la gestion de la relation client : un outil pertinent pour les sites culturels

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Par Jean-Michel Tobelem

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CAHIER LE RENOUVEAU DES MUSÉES

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Les outils et techniques de gestion de la relation client

(GRC) peuvent être utilisés par les musées et lieux

culturels afin d’élargir et de fidéliser leurs publics, mais

aussi d’améliorer la qualité de l’expérience de visite, de

personnaliser la relation avec les visiteurs… La création

et l’exploitation de bases de données permettent une

plus grande réactivité et une réduction des coûts de ges-

tion. Pour être efficace, la GRC doit toutefois être pré-

cédée d’une réflexion stratégique sur l’usage qui peut

en être fait, au service de sa mission culturelle.

JEAN-MICHEL TOBELEMDirecteur d’Option Culture

[[email protected]]

politiques de conquête et de fidélisation deleurs publics. Au-delà des bornes interactives,des expositions virtuelles, de la numérisationdes collections, de la géolocalisation ou desaides numériques à la visite (sur audioguides,tablettes ou smartphones), l’enjeu est celui dela pleine utilisation des données concernant

Les outils de “gestion de la relationclient” (GRC) ou customer rela-tionship management (CRM) sontdisponibles depuis plusieurs années ;mais l’évolution rapide des tech-

niques permet à présent aux sites culturels deconcevoir et de mettre en œuvre de véritables

LA GESTION DE LA RELATION CLIENT :UN OUTIL PERTINENT POURLES SITES CULTURELS

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JEAN-MICHEL TOBELEM

les publics pour mieux communiquer, amé-liorer la promotion de l’offre, renforcer leurattachement à l’institution, mieux répondre àleurs besoins (optique 1.0) et – dans le meilleurdes cas – favoriser leur participation à la viede l’établissement (optique 2.0). C’est là unenouvelle illustration du rôle que peut jouer lemarketing dans les sites culturels, dans le res-pect de leur mission scientifique, sociale etéducative, d’une part, et dans la limite ducaractère non lucratif de leurs activités, d’autrepart.

Nous examinerons dans un premier tempsles traits de la GRC appliquée aux sites cul-turels ; nous soulignerons ensuite l’importancedu recueil et de l’analyse des données ; puisnous examinerons d’autres approches pos-sibles de l’introduction des nouvelles tech-niques. Enfin, nous nous interrogerons sur lesconséquences de l’introduction de la GRC entermes d’organisation et de fonctionnementdes sites culturels.

ÉLARGISSEMENT DES PUBLICS. D’une manièregénérale, on le sait, le marketing client (paropposition au marketing produit) se développede façon décisive dans l’économie contempo-raine. Aux approches tournées vers la stan-dardisation des produits proposés sur des mar-chés mondiaux s’opposent désormais desorientations visant à prendre en compte defaçon fine les besoins spécifiques exprimés parles consommateurs : production à la demande,réponse à des attentes particulières, “custo-misation”, produits sur mesure… ; les nou-velles techniques permettent d’envisager unenouvelle façon de produire des biens et desservices de façon réactive et personnalisée.

Or les sites culturels connaissent dans cedomaine une évolution qui leur est naturelle :celle de s’adresser à des publics (ou à des visi-teurs) à qui ils souhaitent transmettre dessavoirs et de la connaissance tout en leur pro-curant du plaisir. Les responsables des musées,des maisons d’artistes, des centres d’art, desmonuments ou des centres scientifiques nesouhaitent-ils pas s’efforcer – autant qu’il estpossible – de répondre aux souhaits hétéro-

gènes de leurs différents publics : résidents deproximité, scolaires, touristes, visiteurs engroupe, publics étrangers ? Et quel conserva-teur ne rêverait pas de répondre de façon indi-viduelle aux demandes des multiples personnesqui fréquentent son institution !

La GRC peut ainsi être mise au service dela réalisation des objectifs d’ouverture et d’élar-gissement des publics des sites culturels et nonpas seulement de leurs impératifs financiersou commerciaux. Cela suppose une visionclaire des attentes de l’organisation, de sesobjectifs et des moyens qui pourront être mobi-lisés à cet effet. En effet, selon FrançoiseRoussel (musée national Picasso), “le but duCRM est de construire un référentiel uniquede contacts, quelle que soit la façon d’entreren relation avec les publics du musée. Maisl’outil ne remplace pas la réflexion”.

