la frappe de la licorne · 2019. 12. 29. · texte déposé à la sacd - 1 - version du 17 juillet...
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Texte déposé à la SACD - 1 - Version du 17 Juillet 2017
Ce texte est déposé à la société des auteurs. Toute reproduction, diffusion, ou utilisation doit faire l'objet de l'accord de l'auteur.
LA FRAPPE DE LA LICORNE
Comédie dramatique en deux actes de
François TINLOT
(2017)
DISTRIBUTION :
7 Femmes et 5 Hommes,
ou modulable avec 6 Femmes et 6 Hommes
François TINLOT
France
Email : [email protected]
Texte déposé à la SACD - 2 - Version du 17 Juillet 2017
SYNOPSIS
Que d’histoires et d’émotions dans ce foyer de vie pour personnes en situation de handicap.
D’abord il y a ces résidents, drôles, émouvants, rebelles, joyeux ou tristes mais toujours
attachants, évoquant leur passé et croisant leurs destins. A leur écoute, des professionnels
bienveillants, confrontés à une hiérarchie autoritaire, corrompue et maltraitante, que rien ne
semble pouvoir arrêter…Rien sauf, peut-être, la démonstration sans appel de la force occulte
du handicap.
PRESENTATION DES PERSONNAGES
Monsieur Hubert LEJARDS : Directeur de la structure. Personnage autoritaire et antipathique.
Ne songe qu'à la gestion administrative de son établissement. Aucune humanité ni ouverture
d'esprit.
Mireille CONSTANT : Infirmière chef. Personne affirmée, et très axée sur les protocoles de
soins et leur application. Décide beaucoup à la place des résidents. Très complice avec le
Directeur.
ROSINE : Aide-soignante. Beaucoup d'humanité et de professionnalisme. Applique les
consignes mais souvent à contrecœur.
MARCEL : L'homme à tout faire de l'établissement. S'occupe de l'entretien des
infrastructures et des aides techniques des résidents (fauteuils, etc...) Personnalité attachante.
Serviable, drôle. Très apprécié des résidents pour sa façon de tourner le handicap en dérision.
Laurence BATARD : Educatrice spécialisée. Fait son travail sans zèle et sans grande
motivation. Déteste l'innovation, l'imprévu et préfère la routine.
Sandra MARTINEAU : Nouvelle éducatrice spécialisée de l'établissement. Motivée,
dynamique. Ingénieuse et observatrice. Mystérieuse aussi...
GILBERT : Résident en fauteuil roulant. Il ne parle pas et est paralysé des quatre membres.
Conserve une très bonne compréhension et va développer un moyen de communication très
performant ...
ALEXANDRE : Résident paraplégique. Se déplace en fauteuil roulant manuel. Passionné de
sports et de maquettes. Ancien motard. Amoureux de Juliette. Naturel gai, optimiste.
JULIETTE : Résidente en accueil temporaire. Souffre de paralysie partielle des deux
membres inférieurs. Se déplace en fauteuil roulant manuel. Ancienne motarde. A perdu son
compagnon dans l'accident. Dépressive à son arrivée dans la structure, elle va reprendre goût
à la vie...
VINCENT : Résident ayant une hémiplégie partielle. Se déplace avec une canne. Intelligence
supérieure à la moyenne, rebelle, provocateur. Penchant pour l'alcool et la cigarette.
PIERRETTE : C'est la doyenne des résidents de l'établissement. Séquelles motrices à type de
troubles de l'équilibre. Elle se déplace à l'aide d'une canne tripode (ou déambulateur). Elle est
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très désinhibée, a le verbe facile, et a de gros troubles de la mémoire. Elle est également
atteinte de démence.
Jocelyne DUMERLE (transformable en rôle masculin) : Inspectrice du conseil
départemental. Passe de temps à autres dans l'établissement pour suivre et surveiller la gestion
de la structure par le directeur. Personnage charismatique, elle a une grosse expérience dans le
secteur médico-social.
PLAN DE SCENE
La scène représente l'une des pièces de vie principale d'un foyer pour personnes en situation
de handicap. A cour, le côté salle à manger et activités occupationnelles (table, quelques
chaises), à jardin le côté salon détente télévision (table basse, fauteuils ou canapé). En marge
de la scène ou dans son prolongement à jardin, le bureau du directeur avec deux chaises. (Si la
scène est suffisamment grande le coin bureau peut être intégré sur le plateau). En fond de
scène, deux dégagements, assez larges, sans portes. L'un à cour, l'autre à jardin.
ACTE 1
SCENE 1
La scène se passe côté cour. C'est l'heure du petit déjeuner des résidents. Au lever de rideau,
Rosine entre avec Pierrette.
Rosine : Et ce matin vous me ferez le plaisir, Pierrette, de vous comporter correctement et de
manger vos deux tartines. Sinon vous allez encore réclamer dans une heure et on ne pourra
rien vous donner. Il faudra attendre midi.
Pierrette: Si je prends deux tartines ça me fait roter. Et Alexandre va encore dire que je pue de
la gueule.
Rosine : Ne vous occupez pas d'Alexandre. Vous savez bien qu'il n'est pas méchant. Et il vous
adore en plus. (l'aide à s'asseoir en bout de table) Attention ou vous mettez les fesses.
Pierrette: Ben sur une chaise d'habitude. Toi par contre tu sens pas très bon de la bouche. T'as
mangé combien de tartines ?
Rosine : Pierrette soyez gentille. Arrêtez de dire des sottises et tâchez de manger proprement.
(Lui sert son café, lui met une large serviette au tour du cou) Et vous allez boire doucement.
C'est chaud et vous êtes au régime « fausse route ».
Pierrette: Je fais pas fausse route. Mets ta main devant ta bouche en respirant et tu verras si
t'as pas une haleine de chacal.
Rosine : Je parlais pas de ça... (Pierrette boit rapidement) Doucement le café ! Je vous laisse
trente secondes, je vais chercher Gilbert. (Elle sort à cour)
Pierrette: C'est ça va chercher Gilbert. Moi je mange mes tartines et je compte jusqu'à trente.
Parce qu'on dirait pas comme ça mais je sais compter. J'ai encore toute ma tête hein !
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Parfaitement, toute ma tête !
(Arrivée de Gilbert en fauteuil, poussé par Rosine. Elle le positionne à côté de Pierrette)
Rosine : Voilà le plus beau ! (aide Gilbert à prendre place à côté de Pierrette, lui met sa
serviette, prépare son bol avec morceaux de biscottes trempées dans le café)
Pierrette: Moi je trouve pas.
Rosine : Pierrette...Alors Gilbert, l'appétit revient ce matin ? Tout à l'heure Vous m'avez fait
comprendre pendant le nursing que vous n'aviez pas faim... (Gilbert acquiesce) Vous êtes
toujours le premier à attendre le petit déjeuner d'habitude. (S’assoit à côté de lui) Rien de
grave ? (signe de tête de Gilbert)
Pierrette: Il fait pareil avec moi. Quand je lui pose une question il répond jamais. Il fait tout le
temps la gueule.
Rosine : Vous savez très bien que Gilbert ne peut pas parler. (Commence à le faire manger)
Pierrette: Il a qu'à faire un effort. J'en fais bien moi.
Rosine : On vous a dit cent fois que chaque résident ici a gardé des séquelles d'un
traumatisme ou d'une maladie. Gilbert a perdu l'usage la parole. Vous c'est l'inverse. Vous
parlez beaucoup. Beaucoup trop parfois. Et vous avez des problèmes de mémoire aussi.
Pierrette: Moi je parle trop ? Moi je perds la boule ? Pose moi une question n'importe laquelle
et tu vas voir si je perds la boule.
Rosine : Pierrette...
Pierrette: Allez dépêche !
Rosine : (réticente) Bon. Mais c'est la dernière fois. Vous êtes prête ?
Pierrette: Ben oui si je te dis « Allez dépêche » c'est que je suis prête ! Allez dépêche !
Rosine : D'accord mais réfléchissez bien avant de répondre. Comment s'appelle le président
de la république ?
Pierrette: Oh ! Trop facile. Jean GABIN. (Réaction de Gilbert qui s'agite en riant et en
produisant des sons inintelligibles)
Rosine : (hochant de la tête) Non c'est un acteur...
Pierrette: Je sais ce que je dis. Ou alors il vient de changer de métier.
(Entrée d'Alexandre a jardin. Son fauteuil est équipé de tout un tas d'ustensiles comme
rétroviseurs, klaxon, support de téléphone portable, etc...Il manie son fauteuil avec une
grande dextérité, allure sportive, teeshirt débardeur, pantalon de jogging.)
Texte déposé à la SACD - 5 - Version du 17 Juillet 2017
Alexandre: Chaud devant ! Salut les estropiés !
Pierrette: Hé l'autre il perd ses bas ? Estropié toi-même !
Rosine : Bonjour Alexandre. Bien dormi ? Les filles de nuit ne vous ont pas entendu broncher
en tous cas.
Alexandre: (s'installe en bout de table à jardin. Rosine lui sert son café) Tu m'étonnes ! J'étais
crevé ! On a fait du un contre un au basket hier après midi avec Vincent.
Rosine : Avec Vincent ? Vous avez joué au basket avec Vincent ?
Alexandre: Bah oui. Il était pas bourré alors j'en ai profité.
(Rires de Gilbert)
Rosine : Alexandre ! Il ne faut pas parler comme ça de Vincent. (à Gilbert) C'est pas drôle.
Alexandre: Bah c'est pas méchant ! Et en plus c'est vrai. C'était un beau spectacle : Vincent
avec sa canne, moi avec mon fauteuil, et le ballon entre les deux...Par contre vu que je lui ai
mis sa taule il a pété un câble et il a dézingué le panier de basket.
Rosine : Hou là là ! Gare à lui quand Marcel va s'en apercevoir.
Alexandre: T'inquiète pour Marcel ! Il est payé pour réparer la casse. Et grâce à nous il évite
le chômage technique !
Rosine : Et grâce à vous il est pas prêt de partir en retraite !
(Rire général ; entrée de Mireille Constant, l'infirmière chef, côté jardin)
Mireille Constant: Qu'est-ce-que c'est que ce bazar ? Rosine, je vous répète encore une fois
qu'il est interdit de faire rire les résidents pendant les repas. C'est écrit noir sur blanc dans le
protocole de prévention des fausses routes.
Pierrette: (en mangeant) Vous commencez à me courir avec vos fausses routes. J'ai déjà dit
que je faisais pas fausse route. (Elle se met à tousser, Rosine lui donne des tapes dans le dos)
Mireille Constant: Et allez donc! Tout ça c'est de votre faute Rosine. Vous êtes aide-soignante,
et mettre en danger la vie des résidents ne fait pas partie de vos fonctions, loin s'en faut.
Comptez sur moi pour consigner cet incident et en parler à Monsieur Lejards. C'est mon
devoir d'infirmière responsable.
Rosine : Mais Madame Constant c'est vous qui...
Mireille Constant: Contentez-vous de faire correctement votre travail. Ce sera déjà beaucoup
pour vous. Et puis où est Vincent ? Il a déjà fini de déjeuner ?
Rosine : Non il n'est pas encore sorti de sa chambre.
Texte déposé à la SACD - 6 - Version du 17 Juillet 2017
Mireille Constant: Vous plaisantez j'espère ? Êtes-vous allée le chercher ?
Rosine : Oui j'ai frappé à sa porte.
Mireille Constant: Frappé à sa porte ? Et vous n'êtes pas rentrée ?
Rosine : Il ne m'a pas répondu, j'ai supposé qu'il dormait.
Mireille Constant: Eh bien arrêtez de supposer. Frapper à une porte c'est bien. Mais si ça ne
répond pas, on entre.
Rosine : Mais j'avais peur de...
Mireille Constant: Peur de quoi ? Peur de qui ? (Vincent entre à jardin, dans le dos de
l'infirmière chef) De Vincent ? Je vous interdis d'avoir peur de Vincent. C'est un résident
comme les autres. Alors prenez mon exemple : Restez vigilante sans jamais en avoir peur. Et
ce en toutes circonstances.
Vincent: (s'approche à son insu et vient lui caresser le visage avec sa canne) Ah oui ?
Mireille Constant: Ah !! (Sursaute et s'éloigne de lui) Vincent ! Vous m'avez fait une de ces
peurs ! Avez-vous perdu la tête ?
Vincent: (fièrement) Oui. Mais ça date pas d'hier.
Mireille Constant: Et que faites vous en pyjama ? Le petit déjeuner ici c'est à huit heures,
propre et habillé.
Vincent: Ben pour moi ce sera à neuf heures, sale et en pyjama. (Rires de Gilles et Alexandre)
Alexandre: Cassée !
Mireille Constant: Ça suffit ! Il y a des règles quand on vit en communauté. Et mon cher
Vincent, vous ne dérogez pas à ces règles.
