la dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

39
1 La dynamique macroéconomique de l’épargne en Argentine : inertie du cycle ou changement structurel ? Document de synthèse Convention Institut Caisse des Dépôts et Consignations pour la Recherche Scientifique / CNP ASSURANCES SA / CREPPREM/Université Pierre Mendès-France – Grenoble 2 / Centro de Investigaciones y Estudios en Políticas Públicas (CIEPP Buenos Aires) Jaime Marques Pereira Professeur à l’Université de Picardie Jules Verne [email protected] Rubén Lo Vuolo Directeur du CIEPP [email protected]

Upload: others

Post on 21-Apr-2022

5 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

1

La dynamique macroéconomique de l’épargne en Argentine : inertie du cycle ou

changement structurel ?

Document de synthèse

Convention Institut Caisse des Dépôts et Consignations pour la Recherche Scientifique /

CNP ASSURANCES SA / CREPPREM/Université Pierre Mendès-France – Grenoble 2 /

Centro de Investigaciones y Estudios en Políticas Públicas (CIEPP Buenos Aires)

Jaime Marques Pereira Professeur à l’Université de Picardie Jules Verne [email protected]

Rubén Lo Vuolo Directeur du CIEPP [email protected]

Page 2: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

2

Remerciements

Cette recherche a été menée grâce à une coopération entre le CIEPP (Centro de Investigaciones y Estudios en Políticas Públicas) de Buenos Aires et le CEPSE (Centre d’Etudes de la pensée et des systèmes économiques) de l’Université Pierre Mendès France de Grenoble, aujourd’hui intégré au CREPPREM (Centre de Recherches Economiques sur les Politiques Publiques dans une Economie de Marché). Je remercie le CEPSE de sa stimulation intellectuelle à ce travail. Je tiens aussi à remercier sur ce plan le CRIISEA/UPJV (Centre de recherche sur l’industrie et systèmes économiques d’Amiens – Université de Picardie Jules Verne), mon actuel laboratoire. Un remerciement particulier s’adresse en outre à l’Institut CDC pour la recherche en la personne d’Isabelle Laudier pour le soutien au renouvellement du débat académique sur l’épargne et la finance de long terme. Enfin, je remercie l’appui de CNP Assurances et tout particulièrement Jerôme Garnier, directeur de son antenne de Buenos Aires au moment de cette recherche.

Page 3: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

3

INTRODUCTION.......................................................................................................... 4

I - L’INERTIE DES DETERMINANTS MACROECONOMIQUES .............................. 6 1. Le poids de l’histoire : du cycle « investissement-épargne interne » au cycle « endettement-épargne externe ».................................................................................... 8

2. Epargne et investissement ........................................................................................ 11

3. Le système institutionnel d’intermédiation financière de l’épargne ........................ 16

II - LES CONDITIONS DU CHANGEMENT................................................................ 21 1. Le conflit distributif et le long terme ....................................................................... 23

2. Les variables d’un scénario de progression soutenable de l’épargne..................... 25

3. De la théorie au « lock in » des institutions.............................................................. 26

Annexe : Théories et pratiques d'épargne à l'épreuve des crises financières

Bibliographie................................................................................................................ 38

Page 4: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

4

INTRODUCTION

L’objet de cette recherche face à la crise mondiale

L’objet de cette recherche était d’évaluer les perspectives à long terme de l’épargne en Argentine. De prime abord, un tel objet soulevait un défi particulier : le poids de la conjoncture externe. La crise actuelle rend à présent toute prévision bien plus incertaine. Les changements de l’économie mondiale étaient perçus comme durables jusqu’à l’éclatement d’une crise financière mondiale non anticipée. La sortie de la crise argentine de 2001/2002 avait débouché sur une croissance élevée. L’épargne domestique était érigée en variable clé d’un changement structurel où se jouait la reconstruction d’une vision du long terme, détruite par une crise systémique.

L’analyse statistique habituelle de séries longues ne pouvait suffire pour discerner la possibilité ou non du changement structurel qu’engageait la forte croissance observable depuis 2003, aux dires des experts gouvernementaux. La progression de l’épargne publique était, certes, inédite dans une phase ascendante du cycle. Cela ne signifiait pas nécessairement que le long terme ait été repensé. Cette étude montre qu’a en fait prédominé une simple projection du court terme, assise sur l’anticipation d’une rente agricole croissante fixant l’horizon de la politique économique. Les nouveaux équilibres courants, que visait un taux de change compétitif et prévisible, rendaient compatibles le maintien d’un excédent budgétaire et d’une croissance élevée générant une forte progression de l’emploi. Ils paraissaient donc soutenables.

La crise mondiale en cours interroge ces évaluations. Les origines de cette crise rappellent la crise argentine de 2001/2002. L’une et l’autre ont dévoilé l’illusion du long terme qu’entretient une croissance où la progression de la demande est alimentée par un endettement cumulatif. Ces deux crises sont par ailleurs reliées par une structure de financement mondial où l’épargne des économies émergentes est cruciale. A quasi dix ans de distance, ces deux crises engagent une double révision intellectuelle de l’épargne qu’il faut prendre pour variable de ce qu’elle peut devenir (voir annexe). Le pari d’une croissance assurant la progression de l’épargne domestique dans les économies émergentes était complémentaire au pari nord-américain que les déficits jumeaux croissants soient soutenables.

Théories et scénarios

La théorie à la base de tels paris nous était apparue, dès le départ de cette recherche, comme une clé de compréhension des permanences et des ruptures du régime de croissance que pouvait signifier en Argentine la priorité donnée à la progression de l’épargne domestique. Le contexte macroéconomique, tant international que national, qui encadre les évolutions possibles de l’épargne n’est pas réductible aux seules données mesurables. L’objectivité des grandeurs est une objectivation de relations sociales, lesquelles sont ainsi perçues comme des rapports entre des valeurs d’échange régulées. La théorie de cette régulation est aujourd’hui en mutation. On la considère dans cette recherche comme une variable des scénarios définissant une alternative de « gouvernementalité économique », au sens de Foucault1. Ces scénarios sont déduits de l’analyse de l’ajustement erratique des cycles d’épargne et d’investissement depuis une trentaine d’années ; ils explicitent sur cette base la possibilité de deux voies d’évolution du conflit distributif pouvant résulter de la stratégie gouvernementale visant à rendre cet ajustement désormais soutenable.

Les corrélations observables suggèrent que l’investissement dépend des profits tant que l’épargne disponible peut gager leur valeur externe en devises en se plaçant sur le marché de la dette

1 La gouvernementalité des populations peut se définir comme ensemble de technologies sociales de gouvernement qui configurent ce que l’auteur du concept appelle dans sa leçon inaugurale au Collège de France, « l’ordre du discours ». La portée économique du concept - comprendre le rapport des structures économiques à la pensée qui permet de les mettre en œuvre, ce qu’il appelle un dispositif de savoir / pouvoir – est bien systématisée dans les « leçons du 18 et 25 janvier 1978 » (Foucault, 2004).

Page 5: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

5

publique. On peut en déduire que les marges de manœuvre politiques de la politique économique sont actuellement une fonction inverse des salaires, ce qui a impliqué la perte relative du contrôle de l’inflation, révélée par l’écart entre l’indice officiel national et d’autres indices établis par des entités privées ou publiques tels que certaines provinces2. On conclut de cette analyse que la stratégie de réduction de la dette publique (et donc, de substitution d’épargne étrangère par plus d’épargne domestique) requiert alors un autre compromis distributif qui coordonnerait, sur le plan monétaire, la possibilité d’un plus large financement bancaire de l’investissement générateur d’une épargne longue dont l’évaluation n’ait plus à être gagée sur la dette publique.

C’est là le chaînon manquant de la stratégie gouvernementale que recèle une structure financière encore plus centrée sur les titres qu’elle l’était dans les années 1990 et non pas sur l’intermédiation épargne / investissement. Cela est la limite de ce qu’une théorie de la stabilisation permet de concevoir dès lors que celle-ci est une théorie de court terme n’offrant aux agents d’autre vision du long terme que celle, contestable, d’un désendettement public soutenable alors que l’indexation des bons par un taux d’inflation faux suggère l’inverse.

Cette expression du conflit distributif dans la valeur nominale de l’épargne placée sur les bons souverains met en évidence que le pari de rompre l’inertie du stop and go de la politique économique n’était pas gagné. Cette conclusion, établie à la veille de la crise, prend maintenant une tout autre dimension, ce que dénote l’usage récent des réserves pour le service de la dette publique (Lo Vuolo, 2010). Dans cette phase critique, qui s’annonce en l’absence de perspectives de reprise des économies nord-américaine et européenne, va se jouer la force de l’inertie face aux velléités gouvernementales de changement structurel. L’évolution du débat sur le rapport entre l’épargne et l’investissement est alors décisive et elle sera évidemment marquée par le bouleversement intellectuel concernant le rôle de la finance de long terme, problème mondial dont l’Argentine n’est qu’un cas particulier.

L’hypothèse d’inertie a été étudiée sur la base de l’analyse des données, qu’a réalisée l’équipe du CIEPP de Buenos Aires. Le premier point de ce document de synthèse en présente l’argumentation qui précise trois niveaux de détermination de l’épargne. L’histoire de la dette publique. Les conditions de l’équilibre comptable épargne / investissement. Une intermédiation financière expliquant l’importance que conserve l’épargne corporative.

La possibilité d’un changement structurel, dont rend compte le second point, est abordée dans le rapport final sous trois angles. Le rapport de l’épargne nationale au conflit distributif dans la crise monétaire 2001/02 et son issue. L’état des lieux des théories du rapport épargne / investissement / stabilité. Et, en annexe de ce rapport final, est jointe une analyse anthropologique de l’épargne populaire qui donne un tableau de cet excédent négligé par les catégories de l’analyse économique. L’enseignement de ces études est de préciser ce qu’on peut appeler un blocage cognitif faisant du change compétitif le seul pilier du compromis distributif. Le dénouement politique de ce block in des institutions de la répartition conditionne la possibilité d’une progression de l’épargne, alimentée par celle de l’investissement.

Chacun de ces points est premièrement présenté sous forme d’un bref résumé de ses résultats dont l’argumentation est ensuite détaillée.

2 Les mesures de quatre d’entre elles, synthétisées en un seul indice, dévoile aujourd’hui que cet écart est croissant et que l’inflation serait à présent de 30 % (Barbeito, 2010).

Page 6: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

6

I - L’INERTIE DES DETERMINANTS MACROECONOMIQUES

Résumé

La compréhension de la dynamique économique de court terme en Argentine interroge les effets de longue durée du retournement, dans les années 1970, de la progression plus régulière qu’affichaient précédemment l’épargne et l’investissement. Depuis lors, leur évolution est plus heurtée et c’est donc par rapport à cette nouvelle tendance longue qu’il faut évaluer les déterminants du cycle expansif actuel. La trajectoire de l’épargne nationale bifurque au cours de la première entreprise de libéralisation (figure 1). Depuis, le déclin simultané du taux d’épargne nationale et du taux d’investissement va de pair avec une progression de l’épargne externe qui débute en 1979. Ce trend s’est interrompu dans la dernière phase d’expansion (figure 2).

Figure 1 Epargne nationale et investissement brut interne fixe (1950-2006)

Figure 2

Taux d’épargne interne, épargne externe et épargne nationale En % du PIB en valeurs courantes

-0,1

-0,05

0

0,05

0,1

0,15

0,2

0,25

0,3

0,35

0,4

1960

1962

1964

1966

1968

1970

1972

1974

1976

1978

1980

1982

1984

1986

1988

1990

1992

1994

1996

1998

2000

2002

2004

2006

S interne S externe S nationale

0 10 000

20 000

30 000

40 000

50 000

60 000

70 000

80 000

90 000

100 000

1960 1961 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969 1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006

Epargne nationale Investissement

Page 7: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

7

Les courbes ne retracent que l’évolution d’une identité comptable. Comme le rappelle Krugman (1992 :5), « observer des identités ne constitue pas une analyse complète. On doit s’interroger comment une identité comptable se traduit en incitations qui affectent un comportement individuel ». Les modifications du compte courant dépendent des changements dans la distribution des dépenses mondiales, lesquelles dépendent de changements du taux de change réel. Le rapport entre épargne interne et externe dans l’équilibre macroéconomique ex-post, que donne à voir l’identité comptable, ne signifie pas un lien mécanique entre déséquilibre budgétaire et déséquilibre externe. Ces observations de méthode expliquent l’absence de consensus théorique sur leur rapport. La tentative d’identifier par l’économétrie le sens des corrélations observables est ainsi devenue un moyen privilégié de valider ou non des hypothèses de comportements. Cet exercice fournit des indications, certes utiles, mais il n’a pas permis un consensus.

En ce qui concerne les facteurs observables de l’investissement en Argentine, les corrélations suivantes de long terme sur la période 1970-2000 ont été identifiées (Acosta et Loza, 2005) : 1/ une cointégration positive à l’accélérateur des niveaux d’activité et de la rentabilité ; 2/ une cointégration incertaine à la prévision du coût des machines et équipements et à celle des chocs de demande – incertitude qui peut être mesurée par l’inflation ; 3/ une cointégration négative avec les restrictions au crédit, le crowding out effect de la dette publique, la dépréciation/dévaluation du taux de change réel. Ces résultats conduisent à conclure que les flux d’investissement privé à long terme sont une fonction positive de la progression de l’activité et des opportunités financières domestiques et une fonction négative du niveau de la dette externe et du degré de libéralisation, ceci, par ordre d’importance de chaque variable. L’investissement n’a pas récupéré en l’an 2000, le niveau moyen atteint dans l’industrialisation par substitution des importations.

En ce qui concerne l’épargne, l’étude de Heymann (2006) fournit les indications suivantes des tendances de longue période (1950-2006) : 1/ une association positive du taux d’épargne totale avec le taux de change réel et une autre, négative, avec les salaires réels, ce qui suggère des effets distributifs d’une propension à la consommation plus élevée des salariés que des capitalistes ; 2/ une association négative avec le niveau de la dette publique et du volume du crédit ; 3/ de possibles substitutions entre taux d’épargne publique et privé ; 4/ l’influence des prix relatifs n’est pas clairement établie mais une possible association positive avec l’épargne privée est suggérée par une des spécifications pour la sous-période 2001-2005.Dans cette période récente où s’est imposé l’objectif de réduire le poids de la dette publique, son stock a continué d’augmenter, même si sa part en devise, son ratio au PIB et celui au solde du compte courant se sont améliorés, ce qui se constate dans l’ensemble du continent depuis la dernière crise financière (Cepal, 2006). Par contre, le crédit à l’économie ne s’est pas amélioré.

La désagrégation des composantes de l’épargne ne donne pas en elle-même la réponse à la question de savoir si l’épargne publique et l’épargne privée peuvent compenser durablement la désépargne étrangère qu’a impliquée le défaut. On sait que ce changement s’est, comme toujours, opéré sur le marché du change et donc par le changement des prix relatifs (Lo Vuolo, 2007). L’histoire argentine des cinquante dernières années suggère par ailleurs que la trajectoire du change réel et les redéfinitions de régime de change sont intimement liées à la dette externe et à la dette publique3.

