la lettre de l'observatoire de l'asile et des réfugiés · 2017. 7. 10. · des...

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a réinstallation vise à transférer des réfugiés depuis leur premier pays d’asile vers un État tiers qui s’engage auprès du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) à les accueillir en tant que réfugiés, en leur accordant une pro- tection et un statut de résidence permanente. Cette pratique constitue l’une des trois solu- tions durables prévue pour les réfugiés dès la création du HCR en 1949, avec le rapatriement librement consenti et l’intégration dans le pays de premier accueil. La réinstallation est le der- nier recours lorsqu’ aucune des deux autres so- lutions n’est envisageable à moyen ou long terme. Dans des situations d’urgence, la ré- installation permet également de soulager les pays de premier asile en partageant la charge de l’accueil, ce qui peut à la fois les encourager à ne pas fermer leurs frontières et endiguer la crise humanitaire. Le HCR estime les besoins de réinstallation de réfugiés dans le monde à 780 000 pour les trois à cinq prochaines années, dont 172 000 per- sonnes prioritaires pour 2012. Or, seulement 80 000 places de réinstallation sont disponibles chaque année, dont environ 90% sont fournies par les États-Unis, l’Australie et le Canada. Dans l’Union européenne, où le programme européen commun de réinstallation proposé en 2009 par la Commission tarde à être adopté en raison de blocages institutionnels, seuls quelques États ont mis en place des pro- grammes nationaux. Un programme inadapté aux besoins des réinstallés En France, depuis la signature de l’accord- cadre avec le HCR en 2008, un peu plus de 500 personnes ont été accueillies : 238 en 2008, puis 150 en 2009 et 150 en 2010. Elles étaient majoritairement originaires d’Afrique (54%), notamment d’Éthiopie, de République démocratique du Congo, de So- malie et du Rwanda. Viennent ensuite l’Asie, l’Europe continentale (Afghanistan, Tchét- chénie) et le Moyen-Orient, pour l’essentiel des Palestiniens. Parallèlement à l’accord passé avec le HCR, la France a accueilli 1 200 Irakiens dans le cadre du programme ad hoc Irak 500, lancé en 2007 suite à un déplacement de Bernard Kouchner en Irak et visant principalement à protéger la mi- norité chrétienne persécutée. Depuis 2009, 250 personnes reconnues réfugiées à Malte ont éga- lement été accueillies au titre d’un programme de relocalisation intra-euro- péenne, qui présente cer- taines similitudes avec une action de réinstallation Une fois que les dossiers prioritaires ont été trans- mis par le HCR, le service de l’asile du ministère de l’Intérieur procède à la sélection. Les critères de sélection retenus ont trait, selon le ministère, aux be- soins de protection, au pro- fil et au parcours des réfugiés. Sont examinés particulièrement : l’absence de perspectives d’intégration et de protection dans le pays de premier accueil, les situations de vulnérabilité (par exemple les femmes seules avec des en- fants), les dossiers des victimes de violences et les besoins médicaux. Une fois le dossier accepté, un visa long séjour est délivré, visa qui donne l’autorisation de tra- vailler. Le relais est ensuite pris par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) qui est chargé, en liaison avec l’Orga- nisation internationale pour les migrations (OIM), d’assurer l’arrivée de la personne sur le territoire français. Après un passage dans un centre de transit, les personnes réinstallées étaient jusqu’à peu hé- bergées dans des centres d’accueil pour de- mandeurs d’asile (CADA) déjà saturés ou des centres provisoires d’hébergement, avant d’être éventuellement redirigées vers un dis- positif spécifique. Les transferts multiples créaient une instabilité résidentielle source de stress pour les personnes. L’hébergement dans des CADA ne permet par ailleurs pas un ac- compagnement qui prenne en compte les be- soins particuliers des réinstallés 2 . Après plu- sieurs années de demandes des associations à ce sujet, l’OFII a annoncé en juillet que les ré- installés ne passeraient désormais plus par les CADA, mais seraient directement dirigés vers les appartements relais des dispositifs spé- cifiques. Dans ce sens, le réseau pour l’inté- gration des réinstallés de France terre d’asile, recevra directement les réfugiés depuis le centre de transit de Créteil. D’après sa coor- dinatrice, Florence Gaudeau, le réseau pour l’intégration des réinstallés de France terre d’asile accueille depuis 2010 des personnes dans 80 places d’hébergement temporaire dans trois départements (Paris, Val de Marne, Deux Sèvres) et assure un suivi qui prend en compte les spécificités des réfugiés réinstallés. Des obstacles sont régulièrement rencontrés dans la mise en œuvre de l’accueil des personnes réinstallées. L’Office de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) doit délivrer automatique- ment le statut de réfugié, qui permet l’obtention d’une carte de résident. Cependant, Florence Gaudeau, soulève des dysfonctionnements qui entraînent des délais de reconnaissance du sta- tut de réfugié pouvant atteindre six mois. Ce qui ralentit les démarches liées à l’insertion, comme l’accès au revenu de solidarité active et au contrat d’accueil et d’intégration (CAI). De même, trois mois peuvent s’écouler entre l’obtention du ré- cépissé de demande de titre de séjour et le pre- mier rendez-vous à l’OFII, prolongeant ainsi l’accès au CAI. Le délai dans lequel les cours de français sont accessibles et le nombre insuffisant d’heures délivrées constituent également un obs- tacle important à l’intégration. Améliorer la coopération et la planification La France n’est pas le seul pays à rencontrer de telles difficultés. Un projet de coopération pra- tique financé par le Fonds européen pour les réfugiés et coordonné par le HCR, l’OIM et la Commission internationale catholique pour les migrations (CICM) a permis aux acteurs eu- ropéens de la réinstallation d’échanger sur leurs pratiques, les dispositions pré-départ au voyage, l’accueil et l’intégration 3 . Il apparaît, au vu des expériences européennes, que le problème principal de la France est l’insuffisance de planification. Si le mode de sélection par dossier permet de simplifier les démarches administratives avant l’arrivée et s’avère utile dans les situa- tions d’urgence, il est inadapté dans le cadre des programmes européens. Il conduit no- tamment à « des arrivées au compte-goutte, alors que les missions de sélection, qui préparent des arrivées plus nombreuses, per- mettent de planifier en amont l’arrivée des réinstallés » 4 . Ce manque de planification nuit considérablement à l’intégration rapide des réinstallés, et contribue à l’allongement des dé- lais et à l’inadaptation de l’accueil attendu que l’ouverture des droits sociaux, la recherche d’un logement adapté ou la scolarisation des enfants ne peuvent être improvisées. La complexité et la désorganisation du pro- gramme nuisent aussi à la coopération entre les différents acteurs impliqués dans la réinstallation : ministères, préfectures, éta- blissement sociaux, OFII, collectivités locales, organisations non-gouvernementales ne peu- vent suffisamment prévoir l’arrivée des réins- tallés et travaillent donc trop souvent dans l’urgence. Le problème du logement, parti- culièrement prégnant en France, pourrait ainsi être en partie résolu par une planification concertée de ces acteurs, voire par leur par- ticipation aux missions de sélection, comme c’est le cas au Royaume-Uni. Il apparaît donc indispensable, au-delà de l’augmentation nécessaire des places offertes aux niveaux national et européen, de simplifier, de réorganiser et de construire par une coopération entre les multiples acteurs concernés un programme d’accueil des réins- tallés efficace et cohérent. La France, qui s’est dotée depuis peu d’un programme de réinstallation, a décidé de marquer une pause d’une durée imprécise dans les arrivées de réfugiés réinstallés pour cause de « saturation du dispositif national d’accueil » 1 . Alors que les autorités sont toujours tenues d’examiner une centaine de dossiers par an, il est nécessaire que celles-ci tirent les conclusions d’un bilan contrasté. l'asile et des réfugiés La Lettre de l'Observatoire de 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 0 0 0 4 4 4 a a 40 LETTRE BIMESTRIELLE DE FRANCE TERRE DASILE N°48 OCTOBRE 2011 L Le bilan contrasté du programme de réinstallation français SOMMAIRE La parole à. Petra Hueck, CICM ……………......…………..2 Zoom. Les besoins de réinstalla- tion dans la rive sud de la Méditerranée...…………………..2 Actualités juridiques et sociales...4 Libre opinion. Mineurs isolés étran- gers : l’illusion d’une victoire……..4 Intégration. Le potentiel d’intégra- tion inexploité des communautés religieuses de migrants….…........3 L'Europe de l'asile. L’Europe doit mieux protéger les civils qui fuient la violence aveugle…………...…..3 1 Brigitte FRENAIS-CHAMAILLARD, chef du service de l’asile au ministère de l’Intérieur, Petit Déjeuner de France terre d’asile « Quel avenir pour la réinstallation en France ? », 24 juin 2011. 2 Voir entretien page 2. 3 Voir entretien page 2. 4 Petra HUECK, responsable du bureau européen de la CICM, Petit Déjeuner de France terre d’asile « Quel avenir pour la réinstallation en France ? », 24 juin 2011.

