginée.

Nous croyons donc que l’école francophone doit contribuer à redéfinir son rôle de

socialisation langagière. Plutôt que de maintenir des frontières qui servent principalement

les intérêts des francophones issus de communautés majoritaires considérées comme

authentiques et légitimes, l’école doit faciliter l’inclusion des familles et des élèves qui

présentent des profils linguistiques et culturels divers et complexes. Pour cela, elle doit

promouvoir des discours et des représentations identitaires qui ne font plus seulement

écho à une définition traditionnelle et limitée de l’identité francophone. Il est clair que

l’identité linguistique et culturelle se trouve au cœur même des préoccupations des écoles

francophones minoritaires et que sa mission linguistique (et jusqu’à un certain point,

culturelle) n’est pas nouvelle. Ajoutons à cela que le rapport à l’identité et le

développement d’un sens d’appartenance à la francophonie font partie du discours officiel

de l’État. Cependant il faut reconnaître aussi que l’école francophone en CB doit relever

un défi de taille en matière de compétences langagières et culturelles et qui, surtout, vit

souvent une réalité sociale souvent différente de celle de l’école. De nos jours, l’école,

dans bien des cas, est le seul espace de socialisation, de transmission de la langue et de

la culture française. Le discours officiel ne peut donc plus véhiculer l’idée d’une clientèle

scolaire homogène sur le plan de la langue et de la culture en qualifiant les élèves de

« francophones », puisque tel n’est pas le cas.

Il ne fait pas doute que les francophones considèrent que leurs droits linguistiques

sont des droits collectifs, dans un tel contexte, l’école francophone peut être associée à

un projet plus politique, un « projet de société ». L’école francophone minoritaire doit se

repositionner et réfléchir à son rôle auprès des communautés qu’elle sert. La pédagogie

minoritaire doit viser l’individu pour aller toucher la communauté. Nous observons qu’on

s’est attaché encore peu à développer ce type de pédagogie au sein du conseil scolaire

francophone de la CB. C'est pourquoi la communauté francophone de la CB devrait

plaider pour prendre en charge sa propre mission éducative et son propre curriculum.

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201

Se retrouvant sur la ligne de front, la pédagogie est essentielle à l’action efficace

des enseignants. Leur rôle en tant qu’agents de socialisation chargés de la médiation

entre les identités individuelles et projet collectif. Les enseignants sont-ils bien outillés

pour jouer ce rôle au sein des écoles francophones minoritaires ? Les enseignants

prennent à cœur la mission de l’école de la minorité francophone, mais ils semblent

rencontrer des difficultés à vivre et à faire vivre à leurs élèves des histoires relatives aux

aspects plus politiques et culturelles de cette mission. Les résultats de la recherche

soulèvent le manque d’expérience et de formation du personnel scolaire, et l’absence des

ressources éducatives dans le domaine de la culture, limitant dès lors la réussite de la

transition culturelle, un élément important dans la réussite de l’adaptation des jeunes à

l’école. L'école se doit aujourd'hui de poser un regard différent sur la diversité des classes

afin de réfléchir à sa contribution au processus de construction linguistique, culturelle et

identitaire de son public dans le cadre de sociétés plurilingues et pluriethniques. C’est

pourquoi afin d'arriver à une intervention éducative efficace, nous suggérons :

• une formation du personnel scolaire aux enjeux complexes de la pluriethnicité en milieu scolaire afin de construire une compétence inter/culturelle ;

• une diversification du personnel scolaire ;

• ainsi qu'un questionnement approfondi sur les cultures d'apprentissage, la notion d'identité et l'usage des langues en contexte migratoire.

