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5, La place de l'homme dans la classification: I'approche moléculaire Avant les années 19ó0, I'homme était classé traditionnellement dans la famille des hominidés, représentée par le seul genre Homo. Mais depuis, les données issues de I'anaþe cladistique et de l'étude comparée de I'ADN ont conduit à revisiter notre vision des liens de parenté entre les grands singes et I'homme moderne. Tiès récem- ment, dans les années 2000, certains auteurs ont même proposé d'inclure les chim- panzés dans le genre Homo. Qu'est-ce qui justifie cette position, ø priori surprenante ? Plus largement, où en est, aujourd'hui, la classification des hominidés ? Ces ques- tions sont I'objet de la première parrie de ce dossier. Dans la seconde partie, nous nous focaliserons plus précisément sur I'homme et nous verrons comment les données moléculaires ont permis d'apporter un éclairage nouveau sur une question récurrente en paléontologie humaine: celle des relations de parentés entre I'homme moderne et I'homme de Néandertal. l. Le chimpanzé est-¡l un Homo? Aujourd'hui, chacun sait que l'homme pârtage avec les grands singes un ancêtre commun. Pour autant, la classification rend-elle bien compte des liens phylogénétiques enrre I'homme et les grands singes ? Jusque dans les années 1960,la super-famille des Hominoidea (ou hominoides) était divisée en trois familles: ) les Hylobatidae (hylobatidés) : genres Hylobøtes (gibbons) et Synpbaløngus (siamang) ; ) les Pongidae (pongidés): genres Pongo (orang-outan), Gorillø (gorille) er Pøn (chimpanzés); ) les Hominidae (hominidés): genre Homo. Dans les années 1960, les trâvâux moléculaires réalisés par M. Goodman ont bou- leversé cet ordonnancement, en mettant en évidence une plus grande proximité géné- tique entre les genres Pøn et Homo qu'entre les genres Gorillø et Homo et, surtout, Pøn et Gorillø. Depuis, I'anaþe cladistique â montré que les pongidés formaient non pâs un groupe monophylétique, mais un groupe paraphylétique, c'est-à-dire ne com- prenant pas I'ensemble des descendants d'une même espèce ancestrale, puisque l'homme en était exclu. Entre les années 1960 et 1980, à partir de données moléculaires, mais également morpho-anatomiques, les biologistes ont cherché à accorder la classification des grands singes et de l'homme à la phylogénie. Ils ont donc tenté de redéfinir les groupes .<pongidés'> et <.hominidésr'. En 1988, R. Holmquist a essayé de réaliser une synthèse des travaux des uns et des autres dans un article au titre évocateur: ,< Higher primøte phylogeny : why cøn't we decide ? ,, Depuis les années 1990,le développement des analyses moléculaires - utilisation de banques de séquences d'ADN, de logiciels de traitement des données (alignement des séquences en particulier), généralisation du principe de parcimonie, etc. - a consi- dérablement amélioré I'efficacité des comparaisons de séquences de nucléotidiques entre humains et grands singes. Par exemple, le séquençage du gène codant la pseudo êta-globine a été effectué pour tester les relations de parenté chez les Hominoidea (hominoïdes) dans le cadre d'une analyse cladistique. Cette approche a conduit à o s o ! o o :E o al, e l¡l U' o ê

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Page 1: La Le l. est-¡l · Le chimpanzé est-¡l un Homo? Aujourd'hui, chacun sait que l'homme pârtage avec les grands singes un ancêtre commun. Pour autant, la classification rend-elle

5, La place de l'homme dans la classification:I'approche moléculaire

Avant les années 19ó0, I'homme était classé traditionnellement dans la famille deshominidés, représentée par le seul genre Homo. Mais depuis, les données issues deI'anaþe cladistique et de l'étude comparée de I'ADN ont conduit à revisiter notrevision des liens de parenté entre les grands singes et I'homme moderne. Tiès récem-ment, dans les années 2000, certains auteurs ont même proposé d'inclure les chim-panzés dans le genre Homo. Qu'est-ce qui justifie cette position, ø priori surprenante ?

