la fidèle bergère

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LA FIDÈLE BERGÈRE

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DU MEME AUTEUR:

EDITIONS A. FAYARD

Rose La Ronde Amour en Province

EDITIONS DE FRANCE

La Belle Captive La Parisienne

Chez ÉMILE HAZAN, Editeur

Vacances à Villefranche ( Tirage limité) Conseils aux Amoureux (Tiragt limité)

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JEANNE RAMEL-CALS

LA FIDÈLE BERGÈRE

EDITIONS BAUDINIÈRE 27 bis, Rue du Moulin-Vert

PARIS

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La location de ce livre est interdite jusqu'au 1 Juillet 1933, sauf accord spécial avec la Librairie Baudinière. Les infractions seront poursuivies.

Copyright by Librairie Baudinière, 1932. Tous droits de reproduction, traduction et toutes

adaptations, y compris le théâtre, la cinématogra- phie et la T. S. F., réservés pour tous pays, même l'U. R. S. S.

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ETAT DE LIEUX

En bas est une grasse et plate campagne où les récoltes ondulent mollement, où s'étale, bien au large, Basdemont : un gros bourg de trois mille corps qui n'ont pas faim, car les approvi- sionnements en nourriture sont abondants, et de quelques âmes qui ont soif — peut-être — car, où est l'idéal? il n'y en a presque pas.

Les gens de Basdemont ayant convenable- ment mené leurs barques, les maisons qu'ils ha- bitent, mises à quai le long des routes viables bien entretenues, semblent à l'abri des tour- mentes, sont bien placées pour toutes transac- tions.

Au-dessus de Basdemont s'élève une région montagneuse qui ressemble à la pétrification d'une tempête; des chênes très rabougris, parmi

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de grands rochers, s'y battent pour la terre; on y va comme l'on peut, par des chemins non tra- cés, vertigineux, déserts ; quelques hameaux, quelques fermes maigres y penchent, à moitié naufragés dans les creux; sur le plus haut pic, sur la plus haute vague, le château de Capimon- dis, navire de haut bord, se tient à l'amarre de- puis les temps féodaux et les seigneurs y vien- nent, quelquefois, pour chasser à grand raffût, à grand randon, ou pour ramener au lieu de sépulture de la famille en série noire, avec des gestes mesurés, avec des croassements, quel- qu'un des leurs qui a passé...

Passé par l'échelle de bord Qui va de la vie à la mort.

Autrefois, les seigneurs de Capimondis, se battant contre d'autres seigneurs, ou s'unissant à eux, menaient les paysans à l'aventure, jurant « par les dents de Dieu! » ou, en temps pair sibles, les frottaient, les râpaient, ne laissant à aucun chose qui vaille une châtaigne; et pen.

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dant que les filles et les femmes des paysans vi- vaient de faim, poussaient noueuses, se tassaient, se courbaient, devenaient des courtaudes sous le fagot de leurs fatigues, de leurs peines, que, ex- posées aux intempéries, elles devenaient des noi- raudes, des rougeaudes, faisaient souche de pe- tites gens, les dames et demoiselles de la no- blesse, sans rien qui leur fût lourd, profitaient de tout dans leur château, poussaient d'un jet suave et droit, devenaient des hautes dames, des beautés blanches, des fières beautés.

Quand elles s'étoient bien pagnées Et bien rebuffées et parées Elles avoient faite la journée.

Du moins, c'est ainsi qu'on pense à Capi- mondis.

Les souvenirs ne s'en vont guère de Capi- mondis, personne ne les emporte ailleurs, ne va les disperser dans le monde. On n'y apporte pas non plus beaucoup de pensées nouvelles — il n'y a aucun moyen de locomotion pratique : le

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chemin de fer n'arrive qu'à Basdemont; il pose là sa tête de ligne soumise, qui ne saurait dé- passer le chemin qui lui est tracé, et la terre est petite, mais les courses à pied sont longues, puis, il y a les bagages.

Les seigneurs sont partis de Capimondis de- puis deux cents ans et ne reviennent pas sou- vent, mais leur souvenir reste — ainsi leur parc broussailleux garde, sous sa broussaille, le tracé des allées anciennes.

...Le souvenir des seigneurs reste à Capimon- dis avec leur prestige, mais la lumière des temps nouveaux brille même sur cette mon- tagne arriérée : les paysans savent que les sei- gneurs ne sont plus tant à craindre depuis la Révolution qui leur a aplati le bouffant et sup- primé l'exagération, qu'ils ne peuvent plus les épuiser comme un veau de six mois qui suce une vache à fin de lait. Notre Seigneur Jésus- Christ avait bien dit, dans le temps, aux hommes, qu'ils étaient tous frères : les petits et les grands, mais personne n'a voulu le croire ..

Parmi les paysans de Capimondis, il en est qui aiment toujours leurs seigneurs, qui les

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craignent encore... d'autres qui leur en veulent et qui leur tiennent tête du haut du suffrage universel.