FIDÉLISATION. Autre enjeu aujourd’hui pourles entreprises faisant face à des consomma-teurs de plus en plus volatils – et qui répondtout à fait aux missions des sites culturels –,celui de la fidélisation des clients (dans lemonde marchand) ou des publics (dans lemonde culturel). À cet égard, si les collectionsou les bâtiments du site culturel constituentson principal actif, la gestion de la relationavec les visiteurs peut aussi apparaître commeun véritable capital, qui reste dans bien descas à valoriser. Toutefois, les sites culturelssemblent pour l’instant plus timides que lesentreprises pour tirer pleinement parti des pos-sibilités offertes par les nouvelles techniques,qu’il s’agisse de leurs offres culturelles, de leurmission éducative, de leur politique de pro-motion et de communication, ou encore del’augmentation de leurs ressources propres ;et ce, bien sûr, dans le respect de leurs obliga-tions déontologiques et de leur caractère noncommercial.

Que signifie le fait de mettre le visiteur aucœur de l’organisation du site culturel ?Comment mieux le connaître, accroître sasatisfaction, lui offrir des ressources nouvelles,l’inciter à venir visiter de nouveau l’établisse-ment ? Et dans ce cas, comment repenser le

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associations d’amis, des politiques d’adhésion(membership) et de collecte de fonds (fun-draising), ou encore des différents usages del’internet. Ici aussi, l’information devientaujourd’hui – comme dans la plupart des orga-nisations modernes – un facteur stratégiquede développement.

Si les sites culturels désirent sincèrement ren-forcer les liens avec leurs publics, il devientdonc essentiel pour eux de mieux connaîtreces visiteurs (ou spectateurs, auditeurs, lec-teurs, etc.), leurs goûts, leurs habitudes, leurssouhaits, leurs motivations, leurs pratiques,leurs besoins, sachant que ceux-ci évoluentrapidement, en fonction des changements del’environnement, des styles de vie et des habi-tudes de consommation. Dans un contexte deconcurrence renforcée (y compris dans le sec-teur de la culture, des loisirs et du tourisme),les nouvelles techniques peuvent assurémenty contribuer, y compris en matière d’adéqua-tion des offres et de délais de réaction de l’ins-titution. Comme l'indique Franck Moulai(musée du quai Branly),“améliorer la connais-sance du profil des publics permet d’affiner lasegmentation, de mesurer l'efficacité des mes-sages et d'être plus pertinent dans ses offres”.

Or, les fichiers que possèdent les sites cul-turels (qu’il s’agisse d’abonnés, d’adhérentsou de membres) sont-ils suffisamment infor-més, enrichis, qualifiés ? Comment segmen-ter cette base de données, même embryon-naire, pour proposer des servicessupplémentaires aux publics – dans l’ordreculturel, éducatif, touristique, commercial oude collecte de fonds – en croisant différentstypes d’informations ? Comment mieux orien-ter l’action des sites culturels dans cesdomaines, pour des raisons d’efficacité et d’uti-lisation optimale des ressources disponibles ?Comment en évaluer la pertinence et l’oppor-tunité ? Les résultats attendus peuvent en effetconcerner tout à la fois le renforcement desliens avec les publics ; l’amélioration de laconception des produits et des services ; unmeilleur ciblage des actions ; et l’accroisse-ment de l’efficacité des outils de promotion,

site culturel, comment l’adapter à ces nou-velles transformations, comment modifier l’or-ganisation du travail, comment faire évoluer lesfonctions des différentes catégories de per-sonnel, comment mettre en place de nouveauxpartenariats ? Pour proposer des illustrationsconcrètes aux éléments de réponse apportés àces questions, plusieurs professionnels ont étéinterrogés dans de grandes institutions cultu-relles(1).

