la logistique enjeu majeur pour l’humanitaire...université paris 1 panthéon – sorbonne master...
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Université Paris 1
Panthéon – Sorbonne
Master 2 Logistique
La Logistique :
Enjeu majeur pour l’Humanitaire_
Externaliser les activités logistiques rendrait-il plus
performantes les ONG humanitaires?
Mémoire de fin d’études
Maître de mémoire :Mme Fulvia ALLIEVI-DOROSZ
LizaSoubeyran
2007
2
Remerciements
Je tiens à remercier les professionnels de l’humanitaire qui ont contribué à l’élaboration de
ce travail qui me tenait à cœur. Ils m’ont accordé de leur temps et de leur confiance, et ont
su répondre à mes interrogations avec professionnalisme et décontraction.
Un grand merci donc à
Aurélien Maréchal, Responsable Logistique chez Solidarités,
Guillaume Sauval, Membre de l’équipe d’urgence de Solidarités,
Charaf Moulali, Directeur Général d’Enfants du Monde Droits de l’Homme,
Jérôme Schell, Responsable Logistique chez Pharmaciens Sans Frontières.
Je souhaite également remercier Mme Fulvia Allievi-Dorosz qui a accepté de
m’accompagner dans ce travail en devenant ma maître de mémoire. Son implication pour
le cadrage du sujet et la réalisation de ce projet a été précieuse.
Tous, selon leur profil et leurs expériences, m’ont permis de construire à différents
niveaux le mémoire que je vous présente.
3
Sommaire
Remerciements ……………………………………………………… 2
Introduction …………………………………………………………. 5
I. Une logistique humanitaire amont traditionnellement intégrée ......9
A. PRÉSENTATION D’UN SECTEUR PAS COMME LES AUTRES ...........................................9
1 Historique ..........................................................................................................9• Émergence d’un mouvement de pensée ..........................................................9• Solférino et la naissance du « Sans-Frontièrisme »........................................10
2 Présentation des acteurs...................................................................................11• Les organisations médicales .........................................................................13• Les organisations non médicales...................................................................13• Les institutions .............................................................................................15
3 Le débat de la professionnalisation ..................................................................16
B. LA LOGISTIQUE DES ONG DE « PETITES TAILLES » .................................................20
1 Exemples de fonctionnements ...........................................................................202 Enjeux et avantages d’une logistique propre ....................................................24
II. La coopération, un enjeu de taille....................................................27
A. LA NÉCESSITÉ D’UNE CHAÎNE PARFAITEMENT FLUIDE .............................................27
1 L’efficacité passe par la circulation des informations.......................................27• Entre acteurs de l’urgence eux-mêmes :........................................................27• Entre acteurs de l’urgence et acteurs du développement :..............................29
2 L’optimisation via la coopération.....................................................................30• Au sein même de l’ONG… ..........................................................................30• … mais aussi entre organisations. .................................................................33
4
B. L’ÉBAUCHE D’UNE SOLUTION : LES PLATE-FORMES COMMUNES..............................35
1 Des plateformes technologiques communes ......................................................35• Au cœur de la Supply Chain de l’ONG.........................................................35• Un outil d’informations internationales.........................................................36
2 Des plateformes physiques communes ..............................................................383 Certains obstacles demeurent à surmonter .......................................................40
III. L’externalisation, une solution à la collaboration ?........................44
A. EXTERNALISER, MAIS QUELLES FONCTIONS ET POURQUOI ? ....................................441 La fonction achats :..........................................................................................46
2 L’entreposage et la gestion des commandes : ...................................................48
3 Les opérations de transport :............................................................................51
B. EXTERNALISER, MAIS AUPRÈS DE QUI ?..................................................................551 Les ONG prestataires.......................................................................................55
2 Les institutions .................................................................................................58
3 Les militaires....................................................................................................61
4 Les prestataires logistiques privés ....................................................................63
Conclusion …………………………………………………………… 66
Bibliographie ……………………………………………………… 73
5
Introduction
Après une tendance à la diversification des activités des grandes entreprises, on
observe depuis une dizaine d’années un penchant à la reconcentration sur leur métier de
base. Ce phénomène se traduit par la vente de filiales, mais aussi par l’externalisation de
nombreux services, comme celui de l’informatique et de la logistique.
Conscientes de la valeur ajoutée potentielle que peut apporter une bonne maîtrise de
la chaîne logistique, les entreprises tendent de plus en plus à confier cette activité à des
entreprises spécialisées et performantes dans ce domaine. Ainsi, on observe une forte
augmentation des activités des prestataires logistiques, accompagnée d’une restructuration
du secteur.
Longtemps négligée, la logistique est pourtant présente dans tous les secteurs
d’activité liés à la présence de biens. Loin de ne se limiter qu’au transport des
marchandises, le département logistique doit gérer et optimiser l’ensemble des flux
physiques, informatifs et financiers de l’entreprise ; le tout pour une meilleure satisfaction
de la demande, qu’elle soit interne ou externe. Le client doit recevoir le bon produit au bon
endroit, dans les bons délais. Le contrôle de l’ensemble de la chaîne logistique confère à
l’entreprise un avantage compétitif important, les frais logistiques concernant encore un
fort pourcentage de son chiffre d’affaires. Cette fonction transversale englobe les fonctions
achats et approvisionnements, transport, entreposage, mais aussi la maîtrise des flux
d’informations.
Dans certains secteurs, une excellente maîtrise de la Supply Chain se révèle
absolument nécessaire, poussant les entreprises à intégrer la globalité du processus
d’approvisionnement de leurs marchandises, car c’est une partie « indirecte » de leur cœur
de métier. C’est par exemple le cas pour les activités de ventes par correspondance (VPC)
dont l’argument délai est devenu un facteur déterminant pour la satisfaction du client (les
offres « 24h Chrono » par exemple). Le cœur d’activité de la VPC a en effet
progressivement dévié de la vente d’articles à leur envoi, afin de demeurer compétitif face
aux concurrents qui ont intégré ces services dans leur offre de base. Toute rupture de stock
6
a de fortes conséquences sur la satisfaction client, ce dernier considérant des délais de
livraison courts et respectés comme acquis. En particulier lorsque les produits viennent de
loin, les activités touchant aux denrées périssables sont également concernées par
l’importance stratégique du contrôle de toute la chaîne logistique.
L’activité humanitaire est, elle aussi, confrontée à des problématiques de délais, de
coûts et de livraisons exactes. Une ONG n’a pas de contrainte contractuelle avec le client
qu’elle cherche à satisfaire, mais une volonté forte de lui apporter l’aide humanitaire en
temps et en heure, au bon endroit et en quantités suffisantes. On remarque donc une
corrélation forte, bien que peu évidente en première analyse entre la pratique logistique
d’une entreprise et celle d’une organisation non gouvernementale (ONG).
Depuis son apparition, le but même de l’humanitaire est d’intervenir dans des
environnements hostiles comme lors de guerres ou de catastrophes naturelles causants plus
ou moins directement famines et épidémies… Souvent dans l’urgence, les organisations
humanitaires se déploient là où la population est la plus vulnérable, là où il y a le plus de
besoins. Construction de dispensaires ou d’hôpitaux de fortune pour le traitement médical
(voire psychologique) des personnes, distribution de vivres, de matériel et de médicaments,
accès à une eau saine… La palette de l’aide d’urgence est large et nécessite de nombreux
moyens. C’est la raison d’être de nombreuses associations internationales comme
Médecins Sans Frontières (MSF), et le Comité International de la Croix Rouge (CICR),
pour n’en citer que deux.
Mais l’aide humanitaire est souvent, à tort, réduite à l’aide médicale d’urgence,
peut-être car c’est celle qui est la plus médiatisée et la plus « spectaculaire ». Pourtant la
solidarité internationale est loin de se limiter à ces grands acteurs qui sont, bien entendu,
incontournables et indispensables. D’autres organisations, souvent plus petites, soutiennent
également les communautés sur le long terme en favorisant un développement durable par
l’accès à l’éducation, la mise en place de réseaux d’eau potable, d’aide à la reconstruction
après une catastrophe…
Beaucoup de ces acteurs suivent des voies différentes, ce qui rend le secteur
humanitaire riche, tant du point de vue des stratégies mises en place que des méthodes
utilisées. Cette diversité semble bénéfique car elle permet de faire face de manières
distinctes à des situations diverses, et donc de mieux s’adapter. Le lieu et la cause de
7
l’intervention conditionnent également l’approche des ONG, qui agiront autrement lors
d’un conflit armé en Afrique que lors d’un séisme au Pakistan. Par ailleurs, l’approche
humanitaire sera différente si elle est réalisée en urgence, en période de réhabilitation ou en
phase de développement.
Mais dans tous les cas, une gestion rigoureuse et transparente des associations
s’impose pour gagner en efficacité et optimiser les ressources allouées. Par ailleurs, les
bailleurs de fonds souhaitent connaître avec plus d’exactitude l’utilisation des
financements.
Parallèlement, on assiste depuis une dizaine d’années à un vent de
professionnalisation qui souffle sur le secteur de l’humanitaire. C’est un virage majeur
dans ce milieu, qui doit se dégager d’une image de bénévole « MacGiver » pour appliquer
des méthodes plus structurées mais tout aussi efficaces et réactives. Cela se traduit entre
autres par la salarisation et la formation professionnelle du personnel humanitaire, qui doit
répondre à de nombreux challenges. Certains sont communs à toute entité économique,
d’autres sont spécifiques au milieu de l’humanitaire. L’un d’entre eux est la question de la
logistique.
En effet, toutes ces actions nécessitent une activité logistique intense et complexe
dont l’organisation doit, ici peut être plus qu’ailleurs, s’avérer irréprochable. « As head of
logistics for Oxfam over the past six years, one of my key challenges has been to get the
organisation to recognise logistics as a vital support function that needs to be
incorporated into planning and management decisions. We've taken many steps in the right
direction - but many challenges remain. »1 Un temps de réaction court pour les premiers
secours est primordial et nécessite une grande préparation en amont au siège de
l’organisation. C’est sur cet aspect que nous nous focaliserons dans ce travail.
1 « Traduction libre: En temps que directeur logistique pour Oxfam depuis plus de six ans, un de meschallenge clé a été de faire reconnaître à l’organisation la logistique comme une fonction de support vitalequi doit être incorporée dans le planning et le management des décisions. Nous avons déjà fait beaucoup deprogrès dans la bonne direction – mais beaucoup de challenges restent à relever. »Interview de Donald Chaikin, directeur logistique d’Oxfam GB.http://www.fmreview.org/text/FMR/18/05.htm
8
La première partie de ce mémoire décrira le secteur et son organisation logistique
actuelle, en nous basant sur des exemples issus du terrain.
La seconde partie traitera de la nécessité d’une coopération au sein même de l’ONG
mais aussi entre associations. La circulation des informations et la mise en commun de
ressources pour une optimisation de la chaîne logistique humanitaire seront au centre de
cette analyse.
Enfin, une dernière partie nous permettra d’étudier la pertinence de l’externalisation
des différentes fonctions logistiques chez les ONG, mais aussi de repérer les acteurs
prestataires potentiels.
9
I. UNE LOGISTIQUE HUMANITAIRE AMONT TRADITIONNELLEMENT INTEGREE
A. Présentation d’un secteur pas comme les autres
1 Historique
• Émergence d’un mouvement de pensée
Les actions charitable et humanitaires ont tout d’abord été étroitement liées à la
religion. L’ordre de pensée « imposé » à l’époque par l’église catholique tenait sa
justification d’une misère quotidienne et la nécessité pour les « bons » Chrétiens de venir
en aide à ces miséreux, que ce soit par une assistance au corps ou une assistance spirituelle.
« Au malheur « ordinaire » de la pauvreté, de la maladie et de la vieillesse s’ajoutent des
malheurs « providentiels », considérés longtemps comme l’expression funeste du destin :
guerres, épidémies, famines, terre qui tremble. Au malheur ordinaire répondent la charité et
l’action sociale. Le malheur providentiel est le domaine de l’humanitaire. Son histoire est
aussi ancienne que l’homme et remonte pour certains jusqu'à l’arche de Noé. »2 La charité
était alors un support à la défense de l’idéologie chrétienne et à l’évangélisation des
peuples non convertis à travers le monde. Cette approche aura une valeur capitale dans
l’évolution du futur mouvement humanitaire, qui prendra soin de différencier les notions
de charité religieuse et d’assistance humanitaire.
Ce sont les périodes des croisades puis de l’exploration des continents qui ont
largement contribué au développement de l’assistance humanitaire, avec les premiers soins
aux victimes de guerre et l’assistance en territoires éloignés.
Grâce à (Saint) Vincent de Paul, Louis XIV fut le premier roi à laïciser la charité et à
développer un système de « protection » des individus, avec l’ouverture d’hospices aux
fous et aux mendiants comme la Salpêtrière à Paris. L’objectif du Roi était bien sûr moins
2 L’aventure humanitaire, JC Rufin, Ed. Découvertes Gallimard, 2003, p13.
10
la bonne santé de la population que l’encadrement et le contrôle de la misère, pour une
meilleure sécurité du royaume.
Le siècle des lumières fut un tournant décisif en France, avec l’apparition d’une
philosophie indissociable de la démocratie prônant la raison, la tolérance, et l’humanisme.
Les notions de déterminisme religieux et d’acceptation d’un statut social laissent
progressivement la place à celles d’éducation, d’abolition du despotisme, de soins pour
tous… Le terme humanitaire (« qui vise au bien de l’humanité. »3) n’apparaîtra qu’à partir
des années 1830 pour évoquer une personne qui fait acte d’humanité.
Les premières actions d’envergure organisées à l’échelle internationale ont été
menées dès 1793 par les Etats Unis d’Amérique, qui ne perdaient pas de vue leurs intérêts
politique et économique. De même en Europe, où les balbutiements de l’humanitaire ont
été de pair avec le mouvement colonialiste. Les militaires étaient en poste pour maintenir
la paix, ajoutant progressivement une dimension sociale et médicale à leur présence.
Parallèlement, l’humanitaire s’invita progressivement sur les champs de bataille.
Mais chacun dans son camp…
• Solférino et la naissance du « Sans-Frontièrisme »
1859, bataille de Solférino. Napoléon III et son armée Franco-Sardes triomphent
des Autrichiens sur le sol Italien. Mais à quel prix… « Partout les hommes tombent, par
milliers, mutilés, éventrés, troués de balles ou mortellement atteints par des projectiles de
toute espèce. (…) Les femmes de Castiglione, voyant que je ne fais aucune distinction de
nationalité, suivent mon exemple en témoignant la même bienveillance à tous ces hommes
d'origines si diverses, et qui leur sont tous également étrangers. "Tutti fratelli", répétaient-
elles avec émotion. (…) Le sentiment qu'on éprouve de sa grande insuffisance dans des
circonstances si extraordinaires et si solennelles, est une indicible souffrance; (…) La
pensée morale de l'importance de la vie d'un homme, le désir d'alléger un peu les tortures
de tant de malheureux ou de relever leur courage abattu, l'activité forcée et incessante que
3 Définition du dictionnaire Petit Robert, 1990.
11
l'on s'impose dans des moments pareils, donnent une énergie nouvelle et suprême qui crée
comme une véritable soif de porter du secours au plus grand nombre possible. »4
Henri Dunant pose dans son livre « Souvenirs de Solferino » les bases de
l’humanitaire urgentiste moderne : les victimes sont humaines avant tout, pas partisanes.
Elles doivent être secourues dans les meilleures conditions, par une entité neutre,
indépendante et reconnue. Cinq ans après (1864), 16 nations sont réunies à Genève pour
signer la première des quatre Conventions (relatives au droit humanitaire et décider de la
création de « comités de secours » dans chacun de ces pays, sous l’effigie d’un drapeau
blanc orné d’une croix rouge. C’est la naissance du Comité International de la Croix-
Rouge (CICR), élargi aujourd’hui à la Fédération internationale des sociétés de la Croix-
Rouge et du Croissant-Rouge (IFCR). Trop souvent bafoué au fil des conflits, ce document
demeure une référence en termes de respect des victimes de guerre (civiles ou militaires).
Les conflits du siècle dernier firent naître un grand nombre d’institutions comme le
HCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés) et l’ONU (qui se substitue
à la SDN (Société Des Nations) et joue alors un rôle politique et humanitaire plus affirmé).
On voit aussi apparaître des ONG comme Save the Children (1919), World Vision (1953),
Médecins Sans Frontières (1971), Action Contre la Faim (1979)… On assiste alors à
l’apparition d’une grande diversité d’acteurs de solidarité internationale, comblant au fil de
leur spécialité les vides des politiques locales et internationales.
2 Présentation des acteurs
Le terme ONG n’est pas clairement défini dans le droit international (ni français)
mais figure cependant dans la Charte des Nations Unies. Beaucoup s’accordent à dire que
c’est une « association indépendante des pouvoirs politiques, qui agissent bénévolement
notamment sur le terrain des droits de l'Homme, dans le cadre d'une aide d'urgence ou
durable en faveur du développement. »5 Les ONG ont des caractéristiques communes
4 Souvenir de Solférino, Henri Dunant, Ed. Cesno, 18625 http://www.diplomatie.gouv.fr
12
comme le but non lucratif de son action, une indépendance financière et politique, une
notion d’intérêt public et une constitution d’origine privée.
Il est important de dissocier deux principaux types d’organisations non
gouvernementales (ONG) :
- les « groupes de pression politique [qui ont] des ambitions idéologiques ou
commerciales. On y trouve des lobbys de toute nature, en particulier des lobbys
économiques et patronaux. »6
- les ONG humanitaires dont le rôle est de mener des actions d’aides (éducation, aide
médicale…), souvent à l’international. On parle alors aussi d’Associations de
solidarité Internationale (ASI), d’Organisations Non Gouvernementale
Internationales (ONGI)... C’est cette catégorie que nous étudierons.
Toutes ces ONG sont reconnues par les Nations Unies, qui est alors susceptible de
conclure des partenariats - y compris financiers – ou de les convier dans des réunions
internationales. Et ce dans des domaines aussi divers que les Droits de l’homme, la
protection de l’enfance, la lutte contre la pauvreté ou même l’écologie.