Plus largement, où en est, aujourd'hui, la classification des hominidés ? Ces ques-tions sont I'objet de la première parrie de ce dossier.

Dans la seconde partie, nous nous focaliserons plus précisément sur I'homme etnous verrons comment les données moléculaires ont permis d'apporter un éclairagenouveau sur une question récurrente en paléontologie humaine: celle des relations deparentés entre I'homme moderne et I'homme de Néandertal.

l. Le chimpanzéest-¡l un Homo?

Aujourd'hui, chacun sait que l'homme pârtage avec les grandssinges un ancêtre commun. Pour autant, la classification rend-ellebien compte des liens phylogénétiques enrre I'homme et lesgrands singes ?

Jusque dans les années 1960,la super-famille des Hominoidea (ou hominoides)était divisée en trois familles:) les Hylobatidae (hylobatidés) : genres Hylobøtes (gibbons) et Synpbaløngus (siamang) ;) les Pongidae (pongidés): genres Pongo (orang-outan), Gorillø (gorille) er Pøn(chimpanzés);) les Hominidae (hominidés): genre Homo.

Dans les années 1960, les trâvâux moléculaires réalisés par M. Goodman ont bou-leversé cet ordonnancement, en mettant en évidence une plus grande proximité géné-tique entre les genres Pøn et Homo qu'entre les genres Gorillø et Homo et, surtout,Pøn et Gorillø. Depuis, I'anaþe cladistique â montré que les pongidés formaient nonpâs un groupe monophylétique, mais un groupe paraphylétique, c'est-à-dire ne com-prenant pas I'ensemble des descendants d'une même espèce ancestrale, puisquel'homme en était exclu.

Entre les années 1960 et 1980, à partir de données moléculaires, mais égalementmorpho-anatomiques, les biologistes ont cherché à accorder la classification desgrands singes et de l'homme à la phylogénie. Ils ont donc tenté de redéfinir lesgroupes .<pongidés'> et <.hominidésr'. En 1988, R. Holmquist a essayé de réaliserune synthèse des travaux des uns et des autres dans un article au titre évocateur:,< Higher primøte phylogeny : why cøn't we decide ? ,,

Depuis les années 1990,le développement des analyses moléculaires - utilisationde banques de séquences d'ADN, de logiciels de traitement des données (alignementdes séquences en particulier), généralisation du principe de parcimonie, etc. - a consi-dérablement amélioré I'efficacité des comparaisons de séquences de nucléotidiquesentre humains et grands singes. Par exemple, le séquençage du gène codant la pseudoêta-globine a été effectué pour tester les relations de parenté chez les Hominoidea(hominoïdes) dans le cadre d'une analyse cladistique. Cette approche a conduit à

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Doc. 1. Les relatlons de parenté chez quatre homlnoides - Pongopygmaeus (orang-outan), Gorllla gorllla (gorllle), Pan trcglodytes(chlmpanzé commun,f el Homo saplens (homme) - établies d'aprèsI'analyse cladlstlque de la séquence du gène codant la pseudo êta-globlne. Les chiffres en gras correspondent au nombre de synapo-morphies et ceux en ¡talique au nombre d'autopomorphies.Synapomorphie: partage des états dérivés (apomorphes) par I'en-semble de taxons considéré. Autopomorphie: caractères présentsdans le seul taxon terminal. Ateles geoffroyi (AIèle) et Macaca mulattasont des extra-groupes. On a bien sûr représenté I'arbre le plus par-cimonieux, c'est-à-dire qui nécessite le moins d'événements muta-tionnels. (D'après Barriel et Darlu, 1990; Barriel 1994.)

proposer un cladogramme où les chimpanzés àppâ-râissent comme un groupe-frère de I'homme, avecla formation du clade Pnn et Homo (doc. l).