STRATÉGIE INTERNET. Dans les entreprises,la gestion de la relation client a pour but ledéveloppement du chiffre d’affaires, de la ren-tabilité, de la satisfaction et de la fidélisationdes consommateurs (on parle aussi de mar-keting one to one) : elles utilisent à cette fin lacollecte de données permises par les nouvellestechniques pour optimiser leurs actions dansles domaines du marketing et de la vente, endisposant d’une meilleure connaissance desclients actuels et potentiels, à la fois en termesde profil, de comportement d’achat et d’his-torique des ventes (voir, par exemple, l’essoractuel du big data). En intégrant les applica-tions informatiques relatives au marketing, àla vente et aux finances, l’organisation “orien-tée client” cherche à parvenir à une vision pluscomplète du consommateur, à “360 degrés”dans l’idéal ; or, si la GRC peut se concevoir offline, cette stratégie prend toute sa portée avecl’internet, où l’automatisation du traitementde l’information permet une plus grande réac-tivité et une réduction des coûts de gestion.

De surcroît, la relation avec le consomma-teur devient interactive grâce au développe-ment des usages numériques et de la mobilité(concernant, par exemple, les demandes derenseignements, les offres spéciales, les ventescroisées, les programmes de fidélisation, etc.).L’entreprise peut utiliser différents canaux decommunication (envois postaux, téléphone,SMS, courrier électronique…) pour interagiravec le client et vendre ses produits ou ses ser-vices, dans une “approche multicanal”.

MARKETING RELATIONNEL. Pour leur part, lessites culturels ont une pratique ancienne desrelations avec leurs visiteurs, qu’il s’agisse des

(1) L’auteur remercie tout

particulièrement pour les

entretiens qu’ils lui ont

accordés Claire Besson

(Orchestre de Paris), Lucie

Blot (salle Pleyel / Cité de la

musique), Sophie Bonniau

(musée du Louvre), Gilles

Duffau (Cinémathèque

française), Franck Moulai

(musée du quai Branly),

Marc Perpillat (musée du

Louvre), Françoise Roussel

(musée national Picasso) et

Pierre-Mary Thibault

(Aldea).

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de commercialisation et de com-munication. Sans négliger le caséchéant – si c’est l’un des butspoursuivis – l’accroissement desrevenus et de la rentabilité desopérations commerciales et des campagnes decollecte de fonds.

Il y a là une évolution cohérente avec cellequi s’observe dans l’univers du marketing :ainsi, le marketing relationnel vise aujourd’huià établir une relation privilégiée avec lesconsommateurs, dans le sens d’une person-nalisation des offres et d’une recherche de fidé-lisation (à travers des services ad hoc et desoffres promotionnelles). Or, ces programmesde fidélisation peuvent voir leur coût diminuerpar l’utilisation de l’internet (saisie en ligne,limitation des envois par courrier postal, com-munication par courriel ou SMS…). Ainsi,pour Sophie Bonniau (musée du Louvre), “àtravers la GRC, le Louvre poursuit un objec-tif de suppression progressive du supportpapier ; le coût de publipostage – très lourdpour le musée – a déjà pu être réduit de 30%”.

RETOUR SUR INVESTISSEMENT. C’est à chaquepersonne potentiellement intéressée par l’offreculturelle d’indiquer de façon volontaire (etnon intrusive) le type d’information qu’ellesouhaite recevoir, selon quelles modalités etavec quelle fréquence, si l’on veut éviter desatteintes à sa vie privée. Pour les sites cultu-rels, il ne s’agit pas principalement de maxi-miser le potentiel de l’actif “client” en termesde profitabilité, mais de rechercher la meilleure“rentabilité” culturelle dans la relation avecles publics, de différents points de vue : la qua-lité de l’expérience de visite, les informationssur les programmes, les offres spécifiques, l’ac-cès à des forums de discussion, l’envoi d’unelettre d’information… Le “retour sur inves-tissement” ne sera donc pas essentiellementfinancier, il sera avant tout culturel. De fait,pour Marc Perpillat (musée du Louvre) : “Ils’agit d’établir une relation étroite avec lespublics les plus proches du musée. Il n’y a pasde course à la quantité mais plutôt à la qualitéde l’information ; cela afin de pouvoir envoyer

l’information pertinente à la bonne personneau moment opportun.”