L’examen détaillé de l’évolution récente de la dette publique, que livre cette recherche (point I- 2 rapport final), montre que la réduction de son service (qu’ont permis la résolution du défaut par la redéfinition des contrats et l’excédent budgétaire) comporte des coûts implicites. Ces coûts, reportés ou virtuels – intérêts capitalisés notamment (voir infra), ne sont pas comptabilisés dans l’excédent budgétaire. La dette publique continue d’orienter l’épargne sur la finance spéculative.

La dette publique est un obstacle historique à la croissance qui prend forme dans le stop and go de la politique économique depuis que la restriction externe de l’industrialisation empêche de compléter un secteur d’équipement. Il en résulte un ajustement macroéconomique récurrent entre dette

3 Pour une étude de l’histoire longue de la dette argentine, voir (Damill, Frenkel et Rapetti, 2006).

Page 8: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

8

publique et taux d’épargne impliquant la répartition des revenus. Ce lien était établi par une analyse de l’accumulation montrant que la diffusion du progrès technique ne pouvait générer une demande progressant plus vite que la productivité et le salaire n’était plus qu’un coût. L’endettement externe serait le moyen de baisser le coût financier de l’investissement, ce qui fut plus le cas au Brésil (Salama, 1983). Depuis lors, l’épargne est une cible clé de la politique économique et la dette publique est le baromètre du cycle. Les promesses de revenus financiers sont ainsi devenues le paramètre des autres promesses. La dette publique est le point focal de la politique économique et c’est bien là ce que recèle sa souveraineté.

Pour les gouvernements, les anticipations de revenus sont un tableau de leur contrainte de légitimité. La crédibilité, définie en termes d’anticipations rationnelles, pose les questions de la duperie du public et de l’aléa moral du prêteur en dernier ressort. Mais ce ne sont pas là les seuls enjeux distributifs. Depuis les années 70, l’ancrage nominal des créances et des dettes est un partage (par une dynamique conjointe) entre profits, salaires, et les revenus financiers de l’épargne.

La présente étude vérifie ces corrélations sur la période 1993-2006. La période choisie est bornée en fonction de la disponibilité de séries (sans redéfinitions des méthodes d’enquête). Ces séries captent l’évolution des valeurs dans deux sorties de crise, ce qui cerne la temporalité de deux cycles de stop and go de la croissance. Les composantes de l’épargne dans la comptabilité nationale – l’épargne ou la désépargne étrangère, publique et privée – révèlent des ajustements qui rendent toutes les séries non stationnaires, à l’exception de l’épargne privée. Cet état des séries n’est certes pas surprenant vu l’ampleur de la crise de 2000/01. Il conduit à faire l’hypothèse que les autres variables contribuent au caractère stationnaire de l’épargne privée par un ajustement de ses variations, forcé par celui de l’épargne publique, de l’investissement et du compte courant.

L’analyse économétrique révèle une inconsistance inter temporelle entre des corrélations positives <profits réalisés / investissement privé> et <salaires / épargne privée>. On ne détecte pas de corrélation entre l’excédent que captent les capitalistes et l’épargne privée. Si les salaires montent, l’épargne s’accroît également mais les profits et l’investissement diminuent. Ces relations de précédence suggèrent que le conflit distributif agit dans le cycle par l’arbitrage public d’un niveau d’épargne forcé.

Cette partie du document est ordonnée comme suit. Elle commence par retracer comment s’est construit le lien entre l’épargne, le service et le niveau de l’endettement public et comment il détermine un déclin des taux d’épargne et d’investissement depuis les années 70. Le rapport épargne / investissement est ensuite décrit par l’analyse de leurs composantes et leur corrélations macroéconomiques. Un dernier point retrace l’évolution dans la période de l’intermédiation financière.

Ces données montrent que, par la dette publique qu’elle implique, la contrainte externe signifie une défiance en la monnaie qui détermine l’épargne et l’investissement. Cette hypothèse est développée en plaçant la dimension monétaire de leur relation au centre de l’analyse, ce qu’aborde la seconde partie de la recherche.

1. Le poids de l’histoire : du cycle « investissement-épargne interne » au cycle « endettement-épargne externe »

Pendant l’industrialisation par substitution des importations (ISI) qui se déroule au long du 20ème siècle jusqu’à la dictature militaire de 1976-83, l’épargne nationale a financé l’expansion économique. L’épargne nationale croit mais c’est là une épargne souvent forcée par le régime

Page 9: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

9

monétaire en dégageant une épargne publique et/ou en faisant baisser la consommation. Le cycle est donc un cadre de compréhension des effets de la crise actuelle4.

Dans les années 60, la montée des subsides et dégrèvements fiscaux affecte le niveau des recettes publiques et, à partir des années 70, les tensions sur le placement de l’épargne s’aiguisent à mesure que l’inflation aggrave la baisse des recettes réelles. Le déficit budgétaire va plonger jusqu’à 15% du PIB en 1975, ce qui fait paraître cette année comme le moment du tournant qui provoque la reformulation du modèle de développement. En même temps, s’accentuait le déficit du compte courant. L’endettement externe va alors s’envoler et il impliquera ensuite un endettement public exponentiel.

Les mesures de la libéralisation financière, mises en route en 1977, auront permis la constitution de groupes économiques dont l’activité bancaire et financière tire alors profit de la différence des taux d’intérêts domestique et étranger (Basualdo, 2007). L’ancrage du change5, adopté en 1979, confortait l’endettement externe bien que son coût s’était accru à la suite de la montée du taux international qui alimente l’envolée du taux d’intérêt domestique. Nombre d’entreprises tombent en faillite, ce qui conduit à une crise bancaire en 1980/81. Les groupes nouvellement constitués, qui ont pu refinancer leur dette externe, vont bénéficier d’une couverture du risque de change qui transforme, entre 1981 et 83, leur dette externe en dette publique interne.

Les années 80, qualifiées de décennie perdue, seront l’histoire de l’emballement de cette dette publique, externe et interne, impossible à solder. Par le canal du taux d’intérêt de la dette publique, la dévaluation se transforme en un régime de haute inflation qui débouchera sur trois poussées d’hyperinflation à la fin de la décennie. Tout au long de la décennie, l’épargne nationale et l’investissement ont régressé et la consommation s’est maintenue alors que le paiement net aux facteurs externes augmente de façon substantielle (Fanelli, J., Frenkel et Rosenwurcel, G., 1990).

La désinflation sera finalement obtenue par un nouvel ancrage du change, une décennie plus tard, cette fois dans sa forme la plus extrême, le système de caisse de conversion des devises établissant dans la loi la parité du peso au dollar. La mesure garantit le refinancement de la dette publique (externe et interne) grâce à la conversion des titres en actifs des entreprises publiques privatisées. La croissance forte qui en résulte (excepté la brève récession causée par l’effet de contagion de la crise mexicaine de la fin 1994) permet une reprise de l’épargne mais celle-ci ne récupère pas le niveau atteint à la veille de la réforme financière de 1977. Depuis, en période de croissance, l’épargne nationale ne couvre plus l’investissement si ce n’est dans les années de crise 1987-90 et 2001-02. On observe que, dans la récession, elle baisse moins vite que l’investissement (figure 1).

Dans les années 1980, le passage à la haute inflation et la perte du pouvoir de contrôle de monétaire dans l’hyperinflation manifestent une perte de confiance en la monnaie domestique, ce que révèlent deux données essentielles du bilan du système financier qui perdurent pendant la période dite de « convertibilité »6 et débouche sur la crise de ce régime monétaire à la fin de l’an 2000: la progression de la dollarisation des crédits au long de la décennie (voir infra); l’endettement externe couvre les intérêts et l’amortissement de la dette mais aussi la fuite de capital, laquelle est souvent supérieure au premier type de transferts (Marques Pereira dans le rapport).

Cette histoire de la confiance en la monnaie s’écrit dans la valeur réelle des profits d’entreprise et du service de la dette. Cette confiance est maintenant érodée par une inflation non reconnue. La

4 Voir Hugon, P et Salama, P., (éditeurs) (2010), Les Suds dans la crise, Revue Tiers Monde Hors série, Paris : Armand Colin) 5 Crawling peg ou régime à crémaillère, c’est-à-dire de mini dévaluations annoncées à l’avance ; ceci, pour servir de paramètre des prix, ce qui se révéla impossible 6 Le régime de fixité du change à la parité 1 peso pour 1 dollar est assorti d’un régime d’émission de Currency Board par lequel la base monétaire doit être couverte par les réserves de change.

Page 10: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

10

méfiance en la monnaie nationale qui s’est installée dans les années 80 n’aurait donc pas été réellement exorcisée par la loi de convertibilité de 1991. Ce sentiment était conforté par l’absence de dérive de l’inflation en 2003, à la suite de la dévaluation du peso au tiers de son ancienne parité avec le dollar. La stabilité des prix ne tenait qu’à la crédibilité de la parité, acquise dans la privatisation et par la relance d’un endettement privé et public qui irait s’avérer fatal. Avant que se retourne la conjoncture favorable de l’emprunt international, la crédibilité de la parité de change fut le moyen de réaliser les réformes structurelles. Après la crise, les excédents jumeaux ont financé le service d’une dette publique réduite, rendue à nouveau compatible avec une forte croissance.

La bonne résistance aux répercussions de la crise actuelle ne signifie pas que la question du stop and go de la politique économique ne continue pas moins de se poser. Un examen détaillé des composants de la dette publique (ajustement des flux de paiement et de son stock) démontre que la réduction de son coût après la restructuration de la dette en défaut dépasse celui que laisse supposer la conversion en nouveaux bons et les intérêts payés depuis lors. Cette analyse (II-7 du rapport, p. 47 et suivantes.) peut se résumer comme suit.

« Conformément aux données publiées par le « Boletín Fiscal », le stock net de la dette de l’Administration Centrale (AC) a baissé de 140% à 55% du PIB entre son pic de fin 2002 et fin 2006. D’autres documents officiels, moins médiatisés, fournissent une vision moins optimiste. Primo, cette baisse ne prend pas en compte la dette en défaut vis-à-vis des créanciers qui n’ont pas accepté les nouveaux bons (12% du PIB en 2006). Elle inclut, par contre, la créance sur les provinces correspondant à leur dette en défaut auprès l’administration centrale. La créance en question représentait, à la fin 2006, 65% des actifs de l’AC, soit 8,5% du PIB. Deuxio, la baisse du stock dissimule d’autres types de flux potentiels futurs que les fiscalistes désignent communément de « squelettes dans l’armoire ». L’expression fait référence aux engagements à payer non comptabilisés dans le résultat financier courant de l’Etat dès lors que leur règlement est conditionnel (garantie d’emprunts d’entreprises publiques, par exemple). La transparence des comptes publics paraît également contestable, à ce titre, en ce qui concerne les engagements reportés des bons émis en échange de la dette en défaut ou des nouveaux bons. Les uns et les autres impliquent un coût budgétaire potentiel qui peut être, entre autres facteurs, fonction d’une indexation à l’inflation ou au PIB ou encore d’un taux de change, s’ils sont libellés en monnaie étrangère. Le calcul simulé de ces coûts implicites, sur la base des données du Ministère de l’économie, indique un impact sur le résultat financier du Budget qui aurait signifié une augmentation du stock de la dette représentant, en moyenne de 3,96% du PIB annuel entre 2002 et 2006 ou, s’il s’agissait d’un paiement cumulé, 20% du PIB (voir rapport, graphique 10, p. 67). Cette augmentation se répartit quasiment à part égale entre la majoration des coupons indexés au PIB et les intérêts capitalisés + l’indexation à l’inflation » (repris de Marques Pereira, dans le rapport, d’après Lo Vuolo et Seppi, 2008).

A ce coût implicite reporté de la dette publique, s’ajoute celui de la stérilisation des achats de devises qui ont permis le maintien d’un taux de change dit « compétitif et prévisible ». Cette stérilisation implique l’émission de bons par la Banque Centrale qui représentent une part croissante des réserves.

Cette gestion de la dette publique fonde une politique de maximisation des excédents budgétaire et du compte courant qui pousse la croissance après avoir neutralisé les effets inflationnistes de la violente dépréciation du change quant fut abrogée la loi de convertibilité. L’expansion de l’épargne privée et publique ne peut toutefois être considérée comme un gage de désendettement public durable au regard des coûts reportés de son service et de son amortissement. Les mesures récentes prises dans la conjoncture nouvelle générée par la crise en témoignent d’ores et déjà. La renationalisation des caisses de sécurité sociale redonne à l’Etat la maîtrise des ressources qu’elles représentent. Mais plus récemment, le gouvernement a manifesté sa volonté d’arriver à un accord avec le FMI qui lui redonne accès à la finance internationale. Au-delà de cette évolution de la conjoncture nouvelle au niveau international qui menace la permanence de cette politique, le rôle que

Page 11: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

11

joue l’épargne dans la régulation de la croissance et de sa stabilité n’a pas fait l’objet d’un changement structurel. L’analyse qui suit de l’évolution des composants de l’épargne et de leurs corrélations aux agrégats macroéconomiques conforte cette hypothèse.

2. Epargne et investissement

L’évolution des composantes de l’épargne La répartition par les comptes nationaux du placement de l’épargne privée entre actifs quasi-

monétaires (dette publique) et investissements suggère un ajustement des composantes de l’épargne qui est fonction du financement du budget et de l’état du compte courant.

Les courbes des ratios au PIB à prix courants de l’épargne interne (étrangère et nationale) et de l’investissement (actifs non financiers produits), dit IBIF (investissement interne brut réel fixe), dessinent clairement trois périodes : 1993-98 ; 1999-2002 ; 2003-2006 (figures 3 et 4) ci-après).

Dans la première, on observe une croissance du taux d’investissement, interrompue par la chute de l’effet Tequila. Le taux d’épargne s’élève au-dessus de l’investissement en même temps que s’accroissent les stocks. Il baisse moins vite que l’investissement lors de la crise de 1995 et il reprend plus vivement par la suite.

Dans la seconde, de 1999 à 2002, la chute de l’épargne privée est moindre que celle de l’investissement, sauf dans la déroute monétaire – la rupture du système de paiement fait plonger l’épargne à un plus bas niveau que l’investissement. Les stocks, qui s’étaient accrus pendant la récession, deviennent négatifs en fin de période.

A partir de 2002, la reprise de l’épargne est moins forte que celle de l’investissement et les stocks se sont maintenus stationnaires.

Figure 3 : variation des stocks, épargne interne et investissement, en % du PIB, prix courants

-0,03

0,02

0,07

0,12

0,17

0,22

1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006

Variation des Stocks IBIF Epargne Interne

Page 12: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

12

Figure 4 : épargne nationale et externe, investissement, en % du PIB, valeurs courantes

-0,10

-0,05

0,00

0,05

0,10

0,15

0,20

0,25

0,30

1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006

Epargne Externe IBIF Epargne Nationale

Les graphiques ci-dessus montrent la variation de l’écart épargne/investissement dans le cycle : il se réduit dans les crises du fait de la plus forte contraction de l’investissement et s’élargit dans la reprise. Dans la reprise actuelle, par contre, la brèche se resserre. Tout au long de la convertibilité, l’épargne interne dépasse l’investissement alors qu’on observe le contraire après la maxi-dévaluation. L’excédent d’épargne interne a permis, dans les années 90, l’accumulation des réserves de change qui en soutenait la parité au dollar, rôle que jouent à présent les excédents jumeaux – l’excédent primaire du budget et celui du compte courant.