Vincent: Mais oui cause toujours. (Il s'installe entre Rosine et Alexandre)
Mireille Constant: Un peu de respect je vous prie. Ce n'est pas parce que vous êtes handicapé
qu'il faut dire et faire n'importe quoi.
Vincent: On dit pas « handicapé »
Mireille Constant: Pardon ?
Vincent: (se répète) On dit pas « handicapé ». On dit « en situation de handicap ». Ça fait
plus pro et ça donne bonne conscience.
Mireille Constant: Arrêtez de jouer sur les mots.
Vincent: On dit pas « jouer sur les mots », on dit « jouer avec les mots », ça fait plus français.
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(Rires d'Alexandre et Gilbert)
Mireille Constant: Ça suffit ! Rosine, les médicaments sont donnés ?
Rosine : Oui Madame. Excepté pour Vincent.
Mireille Constant: (la reprend) « Excepté pour Vincent »...Il n'y a pas d’exception qui tienne.
Ni pour Vincent ni pour les autres.
Gilbert : Atchoum (il éternue)
Vincent: Gilbert ! Ta main devant ta bouche comme tout le monde ! Pas d'exception ! (rires
d'Alexandre, Gilbert et Vincent)
Mireille Constant hausse les épaules et sort à cour.
Vincent: Et voilà le travail.
Rosine: Y a pas de quoi être fier. Elle va se venger sur moi. Si c'est ce que vous cherchez...
Vincent : T'inquiète la Rosine.
Alexandre (à Vincent): Alors ? Remis de ta défaite ? Fini le caca nerveux ?
Vincent: Je vois pas de quoi tu parles...
Alexandre: Mais oui c'est ça ! Si t'as envie d'une revanche, c'est quand tu veux !
Vincent: On peut pas y a plus de panier de basket. Un coup de vent l'a fait tomber.
Alexandre: Un coup de vent ! Bien sûr ! T'expliqueras ça à Marcel, il va sûrement avaler ça !
(Entrée de Marcel, l'homme à tout faire, à jardin, en tenue bleu de travail)
Marcel: Salut la compagnie.
Alexandre : Tiens quand on parle du loup...
Tous : (sauf Gilbert qui balbutie) Bonjour Marcel !
Rosine : (lui sert une tasse) Un petit café ? Comme d'habitude ?
Marcel: Oui mais vite fait, comme d'habitude. J'ai du boulot ce matin. Le climatiseur des
cuisines est tombé en panne, j'ai une VMC à changer dans l'aile B, et un fauteuil électrique à
réparer dans l'aile C.
Rosine : (lui donne sa tasse) Effectivement t'as du pain sur la planche.
Marcel: Oui. Merci ma Rosine. Et je rajouterais que c'est pas le jour pour me casser du matos
sinon le Marcel vous avez pas fini de l'entendre chanter, c'est moi qui vous le dis. Avis aux
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amateurs.
Vincent : On est sages comme des images.
Alexandre: Doux comme des agneaux.
Marcel: Y a intérêt. A trois mois de la retraite, comptez pas sur moi pour faire des heures
supplémentaires. Mmhh...Ça ma Rosine c'est pas du café de resto d'entreprise. Mis a part ma
pauvre mère t'es la seule à savoir le faire comme ça. Et ça fait vingt-cinq ans que je fais le
détour pour en boire tous les matins.
Rosine : Vingt-six. Excepté les week-ends, jours fériés, congés annuels, récupérations et arrêts
maladie.
Marcel: Ouais. Bref, ça aussi ça va me manquer.
Rosine : Les arrêts maladie ?
Marcel : Mais non, le café noir.
Alexandre: Et nous on va te manquer ?
Marcel: Ah non ça sûrement pas.
(Réaction générale)
Vincent : Menteur !
Alexandre: Baratineur !
Marcel: Ah non là vous faites fausse route.
Pierrette: Non je fais pas fausse route...
Alexandre: Tiens ! V’là la sono qui redémarre !
Pierrette: La sono ? Quelle sono ?
Marcel: Allez, fini la récré, au boulot.
Rosine : Bon courage !
Marcel: Salut les chieurs. Amusez-vous bien. Et cassez rien, compris ?
Vincent : Eh Marcel ? A dix heures tu fais la pause clopes avec moi ?
Marcel: On verra. Si t’es sage. Tu vois à quel point c'est pas gagné. (Il sort)
Alexandre: Sacré Marcel.
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Rosine : Oui. Sous ses airs de ronchonneur c'est une sacrée bonne pâte. Alors ménagez-le
jusqu'à son dernier jour de travail. Vous lui devez bien ça. On est d'accord Vincent ?
Vincent : De quoi toi parler ? Moi pas compris. Moi bobo sur la cafetière.
Rosine : Ne vous faîtes pas plus bête que vous ne l'êtes.
Pierrette: Ça y est Rosine j'ai mangé mes deux tartines.
Rosine : C'est très bien Pierrette.
Alexandre: Hou là là garez-vous les copains ça va fouetter.
Rosine : Alexandre...
Alexandre: Si on peut même plus rire ici !
Pierrette: (tente de se lever de sa chaise) Moi je vais au salon télé.
Rosine : (se lève pour l'aider) Doucement ! Pas de précipitations ! Et demandez-moi avant de
vous mettre debout.
Pierrette: Que je te demande quoi ?
(Rosine accompagne Pierrette côté jardin au salon télé; la télé est virtuelle, les comédiens
censés la regarder fixeront leur regard face public ou de biais.)
Rosine : La permission de sortir de table, pour que je puisse vous aider. Tous les matins c'est
la même chose ! Vous vous levez sans crier gare et vous vous mettez en danger.
Pierrette: Tiens ça y est j'ai envie de roter.
Alexandre: Tu vois qu'est-ce que je disais ?!
Rosine : Regardez ou vous marchez. (à Gilbert) Je reviens vous chercher Gilbert.
Vincent : Oui ben il va pas s'envoler !
Alexandre: T'as peur qu'il fasse des conneries ? Qu'il se barre en courant ?
Rosine : Finissez de déjeuner et laissez-moi faire mon travail au lieu de raconter n'importe
quoi.
Pierrette: C'est bon je peux m'asseoir toute seule. (Elle s'assoit) Ce matin c'est à moi de
choisir la chaîne.
Rosine :(en allant chercher Gilbert) Non c'est à Gilbert. Chacun son tour. Vous avez choisi
hier.
Pierrette: Non c'est pas vrai.
Texte déposé à la SACD - 10 - Version du 17 Juillet 2017
Rosine : Si c'est vrai. Vous avez même choisi le patinage artistique.
Pierrette: Je m'en rappelle pas.
Rosine : Vous voyez que vous avez des problèmes de mémoire. De toute façon l'équipe
d'éducatrices va bientôt arriver. (Installe Gilbert côté jardin, à sa place habituelle proche du
bureau du directeur) Alors Gilbert ? Quelle chaîne ? (elle zappe) Celle-là ? (signe négatif de
Gilbert) Celle-là ? (signe négatif à nouveau) Celle-là alors? (signe approbateur) Parfait !
Voilà. (Elle repose la télécommande sur la table basse) Par contre vous connaissez la règle :
le matin, pas de son.
Pierrette (regardant la télé) : Tant mieux. Et allez donc, j'en étais sûre. Encore des mots à
chercher et des calculs à faire. Ça me donne mal au crâne ces émissions pour les vieux. Si je
vomis ce sera de sa faute.
Rosine : Bon c'est pas le tout mais j'ai encore du travail (commence à débarrasser la table).
Quant à vous les comiques, soyez sages. Je vous ai à l'œil. (Elle sort à cour)
Dès la sortie de Rosine, Vincent, en attirant l'attention d'Alexandre, se lève, et va changer de
chaîne. Il retourne s'asseoir. Ricanements complices entre les deux résidents. Vives réactions
de Gilbert qui gesticule en émettant des sons inintelligibles.
Pierrette: Ah oui c'est déjà mieux ça.
Rosine : (revient) Qu'est ce qui se passe Gilbert ? Oh non c'est pas vrai ! Pierrette vous êtes
impossible ! (repasse sur la bonne chaîne)
Pierrette: Qu'est-ce que c'est ?
Rosine : Ne faîtes pas l'innocente ! Tous les matins vous me faîtes le coup.
Pierrette: Le coup de quoi ? J'ai rien fait moi !
Rosine : C'est pas beau de mentir Pierrette. Vous allez me rendre folle ! (elle sort à cour)
Alexandre et Vincent éclatent de rire.
Alexandre: Bon allez. Je vais dans ma piaule. J'ai une maquette à finir et après je sors
m'entraîner.
Vincent : Moi c'est pareil. Faut que je m'entraîne à fumer des clopes et à boire des bières.
Alexandre: Chacun son truc ! A plus !
Vincent se lève, prend sa canne et s'apprête à sortir à jardin. Il interpelle Alexandre en passe
de sortir à cour.
Vincent: Hé Alexandre ! (clin d'œil complice. Il se rapproche de Gilbert, retourne son fauteuil
à 180 degrés et sort, fier de lui. Alexandre sort également de son côté en rigolant. Gilbert,
mécontent, gesticule à nouveau dans son fauteuil)
Texte déposé à la SACD - 11 - Version du 17 Juillet 2017
SCENE 2
Entrée à jardin d'Hubert Lejards, le Directeur. Attaché-case et costume adéquat. Il passe
devant le salon télé en manifestant son mécontentement devant l'agitation de Gilbert, sans
chercher à comprendre ni à retourner le fauteuil du résident. Il rentre dans son bureau, et à
peine installé, le téléphone sonne.
Hubert Lejards: (mal aimable) Oui ? La sœur de Juliette ? Elle veut me parler ? C'est qui déjà
Juliette ? Ah oui l'accueil temporaire. Elle arrive quand déjà cette Juliette ? (agacé) Ah !
Attendez une seconde, on ne s'entend plus ici. (Il ressort brièvement, et crie en direction de
Gilbert) La ferme! (Gilbert arrête de crier. Lejards referme la porte et se rassoit) C'est bon
veuillez me la passer je vous prie. (Prend un ton faussement poli) Allo ? Bonjour Madame !
Hubert Lejards, directeur de l'établissement d'accueil de votre sœur. Enchanté. Oui bien
entendu, tout est prêt pour l'accueillir dans d'excellentes conditions. Absolument. Ici tous les
résidents ont leur chambre individuelle. Oui. Et vous pouvez compter sur moi pour veiller à
son bien-être et au respect de son intimité. La bientraitance et la liberté des personnes sont les
valeurs fondamentales de cette institution. Oui c'est bien ça, trois mois maximum. Pour
l'instant je ne pourrai pas l'accueillir plus, mais si un jour une place se libère, elle deviendrait
prioritaire...Mais je vous en prie Madame, je suis là pour ça. Au plaisir ! (Il raccroche ; Le
téléphone sonne à nouveau ; il décroche en bougonnant) Quoi encore ? Je vais pas passer ma
journée au téléphone, j'ai autre chose à faire. Qui ça ? Sandra Martineau ? C'est qui ça Sandra
Martineau ? Ah oui, la nouvelle éducatrice spécialisée, oui. Elle vient d'arriver ? Mais c'était
pas demain à neuf heures son premier jour ? Ah Bon. Je vais la recevoir, faites la patienter
devant mon bureau. Merci mademoiselle. (Il raccroche et règle quelques dossiers
administratifs)
Pierrette se lève et attrape la télécommande sur la table basse.
Pierrette : Bon moi les chiffres et les lettres ça me saoule. En plus y a plus personne qui
regarde. (Elle change de chaîne et repose la télécommande.) Ah oui la boxe c'est déjà mieux.
Vas-y mon gars arrange-lui le portrait.
Gilbert s'agite de plus belle, son fauteuil étant toujours tourné dos à la télévision. Entrée à
jardin de Sandra Martineau.)
Sandra Martineau : (s'approchant de Gilbert) Bonjour ! Je m'appelle Sandra. Vous avez
besoin de quelque chose ? Oui ? (Elle regarde le salon télé) Vous voulez regarder la télé ?
(Gilbert acquiesce) D'accord. (Elle retourne le fauteuil et positionne Gilbert face à la télé à sa
place habituelle) Ça va comme ça ? (Hochement de tête positif de Gilbert) Parfait.
Pierrette : Bah t'es qui toi ?
Sandra: Bonjour. Je m'appelle Sandra, je suis la nouvelle éducatrice.
Pierrette: Ah...T'aimes la boxe ou tu veux changer ?
Sandra : Merci mais j'ai rendez-vous avec Monsieur Le Directeur. (à Gilbert) Et vous, vous
aimez la boxe ? (Non de Gilbert)
Texte déposé à la SACD - 12 - Version du 17 Juillet 2017
Pierrette: Il fait la gueule parce que j'ai changé de chaîne. Mais il avait foutu le camp alors...
Sandra: Oui mais il est revenu maintenant...