Précisons également que l’offre d’un site cul-turel reste première par rapport à la demande :autrement dit, la crainte que le public “dicte”à l’établissement ses programmes ou les axesde sa politique n’apparaît guère fondée, dèslors que ce dernier a une vision claire de samission. La connaissance des publics repré-sente avant tout une façon pour l’institutionde mieux remplir les objectifs qu’elle s’est fixés.Dans le cas contraire – et faute d’une visibi-lité suffisante –, le pilotage fin des actionsconduites en direction des publics pourraitparaître quelque peu hasardeux.

BASES DE DONNÉES. L’objectif d’une orga-nisation culturelle “orientée public” est de dis-poser d’informations multiples, précises etactualisées sur les utilisateurs des divers ser-vices de l’établissement. Ces informations doi-vent être fiables et utiles, et non pas obsolèteset superflues, ce qui a des incidences en termesde collecte, de traitement, de partage et de dif-fusion des données.

Celles-ci – stockées dans un entrepôt de don-nées (data warehouse) ou encore base de don-nées marketing – peuvent être de différentenature : données relatives à la consultation surinternet (fréquence des visites, pages visitées,durée de consultation…) ; à l’utilisation debornes interactives ou de tablettes ; auxdemandes d’information et de renseignements(sur place, par téléphone ou par courriel) ; auxachats (en ligne ou sur site) ; et au profil desutilisateurs eux-mêmes (données géo-démo-graphiques, pratiques culturelles, goûts expri-més, comportement passé, historique d’achats,préférences, etc.). Mais – à la différence dusecteur commercial – il n’est pas nécessairepour autant d’aller jusqu’à proposer au visiteurune offre particulière à la date de son anni-versaire !

Envoyer l’information pertinente

à la bonne personne au moment opportun

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L’important est que ces données (confiden-tielles) puissent être tenues à jour et facilementmobilisables par les demandeurs concernésdans le site culturel (par exemple, le départe-ment éducatif, le service marketing et com-munication, le pôle études, recherches et éva-luation, le responsable commercial, la directiongénérale, etc.). Par conséquent, il s’agit avanttout de recueillir des informations essentielleset de pouvoir y avoir accès rapidement et sansdifficulté.

L’objectif final serait – dans l’idéal – de pou-voir adresser une réponse d’autant plus indi-vidualisée aux demandes des utilisateurs quel’institution disposera de davantage de rensei-gnements sur les besoins, les préférences et leshabitudes de chacun d’entre eux ; cette réponsepourra prendre la forme d’un message direct etpersonnalisé (courrier postal, mais surtoutcourriel ou SMS), de la même façon que lessites de vente en ligne de produits culturelspeuvent adresser des suggestions et des recom-mandations aux internautes ayant précédem-ment effectué tel ou tel type d’achat.

RÉFLEXION STRATÉGIQUE. Or, trop souventencore, deux situations se présentent : soit lesite culturel dispose bien de certaines infor-mations, mais ce ne sont pas forcément lesplus utiles dans la relation avec ses publics etil sera difficile de les mobiliser pour la réali-sation d’actions culturelles ciblées ; soit il dis-pose de certaines de ces informations, mais ilne s’en sert pas, faute de réflexion de naturestratégique sur l’usage qui pourrait en être fait,au service de la mission culturelle de l’organi-sation. Pour Lucie Blot (salle Pleyel / Cité de lamusique) : “La GRC n’est ni un outil ni unetechnique, mais une stratégie qui nécessitebeaucoup de préparation. Investir dans une

solution CRM ne sert à rien si on n’a pas destratégie. Cela implique l’organisation auniveau organisationnel, humain, stratégiqueet technologique. L’écueil dans lequel on tombefréquemment est de se focaliser principale-ment sur ce dernier aspect.”