La lecture de l’ajustement de ce que les structuralistes ont appelé brèche d’endettement, externe, public et privé met en évidence le rôle anticyclique de l’excédent d’épargne privée. De l’équivalence comptable entre épargne et investissement est dérivé le modèle des trois brèches définissant l’identité suivante où S est l’épargne, I l’investissement. (M-X) la valeur du compte courant

( ) ( ) ( ) 0´ ≡−+−+− XMISIS publicprivé

. Dans la crise, le déficit d’épargne, qui tend à s’annuler pour le secteur privé entre 1998 et 2000, se transforme en excédent ; avec retard pour le secteur public. On peut faire deux mesures du déficit public. Celle du compte d’investissement du ministère de l’économie – département des finances (Hacienda) permet de construire une courbe n’incluant que les intérêts dus et non pas ceux qui sont reportés dans l’exercice, à l’inverse des Cuentas nacionales qui prennent en considération l’ensemble7. Dans les deux cas, on observe que le déficit se réduit dès 2001 mais la baisse est bien plus prononcée pour le ministère des finances. Le compte d’investissement montre que la récupération du financement de l’économie est autant due à la baisse du déficit public (avec le défaut et la pesificación) qu’à l’excédent d’épargne privée, engendré par la crise. Il faut là-dessus faire deux remarques. 1/ La réduction de la brèche publique négative que permet la baisse du service de la dette

7 Voir annexe A.3. pp. 128-130 du rapport final sur la méthode de construction de cette courbe.

Page 13: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

13

(grâce à ce report), réglé dans l’exercice budgétaire, à un coût futur (cf. encadré page 18). 2/ Pour la dernière année observée (2005), les données de Hacienda montrent une réduction de la brèche publique, positive depuis 2003, et une inversion de tendance de la brèche privée qui redevient positive, ceci alors que la brèche externe tend à nouveau vers le bas, ce qui pourrait suggérer une réduction des marges de manoeuvre de la politique économique.

Figure 5 : Excédents sectoriels en % du PIB 1993-2004, valeurs courantes (cuentas nacionales)

-0,10

-0,05

0,00

0,05

0,10

0,15

1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005

Externe Public Privé

Figure 6 : Excédents sectoriels en % du PIB 1993-2004, valeurs courantes (Hacienda)

-0,10

-0,05

0,00

0,05

0,10

0,15

1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005

Externe Public Prive

Page 14: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

14

Corrélations entre épargne et investissement Le rapport entre épargne et investissement est idéalement testé par les régressions aux

moindres carrés ordinaires. Cette méthode décèle dans les séries disponibles la détermination d’une variable sur une autre et en quelle proportion la variable dépendante s’explique par la valeur que prend la variable indépendante à un instant donné. La méthode des moindres carrés ordinaires suppose des séries stationnaires, ce qui n’est pas le cas des séries en question. La « non stationnarité » des séries signifie que les chocs aléatoires ou stochastiques n’ont pas d’effets de variance constants. Les résultats des moindres carrés ne peuvent être considérés robustes car la stationnarité conditionne le degré de significativité de la régression.

Il fallait donc recourir à d’autres approches des corrélations recherchées. Compte tenu du faible nombre de valeurs disponibles (données annuelles) la méthode de la cointégration ne permet de discriminer que les relations causales et aléatoires entre deux variables considérées par paire. On détermine ainsi, dans des séries non stationnaires, l’existence ou non d’un rapport à long terme entre l’épargne, l’investissement et les séries macroéconomiques, considérés dans les régimes de croissance.

La causalité, au sens de Granger vérifie ensuite la précédence entre variables – à savoir, de combien la valeur d’une variable y peut s’expliquer, à un moment donné, par la valeur passée d’une variable x. C’est là plus une mesure de prédictibilité que de causalité, au sens propre du terme. Elle ne signifie donc pas qu’une variable soit, pour un certain degré, l’effet de l’autre. Il ne s’agit que de causalité temporelle, dans le sens où l’une précède l’autre.

Cointégrations

alMasaSalariivadoAhorro

PBIivadohorro

ivadaIBIFivadohorro

GiniivadoAhorro

WageShareivadoAhorro

IBIFrnoAhorroExte

onalAhorroNacirnoAhorroExte

EBEIBIF

ofitShareBIF

PBIIBIF

EBEonalAhorroNaci

alMasaSalarionalAhorroNaci

PBIonalAhorroNaci

IBIFonalAhorroNaci

WageShareonalAhorroNaci

21,0Pr 15)

19,0Pr 14)

Pr62,0Pr 13)

38,0Pr 12)

52,0Pr 11)

32,0 10)

15,0 9)

83,0 8)

Pr85,0 7)

43,0 6)

39,0 5)

15,0 4)

3,0 3)

51,0 )2

63,0 1)

−==Α

−=Α=

−==

===Ι=

====

−=

- un rapport négatif de l’épargne nationale et de l’épargne privée avec la part des salaires au PIB

- un rapport positif de l’investissement national à l’épargne nationale mais négatif de l’investissement privé à l’épargne privée et il en est de même pour le rapport de l’épargne à la masse salariale, positif pour l’épargne nationale et négatif pour l’épargne privée

- un rapport des ratios d’épargne au PIB est positif mais son coefficient est deux fois plus important pour l’épargne nationale ; l’investissement national est corrélé positivement au

Page 15: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

15

PIB et de façon très significative avec la part des profits et l’excédent brut d’exploitation (EBE) ; il n’a pas de rapport observable entre le taux d’intérêt et l’investissement (IBIF)

- le rapport entre épargne nationale et épargne externe est, semble-t-il, une relation de complémentarité et non pas de substituabilité : on observe, en effet, une relation positive, quoique faible, de l’épargne externe à l’épargne nationale mais pas l’inverse.

- l’investissement génère plus d’épargne externe, avec un coefficient deux fois plus important mais la relation inverse n’est pas vérifiée : il n’y a pas de rapport observable entre l’investissement et le taux d’intérêt qui soit significative ni non plus avec les taux d’épargne.

Causalités de l’épargne au sens de Granger

Figure 7 : La précédence « Granger » dans le rapport épargne / investissement

Autant la progression du taux d’épargne privée que celle du taux d’épargne nationale précèdent celle du taux d’investissement privé et national, respectivement. Cette « causalité » s’observe également en niveaux. Il n’y a pas de précédence du taux d’intérêt ni vis-à-vis de l’épargne ni de l’investissement. Les corrélations les plus fortes sont celles de l’investissement aux profits (en niveau et en part du produit). L’épargne n’influerait positivement sur l’investissement que par sa composante externe ; l’épargne privée affiche une corrélation négative avec l’investissement et avec la part salariale. Il faut examiner plus en détail l’effet de l’endettement et de l’autofinancement des entreprises pour élucider son rapport à la répartition.

La figure ci-dessus explicite la formation de l’épargne que suggèrent les relations de cointégration repérables sur la période 1993-06. L’épargne privée est la seule série stationnaire ; les autres variables tendent à s’éloigner de leur valeur moyenne en réaction aux perturbations systémiques. Les corrélations observées permettent de faire l’hypothèse que cette stabilité se réalise grâce à la relation en feedback de l’épargne privée avec la masse salariale et avec le PIB. Cette relation prend place dans un circuit où tous les types d’épargne précèdent l’investissement mais où l’inverse ne se vérifie pas. Par ailleurs, les profits (EBE) précèdent l’investissement et la consommation, laquelle précède la masse salariale.

Epargne privée

PIB

Masse salariale

Masse de l’excédent

Investisse-ment privé

Consom-mation privée

Epargne nationale

Epargne externe

Page 16: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

16

La précédence de l’épargne à l’investissement ne peut être tenue pour une illustration de la théorie des fonds prêtables. Le taux d’intérêt n’est pas une variable de la stationnarité de l’épargne privée. Il n’y a pas de cointégration de l’épargne avec l’indice de Gini, donc la distribution personnelle. En revanche, il y a cointégration avec la distribution fonctionnelle. Il faut noter en outre l’absence de précédence des profits à l’épargne privée. Les profits précèdent les dépenses - consommation et investissement mais non pas l’épargne. On peut observer que ces indications statistiques sont consistantes avec l’importance de l’autofinancement dans l’investissement, examiné ci-après.

Dans ce schéma de formation de l’épargne, on retrouve un fait stylisé d’ajustement récurrent : une chute de l’épargne privée précède l’ajustement du salaire et la récupération de la première précède celle du second. On a pu l’observer dans la dernière sortie de crise et dans la précédente.

Les séries disponibles ne permettaient pas de faire figurer l’épargne publique dans ce schéma. L’analyse antérieure de la dette publique a mis en évidence ses composants « sous-jacents – résultat de pratiques « comptables » qui, dans le cas européen, ont pu être qualifiées de « comptabilité créative ». Le poids de l’opération dans le résultat financier du secteur public augure de la nécessité de relever l’excédent budgétaire, ce qui aggraverait les conséquences dangereuses du dérapage actuel des prix.

Tout exercice de prédiction de ce grippage du cercle vertueux paraît vain tant la configuration des composantes de l’épargne se joue sur le terrain politique où se négocie ou, mieux dit, s’affrontent les acteurs d’une redistribution de la rente agricole au bénéfice de l’investissement industriel. La partie n’est pas gagnée, on le sait. Dans ces situations ouvertes, le mieux est parfois plus facilement concevable en considérant les marges de consolidation du cercle vertueux des années 2003-08.

Structurellement, le mieux serait que les capitalistes ne dépendent pas des niveaux réduits de salaires qui gonflent les profits pour se décider à investir, c’est-à-dire qu’ils se comportent en fonction du profit espéré et non plus du profit réalisé. Ce qui implique un environnement systémique très différent en matière d’anticipations.

Le conflit rentes/salaires/profit qui secoue l’Argentine pointe l’inconsistance temporelle entre les causalités à la Granger 1/ de l’épargne privée à la masse salariale, 2/ de l’épargne à l’investissement et 3/ de ce dernier aux profits. Ces corrélations semblent traduire les deux faits stylisés suivants de la remontée du cycle qui amènent son retournement :

- La progression des salaires et de l’épargne ne s’accompagne de celle des profits qu’au prix du maintien des marges par l’inflation. L’ajustement à la baisse des salaires a restauré les profits, ce qui a permis la reprise de l’investissement qui a relancé le cycle.

- L’investissement croit avec l’épargne que permet de dégager une masse salariale qui croit avec l’emploi jusqu’à ce que la reprise des salaires devienne une limite aux profits et donc à l’investissement malgré la consommation accrue des salariés.

3. Le système institutionnel d’intermédiation financière de l’épargne

L’évolution de la structure financière Durant l’ISI, le régime financier se caractérise par une inflation modérée, un réseau bancaire

en grande partie public, un crédit contingenté et orienté.

Page 17: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

17

La libéralisation financière de 1977 bouleverse radicalement ce mode de financement car elle donne lieu à un endettement externe qui accroît la valorisation financière du capital au détriment de l’accumulation du capital fixe. La crise de la dette externe en 1982 inaugure un trend ascendant incontrôlé d’émission de titres publics et de captation de ressources financières par le biais des encaisses rémunérées.

Dans les années 90, le système bancaire sera forcé de se recapitaliser pour satisfaire aux critères de Bâle, ce qui impliquera la concentration bancaire au bénéfice des banques étrangères et de capital privé national, dans une moindre mesure. L’offre bancaire se transforme en suivant le modèle de banque universelle. L’expansion du système bancaire accompagne la remonétisation de l’économie (M3 passe de 21,46 à 34,59% du PIB de 1993 à 2000, 33,65 en 2004 (voir graphique 8). La capitalisation boursière s’est développée dans le sillage des privatisations et de la constitution de fonds de pension mais la rentabilité du système financier demeure toutefois très inférieure à d’autres pays d’Amérique latine (Dapena, 2009).

Figure 8 : Prêts et M3

0%

5%

10%

15%

20%

25%

30%

35%

40%

1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006

M3/PIB Prêts totaux/PIB

Dans la post-convertibilité, le changement de prix relatifs qu’a provoqué la dévaluation fait que le schéma patrimonial du système bancaire se restructure à l’inverse des années de convertibilité forcée. La pesification asymétrique8 a considérablement aidé au désendettement et accru, en conséquence, la part de l’autofinancement. La réévaluation patrimoniale a joué un rôle d’accélérateur financier de la croissance. L’effet de la crise sur l’épargne privée (dont l’épargne obligatoire destinée aux fonds de pension) aura été vite résorbé – en un an approximativement. Il faut noter que la première croit plus rapidement que la seconde depuis 2004.

Enfin, le choix des actifs que font les fonds de pension s’est modifié les titres publics, laquelle passe d’un peu plus de 40% à plus de 60% entre fin 1997 et 2002. Elle redescend depuis lors, atteignant 50% à la fin 2006.

Sur l’ensemble de la période, le financement de l’activité productive s’est réduit, d’une part car le crédit ciblé bonifié a disparu, d’autre part en raison de la fragilité de la confiance dont témoigne le degré de dollarisation. Celle-ci diminue très nettement dans le crédit. Il faut aussi souligner que la crise a considérablement accru la part de titres dans l’actif bancaire. La « pesification asymétrique » l’a augmenté mais les prêts au secteur privé n’ont, par contre, pas connu de reprise significative.

Figure 9 : épargne privée et cotisations aux fonds de pension

8 Lors de l’abrogation du régime de Currency Board, les dépôts furent convertis au taux de 1 pour 1,4 et les dettes à parité. La restructuration de la dette publique en défaut la dévalue également de façon significative (en moyenne de 70%).

Page 18: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

18

75

125

175

225

275

325

1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005

base

199

4=10

0

Cotisations Epargne privée

L’augmentation des dépôts à partir de 2003 est du, pour moitié, au secteur public (excédent budgétaire). Les crédits du secteur public ont continué de se restreindre jusqu’à présent et jusqu’à 2004 pour le secteur privé. Pour l’ensemble, la chute n’est pas encore effacée. La concession du crédit semble inversement proportionnelle à la rentabilité des LEBAC (lettres de la banque centrale).

Figure 11 : Composition des actifs des fonds de pension

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

35582

Titres publics Actions locales

Fonds communs d'investissement Titres de valeurs étrangères

Obligations négociables Dépôts à terme

FID, FF, titres hypothécaires, régionaux Autres

Figure 12 : prêts au secteur privé en peso et en dollar

0

10000

20000

30000

40000

50000

60000

70000

1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006

Pesos Dollars

Page 19: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

19

Les bilans Le bilan comptable du système bancaire que présente « Le livre des entités financières », tenu

par la banque centrale, discrimine l’état comptable des divers types d’actifs (voir liste et définitions en annexe de ce chapitre du rapport). Il est intéressant de mettre ces données en perspective avec les agrégats monétaires, particulièrement M3, lequel comporte la dette de court terme quasi-liquide. L’analyse des ratios d’actifs – part des titres publics et privés, ratio des emprunts à l’actif total et des titres (privés et publics) aux emprunts – démontre l’importance relative qu’ont prise les titres au début de la convertibilité ainsi que dans la reprise actuelle et, en contrepartie, la régression des emprunts.