De plus, il faut inclure les jeunes au débat concernant les fondements de l’identité

collective, ainsi qu’au projet collectif de la communauté francophone de la CB. Nous

devons réfléchir à des manières d’assurer le lien social et faire en sorte que les jeunes se

sentent pleinement concernés par les débats concernant l’avenir de la francophonie

canadienne et que nous respections en même temps le fait que ces jeunes sont libres de

choisir les parcours qui leur semblent les plus propices à la construction de leurs propres

identités. Riche de la diversité linguistique et culturelle de sa communauté, l’école

francophone en CB devrait tendre vers une redéfinition de sa mission initiale, vers la

coproduction (et non la reproduction) de la langue et de la culture minoritaire par les

jeunes eux-mêmes. Ainsi, l’éducation doit viser, chez les jeunes, le développement de la

réflexion sur les contraintes sociales auxquelles sont soumises les communautés, de

façon à mieux les outiller face aux choix qui baliseront leur parcours.

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L’action pédagogique ne doit pas se limiter aux enseignants, elle doit prendre en

compte le rôle clé exercé par les administrateurs en termes de leadership pédagogique.

Les gestionnaires des établissements et des conseils scolaires francophones ont la

responsabilité de créer des conditions qui favorisent le perfectionnement professionnel

des enseignants. Ils doivent aussi servir de modèle et s’engager activement dans la

promotion de la reconnaissance et du respect des droits de tous les élèves.

10.5. Enjeux et questions laissés en suspens

Cette recherche doctorale se termine en laissant en suspens quelques enjeux qui

n’ont pas pu faire l’objet d’une analyse de fonds. De plus, elle reste limitée par sa

méthodologie et son ancrage dans le temps et dans l’espace, comme mentionné au

chapitre 5. C’est pourquoi nous souhaitons maintenant soulever quelques questions non

résolues et quelques enjeux pertinents.

La première question à laquelle cette thèse ne peut malheureusement pas

répondre avec certitude en raison de la démarche méthodologique adoptée, et en

particulier de ses choix d’échantillonnage, peut se formuler ainsi : est-ce que les enjeux

discutés sont particuliers à aux écoles secondaires francophones de la CB, à ces élèves,

à leur âge et à un moment assez décisif dans leur choix de langue pour leurs études

universitaires, à Vancouver, en Colombie-Britannique ou trouvent-ils écho ailleurs ?

N’ayant pas choisi de faire une étude comparative, il est impossible de généraliser les

résultats de recherche au-delà du contexte décrit ici. De plus, il faut reconnaitre que les

politiques linguistiques en milieu scolaire, la gestion et l’application des critères des ayants

droit, etc. sont variables d’une année à l’autre et d’une province à l’autre. Cependant, les

conclusions de la thèse restent une mise en garde valide pour l’ensemble des milieux

francophones minoritaires au Canada. Si les écoles francophones ont pour mission

d’inclure la jeunesse en tant que futurs membres des communautés francophones

(imaginées) de leur localité, de leur ville ou de leur province, il convient qu’elles se

demandent si leurs discours, leurs représentations et leurs pratiques langagières

favorisent cette inclusion.

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203

En effet, nous constatons que les discours traditionnels et restrictifs à propos de

la définition de ce que veut dire être francophone tels que décrits dans cette thèse

continuent de nourrir les représentations identitaires en Colombie-Britannique et ailleurs

au Canada. Ceci a pour effet de maintenir des frontières sociales et linguistiques assez

étanches entre les communautés imaginées, malgré les bonnes intentions des individus

et la volonté des écoles et de leurs acteurs d’être plus inclusifs. Il nous apparait qu’il est

maintenant temps de faire de la place non seulement à la diversité culturelle à l’école,

mais aussi à la diversité des profils linguistiques. À mon avis, le prochain défi que doit

relever l’école francophone en milieu minoritaire est de reconnaitre et de valoriser les

répertoires plurilingues de ses élèves et plus largement des membres de sa communauté

scolaire.