S’ajoutent à cela des différences culturelles et religieuses. Certaines ONG ont en
effet conservé une forte implication religieuse (Caritas/le secours catholique, World
Vision…), alors que d’autres se revendiquent laïques (MSF, Oxfam…).
Malgré des différences idéologiques et stratégiques importantes, l’humanitaire est
présent là où la population ne peut subvenir à ses besoins vitaux par elle-même, à la suite
de difficultés majeures, et ce quelles qu’en soient les causes.
6 http://fr.wikipedia.org
13
On distingue plusieurs spécialités :
• Les organisations médicales
Les ONG médicales sont les plus reconnues et les plus médiatisées. Elles agissent
principalement dans l’urgence et au bénéfice de tout type de population, partout dans le
monde. Elles sont de taille importantes, et sont souvent parmi les plus avancées en terme
d’organisation (notamment logistique) et de professionnalisation, les enjeux et moyens
étant particulièrement importants. Leurs « troupes » sont capables de se déployer en un
temps record, notamment grâce à des moyens propres que nous décrirons plus tard dans ce
mémoire.
Même si elles se refusent à basculer dans des considérations politiques, elles ont
pour certaines une influence sur le plan mondial (en termes de gestion de crise…) et sont
une référence dans le milieu de l’humanitaire en général. La limite entre le témoignage et
la prise de parti dans une crise est parfois floue, rendant délicate la stratégie et la politique
de l’ONG elle-même.
Il en est de même pour la frontière entre l’urgence et le développement. Cependant,
beaucoup de ces ONG ont choisi de mener des actions sur le long terme dans de nombreux
pays en voie de développement (PED), même si ce n’est pas leur axe de communication
stratégique principal.
Aussi appelée « urgentistes puristes », les plus connues en France sont Médecins
Sans Frontières (MSF), Médecins du Monde (MDM), Pharmaciens Sans Frontières (PSF)
et la Croix-Rouge, même si cette dernière jouit d’un statut hybride spécifique vis-à-vis des
Etats. Bien sur, d’autres ONG jouent également un grand rôle dans l’aide médicale
internationale comme Direct Relief International, Aide Médicale Internationale (AMI- née
en 1979 à la suite d’une scission avec MSF)…
• Les organisations non médicales
La palette d’acteurs « non médicaux » est beaucoup plus diversifiée, et concerne
une multitude de fonctions. Il serait à peine exagéré de dire que chaque corps de métier à
14
maintenant crée son association internationale. On retrouve en effet Electriciens Sans
Frontières, Architectes de l’urgence, Urbanistes Sans Frontières, Pompiers Sans
Frontières, Télécoms sans Frontières… Comme si l’engagement humanitaire et solidaire
devenait une réalité à l’échelle mondiale mais aussi sociale, et que chaque corps de métier
réalisait qu’il avait lui aussi un rôle à jouer dans l’aide internationale... À quand
Logisticiens Sans Frontières… ?
Mais il y a aussi des ONG plus généralistes, dont :
Action Contre la Faim (ACF) est un véritable réseau international œuvrant
principalement pour la sécurité alimentaire et la lutte contre la malnutrition, mais aussi
pour l’accès à l’eau potable et la lutte contre les problèmes de santé qui en découlent. A
l'origine créée pour répondre aux situations d'urgence telle que les guerres, la sècheresse et
les catastrophes naturelles, ACF élargit à présent son action à des missions d'anticipation et
de transfert des compétences pour une indépendance du pays ou de la zone géographique.
C’est également le domaine de compétence de l’association Solidarités, dont le
cheval de bataille est la distribution d’eau potable, notamment par la construction de
réseaux permettant un accès régulier et durable au plus grand nombre. Il est à rappeler que
la pénurie d’eau potable est la première cause de mortalité dans le monde, responsable
d‘épidémies comme le cholera, la fièvre typhoïde, la dysenterie… En 2005, Solidarités a
reçu 28,3 millions d’euros d’aide humanitaire, répartis sur 12 missions accueillant 140
volontaires expatriés, et coordonnés par 33 salariés au siège parisien.7
Care International (Cooperative for Assistance and Relief Everywhere, Inc.) est
une ONG « généraliste » née pendant la seconde guerre mondiale aux Etats Unis, dont le
but était de délivrer des vivres à l’Europe occupée. À présent elle œuvre pour l’autonomie
et la protection des droits (sociaux, économiques…) dans plus de soixante-dix pays dans le
monde. Cela passe par des programmes d’urgence et de développement pour l’accès à
l’éducation, aux soins, à l’eau potable, pour la lutte contre le sida, la protection de
l’environnement ou encore le développement de la microfinance.
7 http://www.solidarites.org
15
D’autres ONG humanitaires se spécialisent dans l’aide à l’enfant, à court comme à
long terme, comme Save The Children, ou Enfants du Monde Droits de l’Homme (EMDH).
Cette dernière base son action sur l’accompagnement psychologique des enfants après un
traumatisme. EMDH emploie 10 salariés et 8 bénévoles au siège à Paris, et 30 volontaires
expatriés travaillants avec plus de 250 personnes locales. Le tout pour un budget de 5,2
K€.8
Un grand nombre d’associations propose aussi le parrainage d’enfants, permettant
un développement durable de la région, en favorisant la scolarisation et la formation de
l’enfant.
Handicap International (HI), lui, acte pour la réadaptation et la réinsertion des
personnes handicapées, la prévention et plus récemment le déminage (contre les bombes
anti-personnelles, et à Sous Munitions) au niveau international. Sa récente fusion avec
l’ONG Atlas Logistique le place à présent plus comme un acteur de l’urgence.
• Les institutions
Les institutions internationales ont plutôt un rôle d’accompagnement des Etats sur
le plan stratégique et ont un pouvoir de lobbying. Mandatées par l’ONU, elles forment et
sensibilisent les ministères locaux à des thématiques spécifiques (comme l’enfance, la
santé, l’écologie…), surtout dans les PED.
Elles participent également aux campagnes sur le terrain par des actions de
développement durable, par exemple pour l’éradication de la polio.
Les institutions sont parallèlement les principaux bailleurs de fonds pour beaucoup
d’ONG, et donc de précieux partenaires. Leur financement provient d’une « taxe
mondiale » versée par chaque Etat signataire, pour laquelle chaque citoyen de chaque pays
contribue.
Tout comme les ONG, les institutions internationales ont elles aussi leurs domaines
de compétences. Pour ne citer que les plus connues, on retrouve ECHO (service d’aide
humanitaire de la Commission Européenne), le PNUD (Programme des Nations Unies
8 http://www.emdh.org
16
pour le Développement), le PAM (Programme Alimentaire Mondial), l’OMS
(Organisation Mondiale de la Santé), et l’UNICEF (Fonds des Nations unies pour
l'enfance) dont le siège est à New York. Rattachée à l’ONU, cette institution œuvre
principalement pour l’éducation (notamment des filles), la protection de l’enfant (contre la
prostitution notamment) et leur santé (campagnes de vaccination…).
3 Le débat de la professionnalisation
Nous l’avons vu, la diversité et le nombre des acteurs qui s’impliquent dans l’aide
humanitaire ne cesse de croître. Parallèlement, la complexification des conflits et les
difficultés de financement rendent la tache de ces organisations caritatives de plus en plus
délicate, alliant alors étroitement bonne volonté et compétences. L’époque du
« baroudeur humanitaire » semble aujourd’hui révolue, laissant la place à un « pro »
maîtrisant les outils de gestion et de communication mais pourvu de grandes capacités
humaines.
Les ASI (Association de Solidarité Internationale) tendent en effet depuis plusieurs
années vers une gestion plus optimisée des ressources (tant financières qu’humaines),
entraînant alors une certaine professionnalisation des techniques mais aussi des hommes.
Ce sujet fait débat à l’intérieur même des ONG, même si chacune a adopté (ou est en train
de) une ligne de conduite dans sa charte, quant au niveau d’implication des salariés
professionnels. « Certaines ONG comme Equilibre, aujourd’hui disparue, avaient poussé la
logique de la professionnalisation jusqu'à se revendiquer comme « entreprises
humanitaires » (articulant dans le cas d’Equilibre une association à une entreprise de
transport). »9
Voyant l’efficacité de l’organisation de certaines entreprises, les « dirigeants » de
certaines ONG tentent, en accord avec leurs règles éthiques, d’adapter ces schémas à leur
propre configuration. Par exemple la nomination de personnels à des postes plus ciblés
précis et spécifiques, pour une meilleure répartition des taches. Ainsi, de nombreux postes
9 « Le travail humanitaire ; les acteurs des ONG, du siège au terrain. », P. Dauvin et J. Siméant, Presses deSciences Po, 2002, p 234.
17
de logisticiens se créent au sein des ONG dont la taille et la spécialité le justifient. Il est à
présent quasiment impossible d’être employé dans de grandes ONG sans avoir déjà au
moins deux années d’expérience professionnelle solide. Cela contribue par ailleurs à leur
conférer une certaine crédibilité auprès des institutions internationales et des médias; mais
paradoxalement pas forcément par rapport au grand public, qui préférerait semble-il que la
totalité des fonds soit dirigée vers les populations dans le besoin.
Les méthodes de travail sont elles aussi remises en cause. Elles deviennent
beaucoup plus normées (voire procédurières) afin de permettre un suivi rapide des dossiers
quelle que soit la circonstance : visite de bailleurs de fonds, départ en missions ou fin de
contrat d’un employé… Une des caractéristiques majeures du secteur de l’humanitaire est
l’important turn-over de ses employés, dont la présence dans l’ONG n’excède souvent pas
quelques années, voire quelques mois. Ainsi, il devient capital de conserver les
informations recueillies lors de la présence d’un employé/bénévole afin d’optimiser le
temps par la suite. Le but de l’opération est d’éviter le plus possible les réactions
suivantes : « L’association devait avoir des fournisseurs privilégiés, pourtant il n’existait
pas de fichier fournisseur eu sein de PSF qui m’aurait permis de les contacter. (…) Grâce
aux inventaires, j’ai retrouvé au total les 4/5 des produits sous douane. Le reste était
introuvable, soit décrit de manière tellement imprécise, qu’il m’était impossible de savoir à
quoi ils correspondaient. »10 Ainsi, des systèmes de traitement des commandes et de
gestion des stocks s’imposent progressivement chez les ONG.
Par ailleurs, comme en entreprise, il devient important voire nécessaire de répondre
à des normes de certifications qui peuvent être la demande de l’ONG elle-même ou de ses
bailleurs de fonds. C’est le cas pour entreposer et distribuer des médicaments. Des audits
sont ainsi menés régulièrement dans les ONG, conférant une transparence à l’association.
Le problème se pose également lorsque l’ONG dispose d’un entrepôt sous douane
(conférant des avantages fiscaux ), imposant alors au personnel une tenue des stocks stricte
et régulière. Un agent des douanes peut en effet vouloir vérifier l’exactitude des inventaires
à tout moment, mettant alors en suspens le droit à l’utilisation de ce type d’entrepôt et des
10 Rapport de stage : « Participation à la réorganisation du service logistique de l’ONG Pharmaciens SansFrontières », Emma Bessières, M2 Logistique internationale Université du Havre, 2005, p 26 et 45.
18
droits d’achats du matériel hors taxe. Or, « les bailleurs de fonds (…) ne reconnaissent pas
la TVA comme faisant partie des frais éligibles »11 , ce qui constitue une lourde charge
financière si elle doit être de la responsabilité de l’association. Des outils spécifiques
doivent donc être mis en place pour une meilleure gestion, mais nous traiterons de ce sujet
plus tard dans ce mémoire.
Même s’il a moins l’expérience du terrain qu’un volontaire ayant baroudé pendant
des années, le salarié professionnel peut être utile dans l’organisation, surtout en apportant
ses compétences techniques relevant de son domaine d’activité initial. Ainsi, il pourra être
plus précis et performant sur des dossiers spécifiques, et cherchera à optimiser les
processus. Il serait faux de dire que le volontaire ne joue pas ce rôle. Mais ce dernier est
souvent présent pour une durée plus courte, freinant alors la liaison de logique à long terme
entre les dossiers.
La professionnalisation est une alternative plus coûteuse car le salarié reçoit un
salaire (cependant reconnu comme peu élevé en comparaison avec d’autres secteurs
d’activité), mais bénéficie aussi d’un droit à la formation. Chose non négligeable dans un
domaine où l’environnement est changeant et les techniques évolutives.
C’est pourquoi Bioport assure des cours spécialisés, notamment depuis peu dans le
domaine de la logistique humanitaire. Ce genre d’institution répond à un besoin croissant
des ONG qui souhaitent collaborer avec du personnel compétent mais aussi qualifié.
« Certification may help in [professionnalism] particularly in some regions where
certification is culturally held in greater esteem. There are only a few logistics courses in
Europe. The best ones are run by Bioforce in France - but in French and therefore not
accessible to many. We need similar courses in other languages. »12
11 op. cité p 36.12 Traduction libre : « La certification peut contribuer au professionnalisme, spécialement dans des régions oùelle est culturellement estimée. Il n’y a que peu de formations logistiques en Europe. Les meilleures sontcelles conduites par Bioforce en France – mais en français, et par conséquent pas accessible à tous. Nous enavons besoin, mais en d’autres langues. » Interview de Donald Chaikin, responsable logistique à Oxfam GB.http://www.fmreview.org/text/FMR/18/05.htm
19
L’ampleur de la professionnalisation du secteur humanitaire se constate également
au nombre de formations initiales (université) consacrées au domaine. Il y a une nette
augmentation du nombre de diplômes liés au développement durable, notamment
concernant les années de spécialisation (Licence et Master 2). Certaines formations se sont
même spécialisées depuis quelques années dans l’approche urgentiste, comme à
l’université d’Aix en Provence.
Mais il serait faux de généraliser cette tendance de professionnalisation à toutes les
ONG. Certaines d’entre elles (comme MDM ou EMDH) ne souhaitent pas s’éloigner de
l’esprit que confère le volontariat. En effet, le bénévole choisi de consacrer un moment
précis de sa vie pour l’action humanitaire. Il est donc animé par des motivations fortes et
« pures » qui sont l’esprit même de l’humanitaire, alors qu’un professionnel, lui, n’a pas
forcément la « fibre ».
La professionnalisation tendrait par ailleurs à dévaloriser le statut de volontaire, et
ce par rapport au volontaire lui-même, mais aussi par rapport à ses bénéficiaires. Selon
certains, les populations pourraient ne pas accepter d’être aidées par des gens dont le
revenu mensuel excède de loin leur revenu annuel.
Mais « peu importe » le statut, l’important reste la formation, notamment celle
concernant la phase « pré-départ » pour les expatriés qui doit être améliorée tant pour les
volontaires que les professionnels.
Charaf Moulali, Délégué Général d’Enfants du Monde Droits de l’Homme, propose
comme alternative la mise en place généralisée de mécénats de compétences comme le fait
déjà MSF. De manière simple, cela permet à un employé d’entreprise « classique » de
partir en mission humanitaire au motif de la formation professionnelle. Il conserve donc
son poste, un certain niveau de salaire, tout en bénéficiant d’une expérience unique et en
partie transposable à son retour dans l’entreprise. Pour le patron, l’avantage réside dans la
présence d’un employé plus flexible et adaptable permettant de mobiliser une certaine
conscience auprès des collègues. De plus, impliquer les entreprises dans des actions
humanitaires leur confère une image positive et dynamique, une entreprise qui s’investit
dans le développement de la planète et de sa population (c’est à la mode en ce moment…).
20
Nous l’avons vu, la taille et le niveau de spécificité de l’ONG influencent
grandement et sa politique, et son organisation. Elles influencent aussi largement l’aspect
logistique.
B. La logistique des ONG de « petites tailles »
1 Exemples de fonctionnements
La logistique des ONG s’avère très variable de l’une à l’autre. En effet, cela dépend
principalement du domaine d’activité de l’organisation humanitaire, c’est-à-dire du type de
matériel nécessaire au déroulement de la mission. Par exemple, une organisation médicale
aura des besoins et donc une organisation logistique très différente d’une association
oeuvrant pour l’accompagnement psychologique des enfants.
Cela dépend aussi largement du niveau de professionnalisation atteint par l’ONG et
de sa stratégie de développement futur. L’embauche d’un logisticien propre est un choix
stratégique lourd qui doit pouvoir se justifier auprès des collaborateurs mais aussi des
bailleurs.
Nous avons tenté de comprendre comment les associations de petite et de moyenne
taille s’organisaient, afin de chercher une éventuelle optimisation des processus. Pour cela,
nous avons interrogé des responsables, notamment logistiques, qui ont gentiment accepté
de répondre à nos questions. Nous nous sommes également inspirés d’expérience et de
rapports de stage que nous avons pu nous procurer.
Une caractéristique majeure commune à quasiment toutes les ONG est la volonté de
s’approvisionner directement sur place dès que cela est possible. Cela permet de
développer l’économie locale, tout en réduisant ces fameux coûts logistiques occasionnés
entre autre par le transport. Bien sûr, cela dépend du contexte du terrain et du niveau
d’implantation de l’ONG sur place. Un pays en crise grave n’a pas les ressources
21
économiques voire humaines susceptibles de répondre aux besoins. C’est le cas lors de
séismes où tout est ravagé comme en Asie du Sud Est en décembre 2004. Il a alors fallu
importer une grande quantité de marchandises.
Mais pour la plupart des autres missions, il est souvent possible de s’en procurer, ne
serait-ce que dans les pays voisins. La difficulté dans ce cas est alors de ne pas favoriser le
marché parallèle, chose qui n’est pas forcément facile mais primordiale dans l’esprit
éthique des ONG. C’est une des raisons pour laquelle, chez Solidarités notamment, tout
achat sur place par le personnel de la mission doit être validé par le responsable logistique
au siège.
Solidarités cherche en effet à s’approvisionner directement sur place. Le rôle du
responsable logistique à Paris est donc la validation des achats, mais aussi l’achat de
certains types de matériels comme les appareils de télécommunications, les kits d’analyse
d’eau… Il s’occupe principalement de coordonner les informations entre le siège et le
terrain (ce qui n’est pas une petite tâche), de connaître besoins de
l’équipe locale et de gérer le « service après vente ». Il participe
aussi activement à l’ouverture de nouvelles missions, comme en
ce moment au Kenya et en République Centrafricaine.