D'autres travaux, réalisés pâr M. Goodman etpubliés en 2003, ont été consâcr'és à l'étude deséquences de différents gènes chez I'homme et lechimpanzé. Résultat: on observe une similitude com-pdse entre 98,4 et99,4yo, selon que sont comptabi-lisées ou non les mutatiolìs qui ne rnodifient pas lesacides aminés. Au tenne de I'anaþe, il apparaît que ladivergence moyenne entre le chimpanzé et I'hommeest de I,l4Yo. Ce résultat permet à M. Goodman etses collaborateurs d'envisager cle réunir I'homme etle chimpanzé en un seul genre: Homo.

Sur la base de la phylogénie représentée doc. I,qui est aujourd'hui soutenue par un grand nombred'analyses cladistiques, à quelles unités taxonomiquescorrespondent les différents ncrucls ? Autrement dit,comment nommer les différents clades que I'arbrephylogénétique définit ? Là aussi, les réponses nesont pas les mêmes d'un auteur à I'autre...

Pour les uns, la sous-famille des hornininésinclut I'orang-outan, le gorille, le chimpanzé etI'homme. Pour d'autres, les homininés sont consti-tués du gorille, du chimpanzé et de I'homme(doc. 2a). Ces deux derniers sont alors regroupésdans la tribu des hominini. Pour d'autres auteursencore, les homininés désignent I'homme et lechimpanzé (doc. 2b) ou bien encore uniquementl'homme (doc. 2c). De fncto,l'unité taxonomique..homininé'' n'est donc pas consensuelle.

Ces divergences sont un exemple des enjeux enfiligrane derrière toute classification. Ici, la ques-tion est en fait de décider si I'unité tâxonique.. homininé '> doit être réservée seulement à

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I'homme (genre Homo) et aux fossiles de la lignée humaine ou si elle inclut égale-ment le chimpanzé, voire le gorille. Comment choisir parmi ces différentes options ?

Et d'ailleurs, faut-il choisir ? Y en a-t-il une qui soit plus <<vrâie '' que I'autre ?

En réalité, la question des rangs tâxonomiques n'est pas une affaire de..véritér',mais de rigueur dans le suivi de règles conventionnelles. Une classification fondéesur une phylogénie doit donner le même rang à deux groupes-frères. Par exemple, sila famille des hominidés est définie comme sur le doc. 2a, alors la lignée des gibbonsest également une famille, celle des hylobatidés. La sous-famille des homininés com-prendra donc les gorilles, les chimpanzés et les hommes, et la lignée-sæur, celle desorângs-outans, sera aussi une sous-famille (celle des ponginés). Si la famille des homi-nidés est définie comme sur le doc. 2b, alors la lignée-sæur, celle des orangs-outâns,est aussi une famille (celle des pongidés) et la sous-famille des homininés ne com-prend que les chimpanzés et les hommes. La sous-famille-sæur se nommerâ ..gorilli-nést. Quant aux choix qui sont faits dans le doc. 2c, ils ne respectent pas la règle:les hylobatidés sont groupe-frère d'une entité de rang supérieur à la famille, et lesgorillinés sont groupe-frère d'une entité de rang supérieur à la sous-famille.

Néanmoins, quelle que soit l'option retenue, il y a un âutre choix classificatoire à

faire: faut-il conserver une démarcation franche entre les genres Hom,o et Pøn ou

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hominoides

hom¡nidésorang-outan

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hominoiUes hominidés

gorllle

orang{rütan

chlmpanzéglbbon godlle dgmestique bonobo

Sous-famille pan

Famille

Doc. 2. Trois optlons taxonomlques concernant laposition de I'homme dans la classiflcation. En a,les homin¡nés incluent le gor¡lle, le chimpanzé etI'homme, et ce dernier appartient à la tribu deshominini. En b, les homininés n'incluent queI'homme et le chimpanzé. En c, les homininés cor-

respondent seulement à I'homme et la règle taxo-nomique n'est pas respectée (voir discussion ci-contre). (a: proche de Shoshani et coll., 1996; b.d'après Lecointre et Le Guyader, 2006; c. d'aprèsles programmes de SW, 2001.)

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(öbien faut-il opérer un rapprochement entre les deux genres, comme proposé parM. Goodman en 1998 et en 2001, et par D. E. Wildman (2003) ?