Pierrette: Bon ça va j'ai compris. (Elle remet le programme choisi par Gilbert. Ce dernier
s’apaise et échange un sourire avec Sandra)
Le Directeur se lève et va ouvrir la porte de son bureau.
Lejards: Entrez Mademoiselle Martineau.
Sandra: Bonjour Monsieur.
Lejards: Monsieur Le Directeur. Je suis très à cheval sur les formules de politesse.
Sandra: Moi aussi. C'est pour ça que je vous ai dit bonjour...
Lejards: Ah oui pardon bonjour. J'oublie souvent les formules de politesse. Installez-vous
euh... je vous en prie. Hé hé hé. (Rire forcé)
Sandra: Merci. (Ils s'assoient dans le bureau l'un en face de l'autre)
Lejards: Bien. Tout d'abord permettez-moi de vous féliciter de vive voix pour avoir décroché
ce poste.
Sandra : Merci.
Lejards: Il est vrai que votre CV nous a convaincu : (en parcourant le cv) Vous avez une
double qualification, éducatrice spécialisée et ergothérapeute, ce qui reste exceptionnel.
Sandra: Merci.
Lejards: De plus vous faites valoir trois ans d'expérience dans le médico-social. De quoi faire
pencher la balance.
Sandra: Merci.
Lejards: Vous n'êtes pas contrariante dites-donc...
Sandra: Pas pour l'instant...
Lejards: (rire forcé) Bien. Avant de démarrer votre service, il faut signer votre contrat de
travail. Je vous avais déjà résumé les conditions d'embauche, je n'y reviens pas. Vous n'avez
plus qu'à signer. Voici.
Sandra: (en parcourant le contrat) Je vous prie de m'excuser mais...
Lejards: Mais ?..
Sandra: Nous étions tombés d'accord sur deux mois de période d’essai et non pas trois.
Texte déposé à la SACD - 13 - Version du 17 Juillet 2017
Lejards: Ah oui vous avez raison, au temps pour moi. J'ai oublié de le préciser à la secrétaire.
Nous rectifierons après, vous pouvez me faire confiance.
Sandra: (lui tendant le stylo et la feuille) Je préférerais rectifier maintenant...
Lejards: Très bien, comme vous voudrez. (Il corrige) Voilà.
Sandra : Sur le deuxième exemplaire aussi...
Lejards: (en corrigeant) Hé bien dites-moi vous ne perdez pas le nord. Je pense que vous
pouvez signer maintenant.
Sandra: (en signant) En effet, maintenant je peux. Vous voyez, je peux être contrariante
parfois.
Lejards: Oui effectivement. Mais dans le cas présent vous avez bien fait. Bien, passons aux
choses sérieuses. Pour le moment vous travaillerez dans cette aile, c'est-à-dire l'aile A.
Laurence Batard, votre binôme, est une éducatrice très expérimentée. Je vous invite à suivre
ses consignes, surtout au début. Ce n'est pas votre supérieur hiérarchique sur le papier mais
elle connaît son boulot.
Sandra: Ce qui signifie ?
Lejards : Qu'elle ne fait ni vagues ni zèle. Faîtes-en autant et tout ira bien.
Sandra: Ah d'accord. Donc connaître son boulot ici c'est faire ni vagues ni zèle ?
Lejards : Vous m'avez parfaitement compris Mademoiselle Martineau. Avez-vous des
questions ?
Sandra: A part celle que je viens de vous poser, non je n'en ai pas.
Lejards : Parfait. Alors je vous souhaite bonne chance. J'espère sincèrement que vous
adhérerez à l'esprit dans lequel nous travaillons.
Sandra: Et réciproquement.
Lejards : Oui, ça va sans dire. Je vous laisse rejoindre Laurence qui doit être arrivée. Elle va
vous montrer votre bureau commun et vous présentera ensuite les résidents.
Sandra: Parfait. J'en connais déjà deux.
Lejards : Vous ne perdez pas de temps.
Sandra: Non, jamais.
Lejards : Si vous avez besoin n'hésitez pas.
Sandra: Merci Monsieur...Le Directeur. (Elle sort à cour)
Texte déposé à la SACD - 14 - Version du 17 Juillet 2017
SCENE 3
Mireille Constant entre à cour. Elle traverse la scène comme pour sortir à jardin, puis
s'arrête, hésitante. Elle scrute les deux résidents avant de se diriger vers le bureau du
Directeur.
Mireille Constant : (en frappant à la porte) Monsieur Le Directeur ?
Hubert Lejards : (mal aimable) Qu'est-ce que c'est ?
Mireille Constant : Monsieur Lejards c'est Mireille. J'ai une information très importante à
vous communiquer. Puis-je vous déranger quelques minutes ?
Hubert Lejards : (en allant ouvrir) Attendez une seconde. (Il ouvre la porte) Hé bien Mireille
que vous arrive-t-il ?
Mireille Constant : Bonjour Monsieur Le Directeur.
Hubert Lejards : Ah oui Bonjour.
Mireille Constant : Puis-je vous parler un instant en aparté ?
Hubert Lejards : (en bougonnant) Bon, entrez mais faîtes vite, j'ai du travail par-dessus la
tête.
Mireille Constant : Merci. (Elle entre, il referme la porte)
Hubert Lejards : Serais-tu devenue folle ?
Mireille Constant : Oui, de toi ! (Elle le plaque contre le bureau et l'étreint)
Hubert Lejards : Mais t'es cinglée ! Pas ici !
Mireille Constant : Tu veux dire que je suis cinglée ailleurs ?
Hubert Lejards : Arrête !
Mireille Constant : C'est quoi le problème ? Dans cette pièce il n'y a que toi et moi.
Hubert Lejards : Justement il est là le problème. Tous les matins tu prétends avoir quelque
chose de très important à me dire, et tous les matins tu me sautes dessus dans mon bureau.
Mireille Constant : On est ensemble oui ou non ?
Hubert Lejards : Non, je suis avec ma femme, et toi avec ton cocker et ta perruche.
Mireille Constant : Alors comment qualifies-tu notre liaison ?
Hubert Lejards : A l'extérieur de l'établissement, c'est un adultère. A l'intérieur, c'est une
Texte déposé à la SACD - 15 - Version du 17 Juillet 2017
relation exclusivement professionnelle.
Mireille Constant : On peut faire l'inverse si tu préfères.
Hubert Lejards : C'est malin ! Et imagine qu'on t'ait repérée ?
Mireille Constant : Qui ça « On ? » ? Pierrette la foldingue somnolente ou Gilbert la plante
décorative entreposée devant ton bureau ?
Hubert Lejards : C'est comme ça que tu parles des résidents ?
Mireille Constant : Tu peux parler ! Toi tu les ignores c'est encore pire !
Hubert Lejards : J'ai autre chose à faire que d'être aux petits soins. Les soins et leurs
protocoles, c'est ton travail. Le mien c'est l'administratif et la gestion des budgets. Chacun son
boulot.
Mireille Constant : La gestion des budgets ? Tu veux parler de la chambre numéro 11 censée
héberger un résident dont le décès survenu il y a quatre ans n'a toujours pas été déclaré au
conseil départemental ? Lequel conseil continuant de te payer chaque mois le forfait
d'hébergement dudit résident ?
Hubert Lejards : Crie plus fort !
Mireille Constant : Sans compter que cette fameuse chambre numéro 11 sert toujours de
débarras dans l'aile B, alors que tu as « budgété » huit mille euro cette année afin d'y effectuer
des travaux d'embellissement pour le bien être de ce résident, lequel, il faut bien l'admettre,
n'a plus besoin de grand-chose...
Hubert Lejards : Qu'est-ce qui te prend ce matin ?
Mireille Constant : En tous cas c'est ce que doit gober le conseil départemental. Parce que les
travaux on les attend toujours, quant aux huit mille euro...
Hubert Lejards : (l'interrompt) ...Quant aux huit mille euro je t'en fais largement profiter.
L'argent du forfait d'hébergement aussi d'ailleurs. Et puis Les fringues, les voyages et tout le
reste tu n'as jamais craché dessus. C'est bien pour ça que nous sommes tous les deux dans le
même bateau non ?
Mireille Constant : (sourire) Certes.
Hubert Lejards : Et sauf avis contraire de ta part je compte bien continuer de« budgéter »
encore quelques années...
Mireille Constant : Hubert ?
Hubert Lejards : Oui ?
Mireille Constant : Tu es un génie ! (s'assoit sur ses genoux)
Texte déposé à la SACD - 16 - Version du 17 Juillet 2017
Hubert Lejards : Je sais. C'est pour ça qu'il faut rester discrets et éviter ce genre de
conversations. Ce d'autant que Jocelyne Dumerle déboule demain matin.
Mireille Constant : Jocelyne Dumerle ? L'inspectrice du conseil départemental ?
Hubert Lejards : C'est ça. Ses visites impromptues sont devenues routinières tellement elle a
confiance en moi.
Mireille Constant : Si elle savait...
Hubert Lejards : Oui mais elle ne sait pas ! Raison de plus pour rester sur nos gardes.
Mireille Constant : Moi je resterais bien sur tes genoux...
Hubert Lejards : Pas question. Entre l'inspection de Dumerle, l'arrivée de la résidente en
accueil temporaire et la prise de poste de la nouvelle éducatrice, mes genoux ne savent plus ou
donner de la tête.
Mireille Constant : A propos t'en penses quoi de cette Sandra Martineau ?
Hubert Lejards : J'en pense que j'en sais rien. Elle est pas née de la dernière pluie ça c'est
certain. Pour le reste elle a un côté un peu bizarre que je n'avais pas relevé lors du premier
entretien.
Mireille Constant : Laurence Batard va en faire son affaire.
Hubert Lejards : J'y compte bien.
Mireille Constant : Sinon faudra qu’on reparle de Vincent. Il fait de plus en plus de résistance.
Et il a une mauvaise influence sur les autres.
Hubert Lejards : Tu sais très bien que je ne peux rien contre Vincent. Son père fait partie du
conseil d'administration de l'association qui m'emploie.
Mireille Constant : Très bien. Comme tu voudras. Il est juste à la veille de me donner des
ordres et il m'humilie en permanence devant tout le monde. Mais c'est pas bien grave.
Hubert Lejards : S'il dépasse les bornes, je serai là pour le sanctionner.
Mireille Constant : Il les dépasse sans arrêt.
Hubert Lejards : Allez, sois gentille, laisse-moi travailler.
Mireille Constant : Comme si moi j'allais tricoter !
Hubert Lejards : File ! (lui ouvrant la porte)
Mireille Constant : (sortant) Merci Monsieur Lejards. Bonne journée !
Hubert Lejards : Bonne journée à vous Mireille.
Texte déposé à la SACD - 17 - Version du 17 Juillet 2017
SCENE 4
Mireille se dirige vers la sortie à jardin. Elle croise Sandra Martineau et Laurence Batard.
Laurence Batard: Tout ça pour dire que le bâtiment est divisé en quatre ailes distinctes. Tiens
bonjour Mireille. Vous allez bien ?
Mireille Constant : Bonjour Laurence. Très bien merci.
Laurence Batard: Je vous présente Sandra, la petite nouvelle !
Mireille Constant : Ah oui enchantée. Bienvenue.
Laurence Batard: Sandra, voici Mireille Constant notre infirmière référente.
Sandra: La « petite nouvelle » est ravie de vous connaître. (Elles se serrent la main)
Mireille Constant : Monsieur Lejards m'a beaucoup parlé de vous.
Sandra: Vraiment ?
Mireille Constant : Oui. Et il est certain que vous accomplirez ici un travail de grande qualité,
grâce aux directives de Laurence.
Sandra: Les directives ? Vous voulez dire les conseils, tout au plus. Ce n'est pas ma
supérieure hiérarchique.
Mireille Constant : Effectivement je vois que...
Sandra: Que ?
Mireille Constant : Que vous n'êtes pas née de la dernière pluie. A plus tard. (Elle sort)
Laurence Batard: Ah bah dis donc t'as pas froid aux yeux toi ! Tu permets qu'on se tutoie ? Ça
va simplifier nos rapports.
Sandra: Pourquoi ? Tu les trouves déjà compliqués nos rapports ?
Laurence Batard: Mais non du tout ! Bon allez, au boulot. Tiens, je te paie un café. (Elles
s'assoient à la table)
Sandra: C'est avec ton argent le café ?
Laurence Batard: (elle rit) T'as le sens de l'humour toi ! Je suis certaine qu'on va bien
s'entendre. Sucre ?
Sandra: Non merci. (Un temps) Le rythme de travail a l'air particulièrement soutenu ici j'ai
l'impression ?..
Texte déposé à la SACD - 18 - Version du 17 Juillet 2017
Laurence Batard: Pas plus que ça, mais il faut tout de même s'organiser. (Elle soupire) Et puis
regarde-moi ces deux pauvres bougres... Ça donne pas envie de se décarcasser.