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Page 1: La Lettre de l'Observatoire de l'asile et des réfugiés · 2017. 7. 10. · des programmes européens. Il conduit no-tamment à « des arrivées au compte-goutte, alors que les missions

a réinstallation vise à transférer desréfugiés depuis leur premier paysd’asile vers un État tiers qui s’engage

auprès du Haut Commissariat des Nationsunies pour les réfugiés (HCR) à les accueilliren tant que réfugiés, en leur accordant une pro-tection et un statut de résidence permanente.Cette pratique constitue l’une des trois solu-tions durables prévue pour les réfugiés dès lacréation du HCR en 1949, avec le rapatriementlibrement consenti et l’intégration dans le paysde premier accueil. La réinstallation est le der-nier recours lorsqu’ aucune des deux autres so-lutions n’est envisageable à moyen ou longterme. Dans des situations d’urgence, la ré-installation permet également de soulager lespays de premier asile en partageant la chargede l’accueil, ce qui peut à la fois les encouragerà ne pas fermer leurs frontières et endiguer lacrise humanitaire.

Le HCR estime les besoins de réinstallation deréfugiés dans le monde à 780 000 pour les troisà cinq prochaines années, dont 172 000 per-sonnes prioritaires pour 2012. Or, seulement80 000 places de réinstallation sont disponibleschaque année, dont environ 90% sont fourniespar les États-Unis, l’Australie et le Canada.Dans l’Union européenne, où le programmeeuropéen commun de réinstallation proposéen 2009 par la Commission tarde à être adoptéen raison de blocages institutionnels, seulsquelques États ont mis en place des pro-grammes nationaux.

Un programme inadapté auxbesoins des réinstallésEn France, depuis la signature de l’accord-cadre avec le HCR en 2008, un peu plus de500 personnes ont été accueillies : 238 en 2008, puis 150 en 2009 et 150 en 2010.Elles étaient majoritairement originairesd’Afrique (54%), notamment d’Éthiopie, deRépublique démocratique du Congo, de So-malie et du Rwanda. Viennent ensuite l’Asie,l’Europe continentale (Afghanistan, Tchét-chénie) et le Moyen-Orient, pour l’essentieldes Palestiniens.

Parallèlement à l’accord passé avec le HCR, laFrance a accueilli 1 200 Irakiens dans le cadredu programme ad hoc Irak 500, lancé en 2007suite à un déplacement de Bernard Kouchneren Irak et visant principalement à protéger la mi-norité chrétienne persécutée. Depuis 2009, 250personnes reconnues réfugiées à Malte ont éga-

lement été accueillies autitre d’un programme derelocalisation intra-euro-péenne, qui présente cer-taines similitudes avec uneaction de réinstallation

Une fois que les dossiersprioritaires ont été trans-mis par le HCR, le servicede l’asile du ministère de l’Intérieur procède à lasélection. Les critères desélection retenus ont trait,selon le ministère, aux be-soins de protection, au pro-fil et au parcours des réfugiés. Sont examinésparticulièrement : l’absence de perspectivesd’intégration et de protection dans le pays depremier accueil, les situations de vulnérabilité(par exemple les femmes seules avec des en-fants), les dossiers des victimes de violences etles besoins médicaux.

Une fois le dossier accepté, un visa long séjourest délivré, visa qui donne l’autorisation de tra-vailler. Le relais est ensuite pris par l’Officefrançais de l’immigration et de l’intégration(OFII) qui est chargé, en liaison avec l’Orga-nisation internationale pour les migrations(OIM), d’assurer l’arrivée de la personne sur leterritoire français.