Regrouper Homo et Pan en un seul genre se justifie, selon les âuteurs partisânsde cette solution, non seulement par des données génétiques, mais aussi tout sim-plement par le fait que Pøn et Homo sont des groupes-frères issus d'un ancêtrecommun exclusif. Si I'on admet que, le chien domestique, le coyote et le loup sontissus d'un même ancêtre commun et qu'ils sont regroupés en un seul genre - Cønis -pourquoi ne pas faire de même avec I'homme et le chimpanzé en les désignant par lemême genre et deux sous-genres: Homo (Pa.n) et H0m0 (Homo)?

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2, Hhomme deNéandertal est-il

une sous-espèce deI'homme moderne ?

Ce choix a des conséquences. D'une part, il conduit nécessairement à modifierles genres fossiles de la lignée humaine - Ardipithecus, Søhelanthropus, Austrølopithecus,Pørønthropui, etc. - qui deviendraient dans ces conditions des membres du genreHorno. Mais alors, quel statut taxonomique leur donnerl qui est une espèce, qui estune sous-espèce ? D'autre part, ce choix souligne la proximité des trois espèces quesont I'homme, le chimpanzé cornmun et le chimpanzé bonobo plus que leurs diffé-rences, en les réunissant dans un même genre. C'est peut-être difficile à admettrepour I'homme...

Si I'analyse comparée de I'ADN est une étape nécessaire pour déterminer .. quiest plus proche de qui 'r, les résultats obtenus devront être confrontés, dans I'ave-nir, aux données anâtomiques et à de nouvelles données moléculaires avânt de pou-voir justifier ou non de réunir dans un même genre homme et chimpanzé. Celadit, la question a le mérite d'être posée et d'engager la communauté scientifiquedans un débat contradictoire pour préciser les relations phylogénétiques entre cesdeux espèces.

De récentes données moléculaires soulèvent une nouvelle inter-rogation: est-il possible de déterminer la contribution des espècesfossiles au pool génique de I'homme moderne actuel ?

Par exemple, l'homme de Néandertal est le plus proche parentde I'homme moderne Homo søpien\ mais a-t-il ou non contribué augénome de ce dernier: a-t-il directement échangé des gènes aveclui pendant la période où tous deux ont coexisté (entre - 120000 et

- 35 000 ans), avons-nous un peu de Néandertalien en nous ? On peut également for-muler la question autrement: le Néandertalien est-il une espèce distincte d'Homo søpisns

ou une sous-espèce de celui-ci ? Cette interrogation n'est en fait pas nouvelle.C'est en en 185ó que sont découvertes, dans la vallée de Neander, près de

Dusseldorf, les premières trâces fossiles de I'homme dit de Néandertal. En 1863,W. King (1809-1866) le nomme Homo neønderthølensis, en faisant ainsi une espècedistincte d'Hom.o søpiens. En 1938, O. Kleinschmidt le désigne par Homo sapiens nea.n-derthølensis, en raison de caractéristiques communes avec les sû.piens (pratiques cul-turelles, inhumations et développement du volume cérébral). Dans les années1970-1980, l'homme de Néandertal est qualifié d'Homo presapiens pour souligner unetransition entre -FL erectas etH. søpienl Puis, dans les années 1990, après des décou-vertes relatives à la structure pubienne, l'homme de Néandertal est à nouveau consi-déré comme une espèce à part entière: Homo neønderthølensis.

Ce va-et-vient - << âvec >> ou << sans >> søpiens? - témoigne des hésitations et des dis-cussions des paléoanthropologues pour discriminer un søpiens d'un non-søpiens. Lesdonnées moléculaires semblent apporter des éléments de réponse quânt au statut desNéandertaliens. Elles ne conduisent pas à renier les travaux antérieurs, mais s'ins-crivent dans leur continuité: il s'agit de poursuivre I'interrogation sur les liens depârenté entre I'homme moderne et l'homme de Néandertal.