Sandra: C'est une opinion. Que leur est-il arrivé ?
Laurence Batard: Pas que des bonnes choses. Notre Pierrette a été admise ici il y a vingt ans
suite à un AVC. Elle a du mal à marcher mais c'est surtout le ciboulot qu'a trinqué. Et depuis
deux-trois ans son copain Alzheimer commence à frapper à sa porte...C'est la doyenne des
résidents. Une vieille fille, sans famille. On l'aime bien mais...Y a plus rien à en tirer.
Sandra: Ah oui je vois. Et pour...
Laurence Batard: Gilbert ? En voilà un qu'a pas eu de chance dans la vie.
Sandra: Parce que les autres résidents ont eu de la chance dans leur vie ?
Laurence Batard: Non évidemment. Mais alors là...Victime d'AVC, lui aussi. Il y a environ
vingt-cinq ans. Du jour au lendemain, paf ! Tétraplégie et aphasie complète. En gros si t'aimes
mieux il bouge ni bras ni jambes et il peut plus parler.
Sandra: Oui merci j'avais compris.
Laurence Batard: Pardon. Il était marié et père d'une petite fille de trois ans. Sa femme s'en
est jamais remise. Elle s'est suicidée huit ans après l'accident. Et sa fille a été placée en famille
d'accueil, on ne sait où. Il paraît que c'était une tronche Gilbert. Jeune et brillant professeur à
la Sorbonne, Canne, Hypocanne...
Sandra: Khâgne hypokhâgne.
Laurence Batard: Oui, bref, une vie foutue. Il mange, il dort, et il regarde la télé sans rien
comprendre. On l'aime bien mais...Y a plus rien à en tirer.
Sandra: C'est très triste en effet. Pour ma part je suis persuadée qu'en les stimulant au
quotidien ils peuvent s'épanouir et progresser.
Laurence Batard: (Se met à rire) « S'épanouir et progresser ! » J'ai l'impression de m'entendre
parler il y a trente ans ! Moi aussi j'étais pleine d'espoir et de certitudes quand j'ai commencé
le boulot d'éduc. Mais tu verras avec le temps et l'expérience, tu vas déchanter.
Sandra: C'est très motivant comme discours.
Laurence Batard: Motivant ou pas, c'est mon opinion et je la partage. On les soigne au
quotidien, on leur panse quelques plaies, on colmate les brèches comme on peut, mais de là à
les faire progresser...Enfin je te laisse seule juge.
Sandra: Oui je vois ça...
Hubert Lejards sort du bureau. Le son de sa voix fait sursauter Pierrette qui s'était assoupie.
Gilbert reste impassible et regarde toujours la télé.
Texte déposé à la SACD - 19 - Version du 17 Juillet 2017
Hubert Lejards : Hé bien Mesdames, c'est déjà l'heure de la pause ?
Pierrette: Ah bah te vl'à toi.
Laurence Batard (se levant précipitamment) : Je terminais mes explications pour que Sandra
puisse s'intégrer à l'équipe Monsieur Lejards.
Hubert Lejards : Parfait. Vous pouvez donc faire votre travail et vous occuper des résidents à
présent.
Laurence Batard: Nous y courrons ! Chacun son métier et les vaches seront bien gardées !
Pierrette : Les vaches ? Quelles vaches ?
Hubert Lejards : Je file en réunion. A plus tard. (Il va pour sortir à jardin)
Laurence Batard: A plus tard Monsieur Lejards.
Sandra: Bon courage Monsieur le Directeur. (Lejards se retourne, regarde Sandra un instant,
perplexe. Puis il sort)
Laurence Batard: L'avantage avec lui c'est qu'on peut faire ce qu'on veut des résidents il en a
rien à battre. Son truc c'est la paperasse et les « public relations ».
Sandra: Là-dessus on est d'accord.
Laurence Batard: Alors Pierrette ? Bien dormi ?
Pierrette: N'importe quoi ! Je dors pas je réfléchis !
Laurence Batard: Voulez-vous faire une activité ? Bouger un peu ?
Pierrette : Ah oui ça je veux bien. Je m'encroûte ici.
Laurence Batard: Parfait, venez avec moi je vous conduis dans votre chambre. Vous pourrez
regarder la télé dans le calme. (L’aide à se lever)
Pierrette: J'ai pas déjà fait la même chose hier ?
Laurence Batard: C'est possible, je m'en rappelle plus.
Pierrette: Ah tu vois toi t'es comme moi tu perds la boule.
Laurence Batard: Sandra, je te laisse avec Gilbert. Je vais poser Pierrette dans sa chambre.
Sandra: « Poser Pierrette » ?
Laurence Batard: Ben oui la mettre devant son poste quoi. Après on pourra fumer une clope
avant la pause si tu veux ?
Texte déposé à la SACD - 20 - Version du 17 Juillet 2017
Sandra: Non merci je ne fume pas. Et ça fait beaucoup de pauses tout ça non ?
Laurence Batard: T'es nouvelle toi, ça se voit !
Sandra: Je comprends mieux maintenant...
Laurence Batard: Quoi ?
Sandra: Ni vagues ni zèle...
Laurence hausse les épaules et sort à cour avec Pierrette.
SCENE 5
Sandra s'approche de Gilbert.
Sandra: Ça vous plaît le mot le plus long ?
Gilbert acquiesce.
Sandra: C'est votre émission préférée ?
Oui de la tête.
Sandra: C'est difficile de trouver des mots hein ?
Gilbert fait non de la tête.
Sandra: Ah bon ? Vous trouvez ça facile ? (Oui de la tête. Réaction de Sandra, qui regarde la
télé, puis se tourne à nouveau vers Gilbert) Je peux jouer avec vous ? (Gilbert sourit et fait un
oui franc de la tête) Super ! (Elle sort un carnet et un crayon de sa poche, et suit le jeu à la
télé.) Attention voilà le tirage de neuf lettres ! Prêt Gilbert ? Top chrono ! (elle cherche les
mots avec Gilbert pendant le temps de réflexion, échanges de regards, de sourires) C'est fini !
Moi j'ai six lettres ! « Cibler ». Oh la vache un candidat en a huit ! C'est balaise ça hein ? Et
vous Gilbert ? Vous avez trouvé un mot ?
Gilbert fait oui de la tête.
Sandra : Oui ! De combien de lettres ? Deux ? (Non de la tête) Trois ? (Non de la tête) Quatre
lettres ? (non de la tête) Ne me dites pas que vous avez trouvé cinq lettres ? (Non de la tête)
Attendez, vous avez fait aussi bien que moi ? Six lettres ? (Non de la tête) Sept ? (Non de la
tête) Huit ? (non de la tête) Un temps. Neuf ?
Gilbert fait oui de la tête.
Sandra : Vous avez trouvé un mot de neuf lettres ? (oui de Gilbert) Un temps (à elle-même)
C'est pas possible. (à Gilbert) Hé bien euh... Bravo Gilbert ! Vous pouvez me le dévoiler ?
Oui de Gilbert
Texte déposé à la SACD - 21 - Version du 17 Juillet 2017
Fond musical.
On voit Sandra avec crayon et carnet reconstituer le mot trouvé par Gilbert en lui pointant les
lettres une par une. A chaque pointage il répond par un signe de tête négatif ou positif.
La musique prend fin.
Sandra, sidérée, regarde Gilbert, qui lui répond par un large sourire.
Sandra: Vous avez fait mieux que les candidats... Ça vous arrive souvent ?
Oui de Gilbert.
Sandra: Gilbert... J'ai très envie de faire plein de vagues et plein de zèle en votre compagnie.
Ça vous dirait ?
Oui de Gilbert.
Sandra: Alors au boulot ?
Gilbert fait oui, ils se sourient. Sandra pousse le fauteuil de Gilbert. Ils sortent à cour.
NOIR
SCENE 6
La lumière revient. Rosine et Laurence Batard aménagent l'espace façon banquet tout en
discutant : la table à cour a été préalablement poussée contre la cloison, une chaise à cour en
avant-scène devant la table. A jardin, la table basse est également poussée, une ou deux
chaises côte à côte le long de la cloison du bureau, ou vers l'avant-scène. Une grande nappe,
qui retombe jusqu'au sol, a été dressée sur la table. Gobelets en plastiques et gâteaux secs
sont apportés, ainsi que deux carafes remplies de punch et une bouteille d'eau.
Rosine: C'est bien la première fois que la direction nous demande de préparer un pot de
bienvenue pour une résidente en accueil temporaire.
Laurence: En même temps c'est la première fois que cette résidente a une sœur directrice
adjointe de l'Agence Régionale de Santé.
Rosine: Ah oui d'accord ! Je comprends mieux ! Ce pot de bienvenue c'est de la poudre aux
yeux et des paillettes ! Genre « J't'en mets plein la vue comme ça tu le répéteras à ta sœur ! »
Laurence: Exactement ! Il est malin notre Directeur.
Rosine: N'empêche qu'elle a l'air gentille cette Juliette. On a papoté tout à l'heure quand je l'ai
installée dans sa chambre.
Laurence: Attends un peu elle vient d'arriver y a pas un quart d'heure.
Rosine: Oui mais elle m'a fait bonne impression. Elle m'a paru bien triste par contre. J'espère
Texte déposé à la SACD - 22 - Version du 17 Juillet 2017
que son séjour va lui changer les idées.
Laurence: Mouais... Ou pas ! En plus y a des chauds lapins qui vont pas manquer de lui
tourner autour. Va falloir ouvrir l’œil.
Rosine: Bah je vois pas de mal à ça...
Laurence: Tu connais la politique de la direction : pas d'histoires de fesses dans
l'établissement. Lejards dit qu'on n'est pas une agence matrimoniale.
Rosine: Moi je suis pas d'accord. Les résidents ont bien le droit d'avoir une vie affective non ?
Laurence: Le droit ou pas on a des consignes. En même temps c'est pas plus mal. Ça évite les
crises de jalousie et les conflits. Ça de moins à gérer.
Rosine: Ça me choque ce que tu dis.
Laurence: Allez détends-toi ! Regarde ce magnifique punch qui va nous permettre de picoler
avec eux !
Rosine: Oui mais c'est toujours compliqué. Les résidents et l'alcool ça fait pas bon ménage.
Laurence: Justement c'est pas compliqué ils n'ont droit qu'à un verre chacun.
Rosine: Oui sauf pour Vincent qui a droit à rien du tout.
Laurence: On n’y peut rien c'est comme ça. Quand il s'alcoolise il devient violent. Tu te
rappelles de ce qu'il a fait de la vitre de l'entrée principale il y a trois mois ? En miettes ! Et
tout ça parce qu'il était rond comme une queue de pelle. Depuis, Lejards et Mireille ont
décrété zéro alcool pour Vincent jusqu'à nouvel ordre.
Rosine: Ça promet. S'il se sent lésé par rapport aux autres ça va être encore pire.
Laurence: De toutes façons il boit en cachette alors...
Rosine: Ben alors ça sert à quoi de lui interdire ??
Entrée de Gilbert poussé par Sandra.
Sandra: J'en connais un très impatient de fêter l'arrivée de notre nouvelle pensionnaire. N'est-
ce pas Gilbert ? (signe de tête de Gilbert)
Laurence: Ben t'en as mis un temps !
Sandra: Comment ça ?
Laurence: Ben un petit coup de main de ta part ça nous aurait pas fait de mal.
Sandra: Désolée, j'ai commencé un travail avec Gilbert. (Installe Gilbert à jardin, fauteuil
face au banquet)
Texte déposé à la SACD - 23 - Version du 17 Juillet 2017
Laurence: T'as « commencé un travail avec Gilbert ?! » Elle est bien bonne celle-là.
Commence déjà par faire ton travail en préparant la salle avec nous.
Sandra: Je viens précisément de faire mon travail. C'est-à-dire celui d'éducatrice spécialisée.
Laurence: Et moi tu crois que je fais du tricot ??
Entrée à jardin de Mireille Constant.
Mireille Constant: Hé bien Mesdames que se passe-t-il ? Vous feriez mieux de vous occuper
des résidents au lieu de vous chamailler. Rosine, avez-vous rappelé à l'équipe éducative la
consigne concernant l'alcool ?
Rosine: Oui Madame Constant. On vient d'en parler avec Laurence.
Sandra: Moi je ne suis pas au courant.
Mireille Constant: Dites-moi que ce n'est pas vrai ! Rosine, décidément, on ne peut rien vous
demander. Il faut toujours passer derrière vous.
Rosine: Justement j'allais en toucher mot à Sandra.
Mireille Constant: « J'allais en toucher mot... » Ben voyons ! Allez donc chercher Pierrette.
Comme ça vous vous rendrez utile.
Rosine: Très bien j'y vais tout de suite. (Elle sort)
Mireille Constant: Donc juste pour vous prévenir, Madame Martineau...
Sandra: Mademoiselle.