Le rôle du logisticien terrain est lui beaucoup plus diversifié puisqu’il est en charge
de la gestion du parc matériel (et de sa maintenance), des achats locaux et de l’évaluation
des besoins. Il est souvent apparenté à un gestionnaire et peut être en charge de la sécurité
du camp. Sa tache est très variable selon la nature, le lieu et le nombre d’expatriés sur la
mission.
La plupart du matériel importé (ordinateurs…) voyage avec les expatriés quand
cela est réalisable. Lorsque le type de matériel rend cette option impossible (pour une
pompe à eau par exemple), Solidarités tente de négocier les conditions d’expédition lors du
contrat. Un incoterm adapté est alors utilisé afin que le fournisseur prenne en charge la
livraison, afin de simplifier les procédures. L’activité logistique de Solidarités est donc
relativement limitée et ne contient pas d’éléments spécifiques comme le respect de la
chaîne du froid.
22
L’association avait longtemps négligé l’aspect logistique, et n’a que récemment
ouvert un poste de responsable au siège. Cela s’inscrit dans une démarche de
professionnalisation de Solidarités. Aurélien Maréchal, responsable logistique de
l’organisation, ne pense pas un jour externaliser l’ensemble de la logistique de Solidarités
car elle n’est pas assez complexe, mais pense surtout qu’il est important d’en maîtriser les
différents éléments. Cependant (n’ayant jamais réellement réfléchi à la question), il
envisagerait éventuellement de se « séparer » de l’activité achats et transport. Mais il est
capital de conserver la coordination avec le terrain.
Enfants du Monde Droits de l’Homme a elle aussi
une politique d’approvisionnement faible, voire nulle des
pays développés vers les pays en voie de développement.
En effet, les expatriés se procurent quasiment tout le matériel sur place, hormis les
téléphones satellitaires qui sont achetés en France pour des raisons contractuelles
(payement des communications). Ainsi, il n’y a pas de coordinateur logistique au siège, et
selon Charaf Moulali (Délégué général) il n’y en a nullement besoin. De plus, c’est un
choix délibéré, d’une part pour des raisons éthiques (développement de l’économie locale),
et d’autre part pour des raisons budgétaires. Comme nous l’avons dit auparavant,
l’association n’est pas dans une optique de professionnalisation.
L’activité que EMDH développe sur le terrain ne nécessite pas de matériel
spécifique, puisque les constructions (souvent sommaires) sont faites avec les ressources
naturelles locales. Par exemple dans les camps de réfugiés au Darfour l’association a
construit des « baraquements » à l’aide de ficelles et de bois local. Il en est de même pour
les jouets. Elle ne souhaite pas « inonder » les enfants de jeux occidentaux, mais plutôt de
créer des jeux sur la base du matériel qu’ils utilisent déjà. Ainsi ils ne se sentiront ni lésés
ni perdus au départ de l’association.
En revanche, Pharmaciens Sans Frontières possède un pôle logistique propre
important. Comme chez MSF, on distingue chez PSF les biens médicaux des biens non
médicaux, principalement parce que leur gestion engendre une organisation complètement
23
différente. De nombreuses contraintes sont à respecter pour les médicaments (chaîne du
froid, date de péremption…) et les achats se font grâce à une centrale spécialisée. Le
circuit logistique est différent.
Logiquement, c’est le service médical qui représente le plus de
volume chez PSF, et des opérations de groupage avec le service non
médical (voire éventuellement avec une autre ONG) peuvent être
opérées afin d’optimiser le chargement. Mais PSF cherche lui aussi à
s’approvisionner directement sur place prioritairement (même pour ce
qui est des médicaments lorsque cela est possible). Cependant, une demande de cotation au
siège est effectuée par le logisticien terrain pour une somme supérieure à 1000€.
Face aux besoins et dans la mouvance de la professionnalisation, l’organisation
logistique a dû être remise à plat récemment et être quasi-intégralement réorganisée. Là
aussi négligé pendant longtemps, l’aspect logistique s’est petit à petit révélé essentiel pour
le bon fonctionnement des missions sur le terrain mais aussi pour la pérennité de
l’association. Au fil des années, les méthodes de travail n’avaient pas été revues, entraînant
inévitablement une désorganisation de fond de l’ensemble de l’association. Des lacunes
dans la gestion des stocks et des méthodes strictes (notamment écrites) pour les prises de
commandes ont montré leurs limites avec l’augmentation de taille de la structure.
L’association ne disposait pas non plus de fichier fournisseur ni de méthode de suivi des
documents importants (document douaniers…), ce qui constitue un handicap important
pour la coordination des informations. Or, c’est une des principales conditions pour une
logistique efficace. En cela, PSF est un très bon exemple de réorganisation logistique. Et le
tournant imposé par l’environnement et les pratiques de PSF nous font nous interroger sur
l’opportunité de maîtriser toute la chaîne.
En effet, PSF a une logistique intégralement propre, et maîtrise entièrement les
fonctions d’achats et de stockage, mais aussi la gestion des commandes. Basé sur un ancien
camp militaire, le siège de PSF est relativement grand et permet une grande capacité de
stockage pour les produits non médicaux. Cela rend donc les taches d’inventaires et
d’expéditions plus simple en théorie. Le personnel logistique peut donc exercer un meilleur
24
contrôle, plus régulier du niveau des stocks. De plus, PSF n’a pas à subir les coûts
engendrés par la location d’un entrepôt et d’un gardien.
La composante transport demeure limitée, mais organisé par Paris si nécessaire.
PSF priorise le caractère urgent de l’expédition sur la notion de coûts, et utilise tous les
types de transport (principalement routier et aérien, maritime et express rarement…). Outre
l’aspect prioritaire, le choix s’effectue selon les critères « standard », à savoir le poids, la
taille et le coût des biens à envoyer.
Concernant les produits pharmaceutiques et médicamenteux, l’acheteuse de PSF
commande auprès de centrales d’achats spécialisées comme la CHMP (Centrale
Humanitaire Médico-Pharmaceutique) ou Mission Pharma, après appels d’offres. Les
ordres de récupération des marchandises sont envoyés au transporteur (il faut parfois faire
le tour de plusieurs centres) qui regroupera l’ensemble des marchandises avant de les
expédier vers la destination définie. L’activité concernant le matériel médical est donc
principalement déjà sous-traitée.
2 Enjeux et avantages d’une logistique propre
Comme nous l’avons vu, la plupart des organisations non gouvernementales
disposent d’une logistique propre. Soit parce que ce type d’organisation correspond à ses
besoins, soit parce que l’idée d’externaliser ces fonctions n’est pas encore naturelle dans le
milieu de l’humanitaire.
Comme décrit précédemment, les départements logistiques se sont formés au fur et
à mesure des missions, au fil des besoins de l’ONG. Certaines même proclament ne pas en
disposer. Des réorganisations sont en cours tant dans le milieu de l’humanitaire
(professionnalisation…), qu’au sein des organisations elles-mêmes. Mais quels sont ces
avantages à disposer d’une logistique à soi ?
Tout d’abord, cela permet une certaine rapidité d’exécution. Surtout dans un
contexte d’urgence, certaines décisions concernant les stocks ou les expéditions doivent
être prises rapidement. L’arrivée précoce des secours conditionne la vie de milliers
d’individus et le temps de décision ne peut être une explication suffisante à un tel retard.
25
En effet, en ayant sa propre structure, les décisions prises peuvent en théorie s’appliquer
plus vite que s’il fallait parlementer avec un tiers.
Cela rejoint la notion d’indépendance de l’ONG face à sa propre politique
stratégique à laquelle sont très attachées la plupart d’entre elles. En étant indépendante,
l’organisation ne doit rendre de compte à personne (quant aux produits commandés et
stockés, à leur quantité…) hormis bien sûr aux bailleurs de fonds. Beaucoup de
responsables logistiques semblent se plaindre d’une nette augmentation de l’aspect
bureaucratique dans leur travail quotidien. Les bailleurs de fonds réclament en effet de plus
en plus de rapports écrits et de suivis des procédures. De plus, le jeu de la concurrence qui
doit être respecté pour tout achat (de matériel ou de prestation) complique largement la
tâche. Avoir sa propre logistique permet donc aux associations d’éviter certaines
justifications (recours à tel prestataire…).
La notion d’indépendance semble très forte dans le milieu humanitaire ; c’est
réellement ce que j’ai pu ressentir lors de discutions avec mes interlocuteurs. C’est
probablement une des raisons pour laquelle les opérations de groupage sont peu
nombreuses, les ONG ne veulent pas dépendre de quelqu’un d’autre…
Par ailleurs, maîtriser sa logistique confère un avantage en termes de flexibilité.
Beaucoup d’imprévus étant naturellement possible dans le domaine de l’action d’urgence,
il est important d’avoir une chaîne réactive et flexible, permettant de corriger les impairs
« décidés » dans l’urgence. En effet, un prestataire qui gère d’autres entreprises ne peut pas
forcément concentrer toutes ses capacités productives (actions de picking, de chargement
par exemple…) pour une seule d’entre elles, même si la cause est justifiable.
Les entreprises ont tendance à faire appel à un prestataire lorsque les fluctuations
d’activité sont relativement faibles et/ou prévisibles. Chaque changement dans la
procédure a un coût supplémentaire souvent important pour le client. Ainsi, outre
l’augmentation de la flexibilité, il semble que la maîtrise de sa logistique par une ONG lui
confère également un avantage économique en cas de crise : un autre point prépondérant.
26
Mais le rôle du logisticien au siège est aussi largement d’assurer la coordination
avec le terrain, touchant donc notamment aux systèmes d’informations. Ici, l’avantage
d’une maîtrise de la logistique est évidente. Le personnel d’une association humanitaire
partage des valeurs et du vocabulaire communs. Il arrive aussi que les interlocuteurs se
connaissent pour avoir travaillé sur des missions auparavant. Spécialement lorsque les
conditions sur le terrain sont difficiles (climats de tensions, manque de matériel…), le
discours du responsable au siège doit absolument être adapté aux circonstances. Or une
personne « proche » (esprit, but…) est la plus apte à répondre à ce genre de besoins. Une
bonne communication entre le siège et le terrain est essentielle et doit impérativement se
faire dans les meilleures conditions possibles. La réduction du nombre d’intermédiaires
et/ou d’interlocuteurs est alors une nécessité.
Comme dans beaucoup d’ONG, il semble que la communication interne reste très
limitée et peu structurée. Pourtant, la coordination entre membres d’une organisation
humanitaire, mais aussi entre différentes organisations apparaît vitale pour la pérennité des
opérations menées.
27
II. LA COOPERATION, UN ENJEU DE TAILLE
A. La nécessité d’une chaîne parfaitement fluide
1 L’efficacité passe par la circulation des informations
• Entre acteurs de l’urgence eux-mêmes :
La nature du terrain sur lequel agissent les humanitaires rend la transmission des
informations d’autant plus nécessaire, du fait de la difficulté même de recevoir certaines
informations. Par exemple, chaque ONG envoie des équipes d’évaluation des besoins à la
suite d’une catastrophe. Ces informations sont ensuite remontées au siège, qui décide alors
immédiatement du type de matériel à envoyer et en quelles quantités. Les ONG ont établi
des méthodes d’audit standard afin de perdre le moins de temps possible, les premières
heures après un sinistre étant capitales.
Or, il arrive -logiquement- souvent que les ONG apportent le même type de
matériel sur place, alors que d’autres manquent car ils n’ont pas été considérés comme
prioritaires. Par exemple, 22 tonnes de médicaments périmés car arrivés en trop grand
nombre et probablement non adaptés ont du être détruits à l’hôpital principal de Sarajevo
lors du conflit du début des années 90. Certains doublons seraient évitables s’il y avait une
meilleure communication entre ONG à la base. Etant informées intégralement de la totalité
des besoins, une coopération pourrait se mettre en place et les ONG pourraient se répartir
la charge des marchandises à acheminer selon leur spécialité (médical, sanitaire…).
Pendant le tsunami par exemple, « on ne comprenait donc pas, du moins durant les 15 jours
suivants la catastrophe, que les secours médicaux urgents étaient inutiles, mais qu’en plus
ils embouteillaient des canaux déjà saturés, ne faisant qu’ajouter de la pagaille à la
pagaille. (…) Si les épidémies produisent des cadavres, le contraire n’est pas vrai. (…) On
sait pourquoi depuis Pasteur. (…) Et on gaspille du temps et des moyens, alors qu’il y a
bien assez de taches urgentes, comme rétablir les communications terrestres et les
28
télécommunications, acheminer des vivres, organiser l’hébergement, évacuer malades et
blessés, informer la population sur l’organisation des secours, etc. »13
Pour pallier ce genre de problèmes à l’interne, « Oxfam's logistics department is
currently working with its eight Regional Management Centres to build up a database for
each region. This resource should be shared among agencies. »14 Il est très positif de voir
que certaines ONG réagissent matériellement pour surmonter à ces difficultés
d’informations ; mais il serait encore mieux que ce genre d’initiatives ait une portée
collective.
On pourrait même à terme imaginer un système d’évaluation général, central à
toutes les ONG d’une même spécialité. Mais cela reste largement de l’ordre de
l’imaginaire tant la volonté d’indépendance des ONG est grande.
L’évaluation dans certaines régions sinistrées s’avère très difficile voire impossible
à cause de la destruction des infrastructures routières par exemple. Ainsi, il est très difficile
de connaître les besoins de ces régions isolées, ces derniers pouvant être en partie
différents des régions les plus accessibles. D’après un communiqué de Handicap
International le lendemain du séisme au Pakistan (11 octobre 2005), « L’accès aux
victimes des zones reculées ne peut pour l’instant se faire que par hélicoptères. (…) Il est
particulièrement important d’intervenir auprès des blessés le plus rapidement possible,
pour augmenter leurs chances de récupération et éviter des handicaps définitifs. Les
besoins en appareillage orthopédique et en soins de rééducation, encore difficiles à estimer
précisément, sont déjà considérables, et le resteront pendant des années. »15 Loin de
critiquer l’action exemplaire de Handicap International et Atlas Logistique, les populations
des montagnes qui n’étaient pas facilement accessibles nécessitaient en majorité des
couvertures…
13 Penser dans l’urgence, Rony Brauman, entretiens avec Catherine Portevin, Ed. du Seuil, mars 2006, p244-245.14 Traduction libre : « Le département logistique d’Oxfam travaille, en partenariat avec ses 8 centresrégionaux à la construction d’une base de donnée pour chacune des régions. Cette ressource sera partagéeentre toutes les agences. » Donald Chaikin, Oxfam GB, http://www.fmreview.org/text/FMR/18/05.htm15 http://www.coordinationsud.org/
29
Or, le but de la logistique est d’apporter le bon produit au bon endroit. Il n’est pas
facile de savoir ce qu’il faut et où, d’où l’absolue nécessité de la transmission
d’informations entre acteurs de l’urgence humanitaire.
• Entre acteurs de l’urgence et acteurs du développement :
Nous l’avons dit, le terrain est souvent difficilement praticable en cas de
catastrophe naturelle. Les ONG d’urgence doivent en effet s’adapter le plus rapidement
possible à de nombreux facteurs : relief, climat, culture, problèmes sous-jacents des pays
concernés…
Or, notamment en cas de conflits armés, des ONG spécialisées dans le développement du
pays sont souvent déjà sur place. Elles disposent donc déjà de nombre de ces informations,
car elles négocient avec au quotidien. Le fait pour une organisation humanitaire d’urgence
de disposer de ces informations dès le début de son action –voire avant- est un élément
essentiel dans la rationalisation des ressources à mettre en œuvre rapidement.
Toujours en amont, les associations humanitaires de développement sont plus à
même de prévenir les crises et de tirer la sonnette d’alarme, afin que les humanitaires
d’urgence puissent arriver le plus tôt possible et le mieux renseigné aux coté des victimes.
Il existe certes des sites Internet de qualité traitant des problèmes humanitaires à travers le
monde, mais rien ne peut remplacer le ressenti et l’expérience du personnel humanitaire en
poste (qu’il soit local ou expatrié), et ce pour toute association.
Un autre moyen de coopérer avec les secours d’urgence et de rendre leur tâche plus
« facile » et surtout plus rapide, est de « maintenir la meilleure coordination possible avec
les entités [du gouvernement local] pour obtenir des accords antérieurs à l’intervention
sous forme de collaborations mutuelles, telles que l’exemptions d’impôts pour les
approvisionnements, le traitement prioritaire dans les formalités de douane, etc. ».
Il n’est pas rare que les convois humanitaires ne puissent pas entrer dans le pays
pour raisons politiques (blocus…). Ce fut le cas en 1992 lors de la collecte massive de riz
pour la crise alimentaire somalienne, où les bateaux restèrent bloqués des semaines au
port faute d’autorisation administrative. L’impact est considérable sur le public donateur,
et souligne la nécessité d’entretenir de bonnes relations politiques internationales.
30
À l’inverse, une fois la crise passée, des efforts de transmission d’informations et
de coordination des acteurs d’urgence aux acteurs de développement sont également
nécessaires. Il est important de conserver des « archives » du travail réalisé sur place par
l’ONG d’urgence, mais surtout des problèmes rencontrés afin de gagner du temps sur les
projets à mettre en place pour un meilleur (re)développement local. Mais de plus en plus
d’ONG mènent ces deux types d’actions et bénéficient donc de ces précieuses
informations. Quoi que parfois, la désorganisation des informations touche aussi
l’ensemble de l’organisation de l’ONG.
Mais la frontière entre urgence et développement demeure floue, chaque contexte
s’avérant différent. Ainsi, alors que certaines organisations parlent de « phase de
reconstruction », Solidarités parle de missions « post-urgence » lors de travaux de
réhabilitation et de construction de réseaux d’eau potable dans les pays du tiers monde
touchés par une crise humanitaire. Ces phases peuvent durer de 3 à 6 mois sur des crises
non permanentes (comme des catastrophes naturelles) ; la phase de développement n’a que
rarement une fin, sauf lorsque celle ci est décidée par l’ONG pour des raisons plus
« stratégiques ».