Après tout, ils en ont le droit et vive la liberté !

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FAITS DIVERS

Un bûcheron de Capimondis a été descendu par le millième arbre qu'il descendait, — tué — sa femme est tombée malade, vraiment tom- bée, puisqu'on l'a trouvée par terre, évanouie; en attendant sa guérison, il fallait que quel- qu'un se chargeât de sa petite et du cochon. Tous les gens du pays voulaient garder la petite, une petite de cinq ans! quelque chose de rare! oh! mais le cochon?... il pouvait crever, on pou- vait le voler et c'était trop de responsabilité. Enfin la bûcheronne mourut, elle aussi; l'ancien de là-haut lui donna congé et elle put se reposer un peu. Alors la situation changea et chez Cabus, le fermier du château, on adopta la petite et le cochon.

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La petite garda les troupeaux; elle s'appelait Blandine.

Peu de gens ont fait dans leur vie des débuts plus modestes.

A mesure que Blandine grandit, les bêtes qu'elle garde grandissent aussi, deviennent d'oies : moutons, de moutons : vaches; elle se lève de bonne heure, car il y a beaucoup de travail, et pour le faire entrer dans la journée, il faut étirer ladite journée par tous les bouts et il faut qu'il fasse jour avant le soleil levé.

D'abord, elle vaque dans la salle basse, dans les écuries, sous les toitures : véritables rabat- joie où seule peut tenir debout une réalité d'humble complexion petite, et qui ne sent pas bon, puis elle va dans la nature avec son trou- peau entre les espaces indéterminés que ferment quelques collines rondes couvertes de pièces de terre, pareilles à des derrières rapetassés d'hon- nêtes cultivateurs courbés sur la glèbe, elle va entre les espaces indéterminés de la terre et du ciel.

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Terre jamais unie, jamais plénière, jamais tranquille.

Ciel tantôt tout nu, tout bleu, tout pur, tantôt ciel de tempête cavalcadant, pommelé, échevelé comme une troupe de chevaux sauvages, tantôt comme un pacage bleu avec des moutons blancs que le vent-berger pousse devant lui, tantôt pareil aux cieux des tableaux d'église : le so- leil au milieu, vrai Dieu-le-père dans tonte sa gloire entouré d'angelots roses joufflus frisot- tés d'or.

Dans la nature, les rêveries habitent à leur aise et selon que Blandine est dans la servitude de la ferme ou la domination des montagnes, elle pense : je suis de tous la plus-moins — ou je suis comme reine de toute la terre : car son dedans est petit, mais son dehors est grand.

Donc, parmi les chênes séculaires (et des chênes de cet âge-là ne sont pas une compagnie bien gaie pour une jeune enfant), parmi des chênes séculaires : nobles vieillards ou petits vieux tordus, Blandine va : elle enjambe ronces et ruisseaux, passe par les chemins taillés dans le mur de la montagne à pic — ou bien, assise

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sur un rocher, une gaule à la main, elle se repose, elle est bien, elle est comme un noble.

Elle chante dans la solitude. Les bergères, les maçons chantent toujours : c'est la profession qui le veut.

Ils sont dans des pièces vides dans la cam- pagne nue, tout seuls, les personnes des chan- sons viennent et leur tiennent compagnie; ce sont de charmantes personnes : des princesses, des chevaliers, des belles — et même chaque bergère elle-même.

Ainsi Blandine chante :

Quand moi j'étais petite, N'avais pas de « ceci » N'avais pas de « cela ». Maintenant que je suis grande J'ai par-ci et par-là De « ceci » de « cela ».

Donc, c'est comme si Blandine était une grande fille avec tout ce qu'il faut.

Le vingt-cinq du mois de mai J'ai mon amant qui est arrivé.

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...C'est comme s'il était là, ce jeune homme, avec sur les joues la fleur de la première barbe.

— Grand Dieu, que je suis à mon aise! D'avoir ma mie auprès de moi! De temps en temps je la regarde En lui disant : « Embrasse-moi. »

— C'est comme s'il implorait Blandine.

La fille du roi s'habille en tendresse Et le chevalier s'habille en confesse Pour connaître son dessein...

Malices de l'amour!

— Alexandrine, les larmes aux yeux, Je viens te faire mes adieux. — Oh! mon amant! si tu t'en vas Si tu es malade, tu me l' écriras...

Et voilà l'amoureux parti! (un de perdu, dix de retrouvés). En voilà un autre :

— Bergère, quitte ton troupeau, Viens avec moi dans mon château,

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Tu seras riche demoiselle, Tu porteras des pendants d'or, T'auras des coiffes de dentelle, T'auras la clef de mon trésor... — Monsieur le duc, retirez-vous, J e ne suis pas f i l l e p o u r vous,

Je ne suis pas d'assez grand rang Pour un seigneur aussi charmant.