Mireille Constant: ...Pour vous prévenir qu'un seul verre de punch par résident est autorisé. Et
pour Vincent, boisson non alcoolisée de rigueur.
Sandra: C'est une prescription médicale ? Avec leur consentement ?
Mireille Constant: Ni l'un ni l'autre. C'est une consigne à appliquer avec fermeté.
Sandra: Dans ce cas ça s'appelle un ordre.
Mireille Constant: Comme vous voudrez.
Sandra: Un ordre donc. Que vous approuvez ?
Mireille Constant: La question n'est pas là.
Sandra: Si, elle est là.
Mireille Constant: Je vous trouve bien insolente.
Texte déposé à la SACD - 24 - Version du 17 Juillet 2017
Sandra: L'insolence est un manque de respect. On s'en rapproche mais on en est encore loin.
Laurence: Bon moi je vais sonner le rassemblement. (Elle sort à jardin)
Mireille Constant: Je n'ai pas d'ordre à vous donner, Madame Martineau, mais vous pourriez
en faire de même. (Elle sort à cour)
Sandra: (se rapproche de Gilbert) C'est pas gagné hein ? (signe négatif de Gilbert) Bon,
soyez sage. Vous avez besoin de quelque chose ? (Gilbert hoche la tête en fixant Sandra,
comme pour lui dire « j'ai besoin de vous.» Sandra sourit.) Message reçu. A tout de suite.
(Elle sort à jardin)
SCENE 7
Gilbert se retrouve seul sur scène. Ou presque. De sous la nappe, on voit apparaître une
canne puis un bras. Vincent sort de sa cachette. Il met son index valide devant sa bouche en
regardant Gilbert. Puis il se sert un verre de punch, qu'il boit cul sec. Gilbert se met à rire.
Vincent entend des pas et se cache devant le buffet en avant-scène. Entrée de Mireille
Constant à cour, qui s'approche de Gilbert. Durant la réplique de Mireille qui suit, Vincent se
sert un deuxième verre de punch, et, tout en buvant, fait des singeries dans le dos de Mireille
sans qu'elle s'en aperçoive. Ensuite il verse un peu de la carafe pleine dans celle qui a été
vidée pour équilibrer les deux niveaux. Puis il sort à cour, en faisant un bras d'honneur en
direction de Mireille, avant qu'elle ne se retourne pour quitter la scène, sans l'avoir vu ni
entendu.
Mireille Constant: Hé bien mon bon Gilbert ? Que se passe-t-il ? On vous a laissé tout seul ?
Vous m'avez l'air bien gai dites donc. Qu'est-ce qui vous fait rire comme ça ? C'est l'arrivée de
Juliette qui vous rend si heureux ? En tous cas vous faites plaisir à voir ! On dirait un vrai
gamin. Il va falloir vous ressaisir car cette fameuse Juliette va bientôt arriver ! Et tous les
autres aussi ! D'accord ? Allez, il faut vous calmer maintenant. Gilbert ! Ça suffit ! Je vais
vous donner un sédatif si vous continuez ! Gilbert ! Houhou ? Gilbert ! Bon très bien. Vous
l'aurez voulu. Je vais chercher un comprimé ça va vous faire dormir. (Elle sort à jardin.)
Entrée simultanée d'Alexandre, suivi de Pierrette soutenue par Rosine, à cour.
Alexandre (en klaxonnant) : Youhou ! Poussez-vous c'est moi que v'là ! J'suis excité comme
une puce à la veille d'une exposition canine ! Une nouvelle meuf dans notre foyer pendant
trois mois ! En essai provisoire !
Rosine : En accueil temporaire...
Alexandre : Oui ben ça revient en même ! J'ai hâte de voir à quoi elle ressemble. Je te
préviens Gilbert si elle est mignonne tu laisses tomber c'est pour moi. Et ce sera pas la peine
de faire des pieds et des mains ! (rire forcé)
Pierrette : Moi je vais lui dire à la petite nouvelle hein ! Pas question qu'elle décide des
programmes télé. Honneur aux anciens et un peu de respect. Parfaitement, un peu de respect !
Rosine : Ne vous inquiétez pas Pierrette. Où voulez-vous que je vous installe ?
Texte déposé à la SACD - 25 - Version du 17 Juillet 2017
Pierrette : Là ce sera très bien. Comme ça je pourrai m'empiffrer de gâteaux en buvant mon
verre de pounche.
Rosine : De punch ! Ça se prononce « punch » (Elle installe Pierrette sur une chaise à cour
en avant-scène devant le buffet)
Pierrette : Bah oui de pounche, c'est ce que j'ai dit. J'suis pas neuneu tout de même. Hé
Rosine tu t'éloignes pas trop hein. Parce que le pounche ça me fait pisser et si j'ai besoin de
faire mes besoins je risque d'avoir besoin.
Rosine : Ne vous inquiétez pas je vous surveille.
Alexandre : Moi je me gare là. Y a pas de parcmètre. (Il se place à jardin, vers l'avant-scène)
Et voilà. Aux premières loges pour voir la bête rentrer dans l'arène.
Entrée de Laurence Batard à jardin, ramenant une bouteille de jus d'orange.
Laurence : C'est de moi que tu parles Alexandre ?
Alexandre : Mais non ! Je parlais de Juliette : Alors elle arrive quand ?
Laurence : Très bientôt. Il va falloir être poli et accueillant.
Alexandre : Moi toujours ! Surtout quand c'est une femme !
Laurence : Oui ben justement parlons-en. Vas-y doucement à la manœuvre.
Alexandre : T'inquiète je gère.
Laurence : Rosine j'ai ramené du jus d'orange. Vincent ne sera peut-être pas le seul à en boire.
Rosine : Très bonne idée. C'est toujours mieux que de l'eau quand on ne boit pas d'alcool.
Sandra : (Entrant à jardin) Est-ce qu'il manque quelque chose ?
Laurence : Non tu vois quand tu arrives tout est déjà prêt, ça devient une habitude.
Alexandre : Tiens encore une nouvelle.
Laurence : Alexandre je te présente Sandra, la nouvelle éducatrice.
Alexandre : Vous aussi vous êtes en accueil temporaire ?
Sandra : Non, à l'essai pendant deux mois.
Alexandre : Faudrait savoir ! J'y comprends rien à vos accueils et vos essais.
Sandra : Enchantée Alexandre.
Texte déposé à la SACD - 26 - Version du 17 Juillet 2017
Alexandre : Enchanté. Vous avez l'air sympa.
Sandra : C'est gentil.
Entrée de Lejards à jardin.
Lejards : Votre attention s'il vous plaît. Tout le monde est là ?
Rosine : Il manque juste Vincent, il est prévenu et ne devrait pas tarder.
Lejards : Toujours à la traîne celui-là. Tant pis commençons. Bien. Madame Constant et moi-
même sommes très heureux de vous présenter notre nouvelle pensionnaire en accueil...
Alexandre : (le coupant)...temporaire !
Lejards : Exactement. En accueil temporaire pour une durée de...
Alexandre : De trois mois !
Lejards : De trois mois parfaitement. Je compte sur vous tous, résidents et professionnels,
pour que ce séjour..
Alexandre : Provisoire !
Lejards : ...ce séjour provisoire, si vous voulez, se passe le mieux possible. Entrez Juliette,
nous vous souhaitons la bienvenue parmi nous. (Commence à applaudir)
Entrée de Juliette en fauteuil roulant, poussée par Mireille Constant, à jardin. Leur
apparition déclenche des applaudissements collégiaux.
Mireille : Et voilà. J'espère que vous vous plairez ici.
Juliette : Merci beaucoup. Bonjour.
Tous : Bonjour Juliette.
Pierrette : C'est pas trop tôt. J'ai soif moi.
Juliette : Je voulais pas vous faire attendre. Je suis désolée.
Lejards : Ne soyez pas désolée, nous sommes ravis de vous avoir ici. Voilà, je vous laisse
entre les mains de l'équipe éducative et vous laisse profiter du pot de bienvenue avec les
autres résidents.
Juliette : Il faut pas faire tout ça pour moi.
Mireille : Je file également. Profitez-bien, à tout à l'heure. Les filles, n'oubliez pas la
consigne.
(Mireille et Lejards vont pour sortir. Entrée à cour de Vincent.)
Texte déposé à la SACD - 27 - Version du 17 Juillet 2017
Vincent : Quelle consigne ?
Mireille : Allons ne faîtes pas l'innocent. Vous le savez très bien.
Vincent : Non je sais rien du tout. (Il lève les bras pour leur faire peur. Ils reculent tous les
deux.)
Laurence : Voilà voilà. Tout va bien se passer. Merci Mireille, je gère la situation. (Mireille et
Lejards sortent à jardin) Approchez Vincent, j'ai quelqu'un à vous présenter.
Vincent : Ah ouais ?
Laurence : Et voilà Juliette.
Vincent : Bonjour Juliette. Tu bois un coup avec moi ?
Juliette : Oui je veux bien.
Alexandre : Oh là doucement moi aussi je me présente : je m'appelle Alexandre et moi aussi je
boirais bien un coup avec toi.
Pierrette : Moi c'est Pierrette. Faut que je te cause en rapport avec la télé. Mais d'abord on va
siffler le pounche.
Laurence : Allons allons. Un peu de tenue messieurs dames. Nous allons tous boire un coup.
Pendant que nous faisons le service, Juliette va nous parler un peu d'elle.
Juliette : Bonjour je m'appelle Juliette...Je viens d'Aveyron, de Rodez. Je voudrais pas vous
déranger...Je suis très contente d'être là... (Elle se met à pleurer)
Laurence : Ah non ! On n'est pas là pour vous voir pleurer ! Allez on boit un coup. Punch ?
Jus d'orange ?
Juliette : Un petit verre de punch merci.
Alexandre : Moi aussi !
Vincent : Moi aussi !
Pierrette : Ah ben moi aussi puisque c'est comme ça!
(Rosine sert un verre à Juliette, puis se dirige vers Gilbert avec un verre de punch et une
paille. Elle s'assoit près de lui. Sandra va servir Pierrette. Laurence prend la bouteille de jus
d'orange et sert Vincent)
Laurence : Ce sera jus d'orange pour vous Vincent. Et pas de scandale.
Vincent : C'est ça, pas de scandale. (Il prend le verre et se dirige à cour en bout de table près
de Pierrette)
Texte déposé à la SACD - 28 - Version du 17 Juillet 2017
Sandra : Je vous pose votre verre de punch à côté de vous Pierrette, vous ferez attention.
Pierrette : Merci ma mignonne. Donne-moi un petit gâteau. Merci. (Elle mange son gâteau en
baissant la tête)
Laurence : Et un punch pour Alexandre, un! (Elle va servir Alexandre à jardin)
Alexandre : Merci Madame Lolo !
Dans le dos de Laurence, et profitant de l'occupation de Rosine avec Gilbert, Vincent
s'approche du verre de Pierrette, et le remplace par le sien. Il s'empare du verre de punch.
Seule Sandra remarque son manège.
Vincent : C'est très gentil à vous pour le jus d'orange. J'adore le jus d'orange. Je kiffe le jus
d'orange. En plus on peut le boire cul sec, le jus d'orange. Comme ça. (Il boit son verre cul
sec)
Laurence : (allant servir Rosine auprès de Gilbert) Arrêtez donc de faire le malin. Vous seriez
capable de faire la même chose avec un verre de punch.
Vincent : Qui sait.
Laurence : Bien. Tout le monde est servi ? On peut trinquer ?
Sandra : (attirant l'attention de Vincent) Je crois que tout le monde a été bien servi,
effectivement.
Laurence : Alors à la santé de Juliette !
Sandra : Bienvenue à Juliette !
Juliette : Merci à tout le monde. Vous êtes très gentil.
Pierrette : Moi je trouve que le pounche il est plus léger que d'habitude. Ça sent moins le
roume.
Rosine : Le rhum Pierrette, le rhum.
Pierrette : C'est ce que je dis, le roume.
Vincent : Moi c'est le jus d'orange qui me perturbe. Je trouve qu'il a...du punch. J'en reprendrai
bien un verre.
Sandra : Un verre de quoi, cette fois ?
Vincent : T'as de l'humour toi. Tu commences à me plaire.
Laurence : Voilà vous connaissez tout le monde Juliette.
Texte déposé à la SACD - 29 - Version du 17 Juillet 2017
Sandra : Pas tout à fait. Il ne faudrait pas oublier Gilbert.
Laurence : Ah oui bien sûr Gilbert. Il ne parle pas alors vous comprenez... Gilbert, voici
Juliette. Juliette, Gilbert.
Gilbert sourit à Juliette.
Juliette : Bonjour Gilbert. Contente de faire votre connaissance.
Laurence : Voilà, affaire classée.
Sandra : (à Laurence) Attends une seconde. Pas complètement.
Gilbert regarde Sandra avec insistance, puis sourit à Juliette.