DATAMINING. Le datamining (ou explorationde données) a pour objectif de permettre l’ex-traction rapide des informations utiles et spé-cifiques sur tel ou tel segment de public, envue de faciliter la réactivité et la fidélisationrecherchées par l’organisation. Il résulte doncd’un processus d’exploration, de sélection et demodélisation d’un grand nombre de donnéespour établir des corrélations significatives entreelles. Connaissant mieux ses publics (réels ouvirtuels) et en “faisant parler les données” dis-ponibles, le site culturel sera ainsi mieux enmesure de répondre aux différents types debesoins, distincts naturellement selon les caté-gories de publics concernées.

Pour identifier des publics pouvant être inté-ressés par telle ou telle offre du site (qu’ellesoit culturelle, pédagogique, événementielle,de bénévolat, de don…), il importe donc queles informations existantes que possède l’éta-blissement soient collectées, mises à jour, orga-nisées, analysées et mobilisées en vue de per-mettre une prise de décision efficace : uneinstitution à l’écoute de ses publics sera ainsimieux à même de leur apporter des servicesencore inédits.

Y a-t-il un risque d’intrusion dans la vie per-sonnelle des individus ? Il convient de distin-guer deux éléments à ce propos. D’une part,certaines des données quantitatives recueilliessur les publics donnent lieu à un traitementagrégé et anonyme qui ne distingue pas telleou telle personne. D’autre part, le site culturelne saurait bien évidemment recueillir des infor-mations personnelles sur un individu que sicelui-ci a donné son accord formel, étantentendu que l’établissement s’engage pour cequi le concerne à ne pas divulguer ces infor-mations à une organisation tierce.

Dans ce dernier cas, c’est l’historique de larelation entre l’institution et l’utilisateur (à

La gestion de la relation client

est une stratégie qui nécessite

beaucoup de préparation

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travers son comportement passé) qu’il convientd’analyser finement, afin de pouvoir propo-ser des services ou des produits au momentadéquat, car déterminé selon les souhaits dela personne considérée, en termes de fréquence(pour chaque événement, toutes les semaines,tous les mois…) et de support (par courrierpostal, courriel ou SMS) notamment.

PERSONNALISATION DE MASSE. Par consé-quent, si j’ai exprimé un goût particulier pourles primitifs italiens ou la photographiecontemporaine, je peux souhaiter être informépar le site culturel de tout événement pouvantsusciter mon intérêt (et ce, quel que soit monpays d’origine) : exposition, publication, confé-rence, voyage… ; ma qualité d’adhérent auprogramme de fidélisation de l’institution pou-vant de surcroît m’y donner accès à des condi-tions privilégiées (réduction tarifaire, billetcoupe-file, éditions limitées, etc.).

Autrement dit, les renseignements détailléscollectés doivent avant tout répondre à l’ob-jectif de renforcer la relation avec les publics,au service de la mission culturelle, scientifique,éducative et sociale du site culturel ; les autresaxes possibles de développement (en termescommerciaux ou de collecte de fonds) étantsubordonnés à cet objectif premier. Aux côtésdes offres généralistes plus ou moins standar-disées, il y a donc place pour une communi-cation plus spécifique et ciblée, que certainesmarques commerciales qualifient de “person-nalisation de masse” (mass-customization),ce qui se traduit par des modèles à son image,des produits sur mesure, des étiquettes à sonnom ou autres solutions individualisées.

D’autres possibilités sont offertes aux sitesculturels dans la gestion de l’information, enparticulier dans le domaine des ressourceshumaines et dans celui de la gestion des flux.La question de la gestion des connaissances(knowledge management) prend ainsi uneimportance renouvelée dans les organisationscontemporaines – à la lumière des outils pro-posés par les techniques actuelles de l’infor-mation et de la communication –, en relationavec les points évoqués précédemment (GRC,

bases de données, etc.). Cette approche reposesur le fait que les connaissances que possèdentles différents membres d’une organisationconstituent un capital précieux et stratégique,qu’il convient de valoriser en s’appuyant surdes logiciels aujourd’hui largement disponibles.Or, les sites culturels ne constituent-ils pas parexcellence des organisations centrées sur lesavoir et la connaissance, nécessitant l’accèsà de considérables gisements d’informations,s’appuyant sur des expertises individuelles etreposant pour une part sur le pilotage tem-poraire de projets ad hoc (exposition tempo-raire, programme événementiel, publication) ?