La forte croissance de la valeur globale des titres par rapport aux emprunts de 2001 à 2004 est l’effet de la pesification asymétrique et elle diminue depuis lors. On observe que le système financier a peu contribué à la reprise, ce que confirme, comme on le verra plus loin, l’importance croissante de l’autofinancement. La reprise des emprunts demeure trop marginale pour prédire si la part des titres, qui ne représentait que 5% de l’actif en 1994, peut on non diminuer durablement des 25% qu’elle atteint en 2005. La monétisation de l’économie que révèle M3/PIB trace ainsi une courbe qui s’élève au-dessus de celle du ratio emprunts/PIB tant que dure la croissance. Vu que M1 et M2/PIB ont cru moins vite, il faut alors noter que l’épargne quasi-liquide progresse sans que joue le multiplicateur de crédit, à la différence de la convertibilité.

Cette évolution s’explique par l’évolution des rentabilités respectives de l’activité de prêt (à la production ou la consommation) vis-à-vis d’activités spéculatives – hypothèques et titres. La série indique clairement l’accélération en 2001/2002 de la hausse continuelle de la part des titres dans la rentabilité totale, symétrique à la baisse de cette des prêts à la production et à la consommation. La relation de précédence profits/investissement est consistante avec l’observation des flux mesurant l’épargne corporative (Bebczuk, 2000). On ne dispose pas de la désagrégation de l’épargne privée entre celle des ménages et des entreprises dans les Comptes Nationaux. A défaut, on peut évaluer l’autofinancement par l’égalité suivante : Epargne corporative = Variation des actifs totaux – variations de la dette – variation des actions.

Figure 13 : bilan du système financier total 1994-2006

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006

Titres/Actif total Prêts totaux/Actif total Titres/prêts totaux

Page 20: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

20

Rentabilité du type de Prêts et rentabilité totale du système financier

1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006

Titres 4 849 3 689 3 733 4 301 4 593 24 541 11 865 11 837 15 134 13 409

Hypothèques 4 290 3 574 3 560 4 451 5 753 17008 3 632 2 195 2 211 1 970

Titres + hypothèques 9139 7263 7292 8752 10346 41549 15497 14032 17345 15380

% sur total 35,9% 37,1% 38,3% 40,2% 42,9% 52,5% 66,7% 69,2% 65,0% 57,1%

Production + consommation 1634 12297 11751 13034 13785 37664 7 728 6 246 9 324 11559

% sur total 64,1% 62,9% 61,7% 59,8% 57,1% 47,5% 33,3% 30,8% 35,0% 42,9%

Actif total 25 484 19 560 19 043 21 787 24 132 79 213 23 225 20 278 26 670 26 939

En millions de pesos courants

Sources du financement corporatif en %

Total (1)

Dette Internationale

(2)

Actions (3)

Dette Domestique

(4)

Crédit Banquaire

Domestique (5)

Epargne Corporative Brute 7= 1-(2+3+4+5)

1990 100 0,00 0,03 0,44 12,18 87,4

1991 100 0,00 0,70 2,00 3,99 93,3

1992 100 1,20 0,29 5,26 10,37 82,9

1993 100 8,98 20,66 11,97 10,61 47,9

1994 100 7,00 3,74 10,43 5,05 73,8

1995 100 4,14 0,48 8,27 -1,32 88,4

1996 100 7,21 0,00 6,36 7,26 79,2

1997 s/d s/d s/d s/d s/d s/d

1998 100 2,84 0,00 2,67 12,36 82,1

1999 100 -0,20 0,00 0,59 -4,10 103,7

2000 100 -0,22 0,52 0,22 -5,69 105,2

2001 100 -1,86 0,36 -0,53 -31,04 133,1

2002 100 -4,11 0,39 3,19 -88,45 189,0

Page 21: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

21

II - LES CONDITIONS DU CHANGEMENT

Résumé

L’analyse macroéconomique réalisée dans le point précédent suggère que le changement de régime économique, proclamé par les autorités, n’est qu’un changement à la marge. La politique monétaire au sens large (y compris le régime de change) et financière autorise une croissance forte du produit national et de emploi dans les conditions externes favorables qui ont prévalu. L’économétrie pointe dans le financement public une limite à la croissance. La variation des grandeurs ne peut saisir cependant la teneur du pari gouvernemental d’ancrer les visions du long terme sur une perspective de stabilité assurée par la politique de change et son effet sur l’excédent budgétaire. C’est là une réalité sociale que ne prend pas en compte la modélisation – ce qu’on a appelé en introduction une économie politique et intellectuelle. La question est de savoir si peut ou non se dénouer dans le débat de politique économique et sociale ce que la littérature sur le changement institutionnel nommerait un verrouillage (lock in) des institutions de répartition.

Ce verrouillage constitue un des défis de la gouvernementalité économique : « quels aspects d’une configuration institutionnelle spécifique sont (ou ne sont pas) renégociables et sous quelles conditions ? » (Thelen, 2003). L’inconnue, dit l’auteure, concerne les moments critiques (types d’événements ou processus plus enclins à rompre une stabilité institutionnelle) et les modes de changement, y compris ceux qui empruntent le chemin d’une conversion des institutions, c’est-à-dire, leur faculté à s’adapter à un nouveau contexte. Dans cette optique, il faut considérer que la réponse à la crise de 2001/2002 a constitué une tentative de conversion institutionnelle – forcer à une négociation d’un partage de l’excédent qui permette le désendettement de l’Etat sans changer le cadre régulateur en dehors d’une redéfinition de la valeur nominale des actifs financiers et monétaires.

Dans la pratique de l’action politique, cet arrangement ne change ni ses pratiques (permanence du clientélisme), ni non plus les fondements du trend de répartition. L’action politique butte aujourd’hui sur la même opposition d’autrefois concernant la nécessaire socialisation d’une part de la rente agricole. La perpétuation de la macroéconomie de l’après crise 2001 se heurte ainsi à l’héritage historique du partage de l’excédent (toutes choses égales par ailleurs sur le plan externe, ce qui est loin d’être évident à l’avenir). La macroéconomie n’a, en fait, changé que sur le moyen de réaliser le partage de la richesse par le système des prix : un change compétitif (et prévisible) et l’excédent budgétaire.

Les limites du modèle de croissance sur le terrain de la répartition se définissent dans la dimension monétaire des conflits d’intérêt. L’écart entre salaire moyen réel et productivité qui s’est creusé durant le régime de convertibilité persiste. L’inflation explique certainement que la hausse de l’indicateur salarial depuis le 3ème trimestre 2003 n’ait pas permis de récupérer en 2006 le niveau d’avant crise (Quenan, 2009). La politique monétaire accommodante n’a pas, par contre, empêché la perpétuation / progression des gains de la dette publique. Ce conflit d’intérêt configure un rapport erratique entre la dette publique et l’épargne qui est noué dans les décisions monétaires. Cette économie politique se donne à voir dans la contrainte budgétaire que représente le service de la dette publique.

La priorité conférée à l’excédent budgétaire a été définie dans un moment de refondation éthique du système monétaire. Si la vulnérabilité financière externe est ainsi réduite, la liquidité continue toutefois d’être gagée sur la dette publique. Ce compromis distributif paraît en fait intenable. Il autorise un écart croissant salaires / profits grâce à une croissance élevée sur laquelle sont indexés les titres nouvellement émis. La part des bons publics dans l’actif du système financier s’est accrue et démontre par là le caractère essentiellement financier de la fonction de liquidité de la monnaie en tant que réserve de valeur. Il faut en conclure qu’il n’y a donc pas de lien fonctionnel direct entre épargne

Page 22: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

22

et investissement mais seulement un lien indirect, leur dépendance commune à la dette publique. On peut résumer comme suit la cette séquence de faits stylisés.

• L’éthique. Plus encore que la crise actuelle, la sortie de crise argentine a impliqué un débat d’éthique. Ce denier fut bien plus retentissant dans une crise bancaire à l’ancienne, comme on sait, évitée dans la crise hytpothécaire nord-américaine. Le débat éthique n’a pas eu toutefois d’incidence sur la structure d’intermédiation financière. Au vu de la récupération du rendement des titres, la nécessaire punition des créanciers qui justifiait un règlement unilatéral du défaut s’avère à postériori une rhétorique discutable. Celle-ci n’en a pas moins changé l’objectif de la politique économique. La redéfinition souveraine de la valeur nominale des dettes a stoppé l’effondrement financier et elle a fait dépendre leur évaluation future de la croissance de l’épargne nationale. La politique économique qui réalise cet objectif ne permet pas le désendettement mais elle donne un gage au report des intérêts. La croissance de l’épargne est largement forcée par le maintien de la précarité du travail. Il n’y a là rien de neuf. La progression de l’épargne n’est donc pas nécessairement le fait d’un changement structurel qui mettrait fin au stop and go9.

• Le compromis distributif constitutif du régime monétaire. La refondation du système monétaire n’a permis qu’un compromis distributif fragile, maintenant mis à l’épreuve dans la crise mondiale. Le niveau d’épargne nationale requis pour solder le service de la dette va devoir être accru, ce qui limite la capacité contra-cyclique de la politique budgétaire. Les diagnostics qui seront tirés dans l’avenir immédiat vont recouper un débat général sur l’instabilité financière qui repose la même question que soulevait déjà la crise de 2001/2002 : l’aveuglement des risques systémiques est-il imputable à la concurrence sur les marchés financiers10 ou à une erreur de gouvernance ? Dans ce débat, se forgent des conventions qui s’appuient sur des théories. La convention qui a fait repartir la croissance en 2002/2003 résultait d’un pari sur la restructuration des dettes mais la résolution donnée au défaut de la dette publique et la « pesification asymétrique » n’ont pas fait que définir des taux de conversion différents entre débiteurs et créditeurs. Les nouvelles promesses de revenu véhiculent une nouvelle justification idéologique qui se fonde théoriquement sur la critique des déficits institutionnels de la libéralisation, généralement désignée de consensus Post-Washington (Stieglitz, 1999). Le poids de l’idéologie (ou, mieux dit, des croyances) marque ces paris. Il s’exerce au travers d’une perception sociale de la monnaie à laquelle l’économiste s’intéresse peu – la monnaie en tant qu’institution des unités de compte des actifs et des passifs (Marques Pereira, dans le rapport). L’adhésion de tous à la nouvelle unité de compte dévaluée s’est faite dans les effets de cette reformulation de la richesse et des prix relatifs. L’inflation élevée et les clauses d’indexation de la dette publique témoignent que cette adhésion est pour le moins relative. Comment peut-elle évoluer avec moins de revenus, particulièrement du secteur domestique ?

• La liquidité. La macroéconomie d’une croissance simultanée de l’emploi et de la part des profits, combinée à l’indexation d’une dette rééchelonnée, n’est pas le fruit d’un réel compromis distributif. Sa fragilité politique est la contrepartie des conditions macroéconomiques de l’excédent budgétaire perpétuant la rente financière sur l’Etat. Sous cet angle, un développement de l’épargne dépend d’un changement du paradigme financier. Le problème de fonds demeure celui d’un cercle vicieux entre la faiblesse du crédit et la liquidité financière que fournit la dette publique. Le maniement du taux de change, de l’excédent budgétaire et le contrôle accommodant des prix ont rétabli des promesses de revenu mais leur réalisation reste suspendue au niveau de l’épargne nationale que requiert l’évaluation de la dette publique. On retrouve là une forme de l’ambivalence de l’épargne inscrite dans le rapport entre le crédit bancaire et l’évaluation financière, que met en évidence la théorie du

9 L’ouverture de l’économie change le rapport entre taux de change et taux d’activité (voir Frenkel, R et Taylor, L., (2006). 10 A la base, est en cause une formation des prix inverse au principe de rareté du marché des biens. Sur un marché d’actif, la hausse des prix ne refroidit pas la demande. Ce qui est le mécanisme de la bulle a été vu comme expression de la liquidité de la diversification du risque. La fonction de prix ne revêt pas en ce sens un caractère anormal. L’éclatement d’une bulle démontre l’absence de force de retour à attendre de la formation des prix qu’implique la concurrence (Orléan, 2009).

Page 23: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

23

circuit (Ulgen, dans le rapport). A cette vision de l’épargne comme condition de l’équilibre, s’oppose la conception de la juste valeur d’un actif financier qu’établissent des marchés efficients.

Ces oppositions théoriques cadrent la compréhension collective d’une valeur de la monnaie nationale sanctionnant l’accord ou le désaccord social sur les prix11. Sur ce terrain monétaire, se définissent les paramètres des ratios dépenses / revenus des secteurs institutionnels qu’enregistre la balance des paiements. Ces paramètres sont une réalité institutionnelle de l’acceptation sociale de l’unité de compte. Celle-ci ne s’impose pas par le seul acte gouvernemental. Pour être unanimement acceptée, elle doit être légitime. Ce qui pose problème à ce niveau en Argentine est ce qu’on peut appeler un accord par défaut sur les unités de compte des prix.

Le profit désiré alimente l’inflation, les salaires la subissent (ou non, selon les secteurs) et les titres s’en protègent, jusqu’au niveau contesté de l’indice des prix officiel. La stabilité macroéconomique repose sur l’excédent primaire du budget et sur l’indexation de la dette publique, laquelle alourdit le besoin futur de financement de l’Etat. Un retour sur la trajectoire de la croissance dans la période 2003-2008 est, dès lors, soumis à la dynamique possible du rapport de l’épargne aux conflits distributifs dans les décisions monétaires (1). Les variables d’une progression durable de l’épargne qu’on peut en déduire (2) renvoient à un blocage cognitif des autorités monétaires restreignant au régime de change leur conception d’une politique des revenus (3). On développe à la suite chacun de ces points.

1. Le conflit distributif et le long terme

Les brusques retournements d’anticipations qui ont impliqué la crise de 2001/2002 reposent la question de la coordination comme problème de confiance monétaire. En considérant d’un point de vue monétaire la coordination qu’opère un système de prix, ce qu’on peut appeler l’épaisseur sociologique des grandeurs macroéconomiques interroge la politique économique dans sa dimension politique – au premier chef, celle de la politique monétaire car la grandeur de l’épargne est dictée par ses choix.

Cette analyse se fonde sur la thèse que la confiance en la monnaie est un processus à la fois, symbolique, politique et économique. La confiance s’enracine ainsi respectivement dans une vision du développement national, dans une gestion de la conjoncture et dans une routine des échanges (Théret, 2008). Sur cette base, on peut caractériser la possibilité d’un risque systémique, qu’impliquent les illusions qu’entretient le savoir économique autorisé quant aux promesses de revenus futurs. L’illusion à la source d’une crise systémique est en même temps la clé de voûte des compromis distributifs. Ce que postulent du long terme les modèles « vrais » de l’économie, auxquels se conforment les agents économiques et les décideurs publics, a induit des paris financiers non soutenables.