Sandra : Gilbert vous souhaite la bienvenue parmi nous. Il espère que vous passerez un bon
séjour et qu'il aura l'occasion d'échanger avec vous. Et il nous remercie de l'avoir laissé
s'exprimer. (à Gilbert) C'est bien ça ? (réponse positive de Gilbert)
Juliette : Merci vous êtes trop gentils avec moi.
Pierrette : Rosine y a mes besoins qui se font sentir.
Rosine : J'arrive Pierrette.
Pierrette : Oui parce que le lac est en train de forcer le barrage, là.
Rosine : Tenez bon ! Laurence tu me relaies ?
Laurence : Pas de souci je gère.
Rosine aide Pierrette à se lever, puis l'accompagne sortie cour.
Pierrette : Oh là là ! Il est traître votre pounche ! Il saoule pas mais il donne envie d'aller aux
pissotières.
Rosine : Vous allez vous reposer un peu après le passage aux toilettes.
Pierrette : Oui mais pour les toilettes je crois bien que c'est plus la peine.
Rosine : Oh non ! Pourquoi vous ne m'avez pas prévenue plus tôt ?
Pierrette : Bah J'avais la tête plongée dans le pounche et les gâteaux.
Rosine : Pierrette vous êtes impossible !
Sortie à cour de Rosine et Pierrette. Entrée à jardin de Marcel, énervé.
Marcel : Ça se passera pas comme ça c'est moi qui vous le dis.
Texte déposé à la SACD - 30 - Version du 17 Juillet 2017
Laurence : Ah tiens salut Marcel. Je te présente Juliette qui...
Marcel : (enchaînant) Un panier de basket tout neuf ! Complètement tordu ! Vrillé, foutu ! Et
qu'on vienne pas me dire que c'est à cause du vent !
Sandra : Bonjour. Moi c'est Sandra. Vous voulez un verre de...
Marcel : (enchaînant encore, et s'adressant à Alexandre et Vincent) Alors les comiques de
l'aile A ? Qui doit-on remercier pour avoir détruit les installations du bâtiment ? Vous n'avez
pas une petite idée ?
Alexandre : Non moi je vois pas.
Vincent : Moi j'ai une idée. Je te raconte ça autour d'un verre de punch ?
Marcel : Vous trouvez ça drôle ? Vous croyez que j'ai que ça à faire ?
Alexandre : Allez Marcel. Fais pas la gueule !
Vincent : Tiens puisque c'est toi, je m'excuse.
Marcel : Ah bravo ! C'est toi qu'a fait le coup j'aurais dû m'en douter.
Juliette : Vous voulez un verre de punch ? Pour boire à ma santé ?
Marcel : (surpris) Bonjour. A qui ai-je l'honneur ?
Juliette : Je m'appelle Juliette.
Laurence : (à Marcel) Comme je te l'ai dit y a pas deux minutes.
Marcel : Ah bon ? J'ai rien entendu. Bienvenue Juliette. Désolé pour l'accueil un peu froid,
j'étais sorti de mes gonds.
Sandra : Tenez, buvez un coup.
Marcel : Merci. Vous êtes ?
Sandra : Moi je m'appelle Sandra, comme je vous l'ai dit y a pas deux minutes.
Marcel : Ah oui la nouvelle éduc ? Ben dites-moi, ça en fait du nouveau monde. Alors à la
bonne vôtre !
Juliette : A la vôtre Marcel.
Marcel : Ah non moi on me tutoie. D'accord Juliette ?
Juliette : D'accord Marcel. A ta santé alors.
Alexandre : Hé dis donc ! Faudra qu'on se voie pour que tu me règles mon fauteuil de
Texte déposé à la SACD - 31 - Version du 17 Juillet 2017
compète ! Je fais le raid handisport Orléans-Tours dans deux mois.
Marcel : Orléans-Tours ? Et pourquoi pas Paris-Tokyo ? Tu vas y laisser ta peau un de ces
quatre.
Alexandre : Je m'en fiche ! Y a que ça qui m'intéresse ! Et t'es le meilleur régleur que je
connaisse.
Marcel : C'est parce que t'en as pas connu d'autres.
Alexandre : Allez sois pas modeste !
Vincent : Hé Marcel ? On va la fumer cette clope ?
Marcel : Tu crois que tu le mérites ?
Vincent : Un peu ouais. Des mecs comme moi t'en rencontreras pas tous les jours.
Marcel : Oui ben il va pas falloir me la faire aux sentiments hein ! Vous allez finir par me
faire tourner en bourrique. Bon cette clope c'est pour aujourd'hui ou pour demain ?
Vincent : Pour hier !
Marcel : T'as de la chance que je t'aime bien toi.
Vincent : Tu l'as déjà dit. Moi aussi je t'aime bien.
Marcel : Bon on va pas se rouler un patin non plus. Allez dépêche-toi de boiter, j'ai du boulot.
(Vincent et Marcel sortent à jardin)
Juliette : Je voudrais aller me reposer dans ma chambre. Je me sens un peu fatiguée.
Sandra : Ça ne m'étonne pas. Je vous raccompagne ?
Alexandre : Non non je vais le faire ! Tu veux bien Juliette hein ?
Juliette : Oui bien sûr. C'est très gentil.
Alexandre : Gentil mais pas que ! Je suis aussi beau, intelligent, cultivé, drôle, modeste...et
paraplégique. Que des qualités en somme !
Juliette : Arrête tu vas me faire rire.
Alexandre : J'espère bien !
Juliette : C'est rare qu'on me fasse rire. Surtout par les temps qui courent.
Alexandre : En ce qui nous concerne on devrait plutôt dire les temps qui roulent !
Texte déposé à la SACD - 32 - Version du 17 Juillet 2017
(Ils sortent tous les deux à jardin)
Laurence : En voilà un qui perd pas de temps.
Sandra : Il a bien raison.
Laurence : Sinon tu as vu comment je te l'ai géré Vincent ? Je lui ai dit pas d'alcool une
bonne fois pour toutes. Et il a pas bronché.
Sandra : Oui c'est sûr. Tu m'as beaucoup impressionnée...
Laurence : Il suffit d'être ferme et on en fait ce qu'on en veut. Il est pas si dur à balader.
Sandra : Moi je crois plutôt que c'est lui qui nous balade.
Laurence : Je vois pas ce que tu veux dire...
Sandra : T'as qu'à demander à Gilbert ; je suis sûre que lui aussi il a tout vu.
Sandra sort à jardin. Laurence, perplexe, regarde Gilbert, qui acquiesce. Elle tourne le
fauteuil de Gilbert en direction de la télé, allume la télécommande, puis débarrasse le
banquet.
SCENE 8
Entrée à jardin de Lejards et Jocelyne Dumerle.
Lejards : C'est toujours un plaisir de vous accueillir dans nos murs, Madame l'inspectrice.
Jocelyne Dumerle : C'est curieux, tous les Directeurs d'établissements me répètent cette même
formule de politesse. Je vais finir par croire que je suis particulièrement sympathique.
Lejards : (rire forcé) Mais vous pouvez le croire ! Veuillez nous excuser pour le désordre,
nous venons de fêter l'arrivée d'une nouvelle pensionnaire.
Jocelyne Dumerle : Oh mais je vois que vous avez toujours cette fibre de la convivialité et de
la bientraitance. Un point très positif que je ne manque d'ailleurs pas de préciser à chacune de
mes visites.
Lejards : Merci beaucoup, mais vous savez je ne fais que mon devoir de Directeur. Bien,
entrons dans mon bureau, nous serons plus tranquilles. Par ici, vous connaissez le chemin !
Ils entrent dans le bureau. Pendant la discussion, Laurence continuera de débarrasser le
banquet. Elle déposera un des pichets de punch sur la desserte en fond de scène. Rosine
viendra lui donner un coup de main pour repositionner la table et les chaises à leurs endroits
d'origine, puis elles ressortiront toutes les deux à jardin en laissant la desserte.
Jocelyne Dumerle : Ah ce fameux bureau. Rien n'a bougé ! J'ai l'impression d'être venue hier.
Lejards : C'était tout de même il y a quelques mois. Je vous en prie, prenez ma place.
Texte déposé à la SACD - 33 - Version du 17 Juillet 2017
Jocelyne Dumerle : Merci bien.
Lejards : Prendrez-vous un café ? Un thé ?
Jocelyne Dumerle : Un café et un demi-sucre avec un nuage de lait, merci.
Lejards : Parfait. Je vous prie de m'excuser un instant. (Il ressort du bureau, en refermant la
porte derrière lui) Rosine, apportez-nous deux cafés dont un avec un demi sucre et un nuage
de lait je vous prie.
Rosine : Tout de suite Monsieur Lejards.
Lejards : Et prenez bien du cent pour cent Arabica hein. Pas celui qu'on donne aux résidents.
Rosine : Mais je ne donne rien d'autre aux résidents que du cent pour cent Arabica.
Lejards : Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Vous savez combien ça nous coûte ? Bon on
en reparlera plus tard, dépêchez-vous. Et puis coupez-moi ce son ! (Il saisit la télécommande
et coupe le son ; Gilbert grogne)(à Gilbert) Et vous ne me faîtes pas croire que vous avez
besoin d'entendre ! C'est comme ça et pas autrement. Compris ? (Il retourne dans le bureau ;
Rosine va consoler Gilbert et sort à cour)
Lejards : (en reprenant un ton mielleux) Pardonnez-moi, je demandais à un résident s'il
voulait bien baisser un peu le son de la télé pendant notre conversation. Il a eu la gentillesse
d'accepter.
Jocelyne Dumerle : Vous êtes toujours aussi prévenant.
Lejards : On ne se refait pas. Le café est en route.
Jocelyne Dumerle : Parfait. Parlons un peu de ce budget si vous voulez bien. Pourrais-je
revoir votre dernier bilan ?
Lejards : Bien sûr. Tenez. Tout y est. (Il lui donne un grand classeur)
Jocelyne Dumerle : Merci. Avez-vous rencontré des difficultés pour équilibrer vos dépenses ?
Lejards : Aucune Madame Dumerle.
Jocelyne Dumerle : Le Conseil Départemental vous donnerait-il trop d'argent ?
Lejards : Oh que non ! Mais vous connaissez mon sens de la rigueur.
Jocelyne Dumerle : C'est bien pour ça que je vous fais confiance, Lejards.
Lejards : C'est très aimable à vous Madame la...
Jocelyne Dumerle : (le coupant) Mais cette confiance n'est pas aveugle, cela va sans dire.
Lejards : Cela va sans dire.
Texte déposé à la SACD - 34 - Version du 17 Juillet 2017
Jocelyne Dumerle : (se plongeant dans le classeur) Alors voyons. Qu'avions-nous de spécial
pour cette année. Ah oui. Nous avions budgété un véhicule de transport handicapés pour
vingt-cinq mille euro, la réfection de la toiture de l'aile C pour vingt-huit mille euro. Tout cela
a bien été effectué ?
Lejards : Les travaux de toiture ont été finalisés il y a tout juste quinze jour. Quant au
véhicule, il a été livré il y a deux mois. Un grand plus pour le confort des résidents, mais
également pour les professionnels.
Jocelyne Dumerle : Parfait tout cela. Vous m'en voyez ravie. J'ai effectivement remarqué ce
véhicule flambant neuf en arrivant, tout comme cette belle ardoise recouvrant le bâtiment côté
Nord.
Lejards : Dîtes-moi vous avez l’œil !
Jocelyne Dumerle : C'est précisément mon travail. (Continuant à nouveau sa lecture) A ce
propos, je vois également une trace de remplacement d'une porte vitrée à hauteur de mille huit
cents euro il y a deux mois...Sauf erreur cela n'avait pas été budgété ?
Lejards : Non euh...effectivement. C'est un...un camion de livraisons qui a reculé
accidentellement dans la porte de l'entrée principale. Mais c'est l'assurance qui a pris en
charge.
Jocelyne Dumerle : Parfait. Enfin je veux dire me voilà rassurée s'il n'y a pas eu de blessés.
Lejards : Aucun.
Jocelyne Dumerle : Nous avons également des travaux d'embellissement d'une chambre de
résident dans l'aile B pour huit mille euro.
Lejards : (faussement sûr de lui) Absolument. Nous l'avions évoqué ensemble.
Jocelyne Dumerle : Oui je me rappelle. Et donc ?
Lejards : Il était grand temps. Le papier peint se décollait, des moisissures attaquaient le
placo...
Jocelyne Dumerle : Je voulais dire : les travaux ont-ils été effectués ?
Lejards : Bien entendu.
Jocelyne Dumerle : Vous avez les justificatifs ?
Lejards : Hé bien...
(À ce moment précis, Rosine frappe à la porte)
Lejards : Entrez !
Texte déposé à la SACD - 35 - Version du 17 Juillet 2017
Rosine : (entrant avec un petit plateau et les deux tasses de café) Et voilà les deux cafés. Le
nuage de lait c'est pour Madame ?