Bien qu'il soit impossible de savoir à quoi ressemblait le génome de I'ancêtrecommun aux chimpanzés et à I'homme, la comparaison du génome de ces deux taxonsapporte un éclairage concernânt les liens phylogénétiques qui les unissent. Ainsi,l'homme et le chimpanzé ontune divergence génétique moyenne de 1,147" (voir plushaut). Ce chiffre marque tout âutânt la proximité que la spécificité évolutive de chacundes deux groupes, depuis leur séparation, dont on estime qu'elle a eu lieu vers 7-8 mil-lions d'années: durant ces quelques millions d'années, les phénomènes de dérive géné-tique et de sélection naturelle ont modifié les génomes par rapport à celui de I'ancêtrecommun et conduit à trois espèces: le chimpanzé commun, le chimpanzé Bonobo etI'homme moderne actuel. Des données génétiques (moléculaires) peuvent-elles nous

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aider à préciser de même les liens phylogénétiques entre une espèce fossile - en I'oc-currence l'homme de Néandertal - et une espèce actuelle - I'homme moderne ?

Dans les années 1990-2000, des travaux portânt sur I'analyse de I'ADN contenudans des restes fossiles attribués à I'homme de Néandertal ont conclu, dans un pre-mier temps, à une justification de la distinction entre les deux espèces H. neøndmhølensket H. søpirns. Un ADN mitochondrial extrait d'un humérus vieux de 30000 ans er com-posé de 379 nucléotides a été comparé avec celui de 2051 hommes actuels et de59 chimpanzés communs. Homme actuel et homme de Néandertal difÈrent par 26substitutions, tandis qu'au sein des populations humaines actuelles, le nombre moyende substitutions est de 8. Les variations observées entre I'homme moderne actuel etun homme de Néandertal étant nettement plus importantes que la variation intra-spé-cifique humaine, les auteurs en ont conclu que I'homme de Néandertal était une espècedistincte de l'Homo søpiens.

Ces conclusions sont cependant fragiles en raison d'abord de difficultés métho-dologiques (contamination possible de I'ADN ancien par de I'ADN moderne, parexemple). Autre problème: comment ne pas confondre des artefacts de manipu-lations lors de I'amplification de I'ADN avec de réelles mutations ? En effet, lesbiologistes ont constaté que les lésions que porte inévitablemenr I'ADN ancien(ADN .. fossile n) pouvaient être en quelque sorte interprétées comme des muta-tions lors de la phase d'amplification de I'ADN qui prélude à son séquençage.Dans ces conditions, il y a risque de voir artificiellement augmenter la divergenceentre le taxon fossile et le taxon actuel. En outre, I'ADN qui a été étudié n'estqu'une portion de I'ADN mitochondrial (région FIVRl), ce dernier ne représen-tant lui-même qu'une partie de I'ensemble du génome d'une cellule. Enfin, et sur-tout, comment statuer sur la non-participation de I'homme de Néandertal aupatrimoine génétique de I'humanité moderne sans avoir évalué la variabilité géné-tique des populations néandertaliennes ? En effet, la diversité génétique deshommes de Néandertal pourrait avoir été bien plus importante que celle deshommes modernes et, si l'on avait pu séquencer 2051 ADN mitochondriaux néan-dertaliens, certaines sséquences se seraient peut-être insérées dans le .. buissonhumain moderne >>. La conclusion doit donc être considérée âvec une extrêmeprudence: on a comparé une unique séquence néandertalienne à plus de2000 séquences d'hommes modernes.

Il n'empêche, la comparaison de I'ADN des fossiles avec celui de I'hommemoderne actuel est un passâge obligé pour comprendre les relations de parenté entrece dernier les Néandertaliens et I'homme moderne.

Dans ces conditions, quel critère utiliser pour qualifier ou non les Néandertaliensd'espèce différente d'Hom.o sapiens ou de sous-espèce de ce dernier? Récemment, unenouvelle série de travâux a été entreprise dans le but d'évaluer le poll.rnorphisme desNéandertaliens, le polyrnorphisme de I'homme moderne actuel (pol1'rnorphisme intra-spécifique puisqu'il n'existe qu'une seule espèce humaine), le polymorphisme des chim-panzés actuels (polymorphisme intra-spécifique er inrer-spécifique puisqu'il y a deuxespèces de chimpanzés) et le polymorphisme entre I'homme moderne acruel erl'homme de Néandertal.