GESTION DES CONNAISSANCES. De fait, unemeilleure gestion des connaissances – qui sup-pose leur recueil, leur sauvegarde, leur mise àjour et leur diffusion – peut conduire à davan-tage de travail collaboratif, d’initiative, de pro-ductivité et d’innovation, en prenant notam-ment appui sur l’utilisation d’un intranet.Convenons toutefois que parvenir à ce résul-tat tient au moins autant à la culture de l’or-ganisation (qui dépend de l’impulsion donnéepar la direction de l’établissement et se traduitpar l’attitude des personnels à l’égard de lacirculation de l’information) qu’à la mise àdisposition de nouveaux moyens techniques,même si ces derniers peuvent permettre demettre rapidement et facilement à la disposi-tion des utilisateurs des informations d’ori-gine et de format différents. C’est pour celaque la gestion de la connaissance et la capita-lisation des informations devraient devenirpartie intégrante du fonctionnement du siteculturel au quotidien. N’oublions pas pourautant un autre écueil, celui qui peut naîtred’un excès d’information… Disposer de l’in-formation recherchée en temps voulu ne signi-fie pas être noyé sous un flot d’informationsdont la pertinence n’est pas établie.

YIELD MANAGEMENT. Par ailleurs, la tech-nique du yield management – que l’on peutdéfinir comme l’“optimisation économique”,la “gestion du rendement” ou encore l’“opti-misation du revenu global” – est issue des sys-tèmes de réservation informatisés tels que les

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GDS (global distribution systems), utilisés dansun premier temps par les compagnies aériennespuis par les chaînes hôtelières. Le yield mana-gement permet d’effectuer en temps réel le cal-cul des prix qui optimisent les revenus d’unproduit ou d’un service. Dans le cas des sitesculturels, l’objectif consiste à rechercher unemeilleure gestion des flux de publics (visiteurs,spectateurs, autres utilisateurs), contribuantde la sorte à résoudre notamment les pro-blèmes de remplissage de salles (dans ledomaine du spectacle vivant) ou de surfré-quentation (dans le domaine des musées et desmonuments) que rencontrent certains d’entreeux, même si cela n’exclut pas par ailleurs deseffets bénéfiques en termes financiers : l’utili-sateur est ainsi incité à profiter d’une offreplus avantageuse sur le plan tarifaire à cer-taines périodes d’ouverture de l’établissement(sur le plan horaire, journalier ou mensuel,selon les cas). Là encore, cela présuppose unecapacité à anticiper les comportements dedemande des publics par la connaissance donton peut disposer au moyen d’enquêtes.

NOUVELLES RELATIONS. Au-delà des actionsde communication, de la billetterie en ligne etdu commerce électronique – déjà expérimen-tés par un certain nombre de sites culturels –,

les nouvelles techniques semblent pouvoiroffrir bien d’autres possibilités de développe-ment des relations avec leurs publics, dans lesens d’une plus grande personnalisation etdans le cadre d’une stratégie multicanal quilaisse bien sûr toute sa place à la médiationhumaine. On peut citer à cet égard l’interro-gation d’internautes pour concevoir un pro-gramme d’expositions et de manifestations ;l’aide personnalisée à la visite (pour sa prépa-ration en amont et son déroulement dans lesite lui-même, mais également pour apporterdes services spécifiques après la visite) ; le recru-tement de bénévoles ; le lancement d’une sous-cription sur internet pour l’achat d’une œuvre ;la mise en ligne de vidéos sur les travaux réa-lisés par le site culturel (opérations de restau-ration, construction de décors, accrochage dela collection…) ; voire l’instauration de pro-grammes de collecte de fonds en ligne, etc.