2 L’optimisation via la coopération
• Au sein même de l’ONG…
Nous l’avons vu, les ONG ont de nombreux point communs avec les entreprises
d’un point de vue organisationnel. Ces dernières ont compris la nécessité d’une
collaboration entre acteurs de la chaîne logistique, et ce pour l’intérêt de tous, du
fournisseur à la satisfaction du client final.
Les différents maillons de la Supply Chain, qu’ils soient acteurs humanitaires ou
entreprises, doivent mettre en place une parfaite transparence entre eux. Ils sont
interdépendants et ne peuvent être complètement efficients que s’ils agissent dans des
actions communes et logiques les uns par rapport aux autres. Cela nécessite un niveau
élevé de communications, qui n’est pas encore tout à fait acquis ni en entreprise, ni dans le
31
milieu de l’humanitaire. En effet, « la coordination tant intra qu’inter organisationnelle
joue une rôle primordial pour améliorer de manière sensible l’intervention de chaque
acteur en termes de rapidité, de cohérence et de qualité des réponses aux besoins des
victimes. »16
L’une des principales attentes de la coopération est l’optimisation des coûts
logistiques. En effet, « l’analyse du coût logistique total est essentielle : plutôt que de
réduire individuellement le coût de chaque activité, l’approche logistique intégrée se fixe
comme objectif de minimiser le coût logistique total de l’ensemble des activités logistiques
pour un niveau de service choisi. Le coût logistique total est la somme des coûts de
transport, entreposage, processus de commande, coût intrinsèque du stock et de
production. »17 .
Le niveau de stocks de chaque maillon de la chaîne est un des points les plus
« facile » à optimiser grâce à une très bonne communication de la SC. Le stock est un mal
endogène qui s’avère nécessaire mais dont les coûts de possession peuvent être très élevés
et handicaper lourdement le niveau de liquidité de l’entreprise. En effet, ils sont répartis en
coûts de détention (le manque à gagner dû à l’immobilisation de capitaux) et le coût
physique de stockage (loyers d’entrepôts, chauffage, assurance...). C’est ce dernier qui
intéresse surtout les logisticiens humanitaires.
Dans le but d’éviter une rupture de ce fameux stock, chaque maillon a tendance à
garder un niveau de stock propre relativement élevé afin d’être réactif face à la demande.
En additionnant tous les stocks de chaque acteur de la chaîne, on s’aperçoit que le niveau
de stock total est beaucoup trop élevé (et donc coûteux) par rapport aux besoins exprimés.
C’est ce qu’on appelle l’effet boule-de-neige (ou « Bullwhip effect »). L’avantage d’une
bonne circulation d’informations est la diminution de ces stocks inutiles grâce à une
meilleure connaissance de la demande finale.
Dans le cas de l’humanitaire, la demande finale est difficilement évaluable tant en
termes de quantité que de délais, puisque l’activité ne peut prévoir quand elle connaîtra un
pic et dans quelles mesures. Cependant, les marchandises nécessaires restent souvent les
mêmes (tentes, couvertures, vaccins, nourriture, pompes à eau…). Ainsi, sans discuter le
16 Logistique Management vol 14 n°1 – 2006, ISLI, p 35.17 Stratégie logistique, Alexandre K. Samii, Ed Dunod, 2004 (3eme édition), p46.
32
besoin d’un stock important « prêt à partir » au bout de la chaîne (entrepôts), la Supply
Chain humanitaire pourrait réaliser de réelles économies et donc baisser le coût total des
marchandises si ses acteurs créaient plus systématiquement de réels partenariats.
C’est ce qu’a entrepris de faire MSFL en communiquant automatiquement ses
prévisions et toutes les données dont il dispose à ses fournisseurs. On appelle cela l’EDI
(Echange de Données Informatisées). Ce partage des informations quasiment en temps réel
permet à MSFL de recevoir un feedback rapide du fournisseur quant à sa capacité à assurer
ou non l’urgence dans les délais minimum.
Par ailleurs, ces coopérations avec les fournisseurs tendraient à conférer un bon
niveau de qualité des marchandises, le fournisseur n’ayant aucun intérêt à décevoir son
client sur un potentiel partenariat long terme. C’est d’autant plus important dans le
domaine de l’humanitaire où le matériel (notamment médical) se doit d’être
particulièrement fiable puisque exposé à des conditions difficiles (chaleur, chocs,
utilisation intensive…).
Toujours dans une optique d’optimisation des flux, et lorsque cela est possible
grâce à une proximité géographique des fournisseurs, une transparence des informations
pourrait également permettre une massification des flux pour le transport des marchandises
vers la destination finale. Ainsi, les camions livreraient toujours à plein, réduisant ainsi le
coût du transport mais aussi le coût environnemental.
« Il semble évident qu’une ONG devra multiplier les liens avec ses fournisseurs de
matériels, avec des producteurs de bien alimentaires et non alimentaires, avec des
prestataires de services logistiques, sans oublier des organisations humanitaires locales
souvent en charge de la distribution finale. »18 En effet, l’efficacité de chaque ONG est un
fait acquis et non contestable au regard des milliers de vies que, chaque jour, les
humanitaires permettent de sauver.
Mais ne seraient elles pas encore plus performantes en alliant leurs efforts entre
elles afin de parvenir à leur but commun ?
18 Logistique Management vol 14 n°1 – 2006, ISLI, p 36.
33
• … mais aussi entre organisations.
Il est temps de raisonner en terme d’organisation globale et non plus
individuellement. C’est sans aucun doute ce qui a manqué lors de la catastrophe liée à
l’ouragan Kathrina en août 2005, laissant dans une longue détresse une population déjà
affaiblie par un niveau de vie modeste. « Même le pays le plus puissant du monde pouvait
se trouver confronté à des dysfonctionnements d’une gravité inimaginable faute d’une
parfaite coordination logistique au niveau des secours. »19
Chaque organisation ayant sa ou ses propres spécialités, il est tout à fait bénéfique
pour chacune de compléter son savoir faire spécifique avec d’autres organisations, afin
d’enrichir son champ d’action, et de faire profiter de ses compétences à d’autres
associations poursuivant le même but. Des synergies positives peuvent donc être crées, et
organisées autour d’un acteur central servant de point de coopération.
En situation d’urgence ou de catastrophe naturelle, l’organe OCHA (Office for the
Coordination of Humanitarian Affairs) est chargé, comme son nom l’indique, de
coordonner les secours afin de garantir une action efficace, cohérente et rapide. Il est
composé de membres institutionnels (ONU), de professionnels de l’humanitaires comme
des responsables de l’IFCR ou de diverses ONG. « Il coordonne la prise de décisions entre
les différentes organisations, notamment en ce qui concerne l'alerte rapide et la
planification des interventions d'urgence, l'évaluation des besoins, les appels globaux, les
structures de coordination sur le terrain, l'élaboration des politiques humanitaires et les
activités de sensibilisation. »20
Cette interface permet une meilleure coordination des secours et des informations,
ces dernières pouvant être réparties de manière transparente et opportune aux différents
acteurs concernés. Une telle démarche nécessite une institution internationale neutre, à
l’image des « Nations Unies [qui ont été] mises à l’écart pendant la guerre du Kosovo, [et
qui] ont finalement été ramenées au premier plan car cette organisation reste à ce jour le
19 Logistique Management vol 14 n°1 – 2006, ISLI, p 33.20 http://www.medecinsdumonde.org
34
seul forum politique universel et le seul cadre où puisse être obtenue la résolution de tels
conflits. »21
Mais cela reste une coopération provisoire, c’est-à-dire une « coopération
horizontale à l’échelle de l’ensemble des acteurs concurrents dans un secteur particulier,
mais sans volonté de leur part de s’associer durablement pour gérer des ressources
communes. »22.
Il pourrait être également pertinent d’envisager cette collaboration de manière plus
durable : C’est ce qu’ont cherché à faire Handicap International et Atlas Logistique lors de
leur fusion en juin dernier. En effet, HI n’étant pas des plus performant en matière
d’urgence, l’ONG a choisi de s’allier avec un « professionnel » de la logistique d’urgence.
En contrepartie, Atlas jouira de moyens plus importants pour mener ses actions. Mais elles
continueront à communiquer avec leur nom d’origine, notamment pour garder la confiance
de leurs bailleurs de fonds respectifs.
De telles synergies sont possibles, mais nécessitent un énorme travail
d’organisation et de circulation d’informations en amont, la logistique humanitaire ne
pouvant laisser aucune place à l’improvisation. Trop d’acteurs sont concernés et l’enjeu est
trop important pour les populations en détresse pour laisser place au doute.
21 L’aventure humanitaire, JC Ruffin, Ed. découvertes Gallimard, 1994, p120.22 Logistique Management vol 14 n°1 – 2006, ISLI, p 40.
35
B. L’ébauche d’une solution : les plate-formes communes
1 Des plateformes technologiques communes
• Au cœur de la Supply Chain de l’ONG
Les avancées technologiques régulières permettent au sein des entreprises une
meilleure coordination, notamment grâce à l’introduction d’ERP (Entreprise Ressource
Planning). « Les systèmes d’informations mis en place ont permis de mettre sur pied des
réseaux de communication le long de la chaîne de valeur physique qui entraînent la
création de réseaux locaux de communication (local area networks –LAN) utilisant des
données d’activités de l’entrepôt en amont afin d’améliorer la performance des autres
activités en aval. »23 Ces progiciels sont adaptés aux besoins de chaque entreprise après
l’établissement d’un cahier des charges strict. Leur utilisation s’accroît dans le secteur
privé, que ce soit dans les grandes entreprises comme dans les PME, et devient de plus en
plus incontournable. Ils permettent une fluidité, une instantanéité et une exactitude de
l’information, disponible à tous les acteurs de la chaîne. Cet outil est d’autant plus
important qu’il permet une réduction des coûts et une rationalisation des ressources sur
l’ensemble du processus logistique.
Adapté à l’activité humanitaire, ce type de progiciels pourrait résoudre en grande
partie le problème de la communication intra ONG. C’est le projet commun qu’ont mené le
Fritz Institute et le Comité International de la Croix Rouge (CICR). Ils ont en effet crée le
premier software logistique humanitaire (HLS) via Internet « désigné pour connecter toutes
les étapes de la chaîne logistique, depuis le lancement des appels aux dons à la réception
des donation, à l’entreposage et à la distribution. » Les premières études faites par le CICR
montrent que grâce à ce software, la rapidité de la Supply Chain a augmenté de 20 à 30%
sur les opérations de grande envergure comme avec les réfugiés soudanais, ou encore lors
d’ouragans en Haïti et dans les Caraïbes.24 De plus, conscient du besoin et cherchant à
étendre ce genre d’aide, ce logiciel est gratuit pour les associations reconnues. Mais la
résistance au changement n’épargne pas le secteur de l’humanitaire, et la plupart des ONG
23 Stratégie logistique, Alexandre K. Samii, Ed Dunod, 2004 (3eme édition), p163.24 http://www.synergos.org
36
ne bénéficient pas encore de ce type de produit. En ce sens, l’externalisation des activités
logistiques pourraient les rendre plus performantes.
« Oxfam GB and the International Rescue Committee have collaborated on the
development of an IT logistics system which has proved to be effective, fairly inexpensive
and relatively painless to get underway. It was designed to support Oxfam/IRC's specific
needs but other agencies such as Save the Children UK and the UK NGO Merlin have
since expressed interest in it. »25
Du point de vue des bailleurs de fonds, cette plateforme technologique commune
permettrait une vision globale des actions à mener et des ressources à allouer. Cela
permettrait une meilleure répartition des fonds et une transparence des actions menées par
les associations tout en assouplissant l’aspect bureaucratique dont se plaint le personnel du
siège. En effet, il est de plus en plus difficile pour les associations de trouver les
financements nécessaires à leurs actions, les bailleurs étant de plus en plus sollicités et plus
exigeants quant aux résultats obtenus et visibles.
Un « ERP humanitaire » et une meilleure communication des informations
permettraient ainsi une optimisation des ressources et une augmentation de la réactivité et
de la transparence pouvant être génératrice d’économies et source de nouveaux
financements.
• Un outil d’informations internationales
Les médias jouent un grand rôle dans la communication des crises, et c’est souvent
lorsqu’ils relayent l’information que les choses bougent. Or, il semble que ce soit de moins
en moins le cas, hormis bien sur lorsqu’il y a un véritable engouement grâce à des images
choc et/ou la présence d’occidentaux sur les lieux de la catastrophe. « Pendant plusieurs
semaines, l’information a été purement et simplement congédiée, remplacée par une sorte
de Télé-Pravda sentimentale, due à la période de Noël et à la présence de nombreux
touristes occidentaux qui créait un effet de proximité encore amplifié par les images vidéo 25 Traduction libre : « Oxfam Grande Bretagne et l’IRC ont collaboré pour le développement d’un systèmelogistique d’information technologique qui a prouvé être efficace, peu cher et relativement facile à mettre enœuvre. Il a été conçu pour supporter les besoins spécifiques d’Oxfam et de l’IRC ; mais d’autres agencescomme Save the Children et l’ONG britannique Merlin ont exprimé leur intérêt depuis. » Donald Chaikin,head of Logistics at Oxfam GB. http://www.fmreview.org/text/FMR/18/05.htm
37
tournées par ces mêmes touristes. Huit mille Européens ont perdu la vie en quelques
minutes ce 26 décembre 2004, événement inédit depuis 1945. (…) Le séisme du
Cachemire est bien différent à plusieurs égards. (…) Aucune médiation, ni celle des
images ni celle d’étrangers, n’est intervenue pour rapprocher les sinistrés du reste du
monde. »26
L’aspect « routinier » des crises humanitaires n’intéresse que peu les grands
médias, qui préfèrent montrer des images « moins déprimantes » que des corps dénudés et
tristement maigres au public occidental. La crise du Darfour qui mobilise pourtant les
humanitaires depuis plusieurs années et qui est considérée comme une des plus grande
catastrophe humanitaire de ce siècle est pourtant peu médiatisée aux heures de grande
écoute. « Ajuster les secours en fonction des besoins et non de la sympathie demeure (…)
un rôle essentiel des organisations humanitaires, privées, et onusiennes, ainsi que des
Etats. »27
Pour pallier ce manque d’informations, on pourrait imaginer la création d’une
plateforme d’informations commune relayant en permanence l’état des lieux des différents
conflits partout dans le monde, et consultable par tous.
Une version plus élaborée permettrait à toute ONG accréditée, mais aussi aux
bailleurs de fonds de recevoir ces informations précieuses en continu.
Cette plateforme permettrait surtout aux différentes ONG actives sur le terrain de
partager les informations qu’elle recueillent, optimisant alors les projets de l’ensemble des
ONG sur un même territoire. Ce partenariat aurait pour but l’optimisation des moyens mis
en œuvre et de parvenir à une meilleure réactivité des acteurs humanitaires, notamment
dans l’urgence. En effet, l’anticipation d’une crise est un critère majeur à la réussite d’une
mission.
Il existe déjà une base de données consultable sur le terrain par les ONG arrivantes.
Elle recense les opérations et le travail effectué par les ONG et institutions par secteur et
par pays. Le United Nation Anual Work Plan crée par les Nations Unies est renseigné par
les ONG déjà sur place (voire parties) qui acceptent de coopérer. Un des acteurs majeurs
de l’humanitaire, MSF, essuie pourtant des critiques quant à la circulation de ces
26 Penser dans l’urgence, Rony Brauman, entretiens avec Catherine Portevin, Ed. du Seuil, mars 2006, p250.27 ibidem
38
informations. L’association refuse en effet de renseigner ce document, officiellement afin
de conserver sa neutralité. Cela montre bien que la coopération absolue n’est pas encore
pour demain…
Par ailleurs, « l’augmentation du nombre d’acteurs impliqués dans l’aide d’urgence
depuis plusieurs années, leur cloisonnement, et l’extension progressive de leurs champs
d’action selon une dimension temporelle (projection dans l’immédiat, le moyen terme et le
long terme en fonction des acteurs concernés), sont des facteurs de complexification des
situations de crise. »28
Ce phénomène implique donc la nécessité d’une meilleure communication entre les
ONG, qui risquent encore plus de chevaucher leurs actions et de « gaspiller » les
ressources allouées.
2 Des plateformes physiques communes
Nous l’avons compris, c’est en alliant leurs forces que les ONG auront le plus de
chances d’atteindre la plus grande efficacité. Mais au lieu de parler non plus en terme de
flux d’informations, mais en termes de flux physiques, la coopération entre ONG
permettrait non seulement une connaissance générale en vue de meilleures décisions, mais
de réelles économies financières.
Par ailleurs, lors de la « découverte » d’un conflit, chaque organisation humanitaire
envoie aux mêmes endroits des vivres et des Hommes selon leur spécialité. On parle
d’ailleurs de « route de l’humanitaire ». Elles cherchent évidemment à optimiser le
remplissage des camions; mais les petites associations dont les ressources et la réactivité ne
sont pas égales aux grandes « sans frontièristes » mettent plus longtemps à remplir un
camion, à en traiter l’aspect administratif (documents douaniers…) etc.
Un système de groupage des marchandises de plusieurs « petites » ONG rendrait
leur travail plus rapide, et étalerait leurs envois dans le temps. On peut imaginer la création
28 Logistique Management vol 14 n°1 – 2006, ISLI, p 38
39
d’une plateforme Cross-docking29 par laquelle transiteraient les différents poids lourds
humanitaires.
Prenons un exemple simple : au lieu qu’une association remplisse un camion en 3
semaines, trois organisations coopérantes rempliraient un camion par semaine, remplissant
alors chacune 1/3 du camion. Au bout de 3 semaines, le nombre de camions expédiés serait
le même, mais la tache de travail serait plus étalée dans le temps.
Si l’on imagine qu’une organisation aurait peiné à remplir un camion entier (et aurait donc
peut être fini par envoyer un camion en partie vide), même au bout de 3 semaines, le coût
de transport pour cette association, mais aussi le coût écologique auraient alors été plus
élevés. À l’inverse, une association qui a la capacité de remplir plus d’un camion entier fait
alors d’énormes économies en n’affrétant alors qu’un seul camion au lieu de deux. Ces
différences peuvent aussi se faire dans le temps, si une organisation dispose de biens plus
rapidement par exemple.