Le genre Pøn est représenté par le chimpanzé commun (P troglodyres), qui com-prend quatre sous-espèces, et le chimpanzé bonobo (P pøniscas). En évaluant le pour-centage de divergence génétique entre les deux espèces de chimpanzés et en lecomparant avec le pourcentage de variations intra-spécifique chez les chimpanzés etchez I'homme, les chercheurs ont pu estimer un pourcentage de divergence signifi-catif d'une spéciation. Dans le principe, si le pourcentage de divergence génétiqueentre l'homme moderne actuel et I'homme de Néandertal est inférieur à ce pour-centage de spéciation évalué chez les chimpanzés, c'est un argument en faveur dufait que les Néandertaliens sont une sous-espèce d'Homo sa.pisns. Dans le cas contraire,

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on aura un argument en faveur du fait que les Néandertaliens constituent une espèceclifférente d' Houto sûpi c tts.

La comparaison des ADN néandertaliens et d'hommes moclernes actuels a étéeffecnrée à partir cle quatre séquences d'ADN mitochondiral FIVRI issues cle quatreNéanclertaliens et de la séquence I{\IRl humaine. Les qllatre séquences néanclerta-liennes proviennent de spécimens originaires d'Allemagne, cle Croatie et clu NordCaucase, datés entre 29000 et 42000 ans. La longueur des séquences (FilrR1) estcomprise entre 357 et379 nucléotides.

Les quatre échantillons néanclertaliens, comparés à la séquence humaine, pré-sentent sensiblement le même taux de divergence (6,4 à 7 ,7 %) et le spécitnen le plusancien ne présente pas un taux plus éIevé (6,7 %).La divergence tnoyenne des quatreséquences HVR1 des Néandertaliens comparées à la région IIVRI de l'hommemoclerne est ainsi de 7 ,3 Y". La comparaison deux à deux des quâtre séquences néan-dertaliennes indique cles taux de divergence compris entre 0,3 et 3,5 o/o. En revanche,la clivergence moyenne entre les hommes modernes actuels est de 3,43 V".

La comparaisorì entre les deux espèces de chirnpanzés (P. t'roglodytes et P pnniscus)indique une divergence moyenne de 12,5 o/o sur les séquences étudiées. Quant auxsous-espèces cle P troglodytu, pour trois d'entre elles, la divergence est inférieure ouégale à 7,3Yo et, pour la quatrième sous-espèce (P. t. uerm), elle peut aller jusqu'à9,3 u/".

En conséquence, la clivergence entre I'homme moclerne et les Néandertaliens estdu même orclre de grancleur que celle obseruée au sein des sous-espèces de chim-panzés (7,3 %). Ce résultat semble donc suggérer que I'homrne de Néanclertal estune sous-espèce de l'Horno sapiens, en supposant que ces séquences génétiques évo-luent à la même vitesse chez les chimpanzés et chez les hommes.

Pan paniscus

Pan troglodytes vellerasus

P.t. vetus

P.t. ttoglodßes

P.t. schweinfurthü

Chimpanzés

Australie

Europe

Afrique

Amérique

Asie

Kung

Hommes modernes

Feidhofer 1

Vindja

Feidhofer 2

Mezmaiskaya

Néandertaliens

Doc. 3. Arbre phylogénétique présentant les relations de parentéentre les chlmpanzés (clade Pan), le clade Homo sapiens et leclade des Néandertaliens. Le clade Pan est représenté par deuxespèces de Chimpanzés (P. troglodytes el P. pan¡scus) et par les4 sous-espèces de P. troglodytes. Le clade Homo sapiens esl

représenté par des populations actuelles d'orig¡ne géographiquedifférente. Le clade des néandertaliens est représenté par les spé-cimens fossiles Feidhofer 1et 2, Vindja et Vlezmaiskaya. Cet arbrea été construit à partir de 380 caractères. (D'après Barr¡el etTillier, 2002.)