Après un passage dans un centre de transit, lespersonnes réinstallées étaient jusqu’à peu hé-bergées dans des centres d’accueil pour de-mandeurs d’asile (CADA) déjà saturés ou descentres provisoires d’hébergement, avantd’être éventuellement redirigées vers un dis-positif spécifique. Les transferts multiplescréaient une instabilité résidentielle source destress pour les personnes. L’hébergement dansdes CADA ne permet par ailleurs pas un ac-compagnement qui prenne en compte les be-soins particuliers des réinstallés2. Après plu-sieurs années de demandes des associations àce sujet, l’OFII a annoncé en juillet que les ré-installés ne passeraient désormais plus par les CADA, mais seraient directement dirigésvers les appartements relais des dispositifs spé-cifiques. Dans ce sens, le réseau pour l’inté-gration des réinstallés de France terre d’asile,recevra directement les réfugiés depuis lecentre de transit de Créteil. D’après sa coor-dinatrice, Florence Gaudeau, le réseau pourl’intégration des réinstallés de France terre

d’asile accueille depuis 2010 des personnesdans 80 places d’hébergement temporaire danstrois départements (Paris, Val de Marne, DeuxSèvres) et assure un suivi qui prend en compteles spécificités des réfugiés réinstallés.

Des obstacles sont régulièrement rencontrésdans la mise en œuvre de l’accueil des personnesréinstallées. L’Office de protection des réfugiéset apatrides (Ofpra) doit délivrer automatique-ment le statut de réfugié, qui permet l’obtentiond’une carte de résident. Cependant, FlorenceGaudeau, soulève des dysfonctionnements quientraînent des délais de reconnaissance du sta-tut de réfugié pouvant atteindre six mois. Ce quiralentit les démarches liées à l’insertion, commel’accès au revenu de solidarité active et au contratd’accueil et d’intégration (CAI). De même, troismois peuvent s’écouler entre l’obtention du ré-cépissé de demande de titre de séjour et le pre-mier rendez-vous à l’OFII, prolongeant ainsil’accès au CAI. Le délai dans lequel les cours defrançais sont accessibles et le nombre insuffisantd’heures délivrées constituent également un obs-tacle important à l’intégration.

Améliorer la coopération et laplanificationLa France n’est pas le seul pays à rencontrer detelles difficultés. Un projet de coopération pra-tique financé par le Fonds européen pour lesréfugiés et coordonné par le HCR, l’OIM et laCommission internationale catholique pour lesmigrations (CICM) a permis aux acteurs eu-ropéens de la réinstallation d’échanger sur leurspratiques, les dispositions pré-départ au voyage,l’accueil et l’intégration3. Il apparaît, au vu des expériences européennes, que le problèmeprincipal de la France est l’insuffisance de planification.

Si le mode de sélection par dossier permet de simplifier les démarches administrativesavant l’arrivée et s’avère utile dans les situa-

tions d’urgence, il est inadapté dans le cadredes programmes européens. Il conduit no-tamment à « des arrivées au compte-goutte,alors que les missions de sélection, qui préparent des arrivées plus nombreuses, per-mettent de planifier en amont l’arrivée des réinstallés »4. Ce manque de planification nuitconsidérablement à l’intégration rapide des réinstallés, et contribue à l’allongement des dé-lais et à l’inadaptation de l’accueil attendu quel’ouverture des droits sociaux, la recherched’un logement adapté ou la scolarisation desenfants ne peuvent être improvisées.

La complexité et la désorganisation du pro-gramme nuisent aussi à la coopération entreles différents acteurs impliqués dans la réinstallation : ministères, préfectures, éta-blissement sociaux, OFII, collectivités locales,organisations non-gouvernementales ne peu-vent suffisamment prévoir l’arrivée des réins-tallés et travaillent donc trop souvent dans l’urgence. Le problème du logement, parti-culièrement prégnant en France, pourrait ainsiêtre en partie résolu par une planificationconcertée de ces acteurs, voire par leur par-ticipation aux missions de sélection, commec’est le cas au Royaume-Uni.

Il apparaît donc indispensable, au-delà de l’augmentation nécessaire des places offertes aux niveaux national et européen, desimplifier, de réorganiser et de construire parune coopération entre les multiples acteursconcernés un programme d’accueil des réins-tallés efficace et cohérent.

La France, qui s’est dotée depuis peu d’un programme de réinstallation, a décidé de marquer une paused’une durée imprécise dans les arrivées de réfugiés réinstallés pour cause de « saturation du dispositifnational d’accueil »1. Alors que les autorités sont toujours tenues d’examiner une centaine de dossiers paran, il est nécessaire que celles-ci tirent les conclusions d’un bilan contrasté.

l'asile et des réfugiésLa Lettre de l'Observatoire de

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LETTRE BIMESTRIELLE DE FRANCE TERRE D’ASILE N°48 OCTOBRE 2011

L

Le bilan contrasté du programmede réinstallation français

SSOOMMMMAAIIRREE

La parole à. Petra Hueck, CICM ……………......…………..2Zoom. Les besoins de réinstalla-tion dans la rive sud de laMéditerranée...…………………..2

Actualités juridiques et sociales...4Libre opinion. Mineurs isolés étran-gers : l’illusion d’une victoire……..4

Intégration. Le potentiel d’intégra-tion inexploité des communautésreligieuses de migrants….…........3L'Europe de l'asile. L’Europe doitmieux protéger les civils qui fuientla violence aveugle…………...…..3

1 Brigitte FRENAIS-CHAMAILLARD, chef du service de l’asile au ministère de l’Intérieur, Petit Déjeuner de France terre d’asile « Quel avenir pour la réinstallation en France ? », 24 juin 2011.

2 Voir entretien page 2.3 Voir entretien page 2.4 Petra HUECK, responsable du bureau européen de la CICM, Petit Déjeuner de France terre d’asile « Quel avenir pour la réinstallation en France ? »,24 juin 2011.