Le nouveau régime macroéconomique qui s’établit dans la sortie de crise a permis le désendettement privé et la progression de l’épargne, pour une part significative, l’épargne publique. Le taux de change et le maintien d’une autorégulation du marché du travail12 expliquent, a-t-on dit, cette macroéconomie mais l’inflation et la révolte de l’impôt sur l’agro-export témoignent en fait d’une absence de pacte distributif13. Les prix relatifs ont favorisé les profits qui, à leur tour, ont favorisé l’investissement. La rhétorique qu’emprunte la lutte des prix oppose la tentative de restauration du

11 Cela vaut tant pour la géopolitique de la répartition mondiale de l’épargne que pour l’ajustement entre composantes de l’épargne dans les balances nationales des paiements domestiques et externes. 12 On pense ici à la régulation d’ensemble du marché, qu’implique une offre structurée par une négociation des salaires limitée aux secteurs où une tradition syndicale existe et permet d’imposer leur progression accompagnant la productivité. Mais, on l’a vu, la fixation des prix relatifs ne corrobore pas le résultat des négociations sectorielles et l’indice des prix devient, maintenant, objet de négociation. 13 On trouve dans le travail de P. Salama (2010) un exposé précis de ce conflit.

Page 24: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

24

volontarisme économique (laquelle ne devrait plus, aujourd’hui, paraître extravagante) et les intérêts agro-exportateurs.

On peut noter que la question de l’épargne réapparaît dans le débat comme facteur de la croissance lié à ses effets distributifs, ainsi que le signale la republication en 2009 d’un article de Julio de Olivera (2009) de 1962. Ce travail signale que le débat d’alors sur la croissance avait laissé en friche la question du rapport entre taux de croissance et prix des facteurs. Il montre que, sous l’hypothèse de leur proportionnalité, le principe d’accélération de Harrod est fonction du prix des facteurs. Olivera observe que le taux de salaire d’équilibre peut être inférieur au taux courant (productivité marginale) si le taux de croissance est trop faible. Pour une proportionnalité donnée (positive) entre profits et salaires, ces derniers s’accroissent ou baissent avec l’épargne et l’intensité du capital14. Une offre de travail illimitée laisse alors la croissance sans effet sur le salaire réel, ce qui configure la fameuse trappe du sous-développement de Levis. Dans cette analyse, l’égalité I=S est supposée réalisée.

La révision que fait Faruk Ulgen des fondements théoriques du rapport entre épargne et financement de l’économie confronte ce mode de raisonnement de la macroéconomie ancienne à la théorie du circuit monétaire (Ulgen, dans ce rapport). L’une analyse des économies en équilibre. L’autre révèle les déficits du potentiel de croissance que peut impliquer l’épargne. Dans cette seconde optique, la stabilité dépend du rapport entre le crédit bancaire (qui finance ce déficit à court terme) et l’évaluation financière de l’épargne (qui détermine le financement de long terme de l’économie). Donc, problème de coordination : le marché ne coordonne pas le lien entre court et long terme. Plus précisément, les décisions d’investissement fixant le niveau d’activité et les paris sur la valeur de l’épargne.

Pour Keynes, l’incertitude est en quelque sorte refoulée par une convention mimétique qui oriente à la baisse ou à la hausse les marchés boursiers. Si l’on considère la monnaie comme une institution, cette coordination conventionnelle n’est pas qu’une psychologie des marchés. La grille d’analyse de la confiance en la monnaie montre que cette convention est un compromis politique de monnayage des dettes. On est là sur une frontière du savoir économique délimitée par ses postulats. Dans l’analyse néoclassique, cette frontière s’exprime sur la question de la coordination des anticipations de long terme, que ne résout pas (mais esquive) le concept d’anticipations rationnelles au fondement de la théorie de l’efficience des marchés financiers. L’apport de la théorie du circuit permet de considérer une convention de crédit et d’évaluation financière des passifs des agents.

En ce qui concerne l’Argentine, ce rapport entre crédit et évaluation financière se noue dans la fabrique de l’épargne que requiert l’état de crédibilité de la dette publique, c’est-à-dire, un niveau d’épargne qui est « forcé » par la dévaluation des niveaux de salaires et par l’excédent budgétaire. La croissance de l’épargne de la période 2003-08 est d’abord le fait d’une restriction de la hausse de la consommation. L’investissement s’autofinance grâce à une progression des profits, alimentée en partie par l’inflation. La politique monétaire oriente l’évaluation des passifs de l’économie. Les passifs sont ici au premier chef ceux de l’Etat. Ils sont la contrepartie des actifs bancaires (et d’autres institutions financières) qui évitent aux banques de dépendre du crédit à l’activité. Les firmes dépensent ce qu’elles gagnent. La prévision est bornée au court terme de l’accommodement de la politique monétaire et d’un régime de change qui contrecarre la pression à son appréciation liée aux excédents externes croissants.

Dans l’immédiat, penser un scénario qui privilégie l’épargne est alors imaginer comment la vision du long terme peut engager une expansion de la demande domestique mais il s’agit tout d’abord de freiner l’effet de contagion de la crise mondiale et la baisse de recettes publiques qui en résulte. Au-delà, tout dépend du compromis possible dans un mode de partage où, pour l’instant, le revenu salarial

14 Ce résultat n’est pas remis en cause si l’on considère la balance des paiements ni dans un cadre de concurrence imparfaite

Page 25: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

25

n’est, si l’on paraphrase Ricardo, qu’un résidu. L’action collective fait ainsi l’impasse sur son rôle comme source de la demande effective.

2. Les variables d’un scénario de progression soutenable de l’épargne

Une progression de l’épargne nationale qui contribue à la stabilité de la croissance réduirait la vulnérabilité financière en rendant inutile la dette publique comme support de la demande de liquidité financière, indexée sur le risque de change. Ce scénario théorique n’est pas une projection mais un dénominateur commun aux deux types de questions fondamentales qu’elle soulève et qui dessinent la possibilité respective du statut quo et du changement

• L’inertie - La baisse tendancielle du taux d’épargne nationale. L’incidence à long terme de la dette publique est une variable centrale du cycle. Depuis

qu’elle est devenue l’épicentre de la politique économique – au milieu des années 1970, les séries longues montrent que s’opère, à ce moment, le renversement de la progression de l’épargne nationale, observée sur longue période (depuis 1960). En même temps, l’ampleur de ses mouvements cycliques s’accentue de façon considérable.

- La baisse de l’accumulation avec hausse des profits15. Par delà les cycles de crises de la dette, l’accumulation affiche une tendance à la baisse, à

l’inverse des profits ; ce qui pose la question des effets limitatifs et erratiques sur l’investissement de la distribution du revenu résultant d’une politique d’épargne domestique forcée par le service de la dette publique. L’investissement est fonction des profits réalisés et non pas des profits escomptés. L’investissement des entreprises dépend principalement de l’autofinancement. La part des titres publics dans l’actif bancaire s’est accrue et, en l’absence de reprise du crédit au même rythme que la croissance, elle demeure une source significative de la rentabilité bancaire.

• Les possibilités d’un changement structurel - Le conflit distributif. La priorité attribuée au désendettement suppose un nouveau compromis distributif sur la

dynamique de la demande domestique. La résilience aux chocs externes n’est pas faite que de réserves de change mais aussi d’une progression de l’épargne privée par celle des revenus qui l’engendrent au lieu de l’assurer en restreignant la consommation. L’ampleur du choc actuel met à l’épreuve la vision du long terme, essentiellement fondée sur la gestion du change.

- Le crédit. L’allongement de l’horizon de l’épargne soulève dès lors la question keynésienne du rapport

entre crédit bancaire et finance. L’incidence de la politique monétaire dans la formation des anticipations détermine le changement de l’intermédiation financière car elle exprime l’accord possible sur le prix relatif des facteurs.

- Le déficit de couverture des risques sociaux. Plus largement, l’exclusion financière engage un changement de vision des raisons d’être de

l’épargne. La mobilisation de l’épargne populaire donne la mesure de l’ampleur qu’il devrait avoir au regard de la persistance du degré d’informalité mais c’est là une dimension fondamentale de la réforme de la protection sociale qui est à peine considérée. Dans sa fonction de stabilisation, l’épargne doit pouvoir assurer la couverture de risques de pertes de revenus du travail.

Au croisement de ces questions, ce diagnostic d’un développement entravé de l’épargne interroge les effets que pourra avoir ou non la crise actuelle sur la stratégie de la politique économique

15 Dans un développement de cette recherche sont spécifiées les conditions de répartition dans la stabilité de la croissance en suivant la problématique de Kaldor (Lo Vuolo, 2009).

Page 26: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

26

et, plus particulièrement, le rôle qu’elle a continué d’attribuer à l’épargne forcée. Le rôle des théories dans les croyances se croise ici avec la reformulation à l’œuvre des promesses de revenus que peut générer la politique monétaire.

3. De la théorie au « lock in » des institutions.

Le retour de l’épargne Depuis la théorie du revenu permanent de Friedman, l’épargne est tenue pour une variable

dépendante. Elle est stable à long terme et varie dans le court terme selon le théorème d’équivalence ricardienne – sa valeur courante s’ajuste aux perspectives d’imposition. Les débats d’autrefois sur le rôle de l’épargne seraient devenus sans objet une fois que la libéralisation financière était supposée rendre l’épargne du monde disponible à tout pays en déficit de compte courant. Mais, à présent, au regard des interrogations suivantes, l’épargne apparaît à nouveau comme une variable déterminante.

- La progression de l’épargne des pays émergents peut-elle soutenir les déficits structurels du compte courant dans les pays développés ?

- Quels liens faut-il établir entre épargne et croissance ? Plus précisément, pourquoi la corrélation est-elle positive pour les pays émergents à croissance rapide, ou négative dans ceux à faible croissance de long terme ? Dans les pays développés, la baisse de l’épargne peut ne pas empêcher la croissance alors que, par contre, sa hausse peut aller de pair avec une tendance à la stagnation. Les Etats-Unis ont affiché une croissance dynamique alimentée par l’épargne du reste du monde. L’Europe s’est remise à épargner et s’est cantonnée dans la croissance molle, rejoignant avec retard la trajectoire japonaise.

Ces questions interpellent la théorie dominante sur les limites à la connaissance qu’implique le postulat de dichotomie entre la richesse réelle et les variables monétaires. En le suivant, ni l’épargne, ni le taux d’intérêt, ne peuvent être des facteurs de la croissance de long terme ; cette dernière ne dépend alors que des rendements. La critique habituelle de cette vision souligne l’irréalisme du cadre d’analyse sur la question de la concurrence. Au-delà d’une critique d’irréalisme, l’épargne engage la monnaie comme fait institutionnel qui permet à la finance d’être un commerce de promesses. Ce commerce ne concerne pas seulement les individus mais aussi les structures économiques et l’action gouvernementale. Les asymétries d’information financière ne sont pas indépendantes de la sphère réelle, sauf à réduire le réel à une fonction de production. Dans la tradition de la monnaie qui la définit comme droit sur les choses (Schumpeter, 1970), il faut considérer que la finance est partie intégrante de l’économie dite réelle, non seulement comme échange de fonds contre biens d’investissement, mais aussi car elle est une expression monétaire de la richesse.

La monnaie n’est pas qu’un actif de réserve parmi d’autres, réductible à un choix inter temporel. Elle est aussi un droit sur les choses en tant qu’elle est simultanément unité de compte et moyen de solder des dettes. En Amérique latine, ce commerce des promesses est bi-monétaire – fut-ce de façon implicite. En règle générale, le profit escompté de ceux qui ont un pouvoir de marché est évalué en devises et le marché directeur est celui du change. Le niveau des salaires réels et de l’emploi est sensible au taux de change vu que celui-ci détermine le prix courant des biens salaires et les prix relatifs. La norme monétaire est par là affaire de politique : le taux de change et le taux d’intérêt sont les unités de mesure des profits espérés et la politique monétaire est alors, par ses incidences sur les prix relatifs, un champ de conflits d’intérêt que l’action des autorités monétaires doit arbitrer sous la contrainte de liquidité de la dette publique. Le rapport entre l’épargne, l’investissement et la répartition des revenus est une variable cible de la politique monétaire.

Page 27: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

27

On peut présumer de variations de comportements collectifs en fonction de réévaluations de l’avenir (épargne de précaution, contraintes de liquidité). L’interprétation des causalités n’en n’est pas moins toujours sujette au clivage des façons de concevoir l’épargne. Avec l’élimination de la pensée keynésienne, l’épargne devient une variable dérivée, ce qui importe sont les perspectives de rendements des capitaux qui accroissent la fonction de production. On peut rappeler que Robert Solow voit dans cette évolution une dérive théorique : les modèles de croissance endogène sont dérivés du modèle de base et ils représentent donc un monde de concurrence parfaite qui n’existe pas. Cela ne serait pas en soi-même un problème si les implications normatives de la théorie portaient encore sur les conditions d’un sentier de croissance équilibrée et non pas sur un quelconque sentier du taux de croissance, fonction des niveaux de rendements des capitaux de toute sorte (Solow, 2007). L’enjeu n’est pas des moindres : les recommandations d’une politique de long terme reposent sur un dispositif d’analyse de la stabilité de la croissance, représentée comme succession de courts termes.

Comme ne s’est pas réalisé le scénario où une finance fluide répartissant l’épargne mondiale résorberait les déséquilibres des balances de paiement qu’impliquent les cycles réels de chaque économie, l’attention dominante se porte aujourd’hui sur les imperfections de marché. Ces déséquilibres s’accumulent et la question majeure devient celle de leurs effets erratiques de long terme. La question n’est envisagée que sous l’angle de l’effet d’hystérèse des crises financières sur la capacité potentielle de la croissance (Marques Pereira, 2006). Ce n’est là toutefois qu’une manifestation des imperfections de marché et elle n’explique ni les changements observables de l’épargne, ni les régimes de croissance qu’on peut leur associer. Le risque n’est pas une variable indépendante. Il est manifestement lié aux politiques économiques. Au vu des évolutions actuelles, spécifier cette interaction requiert une connaissance de l’épargne au-delà de l’analyse empirique à laquelle se sont résignés les économistes. A défaut d’une validation économétrique des théories concurrentes de l’épargne, le savoir conventionnel se borne à rendre compte des corrélations possibles de la croissance (Villieu, 2002). Parmi l’ensemble observable, on peut décrire l’ajustement entre offre et demande globales réalisant, dans toute économie, l’équilibre entre les ressources d’épargne nationale et ses usages, tel que le mesure la balance des paiements. Mais l’identité comptable n’explique pas l’ajustement qui, selon les courants d’analyse, pourrait soit répondre au besoin de financement public, à celui du secteur privé ou, encore, au déficit du compte courant.

Dans une perspective d’économie politique internationale, la nouvelle allocation internationale de l’épargne fait ressortir un changement structurel des régimes de croissance régionaux. Ce changement donne lieu à une nouvelle macroéconomie mondiale dont les effets sont mal connus, même si les faits sont établis et si les aléas monétaires et leur dimension politique sont identifiés. La crise mondiale pose, au premier chef, la question de la continuité des flux qui financent le déficit nord-américain. L’épargne revient au centre de problèmes qui définissent l’avenir de la croissance autour d’une articulation, encore mal cernée, entre division internationale du travail et macroéconomie mondiale16. La reprise des investissements suppose la disponibilité d’une épargne, fut-elle étrangère. La valeur du dollar doit donc concilier l’attrait de l’épargne étrangère et la réduction du déficit courant. Au regard des balances excédentaires dans le monde, les déficits nord-américains paraissent soutenables mais le change peut aussi être fonction des arbitrages qui maintiennent les stocks d’actifs financiers US à un niveau largement supérieur aux actifs européens (Didier, 2005).