Le paradoxe réside dans le fait que les ins-titutions culturelles, symboles de permanenceet d’intemporalité (les musées et les monu-ments historiques en particulier), sont désor-mais conduites à nouer des relations avec desinternautes dont les valeurs sont la participa-tion, la réactivité, la personnalisation, la per-formance, la rapidité et l’interaction. Encore

Au-delà des actions de communication, de la billetterie en ligne et du

commerce électronique, les nouvelles techniques semblent pouvoir

offrir aux institutions culturelles bien d’autres possibilités de déve-

loppement des relations avec leurs publics : l’interrogation d’inter-

nautes pour concevoir un programme d’expositions et de manifesta-

tions ; l’aide personnalisée à la visite ; le recrutement de bénévoles ;

le lancement d’une souscription sur internet pour l’achat d’une œuvre ;

la mise en ligne de vidéos sur les travaux réalisés par le site ; l’ins-

tauration de programmes de collecte de fonds en ligne, etc.

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faut-il y être prêt. Or, la volonté existe-t-elletoujours de se saisir à bras-le-corps des nou-velles techniques, dans le cadre d’une straté-gie globale de développement culturel ?

Autre application possible du big data, fon-dée sur l’utilisation d’un grand nombre dedonnées relatives aux publics : le contrôle dela réputation de l’institution sur les réseauxsociaux, les blogs et les forums. L’objectif estde détecter des problèmes et de pouvoir yremédier rapidement, en utilisant la techniquede l’analyse sémantique (text mining) des opi-nions émises par les publics. Dans ce cas, lessites culturels pourront sans doute s’appuyersur les synthèses réalisées par des organismestels que les comités départementaux ou régio-naux du tourisme, mieux armés que les sitesindividuels pour traiter d’importantes massesde données parcellaires.

IMPLICATIONS ORGANISATIONNELLES. À terme,l’intégration complète d’internet et des nou-velles techniques constitue potentiellement unfacteur de reconfiguration de l’organisationdes sites culturels. Ainsi, les implications decette évolution du point de vue organisation-nel paraissent être de plusieurs ordres :– une nouvelle affectation des ressources(financières, techniques et en personnel) del’institution ;– une recherche d’informations sur les publicsaux différents “points de contact” du site cul-turel (accueil, billetterie, boutique, serviceabonnement / adhésion, département études,etc.) visant à alimenter des bases de donnéesutiles ;– une conception renouvelée du travail enéquipe (en relation, le cas échéant, avec desbénévoles) ;– une vision partagée et simultanée des publicspar l’ensemble des responsables de l’établis-sement (services des publics, commercial, del’accueil, de la collecte de fonds, de commu-nication…) ;– une diffusion des nouvelles techniques dansles différents services du site culturel ;– une conception renouvelée des processus decollaboration internes et externes ;

– une orientation vers une organisation plusouverte, décentralisée, transversale, souple etréactive ;– une possible externalisation de fonctions nepouvant être assurées au mieux en interne(hébergement, maintenance, nettoyage desfichiers, mailings, traduction…).

Cette nouvelle organisation a pour objectifde gérer de façon optimale le “capital public”au service de la mission du site culturel, la res-ponsabilité de la relation avec le visiteur étantdésormais partagée (à divers titres, naturelle-ment) à tous les niveaux de l’institution.Reconnaissons néanmoins que dans des ins-titutions dont les personnels sont souvent ennombre insuffisant, le fait de tenir à jour etd’entretenir une base de données représenteune réelle charge de travail qui doit dès lorsêtre évaluée de façon réaliste pour mesurerl’intérêt d’une telle approche – certes promet-teuse – pour tel ou tel établissement. SelonClaire Besson (Orchestre de Paris) : “La GRCest un outil formidable, mais qui demandebeaucoup de travail. Il faut donc choisir la sim-plicité et ne pas se lancer dans des usines àgaz.”

TÂCHES LOURDES. Les tâches à prendre encompte peuvent en effet se révéler particuliè-rement lourdes pour les sites culturels d’unetaille modeste, qui devront ajuster les presta-tions offertes aux moyens humains disponibles.Ces tâches concernent notamment : la mise àjour et l’amélioration des fonctionnalités dusite internet, la numérisation des contenus, latraduction des informations proposées, laréponse aux requêtes des internautes, l’envoid’une lettre d’information, l’animation deforums de discussion, l’archivage des com-muniqués de presse, la conception de jeux, lagestion des droits, les études sur les utilisa-teurs et internautes, la négociation des parte-nariats, le suivi des évolutions des matérielset des logiciels, la maintenance technique, laformation, etc.