Page 2: La Lettre de l'Observatoire de l'asile et des réfugiés · 2017. 7. 10. · des programmes européens. Il conduit no-tamment à « des arrivées au compte-goutte, alors que les missions

elon l’Organisation internationale pourles migrations (OIM), un million d’étran-gers auraient fui la Libye depuis le début

des affrontements de ce début d’année, souventvers la Tunisie ou l’Égypte. Face à la crise huma-nitaire auxquels ces pays ont été confrontés, leHaut Commissariat des Nations unies pour les ré-fugiés (HCR) et l’OIM ont mis en place des dis-positifs d’urgence pour répondre aux besoins desmigrants. Un programme spécifique a permis d’or-ganiser, à travers des moyens mis à disposition parles pays industrialisés, le retour de 208 000 d’entreeux dans leur pays d’origine. Restent quelques mil-liers de réfugiés et de demandeurs d’asile1, majo-ritairement originaires d’Afrique de l’Est, qui nepeuvent pas rentrer dans leur pays, « une partietrès minoritaire mais tout de même significative »selon Maurizio Busatti, directeur de l’OIM France.La Tunisie et l’Égypte, pays eux-mêmes confron-tés à des difficultés économiques et sociales en rai-son des récents changements politiques, ne sem-blent pas être en mesure de proposer des solutionsdurables à ces personnes, aujourd’hui bloquéesdans des camps de réfugiés où les conditions devie sont extrêmement précaires.

Cette situation a conduit António Guterres, ledirecteur du HCR, à lancer en mars dernier un

appel à la solidarité internationale visant à four-nir 8 000 places de réinstallation aux réfugiés blo-qués aux frontières avec la Libye. En particulier,les pays offrant des places de réinstallation ontété invités à accepter des réfugiés au-delà de leursquotas annuels. Au 1er septembre, seuls onzepays ont répondu à cet appel pour un total de2 500 places de réinstallation. Les États-Unis ontà eux seuls proposé 1 550 places et la Norvège425, le reste étant partagé entre la Suède, lesPays-Bas, la Belgique, l'Irlande, le Canada, l'Aus-tralie, le Portugal, le Danemark et la Finlande.La France a pour sa part refusé de participer àcet effort international. Face à la situation de cesmilliers de réfugiés, un tel manque de respon-sabilité de la part de la communauté interna-tionale ne peut que susciter la consternation.

La procédure de sélection desréfugiés réinstallésAfin de réduire l’attente des candidats à l’asiledans les camps, le HCR a mis en place des pro-cédures accélérées d’identification et de déter-mination du statut de réfugié. Parmi les per-sonnes qui ont obtenu le statut de réfugié, et sontdonc placées sous son mandat strict, le HCR sé-lectionne celles qu’il considère comme priori-taires pour la réinstallation. Pour ce faire, il exa-mine s’ils répondent aux critères prioritairessuivants : besoins de protection juridique et phy-sique, victimes de violences et tortures, besoins

médicaux, femmes vulnérables, regroupementfamilial, enfants et adolescents, personnes âgées,réfugiés sans perspective d’intégration locale.

Parmi les personnes présélectionnées, les Étatsde réinstallation procèdent à une sélection défi-nitive selon des méthodes qui leur sont propres.La Belgique a par exemple accueilli en juillet 25réfugiés érythréens et congolais qui vivaient dansle camp de Choucha, prioritairement des femmesseules avec enfants, que les autorités belges ontsélectionnées sur la base de dossiers transmis parle HCR. La Norvège a quant à elle dépêché deuxmissions de sélection qui ont identifié sur place300 personnes qui seront accueillies d’ici la fin del’année.

L’organisation du départ Le HCR coopère avec l’OIM pour préparer ledépart des réinstallés et s’assurer du bon déroulement de leur voyage. Parmi les servicesfournis par l’OIM, des sessions d’orientationculturelle sont dispensées avant le départ, et par-fois après l’arrivée dans le pays de réinstallation.Des sessions d’information sur le déroulementdu voyage en avion et des examens médicauxsont également prévus, ainsi qu’une aide dansles aéroports de départ et d’arrivée, par exemplependant le contrôle des passeports et les pro-cédures de sécurité.

Une alternative à cette procédure qui a été uti-lisée au cours de la crise humanitaire en Afriquedu Nord est l’évacuation vers des centres de tran-sit d’urgence. Le centre de transit de Timisoara,établi en 2008 conjointement par le gouverne-ment roumain, le HCR et l'OIM pour héber-ger des personnes ayant un besoin urgent en ma-tière de protection internationale durant letraitement de leur dossier de candidature à la ré-installation, a par exemple accueilli 80 personnesen provenance de Tunisie dont une cinquantained’Érythréens depuis le mois d’avril 2011.

Mais si les personnes présentes à Timisoara, quiseront en l’occurrence réinstallées aux États-Uniset aux Pays-Bas, ont trouvé une solution, la si-tuation est beaucoup plus critique pour ceux tou-jours bloqués dans des camps de réfugiés. « Lesconditions d’accueil extrêmement précaires pous-sent souvent ces personnes vers des risques fatals,vers des traversées qui peuvent être mortelles »déplore Maurizio Busatti. De fait, face au manqued’équipements élémentaires, vivant dans desconditions climatiques, sanitaires et sécuritairestrès difficiles, leurs perspectives d’avenir semblentlimitées. La réinstallation semble ainsi la dernièresolution pour donner une chance à ces personnes.Combien de temps ces personnes devront-ellesattendre pour que l’Union européenne se décideà assumer un rôle de premier plan et propose dessolutions à cette situation alarmante ?

1 Le HCR estime que la Libye comptait environ 8 000 réfugiés enre-gistrés en tant que tels et environ 3 000 demandeurs d’asile, sans comp-ter les dizaines de milliers d’autres qui n’avaient pu avoir accès aux pro-cédures d’enregistrement.

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Petra HUECK, responsable du bureau euro-péen de la Commission internationale catholique des migrations (CICM).En quoi consiste le projet européen de coopé-ration pratique en matière de réinstallation auquel votre organisation est associée ?Dans l’Union européenne, la coopération pra-tique est généralement vue à la fois commeune coopération entre gouvernements et unecoopération de ces derniers avec les différentsacteurs de la société civile, via des partenariats.Le projet mené par la CICM avec l’Organisa-tion internationale pour les migrations (OIM)et le Haut Commissariat des Nations uniespour les réfugiés (HCR) depuis mars 2010 viseà mettre en place et renforcer ces partenariatsdans dix pays : Belgique, France, Hongrie,Pays-Bas, Portugal, Pologne, Roumanie, Slova-quie, Suède et Royaume-Uni.