La valeur monétaire de l’épargne et l’accord sur les prix Le rapport entre les valeurs des monnaies nationales et la disponibilité d’épargne étrangère est

évidemment différent dans un pays en voie de développement qui souffre d’un déséquilibre externe structurel. La spécificité de l’Amérique latine est celle d’une faible croissance moyenne, associée à un ajustement récurent entre épargne publique et privée par la politique de change. Celle-ci est le pivot

16 La question de l’allocation internationale de l’épargne est perçue dès le début des années 1990 (Arthus, Bismut et Plihon, 1993). Pour une vision à chaud des débats qu’elle suscite maintenant sous l’angle de sa régulation (Lubotchinsky, 2009)

Page 28: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

28

de la politique monétaire car l’unité de compte qui fixe les revenus est centrale dans cet ajustement. Hicks (cité par Boyer, 1993) a montré que la politique de stop and go britannique était réglée sur un étalon travail qui dictait le crédit à l’économie. Cette vision institutionnelle de la monnaie explicite la convention de bas salaire et de « sécurisation » de la dette publique qui a soutenu l’expansion de l’économie argentine. Cette convention ne peut être stable vu l’incohérence inter-temporelle d’un modèle économique où l’épargne des salariés ne peut croître sans grever l’investissement. Avec la crise actuelle, il s’agit d’augmenter coûte que coûte l’épargne privée. Reste à savoir comment l’idée du financement de long terme de la croissance peut s’affirmer ou non dans ses implications distributives, c’est-à-dire par un accord nouveau sur les prix.

L’analyse comparée de l’Amérique latine semi-industrialisée aux autres économies émergentes précise la spécificité latino-américaine des ajustements de l’épargne, que livre la comptabilité nationale. La région se caractérise par une dynamique erratique de l’épargne marquée par des crises récurrentes de la dette publique et/ou de la dette externe. Une étude récente comparant les corrélations de la croissance des pays en voie de développement sur les années 1980 – 2000 montre que la faible croissance peut être ou non associée à un ajustement continu des soldes d’épargne privée, publique et externe – ce qui caractérise le stop and go qui grèvent la croissance latino-américaine de long terme, à l’opposé des pays d’Asie de l’Est où la performance de croissance est également décevante sur le temps long observable de la libéralisation.

L’Amérique latine affiche des fluctuations amples, à l’instar du groupe des pays du Sud Est asiatique à forte croissance. Dans un régime de croissance faible qui prévaut en Amérique latine, les fluctuations entre excédent et déficit du compte courant vont de pair avec une compensation entre excédents d’épargne publique ou privée. La stabilité des taux en Asie de Est s’établit sur la base d’un déficit public structurel contrebalancé par une épargne privée nette qui assure l’équilibre de la balance des paiements (Rada Taylor, 2007, p. 16).

Les différences de performance de croissance et de stabilisation entre pays émergents soulèvent un débat, déjà ancien, sur la causalité de l’ajustement des soldes entre les trois secteurs institutionnels. Les points de vue sont réputés inconciliables (id. ibid.)17.

Les crises de change récurrentes et la dérive hyper-inflationniste qu’elles provoquent dans les années quatre-vingt en Amérique latine ont été déclenchées par l’impossibilité d’honorer la dette, d’abord externe (dans la crise de 1982) et publique par la suite (1990 et 2000). Ces crises et surtout leur traitement ont impliqué des ajustements réitérés de l’épargne interne et publique. La dévaluation ou la valorisation du change résulte généralement en Amérique latine d’une décision de l’autorité monétaire. La formation de l’épargne obéit de ce fait tant au niveau d’activités (ou des capacités de production) qu’au rendement de la dette publique. Ce n’est pas un lien direct qui ferait de son taux d’intérêt et/ou indexeur nominal de la dette publique un prix d’équilibre mais une détermination macroéconomique de la liquidité financière par l’effet du change sur l’arbitrage de placement de l’épargne sur des titres à revenu fixe ou sur des actifs productifs.

Les économistes structuralistes qui ont conçu cette politique soulignent le rôle de la dévaluation et du maintien d’un taux de change compétitif qui force l’expansion des biens exportables mais aussi la production locale de biens importés. La dévaluation a maintenant, contrairement au passé, un effet expansif (Frenkel et Taylor, 2006). Alors que les économistes structuralistes s’étaient différenciés de l’idée d’effets expansifs d’une dévaluation propre à la macroéconomie de la synthèse,

17 L’approche monétaire de la balance des paiements postule le rôle premier du solde public, lequel commanderait le solde externe dont dépend ensuite l’absorption externe. L’approche nouvelle classique donne le rôle moteur aux anticipations des agents, lesquels règlent leur épargne sur le niveau anticipé de leur revenu permanent qui les conduit à épargner plus (ou moins) quand s’accroît (ou diminue, voire s’inverse) le déficit public. C’est donc l’épargne privée qui serait déterminante dans le système des prix relatifs qui commande la croissance et le solde public qui en résultera. La macroéconomie structuraliste inverse le sens de cette causalité ricardienne : le solde externe règle l’absorption interne et donc le solde privé qui, à son tour, détermine le solde public.

Page 29: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

29

leur explication de la dévaluation compétitive dans les années 80, de même que la défense d’une politique actuelle, est centrée sur les prix relatifs.

La question du change est donc centrale dans les évolutions observables de l’épargne. Par ses effets sur la balance des paiements, l’épargne constitue de ce fait un objet implicite de la politique économique. La question des déterminants et du rôle de l’épargne est ainsi autant celle de son volume et de son taux que celle sa valeur monétaire, ce qui pose la question du rapport entre valeur et monnaie de compte.

Hicks avait imputé à un étalon travail la politique monétaire accommodante qui a caractérisé les politiques keynésiennes de lissage du cycle. A l’opposé des fondements micro-économiques que donnent les nouveaux classiques à la monnaie de réserve18, dans la tradition économique qui aborde la monnaie en tant qu’institution, loin de n’être qu’un voile des prix justifiant une analyse réelle de la valeur, nombre d’auteurs considèrent qu’elle rend possible l’accord marchand en se matérialisant, non pas seulement sous la forme d’une marchandise qui objective ses fonctions d’unité de compte, de moyen de paiement, et de réserve de valeur, mais aussi au travers d’une norme souveraine de l’édiction de règles de compte, d’émission et de change des moyens de paiement.

La monnaie est alors considérée comme un fait social total (Théret, 2007 et 2008). La monnaie opère l’abstraction de l’ensemble des échanges commensurables en une unité de compte qui est le symbole d’une communauté de paiement. Elle est donc bien plus que ce qu’en dit le modèle canonique néoclassique – un n plus unième marché de la nomenclature des biens et services. Envisager la monnaie comme fait social total permet de relier sa dimension proprement économique de système de paiement dont dépend la croissance de la richesse, à sa dimension proprement politique qu’est produire un accord sur le système de compte et de paiement, et à sa dimension proprement symbolique qui fait de la monnaie un système de signes de la communauté de paiements également le langage d’une communauté sociale.

Avec cette définition de la monnaie (en bref, par sa nature de représentation fonctionnelle simultanée de la société et de la valeur), la politique monétaire est un ordonnateur des interactions entre moyen de paiement, règle monétaire et unité de compte nationale. L’émission et le solde des dettes qui canalisent l’épargne se décide dans le cadre du système politique dont relève l’autorité monétaire en tant que pouvoir souverain et au travers du système symbolique de représentation de la Nation comme communauté de compte et de paiements19.

Par les incidences du régime d’émission et de change sur la croissance et l’emploi mais aussi sur la répartition des revenus qui découle des prix relatifs, la politique monétaire est alors un enjeu majeur de la légitimité gouvernementale. Réduire la légitimité à une simple question de crédibilité ou de réputation de la rigueur du contrôle du niveau des prix absolus n’éclaire que la logique mimétique et les corrections d’erreurs de la croyance d’un agent représentatif mais ne permet pas de déceler comment se défait ou se reconstitue le moment conventionnel des anticipations. La convention de la sortie de crise s’est établie en 2002 au plus bas niveau des salaires depuis 1960, atteint en 2003 sous l’effet séquentiel de la récession (1998-01), de la crise et de la dévaluation (2001-03). Le niveau des salaires, abaissé à son minimum historique, a permis une relance de la production grâce à l’explosion des marges de profit. Dans la période actuelle, si l’on tient compte des intérêts reportés, les revenus

18 La théorie néoclassique n’est toutefois pas au bout de ses peines puisque la monnaie est intégrée à une représentation des choix individuels bornés à des calculs d’utilité inter-temporelle ; ceux-ci ne rendent compte que de cas « surprenants » qui démentent la théorie quantitative. En outre, la représentation mathématique des anticipations posant les croyances comme des variables endogènes au modèle fait problème. Les anticipations peuvent être adaptatives et dans ce cas réputées obéir à une règle de projection pondérée des prix passés en fonction des erreurs observées, ou constituer des prévisions parfaites car rationnelles, et qui ont la vertu de s’auto-réaliser. L’une et l’autre représentation peut se vérifier mais l’analyse pose de façon arbitraire le choix de la règle ou le choix des croyances (Bénicourt et Guerrien, 2008). 19 Ceci est formalisé dans deux tableaux des formes de la monnaie pour le régime de convertibilité et le régime actuel (2ème partie du rapport I-2, p. 233 et 240)

Page 30: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

30

financiers liés à la dette ont continué de croître. L’épargne croît mais ne nourrit pas l’investissement privé. Le débat sur le régime de croissance semble inévitable. Il va voir se croiser la pression syndicale et à une contrainte budgétaire, toutes deux aggravées. Le cadre de référence des décideurs, axé sur le « crecer con lo nuestro », résistera-t-il ?

On peut conjecturer le court terme. Le soutien budgétaire atténuant les effets de la contagion de la crise mondiale est limité par le service de la dette. Tant qu’une reprise mondiale demeure incertaine, l’épargne nationale est plus primordiale que jamais. Le choix ouvert à la réintégration des cotisations sociales aux caisses de répartition s’inscrit bien sûr dans cette perspective. A long terme, prévaut l’hypothèse d’une croissance soutenue des commodities mais la volonté politique de développer le financement de long terme pourrait s’affirmer. Dans la longue durée, un changement de paradigme de la politique économique qui réinvente une croissance inclusive n’est pas à priori inimaginable. Il faut se souvenir que la grande crise précédente a effectivement ouvert ce débat dans la société latino-américaine, avec la force que l’on sait en ce qui concerne l’Argentine. Ce débat est en tous cas rouvert.

Page 31: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

31

Annexe : Théories et pratiques de l’épargne à l’épreuve des crises financières

La violence de la crise argentine de 2001/2002 exprimait l’impossibilité d’entrevoir une quelconque vision du long terme, le temps que s’est opérée la reconstruction du système monétaire. Aujourd’hui, le monde se confronte à une conjecture semblable. Les effets de contagion « inattendus » d’une crise d’un segment du crédit immobilier nord-américain révèlent l’ignorance de l’instabilité financière intrinsèque à l’autorégulation des marchés. On reconnaît la faillite d’un modèle de régulation prudentielle qui se contentait d’imposer aux marchés une autorégulation et ignorait la dimension macroéconomique de l’évolution des risques. La macroéconomie des dérives financières n’en implique pas moins les Etats, ce qu’exprime dans le cas de Argentine une politique économique contrainte par l’inertie du cycle endettement / épargne, observable en longue période. Cette inertie est d’abord de nature politique par ses implications distributives et celles-ci définissent aujourd’hui les marges d’action contra-cyclique dans la crise actuelle.

La crise mondiale soulève également le problème du rapport entre l’épargne et l’évaluation de la solvabilité des débiteurs. Le débat prend toutefois à présent un tour bien plus radical sur la question de la responsabilité de la théorie économique. La force de conviction de la théorie financière conventionnelle n’en demeure pas moins prédominante, comme en témoigne le pari (ou le rêve ?) d’un retour au business as usual. Une telle anticipation ne semble pas s’embarrasser d’un déterminant structurel – les déséquilibres financiers internationaux cumulatifs. Le même type d’impasse faite sur le long terme était décelable dans les conditions de la sortie de crise argentine et de la croissance qui s’ensuit. Cette impasse se pose à présent dans la possibilité ou non de voir s’affirmer la demande domestique comme moteur de la croissance.

L’épargne et l’ignorance de l’incertitude

La sortie de la crise argentine a vu s’opposer deux théories. Celle des observateurs « autorisés » (FMI, au premier chef) fut prise de court face au succès de la politique de la reconversion « souveraine » des dettes. Les dettes externes ont fait l’objet d’un rachat contre d’autres titres dont les clauses étaient à prendre ou à laisser. Le report des intérêts gonfle l’excédent budgétaire et leur indexation au taux de croissance se veut le gage de leur caractère soutenable20. Logiquement, pour la vision conventionnelle, le viol des contrats de dettes allait enfoncer l’économie dans le marasme. Le raisonnement s’est révélé, à postériori, purement doxique. La théorie du gouvernement était autre. Le rôle de l’Etat s’avérait indispensable. La reprise s’est faite dans la reconstruction d’une communauté de compte et de paiements. Le principe de pesification asymétrique a résolu la faillite du système bancaire par la conversion discrétionnaire des avoirs au taux de 1,4 peso nouveau contre l’ancien qui valait 1 dollar et au taux de 1 pour 1 pour les engagements à payer. La banque centrale récupère par ailleurs la maîtrise du refinancement des banques privées. La sortie de crise fut donc d’abord politique. La volonté politique d’empêcher l’appréciation du change, portée par la conjoncture très favorable des commodities, a ensuite permis de maintenir pendant 5 ans un des taux de croissance les plus élevés parmi les économies émergentes. L’épargne nationale a couvert aisément le service de la dette ; la progression de l’épargne privée est le produit de cette volonté.

Aujourd’hui, le contexte externe est radicalement opposé : l’incertitude des issues possibles de la crise financière globale est radicale, au sens keynésien du terme. L’incertitude porte sur la reprise du crédit dans les pays développés dans un contexte de déflation salariale accentuée. La prévision pessimiste du rendement du crédit dans les pays développés se double de l’inconnue des effets qu’aurait leur stagnation sur les économies émergentes. Le relais de la demande domestique pose des

20 Le service de la dette deviendrait neutre vis-à-vis de la croissance au lieu d’alimenter sa baisse quand celle-ci réduit les recettes fiscales.

Page 32: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

32

questions structurelles spécifiques à chacune. Ce serait là, en outre, un nouveau partage de l’épargne mondiale.

Ces incertitudes font écho à deux questions au cœur de cette recherche. La crise argentine de 2001 était-elle une forme exacerbée d’un retournement de cycle ou une crise structurelle du rapport dette / épargne ? Quel effet performatif de la théorie économique exprime chaque interprétation? Dans le débat public argentin, le diagnostic de crise structurelle s’est imposé.