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IJne analyse des relations phylogénétiques enrre les chimpanzés, les hommesmodernes acfuels et les quâtre Néandertaliens a également été effectuée. Elle montreque le clade Homo sapiens + Néandertaliens est le groupe-frère du clade des chim-panzés, et que le clade des Néandertaliens est le groupe-frère des hommes modernesactuels (doc. 3).

Pour conclure, en l'état actuel des résultats, le statut de sous-espèce desNéandertaliens n'est donc pas à exclure. Seules les avancées de la recherche concer-nânt I'extrâction et I'analyse de I'ADN de I'homme de Néandertal (la séquence com-plète de son génome devrait prochainement être disponible) ainsi que le séquençagede I'ADN du plus ancien homme moderne pourrâ permettre d'affiner les résultatset soit de confirmeE soit d'infirmer la participation des Néandertaliens au génome deI'homme moderne.

6. La bipédie est-elle yra¡mentun cr¡tère d'appartenance à Ia lignée humaine ?

La représentation chronologique qui part des premiers grands singes (vers 25 Ma)pour aller aux premiers pré-humains (vers 7 Ma) puis, enfin, aux premiers Homo (vers2,5 Ma) semble illustrer une transformation quasi-linéaire sous la forme d'un redres-sement progressif : les grands singes sont quadrupèdes, les pré-humains sont bipèdesà posture inclinée (australopithèques), les humains sont bipèdes à posture érigéeQlomo). Plusieurs remârques s'imposent.

Tout d'abord, I'aptitude à se déplacer sur les deux membres inférieurs est bien anté-rieure à l'émergence de la lignée humaine (estimée actuellementvers 6-7 Ma). Depuisl'ère Mésozoïque (environ 250 Ma),la bipédie est un mode de locomotion observéchez plusieurs groupes. Les fossiles de thécodontes présentent une bipédie associée à laprésence d'une queue très développée qui contrebalance le poids du corps. De nom-breux fossiles de dinosaures présentent âussi ce type de bipédie parmi les théropodes etles ornithopodes (voir dossier 6.4). En outre, âujourd'hui, plusieurs groupes adoptentla bipédie. Certains \ézards (iguanidés et agamidés) pratiquent provisoirement la bipé-die lors de la course: le corps relevé, leur longue queue fait contrepoids. Les oiseauxvolent, mais ont une marche bipède au sol. Chez les marsupiaux, la bipédie du kan-gourou s'observe lors des déplacements rapides, par sauts. Chez les primates, les grandssinges se déplacent parfois en station bipède. En résumé, la bipédie existe depuis long-temps dans plusieurs grandes lignées, où elle est apparue de façon indépendante.

Plaçons-nous maintenant chez les seuls primâtes. Si I'homme a pour principalregistre locomoteur une bipédie très spécialisée, les grands singes disposent, eux, deplusieurs registres locomoteurs: suspension, brachiation (balancement de brancheen branche à I'aide des seuls bras), saut, quadrupédie, quadrupédie sur phalanges etbipédie. Ces adaptations sophistiquées sont à mettre en relation avec leur âptirudeà se déplacer dans les arbres et au sol. Pour autânt, la bipédie des grands singes n'estpas une bipédie imparfaite comparée à celle de I'homme moderne. Elle correspondsimplement à une autre façon d'être bipède.

Pourquoi dans ces conditions accorder âutant d'importance à la bipédie au pointd'en faire un critère d'appartenance à la lignée humaine ? Aujourd'hui, les paléoan-thropologues préfèrent parler des bipédies et non de la bipédie pour souligner lavariété des démarches bipèdes, aussi bien chez les grands singes que chez les homi-ninés. Se pose alors une nouvelle question scientifique r la bipédie observée dans lalignée humaine est-elle une acquisition liée justement à l'émergence de cette lignéeou bien correspond-elle plutôt à une spécialisation d'une bipédie héritée d'un ancêrre

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