Autre difficulté – propre à toutes les orga-nisations, mais peut-être moins sensible dansle secteur culturel –, celle qui tient à la circu-

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lation et au partage de l’information, encoreconsidérée par certains comme un instrumentde pouvoir. Il s’agit là d’une question de “cul-ture organisationnelle”, qui instaure ou bien unfonctionnement pyramidal, cloisonné, hiérar-chisé et bureaucratique (où l’information cir-cule peu et difficilement) ou bien un fonc-tionnement horizontal, en réseau et par projet(qui favorise au maximum la distribution etla diffusion de l’information).

COÛT DU DISPOSITIF. Quant au coût du dis-positif, s’il peut être considéré comme un véri-table obstacle pour les petits établissements,il tient sans doute moins au prix des logicielset des matériels qu’au temps demandé auxindividus concernés (la partie nécessaire àl’installation et au fonctionnement du sys-tème allouée par le personnel du site cultu-rel, d’une part ; et le recrutement de profilsspécialisés, d’autre part).

Pierre-Mary Thibault (société Aldea)indique à ce propos : “Le CRM est avant toutune démarche, un état d’esprit : tout le mondepeut ou devrait faire du CRM. Quelle quesoit la taille de l’organisation, le principe restele même : il s’agit d’améliorer et d’indivi-dualiser la relation entre l’institution et sespublics. En réalité, plus on est petit, plus ona intérêt à en faire !”

Au-delà d’une diffusion plus rapide de l’in-formation, les possibilités offertes par le déve-loppement des nouvelles techniques dans lessites culturels paraissent être notamment lessuivantes : un traitement personnalisé desdemandes des publics ; l’envoi d’informa-tions sur le mode push (par courriel ou SMS) ;une sophistication accrue des programmesde fidélisation ; la possibilité de réaliser desenquêtes et tests en ligne ; la création d’outilsde mesure et d’analyse d’impact, etc. Une uti-lisation efficace de telles bases de donnéessuppose néanmoins que soient réunies lesconditions suivantes : une perception clairedes objectifs poursuivis (ces derniers devantdemeurer au service de la mission de l’éta-blissement) ; un temps de réflexion suffisantpour préparer le choix et la mise en place des

dispositifs techniques ; des moyens financierset en personnel adéquats (en partenariat, lecas échéant) ; enfin, un suivi dans le tempspour la formation, la mise en œuvre et l’éva-luation des orientations retenues.

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Finalement, du fait de son caractère struc-turant, l’introduction des nouvelles techniquesà tous les niveaux du site culturel peutconduire à une prise en compte renouveléedes publics et – partant – peut participer àl’accompagnement d’un processus de chan-gement, dans le sens d’une organisation plussouple et plus réactive. Ainsi, pour GillesDuffau (Cinémathèque française), on nedevrait plus pratiquer seulement une “com-munication unidirectionnelle descendante”.Certains observateurs peuvent toutefois sedemander s’il ne s’agit pas d’une manifesta-tion supplémentaire de la tendance accrue àla commercialisation de la culture et de l’ef-fet des mécanismes de marché dans le sec-teur culturel dont témoignerait – au-delà d’unphénomène de modernisation organisation-nelle – l’“emprunt” aux techniques marke-ting et de management des entreprises. Mais,là encore, seul le sens de l’utilisation de l’ou-til technique compte : neutre d’un point devue axiologique, il peut tout aussi bien faci-liter la recherche d’une rentabilité commer-ciale et financière qu’être considéré commeun facteur de modernisation des équipementsculturels, au service de l’accomplissement deleurs missions fondamentales.

Dans ce sens, parler de “gestion de la rela-tion visiteur” (GRV) permettrait – sans occul-ter la dimension commerciale ou financière –de donner la priorité à la dimension éducativeet culturelle ; autrement dit, de se servir desoutils qu’offrent les techniques numériquespour approfondir les liens avec les visiteursactuels ou potentiels des monuments, desmusées, des sites archéologiques ou autrescentres d’interprétation (mais aussi des sallesde spectacles, des auditoriums et des maisonsd’opéra). ■