La crise nord-américaine est également liée à une baisse du taux d’épargne qu’a permis un endettement externe croissant. Le peu de cas des déséquilibres financiers internationaux fut une composante de l’incapacité de prévision. Le rapport des pratiques à la théorie est ici crucial. Il l’est plus précisément sur le traitement social (collectif) de l’incertitude. Le problème rappelle ce que John Hicks (1975) qualifiait de crise de l’économie keynésienne, en tant que crise simultanée d’une école de pensée et d’une conduite de l’économie. Ce sont les schémas de pensée qui répondent à cette crise qui sont aujourd’hui mis en cause. Hicks mettait en avant la crise d’une interprétation de Keynes particulière mais dominante, celle qui s’est fait connaître comme macroéconomie de synthèse. Hicks en pointe une limite qui va prévaloir jusqu’à présent, sa modélisation axée sur le court terme. Il rappelle que cet horizon était dicté par la conjoncture des années 1930 mais que Keynes perçoit le plein emploi comme une possibilité seulement concevable sur le long terme.

Avec la macroéconomie de synthèse, le long terme devient l’espace de validité néoclassique et le court terme celui d’une politique de réglage du cycle. Depuis la restauration néoclassique, cette conception du long terme définit l’objectif des réformes structurelles qui devraient assurer le meilleur fonctionnement possible des marchés. Cette vision du long terme limite les leçons des crises financières à un problème particulier à la finance, lequel met en cause les incitations microéconomiques existantes de la régulation prudentielle.

Suite à leurs crises, les pays émergents ont été amenés, par contre, à en revenir à une vision plus macroéconomique de la vulnérabilité financière pour recentrer leur politique sur l’objectif d’endiguer l’endettement externe. L’horizon du policy mix fait alors dépendre la trajectoire de l’économie des réserves de change (et fonds souverains) qu’elle permet de constituer. Il en a résulté, on le sait, que des pays où la rentabilité est plus élevée sont paradoxalement une réserve de la liquidité mondiale – leur épargne contribue à la croissance fondée sur le surendettement des Etats-Unis et d’autres pays qui ont suivi son modèle.

Ces évolutions des structures financières mondiales interrogent la définition même de l’épargne que se donnent les économistes. La question mobilise bien sûr le souvenir des années 1930. Plus précisément, elle renvoie au clivage sur la prévalence des macro ou micro déterminations. La résurgence d’un référentiel keynésien qu’induit la crise mondiale apporte une résonance nouvelle aux limites du débat sur la crise argentine que pointe cette étude en ce qui concerne l’épargne de long terme.

Il fallut attendre la résurgence de l’inflation en 2005 pour voir le sujet de l’épargne paraître plus problématique. La révolte contre l’impôt sur l’agriculture d’exportation et contre la régulation des prix agro-alimentaires met en doute le maintien de l’excédent budgétaire. L’étude de la CEPAL sur la croissance tendancielle voit dans ce conflit distributif un problème structurel de l’épargne. Elle souligne le défi théorique et politique de l’invention d’incitations propres à réduire la préférence pour le présent (Heymann, 2006). La recherche qu’on réalisait à ce moment repose cette question du rôle de l’épargne dans la stabilité sous l’angle de sa dimension cognitive. Celle-ci se donne à voir dans les effets macroéconomiques de choix gouvernementaux et donc de leur théorie. La crise actuelle a un effet de miroir grossissant. Elle met à nu l’agir d’une théorie qui outille la politique économique pour manipuler le volume de l’épargne en fonction de l’évaluation financière des dettes.

Page 33: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

33

Cantonner l’analyse de la crise au seul champ de la finance n’exige qu’une révision intellectuelle limitée ; elle ne concerne que la foi excessive en l’auto-organisation des marchés financiers. Il faut observer que cette foi n’a pas le caractère ingénu que lui prête la rhétorique politique. La pensée économique s’est recentrée sur un principe de réalité – les failles de marché. Depuis une vingtaine d’années, la profession a pris acte que le modèle de l’équilibre général (clé de voûte de la loi de l’offre et de la demande) n’expliquait pas comment fonctionne un ajustement. La réponse qu’a trouvée la science économique semble suivre la méthode de Max Weber. On construit des modèles d’idéaux types, définis comme optimums de second rang. On dessinerait ensuite les institutions qui rapprochent la réalité du modèle de l’équilibre général. L’émergence de ces institutions peut être pensée comme le fait des marchés, même si elle implique l’Etat. Ce paradigme est clairement énoncé dans le titre même d’un ouvrage de Rodrik (2008) : « one economics, many recipes ».

Une telle approche est contestable pour son irréalisme sur les ressorts du montage institutionnel de l’économie21. D’autres visions des institutions montrent aujourd’hui que les lois générales de l’économie sont elles-mêmes une question de perception. Difficile dès lors d’en déduire une sorte de nomenclature de bonnes institutions, dérivable des vecteurs de prix d’un équilibre général. Ce qui est tenu pour loi économique est toujours une interprétation sociale dont l’expertise est d’ailleurs partie prenante, si ce n’est la partie principale. Le pragmatisme dans l’application des réformes qui les définiraient en fonction de chaque contexte fait ainsi l’impasse sur la dynamique institutionnelle d’ensemble (Marques Pereira, 2009). Les nouveaux champs d’analyse sociologique de l’économie, notamment sur les phénomènes de croyances, étendent le débat sur la variété des capitalismes au-delà des idiosyncrasies des trajectoires techniques. Dans cette façon de reposer l’adéquation entre universalité et contexte des mécanismes économiques22, l’analyse de la performativité du discours économique informe sur l’effet de ce qui est postulé de l’avenir. L’hypothèse « dire l’économie, c’est la faire » (Muniesa et Callon, 2008) est ainsi un équivalent sociologique de ce que l’économiste appelle la coordination. Au lieu de la postuler, on est alors amené à en rendre compte sur ces deux registres d’une vision du futur dont procède la souveraineté monétaire.

1. D’un point de vue sociologique, les déséquilibres dus à une faille de marché doivent être considérés comme un ajustement qui déroule, en positif, le montage d’une coordination dans la production d’une vision partagée du futur qui s’avère défaillante. Cette analyse montre que l’asymétrie d’information ne concerne pas que ses externalités négatives. La coordination, pour parler comme Durkheim, réside dans une représentation que la société se fait d’elle-même au travers d’un savoir d’expertise.

2. D’un point de vue économique, il faut intégrer que la régulation des anticipations procède de la souveraineté monétaire. Ce n’est pas là qu’une question technique, tel que le définit le fameux triangle de Mundell. La souveraineté monétaire est affaire de croyance collective en une forme d’autorité particulière. Celle-ci ne repose pas sur un monopole de la violence légitime – attribut de la souveraineté politique. L’autorité, dans ce cas, traduit la force d’une croyance collective – en l’occurrence, celle de la théorie des anticipations rationnelles induisant une illusion généralisée de revenus futurs. L’expression macroéconomique de cette séquence théories - croyances s’est matérialisée dans la conjonction de l’endettement des ménages, des institutions financières et/ou de l’Etat, selon les cas.

La presse économique autorisée s’interroge sur la responsabilité des théories. Nombre d’articles ont attiré l’attention à cet égard sur le rejet de Keynes depuis la dite révolution monétariste. 21 Voir « Les grands dossiers des Sciences Humaines » n°16, 2009. 22 On voit, en fait, ressurgir le débat qui fonde, au début du 20ème siècle l’économie axiomatique. Cette méthode s’opposait à la tradition germanique ancrée sur une sociologie historique. Le camp néoclassique a clos la résurgence du débat sur l’impératif méthodologique dérivant le tout du choix individuel sous contrainte, prémisse à laquelle s’oppose le questionnement sur la formation des institutions économiques dans les discours et les pratiques, aujourd’hui largement étudiée par les autres sciences sociales.

Page 34: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

34

L’absence de prévisions de la crise et de consensus quant aux façons d’en sortir, lui paraît aisément imputable. L’absence de prévision est, en effet, la contrepartie logique de l’empire qu’a eu l’idée d’efficience des marchés financiers scellant ce rejet. En ce sens, l’illusion macroéconomique des acteurs prend racine dans l’opposition entre représentations concurrentes de l’influence de la finance dans l’équilibre macroéconomique23. La contribution de F. Ülgen au rapport final le montre en ce qui concerne le débat conventionnel sur l’épargne dans les économies émergentes et celle de J. Marques Pereira en ce qui concerne le débat sur la crise argentine de 2001/2002.

Pour la plupart des économistes en vue, les erreurs de perception de l’avenir qui ont provoqué la crise argentine ne remettaient pas en cause la macroéconomie dominante. A leurs yeux, cette crise résulterait in fine des failles de marchés financiers et du peu de souci des décideurs publics d’y remédier pour des raisons politiques (Sgard, 2006). L’Argentine aurait ainsi fait office d’illustration exemplaire de l’erreur d’une libéralisation trop brutale, menée sans veiller au cadre institutionnel nécessaire. En bref, l’absence de résilience au choc externe devait être attribué à l’insécurité des contrats. D’un point de vue keynésien, la macroéconomie est envisagée comme un système d’interactions entre grandeurs globales. Ce système, à l’inverse, délimite les choix individuels. Ce fut l’angle d’attaque de la critique structuraliste de la politique de libéralisation avec fixité du change. L’incapacité à maîtriser l’effet de contagion ne pose pas alors la question de l’endettement public insoutenable par défaut de sécurisation. La dette publique explose car elle est la contrepartie du désendettement externe d’agents privés (nationaux et étrangers) dans la seconde période du régime de convertibilité (Damill et al., 2007 ; Basualdo, 2006).

La politique économique n’a pu récupérer une marge de manœuvre qu’à la suite d’une crise structurelle révélant l’erreur d’un régime monétaire, complètement rigide, forçant à l’endettement externe. La résistance à la contagion de la crise mexicaine de 1995 avait pu corroborer momentanément les croyances mais cette validation à court terme ne valait pas vérité de long terme. Le contexte politique dans lequel fut définie la stratégie de sortie de la crise imposerait de reconnaître l’erreur de la politique économique. L’opinion académique dominante qui responsabilisait l’inachèvement ou le détournement des réformes structurelles fut donc battue en brèche. Révéler l’erreur de la prévision n’a pas ouvert pour autant un débat sur son présupposé, le postulat d’anticipations rationnelles24. Aujourd’hui, sous d’autres cieux, l’hypothèse d’efficience des marchés financiers est malmenée mais la théorie qui en dérive sur le rapport entre épargne, croissance et stabilité financière n’est pas plus débattue – ceci, alors même que la question est au cœur de la négociation internationale.

Abandonner l’hypothèse d’anticipations rationnelles revient à renoncer à l’outillage conceptuel donnant label scientifique à la macroéconomie déduite des choix individuels. Au-delà de ce vieux clivage, la crise interroge le rapport monnaie / épargne qui place aujourd’hui les politiques de change au centre de l’évolution macroéconomique mondiale. Dans les années 2000, les dirigeants des économies émergentes à fort endettement ont cherché à se prémunir contre l’instabilité de la finance internationale par des excédents substantiels du compte courant et l’accumulation de réserves de change. Le choix de pousser l’épargne s’avère judicieux. Il a évité les attaques spéculatives contre les monnaies de ces économies. Mais, comme le soulignent plusieurs analyses, ce choix limite la progression de l’investissement et du potentiel de croissance (CEPAL, 2006 ; Salama, 2010). La justification de ce choix fait l’impasse sur le long terme de l’épargne nationale. Les erreurs de prévision ne rappellent pas seulement que la théorie économique est une explication scientifique

23 Il faut ici faire référence à l’opposition entre une conception séquentielle de l’équilibre macroéconomique où le marché monétaire détermine celui des biens, lequel fixe le niveau d’emploi et une conception sous forme d’équations simultanées, qui fait du sous-emploi un cas particulier de l’équilibre général de Walras. Nombre d’économistes s’accordent à voir dans ce fameux commentaire de Hicks sur la théorie générale le fondement de la restauration néoclassique qui finira par annuler la possibilité de ce cas particulier sur la base d’une hypothèse d’anticipations qui rejette le rôle de la monnaie comme seul actif servant de rempart à l’incertitude. 24 Sous réserve d’inventaire, seule l’analyse de Heymann (2002) rappelle dans le débat argentin la fragilité d’une fondation de la dérivation microéconomique de la macroéconomie sur la base de ce postulat.

Page 35: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

35

interprétative mais aussi que celle-ci guide des décisions privées et publiques. Un détour rappelant ce que dit la théorie est ici nécessaire.

Inertie ou enrayement du déclin de l’épargne en Argentine ? Quelle théorie ?

L’interprétation statistique des tendances de long terme suppose une théorie pour spécifier les causalités que l’on peut inférer aux corrélations entre l’épargne et d’autres agrégats macroéconomiques, tels que la croissance, l’investissement et les revenus. Les hypothèses sur ces causalités ont été établies par les théories des années 1950 définissant la croissance équilibrée. Ce dispositif cadre encore le débat contemporain. Il a conduit à une conception du rôle de l’épargne dans la croissance comme variable dérivée selon la séquence suivante de déterminations.

- L’ajustement que provoquent les chocs doit reconduire l’économie sur sa tendance longue. - L’explication de cette dernière est centrée sur des facteurs exogènes au marché – progrès

technique et croissance démographique. - L’épargne est alors perçue comme une variable dérivée des revenus prévisibles au long du

cycle de vie. - Le ratio au PIB de l’épargne disponible pour l’investissement détermine le niveau du taux

de croissance mais il n’est pas une condition d’équilibre de long terme.

Certes, cette représentation de la croissance a été l’objet d’amendements depuis que le programme néoclassique s’est attaché à intégrer la question des défaillances de l’autorégulation des marchés. Cela ne modifie pas pour autant la conceptualisation du long terme. Le progrès technique est maintenant posé, non plus comme un facteur exogène (que peut suggérer l’autonomie de l’innovation scientifique) mais comme une variable en partie endogène à l’organisation économique, ce qui implique une intervention de l’Etat25.

Dans l’analyse keynésienne originale, les conditions d’une progression de l’épargne nationale posent de façon différente la question de l’articulation entre stabilité à court terme et croissance à long terme. L’analyse de Harrod (1939) fait de l’épargne une variable du sentier de croissance. Les modèles postkeynésiens postérieurs vont ensuite préciser l’importance de la répartition des revenus comme variable d’ajustement. La question d’une telle relation retrouve toute son actualité face aux effets distributifs du surendettement qui s’est adossé à l’accroissement de la disponibilité l’offre d’épargne internationale.

Dans le modèle de Solow (1956), l’épargne ne déterminait pas le sentier d’équilibres de la croissance à long terme mais seulement le niveau du PIB/tête. Sur cette base, on pourra considérer que l’épargne étrangère est susceptible d’élever le taux de croissance. Un surcroît de fonds externes finance une accélération des gains de compétitivité, laquelle assurera en retour leur rémunération future. Les crises financières révèlent les limites de cette analyse. Celles des économies émergentes en constituent une première illustration. La crise mondiale actuelle repose la question à l’échelle internationale. Les erreurs de prévision, à l’origine de ces chocs, peuvent infléchir les tendances de long terme. Dans le cas de l’Argentine, ainsi qu’on le montre plus loin, la succession de ces chocs s’accompagne d’une tendance au déclin des taux d’épargne nationale, d’investissement et de croissance de long terme, ce qui impliquera la montée de l’endettement public.