Cette opération serait d’autant plus profitable que les associations ont des
spécialisations différentes. Ainsi, respectant la logique des palettes mixtes livrées aux
petits commerçants, les populations locales bénéficieraient d’un peu de tout, et plus
rapidement. En effet, au lieu de recevoir de la part de petites ONG des vivres en semaine 1,
en semaine 2 des tentes et en semaine 3 des pompes à eau (pour rester schématique), les
marchandises qui arrivent seront plus variées.
Enfin, les convois humanitaires étant de plus en plus souvent attaqués (sans
toutefois tomber dans la paranoïa), diversifier ses envois augmente la probabilité pour
l’association que ses marchandises arrivent. Cela accroît certes la possibilité qu’il soit
attaqué (puisqu’au lieu de passer une seule fois elles passent 3 fois), mais pas que la
totalité soit détournée. Idem pour les pratiques de bakchichs aux check points.
Le summum de l’optimisation serait un grand réseau de transport humanitaire au
niveau international, notamment grâce à des plateformes (entrepôts et plateformes Cross-
Docking) où transiteraient les marchandises de plusieurs associations, répartissant l’aide
humanitaire aux quatre coins du globe dans les différentes zones de conflits, voire même 29 Ou transbordement : « Processus logistique qui vise à livrer un point de regroupement de produits (uneplateforme), non pour les y stocker, mais afin d’éclater le chargement vers les points de livraison finale. »L’encyclopédie du Marketing, JM Lehu, Ed. d’Organisations, p212.
40
pour les missions d’aide au développement. Ce vaste réseau serait piloté par une autorité
neutre compétente, afin d’écarter tout risque de conflits d’intérêts.
Qu’elle soit à l’échelle d’une mission humanitaire unique ou de manière plus
utopique à l’échelle mondiale, ces plateformes physiques nécessitent une parfaite
coordination et une transparence des informations de la part de tous les acteurs.
Et pour plus de facilité, la création de telles plateformes, qu’elles soient
technologiques ou physiques, pourrait notamment devoir passer par l’externalisation de
certaines fonctions logistiques.
3 Certains obstacles demeurent à surmonter
Même si elle semble totalement bénéfique, cette coopération entre organisations est
loin d’être acquise, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, comme en entreprise, ce n’est pas la logique qui a été suivie ces
dernières années.
Ensuite, il y a actuellement une grande diversité d’acteurs humanitaires, dont les
raisons d’être divergent. On distingue les associations laïques et religieuses (qui elles-
mêmes suivent leur propre stratégie), les médicales et non médicales, les bénévoles
(comme Médecins du Monde) et les professionnalisantes, les spécialisées par secteur
géographique et les sans-frontièristes… Sans compter qu’elles ont toutes des tailles et des
modes de financement différents (donateurs privés, publics…). Il est donc difficile à
première vue de hiérarchiser toutes ces entités, et encore plus de les faire s’accorder pour
une coopération de leurs actions.
De plus, beaucoup d’organisations envisagent leur politique interne de manière
différente. C’est l’une des raisons de la scission de Médecins Sans Frontières et de
Médecins du Monde en 1978.
Le financement est aussi, paradoxalement, une contrainte forte à la coopération
entre associations. Même si l’idée préconçue d’une rivalité entre organisations
41
humanitaires n’est pas entièrement fausse, il n’en demeure pas moins que, notamment en
cas de crise médiatisée, il est important pour chaque ONG d’être « visible » aux yeux du
grand public et des bailleurs de fonds. Cela leur permet de justifier leurs dépenses et d’être
plus crédibles pour lever des fonds futurs. C’est un des gros reproches que l’on a pu
entendre lors du tsunami de décembre 2005, les ONG ayant été alors accusées de trop
chercher à se montrer plutôt que d’être réellement efficace. Ces jugements hâtifs ont selon
moi été très préjudiciables à la cause humanitaire, dont nous connaissons tous l’importance
et la fragilité. Une réelle coopération contribuerait peut être à faire taire ce genre de
propos.
Mais les freins liés au groupage des marchandises semblent être les plus difficiles à
surmonter. Surtout en cas de conflits, de nombreux paramètres sont à prendre en compte
lors de l’envoi d’un convoi humanitaire.
Tout d’abord la nationalité de l’organisation peut avoir de grandes conséquences.
Malgré la meilleure intention du monde, le convoi d’une ONG américaine ne serait pas des
plus apprécié en territoire irakien en ce moment. Ainsi, dans un climat de tension
permanente et de paranoïa, même si une infime partie des vivres présents dans un camion
est de nationalité US, le chargement entier risque d’être soupçonné, tout comme ses
chauffeurs.
Or, même si l’acheminement de matériels est indispensable, la sécurité du
personnel demeure la priorité. Certains responsables déclarent refuser de faire de
« l’humanitaire militaire, c’est-à-dire risquer la vie de son personnel pour venir en aide à
une population, notamment dans des endroits où l’association ne serait pas pleinement
acceptée par cette dernière. L’aide humanitaire doit se faire en harmonie avec les
locaux.»30
Même si la population est compréhensive, elle n’a que peu de poids politique en
période de guerre. L’humanitaire semble devenir un métier de plus en plus dangereux où le
statut même d’humanitaire ne constitue plus un rempart à la violence. Nous avons tous en
tête des exemples désastreux d’humanitaires enlevés ou tués comme Margaret Hassan,
directrice du bureau irakien de Care International, dont l’assassinat filmé puis diffusé avait
30 Interview par l’auteur de Charaf Moulali, Délégué général d’Enfants du Monde Droits de l’Homme,10 avril 2007, Paris.
42
particulièrement ému et soulevé le débat quant à la présence humanitaire dans cette zone
où le non-droit semble s’être installé.
En effet, la sécurité du personnel humanitaire apparaît de plus en plus précaire, que
ce soit lors de « grands conflits » comme l’Irak, ou de conflits plus « sourds » comme en
RDC ou au Darfour, où des associations comme Oxfam ont choisi de se retirer de certains
camps la nuit, par crainte pour leur sécurité. D’un commun accord, les professionnels du
terrain (qu’ils soient humanitaires ou journalistes) s’accordent à dire qu’ils se sentent de
plus en plus menacés dans la pratique de leur fonction.31 Malgré la neutralité que
s’efforcent de conserver nombre d’associations humanitaires, leur personnel n’est plus
considéré comme « intouchable » et universel.
Les opérations douanières concernant du matériel groupé de plusieurs organisations
peuvent donc souvent s’avérer problématiques, notamment dans des pays marqués par les
« pots de vins » ou les embargos. Ainsi, pendant le conflit à Sarajevo, « l’aide humanitaire
était alors un enjeu crucial. Les camions passaient les check points serbes qui apposaient
un tampon d’autorisation de circulation, après avoir consulté la liste des produits livrés.
Ensuite, ils devaient impérativement se rendre à l’aéroport et se délester de 25% de leur
chargement, que d’autres camions rapportaient à la population serbe. Après, seulement, le
chauffeur pouvait rentrer en ville, avec les 75% qui restaient. »32
Avoir les bons documents pour la totalité du convois, payer les taxes…Or, même si
le personnel se protège au mieux contre ces situations, il existe toujours des imprévus en
logistique, et peut être plus encore dans des contextes difficiles.
Ce témoignage d’un « baroudeur de l’humanitaire » soulève également le problème
du racket du matériel des ONG, pratique relativement courante et peu acceptable, surtout
lorsque l’on sait qu’il permet de nourrir les miliciens ou les forces rebelles. Le groupage
pose ici aussi ses limites, différentes ONG réagissant différemment à cette situation. Par
exemple, toujours dans cet extrait, l’auteur écrit « Je trouvais qu’on s’agenouillait trop
facilement devant les Serbes. Quand je bossais au HCR, ma voiture avait pris plus d’une 31 Nous tenons à rappeler que l’année 2006 a été la plus meurtrière pour la presse depuis 1994, avec 81journalistes tués cette année dans le monde. http://www.rsf.org32 Voyage au bout de l’humanitaire, Marc Vachon, Ed. La Découverte, 2005, p 191.
43
cinquantaine de balles à force de passer les barrages, de monter sur la ligne de front, de
négocier avec les chefs militaires. Et là, rien. On donnait sans discuter. (…) Plusieurs
bailleurs de fonds commençaient à râler. »33
Regrouper différentes marchandises de différentes ONG ajouterait donc à la
difficulté des négociations pour le passage de certaines frontières. Ainsi, la totalité des
marchandises pourrait se voir ralentie voire stoppée à cause de la politique d’une ONG ou
pour quelques objets non « conformes ». Certains produits ne sont pas acceptés dans
certains pays. Si l’un des membre d’une des organisations participant au convois a mal fait
son travail (ce qui peut toujours arriver), cela peut lourdement pénaliser les autres.
De plus, dans des contextes plus « calmes », certaines ONG parviennent à discuter
à l’avance des conditions douanières pour l’entrée de leur aide sur un territoire, ce qui n’est
pas le cas de toutes. Elles seraient donc pénalisées.
33 Ibidem.
44
III. L’EXTERNALISATION, UNE SOLUTION A LA COLLABORATION ?
A. Externaliser, mais quelles fonctions et pourquoi ?
Le terme externalisation décrit « un transfert stable et durable d’un processus
jusqu’alors interne à un opérateur externe. (…) Elle permet de faire appel à des spécialistes
qui assureront une fonction qui ne relève pas [du] cœur de métier [de l’entreprise] et pour
laquelle [des fournisseurs indépendants] sont normalement plus efficaces et plus
compétitifs. Eric Fimbel précise que : « L’externalisation est distincte de la sous-traitance,
notamment parce qu’elle modifie (en soustraction de la firme vers le marché) durablement
les frontières de la firme et la configuration structurelles de ses ressources. »34 »35.
Cependant, afin de s’adapter au vocabulaire courant, nous les utiliserons comme
synonymes au cours de ce travail.
L’externalisation peut donc aussi bien concerner une activité de production
(l’entreprise externalise par exemple sa production de produits semi-finis), mais aussi de
prestation de services. C’est à ce concept que nous nous intéresserons dans ce mémoire sur
l’humanitaire. « Selon l'Aslog (Association qui regroupe les responsables logistiques
français), près de 90% des entreprises sous-traitent un ou deux maillions de la chaîne
logistique - le plus souvent ce sont le transport et le stockage - et de plus en plus d'entre
elles confient l'ensemble de la chaîne à des prestataires extérieurs. »36
L’externalisation de prestation de services logistiques est principalement motivée
par la volonté d’atteindre une plus grande flexibilité et d’optimiser ses coûts d’exploitation.
L’entreprise souhaite par là se recentrer sur son activité principale (core business) car c’est
là où elle est la plus efficace. En confiant à un tiers spécialisé ses activités « non directes »
mais pour le moins stratégiques, elle espère gagner en réactivité et en compétitivité, tout en
profitant d’une certaine qualité de service et d’un savoir-faire extérieur.
34 « Nature et enjeux stratégiques de l’externalisation », Revue Française du Marketing, Vol. 19, n°143, mars-avril 2003, pp27-42.35 L’Encyclopédie du Marketing, Jean-Marc Lehu, Ed. d’organisation, 2004, p336.36 http://www.journaldunet.com/solutions/0312/031204_logistique.shtml
45
« Le taux de sous-traitance est en moyenne de 12% avec une prédominance forte du
transport (58%). Même si le taux reste encore assez faible, 21%, la gestion d’entrepôt reste
la seconde fonction la plus externalisée. »37 On assiste par ailleurs à une profonde mutation
du métier de « prestataire logistique [qui] ne se contente plus d’offrir une prise en main des
entrepôts ainsi que des flottes de véhicules, mais commence à s’insérer dans la Supply
Chain. »38
En termes d’actions humanitaires, la logistique est une activité centrale. Mais est-
elle forcément indispensable « à l’intérieur même » de l’organisation ? L’ensemble de
l’activité ne serait-elle pas plus profitable si l’activité logistique était confiée à un
prestataire extérieur ? Ainsi, tout comme dans certaines entreprises, la question de
l’externalisation pour plus d’efficacité doit se poser.
Mais la notion de logistique reste large, et conserver certaines fonctions pourrait
s’avérer plus nécessaire que d’autres pour certains types d’organisations.
Dans cette partie, nous mènerons en partie notre réflexion en nous basant sur
l’expérience d’un des acteurs humanitaires majeurs et un des plus avancés en terme de
logistique : Médecins Sans Frontière Logistique, dont le site français est basé à Bordeaux
Mérignac.
37 http://www.lognews.info/38 Supply chain en action, Claude Fiore, Ed. Les Echos, 2001, p167.
46
1 La fonction achats :
« Les achats visent à assurer la couverture du besoin concernant les caractéristiques
du produit et des services associés, tout en minimisant le TOC (Total Cost of Ownership),
qui représente le coût d’ensemble qui résultera de la sélection de tel produit, tel fournisseur
–par rapport à tel autre- prenant en compte l’ensemble des conséquences de ce choix, c’est-
à-dire : le prix à payer pour l’ensemble des produits et services, incluant notamment le
transport, les emballages, mais aussi les impacts financiers d’un éventuel financement de
stocks, de délais de paiements ; les conséquences internes des conditions associées, par
exemple d’avantage ou moins de stocks, tel niveau de ruptures d’approvisionnement ou de
risque concernant la qualité, telles conséquences sur l’organisation interne de la
manutention ou du transport… »39
A la base du processus logistique, la fonction achat est donc primordiale pour
l’ensemble de l’activité logistique. Il est nécessaire de ne pas la négliger et d’y allouer les
ressources essentielles à son bon fonctionnement.
La stratégie d’achats varie selon les ONG, mais elle tend majoritairement à
développer les achats locaux quand cela est possible, dans l’optique de participer au
développement de l’économie locale et de favoriser un développement durable. Ainsi, pour
ses missions « post urgence », Solidarités comme la plupart des ONG s’approvisionne
directement sur le terrain pour tout matériel lourd et non technologique. Le siège n’entre en
compte de manière systématique que pour la validation de ces achats. En revanche,
certains produits comme le matériel de télécommunication et d’analyse d’eau sont
invariablement achetés par le siège de Paris, pour des raisons évidentes de sécurisation de
la qualité et de service après vente. Un processus d’appels d’offres est alors classiquement
mis en place. De nombreux critères posés par les bailleurs de fonds compliquent la tâche
de l’acheteur. Par exemple, pour l’achat de matériel financé par ECHO (service d’aide
humanitaire de la Commission Européenne) le bien acheté doit être d’origine européenne.
Cela semble logique, mais présente vite ses limites lorsque les biens sont achetés
localement (comme en Afrique par exemple, où beaucoup de biens sont étiquetés « Made
in Japan »). Même si le matériel non « CE » est très performant, l’organisation peut avoir à
39 La stratégie logistique, Pascal Eymery, Que sais-je ?, Presses Universitaires de France, 2003, p39-40.
47
importer des marchandises d’Europe afin de respecter le mode de financement, ce qui est
d’une logique logistique absolument surprenante.
Médecins Sans Frontières Logistique est une structure indépendante dont le but est
d’assurer le soutien logistique de MSF. Il joue à la fois un rôle de centrale d’achats et de
plateforme logistique, dont les principaux clients sont MSF France, MSF Suisse, MSF
Espagne et Médecins du Monde pour l’aide médicale d’urgence.
La centrale d’achats (répartie en deux groupes
distincts : les achats médicaux/paramédicaux et les
achats logistiques/généraux) fonctionne souvent en
partenariat avec MSFL Belgique (Transfer, récemment
renommé « MSF Supply ») basé à Merchtem. Elles regroupent certains achats et procèdent
systématiquement à des appels d’offre communs. Cela leur permet de bénéficier d’un
portefeuille de partenaires potentiels importants et régulièrement actualisé, et de peser un
poids plus important sur le fournisseur (tout en privilégiant un système de partenariat).
Mais cela leur permet surtout l’accès à d’importantes réductions de coûts grâce aux
économies d’échelles. Ainsi, « en comparant les prix renégociés en 2004 en commun
(grâce au nouveau système d’appels d’offre) avec les prix payés en 2003 séparément par
les centrales, la procédure a permis d’économiser 400 000 € en 2004 ! ».40
Cette synergie permet aussi aux deux centrales de mieux négocier les conditions de
vente auprès des fournisseurs, pour un contrat gagant-gagnant. En général MSFL ne
souhaite pas développer de contrats à long terme avec ses fournisseurs. Mais certains
acteurs sont parfois très performants, et parfois inévitables.
Des fournisseurs historiques comme Toyota (principal concessionnaire de voitures
humanitaires par l’intermédiaire des Nations Unies à Copenhague) refusaient les contrats
unitaires. L’entreprise a donc mis en place un système de livraison quasi mensuel basé sur
les niveaux de ventes passés (contrat annuel). Ainsi, c’est MSFL Bordeaux qui s’occupe de
l’achat de tout le parc véhicules et le revend ensuite selon les besoins de MSFL Belgique 40 Mémoire de fin d’études « Contraintes, spécificités des achats/approvisionnements et management par lesprocessus dans le milieu humanitaire : cas de Médecins Sans Frontières », Julien Touvron, Groupe Sup de CoLa Rochelle, mai 2005, p18.
48
au prix coûtant, évitant alors les doubles marges. Là encore, de nombreuses économies
sont faites grâce au groupage des commandes. Cela contribue à limiter le coût de passation
des commandes qui, en fin d’année, s’avèrerait largement plus élevé.
Spécifique, le secteur de l’humanitaire n’a pas pour objectif principal d’acheter au
moindre coût. En effet, la qualité et l’efficacité du produit priment sur la notion de
rentabilité. Ces acheteurs ont donc une double tache, dont l’objectif final diverge d’avec
les acteurs « d’entreprises classiques », mais dont l’obligation d’optimisation des coûts
reste primordiale.