Jocelyne Dumerle : Tout à fait. Vous êtes bien aimable, merci beaucoup.
Rosine : De rien. Par contre Monsieur Lejards je suis désolée mais nous sommes en rupture de
stock du cent pour cent Arabica que vous buvez d'habitude. J'ai dû prendre le café tout simple,
celui des résidents. Vous savez celui qui...
Lejards : (la coupant) C'est parfait Rosine. Celui-ci fait parfaitement l'affaire. Vous pouvez
nous laisser maintenant.
Rosine : Très bien. Merci. (Elle sort et referme la porte)
Jocelyne Dumerle : Qu'a-t-elle voulu dire par : « le café tout simple, celui des résidents » ?
Lejards : (hésitant) Hé bien... Les résidents préfèrent à l'unanimité le café moins corsé. Ils le
digèrent mieux. Pour leur bien-être nous leur proposons donc ce produit d'un excellent rapport
qualité-prix. Vous allez d'ailleurs m'en dire des nouvelles.
Jocelyne Dumerle : Alors voyons cela. (Goûtant le café, et faisant la grimace) Qu'est-ce que
c'est que ce café ?
Lejards : Vous n'aimez pas ?
Jocelyne Dumerle : Vos pensionnaires arrivent à avaler ce truc-là ?
Lejards : Oui et ils en redemandent alors...
Jocelyne Dumerle : Ah oui mais là c'est à la limite de l'imbuvable. Vous ne trouvez pas ?
Lejards : (goûtant à son tour, et toussant) Oui, il accroche peut-être un peu, mais que voulez-
vous, les résidents sont les rois !
Jocelyne Dumerle : Oui je vous sais très attaché à cette notion de droits des usagers et je vous
en félicite. Mais concernant ce café, quel esprit de sacrifice !
Lejards : Merci Madame Dumerle, merci.
Jocelyne Dumerle : N'en parlons plus. A propos de café, je vais vous dévoiler un grand secret,
mais cela doit rester strictement entre nous.
Lejards : Je suis une tombe !
Jocelyne Dumerle : Un petit carré de chocolat de qualité, avec au moins quatre-vingt pour
cents de cacao, trempé dans le café : voilà mon pêché mignon.
Lejards : Ah oui ! Vous m'en direz tant !
Jocelyne Dumerle : Mais motus hein ! Je vous l'ai dit, ça reste entre vous et moi.
Texte déposé à la SACD - 36 - Version du 17 Juillet 2017
Lejards : Vous pouvez compter sur moi.
Jocelyne Dumerle : Bien, où en étions-nous ?
Lejards : Eh bien, je ne sais plus. Moi aussi, je perds le fil. Le café, le chocolat, la tombe...
Jocelyne Dumerle : Oui nous nous sommes égarés, il faut bien l'avouer.
Lejards : Vous désirez peut-être que nous creusions d'avantage cette histoire de budgets ?
Jocelyne Dumerle : (refermant le classeur) Non pensez-vous. Je vois que tout est parfaitement
clair. Je vais vous dire une chose : celui qui réussira à me la jouer à l'entourloupe n'est pas
encore inscrit au registre des naissances.
Lejards : Alors là je confirme, Madame l'inspectrice !
Jocelyne Dumerle : Je change de sujet...Êtes-vous confrontés à des problèmes d'alcool dans
l’établissement ?
Lejards : Pourquoi me posez-vous cette question ?
Jocelyne Dumerle : C'est juste à titre informatif. Beaucoup de vos collègues directeurs ont
bien du mal à éradiquer ce fléau.
Entrée de Vincent, à cour, il repère la carafe de punch.
Lejards : C'est parce qu'ils ne savent pas s'y prendre, voilà tout. Ici, les résidents sont
surveillés par des professionnels vigilants. Il n'y a aucun débordement.
Vincent s'empare de la carafe et boit.
Jocelyne Dumerle : Mais comment faites-vous pour éviter les débordements sans les
interdire ? Car vous savez comme moi qu'interdire est considéré comme de la maltraitance !
Lejards : Ça, c'est mon secret ! Mais croyez-moi, l'alcoolisation sauvage est un phénomène
qui n'est pas prêt de franchir le seuil de cet établissement.
Vincent prend une deuxième gorgée et pose la carafe. Il sort son paquet de cigarettes.
Jocelyne Dumerle : Alors là chapeau ! Et vous contrôlez toutes les addictions ?
Lejards : Tout à fait. Les résidents ont compris qu'il est dangereux de fumer, qui plus est à
l'intérieur de l'établissement. Résultat : ceux qui veulent fumer le font toujours dehors.
Vincent allume sa cigarette et fume.
Jocelyne Dumerle : Je vois que je n'ai plus grand chose à vous apprendre. Continuez ainsi et
les subventions vont pleuvoir !
Texte déposé à la SACD - 37 - Version du 17 Juillet 2017
Lejards : Justement, j'aurai quelques requêtes pour l'année prochaine. Je vais préparer tout
cela noir sur blanc pour vous les soumettre.
Vincent s'approche de Gilbert et lui tend sa cigarette. Gilbert fait oui de la tête. Vincent lui
place sa cigarette dans la bouche. Gilbert tire une ou deux fois. Vincent reprend la cigarette,
tire une fois et la remet au coin des lèvres de Gilbert.
Jocelyne Dumerle : (se lève) Parfait ! Ça me donnera l'occasion de repasser vous voir très
prochainement. Et à l'improviste ou presque, comme d'habitude.
Vincent entend du bruit dans le bureau et sort à jardin.
Lejards : (emboîtant le pas) Bien sûr ! Vous pouvez repasser quand vous voulez !
Jocelyne Dumerle : C'est exactement ce que je fais. (Elle ouvre la porte et sort. Lejards la
suit.) Mais qu'est-ce-que c'est que cette odeur ? Et cette fumée ? Ne serait-ce pas... (Voit
Gilbert la cigarette à la bouche) Ah oui je vois. Laisser sans surveillance un résident
tétraplégique avec la cigarette au bec à l'intérieur de l'établissement illustre parfaitement votre
discours, Monsieur Lejards.
Lejards : (débarrassant Gilbert de sa cigarette) Mais Madame Dumerle, je vous assure qu'il
doit y avoir méprise. Je ne comprends pas comment...
Jocelyne Dumerle : (le coupant ; ton autoritaire et ironique) Comment cette cigarette est
arrivée là, je vous l'accorde. Les esprits, sûrement. Je vais néanmoins être obligée de
mentionner la présence de ces « esprits » dans votre établissement Monsieur Lejards. A très
bientôt. (Elle sort à jardin)
Lejards : Oui à... à bientôt Madame l'inspectrice. (Il s'approche de Gilbert) Vous, pas un mot
et pas un geste. Comme d'habitude en somme. Compris ? (Il sort à jardin, furieux.)
Laurence revient à cour. Elle saisit la carafe et la regarde, perplexe. Elle la repose et repart
avec la desserte. NOIR.
SCENE 9
Quand la lumière revient, Juliette est seule en scène, côté cour, dans son fauteuil. Elle boit un
café et lit un magazine posé sur la table. Entrée d'Alexandre à cour. Démonstration habituelle
de klaxon, figures de style et manipulations de son fauteuil roulant.
Alexandre : Attention Mesdames et Messieurs c'est moi que v'là ! Admirez le grand
Alexandre, le roi du klaxon, le prince de l'humour, le maestro du fauteuil roulant ! Bonjour
Mademoiselle l'Aveyronnaise ! Comment allons-nous ce matin, charmante Rodézienne ?
Juliette : Bonjour. On dit pas Rodézienne.
Alexandre : Oh quelle erreur ! Bien sûr où avais-je la tête ! Charmante Rodézoise !
Juliette : (sourire) Encore perdu. On dit Ruthénoise.
Texte déposé à la SACD - 38 - Version du 17 Juillet 2017
Alexandre : Ruthénoise ? C'est une race de chiens ça non ?
Juliette : Non, c'est bien une habitante de Rodez.
Alexandre : Tu m'en apprends une belle ! Enfin bref, bonjour quand même.
Juliette : Rebonjour.
Alexandre : Je te dérange ? Je peux repasser dans trente secondes si tu préfères.
Juliette : Non non ça va aller.
Alexandre : Ça va aller ?! Quelle incitation au dialogue ! Ça fait plaisir !
Juliette : C'est pas ce que je voulais dire.
Alexandre : Mais tu l'as dit ! Tu lis quoi ?
Juliette : Un magazine.
Alexandre : Un magazine de ?
Juliette : De moto.
Alexandre : De moto ? J'y crois pas. T'aimes la moto ?
Juliette : C'était ma passion avant mon accident.
Alexandre : Génial ! Moi aussi je suis un fana de motos ! Dans le temps je claquais tout mon
pognon là-dedans. J'en avais trois !
Juliette : Tu as arrêté d'en faire à quel moment, exactement ?
Alexandre : Au moment précis où j'ai fait une sortie de route dans un virage à 160 kms/heure,
exactement. C'était il y a sept ans. Un mois de coma et au réveil, la sanction est tombée :
fauteuil roulant à vie !
Juliette : Ah d'accord. En tout cas t'as l'air d'avoir le moral.
Alexandre : J'ai beaucoup de chance d'être encore là. Je ne vois plus la vie de la même façon.
Je positive à donf !
Juliette : Ah... moi c'est l'inverse. Ma chance, ce serait de ne plus être là. Quant à la vie...
(Pleurs pudiques)
Alexandre : Oh là oh là ! Tu vas où là ? La vie est belle !
Juliette : La vie est belle ? Oh que Non. Pour moi la vie est un calvaire.
Alexandre : Si tu m'expliques pourquoi ta vie est un calvaire, je te parie un resto que je te
Texte déposé à la SACD - 39 - Version du 17 Juillet 2017
démonte ta théorie en moins de deux minutes.
Juliette : T'as perdu d'avance.
Alexandre : J'insiste.
Juliette : OK. Alors ouvre bien tes oreilles. (Un temps) Moi aussi je suis tombée de moto. Il y
a deux ans. Mais j'étais passagère. Mon compagnon n'a pas eu la même « chance » que moi.
La « chance » dont tu viens de parler, justement. Quand je suis sortie du coma, on m'a dit que
j'avais encore une « chance » de remarcher. Que ce serait dur mais qu'il fallait que je
m'accroche. Que je saisisse cette fameuse « chance ». Au début on n'a pas osé me dire qu'il
n'était plus là. On m'a fait croire qu'on le soignait en réanimation, dans un autre hôpital. Que
je ne pourrai pas le voir avant longtemps. Mais qu'il avait encore une « chance »... Alors, pour
lui, pour nous, je me suis battue. J'ai entamé une rééducation intensive, éprouvante. Au bout
de plusieurs semaines, j'ai réussi à faire quelques pas. D'abord avec aide. Puis toute seule.
L'équipe était fière de moi. Et puis on a fini par me dire la vérité. Me dire qu'il était parti pour
toujours. Tout s'est écroulé en une seconde. On m'a menti pour que je tienne debout. Et on a
décuplé ma souffrance en le transformant en mort vivant. Alors je me suis vengée. Je suis
restée dans mon fauteuil, en jurant bien de ne plus jamais remarcher. (Un temps). Depuis j'ai
tenté par deux fois d'aller le rejoindre pour toujours. C'est ma seule envie, mon seul but. Pour
moi, le mot « chance » ne veut plus rien dire. Voilà pourquoi ma vie est un calvaire. (Un
temps). J'ai l'impression que tu vas me devoir un resto là, non ?
Alexandre : J'avoue que ton cas est un peu compliqué. Mais tu connais pas Alexandre !
Laisse-moi un peu de temps pour te répondre. Il faut que je cogite tout ça.
Juliette : C'est ça, cogite. J'ai tout mon temps maintenant.
Alexandre : Si tu ne crois plus en rien pourquoi as-tu voulu venir ici ?
Juliette : C'est ma sœur qui a voulu, pas moi. Elle pense que j'ai besoin de voir autre chose, de
changer d'air...
Alexandre : Elle a raison !
Juliette : Et moi j'ai tort, bien sûr...
Alexandre : J'ai pas dit ça. Mais ta sœur cherche à t'aider.
Juliette : En croyant savoir ce qui est bon pour moi. En décidant à ma place en somme.
Alexandre : Ça part d'un bon sentiment en tous cas. Elle t'a convaincue, c'est déjà bien.
Juliette : Non sans mal. En même temps un accueil temporaire, ça n'engage à rien. Mais elle
aimerait que l'accueil soit définitif. Elle dit que ça nous rapprocherait l'une de l'autre.
Alexandre : Chouette ! Et la Burnétoise, elle en pense quoi ?
Juliette : (ébauche un sourire) Ruthénoise ! Pas Burnétoise ! Ce que j'en pense ? Ça m'est
complètement égal. Ici ou ailleurs...