L’interaction épargne / croissance se pose dès lors en termes d’économie politique26. Ce n’est pas là une particularité des économies émergentes, ainsi que le suggérait le fait d’attribuer ces crises à

25 Les failles de marché peuvent alors justifier des politiques économiques dites « actives ». Le contrôle de l’inflation ne garantit pas, per se, le retour à la tendance de long terme en cas de choc et la politique économique doit être un instrument de réglage du cycle. L’effet des chocs peut éloigner la trajectoire de croissance du sentier d’équilibre de long terme en raison des failles de coordination des marchés, au premier chef, celles du marché financier. 26 Cette régulation est une conciliation des intérêts contradictoires. On considère que c’est là une limite fondamentale de la doctrine, limite que dévoilent les crises financières. Une politique économique, réputée favoriser le bon fonctionnement

Page 36: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

36

un « capitalisme de coquins ». La crise argentine de 2001/2002 peut alors être vue comme le résultat d’une addiction de l’Etat à l’endettement27. Le poids des politiques économiques nationales dans les déséquilibres financiers internationaux cumulatifs qui ont fait le lit de la crise mondiale démontre aujourd’hui que l’épargne est un problème d’économie politique mondiale (Aglietta et Rigoud, 2009).

La trajectoire de l’épargne en Argentine est une histoire de crises récurrentes des paiements externes. La variation de l’épargne nationale est avant tout le résultat des politiques économiques et celles-ci sont en retour contraintes par la formation de l’épargne qu’elles ont préalablement induite. L’épargne est alors une variable simultanément dépendante et déterminante de la croissance de long terme. Dans l’interprétation officielle, la forte croissance pouvait être attribuée à la volonté d’enrayer le déclin historique du taux d’épargne nationale, ce que proclame avec emphase le slogan « crecer con lo nuestro », lancé dans la sortie de crise. Le défi théorique que soulève l’évaluation d’un tel pari était donc double : préciser la tendance de long terme de l’épargne nationale ; déceler les erreurs possibles de prévision que pouvait impliquer la théorie.

L’attribution des erreurs de prévisions à un sous-développement institutionnel du marché financier oriente la façon de concevoir la priorité donnée à l’épargne nationale. La vision du long terme postule une sécurisation des contrats qui conduit à estimer que les nouveaux équilibres de marché pouvaient se projeter sur le long terme. Cette croyance est générale. Ainsi, on a pu croire que le déficit d’épargne nationale des USA exprimait de nouveaux équilibres de l’économie réelle en longue période. Les déficits externe et public pouvaient être considérés soutenables car les nouvelles formes d’endettement générées par l’innovation financière étaient le support de l’innovation technologique nord-américaine. Dans la même logique, le déficit courant de l’Argentine a été justifié dans les années 1990 par les gains de compétitivité escomptés. Ou encore, dans la croissance récente des années 2003-2008, on pouvait estimer que la progression de l’épargne et de l’investissement irait se perpétuer grâce à ces gains de compétitivité, lesquels consolideraient dans le long terme la baisse du ratio de la dette publique au PIB et de son service. La politique industrielle est un complément nécessaire de cette politique macroéconomique (Kosacoff, 2007)

Sur la base de telles prédictions, d’aucuns réduisent le déficit théorique que révèle une crise systémique à la seule question des mécanismes conduisant de l’euphorie à la panique. Une meilleure connaissance de ces mécanismes fournirait au régulateur les moyens de les prévenir. Dans le cas des crises des pays latino-américains, vu que la dette publique représentait alors l’essentiel des actifs financiers, on pouvait considérer que sa couverture par les réserves de change éviterait de nouvelles crises financières. D’où l’importance de l’excédent d’épargne nationale dans la balance des paiements.

Toutefois, cette analyse ne peut être tenue pour un pronostic. Elle est un modèle d’action collective qui soumet le jeu des acteurs à un ensemble d’inconnues quant aux effets de sentier.

1. Le changement de politique budgétaire et de régime de change garantirait un excédent d’épargne nationale, privée et publique, mais ce dernier n’est pas en lui-même un gage quelconque du long terme. La confiance demeure indéterminée.

2. L’ampleur croissante des cycles depuis qu’a commencé le recours systématique à l’épargne externe dans les années 1970 interroge leur dimension politique28. Dans la sortie de la dernière crise, on aurait pu prévoir que le conflit distributif mettrait en péril la progression de l’épargne nationale ; crainte qui s’avère fondée avant même que la crise mondiale vienne interrompre sa progression et remettre à l’ordre du jour la nécessité du recours à l’épargne externe.

d’une autorégulation des marchés par des incitations d’ordre micro-économique, n’est pas plus politiquement neutre qu’une politique d’intervention macroéconomique, telle que l’action sur le cycle par les dépenses publiques (cf. pour l’Amérique latine, Marques Pereira, 2006). La portée des concepts néoclassiques et néo-keynésiens modélisant l’agent représentatif n’informe pas le rapport entre les revenus au-delà de l’examen ses asymétries d’information. La question est ici de saisir les rapports de force qui se jouent dans les promesses de revenus que permet une politique économique. 27 Argument avancé par Michael Mussa, directeur de la recherche pour l’Amérique latine à ce moment (Mussa, 2002) 28 Pour un compte rendu de ce débat, voir Marques Pereira, 2006.

Page 37: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

37

3. Le caractère déterminant de la répartition des revenus sur l’évolution de l’épargne est lisible dans une intermédiation financière centrée sur la dette publique et pose donc tout particulièrement la question des revenus financiers comme déterminant de l’épargne. L’incertitude se focalise ainsi sur la possibilité ou non d’un changement de politique économique.

La confiance en l’avenir qu’engagent les paris budgétaires, la dimension politique des cycles et le caractère directeur des prix financiers sont autant d’inconnues sur lesquelles se joue l’ambivalence de la monnaie comme bien à la fois privé et public. La recherche pluridisciplinaire sur la monnaie (Théret, 2009) permet de caractériser les discours pratiques et théoriques d’un compromis distributif constitutif du régime monétaire. La fragilité de ce compromis soulève un débat doctrinal dont peut se déduire deux scénarios possibles : la consolidation d’un trend de progression de l’épargne nationale, dont la possibilité n’a été qu’ébauchée ces dernières années ou, au contraire, la poursuite de son déclin par delà ses oscillations cycliques.

Page 38: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

38

Bibliographie

Acosta, P., (2005), “Short and long run determinants of private investment in Argentina Journal of

Applied Economics”, Vol VIII, No. 2 (Nov 2005), 389-406. Aglietta, M. et Rigoud, S., (2009), Crise et rénovation de la finance, Odile Jacob, Paris.

Arrow, K.J., (1994), “Methodological Individualism and Social Knowledge”, American Economic Review, Volume 84, Issue 2, pp. 1-9.

Artus, P., Bismut, C. et Plihon, D., éd. (1993), L’épargne, PUF, Paris. Barbeito, A., 2010, Re-construcción de índices de precios al consumidor y su incidencia en la medición

de algunas variables monetarias reales, Serie Análisis de Coyuntura Nº 24, CIEPP. Basualdo, E., (2006), Estudios de historia económica de Argentina desde mediados del siglo XX a la

actualidad, Siglo XXI, Buenos-Aires. Bénicourt, E. et Guerrien, B., (2008), La théorie néoclassique, La découverte, Manuels, Paris. Bebczuk, R (2000). “Corporate Saving and Financing Decisions in Latin America”. Quintas Jornadas de

Economía Monetaria e Internacional, Buenos Aires. Bellofiore R. et Halevi J. (2007), “You Can't Always Get What You Want: Why Europe is not

Keynesianable While the US New Economy is Driven by Financial Keynesianism” in Euroland and the World Economy. Global Player or Global Drag?, ed. Jorg Bibow and Andrea Terzi, Houndsmills, Basingstoke, UK: Palgrave Macmillan, United Kingdom pp. 215-32.

Boyer, R., "D'une série de "National Labour Standards" à un "European Monetary Standard" ?", Recherches Economiques de Louvain, vol. 59, n° 1-2, 1993.

CEPAL (2006), Balance preliminar de las economías de América Latina y el Caribe. Damill, M., Frenkel, R. et Rapetti, M., (2007), “La deuda argentina: historia, default y restructuración”,

in Boyer, R. et Neffa, J., Salida de crisis y estrategias alternativas de desarrollo, Miña y Dávila. Institut CDC pour la recherche/CEIL-PIETTE

De Olivera, J., Dinámica de la distribución del ingreso, año 2, vols. 3 y 4, Revista de Economía Política de Buenos Aires | 87 |

Dapena, J.P., (2009), “Rol del mercado de capital en el crecimiento: literatura y evidencia para la Argentina”, Documentos CEMA Área Economía y finanzas., n°393

Didier, M., (2005), « L’équilibre mondial épargne – investissement en ce milieu de décennie, in Brender, A. (éd.), L’épargne mondiale : frein ou moteur de la croissance, Le Cercle des Economistes, Descartes et Cie.

Fanelli J., Frenkel R., Rozenwurcel, G., “Ahorro, inversión y financiamiento en Argentina y Filipinas. Un análisis comparado” Documento de trabajo Nº 38, CEDES, 1990.

Foucault, M., Sécurité, territoire, population, Tours au Collage de France. 1977-1978, Hautes Etudes, Gallimard Seuil.

Frenkel, R et Taylor, L., (2006), “Real Exchange Rate, Monetary Policy and Employment: Economic Development in a Garden of Forking Paths”,

http://www.policyinnovations.org/ideas/policy_library/data/01287/_res/id=sa_File1/ Halevi, J., « The Economic situation and (tentatively) prospects » september 2009 (revised), Séminaire

central du CRIISEA, octobre 2009, miméo. Harrod, R., (1939), « An Essay in Dynamic Theory”, The Economic Journal, mars. Heymann, D., (2002), “Comportamientos inconsistentes y perturbaciones macroeconómicas”, Anales de

la Academia Nacional de Ciencias Económicas, 2002. Heymann, D., (2006), “Buscando la tendencia: crisis macroeconómica y recuperación en la Argentina”,

Serie estudios y perspectivas (Oficina Buenos Aires), Nº 31, CEPAL, Buenos Aires Kosacoff, B., (2007), « Crecimiento potencial de la economía argentina en el largo plazo”, in Boyer, R.

et Neffa, J., Salida de crisis y estrategias alternativas de desarrollo, Miña y Dávila. Institut CDC pour la recherche/CEIL-PIETTE, pp. 667-676.

Krugman, P.R.(1992), Currencies and crises, Cambridge, MIT Press. Lo Vuolo, R., (2007), « Argentine, les leçons d’une sortie de crise », Revue Tiers Monde, N°187, pp.

13-33. Lo Vuolo, R. (2009), Distribución y Crecimiento en Argentina, sous presse. Lo Vuolo, R. et Seppi, F., (2008), La falacia del desendeudamiento del sector público en la Argentina,

Documento de trabajo n°61, CIEPP, 353-399, Buenos Aires. Lo Vuolo, R., 2010, La coordinación de las políticas monetaria y fiscal, Serie Análisis de Coyuntura Nº

22, CIEPP. Lubochinsky, C., éd.(2009), Les marchés financiers dans la tourmente, le défi du long terme. Les

Cahiers, Le cercle des économistes, PUF Descartes et Cie.

Page 39: La dynamique macroéconomique de l ... - u-picardie.fr

39

Marques Pereira, J., (2006), “Teoría económica y credibilidad de la política anti-cíclica. La distribución del ingreso y los límites al crecimiento económico”, in: Lo Vuolo, R. (éd.), La credibilidad social de la política económica, entre volatitidad macro-económíca y vulnerabilidad social, Miño y Dávila/Institut CDC pour la Recherche, Buenos-Aires 2006, pp. 145-199.

Marques Pereira, J., (2009), « Brésil, Mexique : deux mondialisations », « Les ressorts invisibles de l'économie » Grands Dossiers N° 16, Sciences Humaines.

Matias, G. et Salama, P. (1983), L’Etat surdéveloppé, des métropoles au Tiers Monde, La découverte. Munessia, F. et Callon, M. (2008), « La performativité des sciences économiques, Papiers de recherche

du CSI, n°10, février. Mussa, M., Argentina y el FMI, Del triunfo a la tragedia, Planeta, Buenos Aires 2002. (en anglais

version courte document IIE, Washington) Orléan, A., (2009) De l’euphorie à la panique: penser la crise financière, Collection Cebremap, n° 16,

Editions Rue d’Ulm. Quenan, C., (2009), « Régimes de croissance et fragilités en Amérique latine », Colloque « Epargne,

investissement et monnaie au Brésil : regards croisés franco-brésiliens », Caixa Seguros, Brasilia 2009. Rada, C. et Taylor, L., (2007), “Developing and Transition Economies in the Late 20th Century,

Diverging Growth Rates, Economic Structures, and Sources of Demand”, s/s réf. Resende, M.F. da Cunha, (2005), “Déficits gêmeos e poupança nacional : abordagem convencional e

pós keynesiana”, UFMG/CEDEPLAR T.D. n°256. Roig, A., (2008), « La "création" d’une monnaie éternelle, genèse de la convertibilité en Argentine »,

dans Lordon, F., Conflits de pouvoirs dans les institutions du capitalisme, Sciences Po Les Presses, pp.91-137, Paris.

Salama, P. (2010), « Forces et faiblesses de l’Argentine, du Brésil et du Mexique », in : Hugon, P et Salama, P., (éditeurs), Les Suds dans la crise, Revue Tiers Monde Hors série, Paris : Armand Colin, pp. 99-125.

Schumpeter J.A., (1970) Das Wesen des Geldes, Vandenhoeck & Ruprecht, Goettingen. Sgard, J., (2004), Le currency board: ce qu’on en dit après et sa fin tragique, CEPII / Université Paris

Dauphine, Paris. Solow, R.M. (1956), “A contribution to the Theory of Growth”, Quaterly Journal of Economics, février. Solow, (2002), « Peut-on recourir à la politique budgétaire ? Est-ce souhaitable ? », Conférence à

l’Association internationale de sciences économiques, Lisbonne. Stieglitz J.E., (1999): “More Instruments and Broader Goals: Moving Toward Post-Washington

Consensus”, Revista de Economía Política, 19 (73), São Paulo. Thelen, K. (2003). “How institutions evolve: Insights from comparative-historical analysis”, in

Mahoney, J. and Rueschemeyer, D. (eds), Comparative Historical Analysis in the Social Sciences, New York: Cambridge University Press, pp. 208-40.

Théret, B., (2008), « Les trois états de la monnaie », Revue économique, vol. 59/4, pp. 813-841. Théret, B. (éd.), (2007), La monnaie révélée par ses crises, Editions de l’EPHESS, Paris Villieu, P. (2003), Macroéconomie. Consommation et épargne, La découverte, Repères.