Pour cela, ils se doivent de connaître parfaitement le niveau de technicité des
produits nécessaires sur le terrain. Plus que la rentabilité, l’acheteur va regarder la qualité
du produit et son adaptabilité par rapport aux conditions qu’il devra subir sur place. Il
s’agit donc d’être spécialiste dans un domaine précis (notamment pour les médicaments),
ce qui n’est pas forcément donné à tous. Les médicaments étant achetés auprès des
centrales d’achats spécialisées, il est d’autant plus important de travailler entre
professionnels. En regroupant l’activité achats entre ONG, cela permet d’accroître le
domaine d’expertise des associations en spécialisant les acheteurs et les rendant plus
performants dans leur activité, notamment face à leurs partenaires.
Mais de telles synergies ne peuvent être possible que pour une grande structure
dont le poids et la taille permettent une telle organisation. La plupart des ONG ne peuvent
malheureusement pas disposer de tels « aménagements » par manque de moyens. C’est
pourquoi externaliser la fonction achats afin de la globaliser pourrait s’avérer positif pour
de nombreuses ONG de petite à moyenne taille.
2 L’entreposage et la gestion des commandes :
Cette fonction est, elle aussi, prépondérante dans la gestion de la chaîne logistique.
Comme nous l’avons vu précédemment, le niveau de stock influence en grande partie le
niveau de liquidités de l’entreprise, mais également sa capacité à répondre rapidement à la
demande. « La sensibilité des entreprises à la maîtrise des stocks est croissante dans le but
49
de réduire sensiblement le besoin en fonds de roulement lourdement pénalisé par la faible
rotation des produits et l’importance des produits obsolètes et invendus. »41
Dans le milieu de l’humanitaire, l’arbitrage constitue donc un poste
particulièrement délicat à assurer par des enjeux financiers et humains qui s’opposent.
Chez MSFL c’est la mission de l’approvisionneur. Il définit quand et combien il
faut commander, en partenariat avec les coordinateurs terrains, qui évaluent les besoins de
leur mission. Cela s’apparente à la méthode MRP (Material Requirement Planning)
utilisée par les entreprises.
Il dispose parallèlement d’indicateurs historiques lui permettant d’anticiper les
crises saisonnières. En effet, certaines famines ou épidémies « cycliques » frappent les
mêmes populations dans les mêmes régions, nécessitant toujours le même dispositif d’aide.
Cela rend donc malheureusement la « demande » plus prévisible et plus facile à anticiper.
C’est aussi l’approvisionneur qui gère les stocks et qui déclenche les commandes.
Un système informatique perfectionné permet le référencement rapide de chaque article
dès son entrée ou sa sortie en stocks. Le niveau de stock est ainsi constamment à jour,
permettant à l’approvisionneur de déclencher une commande à l’approche du seuil d’alerte
(pré-défini dans le système). En effet, MSFL utilise un système de gestion par point de
commandes, c’est-à-dire l’approvisionnement d’une quantité fixe à dates variables.
Cependant, il est parfois nécessaire d’adapter le système à la réalité de la situation !
Le stock humanitaire est particulièrement difficile à maintenir, notamment lorsqu’il
s’agit de médicaments car ils ont une date de péremption. C’est une gestion plus délicate et
plus coûteuse, surtout lorsque, comme chez MSFL, « tous les médicaments doivent entrer
en stock avec au moins 1/3 de durée de vie depuis leur fabrication et il doit leur rester
encore 2/3 minimum de durée de vie à leur sortie. A l’exception des kits d’urgence où la
date de référence de péremption du kit, est celle du premier produit à se périmer. Sachant
que ces kits doivent avoir une durée de vie de 6 mois.»42 Cela nécessite donc de
41 « Luxe et cosmétique : externalisation et management des opérations logistiques », Le Journal de lalogistique n°39, octobre 2006, p 68.42 Mémoire de fin d’études « Contraintes, spécificités des achats/approvisionnements et management par lesprocessus dans le milieu humanitaire : cas de Médecins Sans Frontières », Julien Touvron, Groupe Sup de CoLa Rochelle, mai 2005, p45.
50
nombreuses opérations manuelles et un certain équipement (de picking43 notamment) que
toutes les ONG ne pourraient pas s’offrir.
« Outre le fait qu’une entreprise puisse connaître exactement ses frais de stockage
et de manutention en raison de l’utilisation d’un entrepôt appartenant à des tiers, ce genre
d’entrepôt permet d’offrir un certain nombre de services spécialisés de manière plus
économique qu’un entrepôt privé, par exemple : emballage et conditionnement (pour les
kits d’urgence par exemple), stocks au moment des pics de demande (crise humanitaire),
dégroupage (répartition pour différentes missions), entretien et maintenance des produits
entreposés et du matériel de manutention, liaisons informatiques avec les clients et les
entreprises permettant de réduire le cycle total de la commande… »44 C’est pourquoi il
pourrait s’avérer opportun pour certaines activités d’externaliser des fonctions comme le
stockage et la préparation des commandes.
C’est dans cette logique que « le mouvement massif
d’externalisation auquel on assiste depuis une ou deux décennies
conduit fréquemment à un transfert physique des stocks, donc de
leur gestion, de l’entreprise donneur d’ordre vers le sous-traitant
prestataire. »45
Confier cette activité à un prestataire permet de baisser les coûts
fixes générés par la possession d’entrepôts propres, notamment
en diminuant les investissements.
Enfin, externaliser ces activités qui demandent une main d’œuvre formée et abondante
simplifieraient la gestion des ressources humaines.
Ainsi, en externalisant, les « petites ONG » qui ont peu de moyens mais ont tout
autant besoin de qualité de stockage et de service gagneraient alors en flexibilité. Par une
association de leurs besoins, elles profiteraient d’un savoir faire et d’une organisation
mieux adaptées aux exigences de l’humanitaire, dans lequel l’aspect qualité et réponse à
l’urgence priment sur la rentabilité.
43 « Action qui consiste à préparer une commande à partir des produits stockés dans un entrepôt »Encyclopédie du Marketing, JM Lehu, p 600.44 Stratégie logistique, Alexandre K. Samii, p144.45 Management de la production, Anne Gratacap et Pierre Médan, Ed. Dunod, 2005 (2eme édition), p143.
51
Cependant, les ONG qui sous-traitent doivent avoir un droit de regard et mettre en
place un processus de suivi pour éviter les dérives possibles dès « l’abandon » de toute
activité propre.
3 Les opérations de transport :
Initialement premier poste externalisé, le transport est devenu une activité
quasiment toujours sous-traitée par les entreprises, dont l’intérêt stratégique de posséder
une flotte propre est rare. Comme l’entreposage, cette activité implique beaucoup
d’immobilisations et de coûts fixes.
Le transport regroupe plusieurs notions. C’est d’une part l’organisation de la
prestation physique, et d’autre part le fait d’acheminer un produit d’un point de départ à un
point d’arrivée. Mais cela comprend également les opérations douanières car nous sommes
dans le cadre d’envois à l’international.
On assiste souvent à la sous-traitance du transport physique des marchandises, mais
pas systématiquement à celle de leur organisation. Par exemple, dans le secteur du luxe,
« l’ensemble des entreprises sous-traitent la totalité de l’exécution de leurs transports.
Notons que l’organisation du transport n’est sous-traitée que dans un cas sur huit. »46
Dans le domaine de l’humanitaire, cette tache est gérée par le service logistique qui
coordonne l’expédition avec le transporteur et gère les litiges. Il doit connaître les
spécificités du terrain et assurer un lien avec le personnel de la mission. En effet, une
multitude de problèmes peuvent se poser lors d’un envoi dans des régions peu organisées
et où le niveau de vie de la population est très faible. La sécurité des envois y est parfois
difficile à garantir, que ce soit en termes de délais ou de qualité à l’arrivée (marchandises
abîmées ou manquantes).
46 « Luxe et cosmétique : externalisation et management des opérations logistiques », Le Journal de lalogistique n°39, octobre 2006, p 66.
52
Comme chacun sait, il existe plusieurs types de transports avec lesquels les
responsables logistiques vont pouvoir mener au mieux les expéditions, selon des critères
précis et propres à chaque opération: le poids, la taille et l’exigence de rapidité des
marchandises. Pour cela, on retrouve le transport routier (qui est le plus utilisé), le
transport ferroviaire (plus ou moins utilisé selon les pays), le transport maritime et le
transport aérien. Leur degré de fiabilité est très variable selon les zones géographiques. Les
aléas sont souvent dus aux problèmes douaniers, au non-respect des points de livraison, à
la difficulté de circulation liée au mauvais état des routes ou aux fréquents check points.
Ainsi, le suivi des colis s’avère primordial car la tenue de certains délais peut être
vitale. Chaque livraison correspond à un besoin identifié qui nécessite d’être satisfait.
Comme pour les livraisons express en Europe, la progression géographique des colis doit
être suivie ; La traçabilité est déjà difficile au sein d’un réseau structuré, mais s’avère
encore plus délicate dans des contextes internationaux tendus ou en crise. C’est aussi un
des challenge que devra relever le secteur de l’humanitaire afin d’optimiser ses
performances.
Mais ce genre de progrès ne peut se faire seul, et là encore la question de
l’externalisation se pose. Ne serait-il pas plus profitable de sous-traiter l’ensemble des
prestations de transport à une tierce personne, dont la spécialité et le but sont justement
cette optimisation de la partie transport, si aléatoire en humanitaire ?
L’un des avantages principal du commissionnaire de transport est la responsabilité
juridique qu’il a envers son client. En effet, « La commission de transport, convention par
laquelle le commissionnaire s'engage envers le commettant à accomplir pour le compte de
celui-ci les actes juridiques nécessaires au déplacement de la marchandise d'un lieu à un
autre, se caractérise par la latitude laissée au commissionnaire d'organiser librement le
transport par les voies et moyens de son choix, sous son nom et sous sa responsabilité,
ainsi que par le fait que cette convention porte sur le transport de bout en bout. »47 Ainsi,
au moindre problème, le client (dans notre cas l’ONG) traite directement avec le
47 Cass. com., 16 févr. 1988, no 86-18.309, Bull. civ. IV, no 75, p. 52, BT 1988, p. 491 ; Cass. com., 6 févr.1990, no 88-15.495, Lamyline, http://fr.wikipedia.org
53
commissionnaire, plutôt qu’avec les autorités étrangères, dont le Droit sera très
probablement différent. C’est donc lui qui prend les risques décrits plus haut, qu’il est
susceptible de mieux gérer car c’est son métier.
De plus, en regroupant les envois de petites ONG par un même transporteur pour
des missions géographiquement proches, il dernier peut garantir beaucoup plus facilement
le bon respect de la qualité des produits livrés.
La massification (restant à une échelle « raisonnable ») peut aussi permettre aux
ONG d’employer un moyen de transport plus adapté ou plus sure. Le surcoût engendré par
du « sur mesure » serait en grande partie amorti par les économies d’échelles réalisées.
En effet, comme mentionné dans le chapitre deux, une coordination du transport de
marchandises dédiées à des missions proches pourrait largement améliorer les conditions
de livraison, et ce grâce notamment à la sous-traitance aux transporteurs. Ces plateformes
physiques communes permettraient une meilleure traçabilité, un respect des délais et une
baisse des risques pour les marchandises. Sans compter la sécurité humaine. Il est à
rappeler que le métier de chauffeur routier dans les pays en guerre (ou très instables) est un
métier fortement à risques de par l’action stratégique qu’ils permettent : accès aux vivres et
médicaments pour la population civile, approvisionnement de pétrole pour la vie
quotidienne (chauffage, voiture…)…Il existe certes des « couloirs humanitaires » qui
permettent de faire passer l’aide en limitant les risques. Mais ils dépendent d’une volonté
politique, et ne sont pas systématiquement mis en place. Les associations sont quasiment
sans pouvoir face à de telles problématiques. « Ironie du sort, les Nations Unies étaient
indirectement à l’origine de la crise humanitaire qui justifiait notre intervention en Irak. En
effet, en réponse à l’embargo qu’elles avaient voté contre l’Irak, Sadam Hussein avait
décidé d’étrangler la région kurde par un blocus de son cru : il avait décrété à son tour
l’instauration d’une frontière terrestre au niveau du 35° parallèle qu’une résolution de
l’ONU lui interdisait de dépasser. (…) Mon défi était donc de faire passer des
médicaments et de l’essence au-delà de la frontière gardée par les hommes de Sadam. »48
48 Voyage au bout de l’humanitaire, Marc Vachon, Ed. La Découverte, 2005, p99 et 102.
54
L’un des autres aspects, complexe mais vital, du commerce international est la
connaissance et la maîtrise des procédures douanières. En effet, si elles sont mal exécutées,
ces opérations peuvent handicaper l’ensemble de l’expédition, qu’elle soit individuelle ou
collective, et ce pour une durée non déterminée. C’est l’une des causes majeure de blocage
des marchandises, quel que soit le secteur. Il est donc capital de porter une attention toute
particulière sur les documents douaniers ; mais il est difficile de connaître l’état
d’avancement des nouvelles lois ou procédures relatives aux importations et aux
exportations dans chaque pays.
C’est pourquoi le métier de transitaire existe ; C’est un « agent chargé d'effectuer
les opérations de mise sous douane ou de dédouanement, c’est-à-dire des déclarations de
douane pour le compte d'autrui, éventuellement des déclarations complémentaires
particulières, pour le compte des expéditeurs, des transporteurs, des commissionnaires ou
des destinataires. »49 Sauf dans des cas spécifiques comme UPS dont le cœur de métier est
l’envoi express à l’international, cette fonction complexe n’est que très rarement réalisée
en propre, que ce soit par les entreprises ou par les ONG.
49 http://fr.wikipedia.org
55
B. Externaliser, mais auprès de qui ?
Après avoir vu les aspects positifs que l’externalisation de la logistique d’une ONG
peut apporter, reste à se demander qui serait capable de prendre au mieux en charge ces
opérations complexes. Nous avons recensé quatre types d’acteurs principaux.
1 Les ONG prestataires
Il semble que les ONG soient les mieux à même de répondre aux attentes et
conditions induites dans le milieu humanitaire. En effet, elles pratiquent déjà cette activité
pour leur propre compte, et seraient donc à même, en agrandissant leurs capacités, de
répondre pleinement à cette nouvelle fonction. De plus, cela permettrait cette fameuse
coopération d’organisation et de mutualisation de certaines ressources entre ONG.
MSFL est l’un de ces acteurs sous-traitant qui, grâce à sa taille et à son niveau
d’organisation, s’avère être un des partenaires majeurs. Crée en 1986, cette association à
but non lucratif (loi 1901) a pour but de formaliser les expéditions vers les missions, mais
aussi les achats de matériel (qui dépendait au début des dons en médicaments, avec tous les
problèmes que cela engendre). « A MSF, le déclic s’est produit en 1979, à l’occasion d’une
mission dans des camps de réfugiés en Thaïlande. « Produits mal conditionnés et
inadaptés, problèmes de dédouanement, médecins incompétents, c’était la totale » se
rappelle un ancien. Dont acte : Médecins Sans Frontières sera la première ONG à
comprendre l’importance de la logistique. »50
En 1994, le chiffre d’affaires s’élève à 140 millions de francs (soit 21,3 millions
d’€), alors que le volume d’activité représente 30 millions d’€ en 2004, pour un volume
d’expédition de 7800 tonnes.51 En 2004, l’activité de MSFL se répartit entre 59% consacré
à MSF France, 39% pour MSF Suisse et Espagne (toutes ses entités étant indépendantes),
et seulement a 2% pour les autres ONG. Cette sous-traitance confère une source de revenus
non négligeable pour l’organisation, qui reçoit par ailleurs des aides de collectivités locales
50 « Les french comptables des french doctors », Le nouvel économiste n°981, 27/01/95, p84.51 http://www.msflogistique.org
56
et de sponsors (pour l’agrandissement récent de la plateforme notamment).
Outre l’organisation du transport, MSFL propose aussi des conseils (opérations
liées aux approvisionnements…), des expertises techniques (médicales et logistiques), des
cotations, des analyses… Elle accompagne l’association dans ses choix stratégiques
logistiques et ses opérations, à distance ou sur place : quel matériel ? achat local ou
import ? quels documents nécessaires pour l’importation ? Quelles méthodes de
stockage sur place ? … Ainsi une ONG « non experte » peut recevoir le matériel adapté à
sa mission, simplement en explicitant ses besoins. Cela réduit considérablement le risque
d’erreur, puisque le fournisseur connaît déjà lui-même le type de besoins, voire même le
contexte local.
MSFL propose également un catalogue complet de produits humanitaires, qu’il
peut se charger de transporter. Cela correspond principalement à des kits (médicaux et
logistiques) permettant de répondre de manière rapide et efficace à une situation d’urgence
et facilement exportables. Ces kits sont en permanence en stocks afin de parer à toute
nécessité ; d’où les difficultés de gestion de stocks que nous avons évoqué plus tôt dans ce
mémoire. Du matériel logistique (tentes, générateurs…) et médical (médicaments
génériques, matériel médical lourd…) sont également disponible dans le catalogue.
La centrale d’achats prend en charge le picking et le colisage, puis le transmet au
service expéditions de MSFL qui l’enverra. Il faut moins de quatre semaines aux équipes
pour traiter les commandes du terrain (pour des missions à moyen ou long termes). En cas
d’urgence, une équipe complète (personnel médical, technique…) et les premiers
équipements peuvent être dépêchés sur place dans les 48h. Ce fut le cas lors du tsunami en
2004, où les équipes MSF sont arrivées dans les premières afin de commencer les
traitements d’urgence, grâce à une logistique bien rodée.
Il est important de préciser que MSFL ne sous-traite ses services qu’à des
organisations travaillant dans le cadre d'une activité humanitaire à but non lucratif comme
elle. Les produits doivent être à destination d’un pays hors Europe, et leur utilisation n’est
pas de la responsabilité de MSFL mais de l’acheteur (du client). Ce dernier doit s’assurer
du droit d’entrée des produits sur le territoire de destination, les règles internationales en
termes d’export étant variables selon les pays, mais toujours rédhibitoires. Cependant,
57
selon le directeur logistique de MSFL en 1994, « « Nous cherchons à développer notre
clientèle exclusivement vers les ONG grosses et stables. » D’ailleurs à Bordeaux, on refuse
bien souvent d’héberger les petites organisations à bord de la vingtaine de vols spéciaux
qui partent chaque année sur les missions MSF. « En urgence, on ne peut pas s’occuper des
autres ». »52
Comme dans tous les domaines de l’humanitaire, les divisions entre ONG existent.