De quelle manière le projet a-t-il permisd’améliorer la coopération entre les diffé-rents acteurs aussi bien au niveau national qu’au niveau local ?Ce projet a rassemblé des pays qui ont unelongue expérience en matière de réinstallation,comme la Suède ou la Finlande, et d’autres quiont manifesté leur intérêt de développer de telsprogrammes, de se perfectionner ou de renfor-cer leurs capacités dans ce domaine tels quel’Angleterre, l’Irlande, la France, ou encore lePortugal. Tous ces pays ont développé différentsmodèles en matière d’accueil et d’intégration des

réinstallés au sein de leur système d’asile. Le pro-jet de coopération pratique a consisté à explo-rer certaines pistes pour améliorer les pratiqueset renforcer les capacités d’intégration, dansl’objectif de rendre les systèmes plus fluides, plusperformants et plus rapides. L’objectif était dedévelopper une réflexion sur les bonnes pra-tiques en matière de réinstallation. La démarchea associé différents acteurs (organisations non-gouvernementales, services sociaux, services delogement, services municipaux, etc.). Ce travail aeu pour résultat la publication d’un guide pra-tique à destination des praticiens de la réinstal-lation. Les personnes travaillant directementavec le public réinstallé pourront ainsi trouverdes réponses à leurs différentes questions. Outrece guide, le projet a également permis d’étudierles coopérations pratiques qui sont menées parles gouvernements concernés, par exempleconcernant le mode de sélection des dossiers. Leprojet a également permis d’organiser des visitesde terrain auprès des différents acteurs afind’observer l’organisation de l’accueil.

Quelles bonnes pratiques avez-vous pu observer ?Une des clés du succès d’un programme deréinstallation qui a pu être dégagée grâce au pro-jet est la coopération entre acteurs. De manièregénérale, une coopération structurée et régulièreentre les acteurs, aux niveaux national et local,de même qu’une bonne définition de leurs rôlesrespectifs en matière d’accueil, peut permettre

un bon déroulement du programme. Concrète-ment, cela signifie qu’un groupe de travail seréunit lorsqu’il y a une arrivée de réfugiés réins-tallés et prend les décisions concernant leursbesoins en logement ou en services médicaux.En Angleterre, par exemple, l’accueil est d’em-blée assuré par les municipalités et la mise enplace des prestations est planifiée à l’avance parles centres d’accueil. Il est extrêmement impor-tant de planifier les programmes d’intégrationet l’arrivée des personnes.

Le logement est un problème majeur en Euro-pe à l’heure actuelle et paralyse le développe-ment de la réinstallation. Le guide pratiquecontient des exemples concrets de possibilitésde contourner les structures existantes pour dis-poser de moyens supplémentaires. Certainspays ont par exemple mis en place un systèmede « pooling » pour l’hébergement : des loge-ments sont alors bloqués, de manière à ce qu’ilssoient toujours disponibles pour que des réfu-giés puissent y être placés pour une durée de sixmois, en attendant de trouver un logement plusdurable.

Plus particulièrement, comment améliorer l’in-tégration des réfugiés réinstallés en prenanten compte leurs besoins spécifiques ?Il y a une impression générale selon laquelle lesréinstallés auraient les mêmes besoins que lesautres réfugiés. Or, le projet de coopérationpratique a permis de mettre en évidence le

fait que ces individus qui sont placés d’unmoment à l’autre dans un pays qu’ils neconnaissent pas ont besoin de certains ser-vices spécifiques. Ils ont souvent vécu dessituations de dépendance pendant despériodes prolongées dans des camps disposantd’équipements très basiques. Ces situationspeuvent rendre difficile leur autonomisation.Les réinstallés bénéficient également souventde peu de réseaux dans le pays d’accueil,notamment de compatriotes, qui puissent leurapporter un soutien à la fois émotionnel etdans leurs démarches d’insertion. À celas’ajoute un désarroi à l’arrivée dans le paysd’accueil. Fuyant des conditions très difficiles,ces réfugiés ont souvent des attentes élevées dece que sera leur vie dans le pays de réinstalla-tion, attentes déçues en raison des problèmesmultiples qu’ils rencontrent une fois arrivés.La difficulté pour obtenir un logement privéou un emploi sont notamment sources denombreuses frustrations.

Si des services spécifiques sont donc néces-saires, il est évident que ceux-ci ne peuventpas durer éternellement, et qu’ils doivent êtrelimités pour permettre un retour rapide dansle dispositif de droit commun. De ce point devue, l’idéal est de développer des parcoursd’intégration personnalisés. Par ailleurs, lescommunautés locales jouent un rôle déter-minant pour créer une compréhensionmutuelle et intégrer les gens qui arrivent.

LA PAROLE ÀA

« Il est extrêmement important de planifier les programmes d’intégrationet l’arrivée des personnes »

S

Les besoins de réinstallation dans la rivesud de la Méditerranée

AZOOM

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L’Europe doit mieux protéger les civils quifuient la violence aveugle

PAGE 3LA LETTRE N°48 OCTOBRE 2011

es États européens seraient réticentsà protéger les civils qui fuient lesconflits armés. Par peur de paraître

trop attractifs, ils conservent des pratiquesnationales qui, au-delà de leur disparité, of-frent souvent une protection insuffisante ouinadaptée aux personnes qui veulent échap-per aux situations de violence dite « aveugle ».Ce constat, dressé par le Haut Commissariatdes Nations unies pour les réfugiés (HCR)dans une étude publiée en juillet 20111,concerne six États membres de l’Union eu-ropéenne (UE), dont la France2. Le HCR aplus particulièrement analysé la situation desdemandeurs d’asile originaires de Somalie,d’Irak et d’Afghanistan, trois États en proieà ce type de violence et qui représentent 20%de la demande d’asile dans l’UE.

L’étude met d’abord en lumière des pra-tiques divergentes d’un pays à l’autre. Parexemple, 78,5% des demandeurs d’asile ira-kiens ont obtenu une protection internatio-nale en Belgique en 2010, contre seulement10,9% au Royaume-Uni. Sur la même pé-riode, 34,3% des demandeurs somaliens ontobtenu une protection aux Pays-Bas, contre89,4% en Allemagne. Ces statistiques tra-

duisent une divergence dans l’applicationdes textes européens.