Dès lors la deuxième question non résolue dans cette thèse est : quelle place

peuvent et doivent jouer les parents (positionnés comme) anglophones ayants droit à

l’école francophone ? Puisque ce statut signifie pour eux que s’ils ont le droit d’envoyer

leurs enfants à l’école francophone, ils ont aussi le droit d’être impliqués dans leur vie

scolaire : être informés des progrès de leurs enfants, pouvoir participer aux activités

spéciales, siéger sur les différents comités scolaires, être bénévoles, participer à l’aide

aux devoirs de leurs enfants, etc. Or, s’ils ont du mal à communiquer avec l’école et avec

les membres du personnel, s’ils se sentent exclus des activités et des comités, s’ils ne se

sentent pas les bienvenus au sein de l’espace scolaire ou si leurs efforts ne sont pas

reconnus, il devient très difficile pour eux de s’investir dans l’éducation de leurs enfants.

Le risque que court l’école est double. D’une part, l’école risque de s’aliéner un nombre

important de parents qui se désengageront de la vie scolaire de leurs enfants. D’autre

part, l’école risque de perdre des familles et des élèves qui choisiront alors un autre

conseil scolaire, dans un contexte où le nombre d’inscriptions est primordial pour le

maintien et le financement des écoles francophones en milieu minoritaire.

Cependant, de l’avis de certains, la présence des parents anglophones à l’école

francophone représente une menace pour l’école et sa communauté. Si les parents

demandent plus de services en anglais ou décident d’adopter des pratiques bilingues

(anglais – français) à l’école et lors des activités, il devient difficile pour l’école francophone

d’équilibrer ces besoins et ces exigences avec sa mission culturelle et éducative. Dès lors

comment valoriser l’usage de la langue française à l’école, si l’anglais y joue un rôle de

plus en plus important ? C’est pourquoi il peut paraitre périlleux de remettre en question

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les frontières sociales, linguistiques et symboliques de l’école francophone. Ces frontières

restent un rempart important contre le risque d’assimilation linguistique. De plus, les

frontières contribuent à la distinction, voire au prestige des conseils scolaires

francophones par rapport aux programmes d’immersion. Toutefois, en maintenant ce

rempart linguistique et symbolique, l’école et ses acteurs semblent oublier que l’anglais

fait aussi partie de la vie quotidienne des élèves et de leur famille et qu’on peut

difficilement leur demander de laisser la partie « anglophone » de leur répertoire et de leur

identité à l’extérieur de ses murs. L’équilibre entre le besoin d’inclusion et le besoin de

protection est difficile à trouver pour l’école francophone minoritaire car il est spécifique à

chaque milieu en fonction de son contexte social et de ses acteurs. Il est donc primordial

de continuer à y réfléchir et à analyser les effets des différentes décisions prises en ce

sens sur le processus d’inclusion et d’exclusion de certaines catégories d’élèves et de

leurs familles.

La dernière question en suspens s’agit de l’application du critère d’ayant droit. Le

Conseil scolaire francophone de la CB se questionne sur la pertinence d’élargir la notion

d’ayant droit à des parents qui pour l’instant ne se qualifient pas. Par exemple, est-ce que

des familles immigrantes qui n’ont pas leur citoyenneté canadienne ne devraient pas avoir

l’opportunité d’inscrire leurs enfants à l’école francophone ? Depuis 2013, cet enjeu

majeur soulève des questions sensibles et concerne directement la définition de

francophone et l’identité collective de l’école. Comment l’école francophone peut-elle

continuer d’assurer sa mission envers la communauté linguistique minoritaire de langue

officielle et se différencier de l’immersion ? Comment ensuite négocier cette ouverture au

plan juridique et administratif avec des postures de fermetures aux plans des idéologies,

des représentations et des discours identitaires et linguistiques ? Pour la communauté

éducative, il ne s’agira donc pas seulement de penser l’enjeu des critères d’ayant droit en

termes juridiques, administratifs et économiques, mais aussi en termes idéologiques,

discursifs, sociaux et symboliques.

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205

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