Cette vision n’est pas partagée par tous, et notamment pas par un autre principal acteur de
la logistique d’urgence. « Hervé Dubois, cofondateur d’Atlas et ancien responsable de la
logistique à Médecins de Monde, rival historique de MSF, explique que les méthodes
« militaires » de son concurrent sont efficaces, certes, mais pas toujours adaptées. Aux
stocks géants de l’aéroport de Bordeaux, Hervé Dubois préfère la logique des petits
« stocks tampons », qui permettent d’éviter de remplir des avions pour rien. »53 Deux
approches radicalement différentes de la logistique.
De nombreuses petites associations proposent elles aussi leur appui logistique aux
petites et moyennes organisations humanitaires, conscientes de leur importance et des
difficultés qu’elles rencontrent. C’est le cas de Globetrucker54, d’Humanis55 et de Mission
Air. Comme les autres, cette dernière s’est « lancé le défi d'accompagner les structures
humanitaires dans leurs activités d'acheminement de matériel (médical, vêtements, denrées,
etc.) (…), d'accéder à des tarifs les plus avantageux possibles, tout en garantissant des
conditions de transport de qualité. »56
À la disparition de l’association-entreprise Equilibre, spécialisée dans le transport
logistique humanitaire professionnel, deux membres ont choisi de créer Transhuma.
« Composée de professionnels du transport à différents titres: administratifs, logisticiens,
chauffeurs ou mécaniciens, l'association est en mesure d'étudier les besoins en logistique
des ONG et de proposer des solutions concrètes: transports lourds de France vers l'étranger
ou dessertes locales pour la distribution de l'aide humanitaire jusque chez les
52 « Les french comptables des French Doctors », Le nouvel économiste n°981, 27/01/95, p85.53 Ibidem.54 http://globetrucker.org55 http://www.humanis.org56 http://www.mission-air.com/
58
bénéficiaires. »57
Acteur important de la formation logistique humanitaire, Bioport assure également
un soutien logistique aux ONG, en partie par la réinsertion de jeunes sortis du système
scolaire. « Bioport a été créée pour répondre aux besoins logistiques rencontrés par les
associations de solidarité lors de l'acheminement et du stockage de leur matériel dans le
cadre de leurs projets. Le principe de Bioport repose sur une mise en commun de moyens
et de compétences permettant une meilleure efficacité logistique. »58
2 Les institutions
Nous l’avons vu, les institutions internationales jouent également un grand rôle
dans le domaine de la solidarité mondiale. Il est donc logique de se demander quel est, et
quel pourrait à l’avenir être leur portée d’action, notamment d’un point de vue logistique.
En effet, ces institutions disposent de grands moyens (notamment logistiques) et ont une
certaine connotation de « services publics. »
Ainsi, l'UNICEF dispose à travers le monde de trois centres d'approvisionnement,
(Johannesburg, Dubaï, et Panama depuis août 2005), gérés depuis le centre d'entreposage
de Copenhague. C’est aussi là où sont effectués la plupart
des achats.
Le service achats est géré par la Division des
approvisionnements, en collaboration avec les bureaux de pays de l'agence, et couvrent 155
pays et territoires sur la planète. En 2005, l’UNICEF a dépensé plus de 1,1 milliard $ en
achats de fournitures et matériel, et plus de 1700 produits figurent maintenant dans le
catalogue.
Leader mondial en termes d'approvisionnements en vaccins de base pour les
enfants, moustiquaires etc., l’UNICEF a également un rôle de conseil envers ses
« clients » : expertise, transfert de savoir-faire, formations spécialisées, conseils
57 http://transhuma.9online.fr/58 http://www.bioport.asso.fr/
59
techniques… De plus, les connaissances et informations sont partagées avec d’autres
institutions des Nations Unies et des organismes de développement, pour une meilleure
efficacité. Grâce à des accords sur les transports de marchandises sur le plan mondial,
l’UNICEF bénéficie d’un service de qualité et de prix compétitifs.
L’entrepôt de Copenhague (25 000m2) abrite du matériel de l’UNICEF (un
minimum de 900 produits est perpétuellement en stock pour parer à une crise éventuelle),
mais consacre également 30% de sa surface à des produits d’urgence de l’UNHCR (Haut
Commissariat des Nations Unies aux Réfugiés) et l’IFRC. Ici aussi le système de « kits »
semble avoir fait ses preuves : trousse de premiers soins, « l’école en boite », trousse
d’équipement pour l’eau à l’intention des familles, trousse d’accouchements, de chirurgie,
mallette de jeux…
Au panama, des partenariats entre ONG et institution ont même vu le jour avant
même l’ouverture de l’entrepôt. D’après Soren Hansen, gérant d'entrepôt à la Division des
approvisionnements de l'UNICEF, « en partageant les installations d'entreposage [avec
l’IFRC], nous diminuons les frais généraux et nous profitons de l'expertise de l'autre
organisation, ce qui se traduit par une augmentation des ressources qui peuvent être
consacrées aux enfants et à leurs familles. »59
Ces services sont accessibles aux ONG, aux institutions des Nations Unies (PNUD,
OMS…), aux gouvernements (l'Ethiopie, Fiji, Kenya, Malawi, Rwanda…), mais aussi aux
universités et aux organismes financiers internationaux.
Ainsi, une ONG qui n’a pas d’avantage à maîtriser complètement sa propre
logistique peut « aisément » recourir aux services de l’UNICEF, du moins pour ce qui est
de l’achat et du transport de marchandises.
59 http://www.unicef.org/
60
EuronAid60 est une ONG dont le statut particulier justifie le classement dans cette
partie du mémoire. « Il s'agit d'un réseau européen d'ONG créé en 1981, appartenant aux
ONG membres, actives dans le domaine de l'aide et de la sécurité alimentaires, et suivant
les orientations de celles-ci. »61 Comme le PAM (Programme Alimentaire Mondial) elle est
financée majoritairement par la Commission Européenne (95%), et se montre très active
dans l’obtention d’aides financières venant de la CE et destinées à la sécurité alimentaire.
La mission d’EuronAid est de fournir un soutien logistique (achats, transport…)
aux ONG dont les programmes sont orientés vers l’aide et la sécurité alimentaire, l’aide
humanitaire d’urgence, le développement de l’élevage et de l’agriculture, le
développement communautaire et social (PED) et enfin la gestion des ressources naturelles
et de l’environnement.
Pour cela, EuronAid dispose d’une centrale d’achats (HCBO - Humanitarian
Central Buying Office), de centres d’approvisionnements (HPC - Humanitarian
Procurement Center), mais aussi de nombreux partenariats avec des fournisseurs du monde
entier. Cela permet un grand choix et une optimisation du coût du transport. En effet, plus
il y a de partenariats (choisis attentivement), plus il y a de chances d’en avoir un proche de
sa mission, ce qui par ailleurs permet le développement de l’économie « locale ». Ils sont
présents partout à travers le globe : Europe, Afrique, Asie, Amérique et Caraïbe.
L’organisation fournit une assistance technique dans l’achat et l’acheminement des
marchandises, mais aussi des capacités logistiques de l’ONG « cliente » et/ou de sa
mission. Elle peut aussi arranger des solutions de stockage directement chez les
fournisseurs.
Outre l’aspect opérationnel, EuronAid fournit également des formations et organiseséminaires et forums, principalement sur les thèmes liés à la sécurité alimentaire. Elleprodigue aussi des conseils sur le Supply Chain Management (SCM) et le Project CycleManagement (PCM). Elle cherche à structurer le dialogue avec les institutions(européennes ou autres), fait du lobbying pour assurer un support politique pour une
60 http://www.euronaid.net/61 http://www.europarl.europa.eu/facts_2004/6_4_4_fr.htm
61
meilleure sécurité alimentaire au niveau mondial, tente de créer un réseau d’échanged’informations entre ONG…
Les services d’EuronAid sont destinés aux membres du réseau et aux différentsdonateurs (institutionnels ou partenaires divers). À ce jour, ces actions profitent à 38membres actifs et plus de 100 ONG à travers le monde.
3 Les militaires
Les militaires ont compris depuis longtemps l’importance de la logistique dans la
réussite d’une mission. Il est aussi acquis que l’information est « le nerf de la guerre », et
ce en ce qui concerne l’ennemi mais aussi l’organisation interne. La RFID (Radio
Frequency Identity), nouvelle technologie onéreuse utilisant un système « d’étiquette
électronique » permettant l’identification d’un produit par la captation des ondes radio, y
est déjà utilisé, montrant l’importance stratégique du suivi des approvisionnements
militaires.
Par ailleurs, de plus en plus de contrats d’externalisation sont signés entre l’armée
(française en tout cas) et des prestataires logistiques pour certaines missions. Cependant,
peu d’entre eux acceptent de livrer sous les balles.
Cela peut à première vue paraître paradoxal, mais la logistique humanitaire et
militaire ont de nombreux points communs. Tous deux doivent s’adapter à des terrains
difficiles et un environnement particulièrement tendu, notamment dans des situations
d’urgence. Transport et sécurisation du personnel, ravitaillements, préparation
d’infrastructures dans des zones non équipées, traitement des flux sanitaires… sont des
taches quasi quotidiennes tant dans le domaine militaire qu’humanitaire.
La gestion des stocks est également aléatoire dans les deux cas : en situation de
conflit, il est par exemple difficile pour un militaire de savoir combien de balles il tirera ;
dans un camps de déplacés, il est difficile de prévoir combien de réfugiés arriveront et quel
sera leur état (même si l’expérience des humanitaires peut malheureusement prévoir les
carences des victimes).
62
Cependant, pour des raisons éthiques et déontologiques évidentes, la collaboration
entre le personnel humanitaire (pas nécessairement issu d’ONG) et les militaires est assez
rare : leur raison d’être diverge. D’après plusieurs témoignages, il y aurait même (parfois)
une rivalité apparente entre les deux. « Le HCR avait nommé un nouveau chef de mission
(…), ancien lieutenant-colonel de l’armée britannique. (…) En plus, ils m’imposaient
même quatre militaires britanniques comme assistants : un chargé de la distribution de
l’essence, une femme et un homme pour la distribution dans les entrepôts, et le capitaine
en relation directe avec moi. J’ai mal vécu cette cohabitation forcée. (…) J’aurais aimé que
la distinction entre le HCR et les militaires soit plus claire. »62
Pourtant ils sont souvent amenés à cohabiter sur le terrain, voire dans certains
contextes d’insécurité extrême à recourir à leur service. « Il y avait désormais plusieurs
ONG à Sarajevo. Toutes demandaient à la France de l’argent, des services de protection et
de génie. Du coup, le gros du boulot était accompli par les soldats. »63
Par ailleurs, il arrive régulièrement de voir des militaires décharger des convois
étiquetés au nom d’une ONG lorsque la situation ou la logique l’impose. Lors d’une
« expédition de médicaments en urgence ; La palette prévue pour partir sur un vol militaire
est restée à l’aéroport pour un problème douanier. »64 Le recours ou non aux services de
l’armée suit, encore une fois, l’idéologie stratégique qu’a choisi de développer l’ONG.
Certains responsables prétendent que toute action d’aide des militaires envers les
humanitaires est largement médiatisée et reprise afin de redorer le blason de l’armée.
La collaboration peut être possible aussi dans le cas de catastrophe naturelle. « La
logistique des militaires pour ce type de situation est la plus adaptée et, par exemple, la
flottille d’hélicoptères que la marine américaine a déployé a été très utile au cours des deux
premières semaines après le tsunami. Elle a permis des évacuations d’urgence,
l’acheminement de vivres à des groupes isolés, avant que la communication par route ne
soit de nouveau possible. »65 Il serait donc faux de dire que le corps militaire ne mène
aucune action humanitaire. Mais elles sont commandées par les gouvernements, pas par les
62 Voyage au bout de l’humanitaire, Marc Vachon, Ed. La Découverte, 2005, p 159.63 Ibidem, p 180.64 « Rapport de stage : Participation à la réorganisation du service logistique de l’ONG Pharmaciens SansFrontières », Emma Bessières, M2 Logistique internationale Université du Havre, 2005, p 33.65 Penser dans l’urgence, Rony Brauman entretiens avec C. Portevin, Ed. du Seuil, mars 2006, p246.
63
ONG, ce qui est très différent. Derrière cette image de « bon samaritain », ces interventions
semblent plutôt être d’ordre stratégiques.
Pour garder l’exemple du tsunami, « les quatre plus grands donateurs - Allemagne,
Japon, USA, Australie - ainsi que la Chine et l'Inde, (…) joignent à leur aide humanitaire
des intérêts politiques, économiques et géostratégiques très concrets. (…) Washington
espère que la présence militaire prévue initialement sur six mois puisse se prolonger dans
la durée et que l'Indonésie et la Malaisie abandonnent leur opposition stricte montrée
jusqu'ici à l'établissement de bases militaires américaines des deux côtés des détroits des
Moluques [liaison maritime d'importance stratégique entre la région du Golfe, l'Europe et
l'Asie de l'Est, notamment pour l’approvisionnement en pétrole du Japon, de la Chine, de la
Corée du Sud et de Taiwan].(…) Le Japon, l'Australie et l'Allemagne, qui ont également
accompagné leur aide humanitaire avec le déploiement de capacités militaires en
Indonésie, poursuivent des calculs similaires. (…) L'enjeu derrière les coulisses pour tous
les pays participants est d’améliorer leurs chances dans la compétition pour la vente
d'armements à l'Indonésie et aux autres pays du Sud Est asiatique. »66
Dans de telles conditions, il semble impossible de voir se développer « un pacte
logistique » à moyen ou long terme entre les forces armées et humanitaires. Cependant, le
bon sens consent de ne pas exclure une collaboration opérationnelle (notamment
logistique) entre ces deux entités confrontées aux mêmes atrocités sur le même terrain.
4 Les prestataires logistiques privés
Les prestataires logistiques sont les plus utilisés pour la sous-traitance chez les
ONG. On distingue trois catégories de prestataires : les généralistes comme DHL et
Geodis, les express et mono colis comme Chronopost et Fedex ; et enfin les prestataires
logistiques de niches. Ils présentent des niveaux de contrats différents comme « le 3PL67
[qui] consiste pour une entreprise à sous-traiter une partie de la chaîne logistique à un
fournisseur spécialisé qui ne se contente pas seulement d'exécuter la fonction mais qui se
66 « Armées, l’alibi humanitaire : Tsunami, les intérêts des pays donateurs », Revue Une Suisse sans arméen°65, printemps 2005, p15-16, http://www.gssa.ch/journal/display.php3?id=34667 third party logistics
64
charge également de la planifier et de faire le lien avec les autres parties de la chaîne. »68
Dans le monde de l’entreprise, la prestation 3PL se fait progressivement supplanter par la
PL4, voire même les 5PL.
Ce n’est pas encore le cas dans le milieu humanitaire, qui ne fait appel à des
prestataires quasiment que pour le transport. C’est donc sur ce thème que nous nous
focaliserons dans cette partie.
Comme pour les achats, l’ONG lance des appels d’offres à plusieurs prestataires
susceptibles de pouvoir répondre à ses besoins. En effet, la nature même des déplacements
–notamment routiers- humanitaires est souvent dangereuse lorsqu’il s’agit de zones en
guerre dans lesquelles il faut pourtant bien acheminer l’aide, car c’est là où la population
en a le plus besoin (puisque justement la zone est inaccessible). Peu de transporteurs
acceptent ce genre de missions, rendant la difficulté plus grande encore, voire plus
coûteuse. Même pour les missions à faible risque comme la plupart des missions de
développement, le choix de prestataires potentiels est relativement réduit, beaucoup d’entre
eux étant concentrés sur les flux de marchandises intra-communautaires (transport routier),
ou en aérien et maritime en Europe/Etats-Unis et Europe/Asie.
L’ouverture du marché européen et le recours à l’externalisation de plus en plus
systématique des entreprises a développé un marché important des prestataires logistiques,
qui ont une croissance annuelle moyenne de 10 à 12% depuis 5 ans. Mais on observe
également une concentration du secteur, les petits acteurs ayant de plus en plus de mal à
rester compétitifs face aux plus grands. Cela a pour conséquence « la constitution de
groupes de plus en plus grands, de plus en plus gros et intégrant un maximum de
prestations. (Pour n’en citer que quelques uns), EXCEL a été repris par la Deutsche Post, et
cette dernière a fusionné avec DHL. KUEHNE et NAGEL a acheté ACR (…), Giraud a été
racheté en partie par FM logistic (Europe), (…) Geodis acquiert TFM… »69.
En Afrique, la société SDV, du groupe Bolloré, est le prestataire le mieux implanté.
Elle doit son hégémonie à son expérience et à sa connaissance du continent. Elle assure
aux entreprises des services de transport (routier, fluvial, aérien et ferroviaire), mais aussi 68 « Externalisation logistique : quels types de prestataires ? », Phillippine Arnal, 4.12.03, http://www.journaldunet.com69 http://www.cat-logistique.com
65
de la manutention portuaire (rendant alors stratégique sa position quant aux relations
maritimes internationales), du stockage… Même si son activité est largement tournée vers
les entreprises présentes sur le sol africain (ou souhaitant s’y implanter), SDV collabore
parfois avec des associations humanitaires pour leurs acheminements.
Les prestataires « européens » choisis par l’ONG ont régulièrement recours à leur
tour à des prestataires locaux. « Le transporteur avait livré la malle dans une autre ville que
celle initialement prévue. (…) La société de transport sous-traite ses services à des
organismes africains, un délai de quelques heures a été nécessaire à mon interlocuteur pour
se renseigner sur l’erreur de livraison. »70 De nombreux prestataires indépendants se
partagent le reste du marché africain. Il est vrai que certaines différences culturelles
peuvent, comme partout, s’avérer être un obstacle de poids dans le bon déroulement des
opérations, les notions de temps et donc de délais n’étant pas toujours les mêmes selon les
pays.
Il semble qu’un marché de niche se créé avec l’augmentation des opérations et des
associations humanitaires, ouvrant un nouveau segment pour les prestataires logistiques.