L’article 15 de la directive sur la qualifica-tion3, qui prévoit l’accord de la protectionsubsidiaire en raison d’un risque d’exposi-tion à des menaces graves, inclut à son alinéa(c) les « menaces graves et individuellescontre la vie ou la personne d’un civil en rai-son d’une violence aveugle ou en cas deconflit armé interne ou international ». Cetteformulation pose une difficulté d’interpré-tation, puisqu’elle juxtapose les notions a priori contradictoires de violence aveugleet de menaces individuelles.

La Cour de justice de l’Union européenne, atenté de préciser la portée de cet article4. Elleopère une distinction entre d’une part, les si-tuations « exceptionnelles », où la violence at-teint un niveau tel que tous les civils vivant dansla région sont concernés, et ne sont donc pastenus d’apporter des éléments prouvant qu’ilssont visés spécifiquement, et d’autre part, lescas où le degré de violence n’est pas assez élevépour que tous les civils soient ciblés, mais oùcertains d’entre eux sont particulièrement ex-posés et doivent alors le démontrer.

Cette jurisprudence n’a pas suffisammentpermis de clarifier la portée de l’article 15(c). L’arrêt n’a notamment pas défini de cri-tères de distinction entre les deux types desituation. Cela a permis aux États d'exigerune intensité disproportionnée de violence,ce qui, selon Daphné Bouteillet-Paquet5, co-auteure du rapport du HCR, « vide l’article15 (c) de son sens ». La seule région recon-nue communément par les six États étudiéscomme subissant un niveau de violence telque tous les civils ont droit à une protec-tion est Mogadiscio, en Somalie.

Les critères d'évaluation diffèrent égalementd'un État à l'autre. Si la France, la Belgiqueou le Royaume-Uni prennent en compte descritères à la fois quantitatifs et qualitatifs(nombre de morts, mais aussi type d’armesutilisé ou déplacements de populations) etrecoupent des sources gouvernementales etnon-gouvernementales, d’autres pays commel’Allemagne utilisent le seul critère dunombre de morts, trop restrictif.

Enfin, à l’instar du HCR, il convient de s’in-terroger sur la pratique consistant à faire em-piéter le champ de la protection subsidiairesur celui de la protection conventionnelle.Dès lors qu’un demandeur peut faire état derisques qui le visent personnellement en rai-son de l’un ou plusieurs des cinq motifs dela Convention de Genève, le HCR rappelle

que les États devraient lui reconnaître le sta-tut de réfugié. Alors que certains pays,comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas,n’accordent le statut de réfugié qu’à lamarge, la France fait plutôt partie des bonsélèves au regard du taux de reconnaissancede ce statut. Mme Bouteillet-Paquet relèvetoutefois certaines pratiques inquiétantes,aujourd’hui marginales numériquement,mais qu’il est nécessaire de surveiller. Ilexiste ainsi « une tendance en France à pen-ser les persécutions non-étatiques en termesde protection subsidiaire ». D’autres aspectsde la Convention de Genève sont mal ap-pliqués. Les motifs de persécution (tels quel'appartenance à un groupe social ou l’opi-nion politique) sont interprétés de manièretrop restrictive. Le cas des demandeurs af-ghans est symptomatique. Beaucoup d'entreeux craignent le recrutement forcé de la partdes talibans, risque pris au sérieux par lesautorités françaises, qui n'accordent cepen-dant dans ce cas que la protection subsi-diaire. Cela est notamment le fait du carac-tère prospectif du risque qui n’est pasconsidéré comme relevant du motif conven-tionnel d’opinion politique.

La protection subsidiaire, qui offre au bé-néficiaire de la protection un statut plus pré-caire, risque ainsi d'être détournée en ins-trument de protection au rabais.

ombre de migrants qui s’installent enEurope arrivent dans des sociétésplus sécularisées que celles qu’ils ont

quittées. C’est particulièrement le cas enFrance, pays laïc où la religion est strictementcantonnée à la sphère privée et où le dialogueentre communautés religieuses et pouvoirspublics est très limité. Les pratiques reli-gieuses des migrants sont en effet principale-ment abordées dans l’espace public sousl’angle de leur compatibilité avec les valeursde la société d’accueil et souvent considéréescomme un obstacle à l’intégration. Cepen-dant, l’expérience en France montre que si lesautorités limitent la prise de contact avec lesinterlocuteurs religieux musulmans, elles nefont pas de même avec les interlocuteurs descommunautés chrétiennes1.

L’Organisation internationale pour les mi-grations a publié en juin 2011 un rapport quiexplore des pistes pour améliorer la prise encompte, dans différents pays européens, durôle des communautés religieuses et de leursresponsables, notamment locaux, dans l’in-tégration de leurs membres2. Il apparaît qu’enFrance, ce rôle est aujourd’hui particulière-ment ignoré. En 2011, des forums de discus-sions entre représentants institutionnels, as-

sociatifs et religieux ont pour la première foisété organisés sous l’égide de l’organisation in-ternationale, dont l’objectif était de créer undialogue régulier entre les institutions et lescommunautés religieuses autour des questionsd’intégration. Ces rencontres ont permis detisser des premiers liens, sans certitude de pé-rennisation. Elles ont notamment fait res-sortir le rôle que pourraient jouer les com-munautés religieuses dans l’intégration desmigrants dans la vie quotidienne. Plus que deslieux de culte, elles fournissent souvent unéventail de services et d’informations en lienavec l’intégration de leurs membres. Les mi-grants peuvent y obtenir de l’aide et descontacts pour trouver un logement, un em-ploi, ou encore pour leur apprentissage dela langue ou l’éducation de leurs enfants. Lescommunautés religieuses sont donc souventun soutien à leur adaptation économique, so-ciale et culturelle.

Prendre en compte le fait reli-gieux en respectant le principe delaïcitéDe nombreuses études sociologiques, notamment américaines, on tenté de dégagerles causes et les effets des pratiques religieuses

des migrants3. Ceux-ci, et particulièrementles réfugiés, n’ont pas toujours de contactsau moment de leur arrivée dans le pays d’accueil, et les communautés religieusesconstituent avant tout des lieux où les migrants peuvent tisser les premiers liens.Pour des personnes déracinées et établissantde nouveaux repères, la recherche decontacts avec des personnes originaires dumême pays serait ainsi un réflexe naturel, etfavoriserait la socialisation dans le pays d’ac-cueil. La participation à une activité stable,régulière et familière permettrait égalementde lutter contre les traumatismes liés aux per-sécutions, à l’émigration forcée et aux dis-criminations éventuellement subies dans lepays d’accueil. Enfin, pour certains migrantsqui subissent un déclassement social en chan-geant de pays, ces lieux de sociabilité pour-raient également constituer des espaces oùils peuvent acquérir une certaine reconnais-sance sociale.