Et puis, la chanson la plus malicieuse, où le chevalier chante, lui-même, sa mésaventure :

L'autre jour, je me promène Le long de la rive au pré Et sur mon chemin je fais rencontre D'une aimable beauté. Et moi je m'approche d'elle...

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . De toute cette semence de mots en l'air nais-

sent mille fantasmagories qui dansent parmi les petits vents...

Il y a une école à Basdemont, mais Blandine n'a pas le temps d'y aller.

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— Pourquoi tu irais? lui dit Mélanie Cabus. Quand tu auras d'instruction, tu crois que tu ne feras plus des petits miracles? non, rien que des gros?

Le curé lui apprend à lire ainsi qu'à d'autres petits montagnards, ainsi qu'à Elie Raphanel de la ferme Ségudes, pour leur faire faire la pre- mière communion; il leur donne des histoires saintes; Blandine lit la sienne sur son rocher : « Le pha-ra-on ne tar-da pas à se re-pen-tir d'a-voir lai-ssé fu-ir les Hé-breux et se mit à leur pour-sui-te; ils étaient gui-dés par une co- lon-ne de feu. Aux a-bords de la mer Rou-ge, ils fu-rent sai-sis de ter-reur, mais Dieu dit à Moïse... etc., etc... »

« Au bord du puits Ra-chel sai-sit son am- pho-re. »

Elle y connaît Elie et Elysée, les anges voya- geurs, les frères Macchabées; Esther et Judith qui sauvèrent le peuple de Dieu l'une par l'amour, l'autre par la haine.

Au bout de trois ans, toute l'histoire sainte lui est entrée dans la tête, de la première à la septième époque. Elle se met à apprendre le ca-

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téchisme : « Très sainte et très au-gus-te tri-ni-té, je v-ous a-dore a-vec les senti-ments de J'hu-mi- li-té la plus pro-fon-de et je vous r-en-ds les ho-m-m-a-ges qui sont d-us à vo-tre sou-ve-rai-ne ma-jesté. An-ge de Di-eu, mon gar-dien à qui j'ai été con-fi-é-e par la bon-té di-vi-ne... »

Elle apprend à connaître la Sainte Vierge Ma- rie, reine du ciel... les Evangélistes, Judas Is- cariote qui vendit Notre Seigneur Jésus-Christ pour trente deniers.

De temps, en temps, sur un signe du calen- drier, les gens se mettent à sourdre de toute la montagne, perlent sur le sol, se réunissent l'un à l'autre par un phénomène bien connu d'attrac- tion moléculaire, et coulent en flot jusqu'à Bas- demont qu'ils vont inonder pour le marché.

Quand Blandine a fait sa première commu- nion, quelle a épuisé la substance de son His- toire sainte, de son cathéchisme, qu'ils sont vi- dés, secs, entièrement sucés, à Basdemont elle achète un autre livre : il a une Dame sur la couverture, qui porte une robe à queue, qui a

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des cheveux d' or, il s'appelle : « Le Calvaire d'une amante ».

Ce jour-là, elle revient de Basdemont à Capi- mondis, émue de très grandes douceurs : elle tient son livre, Elie Raphanel lui donne la main et porte ses souliers vernis qu'elle a ôtés pour mieux marcher, et ils mangent ensemble des pra- lines roses.

Comme son Histoire sainte, comme son caté- chisme. elle lit sur la montagne « le Calvaire d'une amante ».

« U-ne jeu-ne fi-lle d'une beau-té ravis-sante était as-si-se rê-veu-se dans son bou-d-oir Louis XV, m-er-ve-ill-e de goût et de ra-f-fi-ne- ment. La ri-che por-tière de bro-cart se sou-le-va, un va-let de pi-ed ad-mi-rable-ment stylé an- non-ça. : M-on-si-eur le m-arquis Gaëtan de Cr-oix Saint-Héli. — Vous, m-ur-mu-ra la jeu-ne fi-lle tou-te rou-gis-sante! — Oui, So-lan-ge, moi, celui qui vous a-dore... »

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Emmanuel BOURCIER LA CAGE AUX FEMMES Paul DARLIX UN SOIR EN PULLMAN Maurice DEKOBRA RAT DE CAVE CAMBRIOLEUR. Albert DIEUDONNÉ LE TSAR NAPOLÉON Pierre Léon GAUTHIER LE CLOS MOURON José GERMAIN L'ÉTREINTE DES RACES Paul GINISTY LETTRES GALANTES DU CHEVALIER DE FAGNES Serge LAURAC SABLES ROUGES Georges LE FÈVRE M. PAQUEBOT JE SUIS UN GUEUX Camille MAUCLAIR ÉTREINDRE Paul POUROT L'AMOUR NOUS CONDUIT Jeanne RAMEL-CALS LA FIDÈLE BERGÈRE Louis ROUBAUD LE DRAGON S'ÉVEILLE Louis THOMAS MELLILA

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