Segment qui pourrait s’avérer rentable lorsque les associations auront pris conscience de
l’importance grandissante de la logistique pour le bon déroulement de leurs opérations, que
ce soit au niveau du transport (lien le plus évident), mais aussi du stockage ou même des
flux d’informations. Il y aurait peut-être un coup à jouer pour des transporteurs en mal
d’éthique…
70 Rapport de stage : « Participation à la réorganisation du service logistique de l’ONG Pharmaciens SansFrontières », Emma Bessières, M2 Logistique internationale Université du Havre, 2005, p 29.
66
Conclusion
Au cours de nos recherches auprès de professionnels de la solidarité internationale,
nous avons observé une grande disparité des points de vue et de méthodes sur une
multitude de thèmes. Il a donc été d’autant plus intéressant de comprendre quelles
stratégies et quels moyens ces différents acteurs mettent en place pour mener leurs projets
à bien ; projets qui ont tous la même finalité solidaire. Cependant, la plupart d’entre eux
montraient une même réticence à l’idée d’externaliser le pôle logistique de leur
association. Soit parce que le mot « sous-traitance » fait naturellement peur car rappelle les
fameuses délocalisations d’usines qui frappent la France et plus généralement l’Europe,
soit par crainte de perdre le contrôle, et disons-le, le pouvoir, que cette option implique.
La notion d’indépendance est centrale dans le secteur de l’humanitaire. Chaque
association est, comme le mouvement lui-même, née d’une volonté profonde et intense de
quelques personnes qui ont décidé de dire non au « déterminisme » de la misère à travers le
monde. Outre les ONG dont la taille ne permet plus une prise de décision directe par le
personnel, les acteurs de l’humanitaire qu’ils soient d’urgence, de réhabilitation ou de
développement, sont largement attachés à cette idée de tout faire eux-mêmes pour une
meilleure maîtrise des processus et du résultat.
Nous l’avons vu, cet aspect de la culture humanitaire a une incidence sur
l’organisation de l’association et notamment sur sa logistique. Les actions de coopération
avec une autre ONG sont monnaie courante sur le terrain, mais sont en revanche beaucoup
plus rares au sein de la structure organisatrice, le siège. Or il apparaît clairement que c‘est à
ce niveau que des progrès doivent être faits, car c’est en amont que les décisions
stratégiques et financières sont prises. C’est donc au niveau du sommet stratégique qu’il
est important d’agir et de faire évoluer les mentalités. En effet, la volonté politique, d’où
découlent les modalités d’actions, est la première condition à une possible externalisation
des activités logistiques.
67
La seconde condition découle de la première. La logistique ne peut être externalisée
que si l’ONG a, par le passé, déjà collaboré avec les différents maillons de sa Supply
Chain. Cette approche collaborative est en effet essentielle car elle favorise une
compréhension des enjeux de la logistique et de son rôle majeur dans la fourniture rapide
et efficace de biens humanitaires. Même si cela semble évident, nous avons été surprise de
voir à quel point cette activité a longtemps été sous-estimée, tant au sein des ONG que des
entreprises. Son image a largement évolué chez ces dernières ces dernières années. À
quelques exceptions près, ce n’est que récemment qu’elle a également pris toute sa place
dans les associations, en s’appuyant probablement sur le mouvement de
professionnalisation qui agite le secteur.
Mais dans ce domaine aussi nécessité fait loi : Certaines organisations peuvent
envisager d’externaliser leur logistique car elles ont été amenées par l’expérience à prendre
conscience de l’importance d’une gestion optimale. D’autres ne semblent pas en avoir
encore pris la dimension, peut être parce qu’elles n’y ont pas été confrontées. En effet,
selon les activités de chaque association, le « besoin » de recours à la sous-traitance varie.
Tout comme on trouve un large éventail de spécialisations d’ONG (médicale, enfance…),
on retrouve un large éventail de critères justifiant ou non le recours à l’externalisation.
Pour une association qui utilise peu de matériels importés, il semble évident que
l’organisation logistique n’est que peu développée. Pour les cas rarissimes d’envois
internationaux, l’organisation de l’achat, du stockage éventuel et du transport est réalisé en
interne, souvent par l’utilisation d’un incoterm « arrivée » (DAF, DDP71…), ou au moyen
d’un prestataire logistique classique (après audit). Ce dernier choisira alors les options les
plus avantageuses, selon le contrat passé avec son client.
En revanche, pour une association qui a recours de manière régulière à
l’exportation de produits vers ses missions, il est nécessaire de s’interroger sur la gestion à
long terme de la logistique. Il pourrait en effet être judicieux de sous-traiter une partie
(voire la totalité) de ses activités logistiques.
71 DAF : Deliver at frontier, à la frontière désignée. DDP : Delivered Duty Paid, à destination finale, dédouanement import effectué.
68
Ensuite, tout dépend de la nature même des produits exportés. Si, comme les
médicaments ou les micronutriments & compléments nutritifs, les produits exportés ont
une date de péremption, l’ONG doit avoir un système d’information et de stockage sans
faille afin de repérer quels produits doivent être remplacés, et quand. Ce renouvellement
génère une activité importante dans l’entrepôt (picking…), que le département logistique
doit parfaitement maîtriser (espace, personnel, sécurité…), surtout dans l’urgence. Dans ce
cas, à moins d’avoir un système perfectionné comme celui de MSFL, il serait recommandé
de faire appel à un sous-traitant.
Ce turn-over de produits implique un service achat conséquent, car il faut
régulièrement racheter les produits périmés, en plus des autres.
De plus, l’acheteur doit avoir un certain niveau d’expertise pour choisir certains
produits. Si la palette des produits à se procurer est trop large, l’acheteur risque de ne pas
connaître toutes les attentes et spécificités de chaque produit, et ainsi être moins
performant dans son achat. Externaliser la fonction achat permet donc d’avoir des
professionnels spécialisés par type de produits (médicaments, techniques…) et/ou par zone
géographique. Même s’il est en relation avec le responsable terrain, l’acheteur ne connaît
pas forcément les particularités liées aux pays de destination des produits (climat,
croyances & religions…). C’est un élément très important tant pour la robustesse et la
longévité du matériel utilisé sur place que pour se garder de toute action « post-
colonialiste » en imposant (par mégarde ou non) notre propre culture.
Même pour une ONG exportant un grand nombre de produits, il est rare que la
maîtrise de la fonction transport soit très pertinente. Comme dans les entreprises, c’est la
fonction la plus sous-traitée, ces organismes n’ayant aucun intérêt à posséder une flotte
propre, l’offre dans les pays développés étant large et les coûts fixes trop importants. Sur le
terrain en revanche, posséder ses propres véhicules est beaucoup moins rare, et parfois
complètement nécessaire. Cela dépend du type de mission et du climat qui règne dans le
pays (économie, infrastructures…).
69
Nous l’avons mentionné dans ce travail, l’externalisation du transport permet un
groupage plus systématique des marchandises, dans l’optique d’une réduction des coûts de
transport mais aussi du coût écologique. Il présente certes des inconvénients en termes de
flexibilité, mais pourrait se révéler tout à fait positif s’il était réalisé de manière beaucoup
plus globale, grâce à une coopération de fond entre tous ces acteurs. Le groupage est une
logique qui doit devenir systématique à la vue des dérèglements écologiques et des
difficultés de financement auxquelles sont de plus en plus confrontées les associations.
Mais une bonne maîtrise des flux d’informations contribue largement à déterminer
et optimiser l’organisation logistique. Connaître la demande pour une entreprise, c’est-à-
dire les besoins exacts (quantité, qualité, lieu…) pour une ONG est une des phase clé dans
le processus d’approvisionnement. Si cette phase est mal conduite, c’est toute la chaîne
qui sera pénalisée, influençant alors directement le coût d’achat, le niveau de stock, le
volume de transport… C’est pourquoi une intégration des systèmes d’informations doit
être mise en oeuvre au sein des structures de direction afin de générer une parfaite fluidité
des données d’informations, et de pouvoir adopter une attitude proactive en cas de
problème sur la chaîne.
L’outil le plus apte à répondre à ce besoin est l’ERP ou PGI (Progiciel de Gestion
Intégrée). Couramment utilisé dans les grandes entreprises (grands comptes), il permet de
centraliser et d’harmoniser les flux d’informations au sein de l’organisation. Nous l’avons
vu, les ERP commencent progressivement à faire leur apparition dans le milieu de
l’humanitaire notamment grâce à des instituts extérieurs qui gèrent la mise en œuvre du
projet. Cette fonction, difficile et longue à mettre en place à l’échelle globale de
l’entreprise, fait toujours appel à des sous-traitants, aussi appelés consultants. Cette phase
est inévitablement externalisée car l’installation et la customisation des progiciels
requièrent des compétences spécifiques.
En revanche, l’organisation des flux de marchandises du siège vers le terrain (grâce
notamment aux SI) semble être une fonction clé qu’aucun des responsables interrogés ne
semble vouloir perdre de vue. C’est une réaction compréhensible si l’on considère que
l’approvisionnement de biens et services humanitaires fait partie intégrante de leur activité
70
(cœur de métier). C’est en effet une des parties les plus stratégiques de la distribution aval,
qu’il est important de maîtriser pour les ONG que nous venons de décrire qui ont souvent
recours à l’exportation de marchandises vers les missions. Cependant, l’ONG peut quand
même être amenée à sous-traiter cet aspect sur certaines missions ponctuelles.
Nous avons dégagé deux types de tendance à l’externalisation que nous avons
schématiquement qualifié d’« électron libre » ou de « regroupement ».
La première catégorie concerne majoritairement les opérations (souvent
ponctuelles) qui amènent l’ONG vers un prestataire logistique classique, ouvrant alors un
marché de niche à ce secteur, lui aussi très en mouvement.
Mais c’est aussi, comme l’a fait Médecins Sans Frontières en 1979, créer une
plateforme logistique à part entière, bénéficiant d’une grande indépendance par rapport à
l’association mère. Mais ce genre de pari ne peut se relever que par une ONG déjà très
solide humainement et financièrement. Evidement, la mise en place de tels organismes est
difficile et c’est une projection à long terme.
La seconde catégorie de « regroupement » concerne plutôt les petites et moyennes
ONG, qui constituent la grande majorité des associations de solidarité internationale.
Cela peut se traduire par la fusion de deux acteurs comme l’ont récemment choisi
Atlas Logistique et Handicap International (action dans le long terme);
Cela peut aussi se matérialiser par un simple rapprochement de deux (ou plusieurs)
ONG afin de mener des actions ponctuelles communes. Ainsi, les deux associations
profiteraient du savoir-faire de l’autre, tout en optimisant les ressources collectives. L’une
se chargeant de l’aspect logistique, l’autre pourra se concentrer sur une autre partie du
projet (transition vers développement durable de la zone concernée, formation du
personnel…). Elles servent donc chacune de sous-traitant à l’autre.
71
Dans un esprit de réelle externalisation, deux associations pourraient confier
l’aspect logistique à un même prestataire extérieur qui saura mieux qu’elles gérer ces
opérations spécifiques et, nous l’avons vu, parfois délicates. Ainsi, pourront-elles se
concentrer sur leur cœur de métier, comme le justifient les opérations de sous-traitance.
L’ONG peut également choisir de se rapprocher d’une institution internationale
(comme l’ONU, l’UNESCO…) afin de profiter de son expertise et de ses moyens souvent
de grande ampleur (entreposage, transport groupé…).
Enfin, au regard des nombreuses petites ONG spécialisées dans la logistique
humanitaire, on pourrait penser développer une entité prenant ce rôle de groupeur d’ONG
(voire même d’autres associations logistiques humanitaires) afin de développer un agent
spécialisé dans la collaboration des petites et moyennes ONG entre elles en terme de
logistique. Outre l’aide technique et l’expertise qu’apporteraient les logisticiens, cette
« ONG prestataire » permettrait de regrouper différents acteurs pour des partenariats à
court terme dans un premier temps, et pourquoi pas à plus long terme, une fois que le
travail d’information et de réalisation auprès des petites ONG aura porté ses fruits. Plus il y
aura d’ONG pour faire confiance à cette structure, plus elle aura les moyens de mener à
bien les projets, et plus la coopération sera facile et large, pour un moindre coût. C’est un
projet à visée exponentielle.
Comme elles le font déjà, ces « ONG prestataires » pourraient alors parallèlement
continuer à soutenir des projets plus individuels (projets d’école…), le tout pour une
solidarité internationale plus diversifiée. Chaque association qui développe un projet
bénéfique et solide doit pouvoir avoir l’opportunité de le concrétiser dans les meilleures
conditions, et notamment logistique.
La présence de grosses ONG comme MSF et Oxfam est vitale pour l’Homme car
elles bénéficient de structures solides; mais la diversité des acteurs est essentielle, tant d’un
point de vue des méthodes que de l’esprit véhiculé.
Cependant, l’humanitaire traverse déjà une crise d’identité depuis quelques années
sur des thèmes comme la professionnalisation, mais aussi face à l’aspect plus complexe et
dangereux des conflits. La question de l’externalisation semble donc s’avérer un peu
prématurée, le secteur étant selon moi en pleine restructuration idéologique et pratique.
72
Certaines fonctions logistiques pourraient se voir confier à des tiers dans l’avenir, car ce
serait dans le droit-fil du mouvement de professionnalisation des ONG auquel nous
assistons. Comme pour tout projet touchant à l’organisation de la structure, il est
primordial que les responsables eux-mêmes soient enthousiastes et actifs. Or, des
difficultés majeures restent à surmonter, comme la question de la volonté farouche
d’indépendance des différentes associations de solidarité internationale.
Ainsi, ce thème soulève principalement le problème de la coopération entre ONG,
qui semble s’imposer comme une évidence en termes d’organisation, notamment
logistique. C’est en regroupant leurs ressources (matérielles et immatérielles) que les ONG
parviendront à atteindre l’efficacité et l’optimisation recherchées par le personnel, les
bailleurs de fonds, et surtout les populations en détresse. Que ces partenariats se
concrétisent par l’externalisation de la logistique d’une ONG ou par une simple mise en
commun des ressources et procédés, le but reste d’atteindre l’efficacité humaine,
financière, et même écologique.
La situation mondiale ne laisse malheureusement pas présager de la disparition de
l’humanitaire. C’est pourquoi il est essentiel selon moi de tirer profit des techniques et
méthodes employées dans le secteur privé, quitte à bousculer un peu le monde de
l’humanitaire qui en a peut-être parfois besoin.
Mais n’oublions pas que l’humanitaire a (trop) souvent un rôle majoritairement
curatif, et que « plutôt que célébrer l’avènement d’une hypothétique conscience
humanitaire mondiale, il faut surtout œuvrer, au vu des catastrophes naturelles majeures
qui ont marqué l’année 2005, pour que progresse une conscience écologique mondiale ! »72
72 Penser dans l’urgence, Rony Brauman, entretiens avec Catherine Portevin, Ed. du Seuil, mars 2006, p 250.
73
Bibliographie
ENTRETIENS
Par l’auteur :
- Aurélien Maréchal, Responsable logistique de Solidarités, 23 février 07, Paris.
- Guillaume Sauval, Membre de l’équipe d’urgence de Solidarités, 24 janvier 07,
Paris.
- Charaf Moulali, Délégué général d’Enfants du Monde Droits de l’Homme, 10 avril
07, Paris.
- Jerome Schell, Responsable logistique chez Pharmarciens Sans Frontières, 19 avril
07, par téléphone.
Sources externes :
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http://www.fmreview.org/text/FMR/18/05.htm
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Humanitaire
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- Le travail humanitaire ; les acteurs des ONG, du siège au terrain, P. Dauvin et
J. Siméant, Presses de Sciences Po, 2002.
- Penser dans l’urgence, Rony Brauman, entretiens avec Catherine Portevin, Ed. du
Seuil, mars 2006.
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- Souvenir de Solférino, Henri Dunant, Ed. Cesno, 1862.
Supply chain - Logistique
- Stratégie logistique, Alexandre K. Samii, Ed Dunod, 2004 (3eme édition).
74
- Supply Chain en action, Claude Fiore, Ed. Les Echos, 2001.
- La stratégie logistique, Pascal Eymery, Que sais-je ?, Presses Universitaires de
France, 2003.
- Management de la production, Anne Gratacap et Pierre Médan, Ed. Dunod, 2005
(2eme édition).
- L’Encyclopédie du Marketing, Jean Marc Lehu, Ed. d’Organisations.
ARTICLES DE PRESSE & SPÉCIALISÉS
- « La coordination des chaînes multi-acteurs dans un contexte humanitaire :
quels cadres conceptuels pour améliorer l’action ? », Logistique Management
Volume 14 n°1 – 2006, ISLI.
- « Nature et enjeux stratégiques de l’externalisation », Revue Française du
Marketing, Volume 19 n°143, mars-avril 2003.
- « Luxe et cosmétique : externalisation et management des opérations
logistiques », Le Journal de la logistique n°39, octobre 2006.
- « Les french comptables des French Doctors », Le nouvel économiste n°981,
27/01/95
- « Armées, l’alibi humanitaire : Tsunami, les intérêts des pays donateurs », Une
Suisse sans armée n°65, printemps 2005, p15-16,
http://www.gssa.ch/journal/display.php3?id=346
- « Externalisation logistique : quels types de prestataires ? », Phillippine Arnal,
04/01/03, http://www.journaldunet.com
SOURCES UNIVERSITAIRES
- Mémoire de fin d’études « Contraintes, spécificités des achats &
approvisionnements et management par les processus dans le milieu
humanitaire : cas de Médecins Sans Frontières », Julien Touvron, Groupe Sup
de Co La Rochelle, mai 2005.
75
- Rapport de stage « Participation à la réorganisation du service logistique de
l’ONG Pharmaciens Sans Frontières », Emma Bessières, Master 2 Logistique
Internationale - Université du Havre, 2005.
SITES INTERNET
Institutionnels
- http://www.diplomatie.gouv.fr
- http://www.unicef.org/
- http://www.euronaid.net/
- http://www.europarl.europa.eu
Professionnels
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o Acheminement Aide, JA2 20H, A2 - 22/07/1994 - 00h02m10s
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Associatifs
- http://www.coordinationsud.org/
- http://www.solidarites.org
- http://www.emdh.org
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- http://www.mission-air.com/
- http://www.bioport.asso.fr/