Selon Faïza Guélamine, sociologue et responsable de formation, « il est nécessaired’instaurer un plus grand dialogue entre les migrants et la société d’accueil autour de la question de la laïcité ». Les acteurs, telsque les travailleurs sociaux, ne doivent pasconsidérer ces sujets comme tabous, car ils font souvent partie de l’identité des personnes. Le refus de prendre en compteleur appartenance religieuse risque de faire

passer un message contreproductif : en disant à un migrant « votre religion n’a passa place », le danger est de signifier « vousn’avez pas votre place ». Cela peut accentuerle sentiment d’exclusion lorsqu’il existe des préjugés qui associent sa religion à la violence ou à des mœurs rétrogrades, ouquand la légitimité de sa présence sur le solfrançais est questionnée, par exemple par lediscours autour des « faux demandeursd’asile ».

Une meilleure explication des racines de lalaïcité française devrait être entreprise, ainsiqu’une démarche de compréhension de l’attachement que peuvent avoir certains migrants à leurs pratiques religieuses. Ceciest d’autant plus utile lorsque ces pratiquespermettent aux personnes déracinées « de continuer à exister de la même manièredont elles ont été socialisées ». Plus large-ment, le modèle d’intégration français, quipense l’intégration au niveau strictement in-dividuel, se prive selon Mme Guélamine « d’un levier possible pour rentrer en contactavec les populations migrantes ».

La laïcité, principe fondateur de notre société,ne devrait pas empêcher une approche prag-matique du dialogue avec les communautésreligieuses. Ni servir de prétexte à la mise àl’écart de certaines d’entre elles.

1 Les autorités françaises ont confié un rôle majeur à l’Association d’entraide aux minorités d’Orient (AEMO), organisation chrétienne, dans l’accueil des réfugiés irakiens entamé en 2007.

2 Organisation internationale pour les migrations, « Engaging religious communities », juin 2011.3 Voir notamment Charles Hirschman, « The Role of Religion in the Origins and Adaptation of Immigrant Groups in the United States »,

International Migration Review Vol.38 N.3, p.1206-1233, 2004.

INTÉGRATION A

AL'EUROPE DE L'ASILE

N

L

1 Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, « Safe at last ? Law and Practice in Selected EU Member States with Respect toAsylum-Seekers Fleeing Indiscriminate Violence, » juillet 2011.

2 Allemagne, Belgique, France, Pays-Bas, Royaume Uni et Suède. Ces États cumulent 75% des demandes d’asile dans l’UE.3 Directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004.4 Cour de justice de l’Union européenne, arrêt Elgafaji contre Staatssecretaris van Justitie (C-465/07), 17 février 2009.5 Les propos de Mme Bouteillet-Paquet ne reflètent pas nécessairement la position du HCR.

Le potentiel d’intégration inexploité descommunautés religieuses de migrants

Page 4: La Lettre de l'Observatoire de l'asile et des réfugiés · 2017. 7. 10. · des programmes européens. Il conduit no-tamment à « des arrivées au compte-goutte, alors que les missions

f Un agenda européen pourfavoriser l’intégration desmigrantsLe 20 juillet dernier, la Commission européennea adopté l’Agenda européen pour l’intégrationdes ressortissants de pays tiers. Si l’Union euro-péenne n’a pas la compétence des politiquesd’intégration, le Traité de Lisbonne et le pro-gramme de Stockholm définissent le rôle de laCommission dans la coordination et la promo-tion des politiques d’intégration des Étatsmembres. D’après le constat de la Commission,si l’Union souhaite atteindre l’objectif du tauxd’emploi à 75% d’ici 2020 les obstacles quiempêchent l’accès au marché de l’emploi desmigrants doivent être supprimés. Dans ce sens,elle présente trois pistes pour favoriser l’intégra-tion : encourager la participation des migrants àla société d’accueil (apprentissage linguistique,accès à l’emploi, etc.), favoriser les actions auniveau local et améliorer la participation des paysd’origine dans les domaines de la formation pro-fessionnelle, la reconnaissance des diplômes etl’entreprenariat transnational.

f Rétablissement des fron-tières intérieures : le bras defer entre la Commissioneuropéenne et les Étatsmembres est lancéSuite aux demandes du Conseil européen des23 et 24 juin derniers, la Commission euro-péenne a présenté le 16 septembre un projetqui élargit les possibilités de rétablissementtemporaire des contrôles aux frontières inté-rieures de l’Union européenne en cas de passa-ge inattendu d’un grand nombre de migrantsaux frontières extérieures, et à celui dedéfaillance prolongée d’un État à assurer lecontrôle de ses frontières. La Commission s’estattirée les foudres de la France, de l’Allemagneet de l’Espagne en proposant d’encadrer cemécanisme de manière à ce que les États nepuissent plus y recourir unilatéralement au-delàd’un délai de cinq jours en cas d’urgence. LaCommission propose de soumettre toute déci-sion de ce genre à son approbation, mais letexte ne devrait pas être adopté en l’état.

f Coupes budgétaires :le personnel des centres d’accueil pour demandeursd’asile en première ligneUn décret publié le 20 juillet 2011 modifie lemodèle de convention qui doit être passée

entre l'État et les gestionnaires des centresd'accueil pour demandeurs d'asile (CADA). Ilintroduit une baisse du taux d’encadrementdes CADA, qui passe d’un salarié pour 10 usa-gers à un salarié pour une fourchette compriseentre 10 et 15 usagers, ce qui pourrait mener àla suppression de plus de 400 postes. Cescoupes budgétaires remettent en cause l’actiondes CADA auprès des demandeurs d’asile,alors qu’avec un prix de journée inférieur à 25euros en 2011 le CADA est déjà la structured’accueil la moins onéreuse du secteur social.Dans une circulaire en date du 19 août, leministre de l’Intérieur a par ailleurs demandéaux préfets de mettre en œuvre ces modifica-tions dès à présent, en ajoutant un avenant auxconventions en cours de validité sans attendreleur renouvellement.