Texte déposé à la SACD - 40 - Version du 17 Juillet 2017
Alexandre : Bon, alors j'ai un peu moins de trois mois pour te convaincre qu'ici, c'est mieux
qu'ailleurs.
Juliette : Tu t'attaques à une tâche difficile.
Alexandre : On parie un deuxième resto ?
Juliette : Tu en as déjà perdu un.
Alexandre : Je n'ai encore rien perdu. Ne vends pas la peau de l'ours. Alors ?
Juliette : Tu peux toujours essayer.
Alexandre : Compte sur moi ! Je suis pas prêt de te lâcher.
Juliette : Et toi ? Tu te plais ici ?
Alexandre : C'est pas pire qu'ailleurs ! Je mange, je bois, je fais du sport, des maquettes. Bon,
question équipe d'animation c'est un peu léger. Mais on se fait une raison. Et pis y a Vincent
pour faire des conneries. Il me fait rire.
Juliette : Que lui est-il arrivé ?
Alexandre : On sait pas trop. Il s'est fait tabasser il y a quatre ans à la sortie d'une boîte de
nuit. Pour une histoire de gonzesse, à ce qu'il paraît. Ses bourreaux l'ont laissé pour mort.
Juliette : Oh là là... Lui non plus il n'a pas eu de chance.
Alexandre : Tiens tiens ! Je croyais que le mot «chance » ne veut plus rien dire pour toi !?
Juliette : (rires) Tu m'as bien eue là !
Alexandre : Oui ! Et c'est pas fini ! Moi je l'aime bien Vincent. Il dégage quelque chose
d'imprévisible, de mystérieux. Il peut même être agressif parfois. Avec ce qui lui est arrivé, on
peut comprendre. Mais c'est pas un méchant.
Juliette : Moi il me fait peur.
Alexandre : Tu le connais pas, c'est pour ça. On se fera un truc à trois un de ces jours.
Juliette : Un truc à trois ?
Alexandre : Oui un truc à trois. Pas un plan à trois hein ! C'est pas que ça me déplairait mais...
Enfin je veux dire j'ai pas de problèmes de ce côté-là, si jamais... Bref, je trouve qu'à deux
c'est suffisant.
Juliette : Je vois.
Alexandre : Pour résumer, un de ces jours on boira un coup tous les trois.
Texte déposé à la SACD - 41 - Version du 17 Juillet 2017
Juliette : Voilà, je préfère.
Alexandre : Faudra juste qu'on demande l'autorisation de sortir.
Juliette : L'autorisation de sortir ?
Alexandre : Oui, c'est le règlement. Des fois c'est oui, des fois c'est non.
Juliette : Ben dis donc... C'est pas un foyer de vie, c'est le pénitencier d'Alcatraz ! Pas avec ça
que tu vas me convaincre qu'ici c'est mieux qu'ailleurs...
Alexandre : Ils étudient les demandes au cas par cas. Ils disent que c'est pour notre sécurité.
Vincent par exemple ne sort jamais seul. Ils ont trop peur qu'il picole et qu'il fasse des
conneries.
Juliette : Il en ferait dehors des conneries ?
Alexandre : J'en sais rien. Il en fait surtout ici. Sûrement parce qu'il se sent enfermé. Tu
voudrais bien voir mes maquettes ?
Juliette : Oui pourquoi pas.
Alexandre : Youpi ! Quel honneur ! C'est mon jour de chance aujourd'hui.
Juliette : Encore ce mot-là !
Alexandre : Ah oui ! C'est plus fort que moi ! Par contre laisse-moi le temps de ranger ma
chambre. Tu peux m'y rejoindre d'ici vingt minutes ?
Juliette : Pas de problème.
Alexandre : Alors à tout à l'heure.
Juliette : A tout à l'heure.
Ils vont pour sortir, Alexandre à cour, Juliette à jardin.
Alexandre : Juliette ?
Juliette : Oui ?
Alexandre : Tu t'es pas vengée des autres en décidant de rester dans ton fauteuil. Tu t'es
donnée une excuse pour arrêter de vivre. Si un jour tu retrouves l'amour tu retrouveras la vie.
Et tu te redresseras. T'es une chouette fille Juliette.
Juliette : Pourquoi tu me dis tout ça ?
Alexandre : Pour gagner un resto. Mais surtout parce que je t'aime bien.
Texte déposé à la SACD - 42 - Version du 17 Juillet 2017
Juliette : T'es un chouette type aussi Alexandre.
Alexandre : Youhou !
Ils sortent chacun de leur côté.
SCENE 10
Marcel entre à cour en poussant Gilbert dans son fauteuil. Il va l'installer à sa place
habituelle côté jardin, près du bureau du directeur. Une tablette a été adaptée sur le fauteuil.
Marcel : Je t'avais dit qu'y en aurait pas pour longtemps. T'avais pas besoin de pigner comme
ça ! En plus regarde-moi ta nouvelle tablette. Du travail d'orfèvre mon petit Gilbert. Des
Marcel comme moi t'en trouveras pas tous les jours, mets-toi bien ça dans ce qui te reste de
crâne. Non ne me remercie pas, j'ai l'habitude. Sinon ça va aller comme ça ? Tu l'as en ligne
de mire, ta téloche ? Hé ben que demande le peuple ! (Il sort un mètre de couturière de sa
poche) Bon. Attends Bouge pas je vérifie un truc. (Il mesure le périmètre crânien de Gilbert)
Bouge pas je te dis ! Ah ! C'est tout de même quelque chose. Voilà, 56. Sacrée pointure. A
priori ça devrait le faire.
Entrée de Laurence Batard à jardin. Elle a assisté à la prise de mesure.
Laurence : On peut savoir ce que tu nous fabriques mon bon Marcel ?
Marcel : Ah tiens. Te v' là toi. C'est rapport à Gilbert. Je lui prenais sa tension nerveuse.
Laurence : Sa tension nerveuse ? Tu me prends pour une quiche ou quoi ?
Marcel : Ben oui évidement. T'as perdu ton sens de l'humour ?
Laurence : Oui un peu ces derniers temps. Et blague à part, tu comptes lui offrir un chapeau ?
Marcel : Mais non je vérifiais mes cotes.
Laurence : Tes cotes ? Tes cotes de quoi ? Tu fais des travaux de ravalement ?
Marcel : Je me comprends. C'est la petite nouvelle là, comment tu l'appelles déjà ? Elle m'a
demandé de construire un truc pour notre Gilbert.
Laurence : Sandra ? Qu'est-ce qu'elle t'a demandé ?
Marcel : Ah ça j'ai pas le droit de le dire. De toute façon j'ai rien compris à son machin. Moi
j’exécute mais je cherche plus à comprendre. Je suis qu'un manuel et pis c'est tout.
Laurence : Arrête de te faire passer pour plus bête que tu ne l'es. Tu peux bien me le dire à
moi ?
Marcel : Non. Je veux pas d'embrouilles. T'as qu'à lui demander à elle directement.
Laurence : Oh je vais sûrement pas m'abaisser à lui demander quoi que ce soit. Depuis le
départ je sais pas pourquoi mais ça colle pas entre nous. J'ai beau faire des efforts, elle arrête
Texte déposé à la SACD - 43 - Version du 17 Juillet 2017
pas de me provoquer.
Marcel : Moi vos histoires de gonzesses ça m'intéresse pas. En même temps je vais te donner
mon avis puisque tu me le demandes pas. D'un côté c'est vrai qu'elle a l'air un peu bizarre la
gamine. Mais d'un autre côté faut bien admettre que vous êtes pas aidées par ton caractère de
chiotte.
Laurence : Mon caractère de chiotte ? Tu vas pas t'y mettre toi aussi ? C'est tout de même
incroyable ! On cause gentiment et vlan ! Une volée de bois vert pour la Laurence ! Merci
Marcel !
Marcel : Tiens, tu vois que t'as pas bon caractère. Si je te dis ça c'est parce que je t'aime bien.
Essaie de mettre un peu d'eau dans ton vin, intéresse-toi à elle, déterre la hache de guerre et tu
vas voir ça va s'arranger.
Laurence : On n'a pas la même façon de travailler, c'est tout. Elle arrive avec ses diplômes,
elle croit tout savoir, et elle veut m'expliquer le boulot d'éduc spé ! A moi ! Elle oublie juste
que j'ai trente ans de boîte !
Marcel : Vous avez autant à apprendre l'une de l'autre et pis voilà. Match nul.
Laurence : Rien du tout. L'expérience, c'est mieux qu'un bout de papier. Dans notre métier
comme dans beaucoup d'autres.
Marcel : Ben t'as qu'à lui dire que...
Laurence : (le coupant) Ah oui je vais lui dire. Et je vais pas me gêner. Et tu sais ce que je lui
dirai aussi ?
Marcel : Non. Qu'est-ce que tu lui diras ?
Laurence : Je la regarderai droit dans les yeux, comme ça, et je lui dirai...
Sandra : (entrant à jardin avec une sorte de classeur rigide, et l'interrompant) Et tu lui
diras ?...
Laurence : Ah tiens c'est toi Sandra ? Je t'avais pas entendue arriver.
Sandra : C'est le moins qu'on puisse dire. Alors Monsieur Marcel ? Vous avez réussi ?
Marcel : Après vérification, je pense que l'affaire est dans le sac. C'est le cas de le dire. Tiens.
(Lui tend un sac en plastique contenant un objet)
Sandra : Merci Monsieur Marcel. Vous êtes chouette.
Marcel : An non ça va pas recommencer. Moi c'est Marcel tout court. Et encore moins
Monsieur. Et pis on se tutoie d'emblée comme ça on desserre les fesses.
Sandra : Très bien Marcel. Marché conclu. Desserrons les fesses.
Texte déposé à la SACD - 44 - Version du 17 Juillet 2017
Laurence : Alors comme ça tu fais des expériences sur des résidents ?
Sandra : Pardon ?
Laurence : Moi je serais toi j'en parlerais à mes collègues, ça éviterait les conflits.
Sandra : Je ne fais aucune expérience, je travaille. Et t'es pas moi donc je fais ce que je veux.
Marcel : Oh là Mesdames, arrêtez un peu vos embrouilles niveau bac à sable. Non mais
qu'est-ce que ça veut dire ? Vous repiquez votre maternelle ou quoi ? Des vraies gamines !
Essayez donc de vous causer en bonne intelligence, ça changera. Bon moi je file. Et je veux
pas vous entendre beugler sinon je vous la rabaisse à coups d'extincteur. Compris ? (il sort à
jardin)
Un temps.
Laurence : Il a pas tort le Marcel. Si on faisait la paix ?
Sandra : La paix ? Je ne t'ai jamais déclaré la guerre. Mais tu me juges avant de me connaître.
J'ai donc naturellement tendance à faire la même chose.
Laurence : On n'est juste pas de la même école.
Sandra : Ni de la même génération.
Laurence : Ben maintenant qu'on le sait on peut peut-être travailler là-dessus ?
Sandra : Pas de souci pour moi. Comme le dit Marcel : « En bonne intelligence. »
Laurence : Ok. Alors tu peux me le dire maintenant : Que cache ton joli sac ?
Sandra : Non, je ne peux pas te le dire. Enfin pas maintenant, pas tout de suite.
Laurence : Je vois. Belle preuve de confiance. Ça commence bien.
Sandra : Il faut que toi aussi tu me fasses confiance. J'ai encore besoin d'un peu de temps.
Laurence : Qu'est-ce que tu me donnes en échange ?
Sandra : L'assurance que ça vaut la peine d'attendre.
Laurence : Avec ça...
Sandra : S'il te plaît.
Laurence : D'accord. Je te laisse...travailler.
Sandra : Merci Laurence.
Laurence : Pas de quoi. (Elle sort à jardin)
Texte déposé à la SACD - 45 - Version du 17 Juillet 2017
Sandra : Ça va aller Gilbert ? (réponse de Gilbert ; elle dépose le sac sur la table et se
rapproche de Gilbert) Alors c'est le grand jour ? (il acquiesce ; elle ouvre le classeur sur la
tablette du fauteuil, devant lui) Voilà déjà ça : qu'est-ce-que vous en dites ? (Gilbert sourit)
Elle déplace le fauteuil vers l'avant-scène, profil public, puis se dirige vers la table. Elle
s'empare du sac en plastique et en extirpe délicatement son contenu. Il s'agit d'une sorte de
casque constitué d'une armature métallique épousant la forme d'un crâne. Une tige rigide a
été fixée sur la partie frontale de l'objet, telle une licorne. Elle regarde Gilbert, l'objet dans
les mains.
Sandra : Mon bon Gilbert, c'est à vous de jouer maintenant.
Sur un fond musical, elle s'approche très lentement de Gilbert, brandissant l'objet. Pendant ce
court déplacement, la lumière baisse progressivement, jusqu'au noir.
NOIR
FIN DE L’ACTE 1
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pièce (Acte 1 et 2), merci d’en faire la demande par mail auprès de
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