f La refonte du règlementFrontex adoptée au Parlementeuropéen Le Parlement européen a adopté le 13 sep-tembre la refonte du règlement Frontex,l’Agence européenne qui coordonne la sur-veillance des frontières extérieures de l’Unioneuropéenne. Frontex voit ses pouvoirs et sesresponsabilités augmentés. L’Agence assureradésormais la codirection -avec les Étatsmembres- des opérations de contrôle desfrontières et ses moyens matériels seront ren-forcés, notamment grâce à la possibilitéd’avoir des équipements propres. Le renforce-ment des moyens et compétences de Frontexrisque de rendre encore plus flou le partagedes responsabilités entre l’Agence et les Étatsmembres. Les avancées sont limitées : lesmembres du forum consultatif sur les droitsfondamentaux et l’officier aux droits fonda-mentaux, créés par la refonte, seront désignéspar le conseil d’administration de l’Agence etdisposeront de pouvoirs limités.

f Un décret modifie lesconditions d’exercice dudroit d’asileUn décret en date du 29 août tire les conclu-sions de l’arrêt du Conseil d’État du 10décembre 2010 en prévoyant notammentl’obligation d’information du demandeur d’asi-le dans une langue « dont on peut raisonna-blement penser qu’il la comprend » concernantles procédures, droits et obligations, que lademande soit faite en préfecture ou en réten-tion. Le décret rend également obligatoire lacommunication du rapport d'audition effectué

par l'Office français de protection des réfugiéset apatrides (Ofpra) à l’étranger qui se présen-te à la frontière et fait l'objet d'un refus d'en-trée en France au titre de l'asile. L’obligation detransmission du rapport d’audition de l’Ofpraen zone d’attente met fin à une pratique quiempêchait l’exercice d’un recours effectif pourde nombreux demandeurs d’asile qui n’yavaient pas accès. Le Conseil d’État, saisi pardes associations, avait considéré que cettepratique contrevenait à la directive européennesur la qualification.

f Annulation d’un renvoivers l’Italie en raison de l’appartenance à un réseaude prostitution, le Conseild’État reculeUne décision du 21 juillet rendue par le tribu-nal administratif de Lyon a, pour la premièrefois en France, suspendu un renvoi vers l’Italiedans le cas d’une Ivoirienne victime d’unréseau de prostitution. Le juge des référés aconsidéré que la requérante ne rentrait pasdans le champ d’application du règlementDublin, n’ayant pas fondé sa demande d’asilesur des persécutions encourues en Côted’Ivoire, mais en Italie, du fait de son apparte-nance à un réseau de prostitution. Toutefois, le12 août, le Conseil d’État a annulé cette déci-sion innovante en considérant que la requéran-te, d’une part, n’avait pas cherché de protec-tion auprès des autorités italiennes, et d’autrepart pouvait y bénéficier d’un « haut niveau deprotection ».

ErratumDans l’édition précédente de la Lettre, nouscitions l’arrêt du Conseil d’État du 7 avril 2011relatif au versement de l’allocation temporaired’attente (ATA) aux demandeurs d’asile enprocédure prioritaire. Si l’arrêt stipule quel’ATA devra désormais être versée au deman-deur d'asile dont la présence en France estconsidérée comme portant une atteinte graveà l'ordre public, ou accusé de détournementdes procédures d'asile, les personnes sousprocédure « Dublin » n’en bénéficient ellestoujours pas. La Cour de justice de l’Unioneuropéenne a été saisie de la question par leConseil d’État.

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(La Lettre de l'Observatoire de l'asile et des réfugiés, Pro Asile et les Cahiers du Social)Nom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Prénom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Adresse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Code postal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Ville . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Directeur de la publication : Jacques RibsDirecteur général : Pierre HenryRédactrice en chef : Asisé Mateo

Comité de rédaction : Harald Condé Piquer, Elodie Soulard

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ISSN : 1769-521 X

Mineurs isolésétrangers :l’illusion d’unevictoire

Des 6 000 mineurs étrangers présentssur le territoire national, Paris et la SeineSaint Denis en accueillent la moitié, pei-nant à assumer pratiquement seuls et avecdes moyens toujours plus réduits unesituation qui ne relève pas seulement descollectivités locales mais aussi de l’État. Lesort de ces mineurs le concerne en effet,tant au titre des politiques migratoires etde l’accueil humanitaire que du respect dela ratification par la France de traités inter-nationaux relatifs aux droits de l’enfant et àla protection des réfugiés.

Pour rappeler ses responsabilités augouvernement, le président du conseilgénéral de Seine Saint-Denis, ClaudeBartolone, prit récemment une mesuredraconienne : celle de cesser d’accueillirdes mineurs isolés étrangers. Sous lapression de l’élu, l’État fit un pas en avanten annonçant son intention « d’œuvrerpour une répartition plus équitable ethomogène » des mineurs. Faut-il pourautant crier victoire ? Sans doute pas.

À ce jour, la situation sur le terrain n’aen effet rien de triomphal : les jeunessont laissés à la rue ou se voient propo-ser des solutions d’urgence au cas parcas, souvent en contradiction avec lecadre légal de la protection de l’enfance.Les dispositifs sont toujours saturés etles réponses apportées par l’État sontpour le moment trop imprécises quant àleur mise en œuvre effective pourconvaincre tous ceux qui, comme nous,travaillent depuis des années dans cedomaine et en connaissent la complexité.

En pensant régler le problème par unesimple répartition des placements, sansconcertation globale des acteurs concernésni allocation de moyens supplémentaires, legouvernement minimise la situation parfoisdramatique de ces jeunes en quête d’uneprotection immédiate et adaptée. La com-plexification annoncée des procédures neparaît pas en mesure d’améliorer une situa-tion où l’intérêt supérieur de l’enfantsemble s’effacer au profit de considéra-tions purement administratives. Cesenfants, ces adolescents, se trouvent êtreles premières victimes d’un conflit qui leurest étranger.

C’est pourquoi nous réitérons notre appelà la responsabilité de l’État, pour qu’il assu-re un véritable pilotage solidaire et respon-sable de la prise en charge des mineursisolés étrangers en coordination avec lesdépartements et les associations de terrain.

Pierre HENRYDirecteur général de France terre d’asile

PAGE 4LA LETTRE N°48 OCTOBRE 2011

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